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Troisième séance du lundi 15 novembre 2004

55e séance de la session ordinaire 2004-2005


PRÉSIDENCE DE M. YVES BUR,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

    1

LOI DE FINANCES POUR 2005

DEUXIÈME PARTIE

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2005 (nos 1800, 1863).

AFFAIRES ÉTRANGÈRES (suite)

M. le président. Nous poursuivons l'examen des crédits du ministère des affaires étrangères.

Cet après-midi, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits.

La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Monsieur le ministre des affaires étrangères, monsieur le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie, mes chers collègues, les rapporteurs et les orateurs qui sont déjà intervenus dans ce débat ont souligné à juste titre certains des traits de ce budget : l'augmentation des crédits ; l'évolution des moyens humains d'un ministère très sollicité, dans un monde difficile ; l'effort considérable entrepris pour relever l'aide publique au développement - près de 0,5 % du PIB, contre 0,32 % dans la période précédente, malgré de nombreux discours.

L'examen du budget des affaires étrangères est aussi l'occasion d'évoquer l'action internationale de la France. J'en examinerai deux aspects : l'action de notre pays lors des crises internationales et la place de notre politique étrangère dans le cadre de la future Constitution européenne.

En Irak, la situation est malheureusement celle que nous redoutions. Nous sommes restés fermes dans notre engagement de ne pas participer militairement au conflit. Toutefois, nous avons pris une part active à la recherche de solutions tant dans le cadre des Nations unies qu'en proposant la tenue d'une conférence internationale. Cette conférence se tiendra très prochainement à Charm-el-Cheikh. Correspondra-t-elle vraiment à nos attentes ? Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous apportiez quelques informations à ce propos. En particulier, quel sera le nombre des participants ? La questions des forces internationales y sera-t-elle évoquée ?

Les récents événements, dont la disparition du président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, ont montré la continuité de nos liens avec le peuple palestinien et la force de l'engagement de notre pays dans cette région. Mais les questions en suspens se posent aujourd'hui avec d'autant plus de force.

Quelle est la portée exacte du retrait israélien de la bande de Gaza ? Une telle initiative restera-t-elle un acte unilatéral ? S'intégrera-t-elle dans un processus plus large incluant notamment la Cisjordanie et la question du mur ?

Dans quel délai auront lieu les élections palestiniennes, élections générales normalement prévues d'ici à la fin de cette année et qui deviennent d'autant plus urgentes si l'on souhaite que le président de l'Autorité palestinienne soit reconnu à la fois sur la scène internationale et auprès de l'ensemble des Palestiniens eux-mêmes ? À ce propos, je m'associe au vœu formulé tout à l'heure par notre collègue Jean-Claude Lefort de voir la France et, au-delà, l'Union européenne, agir pour que ces élections soient organisées dans les délais les plus rapides. Le Parlement français lui-même, si les Palestiniens le souhaitent, pourrait être associé à leur bon déroulement.

Enfin, quel est l'avenir de la « feuille de route » ? Celle-ci doit-elle rester une simple esquisse ou devenir une véritable partition, assortie d'une méthode et d'un calendrier ?

La politique de la France en Côte d'Ivoire, ce n'est ni le laisser aller, ni les palabres. Notre pays se trouve, il est vrai, en première ligne dans ce conflit. Mais la raison en est très simple : c'est la France qui, depuis plus de quarante ans, a été le principal élément de stabilité dans cette région du monde. Cela dit, nous ne prétendons pas agir seuls et nous ne sommes pas isolés. Après la mort de nos soldats, nous avons réagi avec fermeté, mais avec le soutien de la communauté internationale. Notre souci est tout à la fois de faire en sorte que les belligérants acceptent de discuter ensemble et que nos partenaires africains, et au-delà nos partenaires internationaux, assument leurs responsabilités. C'est d'ailleurs l'objet des débats qui ont lieu ce soir aux Nations unies.

Je voudrais maintenant évoquer la place de notre politique étrangère dans la future Constitution européenne. Cette Constitution prévoit l'existence d'un ministre des affaires étrangères,...

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial pour la coopération et le développement. Le pauvre ! (Sourires .)

M. Daniel Garrigue. ...lié à la fois au Conseil et à la Commission. Mais elle prévoit aussi que la politique étrangère restera un domaine partagé entre l'Union européenne et les États qui constituent cette Union.

Certains considèrent que le futur ministre des affaires étrangères de l'Union, qui ne sera que le continuateur du haut représentant pour la politique étrangère et la sécurité commune, n'aura qu'un pouvoir très réduit et que son rôle sera d'être le plus petit dénominateur commun des politiques des différents États constituant l'Union.

D'autres estiment à l'inverse que les politiques étrangères nationales devraient s'effacer devant la perspective d'une politique étrangère européenne et que l'affirmation de telles politiques risquerait de n'être qu'un facteur de division susceptible de nuire à l'affirmation d'une politique européenne.

L'alternative serait en définitive la suivante : attendre que quelque chose finisse par émerger en Europe  ou prendre le risque de continuer à pratiquer des politiques nationales, quitte à empêcher toute politique européenne de s'affirmer.

Je ne pense pas, monsieur le ministre, que l'alternative retenue soit celle-là. Sans préjuger ce que sera le rôle du futur ministre des affaires étrangères de l'Europe, gageons seulement que le lien qu'il aura avec le futur Président de l'Union européenne assurera à cette dernière le minimum de continuité politique nécessaire à toute action internationale qui lui a manqué jusqu'à présent. C'est ainsi que le spectre des dissensions pourra être écarté. S'il y a eu des divisions, notamment dans la période récente, elles se sont rapidement dissipées, démentant ce que certains pensaient hors d'Europe. La vraie question pour nous est de voir dans quelle mesure les politiques nationales peuvent contribuer à l'émergence d'une véritable politique étrangère européenne. Celle que mène aujourd'hui la France me semble s'inscrire dans cette perspective commune d'une Europe solidaire : solidaire à l'égard des dix nouveaux États membres, solidaire également à l'égard de cette partie du continent qui n'a pas encore rejoint l'Union et où la paix reste fragile, comme la Bosnie et le Kosovo. Cette Europe plus solidaire pourra défendre des positions communes en matière de protection de l'environnement, de lutte contre la famine, la maladie ou la pauvreté, priorités que vous avez d'ailleurs affirmées, monsieur le ministre, devant la dernière assemblée générale des Nations unies.

L'Europe se veut donc plus ouverte. La question demeure toutefois de la définition d'un espace européen correspondant réellement à l'idée qu'en ont les Européens eux-mêmes. C'est pourquoi l'Europe doit maintenir le dialogue avec ses partenaires les plus proches : la Turquie et les pays de l'Est, en particulier la Russie. À cet égard, pourriez-vous nous expliquer pourquoi le dialogue sur les plates-formes communes avec la Russie est aujourd'hui bloqué, bien que la France et l'Allemagne aient cherché à le faire progresser ? Le dialogue avec les pays de la Méditerranée doit aussi s'amplifier. À ce propos, on ne peut que se féliciter de l'impact considérable qu'a eu le voyage du Président de la République en Algérie.

Le Gouvernement défend également l'idée d'un renouvellement du dialogue avec les États-Unis. Nous le souhaitons, certes, mais nous ne pouvons l'accepter que dans le cadre d'un rééquilibrage des relations transatlantiques. Dans ce domaine, il est vrai, beaucoup dépend de nous-mêmes, de notre capacité à bâtir une défense européenne, à relancer notre effort de recherche pour combler l'écart qui continue de se creuser entre l'Europe et les États-Unis. En la matière, le futur budget européen aura une importance considérable.

Enfin, si nous voulons bâtir une politique européenne commune, nous devons être capables de prendre sur les grandes crises, du Proche-Orient et du Moyen-Orient, par exemple, des positions communes et des initiatives renouvelées. Notre politique étrangère en Europe doit avoir un rôle, certes, d'influence, mais aussi d'initiatives conformes à notre histoire et à notre ambition pour la construction européenne. C'est dans cet esprit que le groupe UMP vous apportera son soutien et adoptera les crédits de votre ministère. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial. Vous n'êtes pas Talleyrand, loin s'en faut !

M. le président. La parole est à Mme Danielle Bousquet.

Mme Danielle Bousquet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'effort consenti par la France en direction des pays du Sud est-il à la hauteur de nos engagements et des enjeux ? Certes, le Président de la République a affirmé aux Nations unies ses convictions sur les conséquences de la fracture sociale mondiale et a proposé une idée généreuse, aux incidences financières non négligeables, avec la création d'un fonds destiné à combattre la faim dans le monde. Mais, pour fonctionner, ce fonds doit être alimenté de façon convenable et dans des délais raisonnables, d'abord par la France qui en a pris l'initiative, puis par les autres pays riches.

La parole de la France est engagée en faveur d'une noble cause que nous soutenons : l'aide au développement. Les besoins sont immenses et l'attente des peuples est à la mesure de ces besoins. La représentation nationale doit veiller à ce que les promesses faites soient respectées. Mais le budget qui nous est proposé est-il en cohérence avec les propos tenus au mois de septembre à New York par le chef de l'État ? Le ministre délégué à la coopération et au développement nous assure que tel est bien le cas, affichant avec satisfaction une augmentation de 7,14 %. Est-ce une augmentation sincère ? Que recouvrent vraiment les chiffres ? Quelle est la nature de l'aide et de la coopération que la France apporte aux nations en développement ? Cette aide contribue-t-elle aux objectifs du Millénaire pour le développement ? Sur toutes ces questions, la perplexité est grande au sein du groupe socialiste, et même au-delà, puisque certains rapporteurs s'en sont fait l'écho.

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Vous voulez parler des rapporteurs socialistes ?

Mme Danielle Bousquet. Que le monde global soit porteur de contradictions, d'écrasantes inégalités et donc de frustrations, nous en sommes convaincus. Que davantage de dialogue entre pays riches et pays pauvres soit nécessaire pour ouvrir la voie à des compromis générateurs de développement, c'est une évidence. Que cette prise de conscience passe par la création de nouveaux outils d'aide internationale, tel le fonds dont le Président de la République s'est fait le chantre, pourquoi pas ? Mais à condition de ne pas jouer les illusionnistes.

M. Jacques Myard. Vous êtes des experts !

Mme Danielle Bousquet. En s'en tenant à des annonces de tribune, la France risquerait de compromettre sa crédibilité.

M. Serge Blisko. Eh oui !

Mme Danielle Bousquet. Chacun ici se souvient du discours du Président sur la «fracture sociale » en 1995 et de sa concrétisation calamiteuse. Il était pourtant généreux sur le papier. Le 17 octobre dernier, Journée mondiale contre la misère, un journal national titrait : « La France sur la mauvaise pente ». La fracture sociale mondiale, que nul ne songe à nier, appelle des remèdes énergiques, collectifs et concertés. De nombreuses institutions ont été créées à cet effet par les Nations unies ou par l'Union européenne. On peut critiquer leur action, leur fonctionnement, mais alors il faut le dire clairement et expliquer publiquement pourquoi. En aucun cas, on ne peut, comme le fait la France, se désengager en catimini et, dans le même temps, se faire l'apôtre d'une taxe mondiale virtuelle. Pourquoi donc la France s'est-elle désengagée du PNUD, le programme des Nations unies pour le développement,...

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis. Nous donnons autant que vous aviez donné !

Mme Danielle Bousquet. ...organisation au cœur de toutes les actions internationales menées en faveur du développement, alors que d'autres pays, comme la Grande-Bretagne, ont, année après année, accru leurs apports volontaires et par là même aussi leur influence ?

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis. Quel culot !

Mme Danielle Bousquet. Dix ans après la conférence internationale du Caire sur la population et le développement, l'année 2005 sera celle du bilan. Le programme d'action qui y avait été adopté souligne les relations étroites entre population et développement, et les effets de renforcement mutuel des interventions dans ces deux domaines. La réalisation des objectifs de la conférence du Caire est essentielle pour atteindre ceux du Millénaire pour le développement, qui visent à réduire la pauvreté, la faim, la maladie et l'inégalité des sexes d'ici à 2015. Au Caire, la France s'était engagée à affecter une part progressive de son aide au développement aux programmes de population et de santé génésique : les besoins de financement dans ce domaine sont estimés à 10 % de l'aide totale apportée au développement. L'opacité des chiffres du budget ne nous permet pas de déterminer si nous avons tenu notre parole. Êtes-vous en mesure, monsieur le ministre, de le démontrer ? Le groupe socialiste ne le pense pas et n'apprécie pas le spectacle que les responsables français donnent à voir, qui recommandent, conseillent, proposent, cependant que la France met de moins en moins la main à la poche.

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis. Appuyez vos propos sur des chiffres concrets !

Mme Danielle Bousquet. Les populations des pays du Sud ne seront pas indéfiniment dupes des mirages verbaux de la France !

Le budget que vous nous proposez est le reflet de ce théâtre d'ombres international dans lequel la France s'enferme dangereusement : il s'affiche complaisant, il est en réalité creux.

M. Jacques Myard. Comme le sont vos propos, madame !

Mme Danielle Bousquet. Cela se sait et se dit bien au-delà de l'hexagone.

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis. D'où sortez-vous ? De la lune !

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial. Notre collègue est issue du suffrage universel ! Un peu de courtoisie !

Mme Danielle Bousquet. Ce budget serait, dit-on, en augmentation. Soit. Mais quelle priorité illustre-t-il quand les dépenses d'armement dans le budget de la défense sont six fois supérieures à l'aide au développement ? On peine à distinguer les augmentations effectives des simples transferts et l'on peut craindre que les 7,14 % de croissance de l'APD du ministère ne relèvent que de quelques jeux d'écriture. Qui plus est, certains chiffres, comme l'augmentation des crédits accordés à l'OFPRA, sont présentés comme des apports APD. Si nous approuvons cette dotation supplémentaire, nous ne considérons pas l'office comme un organisme d'aide au développement.

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis. Il n'est pas classé comme tel !

Mme Danielle Bousquet. Nous sommes préoccupés davantage encore par l'évolution de l'aide à la coopération, qui tend à devenir virtuelle. Ainsi, et plusieurs orateurs l'ont souligné, l'APD française est constituée pour 30 % par des allégements de dette. L'essentiel de l'effort revendiqué ici repose sur l'abandon de créances qui, en tout état de cause, n'auraient pas été honorées, ainsi que l'indique le rapport établi par le comité d'aide au développement de l'OCDE. Qui plus est, pour financer ces annulations, le Gouvernement pioche dans les flux d'aide traditionnels, ce qui est en complète contradiction avec les engagements pris lors de la conférence de Monterrey en 2002 : en vertu du principe d'additionnalité, les pays riches continuent à aider les pays pauvres en même temps qu'ils allègent leurs dettes. Quand la France utilise son budget habituel de l'aide pour financer les annulations de dettes, elle fait payer sa générosité par les pays pauvres ! Quel est donc, dans ce budget, l'apport d'argent nouveau ? Êtes-vous en mesure d'affirmer que les crédits de désendettement transforment un euro de dette en un euro de développement ? Et s'agissant des « chèques en bois » émis par les mauvais payeurs internationaux, pouvez-vous nous assurer qu'ils ne finiront pas par être transformés en remises de dettes étiquetées « coopération » ? Les achats d'armement effectués, par exemple, par l'Irak de Saddam Hussein, ne risquent-ils pas d'être convertis en dette développement ? Je souhaite à ce propos faire au Gouvernement une proposition susceptible de recueillir le soutien des commissions permanentes concernées : afin d'apaiser les interrogations du Parlement, pourquoi ne pas inviter une délégation de députés et de sénateurs à participer comme membres de droit à la commission interministérielle des garanties ?

Par ailleurs, le reliquat de l'effort de la France en faveur des pays en développement a fait l'objet de constats préoccupants de la part d'organismes d'évaluation extérieurs. Le Centre de développement global vient de rendre publique l'évaluation à laquelle il a procédé de l'aide en fonction de son utilité pour les pays récepteurs, en utilisant un certain nombre de critères qui pondèrent son volume par des considérations qualitatives liées à l'intérêt des pays. Dans cette évaluation, la France occupe une modeste septième place, assez loin des Pays-Bas, du Danemark et de la Suède et on peut craindre que le classement de l'année prochaine ne soit encore plus sévère.

Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, le groupe socialiste ne croit pas que ce budget, en dépit des effets d'annonce dans les tribunes onusiennes, mette la France en position de contribuer avec efficacité aux objectifs du Millénaire pour le développement. En conséquence, il ne le votera pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Henriette Martinez.

Mme Henriette Martinez. Messieurs les ministres, le budget que vous nous présentez respecte la volonté du Président de la République de mener une politique de coopération internationale ambitieuse, tournée vers les besoins de base des plus défavorisés et porteuse d'un élan nécessaire pour avoir quelques chances d'atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement.

Après des années difficiles, pendant lesquelles la différence entre les autorisations de programme et les crédits de paiement avait engendré une crise aiguë des moyens disponibles, je me réjouis de voir l'évolution repartir dans le bon sens, même si, comme l'a déclaré M. Barnier lors de la conférence des ambassadeurs en août dernier, « pour l'aide publique au développement, pour les dotations allouées au Fonds européen de développement et au Fonds de solidarité prioritaire, le budget ne sera pas suffisant. » Et d'ajouter : « C'est aussi vrai pour les contributions obligatoires ou volontaires aux organisations internationales. Il faudra donc y revenir. » Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que votre budget sera revu à la hausse à l'occasion du collectif budgétaire, tout en nous assurant qu'il ne sera pas recouru à un simple redéploiement de crédits ?

Pouvez-vous également rassurer le groupe d'étude « population et développement » de notre assemblée, que je préside, quant à la réévaluation de nos contributions volontaires au Fonds des Nations unies pour la population - l'UNFPA - et au Fonds des Nations unies pour les femmes - l'UNIFEM ? Ces deux fonds ont pour vocation, au sein du système multilatéral d'aide au développement, de défendre la place et les droits des femmes et des filles. Notre groupe d'étude est particulièrement attentif à cette question, qui est au cœur de l'actualité avec la célébration, récemment, du dixième anniversaire de la conférence du Caire et celle, prochaine, de la conférence de Pékin sur les femmes, avant le sommet des chefs d'État sur la mise en œuvre des objectifs du Millénaire. En effet, aucun développement durable n'est possible sur notre planète si l'on enferme la moitié de l'humanité - les femmes et les filles - dans le seul rôle procréateur et le seul espace ménager.

M. Serge Blisko. Très juste !

Mme Henriette Martinez. En vous engageant à réévaluer de façon significative nos contributions à l'UNFPA et à l'UNIFEM, c'est ce message que vous ferez passer, monsieur le ministre, message particulièrement important à quelques jours du sommet de la francophonie, dont la plupart des États membres sont très loin d'appliquer vraiment la CEDEF, la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, bien qu'ils y aient adhéré.

Je souhaiterais plus précisément savoir ce qui est prévu cette année pour tenir les engagements pris ici même par votre prédécesseur lors du colloque anniversaire de notre partenaire « équilibre et population » en ce qui concerne la participation de la France à la campagne de l'UNFPA pour en finir avec les fistules obstétricales, cette horreur physiologique et sociale dont sont victimes les femmes du sud, ainsi que pour prolonger et amplifier le programme Sud-Sud de coopération triangulaire entre la France, la Tunisie et le Niger au profit des femmes nigériennes, qui ont le triste privilège du record mondial de fécondité.

M. Jean-Claude Lefort. Tout à fait !

Mme Henriette Martinez. Le groupe d'étude « population et développement » est particulièrement attentif au suivi de ces programmes car nous sommes bien là au cœur des problèmes, pour ce qui est de la question des femmes et de la prise en compte des besoins de base des populations.

Enfin, dans le même ordre d'idée, j'évoquerai brièvement les annulations de dettes dont mes collègues ont déjà longuement parlé et qui occupent à juste titre une place de plus en plus importante dans notre aide publique au développement : près de 30 %. Sommes-nous sûrs que cette mesure atteigne bien sa cible et que les marges de manœuvre ainsi dégagées soient bien utilisées au profit des populations les plus défavorisées pour la satisfaction de leurs besoins de base ? Devant la difficulté, voire l'incapacité, de certains de nos partenaires à remplir les conditions de mise en œuvre des contrats de désendettement-développement, j'aimerais que nous nous assurions que les sommes correspondantes seront bien utilisées sur le terrain, là où elles sont désespérément attendues pour assurer les conditions de base du développement qui ont pour nom santé et éducation - des filles et des femmes notamment.

Messieurs les ministres, notre dispositif d'aide publique au développement est complexe et nous examinons, à l'intérieur du budget des affaires étrangères, moins de 30 % d'un effort budgétaire qui concerne pas moins de quinze ministères. Aussi, nous souhaiterions, avant la mise en place de la future mission interministérielle « aide publique au développement » que, comme le demandent depuis plusieurs années les parlementaires, un débat sur la politique française d'aide publique au développement soit organisé dans notre assemblée.

L'aide publique au développement devient un instrument essentiel de l'action extérieure de la France. La représentation nationale ne peut concevoir de continuer à n'en avoir - et à n'en communiquer - qu'un aperçu tronqué, qui ne donne pas la mesure de notre effort.

M. Jean-Claude Lefort. Très bien !

Mme Henriette Martinez. Messieurs les ministres, nous comptons sur vous pour qu'à l'avenir notre action soit à la fois plus lisible et plus efficace. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Messieurs les ministres, il nous faut regarder la réalité en face : la situation internationale est mauvaise et elle va aller en empirant. Il n'y a aucun doute à ce sujet.

Cette réalité commande, selon moi, une double nécessité.

La première est de pas négliger nos moyens.

Ils peuvent être militaires et je me félicite à cet égard que la loi de programmation militaire soit respectée par ce gouvernement. C'est la première fois depuis longtemps.

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial .Depuis Juppé !

M. Jacques Myard. Mais nos moyens sont aussi diplomatiques. Or si je salue l'augmentation de votre budget, monsieur le ministre, notamment celle de l'APD, je m'indigne de la baisse d'un certain nombre d'autres moyens que je trouve inadmissible. En particulier, le nombre des emplois au ministère des affaires étrangères décroît alors que, depuis dix ans, ce département a déjà fait de gros efforts, rendant presque 10 % de ses effectifs. Trop c'est trop !

M. Serge Blisko. Exactement !

M. Jacques Myard. Je défendrai un amendement à ce sujet afin de mettre chacun devant ses responsabilités et de réclamer des moyens pour votre ministère à un moment où nous allons avoir besoin d'hommes formés et informés sur ce qui se passe dans le monde, capables de renseigner le Gouvernement sur la dérive de la situation internationale.

M. Jean-Claude Lefort. Qu'est-ce qu'en pense le président de la commission des finances ?

M. Jacques Myard. Mais notre outil diplomatique c'est aussi notre mode d'influence et notre langue, et je ne vous cache pas que, sur ce sujet, c'est un homme en colère qui vous parle. Je suis révolté quand je vois - plusieurs de mes collègues en ont déjà parlé - la stupidité de ces pseudo-élites qui singent nos concurrents...

M. Serge Blisko. Qui ça ?

M. Jacques Myard. ...ânonnent un sabir asexué et apatride et bafouent notre langue, se vautrant dans les délices de la médiocrité.

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial. C'est un nouveau patois !

M. Jacques Myard. Ces idiots utiles, parmi lesquels des hauts fonctionnaires, agissent directement contre nos intérêts. On a même entendu le gnome en chef de Francfort déclarer à qui voulait bien le comprendre qu'il n'était pas Français.

Monsieur le ministre, je vous le dis très solennellement, le temps des discours est révolu. Je demande des sanctions à la fois contre les fonctionnaires qui sont dans des organisations internationales où le français est la langue officielle et qui bafouent à la fois nos intérêts et les règles les plus élémentaires desdites organisations.

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial. Le gnome de Francfort s'appelle Trichet !

M. Jacques Myard. Je vois que vous l'avez reconnu, monsieur Emmanuelli. Je n'en demandais pas tant mais vous avez cité son nom pour moi : je vous en remercie.

M. Jean-Claude Lefort. Tricher n'est pas jouer !

M. Jacques Myard. Il avait effectivement, je vous l'accorde, un nom prédestiné !

M. François Loncle. Nous sommes nous-mêmes intervenus à ce sujet !

M. Jacques Myard. Deuxième nécessité : regarder le monde tel qu'il est : global, multipolaire et traversé par de multiples ruptures et même des dérives tragiques. C'est un monde dans lequel il faut agir vite, avec cohérence, et prendre des décisions rapidement, comme le Président de la République pour la Côte-d'Ivoire.

Je ne suis pas d'accord avec vous, monsieur le ministre, quand vous dites, comme vous l'avez encore répété à la conférence des ambassadeurs, que notre politique étrangère doit passer par l'Europe, s'européaniser. Je crains que ce ne soit une illusion fatale.

L'Europe puissance relève du mythe.

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial. Ah !

M. Jacques Myard. C'est une illusion coupable ; au mieux, comme aurait dit le général de Gaulle, « une idée d'avenir et qui le restera longtemps ». (Rires.)

Cela ne signifie pas que nous devons ignorer nos partenaires. Nous avons besoin d'alliances. Il peut se trouver des gens qui nous comprennent et nous appuient, et, en cela, je suis favorable à la coopération européenne. Mais faire de l'Europe un passage obligé et le moyen exclusif de notre politique extérieure est une faute sans appel car nos intérêts sont mondiaux. Il est illusoire de croire que nos partenaires ont les mêmes intérêts que les nôtres, ne serait-ce qu'en matière linguistique et culturelle. L'histoire l'a prouvé encore récemment. Seuls les sourds et les aveugles peuvent croire en l'unité des Européens. Nous pouvons avoir des points d'accord mais nous ne sommes pas d'accord sur tout et il nous faut pourtant agir.

La raison pour laquelle nous devrions rechercher à tout prix l'union européenne serait que, seuls, nous serions trop faibles. Cela fait 2 000 ans, de la guerre des Gaules au Saint empire romain germanique, que nous entendons ce discours défaitiste et pétainiste avant l'heure.

Je vais vous faire une première confidence, monsieur le ministre : il n'y a pas de corrélation entre la taille et la puissance. Et c'est un petit qui vous le dit !

Nous sommes aujourd'hui dans une guerre de mouvement qui appelle la cohérence, la décision, l'initiative et parfois même la surprise. Il est vain de vouloir rallier à nous les mous et les indécis, de rechercher par principe le consensus à quinze, à vingt-cinq ou à trente ! Ce ne serait que la recherche du plus petit dénominateur commun, l'antichambre de la paralysie.

Je vais vous faire une deuxième confidence : la France est une entraîneuse d'hommes.

M. Arnaud Montebourg. Et de femmes !

M. Jacques Myard. C'est bien simple : plus la France est indépendante, plus l'Europe est indépendante. Moins la France est indépendante, plus l'Europe est américaine ! C'est peut-être triste mais c'est la réalité aujourd'hui de l'Europe.

Le Président de la République nous le démontre, d'ailleurs, chaque jour, qu'il s'agisse de l'Irak ou du Proche Orient, de pays dans lesquels vous-même, monsieur le ministre, avez agi au nom de l'indépendance de la France. Qu'auriez-vous fait en Afrique ou ailleurs si vous aviez été paralysé par des procédures européennes qui ne mènent nulle part ?

Depuis des années, on ne cesse de nous rebattre les oreilles avec l'axe Paris-Berlin. Là aussi, regardons la réalité en face : l'Allemagne est devenu l'homme malade de l'Europe et tire la zone euro vers le bas car sa population ne se renouvelle pas. Aux dires mêmes de M. David, le président de la COFACE, l'Allemagne est aujourd'hui le premier risque et le premier sinistre potentiel pour la France.

Il faut savoir s'adapter au monde tel qu'il est et non pas tel qu'on le rêve. Il faut cesser de le voir à travers le prisme étroit et réducteur de la construction européenne.

Je vais vous faire une troisième confidence, monsieur le ministre, ...

M. le président. Il vous faut conclure, monsieur Myard !

M. Jacques Myard. ...et ce sera ma conclusion, monsieur le président : en diplomatie, pour éviter d'être cocu, il vaut mieux n'être marié avec personne, ou mieux, être polygame, afin de ne pas mettre ses œufs dans le même panier.

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis. C'est osé !

M. Jacques Myard. La France agit et agit bien. Voilà pourquoi je voterai non lors du référendum sur le traité constitutionnel et voilà pourquoi je salue votre action, monsieur le ministre, quand vous agissez en tant que ministre de la République. Mais je vous le répète : méfiez-vous des illusions !

M. Bernard Carayon. Très bien !

M. Jean-Claude Lefort. Applaudissements sur les bancs du groupe UMP !

M. le président. La parole est à M. Serge Blisko.

M. Serge Blisko. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après cette envolée, je voudrais vous soumettre une petite devinette : quel est le point commun entre Boutros Boutros-Ghali, la charmante Jodie Foster et Ricardo Bofill ? Tous trois ont été élèves de lycées français à l'étranger.

M. Jacques Myard. Et voilà !

M. Serge Blisko. Nous pouvons être fiers que de telles personnalités aient fréquenté nos établissements et nous apprécions la confiance et la reconnaissance que nous témoignent les familles françaises, binationales ou étrangères en choisissant pour leurs enfants les établissements français d'enseignement à l'étranger.

C'est bien la preuve que les écoles françaises à l'étranger concourent activement au rayonnement de la France dans le monde - rayonnement que chacun d'entre nous souhaite, comme l'a dit M. Myard, encore plus ardent. Nos entreprises s'y emploient, nos écrivains et nos artistes aussi. Mais le budget de l'État n'est malheureusement pas à la hauteur de cette ambition légitime - nous l'avons dit cet après-midi - puisqu'il n'assure plus aujourd'hui à l'ensemble des enfants français résidant à l'étranger l'accès aux établissements d'enseignement français.

Monsieur le ministre, si, aujourd'hui, nous pouvons nous enorgueillir des 413 établissements répartis dans 130 pays et accueillant 230 000 élèves, nous devons aussi nous inquiéter qu'un grand nombre de familles ne puissent plus scolariser leurs enfants en raison essentiellement du montant exorbitant des écolages - les frais de scolarité à l'étranger se nomment ainsi - l'échelle des coûts moyens variant de la gratuité, ce qui est bien, à 12 000 euros par an, soit 80 000 francs, selon les établissements. Il arrive que des établissements réclament des écolages dépassant 12 000 euros par an, comme le lycée français de New York ou celui de Tokyo. M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie connaît bien ces problèmes. Ces tarifs s'entendent uniquement pour la scolarité et excluent la cantine qui, compte tenu des tarifs pratiqués, représente effectivement un coût marginal.

Il fut un temps où les Français s'installant dans le monde pouvaient scolariser leurs enfants sans problème, parce qu'ils étaient soit fonctionnaires soit salariés de très grandes entreprises qui prenaient en charge les droits de scolarité. Ils bénéficiaient ainsi de la quasi-gratuité de l'école. C'est le cas encore aujourd'hui pour cette catégorie de personnel.

Mais une partie de plus en plus nombreuse des membres de la communauté française - vous le savez, monsieur le ministre délégué, pour les rencontrer lors de vos voyages dans le monde - est faite d'entrepreneurs individuels, de commerçants, de petits entrepreneurs, voire d'artistes. Ils se sont établis à l'étranger. Leurs conditions de vie sont plus difficiles et ils ne bénéficient d'aucune aide sociale, comme cela aurait pu être le cas s'ils étaient restés sur notre territoire. Ils ne peuvent plus, compte tenu des tarifs pratiqués, assurer le maintien de leurs enfants dans les établissements français. Parmi eux, il y a, notamment dans les pays les plus pauvres, des binationaux, Français de la deuxième génération, dont les moyens financiers ne sont guère supérieurs à ceux des autochtones.

Les bourses, malgré une augmentation de 4,5 % notée par M. Bloche, sont rares et difficilement accessibles. Elles sont souvent l'occasion de marchandages un peu difficiles.

Pourtant, nous savons que la présence de communautés françaises à l'étranger est indispensable pour notre économie car elle contribue non seulement au rayonnement culturel de la France mais aussi à la bonne tenue de sa balance commerciale. En effet, les entreprises présentes à l'export - de plus en plus de PME, ce qui est conforme à ce que nous souhaitons - ont besoin de personnels capables de faire le pont avec des pays dont les cultures économiques sont parfois très éloignées de la nôtre, d'entretenir des contacts et d'éviter les erreurs qui pourraient être fatales lorsqu'on cherche à conquérir des marchés dans des États culturellement très éloignés de la France.

La France a donc besoin de ses expatriés pour exister. Nous serons certainement d'accord aujourd'hui pour dire qu'il ne s'agit plus seulement, comme à une certaine époque, de faire vivre la langue et la littérature françaises et d'apprendre nos classiques à quelques jeunes filles dans tel ou tel institut culturel à l'étranger - il s'agit en général de jeunes issus de milieux très privilégiés -, mais de scolariser au même titre et avec les mêmes programmes les enfants de nos concitoyens expatriés, où qu'ils se trouvent dans le monde. Il y a une rupture de l'égalité.

L'école, en France, est publique, laïque, gratuite et obligatoire. On ne la paie pas, sinon par les impôts, sauf lorsqu'il s'agit d'une école privée. Mais, dès qu'on se trouve à l'étranger, on assiste à des distorsions regrettables. La complexité du réseau - en gestion directe ou non - d'écoles, d'associations à caractère religieux, le recrutement de plus en plus fréquent d'autochtones, conduisent à une opacité inquiétante. Nous devons nous pencher très rapidement sur ce dispositif un peu hétéroclite, malgré toutes les missions d'inspection et les tentatives de rationalisation qui ont eu lieu ces dernières années. Nous ne pouvons en faire l'économie car nous avons besoin de ces écoles si nous voulons accroître et affirmer notre présence dans le monde.

Monsieur le ministre, le principe républicain de gratuité du service public de l'enseignement, affirmé par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958 et par le code de l'éducation, les intérêts économiques et culturels de la France ainsi que ses engagements internationaux et les prises de position de nombreux responsables politiques convergent sur un point : il faut assurer aux enfants de citoyenneté française et à ceux attirés par la France l'accès gratuit aux établissements du réseau scolaire français à l'étranger par une suppression totale des écolages dans les établissements du réseau AEFE à gestion directe et par une généralisation de subventions couvrant le montant des écolages dans tous les établissements habilités par le ministère de l'éducation nationale, conventionnés ou non. Je voudrais qu'une mission d'information parlementaire permette d'y voir plus clair.

Il me semble que nous n'éprouvons guère de difficultés pour faire vivre notre démocratie partout dans le monde, et un débat très intéressant a eu lieu cet après-midi à la télévision sur la façon dont la culture française pouvait aujourd'hui se répandre à l'étranger. Je souhaiterais que l'on n'oublie pas que le réseau scolaire est indispensable pour maintenir la francophonie populaire : celle que l'on entend dans les rues des grandes capitales d'Afrique, dans les rues d'Israël. Il faut faire en sorte que les valeurs transmises par les parents ayant eu des attaches françaises et les ayant transmises à leurs enfants ne soient pas perdues en une génération. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Christian Philip.

M. Christian Philip. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais, dans le court laps de temps qui m'est imparti, me concentrer sur un seul sujet : la francophonie.

Quel avenir pour la francophonie ? Une fin sans gloire avec l'utilisation partout d'une langue étrangère unique : l'anglais. Le rapport Thélot, qui vient d'être remis à M. François Fillon,...

M. Jacques Myard. Scandaleux !

M. Christian Philip. ...préconise ce modèle de langue principale unique dans l'enseignement. Pourquoi les pays francophones ne feraient-ils pas de même, mettant à mal le concept de communauté rassemblant les États ayant en partage notre langue ?

Quelle contradiction avec le discours du 7 octobre à Hanoï devant la jeunesse vietnamienne du Président Jacques Chirac : « Rien ne sera pire pour l'humanité que de progresser vers une situation où l'on parlerait une seule langue. Parler tous la même langue, c'est rétrécir la pensée. [...] Dans un monde où il y aurait une seule langue, tout le reste disparaîtrait.»

M. Jean-Claude Lefort. C'est vrai !

M. Christian Philip. Je sais que, dans le contexte de mondialisation et d'affirmation par l'Amérique de sa toute-puissance, le principe d'efficacité amène de plus en plus les familles, les décideurs, les politiques à s'engager dans la voie de l'apprentissage de l'anglais, et seulement de l'anglais, tout simplement parce que c'est la langue la plus utile, celle que les enfants doivent connaître pour réussir.

M. Jacques Myard. Et l'arabe ?

M. Serge Blisko. Le chinois ?

M. Christian Philip. L'approche du Président de la République est heureusement autre : volontariste et plurilingue. Il propose le multilinguisme pour sauvegarder la diversité culturelle, ce qui n'exclut pas, bien entendu, l'apprentissage de l'anglais.

M. Jacques Myard. Un sabir, plutôt !

M. Christian Philip. C'est la bonne approche. Elle implique l'apprentissage de deux langues étrangères à égalité.

La bonne solution consiste dans l'apprentissage en parallèle, dès le primaire, des deux langues choisies. Dans l'enseignement supérieur, le Québec, une fois de plus, montre l'exemple...

M. Jacques Myard. Il est souverain, lui !

M. Christian Philip. ...à HEC Montréal, où tous les cours sont donnés en anglais, en espagnol et en français.

La démarche proposée par Claude Thélot est suicidaire. Elle ne prend pas en compte ce que j'appellerai le principe de précaution. Qui peut affirmer le caractère inéluctable de l'anglais ? Laissons l'histoire s'écrire. Des pays comme la Chine, des langues comme l'espagnol, et bien d'autres pays et langues peuvent changer les choses. Il s'agit, pour la France et sa langue, de continuer à faire entendre leur chant, si je puis dire, dans le monde qui se construit, bref d'exister simplement.

Cette situation met en évidence des constats qui fâchent : la France veut-elle vraiment conduire une politique francophone ? Plus grave encore, et certains l'ont fait remarquer avant moi, une grande partie des élites françaises considère que la réalité, c'est le tout-anglais. Le français, ce serait fini !

Et pourtant, paradoxe dérangeant, la francophonie continue d'intéresser le monde. Ainsi, le nombre de pays qui en sont membres s'accroît de sommet en sommet, et celui de Ouagadougou ne dérogera pas à la règle. Quelles en sont les raisons ? Tout d'abord les valeurs qu'elle porte, synthèse de l'idéal républicain et du concept senghorien de civilisation de l'universel.

M. François Rochebloine, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour la francophonie et les relations culturelles internationales. Il faut lui en donner les moyens !

M. Christian Philip. Elle réfute les intégrismes de toute nature qui conduisent au choc des civilisations et des religions, en privilégiant le dialogue des cultures.

C'est pourquoi il faut la construire comme pôle dans la mondialisation multipolaire. Puisse Ougadougou le confirmer. Mais, si telle est bien l'ambition  - être un pôle de diversité, de solidarité et de dialogue -, il faut s'en donner les moyens.

Il y a d'abord la question d'un traité fondateur. Le Président Diouf s'interrogeait au printemps, devant la communauté universitaire lyonnaise, sur sa nécessité. Beaucoup pensent qu'une telle décision serait prématurée. Cependant, c'est le bon sens. On ne peut plus se satisfaire de l'actuelle coquille institutionnelle de la francophonie, née au sommet de Hanoï, qui utilise le traité de Niamey, dont la finalité était autre : la simple création d'une agence intergouvernementale de coopération.

Un nouveau traité simplifierait l'institutionnel, donnerait une existence propre au secrétariat général et à l'agence intergouvernementale de la francophonie, alors que l'insertion de la francophonie dans la coquille juridique actuelle génère des ambiguïtés.

Ainsi, la Conférence ministérielle de la francophonie, le Conseil permanent de la francophonie sont à la fois les instances du Sommet et celles de l'AIF. Plus grave, le secrétariat général est niché dans l'Agence, ce qui conduit, sur le plan juridique, à une situation paradoxale : le secrétaire général, qui a la tutelle de l'AIF, dépend sur le plan administratif et financier de son administrateur général.

On ne peut vraisemblablement pas en rester là. Des aménagements doivent être trouvés. Il faut doter la francophonie d'outils et de moyens pour qu'elle puisse mener à bien son mandat global, tant politique que de coopération.

Comment enclencher ce mouvement ? Prendre l'initiative d'une France qui se préoccupe à nouveau de la francophonie et prendre conscience qu'elle constitue, avec l'Europe, un moteur de notre avenir  - une francophonie qui se hisse au niveau de son destin et de l'apport qui peut être le sien pour bâtir une mondialisation équilibrée et maîtrisée.

Pour ce faire, il faudra expliquer aux Français l'importance pour notre pays de la francophonie, tracer les contours d'une politique française en matière de plurilinguisme et de francophonie, l'inscrire clairement dans notre stratégie internationale.

La francophonie n'est pas un combat du passé mais un défi pour aujourd'hui. Elle doit être un pôle spécifique dans la mondialisation multipolaire et s'affirmer en tant qu'espace géopolitique organisé de diversité, de solidarité et de dialogue.

Le temps est à l'action. Je ne suis pas pour multiplier les rapports, mais il faudrait trouver les moyens de faire des propositions sur les réformes à mettre en œuvre pour la francophonie.

Il faut en tout cas que notre pays prenne une initiative pour que nos partenaires comprennent que nous n'avons pas renoncé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe socialiste..)

M. le président. La parole est à M. Bernard Carayon.

M. Bernard Carayon. Monsieur le ministre des affaires étrangères, vous avez dédié la dernière conférence des ambassadeurs au thème de l'influence ; je vous en félicite et vous remercie de m'avoir invité à participer à cette réflexion que j'avais du reste amorcée voilà quelque temps à l'occasion d'un rapport que m'avait commandé le Premier ministre sur l'intelligence économique.

L'enjeu de l'influence est essentiel, même si les difficultés abondent pour des raisons culturelles que je vais rapidement évoquer.

Le débat d'idées en France se nourrit bien souvent de questions plutôt internes, parfois nombrilistes, plus que d'approches internationales. Nos méthodes sont de plus en plus contestées, y compris par nos amis. Nous ne préparons pas assez, ni suffisamment à l'avance, les grands dossiers ni les grandes échéances, notamment européennes ; il en est de même pour la préparation et le suivi des personnes que nous envoyons à l'étranger, en mission ou dans les organisations, comme de celles que nous recevons de l'extérieur. En amont, nous ne contribuons pas assez à l'élaboration des normes de la vie internationale. Bref, le pays des droits de l'homme, au mieux, cherche, au pire, laisse échapper de nouvelles fonctions de référence.

Ces insuffisances tiennent avant tout à une double incapacité. Incapacité d'abord à penser le stratégique de façon anticipée et concertée, au sein de chacune des instances publiques comme au sein de la machine publique dans son ensemble, en liaison avec tout ce qui compte ou devrait compter : milieux académiques, cercles de réflexion moins formels, acteurs économiques et sociaux. Incapacité ensuite à comprendre la mondialisation comme un fait et non comme un démon idéologique, qui pourrait tenir à une mauvaise lecture et à une mauvaise pratique de l'exception française. Nous n'investissons pas assez, ni sur le fond ni sur les vecteurs de communication. Sur le fond, nous souffrons de l'absence de cadre, de vision prospective et stratégique assortie de scénarios intégrateurs ; et pour ce qui est de la communication, il nous manque des éléments de langage que nos représentants officiels ou de fait pourraient exposer à travers une politique active de présence et d'intervention dans tous les lieux de débat. Pour résumer, nous courons, nous Français, le risque d'être tout à la fois naïfs et présomptueux, confiants dans les règles d'un jeu en voie de disparition, réticents à l'idée de mettre l'information au cœur du fonctionnement de notre système. Autrement dit, le rayonnement et l'influence ne vont plus aujourd'hui de soi ; cela exige des initiatives coordonnées, des mesures innovantes, une participation active et pensée à tous les lieux de débat.

M. Henri Emmanuell, rapporteur spécial. C'est effrayant !

M. Bernard Carayon. Permettez-moi à cet égard, monsieur le ministre, quelques suggestions.

Pour commencer, il serait utile de mettre en place une véritable réflexion stratégique gouvernementale en la matière. Celle-ci pourrait prendre la forme d'un CAP interministériel incluant diverses sources d'information, externes et internes, publiques et privées. Cela impliquerait également de former, au sein de notre représentation permanente à Bruxelles, une cellule d'anticipation chargée exclusivement de l'analyse et de la réflexion prospective - une vigie, en somme, qui mutualiserait expertise publique et expertise privée.

Permettez-moi ensuite de vous suggérer une approche nouvelle du suivi des personnes : suivi actif en premier lieu de nos ressortissants dans les instances internationales, politique active pour ce qui touche à la nomination, au suivi et au retour des OMD. Il faut également insister sur la nécessité de mieux accompagner les étudiants étrangers en France. Attachons-nous à valoriser leur séjour en commençant par mieux les accueillir et en nous intéressant davantage à l'évolution de leur carrière dans leur pays d'origine, tout en sachant retenir les meilleurs chez nous.

Je suis heureux que votre ministère ait mobilisé les ambassadeurs sur les questions d'intelligence économique, à travers notamment une étude réalisée auprès de l'ensemble de nos représentations diplomatiques. Quelles suites comptez-vous donner à ces sujets importants en termes tant d'influence que de développement économique pour notre pays ? Vos réponses sont d'autant plus attendues que ce diagnostic et ces quelques propositions, récemment confortés par le rapport de notre collègue Jacques Floch, sont partagées d'un bout à l'autre de l'hémicycle. Nous attendons donc l'action, une action qui pourrait revêtir un caractère symbolique si, par exemple, vous preniez l'initiative d'organiser notre représentation au Parlement européen en « caucus », comme le font la plupart de nos grands concurrents ou partenaires,...

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial. En quoi ?

M. Bernard Carayon. ...afin de présenter régulièrement à nos parlementaires européens, dans le respect de la diversité partisane, les grands enjeux européens pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Henri Emmanuelli , rapporteur spécial. Mais en quelle langue parle-t-il ?

M. Bernard Carayon. Vous auriez pu écouter, tout de même !

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial. J'ai écouté, mais en quoi parlez-vous ?

M. le président. La parole est à Mme Béatrice Vernaudon.

Mme Béatrice Vernaudon. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, je vous parlerai, pour clore notre discussion, de la politique française de coopération avec les États insulaires du Pacifique.

Je me réjouis de constater que, pour la deuxième année consécutive, le budget du ministère des affaires étrangères prévoit pour ce que nous appelons communément le « fonds Pacifique », une dotation en nette hausse par rapport à 2003. Le Président de la République avait en effet annoncé le doublement de cette enveloppe à Papeete lors de la réunion France-Océanie, en juillet 2003.

Même si le montant de ces crédits - 3,2 millions d'euros - reste encore modeste au regard des besoins de la région, cette augmentation traduit une meilleure prise en considération du rôle que doivent jouer les collectivités territoriales françaises du Pacifique dans leur zone naturelle d'insertion.

À l'intention de mes collègues, je rappelle que la coopération française dans le Pacifique Sud concerne avant tout quatorze États insulaires, parmi lesquels la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Vanuatu, les Îles Salomon, qui figurent parmi les pays les plus pauvres de la planète, jusqu'au plus petit État du monde, Tuvalu, avec 10 000 habitants. Ces États indépendants forment la communauté du Pacifique Sud, aux côtés de huit territoires restés sous tutelle des États-Unis, de la Nouvelle-Zélande et évidemment de la France, dont vous connaissez les trois collectivités : la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, qui, avec leurs 500 000 habitants, représentent 6 % du total de la population océanienne, soit 8 millions de personnes dont le niveau de vie, les possibilités d'accès à l'éducation et à la santé, les structures de développement sont séparés par un abîme que chaque catastrophe naturelle remet en évidence.

Précisément, l'augmentation de la dotation du Fonds Pacifique soutient la solidarité qui unit plus que jamais les collectivités d'outre-mer françaises à la grande famille des États et territoires océaniens.

Le Fonds Pacifique joue à cet égard un rôle irremplaçable. Cet instrument permet à l'État et aux collectivités françaises de la région d'œuvrer ensemble au développement de liens de coopération avec l'ensemble des pays du Pacifique, sous l'impulsion d'un comité directeur où leurs élus sont désormais représentés et dont leurs exécutifs assurent en alternance la présidence.

Le Fonds Pacifique permet de promouvoir des projets répondant à l'intérêt de toutes nos communautés, dans des domaines comme le développement durable, la protection de l'environnement dans une région où la biodiversité des écosystèmes marins et terrestres est unique par son ampleur, la mise en place de structures efficaces pour une exploitation raisonnée des ressources halieutiques, mais également dans d'autres domaines qui sont au cœur de nos préoccupations : la promotion de la bonne gouvernance, l'amélioration de la santé publique et l'éradication des maladies infectieuses, le développement de liens universitaires et culturels ou encore la promotion d'échanges entre jeunes et la mise en valeur des savoir-faire traditionnels.

Les 3,2 millions d'euros inscrits au budget des affaires étrangères ne seront pas de trop pour répondre à tous ces besoins et accompagner le nouvel élan du Fonds Pacifique.

L'heure est plus que jamais à la coopération régionale. Dans ce Pacifique tout à la fois si vaste et si fragile, nos communautés ne peuvent espérer parvenir à un équilibre et trouver les moyens du développement et du bien-être de leurs populations qu'en unissant leurs forces, avec humilité mais détermination, avec le souci de travailler ensemble dans le respect des identités propres de chacun de nos pays.

Comme l'a souligné le Président Chirac à Papeete, il faut se placer résolument dans une perspective qui permette de faire du Pacifique un lieu où se concilient « le respect de patrimoines immémoriaux et la quête de la modernité ».

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial. Ce n'est pas Flosse, ça !

Mme Béatrice Vernaudon. Non. C'est du président Chirac, et j'y souscris.

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial. Je disais seulement que la modernité, ce n'est pas Flosse.

Mme Béatrice Vernaudon. Pour y parvenir, encore faut-il privilégier les interdépendances plutôt que l'indépendance, coopérer largement avec les organisations régionales, construire un Pacifique rassemblé autour de ses propres valeurs de tolérance et de solidarité, et respectueux de l'autre.

Le Fonds Pacifique se trouve à la croisée de tous ces enjeux. La Polynésie française que je représente ici a évidemment à cœur d'y apporter sa sensibilité, sa contribution, ses espoirs aussi. Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, dans le cadre du suivi de la réunion France-Océanie de Papeete, pour associer davantage encore les collectivités françaises du Pacifique à la définition des grandes orientations de la politique française de coopération avec les états insulaires du Pacifique ?

Bien évidemment, je voterai ce budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion est close.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, permettez-moi au préalable un mot de gratitude à l'adresse de vos commissions, de vos rapporteurs qui se sont exprimés en leur nom et de vos collaborateurs pour la qualité des contributions que vous avez apportées dans le cadre de la préparation du débat budgétaire, mais également des divers rapports dont il a été fait état. Ces remerciements, je les exprime au nom de toute l'équipe du Quai d'Orsay que j'ai l'honneur d'animer, Claudie Haigneré, Xavier Darcos et Renaud Muselier.

Avant de vous présenter les grandes lignes de ce projet de budget, suivant une tradition utile, mais également pour répondre à bon nombre de vos questions, je commencerai par évoquer le contexte international dans lequel nous sommes conduits à travailler.

Au-delà des crises, nombreuses, qui déstabilisent en ce moment même plusieurs régions du monde, ce contexte apparaît marqué par plusieurs grandes interrogations : l'évolution de l'économie mondiale, confrontée à la hausse du prix du pétrole et à la baisse structurelle du dollar, la politique étrangère et commerciale qu'entendra mener l'administration américaine durant le second mandat du président Bush, l'évolution de l'Union européenne durant cette période sensible, névralgique, de ratifications nationales du projet de Constitution européenne.

Raison de plus, suis-je tenté de dire, pour la France de demeurer fidèle à ses principes : une vision de l'organisation de notre monde fondée sur le droit et le dialogue, refusant toute forme d'unilatéralisme ; le soutien aux organisations régionales - par exemple, mais pas seulement, l'Union africaine -, qui entendent tenir leur place et jouer leur rôle dans l'équilibre de leurs continents respectifs et dans la gestion des crises qui les secouent ; l'ambition enfin, exprimée avec force et à plusieurs reprises par le Président de la République, d'apporter un peu plus de justice dans la mondialisation.

Pour cela, vous avez été nombreux à le dire en nous interpellant, il nous faut des moyens pour agir...

M. Jacques Myard. Exact !

M. le ministre des affaires étrangères. ...et pour adapter notre appareil diplomatique, consulaire et culturel à nos priorités que sont la gestion des crises et, selon M. Loncle, des malheurs du monde, la construction de l'Europe la maîtrise de la mondialisation.

J'évoquerai tour à tour ces trois priorités. La France entend demeurer présente et active dans la gestion des crises que Daniel Garrigue a évoquée avec beaucoup de force tout à l'heure. J'ai eu l'occasion de le rappeler souvent, en répondant aux invitations régulières de votre commission des affaires étrangères et de son président Édouard Balladur.

M. Jean-Claude Lefort. Il est absent ce soir !

M. le ministre des affaires étrangères. La situation en Côte d'Ivoire est extrêmement préoccupante. Notre priorité immédiate a été et demeure la sécurité de nos compatriotes directement menacés et fragilisés par les événements des jours derniers à Abidjan : 6 000 Français sont rentrés volontairement depuis dimanche, grâce aux vols affrétés par le ministère des affaires étrangères. Ils sont pris en charge dès leur arrivée. À cet égard, je voudrais remercier toutes celles et tous ceux qui, à Paris, à Roissy, mais aussi dans la cellule de crise de notre ministère ou à Abidjan se mobilisent avec un remarquable dévouement, une grande générosité et une formidable énergie, la plupart d'entre eux étant des bénévoles. Pareil à celui qu'a adressé tout à l'heure Jacques Godfrain à nos soldats, un mot de gratitude, donc, à tous ceux qui dans cette crise donnent une si belle image de notre pays et de sa solidarité.

Au-delà, nous continuons de penser que cette crise aux racines profondes et anciennes, qui coupe le pays en deux, ne pourra être durablement résolue que par une solution politique, laquelle tient en deux mots : élections et réunification.

C'est dans cet esprit que nous travaillons en ce moment même avec nos partenaires africains et ceux du Conseil de sécurité.

Plusieurs chefs d'États africains étaient réunis hier en urgence à Abuja. Ils ont apporté leur entier soutien au projet de résolution qui devrait être adopté ce soir, en ce moment même peut-être, à New York.

Ce texte vise à mettre en place des moyens effectifs de pression à l'égard de l'ensemble des protagonistes ivoiriens de ce conflit pour les amener enfin à respecter et leur signature et leurs engagements. Ce texte prévoit aussi, parce que je crois que c'est nécessaire, un embargo sur les armes.

La France n'est évidemment pas en guerre contre la Côte d'Ivoire. Depuis deux ans, elle s'est engagée sans hésiter et avec des moyens considérables au service d'un seul objectif : le retour à la paix dans un pays pour lequel la France a et gardera une amitié sincère qu'elle entend préserver.

C'est ici que je voudrais dire un mot en réponse à l'interrogation de François Lamy sur notre outil de coopération militaire et de défense. Il s'agit d'un outil indispensable dans notre soutien aux États de l'Afrique subsaharienne pour bâtir des armées républicaines, structurées, conformes au conseil de défense du printemps 2003. Compte tenu des difficultés budgétaires, la dotation de la DCMD a été en effet, monsieur Lamy, stabilisée à 93,5 millions d'euros après plusieurs années, permettez-moi de le rappeler, d'érosion.

Un poste de directeur d'administration centrale est créé dans le budget 2005, pour l'emploi du directeur de la coopération militaire et de défense. Il relève directement du directeur général des affaires politiques et de la sécurité, car cette coopération ne se détache pas, je vous rassure, de notre action politique et diplomatique. Cette logique a du reste été réaffirmée avec beaucoup de force par le Président de la République lui-même, qui a confirmé l'ancrage de la DCMD au sein du ministère des affaires étrangères.

Autre continent, autre crise : l'Irak.

Chacun connaît les divergences que ce dossier a suscitées dans le passé. Chacun sait que la France, pas plus demain qu'aujourd'hui, ne s'engagera militairement en Irak.

Mais l'instabilité de ce pays est un danger pour une région qui représente un intérêt majeur pour la France et pour l'Europe. L'instabilité du Moyen-Orient, c'est notre propre instabilité. Comme nous l'avions souhaité, notamment au Conseil de sécurité, le retour à la souveraineté est engagé progressivement : depuis le 28 juin, un gouvernement intérimaire assume l'exercice des responsabilités.

II faut maintenant reconstruire cet État et ce pays pour le peuple irakien qui a tant souffert, en y associant tous les Irakiens. C'est dans cet esprit, et je réponds ainsi à M. Loncle et à plusieurs d'entre vous, que je me rendrai à Charm-el-Cheikh lundi prochain pour la conférence interrégionale sur l'Irak. Nos idées sur l'inclusivité du processus politique, dans la perspective des élections de janvier ont bien progressé puisque notre proposition de réunion associant tous ceux qui renoncent à la violence, pour s'inscrire dans le processus politique et démocratique, doit être retenue.

C'est aussi avec l'Europe que nous nous engageons : le Premier ministre Alaoui était à Bruxelles la semaine dernière. L'Union se prépare à mener des actions de formation, notamment dans le domaine de l'État de droit. Notre objectif en Irak est de rester fidèles à nos principes et à nos positions, d'agir collectivement pour aider ce grand peuple, martyrisé par l'histoire, mais riche d'un potentiel humain et de ressources naturelles considérables, à trouver enfin la paix civile, qui est la condition d'un nouveau départ.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. le ministre des affaires étrangères. Cela nous conduit au conflit voisin du Proche-Orient, à cette crise centrale qui empêche depuis trop longtemps Israéliens et Palestiniens de vivre au fond comme ils le souhaitent : en paix et en sécurité, les uns à côté des autres.

M. Jacques Myard. Ça, c'est moins sûr !

M. le ministre des affaires étrangères. Conflit central par son impact sur tous les peuples de la région et au-delà, et donc par l'impact qu'aurait son règlement ; conflit central parce qu'il est un test, je le pense, et vous l'avez dit, monsieur Lefort, de la capacité de la communauté internationale à agir unie et à mettre en œuvre ses propres décisions.

La disparition toute récente, sur notre sol, de Yasser Arafat, président élu et légitime de l'Autorité palestinienne, crée naturellement une situation nouvelle, et c'est maintenant qu'il faut écrire, après tant d'autres, une nouvelle page.

La transition s'est jusqu'à présent déroulée dans des conditions remarquables de sérénité et de sens des responsabilités de toute l'équipe qui assume la responsabilité de l'Autorité palestinienne. J'espère simplement que les événements d'hier à Gaza ne sont qu'un accident, mais ils nous rappellent que la communauté internationale doit plus que jamais soutenir la reprise rapide du processus de paix.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. le ministre des affaires étrangères. Le retrait annoncé de Gaza, que j'ai qualifié de courageux, peut y contribuer, s'il est mis en œuvre avec l'Autorité palestinienne et s'il est bien compris comme une étape, annonçant l'engagement d'autres étapes de la feuille de route. Voilà pourquoi nous devons aider les dirigeants palestiniens à surmonter cette période sensible et à inscrire leur action dans une légitimité fondée sur le suffrage populaire. Notre rôle sera donc d'abord de tout faire pour que les élections palestiniennes aient lieu dans de bonnes conditions. La France et l'Europe s'y étaient déjà engagées dans la perspective des élections municipales ; elles devront le faire pour les élections présidentielles qui auront lieu dans soixante jours. Je partage l'opinion de Daniel Garrigue et de Jean-Claude Lefort quand ils disent que l'Union européenne doit maintenir fermement ses engagements, lesquels vont au-devant des volontés de tout un peuple.

Il faut que ces prochaines étapes permettent de renouer avec le calendrier de la feuille de route. Nous devons redoubler d'efforts avec nos partenaires du Quartet, avec un engagement commun, dont je suis sûr qu'il pourrait être décisif, des États-unis d'Amérique, de l'Union européenne et de la Russie, dans le cadre des Nations unies, pour que l'objectif agréé par l'ensemble des acteurs et par la communauté internationale devienne enfin réalité : que la menace terroriste qui frappe trop souvent Israël disparaisse et que les Palestiniens vivent dans l'État auquel ils ont droit. Au-delà, c'est une solution globale du conflit israélo-arabe que nous devons rechercher, ce qui impose également un règlement du volet syro-libanais. Et notre ligne, monsieur Loncle, pour le Liban comme pour les autres pays du monde, là comme ailleurs, reste de défendre l'accession à la pleine souveraineté de tous les peuples.

N'oublions pas que notre pays est toujours fortement engagé dans deux autres régions - dont l'une a été évoquée par Daniel Garrigue - celle des Balkans, sur notre continent, et l'Afghanistan.

Les Balkans où, malgré des progrès, la situation reste fragile, comme les événements tragiques de mars dernier au Kosovo l'ont hélas démontré. Restons vigilants car l'année 2005 sera cruciale. Ce sera le moment, au Kosovo, d'évaluer la mise en œuvre des réformes essentielles comme la décentralisation et la protection des minorités, préalable à une réflexion sur le statut futur de ce territoire.

J'ai cependant noté, à l'occasion des visites que j'ai faites dans chacun des pays des Balkans depuis ma nomination, des raisons d'espérer et d'agir. La perspective de l'adhésion européenne est un puissant levier pour les réformes. M. Myard l'a rappelé en souriant : le projet européen est un projet d'avenir et il le restera longtemps.

M. Jacques Myard. Nous sommes d'accord.

M. le ministre des affaires étrangères. Je pense que vous avez tort de citer cette belle phrase en souriant car j'ai constaté pour ma part que le seul levier pour que les minorités se tiennent bien, c'est qu'on leur propose ce qui nous a permis à nous, plus à l'ouest, de nous tenir bien depuis cinquante ans, c'est-à-dire l'ancrage dans le projet d'intégration communautaire, qui est au fond un formidable projet politique car il tient cette promesse depuis cinquante ans en nous aidant à fabriquer de la stabilité, de la paix et du progrès partagé, plutôt que d'entretenir des conflits.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Jacques Myard. C'est une erreur de croire cela !

M. le ministre des affaires étrangères. Des habitudes de coopération régionale s'installent progressivement. Notre pays contribue à cette espérance. Notre engagement politique et militaire - 2 500 hommes, avec le commandement de la KFOR - est utile et le restera. François Lamy l'a souligné dans son rapport, en insistant sur notre action résolue en faveur d'une Europe de la défense.

Un mot enfin de l'Afghanistan, que nous ne devons pas oublier et où la coopération internationale et transatlantique s'exerce efficacement. C'est un pays qui parvient à un réel apprentissage de la démocratie, avec la récente élection présidentielle et le succès de M. Karzaï. C'est aussi un pays où la France est active sur tous les plans, et depuis le début : dans la lutte contre le terrorisme et les actions militaires engagées aux côtés des États-Unis depuis 2001, pour la sécurisation du pays dans le cadre de l'OTAN, en particulier depuis septembre 2004 où nous commandons la FIAS.

Mesdames, messieurs les députés, dans toutes ces crises, et malheureusement dans celles qui surviendront, nous nous tenons et nous nous tiendrons à des principes clairs que je veux rappeler ici : sécurité des populations, respect des droits de l'homme, légitimité démocratique de l'État et des institutions par l'élection, intégrité du territoire national, stabilité régionale. Tous ces principes, qui constituent notre logiciel de gestion de crise, nous entendons les mettre en œuvre dans le cadre des Nations unies, dont Bruno Bourg-Broc a rappelé toute l'importance.

Et c'est bien dans ce cadre que l'Union européenne doit s'engager davantage.

Permettez-moi simplement, à propos de l'Europe, dont nous parlerons beaucoup en 2005, de vous dire que tout dépend de nous et de la confiance que nous, Européens, aurons ou n'aurons pas en nous-mêmes pour que l'Union, grand marché unique,...

M. Jean-Claude Lefort. Uniquement un marché !

M. le ministre des affaires étrangères. ...et communauté solidaire, devienne un acteur politique de premier rang dans le monde. Le moment de vérité sera celui de la Constitution - dont j'ai été l'un des ouvriers - puisqu'elle contient beaucoup des outils de l'influence européenne.

Une politique étrangère commune, monsieur Garrigue, pas unique, mais commune, telle doit être l'ambition. Vous m'avez interrogé sur le ministère européen des affaires étrangères, et le risque que nous fusionnions nos identités. Je ne crois pas que ce risque soit réel, n'en déplaise à M. Myard et à son scepticisme habituel à cet égard. Je pense qu'il faut progresser dans la mutualisation de nos idées, de nos analyses, de nos stratégies et même de nos politiques et tirer les leçons de notre impuissance, par exemple dans les Balkans.

M. Jacques Myard. L'Allemagne, elle, a reconnu la Croatie avant tout le monde !

M. le ministre des affaires étrangères. Faute d'une politique étrangère commune, faute d'analyses préalables, faute d'anticipation, nous avons été incapables, il y a quinze ans, d'empêcher une guerre moyenâgeuse qui a provoqué 200 000 morts.

Il faudra aussi tirer les leçons de notre division en Irak.

Pour cela, il n'y a qu'un seul moyen. Il s'agit de créer un lieu où, ensemble, nous analyserons les situations, où nous établirons ce que j'ai appelé une « culture diplomatique commune ».

M. Jacques Myard. Source de paralysie !

M. le ministre des affaires étrangères. Cela ne se fera pas d'un coup de baguette magique, comme par miracle. Cela nécessitera du temps et de la volonté. Mais s'agissant de nos relations avec la Russie, avec le Proche et le Moyen-Orient, et même du sujet le plus sensible : nos relations avec les États-Unis, il n'y a aucune raison qu'en rassemblant nos capacités, nous n'aboutissions pas à une action commune à l'échelon européen. Je me battrai pour cela, sous l'autorité du Président de la République, car, pour moi, le cadre européen constitue une sorte de démultiplicateur de notre influence, si nous le voulons. C'est par là que passe une partie, je n'ai pas dit la totalité, de notre influence nationale.

Notre ambition sera aussi de donner au projet européen une dimension plus sociale et plus humaine.

M. Jacques Myard. Comme les Anglais !

M. Jean-Claude Lefort. C'est du pipeau !

M. le ministre des affaires étrangères. Je vais chercher, avec Claudie Haigneré, chaque fois que cela sera possible, à mieux coordonner et même à mutualiser une partie de nos initiatives et de nos actions avec celles de nos partenaires, l'Allemagne bien sûr, mais les autres aussi.

Cette mutualisation, mesdames, messieurs les députés, je la considère comme nécessaire quand je regarde ce qui se passe en Afrique et dans le Maghreb. Comment imaginer qu'en Afrique, qui comptera, dans vingt-cinq ans, 1,8 milliard d'habitants, dont 800 millions auront moins de quinze ans et 1 milliard vivront avec moins d'un dollar par jour, nous continuions à mener des politiques juxtaposées, sinon concurrentes ?

M. Jacques Myard. Il suffit de se coordonner !

M. le ministre des affaires étrangères. Est-il possible de faire face au défi que représente ce continent si proche et formidable chacun chez soi, chacun pour soi ? Je ne le pense pas.

Je remercie Bernard Carayon pour ses propositions. J'ai chargé le directeur des affaires économiques et financières, Alain Le Roy, d'être en quelque sorte le « Monsieur Intelligence économique » du ministère et de mettre en œuvre une partie de ses idées et de ses initiatives.

Un monde plus libre, un monde plus sûr, sera d'abord un monde plus juste, ai-je dit à la tribune des Nations unies, il y a quelques semaines. C'est ma troisième priorité.

Le premier défi est donc celui du développement, de la solidarité et du partenariat avec les pays les moins développés. Je remercie Mme Vernaudon d'avoir rappelé qu'un grand nombre d'entre eux se trouvent dans le Pacifique et autour de nos territoires et départements d'outre-mer. Je suis un militant de la coopération régionale. Une partie de nos moyens financiers, à travers le fonds Pacifique, dont les crédits sont en augmentation, à travers les crédits régionaux européens, qui bénéficient largement à nos DOM et que j'ai eu l'honneur de gérer pendant cinq ans en tant que commissaire, constituent des leviers pour une action solidaire, vecteur de l'influence de notre pays. L'outre-mer représente un point d'appui pour la politique étrangère de la France, dans le Pacifique, dans les Caraïbes, en Amérique du Sud avec la Guyane ou dans l'Océan indien avec La Réunion. Avec Xavier Darcos, je ferai en sorte que ces crédits nationaux et européens soient mieux utilisés en ce sens.

Avec ce budget, nous entendons également agir sur d'autres aspects de la mondialisation et de ses risques.

Il s'agit d'abord du développement durable et de la défense de l'environnement, comme s'y est engagé le Président de la République, et j'ai rappelé dans mon discours devant les ambassadeurs que ces domaines constituaient une des premières priorités de notre action diplomatique.

Il s'agit ensuite de la diversité culturelle, avec la conclusion attendue, en 2005, de la convention internationale sur la diversité culturelle dans le cadre de l'UNESCO. Peut-être puis-je à cette occasion dire quelques mots à M. Rochebloine de l'institut culturel de Tel-Aviv. Je connais bien les difficultés rencontrées. La mission que j'ai dépêchée en octobre 2004 dans cette ville a trouvé un bâtiment parfaitement situé qui permettra de regrouper l'institut culturel et le service culturel. Le dossier de financement de l'opération, qui s'élève à 4,5 millions d'euros, sera présenté à la commission interministérielle des opérations immobilières à l'étranger au début de l'année 2005.

Il s'agit enfin de la position de la France dans la bataille mondiale des savoirs et des idées avec, en particulier, une présence accrue sur les ondes internationales. Ce dernier sujet est complexe : François Rochebloine et Patrick Bloche l'ont souligné dans leurs rapports respectifs. Il y a une forte attente pour une chaîne offrant davantage d'informations, reflétant la diversité culturelle et diffusant des programmes adaptés à des publics très différents à travers le monde. Nous continuons à travailler, sous l'autorité du Premier ministre, à ce projet interministériel, qui doit être bâti en bonne intelligence avec les outils déjà existants : TV5, Euronews, RFI et l'AFP. Il doit être conçu en français, évidemment, tout en ayant la faculté de communiquer en d'autres langues. Le sous-titrage et le développement d'Internet sont les pistes qu'il faut exploiter. Puisque j'évoque l'audiovisuel extérieur, je voudrais rendre ici hommage, au nom du Gouvernement, à la grande figure que fut Serge Adda, qui a accompli un formidable travail à la tête de TV5.

M. François Loncle. Absolument !

M. le ministre des affaires étrangères. Voilà, en quelques mots, les trois priorités qui animent le budget qui vous est proposé.

Mesdames et messieurs les députés, vous l'avez tous souligné, cette action exige des moyens. L'influence ne se décrète pas. Il lui faut des outils. Il lui faut un budget.

Comme vos rapporteurs n'ont pas manqué de le souligner, l'exécution du budget 2004 a été facilitée par l'absence de régulation budgétaire, voulue par le Président de la République. Cependant, le budget des affaires étrangères est resté solidaire. Ainsi, 23 millions d'euros ont été affectés à d'autres administrations, notamment pour financer l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile et renforcer la commission de recours des réfugiés. Les effectifs et la masse salariale ont été réduits, il faut le reconnaître. Le réseau à l'étranger est engagé dans un processus de restructuration sur plusieurs années.

Pour 2005, mon ambition est de concentrer la ressource disponible autour de quelques grandes lignes :

L'aide publique au développement, dont Xavier Darcos vous parlera tout à l'heure.

La remise à niveau de nos contributions aux Nations unies et au Fonds européen de développement. M. Emmanuelli a eu raison de souligner l'insuffisance des crédits qui leur sont destinés : la moitié de ce qu'ils étaient il y a dix ans, ce qui nuit à notre crédibilité dans les enceintes multilatérales. Voilà pourquoi j'ai l'espoir d'obtenir une vingtaine de millions d'euros supplémentaires dans la loi de finances rectificative de 2004, et je compte poursuivre l'effort en 2005. Je sais pouvoir compter sur vous pour que ces mesures soient adoptées.

La formation en France des jeunes élites étrangères.

Un effort important en faveur des Français de l'étranger, notamment dans les domaines de la scolarité et de la sécurité.

Enfin, une efficacité accrue dans la gestion du droit d'asile et de la circulation des étrangers.

Un mot sur quelques-unes de ces grandes lignes.

Je veux rappeler, tout d'abord, que les deux tiers de ce budget - aide publique au développement et contributions obligatoires, y compris les opérations de maintien de la paix - sont affectés à des dépenses incompressibles et qui ne cessent d'augmenter.

L'APD est notre première priorité. Je laisse à Xavier Darcos le soin de vous en parler plus avant, mais je souscris bien sûr à ce qu'écrit Jacques Godfrain dans son rapport : « Le développement ne peut être qu'un projet politique de dimension mondiale que la France doit porter pour rester fidèle à sa vocation . »

L'année prochaine, je vous présenterai mon budget sous forme de deux missions, au sens de la LOLF : la mission ministérielle « Action extérieure de l'État » et la mission interministérielle « Aide publique au développement ». Votre rapporteur spécial, Jérôme Chartier, estime qu'« il aurait été préférable de mettre en place une mission "Action extérieure de l'État", interministérielle et plus large, afin de conforter le rôle de pilotage qui revient en la matière au ministre des affaires étrangères ». Je partage cette analyse : il nous faudra faire évoluer les choses en ce sens.

Dans son périmètre actuel, la mission « Action extérieure de l'État » se décompose en trois programmes : le plus important, « Action de la France en Europe et dans le monde », pour 1,335 million d'euros ; puis le programme « Français à l'étranger et étrangers en France », pour 604 millions d'euros ; enfin le programme « Rayonnement culturel et scientifique », pour 345 millions d'euros.

La promotion de l'idée européenne est au cœur du premier programme. J'ai déjà dit combien, à mes yeux, le réflexe européen doit imprégner notre approche des grands problèmes mondiaux. Certes, c'est avant tout une question de volonté politique mais c'est aussi une question de moyens. Aussi avons-nous obtenu, avec Claudie Haigneré, l'augmentation des crédits pour la promotion de l'Europe, pour le financement de nouvelles lignes assurant la desserte aérienne de Strasbourg et, monsieur Lefort, pour mieux expliquer à nos concitoyens le traité constitutionnel européen, de manière impartiale et pluraliste.

M. Jean-Claude Lefort. Ben voyons !

M. le ministre des affaires étrangères. Le renforcement du multilatéralisme et de la sécurité internationale sera un autre enjeu, qui se traduit en particulier par notre soutien aux opérations de maintien de la paix, ce que François Lamy a bien voulu souligner dans son rapport.

Si les décisions prises aux Nations unies devaient le rendre nécessaire, je reviendrais vers vous pour solliciter l'augmentation de ces crédits en cours d'exercice. Il serait difficile en effet que les autres composantes du budget de ce ministère soient mises à contribution pour financer des dépenses liées à des crises nouvelles nécessitant une action urgente. C'est bien ce que dit votre rapporteur Richard Cazenave quand il décrit ces chapitres comme étant « en limite de capacité ».

Plusieurs d'entre vous, Christian Philip, Henri Emmanuelli, François Rochebloine, ont évoqué la francophonie. Je préciserai quelques chiffres pour être sûr que nous parlions bien des mêmes choses.

Les crédits du chapitre 42-15 compléteront, sur un plan bilatéral, ceux de la francophonie institutionnelle dans le domaine des bourses, de l'enseignement du français et de la formation des élites.

Sur les crédits du chapitre 42-32, dédié à la francophonie, je précise qu'il n'y a pas baisse mais transfert de 1,2 million d'euros de crédits à l'AEFE pour la gestion des bourses de l'Agence internationale de la francophonie.

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis. Exactement !

M. le ministre des affaires étrangères. C'est en abordant ce sujet, monsieur Myard, que vous avez cru utile de vous en prendre au président de la Banque centrale européenne. Mais pour faire part de votre désaccord de fond, comme c'est votre droit, vous auriez dû éviter de manquer de respect à sa personne et à sa fonction en le mettant ainsi en cause.

M. Jacques Myard. C'est lui qui manque de respect à la France en disant qu'il n'est pas français et en s'exprimant dans un idiome barbare !

M. le ministre des affaires étrangères. S'agissant du programme « Français à l'étranger et étrangers en France », trois éléments se distinguent nettement.

D'abord, l'effort d'équipement de nos postes pour la sécurité des communautés françaises. Il porte sur les moyens de communication, l'information des voyageurs et des communautés expatriées et la constitution de plans d'évacuation. Ce qui vient de se passer en Côte d'Ivoire montre, s'il en était besoin, combien cet effort est indispensable. Ces crédits seront portés à 2,2 millions d'euros, soit une hausse de près de 10 %.

Ensuite, et Patrick Bloche s'en est inquiété, l'enseignement français à l'étranger, dont je sais l'importance pour nos compatriotes et le rayonnement de la France. L'AEFE réhabilitera et sécurisera plusieurs de nos établissements scolaires grâce à une subvention d'investissement de 10 millions d'euros. De même, les crédits pour les bourses scolaires seront portés à 41 millions d'euros. Je précise à M. Blisko, qui a évoqué cette question, qu'un élève français sur quatre à l'étranger est aujourd'hui boursier. Cela explique en partie l'augmentation de ces crédits.

Enfin, la réforme du droit d'asile. L'OFPRA est désormais en ordre de marche. L'augmentation de 18 % des crédits de la commission de recours des réfugiés a permis son déménagement à Montreuil - où j'ai inauguré les nouveaux locaux il y a quelques jours - ainsi que le recrutement de 125 contractuels pour la résorption des dossiers en instance. Je tiens à rassurer votre assemblée : pas un jour de travail n'a été perdu du fait de ce déménagement et la commission peut dorénavant travailler dans des conditions à la hauteur de l'enjeu, car 100 000 dossiers de recours de demandeurs d'asile sont en instance.

J'ai évoqué tout à l'heure ma volonté de rationaliser notre réseau diplomatique et consulaire. Sur ce point, je partage aussi l'avis de Jérôme Chartier, votre rapporteur spécial, selon lequel la maîtrise des dépenses est nécessaire, mais ne doit pas conduire à l'impuissance de notre diplomatie.

Notre réseau à l'étranger a beaucoup évolué depuis dix ans. J'entends poursuivre intelligemment cette évolution, de trois manières. D'abord, en rationalisant notre réseau consulaire en Europe, ce que souhaite Richard Cazenave dans son rapport ; ensuite, en supprimant les redondances qui peuvent exister parfois entre alliances françaises et centres culturels ; enfin, en engageant progressivement la mutualisation d'une partie de nos moyens consulaires avec les partenaires européens qui le souhaiteraient.

J'ai également l'intention de mettre à plat la politique immobilière du ministère des affaires étrangères et d'abord de lancer, avec le concours et la participation de l'ensemble des agents, un grand projet pour regrouper à Paris, sur un site unique, nos onze implantations. J'ai relancé notre politique de cessions immobilières à l'étranger. Le ministère a vendu pour 40 millions d'euros d'immeubles entre 1999 et 2003. En 2004, 12 millions d'euros de ventes ont été réalisés et un stock de ventes futures d'environ 50 millions d'euros est déjà identifié. Je peux garantir que la totalité du produit de ces ventes bénéficiera au budget de mon ministère.

M. Chartier, votre rapporteur spécial, s'est également intéressé à la gestion du patrimoine immobilier de l'État à l'étranger. Je tiens à le remercier pour ses nombreuses propositions, que nous allons étudier attentivement.

J'ajouterai quelques mots sur la préparation de notre passage en régime LOLF. Le budget en  format LOLF de la mission « Action extérieure de l'État » a été le premier soumis au Parlement. Ainsi que les rapporteurs l'ont souligné, il est bien plus lisible et plus dynamique que le budget bâti sur le modèle habituel de l'ordonnance de 1959.

Il est vrai cependant que la lecture de ce projet de budget transitoire est plus complexe cette année en raison de la création de quatre nouveaux chapitres expérimentaux de la LOLF, ce qui a conduit à des redistributions de crédits, notamment culturels et de coopération, vers ces nouveaux chapitres. J'insiste sur ce point, plusieurs d'entre vous s'étant interrogés sur l'évolution apparente des crédits de ces chapitres. Je répète que les crédits de la francophonie et de la coopération habituellement inscrits aux chapitres 42-15 ou 37-95 ont été préservés.

L'application de la loi organique permettra de rationaliser les compétences budgétaires des ministères. J'ai déjà mentionné les transferts réalisés depuis les budgets du Trésor vers le fonds sida et de l'agriculture vers l'aide alimentaire. À l'inverse, en 2006, les crédits du budget civil de la recherche reviendront au budget de la recherche.

De plus, le périmètre des emplois sera modifié. Alors qu'aujourd'hui seuls les 9 141 emplois budgétaires sont inscrits en loi de finances, en 2006 les 23 000 agents rémunérés par le ministère seront pris en compte, qu'il s'agisse des titulaires, des contractuels, des assistants techniques ou des personnels de recrutement local, que je ne veux pas oublier. Cela me semble à la fois plus transparent et plus conforme à l'intérêt des agents.

Mesdames et messieurs les députés, vous l'avez tous souligné, l'année 2003 avait été marquée par une vraie inquiétude sociale et budgétaire au sein de ce ministère que j'ai aujourd'hui l'honneur d'animer. Nous ne parvenions plus à faire face correctement à nos missions. La prise de conscience qui en est résultée, sous l'impulsion du chef de l'État et de mon prédécesseur, Dominique de Villepin, a permis de stopper la décrue des crédits. Ce budget est en augmentation de 1,2 %, hors progression de l'aide publique au développement. C'est l'amorce, comme l'a souligné Henriette Martinez, de la remontée de nos crédits, certes modeste, alors que chaque jour apporte de nouvelles crises et de nouveaux défis qui placent notre diplomatie en première ligne.

Avec votre permission, monsieur le président, Xavier Darcos va maintenant vous exposer les grandes lignes de notre budget pour la coopération et l'action culturelle.

Mais je voudrais, pour conclure, puisque c'est la première fois que j'indique à cette tribune, en tant que ministre des affaires étrangères, dans quel sens nous allons et avec quels moyens nous voulons travailler, exprimer ma gratitude et ma reconnaissance à tous les agents du ministère pour leur qualité et leur disponibilité : ils servent bien l'action extérieure de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Mesdames et messieurs les députés, je souhaite vous donner quelques éléments complémentaires concernant les missions que j'exerce auprès de Michel Barnier et, bien sûr, en parfait accord avec lui.

Permettez-moi tout d'abord de féliciter à mon tour les rapporteurs, et plus particulièrement MM. Godfrain, Bloche, Rochebloine et Emmanuelli, d'avoir clairement analysé les crédits de la coopération, du développement et de la francophonie.

Au cours de mon intervention, je m'efforcerai de répondre point par point aux orateurs qui se sont exprimés au nom de leur groupe politique. Je me tiens bien entendu à leur disposition s'ils souhaitent des explications plus détaillées car, vous le savez, les missions de ce ministère sont assez diverses et supposent souvent  du « cousu main », en particulier dans les politiques bilatérales.

Vous souhaitez la clarté, et c'est bien normal. Si l'on se place dans la perspective de la loi organique relative aux lois de finances, le champ de compétence du ministre de la coopération et du développement sera encore mieux clarifié pour le Parlement puisque, parmi les quatre programmes budgétaires qui regrouperont l'activité de l'ensemble du ministère, deux concerneront plus particulièrement l'action de coopération.

Le premier, intitulé « Solidarité à l'égard des pays en développement », est intégré à la mission conjointe avec le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie sur l'aide publique au développement. Il est proposé de le doter d'un peu moins de 2 milliards d'euros.

Le second, intitulé « Rayonnement culturel et scientifique », fait partie de la mission « Action extérieure de l'État » du ministère des affaires étrangères et sera doté de 346 millions d'euros.

Contrairement aux apparences, la distinction entre ces deux programmes n'est pas tant de compétence sectorielle que géographique. Voilà pourquoi je parlais à l'instant de « cousu main ». Une action du même type, selon qu'elle sera réalisée dans un pays inclus ou non dans le périmètre de l'aide publique au développement, prendra place dans l'un ou l'autre des programmes. Monsieur Bourg-Broc, la coopération culturelle ou la francophonie ne sont pas négligées, mais l'accent est mis sur les régions où cette coopération pourra être valorisée dans l'aide au développement, c'est-à-dire sur les pays pauvres ou émergents, le Niger ou la Chine par exemple.

Le ministre de la coopération sera également concerné par bien d'autres programmes du ministère des affaires étrangères. Par exemple, nous avons fait le choix de placer les crédits de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger au sein du programme « Français à l'étranger et étrangers en France ». Je rappelle à cet égard à M. Blisko que la dotation de cette agence augmente de 3 millions d'euros grâce à une mesure exceptionnelle qui permettra de financer la réforme des emplois. Cela devrait permettre de répondre aussi aux préoccupations de MM. Bloche et Rochebloine et à leur souci, légitime, que l'objectif d'aide à nos compatriotes soit bien pris en considération.

M. François Rochebloine, rapporteur pour avis. Qu'est-ce que cela veut dire ?

M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Nous sommes bien conscients d'ailleurs que c'est là un enjeu essentiel. Les écoles sont le ciment de nos communautés, le symbole des liens amicaux qui nous unissent aux pays où nous sommes présents, et ceux qui ont attaqué en Côte d'Ivoire le savaient bien.

Je souhaite donc renforcer cet outil formidable que sont nos établissements français à l'étranger, pour en faire un puissant vecteur d'influence et de développement. Ce point essentiel a fait l'objet, il y a quelques jours, d'une communication en conseil des ministres qui, je crois, a eu quelques échos.

M. François Rochebloine, rapporteur pour avis. Alors, il faut leur donner des moyens !

M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Je viens de dire précisément que la dotation pour la seule AEFE augmente de 3 millions d'euros.

Mes propos seront centrés sur le premier de ces programmes, qui concerne l'aide publique au développement. En effet, comme vient de le dire Michel Barnier, celle-ci constitue bien la première priorité du budget des affaires étrangères. Le programme consacré au rayonnement culturel et scientifique connaîtra une stabilité entre 2004 et 2005, alors que celui consacré à la solidarité à l'égard des pays en développement augmentera de près de 9 % entre 2004 et 2005.

Ces chiffres reflètent l'engagement qu'a pris le Président de la République de consacrer à l'aide au développement 0,5 % de notre richesse nationale en 2007 et 0,7 % en 2012. Nous sommes dans la bonne voie, car cette aide est passée de 0,32 % du PIB en 2001 à 0,42 % en 2004 et elle devrait atteindre 0,44 % en 2005.

L'augmentation de l'aide française gérée par le ministère résulte en grande part, certains d'entre vous l'ont signalé, de la décision de contribuer chaque année au Fonds sida à hauteur de 150 millions d'euros ainsi que de la montée en puissance des décaissements du Fonds européen de développement, auquel nous contribuons pour un quart, et dont la dotation passe de 565 à 628 millions d'euros. Vous le voyez, madame Bousquet, l'augmentation de notre aide est bien réelle, sur le plan tant multilatéral que bilatéral.

Monsieur Lefort, nous poursuivons plusieurs objectifs dans la lutte contre le sida. Premièrement, il s'agit d'être en pointe pour adapter notre législation, de sorte que les pays du Sud accèdent aux médicaments génériques.

M. Jean-Claude Lefort. Vous faites le contraire !

M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. C'est ce que Philippe Douste-Blazy a rappelé à Brasilia et moi-même à Bangkok au mois de juillet dernier.

M. Jean-Claude Lefort. Ne nous parlez pas de Bangkok !

M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Notre deuxième objectif est que le Fonds mondial finance prioritairement les médicaments génériques.

M. Jean-Claude Lefort. Ce n'est pas vrai !

M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Bien sûr que si !

Troisièmement, l'Institut de recherche pour le développement et l'Agence nationale de recherche pour le sida doivent faire des essais thérapeutiques pour valider des combinaisons génériques, contribuant ainsi à l'action de recherche et de valorisation des antirétroviraux. Le coût des médicaments n'est qu'une des composantes du budget du Fonds, qui doit aussi financer des diagnostics, et surtout les systèmes de santé nationaux sans lesquels les pays bénéficiaires ne pourraient utiliser notre aide, quel que soit par ailleurs son niveau.

En tout état de cause, l'engagement du Président de la République est tenu. Me plaçant dans la perspective de 2006 et 2007, je vais vous présenter les quelques pistes sur lesquelles il est souhaitable que nous nous engagions à l'avenir pour atteindre nos objectifs en matière d'aide publique au développement. Il s'agit de passer de 5 milliards d'euros en 2001 à 9 milliards en 2007. L'effort budgétaire sera d'autant plus important que, comme l'ont souligné M. Emmanuelli et M. Godfrain, les allégements de dette, qui représentent aujourd'hui 25 % à 30 % de notre aide, ont vocation à diminuer, voire à disparaître dès 2007, sinon 2006.

Ce sujet, qui a été évoqué à plusieurs reprises, mérite une réponse particulière. Les allégements de dette entrent en tant que tels dans le calcul de l'aide publique au développement, et c'est bien normal puisqu'il s'agit effectivement d'une aide. Les bénéficiaires économisent des sommes importantes en ne remboursant plus leur dette, tel le Cameroun qui y consacre aujourd'hui environ 100 millions d'euros par an, et qui n'aura plus à le faire en vertu d'un contrat de désendettement et de développement. Par ailleurs, les abandons de créance sont soumis aux aléas de leur traitement par le Club de Paris. Enfin, madame Bousquet, les annulations de créances militaires, qui sont toujours clairement identifiées, ne sont pas comptabilisées dans ce cadre.

Pour que l'augmentation de l'aide compense les remises de dette, il faudra que l'État dote davantage l'ensemble des lignes budgétaires qui, dans les différents ministères, concourent à l'aide publique au développement. D'ores et déjà, nous comptons obtenir des autorisations de programme dans la loi de finances rectificative pour 2004 en faveur du Fonds de solidarité prioritaire, de manière à mieux préparer les projets qui feront l'objet de décaissements en 2006 et 2007.

En matière de dotations aux organisations internationales, notre participation, M. Godfrain l'a souligné, reste constante par rapport à 2004. Néanmoins, nous espérons obtenir une dotation complémentaire lors du collectif budgétaire, ce qui nous permettrait d'augmenter substantiellement, de 16 millions à 22 millions d'euros, notre contribution au programme des Nations unies pour le développement. J'espère rassurer Mme Martinez, M. Loncle et M. Cazenave en leur confirmant qu'ainsi nous serons de nouveau dans les dix premiers donateurs du PNUD.

D'autres lignes progressent sensiblement, tels les crédits alloués aux ONG et aux collectivités territoriales dans le cadre de la coopération décentralisée, qui augmenteront de 10 %. M. Godfrain a eu raison d'insister sur le rôle des associations. Nous avons travaillé en concertation avec les organisations de solidarité internationale et les pouvoirs publics, conformément aux recommandations du Premier ministre lors du dernier conseil interministériel de la coopération internationale et du développement, le CICID.

De même, nous prévoyons une augmentation des bourses pour les étudiants étrangers en France, en particulier des bourses d'excellence qui concernent les élèves les plus brillants, ceux qui ont une mention très bien au baccalauréat, et même les bourses « major » destinées aux étudiants qui ont déjà fait deux années d'études supérieures. Nous savons qu'il s'agit d'un élément essentiel de notre politique d'attractivité du territoire français et de promotion à long terme de la langue française.

Enfin, j'indique à Mme Vernaudon qu'en 2005 nous doterons le Fonds de coopération économique, sociale et culturelle pour le Pacifique de 3,2 millions d'euros, soit le double du chiffre de 2003. Nous tenons à associer les collectivités d'outre-mer à la gestion de ce fonds, vous le savez, madame la députée.

Cela étant, il ne faut pas s'en tenir à une vision purement arithmétique de notre aide au développement. Le plus important réside dans les politiques que les chiffres sous-tendent. Le Gouvernement a décidé de se mettre en ordre de bataille pour mener une action plus efficace en faveur du développement. Il nous faut donc obtenir des résultats, c'est-à-dire que les pays que nous aidons se développent, et consolider notre influence en veillant à ce que les thèses françaises imprègnent les organisations multilatérales. Daniel Garrigue a insisté sur ce point à juste titre.

À cette fin, plusieurs mesures ont été décidées le 20 juillet dernier par le CICID. Je retiens cinq d'entre elles.

Premièrement, le ministre chargé de la coopération, sous l'autorité du ministre des affaires étrangères, est désigné comme chef de file pour coordonner l'action des pouvoirs publics. Il rend compte au Premier ministre et au Président de la République. Le caractère interministériel de cette mission est une innovation importante. Le ministre chargé de la coopération présidera aussi la conférence d'orientation stratégique et de programmation, nouvelle instance qui rassemblera tous les ministères concernés, et que je réunirai pour la première fois demain matin. Vous le voyez, monsieur Emmanuelli, Bercy participera bien à cette réunion sous mon autorité et en appliquera, je l'espère, les conclusions.

Deuxièmement, le CICID a décidé de rendre notre aide plus sélective et plus concentrée, pour mieux répondre aux objectifs du Millénaire, au premier rang desquels figure la réduction de moitié de la pauvreté d'ici à 2015. M. Pierre Morange, député en mission auprès du Premier ministre, travaille avec moi plus particulièrement sur les objectifs en matière de santé. À titre d'exemple, nous travaillons au renouvellement et à l'extension de l'excellent projet en cours à Kollo, au Niger, qui prouve bien qu'un dispositif associant deux pays du Sud, en l'occurrence la Tunisie et le Niger, peut réussir avec notre soutien. Je vous confirme, madame Martinez, que ce projet qui vous tient à cœur sera poursuivi, même si c'est désormais l'Agence française de développement qui en sera chargée, compte tenu de la réforme des attributions respectives du ministère et de l'Agence.

Troisièmement, les documents de référence seront dorénavant établis par pays et par secteur. Ainsi, notre aide fera l'objet d'une discussion avec les autorités du pays d'accueil et un document cadre de partenariat, le DCP, sera rédigé en toute transparence, sous l'autorité renforcée de nos ambassadeurs. De même, dans chaque secteur, une stratégie d'ensemble est en cours d'élaboration. Pour ne prendre qu'un exemple, celui du secteur productif, j'ai personnellement veillé à ce que l'action de la France s'oriente en faveur des petites entreprises qui ont pu, dans le passé, se sentir un peu négligées par rapport aux grandes multinationales.

Quatrièmement, le rôle de chacun dans la mise en œuvre de l'aide est clarifié : au ministère des affaires étrangères revient la définition des stratégies et des grandes orientations, et à l'Agence française de développement leur mise en œuvre sur le terrain. Comme le disait en d'autres termes M. Chartier, c'est une évolution importante de notre organisation qui va fortement mobiliser nos équipes, mais qui ne signifie en rien, monsieur Emmanuelli, un affaiblissement du ministère des affaires étrangères, bien au contraire ! Il s'agit d'un transfert de compétences, mais les crédits sont inscrits au budget du ministère et nous négocions, avec beaucoup de fermeté naturellement, les conditions d'utilisation par contrat d'objectif. Par ailleurs, la tutelle sur l'AFD est renforcée ; l'agence devra en particulier appliquer les stratégies pays et sectorielles définies par l'État. Il n'y a donc aucun abandon de pouvoir.

Cinquièmement, la relation entre le Parlement et le Gouvernement sera également renforcée. Un document de politique transversale sera présenté tous les ans en annexe de la future mission interministérielle sur l'aide au développement. Il sera préparé par le ministère chargé de la coopération. Il s'agira donc de coordonner l'action en matière de coopération avec l'accord de Bercy.

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial. C'est le mot « accord » qui compte !

M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Vous vous êtes plaint, monsieur le rapporteur, de l'expression « présenter la mission APD au Parlement » que vous trouvez insuffisante. Il s'agit de coordonner l'ensemble des politiques sur le sujet. Ce document se substituera au « jaune » budgétaire qui, aujourd'hui, je le reconnais volontiers, n'est pas toujours très lisible.

Au-delà de l'aide apportée par le budget, il faudra trouver de nouvelles sources innovantes de financement. Je reviens du Brésil où j'ai largement discuté de la proposition du Président de la République concernant l'instauration d'une taxe internationale, qui a été présentée conjointement par le président Lula et Jacques Chirac, avec le soutien de l'Espagne et du Chili. La question a été débattue à l'ONU le 20 septembre dernier, quelques jours après la publication du rapport rédigé par M. Landau, Les nouvelles contributions financières internationales, qui mérite toute notre attention. Comme l'a souligné M. Godfrain, ce rapport ouvre des pistes pour améliorer le financement du développement et optimiser la contribution des fondations privées. Je partage également son souci de mieux mobiliser l'épargne des migrants. Nous y travaillons, et nous avons même nommé un ambassadeur au co-développement. Cela aussi participe au rayonnement de la France, monsieur Myard.

Plus généralement, ce rapport souligne qu'il est à la fois techniquement possible et économiquement rationnel de mettre en place des taxes internationales : sur le transport aérien ou maritime, les transactions financières ou les dépenses d'armement. En tout état de cause, il faut qu'elles soient décidées dans un cadre démocratique, après le vote de chaque Parlement national, plutôt que par des instances supranationales qui n'auraient pas la légitimité indispensable. Les chiffres sont parlants : aujourd'hui, les dépenses mondiales d'armement représentent approximativement 900 milliards de dollars et l'aide au développement 50 milliards. Il ne serait pas scandaleux de la multiplier par deux.

L'aide aux pays en développement et la coopération constituent bien, mesdames et messieurs les députés, l'une des tâches essentielles de l'action extérieure du Gouvernement. J'émets le vœu que, grâce à la représentation nationale, l'opinion publique soit mieux sensibilisée à une politique dont la France est l'un des chefs de file incontestés.

S'agissant enfin de la francophonie, dont ont parlé notamment M. Rochebloine et M. Philip, on ne peut s'en tenir à la seule ligne budgétaire, dotée de 50 millions d'euros, qui ne sont d'ailleurs pas négligeables. Cette somme va à la francophonie institutionnelle, mais il faut y ajouter nos contributions indirectes. Si l'on prend en compte les subventions aux écoles, à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger ou les crédits dédiés au projet audiovisuel mentionné par Michel Barnier, ce ne sont plus 50 millions d'euros mais 600 millions qui sont consacrés chaque année au rayonnement de la langue et de la culture françaises.

Des évolutions sont sans doute nécessaires entre l'Agence intergouvernementale et l'Organisation internationale. Je proposerai, comme le souhaite M. Philip, une réunion avec les parlementaires qui s'intéressent à cette question en présence des principaux acteurs concernés, M. Diouf en particulier, pour que nous puissions réfléchir ensemble à la réforme des institutions de la francophonie. De nombreux travaux sont en cours, mais on ne bouleverse pas en quelques jours ce que cinquante-six États ont bâti patiemment. Nous avançons sur le chemin d'une francophonie plus mobilisatrice, plus politique. Mais la tâche est lourde, et nous espérons que le sommet de Ouagadougou, la semaine prochaine, permettra d'approfondir la réflexion. Il aura au moins le mérite de mettre la francophonie sous les feux de l'actualité.

La francophonie, certains d'entre vous me l'ont reproché, ne suscite pas suffisamment d'intérêt en France alors qu'elle attire de plus en plus d'États et de peuples soucieux de soutenir une autre conception de la mondialisation, à commencer par la diversité culturelle.

Nous devons donc tous ensemble nous efforcer de mettre en lumière la plus-value qu'elle représente dans le traitement des grandes questions politiques, économiques et culturelles. Votre rôle, mesdames et messieurs les députés, est, à ce titre, essentiel pour convaincre et mobiliser nos concitoyens. Je me tiens aux côtés de Michel Barnier à votre écoute et à votre disposition pour étudier les propositions que vous pourriez formuler en la matière. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous en arrivons aux questions.

Nous commençons par le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

La parole est à M. Yves Nicolin.

M. Yves Nicolin. Monsieur le ministre, ma question porte sur la création de l'Agence française de l'adoption.

Depuis deux ans que je l'appelle de mes vœux, je ne puis que me réjouir, en tant que président du Conseil supérieur de l'adoption, qu'une telle création ait été voulue par le Premier ministre et qu'elle figure dans le projet de réforme de l'adoption présenté le 16 juin dernier en conseil des ministres par Mme Roig.

Avec seulement 5 000 adoptions chaque année pour 24 000 familles aujourd'hui dans l'attente d'un enfant, du fait de dossiers bloqués et d'une procédure d'agrément inadaptée, il devenait urgent de moderniser le dispositif.

D'ailleurs, certains pays comme la Russie refusent de plus en plus l'adoption à titre individuel - qui représente pourtant 66 % des adoptions françaises - et ne souhaitent plus traiter qu'avec une instance nationale. Telle est la raison pour laquelle l'Agence française de l'adoption va voir le jour aux côtés des OAA, organismes agréés pour l'adoption.

Outre les fonctions d'opérateur, sa mission consistera à accompagner les familles d'adoption dans leurs démarches. Elle renseignera les familles et instruira les dossiers, tout en servant d'intermédiaire avec les pays d'origine. Elle aidera en particulier dans leur parcours, généralement long, difficile et onéreux, celles qui choisissent l'adoption à l'étranger dans le cadre d'une démarche individuelle. Elle reprendra à sa charge toutes les compétences de gestion de l'actuelle Mission de l'adoption internationale - MAI -, avec les personnels correspondants, et elle sera le partenaire des OAA. Ainsi nous réussirons, je l'espère, à tenir l'objectif fixé par le Premier ministre de doubler le nombre d'adoptions dans les prochaines années.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous serais reconnaissant de nous indiquer où en est la naissance annoncée de l'Agence française de l'adoption et quels moyens financiers et humains vous entendez affecter à sa création, dans le budget 2005 notamment.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre des affaires étrangères. Je vous remercie, monsieur Nicolin, de m'interroger sur la réforme adoptée en conseil des ministres le 16 juin dernier. Chacun connaît le rôle que vous jouez à la tête du Conseil supérieur de l'adoption.

Cette réforme vise à rationaliser le dispositif grâce à la création d'une Agence française de l'adoption, qui reprend les compétences de la Mission de l'adoption internationale relatives au suivi des dossiers individuels. Ce point est actuellement en préparation au ministère de la famille.

L'Autorité centrale pour l'adoption internationale conservera les attributions régaliennes qui sont actuellement exercées par la Mission pour l'adoption internationale. Les effectifs - une dizaine de postes - et les subventions - environ 200 000 à 300 000 euros - actuellement affectés au suivi des dossiers individuels à la MAI seront redéployés vers l'Agence française de l'adoption. Tout cela devrait être mis en œuvre dans le courant de l'année 2005.

J'ajoute que, dans le cadre de cette réforme, il est prévu, à compter du 1er janvier 2005, de doubler le montant de la prime pour adoption.

M. le président. La parole est à M. Édouard Landrain.

M. Édouard Landrain. Monsieur le ministre, je voudrais vous parler d'Haïti. C'est un pays francophone, c'est un pays pauvre, c'est un pays qui a été dévasté à la fois par la politique et par les éléments, mais c'est un pays qui espère encore. Les Haïtiens espèrent en eux et ils espèrent en la France.

Qu'avez-vous fait, monsieur le ministre, et qu'avez-vous l'intention de faire encore pour cette malheureuse république noire, que ce soit dans le domaine de la francophonie - car Haïti croit en la langue française, ce qui est exceptionnel pour un pays de la zone Monroe - ou sur les plans économique, notamment agricole, et sanitaire ?

Il faudrait que le dossier de l'Institut français de Port-au-Prince, qui avait été au premier plan des préoccupations de vos prédécesseurs, soit rouvert. Les élites et tous ceux qui croient en la France attendent le renouveau de cet institut qui a été démoli en vue d'être reconstruit. Le concours d'architecte était lancé. Les fonds étaient, paraît-il, trouvés, mais hélas vos prédécesseurs ont ensuite oublié le projet, lequel donne aujourd'hui la désagréable impression de n'être plus qu'un mauvais rêve.

Monsieur le ministre, j'espère en vous, j'espère en notre pays, la France. Les Haïtiens espèrent avec nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur Landrain, dans la situation dramatique que connaît Haïti, la priorité, c'est évidemment le développement, mais les questions culturelles et linguistiques que vous évoquez ne doivent pas pour autant être négligées. Le français, chacun le sait, est, avec le créole, la langue officielle de ce pays et l'action de la France dans le domaine de la francophonie repose sur un réseau culturel, sur le lycée français et sur l'Agence universitaire de la francophonie.

Le réseau culturel est constitué par l'Institut français d'Haïti, dont la subvention annuelle - 516 000 euros - n'est pas négligeable, et par les six alliances françaises - Cap Haïtien, les Gonaïves, Jacmel, les Cayes, Jérémie et Port-de-Paix - dont la subvention annuelle est de 300 000 euros.

Les installations de l'Institut français d'Haïti, vous avez raison, sont vétustes. Le terrain est inondable. Notre ambassade négocie actuellement un échange de terrains avec la République d'Haïti. Dès que la situation politique locale le permettra, le ministère des affaires étrangères pourra attribuer - dès 2005 sans doute - une subvention immobilière de reconstruction de l'Institut.

Le lycée français, quant à lui, accueille quelque 674 élèves, dont une majorité d'Haïtiens. Il n'y a aucune raison de s'alarmer de son fonctionnement, malgré un environnement assez défavorable.

Enfin, l'Agence universitaire de la francophonie a installé son bureau régional à Port-au-Prince. Elle soutient 1 700 étudiants et vingt professeurs, et organise neuf formations annuelles en linguistique spécialisée.

Monsieur Landrain, vous avez raison d'être attentif mais, vous pouvez le constater, notre rayonnement, au travers de la langue française et de nos instituts linguistiques et culturels, reste tout à fait actif à Haïti, en dépit d'une situation difficile sur le terrain.

M. le président. Nous en venons à la question du groupe Union pour la démocratie française.

La parole est à M. Bernard Debré.

M. Bernard Debré. Monsieur le ministre, je profite de ma question pour remercier les soldats de Licorne qui ont sauvé tant d'hommes et de femmes en Côte d'Ivoire. (Applaudissements.) J'ai moi-même exercé dans ce pays, dont j'ai formé la quasi-totalité des chirurgiens. Ces hommes et ces femmes ivoiriens, je peux vous l'assurer, sont très proches de nous et ne sont pas derrière des manifestants qui ont montré une image hideuse de l'Afrique, qui ne correspond en rien à la réalité.

Je voudrais également remercier la cellule d'urgence du Quai d'Orsay, pour sa prévoyance, sa compétence et son efficacité.

Monsieur le ministre, les consulats, partout en Afrique, jouent un rôle essentiel, qu'il s'agisse des pays en guerre, des pays troublés ou des pays en paix - il existe heureusement beaucoup de pays pacifiques sur ce continent. Or votre plan prévoit la suppression d'un grand nombre de consulats, ce qui perturbe les Français qui, installés en Afrique, font vivre les pays où ils habitent. Il en est ainsi du consulat de Port-Gentil, dont l'importance est fondamentale. Sa présence demeure nécessaire, et vous vous apprêtez à le supprimer.

Monsieur le ministre, quelle est votre politique en la matière et pouvez-vous revenir sur certaines fermetures ?

M. Jacques Myard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre des affaires étrangères. Je vous remercie de votre commentaire sur le formidable travail des soldats français en Côte d'Ivoire et sur celui des fonctionnaires du Quai d'Orsay, sans oublier tous ceux que j'ai tenus à remercier à la tribune.

Nous avons conduit une véritable réflexion sur les missions de notre réseau diplomatique, consulaire et culturel. Son aménagement a pour objectif de mieux utiliser l'argent public en le rendant plus cohérent. Au terme de notre réflexion, la décision a été prise de ne fermer que trois postes consulaires - Lausanne, Ottawa et Düsseldorf -, tandis que d'autres postes verront leur rôle évoluer sans remise en cause de leur existence. Même pour les trois postes que je viens d'évoquer, j'ai demandé à mes services d'évaluer sur une ou deux années les conséquences de leur fermeture. Cette évaluation, dont je tiendrai compte, me permettra de confirmer ou d'adapter les décisions prises.

La nouvelle configuration du réseau consulaire permettra de faire évoluer le rôle de neuf postes vers une fonction de consulat d'influence : il s'agit notamment de Hambourg, Stuttgart, Turin, Cracovie, Recife, Alexandrie et Port-Gentil, que vous avez cité ; de concentrer les compétences les plus techniques grâce à la télé-administration : il en sera ainsi de l'état civil recentré à Berlin pour l'Allemagne ou à Bruxelles pour la Belgique ; de mieux prendre en compte la dimension européenne en permettant à nos compatriotes de s'adresser aux administrations locales : les postes consulaires n'exerceront plus d'attributions notariales dans l'Union européenne à partir de 2005 ; enfin, de développer la coopération consulaire européenne.

Ce dernier point vaut sans doute pour l'Afrique, monsieur Debré, comme pour les autres continents. Il s'agit, de manière très empirique, de créer avec les pays de l'Union qui le souhaiteraient - j'ai déjà commencé à travailler sur le sujet avec mes collègues allemand et espagnol - une mutualisation des moyens consulaires des pays de l'espace Schengen. Une telle mutualisation de nos moyens nous permettrait de mieux les utiliser en Amérique du Sud, en Afrique ou en Europe. Peut-être déboucherons-nous ainsi, dans certains cas, sur des consulats européens.

Quoi qu'il en soit, j'ai noté vos préoccupations en ce qui concerne certains des consulats visés par nos mesures. Je vous promets que celles-ci feront l'objet d'une évaluation objective.

M. le président. Nous en venons aux questions du groupe des député-e-s communistes et républicains.

La parole est à M. Jean-Claude Lefort.

M. Jean-Claude Lefort. Messieurs les ministres, je suis un peu désarçonné par la teneur de ce débat. Si être un bon ministre, c'est ne pas répondre aux questions des députés, alors vous êtes excellents ! Mais si c'est prendre le temps d'approfondir les questions que posent les députés, alors, sans doute, un autre qualificatif s'impose-t-il. Je vais donc vous adresser ma question comme on jette une bouteille à la mer, en espérant que la fiche que l'on vous aura préparée y correspondra tant soit peu. On ne sait jamais !

Mais laissez-moi vous dire auparavant, monsieur Darcos, que la façon dont vous avez parlé du sida est totalement  à côté de la plaque, pour employer une expression bien française. Dois-je vous rappeler vos déclarations sur le sida à la conférence de Bangkok ? Je vous demande en toute modestie d'écouter les députés : ils savent de quoi ils parlent.

Mais j'en viens à ma question. Il existe à l'heure actuelle sur la planète un fossé incontestable - personne ne remet en cause son existence - entre la poignée de ceux qui détiennent des fortunes considérables et les milliards d'individus qui sont privés des moyens élémentaires de subsistance. Ainsi, la moitié de l'humanité vit avec moins de 2 dollars par jour et, au rythme actuel, l'Afrique devra attendre l'année 2 129 pour assurer l'accès de tous à l'école primaire et l'année 2 156 pour réduire des deux tiers la mortalité infantile.

Or, avec 60 milliards de dollars, l'aide publique au développement demeure trop faible. Le sommet de Monterey, en 2002, n'a dégagé aucune mesure concrète sur le financement du développement pour atteindre les objectifs du Millénaire fixés par l'ONU, lesquels visent à réduire de moitié la pauvreté dans le monde d'ici à 2015.

C'est dans ce contexte qu'une déclaration commune en faveur d'un Fonds mondial contre la faim et la pauvreté a été signée à Genève, en janvier 2004, par le Président de la République française, le président brésilien, le président chilien et le secrétaire général de l'ONU. Cette sorte de « quartet » a également mandaté un groupe d'experts pour réfléchir à « des sources innovantes de financement » permettant d'abonder ce fonds. Les conclusions de ce groupe, ainsi que celles du rapport de M. Landau, à qui le Président de la République avait confié une mission similaire en novembre 2003, ont été présentées à l'ONU. Elles portent sur des mécanismes très diversifiés de financement, public ou privé, obligatoire ou volontaire, fondé ou non sur une adhésion universelle. Certains instruments seraient susceptibles d'être adoptés très vite. Je les ai évoqués dans mon intervention, mais sans obtenir de réponse.

Compte tenu de l'urgence de la lutte contre ces situations dramatiques, pourriez-vous m'indiquer, monsieur le ministre délégué, les initiatives que prendra la France pour qu'une suite rapide soit donnée aux préconisations de ces rapports ? Par ailleurs, notre pays proposera-t-il de mettre à l'ordre du jour du prochain G8 l'idée d'une taxation internationale et de mobiliser les opinions publiques en sa faveur ? Je vous remercie de votre réponse, en espérant que vos fiches correspondent à mes questions.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Pour être certain de ne pas m'enfermer dans les chiffres, monsieur Lefort, je me passerai de fiche !

À propos du sida et des médicaments génériques, je n'ai fait que vous donner la position de la France. Peut-être ne vous satisfait-elle pas, mais je suis ministre de la République. Et c'est aussi la position que j'ai essayé de défendre à Bangkok en juillet dernier, non sans difficulté d'ailleurs, car elle n'était pas comprise par tout le monde.

S'agissant de l'aide au développement et de ses nouvelles sources de financement, il n'y a pas de désaccord sur le fond. La communauté internationale s'est mise d'accord sur les objectifs du Millénaire, et notamment sur celui qui consiste à réduire de moitié, d'ici à 2015, la pauvreté dans le monde, c'est-à-dire le nombre de personnes qui vivent avec moins d'un dollar par jour. Nous disposons aujourd'hui d'évaluations sur le coût de ces objectifs, qui montrent que les systèmes d'aide actuels ne permettront pas de respecter les échéances prévues. Plusieurs rapports, dont l'un commandé par l'Union africaine, montrent par exemple que le processus fast track, visant à dispenser une éducation de base à tous, pourra arriver à son terme non en 2015, mais en 2147 !

Tout le monde s'accorde donc sur la nécessité de trouver de nouvelles sources de financement. La France, quant à elle, ne s'est pas contentée de parler de manière générale : elle a demandé au groupe présidé par M. Landau - au sein duquel étaient représentées des tendances très diverses, dont les ONG et le groupe ATTAC - de procéder à un examen complet des solutions possibles. Ont ainsi été étudiés des systèmes reposant sur des assiettes extrêmement variées : aéronautique, ventes d'armes, échanges économiques ou boursiers, et même loterie internationale.

Il s'agissait ensuite de déterminer la faisabilité de ces propositions. Nous nous sommes heurtés à deux difficultés. Certains pays s'opposent au principe d'une taxation internationale : les États-Unis, la Suisse, l'Arabie saoudite et même l'Allemagne considèrent qu'il ne convient pas de créer un impôt supranational et préfèrent que chaque pays augmente sa dotation à partir de ses propres ressources. D'autres pays proposent des solutions alternatives : ainsi, la Grande-Bretagne préférerait constituer un Fonds à partir d'un grand emprunt garanti par les États, l'International fund facility - IFF -, afin de répondre immédiatement aux besoins.

Il fallait lever ces deux obstacles pour aboutir à un consensus international. Nous avons donc essayé de convaincre les pays du premier groupe qu'ils ne pourraient pas longtemps maintenir leur position contre leurs opinions publiques, qui ne peuvent comprendre que l'on se fixe des objectifs sans les financer. À cet égard, je rappelle que les États-Unis ont signé en avril dernier, pour la première fois, une déclaration des Nations unies approuvant le principe de financements nouveaux. Quant à la Grande-Bretagne, elle a accepté de combiner sa solution, l'IFF, avec une taxation internationale mise en œuvre à moyen terme. Notre position est donc confortée.

S'il est un pays auquel on ne peut rien reprocher à ce sujet, c'est bien la France ! Le président Chirac a présenté ce projet aux Nations unies le 20 septembre dernier, aux côtés du président da Silva, du président Lagos et du Premier ministre Zapatero ; 107, puis 110 pays s'y sont ralliés. Du coup, trois décisions ont été prises : premièrement, les institutions de Bretton Woods - le FMI et la Banque mondiale - examineront en avril prochain la faisabilité des propositions de taxation internationale ; deuxièmement, les projets seront également discutés lors de la présidence britannique du G8 en vue de choisir l'un d'entre eux ; troisièmement, à la faveur de la révision à tiers de parcours des objectifs du Millénaire, qui aura lieu aux Nations unies en octobre 2005, on déterminera les décisions à prendre immédiatement.

Vous ne pouvez donc prétendre que la France ne fait rien, monsieur Lefort, puisqu'elle a, pour ainsi dire, tout fait. Nous avons même bon espoir que soit mis en place en 2005 un nouveau dispositif de financement de l'aide publique au niveau international. J'espère que l'on se souviendra alors qu'on le doit à une initiative française et aux conclusions du rapport Landau.

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. L'entrée des étrangers en France et le régime des visas qui leur est appliqué constituent un domaine où, malheureusement, l'administration dispose d'un large pouvoir d'appréciation. La politique française en matière de visas continue d'être guidée non seulement par des impératifs de sécurité, mais aussi par le souci de maîtriser les flux migratoires. Vous invoquez vous-même, monsieur le ministre, « la nécessité de lutter contre une pression migratoire croissante ».

En cela, d'ailleurs, notre pays ne s'éloigne guère du traité établissant une Constitution pour l'Europe, lequel dispose en sa partie III, titre III, chapitre IV : « L'Union développe une politique commune de l'immigration visant à assurer [...] une gestion efficace des flux migratoires. » À cette fin, la loi établit «  les conditions d'entrée et de séjour, ainsi que les normes concernant la délivrance par les États membres de visas et de titres de séjour de longue durée ».

Depuis la vague d'attentats de 1986, les mesures sur la circulation transfrontalière, arrêtées à l'origine pour six mois, sont toujours en vigueur et ont même été durcies. Les conditions d'entrée des étrangers en France sont ainsi, de facto, soumises à l'arbitraire des autorités consulaires. Ces pratiques vont d'autant plus fortement à l'encontre des droits fondamentaux qu'elles sont assorties d'un paiement des visas, mesure qui a fait baisser le nombre des demandes de 25 %, même si elles s'élèvent encore à près de 2,5 millions. Le demandeur doit en outre fournir une attestation de prise en charge par un opérateur agréé, notamment pour les dépenses médicales et hospitalières, avec garantie de rapatriement, une attestation d'hébergement, ainsi que la preuve qu'il dispose d'une somme d'argent substantielle. Ainsi se trouve établie une sélection par l'argent. Enfin, l'obtention d'un visa peut prendre un an ou plus.

Si le nombre de demandes baisse depuis la loi de 26 novembre 2003, ce n'est donc pas un hasard. Mais cela ne signifie pas que moins de personnes souhaitent entrer sur le territoire français. Malgré tous les obstacles qu'on leur oppose, beaucoup prennent le risque de venir sans visa, grossissant ainsi les rangs des 300 000 sans-papiers.

Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour faciliter les conditions d'entrée sur le territoire français et pour mettre fin au dogme qui règne dans nos services consulaires, celui de la fermeture de nos frontières sous prétexte de protection ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre des affaires étrangères. Vous ne pouvez parler, monsieur Braouezec, d'un « dogme de la fermeture ». Dans la maîtrise des flux migratoires, nos consulats sont aux avant-postes. Ils font avec compétence, conscience et impartialité un travail difficile. Leur mission ne se résume pas à un simple contrôle préalable de l'accès au territoire : elle consiste également à faciliter la venue en France de ceux qui contribuent à la vitalité de nos relations internationales, sans oublier les impératifs de sécurité liés aux menaces terroristes - vous l'avez vous-même rappelé -, conformément au Conseil européen de Séville. À tous ces titres, les consulats sont des instruments de notre politique étrangère.

S'agissant des visas de moins de trois mois, qui représentent plus de 90 % de ceux qui sont délivrés, la procédure, les vignettes, les tarifs et les formulaires sont harmonisés dans le cadre de Schengen. Nous n'avons plus, dans ce domaine, une compétence strictement nationale : les décisions sont prises avec nos partenaires européens. Cela étant, 212 postes consulaires ont enregistré 2,5 millions de demandes en 2003, dont 2 millions ont abouti à la délivrance d'un visa : nous sommes par conséquent loin d'être un pays fermé. La France est même, après l'Allemagne, le pays de l'Union qui reçoit le plus de demandes. Nous y consacrons des moyens humains et matériels importants et, après le déploiement de nouveaux moyens informatiques, nous préparons l'expérimentation du relevé des empreintes digitales des demandeurs, en application de la loi du 26 novembre 2003.

Tel est, monsieur le député, le rapide bilan que je puis dresser de notre politique en la matière.

M. le président. Nous avons terminé les questions.

AFFAIRES ÉTRANGÈRES

M. le président. J'appelle les crédits inscrits à la ligne : « Affaires étrangères ».

Sur le titre III de l'état B, je suis saisi d'un amendement n° 130.

La parole est à M. Jacques Myard, pour le soutenir.

M. Jacques Myard. Permettez-moi un propos liminaire, monsieur le ministre : ne défendez pas l'indéfendable ! Le respect, cela se mérite, et ceux qui prétendent appartenir à l'élite de la nation tout en crachant à la figure de ses représentants, alors qu'ils sont là parce que le peuple l'a voulu, méritent non pas le respect, mais l'indignité nationale. J'eusse aimé par conséquent que le Gouvernement proteste contre les agissements de ce haut fonctionnaire qui a dévoyé la mission pour laquelle la République l'a porté là où il est !

J'en viens à mon amendement en soulignant à nouveau que la situation internationale est mauvaise et ira en se dégradant. Nous ne pouvons donc faire l'impasse sur les moyens de notre action extérieure, tant en matière de défense qu'en matière de diplomatie. Ce soir, nous devons être unanimes pour rétablir ceux du ministère des affaires étrangères. La Constitution nous laissant peu de latitude en matière financière, mon amendement vise à supprimer une mesure nouvelle - mesure de suppression - en majorant les crédits de 1 129 570 euros. Son adoption ne mettra pas en péril l'équilibre de la loi de finances, la somme étant modique, mais elle constituera un signal fort adressé aux plus hautes autorités de l'État pour qu'elles donnent des moyens suffisants à ce ministère, qui est sur la brèche en Côte d'Ivoire et ailleurs. Et ce sera également un signal pour les autres ministères, qui n'ont pas observé la même discipline ces dernières années : rappelons que 10 % des moyens en personnel du ministère des affaires étrangères ont été supprimés. Trop, c'est trop ! Si tous les ministères avaient fait de même, l'appareil d'État agirait aujourd'hui avec plus de vélocité !

Mes chers collègues, il faut parfois savoir désobéir. En 1914, le premier lord de l'Amirauté disait de l'amiral Jellicoe qu'il avait toutes les qualités de Nelson sauf une : ne pas savoir désobéir ! En votant cet amendement, vous aurez rétabli l'honneur du Parlement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jérôme Chartier, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, pour les affaires étrangères et la francophonie. Si je vous en crois, monsieur Myard, il s'agirait d'un acte de désobéissance civique...

M. Jacques Myard. Non : de désobéissance parlementaire !

M. Jérôme Chartier, rapporteur spécial. La commission, qui a approuvé les crédits du ministère des affaires étrangères, n'a pas examiné cet amendement. Personne, bien entendu, ne peut en contester le principe.

M. Jacques Myard. Votez-le, alors !

M. Jérôme Chartier, rapporteur spécial. Il faut encourager le ministère à rester dans un cercle vertueux. Mais on peut le faire d'autres façons, et j'en vois personnellement trois.

D'abord, il faut veiller à ce qu'il puisse honorer les dotations internationales et ne soit pas obligé de payer 1,2 million d'euros de pénalité pour n'avoir pas acquitté sa contribution au Fonds européen de développement : comme par hasard, c'est le montant de la mesure que vous proposez !

En 2003, 496 millions d'euros de crédits ont été ouverts au titre du FED, dont 49,6 millions ont été gelés au motif qu'habituellement 85 % seulement des crédits du FED étaient réalisés. Malheureusement, cela s'est révélé faux en 2003 et l'État français s'est trouvé dans l'incapacité d'honorer le dernier paiement de 88 millions d'euros.

Cette année, le ministre des affaires étrangères va tout faire pour obtenir une dotation supplémentaire en loi de finances rectificative afin de régulariser les arriérés. Non seulement il faut que nous l'aidions à obtenir cette dotation supplémentaire, mais nous devons veiller à ce que les 628 millions d'euros inscrits pour l'an prochain ne fassent pas l'objet d'un gel, ce qui conduirait à nouveau au paiement de 1,2 million d'euros.

Je vous invite également - c'est ma deuxième proposition - à regarder particulièrement, au chapitre 37-90, les 4 millions d'euros de l'article 20. Le 1er janvier 2003, les droits de timbre perçus sur les visas ont été remplacés par des frais de dossier. Cette mesure ingénieuse, dont l'initiative revient aux affaires étrangères, a permis de faire passer les ressources correspondantes de 58,31  à 83,31 millions d'euros et de réduire de 500 000 sur l'année le nombre de demandes de visas. Le ministère du budget avait promis que s'il obtenait ainsi 10 millions d'euros de ressources supplémentaires - il en a obtenu 25 millions -, il reverserait au ministère des affaires étrangères 4 millions d'euros, ce qui fut fait.

Pour 2005, le système est un peu plus ingénieux : le ministère obtiendra les 4 millions d'euros dès lors qu'ils représenteront 35 % de la ressource supplémentaire, qui devrait donc atteindre 11,5 millions d'euros. Mais c'est très difficile à obtenir, car l'appel d'air de 2003 ne se retrouvera pas chaque année en termes de croissance des droits. Si cette démarche vertueuse du ministère des affaires étrangères n'est pas poursuivie, tout ou partie de ces 4 millions d'euros disparaîtront des ressources du ministère.

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial. Ce n'est ni vertueux, ni glorieux !

M. Jérôme Chartier, rapporteur spécial. Troisième proposition : le ministère des affaires étrangères n'est pas couvert, s'agissant de ses dépenses, contre le risque de change, contrairement à la plupart des grandes entreprises françaises.

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial. On le sait !

M. Jérôme Chartier, rapporteur spécial. En 2004, l'évolution de la parité euro-dollar a plutôt joué en faveur du ministère. Mais imaginons l'inverse : avec seulement un demi-point de modification de la parité euro-dollar, c'est 30 millions d'euros de dépenses supplémentaires pour le budget des affaires étrangères.

Au lieu de présenter cet amendement, auquel je ne puis naturellement être favorable, je vous propose, monsieur Myard, de veiller avec moi et avec vos collègues de la majorité - et je l'espère de l'opposition - à ce que les crédits du ministère des affaires étrangères soient honorés, à ce que le risque de change soit couvert et à ce que le cercle vertueux des frais de visa bénéficie en totalité au ministère des affaires étrangères. La Cour des comptes a estimé que cela ne relevait pas du Parlement mais d'un fonds de concours. En effet, ce n'est pas une recette fiscale.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre des affaires étrangères. Au-delà de l'ingéniosité budgétaire dont a fait preuve le rapporteur spécial, qui aura, je l'espère, été entendu au-delà de ces murs, (Sourires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) les crédits que vous voulez supprimer, monsieur Myard...

M. Jacques Myard. Non, rétablir !

M. le ministre des affaires étrangères. ...sont relatifs aux pensions et allocations familiales, à l'expérimentation de la LOLF, en supprimant trois chapitres expérimentaux, au financement de la réforme de l'OFPRA et à celle du corps des conseillers des affaires étrangères. Très franchement, cela ne serait pas compris.

M. Jacques Myard. Ce n'est pas cela !

M. le ministre des affaires étrangères. Vous vous inquiétez - et je comprends le principe qui sous-tend votre démarche - des effets de la maîtrise des budgets, de la rigueur qui a conduit à ne remplacer qu'un départ à la retraite sur deux. Nous appliquons cette règle de solidarité budgétaire, comme tous les autres ministères. Mais, en contrepartie des efforts de rigueur qu'elle a consentis, mon administration a été préservée des gels budgétaires en 2004. J'entends bien qu'elle le soit aussi en 2005. Elle disposera ainsi de l'intégralité du budget que vous allez voter.

Pour toutes ces raisons, je souhaiterais qu'après avoir exprimé vos préoccupations, vous retiriez votre amendement. Si vous ne le faites pas, je me verrai contraint de lui opposer un avis défavorable.

M. le président. Monsieur Myard, retirez-vous votre amendement ? (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Myard. Pas du tout !

M. le président. Je posais simplement la question rituelle...

M. Jacques Myard. Il ne s'agit pas, monsieur le ministre, de supprimer des crédits mais d'en rétablir, puisque je demande la suppression d'une mesure nouvelle négative ! Je veux au contraire abonder votre budget.

Monsieur le rapporteur, le problème n'est pas dans le différentiel de change, mécanisme bien connu des affaires étrangères - on a toujours, peu ou prou, réussi à faire des ajustements -, mais dans les moyens humains mis à la disposition de ce ministère. Il est impératif que nous ayons des hommes formés, connaissant les pays qui seront demain en crise. Il faut comprendre le monde dans lequel nous vivons. La République a besoin d'avoir sur le terrain des gens qui l'informent correctement. Il est impératif de faire preuve d'audace, au lieu de nous en tenir à une pseudo discipline qui nous mène droit dans le mur !

C'est la raison pour laquelle je maintiens mon amendement.

M. le président. Monsieur Myard, nous l'avons bien compris.

Je mets aux voix l'amendement n° 130.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Avant de mettre aux voix les crédits inscrits au titre III, le groupe socialiste bénéficiant encore d'un temps de parole de cinq minutes, je vais donner la parole à M. Emmanuelli, pour une explication de vote.

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial. Monsieur le ministre, j'associe le groupe socialiste aux remerciements que vous avez adressés aux personnes qui s'occupent de nos compatriotes rapatriés de Côte d'Ivoire. Nous avons, nous aussi, le souci de leur sécurité. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes interrogés sur la rapidité et l'ampleur des mesures de rétorsion qui ont été mises en œuvre, alors même, nous dit-on, que n'avaient pu être prises des mesures de protection.

Mais surtout, vous avez évoqué deux principes, auxquels nous n'avons rien à opposer : le respect de l'intégrité des territoires et le respect de la légitimité des gouvernements.

M. le ministre des affaires étrangères. Légitimement élus !

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial. Tout à fait, nous parlons des gouvernements légitimement élus.

Or, s'agissant de ce dossier difficile et douloureux de la Côte d'Ivoire, nous avons le sentiment que, selon les jours, les thèses varient. Nous vous demandons d'apporter des clarifications, peut-être pas ce soir, mais à l'occasion de ce débat qui a été souhaité par d'autres parlementaires dans cet hémicycle. La situation évolue et les propos ne sont pas toujours les mêmes.

L'intégrité territoriale de la Côte d'Ivoire est-elle un objectif ? Si oui, est-ce pour replacer ce territoire, ayant retrouvé son intégrité, sous l'autorité légitime démocratiquement élue ? Ou bien faut-il penser, au contraire, que les rebelles et l'autorité légitime seront placés sur un pied d'égalité ? À lire les propos tenus par Mme la ministre de la défense ce matin, on peut se poser la question.

M. Jacques Myard. Il y a eu les accords de Marcoussis !

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial. Il y a eu Marcoussis, puis il y a eu Kléber ! Ce n'est pas tout à fait la même chose. Sans vouloir établir un parallèle qui serait inconvenant ou excessif, vous conviendrez que si on nous avait imposé, dans notre pays, de mettre au ministère de la défense le responsable des putschistes, nous n'aurions sûrement pas été d'accord.

À Marcoussis, on demandait un gouvernement ; à Kléber, on l'a fait dans d'autres conditions. Celles et ceux qui ont suivi ce dossier avec attention le savent.

Comment doit être rétablie l'intégrité du territoire ? Sous quelle autorité légitime doit être placée la République ivoirienne ? Met-on, oui ou non, sur le même plan des putschistes venus d'un pays voisin et le pouvoir légitime ?

Je souhaite que ces questions soient tranchées, non pour répondre à je ne sais quelle préoccupation tacticienne, mais parce que vous savez comme nous que la sécurité de nos compatriotes et les perspectives de paix et de sérénité dans cette république sont à ce prix.

Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous donner quelques indications soit maintenant, soit ultérieurement, compte tenu de l'heure avancée.

Nous voterons, vous l'aurez compris, contre ce budget.

M. le président. Je mets aux voix la réduction de crédits du titre III.

(La réduction de crédits est adoptée.)

M. le président. Je mets aux voix les crédits inscrits au titre IV.

(Les crédits du titre IV sont adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement inscrits au titre V.

(Les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre V sont adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement inscrits au titre VI.

(Les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre VI sont adoptés.)

M. le président. Nous avons terminé l'examen des crédits du ministère des affaires étrangères.

La suite de la discussion budgétaire est renvoyée à la prochaine séance.

    2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Aujourd'hui, à neuf heures trente, première séance publique :

Suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2005, n° 1800 :

Rapport, n° 1863, de M. Gilles Carrez, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan ;

Budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération :

Rapport spécial, n° 1863 annexe 40, de M. Tony Dreyfus, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan ;

Logement :

Rapport spécial, n° 1863 annexe VI, de M. François Scellier, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan ;

Logement et urbanisme :

Avis, n° 1865 tome I, de M. Jean-Pierre Abelin, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire ;

Fixation de l'ordre du jour.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2005, n° 1800 :

Logement (suite) ;

Défense ; articles 48 et 49 :

Défense :

Rapport spécial, n° 1863 annexe 39, de M. François Cornut-Gentille, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan,

Avis, n° 1866 tome VII, de M. Paul Quilès, au nom de la commission des affaires étrangères ;

Dissuasion nucléaire :

Avis, n° 1867 tome II, de M. Antoine Carré, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées ;

Espace, communications et renseignement :

Avis, n° 1867 tome III, de M. Yves Fromion, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées ;

Forces terrestres :

Avis, n° 1867 tome IV, de M. Joël Hart, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées ;

Marine :

Avis, n° 1867 tome V, de M. Charles Cova, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées ;

Air :

Avis, n° 1867 tome VI, de M. Jean-Louis Bernard, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées ;

Titre III et personnels civils et militaires d'active et de réserve :

Avis, n° 1867 tome VII, de M. Pierre Lang, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées ;

Crédits d'équipement :

Avis, n° 1867 tome VIII, de M. Jérôme Rivière, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées ;

Services communs :

Avis, n° 1867 tome IX, de M. Jean-Claude Viollet, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées ;

Gendarmerie :

Avis, n° 1867 tome X, de M. Philippe Folliot, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à zéro heure trente.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot