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Première séance du jeudi 4 novembre 2004

42e séance de la session ordinaire 2004-2005


PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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LOI DE FINANCES POUR 2005

DEUXIÈME PARTIE

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2005 (nos 1800, 1863).

RECHERCHE

M. le président. Nous abordons l'examen des crédits du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, concernant la recherche.

La parole est à M. le rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Christian Cabal, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à la recherche, mes chers collègues, la loi de finances pour 2004 aura eu le mérite paradoxal de susciter un vrai débat sur la situation de la recherche française, un débat qui était souhaité par tous, avec des motivations au demeurant contradictoires, voire sous-tendues pour certains par des options idéologiques, souvent opposées mais tout aussi respectables. Mais elle est confortée par une réalité : le système allait insensiblement vers une régression lente et inéluctable. Les mesures proposées dans le cadre du budget pour 2004, - l'évolution statutaire d'une partie des emplois, l'orientation croissante des flux budgétaires vers des thématiques déterminées - survenant après des budgets pour 2002 et pour 2003 que je qualifierai de difficiles, ont entraîné un mouvement qui est encore présent dans tous les esprits.

Le mérite essentiel de cette situation de crise aura été de rappeler à tous - décideurs, politiques ou non, opinion publique et bien sûr scientifiques qui, « le nez dans le guidon », fixés sur leurs propres recherches sont parfois indifférents aux problèmes globaux de la recherche - l'importance stratégique de la recherche,

Dès lors, la mécanique était enclenchée : après les débats de ces derniers mois, les propositions des comités locaux d'organisation des états généraux et du comité d'initiative et de propositions présidé par Etienne-Emile Beaulieu et Édouard Brézin, à qui l'on peut rendre hommage, les états généraux se sont tenus la semaine dernière à Grenoble. Un document de synthèse sera publié la semaine prochaine.

Ce document, auquel viendront s'ajouter les réflexions issues des groupes socioprofessionnels, des académies, et des rencontres parlementaires que j'ai organisées cette semaine, mettra l'accent sur des points complémentaires, que je crois utiles et nécessaires, comme le développement du partenariat public-privé, qui est un élément essentiel d'une rénovation de la recherche.

Des recherches décisives ont été conduites, comme celle menée par les laboratoires Fabre avec le professeur Potier, du CNRS.

Cette réflexion va permettre au Gouvernement de proposer dans quelques mois un projet de loi, et à la représentation nationale de l'adopter. Ce processus requiert du temps, en particulier lorsqu'il s'agit d'une loi d'orientation et de programmation. Ce ne sera donc que dans quelques mois que sera décidée l'évolution nécessaire de notre politique de recherche.

Mais le calendrier parlementaire comporte institutionnellement la discussion de la loi de finances et donc, bien avant la réforme à venir, la discussion du budget de la recherche pour l'année 2005. Il nous faut donc débattre et voter sur un texte qui ne peut prendre en compte les évolutions à venir lesquelles auront certainement des incidences budgétaires.

Félicitons donc le Gouvernement de nous proposer un cadre budgétaire suffisamment souple pour répondre d'emblée aux orientations potentielles et vraisemblables des prochaines années.

L'intérêt nouveau que porte l'opinion publique aux questions de recherche est aussi un des événements de l'année écoulée. Le vaste débat national enclenché par ce mouvement a permis, au-delà de la communauté des chercheurs, d'intéresser - ce qui n'exclut pas la critique - les citoyens à des questions essentielles pour l'avenir de la société et de l'humanité. Cela était d'autant plus nécessaire que des formes nouvelles d'obscurantisme, voire de charlatanisme, occupaient le devant de la scène, avec les conséquences que l'on sait sur le développement des biotechnologies, - la génétique notamment, ou les nouvelles technologies, telles les nanotechnologies - déjà accusées de tous les maux de la terre. D'une science respectée par tous, on est passé dans la dernière décennie à une science suspectée par certains. Un coup d'arrêt était donc nécessaire ; la réhabilitation de la science est en marche, d'autant plus qu'elle se met à la portée des citoyens, et l'information est non pas doctrinale, mais partagée et expliquée.

Dans ce domaine, je tiens à souligner le travail particulièrement fécond et efficace de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques. Ce n'est pas un plaidoyer pro domo. Le Parlement, habituellement si critiqué, dispose là d'un outil performant, interface indispensable entre le citoyen et le décisionnaire.

Je rends hommage aux actions menées, tant aux plans de l'analyse scientifique que de l'écoute citoyenne, par Jean-Yves Le Déaut et Claude Birraux, et qui seront poursuivies par Henri Revol.

Je propose que, lors de la mise en place des structures de pilotage de la recherche, dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation, l'Office occupe une position charnière, apportant l'expression éclairée de la représentation nationale, plutôt que de créer d'innombrables comités Théodule désignés selon des modalités arbitraires ou des processus électoraux byzantins, ou pollués par des considérations extra-scientifiques. Mais nous aurons amplement le temps d'en discuter et de confronter les opinions lors du vote de la loi d'orientation. Le débat d'aujourd'hui concerne la loi de finances pour 2005 et je me cantonnerai à cette seule question, déjà suffisamment importante.

Le budget pour 2005, après l'inflexion de 2002 et 2003, s'inscrit comme une priorité de la nation, ainsi que l'a souhaité le chef de l'État. On ne peut que se féliciter que la parole du Gouvernement soit tenue ; l'engagement budgétaire est très important et des orientations nouvelles pour l'avenir sont ainsi engagées.

Sans entrer dans une polémique inutile, je rappellerai que la situation budgétaire du pays en 2002 et 2003 a nécessité des mesures de redressement liées aux déficits budgétaires. Dans ce contexte, en effet, un effort a été demandé à la recherche.

Grâce à la pugnacité de Mme Claudie Haigneré, cet effort a été limité dans le temps mais, compte tenu de la rigidité du système public de la recherche, des conséquences significatives sur le fonctionnement des laboratoires ont été observées. Elles ont, hélas, été amplifiées par des mesures de régulation budgétaires, prises pour certaines à contretemps et dégageant mal, c'est le moins que l'on puisse dire, une visibilité financière pour les équipes de recherche.

La situation est maintenant normalisée, les reports ont été versés. Mais le suivi précis de l'exécution des lois de finances pour 2002, 2003 et 2004 reste particulièrement difficile à reconstituer, et a nécessité de ma part un rapport spécifique pour retracer l'évolution des crédits effectifs.

Je ne m'étendrai donc pas sur ce sujet dans cette présentation orale, si ce n'est pour indiquer très fermement, monsieur le ministre, qu'à l'expérience le secteur de la recherche ne se prête pas du tout - si l'on veut éviter de graves dommages - aux gels et annulations de crédits.

M. Pierre Cohen. Nous l'avions dit !

M. Christian Cabal, rapporteur spécial. Nous le pensions également.

M. Pierre Cohen. Vous ne nous avez pas écoutés !

M. Christian Cabal, rapporteur spécial. Nous écoutons toujours attentivement l'opposition : il y va de l'intérêt général de la nation.

En ce qui concerne cette loi de finances, le milliard promis est là. Il se décline en trois composantes également réparties sur trois axes essentiels : un peu plus de 350 millions de moyens nouveaux pour les laboratoires de la recherche publique, 350 millions pour la nouvelle Agence nationale pour la recherche et 300 millions de mesures fiscales à destination des entreprises.

Le budget civil de la recherche - 9 285 millions d'euros - augmente de 4 % par rapport à 2004. Cette hausse représente la plus forte augmentation depuis dix ans. Si l'on considère l'évolution des dix dernières années, en volume, la croissance s'est située entre 0,5 et 0,9 %, sauf en 2002 où il y a eu un très léger recul.

Ces 356 millions représentent la contribution des ministères. Presque tous, - la recherche, l'industrie avec l'ANVAR, l'agriculture et la pêche, la défense - voient leurs dotations de recherche augmenter.

Le budget du ministère de la recherche s'établit à 6 535 millions d'euros, en hausse de 4,7 %. Cette manne est également répartie entre les moyens des services, donc les EPST, les interventions publiques, les investissements exécutés par l'État ou les subventions d'investissement directement déléguées aux laboratoires.

Mais je ne vous abreuverai pas de chiffres, ils figurent dans le rapport. J'indiquerai seulement que les crédits affectés aux organismes de recherche représentent près de 6 milliards, tandis que 620 millions vont aux actions d'incitation et aux fonds d'intervention.

Le CNRS, l'INRA, l'INSERM, qui avaient subi des désagréments lors des lois de finances antérieures, voient leurs moyens très largement confortés.

Cela se manifeste en particulier dans les crédits en matière d'emploi. Contrairement à ce que certains ont indiqué, on note non seulement le maintien de tous les emplois statutaires, mais aussi la création de 200 postes d'accueil, le maintien des créations d'emplois, pour plus de 200 d'entre eux, réalisé dans le cadre des fameux 550 postes de contractuels de l'année dernière, et 1 000 emplois dans les universités. Au total, ce sont près de 1 500 emplois supplémentaires, non seulement en création d'emplois, mais en dotation des moyens budgétaires nécessaires à l'exercice de ces emplois dans de bonnes conditions. La priorité va au soutien aux jeunes chercheurs, au travers des allocations de recherche, des statuts de post-doctorants, des conventions CIFRE et de la couverture sociale pour allocataires en situation particulière.

Au-delà de ces choix budgétaires très satisfaisants, je ne peux qu'approuver la déclaration du ministre en faveur d'un plan pluriannuel de gestion des effectifs. Je l'avais appelé de mes vœux lors des deux discussions budgétaires précédentes. Je souhaiterais obtenir quelques informations complémentaires sur ce sujet, en anticipation par rapport à la loi d'orientation, ainsi que sur les mesures de simplification administrative.

S'agissant de l'Agence nationale, qui n'est pas l'objet de ce débat mais le sera dans quelques mois, je tiens à saluer l'action gouvernementale (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste),...

M. Claude Gatignol, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Très bonne initiative !

M. Christian Cabal, rapporteur spécial. ... qui a anticipé, dans des conditions statutaires souples, avec un GIP, de façon que dès le début 2005, en dépit des lenteurs administratives, celle-ci puisse être opérationnelle.

M. Pierre Cohen. On va dans le mur !

M. Christian Cabal, rapporteur spécial. Elle sera dotée de quelque 350 millions, auxquels il convient d'ajouter les crédits de report et les crédits de paiement, relatifs aux autorisations de programme du FNS et du FRP de l'année précédente.

C'est donc une enveloppe de 500 à 700 millions d'euros qui sera affectée immédiatement aux thématiques essentielles et prioritaires définies par le ministère et les conseils correspondants. Il faut rendre hommage à cette volonté d'aller fort et vite plutôt que de traîner. De même, les pôles de compétitivité sont eux aussi une innovation particulièrement utile.

Les critères de Lisbonne, on le sait, supposent un effort encore plus net de la part des entreprises par rapport aux crédits publics et en complément de ceux-ci. Il faut donc poursuivre dans la voie tracée par les mesures fiscales déjà prises en faveur des entreprises, comme le statut de la jeune entreprise innovante, le crédit d'impôt recherche ou les nouvelles modalités de l'assurance-vie et des FCPI. Ces nouvelles mesures permettront notamment de développer le partenariat public-privé, dont l'efficacité est unanimement reconnue, même si la réalisation en est encore difficile à l'heure actuelle (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.). Nous disposons déjà, cependant, de modèles intéressants. Dans votre région, par exemple, monsieur Cohen, les royalties des brevets déposés par les laboratoires Pierre Fabre et le CNRS pour le Navelbine représentent près de 50 % des recettes de royalties du CNRS : on ne peut que se féliciter de cette formidable réussite.

Je ne reviendrai pas sur les modalités particulières de l'application de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances, mais je tiens à souligner que s'il est un domaine dans lequel ce nouveau principe s'applique avec la plus grande efficacité et la plus grande réalité, c'est bien celui de la recherche, dans le cadre du budget civil de recherche et développement technologique, le BCRD, piloté par le ministre de la recherche.

Ce budget 2005 marque une volonté du Gouvernement de maintenir, voire d'améliorer significativement le rôle de la France en matière de recherche. À cet égard, compte tenu de ce que représente sa culture sur le plan mondial et de la référence qu'elle symbolise depuis l'ère des Lumières, la France ne peut qu'être une des toutes premières nations dans ce domaine et stimuler une recherche qui doit occuper les premières places mondiales.

À cette fin, l'engagement budgétaire pour 2005, exceptionnel tant en volume qu'en qualité, permet d'anticiper ce que devront être la politique budgétaire et le soutien public et privé apporté à la recherche. Mais tout ne se réduit pas à une question de volume et les débats menés au cours des semaines écoulées ont fait apparaître l'impérieuse nécessité de dépenser mieux et d'évaluer avec sûreté les résultats acquis. Si, en effet, le critère de la rentabilité ne doit pas être le pilote de l'effort de recherche, l'absence totale de prise en compte des résultats économiques et de valorisation effective de la recherche serait tout à fait irresponsable.

Dans cet esprit, des évolutions sans révolution sont encore nécessaires sur les plans intellectuel et matériel. Le noir tableau que certains ont voulu dresser de la recherche française en extrapolant quelques exemples quasi caricaturaux ne correspond pas à la réalité de l'ensemble du secteur. Ainsi, le recul accusé par la France dans la compétition internationale tient aussi à ce que certains pays « émergents » émergent bel et bien ! Il est incontestable que la Chine occupe - et occupera dans les prochaines années - une place de premier plan. Quant à la diminution certaine du nombre des publications en français et des références à celles-ci, elle tient essentiellement à des raisons linguistiques. Il serait suicidaire de s'obstiner à ne pas utiliser couramment la langue de référence planétaire en matière scientifique pour faire connaître la science française. On peut le regretter, mais c'est ainsi ! Triste paradoxe, mais réalité fondamentale : la science s'exprime en anglais, et c'est seulement par l'usage de cette langue que la science française sera intelligible à tous. La semaine dernière, lors d'un congrès médical auquel j'assistais à Orlando, je n'avais pas le choix : il me fallait parler anglais.

Enfin, si la France accuse un certain recul dans la compétition internationale en matière de brevets, de droits et d'applications, c'est bien parce que la recherche publique, au sens large du terme, s'est longtemps désintéressée de l'aval, comme s'il s'agissait d'une chose impure, et que la recherche en entreprise n'a pas reçu dans notre pays le soutien dont elle bénéficie ailleurs.

Pourtant, malgré tous ses handicaps, notre science a plus que de « beaux restes » - si les Anglais le disent, ce doit être vrai, malgré la perfidie qu'on leur prête -, et elle a de grands espoirs. Le rapport 2004 du ministère britannique du commerce et de l'industrie situe la France juste après les États-Unis, le Japon et l'Allemagne et avant le Royaume-Uni pour les investissements agrégés et au cinquième rang, après le Royaume-Uni, pour le nombre de sociétés figurant dans la liste des sept cents entreprises qui dépensent le plus en recherche et développement dans le monde. Je rappelais d'ailleurs avant-hier au directeur de la recherche d'EADS que, si ce holding n'y figure pas, c'est qu'il est de droit néerlandais.

Monsieur le ministre, à partir de ce constat et des perspectives nouvelles de soutien financier à la recherche, nous pouvons légitimement formuler de grands espoirs, et cela d'autant plus que vous avez su renouer les fils du dialogue avec la communauté scientifique et que, d'une culture d'affrontement, nous sommes passés à une culture d'efficacité et de résultat. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

M. Claude Gatignol, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Monsieur le ministre, votre audition par la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire a été très appréciée et a permis à tous de mieux mesurer la cohérence entre les moyens et les objectifs de votre ministère.

Élaboré dans un cadre de modération des dépenses publiques, en raison de l'endettement excessif de l'État, le budget civil de recherche et développement technologique, le BCRD, traduit bien la volonté du Gouvernement de respecter les engagements, pris au niveau international à Barcelone, de porter à 3 % du PIB à l'horizon 2010 les dépenses européennes de recherche.

De plus, il a le mérite d'apporter des réponses concrètes au mouvement des chercheurs de l'hiver 2003-2004. Après une période de contrôles et de mises au point, il bénéficie d'une augmentation forte, qui s'élève à 10 %. C'est une très bonne surprise.

L'effort en faveur de la recherche publique est appréciable, puisque le BCRD croît de 4 %, pour atteindre 9,285 milliards d'euros, auxquels il convient d'ajouter la dotation de la nouvelle Agence nationale pour la recherche, ce qui porte les subventions directes à 9,635 milliards d'euros, en progression de 6 % par rapport à 2004. Cette augmentation, qui atteint 1 milliard d'euros dans son ensemble, est considérable.

Cette progression incontestable répond à notre attente exprimée à plusieurs reprises et traduit la priorité que le Gouvernement accorde à la recherche.

Mais, parallèlement à ces données budgétaires, en application de la loi organique relative aux lois de finances, il convient d'examiner les contours de la mission interministérielle « recherche et enseignement supérieur universitaire », qui sera l'axe d'étude des crédits publics affectés à la recherche. L'objectif est en effet de rendre en principe plus lisible l'articulation entre la recherche, la formation supérieure et les moyens, et plus transparent le fonctionnement actuel des laboratoires, dont les sources de financement et les équipes ont des origines multiples.

Au cœur de cet ensemble, le budget du ministère connaît, avec un taux de 4,7 %, la croissance la plus significative, qui porte sur les crédits de paiement - donc sur les capacités de fonctionnement des laboratoires - et sur les crédits destinés aux établissements publics à caractère scientifique, les EPST, qui progressent de 31,6 %. Ce sont donc bien là des moyens nouveaux et en augmentation.

La même volonté de renforcer les moyens des laboratoires publics se manifeste avec la consolidation des emplois scientifiques, alors que la loi de finances pour 2005 propose, parce qu'elle est nécessaire, une réduction des emplois publics. Après la recréation de 550 postes de chercheurs, ingénieurs et techniciens en 2004, intégrés dans le budget 2005, celui-ci se traduit également par une série de mesures améliorant les carrières, dont nous avons évoqué les contours en commission.

Enfin, l'étude budgétaire doit prendre en compte la recherche duale, civile et de défense, dont la place reste sous-estimée par comparaison avec d'autres pays comme les États-Unis. Et pour répondre à des inquiétudes passées, il importe que des pratiques budgétaires telles que le versement des subventions ou les régularisations s'améliorent et s'inscrivent dans un cadre rigoureux ; cette question aussi a été évoquée en commission.

Mais, monsieur le ministre, l'ambition du Gouvernement, que vous avez réaffirmée à Grenoble, de développer le socle public de la recherche ne s'oppose nullement à la volonté de poursuivre l'action engagée depuis deux ans pour relancer l'effort privé de recherche et d'innovation dans les entreprises.

Les réflexions menées ont été multiples. Elles se traduisent par un renforcement des mécanismes incitatifs déjà définis et 200 millions d'euros supplémentaires sont prévus dans le nouveau dispositif du crédit d'impôt-recherche pour encourager les transferts de technologies en direction des PME. Il y a lieu cependant de clarifier leur dotation et leur application et d'établir des synergies, en particulier dans le domaine de la haute technologie, sans exclure l'articulation entre recherche et innovation dont l'automobile est un exemple.

De même la mise en place des pôles de compétitivité s'appuyant sur l'expérience des pôles d'excellence vise à associer, au sein d'une même région, des laboratoires publics et privés et des entreprises, adossés à l'enseignement supérieur correspondant et bénéficiant d'aides spécifiques. La commission des affaires économiques est évidemment très attentive à cette valorisation industrielle de la recherche qui permet des créations d'emplois et des diversifications d'entreprises innovantes, conquérantes demain de nouveaux marchés.

Troisième point fort de ce budget, la création d'une Agence nationale de la recherche mérite d'être saluée. Votre rapporteur pour avis s'est interrogé sur le rôle qui lui est dévolu, sur ses liens avec les fonds incitatifs - le Fonds national de la science et le Fonds de la recherche et de la technologie -, sur les articulations avec les nouvelles fondations de la recherche et sur son financement, qui s'élève à 350 millions d'euros. Elle devra pouvoir disposer d'une instance de conseil et d'évaluation au sein de laquelle pourrait être représenté l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques.

Je souscris à l'objectif de sélection des meilleurs projets dans des thématiques que nous savons prioritaires, comme les sciences de la vie, les énergies du futur ou les technologies de l'information et de la communication. Mais il faut avant tout que cette agence se révèle efficace dans sa méthode et éclairée dans ses choix.

Quant au budget européen, que je souhaite ambitieux, il doit être harmonisé avec les dépenses nationales. Cependant, le montage d'un dossier européen est une procédure complexe, qui demande du temps. Ne peut-on imaginer une structure relais entre la recherche française et les organisations européennes qui, spécialisée dans cette gestion, faciliterait le travail de nos chercheurs ? Pour ne citer qu'un exemple, j'ai lu voici quelques jours dans une revue que trois projets relatifs à l'hydrogène présentés au titre du sixième Programme cadre de recherche et développement technologique devront soumettre leur dossier à la structure européenne compétente avant le 8 décembre : j'espère que, malgré ce délai un peu court, la France sera en mesure de postuler.

Ayant abordé ce budget sous un aspect purement quantitatif, je ne voudrais pas conclure sans évoquer la place que le développement de la science et la culture scientifique doivent tenir dans notre société. Cela passe nécessairement par la reconnaissance de la carrière offerte aux jeunes chercheurs. Votre rapporteur pour avis apprécie à cet égard la création de deux cents postes d'accueil de haut niveau et leur attractivité, ainsi que l'augmentation du nombre des contrats CIFRE, porté à mille deux cents, le recrutement de quatre mille nouveaux allocataires et la poursuite du programme « Initiative Post-Doc ».

Onze fondations pour la science qui s'appuient sur le nouveau Fonds des priorités de recherche devraient être reconnues cette année : c'est un signe encourageant pour votre rapporteur pour avis qui, depuis plusieurs années, soutient la création de ce nouveau cadre offert aux fondations scientifiques.

Enfin, rendre à la science et à la recherche la place qui leur revient demande aussi que l'ensemble de nos concitoyens puissent s'approprier non seulement les avantages, mais aussi les risques de leurs applications. Comme l'écrit avec inquiétude le philosophe Dominique Lecourt, « une idéologie antirationaliste rampante s'installe parmi les esprits les plus cultivés, le monde occidental moderne semble en passe de succomber au règne de la peur, sinon de la terreur. » Si la recherche est certes l'affaire des chercheurs, elle est aussi celle de tous les citoyens. À cet égard, les récentes déclarations du Président de la République à propos de la recherche sur les OGM rappellent que le respect des précautions ne s'oppose pas au risque mesuré et à la nécessité d'aborder ce type de questions à la lumière de l'évaluation et de l'expérience et en y incluant l'éthique.

Vous avez évoqué en commission, monsieur le ministre, le débat à venir, l'année prochaine, sur la future loi d'orientation de la recherche et les espoirs de réformes qu'elle suscite pour l'université et les établissements de recherche. Quels sont, à ce jour, les éléments importants mis en lumière par le comité d'initiative et de réflexion et les états généraux de la recherche ?

En conclusion, monsieur le ministre, les différents éléments contenus dans votre projet de budget sont très intéressants. On a dit à Grenoble que c'est la première fois depuis vingt-cinq ans qu'un gouvernement augmente autant les crédits de recherche. Je souhaite que leur bon usage permette à notre pays de rester dans le peloton de tête d'une compétition internationale chaque jour plus vive.

Votre rapporteur pour avis vous demande donc, mes chers collègues, de le suivre dans l'avis favorable qu'il donne à l'adoption des crédits de la recherche pour 2005. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Pierre-André Périssol, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Premier ministre avait pris voilà huit mois des engagements vis-à-vis de la communauté des chercheurs. Engagements tenus. Le budget 2005 est effectivement en augmentation d'un milliard d'euros. Cette décision s'inscrit dans la volonté affirmée du Gouvernement d'augmenter, d'ici à 2007, de 3 milliards d'euros son soutien financier en faveur de la recherche publique et privée, dans la perspective de s'approcher au plus près de l'objectif des 3 % du PIB consacrés à la recherche.

Ce milliard d'euros supplémentaire pour la recherche est réparti selon trois parts quasi équivalentes entre l'augmentation du budget civil de recherche et développement, la dotation d'une Agence nationale pour la recherche nouvellement créée et le renforcement des mesures de soutien à l'innovation. J'irai vite, mes deux prédécesseurs à la tribune, Christian Cabal et Claude Gatignol, ayant excellemment présenté les données financières et les perspectives économiques et industrielles de la recherche.

Le premier tiers du milliard d'euros supplémentaires va au BCRD. C'est la plus forte augmentation depuis dix ans. Les subventions versées tant aux établissements publics scientifiques et techniques qu'aux EPIC seront, pour l'année 2005, les plus importantes que ces établissements auront reçues au cours des quinze dernières années.

Cet effort supplémentaire permettra d'augmenter globalement les capacités de la recherche française mais aussi de mettre l'accent en direction des thématiques prioritaires. C'est ainsi que les établissements qui voient leur subvention augmenter de la manière la plus substantielle sont ceux dont les activités concernent les sciences de la vie - l'INSERM, l'INRA, le CNRS -, les sciences et technologies de l'information et de la communication - l'INRIA - ainsi que l'énergie et le développement durable.

L'emploi scientifique bénéficie également très largement de l'accroissement des moyens des EPST puisque le Gouvernement s'engage à ce qu'en 2005 tous les emplois statutaires soient préservés.

S'y ajoutent, en 2005, la création de 200 nouveaux postes d'accueil de haut niveau destinés à des chercheurs étrangers, outre 4 000 allocations de recherche et 40 CIFRE, ainsi que 2 millions d'euros pour mettre un terme à la pratique dite des « libéralités » et garantir aux jeunes doctorants une véritable couverture sociale.

Le deuxième tiers va à L'Agence nationale pour la recherche.

C'est un autre des points forts de ce budget : la création d'une Agence nationale de la recherche, dotée dès sa naissance de 350 millions d'euros de crédits. Elle prendra, dès le 1er janvier 2005, le relais des actions incitatives conduites antérieurement au titre du fonds de la recherche et de la technologie et du Fonds national de la science. Véritable agence de moyens, sa mission consistera à soutenir, dans le cadre de la politique nationale de la recherche, le développement des recherches fondamentale et appliquée, l'innovation, le partenariat entre le secteur public et le secteur privé, par le financement de projets de recherche sélectionnés selon des critères d'excellence scientifique et technique. Le Gouvernement a souhaité inscrire dans la loi le principe de la création d'une telle agence afin que celle-ci devienne au plus vite une réalité en disposant d'un financement. Mais, soucieux de respecter le temps du débat, il a renvoyé à plus tard les contours précis de son organisation.

Le troisième tiers est consacré au soutien de l'innovation par des mesures fiscales.

Un ensemble de mesures fiscales viendra stimuler la recherche privée, dont on sait qu'elle doit poursuivre sa progression, pour une dépense globale de 300 millions d'euros, dont 235 millions viendront abonder la dotation du crédit d'impôt recherche, étant entendu qu'un certain nombre de commissaires - je pense tout particulièrement à notre collègue Pierre Lasbordes - souhaitent connaître l'état réel de sa consommation en 2004.

D'autres mesures fiscales sont prévues dans le but de favoriser la constitution de pôles de compétitivité.

Cela dit, au-delà de ces aspects quantitatifs, guérir la recherche, ce n'est pas seulement augmenter les ressources qui lui sont allouées, c'est aussi renouveler ses structures.

La question qui se pose à la recherche française n'est pas de renier une organisation qui a fait ses preuves par le passé, mais d'adapter ses structures.

De nombreuses initiatives ont été lancées, elles sont en cours et ont vocation à aboutir à des propositions : Les états généraux de la recherche - je tiens à mon tour à saluer le travail mené par tous les chercheurs qui y ont participé et, bien entendu, par leur président, M. Beaulieu, et par leur vice-président, M. Brézin ; la mission d'information parlementaire conduite, dans le cadre de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, par notre collègue Jean-Pierre Door ; l'ANRT, qui a émis des propositions suite au constat élaboré par Futuris ; la mission confiée à Jean-Louis Beffa ; l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. On le voit, les démarches sont nombreuses. J'espère qu'elles seront convergentes pour dégager les voies de la réorganisation des structures de la recherche française qui constituera l'ossature de la future loi d'orientation.

Pour ce qui la concerne, la commission des affaires culturelles et sociales entend mettre l'accent sur quatre orientations, qui lui paraissent conditionner l'avenir de la recherche française.

La première orientation vise à faire de la future Agence nationale de la recherche une véritable agence de moyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Christian Blanc. Très bien !

M. Pierre-André Périssol, rapporteur pour avis. L'important, si l'on désire avoir un système de recherche performant, est moins de fonder le choix des opérateurs de recherche en raison de leur statut, qu'il soit public ou privé, que sur leurs compétences et sur leur capacité à mener à bien un projet. Cette dernière conception qui fait de l'ANR non seulement une véritable agence de moyens, mais également une agence de programmes, semble la plus pertinente.

M. Pierre Cohen. Que faites-vous alors du CNRS ?

M. Pierre-André Périssol, rapporteur pour avis. La deuxième orientation consiste à placer les universités au cœur des pôles de compétitivité.

M. Pierre Cohen. Il n'y a plus de CNRS ! Dites-le !

M. Pierre-André Périssol, rapporteur pour avis. Plus intéressant encore, il est à souhaiter que le rééquilibrage - timide, mais amorcé - des crédits de la recherche publique française en faveur du financement sur projets plutôt que sur financements récurrents, permette à la recherche universitaire de s'inscrire plus fortement encore dans la voie de l'excellence scientifique et de se développer. La mise en place de cette agence, dont les fonds ne seront pas distribués selon un critère de nature de l'établissement mais selon des critères de performances, ainsi que l'établissement de pôles de compétitivité dont il reste à définir plus précisément les contours sont autant d'éléments de nature à offrir à l'Université la possibilité de devenir, selon l'expression des auteurs de l'appel « Du nerf ! », « la brique fondamentale servant à recomposer le dispositif de recherche français : le campus de recherche doté d'une véritable autonomie ».

Il ne s'agit pas, dans notre esprit, d'opposer les universités, les grandes écoles, les organismes de recherche, pour favoriser l'un au détriment des deux autres mais, bien au contraire, de mettre en place des pôles de compétitivité afin de mutualiser les efforts et de donner à ces centres une masse critique suffisante pour leur permettre d'apparaître sur la scène internationale. Dans le même temps, en privilégiant les financements sur projets il s'agit de mettre en concurrence les moyens de la recherche française afin de privilégier non pas telle ou telle structure en fonction de son statut, mais bien les projets et les compétences intrinsèques des chercheurs.

Mme Anne-Marie Comparini. Très bien !

M. Pierre-André Périssol, rapporteur pour avis. La troisième orientation vise à faire de l'évaluation la clé de voûte d'un système de recherche performant. L'évaluation est le troisième temps de la réforme de la recherche publique et le contrepoint indispensable à la mise en place d'une agence de moyens.

En effet, la future ANR ne pourra fonctionner efficacement que dans la mesure où elle s'appuiera sur une structure d'évaluation efficace lui permettant, à l'issue des procédures d'appels d'offres qu'elle lancera, de choisir les meilleures équipes pour faire aboutir ses projets. Encore faudra-t-il qu'elle dispose d'évaluations performantes, fiables, actualisées. Or le moins qu'on puisse dire, c'est que le système d'évaluation dont dispose actuellement la recherche française est complexe et perfectible.

La quatrième orientation, monsieur le ministre, doit aboutir à ce que la recherche française puisse s'appuyer sur un ministère véritablement pilote et stratège.

C'est le point qui nous semble le plus fondamental parce que la première partie de notre rapport a montré les limites, voire les failles, du processus de décision dans le système de recherche français, ce qui pose la question du pilotage de la recherche publique dans notre pays. Il nous semble aujourd'hui d'autant plus indispensable que cela va moins de soi, que le pouvoir politique assume les grandes orientations en matière de recherche et que les grandes priorités apparaissent clairement aux yeux de nos concitoyens.

Tout d'abord, et cela a été dit par les orateurs précédents, dans un contexte où le citoyen est de plus en plus enclin à s'interroger, voire malheureusement à douter du bien-fondé du progrès scientifique, les grands choix de la recherche publique française doivent absolument être soutenus par le pouvoir politique.

Ensuite, la recherche constitue un défi collectif qui doit être partagé par la nation tout entière. Pour y parvenir, encore faut-il que celle-ci puisse s'y retrouver ! C'est bien la condition minimum pour que la France puisse se sentir participer à cette grande aventure. Cela suppose avant tout une lisibilité des grands choix de recherche.

À ce titre, il nous semble qu'un « Haut Conseil », composé en majorité ou en totalité d'experts scientifiques, placé auprès du pouvoir exécutif et chargé de conseiller ce dernier dans la définition des orientations de la recherche, se substituerait utilement aux divers conseils existants. Cette réforme donnerait une meilleure publicité aux grandes priorités de notre recherche, ce qui permettrait à nos concitoyens de mieux connaître les grands défis que la nation se lance à travers ses choix de recherche.

En outre, cela suppose que, loin d'anticiper un effacement du ministère de la recherche - une Agence nationale de la recherche indépendante risquerait en effet de l'affaiblir -, on favorise bien au contraire un accroissement de son rôle stratégique. Il est à souhaiter que ce que le ministère de la recherche perdra en termes de gestion avec la création de l'ANR, il puisse le regagner en termes de capacité stratégique.

Vous le voyez, monsieur le ministre, nous souhaitons un ministère de la recherche fort, stratège, pilote. Et c'est tout l'enjeu du positionnement et du périmètre de votre ministère.

Mes chers collègues, il est clair que c'est un bon budget et, à ce titre, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a émis un avis favorable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Dans la discussion, la parole est à M. Pierre Cohen.

M. Pierre Cohen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais confirmer aujourd'hui les critiques que j'ai déjà formulées sur le budget de la recherche pour 2005 au sein de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, d'autant qu'elles sont largement partagées par l'ensemble de la communauté scientifique, qui les a d'ailleurs publiquement exprimés lors des états généraux de la recherche à Grenoble la semaine dernière.

À cette occasion, je voudrais saluer le mouvement des chercheurs « Sauvons la recherche », qui a permis une prise de conscience de la place que doit avoir la recherche dans notre société.

M. Hervé Novelli. Il était temps !

M. Pierre Cohen. Eh oui ! Mais enfin, ils l'ont fait, et nous sommes maintenant au pied du mur.

Quels sont les principaux points d'achoppement ?

D'abord, nous avons affaire à un vrai faux milliard pour la recherche, avec seulement 350 millions pour les laboratoires. Simple rattrapage de vos erreurs, lesquelles ont d'ailleurs été reconnues par M. Fillon jeudi dernier à Grenoble.

En deuxième lieu, nous constatons une dotation de 350 millions pour une agence qui n'a pas encore d'existence et qui constitue cependant l'un des enjeux majeurs de la loi d'orientation et de programmation.

Vient enfin une défiscalisation de 300 millions d'euros supplémentaires, avec pour l'essentiel un crédit d'impôt recherche dont l'efficacité est loin d'être claire et au sujet duquel il est plus juste de parler d'effet d'aubaine que de levier pour le développement de la recherche dans le privé.

Il s'agit donc d'un budget en trompe-l'œil alors que ce rendez-vous était capital pour pouvoir débattre sereinement de la future loi d'orientation et de programmation que vous nous avez promise pour la fin du premier semestre de l'année prochaine. Mais loin de reconnaître ce trompe-l'œil, vous vous en glorifiez ! Comment parler de 10 % d'augmentation alors qu'après les gels et les annulations de crédits, vous avez réduit les crédits de près de 650 millions entre 2002 et 2004 ? On est loin du compte !

Vous avez à maintes reprises affirmé qu'il n'y avait pas de moyens sans réforme mais, connaissant bien les enjeux qui se posent, je veux réaffirmer qu'il n'y aura pas de réformes en profondeur si elles ne sont pas assorties de moyens.

Vous aviez pourtant l'occasion, avec ce budget, de réparer vos manquements ! Mais vous êtes resté sourd, et c'est votre grave erreur, monsieur le ministre, à la demande unanime de reprendre le plan pluriannuel de l'emploi scientifique amorcé par Lionel Jospin et Roger-Gérard Schwartzenberg en 2001.

M. Hervé Novelli. Parlons-en !

M. Pierre Cohen. Il s'agit là d'une faute capitale et il faudra très rapidement un geste significatif de votre part, avant le lancement du débat sur la future loi. L'avis du Conseil supérieur des sciences et de la technologie sur votre projet de budget le dit d'ailleurs très clairement. Aucune expression, aucun discours sur la priorité accordée à la recherche ne peut être entendu sans la démonstration de cette volonté politique.

En ne créant aucun emploi supplémentaire, vous commettez deux erreurs.

La première est que vous ne préparez pas notre pays à faire face au grave déficit en emplois que vont causer les nombreux départs à la retraite à partir de 2008 - dans certains organismes, près de la moitié des emplois seront à renouveler. On a pu en apprécier les effets avec les infirmières, dont le nombre est insuffisant alors que leur profession ne nécessite que trois ans de formation. Pour la recherche, celle-ci dure au moins huit ans !

Votre deuxième erreur est de renforcer le stock des docteurs en itinérance. « Stock » est bien le mot qui convient, vu la manière dont ils sont utilisés entre l'obtention de leur doctorat et l'emploi. Ils sont souvent dans une situation de précarité, d'autant que la loi Fillon sur les retraites va malheureusement reporter de deux ans ces embauches tant attendues.

Si l'on veut éviter le divorce de notre jeunesse d'avec les sciences et la recherche, et si l'on veut lutter contre la fuite des cerveaux formés sur les deniers de la nation, ce n'est pas cette politique qui nous y aidera, bien au contraire !

Vous avez su anticiper par la création d'une agence dont nous aurons l'occasion de reparler ; ses missions et son efficacité demeurent très floues. Mais ayez au moins de l'audace, n'attendez pas la loi pour confirmer que vous avez entendu l'appel unanime en faveur d'un plan pluriannuel de l'emploi scientifique !

Vous avez commis une troisième erreur : n'avoir pas porté attention au problème des thésards. En pleine crise de la recherche vous gelez l'augmentation annuelle de 5 % des allocations de recherche qui avait commencé en 2001, ce qui, si nos calculs sont exacts, portera l'allocation en dessous du SMIC l'année prochaine.

Comment comptez-vous attirer les jeunes de niveau bac + cinq, et en particulier les ingénieurs, avec une rémunération amputée de moitié, ou d'un tiers, par rapport à celle d'un premier emploi, tout en sachant qu'il n'y a aucune garantie d'embauche au bout de trois ans ?

Nous touchons là l'enjeu majeur de la future loi. Le doctorat ne doit pas préparer aux seuls emplois de la recherche académique. Il doit aussi pouvoir alimenter les entreprises, les administrations et, pourquoi pas - il n'est pas interdit de rêver -, les futurs élus.

La formation par la recherche doit constituer un véritable levier pour préparer l'avenir.

Enfin, je conclurai par une thématique qui me tient particulièrement à cœur et qui, malheureusement, n'a pas reçu jusqu'ici beaucoup d'échos, quels que soient les gouvernements. Je veux parler de la culture scientifique et technique.

Dans ce domaine, la trop faible hausse du budget concerne essentiellement la Cité des sciences, qui représente près de 90 % de la culture scientifique et technique dans notre pays. Mon propos n'est pas de remettre en question cet établissement, qui est de toute façon nécessaire et qui remplit parfaitement ses missions.

Ce que je revendique est une reconnaissance de l'immense travail de qualité et de proximité, réalisé souvent avec beaucoup de discrétion par les associations, les collectivités territoriales, les laboratoires et les universités.

Il faudra reconnaître un jour que la culture scientifique et technique doit être valorisée au même titre que les autres aspects de la culture. Les raisons ne manquent pas. Je n'en évoquerai que deux, qui répondent à l'urgence et à l'actualité.

D'une part, le XXIsiècle sera celui du développement technologique, et les enjeux scientifiques seront de plus en plus prépondérants. Les appréhender sera une garantie contre l'obscurantisme et pour la démocratie.

D'autre part, le succès de votre loi ne se fera qu'à ce prix, car science et société doivent faire bon ménage. Je ne connais d'ailleurs que ce moyen pour réconcilier les citoyens avec la science.

Comme on le voit, le signal fort tant attendu avec ce budget n'est pas au rendez-vous de l'histoire qui est en train de s'écrire.

Le groupe socialiste votera donc contre ce budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Birraux.

M. Claude Birraux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d'abord vous dire que le groupe UMP votera ce budget. Dans un contexte budgétaire particulièrement difficile, l'effort du Gouvernement mérite d'être souligné.

Je rappelle la création ce printemps de 1 000 emplois dans l'enseignement supérieur, et le maintien des effectifs de la recherche malgré la tendance à réduire le nombre des fonctionnaires.

L'objectif, fixé à Lisbonne, de 3 % du produit national brut consacré à la recherche implique obligatoirement une augmentation considérable du nombre de chercheurs en Europe et en France. La stabilisation des effectifs ne suffira pas.

Ma seconde remarque concerne l'Agence pour la recherche. Mes collègues rapporteurs ont dit tout le bien qu'ils pensaient de sa mise en place. Je souhaite que celle-ci intervienne rapidement, que son organisation soit connue à l'avance et soit transparente, souple et simple. Ne faisons pas comme pour les pôles de compétitivité, qui nécessitent de franchir pas moins de douze étapes avant d'atteindre la ligne d'arrivée. Nous ne sommes pas au Tour de France : le parcours doit être simple, direct, accessible.

Je souligne également que certaines des structures existantes doivent disparaître. Le FNS et le FRT doivent s'intégrer parfaitement dans cette agence.

S'agissant de l'appel à projets, je conviens que cette méthode est communément utilisée dans la quasi-totalité des pays européens comme par l'Union européenne. Mais lors des assises de la recherche, il a été question des projets blancs. Il faut laisser à des projets venant de la base, hors des thématiques définies par l'Agence, la possibilité d'être subventionnés, afin que des équipes qui ont des idées de recherche puissent les mettre en pratique.

Tout le monde reconnaîtra que l'emploi des docteurs est un problème difficile, pour ne pas dire extrêmement perturbant pour les jeunes chercheurs. Ce sont quasiment des appels de détresse qu'ils lancent, étant donné la précarité dans laquelle ils se sentent. Il faudrait, monsieur le ministre, aménager le crédit d'impôt recherche pour inciter l'industrie à embaucher des docteurs. Il est temps d'expliquer à l'industrie qu'un chercheur n'est pas quelqu'un qui ne peut être utile que dans son laboratoire. Un chercheur, c'est quelqu'un qui a été capable de prendre un sujet de recherche donné à un état x et qui l'a amené à un état y. Il s'est ainsi formé à la recherche et l'industrie peut l'intégrer.

Je ne crois pas à une thèse « mention industrie ». Il n'y aura pas de thèses à deux vitesses, avec deux qualifications différentes.

M. Jean-Yves Le Déaut. Eh oui !

M. Claude Birraux. La thèse doit rester unique. Maintenant, l'industrie doit aussi comprendre l'importance que revêt pour elle l'innovation, dans les produits comme dans les méthodes, si elle veut demeurer compétitive. À cet égard, je crains que remplacer un chercheur par un commercial pour vendre le nouvel emballage d'un vieux produit ne soit une méthode qui trouve rapidement ses limites. Partout, les docteurs sont directeurs de laboratoire ou directeurs d'administration. Partout, sauf en France.

J'en viens aux assises de la recherche. J'ai participé à l'intégralité des débats qui se sont tenus à Grenoble. J'y suis intervenu en tant que premier vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Je voudrais à mon tour rendre hommage aux initiateurs de ces assises, les professeurs Étienne-Émile Baulieu, Édouard Brézin, Jean Salamero et Alain Trautmann, ainsi qu'à tous les acteurs qui ont participé aux débats dans les régions, et qui ont permis que ces assises se déroulent avec une haute intensité de travail et une très bonne tenue. L'ovation debout - parlons français - qui a été réservée au professeur Brézin montre que les choses ont bougé, ce qui n'était pas évident le premier jour. De très bonnes choses sont sorties de ces assises.

Je voudrais rappeler deux convictions très fortes que j'ai développées durant ces assises.

La première est que le débat entre recherche fondamentale et recherche appliquée est un faux débat. Comme je l'ai dit à Grenoble, si vous n'alimentez pas le tonneau de la connaissance, il sera bientôt inutile d'essayer d'ouvrir les robinets de la recherche finalisée. Pour moi, le problème est résolu. Le web, que tout le monde utilise, a été inventé au CERN pour les besoins de la recherche fondamentale.

Deuxièmement, les visites que nous avons effectuées sur le terrain dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques nous ont amplement convaincus que la recherche est maintenant pluridisciplinaire, c'est-à-dire qu'elle mêle plusieurs disciplines, et non qu'elle les juxtapose. C'est là une donnée qui doit être prise en compte, en particulier dans l'évaluation.

Les vingt-sept propositions qui sont sorties de la recherche sont une excellente base de discussion pour rédiger un texte de loi. Tout ne relève peut-être pas du domaine législatif. Il faut faire le tri entre le domaine législatif et le domaine réglementaire, ce qui ne signifie pas que ce qui relève de ce dernier peut attendre.

Il y a des propositions concrètes et un certain nombre d'avancées. L'instance de pilotage, je crois que tout le monde est aujourd'hui d'accord pour qu'elle soit placée auprès du Premier ministre. Je souhaiterais qu'elle rende compte au Parlement, à travers l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. J'assure que je n'ai pas soudoyé mes collègues pour qu'ils disent du bien de l'office parlementaire, ils l'ont fait de manière spontanée. (Sourires.)

Je pense que les pôles de recherche et d'enseignement supérieur doivent être au service de la recherche. Ils ne doivent pas constituer un étage supplémentaire dans l'organisation de notre recherche. Une mutualisation des moyens doit être visée. Et s'il y a des obstacles réglementaires, il faut les faire sauter.

Des propositions ont été faites qui visent à permettre aux maîtres de conférences, dans un premier temps, d'établir leur projet de recherche, puis, dans un deuxième temps, de moduler leur temps d'enseignement. Il convient d'intégrer dans l'évaluation l'ensemble des tâches qui leur sont confiées.

Quelques points m'ont paru un peu plus faibles.

S'agissant de l'évaluation, je me félicite tout d'abord que le tabou ait été brisé. Pour la première fois, je lis dans un document que l'évaluation doit avoir des conséquences. Cela me paraît extrêmement positif. Mais l'évaluateur doit être choisi exclusivement - je dis bien exclusivement - en fonction de sa compétence. De même, l'évaluation doit être transparente. À cet égard, des propositions ont été faites pour donner un corpus de doctrine à l'évaluation.

Après un débat passionné, qui m'a troublé, le terme de « qualité » a été préféré à celui d'« excellence ». Personne n'a réclamé de pôle de médiocrité, ce qui m'a rassuré. Mais, me suis-je dit, qu'aurait pensé un des participants dont le fils, passionné de football, ce serait inscrit au club de sa commune avec pour unique ambition de rester sur le banc de touche et de ne jamais entrer sur le terrain, si ce n'est pour les cinq dernières minutes ? Pourquoi le terme « excellence » suscite-t-il un tel blocage ?

Concernant la valorisation, un certain nombre difficultés demeurent. Les exemples, que j'ai cités, de la Belgique, de la Hollande, de l'Allemagne et même de la Grande-Bretagne devraient ouvrir des pistes positives. En effet, de François Mitterrand à Jacques Chirac, tous ont prôné la relation entre la recherche et l'industrie. Enfin, cet exercice, et c'est normal, demeure quelque peu franco-français, laissant l'Europe à l'écart, comme si la lisibilité des actions ou des déclarations du commissaire Busquin n'étaient pas aussi évidentes, à moins qu'il ne faille comprendre ce silence comme la dénonciation de la complexité des procédures qu'il reconnaît lui-même.

Un des participants animant une table ronde a déclaré que les assises se devaient d'être festives. J'en ai conclu qu'il en allait des assises comme des rave parties : l'important c'est l'after, c'est-à-dire la préparation de la loi à laquelle doivent participer le Parlement et l'Office parlementaire, afin que l'échange soit permanent entre l'exécutif, le législatif et le monde de la recherche. Une loi seule ne suffira pas, monsieur le ministre, si le cadre administratif et financier ne change pas. La recherche doit pouvoir se développer sans les contraintes administratives et financières actuelles. Le premier signe à donner serait d'accorder le contrôle a posteriori aux établissements publics scientifiques et techniques.

La volonté d'avancer des chercheurs est manifeste et leur attente est grande. Les gouvernements de gauche et de droite n'ont pas toujours bien traité la recherche même si, aujourd'hui, certains promettent d'en faire plus, de raser gratis et de décrocher la lune. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Aujourd'hui, notre ambition commune doit être, à travers et au-delà de cette loi, de réconcilier le monde de la recherche avec le monde politique et donc avec la société française. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un contexte, national et mondial, à dominante libérale, la recherche publique française constitue une originalité qu'il faut à la fois défendre et transformer. Toute attitude à son égard qui ne retiendrait qu'un des deux aspects de l'action conduirait à l'impuissance, à une réduction progressive de son rôle et, à terme, à sa condamnation.

Il faut la défendre, car elle a joué et joue encore un rôle déterminant dans la richesse et le rayonnement de notre pays. Par-delà les entraves à son développement, elle a montré sa capacité à s'adapter et souvent à anticiper les besoins de la société. Elle représente un atout essentiel pour celles et ceux qui envisagent l'avenir de notre pays et, n'ayons pas peur des mots, de la planète, autrement qu'à travers les verres déformants des critères de rentabilité financière dominants et dévastateurs.

Il faut la transformer, car la société a changé. Son implication dans le devenir social et les attentes à son égard est plus forte. Ses acteurs assistent souvent avec un sentiment d'impuissance à ces carences et aux conséquences sociales qui en découlent. Le mouvement des chercheurs du printemps dernier a provoqué un changement radical dans la conscience collective du milieu scientifique, des citoyens, du public, sur les questions de la recherche. On peut affirmer à présent que la recherche est un débat de société. En effet, pendant plusieurs mois, dans un formidable élan démocratique, la communauté scientifique s'est impliquée dans des débats contradictoires d'une grande richesse. Au cours des Assises nationales des états généraux de la recherche, près d'un millier de chercheurs, d'enseignants-chercheurs, d'ingénieurs, de techniciens et d'administratifs ont défini, dans un texte de synthèse, les grands axes qui pourraient tracer l'avenir de la recherche et de l'enseignement supérieur. Mais deux conceptions de la recherche s'affrontent. La première, focalisée sur la guerre économique que se livrent les multinationales pour la conquête des marchés, privilégie la course à l'innovation et l'adaptation de l'appareil de recherche public aux besoins des entreprises. La deuxième, face à ce dogme libéral étayé par les traités européens où les seules exigences de réactivité, d'efficacité et de concurrence l'emportent, refuse la précarité des emplois comme des financements et la mise à mal du socle social sur lequel doit se développer la recherche. Ce budget laisse transparaître votre choix de la première conception.

Vous annoncez que la recherche sera dotée d'un milliard d'euros supplémentaires en 2005. Cette décision veut s'inscrire dans la perspective d'augmenter, d'ici à 2007, de 3 milliards d'euros le soutien financier en faveur de la recherche publique et privée pour s'approcher au plus près de l'objectif des 3 % du produit intérieur brut consacrés à la recherche à l'horizon 2010, objectif adopté par les chefs d'État européens réunis en conseil européen à Barcelone en 2002. Ce milliard est en fait réparti selon trois parts quasi équivalentes entre l'augmentation du budget civil de recherche et développement, la dotation d'une Agence nationale pour la recherche, nouvellement créée, et le renforcement des mesures de soutien à l'innovation. Mais nombre de chercheurs craignent déjà que l'agence, souhaitée par le Gouvernement pour gérer des contrats extérieurs sur des thématiques prioritaires, ne finisse par détruire les organismes publics de recherche. Pour rester plus près de la vérité, l'augmentation réelle du budget de la recherche est très inférieure au milliard d'euros annoncé. Cette augmentation est de 700 millions d'euros - Agence nationale pour la recherche et BCRD - et ne fait que compenser les 620 millions perdus en 2003 et 2004 en raison des baisses et des annulations de crédits. Nous nous retrouvons donc au niveau de 2002.

Outre la question des enseignants-chercheurs qui se disent, faute de moyens, dans l'incapacité de s'adonner à la science, la question la plus douloureuse et la plus déterminante est celle de l'emploi des jeunes chercheurs. Le flux ne cesse de baisser dramatiquement dans toute l'Europe et en France. La situation des 70 000 doctorants et de plusieurs milliers de docteurs sans poste, obligés de travailler au noir, est une honte. Pourtant, l'enjeu est de renouveler la moitié des chercheurs d'ici à dix ans. Pour être à flot, 4.000 postes supplémentaires devraient être créés chaque année. Un plan pluriannuel pour l'emploi est ainsi réclamé par la communauté scientifique ainsi que la reconnaissance du caractère professionnel du doctorat et son inscription dans les conventions collectives. Les chercheurs réclament également une "réforme profonde" des universités et des organismes de recherche. La proposition de M. Fillon de créer des «pôles de compétitivité» n'a pas été très bien accueillie. On risque d'aboutir à une situation où quelques pôles alliant recherche, universités et entreprises privées seront bien dotés, au prix d'un désert partout ailleurs. Pourtant, des pistes existent pour une réforme progressiste du dispositif de recherche et de l'enseignement supérieur. En premier lieu, il faudrait veiller à ce que la recherche se développe dans toutes ses dimensions, en particulier grâce à un fort secteur public dont une des missions, indispensable pour la société serait l'avancée d'un front continu des connaissances. Cela nécessite de soustraire la variété infinie des sujets aux critères très réducteurs de la rentabilité financière et de la course au profit. Dans ce domaine comme dans d'autres, les chercheurs ont besoin de stabilité, de liberté et de pluralisme dans les démarches.

Deux questions sont vitales pour concrétiser le développement équilibré de ces activités multiformes de recherche : celui du financement et celui de la démocratie dans le choix des politiques de recherche. Ainsi, le niveau de financement de la recherche publique par l'État doit être notablement augmenté, les financements de base des laboratoires doivent être accrus et fondés sur l'évaluation périodique, le système d'évaluation des personnels et des structures amélioré, son caractère national maintenu.

Le système de recherche français doit aussi être organisé de manière à assurer la cohérence nationale, les synergies entre disciplines. Il doit garantir l'expression des besoins matériels, sociaux et culturels de la population, un fonctionnement démocratique des institutions et la transparence des décisions. Il doit absolument permettre des coopérations avec les industries et les services sans subordination, freiner les délocalisations et développer l'emploi. Il doit assurer la formation des cadres, des enseignants et des chercheurs de demain, rééquilibrer les rapports entre les ministères et l'autonomie des institutions de recherche et affirmer la nécessité d'une politique de long terme en matière de recherche.

De même, la situation des personnels de recherche, ITA, IATOS, doctorants, jeunes chercheurs précaires, chercheurs et enseignants-chercheurs statutaires, quel que soit leur statut, doit être améliorée.

Il faut accroître le niveau de recrutement sur postes statutaires des différentes catégories des personnels de recherche pour répondre aux besoins et mettre fin à la précarité.

Parallèlement, l'effort des entreprises doit augmenter et se traduire par des emplois ouverts aux jeunes chercheurs dans l'industrie.

Non, monsieur le ministre, ce budget pour 2005 n'ouvre pas de perspectives. L'horizon que vous nous présentez reste bouché, la communauté scientifique, toujours très mobilisée, ne s'y trompe d'ailleurs pas. De ce point de vue, il appartient aux états généraux de la recherche de donner lieu à un véritable débat national pour définir avec les chercheurs et les citoyens la politique de recherche dont la France a besoin. Telle est la condition pour que la perspective d'une loi de programmation traduisant en contrat d'objectifs l'ambition de la nation à l'égard de sa recherche soit une réussite pour la France.

Pour toutes ces raisons dont je me suis fait l'écho aujourd'hui, notre groupe votera contre le budget de la recherche pour 2005.

Mme Jacqueline Fraysse et M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christian Blanc.

M. Christian Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux années successives de forte baisse du budget public de la recherche ont mis le feu aux poudres. Face à l'ampleur de la mobilisation des acteurs de la recherche et à la sympathie qu'ils rencontraient dans l'opinion, le Gouvernement s'est engagé à consentir un effort financier en faveur de la recherche à hauteur d'un milliard d'euros. Le projet de budget qui nous est aujourd'hui soumis respecte cet engagement.

Toutefois, il s'agit d'un budget de transition, puisque le budget civil de recherche et développement examiné cette année sera le dernier avant la prochaine loi d'orientation et de programmation. C'est donc avec un œil fixé sur cet horizon que nous devons porter un jugement sur le document qui nous est aujourd'hui soumis. Ce budget n'est qu'un sas, mais un sas vers quoi ? La création de l'Agence nationale pour la recherche suscite l'interrogation. Elle serait un élément de réponse si elle annonçait une logique de gestion par agences de moyens. Cependant, rien n'est indiqué quant à l'architecture du système de recherche dans laquelle s'inscrira cette nouvelle agence. Quelles seront les missions du ministère de la recherche ? Quelles seront les missions des grands organismes publics de recherche ? Qui sera chargé du pilotage stratégique à long terme ? Comment les universités s'intégreront-elles à ce système ? Bref, comment les structures existantes s'articuleront-elles avec la nouvelle agence ?

Par ailleurs, monsieur le ministre, nous sommes entrés dans une nouvelle ère, celle de « l'économie de la connaissance ». En quoi cela doit-il influencer notre réflexion sur la place de la recherche ? Dans un tel contexte, une approche sectorielle de la recherche est-elle encore pertinente ?

La France, comme tous les pays les plus développés, doit faire face à une concurrence croissante des pays émergents, qui profitent de faibles coûts salariaux et progressent technologiquement. Nous devons constater que, face à ce défi, les pays qui réussissent le mieux sont ceux qui occupent la tête dans la course à l'innovation.

Or, dans cette course, la France est en retard car elle n'a pas encore su adapter son modèle de développement. L'économie de notre pays est figée dans une organisation qui date de la reconstruction de l'après-guerre et des trente glorieuses. Cette organisation, notre organisation actuelle, a bien servi le pays : elle a permis un rattrapage spectaculaire dans un contexte où l'imitation et la compréhension technologique de découvertes scientifiques souvent enregistrées ailleurs, en particulier aux États-Unis, étaient la clef de la réussite. Mais elle n'est pas en phase avec les défis de notre époque. Nos acteurs du développement, et particulièrement nos acteurs de la recherche, sont pour la plupart engoncés dans des systèmes nationaux, hiérarchisés et verticaux, qui font perdre aux interactions entre la recherche, l'enseignement supérieur et l'entreprise toute la vitalité d'où naissent l'innovation et la fertilisation économique du territoire.

Depuis une dizaine d'années, le point commun entre les pays développés et les régions européennes qui connaissent les croissances les plus performantes est d'avoir su faire travailler en synergie les trois acteurs de la croissance que sont l'universitaire, le chercheur et l'entrepreneur. Grâce à ses potentiels, qui restent exceptionnels de qualité, c'est ce que doit réussir la France. La question de la recherche, bien que centrale, n'est donc qu'un aspect de la réflexion sur le modèle de développement qui permettra à notre pays de renouer avec une croissance forte et durable.

Ajoutons qu'une approche purement quantitative de la recherche serait vouée à l'échec. Faute d'objectifs qualitatifs et organisationnels en vue d'accélérer la croissance, comment accroître durablement le budget de la recherche ? Outre qu'elle empêcherait l'augmentation des moyens de la recherche, une stagnation de la croissance mettrait notre modèle social en faillite.

Traiter simultanément des questions de la recherche et de l'université dans le cadre d'une réflexion sur le modèle économique de la France serait donc cohérent et efficace. Des réformes isolées et successives du système de recherche, de l'université ou de l'organisation de l'action économique sont de simples aménagements du système existant. Faute de s'inscrire dans un projet plus large, ces réformes se heurtent à la résistance légitime des acteurs car, quand les perspectives sont incertaines, la protection des acquis donne à tout le moins un objectif conservateur mais clair.

Je vous demande, monsieur le ministre, d'être attentif au fait que le principal risque d'une approche sectorielle de la recherche serait de négliger, une fois de plus, nos universités. Depuis deux siècles, l'université française est dévitalisée par les grandes écoles qui forment les élites et par les organismes nationaux qui concentrent les moyens de la recherche. Il convient de mettre un terme à cette exception française.

La matière première décisive dans l'économie de la connaissance, c'est la matière grise, les hommes et les femmes qui se consacrent aux activités de création. Or le lieu naturel de concentration et d'épanouissement de la connaissance est l'université. C'est sur le campus des universités que sont formés ceux qui seront demain les moteurs de notre économie, dans le secteur public ou dans les entreprises. C'est donc sur ces campus qu'ils doivent, pendant et après leur formation, être en contact avec ce qui se fait de mieux dans le domaine de la recherche et de l'innovation.

Pour atteindre cet objectif, réformons le mode de gouvernance des universités et laissons-leur une large autonomie. Cela permettra trois évolutions majeures.

Premièrement, les universités pourront gérer tout le personnel des unités de recherche qu'elles abritent. Le processus de transition s'engagera avec les organismes nationaux de recherche et les universités, de manière graduelle et négociée, au fur et à mesure que les universités se sentiront capables d'assumer ces responsabilités ; quelques-unes d'entre elles, vous le savez, sont déjà prêtes.

Deuxièmement, il sera possible de créer un nouveau statut d'enseignant chercheur regroupant tous les personnels, y compris les personnels de la recherche au sein des universités.

Troisièmement, enfin, les universités doivent pouvoir gérer leurs effectifs avec une grande souplesse. L'actuelle fixation au niveau national d'un quota uniforme d'heures de cours à assumer par tous les enseignants chercheurs est trop rigide. Il ne prend en compte ni leur âge, ni leur appétence pour l'enseignement, ni leur discipline, ni même l'état de leurs travaux de recherche. Les universités gagneraient à ce que les directions assument la responsabilité de fixer les obligations d'enseignement de chaque enseignant chercheur. Cela permettrait entre autres aux jeunes chercheurs de se consacrer pleinement à la recherche au début de leur carrière, c'est-à-dire lorsqu'ils sont le plus créatifs.

Le corollaire de ces réformes, c'est, à terme, l'abandon par les grands organismes nationaux de recherche de leur fonction de gestion des personnels. Votre projet de budget, monsieur le ministre, prévoit la création d'une première agence de moyens. Allons jusqu'au bout : confions ce rôle aux instituts de recherche, au premier rang desquels le CNRS. Nous éviterons ainsi cet écueil bien français consistant à empiler les structures nouvelles pour ne pas prendre le risque de réformer les structures existantes. Cette organisation permettrait de financer les laboratoires par contrats pluriannuels sur projets et de rompre avec la mauvaise habitude consistant à stériliser des masses importantes de crédits dans un mécanisme de reconduction permanente.

Vous l'avez compris, monsieur le ministre, le soutien critique que nous apportons au budget proposé n'est que ponctuel. Il ne sera durable que si la loi d'orientation et de programmation de la recherche met en place une stratégie visant à créer un écosystème de la croissance, une véritable politique de la recherche et de l'innovation. Qu'au contraire cette loi se limite à une planification budgétaire pour la recherche et notre soutien s'évanouira aussitôt. En pareil cas, le budget de la recherche pour 2005 serait le dernier que nous approuverions au cours de cette législature. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Enfin, je voudrais dire qu'une approche globale et non sectorielle de la recherche suppose un fort investissement politique de la représentation nationale. La semaine dernière, à l'occasion des Assises de la recherche, des chercheurs ont partagé leur vision de l'avenir de la recherche française. La consultation des acteurs est une étape indispensable sur le chemin d'une réforme réussie. Mais les chercheurs ne sont pas les seuls acteurs concernés par les changements nécessaires pour nous installer durablement dans une société de la connaissance et inscrire la France dans l'économie de l'innovation. L'une de leurs propositions concerne d'ailleurs la création d'un ministère qui regrouperait la recherche, l'université et la technologie.

M. Jean-Yves Le Déaut. Très bien !

M. Christian Blanc. C'est à mon sens une façon de constater que l'approche sectorielle de ces questions est insuffisante. Mais est-il imaginable de créer ce ministère sans avoir auparavant consulté les universitaires, au même titre que les chercheurs ? Une approche globale suppose d'élargir la consultation pour entendre tous les acteurs de la croissance, y compris les entreprises. En dernière instance, seuls le Gouvernement et le Parlement, garants de l'intérêt général, ont la légitimité pour arrêter la stratégie qui s'impose.

Monsieur le ministre, le temps nécessaire devra donc être donné au Parlement pour participer aux choix qui conditionneront l'avenir du développement économique et social de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Mendès France, de Gaulle et Mitterrand avaient fait de la recherche une priorité fondamentale. En effet, celle-ci conditionne à la fois le progrès des connaissances, l'indépendance nationale et la compétitivité économique. Or, pour développer la recherche, la priorité des priorités est l'emploi scientifique.

Conscient de cet impératif, le gouvernement Jospin avait créé 2 042 emplois pour la recherche. En revanche, depuis deux décennies, quand la droite est au pouvoir, l'emploi scientifique est souvent maltraité ou sacrifié. Ainsi, les budgets 1996 et 1997, présentés par le gouvernement Juppé, ont supprimé 791 emplois.

La tendance est identique sous le gouvernement Raffarin. Certes, on ne peut ni vous imputer les erreurs de votre prédécesseur ni ignorer les injonctions qui sont certainement venues de Bercy, mais les chiffres sont là : le budget 2003 a supprimé 150 emplois statutaires et le budget 2004 devait initialement en supprimer 550 pour les remplacer par des CDD, en créant des intermittents de la recherche voués à la précarité.

À la suite du mouvement des chercheurs et des élections régionales, vous avez finalement annulé, en avril dernier, cette suppression de 550 emplois statutaires, mais vous n'avez créé aucun emploi nouveau de ce type dans les organismes de recherche en 2004.

Il en sera de même l'an prochain puisque le budget 2005 se borne à remplacer les départs à la retraite et ne comporte aucune création d'emploi statutaire dans les organismes de recherche ; il comporte seulement 200 postes d'accueil temporaires.

Bref, pour ces organismes, le bilan des trois budgets de la recherche présentés par le gouvernement Raffarin, ce sera 150 suppressions d'emplois en 2003 et zéro création d'emploi statutaire en 2004 et 2005.

Pour rivaliser avec les États-Unis et le Japon, la France et l'Union européenne doivent augmenter le nombre de leurs scientifiques. Le commissaire Busquin déclarait, au début de cette année : « L'objectif de 3 % du PIB imposera de trouver 500 000 personnes supplémentaires. Et ce d'autant plus rapidement que la moyenne d'âge actuelle des chercheurs européens est élevée. »

Nous avons la chance d'avoir, en France, un vivier de jeunes docteurs et de doctorants de grande qualité. Pourtant, au lieu d'en tirer profit, au lieu de faire appel à eux, on les condamne à prendre place dans une file d'attente, on retarde leur recrutement à un âge moyen de plus en plus tardif. Faute de postes disponibles, beaucoup de jeunes docteurs sont contraints de rester durablement dans des situations précaires en tous genres - post-doctorats, bourses de fondations, CDD divers - cumulant très bas revenus et absence de couverture sociale.

Pour changer la situation, les budgets 2001 et 2002 avaient créé 805 emplois en deux ans, dont 228 étaient spécialement consacrés à la résorption de la précarité.

Le gouvernement actuel n'a pas persévéré dans cette voie, d'où l'inquiétude des jeunes chercheurs. Faute de pouvoir trouver de vrais débouchés dans un délai raisonnable, ceux-ci ont le sentiment de ne pas avoir d'avenir dans notre pays, comme si le message que leur adressent les pouvoirs publics se résumait à un slogan inacceptable : « No future ». Pas d'avenir pour les jeunes chercheurs dans notre système !

Dès lors, ceux-ci sont souvent contraints de s'expatrier, en particulier aux États-Unis. Cette expatriation forcée représente une perte de substance et un gâchis de matière grise. C'est non seulement une injustice humaine mais aussi un non-sens économique : l'État investit des sommes importantes pour former des docteurs, souvent de grande qualité, et nombre de ces jeunes scientifiques, faute de pouvoir trouver un emploi en France, s'expatrient durablement dans d'autres pays, qui s'attachent à les attirer chez eux.

Ainsi, notre pays devient formateur de chercheurs à titre onéreux et exportateur de chercheurs à titre gratuit. Il met les chercheurs qu'il a formés à la disposition d'économies concurrentes, qui bénéficient gracieusement de leur savoir-faire scientifique et profitent de cet effet d'aubaine. Bref, nous faisons du mécénat : nous subventionnons indirectement la recherche des États-Unis, du Canada ou de pays européens voisins.

Pour sortir de cette situation dommageable, nous avions fait adopter, en 2001, un « plan décennal de gestion prévisionnelle et pluriannuelle de l'emploi scientifique » qui visait trois objectifs : d'une part, anticiper les départs à la retraite massifs des années 2006 à 2010, d'autre part, rendre justice aux jeunes docteurs, en leur permettant de s'insérer plus rapidement dans la recherche publique, enfin, renforcer durablement les effectifs de celle-ci.

Ce plan ouvrait aux étudiants et doctorants des perspectives claires et lisibles en termes de recrutements sur la période 2001 à 2010 pour les inciter à entreprendre ou à poursuivre des études scientifiques. Il créait mille emplois supplémentaires de 2001 à 2004, dont 800 auraient été conservés à titre définitif.

Les budgets 2001 et 2002, votés avant l'alternance, ont effectivement créé 500 emplois. Les budgets 2003 et 2004 devaient faire de même. Or non seulement ces 500 autres emplois n'ont pas été créés, mais le gouvernement Raffarin a fait exactement le contraire, en supprimant 150 emplois statutaires dans le budget 2003, puis 550 dans la loi de finances initiale de 2004. Cette dernière mesure, on l'a dit, a été finalement annulée, mais ni le budget 2004 ni le budget 2005 ne créent d'emplois nouveaux dans les organismes de recherche.

Vous renvoyez ces créations à plus tard, à une future loi d'orientation et de programmation qui risque fort de ne pas être promulguée avant fin 2005 ou début 2006. Pourtant, dans son discours aux états généraux de la recherche, François Fillon a déclaré : « Je considère qu'il est nécessaire de mettre en place un plan pluriannuel de l'emploi scientifique ».

Il faut saluer cette lucidité tardive de la part d'un gouvernement qui a abandonné le plan pour l'emploi mis en œuvre en 2001. Dès lors, pourquoi ne pas lancer votre nouveau plan de recrutement dès ce budget ? Pourquoi différer les décisions nécessaires ? Pourquoi adopter cette position d'attente, qui sera dommageable ?

Tout ce budget est, d'ailleurs, un budget d'attente, qui ne comporte pas de véritables avancées. D'une part, il se borne à stabiliser les effectifs des organismes de recherche sans y créer d'emplois statutaires, ce que déplore le CSRT dans son avis du 21 octobre. D'autre part, comme l'a dit Pierre Cohen, ce budget, qui affiche un milliard d'euros supplémentaires, n'affecte en réalité que 356 millions au BCRD, ce qui constitue seulement un rattrapage, d'ailleurs incomplet, des annulations et réductions de crédits imposées depuis 2002.

Alain Trautmann le souligne dans L'Express du 25 octobre : « Cet effort financier permet juste de combler en partie le trou des années 2003 et 2004 ; il ne fait pas redémarrer le système. »

Bref, le Gouvernement fait du surplace ; il choisit l'immobilisme, alors qu'il faudrait avancer avec détermination. Dès 1956, au colloque de Caen, Pierre Mendès France déclarait : « Le développement de la science est, au premier chef, une affaire politique. » Votre gouvernement a-t-il cette volonté politique ? Pour l'instant, j'en doute, à l'examen de ce budget qui n'est pas à la hauteur des besoins et qui ne redonne pas à la recherche l'élan dont elle a été privée depuis 2002. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lasbordes.

M. Pierre Lasbordes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, n'en déplaise à l'orateur précédent, voilà très longtemps que les crédits de la recherche n'avaient connu une telle progression. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Dans un contexte économique encore incertain, le Gouvernement a donc marqué, à travers ce budget, sa volonté d'engager la recherche dans une réelle perspective d'avenir. Un milliard d'euros supplémentaire, un vrai milliard,...

M. Pierre Cohen. Un faux milliard !

M. Pierre Lasbordes. ...vient accroître les moyens de la recherche, conformément à votre engagement, monsieur le ministre, d'augmenter le soutien financier à la recherche publique et privée de trois milliards d'ici à 2007. C'est une première étape, mais elle est très significative d'une ambition retrouvée, propice à une nouvelle dynamique qui devrait trouver sa traduction dans la future loi d'orientation et de programmation.

Je ne peux développer un à un tous les points importants contenus dans le présent budget, mais les trois rapporteurs les ont abondamment, et excellemment, commentés. Je me contenterai de revenir très rapidement sur l'orientation budgétaire générale qui a été choisie, déclinant cet effort exceptionnel selon plusieurs axes majeurs.

Le BCRD est en forte progression, de près de 356 millions d'euros, dont la quasi-totalité est directement affectée aux personnels et aux laboratoires des organismes.

Les subventions accordées aux EPST et aux EPIC seront les plus importantes des quinze dernières années et elles augmentent par rapport à 2004,...

M. Pierre Cohen. L'année du précipice !

M. Pierre Lasbordes. ...le soutien de base aux unités progressant au rythme soutenu de 10 %.

Enfin, les crédits de la recherche universitaire, dont on néglige trop souvent l'importance, augmentent de 11,2 %, et les mille créations de postes dans l'enseignement supérieur, annoncées au printemps 2004, sont confirmées dans ce budget. La parole donnée est tenue !

Deuxième axe de votre budget, la création de l'Agence nationale pour la recherche traduit la volonté de faire émerger des projets, notamment sur des thématiques prioritaires. Elle devrait, du moins nous l'espérons, introduire plus de souplesse dans le fonctionnement, et plus de transparence.

Conçue comme une véritable agence de moyens, dotée de 350 millions d'euros, elle sera chargée de soutenir le développement des recherches fondamentales ou appliquées et le partenariat entre les secteurs public et privé. Prenant le relais des actions du FNS et du FRT, son mode de fonctionnement, qui devra être opérationnel au 1er janvier 2005, sera, nous l'espérons, le plus simple et le plus souple possible pour ce qui est des relations entre les organismes, les universités et les laboratoires. Sa place dans la future organisation de la recherche devra être précisée.

Mais attention, en même temps que des programmes définis comme prioritaires, il est essentiel de soutenir d'autres domaines, notamment ceux que l'on appelle « non fléchés ». Je pense en particulier aux sciences dites dures.

Troisième axe, enfin, le soutien à la recherche privée et à l'innovation constitue un point central du dispositif, la recherche privée devant, je le rappelle, contribuer pour les deux tiers à l'objectif de Lisbonne, c'est-à-dire 3 % du PIB. Vous prévoyez à cette fin un ensemble de mesures fiscales s'élevant à 300 millions d'euros, avec entre autres la progression des dépenses en faveur du crédit d'impôt recherche, dont il faudra mesurer régulièrement l'impact pour évaluer l'effort réellement fait par le secteur privé.

Monsieur le ministre, votre budget donne incontestablement un élan significatif en termes de moyens, préparant ainsi un terreau propice à la réalisation de la grande ambition voulue pour la recherche, et par conséquent pour le pays.

Car les attentes et les espoirs des chercheurs sont immenses. Je tiens ici à saluer la qualité des travaux qui ont été réalisés durant ces dernières semaines dans le cadre des assises régionales de la recherche, conclues ces derniers jours par les états généraux à Grenoble.

Les chercheurs espèrent, entre autres, une politique de l'emploi scientifique plus audacieuse : ce budget maintient le potentiel scientifique, rétablit les 550 postes de titulaires dont on avait beaucoup parlé lors du dernier budget, et garantit le nombre d'emplois statutaires. C'est un effort important, qui permet de maintenir le taux de renouvellement à 4 %, compte tenu des départs massifs à la retraite et de votre volonté d'accroître, à terme, le potentiel scientifique.

Sujet d'importance, voire stratégique, il est impératif, dans la poursuite de cet objectif, de présenter un plan pluriannuel de l'emploi scientifique, mais cette fois-ci argumenté et financé, avec des ambitions autres qu'électoralistes. François Fillon en a pris l'engagement à Grenoble, je m'en félicite.

M. Pierre Cohen. Il a mis le temps !

M. Pierre Lasbordes. Une telle initiative est attendue et serait susceptible de rassurer les jeunes et de leur donner cette visibilité élémentaire qui fait tant défaut aujourd'hui, une visibilité à long terme quant au potentiel et à l'attractivité des carrières scientifiques. Cela suppose la mise en place, en urgence, d'une véritable politique de gestion des ressources humaines au sein des organismes et des universités, et impose une vaste réforme de l'évaluation qui est devenue - génie de « l'exception française » - d'une complexité telle que l'on peut douter de sa pertinence et de son efficacité.

Il faut donner à l'évaluation une plus grande transparence, en considérant la totalité des missions, y compris celles des enseignants chercheurs, et la diversité des situations. Les critères, notamment de mobilité, y compris vers l'entreprise, devront être valorisés. La participation aux jurys d'évaluation de personnalités étrangères et reconnues pour leurs compétences est également indispensable. Il faut, enfin, instaurer un véritable suivi de l'évaluation, ce qui lui donnera tout son sens.

Autre espoir des chercheurs : que l'on simplifie leur quotidien en réduisant la pesanteur des procédures administratives. En effet, le temps qu'ils consacrent à observer des règles administratives obsolètes et tatillonnes est démesuré ; ils déploient des trésors d'énergie pour supporter ce fardeau.

Pour y remédier, je vous soumets, monsieur le ministre deux propositions simples : d'abord, - M. Birraux l'a évoqué et je le répète à chaque débat budgétaire - substituer un contrôle financier a posteriori au contrôle a priori qui a cours aujourd'hui ; ensuite, choisir un seul logiciel de gestion comptable dans les laboratoires mixtes - c'est simple à réaliser, peu coûteux et ce serait très positif.

En outre, les procédures du code des marchés publics constituant toujours une lourde contrainte, mon souhait et celui de l'ensemble de la communauté scientifique est de voir la recherche totalement exonérée de son application. L'objectif n'est-il pas de libérer « du temps de chercheur » et d'établir avec eux une culture de confiance plus que de défiance ?

La recherche, seul secteur de l'administration à se trouver en milieu concurrentiel, ne pourrait-elle pas, comme je l'ai proposé à maintes reprises, devenir le secteur pilote en matière de simplification administrative ?

L'espoir est aussi que soit donnée au doctorat sa vraie dimension. Les augmentations successives de l'allocation de recherche d'État, dont je souligne le rattrapage important réalisé depuis deux ans par le Gouvernement, devraient être calées sur celles du SMIC, considéré par beaucoup comme un seuil symbolique.

Comment l'État peut-il concourir à une meilleure reconnaissance et à la valorisation du diplôme de docteur dans les conventions collectives ? Cela passera-t-il, comme on l'a proposé lors des états généraux de Grenoble, par la transformation de la thèse en véritable CDD ? Les écoles doctorales doivent, elles aussi, préparer au mieux l'entrée, après la thèse, des futurs docteurs dans les organismes, certes, mais également dans les entreprises. Car le doctorat traduit aussi la capacité à conduire un projet de recherche sur une durée de trois ans minimum, doublée d'une expérience d'encadrement. Je regrette que cette dimension soit insuffisamment prise en compte par le secteur privé.

Le Gouvernement peut-il assurer ce lien avec les partenaires sociaux et les entreprises et, en même temps, montrer l'exemple en faisant accéder à de hautes responsabilités des personnes formées à et par la recherche ?

Est-il envisagé, enfin, d'allonger la durée des contrats « post-doc » à trois ans, comme cela se fait dans la plupart des autres pays développés ?

Votre effort pour mettre un terme à la pratique des « libéralités » et pour garantir la couverture sociale élémentaire dont la plupart des doctorants sont honteusement dépourvus va dans le bon sens.

Une distance s'est créée, monsieur le ministre, entre la recherche et la société. Cette dernière met en elle tous ses espoirs d'une santé et d'une vie meilleures, dans un environnement sain et protégé. Dans le même temps, elle s'est mise à douter que les sciences engendrent un progrès continu, et des peurs apparaissent qui résultent d'une connaissance insuffisante des enjeux de la science ainsi que de la volonté du corps social d'y participer plus significativement.

Réconcilier la recherche et la société suppose notamment la diffusion de la culture scientifique et technique, qui est désormais considérée comme une priorité nationale, ce que révèle bien le plan présenté en février 2005.

Pour inciter encore davantage les acteurs de la recherche à s'investir dans ces missions, il faut que celles-ci soient reconnues à leur juste valeur, qu'elles donnent lieu à un retour sur investissement dans les carrières et que, en premier lieu, elles soient valorisées au travers des critères d'évaluation.

Le budget pour 2005 est incontestablement un bon budget pour la recherche. Il ne répond pas à toutes les interrogations ni à toutes les attentes mais ce n'est pas son rôle. Néanmoins, il représente un signe fort à l'intention des chercheurs et annonce de façon volontariste la future loi d'orientation et de programmation du printemps prochain. Celle-ci devra mettre l'accent sur la jeunesse, puisque son ambition est résolument tournée vers l'avenir. Elle devra assurer une meilleure gouvernance et garantir le pilotage de la recherche, dont « le développement est, au premier chef, affaire de politique », disait le général de Gaulle.

M. Pierre Cohen. On en est bien loin !

M. Pierre Lasbordes. Elle devra surtout faire simple, et faire confiance !

Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, j'invite tous les élus du groupe UMP à soutenir votre projet de budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Comparini.

Mme Anne-Marie Comparini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rapports, manifestations, colloques évoquent, tous, les défis que la recherche française doit relever : éviter la fuite des cerveaux, améliorer le travail et la rémunération des chercheurs, encourager l'innovation.

Vous le disiez, mardi encore, monsieur le ministre, au cours des rencontres parlementaires de la recherche, en d'autres termes mais convaincu qu'elle doit accroître son excellence et qu'il faut la rendre plus attractive auprès des jeunes qui désertent, hélas ! les filières scientifiques.

Dans cette perspective, le budget 2005, comme le Gouvernement s'y était engagé, comporte des mesures nouvelles : création d'emplois statutaires, crédits d'accueil de chercheurs de haut niveau, moyens accrus pour les laboratoires, création de l'Agence nationale pour la recherche.

Mais ces annonces, je le dis, monsieur le ministre, sans esprit critique, sont loin de répondre aux challenges de ce secteur stratégique pour le développement économique et social de notre pays. Le budget civil enregistre certes une hausse, mais après deux années de forte chute. Les emplois scientifiques subissent un effet de stop and go - 1 000 créations en 2004, contre 200 en 2005 - alors qu'il faudrait une continuité appuyée pour anticiper les départs à la retraite et leur remplacement par de jeunes talents. Les laboratoires disposeront de moyens en hausse, mais ceux-ci ne feront que combler le retard accumulé depuis des années.

M. Pierre Cohen. Exactement !

Mme Anne-Marie Comparini. Ces annonces sont aussi loin de correspondre au sursaut attendu par la communauté scientifique, qui connaît bien, pour les vivre au quotidien, les lacunes de notre système : son manque de lisibilité, son lourd déficit de coordination et de réactivité, sa faiblesse financière, l'érosion du poids de la recherche dans l'investissement national étant régulière depuis de nombreuses années.

Ce budget, me direz-vous, est un budget charnière dans l'attente de la future loi d'orientation. Mais le chantier « recherche » est si symbolique de la confiance retrouvée des chercheurs dans leur institution, qu'il aurait mérité des signes forts et, dès aujourd'hui, une première réflexion sur des changements organisationnels. C'est sur eux, après mon collègue Christian Blanc, que je concentrerai mon court propos, et j'enfoncerai le clou de quelques convictions fortes.

D'abord, il faut réunifier recherche et enseignement supérieur. Puisque 80 % des capacités de recherche sont implantées au sein des universités, leur rôle structurant doit être mis en lumière. Elles doivent devenir des centres d'enseignement et de recherche, des lieux d'application du triptyque recherche-formation-innovation, comme cela se pratique dans tous les pays européens.

Nul ne peut en être choqué. Les avantages d'une telle évolution sont nombreux. Ce rapprochement permettrait de tendre vers le plus haut niveau international, de développer le métier d'enseignant-chercheur et de chercheur en facilitant le passage d'une activité à l'autre, de renforcer leurs capacités dans des secteurs ciblés de recherche fondamentale sans lesquels aucun transfert d'innovation n'est réalisable, et enfin d'organiser efficacement la recherche et l'enseignement supérieur autour d'un site ou d'une région pour avoir une vision territoriale plus marquée et valoriser les bonnes idées issues de la recherche en multipliant les liens avec les entreprises.

Deuxième conviction forte : il est urgent de réfléchir à un statut unique qui stopperait à terme la multiplicité des situations administratives - « post-doc », bourses de fondations, CDD - qui confine certains emplois scientifiques dans la précarité. Ce statut donnerait de la souplesse dans la temporalité, l'alternance ou la concomitance des activités de recherche, d'enseignement et d'animation des équipes. C'est une question importante dès lors que nous voulons renouveler les générations de chercheurs et faciliter, par la mobilité, les interactions entre recherche publique et privée.

Il faut aussi confier la gestion des chercheurs aux universités. Quand ils travaillent dans des laboratoires mixtes, le contrat quadriennal des universités intègre déjà les projets à terme des deux missions. Demain, l'introduction des masters de recherche sera une nouvelle étape de ce rapprochement. Plutôt que de le subir, organisons-le !

Vous l'aurez compris, les mesures de ce budget 2005 nous interpellent, car la recherche est pour le groupe UDF un immense patrimoine sur lequel on doit investir sans trembler, de manière continue, afin qu'il gagne en transparence, en souplesse et en efficacité.

M. Christian Blanc et M. Daniel Garrigue. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les restrictions budgétaires qu'a connues la recherche française lors des deux dernières années ont provoqué une crise sans précédent. Lors des états généraux de la recherche à Grenoble, auxquels nous avons assisté, les 28 et 29 octobre, de nombreuses propositions ont été avancées.

Il s'agit aujourd'hui pour la France de profiter de cette prise de conscience pour effectuer les choix budgétaires et les réformes structurelles qui s'imposent.

À Grenoble, le Gouvernement a reconnu ses erreurs passées par la voix de François Fillon, reconnaissant qu'il fallait consacrer plus de crédits à la recherche publique et assurer une programmation de l'emploi scientifique, ce qui avait été précisément supprimé dès les débuts du gouvernement Raffarin.

On ne peut pas mettre l'accent sur la qualité de la recherche sans octroyer les moyens indispensables. On ne peut pas non plus asservir la recherche aux seuls besoins de la conjoncture économique, ni tolérer la confusion entre la souplesse et la précarité. À l'évidence, il est urgent de réformer la gestion et le fonctionnement de la recherche.

Dans ce contexte, le budget de la recherche pour 2005 n'est que l'écho encore trop lointain des propositions des universitaires et des chercheurs.

Pierre Cohen l'a rappelé, quand un « vrai faux » milliard promis aux chercheurs pour sortir de la crise se transforme en 350 millions d'euros, en espèces sonnantes et trébuchantes, directement consacrés aux laboratoires, une somme équivalente est attribuée à une agence qui n'est pas encore installée. Lorsque vous répondrez aux questions, monsieur le ministre, pourrez-vous nous indiquer ce qu'il est advenu des fondations que l'on a mises en exergue dans cet hémicycle, l'année dernière, en affirmant que 200 millions leur seraient octroyés ? Personne n'en a vu la couleur, puisqu'elles n'ont pas été créées.

Quant au crédit d'impôt recherche, même si le montant prévu est élevé, on ne peut pas le comptabiliser puisque, par définition, on ne sait pas quelle somme sera dépensée. On ne peut donc pas l'inscrire dans le budget. Cette mesure apparaît d'ailleurs plus comme un replâtrage, après les dérapages de 2003 et 2004. En réalité, ce budget se résume à l'organisation du report sur l'année 2005 des engagements pris en 2004. C'est un budget de rattrapage.

Le Gouvernement compte sur l'initiative privée pour assumer la recherche et l'innovation par le biais du crédit d'impôt. Lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2004, le ministre de l'industrie de l'époque déclarait que la préparation de l'avenir passait par le renforcement de l'encouragement à l'innovation et de la recherche industrielle, indispensable pour lutter contre la désindustrialisation. On peut partager l'objectif, pas le choix des moyens. Monsieur le ministre, vous qui avez été l'un des premiers à prévoir des mesures en faveur de l'innovation, vous n'avez pas eu le temps, en 1997 - époque douloureuse -, de les mettre en œuvre.

On peut cependant se féliciter de la mise en place de jeunes entreprises innovantes grâce à la loi Allègre. Mais, aux États-Unis, le dispositif des Small Business Innovation Research attribue 100 000 euros pour l'émergence d'un projet et, au bout d'un an, après évaluation, l'entreprise innovante se voit octroyer un million d'euros.

Malheureusement, nous ne disposons pas dans notre pays de crédits de pré-amorçage. Si nous voulions instaurer un tel dispositif, pourquoi ne pas aller plus loin que la mesure symbolique prise dans la loi de finances de l'année dernière ? Nous pourrions décider de consacrer 5 % des crédits de l'assurance vie au capital-risque à l'échelle nationale. Cette mesure est préconisée par certains chercheurs, mais sans succès jusqu'à présent, ce qui empêche le démarrage d'entreprises innovantes dans notre pays.

L'objectif des 3 % du PIB ne pourra être atteint, comme l'a dit François Hollande à Grenoble, que si les crédits de la recherche augmentent de 50 % en cinq ans. Les Américains l'ont fait dans le domaine des sciences de la vie, au profit de leur institut national de la santé.

Comme l'a souligné Mme Comparini, on ne peut dissocier la recherche de l'enseignement supérieur et de l'innovation. Si l'on veut voir l'émergence de l'université en France, où un étudiant coûte moins cher qu'un élève de lycée, il faut donner des moyens supplémentaires à l'enseignement supérieur, car c'est précisément le lieu de la formation des chercheurs.

Mme Anne-Marie Comparini et M. Christian Blanc. Très bien !

M. Jean-Yves Le Déaut. Pour répondre aux évolutions scientifiques comme aux besoins de la société, il est indispensable d'élaborer un plan pluriannuel en faveur de l'emploi scientifique. Comme le démontrait le rapport que j'ai remis en 2000, avec Pierre Cohen, au Premier ministre Lionel Jospin, sur 10 000 thésards formés chaque année dans notre pays, 2 000 seulement se dirigent vers le secteur privé. C'est insuffisant. Pourquoi les jeunes s'engageraient-ils dans des carrières scientifiques dans les conditions de statut et de rémunération qui leur sont consenties tant au niveau du doctorat que du post-doctorat ?

Si, aujourd'hui, les États-Unis dominent le monde aux plans économique, technologique et militaire, c'est parce qu'ils contrôlent les technologies clés. Et lorsque l'Europe, dans le passé, a accepté un effort volontariste afin d'acquérir certaines technologies, elle a su rattraper, voire supplanter ses concurrents.

Dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication et dans celui des sciences de la vie, nous accusons un retard considérable face à nos concurrents des pays industrialisés, aux Japonais et bientôt aux Chinois. Par conséquent, une vraie politique nationale de recherche doit s'intégrer dans un contexte européen. Il faut plus d'Europe pour plus de recherche au niveau européen. Le sixième programme cadre de recherche et de développement technologique ne consacre que 5 % des crédits de recherche affichés à la recherche des États membres. C'est insuffisant.

Vous avez dit, monsieur le ministre, qu'il fallait doubler ces crédits. Le Président de la République a indiqué que nous devions atteindre les 3 %. Mais on ne peut parvenir à cet objectif qu'à une condition : accepter d'augmenter la contribution française au budget de l'Union. Car si l'on veut mener une politique de recherche, nécessaire pour devenir compétitif face aux États-Unis, elle doit se faire au plan européen.

Le succès de la future loi d'orientation sur l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation dépendra de la prise en compte des suggestions pertinentes des chercheurs. J'espère qu'après deux ans d'errements - le mot est faible - ce message aura été compris. Pour l'heure, ce budget de rattrapage, insuffisant, nous fait recoller à la queue du peloton. Mais si vous renoncez aux mesures parcellaires et allez dans le bon sens en créant des postes et en affectant le milliard supplémentaire que vous avez promis, nous serons au rendez-vous de nos ambitions.

M. Pierre Cohen. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Monsieur le ministre, je voudrais d'abord saluer, comme l'ont fait mes collègues, l'effort sensible que représente ce budget et l'engagement pris par le Gouvernement de consacrer 3 milliards d'euros supplémentaires à la recherche d'ici à 2007, avec l'objectif d'atteindre le fameux seuil de 3 % du PIB défini à Lisbonne.

Je souhaite que ces crédits soient sanctuarisés et que ne se renouvellent pas les annulations et gels qui ont malheureusement compromis les efforts non négligeables entrepris ces dernières années - comme l'a justement rappelé Christian Cabal.

Toutefois, la politique de la recherche n'est pas seulement affaire de moyens. Elle dépend aussi de l'efficacité et des performances du système de recherche lui-même. Le débat que nous avons connu ces derniers mois, les très nombreuses contributions qu'il a suscitées, et qui ont trouvé leur point d'orgue avec les états généraux de la recherche, comportent à cet égard beaucoup d'éléments très positifs.

La délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne a voulu prendre part à ce travail en comparant notre système de recherche avec ceux de nos principaux voisins, en particulier l'Allemagne et le Royaume-Uni. Nous sommes ainsi parvenus à un certain nombre de conclusions.

D'abord, monsieur le ministre, il est nécessaire de rénover le pilotage de la recherche dans notre pays. Même si on l'oublie parfois, nous maîtrisons parfaitement le système des grands projets. Éléments déterminants de la recherche nationale, qu'ils concernent le nucléaire, l'espace ou l'aéronautique, ils sont aujourd'hui très largement relayés au niveau européen. Il reste que, contrairement à nos partenaires, nous n'avons pas suffisamment développé l'appel à projets.

Cette procédure est indispensable dans certains secteurs de la recherche - sciences du vivant, nanotechnologies, technologies de l'information, par exemple - qui ne peuvent faire l'objet d'un pilotage centralisé, parce qu'ils se situent souvent à la limite de plusieurs disciplines et que le front des connaissances s'y déplace très rapidement. Or ce qui importe pour les chercheurs, c'est la réactivité. L'appel à projets présente en outre l'avantage de faire émerger de véritables équipes de chercheurs. Nous souhaitons bien sûr - d'autres orateurs l'ont dit - que la nouvelle Agence nationale de la recherche soit un vecteur fondamental de cette procédure.

Les équipes de chercheurs dont nous souhaitons l'émergence doivent disposer de perspectives pluriannuelles - la recherche en a besoin - et d'une certaine souplesse dans la gestion des moyens. Elles doivent se situer au cœur du système d'évaluation, qui devra être beaucoup plus ouvert qu'il ne l'est aujourd'hui et susceptible d'entraîner, si nécessaire, des conséquences.

Nous souhaitons, par ailleurs, ouvrir davantage l'Université à la recherche. Si, à terme, il est indispensable de parvenir à une réelle autonomie des universités, perspective dont nous sommes fort éloignés aujourd'hui, il conviendrait au moins, dans l'immédiat, d'assouplir le statut des enseignants-chercheurs, afin que les obligations d'enseignement ne stérilisent pas leur implication dans l'effort de recherche. En outre, il faut ouvrir aux universités des possibilités d'expérimentation, notamment dans le cadre des nouveaux pôles de compétitivité évoqués par le rapport de Christian Blanc.

Il faut aussi offrir de véritables perspectives aux jeunes chercheurs. La comparaison avec nos voisins révèle en effet un taux de fonctionnarisation beaucoup plus élevé en France, mais une reconnaissance beaucoup moins forte des jeunes chercheurs en amont.

Mme Anne-Marie Comparini. C'est juste.

M. François Vannson. Nous pouvons certainement trouver un meilleur équilibre entre, d'une part, des perspectives de recrutement maîtrisées mais régulières et, d'autre part, le développement d'équipes telles que celles que je viens d'évoquer, qui pourraient offrir aux jeunes chercheurs - en particulier les « post-doc » - une bien meilleure reconnaissance.

Enfin, monsieur le ministre, je voudrais souligner l'importance de l'enjeu que représente la recherche au niveau européen. Nous devons, avec nos partenaires, rapprocher progressivement nos outils - les mécanismes d'évaluation, notamment, pourraient être mis en commun. Nous devons également, dans le cadre de la préparation du futur programme-cadre, nous efforcer de mettre au point des instruments plus clairs, plus réactifs et plus performants. Enfin, il est bien sûr nécessaire que les futurs budgets européens consacrent des moyens beaucoup plus importants à l'effort de recherche. Car notre souci majeur, aujourd'hui, est d'éviter le décrochage avec les États-Unis et les nouvelles puissances émergentes.

C'est dans cet esprit, monsieur le ministre, que je voterai les crédits de la recherche. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. François Vannson.

M. François Vannson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de la recherche pour 2005 marque une avancée importante vers la réalisation des objectifs stratégiques fixés lors du sommet européen de Lisbonne de juin 2000 : transformer, d'ici à 2010, l'économie de l'Europe « en l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». Cette ambition est d'autant plus pertinente que nous assistons aujourd'hui à la multiplication des déplacements d'activités vers les pays à faible coût de main-d'œuvre. Nous pouvons certes mettre en place des politiques pour contenir et réguler les délocalisations, mais les lois du marché et la globalisation favorisent inexorablement ce phénomène.

Dès lors, quels types d'emplois l'Europe peut-elle créer, développer et conserver face aux avantages compétitifs indéniables des pays émergents ? Ce sont naturellement ceux dont la valeur ajoutée est la plus grande, ceux qui intègrent un important degré de technicité. L'avenir de l'emploi, en Europe et en France, repose donc sur notre capacité à demeurer à la pointe de l'innovation technologique. Et c'est là que le rôle de l'État dans le financement et dans la définition des grandes orientations de la recherche prend tout son sens.

La recherche en sciences sociales et humaines, par exemple, participe à la valorisation intellectuelle et au rayonnement culturel de notre pays, et à ce titre nous devons naturellement la soutenir. Mais dans une économie de marché mondialisée, c'est la recherche appliquée qui permet la création d'emplois. Par conséquent, la quête du « toujours plus de crédits pour la recherche » n'a de sens que si nous la plaçons dans une perspective d'efficacité. Je sais que cette notion agace nombre de partisans d'une recherche « pure et altruiste ». Mais ce n'est aujourd'hui plus une simple option que d'orienter notre recherche nationale vers la constitution de pôles technologiques compétitifs.

Avoisinant les 2 % du PIB, l'effort public en faveur de la recherche est quasiment identique aux États-Unis et en France. Ce qui confère aux Américains le statut de « frontaliers technologiques », c'est donc la recherche privée, quatre fois plus développée que chez nous.

En ce sens, je tiens à saluer l'effort déployé par le Gouvernement dans ce projet de loi de finances. Les 300 millions d'euros destinés à la recherche privée à travers la réforme des produits d'épargne orientés vers l'innovation, la modernisation des FCPI et la hausse du crédit d'impôt recherche sont autant de mesures indispensables à l'épanouissement d'une recherche privée compétitive.

Avec près de 700 millions d'euros inscrits au budget, l'effort collectif en faveur de la recherche publique est lui aussi important. Et parce qu'on a beaucoup reproché à la recherche française de ne pas avoir de vision stratégique globale, je fais partie de ceux qui attendent beaucoup de la création de l'Agence nationale pour la recherche. C'est là une excellente initiative qui viendra, je l'espère, donner cohésion et direction à la recherche publique.

Les mesures en faveur des personnels sont elles aussi à saluer. Je vous sais sensible, monsieur le ministre, à ce que la France soit attractive pour nos jeunes chercheurs, afin que ces derniers ne cèdent pas aux sirènes américaines et demeurent sur notre territoire. La pérennité des emplois statutaires, permise par le remplacement de tous les départs, et surtout la création de 200 postes dans les EPST ainsi que le doublement des mesures revalorisant la situation des personnels, sont autant de signaux forts adressés à nos scientifiques et aux étudiants qui souhaitent s'orienter vers la recherche.

Enfin, le respect des engagements de la France dans le secteur spatial est un élément positif. Je regrette toutefois que le Gouvernement n'augmente que de 2 % la subvention de l'État aux programmes nationaux. La France a toujours été le moteur de l'Europe spatiale. Alors que les États-Unis et la Chine investissent des sommes de plus en plus importantes dans ce domaine, nous ne pouvons nous permettre de nous laisser distancer. La recherche spatiale est non seulement un formidable vecteur d'innovation technologique, mais elle est aussi un instrument de souveraineté et de puissance que nous devons consacrer.

En conclusion, avec ce milliard d'euros supplémentaire, les moyens de la recherche vont être considérablement amplifiés en 2005. Cet effort de la nation, j'en suis convaincu, est un pari gagnant sur l'avenir. Je salue donc ce projet de budget, en attendant avec impatience le débat sur la future loi d'orientation et de programmation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Avant d'écouter M. le ministre, nous allons suspendre la séance pour quelques minutes.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. le ministre délégué à la recherche.

M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je veux d'abord remercier tous ceux qui se sont exprimés dans ce débat sur le budget de la recherche pour 2005. Je remercie les rapporteurs, Christian Cabal pour la commission des finances, Claude Gatignol pour la commission des affaires économiques et Pierre-André Périssol pour la commission des affaires culturelles, de leur excellent travail. Je remercie pour leurs analyses et leurs suggestions Claude Birraux, Pierre Lasbordes, Daniel Garrigue, François Vannson, Christian Blanc, Anne-Marie Comparini, qui, à des degrés divers, souvent avec enthousiasme, soutiennent ce budget. Je remercie également l'opposition pour ses nombreuses contributions.

La recherche, fruit d'une volonté politique, est capitale pour notre pays. Elle l'est à plusieurs titres, d'abord pour nous, pour notre société, mais aussi pour les générations futures.

D'abord, elle prépare l'avenir de notre pays dans le cadre d'une mondialisation de plus en plus dure. Je ne veux pas voir de la compétition partout, mais il y a aujourd'hui concurrence entre les systèmes d'innovation et de recherche. Si nous manquons ce défi, nous aurons un déclin de notre pays et probablement d'ailleurs de l'Europe, car cela se joue à l'échelle planétaire, avec notamment la montée en régime des pays de l'Extrême Orient, de la Chine, de Taïwan, de la Corée, de Singapour, sans parler du Japon. Déjà par rapport à la puissance américaine, la puissance européenne a bien souvent du mal à s'exprimer dans ce domaine pourtant fondamental.

La recherche est une voie essentielle pour la sauvegarde de nos emplois, la dynamisation de notre croissance, l'amélioration de notre compétitivité. Une progression de 10 % des dépenses de recherche et développement, comme cette année, permettra, selon les études de l'OCDE, d'augmenter le PIB de 0,3 à 0,4 point à l'horizon de dix ans, si l'effort est continu, si ce milliard supplémentaire se renouvelle année après année.

La recherche est aussi capitale parce qu'elle se situe au cœur des grands débats de société. Qu'il s'agisse du cancer, des OGM, des cellules souches, de l'énergie de demain, du développement durable, de la biodiversité, des procédés de télécommunication, des usages de l'UMTS, presque tous les domaines exigent de la recherche, plus de recherche, et une recherche de plus en plus pluridisciplinaire.

La recherche mérite aussi une place de choix dans la politique publique d'un pays, parce que, dans bien des domaines, elle relève de l'intérêt stratégique de la nation et participe à son rayonnement international.

Aujourd'hui, un grand pays sur la scène internationale est un pays qui a une vraie politique de recherche, forte et ambitieuse, qu'elle se traduise par des performances dans des domaines plus nouveaux ou par la mise en œuvre de grands programmes qui, pour certains, ont été lancés il y a quelques dizaines d'années mais qui contribuent grandement aujourd'hui - je pense en particulier au nucléaire, à l'aéronautique ou à l'espace - à l'efficacité et au rayonnement de notre recherche. Même si, dans les programmes, on voit surtout l'aspect matériel, finalisé, des choses, il y a bien souvent derrière de longs cheminements de recherche fondamentale et académique.

Enfin, la recherche et la science sont au cœur des interrogations et des aspirations de l'homme. Nous devons réconcilier la société avec la notion de progrès, car une société qui ne croit pas dans le progrès ou qui y croirait moins irait sans doute vers son déclin. Le progrès et la diffusion des connaissances apparaissent en effet comme un principe majeur d'évolution et d'organisation de nos sociétés démocratiques.

Notre recherche doit être forte, ouverte sur l'extérieur et aborder tous les grands domaines qui sont couverts par les systèmes des pays concurrents. Le budget que je vous présente aujourd'hui tire les conséquences financières de cette ambition. Le Gouvernement et, au premier chef, le Premier ministre ont en effet voulu placer la recherche au premier rang de leurs priorités, au cœur de leur ambition pour la France.

Contrairement à ce qu'ont dit certains, le budget pour 2005 ne souffre aucune comparaison historique. Jamais, depuis vingt ans, l'effort public en faveur de la recherche n'a autant progressé en une seule année. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) En 2005, c'est 1 milliard d'euros de financement public supplémentaire qui sera consacré à des dépenses de recherche : cela représente une progression de plus de 10 % par rapport à 2004. Si l'on considère que le PIB devrait croître, en volume, de 2,5 %, on s'aperçoit que la dépense intérieure de recherche et développement, qui n'a cessé de régresser depuis dix ans, passant de 2,4 % du PIB en 1993 à 2,19 % en 2003...

M. Pierre Cohen. C'est vous qui avez diminué les crédits !

M. le ministre délégué à la recherche. ...va progresser en 2005 grâce à la quote-part publique.

Je souhaiterais saisir cette occasion pour faire une mise au point : on a pu lire ou entendre ici ou là − notamment dans la bouche de M. Cohen ou de M. Dutoit − que le budget ne compenserait qu'à peine les baisses et gels de crédits de 2003 et de 2004.

M. Frédéric Dutoit. C'est vrai !

M. le ministre délégué à la recherche. C'est tout à fait faux, et il y a, à cela, de simples raisons techniques. Les 235 millions d'euros de crédits qui avaient été gelés en 2002...

M. Alain Gouriou. Par qui ?

M. Pierre Cohen. Par vous !

M. le ministre délégué à la recherche. ...ont été intégralement versés dans les budgets 2004 des EPST. D'autre part, si les baisses de crédits de paiement représentaient 273 millions d'euros en 2003-2004, les retards de paiement ne s'élevaient qu'à 162 millions d'euros, 111 millions d'euros d'autorisations de programme ayant été supprimés.

M. Alain Gouriou. Par qui ?

M. le ministre délégué à la recherche. On ne peut tout de même pas reprocher au Gouvernement de ne pas avoir prévu de crédits de paiement pour des autorisations de programme qui n'existaient plus.

Au total, si rattrapage il y a, il ne concerne que 162 millions d'euros sur les 356 millions de progression du BCRD, dans lesquels on peut inclure une partie des crédits affectés à l'Agence nationale de la recherche. Si l'on compare ce chiffre aux 700 millions de crédits nouveaux qui bénéficieront aux laboratoires, on constate que la progression est quatre fois plus forte que celle de l'année dernière. Il est donc faux de dire que cette hausse « compense à peine les baisses et gels de crédits des années 2003 et 2004 ».

Du reste, l'annulation des crédits de la recherche n'est pas l'apanage des gouvernements de droite. Je rappelle, pour votre culture générale, que, de 1998 à 2001, les gouvernements socialistes ont annulé pour 265 millions de dépenses ordinaires et de crédits de paiement, dont des crédits pour le personnel, pour les EPST et 60 millions pour le CNRS.

M. Alain Gouriou. C'étaient des francs ! L'euro n'existait pas !

M. le ministre délégué à la recherche. C'est ainsi que se sont créées des impasses financières, notamment pour le CNRS, et qu'il nous a fallu intervenir.

Nos prédécesseurs socialistes ont également eu recours à quelques artifices, prenant par exemple, en 2001 et 2002, la mauvaise habitude d'élargir subrepticement le périmètre du BCRD. En 2001, ils ont affiché une augmentation de 204 millions d'euros, mais 100 millions correspondaient à l'introduction dans le BCRD de l'IPSN, devenu IRSN. Ce qui était présenté comme un grand budget socialiste progressait en fait trois fois moins que le budget de cette année.

M. Pierre Cohen. Combien y avait-il de postes créés ?

M. le ministre délégué à la recherche. Pour 2002, ils avaient affiché 185 millions d'euros mais, de même, 96 millions d'euros de crédits destinés aux constructions universitaires avaient été intégrés dans le BCRD. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ainsi, l'augmentation réelle devait-elle être réduite de moitié. On me dira que ce sont des détails, mais, pour avoir une vision globale de la culture budgétaire en matière de recherche, il faut quelquefois remonter en arrière.

Le budget de 2005, en hausse de 1 milliard, place notre pays sur une trajectoire qui lui permettra de respecter l'engagement des 3 % en 2010 pris lors des sommets de Lisbonne et de Barcelone.

M. Pierre Cohen. On n'y arrivera pas !

M. le ministre délégué à la recherche. Je ne vois pas comment on aurait pu faire mieux cette année, quand on sait que 1 % doit provenir de la recherche publique et 2 % de la recherche privée.

M. Pierre Cohen. C'est vous qui l'avez décidé !

M. le ministre délégué à la recherche. La recherche publique, en tout cas, atteindra parfaitement cet objectif.

De même, le budget respecte l'engagement pris par le Gouvernement d'accroître de 3 milliards d'euros d'ici à 2007 l'effort public en faveur de la recherche publique et privée.

L'accroissement important et équilibré des crédits publics consacrés à la recherche a été conçu pour répondre à trois grandes priorités : le renforcement de la recherche publique, académique et finalisée, avec l'amélioration de la situation des personnels et des laboratoires ; le développement du financement par projets de la recherche avec la création de l'Agence nationale pour la recherche ; l'amplification des mesures en faveur du couple recherche et innovation. Peut-être serait-il plus juste de parler − et pas seulement pour faire plaisir à Mme Comparini − du trio « recherche, innovation et formation », mais le budget de la formation n'est pas encore présenté par le ministre de la recherche. (Sourires.)

Le budget 2005 engage une nouvelle dynamique, puisqu'il prévoit une amélioration sans précédent de la situation des personnels et des laboratoires, grâce à une très forte progression du BCRD − plus de 4 %.

En 2005, le BCRD s'établira à 9,3 milliards d'euros. Il s'agit de la plus forte hausse en volume depuis dix ans. Elle est quatre fois plus importante qu'en 2004 et représente deux fois et demie l'augmentation annuelle moyenne sur les dix dernières années − y compris les cinq années socialistes. C'est une progression très supérieure à l'évolution du PIB en volume, qui est de 2,5 %. Or, 97 % de cette hausse exceptionnelle bénéficieront aux personnels et aux laboratoires des établissements de recherche et des universités. J'avais constaté, comme d'autres, un fort décalage entre les besoins des laboratoires et leurs moyens effectifs. Le budget 2005 apporte de premières solutions concrètes à ce problème. L'accroissement des moyens de paiement des EPST : 32 %, des EPIC : 22 %, et de la recherche universitaire : 13 %, leur permettra de couvrir tous leurs engagements passés, notamment les contrats de plan État-région, de faire face à des investissements lourds en 2005, au premier rang desquels figure le synchrotron SOLEIL, et d'augmenter significativement les moyens récurrents des laboratoires : avec le budget 2005, ces crédits enregistreront une hausse d'au moins 5 %.

En outre, cet accroissement des moyens s'accompagnera de simplifications administratives, pour parler par euphémisme. Chacun déplore la lourdeur des procédures qui affectent le fonctionnement des établissements publics de recherche ou des universités. Pierre Lasbordes et Claude Birraux ont plaidé en faveur de simplifications et de mesures de bon sens. Je ne peux encore me prononcer sur la mise au point d'un logiciel de gestion comptable unique par laboratoire, mais je peux d'ores et déjà annoncer que le contrôle financier a priori sera supprimé en 2005 dans trois EPST. Cette mesure devrait être étendue à tous les autres organismes dès 2006. Concrètement, aucun acte de gestion ne fera plus l'objet de ces contrôles a priori, qui, tout le monde en convient, alourdissaient les procédures et retardaient l'exécution des dépenses des laboratoires.

Ainsi, pour ne citer qu'un exemple emblématique, les laboratoires n'auront plus besoin de requérir le visa du contrôleur financier pour recruter le personnel non permanent. Cela leur permettra d'être plus réactifs et de limiter les contrôles administratifs inutiles.

Nous avons défini, dans ce budget, une autre orientation forte : la croissance du potentiel scientifique de nos établissements de recherche et universitaires. On touche là à la question de l'emploi scientifique. Ainsi, tous les emplois statutaires sont maintenus dans les EPST : tous les départs, en retraite ou autres, donneront donc lieu à un recrutement. Compte tenu du nombre prévisible de départs en retraite, et en dépit du différentiel d'âge lié à la nouvelle loi sur les retraites, nous pourrons assurer aux établissements d'enseignement la jouvence nécessaire, avec un taux de renouvellement d'environ 4 %, comme l'a rappelé tout à l'heure Pierre Lasbordes.

Dans le contexte d'accroissement des départs en retraite, cette décision envoie un signal fort aux jeunes qui souhaitent s'engager dans la carrière de chercheur car, à moyen terme, les recrutements et, par conséquent, les débouchés dans la recherche publique vont augmenter. On estime en effet à une moyenne de 2000 par an le nombre de départs − chercheurs et ITA − pour les années qui viennent : cela permettra d'accroître sensiblement le niveau des campagnes de recrutement.

Le projet de budget pour 2005 prévoit en outre des mesures significatives destinées à renforcer les moyens humains dans l'enseignement supérieur. Ainsi, 1 000 emplois sont consolidés dans le budget 2005 : les 850 emplois − dont 700 de professeurs et de maîtres de conférence et 150 personnels ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers et de service − qui ont été annoncés dans le courant de 2004, et 150 attachés temporaires d'enseignement et de recherche. Enfin, 150 maîtres de conférence seront recrutés au 1er septembre 2005.

Pour accompagner ces recrutements, la recherche universitaire bénéficiera d'une augmentation substantielle - 13 % - de ses moyens de fonctionnement, à hauteur de 23 millions d'euros.

Au-delà, le budget 2005 crée 200 postes d'accueil de haut niveau. Nous parlions tout à l'heure de l'attractivité de notre système de recherche. Il est essentiel que les établissements de recherche et les universités puissent mettre à la disposition des chercheurs expatriés qui souhaitent revenir en France ou des chercheurs étrangers des postes d'accueil de haut niveau. Nous nous sommes engagés dans cette voie en lançant, il y a quinze jours, un programme de quinze « chaires d'excellence », qui a permis l'arrivée en France de chercheurs qui se voient attribuer un financement, un package, de 500 000 euros pour les seniors et de 300 000 euros pour les juniors. Ainsi, comme dans certains pays, ils vont pouvoir se constituer des équipes, ce qui renforcera l'attractivité de nos établissements. Le choix politique a été fait de garantir aux postes d'accueil un très bon niveau de rémunération, de l'ordre de 60 000 euros brut par an, ce qui correspond au niveau de salaire d'un directeur de recherche.

Dans ce budget, nous avons également voulu renforcer le soutien aux jeunes chercheurs à tous les stades de leurs parcours.

Il en sera ainsi, avant même qu'ils n'entrent dans nos établissements, avec l'augmentation de 7 % des moyens consacrés à la formation à et par la recherche, qui permettra d'accueillir 4 000 nouveaux allocataires de recherche en 2005. L'allocation de recherche a été revalorisée de 15 % en deux ans et s'élève aujourd'hui à 1 308 euros brut par mois, soit un niveau supérieur au SMIC. Je souhaite qu'elle puisse être à nouveau revalorisée ; mais surtout je proposerai dans la future loi qu'elle soit indexée sur l'inflation, ce qui garantira un maintien du pouvoir d'achat des allocataires de recherche.

Le budget créé par ailleurs 40 nouveaux contrats CIFRE, ce qui portera leur nombre à 1 200.

Toujours avant d'entrer dans nos établissements, les jeunes chercheurs bénéficieront de la poursuite du programme « Initiative post-docs », qui incite les post-doctorants français à revenir en France, ainsi que de l'amplification de la politique de résorption des libéralités à laquelle seront consacrés 2 millions d'euros supplémentaires en 2005. J'entendais tout à l'heure M. Schwartzenberg critiquer ce système des libéralités. Que ne l'a-t-il supprimé quand il appartenait au gouvernement de M. Jospin !

Une fois entrés dans nos établissements, les jeunes chercheurs seront également soutenus grâce au doublement, de 100 à 200, du nombre de ceux bénéficiant des packages mis en place par les organismes, qu'il s'agisse des contrats ATIP du CNRS ou Avenir de l'INSERM, ou encore des programmes Jeune équipe de l'INRA. Ces jeunes chercheurs bénéficieront d'un volume de crédits sur plusieurs années leur permettant de mener leur projet de recherche à bien, sachant que davantage de souplesse leur sera donnée dans l'utilisation des crédits grâce, par exemple, à la possibilité de recruter des post-doctorants.

L'idée émise par M. Schwartzenberg, qui a dû s'absenter car il avait un cours à donner, que nous subventionnerions la recherche à l'étranger n'est pas tout à fait juste. D'abord, partir en post-doctorat à l'étranger fait partie du cursus d'un jeune chercheur, mais encore faut-il que celui-ci ait ensuite envie de revenir en France et puisse y être accueilli. Le problème ne tient donc pas uniquement à une question de postes mais également à l'attitude, voire à la culture, de certains grands établissements de recherche qui donnent parfois l'impression de fermer leur porte aux jeunes chercheurs qui veulent revenir du Japon ou des États-Unis, par exemple.

En outre, l'ouverture des établissements doit également se faire vis-à-vis des chercheurs étrangers. À cet égard, les derniers chiffres fournis par l'OST sont éloquents : sur 60 000 doctorants en France, 17 000 sont étrangers - ce qui est bien la preuve que notre pays n'est pas si fermé et si peu attractif que cela -, sur les 10 000 docteurs qui reçoivent leur titre chaque année, 2 100 sont étrangers et notre système de recherche compte environ 12 % d'étrangers.

Un rééquilibrage doit être opéré car nous n'intéressons plus assez de chercheurs en provenance des États-Unis ou d'autres grands pays de recherche ; il n'empêche que notre dispositif est attractif tant par la qualité de son environnement que par son niveau.

J'en viens à notre seconde priorité : l'accroissement du financement par projets, mesure que vous avez presque tous souhaitée. Je pense, en particulier, à Daniel Garrigue qui s'est livré à un remarquable travail de benchmarking ou plutôt, pour ne pas utiliser trop d'anglicismes, de comparaison par rapport à d'autres systèmes.

Le financement par projets est une nécessité dans notre système de recherche - étant entendu que l'emploi statutaire de fonctionnaire doit être maintenu. C'est pourquoi la deuxième grande priorité du projet de budget pour 2005 est la très forte augmentation de notre capacité de financement de projets de recherche, avec la création de l'Agence nationale pour la recherche.

Cette agence, qui fonctionnera tout d'abord sous la forme d'un groupement d'intérêt public, dont la création figure d'ores et déjà dans le projet de loi de finances et qui existe donc bien sur le plan juridique, sera dotée en 2005 de 350 millions d'euros, montant auquel s'ajoute le reliquat du compte d'affectation spéciale des fondations de recherche. Si l'on additionne à ce total les 200 millions d'euros figurant sur les lignes du Fonds pour la recherche technologique et du Fonds national de la science au BCRD, cela signifie que le financement sur projets de la recherche disposera d'environ 600 millions d'euros l'an prochain.

La politique de recherche est actuellement pilotée, comme on dit, par le ministère chargé de la recherche à plusieurs niveaux d'intervention : les subventions aux établissements de recherche, les crédits incitatifs, qui financent les laboratoires, publics ou privés, sur projet et, enfin, les dispositions législatives et réglementaires qui définissent, encadrent ou infléchissent la politique de recherche.

Notre politique vise également, dans le cadre de la future loi d'orientation et de programmation, à faire évoluer les établissements eux-mêmes, en identifiant au sein de certains d'entre eux le rôle d'agence de moyens qu'ils exercent déjà ou en permettant d'assurer une cohérence programmatique nationale dans des domaines prioritaires couverts par différents établissements.

L'idée, monsieur Blanc, n'est pas de segmenter l'action de recherche mais, au contraire, de développer une approche globale. C'est même toute la problématique du lien entre la recherche et l'enseignement supérieur, qu'il faut évidemment traiter, mais cela ne signifie pas pour autant que je veuille m'engager aujourd'hui dans le débat infiniment complexe sur la nécessité ou non de créer un statut unique pour les chercheurs et les enseignants-chercheurs...

La coexistence dans un même établissement d'une fonction d'agence de moyens et d'une fonction d'opérateur de recherche m'apparaît comme un mécanisme de progrès permettant de développer une stratégie d'établissement, qui se déclinera au niveau des structures et des recrutements, en cohérence avec des programmes fonctionnant par projets financés après évaluation concurrentielle.

Ces orientations se traduiront dans les missions et le mode de fonctionnement de l'agence. L'une de ces missions sera en effet de financer, après sélection, les meilleurs projets de recherche dans les thématiques prioritaires et, éventuellement, ainsi que l'a demandé Claude Birraux avec bon sens, des projets blancs de recherche, dans une certaine limite. Les états généraux de la recherche s'en étaient fait aussi l'écho, et un tel financement devrait figurer parmi les possibilités offertes à l'agence, en liaison avec le niveau européen où existe un projet du même genre.

En 2005, un effort significatif sera consenti en faveur de trois thématiques prioritaires, qui sont loin d'être étroites puisqu'il s'agit des sciences de la vie, des sciences et technologies de l'information et de la communication, de l'énergie et du développement durable.

Le mode de fonctionnement de l'agence sera double.

Elle pourra d'abord financer elle même des projets de recherche. Elle le fera, par exemple, en lançant en 2005 les actions nouvelles du Fonds pour la recherche technologique et du Fonds national de la science, et en dotant en capital des fondations de recherche reconnues d'utilité publique.

Mais elle pourra également déléguer l'exécution de programmes de recherche à certains de nos établissements de recherche dans leur fonction d'agence de moyens. L'Agence nationale pour la recherche sera ainsi un vecteur de réforme, car il ne s'agit pas d'affaiblir nos établissements, comme s'en inquiétaient M. Le Déaut et M. Cohen, mais au contraire de les renforcer grâce à une meilleure lisibilité de leurs priorités de recherche.

Dans les deux cas, les projets seront sélectionnés sur la base de critères d'excellence scientifique et technique, selon des modalités claires, éprouvées et conformes aux meilleurs usages, faisant appel à des procédures transparentes et à des comités d'experts internationaux.

L'agence, qui sera opérationnelle dès le 1er janvier 2005 - j'en prends l'engagement devant vous - sera une structure légère, bien ancrée sur nos organismes de recherche et nos universités, qui financera, après sélection, les meilleurs projets de recherche sur les thématiques prioritaires.

Renforcer les mesures en faveur du couple recherche et innovation : telle est la troisième et dernière priorité du projet de budget pour 2005.

Comme je vous l'ai dit, le lien entre les dépenses de recherche et la croissance est reconnu par tous. Dans cet esprit, l'effort fiscal en faveur de l'innovation est accru de 300 millions d'euros.

J'ai entendu dire qu'il ne serait pas du rôle de l'État de tout faire pour aider les entreprises à développer la recherche.

M. Pierre Cohen. Nous n'avons jamais dit cela !

M. le ministre délégué à la recherche. En vérité, il ne sert à rien d'opposer les différents types de recherche, notamment la recherche publique et la recherche privée. Nous devons nous efforcer de tirer bénéfice de tous les investissements de recherche, qu'ils soient réalisés par le public ou par le privé.

Si l'on compare la France avec ses grands voisins, que constate-t-on ? Tandis que notre pays se caractérise par une proportion très importante de financements provenant des administrations publiques - près de 40 % des dépenses intérieures brutes de R&D contre 32 % pour l'Allemagne - cette dernière se distingue par l'importance des dépenses de R&D des entreprises. Les chiffres de l'OST font apparaître qu'en 2001 les entreprises allemandes ont dépensé plus de 33 milliards d'euros en recherche et développement, soit la totalité des dépenses de R&D en France, publiques comme privées, et, en moyenne, le double de celles de nos entreprises.

Si l'on veut atteindre l'objectif de Lisbonne, les dépenses de R&D effectuées par les entreprises françaises devraient doubler. Ce ne sera pas facile. Il n'y a pas de chemin tracé d'avance. Il ne serait pas réaliste d'estimer que l'État a fait son devoir en ayant consacré presque 1 % du PIB à la recherche, et qu'il reviendrait maintenant aux entreprises de faire le leur. Mieux vaut inspirer à ces dernières, aux petites comme aux grandes, un volontarisme qui les conduira à placer la recherche et l'innovation au centre de leur stratégie...

M. Alain Gouriou. Tout à fait !

M. le ministre délégué à la recherche. ...et à y regarder à deux fois avant d'installer des centres de recherche et de développement dans les pays dits émergents - même si la demande de transfert de technologie y est forte, comme en Chine - et avant de privilégier une attitude à court terme et parfois uniquement financière en matière de renforcement des capacités de création et d'innovation. La recherche effectuée dans les entreprises est en effet bénéfique pour l'ensemble de la société autant que pour elles-mêmes.

La société a donc tout à gagner à ce que l'État finance une partie de l'effort de R&D du secteur privé, dès lors que l'entreprise n'y trouve pas un intérêt suffisant ou tout simplement que le marché se révèle défaillant. Voilà ce que signifie le propos de Jean-Louis Beffa dans le journal Le Monde la semaine dernière, selon lequel « la connaissance est un bien public, même partiel ou imparfait ».

Dans cette perspective, le crédit d'impôt recherche progresse de 235 millions d'euros. Je souhaite poursuivre le travail d'amélioration et de clarification - comme le suggérait Pierre Lasbordes - entrepris à cet égard, de façon à dynamiser l'effort de recherche des entreprises, y compris dans les secteurs où il est insuffisant. Sans ce dispositif essentiel, nous serions moins compétitifs que nos voisins européens qui disposent tous, à l'exception de l'Allemagne, d'un instrument comparable.

La hausse de 235 millions d'euros s'explique aussi par l'élargissement, l'année dernière, du champ du crédit d'impôt recherche avec la loi sur l'innovation et la recherche. Nous en percevons aujourd'hui les retombées puisque, pour le calcul du crédit d'impôt, entrent maintenant en ligne de compte non seulement la progression mais également le stock des dépenses de recherche. En outre, de nouvelles dépenses peuvent désormais être incorporées dans le calcul, en particulier celles correspondant aux recherches que les entreprises font exécuter dans les laboratoires publics, certaines d'entre elles étant même comptabilisées pour le double. Le crédit d'impôt recherche représente donc bien un élément favorable à la recherche publique, quand bien même la dépense est, dans certains cas, effectuée par une entreprise privée.

Nous cherchons aussi, en coopération bien sûr avec le ministère des finances, à réformer le CIR pour que son effet de levier sur la recherche soit plus important, pour les grands groupes comme pour les PME, et s'applique davantage, je viens de le dire, aux dépenses de recherche confiées par les entreprises aux organismes de recherche publics, aux universités et aux centres techniques exerçant une mission d'intérêt général. Le renforcement des coopérations entre recherche publique et privée sera bénéfique pour tous et facteur de croissance.

Dans ce cadre, le programme des fondations de recherche lancé en mai dernier montre bien tout ce que peut apporter cette vision partenariale de la recherche, même si la mise en œuvre de ces fondations n'est pas aussi facile que nous l'avions imaginé.

M. Pierre Cohen. Ça, c'est certain !

M. le ministre délégué à la recherche. M. Périssol nous a demandé, dans son rapport pour avis, de faire le point sur les crédits qui sont engagés au titre du compte d'affectation spéciale des fondations de recherche. À ce jour, onze fondations ont déposé leurs statuts au ministère de l'intérieur. L'engagement de la part des entreprises s'élève à 46 millions d'euros. L'État est engagé également pour 46 millions d'euros, sur un crédit d'ensemble de 150 millions d'euros. Le reliquat du CAS - qui ne sera pas de 104  millions d'euros parce que 40 millions d'euros ont été consacrés à l'opération « véhicules propres » - sera agrégé au fonds destiné à la Fondation nationale de la recherche.

Les fondations de recherche touchent à peu près tous les secteurs, aussi bien les maladies cardio-vasculaires, les maladies du cerveau, l'aéronautique, l'espace, que l'alimentation... La liste est assez spécialisée, de façon à pouvoir organiser des tours de table intéressants. La fondation « Cœur et artères » par exemple regroupe à la fois des fabricants de fromages et de pommes frites, des représentants des grandes surfaces qui vendent ces produits et évidemment des médecins qui soignent les consommateurs qui auraient un peu de cholestérol à cause de ces mêmes produits. Il nous a paru intelligent de mobiliser l'ensemble de la filière, notamment les grandes surfaces qui sont concernées au premier chef par rapport à leur clientèle.

Le deuxième volet concerne la mise en place des pôles de compétitivité, à laquelle nous contribuons pour 35 millions d'euros. Les entreprises participant à un projet de recherche et développement dans un des pôles de compétitivité labellisés bénéficieront en effet d'exonérations d'impôt sur les bénéfices, de taxe professionnelle et de taxe foncière sur les propriétés bâties, avec l'accord des collectivités locales concernées évidemment, ainsi que d'allégements de cotisations sociales patronales. Ces derniers seront de 50 % pour les PME et de 25 % pour les autres.

Le troisième volet est constitué des mesures ciblées de soutien à l'innovation. La création d'un nouveau contrat d'épargne d'assurance vie plus orienté vers l'innovation, c'est-à-dire finançant davantage le capital amorçage - là où nous avons le principal manque avec le deuxième tour de table sur les créations d'entreprise - traduit la volonté de consacrer plus d'épargne au financement de projets innovants. Je me félicite de l'engagement pris par les assureurs d'accroître leur contribution de 6 milliards sur trois ans. Il faudra évidemment s'assurer que cet argent finance bien de la vraie innovation, si possible adossée à de la recherche, et pas simplement de nouvelles entreprises.

Par ailleurs, le budget pour 2005 améliore le régime des FCPI, en portant de 500 à 2 000 salariés le seuil de l'effectif des sociétés éligibles au quota d'investissement de 60 % et en permettant aux FCPI de financer, sous certaines conditions, les sociétés innovantes par l'intermédiaire de holdings.

Je voudrais aussi dire quelques mots du dispositif en faveur des jeunes entreprises innovantes mis en place au 1er janvier de cette année. Les données dont nous disposons pour le premier semestre 2004 sont très encourageantes puisque déjà 500 entreprises ont bénéficié, au total, de 13 millions d'euros d'exonérations de charges sociales, ce qui a concerné plus de 5 500 personnels de recherche. Nous sommes à peu près certains que le dispositif montera en puissance au second semestre et en 2005.

Enfin, vous avez souhaité que la commande publique s'oriente davantage vers l'innovation. Il n'y certes pas encore de mesures dans ce domaine mais je pense que la loi d'orientation et de programmation devrait permettre d'appliquer en France, au moins partiellement, un dispositif inspiré du système américain de la Small Business Administration.

Au-delà du milliard d'euros supplémentaire qu'il mobilise en faveur de la recherche, ce budget est un gage donné à la communauté scientifique : l'évolution nécessaire de notre système de recherche et d'innovation sera accompagnée par un accroissement des moyens.

Ce budget pour 2005 n'est en effet qu'une étape. La prochaine, plus importante encore, ce sera la loi d'orientation et de programmation pour la recherche qui sera soumise au Parlement au deuxième trimestre 2005.

Tous les intervenants se sont interrogés sur les principales orientations de cette loi, qui sera déterminante pour l'avenir de la recherche et même de la science française. La gouvernance y sera bien entendu évoquée. Comment organiser le débat sur la recherche pour faire surgir des priorités ? Quelle sera la place des pouvoirs publics, du politique par rapport aux scientifiques ? Quel système choisir ?

Plusieurs options sont possibles. Aujourd'hui, rien n'est encore arrêté, mais notre réflexion devrait déboucher rapidement sur des propositions car nous pouvons nous appuyer notamment sur les travaux des états généraux de la recherche, sur les conclusions du rapport du comité d'initiative et de proposition qui nous sera remis, à François Fillon et à moi-même, le 9 novembre. En réalité, les sources sont très nombreuses car beaucoup de gens se passionnent pour l'évolution de la recherche. Bien entendu, les parlementaires, que ce soit à travers l'Office parlementaire, les missions ou les commissions, apporteront, eux aussi, leur contribution à la construction même de cette loi.

M. Jean-Yves Le Déaut. Très bien !

M. le ministre délégué à la recherche. Car si les têtes de chapitre sont presque évidentes, il faut donner de la chair à ce projet, sur la gouvernance, sur les liens entre les établissements de recherche et l'Université, sur la question cruciale et difficile de l'évaluation, évoquée par Claude Birraux, sans omettre bien sûr la rénovation de l'emploi scientifique, avec de nouvelles formules proposées aux doctorants, aux post-docs, comme celle de chercheur associé qui a été proposée par le CIP et qui paraît intéressante.

Les chercheurs l'ont bien compris : la préparation de cette loi offre l'occasion de dynamiser et de moderniser notre système de recherche et d'innovation. C'est une chance qui doit être saisie, mais nous avons besoin de tous les acteurs pour réussir.

Ce budget pour 2005 constitue une bonne base financière pour engager la discussion sur la future loi d'orientation et de programmation. Inscrit dans une trajectoire budgétaire de moyen terme, il permettra, en incorporant des ingrédients d'expérimentation, en prenant davantage en compte la dimension européenne, d'élaborer un système encore plus performant de recherche, d'innovation et de développement à travers un pacte rassemblant les chercheurs et la nation, pour renouer avec cette grande histoire commune qui a été celle du développement et du progrès de la science en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Nous en arrivons aux questions.

Nous commençons par deux questions du groupe socialiste.

La parole est à M. Michel Charzat.

M. Michel Charzat. Monsieur le ministre, l'Europe investit 40 % de moins que les États-Unis dans la recherche. Cet écart s'explique, pour l'essentiel, par la faiblesse de l'investissement du secteur privé européen. Comme vous l'avez rappelé, le Conseil de Barcelone de mars 2002 a fixé comme objectif de consacrer 3 % du PIB de l'Union à la recherche d'ici à 2010, dont deux tiers devraient être financés par les entreprises privées.

La France consacre actuellement 2,2 % de son PIB à la recherche et au développement technologique, ce qui la place dans la moyenne des pays de l'OCDE. Concernant le secteur privé, notre pays est en retrait, très loin derrière le Japon, les États-Unis, l'Allemagne, mais également derrière la Suède, les Pays-Bas ou la Suisse. Les entreprises françaises sont les dernières de l'Union européenne en matière d'investissement dans la recherche, leur effort dépassant à peine 1,2 % du PIB national.

Le projet de loi de finances pour 2005 ne permet pas de tendre vers l'objectif fixé à Barcelone. D'abord, parce que le milliard supplémentaire annoncé n'est qu'un trompe-l'œil, dont les chercheurs n'ont pas été dupes : il comble à peine, contrairement à vos allégations, monsieur le ministre, les déficits accumulés au cours des années précédentes. Ensuite, parce que la prévision de 300 millions d'euros d'allégements fiscaux et sociaux supplémentaires risque de se faire au détriment du soutien à la recherche publique. Pourtant, la grande misère des universités françaises est alarmante alors que ces dernières devraient être au cœur de la recherche fondamentale, comme c'est le cas dans les pays anglo-saxons.

Le Gouvernement voudrait, à travers ce budget, vous l'avez rappelé, favoriser les structures de recherche privées en faisant le pari de l'acceptation d'une flexibilité accrue du monde de la recherche. L'accent est mis sur les dispositifs comme la jeune entreprise innovante, le crédit d'impôt recherche ou le développement des fondations, mais les moyens effectifs du développement du partenariat public-privé ne sont pas approfondis. On peut ainsi s'interroger sur le statut des chercheurs, dans le public et dans le privé, sur les éventuelles passerelles entre les deux secteurs, mais aussi sur les recrutements dans les universités et dans les institutions scientifiques.

Monsieur le ministre, le risque n'est-il pas de vouloir faire porter à l'avenir l'effort en faveur de la recherche essentiellement, voire exclusivement sur des instruments de nature privée ? Cette orientation n'est-elle pas porteuse d'une paupérisation de la recherche fondamentale ? Derrière le discours, le modèle que vous privilégiez n'est-il pas le modèle libéral, en rupture avec l'histoire et la spécificité des organismes de recherche français, au risque de bloquer les évolutions et réformes souhaitables et de provoquer de nouvelles crispations et de nouveaux blocages ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la recherche.

M. le ministre délégué à la recherche. Monsieur le député, j'ai un peu de mal à vous comprendre : d'un côté, vous déplorez l'insuffisance de l'investissement des entreprises en faveur de la recherche ; de l'autre, vous craignez que l'effort consenti pour l'améliorer ne se fasse au détriment de la recherche publique. Il faut savoir ce que vous voulez.

Partout, en France aussi, la recherche marche sur deux pieds. La répartition - un tiers pour la recherche publique, deux tiers pour la recherche privée - est quasi unanimement admise au niveau européen. C'est celle qui a été entérinée à Lisbonne et à Barcelone. Doit-elle pour autant être complètement normative ?...

En outre, exprimer les dépenses de recherche en pourcentage du PIB a quelque chose d'artificiel. Prenons l'exemple de la Finlande. Ce pays consacre 3,5 % du PIB à la recherche ; un tiers vient du public, un tiers est financé par les entreprises, le troisième tiers provient de Nokia. Si Nokia délocalisait sa recherche en Chine, je ne le souhaite pas mais cela peut arriver, je ne pense pas que le taux resterait à 3,5 %.

L'important, c'est de disposer de masses critiques dans les entreprises. À cet égard, il peut être inquiétant de voir certains grands groupes industriels français ne pas mettre la recherche et l'innovation au cœur de leur stratégie, comme on l'a constaté dans le domaine des télécommunications. Aujourd'hui, France Télécom relance activement sa politique de recherche, heureusement, mais le pourcentage des dépenses de recherche par rapport au chiffre d'affaires avait considérablement diminué, en particulier entre 1998 et 2002. Et il n'y a pas que les télécommunications.

M. Pierre Cohen. Nous avons commis, c'est vrai, une erreur avec la privatisation. Mais vous êtes en train de faire la même chose avec EDF.

M. le ministre délégué à la recherche. Non, EDF consacre 400 millions d'euros à la recherche.

M. Pierre Cohen. On vous aura prévenus !

M. le ministre délégué à la recherche. En outre, il est écrit dans la loi, et c'est une bonne chose,...

M. Pierre Cohen. Quelle loi ? La loi d'orientation n'est même pas encore passée !

M. le ministre délégué à la recherche. ...dans la loi, dis-je, qu'EDF devra maintenir son effort de recherche et de développement non seulement sur l'électricité, mais également sur les énergies renouvelables.

Monsieur Charzat, les mesures que nous proposons visent à la fois à développer l'esprit de recherche dans les entreprises et à créer des entreprises de recherche. Ne prétendez pas que c'est un modèle libéral ! Si mes amis libéraux m'entendaient, ils diraient que c'est quasiment du néo-colbertisme...

M. Alain Gouriou. N'exagérons rien !

M. le ministre délégué à la recherche.... que d'expliquer qu'il faut peut-être envisager de la commande publique pour favoriser les nouvelles entreprises émergentes ou innovantes, qu'il faut prévoir des boosters fiscaux à peu près à toutes les étapes du capital risque, qu'il faut réserver telle ou telle part d'argent public à tel ou tel domaine de recherche. Très franchement, c'est plutôt du volontarisme ; ce n'est pas un modèle hyper- libéral. D'ailleurs, il n'y a pas de modèle hyperlibéral dans ce domaine. Il suffit de voir ce qui se passe aux États-Unis. Aucun pays n'est plus interventionniste en matière de recherche et d'innovation.

M. Alain Gouriou. C'est vrai !

M. le ministre délégué à la recherche. Nous menons une politique d'ensemble pour favoriser le développement de la recherche dans les entreprises et nous souhaitons une plus grande mobilité entre le secteur public et le secteur privé.

C'est l'objet des pôles de compétitivité, auxquels M. Christian Blanc a consacré un rapport remarquable. Il s'agit de réaliser l'osmose entre les établissements publics de recherche et les universités, et de dégager des moyens dont la mutualisation permette de développer des entreprises de haute technologie, que ce soit dans les biotechnologies, dans l'optique si l'on est dans l'Optic Valley en région parisienne, dans les télécommunications ou dans le logiciel.

Reste à développer l'esprit de risque dans le secteur financier, et là on peut avoir quelques craintes. Il est vrai qu'après des années de socialisme, le goût du risque s'est émoussé en France ! Nous devons retrouver un esprit d'impulsion et d'innovation dans ce domaine. Je suis un peu triste quand je vois les FCPI commencer par prendre des frais de gestion de 4 % et dire ensuite qu'il n'y a pas de projets à financer alors qu'ils sont nombreux émanant des centres de recherche, des universités ou de personnes ayant envie d'exploiter une bonne idée ou un bon brevet.

Notre volonté, monsieur Charzat, est d'aider à la fois la recherche publique et la recherche privée, de développer les passerelles et de faire en sorte qu'une partie de la recherche financée par le privé se fasse dans les laboratoires publics, car ils en ont la capacité et le talent.

M. Daniel Garrigue. Il n'y a pas un chercheur, aujourd'hui, qui raisonne comme M. Charzat ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Gouriou.

M. Alain Gouriou. Monsieur le ministre, ma question concerne la situation de la recherche publique dans le secteur des télécommunications et dans celui des technologies de l'information et de la communication.

La recherche en matière de télécommunications est aujourd'hui essentiellement assurée par France Télécom, qui n'est plus une entreprise publique. Il faut reconnaître l'effort considérable qu'elle a réalisé depuis deux ans ; les autres grandes entreprises, opérateurs et équipementiers, contribuent dans une moindre mesure aux travaux de recherche.

Soulignons au passage que, dans un groupe comme Alcatel, les effectifs de R & D travaillant en France ne représentent plus que 27 % du total des chercheurs. Les pays à bas coût de main-d'œuvre européens et asiatiques représentent 20 % de ces effectifs. Au regard de sa R & D on ne peut plus dire qu'Alcatel soit un groupe français.

Depuis la disparition du CNET - Centre national d'étude des télécommunications - la recherche fondamentale et publique apparaît de plus en plus dispersée dans les laboratoires des universités, des grandes écoles, de quelques instituts tels l'INRIA ou L'IRISA. Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous éclairiez sur deux points très précis.

D'abord, le Réseau national de recherche en télécommunications - RNRT - , issu du rapport Lombard et qui a vu le jour en 1998 , joue un rôle intéressant en matière d'aide aux projets innovants : technologies optiques, architecture des réseaux, génie logiciel pour les télécommunications. Ce sont ainsi 220 projets qui ont été retenus et aidés de 1998 à 2003. L'effet de levier au niveau du financement apparaît positif. Pouvez-vous nous préciser les moyens et les orientations du RNRT pour 2005, car ils ne sont guère lisibles dans votre budget ?

Ensuite, dans le contexte de crise prolongée des secteurs des télécoms et des TIC, le CIADT du 18 décembre 2003 a reconnu la Bretagne comme pôle de compétitivité en technologies de l'information et de la communication, ajoutant : « L'occasion doit être saisie pour la Bretagne de renforcer sa vocation de pôle de compétitivité européen et d'anticiper les systèmes du futur. »

Le CIADT proposait ainsi la création d'un centre commun de recherche, mutualisant les moyens financiers et humains. Par ailleurs, cinq filières bretonnes en TIC étaient déclarées prioritaires : transmission, optique, haut débit ; techniques radio ; télécoms images et médias ; réseau internet ; sécurité des systèmes d'information.

Le CIADT a aussi proposé la création d'un laboratoire régional des sciences de l'ingénieur au service du handicap et celle d'un laboratoire de recherche fondamentale liée aux systèmes des transports intelligents.

Monsieur le ministre, les acteurs économiques des bassins d'emploi de Rennes, Brest, Lannion et Laval attendent la traduction concrète de ces annonces du CIADT de décembre 2003, confirmées en juillet 2004 par Mme la préfète de région. Quels sont les moyens financiers et humains envisagés pour ce centre commun de recherche en télécommunications ? Quels seront, dans un proche avenir, les rapports entre le RNRT et le centre commun de recherche en télécommunications ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à la recherche. Monsieur le député, le RNRT, qui est l'un des quatre réseaux concernant les STIC et qui a connu quelques problèmes de financement au cours des dernières années, va retrouver son activité en 2005. L'agence va reprendre, en les réorganisant, les réseaux existants, qui disposeront ainsi de moyens accrus.

Vous avez évoqué la question bretonne, en l'élargissant à la Mayenne, ce dont je vous remercie. (Sourires.)La Bretagne a un passé très riche dans le domaine des télécommunications et il aurait été dommage de ne pas penser à elle pour la création d'un centre commun, au sein d'un pôle de compétitivité qui pourra se déployer sur plusieurs villes ayant une tradition en matière de télécommunications : Brest, Lannion, Rennes, Laval et quelques autres. Le Gouvernement est en train d'élaborer le cahier des charges. Un appel à projets sera lancé début 2005 et les premiers sites de ce pôle de compétitivité seront définis au cours du premier semestre 2005.

Les sciences et technologies de l'information et de la communication sont pour nous une priorité. Je suis le premier à déplorer que les grandes entreprises ne soient pas toujours à la hauteur en matière d'investissements et que certaines, notamment Alcatel, aient une fâcheuse tendance à délocaliser leur recherche-développement. Certaines comparaisons sont cruelles. Telle entreprise de télécommunications française ne délocalise pas, ou beaucoup moins, et tient une place dominante sur le marché français parce qu'elle a mis l'innovation et la recherche au centre de ses préoccupations ; telle autre - Alcatel pour ne pas la nommer - fait exactement l'inverse, affiche toujours des chiffres honorables par rapport au chiffre d'affaires, mais celui-ci a été divisé par deux en quelques années et les trois quarts de sa recherche se font à Shanghai.

Nous devons inciter fortement les entreprises de télécommunications à investir dans la recherche. Les opérateurs de téléphonie mobile sont soumis à une autorité régulatrice qui peut leur imposer des obligations en échange de négociations sur les tarifs ou sur tel ou tel avantage. Les nouveaux opérateurs, de mobiles en particulier, n'investissent absolument pas dans la recherche en France. Ils achètent les technologies sur étagère à l'étranger. L'arrivée de l'UMTS devrait inciter nos entreprises à faire de la recherche, sinon d'autres pays vont prendre des positions dominantes dans ce secteur.

M. le président. Nous concluons par une question du groupe des député-e-s communistes et républicains.

La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le ministre, les états généraux de la recherche scientifique viennent de s'achever. Force est de constater que votre projet de budget pour 2005 ne traduit pas, sur le plan financier, les ambitions de vos déclarations. Nous n'y trouvons pas trace du « nouveau pacte entre la recherche et la nation, entre les chercheurs et la société » que vous aviez annoncé.

Non seulement votre proposition budgétaire, malgré son effet d'annonce, ne permet pas d'avancer dans le sens de l'objectif européen pour 2010 visant à consacrer 3 % de la richesse nationale à la recherche, mais les lignes budgétaires concernant la lutte contre la précarisation des trajectoires professionnelles des chercheurs, des ingénieurs, techniciens et administratifs des laboratoires de recherche ne comportent aucune mesure forte.

Pourtant, le travail précaire est devenu la norme d'emploi dans les laboratoires privés et tend à se généraliser dans le public. Aujourd'hui, sur 10 000 docteurs formés, seulement 3 000 intègrent un établissement public et technique de recherche. Les autres abandonnent ou entrent dans un cycle de précarisation préjudiciable à leur carrière, à leur recherche et donc au bénéfice que pourrait en tirer le pays.

Votre projet de budget pour 2005 annonce la création de 2 400 postes d'enseignants et de chercheurs, mais cela ne correspond pas à la réalité. En effet, il ne prévoit en vérité que 150 emplois nouveaux d'enseignants-chercheurs. Les 2 250 autres postes ne sont que des reports des postes prévus en 2004 :

1 000 postes que vous avez promis au lendemain du mouvement des chercheurs, dont 237 ne sont toujours pas pourvus ;

550 postes résultant du reclassement des emplois déclassés en 2003 par votre prédécesseur ;

750 emplois de recherche destinés aux établissements publics à caractère scientifique et technique, financés non par le budget de l'État, mais sur les fonds propres des établissements recruteurs, ce qui relativise singulièrement l'effort de l'État, objectivement et au regard de ses promesses.

Ce n'est pas tout. Si, dans le budget pour 2005, vous ne créez aucun poste statutaire de chercheur pour les établissements publics à caractère scientifique et technique, vous leur offrez les moyens de financer 200 CDD supplémentaires. Bel effort en faveur de la précarisation ! Mais tel n'était pas l'objectif que nous nous étions fixé.

Ainsi, non seulement vous ne vous attachez pas à faire reculer la précarité des acteurs de la recherche, mais vous l'encouragez, tout particulièrement dans le secteur public. Les chercheurs seront certainement intéressés d'apprendre la manière dont vous envisagez de répondre à leurs attentes, dont ils ont pris soin de nous faire part. Est-ce ainsi que vous envisagez de donner suite à leur demande d'un « plan pluriannuel de l'emploi scientifique présent dès le budget pour 2005 » et à leur exigence d'une « forte augmentation des moyens de la recherche » ? Le budget qui nous est présenté ne donne pas l'impression qu'ils aient été entendus.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à la recherche. Vous me posez en fait plusieurs questions, madame Fraysse.

La première porte sur l'augmentation des moyens. Les deux tiers du milliard supplémentaire sont consacrés à la recherche publique. Il est donc faux de dire que ses moyens n'augmentent pas. De temps en temps, il faut tout de même rétablir la vérité !

Mme Jacqueline Fraysse. Ce n'est pas tout à fait ce que j'avais dit !

M. le ministre délégué à la recherche. En ce qui concerne la précarité, vous n'êtes pas loin du contresens. Il est vrai que nous prévoyons la création de 200 postes d'accueil. Mais il faut savoir qu'un établissement de recherche ou une université doivent pouvoir accueillir pendant deux ou trois ans des chercheurs ou des enseignants-chercheurs, jeunes ou confirmés, qui viennent parfois de l'étranger. D'où ces postes d'accueil. Quant au tarif proposé, il s'élève à 60 000 euros par an. À ce prix-là, peut-on réellement parler de précarité ? Comprenez-le bien : ce que nous voulons, c'est apporter une certaine souplesse à la gestion des établissements. Ils en sont eux-mêmes demandeurs, tout comme les organisations syndicales, qui savent qu'il existe un réel besoin de postes de ce type. Il n'y a donc pas lieu de faire de la démagogie sur ce thème.

Mme Jacqueline Fraysse. Je ne crois pas en avoir fait !

M. le ministre délégué à la recherche. Par ce budget, nous nous sommes engagés, même s'il n'y a pas d'augmentation de l'emploi statutaire, à remplacer chaque poste rendu vacant par un départ. Si ces postes sont attribués à quelqu'un de plus jeune, c'est heureux, car la moyenne d'âge des chercheurs français est supérieure à celle des autres pays. Les organismes de recherche vont subir une cure de jouvence puisque, du fait de la pyramide des âges, de nombreux départs en retraite sont prévus. Or si, l'an dernier, des emplois statutaires étaient remplacés par des emplois contractuels, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Ainsi, le remplacement des départs permettra un taux de renouvellement du personnel des laboratoires de plus de 4 %. C'est un bon chiffre, comparable à celui qu'on trouve dans tous les pays dont le système de recherche et d'innovation est performant.

M. le président. Nous avons terminé les questions.

ÉDUCATION NATIONALE,
ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET RECHERCHE

III. - RECHERCHE

M. le président. J'appelle les crédits inscrits à la ligne : « Éducation nationale, enseignement supérieur et recherche : III.- Recherche. »

Je mets aux voix les crédits inscrits au titre III.

(Les crédits du titre III sont adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix les crédits inscrits au titre IV.

(Les crédits du titre IV sont adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre V.

(Les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre V sont adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre VI.

(Les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre VI sont adoptés.)

M. le président. Nous avons terminé l'examen des crédits du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche concernant la recherche.

La suite de la discussion budgétaire est renvoyée à la prochaine séance.

    2

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2005, n° 1800 :

Rapport, n° 1863, de M. Gilles Carrez, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan ;

Écologie et développement durable :

Rapport spécial, n° 1863 annexe XV, de M. Philippe Rouault, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan ;

Avis, n° 1865 tome V, de M. Christophe Priou, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire ;

Avis, n° 1866 tome V, de M. Jean-Jacques Guillet, au nom de la commission des affaires étrangères.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot