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Deuxième séance du jeudi 16 décembre 2004

104e séance de la session ordinaire 2004-2005


PRÉSIDENCE DE M. YVES BUR,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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OUVERTURE DU CAPITAL DE DCN

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l'ouverture du capital de DCN et à la création par celle-ci de filiales (nos 1977, 1987).

La parole est à Mme la ministre de la défense.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le contexte industriel international est aujourd'hui marqué par des marchés de plus en plus concurrentiels, une recherche constante de compétitivité et une course perpétuelle à l'innovation. De nouveaux pôles mondiaux apparaissent dans le secteur industriel : la Chine, et plus généralement l'Asie du Sud-Est, le Brésil et bien d'autres.

Pour résister à leur concurrence actuelle et future, il est impératif de mener, dans notre pays et en Europe, une ambitieuse politique de l'armement. Il est donc nécessaire de favoriser la création de pôles industriels performants de taille européenne. C'est dans cette perspective que je vous propose, au nom du Gouvernement, le présent projet de loi.

DCN dispose d'atouts forts : son savoir-faire, son expérience, des personnels motivés, une situation financière redressée, qu'il faut faire valoir. Le changement de statut, réalisé avec l'appui de l'État, est une réussite. Avec près de deux ans d'avance sur ses objectifs à moyen terme, l'entreprise est retournée à un équilibre financier durable. Son carnet de commandes est plein, de nouvelles perspectives s'ouvrent et les clients manifestent leur satisfaction. En votant la loi de programmation militaire - du moins sur certains bancs -, puis les lois de finances successives, vous avez doté DCN d'une perspective d'activité à moyen et long terme.

Ainsi consolidée, l'entreprise peut franchir une nouvelle étape et prendre un nouvel essor tout en confortant ses acquis. Nous devons lui permettre de saisir toutes les opportunités. Comme je l'avais annoncé il y a deux mois, j'ai donc souhaité lever les contraintes qui la pénalisent actuellement en matière d'alliances et autoriser, dans le cadre d'un projet de loi équilibré, l'ouverture du capital de la société mère et de ses filiales. C'est une décision politique forte. Mon ambition, avec DCN, est de doter la France d'une importante capacité industrielle dans le domaine militaire naval.

Ma première préoccupation concerne les personnels. Si, par notre politique, nous confortons leurs emplois sur le long terme, nous leur assurons aussi le maintien dans la durée des garanties qui leur avaient été apportées et qui sont nécessaires. Nous permettons également de nouvelles avancées sociales.

Offrir à DCN la possibilité d'ouvrir son capital est une décision industrielle. C'est aussi un signe politique fort.

L'entreprise doit pouvoir nouer rapidement des partenariats. Quelles que soient leurs performances, en effet, nos industries européennes ne peuvent continuer de s'offrir le luxe du morcellement. Poursuivre dans cette voie finirait, à terme, par fragiliser nos entreprises, malgré les succès technologiques et commerciaux qu'elle connaissent aujourd'hui, notamment vis-à-vis de la concurrence internationale. Le rapport de votre collègue M. Lemière et le colloque qu'il a organisé le 8 décembre ont bien montré cette urgence.

Il ne s'agit pas de réduire les capacités de production européenne. Ce que nous voulons, c'est au contraire rationaliser l'offre commerciale, la recherche et développement, pour renforcer nos positions sur le marché intérieur européen comme sur le marché mondial.

J'entends que DCN soit au cœur de cette consolidation. C'est mon ambition pour l'entreprise. Les clients souhaitent une offre plus intégrée autour du navire armé, DCN doit être plus présent à l'international, et la consolidation européenne passe par un rapprochement avec des industries privées de la défense, systémiers et groupes européens, pour élargir l'offre au-delà du seul secteur naval.

La bonne santé économique et industrielle de DCN lui permet d'aborder toutes ces évolutions avec confiance. Ces derniers mois, DCN et Thales ont travaillé ensemble à un projet industriel solide et étayé, réalisant ainsi une première étape qui va dans le bon sens. Les travaux se poursuivent. Ils devront permettre de mettre en avant la cohérence du projet, de préciser les apports respectifs des deux entreprises, d'expliquer la vision des industriels à nos partenaires européens et enfin de préparer la mise en œuvre du projet dans le respect de l'unité de DCN.

Cependant, j'ai exclu d'emblée d'attendre la conclusion de ces réflexions pour déposer un projet de loi. Un texte trop restrictif ou ciblé sur un partenaire précis ne correspondrait pas à une réalité industrielle en perpétuelle évolution. Au contraire, l'État doit favoriser les projets en discussion et permettre d'engager de nouveaux contacts.

Enfin, le contrat d'entreprise restera la référence des relations entre l'État, DCN et ses filiales. C'est aussi ce que je voulais rappeler solennellement avec le présent projet de loi.

Avec ce texte, nous envoyons également un signal politique fort à nos partenaires européens. Ces derniers évoluent, vous le savez. En Espagne, la restructuration qui est en cours, bien que difficile, doit permettre à terme l'émergence d'un partenaire industriel viable dans le secteur naval militaire. L'Espagne est à la croisée des chemins : elle aura à choisir, dans ce domaine, entre l'Europe et un partenariat plus transatlantique. Notre action doit la convaincre de la crédibilité d'une Europe de l'armement naval.

En Allemagne, Thyssen Krupp a racheté HDW à un fonds d'investissement américain, prenant ainsi le contrôle de l'ensemble des chantiers nationaux de construction navale. J'ai été régulièrement en contact avec les Allemands ; nous partageons globalement la même vision et la même méthode : d'abord une consolidation nationale, ensuite la recherche de partenariats, enfin le respect des équilibres nationaux.

Mais, pour cela, le retrait, au moins partiel, de l'État est une condition nécessaire, tant pour les industriels que pour les gouvernements partenaires.

Ce projet de loi - et c'était ma préoccupation - prend pleinement en compte les intérêts des personnels, répondant ainsi à une attente légitime. J'ai tenu à ce que son texte même puisse les rassurer, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle ce projet politique a pris la forme d'un projet de loi : les garanties qui leur avaient été apportées sont maintenues, et même confortées.

Au moment du changement de statut de DCN, je m'étais en effet engagée à conserver les droits et statuts des personnels. Avec ce projet de loi, j'entends que ces engagements soient inscrits dans la durée.

Tous les droits des personnels, quel que soit leur statut, sont conservés. Ainsi, les ouvriers d'État resteront mis à disposition de l'entreprise et de ses filiales détenues majoritairement par l'État. Ils conserveront donc l'intégralité de leur statut, tout en apportant leurs compétences aux activités industrielles. De même, les fonctionnaires, militaires et contractuels, pourront rester mis à disposition, y compris dans les filiales détenues majoritairement par l'État, jusqu'en juin 2005. Au-delà, ils pourront opter pour le statut de détachement ou pour un contrat sous convention collective. Les détachements seront bien entendu étendus aux filiales.

Ensuite, et c'est une nouveauté en faveur de la protection des personnels, les dispositions particulières relatives à la représentation des ouvriers d'État dans les différentes instances votées en juin 2003 sont étendues aux filiales. Les agents de statut public pourront rester mis à disposition dans les activités industrielles, le cas échéant filialisées. Je m'en suis assurée en retenant un seuil plus contraignant que le droit commun, assurant que le capital des filiales de plus de 250 personnes restera majoritairement public. C'est un signe de cohérence qui assure le maintien de l'unité de DCN.

Enfin, j'ai voulu que ce texte marque une nouvelle avancée sociale. Au-delà du maintien des statuts des différentes catégories de personnels, je souhaite que la collectivité DCN dans son ensemble puisse se mobiliser autour de ce concept. Je connais la qualité, la détermination et l'attachement à leur entreprise des salariés de DCN. Cela m'a conduit à reprendre à mon compte la suggestion faite par certains parlementaires, députés et sénateurs, et tout particulièrement par le député de la Manche, Jean Lemière, d'ouvrir l'intéressement et l'actionnariat salarié à tous les personnels, qu'ils soient salariés ou ouvriers d'État.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !

Mme la ministre de la défense. C'est un levier fort de motivation et d'adhésion. C'est le sens de l'amendement gouvernemental que je défendrai tout à l'heure.

En conclusion, je veux vous dire ma confiance. Oui, je crois à l'industrie militaire navale française, à son efficacité et à son développement.

M. Édouard Landrain. Très bien !

Mme la ministre de la défense. Oui, je crois à une industrie militaire européenne,...

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !

Mme la ministre de la défense. ...à sa capacité de se développer et de résister à toutes les concurrences.

M. Charles Cova. C'est l'avenir !

Mme la ministre de la défense. Les choix de modernisation que j'ai faits pour notre industrie navale doivent nous permettre de parachever la réforme de DCN et de relever le défi de l'Europe de la défense tout en préservant l'unité du groupe DCN. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est la poursuite logique de la réforme engagée depuis dix ans et du changement de statut. Cette loi intervient à un moment favorable pour l'entreprise, à un moment riche en opportunités tant en France qu'en Europe. Je suis persuadée que c'est la condition pour que DCN soit au cœur de la consolidation européenne que j'appelle de mes vœux.

M. Édouard Landrain. Très bien !

Mme la ministre de la défense. Mesdames, messieurs les députés, en votant ce texte, vous permettrez à la France de jouer son rôle moteur dans la construction de l'Europe de l'armement, comme elle le joue quotidiennement et plus généralement dans la construction de l'Europe de la défense. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Jérôme Chartier, rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en préliminaire, je souhaite préciser quelques éléments de procédure parlementaire.

S'agissant de l'ouverture du capital d'une entreprise publique, la commission des finances a été réglementairement et normalement saisie au fond de ce projet de loi. Bien qu'il ait été déposé mercredi 8 décembre, soit à peine plus d'une semaine avant son examen en séance publique, j'ai néanmoins pu accomplir pleinement ma mission de rapporteur en procédant à plusieurs auditions, afin de compléter l'information nécessaire à l'établissement du rapport que j'ai présenté à la commission voici quarante-huit heures. J'ai en particulier, pu entendre avec intérêt les responsables opérationnels du groupe DCN et, avec un plaisir certain, les représentants des personnels de l'entreprise.

Avant d'entrer dans le cœur de notre débat, je ne résiste pas au plaisir de vous conter quelque peu l'histoire de DCN, afin de vous inciter à vous plonger dans ce rapport que j'ai eu l'honneur de préparer à votre intention.

En 1631, le cardinal de Richelieu institue les marines du Ponant et du Levant et, pour les construire et entretenir les bâtiments, crée les premiers arsenaux. Colbert et son fils Seignelay réunissent en une seule administration les deux marines, améliorent les ports de Dunkerque et du Havre, développent considérablement Brest, créent de toutes pièces le port de Rochefort, appelé au XVIIIe siècle à devenir le deuxième port de France, et reconstruisent, monsieur le rapporteur pour avis, le port de Toulon qui avait été détruit par un incendie. En 1751, le marquis de Montalembert choisit le site de Ruelle pour y établir une fonderie de canons de marine et fait fortune en la vendant au roi en 1775. Le 27 mars 1765, une ordonnance royale crée le corps des ingénieurs constructeurs de la Marine, ancêtre du corps du génie maritime. En 1771, s'ouvre sur les bords de la Loire l'établissement d'Indret, qui se spécialisera ensuite dans la conception et la réalisation des systèmes propulsifs. En 1778, l'arsenal de Lorient succède à la Compagnie des Indes. À partir de 1813, l'arsenal de Cherbourg produit des bâtiments de surface, avant de se spécialiser dans les sous-marins. Le Sphinx, premier navire de guerre à vapeur, est construit à Rochefort en 1826. En 1926, l'arsenal de Rochefort est fermé. En 1937, est créé l'établissement de Saint-Tropez sur les installations de la société Schneider qui y fabriquait des torpilles depuis 1907.

À la fin de la deuxième guerre mondiale, le secteur d'État de la construction navale comprenait ainsi en métropole les quatre arsenaux de Brest, Lorient, Cherbourg et Toulon et quatre établissements « hors les ports » : Indret, Ruelle Saint-Tropez et Guérigny. L'établissement de Guérigny fut fermé en 1970, cependant que ceux d'Afrique du Nord et d'outre-mer l'avaient été progressivement à partir des années soixante.

Puis - et j'y reviendrai - DCN a scindé ses activités industrielles et étatiques en deux entités distinctes, avant de devenir, en 2000, un service à compétence nationale et, le 1er juin 2003, une société anonyme.

Dans le droit fil de cette longue histoire et de ce processus d'évolution, intervient le projet de loi, qui marque un tournant dans la vie de l'entreprise. Nous reviendrons à son détail tout à l'heure, mais je veux lever d'emblée l'ambiguïté des deux questions posées lors de la discussion en commission des finances qui peuvent tarauder certains esprits : pourquoi ce projet de loi et pourquoi maintenant ?

Pourquoi ce projet de loi ? Le changement de statut de 2001 trouvait sa place dans une loi de finances, car il s'agissait alors de clôturer un compte de commerce. D'ailleurs, on pouvait imaginer que l'ouverture du capital de DCN pouvait figurer dans le projet de loi de finances rectificative. Or ce n'est pas la seule disposition de ce projet de loi. Le texte proposé par le Gouvernement ne pouvait donc pas trouver sa place dans le projet de loi de finances ou dans le projet de loi de finances rectificative, sous peine d'être taxé de cavalier budgétaire.

Pourquoi maintenant ? M. Bonrepaux, au nom du groupe socialiste, a indiqué en commission qu'il ne comprenait pas la « précipitation » du Gouvernement... Je lui ai, en premier lieu, répondu que ce reproche était infondé, dans la mesure où l'ouverture du capital de DCN a été confirmée par le ministre de la défense dès le mois d'octobre au salon Euronaval,...

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Absolument !

M. Jérôme Chartier, rapporteur. ...et que les parlementaires impliqués dans la préparation de ce projet de loi étaient informés depuis plusieurs semaines que ce dispositif pourrait trouver sa place dans le projet de loi de finances. Je lui ai, en second lieu, précisé qu'il s'agissait de la deuxième étape décisive d'un processus qui a démarré en 2001, à l'initiative du ministre de la défense de l'époque, qui imaginait déjà, et probablement sans nul doute, la phase à laquelle nous arrivons aujourd'hui.

Enfin, chacun connaît les contraintes du calendrier parlementaire. Le projet de loi, dont les dispositions sont simples, pouvait être présenté à tout moment. Une possibilité est apparue et Mme la ministre de la défense l'a saisie astucieusement. Je ne vois là ni malice ni précipitation, mais la simple volonté de passer à l'action, point de départ de discussions pour la structuration d'une offre industrielle et européenne de la défense navale. À cet égard, ce projet de loi relatif à l'ouverture du capital de DCN est un signe fort donné à nos partenaires potentiels de notre volonté de jouer un rôle majeur en Europe dans le domaine du naval militaire.

Je l'ai dit, ce projet de loi est le deuxième volet logique, après celui qui a consisté en 2001 à transformer le statut. Au demeurant, l'évolution de DCN ne date pas de 2001. Comme vient de le souligner Mme la ministre de la défense, c'est en 1991, avec la création de DCN International, qu'a été engagé ce processus de modernisation de notre outil de construction navale. En 1997, la réforme de la DGA a permis la séparation des activités industrielles et étatiques en deux entités. En 2000, « DCN-direction de la DGA » devient « DCN-service rattaché auprès du ministre de la défense » avec, en 2001, la transformation du service en société anonyme. Le projet de loi s'inscrit dans le droit fil de cette logique en prenant acte des limites du statut de société anonyme, dont le capital est intégralement détenu par l'État, pour offrir au fleuron national qu'est DCN les moyens de se développer et de jouer un rôle européen majeur.

Au cours de cette longue période d'évolution - dix ans - DCN s'est considérablement transformée en interne, réorganisant ses services pour plus de compétitivité et restructurant ses effectifs pour plus de productivité. Le visage de l'entreprise en a été profondément modifié : de 20 604 employés en 1996, elle est passée à 12 375 au 1er novembre 2004, si l'on tient compte des effectifs calculés en équivalents temps plein. À la lumière de ces précisions, je souhaite mettre fin dès à présent à certaines rumeurs malveillantes que j'ai pu entendre ces derniers jours. Non, DCN n'est pas une entreprise qui va mal. Elle a accompli des efforts importants qui appartiennent désormais au passé.

M. Jérôme Rivière. C'est bien de le dire !

M. Jérôme Chartier, rapporteur. Des évolutions naturelles interviendront encore pour l'adapter à son environnement concurrentiel mais il n'y a là aucune restructuration difficile en vue. Du reste, les premiers résultats économiques et sociaux de l'entreprise en 2003 sont plus qu'encourageants. Le chiffre d'affaires 2003 s'est élevé à 1 659 millions d'euros pour la société DCN et à 1 907 millions d'euros pour le groupe DCN. Selon les informations qui m'ont été transmises, le chiffre d'affaires de la société anonyme DCN pour 2004 devrait atteindre 2,2 milliards d'euros et celui du groupe devrait être de 2,6 milliards d'euros.

DCN a dégagé en 2003 un résultat d'exploitation et un résultat net positifs plus importants que prévus et proches des objectifs finaux de 2008. Cette amélioration est en partie due aux gains de productivité générés par le changement de statut de 2001, dont l'incidence a été sensible dans le domaine des achats et de la gestion de la sous-traitance.

La réforme de 2001 est incontestablement une réussite. Cependant, il faut aujourd'hui permettre à DCN de consolider son propre avenir. Nous le savons tous, et la ministre de la défense l'a rappelé très précisément, l'industrie navale mondiale connaît une profonde mutation. L'organisation contractuelle et industrielle du secteur naval de la défense est en train d'évoluer vers l'acquisition de prestations globales incluant les services, l'entretien et la formation. Cette mutation repose sur des industriels capables de fournir ces prestations globales. Par exemple, le contrat des frégates multimissions devrait comprendre, outre la construction des navires, le maintien en condition opérationnelle pendant plusieurs années et des modes de financement innovants.

Dans ce contexte, certains chantiers s'orientent vers la construction navale pure en essayant de rationaliser au mieux leurs processus de production. Tel est par exemple le cas de l'italien Fincantieri - environ 490 millions d'euros de chiffre d'affaires dans le naval militaire -, ou, avant sa transformation, de l'espagnol Izar : 445 millions d'euros de chiffre d'affaires. Ces chantiers entrent en compétition avec les constructeurs de navires asiatiques à faible coût de main-d'œuvre pour les navires civils, et leur part dans les grands projets militaires devient de plus en plus faible compte tenu de l'évolution du secteur, où l'électronique devient prépondérante. C'est ainsi que le maître d'œuvre italien des frégates franco-italiennes Horizon n'est pas Fincantieri mais Orizzonte, joint-venture entre Fincantieri et Finmeccanica, électronicien de défense.

D'autres acteurs se concentrent sur la maîtrise d'œuvre de projets complexes, où la construction des coques ne représente qu'une partie du projet global, généralement moins de 50 %. Ainsi, des entreprises comme Thales - 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires pour Thales Naval France -, Lockheed Martin ou United Defense sont-elles ce que l'on appelle des prime contractors, c'est-à-dire en quelque sorte des entreprises générales, pour reprendre le vocabulaire cher aux amis du BTP sur des projets à dominante navale.

DCN prend clairement cette orientation et revendique une position de maître d'œuvre de navires armés, ce qui exige une forte ingénieurie et un chantier adapté aux réalisations militaires. DCN possède en effet une activité importante dans la conception et la réalisation de systèmes de combat naval. Elle est également très présente sur le marché du maintien en condition opérationnelle, qui représente près de 30 % de son chiffre d'affaires et 50 % de ses effectifs.

Face à l'évolution des besoins du client et au morcellement de l'industrie navale de défense européenne, la consolidation de l'industrie européenne est une nécessité. Cette consolidation passe par le renforcement de grands maîtres d'œuvre, qui peuvent contrôler la complexité globale des projets et développer, au niveau européen, des synergies en matière d'investissement. La consolidation de l'industrie navale européenne est également nécessaire pour limiter la volonté d'emprise des industries américaines.

Cette consolidation s'inscrit aussi dans un contexte mondial propice aux restructurations industrielles majeures dans le secteur. L'année 2004 a été ainsi marquée par la consolidation de l'industrie navale allemande. ThyssenKrupp a annoncé la fusion de sa division navale avec le chantier HDW, détenu par le fonds de pension américain OEP. Le chiffre d'affaires de cette entité, qui a vu le jour en octobre 2004, devrait atteindre 2,2 milliards d'euros pour un effectif de 9 300 employés sur trois sites de construction. Le nouvel ensemble est principalement centré sur la construction navale militaire, à 85 %. Un chiffre d'affaires de 2,2 milliards d'euros : la similitude avec celui de DCN pour l'année 2004 ne vous a pas échappé !

Ces exemples montrent bien l'ampleur de la consolidation en cours du naval militaire à l'échelle européenne mais également à l'échelle mondiale.

En France, Thales et DCN ont annoncé travailler à la poursuite de leur rapprochement. Rappelons qu'ils possèdent en commun la société Armaris, qui a été créée le 1er août 2002. Son objet social est notamment la maîtrise d'œuvre et la commercialisation à l'exportation des produits de DCN, dont les navires armés.

Pourquoi faut-il aller plus loin aujourd'hui ? Je vais prendre un exemple aéronautique, celui d'ATR. Ce groupement d'intérêt économique a permis de produire les avions ATR 42 et ATR 72, mais les limites de ce statut juridique ne lui ont pas permis de pérenniser cette aventure industrielle. DCN est précisément dans ce cas aujourd'hui.

Désormais, il lui est nécessaire de pouvoir mener à bien des joint-ventures, c'est-à-dire, littéralement, des « aventures conjointes », le terme d'aventure incluant assez naturellement le principe de bénéfices ou de pertes résultantes. À cette fin, le projet de loi propose de permettre à DCN de nouer des liens capitalistiques à la fois par le haut et par le bas. Elle pourra ainsi ouvrir son capital à des partenaires privés, éventuellement européens. Elle pourra également créer des filiales communes avec des partenaires privés, en procédant notamment à des apports partiels d'actifs.

Bien évidemment, le projet de loi précise que le capital de DCN doit être majoritairement public. Il ne s'agit donc pas d'une privatisation.

Quant aux possibilités de créer des filiales, elles sont très strictement encadrées. L'unicité de DCN est préservée. J'ai bien entendu à ce sujet les représentants des personnels. Ils y voient pour leur part un risque de saucissonnage de l'entreprise. Je souhaite apporter deux réponses à cette inquiétude : l'une juridique, l'autre pragmatique.

Sur le plan juridique tout d'abord, dès lors que l'activité à apporter à une filiale concernera plus de 250 personnes ou atteindra un chiffre d'affaires de plus de 375 millions d'euros, DCN devra détenir la majorité de cette filiale. La loi de privatisation de 1986 prévoyait 2 500 employés et 375 millions d'euros de chiffre d'affaires. Le seuil a été ramené à 250 employés, et on garde les 375 millions de chiffre d'affaires. C'est une protection très importante qui a été voulue par la ministre de la défense. La commission des participations et des transferts créée en 1986 rendra un avis qui devra être obligatoirement suivi, et l'accord des ministres de la défense et de l'économie sera nécessaire.

Je souligne également, pour éviter tout malentendu, qu'il suffit que l'un des deux seuils soit atteint pour que la procédure soit enclenchée. J'insiste sur ce point, qui n'a rien d'anodin, car le mot « ou » entre les deux conditions de seuil présente un effet exclusif. Il crée un ensemble plus vaste et nettement plus protecteur que le mot « et », qui aurait été restrictif.

Ma seconde réponse prendra la forme d'un raisonnement par l'absurde et mettra fin aux craintes de saucissonnage : quel serait l'intérêt pour l'État de vendre aujourd'hui DCN par appartements ? Comment pourrait-on imaginer que l'État puisse brader un outil de production performant alors même que, en toute hypothèse, il est tenu de rémunérer les ouvriers d'État et de réintégrer les fonctionnaires détachés ? Non, mes chers collègues, l'intérêt de l'État, et, en réalité, de la France, c'est bien que l'entreprise soit la plus productive possible et que ses personnels soient les plus motivés.

Le projet de loi garantit leur situation. Les salariés ont donc tout à gagner à cette réforme de DCN : leurs statuts sont préservés et les contrats de droit privé doivent leur permettre de bénéficier du développement de l'entreprise.

Les 8 600 ouvriers d'État mis à la disposition de DCN sont, du fait de leur contrat, rattachés au ministère de la défense et employés, par nature, à des activités industrielles et commerciales. Le projet de loi prévoit que les ouvriers d'État employés à une activité apportée à une filiale seront automatiquement mis à la disposition de celle-ci et leurs droits sociaux préservés.

M. le président. Il faudrait conclure, monsieur le rapporteur.

M. Jérôme Chartier, rapporteur. Ce statut est particulièrement intéressant et les conditions de rémunération, nettement plus favorables que pour les ouvriers fonctionnaires, doivent contribuer à la motivation des personnels ainsi qu'au maintien au sein de DCN des meilleurs éléments, très souvent courtisés par des sociétés internationales concurrentes.

À ce sujet, il me semble utile de rappeler que les fonctionnaires présents au sein de DCN ont la possibilité de signer un contrat de droit privé, et donc de bénéficier des dispositions du code du travail, tout en conservant un statut de fonctionnaire détaché, ce qui implique une sécurité matérielle appréciable et la conservation des droits à pension de la fonction publique. Une société, deux systèmes, c'est finalement une vision chinoise de l'entreprise qui existe aujourd'hui au sein de DCN et qui a d'ailleurs prouvé son efficacité.

M. le président. Monsieur le rapporteur, il faut conclure. Vous avez doublé votre temps de parole : vous parlez plus longtemps que Mme la ministre.

M. Jérôme Chartier, rapporteur. Je termine, monsieur le président.

Ce texte, qui consolide la situation des personnels, est en fait une boîte à outils donnant la possibilité à DCN de nouer plusieurs types de partenariat.

C'est ce caractère général du projet de loi qui a poussé la commission des finances à adopter un amendement que je lui ai proposé, afin que le Gouvernement remette chaque année, avant le 1er octobre, un rapport sur la mise en œuvre de ces dispositions.

Sur le plan industriel, un certain nombre de rapprochements sont envisagés, même s'il est encore trop tôt pour en connaître les contours précis.

Mes chers collègues, à la lumière de cette description du projet, de son intérêt et de son utilité pour la constitution d'un noyau dur industriel français ouvert sur les opportunités à saisir au niveau européen mais aussi et pourquoi pas au niveau mondial, je vous invite à adopter ce projet de loi, comme l'a fait la commission des finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Philippe Vitel, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi a pour objet l'ouverture du capital de la société nationale DCN. Il convient de saluer ce jour comme celui d'une grande chance pour DCN.

M. Édouard Landrain. Très bien !

M. Philippe Vitel, rapporteur pour avis. Ainsi, trois ans après l'adoption des dispositions législatives portant création de la société nationale, nous sommes appelés à nous prononcer sur une nouvelle étape majeure pour les chantiers navals militaires français. À cet égard, je tiens à saluer, madame la ministre, votre détermination qui nous permet d'agir efficacement et rapidement, tant il est vrai que la restructuration de notre industrie navale ne saurait plus attendre si celle-ci veut relever les défis de la concurrence.

Lors de l'inauguration du salon Euronaval, le 25 octobre dernier, vous avez annoncé l'ouverture du capital de la société nationale DCN. Le projet de loi soumis à notre examen aujourd'hui concrétise cette décision.

En l'espace de quelques mois seulement, la société nationale DCN est devenue performante et viable. Ce succès, elle le doit d'abord et avant tout à l'ensemble de ses personnels. Sans leur implication totale, sans leur profond attachement à cette entreprise au savoir-faire inestimable, il est probable que les réformes nécessaires à l'avenir de DCN n'auraient pas été possibles.

L'adoption de dispositions législatives est rendue nécessaire par la rédaction de l'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001, qui a créé la société nationale et qui précise explicitement, en outre, que son capital est intégralement détenu par l'État.

Ouvrir le capital de DCN est devenu indispensable, notamment pour faciliter son rapprochement structurel et durable avec d'autres industriels de la construction navale militaire.

Alors que les restructurations des industries navales ont déjà été effectuées outre-Atlantique, le processus n'en est qu'à ses balbutiements en Europe. Aux États-Unis, la construction de navires armés est assurée par seulement quatre maîtres d'œuvre et six chantiers navals. Elle y engendre un chiffre d'affaires annuel de 12 milliards d'euros. En Europe, neuf maîtres d'œuvre et plus de vingt chantiers navals se répartissent une activité d'un montant d'à peine 9 milliards d'euros.

Faute de regroupements, les industriels européens risquent de subir rapidement la concurrence asiatique, caractérisée par de très faibles coûts de production,...

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Eh oui !

M. Philippe Vitel, rapporteur pour avis. ...ainsi que celle des chantiers navals américains, qui s'intéressent à présent au marché mondial alors qu'ils bénéficient déjà des vastes débouchés de leur marché intérieur.

C'est donc maintenant que les choix stratégiques doivent être faits pour DCN, si l'on ne veut pas déplorer, dans plusieurs années, sa marginalisation et son déclin, voire sa disparition programmée.

Sans ignorer la portée symbolique, pour les personnels, d'une ouverture du capital, même minoritaire, j'ai la conviction que le contexte est favorable. En effet, DCN est désormais rentable. La société a affiché un résultat net de 41 millions d'euros en 2003, avec deux ans d'avance sur l'objectif initial de retour à l'équilibre. En outre, le carnet de commandes cumulées s'élève à plus de 4,5 milliards d'euros, ce qui offre des perspectives d'activité d'autant plus raisonnables que le contrat d'entreprise conclu avec l'État, lors du changement de statut, garantit un plan de charge de 7 milliards d'euros sur la période 2003-2008, réparti en 2,8 milliards pour le maintien en condition opérationnelle et 4,2 milliards pour les équipements neufs.

Cette conjoncture propice, qui aura des répercussions positives dans les prochaines années, ne doit pas pour autant faire oublier que l'entreprise est à présent soumise à une concurrence de plus en plus manifeste, y compris sur le marché français. Par conséquent, l'avenir ne s'annoncera pas indéfiniment sous d'aussi bons auspices.

Sur le fond, madame la ministre, vous avez pris quatre engagements que le présent projet de loi respecte à la lettre.

Tout d'abord, l'État restera majoritaire dans le capital de la société mère et de ses filiales actuelles. L'ouverture du capital ne pourra excéder 49 % pour DCN et ses filiales réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 375 millions d'euros ou dont l'effectif est supérieur à 250 personnes. Étant soumise aux dispositions du titre II de la loi du 6 août 1986, relative aux modalités des privatisations, toute ouverture de capital sera subordonnée à l'avis conforme de la commission des participations et des transferts sur son aspect financier. L'autorisation préalable des ministres de la défense et de l'économie sera également requise, y compris pour les transferts d'actifs à des filiales communes avec d'autres groupes.

Deuxièmement, l'unité de DCN sera maintenue. Cette garantie découle des seuils fixés par le projet de loi, puisque le plus petit des sites de DCN, à Saint-Tropez, emploie plus de 250 personnes. Il n'y aura donc aucun démantèlement de l'entreprise.

En troisième lieu, le statut des personnels militaires, - fonctionnaires, agents sous contrat et ouvriers de l'État détachés dans des filiales - sera maintenu, de manière à garantir la continuité de leur régime juridique. Les ouvriers de l'État seront même électeurs et éligibles au conseil d'administration ou au conseil de surveillance des filiales dans lesquelles ils travailleront.

Enfin, le contrat d'entreprise pluriannuel sera conforté, puisqu'il y est explicitement fait référence dans le projet de loi. Les perspectives d'activité à moyen terme se trouveront donc renforcées, ce qui ne manquera pas de rassurer les personnels sur l'avenir de l'entreprise.

Ces différents aspects juridiques sont autant de conditions indispensables à la réussite de l'évolution de DCN. Il est en effet impératif d'apporter des garanties aux effectifs, qui ont beaucoup œuvré au succès du changement de leur entreprise.

Là encore, madame la ministre, je tiens à saluer l'équilibre de la mesure proposée puisque, tout en permettant à la société nationale de s'adapter au contexte dans lequel elle évolue, elle donne toutes les assurances nécessaires aux personnels au sujet de leurs statuts. C'est bien la preuve qu'il est possible de bâtir dans la France d'aujourd'hui un outil industriel compétitif tout en respectant l'attachement des salariés à leur entreprise. Et cela, c'est vous qui le faites, madame la ministre.

Grâce aux mesures proposées par le Gouvernement, DCN pourra enfin nouer des alliances structurelles et répondre à l'émergence d'un véritable marché européen de l'armement,...

M. Patrick Braouezec. Elle peut déjà le faire.

M. Philippe Vitel, rapporteur pour avis. ...autour de l'organisation conjointe de coopération en matière d'armement - l'OCCAR - et de l'Agence européenne de défense.

Un rapprochement avec Thales Naval France est privilégié et les négociations se poursuivent à ce sujet. Je tiens à souligner qu'une telle alliance ne conduira à aucune suppression d'emploi car il n'existe pas de redondances entre les deux industriels. S'il s'agit là d'un préalable à toute concentration européenne, un tel rapprochement n'exclut pas pour autant des pourparlers européens.

Le partenaire le plus naturel du nouvel ensemble français serait logiquement le nouveau groupe ThyssenKrupp Marine Systems, issu de la fusion des chantiers de Thyssen avec HDW. À cet égard, le rachat de Thales par EADS pourrait faciliter l'étape européenne de la restructuration du secteur de la construction navale.

Des discussions ont aussi lieu avec Izar, mais ce chantier naval espagnol se trouve en difficulté du fait de son obligation de rembourser les aides communautaires indûment perçues, sur l'injonction de la Commission européenne. La séparation des activités civiles et militaires du groupe est d'ailleurs prévue.

Les complémentarités avec Fincantieri sont moindres car le groupe italien est le dernier du secteur à conjuguer construction navale civile et militaire, ce qui fragilise sa rentabilité. C'est d'ailleurs pour cette même raison qu'un rapprochement de DCN avec les Chantiers de l'Atlantique n'est pas véritablement privilégié, d'autant plus qu'une fusion ne permettrait pas de sauver la filiale d'Alstom Marine.

En définitive, le projet de loi soumis en première lecture à notre assemblée constitue une étape incontournable pour DCN. Il traduit l'attachement des pouvoirs publics à la préservation d'un des fleurons du secteur public de l'armement et requiert, à mon sens, notre total appui, car il y va de l'avenir de cette entreprise à laquelle nous sommes très attachés.

Mais l'évolution de DCN ne pourra se faire qu'avec ses personnels, et non contre eux. De ce point de vue, je répète que les garanties sont de nature à rassurer tous ceux qui auraient des inquiétudes.

Aussi, parce que le projet de loi présenté par le Gouvernement a trouvé un juste point d'équilibre entre davantage de flexibilité juridique et maintien des acquis des personnels recrutés avant le changement de statut, je vous invite, mes chers collègues, comme l'a fait la commission de la défense nationale et des forces armées, à accueillir favorablement le présent projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Monsieur le président, je n'utiliserai sans doute pas l'heure et demie dont je peux disposer - je serai peut-être moins long qu'un des rapporteurs -, non que le sujet ne le mérite pas, mais j'essaierai d'être convaincant sans pour autant faire de l'obstruction.

Le préambule de notre Constitution, reprenant le texte du 27 octobre 1946, proclame une série de principes jugés « particulièrement nécessaires à notre temps » et auxquels le Conseil constitutionnel a reconnu valeur constitutionnelle dans une célèbre décision de 1971.

Bien que marqués par le contexte de l'après-guerre et le souci de prévenir le retour de la barbarie, ces principes se voulaient l'assise de la promotion de droits concrets, des principes économiques et sociaux fondamentaux, donnant plus de chair et de vie au caractère formel et abstrait de ceux énoncés dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Or le préambule de 1946 dispose notamment que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».

Pourquoi invoquer devant vous cet article à l'appui d'une exception d'irrecevabilité alors même que, depuis le 1er juillet 2003, l'ancienne direction des constructions navales est devenue une société anonyme de plein exercice ? Simplement parce qu'évoquer le devenir de DCN, comme nous le faisons aujourd'hui, c'est aussi, d'une manière indissociable, se pencher sur son histoire, se rappeler l'héritage des arsenaux fondés par Richelieu et Colbert.

Cet héritage, ce sont en particulier des implantations qui font partie du patrimoine industriel de notre pays, et dont beaucoup demeurent aujourd'hui intimement liées à DCN.

Il en est ainsi par exemple du site de Ruelle. Depuis 1750, date à laquelle le marquis de Montalembert a installé une fonderie au bord de la Touvre, à deux pas du bourg et de l'église de Ruelle, le destin de cette commune est lié plus qu'intimement à celui de DCN. Ainsi, lorsque la DCN avait annoncé une baisse de ses effectifs, c'est l'ensemble du tissu économique de la commune qui en avait été directement affecté. Jusqu'à 2 300 personnes ont travaillé sur le site de Ruelle ; elles sont un peu moins d'un millier aujourd'hui. Implantée au beau milieu de la commune, la DCN occupe 52 hectares en plein centre de Ruelle et représente 81 % des taxes professionnelles perçues par la commune. Aussi, aux beaux jours, l'entreprise a donné son aisance à la commune. Entre 1970 et 1975, le collège, le lycée professionnel, le centre culturel, le gymnase ont été construits et la mairie a été refaite.

Je pourrais bien évidemment citer nombre d'exemples similaires qui ont fait les grandes heures de la construction navale française : l'établissement de Nantes-Indret, en 1771, la naissance de l'arsenal de Lorient en 1778, celui de Cherbourg, à partir de 1813. Dans chacun de ces sites, comme à Brest, l'attachement des acteurs syndicaux, économiques et politiques au maintien des activités de DCN s'exprime avec force. Il y va à chaque fois de l'intérêt économique des régions concernées.

Toutes ces implantations, qui reflètent un pan entier de notre histoire militaire et industrielle, sont de véritables pôles d'activités qui mobilisent et fédèrent les énergies locales.

Certes, entre-temps, la DCN a beaucoup changé. Les plus profondes transformations datent néanmoins seulement d'une dizaine d'années. Il y eut d'abord la création de DCN international en 1991, société de droit privé à capitaux publics chargée des activités commerciales de promotion et de suivi des contrats signés à l'exportation. Il y eut ensuite, en 1997, la séparation des activités de DCN au sein de la Délégation générale pour l'armement en deux entités distinctes : le service des programmes navals et la DCN proprement dite, chargée des seules activités industrielles. Il y eut enfin le changement de statut, intervenu en 2003, qui fit de DCN une société de droit privé à capitaux publics.

La direction des constructions navales a donc cessé formellement d'être un service à compétence nationale directement rattaché au ministre de la défense. Il reste que l'histoire de l'entreprise est indissociable de celle de notre pays, des territoires qui en ont accueilli les implantations, de celle de ses salariés, dépositaires d'un savoir-faire exceptionnel. On ne peut évoquer l'avenir de DCN sans se soucier du statut spécifique qui fut le sien et qui intéresse des enjeux de souveraineté nationale, ni de la place qu'elle occupe dans l'histoire de la construction navale française et de l'importance que revêt l'ancrage de ses implantations dans le paysage industriel de notre pays.

Lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative, en décembre 2001, qui avait vu l'examen de l'article unique visant à la modification des statuts de la DCN à l'horizon 2003, les députés communistes avaient donc rappelé leur position de principe : se prémunir contre tout aventurisme.

Nous ne pouvons que vous adresser, madame la ministre, le même reproche. Nous ne reviendrons pas sur les conditions déplorables dans lesquelles ce projet de loi nous est finalement soumis. Le Gouvernement envisageait de légiférer par la voie d'un amendement à la loi de finances rectificative. Vous nous avez rappelé hier que nous devions sans doute nous estimer heureux et satisfaits de disposer finalement d'un authentique projet de loi. Nous vous remercions de votre mansuétude. Le problème reste malgré tout entier, tant la rédaction de votre texte est visiblement frappée du sceau de l'improvisation.

Mais il y a une différence de taille entre le texte de l'amendement de 2001 et celui du projet de loi que vous nous soumettez. En effet, le texte autorisant la transformation de DCN en société détenue par l'État prévoyait non seulement le maintien des statuts des personnels mais mettait en place un contrat d'entreprise fixant, sur une base pluriannuelle, les relations entre la société et l'État. Surtout, il était alors très clair dans l'esprit du législateur que la DCN devait demeurer une société de capitaux publics. Nous disposions ainsi de la garantie que l'État gardait la main sur l'un des fleurons de notre industrie et ne reléguait pas au second plan l'intérêt national.

Votre projet se propose d'ouvrir le capital de DCN. Et ce n'est pas vous faire un procès d'intention que d'indiquer qu'il s'agit d'une nouvelle étape vers la privatisation pure et simple de l'entreprise et l'engagement explicite d'un processus de démantèlement. Votre projet consacre en effet la possibilité de création de filiales. Et puisque le critère retenu est celui des activités, cela signifie clairement que l'on pourra demain créer sur un même site plusieurs activités et filialiser chacune d'entre elles.

Pas plus qu'elle n'a échappé aux organisations syndicales, cette réalité ne nous échappe pas, comme ne nous échappent pas non plus les propos tenus par M. le ministre délégué à l'industrie, Patrick Devedjian, le 18 novembre dernier au Sénat. Il avait alors souligné qu'en Europe, « nous avons vingt et un industriels pour vingt-trois chantiers navals », contre, « aux États-Unis, quatre industriels pour six chantiers navals » et jugé dès lors qu'il faut « cesser de gémir sur la puissance américaine en ne faisant rien en Europe. » Cela signifie clairement que vous envisagez la fermeture de chantiers, avec les conséquences que nous connaissons sur l'emploi et sur les territoires.

Ces perspectives n'ont pourtant rien d'une fatalité. Elles sont le fruit de décisions politiques. Vous nous dites que l'obligation, posée par la loi de finances rectificative pour 2001, d'une détention intégrale du capital de DCN par l'État constitue aujourd'hui un obstacle à la conclusion de partenariats ou d'alliances au niveau européen. Vous nous expliquez ensuite que les objectifs poursuivis sont, dans le contexte concurrentiel, ceux d'une consolidation européenne de l'industrie de défense.

Pourtant, vous le savez, DCN est aujourd'hui une société en bonne santé financière et qui dispose de réels points forts : son intégration entre les divers métiers de la construction navale, une gamme complète de produits, une compétence technique reconnue. Chacun s'accorde d'ailleurs à le souligner. Rien ne nécessite d'envisager l'ouverture de son capital. À cet égard, nos voisins européens se montrent assez prudents. Ce n'est pas seulement que votre texte est présenté dans l'urgence, et que vous procédez à un véritable passage en force alors même que les partenaires allemands veulent prendre tout le temps nécessaire pour négocier. C'est encore que les grands chantiers européens demeurent en grande majorité publics.

Les chantiers navals allemands sont majoritairement détenus par les Länder, le groupe Izar, issu de la fusion des chantiers navals civils et militaires espagnols, est détenu en totalité par l'État espagnol, Fincantieri, principal industriel italien sur le marché de la construction navale, est détenu à 83 % par l'État italien.

En outre, les partenariats européens que vous appelez de vos vœux existent déjà. Des partenariats ont été noués entre DCN et des acteurs de l'industrie européenne depuis plus d'une décennie : l'alliance commerciale avec Thales via Armaris, la coopération avec Izar sur les sous-marins Scorpène, avec Fincantieri sur les frégates ou avec les Chantiers de l'Atlantique sur BPC ont fait la preuve de leur efficacité et il n'y a donc nulle urgence à envisager de les renforcer pour faire face à la concurrence américaine ou asiatique qui vient d'être évoquée.

À terme, d'ailleurs, quelle meilleure garantie de résistance à la concurrence que le maintien du statut public - alors que l'ouverture de capital est, au contraire, lourde d'un risque majeur de voir l'entrée massive de fonds de pension américains dans le capital des industriels européens de construction navale ?

Madame la ministre, votre démarche, que vous nous présentez comme votre « ambition » pour DCN, s'inspire - et je le regrette - de nombreux rapports parlementaires, dont le dernier en date est celui de M. Lemière. Ce projet et cette volonté libérale d'ouvrir le capital de DCN sont dictés par la conception européenne qui assimile les armes à des biens marchands comme les autres, dans le respect d'une logique de libre concurrence préconisée par le projet de Constitution européenne. L'ouverture du capital de DCN repose sur une logique de désengagement de l'État qui porte directement atteinte à l'exercice de ses fonctions régaliennes.

Elle repose également sur une volonté de rapprochement entre Thales et DCN qui s'apparente à une fusion - ou, du moins, à une reconcentration - visant à la réduction des effectifs et des crédits et à la fermeture de sites industriels dans un secteur pourtant dynamique.

Vous faites d'ailleurs de la bonne santé de DCN un argument à l'appui de votre projet d'ouvrir son capital. C'est là une constante de votre gouvernement : dès qu'une entreprise publique se porte bien, on la livre aux appétits d'actionnaires privés. Quand elle va mal, on la maintient sous tutelle et la collectivité en assume le coût. Votre logique est de privatiser les profits et de socialiser les coûts, et vous nous expliquez ensuite que la réduction des déficits doit être la priorité de l'action gouvernementale. C'est une logique de pompier pyromane !

Le Gouvernement a choisi, par pur dogmatisme et dans la précipitation, sans en éclairer les motifs, d'ajouter DCN à sa liste de privatisables, sans concertation préalable avec les syndicats, sans une information suffisante de la représentation nationale. Le procédé est non seulement choquant mais dangereux. Vous nous parlez de la nécessité de consolider le secteur de la construction navale en Europe mais nous n'avons pas d'Europe de la défense et vous n'inscrivez votre projet dans aucun schéma industriel.

Pourtant, rien ne s'oppose encore à la constitution d'un pôle public européen de la construction navale ni à des concertations approfondies avec nos voisins pour développer des stratégies industrielles concertées en phase avec l'élaboration d'une véritable politique européenne de la défense, autonome et souveraine. Il y va de l'intérêt de notre pays et de l'Europe. Face à cette exigence, votre argumentaire est de peu de poids. Il est le témoin d'une logique à courte vue qui se soucie visiblement fort peu des intérêts supérieurs de l'État et des enjeux d'une indépendance nationale et européenne en matière stratégique.

Si la construction de bâtiments sous-marins à Cherbourg et de navires de surface à Lorient et Brest n'est plus aujourd'hui le cœur de métier de DCN, elle reste une compétence importante de l'entreprise. Celle-ci, qui a fait et fait encore figure de précurseur technologique dans la réalisation de ses bâtiments, demeure de fait en situation de monopole dans la construction navale militaire dans notre pays, pour des raisons historiques fortes qui tiennent à la préservation de notre souveraineté.

Aussi vous opposons-nous la présente exception d'irrecevabilité, au motif - mais il y en aurait d'autres - de la violation des dispositions du préambule de notre Constitution. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. Sur le vote de l'exception d'irrecevabilité, je suis saisi par le groupe des député-e-s communistes et républicains d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à Mme la ministre de la défense.

Mme la ministre de la défense. Je dirai gentiment à M. Braouezec que je regrette de le voir ainsi regarder toujours vers le passé. Cela fait preuve d'une grande défiance quant à la capacité de l'entreprise DCN de faire face aux défis du futur. C'est toujours en se repliant sur soi, en étant timide, en se disant qu'on peut faire comme si la société ne bougeait pas que l'on finit par disparaître.

Monsieur Braouezec, certains des arguments que vous avez avancés sont faux. Vous citez par exemple les chantiers navals allemands ou espagnols détenus par l'État mais, en Allemagne, les deux chantiers les plus importants - Thyssen et HDW - sont privés et, en Espagne, j'ai engagé depuis déjà plusieurs mois des discussions avec mes deux partenaires successifs : le ministre de la défense du gouvernement Aznar, puis celui du gouvernement Zapatero, dont la réflexion est également orientée dans le sens de la privatisation. L'Italie, quant à elle, est un contre-exemple de votre argumentation : vous affirmez à la fois que les chantiers navals y sont détenus par l'État et, puisque l'État n'en détient que 83 %, que leur capital est ouvert. Pour ma part, je propose que l'État français détienne au minimum 51 % de DCN. La part offerte à la privatisation dépendra des projets industriels qui seront soumis : il s'agit d'offrir à l'entreprise une possibilité, et non de la mettre à n'importe quelles conditions sur le marché.

Il est également faux de prétendre comme vous le faites qu'il n'y aurait pas de concertation avec nos voisins pour une stratégie industrielle européenne commune. Je suis en effet en discussion avec mes partenaires depuis plus de dix-huit mois et je pense les avoir convaincus que, pour résister à la concurrence présente et future, nous avons besoin de rapprocher nos entreprises. Ce point de vue est partagé par nos partenaires allemands, espagnols, portugais - que vous n'avez pas cités, bien que le Portugal soit partie prenante à cette opération - et italiens, ainsi que par d'autres, comme la Grèce, qui observe avec intérêt notre démarche.

Nous devons inscrire notre action dans la perspective d'une véritable politique industrielle européenne. C'est dans cet esprit que j'ai été l'un des acteurs de la création de l'Agence européenne de la défense et de l'armement. L'ouverture de capital que je propose aujourd'hui est un moyen de donner à DCN les éléments nécessaires pour la conforter dans le paysage industriel global. C'est un moyen aussi de participer à la construction d'une Europe industrielle de la défense. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Jean-Claude Sandrier, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jean-Claude Sandrier. Le groupe des député-e-s communistes et républicains a déposé cette exception d'irrecevabilité car le texte que nous examinons nous a paru contraire à la Constitution. DCN a en effet le caractère d'un service public national, ou même d'un monopole de fait, et répond aux deux définitions qu'en donne le préambule de la Constitution de 1946. Alors que, du point de vue de la Constitution, DCN doit être propriété de la collectivité, vous vous engagez dans le chemin inverse.

Vous dites que nous représentons le passé, comme c'est, curieusement, le cas chaque fois que nous défendons le service public, c'est-à-dire que nous constatons que, dans un certain nombre de domaines essentiels, les intérêts privés sont incapables de répondre aux besoins de la nation. Pendant des siècles, notre société a évolué vers une maîtrise totale du capital, qui a obligé, comme l'a très bien compris le général de Gaulle au lendemain de la guerre, à construire des services publics pour répondre à des besoins qui ne pouvaient pas être couverts autrement.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. C'était il y a un demi-siècle !

M. Jean-Claude Sandrier. Ne nous dites donc pas que ce que nous défendons est le passé : au contraire, c'est l'avenir.

Vous affirmez par ailleurs que les industriels exigent cette ouverture.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Les industriels européens !

M. Jean-Claude Sandrier. Les États aussi, c'est vrai, mais cela n'a rien pour nous rassurer.

Depuis quand un État devrait-il se plier à des exigences dont on comprend bien qu'elles vont dans le sens de l'intérêt de ces industriels et, derrière eux, des actionnaires ? Est-ce là l'intérêt de la France ?

M. Charles Cova. Il s'agit aussi de la survie du service public !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Et les salariés ?

M. Jean-Claude Sandrier. Enfin, votre position, en décrivant la situation de DCN, consiste à dire que tout va bien et qu'il faut donc changer. Est-ce bien raisonnable ? Notre rapporteur a également affirmé qu'il ne s'agissait pas d'une privatisation. C'est formellement vrai, mais le passé nous a appris comment cela commence ... et comment cela finit toujours.

Nous voterons donc cette exception d'irrecevabilité.

M. le président. La parole est à M. Jean Lemière, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Jean Lemière. Le groupe UMP refusera, bien sûr, cette exception d'irrecevabilité. Il faut tenir compte des erreurs du passé. En l'espace de quarante ans, la construction navale civile européenne a été laminée parce que nous sommes restés sur des positions statiques et qu'il n'y a eu d'union ni au niveau de la recherche et du développement ni sur le front commercial.

La souplesse du partenariat entre public et privé au sein même de DCN va permettre de définir les véritables outils qui nous permettront de faire face à une concurrence qu'il ne faut pas négliger, et qui vient autant des pays d'Asie du Sud-Est que des pays émergents et des États-Unis, qui ont la volonté de s'investir dans le domaine de la construction navale en proposant des produits qui risquent de nous faire perdre des marchés essentiels pour le développement de notre industrie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Braouezec. Au nom de la concurrence, on fait n'importe quoi !

M. le président. La parole est à M. Pierre Albertini, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Pierre Albertini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat est intéressant car il nous invite, à propos du cas de DCN, à une réflexion d'ensemble sur notre industrie.

La réponse ne peut venir ni de l'idéologie, ni de la contemplation nostalgique du passé, ni d'une condamnation de la notion même de service public, qui est consubstantielle à la construction de notre pays. Elle doit venir, en revanche, de l'efficacité dans un environnement qui n'est plus franco-français, mais européen...

M. Patrick Braouezec. Il n'a jamais été franco-français !

M. Pierre Albertini. ...et marqué par une vive compétition mondiale.

Je crois que l'ouverture du capital qui nous est proposée n'est en rien la négation du service public dont DCN a la charge, et que les garanties accordées aux salariés sont fortes.

Avec ce texte, nous nous inscrivons dans un partenariat intelligent et ouvert, avec la volonté de surmonter les défis. Voilà pourquoi nous voterons contre cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Je vais mettre aux voix l'exception d'irrecevabilité.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

                    Nombre de votants 43

                    Nombre de suffrages exprimés 43

                    Majorité absolue 22

        Pour l'adoption 8

        Contre 35

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Sandrier.

M. Jean-Claude Sandrier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, veuillez nous excuser de tenir la tribune aussi longtemps, mais le projet proposé aujourd'hui à l'examen et au vote de la représentation nationale le mérite. Il consacre en effet un nouveau désengagement de l'État, et non des moindres. L'enjeu est en effet stratégique puisqu'il s'agit de la capacité de notre pays à disposer d'une défense nationale autonome, mais aussi à contribuer à la promotion d'une politique européenne de sécurité et de défense indépendante, s'appuyant sur des coopérations dans le domaine de l'industrie d'armement, hors du champ des intérêts privés.

Au regard d'un tel enjeu, on est effaré par la méthode utilisée pour faire passer un texte d'une telle importance, méthode qui semble - le mot est faible - bien peu sérieuse. Jusqu'à cet été, en effet, il n'était pas question d'ouverture du capital de DCN. Mais voilà que, le 25 octobre, vous annoncez votre volonté d'ouvrir ce capital. En novembre, vous tentez en toute discrétion de noyer cette mesure dans les 64 articles du projet de loi de finances rectificative pour 2004. Heureusement le Conseil d'État a eu la sagesse de faire savoir au Gouvernement qu'étant donné l'importance de l'enjeu, il valait mieux consacrer un projet de loi à cette question. Le Gouvernement annonce alors que ce projet de loi sera débattu au cours du premier trimestre de 2005. Nouveau rebondissement le 8 décembre, quand le conseil des ministres examine le projet de loi et décide son inscription dans l'urgence à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale pour la semaine suivante. Quel feuilleton ! Quelle précipitation ! Et tout cela sans véritable concertation avec les syndicats ! Avouez que, s'agissant de l'avenir de 12 780 salariés et de leurs familles, ainsi que de celui de plusieurs bassins d'emploi, s'agissant d'une entreprise performante au caractère stratégique évident, c'est faire preuve pour le moins d'une très grande désinvolture ! À un point tel d'ailleurs que cela en devient suspect.

Cette suspicion est renforcée par certains de vos arguments. Vous indiquez ainsi que l'ouverture du capital est indispensable pour lever les obstacles à la conclusion de partenariats au niveau européen.

M. Michel Hunault. C'est exact !

M. Jean-Claude Sandrier. Ce n'est pas sérieux ! ce même prétexte a servi à justifier le changement des statuts de DCN en décembre 2001. Et vous nous resservez le même plat réchauffé aujourd'hui.

En second lieu, de tels partenariats existent entre DCN et des acteurs de l'industrie européenne depuis plus d'une décennie. Je n'en citerai que quelques exemples : l'alliance commerciale avec Thales via Armaris, la coopération avec Izar pour le sous-marin Scorpène, Fincantieri pour les frégates, les Chantiers de l'Atlantique pour les bâtiments de protection et de commandement. DCN dispose en outre de réserves de trésorerie qui lui permettent largement de s'inscrire demain dans d'autres projets du même type, sous la forme de groupements d'intérêt économique. Ces rapprochements ont fait la preuve de leur capacité d'adaptation à un contexte de coopération européenne.

Vous prétendez aussi que des partenaires européens demandent cette ouverture du capital. Soit, mais qui faut-il croire, madame la ministre, vous ou notre rapporteur, qui, en commission des finances, a indiqué qu'on ne savait pas ce qu'allaient donner ces partenariats, avec qui ils seraient noués, et encore moins pour quoi faire ? Aucune perspective industrielle n'est proposée et le brouillard le plus épais entoure ce projet de loi.

Si, par hasard, ce partenaire était allemand, il faudrait en premier lieu nous le dire, et ensuite nous expliquer pourquoi, dans ces conditions, le ministre allemand de l'économie a fait savoir que cette question n'était pas à l'ordre du jour. Au cas où elle le deviendrait, il faudrait encore nous indiquer pourquoi nous devrions nous soumettre aux exigences de l'Allemagne.

Autrement dit, vous posez, comme un préalable purement idéologique, l'ouverture au capital privé de DCN sans savoir pour quoi faire et avec qui, en un mot sans projet industriel. D'autant que - faut-il le rappeler ? -l'introduction du capital privé n'offre aucune garantie supplémentaire quant à la qualité de la production et même de la gestion. J'en veux pour preuve vos propres affirmations selon lesquelles le chiffre d'affaires de DCN est excellent, son résultat net satisfaisant et son carnet de commandes rempli. Pourquoi voulez-vous changer une équipe qui gagne ?

À moins que ce ne soient justement ces bons résultats qui aiguisent quelques appétits, à la recherche d'argent frais à aspirer !

M. Philippe Vitel, rapporteur pour avis. De telles suppositions sont vraiment laides !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. C'est que ça marche !

M. Jean-Claude Sandrier. C'est bien ce que je viens de dire !

Madame la ministre, je ne crois pas à une quelconque légèreté de votre part dans cette affaire : vous faites bel et bien un choix politique et idéologique, ce que vous avez vous-même reconnu. Je pense simplement que vous devez dire aujourd'hui à la représentation nationale ce que cache votre précipitation. Puisqu'aucun partenaire européen n'est à ce point pressé, qui donc peut lorgner aussi avidement sur DCN ? Ne serait-ce pas Thales ? Votre réponse est importante pour le groupe des députés communistes et républicains, qui n'a pas envie - pardonnez-moi l'expression - de servir la soupe à Thales ce soir.

Quant à notre voisin allemand, je ne sais pas si cette ouverture est un signe dans sa direction, mais dans ce cas il faut nous dire ce qu'il signifie. En effet, récemment encore, il se disait outre-Rhin, où l'expérience d'EADS a fait naître une certaine déception, qu'une éventuelle restructuration de l'industrie militaire navale européenne, devrait se faire sous leadership industriel allemand. Qu'en pensez-vous, madame la ministre ?

Vous évoquez également la concurrence, mais la concurrence n'a pas entravé le développement actuel de DCN. Sa capacité à établir des coopérations est le meilleur rempart face à cette concurrence, et ce n'est pas son statut ni ses réserves de trésorerie qui l'empêchent de nouer de nouvelles coopérations. Si risque il y a, c'est justement dans le choix d'ouvrir le capital qu'il réside. C'est de loin l'option la plus dangereuse, d'une part parce qu'elle soumet une entreprise stratégique à des intérêts privés, qui font passer avant toute autre considération l'exigence d'un rendement élevé de leurs actions, d'autre part et surtout parce qu'elle ouvre la porte aux capitaux américains, exposant l'ensemble des États européens au risque de perdre la maîtrise de leur politique industrielle et de défense.

M. Jérôme Rivière. C'est l'inverse !

M. Jean-Claude Sandrier. Ces capitaux américains sont déjà présents chez le nouveau géant allemand de l'industrie navale. Je ne parle même pas de la Grande-Bretagne, où le plus grand groupe du secteur est propriété des États-Unis à hauteur de 47 %, la Grande-Bretagne n'en détenant que 43 %. Sachant cela, on comprend mieux certaines allégeances !

M. Jérôme Rivière. Faut-il fermer les frontières ?

M. Jean-Claude Sandrier. La seule politique susceptible de nous protéger efficacement contre ces dangers repose sur trois piliers : la définition d'un schéma industriel pour DCN et la garantie du Gouvernement sur le respect du plan de charge ; le développement de coopérations sans intervention ou fusion capitalistiques, et en premier lieu dans le domaine de la recherche- développement ; la constitution d'un pôle public de l'armement, y compris au niveau européen, ce qui sera d'autant plus facile si l'industrie navale reste sous maîtrise publique dans les principaux pays européens.

M. Jérôme Rivière. Vous venez de dire l'inverse !

M. Jean-Claude Sandrier. Nous en avons déjà fait l'expérience dans d'autres secteurs : en ouvrant le capital, en lançant le processus de privatisation, ce n'est pas une boîte à outils que vous ouvrez, selon l'expression chère au rapporteur de la commission des finances, mais la boîte de Pandore.

À en croire le b du III de l'article unique de votre texte, le ministre garde le pouvoir de contrôle : franchement, c'est confondre parapet et paravent ! En réalité, vous préparez une gigantesque restructuration qui débouchera sur un monopole privé, ce qui est paradoxal quand on prétend défendre la concurrence.

Vous avez évoqué hier, madame la ministre, votre « ambition pour DCN » : comment peut-on appeler ambition la volonté de faire entrer le capital privé dans une entreprise nationale de caractère stratégique ? Décidément, tous les arguments sont bons pour capituler en réalité devant les appétits privés et se soumettre à la loi du marché pure et dure, devenue la nouvelle Bible des nouveaux maîtres du monde.

Nous voterons contre cette capitulation, et nous avons ce faisant le sentiment d'exprimer la volonté unanime des syndicats de DCN. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord remercier le Gouvernement de la méthode retenue pour procéder à l'ouverture de capital de DCN. En effet, madame la ministre, vous aviez le choix entre le dépôt d'un amendement au projet de loi de finances rectificative et celui d'un projet de loi ad hoc. En empruntant cette deuxième voie, vous démontrez votre attachement à DCN, en nous permettant de débattre sérieusement de l'avenir de cette entreprise majeure pour notre industrie navale. Un tel choix enlève tout fondement aux critiques qui dénoncent une prétendue précipitation dans cette affaire, d'autant qu'elles viennent de l'opposition, qui en son temps avait privilégié la voie de l'amendement pour modifier le statut de l'entreprise.

M. Jérôme Rivière. C'est vrai !

M. Michel Hunault. Toute polémique sur les conditions d'examen de ce projet me semble donc particulièrement infondée.

L'article unique que nous examinons aujourd'hui autorise l'ouverture du capital de DCN et la constitution de filiales, tout en préservant, comme vous l'avez rappelé à l'instant, madame la ministre, le statut des employés de la DCN. Cette mesure, nécessaire à nos yeux, était attendue. Car si le précédent gouvernement avait permis la transformation des chantiers en entreprise, ce qui allait dans le bon sens, il s'était arrêté en chemin. Pour le groupe UDF, le capital d'une entreprise telle que DCN, qui œuvre sur un marché hautement concurrentiel, n'a pas vocation à être détenu à 100 % par l'État. C'est pourquoi nous nous félicitons de ce projet de loi.

DCN est une belle entreprise qui mérite qu'on lui donne les moyens de mener une politique stratégique et industrielle ambitieuse. Son savoir-faire technologique et la qualité de ses équipes sont autant d'atouts qui appellent toute notre attention. Or ce serait une erreur d'essayer de faire croire aux Français et aux salariés de DCN que la modernisation de cette entreprise ne nécessite pas une ouverture du capital et l'établissement de liens forts, notamment capitalistiques, avec d'autres entreprises. Cette ouverture, madame la ministre, est courageuse et mérite d'être saluée.

Il reste cependant de nombreuses questions en suspens, même si ce projet de loi permet de faire beaucoup de choses : une cession des titres de l'État à un industriel, une mise sur le marché, la constitution de filiales avec apport d'actifs. Les seuils retenus par le Gouvernement pour la constitution de filiales majoritaires nous semblent en outre apporter les garanties nécessaires quant au contrôle du patrimoine public. Le texte ne nous dispense pas pour autant de la nécessité de préciser quelle est la politique industrielle du Gouvernement en matière d'armement naval. Nous comprenons - je parle bien sûr sous votre contrôle, madame la ministre - que le Gouvernement privilégie la voie de l'approfondissement de la coopération entre DCN et Thales. Pour le groupe UDF, l'enjeu ne doit pas être simplement de garantir un avenir ambitieux à la construction navale française. À l'heure de la mondialisation et de la suprématie militaire américaine, il nous semble que la France a l'impérieuse obligation de se fixer pour objectif l'édification d'un acteur de taille mondiale en matière d'armement. Cela passe nécessairement par une consolidation européenne des industries navales. Une politique véritablement ambitieuse ne saurait donc s'arrêter au rapprochement entre DCN et Thales.

Nous devons nous inspirer de ce qui a été fait dans le domaine de la construction aéronautique avec Airbus. Ce modèle a fait ses preuves, et nous n'y perdons ni de notre influence ni de notre savoir-faire. Si je précise ce point, c'est que les réticences à un tel projet naissent simplement de la crainte d'une perte d'influence, au profit notamment des industriels allemands. Notre groupe pense à l'inverse que c'est notre isolement qui nous ferait courir un tel risque. Un quotidien allemand faisait récemment état de l'échec éventuel d'un rapprochement entre un nouvel ensemble et des partenaires d'outre-Rhin, au motif que la France aurait des revendications trop importantes et n'accepterait une alliance qu'à la condition d'être majoritaire et de garder le contrôle du nouvel ensemble. Airbus est la démonstration par excellence que la mise en commun des ressources peut présenter des avantages pour l'ensemble des partenaires.

Le groupe UDF se félicite donc, madame la ministre, de l'adoption rapide de ce projet de loi, qui ouvre à DCN de nombreuses possibilités de développement. Mais, selon nous, garantir l'avenir de l'excellence française en matière de construction navale suppose l'édification d'un acteur européen. Nous espérons que le Gouvernement partage ce point de vue et qu'il mettra tout en œuvre pour nouer les liens nécessaires avec nos partenaires européens.

Je terminerai en saluant, madame la ministre, votre volonté personnelle de préserver l'unité du groupe. Ce projet de loi, vous l'avez dit, intervient à un moment favorable pour l'entreprise. Il s'inscrit dans une optique plus large : celle de la construction de l'Europe de l'armement, élément de l'Europe de la défense. Et vous avez apporté toutes les garanties et toutes les assurances que le statut du personnel serait sauvegardé. Soyez-en remerciée. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Marguerite Lamour.

Mme Marguerite Lamour. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous sommes appelés à examiner cet après-midi est relatif à l'ouverture du capital de DCN et à la création par celle-ci de filiales. La commission de la défense nationale et des forces armées l'a examiné pour avis et son rapporteur, Philippe Vitel, vient de nous communiquer ses conclusions.

Pour ma part, députée de la circonscription de « Brest rural » qui, comme son nom ne l'indique pas, est très navale, je suis, vous vous en doutez, très attentive à ce texte et, d'une manière plus générale, à tout ce qui a trait à la défense ainsi qu'à nos industries navales. Je n'ai pas la prétention d'être une éminente spécialiste de la défense, mais je vais vous livrer, avec modestie, les réflexions que m'inspire ce projet de loi, mais aussi, plus largement, la défense nationale, et donc votre action, madame la ministre.

J'évoquerai d'abord l'entreprise DCN et les formidables objectifs qu'elle se doit d'atteindre. J'aborderai ensuite le volet du personnel de l'entreprise et du statut qui s'y attache. Je conclurai enfin par une analyse un peu plus personnelle.

Le 19 décembre 2001, la DCN a tourné une page de son histoire : la loi modifiant son statut, votée sous un précédent gouvernement, a fait d'une administration une société nationale. La modification du statut, rendue opérationnelle en 2003, a été accompagnée d'un contrat d'entreprise qui fixe un cadre d'obligations réciproques entre DCN et l'État. Il s'agit d'une véritable révolution culturelle à une époque ou le paysage de l'industrie navale militaire, tant européen que mondial, connaît des mutations profondes et rapides.

Opérateur majeur de la construction navale militaire, DCN met au service de la marine nationale et des marines étrangères ses compétences d'innovation et de réalisation dans le domaine des systèmes navals, de leur maintenance et de leur environnement. L'entreprise évolue dans un paysage industriel marqué par les regroupements et les alliances entre les principaux acteurs de la construction navale européenne.

Aujourd'hui, comme l'a souligné Philippe Vitel, ce sont des choix stratégiques qui doivent être faits pour et par DCN, si nous ne voulons pas déplorer, dans quelques années, sa marginalisation, son déclin, voire sa disparition programmée. L'engagement de l'État vis-à-vis de DCN doit être confirmé car il ne faudrait pas que l'histoire dramatique de GIAT se reproduise.

Un document édité en 2001 par DCN, intitulé Vision, a dressé le portrait de ce que devrait être DCN en 2005. Or, 2005, nous y sommes... Voici les cinq axes majeurs selon lesquels ce document décline les objectifs stratégiques de l'entreprise :

Premièrement, être un acteur majeur de la construction d'une offre européenne, la priorité étant donnée aux navires et aux systèmes qui mettent en œuvre des fonctions à haute valeur ajoutée dans le domaine militaire : furtivité, hydrodynamisme, électronique navale ;

Deuxièmement, devenir un ensemblier systémier de premier plan, recentré, dans le domaine de la réalisation de navires armés, sur la conception du navire et du système de combat, et, dans le domaine du maintien en condition opérationnelle, sur la maîtrise d'œuvre de la maintenance ;

Troisièmement, conduire une stratégie d'alliances et de partenariats afin de renforcer sa compétitivité ;

Quatrièmement, s'aligner sur la norme des meilleurs industriels du secteur ;

Enfin, développer un management orienté vers les clients. La culture des collaborateurs de DCN est résolument tournée vers l'excellence économique, l'innovation et la réactivité. Ce sont des atouts majeurs pour DCN.

Voilà, très succinctement, ce qui a été écrit en 2001 pour l'horizon 2005. Nous y voici. Sommes-nous prêts à continuer de relever ensemble ces formidables défis ?

Pour que DCN soit une réussite, il faut impérativement qu'elle puisse continuer à nouer des alliances. Il convient également que tout le monde avance dans le même sens, que toutes les énergies se rassemblent. Nous en avons besoin dans cette impitoyable compétition qui dépasse largement nos frontières.

J'en viens au volet concernant le personnel de l'entreprise et le statut qui s'y attache. Ce projet de loi suscite des craintes au sein des personnels. Dotés d'un statut spécifique, ils sont inquiets, en particulier, pour les garanties sociales dont ils bénéficient actuellement.

DCN compte plus de 12 000 salariés, dont le quart sur le seul site brestois. Brest est une ville historiquement vouée à la marine et à la construction navale. Par conséquent, je vous l'ai dit avant-hier, madame le ministre, lors de la discussion sur la réforme du statut général des militaires, les destins de Brest et de DCN sont intimement liés. L'ensemble du pays brestois ne peut s'épanouir si le pôle défense, mais aussi l'électronique, qui souffre en ce moment - je pense notamment à Jabil et à Nextream - n'y sont pas solidement ancrés.

DCN, selon les informations qui m'ont été communiquées, dispose d'un plan de charges et recrute. Nous sommes tous concernés par son devenir : les salariés, dans leur capacité à se positionner sur de nouveaux enjeux ; les dirigeants, dans les orientations à prendre ; et nous, élus, dans la mission qui nous revient d'appuyer le développement de l'entreprise et de donner des garanties à ses personnels.

Je ne connais pas les autres sites de DCN, mais je peux parler du site brestois. Élue en juin 2002, j'ai rencontré les salariés, à diverses reprises, par l'intermédiaire de leurs organisations syndicales. Chaque fois qu'ils m'ont interpellée, je les ai reçus et écoutés. Nous avons parfois des opinions divergentes, mais au moins une conviction en commun : l'ambition pour notre région. J'éprouve pour eux le plus profond respect et j'espère que la réciproque est vraie. J'ai rencontré à DCN des hommes et des femmes qui ont un fort sentiment d'appartenance à leur entreprise et qui ont su s'adapter, dans leur très grande majorité, aux enjeux de la nouvelle société.

Vous nous avez assurés à maintes occasions, madame la ministre, de votre attachement aux personnels et à leurs statuts. Ce projet de loi nous donne des garanties quant au maintien de l'unité de DCN, grâce au seuil d'ouverture du capital. Je ne peux croire un instant que l'annonce faite lors du salon Euronaval, le 25 octobre dernier, signifie que l'État ait pour but de se désengager au plus vite de l'entreprise, comme certains le prétendent. Je sais que vous tiendrez parole et je vous fais confiance. Les personnels, toutes organisations syndicales confondues, sont unanimement favorables à la construction européenne, notamment en matière de recherche et de développement, car elle permettra à chaque pays de maintenir, voire de développer ses propres activités de construction navale militaire.

Je consacrerai le troisième volet de mon propos à une analyse plus politique, car faire de la politique, c'est aussi construire l'avenir.

Nous sommes ici divisés sur ce projet de loi. D'aucuns, qui n'y sont pas favorables, voudraient faire croire que la majorité fait fi des personnels de DCN. Je ne peux ni leur cacher mon étonnement ni m'empêcher de leur rappeler quelques souvenirs : le plus grand attachement qu'ils auraient pu manifester à l'égard de DCN et, plus généralement, de la défense nationale eût été de voter, voici deux ans, en novembre 2002, la loi de programmation militaire.

M. Jérôme Rivière. C'est vrai !

Mme Marguerite Lamour. Cette loi, que seule la majorité a votée, est l'ossature de notre défense et, par là même, de nos industries navales. Le plan de charges de DCN ne découle-t-il pas pour la majeure partie des crédits de la défense ? La LPM a d'ailleurs redonné espoir à tous ceux qui, de près ou de loin, sont attachés à la défense nationale. Depuis 2002, et cette année encore, le 16 novembre 2004, seuls les députés de la majorité ont voté le budget de la défense nationale. Aujourd'hui, et je ne comprends pas toutes les subtilités de l'exercice, une partie de cet hémicycle crie au loup - peut-être par confort électoral - alors même que, depuis deux ans, elle n'a pas accompli l'acte politique de mettre en place les crédits nécessaires à nos industries de défense. Soyons majeurs ! Soyons cohérents !

M. Philippe Vitel, rapporteur pour avis. Eh oui !

Mme Marguerite Lamour. On ne peut pas, sur le terrain, dire qu'on écoute, qu'on soutient et, à l'Assemblée, par sa façon de voter, montrer qu'on ne veut pas consacrer un euro à la défense. Je suis prête à entendre la démonstration contraire, mais j'ai le sentiment d'avoir un raisonnement cohérent. D'ailleurs, je pense très sincèrement que, si chacun des députés de l'opposition s'exprimait en son âme et conscience, sans être embrigadé dans une démarche partisane,...

M. Jean-Claude Sandrier. Attention !

Mme Marguerite Lamour. ...leur point de vue ne serait pas loin de rejoindre le mien.

M. Jérôme Rivière. Bien sûr !

Mme Marguerite Lamour. On ne peut pas prétendre être pour une forte Europe de la défense, et ne pas voter pour les évolutions que DCN se doit de réaliser.

M. Charles Cova. C'est l'idéologie socialiste et communiste : voilà où elle nous conduit !

Mme Marguerite Lamour. La première urgence était de redonner les moyens financiers à notre industrie de la défense. Nous l'avons fait, madame le ministre. Aujourd'hui, ne pas poursuivre cette démarche, ce serait en quelque sorte faire une marche arrière qui, demain, face aux enjeux internationaux, condamnerait à coup sûr à la sclérose l'ensemble de ces industries.

En conclusion - et d'une manière plus personnelle, car je pense fort légitimement à DCN Brest, mais aussi à Thales et à toutes les entreprises de la sous-traitance - dès l'instant où, madame la ministre, vous m'apportez des garanties pour le statut des personnels, je voterai ce texte. Je le ferai en tant que députée d'une majorité qui vous soutient, mais aussi à titre personnel, car je suis intimement convaincue que cette ouverture de capital permettra à DCN de conforter sa position et assurera, par là même, sa pérennité et son développement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Adam.

Mme Patricia Adam. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs, il y a trois ans, le gouvernement de Lionel Jospin décidait le changement de statut de DCN pour donner à l'entreprise, dans un monde de la défense en pleine évolution, et en particulier à l'export, la capacité de répondre aux appels d'offre. Il lui permettait ainsi de se positionner de manière dynamique sur un marché européen en pleine expansion.

Aujourd'hui, madame la ministre, vous nous proposez une loi, composée d'un article unique, qui change assez fondamentalement ce texte initial, tant pour les salariés, et ce, quel que soit leur statut, que pour l'entreprise. Et nous venons d'apprendre, dans votre discours d'introduction, qu'un amendement gouvernemental propose d'ouvrir le capital à l'intéressement et à l'actionnariat.

Ce que vous proposez n'est, ni plus ni moins, qu'une forme de démantèlement de DCN,...

M. Philippe Vitel, rapporteur pour avis. C'est un mythe !

Mme Patricia Adam. ...et ce, parce qu'aucune précaution n'est prise.

Vous nous avez dit hier, lors des questions au Gouvernement, que vous étiez confiante pour DCN et pour son avenir comme première entreprise de la navale en France, et peut-être aussi en Europe. Sur ce point, nous pouvons être d'accord. Oui, DCN est une entreprise saine, bien gérée et de haute technologie. Oui, la mutation de statut s'est opérée avec succès, grâce à ses dirigeants, à ses salariés et à leurs représentants. Oui, la compétitivité des coûts est là et les délais sont tenus, à la grande satisfaction de notre marine, mais aussi des marines étrangères.

Oui, encore oui, mais si cela s'est produit, c'est parce que cette entreprise fait corps avec son histoire industrielle, celle des arsenaux, et ce depuis quatre siècles. Les salariés sont le fruit de cette histoire ; ils en sont fiers et ils ont raison de l'être. Et, parce qu'ils en sont fiers, ils ont su valoriser ce capital de compétence pour défendre leur entreprise, leurs arsenaux.

Le changement de statut ne modifiait pas structurellement cette histoire. Il l'amendait, simplement, pour construire l'histoire européenne sans sacrifier les hommes qui ont bâti l'entreprise ni les droits sociaux qui s'y rattachent. Ces droits sociaux se sont construits, au fil des temps, par des luttes ouvrières souvent très dures. Ce que vous proposez, c'est tout simplement l'ouverture capitalistique, libérale à tout crin, sans que l'État exprime la moindre reconnaissance - ce serait pourtant légitime - à ses salariés, pour l'effort qu'ils ont fourni.

Ce texte, écrit dans l'urgence, est juridiquement irresponsable, à moins que ce ne soit délibérément qu'il attente aux droits sociaux et démantèle la DCN.

M. Jérôme Rivière. Vous ne pensez pas ce que vous dites !

Mme Patricia Adam. Mais si ! Et nous le démontrerons !

Car cet article unique, qui donne simplement le feu vert à une ouverture de capital, laisse la porte ouverte à de nouvelles modifications du statut de DCN et de ses personnels. Sur ces hypothèses, qui ne relèvent pas de la fiction, vous ne dites rien. Ce passage en force nous inquiète.

Concernant tout d'abord la possibilité d'ouverture du capital de DCN, la limite que pose le texte garantit seulement à l'État la détention de 51 % du capital et donc, sans doute du même pourcentage de voix aux assemblées générales. Or, d'après le droit commun des sociétés, désormais applicable à DCN, les décisions relatives aux changements de statut des sociétés nécessitent une majorité des deux tiers des voix en assemblée générale extraordinaire. Dans ces conditions, en l'absence totale de garanties apportées sur ce point dans votre projet de loi, rien n'empêchera qu'un jour - peut être demain, si vous en décidez ainsi - la place de l'État soit ramenée à une part inférieure à ce seuil des deux tiers des droits de vote, ce qui l'obligerait à composer avec d'autres actionnaires privés pour définir un changement de statut de DCN. Quels seront ces partenaires ? Quels seront leurs choix ? Quelles conditions imposeront-ils à l'État qui se trouverait, alors, dans l'incapacité de décider seul des orientations de DCN ?

Sur toutes ces questions, vous gardez soigneusement le silence. Mais ce silence peut être lourd de conséquences pour l'avenir de l'industrie navale. Vous nous parliez à l'instant, madame la ministre, des discussions en cours avec les pays européens ; nous en prenons acte, sans en connaître la teneur.

Vous ouvrez la porte, peut-être sciemment d'ailleurs, à une dilution de l'actif social de DCN dans des sociétés dont la majorité du capital et des droits de vote ne serait pas détenue par DCN, et ce sans prévoir aucune procédure de contrôle des apports d'actif, et sans préciser ni les modalités ni les critères de calcul des seuils permettant de déterminer le nombre de salariés affectés à telle ou telle activité de la société mère DCN ou des filiales que vous envisagez de créer.

Au-delà de la question du statut de DCN, se pose, évidemment celle des statuts des personnels - ouvriers d'État, fonctionnaires, militaires, contractuels de droit public - notamment en cas de transfert d'activité à des filiales, sachant que l'un des rares objectifs affichés pour l'adoption de ce texte est bien de permettre à DCN de créer des filiales. Rien non plus, dans votre texte, ne précise ce que deviendront les statuts des personnels - tous de droit public -, en cas d'apport d'actif extérieur, de cession ou de transfert d'activité à des filiales privées. Or, si la jurisprudence admet, sous certaines conditions, le maintien des droits individuels des salariés en cas de transfert d'activité, y compris s'il s'agit d'un transfert de contrats de droit public, rien ne garantit le maintien des droits collectifs, notamment de salariés de droit public devenant salariés d'un employeur privé. Sur ce point aussi, l'incertitude reste totale et le texte que vous nous demandez d'adopter, d'un mutisme absolu.

Pourtant, il relève bien de la loi d'apporter les précisions nécessaires à cet égard, afin que les salariés de DCN sachent à quoi s'en tenir quant à leur statut, en cas de transfert éventuel d'une branche d'activité à un opérateur privé qui deviendrait leur employeur. Ce point est d'autant plus crucial que vous en faites, madame la ministre, la principale justification de votre projet de loi.

Rien ne justifie que les principaux intéressés, ceux qui seront les plus touchés par les conséquences de ce texte, aient été tenus à l'écart de son élaboration : les organisations syndicales représentatives des salariés n'ont pas été consultées aussi largement qu'il est d'usage en cas de décisions d'une telle importance. Que cette perspective d'ouverture du capital ait été évoquée dans les conseils d'administration n'explique pas non plus cette mise à l'écart délibérée des salariés, qui témoigne d'une réelle forme de mépris à leur égard, un mépris indigne du gouvernement d'un État démocratique.

Enfin, le Parlement est, lui aussi, privé de toute information utile sur les raisons, les perspectives et les conséquences du projet. Ce passage en force bafoue ses droits.

Avec cet article, madame la ministre, vous ouvrez la voie à la destruction d'une histoire de plusieurs siècles, car vous ne fournissez pas de garanties suffisantes pour la réussite de DCN, dont l'avenir est à construire avec nos partenaires de l'Union européenne en respectant nos spécificités et nos cultures respectives. Ces rapprochements doivent s'opérer sans volonté hégémonique d'un État sur un autre.

Je suis une fervente européenne, mais pas à n'importe quelle condition. La France a les moyens, parce qu'elle est une grande puissance chargée d'histoire, de faire entendre sa différence, en particulier quant à la défense de ses entreprises et de ses services publics.

À défaut de voter le texte que vous nous présentez - vous n'en serez pas étonnée -, nous aurions au moins souhaité pouvoir en discuter dans de bonnes conditions, et procéder, comme il aurait été normal, à des auditions. Or il n'en a rien été. Quel paradoxe, madame la ministre ! Vous affirmez que ce projet de loi est indispensable tant sur le plan industriel - « l'avenir de notre industrie en dépend », avez-vous dit - que sur le plan stratégique : « c'est la perspective d'une consolidation européenne ». Mais tout se passe comme si votre gouvernement, maître de l'ordre du jour, ne souhaitait pas que la représentation nationale puisse mener un débat approfondi.

M. Jérôme Rivière. C'est tout de même mieux qu'un simple amendement à une loi de finances !

Mme Patricia Adam. La méthode utilisée par le Gouvernement ne permettra ni à la représentation nationale ni aux salariés d'avoir une vision claire de la stratégie industrielle de l'entreprise. Vous n'avez même pas respecté les termes de la loi de finances rectificative pour 2001, qui exigeait que le Gouvernement rende compte annuellement au Parlement de l'état d'avancement du projet d'entreprise et du contrat d'entreprise de la nouvelle société.

M. Jérôme Chartier, rapporteur. C'est faux ! Cet engagement a été respecté !

Mme Patricia Adam. Vous nous dites qu'il faut faire vite car il est urgent de permettre l'ouverture du capital de DCN et la création de filiales. Mais c'est faux : aujourd'hui, les Allemands ont des doutes sur la création d'un EADS naval et ils l'ont fait savoir il y a quelques jours encore. Alors qu'on peut lire dans la presse que les Allemands freinent des quatre fers, vous persistez à affirmer qu'il y a urgence.

Pourquoi tant de précipitation à faire passer ce texte, qui sera voté à la hâte par votre majorité ?

M. Jean-Claude Sandrier. C'est bien la question !

Mme Patricia Adam. Même dans vos rangs, certains ne le comprennent pas, mais ils voteront ce texte, par discipline de groupe - on peut l'admettre - et peut être sans être convaincus de son bien-fondé.

Quant au dialogue social, madame la ministre, il aura été inexistant ! Il n'y aura eu que peu de concertation avec les organisations représentatives. Le groupe socialiste ne saurait l'accepter. Aujourd'hui, les organisations syndicales et les personnels estiment à juste titre que le dialogue social, que le Premier ministre appelle tant de ses vœux, a été bafoué. Une fois de plus, votre gouvernement invite au dialogue alors même qu'il tente de passer en force, sans tenir compte de l'avertissement lancé par nos compatriotes lors des dernières élections régionales, cantonales et européennes.

S'il n'y a pas de dialogue social, aujourd'hui, dans une entreprise d'État, qu'en sera-t-il, demain, avec le texte que vous aurez fait voter ? Comment les personnels de DCN pourraient-ils croire en leur avenir alors même qu'on refuse d'en discuter avec eux et de leur offrir une perspective positive et crédible ?

En définitive, l'urgence que vous invoquez est un leurre, un prétexte qui vous permet d'éviter un débat sur les questions de fond. Vous avancez que l'industrie navale européenne serait surcapacitaire et trop dispersée, en comparaison avec les États-Unis, et qu'elle doit se consolider au niveau national avant de se restructurer sur le plan européen. Ces arguments qui figuraient dans la première version de l'exposé des motifs du projet ont disparu de la mouture finale. Pourquoi ? Qu'est-ce que cela signifie pour le devenir des sites et des bassins d'emploi ?

Ce projet ne fait en réalité qu'apporter des gages à d'éventuels partenaires. Lesquels ? Et sur quels projets ? Sur quels programmes communs, condition nécessaire pour asseoir un regroupement des industries et pour donner des perspectives ?

Nous aurions aimé aussi que ce débat s'inscrive dans celui qui a lieu en ce moment dans nos régions sur les pôles de compétitivité. Cela aurait permis aux personnels mais aussi aux élus que nous sommes de se projeter dans l'avenir, un avenir que nous souhaitons tous profitable à notre industrie.

En réalité, vous nous demandez de signer un chèque en blanc ; le groupe socialiste s'y refuse et ne votera donc pas ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean Lemière.

M. Jean Lemière. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sommes-nous capables de tirer les leçons du passé, d'analyser la situation présente et de réfléchir à l'avenir de la construction navale européenne et bien sûr nationale ? Tel est l'enjeu de notre débat d'aujourd'hui.

Rappelons ce qui s'est passé pour la construction navale civile. Au début du XXè siècle, l'Europe est l'un des plus grands constructeurs de navires du monde. Aujourd'hui, l'Europe entière ne pèse plus que 5 % dans un marché essentiellement dominé par l'Asie du Sud-Est, qui en détient 85 % des parts. Nous avons été incapables de nous unir, de faire des économies d'échelle en matière de recherche et de développement et de présenter un front actif à l'international. Résultat, peu à peu, nos chantiers ont fermé. En France, ils se comptent désormais sur les doigts d'une seule main.

Croire que l'industrie navale européenne de défense, qui représente à peu près 30 % du marché mondial, ne serait pas menacée serait une énorme erreur stratégique, de même que penser qu'il n'y a pas urgence et que l'on peut encore attendre.

La stratégie des pays d'Asie du Sud-Est - essentiellement le Japon, la Corée du Sud et la Chine - a consisté d'abord à se tourner vers les créneaux de la construction navale civile. N'oublions pas que le chantier naval Hyundai Shipbuilding, à lui seul, produit chaque année autant de navires que l'Europe entière ! Voilà qui met en lumière la capacité d'intervention, et de destruction, de telles entreprises.

Et tout le monde parle, en ce moment, du développement de la Chine. Il est énorme ! Quand ce pays attaquera les segments de marché qu'il n'a pas encore voulu privilégier, quelles seront nos capacités de résistance ?

Voilà le premier danger.

Le deuxième se profile à un peu plus long terme mais il ne tardera pas non plus à se concrétiser : les pays émergents, comme l'Inde, seront capables, un jour, de se présenter sur les marchés de la construction navale de défense en fabriquant des produits adaptés aux pays en voie d'émergence, qui ne souhaiteront pas forcément des matériels très sophistiqués. Ils prendront alors des marchés sur lesquels nous sommes installés aujourd'hui.

Enfin, alors qu'on a longtemps pensé que l'industrie navale américaine, protégée par le joint Act, ne s'occupait que de son marché domestique, il faudrait être sourd et aveugle pour ignorer la gravité de deux événements récents.

Le premier est l'achat, par l'industrie de défense américaine, de chantiers de défense. Nos collègues communistes expliquaient que nous étions les seuls à ouvrir notre capital et que, ailleurs, en Europe, en particulier en Allemagne, l'État restait majoritaire. Comment expliquer, dès lors, que nos amis allemands aient vu, en une nuit, leur principal chantier de construction de sous-marins, HDW à Kiel, devenir la propriété d'un fonds d'investissement : Home Equity Partner, lié à Bank One, l'un des plus puissants financiers américains.

Ce projet s'inscrivait dans le cadre d'une stratégie de conquête de marché des sous-marins destinés à Taiwan. Mais on ne se défend pas en érigeant des murs, comme l'a démontré l'acquisition d'HDW.

L'industrie navale américaine - c'est la seconde menace - ne se cantonne plus aujourd'hui à son marché intérieur. Elle a lancé un projet qui est une véritable machine de guerre, le Littoral Combat Ship, le bateau de combat du littoral, qui correspond parfaitement aux enjeux stratégiques de l'après-11 septembre. Ce navire sera fabriqué à soixante exemplaires aux États-Unis et les financiers américains qui soutiennent le Littoral Combat Ship que nous appelons, nous, le « JSF naval », ont déjà noué des alliances afin d'introduire ce produit très bien calibré sur le marché européen.

Dès lors, je rappelle à nos amis communistes qu'il ne peut y avoir de politique étrangère sans politique de défense, ni de politique de défense sans une industrie de défense européenne autonome et puissante. Il serait illusoire de penser le contraire.

M. Jean-Claude Sandrier. Très bien !

M. Jean Lemière. Le jour où les Américains finiront par posséder les rouages essentiels de la recherche, du développement et de la production, nous perdrons peu à peu notre indépendance. Sans vouloir faire de l'antiaméricanisme, je soutiens que chaque pays, chaque union de pays doit disposer d'une capacité d'intervention et de production propre afin de garantir son indépendance et l'autonomie de sa politique.

Face à tous ces enjeux, car nous sommes attaqués sur plusieurs fronts, la solution ne consiste pas à ériger des murs : l'histoire l'a montré ! Nous devons renforcer nos entreprises et leur donner une véritable force de réaction. Le métier de constructeur naval est épouvantable : il requiert des liquidités et le soutien de puissances financières énormes, les chantiers durent plusieurs années au cours desquelles il faut payer les fournisseurs et les personnels, et prévoir de nombreuses dépenses extérieures en vue de la commercialisation. En outre, c'est une activité fragile, on l'a constaté dans le domaine de la construction navale civile. Il nous appartient, par conséquent, de renforcer nos entreprises de construction navale en Europe et de leur donner la souplesse nécessaire pour nouer les unions indispensables. Car, sans ces unions, elles seront laminées. Parce que je crois à nos navires, à nos sous-marins, à nos porte-avions, à nos destroyers, à nos corvettes et à nos frégates, parce que je crois aussi que la politique européenne de défense ne pourra survivre qu'en ayant la maîtrise de l'ensemble de sa filière navale, je suis convaincu que nous devons impérativement faire ce nouveau saut qualitatif.

À cet égard, je ne comprends pas la position de nos amis socialistes, qui n'ont pas voté la loi de programmation militaire. Mais je voudrais citer des propos plus alarmants. Le 4 novembre 2003, M. Quilès proposait de « réduire de 800 millions d'euros en autorisations de programme et de 500 millions d'euros en crédits de paiement les investissements consacrés au nucléaire militaire. Cette mesure concerne particulièrement - précisait-il - la mise en œuvre du M 51 et du quatrième sous-marin nucléaire. » En tant qu'« ami de la construction navale française », M. Quilès aurait pu mieux faire !

Quand nous travaillons ensemble, chers collègues socialistes, que ce soit en commission ou lors de colloques, nos analyses concordent, alors qu'aujourd'hui, vous vous désolidarisez d'un enjeu national et européen.

Et je comprends mal l'absence de M. Boucheron.

Mme Patricia Adam. Nous sommes là, nous !

M. Jean Lemière. Je ne comprends pas non plus que vous n'ayez pas justifié votre position en réponse à l'exception d'irrecevabilité. En auriez-vous honte ?

Enfin, je citerai les propos de Jean-Michel Boucheron, qui déclarait le 16 novembre dernier, il y a tout juste un mois : « Ces deux conditions réalisées » - celles nécessaires au maintien du statut des personnels ouvriers d'État que nous voulons tous garantir, madame la ministre -...

Mme Patricia Adam. Pas complètement !

M. Jean Lemière. ...« il ne doit pas y avoir de tabou, ni sur la structure juridique des sociétés, ni sur la nature et la composition du capital. Le but est de disposer d'un grand outil de la construction navale européenne. Il faut aller vite et il faut aller très fort. »

M. Jérôme Chartier, rapporteur. Excellente analyse !

M. Jean Lemière. Je me demande qui pilote aujourd'hui le bateau du parti socialiste ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste .)

Mme Patricia Adam. Ne vous inquiétez pas : nous le savons !

M. Jean Lemière. En réalité, il n'y a pas de pilote, de même qu'il n'y en a pas en matière de nucléaire civil : certains sont pour l'EPR, d'autres sont contre. Il n'y a pas non plus de pilote s'agissant de la Constitution européenne. Que cherchez-vous ?

M. Jean-Claude Viollet. Qui est le pilote de l'UMP aujourd'hui ?

M. Jean Lemière. Face à une telle incohérence et à tant de contradictions, je conclus que votre seul dessein est de faire du clientélisme à court terme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Viollet.

M. Jean-Claude Viollet. Sans prétendre être un pilote, le modeste parlementaire que je suis souhaite vous faire part, madame la ministre, de ses réflexions sur le projet de loi que vous nous soumettez.

Après plus de dix années de réflexion et de préparation, la DCN, héritière d'une longue tradition de construction navale, s'est transformée en 2003 en société de droit privé à actionnaire unique, l'État français. J'ai soutenu cette mutation historique qui répondait à deux objectifs : améliorer la performance économique de l'entreprise et autoriser de nouvelles alliances pour faire face à un marché porteur dans les dix prochaines années.

Aujourd'hui, les faits montrent à l'évidence que cette orientation était juste. Pour sa première année d'activité industrielle et commerciale en tant que société, DCN présente des résultats encourageants. Elle a accru son chiffre d'affaires en le portant à 1,659 milliard d'euros, répartis entre ses deux pôles opérationnels - Navires et Systèmes et Services et Équipements -, soit une progression de 14 % par rapport à 2002. Elle a réalisé des gains sur achats significatifs et sa productivité s'est améliorée. Cela a permis à DCN de réaliser en 2003 un résultat d'exploitation supérieur à 6 % du chiffre d'affaires et un résultat net positif de 41 millions d'euros. Les résultats consolidés sont également encourageants, puisque le résultat net s'élève à 47,7 millions d'euros.

Mais, s'il en est ainsi, c'est que ce changement a été préparé pendant plusieurs mois, dans le cadre d'une démarche concertée à laquelle ont participé toutes les organisations syndicales représentatives des personnels, démarche initiée, dans la continuité, par la direction de DCN.

S'il en est ainsi, c'est aussi que l'ensemble des salariés de DCN - militaires, fonctionnaires civils, agents sous contrat et ouvriers d'État - ont su se mobiliser et faire preuve d'une particulière réactivité. Il convient également de rappeler que le gouvernement d'alors, sur la demande expresse de sa majorité parlementaire, et en particulier des députés des sites DCN, dont j'étais, avait pris le ferme engagement que l'unité et l'ancrage dans le secteur public de la société de droit privé DCN seraient garantis, qu'elle aurait, pour une période suffisamment longue, un niveau d'activité et un plan de charge importants, à travers un contrat d'entreprise pluriannuel, enfin que la situation des personnels, tant individuelle que collective, serait garantie par un accord d'entreprise.

Cela étant, chacun sait bien, ici comme au sein de DCN, que cette évolution n'est pas, aussi majeure soit-elle, un aboutissement, mais qu'elle engage l'entreprise, compte tenu de la bonne visibilité qu'elle a désormais de son développement potentiel, à participer pleinement à la reconfiguration de l'industrie navale militaire en Europe, avec toute sa force de systémier-intégrateur majeur, capable d'assurer la maîtrise d'œuvre complète de navires armés, mais aussi avec sa capacité de poursuivre une activité récurrente de maintien en condition opérationnelle. C'est dans cette perspective, madame la ministre, que se pose la question du bien-fondé de votre projet de loi relatif à l'ouverture du capital de DCN et à la création par celle-ci de filiales.

Dans votre discours d'ouverture du salon Euronaval, le 25 octobre dernier, vous avez annoncé votre intention de déposer au Parlement un texte permettant de « lever les contraintes inutiles qui pèsent actuellement sur DCN en termes d'alliances, que ce soit dans la société mère ou dans les filiales, le capital restant majoritairement public ». La presse a immédiatement vu dans ces propos une possibilité d'ouvrir le capital de DCN et de créer des filiales. Initialement prévu comme un amendement à la loi de finances rectificative pour 2004, ce texte devait finalement faire l'objet d'un projet de loi à part entière, que nous examinons aujourd'hui.

Sur la forme, et quel que soit le support législatif, nous ne pouvons accepter qu'un texte de cette importance arrive devant notre assemblée sans que vous ayez jugé utile de venir le présenter à la commission de la défense nationale et des forces armées, sans que nous ayons pu procéder à l'audition sollicitée par les organisations syndicales représentatives des personnels de DCN, ainsi qu'à toutes les autres auditions que nous aurions pu juger utiles. Il s'agit d'un véritable passage en force, à l'égard tant de la représentation nationale que des organisations syndicales, alors même que l'adhésion et la mobilisation des personnels sont un point de passage incontournable pour la réussite de toute évolution de l'entreprise.

Sur le fond, vous invoquez la nécessité urgente d'ouvrir le capital de DCN pour permettre un rapprochement avec d'autres groupes industriels européens, notamment allemands. Or l'urgence est d'autant moins avérée qu'il n'y aurait pas de négociations engagées à ce jour, nos partenaires allemands ayant fait savoir qu'ils souhaitaient se donner du temps avant d'envisager quelque avenir commun que ce soit. Ce point a d'ailleurs été évoqué le 8 décembre, dans un colloque récent sur l'industrie navale militaire, par un des membres du groupe Thyssen Krupps, déclarant qu'il n'y aurait pas de regroupement avant deux ou trois ans, le temps de digérer la fusion HDW-Thyssen. Un journal bien connu a encore évoqué cette question dans un article datant du 15 décembre.

Quant au partenariat avec Thales, il peut aujourd'hui se développer librement avec la constitution de filiales communes, le montage en cours pour la conduite conjointe du programme PAA l'atteste.

Au-delà, l'inquiétude des salariés comme des représentants de la nation est d'autant plus grande devant cet empressement que l'État, par l'intermédiaire de votre gouvernement, s'est jusqu'à présent soustrait aux premières obligations de l'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001, introduites par des amendements du groupe auquel j'avais déjà l'honneur d'appartenir, et défendus par notre collègue Jean-Yves Le Drian, notamment l'obligation de transmettre annuellement aux commissions des finances et de la défense des deux assemblées un rapport sur les perspectives d'activité et l'évolution des fonds propres de la société.

En ce qui nous concerne, nous n'avons pas eu davantage connaissance du contrat pluriannuel d'entreprise, censé définir les objectifs économiques et sociaux assignés à DCN en contrepartie des engagements pris par l'État en matière d'activité, non plus d'ailleurs que de l'accord d'entreprise, censé définir les garanties des différentes catégories de personnel. Je profite de ce débat, madame la ministre, pour vous rappeler notre plus vif intérêt pour ces documents, dont la communication me semblerait relever d'une bonne compréhension de la mission de contrôle de l'exécutif par le Parlement.

S'agissant enfin du contenu précis de votre texte, certaines interrogations se font jour.

Le champ du rapport sur les perspectives d'activité et l'évolution des fonds propres de DCN, que la loi vous fait obligation de remettre chaque année au Parlement, sera-t-il étendu aux filiales ? Deux amendements allant en ce sens incitent à penser que oui. Reste à déterminer la périodicité puisque l'un de ces amendements prévoit un rapport annuel, l'autre un rapport bisannuel. Reste également à en préciser le contenu.

Les seuils d'effectifs et de chiffres d'affaires prévus dans votre texte sont-ils suffisamment protecteurs de l'unité de l'entreprise lorsqu'on sait qu'une technique éprouvée consistant à apporter un « fonds de commerce » constitué de contrats futurs espérés, permettrait de « vider par le futur » une société, sans enfreindre en aucune façon les règles que vous présentez comme une protection absolue ?

Le sort des personnels en activité au sein de DCN, actuellement garanti par un accord d'entreprise longuement négocié, qui fixe un cadre unique et global, complète et améliore les conventions collectives particulières, ne risque-t-il pas de se dégrader progressivement, au gré des filialisations socialement moins-disantes, faute d'avoir prévu que, dans l'attente de la validation de nouveaux accords d'entreprise, les conventions collectives et les accords actuellement en vigueur à DCN s'appliqueront aux filiales ?

S'agissant de la définition des filiales, n'y aurait-il pas lieu de préciser que DCN devant détenir, directement ou indirectement, la majorité du capital de la société bénéficiaire et de l'apport, elle devrait aussi disposer de la majorité des droits de vote aux assemblées générales d'actionnaires ?

Vous le voyez, madame la ministre, votre projet de loi, inacceptable sur la forme, pose donc des questions importantes sur le fond, dont cette brève évocation n'avait pas la prétention de cerner l'ensemble. Cela aurait justifié un véritable travail parlementaire, dont nous avons été privés.

Aucune nouvelle évolution de DCN ne saurait être envisagée en dehors d'un projet industriel fort, dynamique, cohérent, national et européen, qui garantisse les intérêts de notre pays, tant sur le plan stratégique qu'en termes de création de richesses et d'emplois, les intérêts de DCN et ceux de l'ensemble de ses personnels. Or, aucune de ces conditions n'est aujourd'hui remplie. Votre texte pose plus de questions qu'il n'en règle, et il ouvre la porte à toutes les aventures. La façon dont vous avez conduit le débat risque d'ébranler durablement la confiance des personnels de DCN, pourtant indispensable pour la réussite future de l'entreprise. Plutôt qu'un passage en force, vous auriez dû privilégier la concertation.

Pour toutes ces raisons, je ne peux que combattre votre projet de loi. Pourtant, mon approche n'a rien de dogmatique, je crois l'avoir suffisamment montré dans le passé. Il appartient à chacun d'entre nous, en conscience, d'exprimer ici ses convictions sur un sujet d'une telle importance, à défaut de pouvoir faire entendre sagesse au Gouvernement et à la majorité qui le soutient. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Rivière.

M. Jérôme Rivière. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pourquoi prendre la parole puisque tout a été dit avec beaucoup de talent par mes collègues ? Parce que je tiens à dénoncer le caractère démagogique de certaines déclarations que nous avons entendues tout au long de cette semaine.

Comme Jean Lemière, je voudrais rappeler les propos qui ont été tenus le mois dernier à cette tribune par Jean-Michel Boucheron, qui n'est ni un dangereux libéral ni un membre de notre majorité, mais le chef de file du groupe socialiste à la commission de la défense nationale et des forces armées. M. Boucheron nous disait la chose suivante : une fois posées les deux conditions que sont la pérennité du statut des personnels de DCN et le maintien de l'emploi sur place, il ne doit y avoir de tabou ni sur la structure juridique de la société, ni sur la nature et la composition du capital. Il allait même plus loin, en nous demandant d'agir vite et avec force. Ses propos, je tiens à le dire, étaient frappés au sceau du bon sens et rejoignaient les préoccupations de tous les parlementaires qui suivent ce dossier, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent. Vous-mêmes, mes chers collègues, avez d'ailleurs applaudi son intervention.

Je constate aussi que le Gouvernement a choisi de déposer un projet de loi et non de proposer à notre assemblée, comme cela a été fait précédemment, un amendement en catimini. Avec ce texte, le Gouvernement prend publiquement et explicitement des engagements quant à la pérennité du statut des agents de la DCN, comme le confirme le plan d'entreprise pluriannuel signé avec la direction de l'entreprise sur le maintien des emplois.

Dans ces conditions, il nous est impossible de comprendre l'agitation de certains députés de l'opposition, qui tentent de nous faire croire qu'ils sont opposés à cette réforme. Difficile de ne pas y voir, hélas, une posture démagogique, destinée à tenter d'attirer vers eux des personnels désorientés. Cette position, que je qualifierai de populiste (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), est éloignée de la réalité et risque de faire croire à des organisations syndicales à la recherche d'un nouveau souffle, mais surtout à des personnels que le changement inquiète - nous pouvons les comprendre, mais nous nous employons à les rassurer - que d'autres solutions sont possibles.

M. Jean-Claude Sandrier. Sinistre époque !

M. Jérôme Rivière. Ce mensonge doit être dénoncé. D'ailleurs, quelles propositions réalistes avons-nous entendues ? Aucune ! Réjouissez-vous plutôt, messieurs de l'opposition, que notre majorité ait le courage d'aller jusqu'au bout de cette réforme, que vous aviez vous-mêmes initiée en 2001. Réjouissez-vous, car nous allons voter ce projet pour préserver des emplois et donner sa chance à cette entreprise et à celles et ceux qui la composent, une entreprise qui, dès qu'elle a été en mesure de le faire et en avance sur le calendrier qui lui avait été fixé, a su donner le meilleur d'elle-même. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre de la défense.

Mme la ministre de la défense. Mesdames et messieurs les députés, je voudrais remercier l'ensemble de ceux qui se sont exprimés, en commençant par les deux rapporteurs, M. Chartier et M. Vitel, pour le caractère très concret, complet et objectif de leurs rapports, qui nous ont permis d'évoquer les différents enjeux de ce dossier en toute connaissance de cause.

Je remercie tous les orateurs parce que ce débat a été un vrai débat. Même s'il a révélé des clivages idéologiques - mais nous avons ces divergences -, il s'est déroulé dans une grande courtoisie et un climat de sincérité. Je m'en réjouis et je veux dire en particulier à Mme Lamour et à M. Vitel, qui sont directement impliqués par la présence de l'entreprise dans leur circonscription, combien j'ai été sensible à leur témoignage.

Certains cependant, dans le feu de l'argumentation, se sont parfois laissés aller à des excès de langage ou ont formulé quelques contrevérités. Je voudrais maintenant leur répondre.

En ce qui concerne la méthode, et d'abord les délais qui ont présidé à l'élaboration de ce texte, non, ce projet de loi ne vous est pas présenté dans l'urgence. D'une part, parce que les problèmes qu'il traite sont abordés dans l'entreprise DCN depuis plusieurs mois et, d'autre part, parce que j'ai annoncé mon intention de le déposer il y a presque deux mois.

M. Jean-Claude Sandrier. Un mois et demi !

Mme la ministre de la défense. On peut toujours demander plus de temps pour étudier un texte mais, très franchement, n'est-ce pas un prétexte pour en repousser sans cesse l'examen ? Or, dans notre société, que nous le voulions ou non, il y a des occasions qu'il faut saisir lorsqu'elles se présentent parce que, huit jours plus tard, elles n'existent plus. Ma volonté n'est pas de précipiter le débat, ma responsabilité est de mettre la société DCN en mesure de saisir les opportunités au moment même où elles se présenteront, et ce peut être très vite.

J'aurais pu, comme l'avait fait le gouvernement de l'époque pour le changement de statut,...

M. Jean-Claude Sandrier. Nous avions voté contre !

Mme la ministre de la défense. ...glisser au dernier moment un amendement dans une loi de finances. Pourquoi ne l'ai-je pas fait ? Juridiquement - vous savez que je suis juriste - j'aurais su faire adopter un tel amendement sans encourir la censure du Conseil constitutionnel. Mais je n'aurais pas pu alors, car ç'eût été un cavalier budgétaire, donner toutes garanties aux personnels. Or ce texte forme un tout. Il doit donner à l'entreprise des moyens nouveaux pour se développer et répondre à ce que l'État français attend d'elle en matière de souveraineté et de politique industrielle. Il doit également respecter l'équilibre vis-à-vis des personnels, car la richesse de l'entreprise vient aussi de ses personnels et il est nécessaire de conforter leur ancrage dans cette société et l'attachement qu'ils lui portent.

Ne dites pas non plus qu'il n'y a pas eu de concertation. J'ai eu des contacts avec les syndicats, localement et à mon ministère. Aujourd'hui encore, je les ai tous reçus à treize heures, et nous avons poursuivi nos discussions.

La méthode que nous avons suivie est destinée à donner à l'entreprise DCN les moyens de mettre en œuvre une véritable politique industrielle. Quelqu'un m'a dit que notre politique industrielle n'avait pas d'explication. Mais concernant DCN, elle est très claire ! Pour moi, le premier objectif de cette politique est la consolidation de l'entreprise, comme l'ont très bien dit M. Hunault, Mme Lamour et M. Lemière. Oui, la priorité est de conforter DCN dans l'ensemble de ses compétences et, pour cela, il faut lui permettre de passer les alliances nécessaires, notamment avec Thales. Il faut lui permettre également de se rapprocher, le cas échéant, d'autres entreprises pour étendre ses compétences, tout en conservant son unité et, naturellement, son ancrage public.

J'entends dire que DCN pourrait être livrée à des fonds de pension, américains ou autres. Sincèrement, pensez-vous qu'attachée comme je le suis à la souveraineté nationale en matière de défense, je puisse moi-même, et au-delà de ma personne les gouvernements qui succéderont à celui-ci, livrer à d'autres l'un des éléments fondamentaux de notre souveraineté ? Ce n'est pas sérieux !

M. Jean-Claude Sandrier. Pas maintenant, mais plus tard...

Mme la ministre de la défense. Vous ne pouvez pas imaginer cela ! Nous sommes des politiques responsables, nous aimons tous autant notre pays et nous portons tous aussi le même attachement à ses moyens d'action. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Sandrier. Le texte ne donne aucune garantie sur ce point !

Mme la ministre de la défense. Enfin, l'entreprise doit participer à la construction européenne. Comme l'ont très bien dit M. Lemière et d'autres orateurs, les risques concurrentiels existent réellement et, pour y faire face, nos entreprises doivent avoir une dimension européenne. Ce texte favorise cet ancrage européen.

La politique industrielle que je préconise est bien celle-ci : consolider l'entreprise, ce que nous avons commencé à faire et qui doit être poursuivi ; lui donner les moyens de se rapprocher de ceux qui l'aideront à élargir ses compétences ; enfin lui permettre de participer, comme l'un des acteurs de l'impulsion, à la création d'une véritable politique industrielle de défense au niveau de l'Europe.

Parallèlement, j'y insiste, il importe de mettre en place une politique sociale. Il s'agit de garantir tous les éléments dont bénéficient les salariés. Ces éléments demeurent, ils sont même confortés par le projet de loi. Il nous faut également élargir cette politique sociale en montrant aux salariés que nous mesurons leur attachement à l'entreprise. Cet attachement, nous voulons le reconnaître par le biais de l'intéressement et de l'actionnariat.

Ce projet de loi représente un réel progrès par rapport à ce qui a été fait jusqu'à présent. Il incarne ma vision de l'industrie, ma vision des relations sociales et ma vision de la France telle que je la conçois.

M. Jérôme Lambert. Mais vous préférez les actionnaires aux salariés !

Mme la ministre de la défense. J'en viens au contrôle parlementaire. Il est vrai que les rapports ont été diffusés avec retard, mais ils sont désormais à votre disposition. Et je vous proposerai tout à l'heure un amendement tendant à renforcer encore la transparence que le Gouvernement doit au Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. J'appelle maintenant l'article unique du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

Article unique

M. le président. Sur l'article unique, plusieurs orateurs sont inscrits.

La parole est à Mme Patricia Adam.

Mme Patricia Adam. Madame la ministre, vous vous réjouissez de ce débat. Pour ma part, j'aurais souhaité qu'il soit plus approfondi. La commission de la défense, mais aussi celle des finances, auraient dû pouvoir débattre réellement de ce texte.

Vous nous indiquez que les rapports prévus sont à notre disposition. Ils ont peut-être été déposés ce matin, mais nous ne les avions pas encore au début de la séance.

Vous avez effectivement reçu les syndicats aujourd'hui même à l'heure du déjeuner, et leur avez présenté un amendement, dont nous allons débattre dans quelques instants. Cela traduit , là encore, une sorte de précipitation.

Nous aurions aimé travailler plus sereinement et pouvoir auditionner, comme il est normal dans cette assemblée, l'ensemble des acteurs. Je pense aux partenaires sociaux, mais aussi aux entreprises : DCN, Thales et - pourquoi pas ? - certains industriels européens. Cela n'a pas été possible, et c'est désolant.

Chers collègues de la commission de la défense, nous ne partageons pas votre enthousiasme pour ce texte, qui ne répond pas aux questions très techniques que j'ai posées devant vous. Ces questions essentielles demandent une analyse fine. C'est notre travail de parlementaire et notre rôle d'essayer de la mener à bien. Nous n'avons pas pu le faire.

Ce projet a été rédigé dans l'urgence et sans concertation avec les partenaires sociaux. C'est pourquoi les salariés de DCN manifestaient tout à l'heure devant l'Assemblée, dans la rue, où nous sommes allés les rencontrer.

Présenté sans le dialogue qu'exigeait un changement aussi important, ce texte ne peut qu'inquiéter les personnels faute d'assurances suffisantes. Et ce n'est pas l'intéressement ni l'ouverture à l'actionnariat que vous venez de proposer qui vont les rassurer.

Je pense que cette loi irritera également nos partenaires européens et nous enlèvera de notre crédibilité car, sur un dossier aussi essentiel pour l'avenir de la défense et de la navale, il faut travailler en commun. Nous devons construire l'Europe, l'Europe de la défense et de l'armement, nous sommes d'accord sur ce point. C'est pourquoi des mesures qui modifient la structure capitalistique de nos industries et qui devancent peut-être de prochains accords mériteraient un travail partenarial plus important, en tout cas plus lisible pour les parlementaires français comme pour les parlementaires européens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Viollet.

M. Jean-Claude Viollet. Madame la ministre, lorsque nous exprimions le souhait de pouvoir travailler un peu plus sur ce texte, c'était sans intention idéologique, mais tout simplement parce qu'un certain nombre de questions sont posées, entre autres la distinction entre contrôle capitalistique et contrôle juridique. Vous le savez, même dans le cadre d'une prise de participation minoritaire dans la société DCN, ce n'est pas parce que l'État détient 51 % du capital qu'il aura forcément la majorité qualifié. Or la modification des statuts sociaux, notamment, nécessite la majorité qualifiée. Quid alors de la capacité de l'État d'intervenir dans ce domaine ?

De même, quand on parle de filiales, on sait ce que c'est : l'article L.233-1 du code du commerce prévoit un critère capitalistique quantitatif et, là encore, le contrôle juridique n'est pas forcément lié à la réalité du contrôle capitalistique.

Pourtant, sur ces notions de détention majoritaire du capital et de contrôle, qui ne se recoupent pas, le texte ne dit rien. S'agissant d'un secteur aussi stratégique que la défense,...

M. Jérôme Lambert. C'est inquiétant !

M. Jean-Claude Viollet. ...une réponse doit être apportée à ces questions de fond. Je ne vous fais pas de procès d'intention - je ne m'y autoriserais pas - mais nous devons, pour aujourd'hui et pour demain, clarifier ces notions, ce que nous n'avons pas eu le temps de faire en commission.

Hier et avant-hier, nous avons passé de longs moments à débattre du projet de loi portant statut général des militaires et nous avons, je pense, bien travaillé dans l'intérêt général parce que vous avez accepté de nous écouter, de nous laisser collaborer à la rédaction de ce texte, que nous avons ainsi pu voter. Ce projet est, en quelque sorte, devenu le nôtre : nous avons partagé des interrogations, cherché ensemble des solutions. Nous en avons trouvé un certain nombre et nous nous sommes engagés à en trouver d'autres d'ici à la clôture du débat. Vous nous avez d'ailleurs annoncé que vous présenteriez un projet de loi sur les réserves avant le vote définitif du statut général des militaires, de façon, le cas échéant, à intégrer au statut les dispositions qui concerneraient la réserve.

Pourquoi n'avez-vous pas voulu faire de même pour le présent projet ? Alors que votre cabinet avait indiqué aux organisations syndicales qu'il ne viendrait pas en discussion avant le début de l'année 2005, pourquoi ne nous avez-vous pas laissé quelques semaines pour l'examiner en commission, ce qui aurait permis à chacun d'avoir le moins d'incertitudes possible et de se déterminer sur la base de choix clairs ?

Faute de ces éléments de réponse, et de leur inscription dans le texte, la représentation nationale risque d'être confrontée à des difficultés futures pour assurer la réalisation de cet objectif que, je l'espère, nous partageons : que l'État ait encore son mot à dire sur la stratégie de défense et la stratégie industrielle d'armement sur laquelle elle repose.

Cette question est sérieuse et, monsieur Lemière, vous le comprenez bien : il n'y a pas là d'idéologie ! A la commission de la défense, nous avons l'habitude de travailler sérieusement - vous l'avez admis vous-même -, mais à condition d'en avoir les moyens, ce qui n'a pas été le cas pour ce texte. Je le regrette. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Sandrier.

M. Jean-Claude Sandrier. Vos propos, madame la ministre, et ceux des rapporteurs ne m'ont en rien convaincu.

M. Philippe Vitel, rapporteur pour avis. Nous en étions bien conscients !

M. Jean-Claude Sandrier. En effet, l'ouverture du capital de DCN ne se justifie par aucun argument économique. Comme me le disait récemment un représentant syndical, ce n'est pas parce que l'on ouvrira le capital que cela marchera mieux. Je pense que cette remarque est profondément juste et marquée au coin du bon sens.

Cela me rappelle la réponse que m'avait faite, en commission de la défense, il y a quatre ou cinq ans, le président d'une grande entreprise nationale - lequel venait d'indiquer qu'il serait souhaitable d'ouvrir le capital de son entreprise, voire de la privatiser - à qui je demandais s'il y avait à cela une raison économique ou une raison d'efficacité. J'avais été stupéfait d'entendre sa réponse : non, monsieur, m'avait-il dit, c'est simplement un choix idéologique. Il en est de même aujourd'hui avec ce texte.

C'est bien pourquoi les syndicats sont unanimes à dénoncer votre projet de loi. Vous ne les avez pas entendus, en tout cas pas suffisamment. Les personnels de DCN ont pourtant, eux aussi, une ambition pour leur entreprise. Ils l'ont rappelé tout à l'heure dans la rue, faute de pouvoir vraiment se faire entendre ailleurs.

Vous le savez comme nous : DCN est parfaitement capable de faire face à la concurrence en développant des coopérations, notamment en matière de recherche et de développement, avec des partenaires français et européens. C'est une simple question de volonté politique.

À ce propos, il ne faut pas caricaturer nos positions. Nous savons aussi bien que vous qu'il est souhaitable de favoriser ces coopérations. Mais nous exprimons notre désaccord sur les moyens et pensons que ce n'est pas une raison pour soumettre DCN à la loi du capital privé. L'État peut lui-même favoriser ces synergies industrielles et il n'est pas nécessaire pour cela d'ouvrir le capital de DCN, à moins d'en faire un préalable idéologique.

Au contraire, aller vers une sorte de pôle public, ou de dominante publique, serait un chemin plus court que de s'orienter vers une sorte de privatisation . Il y a en Europe, que ce soit en France, en Espagne, en Italie, ou encore en Allemagne, même si c'est à un moindre degré, une dominante du secteur public. Le champion du contre-exemple est la Grande-Bretagne, où les capitaux américains dominent l'industrie de défense, ce qui montre que les menaces et les risques liés à l'ouverture du capital sont bien réels.

En réalité, votre position reflète un choix idéologique qui n'est absolument pas nécessaire au développement de DCN et à la coopération européenne. C'est pourquoi nous proposerons la suppression de l'article unique.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements de suppression de l'article unique, nos 4 et 7.

La parole est à M. Jean-Claude Sandrier, pour soutenir l'amendement n° 4.

M. Jean-Claude Sandrier. Cela me permettra d'en remettre une petite couche, légère, mais très claire. (Sourires.)

M. le président. C'est votre droit !

M. Jean-Claude Sandrier. Madame la ministre, vous nous affirmez qu'il faut croire à l'industrie militaire française et à l'industrie navale européenne : cela, je n'en doute pas une seule seconde. Vous appelez de vos vœux la consolidation européenne, et je ne mets absolument pas en cause - que ce soit bien clair - votre sincérité. Mais pensez-vous vraiment que nous pourrons construire une Europe de l'armement en livrant, à terme, nos industries à des capitaux privés dont on ne connaîtra pas forcément tout de suite la provenance ?

Les fonds de pension américains ne sont pas si loin, même si nous avons la volonté de les empêcher d'arriver chez nous ! Dans ces industries-là, ils sont déjà présents en Grande-Bretagne, en Allemagne et, d'une certaine façon, également en Espagne. Je crois donc que notre inquiétude est légitime.

Croyez-vous que, s'ils gagnent encore du terrain, nous disposerons toujours d'une industrie à même de servir les objectifs d'une Europe de la sécurité et de la défense autonome, capable de s'imposer sur la scène internationale ? C'est une vraie question. Vous empruntez, nous semble-t-il, une voie aventureuse pour l'Europe et pour l'indépendance stratégique des États européens. Vous avez beau jurer que jamais personne ne permettra aux fonds de pension américains d'entrer un jour dans le capital de DCN, il n'existe aucune garantie autre que verbale sur ce point.

Bref, faire entrer le capital privé dans l'entreprise est une erreur, car ce capital a souvent pour horizon tout autre chose que la France et l'Europe. Voilà pourquoi nous proposons de supprimer l'article unique.

M. le président. La parole est à Mme Patricia Adam, pour soutenir l'amendement n° 7.

Mme Patricia Adam. Madame la ministre, je vais aborder certains points très concrets qui nous inquiètent. Mais je ne reprendrai pas les arguments de Jean-Claude Viollet.

M. Jérôme Lambert. Pourtant, Mme la ministre ne lui a pas répondu !

Mme Patricia Adam. Il y a un risque de dilution des actifs de DCN dans le secteur privé. Je m'explique en reprenant des éléments purement juridiques ; je ne suis pas juriste, mais j'ai essayé de travailler le texte.

La dilution peut se réaliser par le biais de cessions ou d'apports d'éléments d'actif à des filiales, et rien même n'est prévu pour prévenir la cession d'une branche entière d'activité. Il est donc impératif qu'une procédure de contrôle concernant tout apport soit mise en place pour assurer le respect des règles de commerce.

De la même façon, sur les seuils, un problème pourrait se poser - et quand on écrit un texte de loi, il faut se le poser avant - lorsqu'on envisage la possibilité de réaliser des apports de contrats futurs qui ne sont pas encore traduits par la réalisation d'un chiffre d'affaires au jour de l'apport, alors que la valeur réelle et le chiffre d'affaires futurs peuvent être importants. Ce sont également des garanties importantes que ne prévoit pas le texte. Or ces opérations peuvent ensuite conduire à une forte dilution de l'actif de DCN.

Voilà d'autres raisons pour lesquelles nous demandons également la suppression de l'article unique.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jérôme Chartier, rapporteur. Mme la ministre de la défense le disait, il fallait que le débat s'instaure. Il a eu lieu : est-il vraiment utile de le relancer à chaque amendement ?

Entre l'opposition et la majorité, le clivage est maintenant évident : vous êtes partisans de l'économie dirigée (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains),...

M. Jérôme Lambert. Retirez vos œillères !

M. Jérôme Chartier, rapporteur. ...alors que nous le sommes plutôt de l'économie libérée.

Mme Patricia Adam. Ça, c'est vrai !

M. Jérôme Chartier, rapporteur. Dès qu'il est question de créer une filiale, vous demandez que cela se passe devant le Parlement pour avoir l'occasion de vous y opposer, pour soutenir des motions de procédure et ralentir la manœuvre. Nous, nous préférons faire confiance à l'entreprise et au Gouvernement.

M. Jérôme Lambert. L'entreprise et le Gouvernement, c'est pareil !

M. Jérôme Chartier, rapporteur. En ce qui concerne l'aspect capitalistique, je voudrais apporter quelques précisions. Pour ce qui est de l'apport partiel d'actifs, la commission des participations et des transferts veille. En dessous du seuil, il faut l'avis conforme du ministre de la défense et du ministre de l'économie. La loi de sécurité financière d'août 2003 a même renforcé le contrôle quand les intérêts de la défense nationale sont en jeu : dès le premier euro transféré, que ce soit sous forme financière ou par apport partiel d'actifs, un avis conforme du ministre de l'économie est indispensable.

Je sais que M. Sandrier a déclaré, dans un journal du matin dont le titre est imprimé en rouge, qu'on risquait bel et bien de voir la DCN vendue aux fonds de pension américains. Qu'il soit rassuré. Si tel était le cas, on imagine bien que non seulement cela ferait débat, mais que, comme l'a rappelé Mme la ministre de la défense, le ministre de l'économie et des finances s'y opposerait vigoureusement pour défendre les intérêts de la nation.

M. Jean-Claude Sandrier. Thales !

M. Jérôme Chartier, rapporteur. La commission a donc émis un avis défavorable à la suppression de l'article unique et demande à l'Assemblée de rejeter ces deux amendements.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Philippe Vitel, rapporteur pour avis. L'amendement qu'ont présenté M. Ayrault et plusieurs membres du groupe socialiste est le seul qu'ait pu examiner la commission de la défense. M. Ayrault s'est exprimé très longuement et la commission a rejeté son amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre de la défense. Je tiens à réaffirmer mes préoccupations en matière d'intelligence économique et à rappeler tout ce que je mets en place pour le suivi des capitaux et contre les risques liés aux transferts. Nous avons déjà longuement parlé de cette question en commission de la défense, les deux rapporteurs viennent de s'exprimer et je ne voudrais pas prolonger le débat. Je suis défavorable à ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Rivière.

M. Jérôme Rivière. Il est des choses que je ne peux entendre sans réagir. Monsieur Sandrier, vous dites que vous êtes pour une Europe de la défense et que la meilleure façon de la faire, c'est d'avoir un pôle public. C'est se boucher les oreilles. Nous ne sommes pas simplement entre nous dans cet hémicycle. L'Union européenne, ce sont aussi des gouvernements, des industries. Or ils nous ont clairement fait savoir qu'ils souhaitaient cette ouverture de capital et ces modifications. Sans cela, l'Europe de la défense que vous appelez de vos vœux ne verra jamais le jour. Il faut s'ouvrir un peu : nos débats ne sont pas une finalité en soi, mais doivent servir à bâtir quelque chose. Vos arguments prouvent que vous avez les oreilles bouchées.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 4 et 7.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 1 de la commission des finances.

M. Jérôme Chartier, rapporteur. C'est un amendement rédactionnel.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre de la défense. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 2, également de la commission.

M. Jérôme Chartier, rapporteur. Rédactionnel !

M. le président. Avis du Gouvernement ?...

Mme la ministre de la défense. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 3 de la commission et 8 du Gouvernement, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l'amendement n° 3.

M. Jérôme Chartier, rapporteur. La commission retire son amendement au profit de celui présenté par le Gouvernement. Le projet de loi entend créer une boîte à outils industriels. Pour ce faire, il choisit, par principe, de laisser une totale liberté de création tout en demandant que le Parlement soit valablement et régulièrement informé. Mais le rythme de création des filiales ne sera pas effréné et il paraît raisonnable de ne remettre un rapport que tous les deux ans, et non chaque année comme le proposait la commission.

M. le président. L'amendement n° 3 est retiré.

La parole est à Mme la ministre, pour défendre l'amendement n° 8.

Mme la ministre de la défense. Je l'ai dit tout à l'heure et en bien d'autres circonstances, nous avons tout intérêt à miser sur une transparence totale vis-à-vis du Parlement : tout ce que nous faisons doit pouvoir être connu, analysé et commenté. Je suis donc très favorable à la remise régulière d'un rapport. Comme il est nécessaire que nous ayons une certaine visibilité, l'idée d'un rythme bisannuel paraît préférable. Le premier rapport sera donc publié en octobre 2006. Il nous permettra d'avoir une information aussi claire que complète.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article unique, modifié par les amendements adoptés.

(L'article unique, ainsi modifié, est adopté.)

Après l'article unique

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 6 du Gouvernement.

La parole est à Mme la ministre.

Mme la ministre de la défense. La discussion a montré que de nombreux parlementaires, sur tous les bancs, connaissaient l'attachement des personnels de DCN à leur entreprise. Depuis plusieurs semaines déjà, des députés − notamment Mme Lamour, M. Lemière et M. Vitel - m'ont d'ailleurs demandé s'il serait possible de mieux manifester aux salariés que nous prenions en compte leur souhait de reconnaissance. Nous avons pensé à une forme de participation. Y a-t-il meilleure reconnaissance du rôle des salariés dans la réussite de leur entreprise que l'intéressement ?

Cet amendement doit permettre à l'ensemble des personnels de DCN d'être associés aux résultats de l'entreprise, en fonction de leurs performances individuelles et collectives. Cette pratique est assez répandue dans les entreprises françaises − près de 80 % d'entre elles y ont recours −, et c'est une bonne façon de faire. De plus, dans l'hypothèse d'un rapprochement, il est important de traiter sur un pied d'égalité les personnels de DCN et ceux du partenaire.

Aucune disposition législative n'est nécessaire pour accorder l'intéressement aux agents détachés qui bénéficient de contrats « convention collective » avec DCN, mais il est indispensable de légiférer pour étendre la mesure aux ouvriers d'État. C'est l'objet de cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Philippe Vitel, pour donner l'avis de la commission de la défense.

M. Philippe Vitel, rapporteur pour avis. La commission de la défense n'a pas examiné cet amendement mais, Mme la ministre l'a dit, il répond aux souhaits de nombreux députés. J'y suis, à titre personnel, très favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 5, également du Gouvernement.

La parole est à Mme la ministre.

Mme la ministre de la défense. C'est dans le même esprit et à la suite des mêmes discussions que nous avons rédigé cet amendement qui, cette fois, concerne l'actionnariat. Les origines de DCN remontent à près de quatre siècles. Plusieurs générations familiales se sont ainsi succédé dans les arsenaux, ce qui explique en partie l'attachement culturel très fort que les salariés éprouvent pour leur société. Dans la logique des discussions que nous avons eues avec Mme Lamour, M. Lemière, M. Vitel et d'autres parlementaires de la majorité, nous avons estimé opportun de matérialiser cet attachement en permettant aux salariés de devenir actionnaires de l'entreprise.

Dans ce cas également, aucune disposition législative n'était nécessaire pour accorder ce droit au personnel sous contrat de convention collective. En revanche, il était indispensable de légiférer pour étendre la mesure aux ouvriers d'État.

Je souhaiterais toutefois introduire une rectification et substituer aux mots : « cession minoritaire des titres de l'entreprise », les mots : « cession de moins de la moitié des titres de l'entreprise ».

M. le président. Cet amendement devient donc l'amendement n° 5 rectifié.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Jérôme Chartier, rapporteur. La commission des finances n'a examiné ni cet amendement ni le précédent, mais, à titre personnel, j'émets un avis très favorable. Lorsque j'ai reçu, il y a quelques jours, les représentants des salariés de DCN, le débat a justement porté sur la disparité qui existait, au sein de l'entreprise, entre les salariés qui pouvaient bénéficier de l'intéressement et ceux qui, relevant d'un contrat de droit privé, ne le pouvaient pas. La ministre de la défense a souhaité que tous les salariés puissent bénéficier des fruits de leurs efforts. Cette mesure très juste, très salutaire, participe de notre vision de l'économie libérée, de même que celle ouvrant l'accès des personnels ouvriers à l'actionnariat.

M. le président. La parole est à Mme Patricia Adam.

Mme Patricia Adam. Ces deux amendements du Gouvernement ont été déposés au dernier moment et les rapporteurs ont reconnu qu'ils n'avaient pas été examinés en commission. Madame la ministre, le Parlement n'est vraiment pas respecté. Les députés de tous bords auraient apprécié que ce travail puisse être fait en commission. Cela n'a pas été le cas, et c'est pourquoi nous ne les voterons pas.

M. le président. La parole est à M. Jean Lemière.

M. Jean Lemière. Comment pouvez-vous voter contre des propositions qui intéressent autant les personnels de DCN ? Comptez sur nous pour faire savoir que vous êtes contre l'intéressement et contre l'actionnariat ouvrier !

M. Jean-Claude Beauchaud. Vous n'avez rien compris ! Nous n'avons pas dit que nous voterions contre !

M. Jérôme Lambert. Nous avons dit que nous ne les voterions pas !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Jean-Claude Sandrier.

Monsieur Sandrier, vous voulez remettre une couche, comme vous le disiez tout à l'heure ? (Sourires.)

M. Jean-Claude Sandrier. J'en suis navré, monsieur le président, mais ce sera la dernière.

Un collègue m'accusait tout à l'heure d'être sourd. Après tout, il en a bien le droit, j'ai fait la même remarque à Mme la ministre, et je ne vois pas pourquoi il se serait privé de me la retourner. Mais, en général, quand un sens est défaillant, un autre se développe pour compenser. Je suis peut-être sourd, mais je vois clair : il n'est pas nécessaire de privatiser ou d'ouvrir le capital pour nouer des alliances ou coopérer. C'est un choix politique.

Avec ce projet de loi, vous commettez plusieurs erreurs. Une erreur pour le personnel, car il n'y a pas de restructuration sans pertes lourdes d'emplois, et c'est bien à cela que va aboutir ce projet de loi. Une erreur pour les territoires, qui vont être fragilisés. Une erreur pour notre nécessaire indépendance de décision en matière de sécurité et de défense. Une erreur pour l'Europe même, car ce n'est pas en ouvrant le capital qu'on s'arme mieux pour faire face à la concurrence ; il faudrait d'ailleurs nous expliquer en quoi le capital privé représente, de ce point de vue, une garantie, car aucun théorème ne le démontre.

C'est, enfin, une erreur pour notre indépendance car, en ouvrant le capital de DCN aux capitaux privés, vous ouvrez par là même, dans votre souci exacerbé d'accorder la liberté totale au marché et donc à la circulation de toutes sortes de capitaux, une brèche dans laquelle ceux-ci pourront s'engouffrer comme ils se sont déjà engouffrés en Allemagne ou en Espagne - et je ne pense pas que ces pays soient moins soucieux que nous de leur indépendance.

M. Lemaire nous a dit qu'il ne servait à rien d'ériger des murs. C'est pourtant bien ce que vous voulez faire, madame la ministre, puisque vous venez de nous expliquer que vous entendiez construire un mur pour empêcher toute prise de contrôle par les fonds de pension américains. En tout cas, notre collègue semble confondre « ériger des murs » et « établir des règles ». Or une société dans laquelle il n'y a plus de règles, où l'on déréglemente tout, comme nous nous apprêtons à le faire, n'est plus une société : cela s'appelle la jungle.

Nous voterons donc contre ce projet de loi.

M. le président. La parole est à Mme Marguerite Lamour.

Mme Marguerite Lamour. Je veux assurer le Gouvernement du soutien du groupe UMP.

Qu'il me soit cependant permis, après avoir entendu les arguments de mes collègues, de m'étonner très sincèrement du comportement de l'opposition, qui pourtant se dit sociale. Je me console en me disant que l'on peut être de droite et social.

On prétend qu'avec l'UMP, c'est la casse sociale. Aujourd'hui, je suis fière d'être membre de ce groupe parce que j'ai le sentiment de donner aux personnels de DCN les moyens de faire figurer leur entreprise au premier rang de l'Europe de la défense ( « Très bien ! sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), en la consolidant, en lui donnant des perspectives nouvelles et en faisant d'elle un partenaire incontournable.

Pour toutes ces raisons, madame la ministre, nous voterons votre texte. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(L'ensemble du projet de loi est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme la ministre de la défense. Je veux simplement remercier tous ceux qui ont participé au débat, et particulièrement ceux qui, en votant ce texte, ouvrent des perspectives de développement à DCN et, surtout, de carrière et de participation à ses salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jérôme Lambert. L'avenir le dira !

    2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Lundi 20 décembre 2004, à dix heures, première séance publique :

Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale :

Rapport, n° 1983, de Mme Françoise de Panafieu ;

Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, n° 1880, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées :

Rapport, n° 1991, de M. Jean-François Chossy au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2005 :

Rapport, n° 1992, de M. Gilles Carrez, rapporteur général ;

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures cinq.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot