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Troisième séance du mardi 18 janvier 2005

116e séance de la session ordinaire 2004-2005


PRÉSIDENCE DE M. YVES BUR,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt-deux heures.)

    1

DROITS DES PERSONNES HANDICAPÉES

Communication relative à la désignation d'une commission mixte paritaire

M. le président. M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

        Paris, le 18 janvier 2005

        Monsieur le président,

        Conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

        Je vous serais obligé de bien vouloir, en conséquence, inviter l'Assemblée nationale à désigner ses représentants à cette commission.

        J'adresse ce jour à M. le président du Sénat une demande tendant aux mêmes fins.

        Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération.

Cette communication a été notifiée à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

    2

RÉGULATION DES ACTIVITÉS POSTALES

Suite de la discussion d'un projet de loi
adopté par le Sénat

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la régulation des activités postales (n°s 1384, 1988).

Cet après-midi, l'Assemblée a rejeté l'exception d'irrecevabilité présentée par le groupe socialiste.

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nul ne pourra accuser ce gouvernement et sa majorité de ne pas avoir de suite dans les idées, de ne pas aller au bout de leur logique.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. N'est-ce pas ?

M. Daniel Paul. Vous mettez en œuvre votre politique, qui ne vise pas à satisfaire les intérêts de notre pays et de la majorité de la population. Vous voulez obstinément appliquer votre vision libérale de notre société, une vision tout entière tournée vers la suppression de tous les freins, de toutes les barrières qui pourraient empêcher la course au profit et à la rentabilité financière.

Nul ne devrait vous accuser « de faire n'importe quoi », comme on l'entend parfois. Votre objectif est de couler notre pays dans le moule libéral, celui où s'appliquent sans entraves les orientations de l'OMC pour la libéralisation des services, celui qui obéit à l'AGCS, pour lequel toutes les activités humaines doivent être soumises à la concurrence. Vous voulez que notre pays soit le bon élève de la classe européenne, qui se construit selon cette même logique.

Et, à votre manière, vous montrez que le pouvoir politique sait ne pas être impuissant, qu'il peut prendre des décisions fortes. Encore faut-il rappeler que vous surfez sur la vague libérale, que vous vous en nourrissez comme vous la nourrissez dans le cadre d'une compétition au service des grands intérêts financiers qui imposent leurs priorités. Après France Télécom, après EDF, après GDF, après Air France, vous vous attaquez à présent à La Poste, nouvelle étape de la libéralisation touchant un autre grand du secteur public de notre pays. Mais vous ne vous en tiendrez pas là, puisque vous avez annoncé d'autres mauvais coups pour les prochaines semaines.

Tout cela se fait dans le cadre d'une construction européenne pour laquelle tout doit être régi selon les lois du marché, celles de la rentabilité, des ratios, au prix du rabougrissement de nos services publics, au profit de services dits universels qui ne visent en fait qu'à réduire les droits des salariés, à faire supporter par les collectivités publiques ce qui ne serait pas rentable et à diminuer les droits des usagers. Vos promesses de réduction de la fracture sociale et de baisse du chômage s'évaporent devant les impératifs de la concurrence quand sont en jeu les intérêts financiers des grands groupes.

Vous savez que notre pays est très attaché à son secteur public, qu'il s'agisse des entreprises ou des services. Vous savez combien notre peuple est sensible à leur qualité, au dévouement de leurs personnels. Vous savez combien les élus locaux y sont attentifs, tant ils constituent des éléments essentiels de la vie locale, des rouages participant à la citoyenneté, à l'égalité entre les usagers, à la justice sociale. Vous savez aussi combien ils ont contribué et contribuent encore à l'aménagement et au développement des territoires de notre pays comme à la vie économique. Vous savez combien la population dans son ensemble est sensible à ce qui touche à ces services de proximité. C'est ce dont j'ai eu confirmation avec les milliers de signatures dont je vous ai amené une partie, monsieur le ministre. J'aurais pu vous en apporter beaucoup plus...

M. le ministre délégué à l'industrie. Je n'en doute pas !

M. Daniel Paul. ...mais cela eût probablement été inutile, compte tenu de votre état d'esprit.

M. le ministre délégué à l'industrie. Je suis patient !

M. Daniel Paul. Ces milliers de signatures recueillies dans ma circonscription, et que j'ai l'honneur de vous remettre, exigent le maintien des bureaux de poste et l'amélioration des services à la population, alors même que les suppressions de services sont à l'ordre du jour et déjà mises en œuvre. Ainsi, dans cette circonscription populaire, deux bureaux de poste ont perdu leur receveur - la loi n'est pas encore votée, mais La Poste la met déjà en application -, donc leur statut de plein exercice. L'un d'entre eux dépend d'ailleurs à présent du receveur d'un bureau situé en zone franche urbaine. Cet autre bureau est lui aussi perdant puisque son receveur n'y sera plus présent en permanence. Cela relativise vos propos et ceux du président de La Poste sur la préservation des bureaux situés en zone urbaine sensible ou en zone franche urbaine. Nul doute que le montant des encours financiers dans ces bureaux - pourtant conséquents, mais sans doute insuffisants au regard des nouveaux critères - a pesé lourd dans ces décisions prises depuis quelques mois.

Vous prétendez passer outre aux manifestations d'inquiétude, de protestation et de colère, comme vous l'avez fait avec les retraites et la protection sociale. Mais vous êtes contraints à la prudence, vous affichez volontiers de bonnes intentions pour donner le change. C'est ce qu'a fait par exemple le Premier ministre lui-même après avoir reçu M. Bailly, président de La Poste, lorsqu'il lui a adressé une lettre le 24 août dernier. La lecture de cette lettre témoigne, en filigrane, de toute l'inquiétude de M. Raffarin devant la levée de boucliers, non seulement des syndicats de La Poste, mais aussi de la population et des élus locaux qui entendaient parler de rentabilité de La Poste, de performances, de compétitivité, de réajustement de la présence postale, et qui refusaient à juste titre de telles perspectives.

Il est vrai que les électeurs vous avaient adressé un signal fort au printemps dernier aux élections cantonales et régionales. Vous y aviez laissé quelques plumes, si j'ose dire, en perdant plusieurs conseils généraux, dont certains que la droite conservatrice détenait depuis la création même de ces collectivités, c'est-à-dire depuis deux siècles !

M. le ministre délégué à l'industrie. Et vous, combien en avez-vous gagné ?

M. Daniel Paul. Le département de la Seine-Maritime où j'ai siégé pendant plusieurs années était entre les mains de la droite depuis sa création, c'est-à-dire depuis la Révolution française.

Vous avez aussi perdu la quasi-totalité des conseils régionaux...

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous savez, ça va, ça vient !

M. Daniel Paul. ...dont certains très symboliques et que vous considériez sans doute comme des forteresses inexpugnables.

M. le ministre délégué à l'industrie. Il n'est point de forteresse qui ne puisse tomber !

M. Daniel Paul. Alors que le Congrès des maires se profilait, ainsi que les élections sénatoriales, il n'était pas question de prendre des risques : le Premier ministre lui-même est donc monté au créneau. Cela n'aura pas suffi, mais sans doute avez-vous limité la casse aux sénatoriales.

Vous êtes confrontés au fait que, malgré les mauvais coups qu'il a reçus au cours des dernières années, l'attachement au secteur public et aux valeurs qu'il porte reste vivace dans notre pays. Ces mauvais coups n'auront pourtant pas manqué, avec les réductions, depuis trente ans, des moyens financiers et humains visant à le rendre moins performant, avec les campagnes de dénigrement pour tenter de faire croire qu'il coûte trop cher, que ses salariés sont des nantis, des « gréviculteurs ». Aujourd'hui encore, vous participez activement à cette campagne.

Mauvais coups, encore, avec les remises en cause des statuts, les opérations de division des personnels, la mise en concurrence des services publics avec des entreprises privées non soumises aux mêmes exigences. Cette stratégie est en parfaite cohérence avec l'offensive générale que vous menez contre les secteurs où les salariés sont revendicatifs, attachés à leurs missions et à leurs droits : il faut casser l'idée de résistance. Reconnaissez que vous avez fait fort durant ces derniers jours, en rappelant si besoin était aux salariés du secteur public tentés de faire grève qu'ils ne seraient pas payés. Bien sûr, qu'ils ne le seront pas !

M. le ministre délégué à l'industrie. La loi en ce domaine n'a pas toujours été respectée !

M. Daniel Paul. Ce qui n'est pas normal, c'est d'avoir fait pression sur eux de cette manière.

La Poste a subi et subit toujours les conséquences de ces mauvais coups. Ainsi, la distribution du courrier peine à dépasser les 65 % de « J+l », alors qu'elle était largement au-dessus de ce score il y a deux ans.

Mais, pour les idéologues du libéralisme, il faut casser l'idée que le secteur public pourrait être un acteur fiable et pertinent du développement économique, qu'il pourrait proposer de bonnes réponses aux besoins de notre société et des populations sans générer de plus-value au sens capitaliste du terme. Or cela est inconcevable et dangereux pour le système lui-même : il faut casser ces croyances qui seraient d'un autre âge et asséner l'idée que seules les relations marchandes seraient porteuses d'avenir.

Les services publics gênent parce qu'ils sont porteurs d'une certaine idée de la société qui va à l'encontre de votre philosophie libérale, parce qu'ils participent au respect des droits de chacun, au respect d'un statut pour les salariés, au respect du bien commun, à plus de lien social et à plus de solidarité.

La Poste n'est pas qu'un coût pour notre société. Les services publics vous gênent parce qu'ils mettent au cœur de leurs activités la question de la satisfaction non marchande des besoins de tous les citoyens. Vous voulez donc briser leur cohérence et les inscrire dans une concurrence dont la philosophie est tout autre.

En vertu de la même prudence, vous voudriez faire croire que l'ouverture du capital ne serait pas une menace pour l'entreprise publique et pour la qualité de ses missions. C'est une véritable arnaque. Il n'est pas d'exemple où l'ouverture du capital d'une entreprise publique n'ait pas été suivie, plus ou moins rapidement, par l'élargissement de la part acquise par le privé, par la soumission de l'entreprise aux impératifs de la rentabilité.

Mais, au-delà de cette prudence que vous impose l'attachement populaire au secteur public, il n'en demeure pas moins que vous êtes résolus à franchir une étape. Vous y êtes poussés par les entreprises financières et leurs actionnaires qui sont à la recherche de nouvelles zones de profit, par les plus libéraux d'entre vous qui, après avoir courbé l'échine pendant des décennies, relèvent aujourd'hui la tête et entendent faire franchir un pas qu'ils pensent irréversible, afin d'effacer définitivement le secteur public de notre paysage social, économique et politique.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Caricature !

M. Daniel Paul. En cédant au dogme de la stricte limitation de la dépense publique,...

M. Patrick Ollier, président de la commission. En matière de dogmatisme, vous êtes orfèvre !

M. Gilbert Biessy. Vous savez bien que nous avons raison, monsieur Ollier !

M. Daniel Paul. ...vous visez plusieurs objectifs allant de la satisfaction des plus nantis, qui paient moins d'impôts, à la vente de richesses constituées par la nation au fil de son histoire. Pour respecter la barrière des 3 % de déficit public, vous cédez aux investisseurs privés des parts de notre patrimoine public.

À ce sujet, l'OCDE a indiqué récemment que, de 1984 à 2000, les privatisations dans l'Europe des Quinze ont porté sur 563 milliards d'euros. Or il n'y a eu aucune création de richesses supplémentaires, puisque les services existaient déjà. Il n'y a eu que des changements de propriété et donc la possibilité pour les nouveaux acteurs ou propriétaires d'imprimer leurs exigences de rentabilité. Et c'est sur ce socle-là que l'Europe actuelle se construit.

Sans doute pensez-vous que la gauche, en revenant au gouvernement, ne prendra pas les mesures qui s'imposent pour reconstruire un secteur public répondant vraiment aux aspirations de notre peuple et aux besoins de notre pays.

Êtes-vous confortés dans cette opinion parce que la gauche n'a pas toujours été suffisamment attentive aux conséquences de ces offensives libérales et n'a pas toujours pris soin de développer le secteur public pour qu'il réponde mieux aux attentes des usagers et résiste mieux aux offensives adverses ? La leçon mérite d'être méditée par nous - et non par vous - pour le présent et surtout pour l'avenir.

Sans doute pensez-vous également que la construction européenne n'a que faire de services publics performants et que l'avenir et de notre pays et de l'Europe est dans la concurrence et les règles du marché. Vous prétendez même que cela créerait des emplois supplémentaires. C'est aussi ce que prétend la Commission européenne quand elle indique, dans sa directive du 10 juin 2002 : « Les contractions éventuelles de l'effectif des prestataires du service universel [...] seront vraisemblablement compensés par un accroissement de l'emploi chez les opérateurs privés et les nouveaux arrivants ». Ce « vraisemblablement » est lourd d'incertitude.

Vous ne voulez surtout pas entendre et regarder ce qui s'est passé dans d'autres pays, en particulier ceux qui nous ont précédés dans cette voie, qu'il s'agisse des activités postales ou d'autres secteurs publics.

Que ce soit en Allemagne ou en Suède, pays qui nous ont devancés dans la voie funeste de la libéralisation de leur secteur postal, l'étude des résultats vaut pourtant le détour ! .

La poste suédoise fut l'une des premières à mettre fin, en 1993, à son monopole postal. Dix ans plus tard, le prix du timbre-poste avait doublé et le nombre de bureaux de poste avait été divisé par 5. Près de 3 000 points-poste sont désormais installés dans des supérettes, des bureaux de tabac ou des stations-service, et tout le monde n'a pas la garantie d'un accès simple au service postal.

Alors qu'elle était normalement rentable, la poste suédoise est caractérisée aujourd'hui par un déficit chronique qui lui a déjà fait frôler le dépôt de bilan. Le Figaro, peu suspect d'antipathie à votre égard, n'a pas hésité à titrer sur la faillite de la libéralisation postale à la suédoise, en rappelant que 30 000 emplois sur les 70 000 que comptait l'entreprise publique ont disparu, que la plupart des actifs ont été vendus, du système de paiement postal jusqu'aux bâtiments en passant par le siège social... Est-ce cela que vous voulez pour la poste française ?

Le même constat peut être fait dans d'autres pays, y compris en Allemagne que vous citez volontiers en exemple et où, en treize ans, les effectifs sont passés de 390 000 à 230 000, les fonctionnaires passant, quant à eux, de 50 à 30 %.

Et ce bilan pourrait aussi concerner d'autres secteurs d'activités comme l'énergie, les télécommunications, les transports.

Pourquoi refusez-vous obstinément de faire cet examen, cet audit que nous vous demandons sur les résultats réels des libéralisations intervenues depuis quelques années ? J'avais déjà posé cette question à votre prédécesseur, Mme Fontaine. Si ces dispositions correspondaient à l'intérêt majeur de notre pays, si elles étaient bonnes pour les usagers, que je me refuse à appeler clients, pour les personnels et pour l'aménagement du territoire, nous ne refuserions pas la libéralisation du service public. Mais le fait que vous n'acceptiez pas de jouer cartes sur tables montre que ces mesures ne sont pas bonnes. En fait, vous savez ce qui nous attend et ce qui attend les pays européens. Vous n'avez pas envie de faire cet audit, cet « arrêt sur image » qu'il vous faudrait rendre public et qui confirmerait aux yeux de tous nos compatriotes les conséquences de la libéralisation du secteur public postal.

M. Gilbert Biessy. C'est Machiavel !

M. le ministre délégué à l'industrie. Quel hommage !

M. Daniel Paul. Le 8 décembre dernier, vous avez d'ailleurs indiqué devant la commission des affaires économiques que le Parlement européen et le Conseil des ministres européens devraient se prononcer, en 2007, pour confirmer l'achèvement du marché intérieur des services postaux à l'horizon 2009 et qu'à cette date le secteur serait complètement libéralisé.

EDF peut aussi servir d'exemple pour ce qui est des tarifs aux usagers. La concurrence, nous a-t-on dit, devait entraîner la baisse des prix. Au cours des débats de la commission Roulet, à laquelle j'ai participé, il est très vite apparu que la baisse des prix n'était pas vraiment l'objectif visé. Ainsi, pour améliorer les fonds propres de l'entreprise, mais aussi parce que les tarifs actuels du kilowattheure ne sont pas suffisamment attractifs pour que des concurrents d'EDF viennent sur le marché français, la nécessité d'augmenter le prix du kilowattheure a été rappelée avec force. Il faut faire du cash, il faut développer les fonds propres, il faut améliorer la rentabilité pour les actionnaires actuels ou à venir. Et on pourrait remplacer EDF par une autre entreprise publique...

Vous indiquez aujourd'hui votre opposition à une telle augmentation : piètre défense et piètre moyen de détourner l'attention alors que l'on sait très bien que, comme actionnaire, l'État est évidemment intéressé à de telles opérations. S'agissant de la demande de France Télécom d'une augmentation de 23 % de l'abonnement au téléphone fixe, elle fera supporter aux usagers les plus modestes l'essentiel de ce surcoût, tout comme l'augmentation du prix du timbre-poste sera essentiellement supportée par les usagers les plus modestes. France Télécom argue de la nécessité de nouveaux investissements pour permettre le développement de l'ADSL, comme la Poste argue de la nécessité de développer ses moyens financiers. Il est vrai que la péréquation qui aurait permis de faire face à ces développements a été remise en cause et qu'il sera donc demandé aux usagers les plus modestes de pallier l'absence de cette péréquation et de satisfaire les exigences de rentabilité des actionnaires.

C'est cela la libéralisation que vous voulez imposer. Pour permettre de dégager des bénéfices aux entrants sur le marché que vous créez et de faire face aux investissements sans réduire la rentabilité, synonyme de confiance des investisseurs, vous choisissez la dégradation des conditions de travail des personnels et l'augmentation des tarifs, appelés à présent des prix.

Avant d'aller plus loin, faites donc cet audit. Dites ce que sont devenus les services publics libéralisés, en France comme dans les autres pays. Osez comparer les promesses faites à nos concitoyens par les différents gouvernements et les réalités vécues par les salariés, les usagers et les collectivités locales. Tant que cet audit n'est pas fait, il n'y a pas à délibérer sur un texte dont on connaît les conséquences néfastes.

La constante de votre politique, c'est le désengagement de l'État. C'est vrai avec la réduction des dépenses publiques : vous en faites un élément positif en mettant en parallèle la réduction des impôts, y compris de l'impôt sur les grandes fortunes. Vous savez pourtant que moins de services publics pénalise les plus modestes de notre société, ceux qui, précisément, ne paient ni l'ISF ni l'impôt sur le revenu. Vous savez aussi que l'impôt est un élément de justice sociale dont on peut toujours améliorer l'assiette et le rendement. C'est aussi un élément de citoyenneté, mais il est vrai que vous voulez également transformer les citoyens en clients.

Avec ce texte sur La Poste, vous entendez poursuivre dans la même voie et même dynamiser le processus.

Les maires ont bien raison de s'inquiéter et de protester. Les 17 000 bureaux qui constituent le maillage postal de notre pays sont majoritairement menacés. Il y aura sans doute, même si vous vous en défendez, des disparitions pures et simples, mais aussi des changements de statut, des baisses de services à la population.

Il est question de « zones de vie », de bureaux de proximité, d'agences postales, et même de points de contact. S'agira-t-il d'une boîte à lettres ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Ce n'est pas un contact ! Un contact, c'est humain !

M. Daniel Paul. S'agira-t-il d'un buraliste qui vend des timbres tous les cinq kilomètres ? Voilà autant de termes ronflants et d'expressions qui ne visent qu'à cacher les profondes transformations que vous voulez faire subir à La Poste.

Vous prétendez maintenir 17 000 points de contact. Mais, en fait, vous allez réduire de façon drastique le nombre de bureaux de plein exercice, c'est-à-dire des bureaux où les usagers pourront effectuer toutes les opérations possibles. N'est-il pas question de ne conserver que les 2 915 bureaux dont parle la Cour des comptes ?

Le reste sera affaire de négociations avec les communes et les commerçants, l'objectif étant de réduire les charges de structures.

C'est ce qu'avait parfaitement compris l'association des maires ruraux de France quand la motion du 18 avril 2004 de l'assemblée générale de Lyon évoquait « la volonté de la direction nationale de La Poste, relayée par les directions départementales d'imposer à très court terme, sans autre concertation que de façade avec les élus, des modifications substantielles du réseau postal, avec l'abandon d'une partie des services, la sous-traitance des missions résiduelles à des opérateurs privés, la mise à contribution financière des communes. »

En fait, nous allons assister à un chantage à l'égard des communes, que l'on pourrait résumer ainsi : « Monsieur le maire, tel bureau de votre commune n'est pas rentable. Nous - La Poste - ne pouvons supporter une telle charge. Et si vous n'assumez pas une partie des frais, voire la totalité, nous serons contraints de fermer ce bureau ou de confier le service à un commerçant. » On sait ce que cela a déjà donné avec les cabines téléphoniques de France Télécom.

C'est d'ailleurs le sens de la réponse de M. Bailly, président de La Poste, lors de son audition devant la commission des affaires économiques : « Les élus seront invités à signer des protocoles sur l'évolution et le développement des services en contrepartie d'un abondement des investissements sur le territoire considéré - la modernisation d'un bureau, par exemple - et d'une éligibilité prioritaire au fonds de péréquation. » En clair, cela signifie : « Payez, et vous serez considérés ! » Où est l'égalité des territoires et des citoyens devant le service public ?

Dans votre réponse, lors de votre audition devant la commission, monsieur le ministre, vous avez d'ailleurs indiqué que les communes seraient in fine mises à contribution dans le cadre du fonds de péréquation, avec les abattements sur les taxes locales, ce qui signifie que ce fonds recevra ce que les collectivités devraient recevoir depuis longtemps et dont elles sont privées, et qu'en plus on leur demandera sans doute de mettre à nouveau la main au portefeuille, c'est-à-dire au portefeuille des contribuables locaux.

Par ailleurs, qui déterminera le fameux seuil de rentabilité ? N'est-ce pas, parmi d'autres, la banque postale qui en deviendra l'arbitre ? Mais nous y reviendrons.

Il y a pourtant matière aujourd'hui à développer de nouvelles missions correspondant aux besoins de notre époque, mais cela justifierait le maintien d'une large densité du réseau. Cela signifierait non le rabougrissement actuel du service public, non un recul vers ce qui s'appelle « service universel » ou « services d'intérêt général », mais, à l'image de ce qu'initièrent les fondateurs de ce service public, la définition d'une réponse moderne aux défis de notre temps en matière de communications entre les hommes, de développement économique et social de nos territoires, en débarrassant ces missions de la gangue des impératifs financiers dans lesquels vous voulez enfermer La Poste.

Ce qui est à l'ordre du jour, ce n'est pas ce rebond, mais une nouvelle mise à mal, après celles qui sont déjà intervenues ; c'est la poursuite du travail de sape, en conformité avec l'objectif final ; c'est la division en filiales, la fin de la péréquation, la réduction à néant du cœur de métier. C'est la possibilité pour les investisseurs, comme l'on dit pudiquement, de se saisir des activités juteuses qui seront mises sur le marché et de ne laisser à La Poste que la partie la plus difficile de ses missions.

Si vous aviez des doutes sur ce scénario, faut-il vous rappeler que, dans le secteur des télécommunications, l'appel à candidatures pour le service universel jusque-là assuré par l'opérateur historique n'a retenu l'attention d'aucun opérateur, à la notable exception de France Télécom ? Ces obligations de service universel comprennent pourtant des missions aussi essentielles que le raccordement à un service téléphonique fixe de qualité et à un prix abordable - de même que la possibilité de jouir d'un abonnement à tarification sociale -, l'accès à des cabines téléphoniques sur le domaine public ainsi qu'un service de renseignements et d'annuaires.

Se pose donc bien la question de savoir qui financera ce service universel.

Dès lors que les activités les plus rentables de La Poste auront été versées dans le secteur concurrentiel, en particulier le courrier industriel, ce service universel ne pourra plus bénéficier des excédents qu'il dégageait.

Or les comptes de gestion du groupe La Poste montrent qu'en 2002, c'est le chiffre d'affaires « courrier » qui entraînait 60 % des recettes du groupe. Toute amputation de cette part entraînerait donc l'impossibilité de compenser les pertes occasionnées par la distribution du courrier en zone rurale.

Où aller chercher les moyens nécessaires ?

Dans un fonds de compensation ? Sa création n'est envisagée que par décret et il ne serait alimenté que par des contributions, nous dit-on, des concurrents de la Poste.

Dans une augmentation conséquente du prix du timbre ? C'est ce que demande la direction de La Poste et qui est déjà accepté par le Gouvernement à partir du 1er mars, ce qui ne l'empêchera pas de prétendre que la concurrence à pour but de faire baisser les prix !

À ce sujet, quelle garantie a-t-on aujourd'hui que le prix du timbre restera identique sur l'ensemble du territoire ? Aucune à l'évidence, dès lors que rien n'assure le maintien du service réservé au bénéfice de l'opérateur historique. Et le fait que le Gouvernement ne veuille pas s'engager sur le caractère définitif du dispositif des services postaux réservés est pour le moins inquiétant.

En outre, l'augmentation du prix du timbre ne suffira sans doute pas.

Alors, il y a bien la Banque postale, mais le rapport de la commission des finances du Sénat indique que « les négociations commerciales entre la Banque postale et son distributeur que seront les guichets de La Poste, si elles sont porteuses de conflits potentiels entre un établissement bancaire contraint à l'amélioration de sa rentabilité et un établissement public aux structures encore trop peu souples, devraient susciter une adaptation du réseau aux conditions modernes du marché. »

Notre collègue président de la commission des finances du Sénat, en s'exprimant ainsi, dit les choses clairement. Premièrement, l'établissement bancaire sera contraint à «l'amélioration de sa rentabilité ». Deuxièmement, cet objectif, central pour lui, entraînera une « adaptation du réseau », ce qui signifie une menace de fermeture pour les petits bureaux ou les bureaux non rentables en fonction des nouveaux critères de gestion : gare aux bureaux ruraux et aux bureaux situés, par exemple, en zone urbaine sensible ! Cela signifiera des distances plus grandes pour les usagers qui veulent effectuer toutes les activités postales dans un bureau, une moindre présence postale, une dévitalisation des territoires.

M. André Chassaigne. Ce sera terrible !

M. Daniel Paul. Et même si M. Bailly réfute les problèmes de confidentialité, comme il l'a fait devant la commission des affaires économiques, les ignorer reviendrait à ne pas prendre en compte les difficultés de nombre de nos concitoyens qui n'ont pas envie d'étaler leurs problèmes dans un café ou dans un bureau de tabac.

Autre manière de faire baisser les coûts : agir sur les charges de personnels. C'est toute l'opération visant à supprimer 20 % des effectifs de La Poste : telle est la contribution de La Poste à la lutte contre le chômage, avec la perte d'au moins 60 000 emplois et le développement de la précarité pour ceux qui resteront, tant on sait qu'une convention collective n'équivaut jamais à un statut.

Quant aux fonctionnaires, ils sont déjà prévenus qu'ils sont destinés à disparaître et l'on peut craindre que cela se fasse dans les mêmes conditions qu'à France Télécom, c'est-à-dire mauvaises. Le tribunal administratif de Paris vient d'ailleurs de sanctionner la prétention de La Poste à passer outre aux droits des salariés, et ce au moment où tant le Gouvernement que les responsables de l'entreprise parlaient de respecter ces droits ! Ce faisant, vous ne faites que pousser La Poste sur le même chemin que les autres postes libéralisées chez nos voisins européens. Cela étant, la décision du tribunal administratif de Paris encourage à employer tous les moyens, y compris judiciaires, pour défendre les droits des salariés.

N'oublions. pas les charges de retraites : selon les nouveaux critères de gestion, il faudrait que La Poste inscrive 57 milliards d'euros à son bilan : nul doute que ce serait là le coup de grâce !

Comment aussi ne pas évoquer les charges de diffusion de la presse, laissées au compte de La Poste ? Le coût total est évalué à 1,2 milliard d'euros par an, pour lesquelles La Poste aura encore à supporter 400 millions en 2005, un peu moins en 2006, tandis que les coûts pour la presse elle-même seront en augmentation.

Ce faisant, l'État, garant de la liberté et du pluralisme de la presse, abandonne ce rôle essentiel, au prétexte des concentrations qui s'opèrent dans la presse. Prenons cela pour une boutade, monsieur le ministre. Je connais au moins un journal qui ne procède pas de cette manière...

M. le ministre délégué à l'industrie. Mais vous avez trouvé de grands financiers, de grands capitalistes !

M. Daniel Paul. L'argument ne tient pas et, alors que vous pointez l'insuffisance des résultats de La Poste, voilà 400 millions d'euros - ce n'est pas une bagatelle - qui ne devraient pas rester à la charge de l'opérateur historique.

Autre symbole du désengagement de la puissance publique, la mise en place d'un régulateur. En fait, vous allez intégrer le secteur postal dans l'Autorité de régulation des télécommunications, transformée en ARCEP, c'est-à-dire l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

Mais une régulation pour quoi faire ? Pour se substituer à l'État, distribuer les licences aux nouveaux opérateurs. L'expérience que nous avons de l'ART ne milite pas pour une quelconque confiance dans l'ARCEP ! Quelle alerte a lancée l'ART lors des investissements inconsidérés de France Télécom à l'étranger ? En quoi l'ARCEP serait-elle plus pertinente que les organismes équivalents existant dans d'autres pays ?

Les dysfonctionnements considérables liés au manque d'investissements, parce que c'est la rentabilité rapide qui prime, comme les problèmes fiscaux avérés de certains opérateurs, n'ont pas vu ces régulateurs être plus perspicaces et signaler les risques encourus par ces sociétés, leurs personnels, leurs usagers, les territoires d'activité.

Ces agences symbolisent le désengagement de l'État au profit d'un organisme dit indépendant qui ne conduira qu'à une libéralisation toujours plus grande et dont l'opérateur historique, ses salariés et les usagers seront les premières victimes. Le champ va se libérer pour toutes les dérives possibles.

Ce désengagement de l'État qui signifie perte de contrôle au profit d'une agence de régulation et transfert de charges sur les collectivités locales, les deux allant dans le même sens, justifie également notre question préalable.

Et vous ne vous contentez pas de la directive. Vous avez décidé d'aller au-delà en mettant en place une véritable banque postale, filiale dont le poids sera considérable dans le groupe que constitue toujours La Poste.

Depuis longtemps sous roche, elle est apparue en plein jour par le biais d'un amendement sénatorial, en janvier dernier, avec, évidemment, l'aval du Gouvernement.

L'évolution des services financiers de La Poste a suivi l'histoire de notre pays et de cette administration publique. Longtemps, ce furent des fonctionnaires d'État qui s'occupèrent de cette activité, mais là aussi, les choses évoluent.

M. le ministre délégué à l'industrie. Nostalgie !

M. Daniel Paul. La nostalgie est toujours la même, monsieur le ministre. Mais nous y reviendrons.

En 2002, les activités financières représentaient 23 % du chiffre d'affaires consolidé de La Poste, tandis que les encours dépassaient 200 milliards d'euros. Il ne s'agit pas d'une bagatelle et je comprends qu'on s'y intéresse. La Poste gère aujourd'hui 48 millions de comptes, dont près de 11 millions de CCP, associés à plus de 4 millions de cartes bancaires, 4 millions de contrats d'assurance et 22 millions de livrets A, pour 28 millions de clients, autant d'éléments que salue d'ailleurs la Cour des comptes, qui note l'augmentation régulière des encours. Je comprends que ces chiffres intéressent certaines personnes extérieures au secteur de La Poste.

M. André Chassaigne. Ils leur donnent le vertige !

M. Daniel Paul. Même si la part de marché des services financiers de La Poste recule à 9,2 %, alors qu'elle était de 13 % en 1980, cela n'empêche pas leur chiffre d'affaires d'avoir doublé entre 1991 et 2003, mais il est vrai que la part de l'épargne ordinaire ne représente plus que 37 %, contre 86 % huit ans auparavant.

Toutefois, La Poste demeure un acteur très présent avec un réseau, un maillage, sans doute unique dans le monde financier, ce qui constitue un atout essentiel.

Autre atout : la confiance des usagers dont jouit La Poste, y compris dans le secteur financier, car le sentiment y est fort d'une épargne sécurisée. C'est sans doute ce qui a poussé La Poste à entendre les doléances de ses épargnants qui avaient tout misé sur des offres tellement alléchantes qu'elles se sont révélées dangereuses et qu'ils y ont tout perdu. Je me suis laissé dire que La Poste avait entrepris de prendre en compte les problèmes des épargnants qui avaient transféré un livret sur un autre, preuve qu'elle est sensible à la confiance de ses épargnants - jusqu'à présent.

Je doute, compte tenu des nouveaux objectifs de rentabilité, que la même attention soit portée demain à ceux qui se seraient fait gruger contre la promesse d'opérations alléchantes.

Alors oui, il faut sans doute faire évoluer les propositions de La Poste en matière de services financiers, et la question n'est en réalité pas de savoir si La Poste doit diffuser du crédit ou pas, mais de savoir comment, pour qui et pour quoi faire.

Sur la base des valeurs morales qui, tout au long de l'histoire du service postal, ont justifié la confiance que les usagers et la population ont éprouvée à son égard, il est juste que La Poste puisse proposer la gamme de services qu'attendent les familles, les collectivités, les jeunes et les entreprises, grandes ou petites.

Contrairement à ce qui peut être prétendu par certains, La Poste n'a pas vocation à devenir la banque des pauvres en rejetant toute une partie de la population vers ses concurrents privés. Si La Poste assume le fait de répondre positivement aux demandes de ceux qui sont rejetés par le système bancaire classique, elle doit aussi s'adresser aux jeunes qui s'installent, ou qui achètent leur première voiture - les députés communistes avaient d'ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens -, répondre aux besoins en crédit des artisans, des PME ou des collectivités locales et de leurs territoires, bref participer à la vie locale, selon des valeurs éthiques, solidaires, équitables, des valeurs d'avenir.

Pour nous comme pour l'immense majorité des postiers, le développement des activités financières doit se faire en cohérence avec celui des autres activités postales. Nous sommes en effet persuadés qu'un service public fort a vocation à jouer un rôle social, mais aussi à se montrer un acteur économique de premier plan, à représenter un contrepoids à la mainmise du fric, à contribuer à la mise en place d'un pôle financier public contrebalançant dans nos territoires la domination sans partage des intérêts financiers.

Maintenir un bureau de poste dans une commune rurale et y développer ses services, c'est répondre aux attentes des familles qui s'y installent ou des commerces qui veulent se développer. Maintenir un bureau en zone urbaine sensible, c'est participer à la lutte contre l'exclusion, être un partenaire de la bataille pour la revitalisation des quartiers.

La Poste peut se doter de cet outil, de cette banque « pas du tout comme les autres ». Mais est-ce de cela qu'il est question ici ? Au contraire, c'est une banque tout à fait conforme aux autres que vous voulez construire, c'est-à-dire une banque où le résultat financier sera déterminant et où, quoi que l'on nous dise aujourd'hui, les petits comptes, surtout s'ils font l'objet de nombreuses opérations, ne seront pas les bienvenus.

En opposant la logique de service public à celle de profit rapide et maximal, les services de La Poste contribuent encore aujourd'hui, malgré les difficultés, à limiter les prétentions des banques et surtout à prévenir l'exclusion bancaire ; car les personnes les plus modestes, les plus précarisées, n'intéressent pas les banques. Or on peut craindre que la banque postale ne s'inscrive aussi dans cette logique.

Comment en effet ne pas se poser de questions quand on nous dit vouloir, par amendement, « soumettre La Poste à une certaine obligation de non-discrimination de la clientèle » ? De même, quand il est indiqué que La Poste doit proposer des produits et des services « au plus grand nombre », on est en droit de s'interroger sur le sens à donner à cette expression. Si les mots ont un sens, cela ne signifie pas que tous doivent pouvoir y avoir accès !

Comment ne pas s'interroger encore sur le rôle de cette filiale destinée à rassembler l'ensemble des comptes et livrets ouverts à La Poste ainsi que les biens, droits et obligations y afférents, tels que l'épargne logement, les CODEVI ou les livrets B, et à exercer, pour son propre compte, l'ensemble des activités antérieurement exercées par La Poste au titre de la CNE, hormis les livrets A ?

Comment ne pas s'interroger sur les moyens dont usera La Poste pour « gagner des parts de marché », capter des clients et « faire son trou » dans un secteur déjà abondamment pourvu ? Le marché du crédit n'est pas extensible, et les déconvenues que La Poste a récemment connues lors de la commercialisation de certains produits financiers - comme d'ailleurs les réactions suscitées chez les usagers et au sein de la direction - montrent que les risques sont élevés quand l'opérateur public veut se comporter comme une banque de droit commun.

Comment, enfin, ne pas s'interroger sur les conséquences de la mise en place d'un régime prudentiel rendu obligatoire, ou sur le développement de fonds propres adaptés aux obligations de prises de risques ?

Nous n'approuvons pas cette évolution ; elle est porteuse de dangers pour la filiale et, par voie de conséquence, pour La Poste elle-même, car elle la fait entrer dans la jungle de la concurrence à laquelle se livrent les établissements financiers. La Poste a autre chose à faire, en particulier développer les principes de service public ; construire une entreprise publique d'un nouveau type ; répondre, sur ses propres bases, aux attentes nouvelles de la population ; maintenir son équilibre organique, seul garant de sa viabilité.

D'autant que l'évolution de la filiale ne sera pas sans conséquence sur le réseau tout entier. Alors que les 17 000 bureaux de poste pourraient constituer autant d'atouts, nul ne doute que cette présence de proximité sera appréciée à l'aune des exigences de rentabilité.

C'est d'ailleurs ce que nous expliquent les tenants de cette évolution quand ils parlent du surdimensionnement du réseau postal. Ils le comparent avec celui des banques privées, qui disposent de moins d'agences, mais aussi avec les entreprises postales étrangères qui ont, elles aussi, resserré leur dispositif. Ils citent volontiers l'Allemagne, qui est passée de 26 000 bureaux après la réunification à 17 000 en 1996, puis à 13 000 aujourd'hui, dont 7 000 agences postales, et où il est prévu de poursuivre le resserrement du réseau ! Ils évoquent aussi les Pays-bas, la Suède, la Suisse ou la Belgique, qui suivent ou ont suivi le même chemin.

Ils nous rappellent que moins de 10 % des points de contact de La Poste réalisent plus de la moitié de la collecte des services financiers, et que plus un bureau est petit, plus la part des services financiers dans son chiffre d'affaires est importante, dépassant même 90 % quand le chiffre d'affaires est inférieur à 150 000 euros !

Dans ces conditions - et la conclusion ne laisse planer aucun doute -, il est clair que la future banque postale ne restera pas neutre au moment des discussions qui auront lieu pour déterminer l'amplitude du futur réseau : elle fera peser une épée de Damoclès sur les petits bureaux de poste.

Dès lors, le rapport de la Cour des comptes - que par ailleurs je respecte - prend toute son importance quand il indique qu'avec 2 915 bureaux, La Poste améliorerait considérablement la rentabilité globale de son réseau, car elle ne perdrait que 3,25 % de son chiffre d'affaires total tout en améliorant son résultat de 4 %. Quant aux personnels de cette banque postale, dont on nous dit qu'ils seront mis à disposition, ils seront aussi soumis à un « redimensionnement » qui devra aller de pair avec « une approche plus qualitative » de la gestion des ressources humaines : l'impératif d'efficacité sera prépondérant. Autant dire que les négociations entre la banque postale et son distributeur que seront les guichets de La Poste donneront assez rapidement leurs résultats et qu'une « adaptation du réseau aux conditions modernes du marché » devra rapidement intervenir.

On comprend que vous ne mettiez pas tout cela en exergue et que vous ne puissiez pas afficher de tels objectifs ! De même, la lettre adressée par M. Raffarin à M. Bailly pour tenter de donner le change prend ici tout son sens.

Car ce qui est bien à l'ordre du jour, c'est la réduction drastique du nombre de bureaux de poste et la suppression de services, y compris financiers, alors qu'un réseau de proximité proposant de nouveaux services constituerait un véritable atout.

Ce qui est à l'ordre du jour, c'est la réduction continue de la voilure du service postal, sur fond de concurrence totale à compter de 2009. Dès lors, pour rivaliser avec ses concurrents et ne pas perdre ses principaux clients, La Poste sera dans l'obligation de poursuivre sa fuite en avant, de rechercher toujours plus de gains de productivité - avec pour conséquence une plus grande dégradation du service rendu aux citoyens -, de remettre en cause le statut des personnels, d'augmenter les coûts pour les usagers, devenus clients, et pour les collectivités, sommées de financer la présence postale. Quant aux 200 000 postiers qui travaillent actuellement au service courrier, ils seront les premiers à en subir les conséquences.

D'autant que ce qui est aussi à l'ordre du jour, c'est la confirmation que La Poste n'a pas vocation à détenir à moyen terme - selon les termes mêmes du rapport de la commission des finances du Sénat - la totalité du capital de sa filiale banque postale. Le produit de cessions de parts du capital, toujours selon le même rapport, pourrait avoir deux effets vertueux : la banque postale pourrait nouer des partenariats capitalistiques utiles dans le secteur bancaire et La Poste recevrait ainsi les moyens de son développement et du financement de ses investissements. Le même rapport indique en conclusion : « La question se posera dès lors de l'opportunité d'abriter au sein d'un même groupe des activités n'ayant en commun que l'histoire et de faire coexister au sein des bureaux de poste des métiers évoluant sur des marchés dissemblables. » Fermez le ban !

Quant au rapport de la commission des affaires économiques de notre assemblée, il spécifie que la porte doit rester ouverte - sous réserve, tout de même, d'un accord de l'autorité de tutelle - à des alliances capitalistiques, nationales ou internationales, cohérentes avec le développement stratégique de La Poste. Nous retrouvons là les errements connus chez d'autres opérateurs publics, encouragés, eux aussi, il y a quelques années, à faire leur marché à l'étranger. Mais, ajoute ce même rapport, la procédure qui serait utilisée n'est pas déterminée, celle consécutive à la loi du 2 juillet 1986 autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique et social ne pouvant pas s'appliquer puisque ce n'est pas l'État, mais La Poste, qui détiendra la majorité dans le capital de cette filiale.

Ainsi donc, vous proposez de créer une banque postale, filiale de La Poste, détentrice de l'intégralité de ses activités financières, de prévoir que l'ouverture de son capital se fera par décision du Gouvernement, mais sans préciser à la représentation nationale les modalités de ce début de privatisation. C'est en effet de cela qu'il s'agit : le fait que la commission de privatisation sera consultée le laisse bien entendre. On donne ainsi un blanc-seing au Gouvernement, qui disposera du droit exorbitant de vendre au secteur privé des morceaux de notre patrimoine public. On sait ce que cela signifie. On sait aussi que la valorisation de toutes les activités de La Poste est commencée, et qu'elle va au-delà de la valorisation des biens demandée par l'Agence des participations de l'État.

En créant cette banque postale, vous confirmez votre volonté de soumettre La Poste aux impératifs financiers, ouvrant ainsi la voie à une dégradation du service rendu aux usagers et à une dislocation du groupe. Une telle évolution, qui va au-delà de la directive européenne, justifie aussi cette question préalable.

Ce jour même, les postiers ont manifesté, non pas leur opposition à la modernisation de leur entreprise publique, mais le refus des remises en cause que vous voulez imposer et dont vous prétendez qu'elles assureront le développement de La Poste.

Avec les postiers, les agents d'EDF et de GDF vont aussi exprimer leur rejet du projet industriel dans lequel seraient enfermées leurs entreprises à la suite du vote de la loi changeant leur statut et des contraintes de rentabilité liées à l'ouverture du capital.

Avec eux, nous verrons aussi les cheminots, qui protestent contre la suppression de milliers d'emplois dans le cadre de la mise en cause du fret. Il s'agit d'une véritable saignée, à l'image de celle que pratiquaient les médecins de Molière : en prétendant soigner le malade, ces derniers le tuaient, mais eux, au moins, ne le faisaient pas délibérément !

A leur tour, les enseignants rejetteront cette politique de restriction de leurs moyens, au moment où tout commande au contraire d'élever les objectifs de formation et de recherche.

Tous diront l'indécence des propositions salariales, leurs conséquences sur leur pouvoir d'achat, mais aussi sur l'attractivité pour les jeunes. Cheminots, agents d'EDF et de GDF, enseignants et autres ont notre total soutien.

Certes, ce n'est pas d'aujourd'hui que datent les attaques contre ce qui a fait et continue d'être une originalité et une richesse de notre pays. De fait, depuis deux décennies, les services publics subissent de lourdes attaques.

L'Acte unique en 1986 et le traité de Maastricht en 1992 avaient ouvert la voie à une libéralisation effrénée décidée par les gouvernements de l'Union européenne ; de grands groupes privés avaient pu venir concurrencer les entreprises publiques dans différents secteurs. Le traité de Maastricht, dans son article 129, prévoyait l'instauration dans les domaines des transports, des télécommunications et de l'énergie d' « un système de marché ouvert et concurrentiel ». Et c'est au nom de ce principe que la Commission européenne a édicté de multiples directives qui ont abouti à liquider les monopoles publics, à favoriser la pénétration des groupes privés dans les activités de service public et à ouvrir la porte, par le jeu des concentrations capitalistes, à la constitution de monopoles privés.

Partout, cela s'est fait en faisant baisser la réponse aux besoins des usagers et de la population, en augmentant les tarifs - qualité moins et tarifs plus -, en faisant passer l'emploi et le social à la moulinette, en mettant en cause la sécurité des usagers et des salariés, en réduisant le pouvoir d'intervention des salariés, mais aussi des États.

On sait les conséquences de la mise en concurrence systématique des entreprises publiques avec des groupes privés. L'objectif n'est plus l'accès de tous aux services, mais la course à la rentabilité, les entreprises publiques s'alignant, de fait, sur les critères de gestion des entreprises privées.

Cette évolution prépare la place aux privatisations, livrant le patrimoine public aux intérêts privés, en conformité avec l'article 3 de la première partie du projet de Constitution qui indique que « l'Union offre à ses citoyens un marché unique où la concurrence est libre et non faussée ».

Je l'ai déjà dit, cela procède d'une volonté de démontrer que le secteur public n'a pas d'avenir, que l'heure est aux rapports marchands, à la transformation des usagers en clients, à la souplesse du privé : bref le secteur public, c'est ringard !

Vous voudriez faire croire que les entreprises privées coûtent moins cher à la collectivité que les entreprises publiques. Faut-il vous rappeler quelques souvenirs qui devraient vous rendre plus prudents ?

C'est M. Juppé qui voulait, il n'y a pas si longtemps, vendre Thomson Multimédia à Daewoo pour un franc symbolique ! On parlerait peut-être aujourd'hui d'un euro ! Aujourd'hui, l'entreprise vaut plus de 20 milliards d'euros et le groupe coréen, quant à lui, connaît quelques difficultés...

En Grande-Bretagne, les chemins de fer ont été bradés au privé, la perte étant estimée par la Cour des comptes britannique à plus d'un milliard de livres uniquement sur le matériel roulant.

Faut-il rappeler les secteurs en péril sauvés par les États avec l'argent public ?

Faut-il accepter le dénigrement dont sont victimes les entreprises publiques ? France Télécom était-elle techniquement en retard ? La SNCF, tant décriée par les adversaires du secteur public, est considérée mondialement comme l'un des meilleurs chemins de fer, sa dette étant due, essentiellement, au financement déraisonnable par l'emprunt auquel l'obligeait l'État, alors même qu'il donnait - et qu'il donne toujours - des avantages considérables au transport routier.

Du côté des productions industrielles, dans les domaines spatial et aéronautique, les entreprises publiques ont su être à la pointe de la réussite avec Ariane, Airbus et la SNECMA. Laquelle de leurs rivales privées a fait preuve d'une efficacité supérieure ?

Et, dans la foulée de votre logique, les agents des services publics, les fonctionnaires - ce mot que l'on prononce avec tant de mépris dans certains milieux -, deviennent des « trop payés », des nantis, une espèce à laisser s'éteindre, des gens à ne pas remplacer lorsque arrive leur départ à la retraite, car il faut faire disparaître leur statut !

Nous avons pour notre part une autre conception du secteur public. Pour nous, les services publics, acteurs à part entière du développement économique, scientifique et industriel, peuvent être les piliers d'une construction progressiste de l'Europe et ne doivent pas seulement être réduits à ne s'occuper que de ce qui n'intéresse pas les groupes privés parce que ne rapportant pas ou pas assez.

De fait, ils constituent une alternative réelle au libéralisme et c'est bien pourquoi les libéraux sont si acharnés à les réduire. C'est aussi une des raisons pour lesquelles nous refusons le projet de Constitution, qui grave dans le marbre les orientations libérales de la construction européenne. Nous sommes fondamentalement pour que d'autres choix soient faits à cet égard.

L'Europe doit faire le choix de civilisation de garantir également à tous les peuples qui la composent la satisfaction des besoins fondamentaux de notre temps : l'éducation, la santé, l'eau, l'énergie, la communication, les transports, le logement, la culture, la recherche. Ces domaines doivent être soustraits aux règles de la concurrence et de la course à la rentabilité financière. Ils doivent faire l'objet de services publics assurant notamment l'égalité d'accès de tous et l'adaptation de ces services aux évolutions des besoins.

Pour aller en ce sens, nous proposons : l'inscription dans le traité européen de la reconnaissance des droits de chaque citoyen aux biens et services essentiels ; la reconnaissance d'un secteur de services publics, non pas comme une dérogation aux principes de l'Union, mais comme un pilier central de la construction européenne organisé selon d'autres principes que ceux de la concurrence ; la reconnaissance de la compétence de l'Union européenne dans la création de services publics européens et le soutien au développement des services publics nationaux et locaux ; la décision de mise hors de l'Accord général sur le commerce des services de ces domaines qui doivent être protégés de la marchandisation ; la mise en réseau et la coopération entre services et entreprises publics européens afin de partager les coûts de recherche, d'investissement, de formation et de développement de l'emploi en impulsant leur démocratisation par la création de nouveaux pouvoirs d'intervention des syndicats, des élus et des usagers ; la création d'un Haut Conseil des services publics et d'intérêt général de l'Union, réunissant élus, syndicats, associations d'usagers et représentants des États, afin d'évaluer régulièrement le développement de ces services et de faire des propositions pour en améliorer le fonctionnement.

Dans l'immédiat, comme je l'ai indiqué au début de mon propos, il convient de décider un moratoire sur toutes les directives de libéralisation en cours ou en projet ; d'établir un bilan économique et social exhaustif des libéralisations déjà réalisées et d'engager sur cette base un débat démocratique public.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, La Poste est un élément majeur de ce secteur public sur lequel vous concentrez vos coups. La Poste existe par ses 17 000 bureaux et concentre son activité majoritaire sur le secteur financier, qui représente près de 60 % de son chiffre d'affaires. Ce réseau est un atout extraordinaire qui pourrait permettre le développement de ses activités et l'ouverture à d'autres publics. Pourquoi, dans ces conditions, chercher à le réduire alors que tout commande au contraire de le maintenir et de le développer dans sa dimension sociale et citoyenne ?

Alors qu'il faudrait au contraire placer l'emploi et la qualification au cœur du développement d'un grand service public postal, votre projet constitue une étape lourde de conséquences dans la dégradation des conditions de travail des salariés, avec de nouvelles précarités et la disparition des fonctionnaires.

Nous sommes pour que les salariés, les élus et les usagers aient voix au chapitre dans le cadre d'un véritable contrôle démocratique, avec de nouveaux pouvoirs.

Ce texte ne prépare pas la construction d'une véritable entreprise publique prenant en compte les principes fondamentaux du service public. Il fait partie de l'arsenal que le Gouvernement utilise pour mettre à mal les services publics et nous pensons qu'il faut stopper ce processus et engager immédiatement un bilan public des libéralisations et des privatisations.

Mes chers collègues, nécessité de cet audit pour éclairer les enjeux ; rejet du désengagement de l'État au profit d'une agence ; refus de la création d'une banque postale tournée vers la rentabilité financière et dont cet objectif central réduira le réseau au détriment des territoires et de leurs populations ; refus de la conception libérale, française et européenne, qui soumet les services publics aux impératifs financiers, à rebours de la nécessité de construire une Europe faisant des services publics des outils de développement économique et social : telles sont les raisons qui justifient pour nous la présentation de cette question préalable que je vous appelle à approuver. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. André Chassaigne. Remarquable intervention !

M. le président. La commission souhaite-t-elle intervenir ?

M. Jean Proriol, rapporteur. Non, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Nous sommes évidemment en total désaccord avec vos propos, monsieur Paul, mais vous n'en serez pas surpris, puisque vous êtes contre la construction européenne d'une manière générale.

M. Daniel Paul. Non !

M. Gilbert Biessy. Contre la vôtre !

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous êtes opposés aux deux directives de l'Union européenne !

M. Gilbert Biessy. Ah oui !

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous êtes depuis toujours contre la politique de l'Union européenne !

M. Gilbert Biessy. Non, nous sommes contre celle qui est pratiquée !

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous avez même rappelé que vous étiez opposés à Maastricht comme à l'Acte unique.

M. Daniel Paul. Oui, tout cela n'a rien de social !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je me demande quelle étape de la construction européenne vous avez bien pu approuver !

M. Daniel Paul. L'Assemblée européenne a repoussé la directive portuaire, par exemple !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est assez marginal !

M. Gilbert Biessy. Quand vous serez partis, on fera autrement !

M. le ministre délégué à l'industrie. Notre profond désaccord n'est donc pas étonnant. Mais vos alliés socialistes ont conduit la même politique que nous.

M. Gilbert Biessy. Ils vont vous l'expliquer ! Ils ne sont pas d'accord avec vous !

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous étiez d'ailleurs au gouvernement quand la directive de 1997 a été adoptée ! Vous avez choisi de ne pas la transposer. A l'époque, je le sais, vous aviez quelques difficultés en la matière ! Donc, je ne m'appesantirai pas. Pour vous, la construction européenne est forcément libérale. Vous refusez de comprendre qu'elle est la mise en commun de l'ensemble du territoire.

M. Gilbert Biessy. Par le bas !

M. le ministre délégué à l'industrie. À certains égards, c'est une uniformisation de nos valeurs communes (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), démocratiques en particulier.

M. André Chassaigne. Libérales !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est peut-être parfois difficile à appréhender. Vous ne voulez pas comprendre que la construction européenne ne permet pas de sanctuariser un territoire. Donc, votre vision étatique de la nation vous conduit à considérer que le territoire national doit demeurer l'apanage de l'État.

M. Daniel Paul. Vous n'avez pas écouté ce que l'on a dit !

M. le ministre délégué à l'industrie. Or c'est évidemment contraire à toute la philosophie de l'organisation européenne !

En clair, vous avez soutenu qu'il n'y avait pas lieu de délibérer. Je vous répondrai quant à moi qu'il est d'autant plus opportun de le faire que deux directives sont en cause, que nous sommes en retard pour leur transposition...

M. Gilbert Biessy. Nous allons voter contre !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...et que l'Union européenne tire sur nous à boulets rouges ! Chacun, je le comprends, peut avoir son appréciation de la transposition d'une directive. Toutefois, ne pas transposer ces deux directives coûterait cher à la France. Ce n'est pas une bonne chose. Il convient donc d'en délibérer.

M. Jean Proriol, rapporteur. Très bien !

M. François Brottes. Il ne faut pas jouer sur la peur !

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Alfred Trassy-Paillogues pour le groupe UMP.

M. Alfred Trassy-Paillogues. Rien ne justifie de différer la discussion d'un texte qui organise un véritable marché des activités postales et qui met en place les instruments juridiques d'un rétablissement de la situation de La Poste dans des domaines où elle souffre de la concurrence.

Comme l'a précisé M. le ministre, rien ne justifie de différer la discussion d'un texte qui conduira à la caducité de deux recours, pour défaut de transposition, en instance devant la Cour de justice. Ces retards ne nous incombent d'ailleurs pas. La dernière loi dédiée à l'activité postale date du 17 juillet 1918. Tous les partenaires de l'activité postale, les postiers eux-mêmes qui aiment leur entreprise et souhaitent conforter son avenir, attendent cette législation de régulation.

Aussi rejetterons-nous la question préalable de M. Alain Bocquet présenté par M. Daniel Paul. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Robin-Rodrigo, pour le groupe socialiste.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Notre collègue Daniel Paul vient de démontrer point par point combien ce projet de loi est néfaste pour le service public, car c'est bien du service public qu'il s'agit.

Comment expliquer qu'après avoir tous tenté de mettre en œuvre dans nos circonscriptions l'aménagement du territoire, avec des contractualisations dans le cadre des contrats de pays ou des pôles touristiques, nous déménagions ces mêmes territoires en fermant nos bureaux de poste et nos écoles ?

Les bureaux de poste doivent rester tels qu'ils sont, bureaux de poste à part entière, et ne pas devenir des points poste. Nous savons bien, monsieur le ministre, que nos concitoyens ne seraient pas servis de la même façon, en tout cas quand le bureau de poste s'installe dans une épicerie ; ce ne sont plus les mêmes compétences.

Dans ces conditions, le groupe socialiste soutiendra la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. André Chassaigne. Je ne vous surprendrai pas en disant que j'ai écouté avec un grand intérêt l'intervention de mon collègue Daniel Paul, qui a multiplié les arguments pour montrer les conséquences de la loi que l'on veut nous faire adopter. Son intervention a d'ailleurs été confortée par celle de M. le ministre, ainsi que par celle du représentant du groupe UMP.

Vous n'avez à la bouche que les mots « marché » ou « performances », vous ne parlez que de la transposition d'une directive européenne, mais vous voulez en fait adapter l'organisation du service postal pour rendre service aux groupes financiers, ceux qui veulent essayer de tirer le plus de profit de cette organisation. Pas une fois vous ne parlez des usagers ou des territoires, pas une fois vous n'évoquez les conséquences de cette loi dans des territoires ruraux ou dans des zones sensibles dans les milieux urbains, conséquences pour la population, pour son quotidien, pour la qualité de la vie.

Comment peut-on discuter d'un tel projet de loi sans en évaluer par un audit, comme l'a proposé Daniel Paul, les conséquences pour le quotidien et pour la qualité de la vie des populations ?

M. Arnaud Montebourg. Exactement ! :

M. André Chassaigne. Cette question préalable, nous avons eu raison de la poser. Elle se justifie parce qu'il y a deux discours totalement antagonistes. En fait, vous êtes obsédés par une chose que j'appellerai par une espèce de clin d'œil historique une ardente obligation. Pour vous, l'ardente obligation, c'est d'adapter notre pays aux intérêts des grands groupes financiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe UDF.

M. Jean Dionis du Séjour. Nous ne voterons pas la question préalable. Daniel Paul a expliqué que le Gouvernement avait de la suite dans les idées.

Plusieurs députés du groupe des député-e-s communistes et républicains. Eh oui !

M. Jean Dionis du Séjour. Je retournerai le compliment au groupe communiste : lui aussi a de la suite dans les idées.

M. Patrick Balkany. C'est le moins que l'on puisse dire !

M. Jean Dionis du Séjour. Je l'écoute depuis deux heures. Sur les télécoms et EDF, c'était le même discours.

En fait, M. le ministre a posé la question de fond : oui ou non, vous retrouvez-vous dans la construction européenne ?

M. Gilbert Biessy. Pas celle-là !

M. Jean Dionis du Séjour. Vous avez d'ailleurs répondu non.

M. Arnaud Montebourg. On a encore le droit de choisir la nature de l'Europe qu'on veut ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Pas de tyrannie ! Ça suffit !

M. Jean Dionis du Séjour. Le problème, c'est que celle-là existe. On peut faire de grands discours mais l'Europe, il faut aussi la construire. Nous, en tout cas, nous sommes pour ce texte, par cohérence européenne.

M. Paul a prédit un avenir très sombre au service postal. Comme je l'expliquais à ma voisine Marylise Lebranchu, il y a un service pour lequel on commence à avoir un peu de recul, ce sont les télécoms.

M. Gilbert Biessy. Avec l'augmentation de l'abonnement !

M. Jean Dionis du Séjour. Et si l'on demandait aux usagers et aux élus, disait tout à l'heure M. Chassaigne. Chiche ! Pour les télécoms, si l'on demandait aux usagers, qui reviendrait en arrière ? Ils ont le choix avec la concurrence,...

M. Arnaud Montebourg. Quel choix ? Celui de payer plus cher !

M. Patrick Balkany. Taisez-vous, Montebourg !

M. Jean Dionis du Séjour. ...ils ont vu les tarifs baisser. Moi, je suis prêt à faire un sondage.

Quels élus voudraient revenir en arrière ? Aucun ! Ils ont fait pression pour être opérateurs de télécoms lors de la loi sur l'économie numérique.

Il n'y a aucune raison de nous prédire un avenir si noir. Nous ne voterons donc pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Alfred Trassy-Paillogues.

M. Alfred Trassy-Paillogues. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis de la discussion devant notre assemblée de ce projet de loi qui non seulement va permettre d'organiser un véritable marché de l'activité postale, conformément aux directives de 1997 et 2002, mais encore met en place les instruments juridiques d'un rétablissement de la situation de La Poste dans des domaines où elle subit des handicaps concurrentiels évidents.

Je citerai à ce propos deux dispositions emblématiques introduites à l'occasion de la lecture au Sénat en janvier 2004 : l'extension de la gamme de ses services financiers à travers la mise en place d'une filiale ayant le statut d'établissement de crédit, à l'article 8 ; et la fin de l'exclusion du bénéfice des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires, à l'article 16.

Tous les handicaps concurrentiels ne sont pas traités car tous ne relèvent pas de la loi. La question des 57 milliards d'euros d'engagements futurs liés aux pensions, qu'il faut régler dans les mois qui viennent pour permettre le passage aux normes comptables internationales, relève d'une négociation triangulaire en cours entre La Poste, l'État et la Commission européenne. La répartition de la charge du transport de presse a fait l'objet d'un accord tripartite entre l'État, La Poste et la presse en juillet dernier. Le lourd héritage non compensé des 35 heures devrait s'alléger à la faveur des assouplissements progressifs engagés par le Gouvernement dans le cadre de la réforme du temps choisi.

L'économie générale du projet de loi est équilibrée, et les modifications que nous avons apportées en commission ont permis d'achever cet effort de mise en balance d'un renforcement de la concurrence avec un renforcement de l'opérateur public, notamment sur l'un des aspects laissés partiellement en chantier par nos collègues du Sénat : le régime de responsabilité des opérateurs postaux.

Au préalable, je souhaiterais mettre l'accent sur un point que j'ai déjà eu l'occasion de développer dans le cadre de mon rapport pour avis sur le budget de 2005 pour les secteurs des postes et des télécommunications : du point de vue de la transposition des directives, ce projet de loi crée moins une ouverture à la concurrence qu'il ne l'organise.

Pour le colis et l'express, la libéralisation est complète en droit depuis 1999, ce qui fait que près d'un quart du chiffre d'affaires de La Poste se réalise déjà en pleine concurrence avec les opérateurs allemands, hollandais ou même américains, comme UPS. La Poste montre d'ailleurs qu'elle sait faire face à ce genre de situation puisqu'elle occupe le troisième rang en Europe dans ce domaine, et elle a même noué une alliance en 2000 avec Fedex, le numéro un mondial.

Pour le courrier, l'abaissement dans la loi du plafond du domaine réservé de La Poste de 350 à 100 grammes crée optiquement un mouvement de libéralisation, mais, juridiquement, ce plafond a d'ores et déjà été ramené à 100 grammes depuis le 1er janvier 2003, en application directe de la directive du 10 juin 2002.

En fait, La Poste est soumise de toute façon à une très forte pression concurrentielle dans le secteur du courrier, y compris, paradoxalement, dans le domaine réservé, dans la mesure où près de 90 % de son chiffre d'affaires dans le courrier dépendent d'une clientèle d'entreprises qui seraient tout à fait en mesure de recourir à des procédés de substitution, comme l'Internet, l'envoi de courriers plus lourds ou de catalogues ou le recours à des coursiers, si ses services, notamment en matière de publipostage, n'étaient pas à la hauteur des attentes.

La Poste s'est réorganisée pour rendre le meilleur service aux grands comptes. Il faut maintenant étendre cet effort qualitatif aux plus petits clients.

L'attention que La Poste prête, sous l'effet de la concurrence, à ses prestations aux entreprises l'a conduite à adopter une attitude innovante en matière de responsabilité, à travers sa gamme de produits Tempost, et je me réjouis des avancées effectuées en ce domaine par le travail de la commission.

La mise en place d'un marché postal ne saurait en effet se concevoir sans la mise en place d'un régime de responsabilité pour les opérateurs. La lecture au Sénat, en janvier 2004, avait conduit à une avancée dans cette direction, mais avec deux imperfections sur lesquelles je me suis permis d'attirer l'attention du président de La Poste, M. Bailly, au cours de son audition par la commission, à savoir, d'une part, la notion de « preuve suffisante », comme s'il était possible d'invoquer dans notre État de droit autre chose qu'une preuve incontestable, et, d'autre part, le maintien de dispositions spécifiques à La Poste à côté du régime sectoriel.

L'amendement qui sera présenté par le rapporteur au nom de notre commission répare de manière satisfaisante ces deux imperfections. Il importe de souligner qu'une telle avancée ne peut se faire qu'à l'avantage de tous : un régime « simple » et « transparent » de responsabilité, selon les termes de la directive de 1997, ne peut que susciter plus de confiance de la part du consommateur et, par voie de conséquence, une augmentation du chiffre d'affaires.

Le projet de loi, en organisant le marché des activités postales, va consolider la situation actuelle, déjà très largement soumise au régime concurrentiel.

Son véritable apport, en ce qui concerne l'organisation du marché, sera de mettre en place un régulateur, conformément à ce que prévoit l'article 22 de la directive de 1997.

Ce régulateur aura pour tâche essentielle de délivrer des autorisations aux opérateurs entrants, de superviser les prix et la qualité des prestations du service universel, de traiter les litiges entre les opérateurs, et ceux entre le prestataire du service universel et ses grands clients.

Mais la mise en place du régulateur aura plus généralement pour effet de permettre de mieux connaître les frontières du secteur postal. Ainsi, il n'est pas certain que les opérateurs de l'express offrant une prestation à valeur ajoutée de distribution des colis en « J + 1 », qui ont principalement, sinon exclusivement, comme clientèle des entreprises effectuant des opérations internationales, soient considérés comme faisant partie du secteur postal d'un strict point de vue juridique, puisqu'ils sont déjà organisés en fonction des règles du droit du transport.

Au total, le régulateur devrait avoir un rayon d'action bien circonscrit, et son institution par extension des compétences de l'autorité de régulation des télécommunications le placera automatiquement sous les divers contrôles parlementaires mis en place par la loi du 9 juillet 2004 : il devra notamment rendre compte de ses activités devant les commissions permanentes des assemblées à leur demande.

M. Richard Mallié. Très bien !

M. Alfred Trassy-Paillogues. Cependant, le projet de loi ne se limite pas à la mise en place d'un marché régulé. Il s'efforce aussi d'assurer un meilleur équilibre entre les contraintes de service public auxquelles La Poste se trouve soumise et les conditions de leur prise en charge. À cet égard, une disposition introduite par le Sénat redéfinit les modalités de la présence territoriale. Elle comporte deux volets : d'une part, la définition de critères d'accessibilité, qui constituent une manière d'inscrire dans la loi une obligation minimale s'agissant du nombre et de la densité des points de contact ; d'autre part, la référence à un fonds postal national de péréquation territoriale, qui a pour rôle d'assurer un financement de la participation de La Poste à l'aménagement du territoire.

La commission des affaires économiques a veillé à améliorer le dispositif en introduisant une norme minimale d'accessibilité, qui consolide au niveau législatif l'engagement du président de La Poste de maintenir les 17 000 implantations postales.

M. Arnaud Montebourg. On en reparlera dans deux ans !

M. Alfred Trassy-Paillogues. Tout à fait !

Ces implantations pourront, au besoin, prendre la forme de points poste chez les commerçants et offriront l'avantage d'une plage horaire d'ouverture plus large : jamais plus de 10 % de la population d'un département ne devra désormais se trouver éloignée de plus de cinq kilomètres des plus proches accès au réseau de La Poste.

Par ailleurs, la commission a redéfini les conditions de mise en place du fonds postal national de péréquation territoriale, de manière à ce que cette mise en place s'opère en liaison avec les collectivités territoriales, et non pas dans un dialogue restreint entre l'État et La Poste.

À propos de ce fonds, de l'accessibilité, du maillage territorial, je voudrais revenir, en dehors de toute polémique, sur le service public, que je préférerais appeler, pour ce qui me concerne, le service au public. Comment peut-on imaginer qu'un réseau postal configuré au début du XXe siècle puisse répondre à la démographie actuelle ? Comment imaginer qu'il ait suivi l'évolution de la société ? Comment penser qu'il ait pris en compte les nouveaux modes de consommation de la population ? Comment croire qu'il ait intégré les effets induits sur l'activité postale des nouvelles technologies de la communication ?

Tous ceux qui ignorent cela, ou plutôt qui feignent de l'ignorer, sont mus par une idéologie conservatrice, voire par des arrière-pensées politiciennes, et surtout ils oublient que l'ouverture du secteur postal à la concurrence a été négociée par le gouvernement de Lionel Jospin.

M. Richard Mallié. Eh oui !

M. Alfred Trassy-Paillogues. Aussi, je voudrais vous faire part d'un exemple relevé dans ma circonscription lors de la cérémonie des vœux par le maire d'une petite commune de Seine-Maritime, Héricourt-en-Caux, 875 habitants. Auparavant, le bureau de poste avait un horaire d'ouverture de quatre heures trente par semaine, peu pratique pour les clients, et une activité réduite, très réduite, trop réduite, pratiquement égale à zéro.

Il y a six mois, M. et Mme Ternon, qui tenaient un tabac-presse, ont obtenu un « point poste » à part entière, avec la quasi-totalité des produits postaux. L'amplitude horaire est passée à cinquante-huit heures quarante-cinq par semaine...

M. Richard Mallié. On est loin des 35 heures !

M. Alfred Trassy-Paillogues. ...dont onze heures en non-stop le samedi,...

M. Arnaud Montebourg. Ils s'occupent aussi des livrets de caisse d'épargne ?

M. Alfred Trassy-Paillogues. ...à la grande satisfaction de la population locale,...

M. André Chassaigne. C'est un miracle !

M. Alfred Trassy-Paillogues. ...laquelle a fait croître le chiffre d'affaires mensuel de 1 000 euros environ, pour ce qui était des timbres commercialisés par le débit de tabac, à 2 500 euros, tous produits confondus,...

M. André Chassaigne. C'est la multiplication des pains !

M. Alfred Trassy-Paillogues. ...et l'accroissement se poursuit.

M. Arnaud Montebourg. Tant mieux pour M. et Mme Ternon !

M. Alfred Trassy-Paillogues. Pour ce qui est de la confidentialité, crainte souvent mise en avant, la débitante l'assure en réservant, pour les clients qui le souhaitent, certaines opérations aux heures de faible affluence de son commerce, dans un endroit discret.

M. Arnaud Montebourg. Où exactement ? Pouvez-vous nous donner des détails ?

M. Alfred Trassy-Paillogues. Une enquête de satisfaction a été réalisée par un cabinet indépendant : 71,9 % des clients se sont déclarés satisfaits du point poste et 90 % de la qualité de l'accueil. À l'unanimité, les clients ont reconnu la compétence des commerçants. La confidentialité, quant à elle, est assurée selon 75 % des clients.

Je conclurai en observant que ce projet de loi assure une transposition des deux directives de 1997 et 2002 en prévoyant toutes les dispositions de niveau législatif nécessaires à un fonctionnement amélioré du secteur postal de manière, d'une part, à ce qu'il donne lieu à la concurrence la plus équilibrée possible, et, d'autre part, à ce que les missions de service public restant à la charge de La Poste, tout particulièrement sa participation à l'aménagement du territoire, puissent être exercées dans des conditions mieux définies.

Ce projet de loi assure aussi à La Poste les moyens de son développement dans un contexte concurrentiel, et du renforcement de la qualité du service au public, pour un bon aménagement du territoire.

Notre groupe apportera donc un soutien sans réserve au texte qui nous est présenté dans sa forme aménagée par notre commission des affaires économiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Mes chers collègues, j'ai l'intention de terminer la discussion générale. Je demande donc à chacun de respecter strictement son temps de parole et je serai intransigeant sur ce point.

La parole est à M. Alain Gouriou, pour cinq minutes.

M. Alain Gouriou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons ce soir a été présenté au Sénat voilà un an. Il a été, au cours de la première lecture, notablement amendé par la majorité sénatoriale dans le sens libéral que vous connaissez. Les amendements présentés par les sénateurs de l'opposition ont malheureusement fait l'objet d'un rejet quasi-systématique et je crains que les nôtres ne subissent un sort analogue.

Je souhaiterais évoquer plus particulièrement trois points qui nous paraissent essentiels et qui seront plus largement repris dans le débat. Comme le déclarait M. Larcher, alors président de la commission des affaires économiques du Sénat, « l'accessibilité de nos concitoyens aux points de contact du réseau postal est l'une des questions clés de notre débat ». Nous le rejoignons totalement sur ce point.

Vous n'ignorez pas, monsieur le ministre, le mécontentement des maires et des élus communaux confrontés à des réductions d'horaires d'ouverture des bureaux de poste, à la transformation des bureaux en agences communales postales, à la suppression pure et simple de leur point postal ou encore au non-remplacement des facteurs, en un mot à la dégradation de l'ensemble des prestations de service du courrier. Vous ne pouvez ignorer non plus l'inquiétude de l'ensemble des salariés de la plus grande entreprise de main d'œuvre de France.

J'ai écrit personnellement à chacun des maires de ma circonscription afin de connaître la situation de la présence postale sur leur commune.

M. François Brottes. Ce n'est pas triste !

M. Alain Gouriou. Toutes les réponses vont dans le même sens : ils s'inquiètent de voir réduite ou remise en cause cette présence postale, remise en cause qui vient souvent s'ajouter à celle des autres services publics : écoles, perception, équipement. Tous soulignent les conséquences d'une éventuelle disparition du service postal pour une partie importante - la plus fragile - de la population.

Un certain nombre de ces mesures ont d'ores et déjà été annoncées, et même prises, avant même que ce projet de loi ne soit débattu. Ce mécontentement, M. le Premier ministre a pu le mesurer lors de son intervention au dernier congrès des maires de France, en novembre dernier.

S'il faut reconnaître que le réseau postal doit évoluer et mieux s'adapter à la répartition démographique sur notre territoire, nous ne pouvons adhérer à la méthode envisagée par ce projet de loi quant à l'accessibilité du réseau. D'abord parce qu'elle consiste à dessaisir le Parlement d'une question aussi importante pour l'aménagement du territoire. Selon votre projet, c'est le décret qui tranchera, sans qu'il y ait eu débat au sein du Parlement, sans que les grandes associations d'élus aient été consultées. Or c'est à la loi de définir au niveau national le cadre, les règles et le financement de la présence postale.

Le niveau départemental nous paraît pertinent en raison de l'organisation territoriale de la Poste, afin d'ouvrir et d'enrichir un débat constructif entre l'État, les directions départementales, les conseils généraux, les associations d'élus. On nous répondra que les commissions départementales de la présence postale existent. Certes, mais elles sont devenues des instances d'information des décisions déjà arrêtées par la direction départementale plutôt que des lieux de réflexion et de concertation entre élus et responsables de La Poste. Nous demandons que soit organisé, avant toute restructuration décidée par La Poste, un vrai débat sur la présence postale dans chaque département.

Enfin, il est surprenant que l'intercommunalité et le pays ne soient nulle part pris en compte alors que la réflexion quant à la présence des services publics en général et de La Poste en particulier ouvre des perspectives et des possibilités d'innover.

Le projet de loi confère à l'autorité de régulation des prérogatives très larges que nous jugeons excessives car elles sont accordées au détriment de celles du Gouvernement et du Parlement. Pourquoi, monsieur le ministre, vouloir confier à l'autorité chargée de réguler les télécommunications la régulation des activités postales alors qu'il s'agit de métiers et d'activités tout à fait différents ?

Au Sénat, un compromis laborieux a abouti à l'addition d'un sixième membre au collège de l'ARCEP, un strapontin en quelque sorte. Nous maintenons notre proposition de créer une autorité spécifique pour La Poste.

Concernant les services financiers, est-ce le lobby bancaire qui vous rend si frileux ? Nous sommes pour notre part très favorables à un élargissement des services financiers de La Poste, appuyés sur un réseau exceptionnellement dense. Or le récent contrat de plan 2003-2007 n'autorise La Poste qu'à accorder des prêts immobiliers sans épargne préalable. Cela signifie qu'au moins jusqu'en 2008, elle ne sera pas autorisée à accorder des prêts à la consommation et à enrichir sa gamme de produits financiers. Ce serait pourtant un atout pour rajeunir et fidéliser une clientèle qui est considérée à juste titre comme majoritairement âgée.

Au cœur des services publics, La Poste demeure l'un de ceux auxquels les Français sont les plus attachés. Ils le disent par l'intermédiaire de leurs élus communaux, de leurs associations. Les maires, les élus locaux de toutes sensibilités politiques, les usagers manifestent et interpellent le Gouvernement pour le maintien de leur poste, service modernisé et performant, gage de développement du lien social et d'aménagement de leur territoire.

En l'état, nous ne trouvons pas dans ce projet de loi les garanties qu'attendent nos concitoyens et nous ne pourrons le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà presque un an jour pour jour que le Sénat a adopté en première lecture le projet de loi relatif à la régulation des activités postales. Que s'est-il passé dans cet intervalle qui explique l'ajournement de l'inscription de ce projet de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ? Je n'ose imaginer que les élections de 2004 y soient pour quelque chose...

Notre point de vue, c'est que le débat sur La Poste a été très mal posé. Et il faut reconnaître que la posture de la gauche y est pour beaucoup. Le débat et l'opinion publique se sont en effet focalisés sur la question de la fermeture des bureaux de poste notamment en zone rurale,...

M. François Brottes. Avec raison !

M. Jean Dionis du Séjour. ...alors que peu de monde s'est vraiment interrogé sur la situation financière et l'avenir de La Poste et de ses 300 000 personnels dans un marché de plus en plus ouvert à la concurrence.

M. Gilbert Biessy. J'ai cru voir qu'elle était encore bénéficiaire !

M. Jean Dionis du Séjour. La Poste a dû recruter 14 000 agents pour l'application de la réduction du temps de travail. Les charges de personnel représentent 65 % de son chiffre d'affaires, contre 35 % pour ses homologues les plus concurrentiels, TNT Post et Deutsche Post.

M. Richard Mallié. Cherchez l'erreur !

M. Jean Dionis du Séjour. Je regrette que l'obstruction de type géographique à laquelle le groupe socialiste se prépare ne gâche les chances d'un véritable débat sur la nature et l'urgence d'une réorganisation et d'une modernisation de La Poste.

Je suis un peu déçu par les éminents spécialistes de la chose postale que sont Alain Gouriou ou François Brottes, qui expliquait d'ailleurs en 1999 à ses collègues quelque peu sceptiques de la majorité plurielle que la notion de service universel à l'européenne ne pouvait en aucun cas être considérée comme une régression. À l'époque, c'était un Européen inspiré, mais on peut changer...

M. François Brottes. Ce n'est pas incompatible !

M. Jean Dionis du Séjour. La construction d'une Europe politique, qu'à l'UDF nous appelons de nos vœux, passe de manière simple par la création d'un marché commun avec des règles de fonctionnement homogènes pour les acteurs économiques. Pardonnez-nous ce prosaïsme ! La notion de service universel que nous allons élargir dans le secteur postal correspond bien à une exigence d'un service de qualité offert à tous les citoyens européens sur le modèle du service public à la française.

À ce stade, nous tenons à faire deux remarques préliminaires pour répondre à l'actualité sociale. La question du sacro-saint nombre de bureaux de poste au niveau national est un faux problème. La vraie question qui intéresse les Français et que les élus doivent aborder, c'est la gamme et la qualité des services postaux.

Je suis moi-même élu d'une circonscription rurale, comme M. Montebourg le rappelait, dont certaines communes, classées en ZRR, connaissent des signes évidents de déclin économique et démographique. Et pourtant, je ne veux pas joindre ma voix à celle des élus qui refusent de voir la réalité en face. Parmi les bureaux de poste, 3700, soit une antenne sur cinq, ont moins de deux heures d'activité par jour. Derrière ces chiffres, il y a la réalité du monde rural, qu'on doit prendre en compte et pour laquelle il faut une réponse durable et adaptée, mais il serait incompréhensible que les responsables de La Poste n'en tirent aucune conséquence sur l'organisation du réseau. Plus encore, il serait impensable et irresponsable que le législateur n'ouvre pas les yeux sur cette réalité. Il faut avoir le courage de le dire : la question du nombre de bureaux de poste agite davantage les élus que les usagers.

Les vraies questions que se posent nos concitoyens concernent davantage la qualité des services postaux que la quantité des bureaux de poste. Dans certaines parties de la France - zones rurales ou zones urbaines denses -, il ne nous faut pas seulement maintenir la qualité des services postaux, mais aussi l'améliorer, car la modernité ne peut pas être l'alibi d'une régression du niveau de services aux usagers.

Plusieurs points appellent une réflexion de notre part.

Qu'en est-il, tout d'abord, des délais de distribution et des heures de collecte ? Est-il normal que la distribution à J + l de 80 % ou 75 % du courrier - évitons une bataille de chiffres - se fasse parfois aux dépens de l'heure de la levée, désormais de plus en plus précoce, et particulièrement dans les zones rurales ? Cette question a un véritable impact sur l'utilisation du réseau et la compétitivité de l'opérateur par rapport à la concurrence. Il faut également rappeler la part encore importante, avec un chiffre de 5 %, des délais dits « aberrants » : J + 2 pour la lettre, J + 5 pour l'écopli et J + 9 pour Postimpact. Ces délais provoquent parfois des situations dramatiques pour les populations les plus défavorisées en zone urbaine sensible, qui n'ont pas les moyens d'attendre indéfiniment le versement de leurs prestations sociales. Au cours des débats, nous interrogerons le Gouvernement sur ces questions très pratiques. Où en est La Poste dans ses efforts de modernisation de la chaîne de distribution du courrier ? Voilà ce qui intéresse les Français.

Pour ce qui est, en deuxième lieu, des services financiers, le projet de loi amendé par le Sénat est positif et les socialistes seraient bien hypocrites de ne pas le reconnaître, eux qui n'ont cessé de plaider, comme vient de le faire Alain Gouriou, pour la création d'une véritable banque postale - mais sans jamais la réaliser ! L'extension complète de sa gamme de services financiers permettra à La Poste de ne plus être seulement cette « banque des pauvres ou des vieux » que l'on a trop longtemps stigmatisée. Les banques concurrentes en ont de fait - bien que sans enthousiasme - accepté le principe, en contrepartie d'une absolue loyauté concurrentielle garantie par le projet de loi.

En troisième lieu, les services à la personne sont un chantier qui s'annonce prometteur et sur lequel nous devons réfléchir ensemble. Ainsi, le métier de facteur, métier d'avenir, pourrait évoluer, par exemple, vers des services à domicile pour les personnes âgées, malades ou isolées.

M. André Chassaigne. Les facteurs vont apprendre à faire des piqûres ?

M. Gilbert Biessy. Un sac devant, un sac derrière, et hop, sur le vélo !

M. Jean Dionis du Séjour. Vous préférez peut-être ne pas bouger, mais nous faisons le choix de considérer qu'il s'agit d'un métier d'avenir. De nombreuses démarches administratives pourraient être confiées à ce service de proximité. La nomination d'un directeur pour cette branche des services est un signe encourageant et l'enjeu mérite toute la mobilisation des élus locaux.

M. François Brottes. Et M. Dionis du Séjour, lui, va se faire médecin de campagne ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est très bien, d'être médecin de campagne !

M. Jean Dionis du Séjour. C'est un métier fort honorable.

En troisième lieu, La Poste, qui a longtemps eu une attitude de repli ou d'attente dans le domaine des nouvelles technologies, doit aller beaucoup plus loin dans le secteur clé de la dématérialisation des services, avec notamment l'envoi de lettres ou de cartes postales par Internet ou l'envoi par mail de recommandés avec accusé de réception. Elle doit jouer un rôle d'intermédiaire et de facilitateur entre ceux qui n'utilisent plus que l'Internet et ceux qui en sont restés au timbre-poste.

À cet égard, il est temps de comprendre que, dans les communes rurales aussi, les moyens de communication forment un tout que l'action gouvernementale ne peut plus traiter de manière segmentée. Ainsi, les maires établissent systématiquement un lien entre service postal, téléphonie mobile et ADSL. Or le dispositif adopté dans la loi sur l'économie numérique pour la résorption des zones blanches est en situation d'échec sur le terrain, comme l'a reconnu ici même M. de Saint-Sernin. Nous avons déjà plus de deux ans de retard sur la première phase, à la charge des conseils généraux, ce qui donne un bon argument aux opérateurs pour laisser pourrir la situation avant la deuxième phase. Je tenais à interroger le Gouvernement sur ce point.

Dans le domaine de l'Internet à haut débit, il faut saluer les efforts de France Télécom pour développer le maillage territorial. Mais ce maillage ADSL a ses limites et le Gouvernement doit prendre la main pour mettre en œuvre la technologie sans fil - wifi ou wimax - qui permettra de toucher les futurs internautes ruraux.

J'en viens maintenant aux principales contributions que le groupe UDF souhaite apporter à ce texte.

En matière, tout d'abord, de présence territoriale et d'aménagement du territoire, alors que nous allons aborder la question de la création d'un fonds national de péréquation territoriale, plusieurs questions se posent. Ainsi, qui va gérer le fonds ? Le groupe UDF pose la question solennelle de la gouvernance de ce fonds de 150 millions d'euros. Nous ne pensons pas - mais peut-être le débat nous éclairera-t-il - que La Poste soit la mieux placée pour en être le gestionnaire, car elle serait alors juge et partie. Le groupe de travail de la CSSPPCE a en effet soulevé la question de la non-consommation des ressources du fonds à hauteur de l'allégement fiscal de La Poste.

M. Jean Proriol, rapporteur. Exactement !

M. Jean Dionis du Séjour. Une gestion collégiale et déconcentrée de ce fonds devrait pouvoir être confiée au préfet dans le cadre d'une répartition départementale, après avis de la commission départementale de présence postale territoriale. Mais, je le répète, nous sommes ouverts au débat.

Qui, par ailleurs, va abonder ce fonds ? Au-delà de l'exonération de TP, dont on peut d'ailleurs douter de la pérennité, il faut que les collectivités territoriales puissent abonder ce fonds, notamment en vue des nouveaux services.

Enfin, que va-t-il financer ? Il ne doit bien entendu s'agir que de services postaux. J'ai déjà dit que je suis un ardent partisan des agences postales communales, et qu'il ne me semblerait pas illégitime que le fonds finance les nouveaux services aux personnes que La Poste va s'employer à définir.

En conclusion, le groupe UDF, qui pourra avoir une approche contrastée, ne serait-ce qu'en fonction de ses membres - et vous allez bientôt entendre Jean Lassalle -, soutient globalement ce texte, qui va dans le sens de la construction d'un véritable marché européen et du renforcement des missions que La Poste et ses personnels ont su accomplir avec une grande compétence. Nous avons la chance historique de pouvoir consolider ces compétences et de donner à La Poste les atouts de la compétitivité face à une concurrence accrue, c'est-à-dire les atouts d'un avenir pour les 300 000 postiers. Le groupe UDF prendra donc résolument le parti de la lucidité et de la réforme, mais aussi celui du service rendu à nos concitoyens. Si nous abordons ce texte avec un a priori positif, c'est cependant sur l'enjeu des services aux usagers que nous nous déterminerons à l'issue des débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je souhaite saluer tout d'abord les postiers qui sont entrés en grève aujourd'hui pour préserver le service public postal.

M. Richard Mallié. C'est de la démagogie à outrance !

M. le ministre délégué à l'industrie. Ils n'étaient pas très nombreux !

M. Gilbert Biessy. Et votre majorité dans l'hémicycle ? Comptez-vous bien !

M. André Chassaigne. J'insisterai particulièrement sur les conséquences de ce projet de loi pour le monde rural.

Depuis la signature du dernier contrat de plan, La Poste a annoncé la « restructuration » de plus de 6 000 bureaux de poste en agences postales communales ou, principalement, en points poste. Ces fermetures de bureaux de poste ne sont pourtant que la partie émergée de l'iceberg que constitue ce projet de loi.

J'entends bien le discours du Gouvernement et de la majorité, selon lequel la France s'est engagée auprès de ses partenaires à transposer la directive européenne et, plus largement, à accélérer la mise en place du marché intérieur : nous l'avons encore entendu tout à l'heure de la bouche du ministre et du porte-parole de l'UMP. Pire la France a changé, dites-vous, et il faut savoir s'adapter à ces évolutions économiques et, par conséquent, « moderniser » La Poste. Ne pas envisager cette « modernisation » expose à se faire traiter de conservateur.

M. Richard Mallié. Eh oui !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C'est un aveu !

M. André Chassaigne. Ce discours, présenté comme celui de la modernité et de la réforme, est en fait un discours de résignation et de régression. Il n'a même aucune valeur politique, puisqu'il récuse l'idée même du débat politique. Il s'agit, surtout, d'un discours mensonger. La Poste d'aujourd'hui est certes un service public régi par les seules règles du droit public ; elle n'en est pas moins un établissement à la pointe du progrès technologique, comme elle l'a toujours été.

M. Richard Mallié. Ce n'est pas grâce à la CGT !

M. André Chassaigne. Si vous avez toujours les mêmes formules rétrogrades qui évoquent la CGT ou la « démagogie »,...

M. Richard Mallié. Comme vous le Medef !

M. André Chassaigne. ...c'est sans doute pour cacher quelques insuffisances !

Au risque de vous faire sourire, je rappellerai que la première machine à oblitérer a été utilisée en 1882 et que les premiers services postaux informatisés ont été mis en service en 1962. Il suffit aujourd'hui de visiter un centre de tri de dernière génération pour se rendre compte de la technicité et de l'efficacité du travail réalisé par ce service public.

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est vrai !

M. André Chassaigne. Les engagements européens de la France que vous évoquez font aussi question. Je ne parviens toujours pas à comprendre en quoi la construction de l'Europe et l'affermissement des liens entre tous les peuples du vieux continent exigent pour préalable la dégradation de nos conditions de vie. Je ne pense pas pouvoir trouver un seul Allemand - hormis peut-être le patron de la Deutsche Post, connu pour avoir sacrifié des milliers de bureaux de poste allemands à la rentabilité - qui souhaite, au nom de l'amitié entre les peuples, que tous les bureaux de poste de nos campagnes ferment ! Combien de temps encore pourrons-nous accepter que le libéralisme le plus rigide se cache hypocritement derrière l'idéal européen de fraternité entre les peuples ? C'est un leurre, une tricherie inacceptable.

Surtout, les faits sont têtus. Quoi que l'on dise de nos engagements européens, des services publics ferment en zone rurale. Ce déménagement de nos territoires est ressenti douloureusement par nos concitoyens, malgré tous vos efforts pour dévaloriser les services publics face à ce que vous appelez les services marchands. Les uns et les autres sont pourtant aussi incontournables en zone rurale. Cette colère des ruraux est aussi portée par de nombreux élus locaux lassés de la politique d'abandon de l'État, qui ont d'ailleurs clairement exprimé leur exaspération lors des élections sénatoriales et du dernier congrès des maires.

Nous ne voulons pas de cette sempiternelle nécessité économique qui conduit, ni plus ni moins, à la désertification de nos territoires ! Les députés communistes et républicains, comme la majeure partie des élus ruraux de ce pays, veulent que leurs territoires vivent et se développent. Ils ne veulent donc ni de restructuration de la présence postale dans les territoires au nom de la rentabilité, ni de privatisation des services financiers de La Poste.

On distingue clairement, dans ce texte comme dans vos propos, voire dans vos cris, la tentation de ce Gouvernement d'« oser le désert », pour reprendre le sinistre aveu du géographe Jacques Lévy. Telle est bien la question de fond : quel avenir voulons-nous pour le monde rural ?

Face à ce grand renoncement, nous chercherons à montrer en quoi votre projet de loi viole les principes élémentaires guidant l'organisation des services publics et entrave encore un peu plus les possibilités de développement économique de nos territoires.

Avec cette loi, ce sont des pans entiers du service postal qui seront ouverts à la concurrence. Le secteur réservé, c'est-à-dire celui qui reste sous la seule responsabilité de l'opérateur historique, est réduit comme peau de chagrin. En 2006, seuls l'envoi et la distribution des lettres de moins de 50 grammes seront réservés à La Poste. Et en 2009, toute l'activité courrier baignera dans ce que vous me permettrez d'appeler les « eaux glacées du calcul égoïste ».

L'ouverture de ce secteur économique à la concurrence ne sera évidemment pas sans conséquences. Les concurrents de la Poste vont se précipiter sur les secteurs les plus rentables de l'activité courrier et pourront y offrir des prix plus bas, n'ayant pas à assumer de prestations de service public. Soit La Poste ne résistera pas à cette concurrence absolument déloyale, et sera alors réduite à assumer avec les pires difficultés ses prestations de service public. Soit elle sera en mesure de la supporter, en entrant dans le jeu de la baisse des prix offerts à ses principaux clients, mais alors, pour rester compétitive, elle ne pourra plus compenser les charges consécutives à ses obligations de service public avec les marges réalisées aujourd'hui sur ses segments de marché rentables.

Ainsi, quoi qu'il arrive, le résultat sera le même : La Poste n'aura plus les moyens d'assumer ses obligations de service public. Afin de limiter les déficits d'exploitation qui ne manqueront pas de survenir, elle continuera donc à fermer des bureaux de poste, à leur substituer des agences postales communales ou des points poste, sous le vocable trompeur et artificiel de « points contact ». C'est ce que M. Proriol, dont je lisais ce matin les propos dans cet excellent journal qu'est L'Humanité (Sourires),  appelle des « formes évolutives » de la présence postale. Voilà de beaux mots, mais qui visent en réalité à masquer une terrible dégradation du service public.

Et demain, même s'il subsiste encore quelques oasis de vie dans le désert rural que vous aurez contribué à créer, les contribuables, que vous prétendez défendre, devront payer le prix considérable des lourdes erreurs d'anticipation que vous nous imposez aujourd'hui, au nom des économies de gestion qu'implique votre approche strictement marchande.

M. Jean Dionis du Séjour. C'est l'Apocalypse selon saint André !

M. André Chassaigne. Allez donc interroger les élus des territoires ruraux, comme votre collègue Jean Lassalle.

M. Jean Dionis du Séjour. J'y suis tous les jours, dans les territoires ruraux !

M. André Chassaigne. Je pourrais vous citer des extraits de courriers qu'il a adressés au Gouvernement, où il décrit précisément cette apocalypse.

M. le président. Poursuivez, monsieur Chassaigne, ne vous laissez pas interrompre !

M. André Chassaigne. Le service public et les territoires ruraux seront les principales victimes de cette déréglementation, qui entraînera des entorses inévitables au principe d'égalité d'accès au service public et, demain, au principe d'égalité tarifaire.

J'ai entendu dire à de multiples reprises que le service rendu par une agence postale communale ou un point poste était identique à celui rendu par un bureau de plein exercice. Permettez-moi de dénoncer ce mensonge éhonté.

M. Jean Proriol, rapporteur. On n'a jamais dit ça !

M. André Chassaigne. Une agence postale communale est financée par la commune, parfois par la communauté de communes. Ce sera donc aux territoires ruraux, en déclin économique, de financer un service assumé ailleurs par La Poste. Cela signifie - étrange conception du service public - que les plus défavorisés devront payer pour pouvoir bénéficier de services équivalents à ceux dont d'autres disposeront gratuitement ! En quelque sorte, les populations rurales devront payer elles-mêmes la morphine destinée à accompagner leur morte lente. C'est odieux, révoltant, mais si peu surprenant de votre part !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C'est surtout caricatural !

M. Daniel Paul. Non ! C'est exactement ça !

M. André Chassaigne. Quant aux points poste, à vous en croire, monsieur Proriol, ils n'auraient que des avantages. Je cite vos propos dans L'Humanité : « Dans mon propre département, des épiciers ou des boulangers ont accepté de tenir des points poste : tout le monde est satisfait. »

M. Jean Proriol, rapporteur. Mais c'est vrai ! Vous n'avez pas le monopole de la vérité !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je vous invite à aller les voir, monsieur Chassaigne !

M. André Chassaigne. Je n'ai pas à le faire, je vis au milieu d'eux ! Je suis maire d'une commune de 530 habitants en plein cœur de l'Auvergne et je connais leurs difficultés. Ne venez pas me donner des leçons sur les réalités quotidiennes du monde rural ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

À vous en croire, donc, les points poste n'auraient que des avantages. Comment n'y a-t-on pas pensé plus tôt ? Il suffirait, selon vous, de transformer l'épicier du village en facteur pour régler le problème de la présence postale dans les territoires. J'ai même entendu dire tout à l'heure qu'il fallait transformer les facteurs en aides-soignantes ! On en vient à raconter n'importe quoi, entraîné par cette espèce de délire de réorganisation !

M. le président. Revenez à votre propos, monsieur Chassaigne.

M. André Chassaigne. Un autre avantage a été mis en avant - on aura absolument tout entendu - : l'amplitude horaire d'ouverture de la boulangerie serait supérieure à celle des agences postales communales !

Mais toute votre campagne de désinformation au sujet de ces points poste ne suffira pas, malgré sa virulence, à cacher qu'ils n'offrent aux usagers qu'une gamme extrêmement limitée de services. Certes, ils vendent des timbres, comme des milliers de buralistes d'ailleurs, affranchissent les lettres et remettent les colis. Mais la quasi-totalité des opérations réalisées aujourd'hui dans un bureau de poste, notamment celles relevant des services financiers de la Poste, ne sont pas assumées par les points poste, et vous le savez très bien.

Mme Marylise Lebranchu. Allô, messieurs de la majorité ? Vous ne dites plus rien ?

M. André Chassaigne. Comment feront désormais les très nombreuses personnes âgées qui vont aujourd'hui à leur bureau pour retirer leur retraite, gérer leur petite épargne ou recevoir des conseils financiers ? Comment feront désormais tous les laissés-pour-compte que votre société ultralibérale abandonne sur le bord du chemin ? Aujourd'hui, La Poste est souvent le seul établissement financier à leur ouvrir ses portes, dans le souci d'assurer le respect du principe d'égalité d'accès au service public.

M. Jean Proriol, rapporteur. On l'a dit avant vous !

M. Daniel Paul. Mais vous l'avez oublié !

M. André Chassaigne. Que deviendront demain toutes ces personnes, quand La Poste sera sous le joug des règles de marché de la banque postale ?

On peut d'ores et déjà commencer à mesurer les conséquences de la création des point poste dans les régions où ils existent. Les usagers qui se rendent au bureau de poste et en profitent pour faire leurs courses au village, seront contraints d'aller en ville pour effectuer les opérations que ne peuvent assumer les points poste, ou tout simplement dans un souci de confidentialité. Ils y feront aussi leurs courses, ce qui réduira encore la clientèle déjà fragile des commerces de nos villages. Quant à ceux qui ne peuvent guère se déplacer, ils se débrouilleront comme ils pourront.

Nous ne nous opposons pas à ce projet de loi uniquement pour défendre le service public, contrairement à ce que vous affirmez. Nous dénonçons surtout l'impact qu'il aura inévitablement sur le développement économique local de nos territoires et sur la vie quotidienne de leurs habitants. Vous savez très bien qu'aucune famille, aussi désireuse soit-elle de vivre à la campagne, ne s'installera dans une zone rurale dépourvue d'école ou de collège de proximité où scolariser ses enfants, de médecin ou d'hôpital, de services de postes et télécommunications. La fermeture de bureaux de poste, après tant d'autres fermetures, représente un coup très dur porté à l'attractivité de nos régions.

Qui pourra contester que la fermeture d'un bureau de poste signifie avant tout des suppressions d'emplois et le départ d'actifs de villages qui comptent de plus en plus de retraités ? Votre politique fragilisera encore le tissu économique et social, déjà très affaibli, de nos territoires ; il en réduira aussi l'attractivité. C'est bien pourquoi nous ne pouvons que la rejeter en bloc.

Regardez un peu autour de vous ! De plus en plus de nos concitoyens aspirent à quitter les villes et à s'installer à la campagne. Les Français, souvent parmi les plus modestes, recherchent une qualité de vie qu'ils ne trouvent plus en ville. Avec ce type de projet de loi, vous satisferez peut-être les commissaires européens et le patron de la Deutsche Post, mais vous ne pourrez qu'aller à l'encontre du souci de bien-être des Français, en réduisant la qualité de la vie à la campagne.

Force est en outre de constater le déficit criant d'institutions financières en mesure de soutenir les projets de développement qui pourraient naître dans nos campagnes. Depuis sa privatisation, le Crédit agricole n'a plus rien de la banque coopérative qu'il était, et qui était, malgré tout, au service des ruraux. Les banques privées sont rétives à soutenir nos entreprises artisanales, commerciales et industrielles. C'est bien pourquoi nous ressentons la nécessité de faire émerger un pôle financier public qui soit en mesure de soutenir les acteurs économiques des espaces ruraux dont se désintéressent tant les sacro-saints marchés financiers.

La Poste aurait pu être une composante de ce service public bancaire. Mais avec la privatisation de ses services financiers, que vous cherchez à imposer à travers ce projet de loi, et avec la fermeture de tant de bureaux de poste, vous ne faites rien d'autre qu'amputer nos territoires d'une chance réelle de sortir de la spirale du déclin.

Pour toutes ces raisons, vous l'aurez compris, les députés communistes et républicains combattront pied à pied, amendement après amendement, ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bobe.

M. Jacques Bobe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je consacrerai mon propos aux services assurés par La Poste en milieu rural.

Le président de La Poste a affirmé que celle-ci n'avait pas l'intention d'engager une politique de repli de son implantation territoriale.

M. Michel Vergnier. Chiche !

M. Jacques Bobe. Il a indiqué que ses 17 000 points de contact seront maintenus, cet engagement valant département par département, même s'il est impératif qu'elle réfléchisse, avec les élus locaux, aux moyens d'adapter son réseau afin de répondre au mieux aux attentes des Français.

Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que s'agissant du réseau des bureaux de poste et des questions sous-jacentes d'aménagement du territoire, les solutions ne seraient certainement pas dictées d'en haut, et que vous ne croyiez qu'à la négociation sur le terrain.

M. François Brottes. Chiche !

M. Jacques Bobe. De plus, vous avez souligné que l'abattement de taxe professionnelle était justifié par la contribution de La Poste à l'aménagement du territoire. Vous proposez enfin de compléter ce mécanisme par la création d'un fonds postal national de péréquation territoriale qui permettra de financer une présence postale là où elle paraît prioritaire.

Tant vos déclarations que celles du président de La Poste apparaissent donc satisfaisantes. Il me semble toutefois nécessaire de souligner plusieurs aspects.

En ce qui concerne d'abord les fameux points de contact : même si leur nombre par département demeure identique, il convient de faire en sorte que les prestations de base, qui peuvent être assurées de façon satisfaisante par des commerçants - comme l'a démontré l'expérience à laquelle se livre un établissement bancaire depuis plus d'une quinzaine d'années à une assez grande échelle -, soient complétées par des services plus élaborés rendus par un réseau suffisamment dense de bureaux de poste de plein exercice en milieu rural. Il faut donc éviter un accroissement excessif du nombre de bureaux en milieu urbain, même si des ajustements sont indispensables par rapport aux populations desservies.

Ma deuxième série de remarques a trait à l'évolution démographique. Dans de nombreux cantons ruraux - et c'est le seul point où je rejoindrai M. Chassaigne -, la population, qui avait diminué de façon importante au cours des dernières décennies, se stabilise, voire augmente, du fait, d'une part, de la volonté des particuliers, soucieux de qualité de vie, et, d'autre part, de l'action des collectivités locales, qui ont su mener une politique de l'habitat adaptée. L'aménagement du réseau postal doit tenir compte de ces évolutions, comme il doit tenir compte des évolutions technologiques, tel le haut débit ou la téléphonie mobile.

Je veux souligner enfin la nécessaire coopération entre La Poste et les structures intercommunales. La Poste peut utilement coopérer avec ces structures - ce qu'elle fait déjà dans certains cas -, en particulier avec les communautés de communes et les communes, pour définir avec les élus une politique de localisation des services postaux au niveau intercommunal, afin d'éviter de nouveaux déséquilibres entre le milieu rural et le milieu urbain. Il ne faudrait pas pour autant s'engager dans un nouveau processus de transfert de charges au détriment des collectivités locales.

Par ailleurs, le réseau rénové de La Poste ne peut fonctionner correctement que si les conditions d'une saine concurrence entre les banques classiques et La Poste sont solidement établies. Mais je laisse le soin à d'autres collègues d'approfondir cet aspect très important du texte.

En conclusion, le projet de loi relatif à la régulation des activités postales, outre qu'il inscrit dans notre droit des obligations résultant des directives européennes, constitue une avancée importante en matière de qualité, de diversification et de localisation des services postaux dans notre pays. Il faut vous en remercier, monsieur le ministre, ainsi que tous ceux qui ont contribué à l'élaboration de ce texte, que nous soutiendrons sans réserve. (Applaudissements sur les bancs de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Léonce Deprez.

M. Léonce Deprez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si j'ai demandé à être inscrit dans la discussion générale, c'est uniquement parce que j'ai le sentiment que l'atmosphère de ce débat ne correspond pas à notre temps. Nous sommes entrés dans un nouveau siècle. Et les grands évènements que nous vivons nous le rappellent, qu'ils soient dramatiques ou heureux : l'opération vers Titan à travers l'univers, le lancement d'un paquebot des airs. Tout ceci doit élever nos pensées au-delà de ce qui représente le passé. C'est l'avenir que nous, élus de la nation, devons viser.

Or La Poste ne doit pas être victime d'un conflit doctrinaire qui ne correspond plus du tout à l'évolution de notre temps. Ce projet de loi fait l'objet d'interprétations erronées. Il est tout simplement l'expression d'une économie sociale-libérale, que nous devons construire. Car l'avenir sera social-libéral. Il ne sera plus conforme aux doctrines du siècle passé : capitalisme ou ultra-libéralisme d'un côté, collectivisme de l'autre. L'avenir sera l'expression d'une politique sociale-libérale, c'est-à-dire d'une politique de conciliation entre les besoins de liberté, notamment dans l'économie, et les besoins de solidarité, parce que nous sommes tous des humains, en France, dans l'Europe et dans le monde. Le drame que nous venons de vivre nous l'a rappelé.

À mes collègues du côté gauche de l'hémicycle, je dirai qu'il suffit pour s'en convaincre de lire le texte, d'observer nos débats en commission des affaires économiques et d'entendre ceux qui ont été les principaux porte-parole de ce projet de loi. Patrick Ollier est l'expression d'une politique sociale-libérale.

M. François Brottes. C'est un gaulliste !

M. Léonce Deprez. Jean Proriol a les pieds sur terre, c'est un élu provincial qui ne décolle pas du sol de son terroir.

M. François Brottes. Il ne décolle pas du tout !

M. Léonce Deprez. Ce n'est absolument pas un ultra-libéral,...

M. Jean Proriol, rapporteur. Merci de le signaler !

M. Léonce Deprez. ...et Patrick Ollier, d'inspiration gaulliste, encore moins. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

N'allons donc pas faire croire à la presse, et surtout pas aux postiers, que nous sommes ici en train de nous entredéchirer entre affreux ultra-libéralistes et retardataires collectivistes ! (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Je pense d'ailleurs que nous avons, à gauche comme à droite, des élus intelligents (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), qui se retrouvent bien souvent, sur le terrain de la vie, quand il ne s'agit pas de s'affronter sur les bancs de l'Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Cette économie sociale-libérale est aussi une économie partenariale. C'est une idée que je défends personnellement depuis un certain nombre d'années à l'Assemblée nationale. Mais ce qui rapproche, ce qui rassemble, ça dérange aujourd'hui ! Ça n'intéresse pas la salle des Quatre Colonnes ! Pour elle, il faut s'affronter à coup de petites phrases et d'agressions partisanes ou personnelles.

M. Jean Launay. Et La Poste dans tout ça ?

M. Léonce Deprez. Mais je continuerai à affirmer, de toutes mes forces, qu'il y a place aujourd'hui pour une économie partenariale, et que ceux qui ne jouent pas l'avenir sous le signe d'une telle économie perdront les matchs du futur. J'en suis convaincu, moi qui ai été sportif, fréquentant les stades pendant plus de vingt-cinq ans. Au lieu d'opposer les forces, il faut les rassembler et les unir. Non pas en mixant tout ça dans un même cocktail, mais en soulignant les efforts et les dynamiques que chacun doit apporter.

Il faut évidemment que l'État soit présent, notamment pour conduire, avec les capitaux indispensables, l'entreprise publique de La Poste. Mais il faut aussi des capitaux privés. Ce partenariat leur ouvrira la possibilité d'investir, car l'État ne peut suffire, tant il a de charges. Il devra aussi inclure les collectivités territoriales. Je suis heureux que mon collègue Jacques Bobe vienne de le rappeler. Je pourrais prendre l'exemple de l'Auvergne, ou du Pas-de-Calais.

Je conclus : pour rendre La Poste compétitive, il faut maintenir les bureaux de poste en centre-ville, parce que les Français aiment leur poste en tant que lien social et point de rencontre, et il faut installer les centres de distribution sur un terrain offert ou apporté par les collectivités locales ou les communautés de communes. C'est une expression du partenariat. Tout le problème consiste à rendre La Poste à la fois compétitive, parce qu'elle est dans une compétition économique internationale, et accueillante, humanisée, parce que les Français ont besoin d'elle et du lien social indispensable qu'elle constitue.

En disant cela, j'espère contribuer à ce que ce projet de loi soit voté dans un esprit social-libéral. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vergnier.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ça ne va pas être pareil !

M. le ministre délégué à l'industrie. Place à un social-libéral ! (Sourires.)

M. Michel Vergnier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en abordant aujourd'hui le projet de loi de régulation des activités postales, nous débattons à la fois du devenir de La Poste, mais aussi, beaucoup plus largement, du maintien d'un grand service public qui, s'il a besoin d'évoluer, occupe une place particulièrement importante dans la vie de nos concitoyens.

J'axerai moi aussi mon propos sur la poste en milieu rural, même si j'ai pleinement conscience qu'il s'agit d'un problème beaucoup plus général, comme l'a démontré la réaction d'un nombre important d'élus de mon département de la Creuse, qui ont démissionné pour protester et attirer l'attention sur la situation des services publics en milieu rural.

Ces élus ont souligné deux points : le premier, c'est qu'il n'y a pas d'avenir pour le monde rural sans une présence forte des services publics et sans un maillage intelligent qui ne condamne pas des parties entières du territoire pour de simples raisons comptables, lesquelles font tout disparaître ; le second, c'est qu'ils n'accepteront plus certaines méthodes qui consistent à prendre des décisions autoritaires, sans aucune concertation préalable. Annonces, réactions, démentis puis, au bout du compte, des décisions, certes moins importantes que les annonces initiales - dont on dit d'ailleurs qu'elles n'ont jamais existé -, mais qui prouvent bien le peu de cas que l'on fait des élus locaux qui, mois après mois, ont perdu confiance.

Cette confiance doit être rétablie et je ne pense pas que le texte que nous examinons y parviendra. En effet, il ne règle pas le problème de la faiblesse des fonds propres de La Poste, ni celui du financement des retraites de ses fonctionnaires. Donc, inévitablement, l'entreprise ne se retrouvera pas à égalité avec la concurrence.

M. Jean Dionis du Séjour. C'est vrai !

M. Michel Vergnier. C'est bien le problème du devenir de La Poste qui est posé avec, comme conséquence immédiate, l'avenir de ses emplois, dont beaucoup trop sont déjà précaires et qui se trouveront, de ce fait, complètement menacés. Car c'est toujours l'emploi qui est la variable d'ajustement quand les comptes ne sont pas bons.

Il ne s'agit pas de faire le procès de quiconque. Et lorsque le président de La Poste dit qu'il n'est pas question de diminuer la présence postale, je considère que cette affirmation engage ceux qui la font leur - même si d'autres propos ont déjà prouvé le contraire - mais que cela ne nous interdit pas pour autant de réfléchir au contenu de ce que l'on nous propose.

Les élus, en effet, ne sont plus décidés à accepter un appauvrissement du service public. Les citoyens, en tout point du territoire, s'ils ont les mêmes devoirs, doivent aussi disposer des mêmes droits. J'exprime donc à nouveau mes craintes et mes inquiétudes.

La Poste est, pour beaucoup, un symbole. C'est vrai pour ses bureaux. C'est vrai aussi pour ses facteurs, lien social indispensable dans nos campagnes et dont nous réclamons depuis longtemps que le rôle social soit reconnu, y compris en termes de temps de travail.

Nous ne nous opposons donc pas à une réflexion collective. Mais pour que les élus puissent donner leur accord à une réorganisation du secteur postal, celle-ci devra répondre à plusieurs critères : aucun passage en force, car les élus veulent être acteurs de leur territoire ; égalité de traitement entre tous les usagers, pour le service mais aussi pour les distances ; pérennité des engagements sur la durée - je parle notamment des engagements financiers, dont on sait qu'ils sont conclus pour deux ou trois ans et qu'ensuite ils reviennent en totalité à la charge des collectivités -; pérennité du fonctionnement puisqu'il est totalement inconcevable qu'il puisse y avoir, un seul jour ouvré, une rupture du service public au motif que les salariés de l'épicerie où est installé un point poste prennent légitimement leurs vacances.

M. Richard Mallié. Les épiciers ne sont pas des fonctionnaires !

M. Michel Vergnier. Une telle rupture remettrait en cause l'existence même du service public ! Le dernier critère, c'est la garantie de la confidentialité, qui était et doit rester la règle absolue.

Nous ne voulons pas d'un service public au rabais. Ne comptez plus sur le silence des élus locaux, ne comptez plus sur leur abattement : ils ont décidé de prendre leur destin en main ! Les discours convenus, souvent différents d'ailleurs à Paris et dans les circonscriptions, n'y pourront rien ! Les élus locaux savent que l'on ne peut pas toujours se cacher derrière les directives. Ils veulent des territoires vivants. Et dès que l'on parle de rentabilité du service public en milieu rural, ils ont appris, à leurs dépens, ce que cela voulait dire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais enfoncer quelques portes ouvertes comme je le fais habituellement - bien malgré moi. (Sourires.) Pour tout vous dire, je ne sais plus très bien où nous en sommes à l'heure actuelle. Parce que les opinions que je recueille sont extrêmement contrastées : dans les villages de ma circonscription, essentiellement rurale, le moins que l'on puisse dire, c'est que le vent n'est pas à l'optimisme lorsque l'on parle de La Poste et, plus généralement, des services publics, alors que des amis qui vivent dans des agglomérations ne se plaignent pas du service qui leur est fourni aujourd'hui. Et lorsque j'interroge des Parisiens, ils me répondent qu'ils ne se sont pas rendu compte des changements intervenus au cours des dernières années.

Vous voyez que tous ces avis apparaissent contrastés pour le député du Pays basque et du Béarn que je suis. Malgré tout, j'ai au fond de moi le sentiment que, depuis vingt ou trente ans - mais on ne peut pas revenir en arrière -, on n'a certainement pas pris la mesure de tout ce qui allait se passer. Lorsque nous avons voté ces fameuses directives européennes qui, aujourd'hui, peuplent entièrement notre univers et semblent donner une orientation décisive à la moindre de nos actions, je me demande si nous n'avons pas oublié la spécificité de notre pays, sa taille, sa vocation à être habité sur toute l'étendue de son territoire.

M. André Chassaigne. Absolument !

M. Jean Lassalle. J'ai vraiment le sentiment qu'il existe aujourd'hui une France à deux vitesses, et que ce phénomène s'accentue. Pour avoir rencontré récemment des responsables de La Poste, j'ai conscience qu'ils font ce qu'ils peuvent, et qu'ils font de leur mieux. Mais je ne pense pas que nous ayons fait en sorte de conserver, dans ce domaine, la représentation de l'État en tout point de notre territoire, afin de nous donner les moyens d'en garantir la cohésion.

C'est le cas en matière de télécommunications. Aujourd'hui, tout le monde s'en occupe ! Résultat, dans mon secteur, nous ne pouvons utiliser nos portables, et je suis toujours obligé de faire trente kilomètres pour écouter mes messages ! C'est un peu la même chose pour tous les services. Nous avons, je crois, mis fin à des dispositifs qui fonctionnaient bien, sans avoir songé à la manière dont nous les remplacerions.

Un orateur disait que l'on essayait d'innover mais qu'il manquait un fil conducteur. De gros efforts sont consentis pour maintenir la présence postale, par exemple dans les commerces locaux, mais ceux-ci changent de mains très souvent et ils sont si petits que ceux qui les tiennent s'en sortent mal financièrement. C'est dire que si un service postal leur a été confié, sa pérennité n'est pas assurée.

Surtout, il est un sentiment profond qui unit nos concitoyens, c'est celui d'appartenir à la même patrie et de bénéficier, de ce fait, des mêmes droits. Or quand ils voient, en ville, une véritable poste, ils ont du mal à retrouver, dans l'épicerie de leur village, cette certaine idée qu'ils se faisaient de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. André Chassaigne. Bien sûr, c'est le bon sens !

M. Jean Lassalle. Je pense que la solution réside dans les maisons de services publics qui devront, parce que nous sommes désormais bien démunis, permettre des économies d'échelle, tout en gardant aux services fournis le sérieux nécessaire et une certaine solennité, afin que l'on puisse s'y sentir à égalité de chances, quel que soit l'endroit où l'on se trouve.

Je sais, monsieur le ministre, que vous ne ménagez pas votre peine et le projet de loi que vous nous présentez va certainement dans ce sens. (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. André Chassaigne. La conclusion est mauvaise !

M. Arnaud Montebourg. Attitude typique de l'UDF !

M. Jean Lassalle. C'est du simple bon sens ! Vous-mêmes, chers collègues de gauche, avez cherché des solutions mais n'en avez pas trouvé. Et ce n'est pas facile. Voilà trente ans que le débat est mal orienté et que nous n'arrivons pas à le rectifier. Pendant ce temps, nos concitoyens ont bien du mal à suivre !

C'est peut-être grâce à ces maisons de services publics que l'on remédiera au sentiment d'abandon des campagnes françaises, qui s'est polarisé sur le service postal, après tant de reculs successifs et de promesses non tenues. J'espère que le présent projet de loi y contribuera. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. André Chassaigne. Certainement pas ! C'est le règne des marchands du temple !

M. Jean Lassalle. Tel est, en tout cas, le sentiment d'un député qui cherche sa voie dans un univers difficile.

M. le président. La parole est à M. Émile Zuccarelli.

M. Émile Zuccarelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m'exprimerai également au nom de mon collègue non inscrit Gérard Charasse.

Plus le débat avance, plus chacun mesure, enfin, la portée du texte dont nous débattons aujourd'hui quant à l'avenir de La Poste et, plus généralement, des services publics. Et je gage que de plus en plus nombreux sont ceux qui prennent désormais conscience des enjeux et des dangers du projet qui nous est soumis, d'autant que le Gouvernement lui-même a choisi de reporter à trois reprises cette discussion devant notre assemblée. Ainsi, un an après la discussion au Sénat - tentation sans doute de dissocier prudemment notre débat des échéances électorales, notamment sénatoriales - nous en sommes toujours au même point.

Le projet recèle trois menaces.

D'abord, il traduit la volonté manifeste de morceler La Poste en autant d'entités qu'elle a de métiers - courrier, colis, réseau, services financiers - avec le risque évident, à terme rapproché, de voir ce bel outil de service public divisé en autant de structures juridiques que d'activités. La pseudo « banque postale » que l'on nous concocte en est un exemple frappant, puisqu'il s'agit de créer une structure de droit privé au capital largement ouvert au privé. Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il s'agit là d'une première étape vers une privatisation des services financiers de La Poste, porteuse de repli du service public et d'exclusion des plus démunis des services bancaires.

M. André Chassaigne. C'est l'objectif !

M. Émile Zuccarelli. La seconde menace que fait peser ce texte sur La Poste, c'est la réduction de l'amplitude du service public postal. En s'abritant derrière des directives européennes marquées du sceau du libéralisme - on en fait porter la responsabilité à la gauche, ce contre quoi je m'inscris en faux, et en tout état de cause, rien n'obligeait le Gouvernement à aller au-delà des directives bruxelloises - on s'apprête à réduire le service public comme une peau de chagrin, ainsi que le gouvernement d'Alain Juppé l'avait fait, en 1996, pour le secteur des télécommunications. En ouvrant à la concurrence l'essentiel de l'activité courrier, on va - c'est le but inavoué des inspirateurs de cette politique - priver La Poste de l'essentiel de ses moyens économiques d'action, et ce pour nous expliquer, demain, que la seule solution pour sauver une Poste devenue structurellement déficitaire sera d'aller au bout du découpage en segments et de les privatiser un par un.

La troisième menace, c'est la refonte annoncée - et même dénoncée - du réseau postal, avec son corollaire, la disparition de la plupart des bureaux de poste en zone rurale. Ils seront transformés en appendices nommés « agences postales communales », à la charge pour l'essentiel des collectivités locales - puisqu'elles rétribueront le personnel, quel que soit par ailleurs l'apport de La Poste - collectivités locales qui se trouvent être, comme par hasard, les plus démunies. Ou bien ils seront remplacés par des « points de contact » chez des commerçants dont Jean Lassalle soulignait à l'instant la fragilité.

En dépit des propos tenus ces derniers jours - par vous, en particulier, monsieur le ministre - pour faire croire que l'essentiel serait préservé et pour rassurer les maires ruraux, ceux-ci savent bien ce qu'on leur prépare : une nouvelle disparition de services publics dans leur commune, après celle des écoles, des perceptions et des gendarmeries.

Monsieur le ministre, on aurait pu espérer que le texte qui nous est présenté soit l'occasion de définir une véritable ambition pour La Poste et de lui donner les moyens d'avancer dans le respect de ses missions essentielles, des missions qui font d'elle, dans l'esprit de nos concitoyens, un service public exemplaire, un service public vieux de plus de cinq siècles et qui a pourtant toujours fait la preuve, à chaque époque et encore dans les quinze dernières années, de sa capacité à s'adapter et à se moderniser. Il n'en est rien.

Il est encore temps, dans ce débat, d'inverser la tendance et de préserver ce bel instrument qu'est et que doit demeurer La Poste, et de lui donner les moyens de remplir ses missions de service public.

Et, de grâce, qu'on cesse de nous accuser, lorsque nous dénonçons la libéralisation à tous crins du service postal, d'aller contre la construction européenne ! C'est un discours à la mode : si vous n'êtes pas pour la libéralisation, vous êtes contre l'Europe !

M. Arnaud Montebourg. Il arrive à M. Raffarin de le dire !

M. Émile Zuccarelli. C'est à peu près du même ordre que de dire : si vous, hommes de gauche, vous vous opposez à la politique du Gouvernement, c'est que vous n'aimez pas la France !

Émettre la moindre réserve à propos de l'Europe ultralibérale que l'on nous concocte, ce serait être opposé à la construction de l'Europe... Mais c'est un autre débat, et nous aurons, mes chers collègues, l'occasion d'y revenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit ce soir est très important, car La Poste est une véritable institution dans notre pays, un grand service public auquel nos concitoyens sont très attachés. Avec un volume annuel d'activité de 19 milliards d'euros, elle se situe au vingtième rang des plus grandes entreprises françaises. Son personnel est nombreux et de grande qualité : je veux rendre hommage à ces 300 000 salariés. Présente sur l'ensemble du territoire, elle assure un lien social de proximité.

Me limitant à deux grandes idées, je centrerai mon intervention sur l'évolution du réseau.

Défendre l'immobilisme est un non-sens, d'abord parce que La Poste se trouve désormais en situation de concurrence, ne serait-ce que du point de vue technique : le courrier, première de ses activités - 59 % -, est concurrencé par les fax, les mails, le développement de la téléphonie dans la vie privée et, dans la vie économique, par toutes les formes de dématérialisation, comme les télédéclarations. Ainsi, la carte Vitale et l'échange électronique des données en matière de sécurité sociale ont engendré une grosse perte pour l'activité courrier.

La Poste doit donc se montrer offensive dans le domaine du courrier, en améliorant la qualité et les délais de la distribution, mais aussi jouer à fond la carte de deux autres activités : les colis et les express. Elle est le troisième groupe européen dans ce secteur en plein développement.

Il lui faut aussi développer ses services financiers. Notons que le projet de loi lui permet de les renforcer considérablement, en lui autorisant la distribution du crédit sans épargne préalable. Je soutiens cette ouverture mais je profite de l'occasion pour déplorer que l'image de La Poste ait été entachée par des dérapages : je pense en particulier à ceux liés à la souscription de produits Bénéfic. L'entreprise s'honorerait à régler les contentieux auxquels elle a donné lieu, ce qui est loin d'être fait, si j'en juge par ce qui se passe dans mon département.

L'immobilisme ne se justifie pas davantage pour ce qui concerne le réseau. Que se passe-t-il à cet égard sur le terrain ? Depuis des années, on explique aux maires qu'il faut réduire les horaires d'ouverture de leurs bureaux de poste car leur activité ne les justifie pas. Mais comme ce sont des horaires qui rendent impossible la fréquentation par des actifs - de neuf heures trente à onze heures trente, ou de quatorze heures à quinze heures trente, par exemple -, ladite fréquentation baisse encore, ce qui sert à justifier une nouvelle réduction des horaires ! Ce cercle vicieux, le monde rural le connaît depuis dix à vingt ans. C'est une évolution néfaste pour la population mais également pour La Poste car il en résulte des pertes de parts de marché. Elle est néfaste aussi pour l'aménagement du territoire.

C'est bien dire que l'immobilisme n'a aucun sens et qu'on ne saurait poursuivre dans la même voie.

Deuxièmement, sur quelle base construire l'avenir du réseau de La Poste ? Si la confiance des élus locaux est si difficile à obtenir, c'est qu'ils ont été échaudés au cours des dernières décennies : je le dis comme je le pense. De plus, on le sait bien, une part de la haute fonction publique de notre pays s'appuie sur des raisonnements qui aboutissent toujours à réduire les moyens des zones rurales.

Pour ma part, je pense que nous devons nous fonder, pour assurer l'avenir du réseau, sur trois grands principes.

Le premier est la négociation avec les élus. J'ai choisi le mot à dessein : ce n'est pas la concertation, qui signifie un simple échange d'opinions. Non, il s'agit de négociation, c'est-à-dire d'une discussion qui vise à évaluer les intérêts des uns et des autres et à trouver la bonne solution.

M. André Chassaigne. Ce n'est pas le cas !

M. Jean-Luc Warsmann. Le deuxième principe est le maintien du maillage du territoire, selon l'engagement pris par le président Bailly. Je témoigne que, dans mon département, le directeur de La Poste s'est engagé à ce qu'aucune suppression de bureau ne se produise. Cet engagement est tout à fait de nature à nous rassurer.

M. André Chassaigne. Ah, les points de contact vous rassurent ?

M. Jean-Luc Warsmann. Le troisième principe est l'accroissement des services aux habitants. Je le répète, il faut sortir du cercle vicieux de ces dernières années en allongeant les heures d'ouverture des bureaux et en utilisant le fantastique atout que représentent les 100 000 facteurs qui maillent notre territoire.

Enfin, si les bureaux doivent évoluer, est-ce vers des agences postales communales ou des points poste ?

Si le principe de l'agence postale communale ne me choque pas, je suis en revanche totalement réticent en ce qui concerne les modalités de sa mise en œuvre. Comment se déroule le dialogue entre La Poste et un maire ? Le bureau de poste est ouvert quatre heures par jour. Or La Poste estime que sa fréquentation ne justifie le salaire d'une personne que pendant deux heures. Elle demande donc au maire de prendre en charge l'agence postale et de payer une personne quatre heures sur le budget communal. Et elle ajoute : « Nous paierons pendant trois ans l'équivalent de deux heures de travail, puisque nous estimons la charge de travail à deux heures. Mais dans trois ans, si la charge de travail est évaluée à une heure trente, nous ne paierons plus qu'une heure trente ». Eh bien, c'est le maire, sur les finances locales, qui paiera la différence !

M. Jean Auclair. C'est la loi Voynet !

M. Jean-Luc Warsmann. Je suis totalement hostile à cette mesure qui conduira à demander aux territoires les plus en difficulté de payer sur leur propre budget le fonctionnement d'un service public.

M. le président. Monsieur Warsmann, il vous faut conclure.

M. Jean-Luc Warsmann. Je termine, monsieur le président.

Nous venons d'assister, dans mon département, à l'arrivée du TGV Est. Je suis scandalisé de voir que l'État a payé le TGV quand il s'agissait de desservir des régions riches, comme Lyon ou Marseille, mais que, dans les régions pauvres, comme la mienne, il demande aux collectivités locales de lever l'impôt pour financer une partie de ses investissements. Je ne veux pas de cette évolution pour le service postal.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Très bien !

M. Jean-Luc Warsmann. En revanche, les points poste constituent des partenariats très intelligents, qui permettent de conforter une activité économique, d'étendre les services et d'augmenter le nombre d'heures d'ouverture.

M. Jean Auclair. Très bien !

M. Jean-Luc Warsmann. Les points poste représentent certainement une avancée. J'observe d'ailleurs que personne n'a jamais invoqué l'argument du manque de discrétion lorsque le Crédit agricole développait les points verts dans les commerces.

En conclusion, monsieur le ministre, j'ai été très choqué par certaines critiques scandaleusement caricaturales que j'ai entendues. Je veux saluer la qualité de votre travail, compte tenu de surcroît des difficultés de la tâche, et toute l'énergie que vous mettez à proposer des solutions concrètes et constructives. Aimer La Poste, c'est lui permettre de s'adapter et d'évoluer. Je partage votre volonté de lui donner les moyens de son développement, mais je resterai très vigilant et je veillerai à ce que les principes généraux soient respectés. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Nathalie Gautier. Vous avez fait le grand écart !

M. le président. La parole est à M. Henri Nayrou.

M. Henri Nayrou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si, comme l'ont souligné les précédents orateurs, ce projet de loi porte essentiellement sur l'organisation de la concurrence et le statut de l'établissement bancaire, la question de la présence postale est cependant cruciale en termes d'aménagement du territoire, c'est-à-dire de ruralité, car il faut appeler le déménagement du territoire par son nom.

La Poste est l'un des services les plus proches de la population de nos campagnes, avec les personnels des mairies et ceux de l'école ou du secteur parascolaire. C'est la raison pour laquelle il n'était absolument pas question d'examiner un texte législatif sans rappeler les obligations de ce service au public en milieu rural et sans poser quelques questions essentielles.

Quel sera le statut des 17 000 points de contact ? Leur nombre serait de 17 000 selon les syndicats, de 14 000 selon le ministre. Combien seront-ils réellement en 2007 ? Quelle sera leur capacité d'adaptation et quel statut auront les personnes habilitées ? Avec qui collaboreront-ils ? Qui paiera ? Les collectivités locales auront-elles les moyens de s'opposer à telle ou telle évolution et de faire face aux charges supplémentaires ?

On sait trop bien que La Poste est contrainte de réduire les coûts de fonctionnement de son réseau, alors qu'elle s'est engagée à investir 1 milliard d'euros dans la modernisation de ses bureaux d'ici à 2010. Et voilà comment elle s'achemine vers ce qu'on appelle pudiquement une entreprise publique, avec pour mission de garantir un service et une présence sur le territoire, en se donnant benoîtement des objectifs de résultat et de satisfaction des clients, le tout nappé dans une logique de productivité.

Cette double contrainte va bien entendu nécessiter des orientations politiques claires en matière d'aménagement du territoire et de service public. Nous en sommes loin ! C'est l'une des difficultés de La Poste, car son lien étroit avec l'État conditionne ses marges de manœuvre.

Les élus locaux ont raison d'exiger un service assuré, c'est-à-dire un service qui corresponde davantage à la réalité des usages qu'aux commodités d'organisation interne à La Poste, ce qui fausse les fréquentations et permet d'autres restrictions, voire une fermeture du point service postal. Un cercle vicieux est ainsi enclenché.

J'en viens aux services financiers. La définition d'obligations législatives en matière de service public doit permettre de pérenniser et d'étendre les missions de service public actuellement exercées par les services financiers de La Poste. Cette démarche est d'autant plus nécessaire et urgente que les difficultés de mise en œuvre de mesures protectrices des consommateurs de services bancaires sont régulièrement soulignées, notamment par les associations de consommateurs. En effet, La Poste doit rester un service public offrant des services financiers sans discrimination. Ce rôle social est primordial. Nous n'avons pas besoin d'une nouvelle banque de détail, mais d'un service public bancaire qui permette de lutter contre l'envolée des tarifs bancaires et de donner accès à tous au service de base.

Si je vais au bout de mon raisonnement, je peux même estimer qu'une telle mesure devrait être financée sur les crédits de la cohésion sociale... mais il y a si peu de moyens dans les caisses de M. Borloo que ce serait aller puiser de l'eau avec un panier ! (Sourires.)

Ce débat rejoint celui que nous avons déjà eu lors de l'examen du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux et qui concerne la politique à promouvoir en matière de services publics ou, devrais-je dire, de services au public. Sans tomber dans l'autopromotion, le rapport sur les services publics en milieu rural, dont j'étais le co-auteur en février 2001, apportait des pistes de réflexion qui pouvaient être intéressantes, à condition d'en prendre connaissance. Mais je vous parle d'un temps, monsieur le ministre, où les productions parlementaires ne faisaient pas partie de vos bonnes feuilles.

Tout cela pour dire qu'en matière de responsabilités sur la désertion postale en zone rurale, je jette moins la pierre à La Poste qu'à l'État. Car c'est à l'État de financer lui-même ses obligations en matière de solidarité territoriale, de lien social et de service public.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Tout à fait !

M. Henri Nayrou. C'est à l'État de garantir le service universel qui, Europe ou pas, ne saurait dépendre d'obligations de rentabilité. C'est à l'État de payer, et pas aux collectivités locales !

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Très bien !

M. Jean Auclair. Merci, Mme Voynet !

M. Henri Nayrou. Comment ? Au moyen du volet territorial des contrats de plan État-région, qui doit fournir les crédits nécessaires pour garantir la permanence du service postal. Ce volet territorial, monsieur le ministre, est-il destiné à financer des projets de développement ? Oui ! Eh bien, j'affirme que le maintien d'un service comme celui de La Poste dans un petit village est, pour son maire, un projet de vie, un projet qui permet le maintien des populations, c'est-à-dire le maintien de la vie. Ces projets, je le sais, passent très haut au-dessus de vos têtes. Nous vous donnons rendez-vous en 2007 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Robert Lecou.

M. Robert Lecou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, La Poste est avant tout, aux yeux des Français, symbolisée par une personne : le facteur, et par un lieu : le bureau de poste. Deux symboles forts et chargés d'humanisme, qui font que la valeur affective qui s'attache en France au réseau postal n'est pas à démontrer.

Au-delà de cet attachement qui, sur le plan social, revêt un aspect essentiel, il faut également mettre en valeur l'impact économique de la présence postale sur le territoire français.

Oui, La Poste est un service public, un service au public qui compte pour notre pays et pour nos territoires. Mais La Poste doit également s'inscrire dans l'évolution économique et sociale de la France, qui ne peut pas vivre en autarcie et doit prendre en compte les directives européennes que les gouvernements successifs doivent transposer, notamment les directives de 1997 et de 2002, négociées et adoptées par le gouvernement de Lionel Jospin.

Si l'ouverture à la concurrence est une démarche qui s'impose à La Poste, c'est aussi une démarche qui lui impose de s'adapter. L'objectif de notre responsabilité de législateur s'inscrit donc, selon moi, dans la double nécessité de favoriser le service public et de donner à La Poste la capacité de s'adapter pour faire face à la concurrence européenne, une concurrence qui ne manquera pas de s'accentuer puisque la limite du monopole postal passera en 2006 de 100  à 50 grammes et de trois fois à deux fois et demie le tarif de base, l'ouverture totale à la concurrence étant prévue pour 2009.

Dans ce contexte, il est appréciable de constater que l'article 1er du projet de loi pose le principe de la fourniture par La Poste du « service universel postal », qui consiste à assurer la distribution des correspondances et des colis postaux jusqu'à 20 kilogrammes en tout point du territoire, six jours sur sept. C'est bien par cette affirmation législative que l'on assure à tous les citoyens de France, où qu'ils habitent, un service fondamental, nécessaire à la vie sociale et à la vie économique. C'est aussi cette affirmation qui donne à La Poste un devoir, qu'elle devra assumer.

II était utile que La Poste soit reconnue dans son rôle d'acteur de la cohésion sociale et territoriale du pays et dans son rôle de service public. Toutefois, si l'on veut que la poste française dure et se développe dans ce contexte d'ouverture à la concurrence qui s'impose à elle, dans ce contexte où la poste allemande se mue en puissance à l'international, la poste française doit évoluer.

Député d'une circonscription à la fois urbaine et rurale, où la ville est attractive mais aussi génératrice de difficultés et de complexités en raison d'une trop forte concentration de services publics, où les bourgs centres jouent un rôle essentiel de maillage des territoires et où, enfin, la ruralité offre l'espace de vie nécessaire à l'équilibre mais un espace qui a besoin de proximité, je peux constater l'attachement viscéral des habitants à la poste, notamment des habitants des territoires ruraux à leur poste. Je soulignerai donc l'importance que j'attache à une présence postale efficace.

La position actuelle de la France est appréciable : avec un point de présence postale pour 3 530 habitants, elle se situe au même niveau que le Royaume-Uni. L'Allemagne, avec un point pour 6 490 habitants, et les Pays-Bas, avec un point pour 7 660 habitants, sont dans une situation de desserte moins dense.

Cette présence postale doit être considérée par notre pays comme un atout, et il est souhaitable que les 17 000 points postaux de France soient préservés.

Le maintien de la proximité ne signifie pas pour autant que nous devions rester figés. Il faut permettre à La Poste d'adapter ses points postaux et l'exemple d'un commerce qui, en rendant un service postal, améliorerait son taux de fréquentation, ce qui lui permettrait de maintenir son activité commerciale dans le tissu rural, est un bon exemple.

M. Richard Mallié. Très bien !

M. Robert Lecou. Celui d'une mairie rurale qui a librement choisi de passer contrat avec La Poste pour allonger ses heures d'ouverture est aussi un bon exemple.

Cette adaptation doit toutefois être l'aboutissement d'une discussion de La Poste avec les acteurs du territoire que sont les élus. La Poste ne doit pas agir seule, elle doit s'inscrire dans une démarche de territoire qui évitera la décision unilatérale, le passage en force, et favorisera une solution de proximité adaptée.

Je dis donc oui au service public pour garantir l'accès de tous, mais oui aussi à la mutation pour une poste moderne.

C'est dans le cadre d'une démarche contractuelle entre La Poste et les collectivités locales que pourra se mettre en place le plus efficacement cette mutation du service postal. Une contractualisation respectueuse du territoire et attentive à l'évolution de l'entreprise La Poste, alors que la concurrence deviendra de plus en plus présente ! Une contractualisation où l'État, garant de l'égalité de l'accès aux services publics, devra être un partenaire actif, monsieur le ministre.

Aujourd'hui déjà, des présences postales ont évolué en « points contact » originaux, et lorsque ces décisions ont été mises en œuvre avec l'accord des élus locaux, on a évité les crispations qui débouchent sur des inquiétudes. Résultat : 91 % des clients des points de contact transformés se déclarent aujourd'hui satisfaits.

Oui, donc, à une Poste capable d'initiatives, mais qui devra les partager et les faire aboutir dans le consensus pour rester ce qu'elle est aux yeux des Françaises et des Français, à savoir un service au public, à l'image du facteur, l'homme que l'on attend et qui représente le lien social auquel nous sommes tous très attachés.

Oui, donc, à une Poste qui devra, en s'adaptant et en se modernisant, mieux assurer son service auprès des Français.

Dans notre marche en avant que la construction européenne nous permet, ne rien faire n'était pas la solution. Légiférer dans le respect de l'universalité du service postal doit permettre à La Poste de répondre à l'attente de nos territoires et de leurs habitants. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Auclair.

M. Jean Auclair. Monsieur le ministre, je voudrais vous transmettre l'attente de nos concitoyens en matière de service postal, particulièrement dans les zones rurales. Lorsque l'on aborde le problème des services publics dans nos départements ruraux, il y a souvent un fossé considérable entre les discours des élus de gauche, qui font plutôt de la politique politicienne (Protestations sur les bancs du groupe socialiste),...

M. Richard Mallié. Très bien !

M. Jean Auclair. ...et les souhaits de nos administrés qui, eux, sont beaucoup plus lucides et attendent des élus responsables que nous sommes des propositions fortes.

En effet, après des années d'immobilisme, La Poste doit se réformer pour ne pas mourir, car ceux qui agitent le drapeau noir de la privatisation oublient que l'ouverture à la concurrence existe déjà et que nos voisins européens nous ont largement dépassés. Ne pas réformer La Poste, ce serait la tuer.

Il convient de rappeler - car certains ont la mémoire courte - que c'est Paul Quilès, en 1991, qui, de l'administration qu'elle était, a fait de La Poste un établissement public...

M. Lionnel Luca. Eh oui !

M. Jean Auclair. ...et que c'est Lionel Jospin, juste avant de partir de Matignon en 2002, qui a signé des directives européennes obligeant La Poste à entrer dans le secteur concurrentiel, tout cela avec l'approbation de la gauche plurielle alors au pouvoir,...

M. André Chassaigne. Ah non !

M. Jean Auclair. ...qui ose aujourd'hui, sans vergogne, manifester et s'opposer ainsi à la modernisation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean Proriol, rapporteur. M. Chassaigne n'était pas là !

M. Jean Auclair. Certes, monsieur Chassaigne, vous n'étiez pas là, mais je sais très bien que vous et tous vos collègues communistes avez été roulés dans la farine par les socialistes ! Cela ne vous empêche pas de les soutenir encore aujourd'hui !

La loi Voynet sur l'aménagement du territoire, votée par la gauche, ouvrait déjà la possibilité aux collectivités locales, en cas de fermeture des bureaux de poste, de les installer dans les mairies ou les commerces. Je viens d'entendre s'exprimer des élus socialistes qui faisaient partie de la majorité plurielle et qui, à deux mains, ont voté la loi Voynet sur l'aménagement du territoire ! Patrick Ollier était présent à l'époque, et il s'en souvient : nous avons ferraillé ensemble, car nous étions opposés à cette loi. Pourtant, aujourd'hui, les élus socialistes - qui l'ont votée - découvrent que ce sont les communes qui sont obligées de payer !

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Non ! Ce n'est pas une obligation !

M. Jean Auclair. Mesdames et messieurs de la gauche, vous n'aviez qu'à dénoncer, lorsque vous étiez au pouvoir, les dérives de votre ministre ! Je constate que la mémoire vous fait régulièrement défaut lorsque cela vous arrange. Il en est de même pour le problème des perceptions, crucial dans la Creuse : « Bercy en mouvement » a été initié par M. Fabius et, à cette époque, cela ne vous a pas dérangés d'accompagner ses décisions !

M. Henri Nayrou. C'est de la défausse !

M. Jean Auclair. Pas du tout, c'est la réalité et, parfois, elle vous fait mal ! Je resitue le débat dans le contexte où vous l'avez engagé.

Monsieur le ministre, dans tous les cœurs, et notamment en milieu rural, La Poste a une valeur affective indéniable, mais cela ne doit pas nous aveugler. Son inadaptation aux modes de vie actuels, aux services attendus de la population est évidente. Désormais, les mots « performance », « compétitivité », « modernisation », « adaptation » sont à l'ordre du jour.

La présence postale est une question d'aménagement du territoire. Ce sont les usagers qui doivent être placés au centre de nos préoccupations et non pas les considérations de quelques syndicalistes, démunis de visions prospectives,...

M. Daniel Paul. Oh ! c'est absurde !

M. Jean Auclair. ...plus soucieux de préserver leurs avantages qu'autre chose. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

La Poste en zone rurale, c'est le facteur et le bureau de poste.

La présence de facteurs doit être garantie et leur nombre être suffisant car, dans les zones où la population est la moins dense ou la plus âgée, ils assurent une offre de services attendue et très appréciée.

Le bureau de poste, quand il est ouvert deux heures par jour, est obsolète car le service rendu n'est pas celui que le public attend. Quitte à faire bondir les syndicats réactionnaires et les élus conservateurs et ringards que vous êtes (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), il faut mettre un terme à ces bureaux de poste fantômes et développer les « points poste ».

M. Daniel Paul. Ringard vous-même !

M. Jean Auclair. Ils sont l'exemple d'une synergie public-privé, aujourd'hui synonyme d'avenir. Il ne faut plus opposer le public et le privé. Cette synergie ne présente que des avantages. Je trouve scandaleux que certains parlent de manque de confidentialité, car les professionnels indépendants, quels qu'ils soient, respectent le secret professionnel, tout comme les postiers.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Exactement !

M. Jean Auclair. Élu de la Creuse, je préfère cent fois voir le logo de La Poste apposé sur le panneau du multiservices, à côté de l'enseigne de tout autre commerce ou même à la mairie - puisque la loi Voynet ouvre cette possibilité - plutôt que plus de présence postale du tout.

Je tiens à apporter un bémol aux propos que j'ai entendus tout à l'heure concernant la démission des élus de la Creuse : monsieur le ministre, ce ne sont pas 260 élus qui ont démissionné, mais un seul conseiller municipal et un conseiller général qui a voulu faire du cinéma : il va avoir, dimanche prochain, une élection digne du grand guignol ! Les autres n'ont pas démissionné : il s'agissait, en fait, d'une comédie médiatique mise en scène par la gauche à la veille de l'élection du président de l'Association des maires. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.- Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur Auclair, il faut penser à conclure.

M. Jean Auclair. Ces « points poste » - j'en témoigne puisqu'il en existe dans mon département - représentent 10 heures de présence journalière toute la semaine, car l'épicier et le boulanger, eux, ne sont pas aux 35 heures ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Qui dit mieux en termes de service au public ? Et je dis bien de service « au public » car il y en a assez d'entendre parler du service public : ce qui nous intéresse, c'est le service au public, c'est rendre service à nos administrés ! L'intérêt général est là et moi, je le défends !

Mes chers collègues, je souhaite dorénavant que lorsque les médias évoqueront La Poste, ils ne parlent plus de service minimum, mais de service maximum. C'est ce qu'attendent nos administrés. La poste de nos parents ne sera pas celle de nos enfants, ou alors elle sera absorbée par nos concurrents européens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Robin-Rodrigo.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement nous demande de transposer a minima la directive européenne. Cette directive exige pour La Poste une réforme d'envergure propre à assurer sa survie avec l'ouverture à la concurrence envisagée en 2009.

Ne nous y trompons pas : La Poste s'apprête à vivre un choc économique qui met en cause sa survie et l'emploi de dizaine de milliers de salariés.

Cette réforme doit être l'occasion de nous positionner clairement en ayant sans cesse à l'esprit ce que représente le service postal aux yeux de tous nos concitoyens.

Le service postal, c'est le facteur qui, au plus profond de nos vallées, dans nos montagnes, tisse le lien social en étant souvent le seul contact journalier de certains de nos aînés.

Le service postal, c'est le guichetier qui entend et essaie d'aider au mieux dans leurs démarches, souvent, les plus défavorisés des Françaises et des Français. Faut-il rappeler qu'une personne sur deux percevant le RMI a un compte courant postal - d'où cette fonction de « guichet social » ?

La mairie, la poste, l'école : ces trois lieux incarnent, à eux seuls, le bien public de proximité et l'intérêt général territorialisé.

L'enjeu dépasse l'objet du débat, d'où l'intérêt et la passion que celui-ci suscite.

Oui, il faut que ce texte de loi soit enrichi, que soit accélérée la création de l'établissement public de crédit à part entière, à savoir l'élargissement des services financiers, les prêts au logement sans épargne préalable, les prêts à la consommation.

Pour ce faire, il faut que l'État s'engage financièrement pour compenser l'allégement des charges sur les bas salaires, mais aussi les surcoûts induits par les retraites des fonctionnaires, et encore ceux liés à la charge de la diffusion de la presse par voie postale.

Il s'agit d'un surcoût de plusieurs centaines de millions d'euros, et il faut impérativement que l'État s'engage à le prendre en charge. Faute de quoi, toute mutation s'avérerait impossible. Car qu'en sera-t-il de la couverture par La Poste de tous les usagers, sur tout le territoire, pour les services financiers et de crédit dans leur totalité ?

Il faut donc envisager une péréquation nationale, donner plus à ceux qui ont moins : les territoires ruraux, les zones de montagne, les quartiers urbains sensibles.

Un mot, monsieur le ministre, sur la création de l'établissement de crédit. Elle est, je vous l'ai dit, la voie obligée, même s'il est indispensable que le capital soit détenu en totalité par La Poste, contrairement à ce qui nous est proposé.

S'agissant de l'autorité de régulation telle que vous la souhaitez, je vous avoue mon incompréhension. La Poste, à elle seule, méritait une structure à part entière. Faut-il rappeler qu'en 1990 une commission supérieure du service public des postes et télécommunications a été créée et que jamais son fonctionnement ni sa compétence n'ont été remis en cause. Pourquoi la démantèle-t-on ?

L'inscription dans la loi des principes que sont l'égalité d'accès des usagers, la continuité du service postal et l'aménagement du territoire est indispensable. Le financement du maintien de tous les bureaux de poste exige un effort durable de la part de l'État et non des collectivités locales, qui subissent déjà de plein fouet les conséquences préjudiciables des lois de décentralisation de M. Raffarin.

Comme mon ami Gérard Delfau le disait au Sénat, je conclurai en martelant : « Après tant d'années passées à subir l'indifférence ou l'ingratitude des pouvoirs publics, les postiers ont les yeux rivés sur nous. Ils attendent que le Parlement donne une nouvelle chance à leur entreprise dans sa double mission : être performante sur les marchés européens et assurer un véritable service public à la Française. Plus encore, sans doute, ils guettent un signe de reconnaissance, eux qui ont tant donné à la nation, de génération en génération. Faisons-leur confiance pour sauver La Poste, tant qu'il en est encore temps ! »

Mais pour ce faire, ils ont besoin de nous, mes chers collègues, pour amender ce texte ; de vous, monsieur le ministre, pour nous indiquer clairement les engagements financiers de l'État, indispensables pour la sauvegarde et le développement de cette entreprise et de ses milliers de salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Richard Mallié.

M. Richard Mallié. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui se démarque des textes que nous avons coutume d'examiner dans cet hémicycle. À ce jour, en effet, aucun texte législatif n'avait été consacré entièrement et exclusivement à la question des activités postales. Pourtant, chacun d'entre nous sait, pour le constater quotidiennement sur le terrain, combien les services de La Poste sont chers aux Français. Il était donc important, au-delà de la nécessaire transcription des directives européennes, d'œuvrer encore et toujours afin que nos concitoyens puissent continuer à bénéficier d'un service de qualité, et ce aux quatre coins du territoire.

C'est pourquoi je tenais tout particulièrement à vous féliciter, monsieur le ministre, pour la démarche que vous avez adoptée. En effet, contrairement à ce que prétendent les voix qui se sont élevées sur les bancs de l'opposition, c'est bien dans la perspective de préserver ce service aux personnes que vous avez estimé qu'il était temps d'agir et de dépoussiérer un système datant de 1914. On ne peut que se féliciter du maintien d'un maillage de 14 000 bureaux de poste.

Ce texte s'articule autour de trois axes principaux, mais vous me permettrez, monsieur le ministre, de m'arrêter plus particulièrement sur l'un d'entre eux : la refonte du cadre juridique des services financiers de La Poste. Si la création d'une filiale ayant le statut d'établissement de crédit constitue, à mon sens, une évolution essentielle, elle appelle toutefois quelques réflexions. On ne peut que se réjouir de voir La Poste diversifier son offre en matière de services bancaires, car, contrairement à ce qui a été dit, une telle extension de son activité participera sans conteste au maintien de sa présence dans nos communes. Toutefois, avant que, grâce aux agréments que ce projet de loi va lui conférer, La Poste ne puisse devenir une banque à part entière, il est important que l'entreprise conclue un épisode douloureux de son histoire : je pense au litige qui l'a opposée à certains de ses clients, victimes de l'opération « Harpon ».

M. Daniel Paul. En effet !

M. Richard Mallié. En 1999, La Poste a mis sur le marché un nouveau produit baptisé Bénéfic, annonçant qu'il rapporterait 23 % d'intérêts en trois ans, « que l'indice CAC 40 fasse 0 % ou plus ». Ainsi, entre 1999 et 2000, 300 000 français ont souscrit à ce qu'ils estimaient être un placement de père de famille. Le hic, c'est que, bien souvent, ces petits épargnants ignoraient qu'il s'agissait en fait d'un placement boursier, nécessairement soumis à un minimum de risques. Et, en effet, le CAC 40 ayant chuté bien au-delà de 23 %, nombre de souscripteurs ont perdu une partie de leur capital − entre 12 et 50 % selon les cas −, sans comprendre ce qui leur arrivait.

Certes, il semble que les documents fournis aux souscripteurs n'étaient pas trompeurs, mais les petits épargnants ont unanimement crié à la mauvaise information. En effet, la plupart des souscripteurs du plan Bénéfic sont de petites gens, des Français soucieux de faire fructifier une épargne qu'ils ont, bien souvent, constituée par les économies de toute une vie ; ils ne sont donc pas nécessairement experts en pratiques boursières. Ainsi, à Gardanne, un mineur, qui avait vendu un studio pour placer son argent à La Poste, a perdu 50 % de son capital.

Nous ne pourrons nous réjouir pleinement du tournant que l'entreprise aux couleurs jaune et bleu est en train de prendre que si elle accepte la proposition de résolution à l'amiable que lui ont faite, il y a quelques mois, les associations de petits actionnaires. En septembre 2003, une concertation avait en effet été engagée entre La Poste et les petits épargnants. Or, à ce jour, les dossiers sont loin d'avoir été traités dans leur intégralité.

Pourtant, cette question ne doit pas être négligée, car l'avenir de La Poste dépend aussi de la manière dont elle parviendra à régler cette sombre histoire. Si le texte qui nous est soumis aujourd'hui lui donne les moyens juridiques de devenir un établissement bancaire au plein sens du terme, il n'a en revanche pas les moyens de lui garantir un élément essentiel à la prospérité de tout établissement de ce type : la confiance des clients.

Pour terminer, vous me permettrez, monsieur le ministre, de m'interroger sur l'un des chevaux de bataille des agents de La Poste qui, il y a quelques heures, vociféraient tout près d'ici,... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean Auclair. Très bien !

M. André Chassaigne. Un peu de respect ! Ces propos nous rappellent une triste époque !

M. Richard Mallié. ...la défense du service au public. La rigidité dont l'entreprise fait preuve vis-à-vis des collectivités locales va en effet à l'encontre de ce principe qu'elle brandit à tout va. J'ai été maire d'une commune des Bouches-du-Rhône pendant plus de treize ans et, comme nombre de mes collègues ici présents, je sais parfaitement de quoi je parle. Combien de collectivités ont mis à la disposition de La Poste des locaux de qualité que l'entreprise ne daigne même pas entretenir au quotidien ? Combien de maires se sont heurtés, comme moi, au caractère excessivement procédurier et administratif d'une entreprise qui semble avoir définitivement exclu de son éthique la capacité à être ouverte et conciliante, et qui, par un chantage éhonté, impose ses conditions, sans contrepartie en termes de loyer ? La campagne de protestation que mènent actuellement les syndicats, au nom de la défense du service au public, me fait donc doucement sourire.

M. André Chassaigne. Il faut supprimer les syndicats !

M. Jean Auclair. Exactement ! Surtout ceux qui sont démagos, comme la CGT !

M. Richard Mallié. Avant de donner au Gouvernement des leçons politiques et de réclamer de subtiles garanties quant à la défense du service aux personnes, il serait bon que cette entreprise si chère aux Français commence par balayer devant sa porte et fasse preuve de davantage d'ouverture d'esprit vis-à-vis des collectivités locales et du public. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on mesure la cohésion, l'unité et la force d'une société à sa capacité à disposer de biens communs et à exercer sur eux des préférences collectives. Tel est le sens du service public et tel est le sens historique de ce que fut, de ce qu'a été et de ce que ne sera plus La Poste.

Depuis Louis XI, la poste est l'un des instruments par lesquels l'unité française s'est construite. Elle est devenue plus tard l'un des symboles de la présence de la République, de la force du désir de vivre ensemble et de correspondre en paix.

Grâce à l'effort de modernisation accompli par la juste loi de 1990, ce bien commun était une machine performante. Elle s'autofinançait et permettait d'assumer l'égalité des citoyens sur tous les territoires, urbains ou ruraux. Elle ne coûtait pas un franc aux contribuables, mais mutualisait par le tarif du timbre l'effort national que chaque utilisateur du service public accomplissait pour assumer les investissements et les développements futurs.

Aujourd'hui, notre préférence collective, c'est, paraît-il, la concurrence ; notre bien commun, c'est le marché. Mais il m'arrive souvent, en tant que parlementaire et en tant que juriste, de me demander à quoi cela sert. Jusqu'à présent, le secteur était encadré par deux directives : l'une − celle du 15 octobre 1997 − garantissait une forme de maintien étendu du monopole ; l'autre programmait la disparition progressive de tout monopole et l'installation généralisée de la concurrence sur la totalité des activités postales. Un constat s'impose : aucune de ces très grandes mutations, dont on mesure aujourd'hui les conséquences redoutables, n'a fait l'objet d'un véritable débat national.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. C'est vrai !

M. Arnaud Montebourg. Si nous nous étions interrogés sur les conséquences de l'introduction de la concurrence dans l'activité postale européenne pour constituer un marché unique, alors qu'il n'y avait auparavant qu'une juxtaposition de monopoles, les citoyens et leurs représentants auraient pu refuser ou approuver le changement de logiciel en connaissance de cause. Cela n'a pas été le cas.

M. Lionnel Luca. Il fallait le faire quand vous étiez au pouvoir, au lieu de venir, à présent, nous donner des leçons !

M. Jean Auclair. Il a la mémoire courte !

M. Arnaud Montebourg. À travers la désignation de leurs élus locaux, les citoyens peuvent se prononcer sur la privatisation ou l'appropriation publique des services de proximité, tels que la restauration scolaire, les ordures ménagères, l'eau ou l'assainissement, mais ce droit élémentaire leur a été dénié dans le cas des grands services publics nationaux.

Le Parlement n'exerce pas son pouvoir de contrôle avant la signature d'une directive européenne. Je rappelle que, dans peu de temps, nous aurons un débat constitutionnel à ce sujet, et que nous aurons l'occasion d'examiner l'amendement Balladur.

M. Jean Dionis du Séjour. Exactement !

M. Arnaud Montebourg. Le Gouvernement est législateur européen à parité avec le Parlement européen, mais, dans ce dossier comme dans bien d'autres, le législateur national n'a été que l'exécutant de volontés qu'il n'exprime pas, n'assume pas et ne contrôle pas.

M. Lionnel Luca. Vous dites cela pour Jospin ?

M. Jean Auclair. Qui a écrit Au secours ! Lionel revient ! Serait-ce M. Montebourg ?

M. Arnaud Montebourg. En commission, interrogé à plusieurs reprises par les parlementaires de l'opposition, vous avez déclaré, monsieur le ministre, qu'il ne servait à rien de s'opposer aux futurs élargissements de la concurrence en matière postale. Vous avez ainsi dévoilé votre intention de rétrécir de plus en plus le service universel ou les services réservés à l'opérateur historique qu'est La Poste, pour achever l'opération de mise en compétition des opérateurs.

Vous nous avez dit que les bureaux de poste en milieu rural représentent environ 60 % des points de contact, alors qu'ils ne desservent que 18 % de la population, et que les 17 % de bureaux de poste implantés dans les villes en desservent environ 50 %. Toutefois, la fermeture des bureaux de poste dans les campagnes n'entraîne pas l'ouverture de nouveaux bureaux dans les villes. Je peux en témoigner : 120 bureaux de poste sont menacés en Saône-et-Loire, dont 4 à Chalon-sur-Saône, qui est pourtant une agglomération de plus de 100 000 habitants.

Nous connaissons les objectifs que vous avez fixés en fabriquant, avec ce texte, une machine à réduire le champ du service universel, et nous savons où mène cette compétition croissante : à l'augmentation du prix du timbre pour le particulier, à la diminution du coût de la prestation postale pour les grandes entreprises. On assiste bien à un transfert de charges financières des entreprises vers les ménages. C'est d'ailleurs bien typique de la politique fiscale du Gouvernement auquel vous appartenez et qui consiste à décharger le système économique pour charger les ménages, les particuliers ou les toutes petites entreprises qui n'ont que leur travail pour vivre ou survivre.

Les Suédois ont expérimenté, il y a quelques années, une mise en concurrence comparable à celle que vous nous infligez. Ils ont vu, dans une sorte d'expérience in vivo,...

M. Lionnel Luca. In Volvo ? (Rires.)

M. Arnaud Montebourg. ...les résultats de cette politique : explosion du prix du timbre, disparition de la présence postale dans les zones non rentables, déficit chronique frôlant le dépôt de bilan, destruction d'emplois, dégradation manifeste du service rendu à la population, transfert du coût du service des gros clients vers les ménages et les toutes petites entreprises. Les Suédois ont dû faire machine arrière.

L'absence de contrôle démocratique sur l'évolution du service public mène à sa destruction lente, puisque les citoyens sont privés de la possibilité d'exprimer leurs préférences collectives. L'autorité indépendante que vous créez en fournit un très ordinaire exemple, puisqu'elle obtient les pleins pouvoirs en matière de contrôle du service public et de droit de la concurrence. Ainsi, le pouvoir politique se défausse de ses responsabilités en matière de politique tarifaire...

M. Daniel Paul. Exact !

M. Arnaud Montebourg. ...ou de politique d'autorisation des concurrents. Il sera d'ailleurs intéressant de connaître les obligations qui seront de la responsabilité de l'autorité de régulation pour savoir celles qui pèseront sur les concurrents de La Poste. Pourra-t-elle décider de soumettre ces concurrents à des exigences de couverture de l'ensemble du territoire, y compris des zones non rentables ? Composée de pseudo-techniciens sans responsabilités, aura-t-elle des comptes à rendre, et à qui ? Je crois que vous auriez dû politiser − au sens le plus noble du terme − cette instance et la rendre responsable devant le Parlement. En réalité, on ne donne pas cher du service universel. Quelle politique choisira l'autorité de régulation : le grignotage ou la résistance ?

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Arnaud Montebourg. Je termine, monsieur le président.

Un grand économiste disait des membres indépendants de la Banque centrale européenne : « S'ils font bien, tant mieux ; s'ils font mal, nous ne pourrons pas nous en plaindre, car nous n'avons aucun pouvoir sur eux. » Vous créez une autorité du même type. Mais il faudra bien nous répondre et nous dire si ses membres seront solubles dans le libéralisme, favorisant l'accélération de la mise en concurrence...

M. Daniel Paul. Ils sont là pour ça !

M. Arnaud Montebourg. ...ou s'ils seront des agents de résistance à la poussée libérale que nous constatons partout en Europe.

Monsieur le ministre, si le Gouvernement et si l'autorité ne résistent pas, attendez-vous à ce que la société le fasse. Dans deux ans, l'heure des comptes aura sonné. Nous verrons alors ce que cette loi aura laissé derrière elle en passant dans les villes et dans les villages. Si l'autorité de régulation n'est pas responsable de ses choix, vous et chacun de ceux qui auront approuvé ce texte le serez. À bon entendeur, salut ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme je l'avais indiqué en novembre dernier lors de l'examen du budget de l'industrie, de la poste et des télécommunications, le texte que nous examinons aujourd'hui va offrir à La Poste le cadre législatif et les adaptations juridiques dont elle a besoin pour améliorer sa compétitivité et assurer son avenir.

Le secteur postal est en attente de changements législatifs importants qui devraient permettre à La Poste de jouer à armes égales avec ses principaux concurrents européens. Ce projet de loi constitue par conséquent un bon compromis entre la nécessité de transposer une directive, qui date de 1997, et la volonté de maîtriser le processus d'ouverture des marchés postaux.

Je ne me livrerai pas à une analyse détaillée de ce texte − les spécialistes de la question l'ont déjà très bien fait − mais souhaite néanmoins insister sur la question, centrale pour l'élu d'un territoire rural, de l'adaptation du réseau postal et de son accessibilité, bref de la présence indispensable de ce service public de proximité dans nos villages.

La valeur affective qu'attachent les Français au réseau postal n'est plus à démontrer : le facteur n'est-il pas l'une des figures les plus emblématiques de notre pays ? Les élus et la population ont un attachement viscéral à leur bureau de poste, qui est souvent, dans nos territoires ruraux, le dernier service public présent dans la commune après la fermeture de tous les autres.

Le départ du service de proximité qu'est La Poste est toujours difficile à accepter, en particulier pour les personnes âgées. Le facteur représente en effet dans nos campagnes un lien social avec le reste de la société qui est indéniable, pour ne pas dire historique.

Il est vrai que nous ne pouvons plus ignorer les chiffres, mais si la couverture communale paraît surdimensionnée et la répartition sur le territoire ne plus répondre aux besoins, les zones rurales ne doivent pas pour autant être abandonnées. Ce problème du réseau constitue un handicap pour La Poste en termes de compétitivité. C'est la raison pour laquelle, sans réforme de son organisation territoriale, notre opérateur postal serait, à brève échéance, condamné à augmenter ses déficits structurels.

Il convient donc de faire évoluer le réseau afin d'assurer, à une échelle pertinente sur le plan géographique et à un coût raisonnable, un service adapté aux besoins de toutes les populations. L'indispensable compétitivité de La Poste, puisque c'est de cela qu'il s'agit, ne saurait se construire contre l'intérêt de nos territoires et de nos concitoyens.

Nous nous trouvons aujourd'hui face à la nécessité de concilier contraintes financières et solidarité territoriale, développement équilibré du territoire et adaptation aux exigences de la modernité économique. Nous ne le pourrons qu'en faisant preuve de lucidité, mais également d'inventivité avec la création de nouvelles formes de présence postale.

S'agissant du réseau de points de contact, il est indispensable, lorsque le service postal est confié à un buraliste par exemple, de bien peser les avantages et les inconvénients qui en résultent. Il faut en particulier tenir compte, comme l'a indiqué le rapporteur, de la confidentialité des opérations effectuées dans les points poste.

Il est également primordial de gérer cette évolution territoriale avec les élus. En effet, si l'adaptation est indispensable pour améliorer l'accessibilité et l'attractivité du réseau et pour maintenir le lien social en diversifiant les formes de présence postale sur le territoire, elle ne peut se faire qu'en concertation continue avec eux. Dans ma circonscription du nord de la Mayenne, les responsables de La Poste font de leur mieux pour améliorer la communication vers les élus, mais trop nombreux sont encore les maires qui me font part de leurs inquiétudes quant à l'avenir de la présence postale dans leur commune.

L'adaptation du réseau et la régulation des activités postales sont vitales pour l'avenir de La Poste, mais une telle réforme doit être l'occasion pour ce service universel et public de se rapprocher des citoyens : c'est dans son propre intérêt, dans celui de ses clients et de ses employés et, enfin, dans celui des territoires de notre pays, dans toute leur richesse et leur diversité. Tel est, monsieur le ministre, le vœu que je formule à l'aube de cette discussion. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Soulier.

M. Frédéric Soulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la régulation postale est une pièce essentielle du dispositif de rétablissement de la performance de La Poste. Le président Bailly nous a expliqué avec conviction et courage que l'entreprise était face à son avenir de pleine concurrence sur un marché européen qui, lui aussi, s'ouvre de plus en plus. Il a en particulier souligné la nécessité que le législateur lui donne les moyens de sortir d'une stratégie défensive pour passer à l'offensive sur le plan commercial.

Permettez-moi de rappeler que les décisions prises dans les années passées l'ont été sans que l'on ait engagé la moindre réflexion sur l'avenir des services publics en milieu rural. Nous sommes à la fin d'un processus enclenché par le gouvernement précédent - j'y reviens après Jean Auclair car il ne faut pas hésiter à bien le marteler : suppression, par la loi Voynet de 1999, du schéma national d'aménagement du territoire mis en place par la loi Pasqua de février 1995 ; levée, en décembre 1998, du moratoire sur la fermeture des services publics dans les communes de moins de 2000 habitants ; lancement, en avril 2000, de l'opération « Bercy en mouvement » annonçant la fermeture des trésoreries et perceptions rurales ; adoption, en 1997, de la directive postale, dont la transposition est assurée par la loi Voynet de 1999 ; enfin, ratification, en octobre 2001, de l'accord sur la poursuite de la libéralisation du marché intérieur des services postaux.

Ce long processus annonçait le début inéluctable de la modernisation des services publics, laquelle a donc commencé, non pas sur la base de ces actes politiques, mais sur celle de leurs conséquences, qui n'avaient pas été anticipées. C'est donc bien une responsabilité politique qui est la cause du retard de La Poste face à ses concurrents les plus organisés.

En ce qui concerne la problématique des services publics en milieu rural, source d'une très large politisation, La Poste souffre d'un déficit de communication, laquelle aurait sans doute permis de faire taire la désinformation. Ce projet de loi est une pièce essentielle du dispositif de rétablissement de la performance de La Poste et, sans doute, le plus grand chantier de son histoire.

Devons nous craindre la concurrence ? Oui, si nous ne nous préparons pas à la difficile équation de la modernisation du marché postal, entre ouverture croissante du marché et baisse programmée des parts de services réservés.

Comment, mes chers collègues, permettre à La Poste de lutter à armes égales avec ses concurrents sur ces parts de marché concurrentiel de services réservés ? Nous le savons, la modernisation de l'outil de production souffre de nombreux handicaps et le rapport de la Cour des comptes a montré à cet égard que le retard pris par rapport à nos concurrents directs allemands ou hollandais pesait lourdement. En outre, les missions d'intérêt général créent des contraintes fortes dans la gestion du personnel. L'application des 35 heures sans compensation, par exemple, a pesé sur la réduction des plages d'ouverture de certains bureaux ruraux. Enfin, la préservation des activités d'intérêt général ne fait l'objet d'aucune remise en cause, en dépit de la difficulté que suscite leur financement, structurellement déficitaire. Or c'est le réseau urbain qui finance le réseau rural, et l'ouverture du marché, qui toucherait davantage le premier, fragiliserait par voie de conséquence le second.

Pourtant, nos propos sont clairs s'agissant de la présence postale : nous défendons le maintien des activités des 17 000 points postaux, dans un maillage repensé en concertation avec les élus. Le président Bailly s'est engagé dans ce chantier, sans doute le dos au mur, et l'on peut regretter que le gouvernement précédent ne lui ait pas donné plus tôt les moyens de mener ses missions dans de bonnes conditions.

À ce propos, je souligne l'intérêt de l'avenant au contrat de performance et de convergences signé le 13 janvier 2004 entre La Poste et l'État, qui détermine, après avis de la commission supérieure du service public des postes et télécommunication, à laquelle j'appartiens, les ressources et les modalités d'emploi du fond postal national de péréquation territoriale, afin de répondre aux exigences de financement liées au maillage du territoire.

Ce maillage, repensé en concertation avec les élus, doit assurer le maintien des activités dans un réseau de proximité prenant en compte le souci du multiservice, avec une offre postale élargie au service aux personnes. Dans bien des cas, des solutions existent. Les initiatives prises en Corrèze, par exemple, ont permis, avec les maisons du département, de rester auprès de la population, ou de soutenir des commerces de produits de première nécessité, lesquels sont plus importants pour la population qu'une trésorerie dont l'activité n'est parfois même pas d'un acte administratif par jour !

Avec, en outre, son projet de banque postale, ce texte, riche de ses adaptations juridiques indispensables, devrait nous permettre d'offrir à La Poste le cadre législatif dont elle a besoin, tout en lui donnant les moyens d'améliorer sa compétitivité au niveau européen. Il était temps que ces bonnes décisions soient prises, et il est sans doute paradoxal que ce soit notre gouvernement qui vienne sauver l'avenir du service au public et la pérennité de La Poste à la française. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Gautier.

Mme Nathalie Gautier. Monsieur le ministre, votre projet de loi engage La Poste dans une évolution comparable à celle de la poste allemande, transformée depuis 1995 en société anonyme de droit privé bénéficiant d'un statut bancaire complet. Nous ne voulons pas de cette perspective de privatisation totale de La Poste et, plus particulièrement, de ses services financiers.

La création d'une véritable banque postale constitue d'ailleurs l'une des dispositions les plus polémiques de ce texte. Il y a mieux à faire pour les 13 millions de titulaires de comptes courants et les 15 millions de détenteurs d'un livret A ! Il y a mieux à faire au bénéfice du service public !

Ce projet de loi applique une logique strictement financière aux activités bancaires de La Poste, qui, selon nous, doivent rester à 100 % publiques. Si le capital est ouvert à des intérêts privés, comme le texte le permet, le risque est grand d'assister à des dérives telles que l'écrémage des clients au bénéfice des plus aisés. Une telle évolution serait d'autant plus inacceptable que La Poste fournit aujourd'hui un service bancaire unique aux plus démunis.

Nous ne sommes pas opposés à un élargissement de la gamme des services financiers offerts par La Poste. Nous demandons simplement que celle-ci soit étendue non seulement au crédit immobilier sans épargne préalable, mais aussi au crédit à la consommation.

La Poste, en effet, n'est pas une banque comme les autres. Elle est porteuse de certaines valeurs : accessibilité, proximité, simplicité. Elle permet l'accès à toutes les catégories de clientèle au système bancaire. Le livret A et le service des mandats jouent un rôle de porte-monnaie pour les populations défavorisées. Tout doit être fait pour maintenir ce service.

Les encours des services financiers de La Poste sont détenus à 26 % par des clients de plus de soixante-quinze ans et à 49 % par des clients de plus de soixante-cinq ans. La clientèle des comptes chèques postaux comprend 50 % d'inactifs et 40 % d'employés, ouvriers et agriculteurs, pour seulement 5 % de cadres supérieurs. En revanche, la tranche des vingt-cinq à quarante-quatre ans est sous-représentée, car La Poste ne peut leur accorder ni prêt à la consommation, ni prêt immobilier sans épargne préalable. Pourtant, ces clients doivent pouvoir satisfaire leurs besoins financiers tout en bénéficiant de toutes les protections possibles.

Actuellement, le crédit à la consommation est distribué par des acteurs spécialisés, qui représentent plus de 50 % du marché, et par des banques généralistes. Quand mettrez-vous enfin un terme aux abus du crédit revolving assuré par des banques commerciales plus soucieuses de profit que des conséquences en matière de surendettement pour les ménages ?

La Poste pourrait jouer un rôle déterminant grâce à ses missions de service public. La délivrance et le traitement gratuit des chèques, l'obligation de gratuité des retraits, l'obligation de proposer un contrat de base pour un coût modique et la gratuité de la banque à distance, l'obligation de mise en place d'une convention de compte, telles sont les propositions que nous faisons en faveur du service public de La Poste.

De même, il serait indispensable de prévoir dans ce projet de loi des mesures en faveur du financement du tissu économique local, et notamment des PME et des TPE, ce qui permettrait de répondre aux difficultés d'accès au crédit de ces entreprises.

Mais ce ne sont pas les seules lacunes de ce projet de loi. Pourquoi le texte reste-t-il silencieux sur la présence postale dans les ZUS, les zones urbaines sensibles, et sur le travail des professionnels de La Poste œuvrant dans ces secteurs ? Il est pourtant urgent que soit enfin reconnue la difficulté d'exercice des métiers de La Poste dans ces territoires et les spécificités de ce travail. Ainsi, le poids de la circulation fiduciaire est important dans ces bureaux, surtout au moment du versement des prestations sociales.

Voilà notamment ce que les agents ont pu me rappeler lors de mes visites dans les bureaux de poste à Villeurbanne, ma circonscription. La CFDT a mené une enquête auprès des guichetiers durant le premier semestre 2003, dans laquelle il ressort que les relations avec la clientèle sont souvent conflictuelles et que 61 % d'entre eux ne veulent pas rester en ZUS. Les témoignages des agents ont renforcé ma conviction sur le rôle social de La Poste en matière de service public. Venez les voir, monsieur le ministre, écoutez-les.

M. Frédéric Soulier. Il les a vus !

M. le ministre délégué à l'industrie. Il y a longtemps que je les ai rencontrés.

Mme Nathalie Gautier. La Poste doit rester un service public postal pour tous et ses services financiers doivent encore continuer d'améliorer l'accès du plus grand nombre au système bancaire. Comment peut-on croire à l'intérêt d'une privatisation au regard des pratiques actuelles des banques, notamment vis-à-vis des plus démunis ?

Pour terminer, je dirai que la banque postale telle qu'elle est prévue par le projet de loi porte en germe un démantèlement de La Poste, avec, d'un côté, les activités financières, de l'autre, le courrier et les colis. Ma conviction est qu'une véritable banque publique postale ne doit pas être une banque classique supplémentaire mais un outil permettant de lutter contre l'exclusion d'un nombre croissant de nos concitoyens qui ne peuvent accéder aux services bancaires de base, afin d'assurer l'égalité de tous sur l'ensemble du territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La discussion générale est close.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    3

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Aujourd'hui, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, n° 1384, relatif à la régulation des activités postales :

Rapport, n° 1988, de M. Jean Proriol, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 19 janvier 2005, à une heure quarante-cinq.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot