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Première séance du mercredi 2 février 2005

132e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

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RÉFORME DE L'ORGANISATION
DU TEMPS DE TRAVAIL DANS L'ENTREPRISE

Suite de la discussion d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise (nos 2030, 2040).

Hier soir, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

Discussion générale (suite)

M. le président. Je vais d'abord inviter à s'exprimer les porte-parole des groupes.

La parole est à M. Maxime Gremetz, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Maxime Gremetz. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué aux relations du travail, chers collègues, faute de courage politique et pour satisfaire une majorité aux ordres du MEDEF, le Gouvernement a inscrit à l'ordre du jour une proposition de loi visant à assouplir une nouvelle fois la législation sur le temps de travail.

C'est une entreprise politique déconnectée de tout fondement économique. Sinon, vous ne proposeriez pas ces dispositions, après celles de la loi Fillon de janvier 2003. En fait, cette cabale contre les 35 heures ne répond qu'à des exigences idéologiques, et pratiques évidemment pour le MEDEF. La preuve en est ce rapport d'avril 2004 de M. Ollier et de M. Novelli - immense auteur qui n'est pas là ce matin...

M. Patrick Ollier. Je suis là, monsieur Gremetz.

M. Maxime Gremetz. Je parlais de M. Novelli. J'ai débattu avec lui hier matin, mais je constate qu'il n'est pas présent dans l'hémicycle.

M. le président. M. Ollier est présent. M. Novelli et M. Ollier vont ensemble.

M. Maxime Gremetz. M. Novelli a le droit de faire la grasse matinée, ce n'est pas un problème. Il a droit à ses RTT !

M. Patrick Ollier. Il n'est pas correct de mettre en cause M. Novelli comme vous le faites, monsieur Gremetz. Parce que cette nuit, vous n'étiez pas en séance, lui si.

M. Maxime Gremetz. J'étais à Amiens hier soir, mais, à une heure du matin, j'étais revenu, monsieur Ollier.

M. le président. Mes chers collègues, on ne pointe pas à l'entrée de l'hémicycle.

Mais je vois M. Novelli qui arrive...

M. Maxime Gremetz. Très bien ! Je m'étonnais car nous avons débattu tous les deux hier matin au CNIT, à La Défense, au forum des comités d'entreprise.

M. Hervé Novelli. Et nous allons encore débattre aujourd'hui ici même !

M. Maxime Gremetz. Je me souciais de votre santé : je craignais que vous ne soyez malade.

M. Hervé Novelli. Je n'aurais pas voulu manquer votre discours, toujours intéressant pour moi.

M. Maxime Gremetz. Je vous remercie, monsieur Novelli.

Affirmation d'un dogme politique, ce texte ignore aussi bien la forme que le fond.

La forme tout d'abord : alors que vous n'avez cessé de rabâcher que la loi des 35 heures avait été faite sans eux, les partenaires sociaux ont été complètement négligés, comme souvent, et le Conseil d'État a été évité. Vous avez vraiment fait fort !

Le fond ensuite : il n'y a jamais eu d'évaluation rigoureuse des 35 heures et encore moins des assouplissements de la loi Fillon. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier. La mission d'information portait sur l'évaluation ! Si vous y aviez participé, vous sauriez ce qui s'y est passé. Mais on ne vous y a jamais vu !

M. le président. Je vous rappelle, mes chers collègues, que M. Gremetz dispose de quinze minutes. Mais il conviendra d'y ajouter le temps pris par les interruptions.

M. Jean-Claude Sandrier. Très bien, monsieur le président !

M. Maxime Gremetz. Merci, monsieur le président.

M. Patrick Ollier. Je faisais simplement remarquer que nous n'avons jamais vu M. Gremetz au sein de la mission !

M. Maxime Gremetz. Manifestement, mes collègues se sont levés d'un très mauvais pied.

M. Roland Chassain. Et le groupe socialiste, où est-il ?

M. Maxime Gremetz. Moi qui me suis couché à deux heures du matin, je suis de très bonne humeur.

Quelle est la réalité ?

À l'inverse de ce qui a été fait avec les réformes sur les retraites ou l'assurance maladie, l'adoption de la loi sur les 35 heures n'a pas fait l'objet d'évaluation ni d'étude prospective.

Il serait temps de les réformer de nouveau ! Mais force est de constater que votre démarche se garde bien d'avoir une quelconque approche pragmatique et qu'elle relève avant tout de l'idéologie. Ainsi, vous ne touchez pas à la législation sur la définition de la durée du travail et préférez user d'un arsenal de dispositions législatives pour permettre son contournement.

Car, même si vous n'osez pas le dire parce que vous craignez les réactions, ce texte signifie bel et bien la fin des 35 heures. Personne ne s'y trompe d'ailleurs. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Certes, on les laisse inscrites dans la loi, mais elles deviennent virtuelles. Elles ne seront plus une réalité pour les salariés qui en bénéficiaient.

Toujours pour mieux masquer la réalité, plutôt que d'assumer franchement votre volonté car vous savez que vous marchez sur un terrain miné, vous avancez des arguments fallacieux, que l'on pourrait croire de bon sens, pour tenter de justifier le bien-fondé de votre proposition de loi.

Tout d'abord, vous vous défendez de ne pas toucher à la durée légale du temps de travail. Mais, et je viens de commencer de le démontrer, celle-ci n'est plus effective.

Conformément à la promesse faite par Jacques Chirac, vous maintenez « la durée hebdomadaire légale du travail à 35 heures ». Cela signifie seulement que toute heure à partir de la 36e heure doit être payée en heure supplémentaire, c'est-à-dire 25 % de plus, puis 50 %. Or ces heures supplémentaires, le Gouvernement a tout fait pour les rendre moins chères : depuis la loi Fillon du 17 janvier 2003, ce n'est plus le législateur mais la convention, ou l'accord de branche, qui fixe leur taux de rémunération, qui ne doit pas être inférieur à 110 % !

C'est le filon exploité dans les entreprises : profiter du relèvement du nombre d'heures supplémentaires autorisées, moins payées. Ainsi, relever le contingent à 180 heures, contre 130 heures auparavant, je vous le rappelle, chers collègues, revient à faire travailler 39 heures en moyenne par semaine. Relever ce contingent à 220 heures, c'est autoriser le travail à 40 heures hebdomadaires.

M. Gilbert Biessy. C'est un retour à 1936 !

M. Maxime Gremetz. Votre proposition de loi n'est pas la remise en cause des 35 heures, mais des 39 heures acquises en 1982 ! Tel est, pour vous, le sens du progrès, monsieur le ministre.

M. Louis Guédon. Vous ne voulez pas travailler, monsieur Gremetz ?

M. Maxime Gremetz. Cette proposition de loi est véritablement conservatrice - elle est même rétroactivement antisociale - en prévoyant l'allongement de la durée du travail. Cela n'avait pas été fait depuis 1936.

Le deuxième argument avancé pour masquer la réalité des faits est de donner la possibilité aux salariés « de travailler plus pour gagner plus ». Les trois millions et demi de chômeurs apprécieront que l'on veuille faire travailler encore plus ceux qui ont déjà un emploi.

M. Jean Auclair. Les chômeurs ne veulent pas travailler !

M. Gilbert Biessy. Oh !

M. Jean Auclair. Être payés à ne rien faire, voilà ce qui les intéresse ! (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Je vois que vous vous excitez un peu ; c'est la preuve que ce que je dis vous pique. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Mes chers collègues, seul M. Gremetz a la parole.

M. Maxime Gremetz. Je suis pour la liberté de parole, monsieur le président. (Sourires.)

M. le président. Vos collègues du groupe communiste n'ont pas à répondre à leurs collègues du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, et réciproquement.

M. Maxime Gremetz. Moi, j'aime bien les entendre : cela m'enrichit...

M. le président. Poursuivez, monsieur Gremetz.

M. Maxime Gremetz. Vouloir faire travailler plus pour gagner plus est une attention délicate. Encore faudrait-il ne pas oublier qui est à l'origine de la baisse du pouvoir d'achat, qui suscite chez nos concitoyens ce besoin de gagner plus. Il faudrait bien sûr remonter aux effets de la loi de 2000 qui, dans son application, a donné lieu à de multiples SMIC et qui s'est également concrétisée par des accords consacrant le gel des salaires. C'est d'ailleurs l'un des griefs des salariés, et il est justifié, à l'égard des 35 heures.

M. Jean Auclair. Merci Martine Aubry !

M. Maxime Gremetz. Mais cela ne serait pas suffisant.

Permettre que les salariés puissent gagner plus impliquerait de conduire des politiques actives de relance des salaires au lieu d'accumuler les allégements de cotisations patronales sur les bas salaires et de multiplier les contrats précaires à durée déterminée ainsi que les recours aux intérimaires - de ce point de vue, la région picarde est bien placée car elle connaît un taux d'emplois précaires record. Cela n'a d'autres effets que de multiplier le nombre des salariés pauvres. On n'a jamais vu autant de travailleurs pauvres. Une étude montre qu'ils sont aujourd'hui plus d'un million, sans compter les enfants : un million d'enfants pauvres dans ce pays extrêmement riche.

On pourrait aussi permettre aux salariés en contrat temporaire ou partiel et aux sans-emploi d'accéder à des emplois à temps plein normalement rémunérés.

Il ne faut pas oublier non plus les mesures Fillon qui amputent le pouvoir d'achat des salariés jusqu'au 1er juillet 2005 avec le nouveau calcul du SMIC. Pour la première fois depuis 1957, date de la création du SMIG, un gouvernement a remis en cause les modes habituels de revalorisation du taux horaire du SMIC qui est fonction de l'indice des prix, d'une part, et de la moitié de l'augmentation du pouvoir d'achat du salaire horaire mensuel ouvrier de base, d'autre part.

Autre conséquence de la baisse du pouvoir d'achat et des salaires : l'allégement du coût des heures supplémentaires, qui sont payées à partir d'un plancher de majoration de 10 % et non plus de 25 %.

Je ne m'étendrai pas non plus sur l'état de la négociation collective sur les salaires, qui est au point mort alors qu'une négociation annuelle est obligatoire.

Oui, il existe une exigence légitime et forte de vouloir voir le pouvoir d'achat progresser. Les mobilisations de ces derniers jours le montrent. Je vous avais prévenu, monsieur le ministre. Rien n'apparaissait à la surface de l'eau, mais je vous disais de regarder ce qui se passe en dessous. Le mouvement se construit, il a commencé à se manifester. Les Françaises et les Français, les salariés, ne vont pas se laisser faire. On le verra lors de la grande journée d'action des travailleurs du public et du privé, prévue le 5 février prochain.

Et ce n'est pas votre nouvelle notion perverse du « temps choisi » qui affaiblira ces propos. Les femmes salariées connaissent déjà bien la notion de temps choisi qui leur est imposé. En effet, que cache cette idée ? Tout d'abord que le salarié serait maître de son temps de travail. Or c'est complètement faux. À qui voulez-vous faire croire une telle chose ?

Dans un contexte économique et social comme le nôtre, avec une croissance atone et un chômage dramatiquement élevé, avec les pressions qui existent sur l'emploi et les salaires, qui peut croire que le salarié se verrait investi d'un nouveau droit, celui du choix de son temps de travail ? Lisez le code du travail : qui décide le temps de travail, les jours de congé, si ce n'est l'employeur ? Cette idée de « temps choisi » est une supercherie sans nom.

En réalité, grâce à ce dispositif, vous pouvez multiplier le recours aux heures supplémentaires payées au rabais ; vous pouvez également permettre à l'employeur de flirter avec la durée maximale du temps de travail à 48 heures hebdomadaires sur 4 mois ! Et encore, comme certaines organisations syndicales le dénoncent, vous offrez la possibilité au patronat d'anticiper la révision d'une directive européenne poussant encore un peu plus loin les feux de la régression, en portant la durée maximale hebdomadaire à 61 heures ou 48 heures sur 12 mois !

M. Louis Guédon. Vous êtes de Marseille, monsieur Gremetz ?

M. Maxime Gremetz. Voilà le véritable visage de votre « temps choisi » !

Nous reviendrons davantage dans le détail, arguments à l'appui, lors de l'examen des articles et des amendements de fond que nous avons présentés.

Cette proposition de loi doit clore, selon vous, le débat sur les 35 heures. Nous ne le croyons pas, bien au contraire. La roue de l'histoire est ainsi faite : l'aspiration à la réduction du temps de travail est bien réelle. D'ailleurs, 77 % des salariés - cela tombe mal pour vous, mes chers collègues - souhaitent conserver leur temps de travail actuel ! Seulement 18 % d'entre eux souhaitent travailler plus, comme 12 % des cadres.

M. Jean Auclair. Et dans les pays communistes, en Chine par exemple, on travaille combien de temps ?

M. Maxime Gremetz. Vous n'aimez pas entendre ces propos, mais les chiffres sont là : les Françaises et les Français balaient tous vos arguments d'un revers de main.

M. Jean Auclair. Les Chinois ne sont pas communistes sans doute ?

M. Maxime Gremetz. Vous êtes mal réveillé, vous aussi ?

Notre position ne consiste pas seulement à défendre l'existant, mais aussi à porter des exigences plus fortes encore. Nous avons dit en 2000 que la deuxième loi sur la réduction du temps de travail ne nous satisfaisait pas et qu'elle allait devenir une cause de l'échec des 35 heures, car l'on avait cédé à M. Seillière et trop assoupli le texte. D'ailleurs, les patrons, dans le cadre d'un rapport de force qui leur était favorable, au lieu de signer de bons accords, ont imposé la limitation des salaires, voire leur régression, et des conditions de travail insupportables sans pour autant créer des emplois. Cela montre comment une bonne idée, un progrès de civilisation, peut se retourner contre les salariés, alors qu'elle aurait dû être un progrès pour eux. Nous ne souhaitons pas le rétablissement pur et simple de la deuxième loi sur les 35 heures. Nous ne sommes pas des conservateurs,...

M. Louis Guédon. Ah si !

M. Maxime Gremetz. ...car il faut toujours aller de l'avant. Nous souhaitons un projet de réduction du temps de travail renouvelé prenant en compte les erreurs du passé et s'appuyant sur les fondements de la loi de 1998, qui prévoyait non seulement l'obligation d'embauche en fonction de la réduction du temps de travail, mais aussi le suivi démocratique, par les salariés, de l'application des accords. Voilà une bonne loi ! Les premiers accords ont d'ailleurs été passés à la satisfaction à la fois des salariés et des employeurs.

Nous portons donc un projet qui lutte contre l'intensification du travail et l'annualisation, afin de stopper la dégradation des conditions de travail tout en exerçant un appel d'air favorable à l'emploi. Pour cela, il faut s'appuyer sur un axe fort qui lie réduction du temps de travail - et les aides publiques qui l'accompagnent - à l'obligation de création d'emplois stables et correctement rémunérés. Il faut aussi assurer une démocratie dans l'entreprise avec un comité d'entreprise aux pouvoirs rénovés et un droit de suivi pour les salariés des choix stratégiques qui sont faits. Autant de points qui dessinent la réforme à mener en matière de législation sur le temps de travail pour en faire un outil de transformation sociale, et que nous développerons tout au long de la défense de nos amendements. Ces amendements de fond nous permettront d'avoir un vrai débat sur ce que doit être, selon nous, une réorganisation du temps de travail qui va à rebours de ce texte. Certes, celui-ci satisfait momentanément une exigence forte du patronat, mais les mouvements des semaines passées et la mobilisation à venir montrent que vous ne l'emporterez pas seuls contre tous.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Gremetz !

M. Maxime Gremetz. J'avais dit à cette tribune à Mme la ministre Martine Aubry, lorsque nous nous avons voté la première loi sur les 35 heures, que c'était un progrès de civilisation extraordinaire, que cette réforme allait donner lieu à un dialogue social dans les entreprises et permettre un réaménagement pour travailler plus efficacement, pour produire mieux et de façon moins pénible. Les faits ont montré que nous avions raison.

Un collègue UDF me disait hier matin qu'il n'était pas d'accord avec M. Morin, mais que la situation illustrait la diversité de l'UDF.

Comme toujours, on propose, on est à l'avant-garde, mais quand arrive le moment du vote, on doit voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Novelli, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Hervé Novelli. Monsieur le président, mesdames, messieurs, je ne suis pas d'accord avec M. Gremetz, mais je souhaite saluer le combat courageux qu'il mène en Picardie contre la hausse des impôts décidée par la majorité socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Auclair. On va en faire un missionnaire et l'envoyer dans toutes les régions !

M. Hervé Novelli. Permettez-moi tout d'abord de remercier particulièrement M. le ministre délégué aux relations du travail, Gérard Larcher, qui a permis l'inscription, sous l'autorité du Premier ministre et avec l'assentiment du bureau de l'Assemblée nationale, de cette proposition de loi à l'ordre du jour prioritaire.

À un moment où des voix s'élèvent pour regretter l'effacement du Parlement, ce débat montre que, bien au contraire, le travail parlementaire peut trouver un débouché législatif avec, je le reconnais, la bienveillante attention du Gouvernement. Regretter qu'une telle loi puisse être d'origine parlementaire, c'est faire peu de crédit à notre assemblée qui, du côté droit de l'hémicycle en tout cas, s'apprête à prendre ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier. Très bien !

M. Hervé Novelli. Qu'il me soit permis aussi de remercier les cosignataires de la proposition de loi, mes collègues Jean-Michel Dubernard, président éminent et respecté de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, Pierre Morange, rapporteur de notre proposition, et Patrick Ollier, qui fut l'éminent président de la mission d'information sur les conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail, dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur. Je veux remercier également les membres majoritaires de cette mission, car cette proposition de loi vise à parachever un intense travail parlementaire et gouvernemental engagé depuis le début de la législature. Elle se fixe une haute ambition : accroître le pouvoir d'achat des salariés, préoccupation majeure du monde du travail,...

M. Jean Auclair. Très bien !

M. Hervé Novelli. ...assurer le libre choix des salariés de travailler plus pour gagner plus s'ils le souhaitent,...

M. Jean Auclair. Très bien !

M. Hervé Novelli. ...et, enfin, consacrer le rôle de la négociation collective dans le domaine social.

Mme Claude Greff. Parfait !

M. Hervé Novelli. Voilà le cœur de cette proposition de loi dont je vais, dans quelques instants, décrire les principaux aspects. Sans m'attarder sur le rapport de notre mission, je voudrais néanmoins souligner les conséquences qu'a entraînées, pour l'économie et la société française, l'application massive et uniforme à l'ensemble des entreprises des lois Aubry sur la réduction du temps de travail.

J'évoquerai quatre problématiques qui montrent combien les 35 heures ont modifié en profondeur l'ordonnancement économique et social, voire sociétal, de notre pays.

D'abord, comment ne pas s'interroger sur le fait qu'à l'occasion de la réduction du temps de travail, la baisse du nombre des heures travaillées par personne employée ait eu une incidence directe sur le niveau de productivité par tête dont la progression, sur la période 1996-2002, a été moindre que par le passé ?

Mme Claude Greff. C'est une évidence !

M. Hervé Novelli. Lorsque l'on sait que la progression de cette productivité sur une longue période est équivalente au taux de croissance potentiel de notre économie, on voit bien que le potentiel de croissance en est ressorti amoindri.

M. François Huwart. C'est simpliste !

M. Hervé Novelli. Ensuite, comment ne pas constater que le coût financier des 35 heures lié aux allégements de charges sociales sensés compenser pour partie l'augmentation du coût de l'heure travaillée pèse de tout son poids sur le déficit de notre pays et atteindra 15 milliards d'euros en 2005 ?

Mme Claude Greff. Il faut le dire !

M. Hervé Novelli. En outre, comment ne pas s'inquiéter de l'écart entre, d'une part, les grandes entreprises qui ont bénéficié des 35 heures en annualisant et en flexibilisant la durée du travail tout en engrangeant des allégements de charges et, d'autre part, les petites entreprises qui n'ont pas eu les mêmes capacités à amortir ce choc ? (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Vingt et un milliards d'euros de récupération de cotisations patronales !

M. le président. Monsieur Gremetz, vous n'aimez pas que l'on vous interrompe...

M. Maxime Gremetz. Au contraire, j'adore !

M. le président. Alors, n'interrompez pas les autres !

M. Hervé Novelli. L'on peut s'inquiéter aussi de la différence entre, d'une part, les salariés du bas de l'échelle empêchés de travailler plus,...

M. Maxime Gremetz. Oh !

M. Hervé Novelli. ...alors que leur premier souci est bien évidemment d'avoir des rentrées salariales supplémentaires et que la fameuse RTT ne leur offre que peu d'occasions gratifiantes en matière de loisirs compte tenu de la faiblesse de leur pouvoir d'achat (« Très juste ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et, d'autre part, les cadres, premiers bénéficiaires des 35 heures, mais peut-être aussi les premiers atteints par le stress et l'intensité du travail.

Enfin, comment ne pas voir une injustice sociale majeure dans ce que l'on a appelé pudiquement la « modération salariale », modération qui s'est transformée le plus souvent en stagnation ? À structure constante, c'est-à-dire corrigée du passage de 39 à 35 heures, à partir de 2000, le pouvoir d'achat des salariés stagne, voire diminue.

Mme Claude Greff. Exactement !

M. Hervé Novelli. Le pouvoir d'achat des salaires nets a ainsi baissé de 0,2 % en 2000 - c'est un chiffre de INSEE.

M. Maxime Gremetz. Et en ce moment !

M. Hervé Novelli. Un tiers des salariés ont été soumis à un gel de salaire et 14 % à un recul pour une durée pouvant atteindre trois ans.

M. Maxime Gremetz. Nous n'avons pas les mêmes données ! Il y a un dernier sondage ! Parlez-en !

M. Hervé Novelli. Poser ces quatre questions, c'est y répondre ! Oui, il faut modifier profondément la donne, et c'est l'objet de cette proposition de loi.

Je regrette que Martine Aubry ne soit pas là pour nous écouter (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),...

M. Robert Lamy. Les électeurs ont compris

M. Jean Auclair. Où est Mme Aubry ?

M. Hervé Novelli. ...mais je suis très heureux de saluer ici la présence de notre talentueux collègue Sébastien Huygue (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), qui a été membre de la mission et qui nous a apporté son talent et sa jeunesse.

M. Jean Auclair. Les électeurs sont intelligents !

M. Hervé Novelli. Pour répondre prioritairement à la question lancinante du pouvoir d'achat des salariés de ce pays, la proposition de loi comprend plusieurs mesures simples.

Le compte épargne-temps est simplifié ; les salariés pourront facilement transformer leurs jours de repos ou de congés non pris en complément de rémunération. Les seuils rigides qui prévalaient sont assouplis.

Le faible succès du compte épargne-temps provenait de son étonnante complexité et de son caractère peu incitatif. Nous avons remédié à ses principaux défauts.

De même, le régime d'heures choisies au-delà du contingent des heures supplémentaires permettra, à ceux qui le souhaitent, de travailler plus pour gagner plus, car les heures de travail qui pourront s'ajouter aux heures supplémentaires donneront droit à des majorations de salaire.

Ainsi, nous concilions pouvoir d'achat et liberté. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Ainsi, ceux qui veulent travailler plus le pourront.

Les salariés désirent moduler leur temps de travail en fonction de leurs besoins, de leurs obligations familiales.

Mme Claude Greff. Évidemment !

M. Hervé Novelli. Un jeune couple actif sans enfant n'est pas dans la même situation qu'un couple avec deux enfants en bas âge ou qu'un couple dont les enfants sont majeurs et salariés.

Mme Claude Greff. C'est le bon sens !

M. Hervé Novelli. Le législateur n'a pas à fixer une norme unique applicable à tous (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) sans prendre en compte les situations des uns et des autres.

M. Patrick Ollier. Exactement !

M. Hervé Novelli. Toujours afin d'améliorer le pouvoir d'achat et de contribuer à alimenter la croissance, les cadres pourront également renoncer à une partie de leurs jours de repos en contrepartie d'une majoration de salaire.

Mais ce texte s'attache aussi à élargir la liberté de choix du salarié en lui permettant , s'il le souhaite, de travailler plus,...

M. Maxime Gremetz. C'est la liberté du renard dans le poulailler !

M. Hervé Novelli. ...y compris au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires dans la limite des maxima fixés par l'Union Européenne.

On commente depuis deux jours - vous l'avez fait aussi, monsieur Gremetz - l'un des rares sondages à indiquer qu'une très forte majorité de salariés souhaiterait conserver son horaire actuel.

M. Maxime Gremetz. Absolument !

M. Hervé Morin. Comme si les sondages...

M. Hervé Novelli. Passons sur le libellé de la question qui parle d'augmentation du travail sans la lier à une augmentation du salaire, ce qui, vous en conviendrez, rend l'opération peu attractive. Dans ces conditions, il est même étonnant qu'une forte minorité - 18 % des personnes interrogées ! - souhaite travailler davantage. Peut-être celles-là ont-elles mieux perçu que d'autres que leur travail supplémentaire mériterait salaire.

Au nom de quoi, mes chers collègues, empêcherions-nous près d'un salarié sur cinq, d'après un chiffre dont j'ai indiqué le caractère relatif, d'user librement de son choix d'un temps de travail fixé par lui-même et par l'employeur dans le cadre d'un accord collectif, comme nous le proposons dans l'article 2 du texte ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Pour l'instant, c'est un choix, mais les salariés ne le font pas librement ! En outre, pourquoi l'imposerions-nous aux 77% qui ne le souhaitent pas ?

M. Hervé Novelli. L'article 3, quant à lui, proroge pour trois ans le dispositif applicable aux entreprises de moins de vingt salariés en matière de taux de rémunération des heures supplémentaires et d'imputation sur le contingent. Il permet aussi aux salariés d'échanger leurs jours de RTT contre une rémunération, dans la limite de dix jours.

Mais le cœur de la proposition de loi, c'est la foi, notre foi dans de nouvelles relations contractuelles.

M. Maxime Gremetz. L'important, c'est d'en avoir une !

M. Hervé Novelli. En effet, toutes les mesures de cette proposition de loi sont ouvertes à la négociation...

M. Maxime Gremetz. Oh !

M. Hervé Novelli. ...entre partenaires sociaux : réforme des comptes épargne, temps choisi, rachat des congés pour les cadres, régime dérogatoire des petites entreprises.

M. Maxime Gremetz. On sait ce que c'est qu'un accord d'entreprise !

M. Hervé Novelli. Nous ouvrons des portes...

M. Maxime Gremetz. Des portes dérogatoires !

M. le président. Monsieur Gremetz, je vous en prie !

M. Hervé Novelli. Aux partenaires sociaux de continuer !

Pour le régime des heures choisies, un accord collectif de travail définira notamment leur taux de majoration, qui ne peut être inférieur au taux applicable dans l'entreprise ou dans l'établissement pour les heures supplémentaires. Il définira aussi, le cas échéant, les contreparties, notamment en termes de repos. Les limites maximales hebdomadaires de la durée du travail seront naturellement applicables.

M. Maxime Gremetz. À combien s'élèvent-elles ?

M. Hervé Novelli. Quarante-huit heures !

M. Maxime Gremetz. Et voilà !

M. Hervé Novelli. Chez la plupart de nos partenaires, la durée du travail n'est pas fixée par la loi, mais par les partenaires sociaux, dans le cadre de conventions.

M. Jean Auclair. Et en Chine, par le parti communiste ! Il faut le rappeler à Gremetz car il ne s'en souvient pas !

M. Hervé Novelli. Or nul ne peut dire que les Allemands ou les Hollandais soient exploités.

M. Maxime Gremetz. Mais nous ne sommes ni allemands ni hollandais. Chez nous, il y a eu la Révolution et le Front populaire !

M. Hervé Novelli. Si un tel accent est mis sur la négociation collective, c'est parce que je crois qu'il y a aujourd'hui urgence à doter notre pays d'accords collectifs pour laisser toute leur place à la convention et au contrat, et pour faire reculer la loi dans un certain nombre de domaines, dont le domaine social.

M. Maxime Gremetz. Comme dans le modèle Bush !

M. Hervé Novelli. Surtout quand cette loi déresponsabilise les partenaires sociaux,...

Mme Claude Greff. Exactement !

M. Hervé Novelli. ...et infantilise les parlementaires, ces derniers n'ayant d'autres choix que l'approbation tacite d'accords négociés ailleurs ou leur remise en cause, au risque de casser tel ou tel accord.

De ce point de vue, les 35 heures ont servi de révélateur en imposant par la loi des dispositions qui relèvent à l'évidence de la négociation collective.

M. Maxime Gremetz. Vous parlez de négociation collective, mais vous n'avez consulté personne, pas même le Conseil d'État !

M. le président. Monsieur Gremetz, s'il vous plaît !

M. Hervé Novelli. Le code du travail français de 2005 comporte plus de 2 500 pages : 2 500 pages d'articles législatifs et de règlements ! Quand la durée du travail tient sur une page et demi dans le code suédois, il en occupe plusieurs dizaines dans le nôtre. Il n'est pas étonnant que la France soit classée au soixantième rang mondial pour le poids de sa réglementation.

M. Maxime Gremetz. Et aux États-Unis, combien de pages comprend le code du travail ?

M. Hervé Novelli. J'ai parlé de la Suède, monsieur Gremetz !

M. le président. Laissez parler l'orateur !

M. Hervé Novelli. En France, la tradition centralisatrice, la sacralisation de la loi comme expression de la volonté générale et la primauté de l'État comme force normative empêchent le développement d'un espace social autonome ouvert aux partenaires sociaux.

M. Maxime Gremetz. Vous oubliez trois millions et demi de personnes !

M. Hervé Novelli. Reconnaissons du reste que la proportion des salariés de la fonction publique, qui s'élève à près d'un salarié sur cinq, a réduit le champ du contrat et de la négociation.

M. Maxime Gremetz. Ah !

M. Hervé Novelli. Soit dit en passant, l'application des 35 heures dans la fonction publique devra, à terme, être revue, notamment à l'hôpital.

M. François Huwart. Tout y est, vraiment !

M. Hervé Novelli. L'équité le commande ainsi que l'efficacité. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mais à chaque jour suffit sa peine !

Cette déresponsabilisation des partenaires sociaux est, à mon sens, la cause principale du faible taux de syndicalisation observé en France, qui est environ de 5 %, contre 80 % au Danemark.

M. Maxime Gremetz. Bien entendu : au Danemark, la syndicalisation est obligatoire !

M. Hervé Novelli. Pourquoi les partenaires sociaux négocieraient-ils à partir du moment où ils savent que l'État interviendra à un moment ou à un autre ?

M. Maxime Gremetz. N'importe quoi ! C'est un raisonnement absurde !

M. le président. Monsieur Gremetz, ces interruptions deviennent lassantes. Je vous demande de vous taire. Vous avez la possibilité de faire un rappel au règlement, mais pas celle d'interrompre continuellement l'orateur !

M. Maxime Gremetz. Je vais me taire, mais on entend trop de sottises. Je me demande si je ne vais pas quitter l'hémicycle...

M. Patrick Ollier. À la plus grande satisfaction de tout le monde !

M. Pierre Micaux. C'est ça, fous le camp !

M. Hervé Novelli. Pourquoi négocier quand on sait que l'État ou le Gouvernement modifiera demain ce qu'il a fait aujourd'hui ? La loi Aubry II n'a-t-elle pas remis en cause le principe de la négociation ouvert par la loi Aubry I, adoptée quelques mois plus tôt ? Et Martine Aubry n'a-t-elle pas indiqué récemment qu'elle remettrait en cause cette même législation ?

M. Christian Decocq. Bien sûr ! Elle veut reprendre la marche historique ! (Sourires.)

M. Hervé Novelli. En France, la tradition interventionniste de l'État, les coups de force et les allers-retours permanents de la législation ont atrophié la sphère de la négociation et fragilisé l'édifice juridique. Pour définir une jurisprudence, il faut en moyenne un délai de cinq à huit ans, inatteignable en droit français.

M. Maxime Gremetz. Exactement !

M. Hervé Novelli. C'est pourquoi il nous faudra inventer de nouveaux modes de régulation sociale et oser sortir des sentiers battus. Ce n'est pas par les discours ou par les lois que ces nouveaux modes pourront être institués.

M. Maxime Gremetz. Alors pourquoi présenter une proposition de loi ? Il faut vraiment manquer de bon sens !

M. le président. Monsieur Gremetz, si vous voulez sortir, faites-le,...

M. Patrick Ollier. Ne vous gênez pas !

M. Pierre Micaux. Fous le camp !

M. le président. ...mais je vous signale que j'allongerai l'intervention de M. Novelli de trois minutes, parce que vous n'avez pas cessé de l'interrompre.

M. Hervé Novelli. Je suis convaincu que le rôle des acteurs sociaux sur le champ de la négociation et du contrat sera au cœur des débats des prochaines grandes échéances électorales de 2007. (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Maxime Gremetz. Vous ne pensez qu'à cela, monsieur Novelli !

M. Hervé Novelli. La signature par les partenaires sociaux de la « position commune » du 16 juillet 2001 sur le développement de la négociation collective, en vertu de laquelle la loi ne doit fixer que les principes fondamentaux du droit du travail, constitue une voie de réflexion. Cette « position commune » a donné lieu à de nombreuses études positives de la part de tous les spécialistes du droit du travail.

M. Maxime Gremetz. Vraiment ?

M. Hervé Novelli. À côté des domaines législatif et réglementaire, un domaine réservé à la négociation collective et au contrat devra se développer. Il devrait, comme les deux précédents, être constitutionnellement reconnu et protégé.

La Constitution de 1958 a fixé le champ des domaines législatif et réglementaire dans ses articles 34 et 37. Ne devrait-elle pas maintenant fixer le champ de la négociation sociale ? Ne devrait-t-elle pas définir un espace social obéissant à des règles spécifiques ? Ne devrait-elle pas reconnaître l'existence des contrats et des accords à côté des lois et des règlements ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Claude Greff. C'est une question de liberté !

M. Hervé Novelli. Les lois de décentralisation ont accru les pouvoirs et les responsabilités des collectivités locales. Il a fallu, à cet effet, réviser la Constitution. En vertu de quoi refuserait-on une protection constitutionnelle dans le domaine social, qui concerne quinze millions de salariés et, plus globalement, près de vingt millions d'actifs ?

Au nom du principe de subsidiarité, les pouvoirs et les responsabilités des partenaires sociaux à tous les niveaux doivent être garantis. Au nom de la subsidiarité, les accords doivent être conclus au niveau où ils sont les plus efficaces, si possible au niveau de l'entreprise, sinon à celui des branches, puis au niveau interprofessionnel.

M. Maxime Gremetz. Et voilà ! CQFD !

M. Hervé Novelli. Dans une société qui exige du sur-mesure et de la réactivité, les partenaires sociaux, au niveau de l'entreprise ou de la branche, sont mieux placés que le législateur, voire que le Gouvernement, pour appréhender la situation, ainsi que les besoins des salariés et des entreprises. Le législateur n'a pas vocation à tout régir.

M. Christian Decocq. Bien sûr ! Il faut arrêter de légiférer sur tout !

M. Maxime Gremetz. Selon vous, quel est le rôle de l'Union européenne ?

M. Hervé Novelli. Chez nos principaux partenaires, la concertation, le dialogue social et les accords ne sont pas de vains mots. (« Exactement ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

L'intervention du législateur en matière sociale ne contribue pas à le revaloriser car, bien souvent, il est amené à entériner des accords signés par les partenaires sociaux sans avoir la possibilité de les amender. Le Parlement n'a pas vocation à être une chambre d'enregistrement. Personne ne le souhaite, d'ailleurs.

Créer un espace pour la négociation,...

M. Maxime Gremetz. Il est bien temps !

M. Hervé Novelli. ...c'est contribuer à le revaloriser en lui laissant le soin de définir les grandes orientations de la politique sociale.

M. Maxime Gremetz. Les directives européennes, c'est le travail de nuit des femmes !

M. Hervé Novelli. Bien évidemment, il ne s'agit pas de créer un espace sans règle. Il reviendrait au législateur de fixer les principes généraux destinés à garantir le respect des engagements internationaux de la France et les règles relevant de l'intérêt général, comme la durée maximale du travail, le droit aux congés payés ou l'exercice de la liberté syndicale, pour ne citer que ces exemples. Aux juges, il reviendrait de veiller à la légalité des accords, des conventions ou des contrats.

Le domaine social pourrait comporter deux sous-ensembles.

Le premier serait un sous-ensemble des compétences partagées, sur lequel les partenaires sociaux seraient prioritaires dans l'édition de normes. Mais, en cas d'absence d'accord, après un certain délai, l'État pourrait légiférer.

Le second serait celui des compétences exclusives des partenaires sociaux.

M. Maxime Gremetz. Bien sûr ! (Rires.)

M. Hervé Novelli. Mes chers collègues, l'échec des 35 heures prouve qu'il ne faut pas tout attendre d'un État qui éprouve les pires difficultés à se réformer. Les partenaires sociaux, salariés et chefs d'entreprises, sont des acteurs majeurs et responsables. C'est en tout cas notre conviction.

Mme Claude Greff. Oui ! Pensons à la jeunesse !

M. Hervé Novelli. Tel est l'enjeu majeur de cette proposition de loi. Pour demain, c'est-à-dire pour 2007, j'appelle de mes vœux un nouveau contrat social basé sur la primauté de la négociation et du contrat sur la loi.

Mme Hélène Mignon. Oh ! la la !

M. Hervé Novelli. Ce contrat revalorisait le rôle des acteurs sociaux, faisant de notre pays une démocratie adulte et apaisée. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Maxime Gremetz. Vous êtes intéressé par l'échéance de 2007, monsieur Novelli ? Vous devriez vous présenter : vous avez l'envergure d'un candidat !

M. Patrick Ollier. Monsieur le président, il faudrait faire quelque chose pour calmer M. Gremetz !

M. le président. Je ne suis que président de séance, monsieur Ollier.

M. Patrick Ollier. Certes ! Vous n'êtes pas médecin ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Michel Liebgott, pour le groupe socialiste.

M. Michel Liebgott. Monsieur le président, mesdames, messieurs, la teneur de mon intervention sera bien différente de celle que nous venons d'entendre.

Mme Claude Greff. Vraiment ?

M. Michel Liebgott. En effet, le slogan du groupe socialiste n'est pas « travailler plus par obligation », mais « travailler tous et travailler mieux ».

Le Gouvernement prétend s'inscrire dans un mouvement de progrès de la société, dans la perspective de 2007. Notre souci à nous est de préserver les salariés comme nous le faisons depuis des décennies, au nom d'une tradition séculaire qui veut que le temps de travail ne cesse de se réduire.

Depuis la révolution industrielle, il a diminué de moitié, ce qui n'a pas empêché la production par habitant de se multiplier par cinq. C'est là ce que nous appelons le progrès, et non pas le contraire.

De même, il y a deux cents ans - chacun ses références -, on passait 70 % de sa vie à travailler. Il y a un siècle, ce chiffre tombait à 50 %. Aujourd'hui, il est de 20 %. Certains considéreront peut-être que c'est une régression. À nos yeux, il s'agit d'un progrès. En effet, notre philosophie politique, c'est que chacun doit s'accomplir dans son travail pour mieux vivre. La base de cette philosophie est l'homme. Nous ne déciderons jamais de construire un projet à partir du seul intérêt de l'entreprise.

C'est ainsi que les lois Aubry I et II, tout comme les perspectives que nous dessinons peu à peu pour la France de 2007, s'inscriront dans la volonté de donner à tous un travail payé aussi bien, sinon mieux.

Comment y parvenir ?

M. Jean Auclair. Bonne question ! J'attends la suite ! Ça va être quelque chose !

M. Michel Liebgott. Par une politique volontariste différente de celles qui ont été menées pendant des décennies. Soit dit en passant, les lois Aubry sont intervenues parce que toutes les autres politiques étaient inopérantes. Elles ont été à l'origine d'une partie des deux millions d'emplois qui ont été créés entre 1997 et 2002.

M. Jean Auclair. Vous pouvez retirer un zéro à votre chiffre !

M. Michel Liebgott. Certes, le Gouvernement, très sélectif en la matière, ne reconnaît pas cet héritage. Mais le fait est que 330 000 entreprises ont passé des accords dont bénéficient aujourd'hui 10 millions de salariés, soit 68 % d'entre eux. Pour notre part, nous souhaiterions qu'il y en ait plus, mais telle n'est pas la volonté du Gouvernement aujourd'hui, loin s'en faut.

Quoi qu'il en soit, nous constatons non seulement à travers les sondages, mais aussi à travers les contacts que nous avons pris avec les syndicats, que, si près de 80 % des gens souhaitent ne pas augmenter leur temps de travail, seuls 68 % des salariés accomplissent le temps de travail légal, qui est de 35 heures. C'est dire qu'il y a encore de la marge et que beaucoup veulent rejoindre la cohorte de ceux qui travaillent moins et mieux.

Car aujourd'hui, et depuis la révolution industrielle, ce sont avant tout les gains de productivité qui aident à produire plus et mieux, et non le nombre d'heures travaillées, qui représente une simple variable d'ajustement.

M. Louis Giscard d'Estaing. Comment peut-on tenir de tels propos ? C'est incroyable !

M. Michel Liebgott. Nous voulons une autre politique que la vôtre, dont le mot d'ordre pourrait être le célèbre « Enrichissez-vous » de Guizot (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), car vous ne vous êtes pas tellement renouvelés. Enrichissez-vous si vous en avez les moyens ! Sinon, vivez dans la misère ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

En réalité, vous êtes sur une voie de garage. Depuis un peu plus de deux ans, le nombre des chômeurs de catégorie 1 a augmenté de 185 000, celui des demandeurs d'emploi de moins de vingt-cinq ans - dont on parle beaucoup et qu'il faudrait sauver - de 45 000 ; les chômeurs de longue durée, qui vivent un véritable drame, ne sont pas loin de 100 000 et le nombre des RMIstes a augmenté de 250 000. Voilà votre bilan !

Aujourd'hui, vous êtes bien ennuyés. En effet, le nombre des départs à la retraite est actuellement supérieur à celui des personnes qui arrivent sur le marché de l'emploi. Mathématiquement, le chômage devrait donc baisser. Or il ne baisse pas.

M. Patrick Ollier. Malgré les 35 heures !

M. Michel Liebgott. Vous essayez donc de trouver des parades. Ainsi, vous réinventez des emplois aidés que vous aviez pourtant supprimés, sans vraiment indiquer la manière dont ils seront financés et dont vous gérerez la transition.

La loi pour la cohésion sociale fait figure de session de rattrapage, mais elle ne suffira pas à sauver votre majorité. Il vous faut donc trouver autre chose, qui touche à la noblesse de la fonction politique : agir sur l'économique. En effet, à défaut d'être des spécialistes du social et de l'humanisme, vous êtes des spécialistes de l'économie et de l'entreprise. (« Oh ! la la ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Pour autant, vous ne pouviez choisir pire bouc émissaire en vous attaquant au temps de travail. En effet, si le coût du salaire annuel ou horaire a augmenté de 4 à 5 % en raison de la réduction du temps de travail, cette augmentation a été compensée par des gains de productivité - 2 % -, par un allégement des charges, dont vous ne parlez pas, et par la modération salariale pour 1 %.

M. Xavier de Roux. Qui a allégé les charges ?

M. Michel Liebgott. Vous les avez allégées également, mais sans compensation ni obligation de créer des emplois. C'est toute la différence entre nos modèles économiques !

M. Jean Auclair. Qui paie ?

M. Michel Liebgott. Sur la forme, M. le président de la commission des affaires culturelles a regretté que nous n'ayons pas participé à ce que nous considérons comme une dictée obligatoire, une mascarade. Nous ne voulons pas graver nos noms au bas d'un parchemin, comme le disait Brassens, un parchemin honteux qui revient sur cent ans de progrès social...

M. Jacques Briat. Au moins !

M. Michel Liebgott. ...et de réduction du temps de travail.

Au printemps dernier, les Français ont démontré qu'ils ne voulaient plus se saouler au cru Raffarin,...

M. Jean Auclair. Et le cru Aubry, et le cru Jospin ? Vous avez la mémoire courte !

M. Michel Liebgott. ...en particulier celui de 2005, labellisé « Président de la République » et « président de l'UMP ».

Pourquoi avoir choisi une proposition de loi alors qu'une disposition réglementaire aurait suffi pour porter le nombre des heures supplémentaires de 180 à 220 ? Tout simplement parce que le Premier ministre ne pouvait pas faire autrement : une disposition législative était nécessaire. J'ai bien compris, monsieur Novelli, que, selon vous, le législateur pourrait quasiment disparaître. Il suffirait de siéger un ou deux mois, le temps de fixer un cadre, et de laisser faire les entreprises et les partenaires sociaux. Eh bien, ce n'est pas notre conception du rôle du législateur ! Nous estimons que nous sommes les garants permanents de la liberté et de l'égalité entre les uns et les autres.

Il est vrai que vous subissez des pressions incontestables, le président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, n'ayant pas hésité à dire que les fonctionnaires devaient aussi travailler plus. Ainsi, votre programme est très clair : vous dites aux salariés du privé que, de toute façon, ils ne gagneront pas davantage, à moins que, un jour ou l'autre, dans le cadre d'une négociation - dans laquelle le rapport de force est évidemment inégal -, leurs employeurs ne leur consentent une augmentation de salaire. Quant au président de l'UMP, il fait encore mieux, puisqu'il ajoute que les fonctionnaires non plus ne gagneront pas un centime de plus mais qu'ils devront, comme dans le privé, travailler davantage ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Domergue. Ce n'est pas vrai ! Il n'a jamais dit cela !

M. Xavier de Roux. Caricature !

M. Michel Liebgott. J'ajoute que l'on demande aux fonctionnaires de travailler plus tout en supprimant un certain nombre de services publics, ce qui est assez contradictoire.

Voilà votre projet ! Et si vous avez choisi une proposition de loi, c'est parce que ce n'est pas seulement celui du Gouvernement, mais aussi celui de l'UMP. Ce projet de casse sociale et de régression sociale que vous nous préparez pour 2007 est bien pire que celui que nous subissons depuis bientôt trois ans. Cela, nous l'avons compris, tout comme les syndicats, ceux que vous n'avez pas auditionnés parce que vous avez choisi de leur échapper habilement, en préférant une proposition de loi plutôt qu'un projet de loi.

M. Patrick Ollier. C'est scandaleux : nous avons auditionné tout le monde !

M. Michel Liebgott. Selon Bernard Thibault, le MEDEF a sans doute raison de considérer que cette loi est une bonne chose, même si la durée légale du travail demeure 35 heures, puisque celle-ci ne sera pas appliquée. En clair, on crée toutes les conditions pour que, dans ce pays, les lois ne soient pas la règle normale. Ainsi que M. Novelli vient de le dire, le contrat peut s'étendre à l'ensemble du code du travail. En matière sociale, la négociation contractuelle doit se faire au détriment de la loi.

M. Xavier de Roux. Absolument !

M. Michel Liebgott. Voilà ce que souhaite la majorité ! Nous, nous voulons que le Parlement continue de jouer son rôle de protecteur des citoyens et des salariés et que la situation ne se dégrade pas davantage. Trois ans de diminution des droits sociaux et de stabilisation, après une augmentation du chômage,...

M. Jean-Marie Geveaux. Et l'augmentation du SMIC ?

M. Michel Liebgott. ...ce n'est pas notre perspective pour les années qui viennent.

En situation d'échec total, que pouvez-vous nous proposer ? Des réformes ultralibérales...

M. Jacques Domergue. Vous ne savez pas ce qu'est le libéralisme !

M. Michel Liebgott. ...qui, discrètes au début de votre mandat, apparaissent au grand jour à l'approche de l'échéance présidentielle, notamment à travers la création de fonds de pension, les fameux PERCO. Vous avez même réussi à modifier la jurisprudence « Samaritaine », alors que l'on avait cru comprendre, messieurs les ministres, que cette réforme du licenciement économique était inamendable.

Bravo, monsieur Novelli ! Vous avez gagné, vos idées progressent au détriment des Français, au détriment de la France qui travaille et au bénéfice de celle qui impose le travail obligatoire aux salariés.

Quand tout cela cessera-t-il ? On peut craindre que ce ne soit pas avant deux ans. Oui, vous avez des convictions libérales. Vous monétarisez même les congés et les repos compensateurs, et vous allez jusqu'à remettre en cause la durée légale du travail en imposant le temps choisi et en faisant en sorte que les heures supplémentaires soient payées le moins cher possible.

La loi Fillon n'a pas rencontré le succès escompté. En effet, peu d'accords ont été conclus, contrairement à ce qui s'était passé avec les lois Aubry. Aussi allez-vous imposer, dans les entreprises, de plus en plus d'heures supplémentaires et de moins en moins d'embauches.

M. Patrick Ollier. Avec vous, il n'y a ni embauches, ni heures supplémentaires !

M. Michel Liebgott. La preuve en est donnée par Arcelor, un exemple parmi d'autres - et ce sera ma conclusion. Aujourd'hui, cette entreprise pourrait produire plus, car on manque d'acier dans le monde. Or elle préfère allonger la durée du travail de certains salariés, moduler la RTT en fonction des périodes d'activité, plutôt que d'embaucher. Les syndicats sont obligés de prendre acte de la reconduction de l'accord précédent, car ils craignent que ce ne soit encore pire demain avec la négociation directe entre le salarié et l'employeur que vous préconisez et comptez appliquer dans les deux ou trois années qui viennent à l'ensemble du territoire.

Le pire est à venir ! Vous êtes pour la liberté d'entreprise de ceux qui sont en place et ne peuvent que s'enrichir. Nous, nous sommes pour la liberté de l'homme dans une société de progrès où l'on puisse travailler plus si on le souhaite vraiment, travailler mieux, et où tout le monde travaille. Nous ne voulons pas d'une société où n'aura accès à l'emploi qu'une minorité choisie au sein d'une petite cellule, où tout se décidera dans un rapport de force inégal entre le salarié et le patron. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Mes chers collègues, j'attire votre attention sur le fait que, si vous dépassez tous votre temps de parole, vous risquez de remettre en cause l'intervention d'orateurs de votre groupe ou la défense de la motion de renvoi en commission.

M. Maxime Gremetz. Je suis le seul à avoir respecté mon temps de parole !

M. le président. N'en rajoutez pas, monsieur Gremetz.

Je serai particulièrement indulgent avec l'ensemble des intervenants, mais si tous les orateurs inscrits ne peuvent s'exprimer avant la fin de la séance, il ne faudra pas me le reprocher.

Rappel au règlement

M. Maxime Gremetz. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz, pour un rappel au règlement.

M. Maxime Gremetz. Il s'agit d'une discrimination intolérable, monsieur le président. J'ai respecté mon temps de parole à la seconde près.

M. le président. C'est faux !

M. Maxime Gremetz. Vous n'avez même pas décompté les interruptions nombreuses et intempestives des groupes de la majorité. Et vous dites que vous serez indulgent, alors que la plupart des orateurs encore inscrits appartiennent à la majorité. M. Debré n'accepterait jamais une chose pareille (Sourires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et vous feriez bien de prendre exemple sur lui !

Dans ces conditions, je demande une suspension de séance.

M. le président. Non, monsieur Gremetz.

M. Maxime Gremetz. Le règlement ne vous permet pas de me la refuser ! Elle est de droit !

M. le président. Monsieur Gremetz, votre rappel au règlement n'en était pas un. J'ai indiqué que j'avais donné la parole aux orateurs principaux avec une mansuétude toute particulière, mais que, si les autres orateurs dépassaient leur temps de parole, la dernière motion de procédure, déposée par le groupe communiste, risquait de ne pas pouvoir être défendue lors de cette séance. Alors, ne me reprochez pas d'être particulièrement attentif au temps de parole de ma collègue de La Courneuve, Mme Jacquaint.

Cela dit, je vous accorde la suspension de séance que vous m'avez demandée, mais seulement pour trois minutes.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures vingt-six, est reprise à dix heures vingt-neuf.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous allons continuer d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Hervé Morin, pour le groupe UDF.

M. Hervé Morin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est un sujet difficile que celui des 35 heures, d'autant plus qu'il est aujourd'hui abordé de façon plus idéologique que pragmatique. Comme on le voit depuis hier, les intervenants dans notre discussion ne quittent pas le registre de la posture. Quel constat peut-on faire trois ans après la mise en œuvre de la réduction du temps de travail ?

D'abord qu'il s'agit d'une erreur. J'ai eu l'occasion, comme plusieurs membres du groupe UDF, de le dire à de multiples reprises : lors des débats dans cet hémicycle à l'occasion de l'examen des lois Aubry, mais aussi depuis 2002 pour appeler le Gouvernement au courage sur cette question.

Les 35 heures sont sans aucun doute une lourde erreur que la France et les Français paieront longtemps. C'est en premier lieu une erreur économique. Dans une économie mondialisée et de plus en plus concurrentielle, la durée du travail est un facteur de compétitivité. Il n'est bien entendu pas le seul, ni même le premier. Jamais nous ne pourrons rivaliser avec les pays émergents et ce n'est d'ailleurs pas souhaitable. Notre compétitivité passe avant tout par la qualité de nos produits, l'intelligence, la valeur ajoutée que nous y incorporons, l'innovation, bref, tout ce qui a trait à la qualité plutôt qu'à la quantité. Mais notre pays doit tout de même se situer à un niveau comparable aux pays développés qui sont sur les mêmes créneaux que nous et qui, malheureusement, investissent souvent plus que nous dans la recherche, dans l'innovation et dans la formation, notamment supérieure.

Selon l'OCDE, nous sommes avec l'Allemagne le pays dont la durée annuelle de travail est la plus courte - environ 1 500 heures. Le rapport Camdessus apporte un éclairage encore plus cruel sur ce point : la durée de travail annuelle par personne en âge de travailler est la plus faible de l'OCDE, à l'exception de l'Italie dont on sait que les chiffres officiels ne représentent pas la durée réelle du travail compte tenu de l'importance de l'économie souterraine.

M. Hervé Novelli. C'est vrai !

M. Hervé Morin. Nous en sommes à 900 heures par an par personne en âge de travailler, là où le Canada en est à près de 1 200 heures. Bien entendu, ce dernier rang des pays de l'OCDE est lié à notre niveau de chômage et aux taux d'activité extrêmement faibles des moins de 25 ans et de plus de 50 ans, mais la réduction autoritaire du temps de travail telle qu'elle a été décidée par les lois Aubry a aggravé sérieusement la situation.

Les 35 heures ont également constitué une erreur financière. En effet, cette mesure coûte à notre pays quelque 20 milliards d'euros par an si on ajoute aux réductions de charges accordées aux entreprises lors de la réduction du temps de travail, le coût de la réduction du temps de travail pour l'ensemble des administrations publiques. Les maires, les présidents de conseils généraux et d'établissements publics de coopération intercommunale présents dans cet hémicycle savent à quel point la réduction du temps de travail a eu un impact direct négatif sur le budget de fonctionnement de nos collectivités locales.

M. Nicolas Perruchot. Tout à fait !

M. Hervé Morin. Dans une période où nos finances publiques sont dans le rouge, n'y avait-il pas d'autres priorités que de consacrer autant d'argent au financement du non-travail ? Quand on constate quelles difficultés notre pays éprouve à dégager un peu d'argent pour le handicap ou pour la recherche, on se dit que des sommes aussi importantes auraient pu servir à d'autres causes que le non-travail : préparer l'avenir dans les universités ou dans la recherche, par exemple.

Plus grave encore, il s'agit d'une erreur sociale - au moins en partie, je le concède.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est vrai !

M. Hervé Morin. Dire que les 35 heures, que personne ne demandait, n'ont pas permis à une partie de nos compatriotes de vivre mieux ou de vivre différemment serait mentir. Sans aucun doute, pour nombre de parents voulant s'occuper de leurs enfants, ou pour nombre de salariés ayant des niveaux de rémunération correct ou élevé, sont-elles apparues comme une aubaine.

Cependant, cette réforme a un coût social élevé, notamment pour celles et ceux qui se situent en bas de l'échelle des salaires. Personne ne saurait contester que, pour amortir le choc des 35 heures, il a été procédé à un blocage des salaires dont ont souffert ceux qui gagnaient le moins.

M. Hervé Novelli. C'est vrai !

M. Hervé Morin. Ce blocage des salaires a indéniablement entraîné une perte du pouvoir d'achat - car on sait que les indices des prix ne reflètent pas la réalité.

Personne ne saurait contester non plus que les 35 heures ont provoqué de vastes négociations dans les entreprises, introduisant modulation et annualisation - on peut y voir un élément favorable, à savoir une flexibilité accrue - qui ont conduit à une raréfaction considérable des heures supplémentaires, lesquelles permettaient d'améliorer les fins de mois, et créé des horaires décalés non sans inconvénients pour nombre de familles.

Enfin, personne ne saurait contester que les 35 heures ont globalement dégradé les conditions de travail en augmentant l'intensité du travail et le stress au travail - ce que nos compatriotes traduisent par l'expression « on nous demande de faire en 35 heures ce que nous faisions en 39 ». (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je suis profondément convaincu que les 35 heures sont avant tout une loi pour les riches, du moins pour les classes sociales favorisées,...

M. Louis Giscard d'Estaing. C'est vrai !

M. Hervé Morin. ...une loi pour celles et ceux dont la première des préoccupations n'est pas le pouvoir d'achat.

Mme Anne-Marie Comparini. Pour les « bobos » !

M. Hervé Morin. Elle est formidable pour les cadres ou les couples percevant deux salaires convenables, qui peuvent ainsi partir davantage en week-end, mais elle a eu des effets beaucoup plus contrastés, voire très clairement négatifs, pour une partie de nos compatriotes, notamment pour ceux dont les revenus avoisinent le SMIC.

Mme Anne-Marie Comparini. Très bien !

M. Hervé Morin. Enfin, quatrième et dernière erreur - selon moi la plus grave - : il s'est agi d'une erreur culturelle.

En effet, les 35 heures ont largement contribué à répandre l'idée que le travail n'était pas une fin en soi, que l'épanouissement des individus passait d'abord par le loisir, comme si le travail était par définition un facteur d'asservissement et qu'il ne pouvait pas être un facteur d'épanouissement. Je ne dis pas que le travail soit à coup sûr un facteur d'épanouissement, surtout quand on est sur une chaîne de production à répéter inlassablement et mécaniquement une tâche qui fait peu appel à l'intelligence, à l'image de Charlot dans Les Temps modernes. Mais le travail n'est ni une corvée ni une servitude et il est dans tous les cas un facteur d'accomplissement, un moyen de trouver sa place dans la société. Enfin, il est pour beaucoup d'entre nous facteur de plaisir, de joie et d'épanouissement.

M. Nicolas Perruchot. Très bien !

M. Hervé Morin. J'ai, durant ces quinze derniers jours, consulté bon nombre de directeurs de ressources humaines et d'avocats en droit social qui sont au chevet quotidien des entreprises, de patrons et de représentants des salariés. Tous estiment que la réduction du temps de travail a provoqué une vraie rupture culturelle, manifeste chez nombre de nos compatriotes - en particulier chez les jeunes cadres - pour qui le travail n'est plus une priorité.

Les 35 heures n'en sont probablement pas la seule cause. Le fait, par exemple, que ces personnes aient vu leurs aînés se faire « jeter » comme des malpropres par leur entreprise une fois la cinquantaine passée a également dû y contribuer. Mais de toutes les auditions auxquelles j'ai pu procéder - en particulier avec les DRH, très bien placés pour jouer le rôle d'observateurs - je retiens que nos compatriotes sont atteints par un sentiment croissant de résignation. C'est un peu comme s'il y avait un ressort cassé, comme si on ne croyait plus que les efforts faits individuellement ou collectivement dans l'entreprise aient vocation à être récompensés et à vous garantir l'emploi dans les années futures. Il y a quelque chose de déglingué, comme si demain devait à coup sûr être moins bon qu'aujourd'hui et qu'aujourd'hui est moins bon qu'hier.

Il suffit de constater à quel point la plupart des mesures proposées dans un plan de sauvegarde de l'emploi - puisque tel est le nom désormais du plan social - ont peu de succès auprès des salariés. Ainsi, propositions de reclassement, de mutation, plans de formation, sont en général délaissés au profit du versement d'une indemnité de licenciement. Il serait intéressant de connaître les chiffres du ministère du travail, mais il me semble que les plans de formation et de reclassement ne sont en général choisis que par 10 à 15 % des salariés touchés par un plan social. Cela montre bien qu'on a du mal à croire aujourd'hui à l'avenir de son entreprise ou de son emploi et qu'un certain nombre de nos compatriotes préfèrent le non-travail. Il faudra pourtant bien, mes chers collègues, mettre un jour ceux-ci face à leurs responsabilités, car l'équation est malheureusement imparable : on ne peut pas travailler moins que les autres salariés des pays occidentaux et avoir une fiche de paie égale ou plus importante.

Peut-on ouvrir un grand débat national sur ce thème lors de l'examen de la proposition de loi dont nous discutons ? Certainement pas. Mais, comme la question des retraites était une évidence en 2002 parce qu'elle était au cœur des débats politiques, la question de la place du travail dans notre société devra être au cœur de la prochaine campagne présidentielle (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française)...

M. Hervé Novelli. Très bien !

M. Hervé Morin. ...puisque c'est à ce moment que de tels débats peuvent avoir lieu. Il faudra alors dire clairement à nos compatriotes qu'il ne peut y avoir de progrès social, qu'il ne peut y avoir de mécanisme de solidarité efficace s'il n'y a pas d'abord production de richesses et de valeur ajoutée ; qu'il ne peut y avoir d'augmentation sensible du pouvoir d'achat comme les Français l'ont connu durant les Trente glorieuses si les salariés français ne font pas les mêmes efforts que leurs homologues occidentaux. Il y a une contradiction, qu'il faudrait être schizophrène pour s'obstiner à ignorer : celle entre l'augmentation du pouvoir d'achat, réclamée par tous, et les jours de congés supplémentaires, également réclamés.

Dans ce cadre général, la proposition de loi de nos collègues ne bouleversera pas les choses. Elle ne mérite ni les anathèmes de gauche, ni les excès de louanges de droite. Elle introduira un peu de souplesse, un moyen supplémentaire pour les salariés qui le souhaitent de travailler plus, donc de gagner plus. Mais de toute évidence, c'est plutôt une prise de conscience collective de nos compatriotes qui permettra d'améliorer réellement les choses.

Les propositions de l'UDF en 2002 étaient une bonne piste et nous pensons qu'elles le sont toujours : maintenir à 35 heures la durée légale du travail, rémunérer à 125 % les heures supplémentaires entre 35 et 39 heures, et exonérer les charges sociales à due proportion pour les entreprises. On récompenserait ainsi sans mécanisme compliqué et conditionné à d'hypothétiques accords celles et ceux qui veulent travailler plus, sans que cela coûte plus cher à l'entreprise, et on permettrait à celles et ceux qui le souhaitent d'augmenter leur pouvoir d'achat.

L'assouplissement du compte épargne-temps, peu utilisé comme l'a souligné Hervé Novelli et, lorsqu'il est en place dans le cadre d'accords de branche ou d'entreprises, peu alimenté, est certes bienvenu, de même que la création du régime des heures choisies.

Faut-il pour autant que des négociations entre les partenaires sociaux s'ouvrent ? Ces assouplissements ne peuvent-ils voir le jour que si syndicats et entreprises sont prêts à en discuter ? Sachant les difficultés qu'ont connues les syndicats qui se sont engagés dans l'accord sur les retraites, par exemple, on imagine mal aujourd'hui les grandes centrales syndicales françaises se dire prêtes à négocier aujourd'hui sur ce sujet. Je ne suis pas convaincu non plus que les entreprises soient disposées à remettre sur la table leurs accords de 35 heures, compte tenu des risques que cela comporte sur leur équilibre social et économique global.

Par ailleurs, peu de PME - où la souplesse serait la plus utile - ont mis en place un compte épargne-temps. Enfin, pour les entreprises qui ont passé des accords d'annualisation ou de modulation du temps de travail - soit une sur quatre - le compte épargne-temps ou les heures choisies sont quasi inutiles parce que, de facto, il n'y a quasiment plus d'heures supplémentaires.

Enfin, la proposition de loi prolonge de trois années le régime des heures supplémentaires pour les salariés des entreprises comptant moins de vingt salariés. Est-ce juste ? Nous ne le croyons pas. Certes, nous comprenons bien la logique économique qui sous-tend cette décision. Mais cette prolongation, introduite par les lois Aubry, nous met mal à l'aise. Déjà que les salariés de ces entreprises de moins de vingt salariés n'ont souvent pas d'avantages sociaux, comme ceux qui bénéficient d'un comité d'entreprise, et qu'ils ont très rarement accès à des éléments complémentaires au salaire, comme un régime de prévoyance, leurs heures supplémentaires sont, en outre, moins bien payées - 10 % et non pas 25 % de majoration.

Ce système, mes chers collègues, n'est pas juste. Je demande donc au Gouvernement de réfléchir à un dispositif permettant d'appliquer le même niveau de bonification aux entreprises, qu'elles comptent moins ou plus de vingt salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Pendant les navettes entre l'Assemblée nationale et le Sénat, on devrait pouvoir trouver un système qui ne pénalise pas les entreprises et qui permette aux salariés de bénéficier d'une bonification de 25 %.

Dans le cadre d'un de nos amendements, nous allons, quant à nous, proposer un dispositif d'exonération de charges sociales supplémentaires pour les entreprises de moins de vingt salariés car c'est là que l'assouplissement du régime des heures supplémentaires sera le plus bénéfique. Comment voulez-vous que les salariés concernés soient motivés pour faire des heures supplémentaires si celles-ci sont simplement payées 10 % de plus ?

M. Gérard Bapt. Cela ira à la CADES !

M. Hervé Morin. En conclusion, je dirai que le groupe UDF votera les dispositions qui sont dans ce texte, à l'exception de l'article 3, pour saluer les quelques assouplissements supplémentaires qui sont accordés mais sans se faire d'illusion excessive sur sa portée économique et sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux relations du travail.

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail. Monsieur le président, mesdames, messieurs, après avoir entendu les porte-parole des quatre groupes, je souhaiterais apporter quelques éléments de réponse.

Je commencerai par revenir sur les propos du président Morin portant sur le pouvoir d'achat. Reprenant un sondage beaucoup utilisé depuis dimanche sur la préférence des salariés en matière de temps de travail, je veux souligner que plus de trois millions de salariés ont déclaré vouloir travailler plus, et plus précisément un ouvrier sur quatre. De fait, il s'agit de la catégorie dont le pouvoir d'achat a été le plus amputé par les 35 heures, cette espèce de carcan imposé par la loi.

À la suite de la décision du Premier ministre prise dans le cadre du contrat France 2005, nous avons reçu de nombreux courriers émanant notamment de salariés du bâtiment et des travaux publics. Et si je devais, moi aussi, apporter un témoignage, je citerai celui de cet homme, dont le salaire avait été amputé de 160 euros après le vote de la loi sur les 35 heures, et qui me dit aujourd'hui espérer à nouveau pouvoir acheter le pavillon dont sa femme et lui rêvent depuis longtemps. Voilà un exemple très concret !

Par ailleurs, M. Liebgott et M. Novelli - je regrette que M. Gremetz se soit absenté - ont souligné la grande diversité des entreprises. Le rapport de la commission nationale de la négociation collective fait effectivement apparaître cette diversité. Ainsi, en 2003, plus de 29 % des salariés des très petites entreprises ont dépassé les 130 heures pour répondre aux nécessités. Bien sûr, dans les entreprises de plus de 1 000 salariés, l'organisation de l'annualisation et de la flexibilité, associée à des mesures de financement, a permis de faire face dans des conditions différentes. Mais aujourd'hui, la réalité économique dans notre pays, ce sont bien ces cinq millions de salariés travaillant dans de très petites entreprises et représentant le tiers des salariés français.

Voilà pourquoi nous devons, de manière très pragmatique, prévoir des réponses adaptées à la réalité des branches et des entreprises.

M. Novelli a également évoqué l'équilibre entre la loi et l'accord. C'est une réflexion de fond qui nous renvoie aux origines de la Ve République. Rappelons-le, le général de Gaulle souhaitait que le Parlement soit au fondement de l'ordre public et des valeurs qu'il défend, et que les partenaires sociaux négocient l'essentiel du contenu de la part conventionnelle. La déclaration commune des partenaires sociaux de 2001 nous y renvoie très directement et nous pouvons nous en réjouir. Le droit individuel à la formation tout au long de la vie, les négociations interprofessionnelles sur l'emploi des seniors, sur la pénibilité ou le télétravail sont autant de pistes qui pourront ensuite être traitées dans un cadre conventionnel, ou par la loi, si cela s'avère nécessaire. Il appartiendra alors au Parlement d'enrichir ces propositions, issues de la réalité des entreprises.

M. Léonce Deprez. C'est le bon sens !

M. le ministre délégué aux relations du travail. Enfin, M. Gremetz, qui ne manquera pas, j'en suis sûr, de lire cette réponse, a demandé où en était la négociation salariale. J'observe d'abord qu'elle n'a jamais eu lieu dans un cadre interprofessionnel. Ne l'oublions pas, les 35 000 accords issus des lois Aubry furent conclus dans un cadre contraignant. Pour autant, la négociation salariale n'est pas en panne, que ce soit au niveau des branches ou à celui des entreprises.

Pour ce qui est des branches, la progression est de 7 % puisqu'il y a eu, en 2003, 384 avenants salariaux aux accords en vigueur, et, de ce fait, les salaires ont progressé dans 186 branches contre 154 en 2002. Dans les entreprises, les salariés ont bénéficié de la revalorisation du SMIC.

Rappelons-le, la loi Fillon a permis de donner une nouvelle place et une nouvelle force à la négociation salariale, ce qui s'est traduit, en 2003, par 5 000 accords environ. Tenter de faire croire que la négociation salariale serait en panne serait donc tout à fait illusoire.

Voilà les éléments que souhaitait apporter le Gouvernement après avoir entendu les porte-parole des groupes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Alain Vidalies. Et sur la fonction publique, quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le président. La parole est à M. Louis Giscard d'Estaing.

M. Louis Giscard d'Estaing. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à rendre hommage au travail accompli par la mission d'évaluation des conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail, présidée avec compétence et dans un esprit ouvert par le président Patrick Ollier. Cela a permis d'aboutir à la publication d'un rapport particulièrement complet et instructif de près de mille pages, que l'on doit au travail remarquable du rapporteur de cette mission, Hervé Novelli. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Hervé Novelli. Merci !

M. Louis Giscard d'Estaing. Je suis heureux d'avoir pu y contribuer, comme les autres membres de cette mission, que je tiens à saluer, comme Pierre Morange, Maurice Giro, Christian Decocq, Alfred Trassy-Paillogues, Chantal Brunel, Nicolas Perruchot, qui eux n'ont pas compté leur temps et ne comptent pas aujourd'hui leurs heures, à la différence de certains, dont on ne peut que constater l'absence (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) dans un débat dont ils disent pourtant qu'il est essentiel pour les salariés. Ces derniers apprécieront...

M. Hervé Novelli. Eh oui !

M. Louis Giscard d'Estaing. L'intérêt de la mission parlementaire sur les conséquences économiques et sociales des 35 heures a été de répondre objectivement à la question centrale que chaque Français est en droit de se poser, indépendamment de toute considération idéologique ou politique, sur le bilan des deux lois après plusieurs années d'application.

Le principal objectif assigné à cette réforme, voulue emblématique par la majorité élue en 1997 et portée par Martine Aubry, à savoir la diminution durable du niveau de chômage en France, a-t-il été atteint ?

Force est de reconnaître que cet objectif n'a évidemment pas été atteint, d'abord parce qu'il reposait sur le diagnostic extrêmement discutable qu'en « rationnant » la durée du travail, on avait trouvé la solution au problème du chômage. De plus, lors de son audition devant la mission, le 4 février dernier, Martine Aubry a apporté elle-même une réponse à la question que je lui avais posée. Voici ce qu'elle m'a répondu alors que je lui demandais pourquoi ces lois ne réglaient pas, dans la durée, le problème du chômage dans notre pays : « La RTT ne crée des emplois qu'au moment où l'on passe aux 35 heures, et non pas chaque année. [...] L'effet est seulement immédiat. »

M. Michel Dasseux. C'est mathématique !

M. Louis Giscard d'Estaing. De ce point de vue, la remontée du chômage observée en France depuis septembre 2001, c'est-à-dire à un moment où les 35 heures étaient entrées en application, et où le gouvernement Jospin ainsi que Mme Aubry étaient toujours en situation d'agir, en apporte une évidente démonstration.

Ce point, pourtant essentiel dans les travaux menés par la mission pour dresser un constat global et objectif des conséquences de ces lois sur l'emploi dans notre pays, mérite d'être rappelé, tant les membres de l'opposition ont cherché à l'éluder. Il est pourtant au cœur du sujet.

La deuxième remarque qui me semble devoir être formulée concerne l'absence de mesures comparables prises par les pays européens voisins, alors même qu'ils sont gouvernés par des majorités politiques analogues à celle qui soutenait le gouvernement de Lionel Jospin, et qui a voté les lois Aubry I et II.

La France est en effet le seul pays d'Europe où a été imposée une durée hebdomadaire légale uniforme. La considération de la situation de certains autres pays étrangers est assez éloquente.

Pourquoi, si la mise en œuvre des 35 heures avait apporté une solution durable au problème du chômage en France, aucun autre pays d'Europe ne nous a suivis dans cette voie ? Je pense tout spécialement à l'Espagne dont pourtant M. Zapatero est présenté comme le plus proche modèle du parti socialiste français.

Est-ce à dire qu'ils ne font pas la même analyse à la fois sur les causes fondamentales du niveau de chômage, et sur les moyens d'y remédier ? Ou plus simplement, sont-ils parvenus à un constat d'insuffisance de résultat par rapport au coût global, au service rendu aux salariés et aux emplois créés, dans un cadre de législation s'appliquant de manière centralisée et uniforme ?

M. Richard Mallié. Très bonne question !

M. Louis Giscard d'Estaing. Si la mission d'information a permis d'entendre de très nombreux points de vue sur les conséquences économiques et sociales de ces lois, elle aura notamment mis en évidence ces deux points : ces lois n'ont pas apporté la réponse annoncée au problème du niveau de chômage en France, et aucun autre pays d'Europe ne nous a suivis dans cette voie.

M. Richard Mallié. Eh non !

M. Louis Giscard d'Estaing. Il convient donc aujourd'hui de s'interroger sur les moyens de remédier aux conséquences d'une si regrettable législation.

Monsieur le ministre, je vous invite à explorer deux pistes qui méritent, à mon sens, toute votre attention.

La première concerne le pouvoir d'achat résultant des heures majorées. En effet, actuellement, les heures effectuées au-delà de la trente-cinquième heure jusqu'à la trente-neuvième sont majorées de 10 % dans les entreprises de moins de vingt salariés et de 25 % dans les autres entreprises. Il est légitime, me semble-t-il, de considérer que les cotisations sociales doivent être uniformément assises sur une base correspondant à 35 heures de travail hebdomadaire. Il y a donc lieu d'explorer les conditions d'une éventuelle exonération de cotisations salariales des heures majorées.

Dans une telle hypothèse, le salaire net des salariés travaillant 39 heures par semaine serait augmenté à due concurrence des cotisations salariales s'appliquant aux heures comprises entre la trente-cinquième et la trente-neuvième, et leur pouvoir d'achat progresserait d'autant.

La seconde piste concerne l'amélioration de la situation des itinérants non cadres. Avant les lois Aubry, ils relevaient d'un régime sans référence horaire, ce qui semble logique puisqu'ils organisent, à leur gré, leurs journées de travail. Avec les 35 heures, ils ont été soumis à un décompte horaire et à un contrôle constant qui se révèlent ingérables non seulement pour les itinérants, mais également pour leurs employeurs.

Il faut donc aujourd'hui adapter la loi aux réalités des salariés et des entreprises en revenant aux dispositions antérieures et en proposant pour tous ces salariés des conventions de forfait permettant de décompter leur temps de travail en jour dans la limite fixée par la loi.

Ces deux exemples soulignent - ce n'est pas difficile - le douloureux échec des lois Aubry I et II, auquel cette proposition de loi et le débat qu'elle va susciter, au-delà de ses trois articles, vont permettre de remédier. Je remercie ses auteurs d'avoir ainsi permis de revaloriser le travail, et singulièrement celui du Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les ministres, mes chers collègues, près de sept ans après l'adoption de la loi Aubry et son très large échec, notamment en termes de création d'emplois, le débat d'aujourd'hui oppose encore, malheureusement, les idéologues et les pragmatiques.

La loi Aubry a été ruineuse pour les finances publiques, puisqu'elle a coûté, selon le rapport de la DARES, 10 milliards d'euros en 2003, soit environ 22 000 euros par emploi créé. Cette loi complexe, inégalitaire, unique en Europe où l'on travaille en moyenne 40 heures, est encore aujourd'hui défendue par la gauche, pour des raisons uniquement idéologiques et politiciennes, la gauche qui n'hésite pas à recourir à la caricature, comme elle nous l'a montré hier.

Non, ce n'est pas la fin des 35 heures payées 39 heures, comme on a pu l'entendre ou le lire, c'est tout simplement la volonté de rompre avec une vision technocratique et jacobine, qui a été imposée à l'époque sans négociation et contre l'avis des partenaires sociaux.

M. Yves Nicolin. Eh oui !

M. Dominique Tian. Résultat : les entreprises se sont retrouvées enserrées dans un carcan ; quant aux salariés, en particulier les moins bien payés, ils ont vu leur pouvoir d'achat stagner.

Mais plus grave, cette loi était inégalitaire : les salariés des petites entreprises travaillaient alors 39 heures, tandis que ceux des autres entreprises qui, elles, appliquaient la loi, travaillaient 35 heures : ainsi, plus de 40 % des salariés n'étaient pas concernés par cette réforme. Cette injustice les a profondément blessés. Les salariés des grandes entreprises ont vu leur temps libre augmenter, grâce à de l'argent public, pendant que les autres salariés, qui pourtant sont des contribuables, restaient sur le bord de la route et ne profitaient pas de ce nouvel avantage. Ce mépris leur infligea une vraie blessure.

Heureusement, François Fillon, dans un premier texte, a accordé plus de souplesse aux entreprises et aux salariés en permettant un plus large recours aux heures supplémentaires. Mais il fallait aller plus loin.

La proposition de loi de nos collègues Patrick Ollier, Hervé Novelli, Pierre Morange et Jean-Michel Dubernard est le fruit d'un travail d'équipe. Je félicite notamment Hervé Novelli pour la qualité de son travail préparatoire au sein de la mission d'information et pour le courage dont il a fait preuve à l'époque.

M. Yves Nicolin. Et pour sa ténacité !

M. Hervé Novelli. Je vous remercie !

M. Dominique Tian. Selon un sondage récent de l'institut Louis-Harris, et dont les différentes lectures ont déjà été développées, près de 20 % des Français se déclarent prêts à travailler plus pour gagner plus, et ce raisonnement touche 52 % des cadres. M. le ministre nous l'a indiqué tout à l'heure, environ 3 millions de salariés souhaitent travailler plus. Ils en auront désormais la possibilité, pour répondre à la demande de leur entreprise, mais seulement si des accords collectifs le prévoient. Il n'est absolument pas question de revenir sur les 35 heures payées 39,...

M. Alain Vidalies. Et pourquoi ?

M. Dominique Tian. ...qui sont un avantage acquis auquel les Français sont très attachés et qui, dans de nombreux cas, améliorent réellement la qualité de la vie.

M. Gérard Bapt. Ce n'est donc pas idéologique !

M. Dominique Tian. Non, ce n'est pas idéologique ! Tout l'intérêt de ce texte est de donner plus de souplesse et plus de liberté aux salariés.

Une des mesures phares de cette réforme est la modification de la gestion du compte épargne-temps, le CET. Le Gouvernement fait de ce dispositif un véritable outil de souplesse à la disposition des salariés, qui pourront gagner plus, et des entreprises, qui pourront mieux adapter le volume des heures travaillées.

Cette réforme accentue la monétarisation du CET, qui, jusqu'à présent, accompagnait obligatoirement un certain nombre de jours de congés. Il faut développer ce dispositif. Actuellement, seules 96 branches professionnelles sur 240 ont conclu un accord portant création d'un CET, et seuls 46 % des salariés concernés ont alimenté un CET.

Ce texte prolonge par ailleurs le régime dérogatoire des entreprises de moins de 20 salariés jusqu'en 2008, ce qui met fin à l'inquiétude des salariés et des chefs de petites entreprises.

Mme Marylise Lebranchu. Ils sont inquiets à plus long terme !

M. Dominique Tian. Il faut également noter que la commission, en accord avec le rapporteur, a enrichi le texte de mesures extrêmement intéressantes, comme celle qui encourage les employeurs à abonder les heures stockées sur un CET lorsqu'elles seront transférées vers un plan d'épargne pour la retraite. Dans ce cas, les entreprises bénéficieront d'exonérations de cotisations sociales et d'impôt sur l'abondement. Cette mesure était très attendue.

Mes chers collègues, ce texte court - quatre articles seulement - est très compréhensible, donc facilement applicable. Il renvoie largement à la négociation collective. Il donne aux entreprises une réelle latitude pour négocier avec les syndicats et il est basé sur la liberté, celle des salariés comme celle des entreprises. C'est un excellent texte, que je voterai avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Lionnel Luca.

M. Lionnel Luca. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la loi sur les 35 heures est la dernière loi réglementant le temps de travail du XXe siècle - ou plutôt du XIXe siècle... Elle illustre une vision archaïque du temps de travail, issue de la Révolution industrielle, caractérisée par la pénibilité du travail et l'exploitation d'une main-d'œuvre abondante, notamment féminine et enfantine, et surtout bon marché.

M. Jean Glavany. Parce que votre vision est plus moderne que la nôtre ?

M. Lionnel Luca. Réglementer le temps de travail et le réduire a été un grand combat syndical, afin de protéger la santé des travailleurs et de leur assurer une vie décente.

Dans nos sociétés développées du XXIe siècle, la pénibilité et la durée du temps de travail n'ont rien de comparable. Pourtant, la gauche la plus rétrograde d'Europe, élevée au biberon du marxisme (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et, c'est plus récent, du malthusianisme (Mêmes mouvements) veut faire des 35 heures sa ligne Maginot, dans un combat désespéré d'arrière-garde.

M. Jean Glavany. Encore un homme subtil !

M. Lionnel Luca. Incapable d'imaginer une politique dynamique de croissance et d'emploi qui remettrait en cause ses dogmes, la gauche a découvert le partage du travail comme un nouveau messianisme.

M. Jean Glavany. La gauche est laïque !

M. Lionnel Luca. Comme si le travail était un immense gâteau dont il suffirait d'amoindrir les parts pour nourrir tout le monde ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) En imposant les 35 heures, sans aucun dialogue avec les forces représentatives du monde du travail, la gauche, en se trompant d'époque, a cassé la reprise économique et désorganisé l'économie nationale (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. Jean Glavany. En fait, vous n'avez pas compris ce qui s'est passé !

M. le président. Monsieur Glavany !

M. Lionnel Luca. ...au moment où la compétition économique devenait plus redoutable, avec l'émergence de nouveaux pays sur tous les continents.

Alors que de 1998 à 2001 la croissance économique se généralisait dans le monde, celle de la France s'essoufflait, dès la fin de l'année 2000, pour devenir anorexique en 2001 et en 2002, réduisant à néant les efforts de compétitivité entrepris par le gouvernement d'Alain Juppé. C'est à la fin de l'année 2000 que la courbe du chômage s'est inversée, pour s'accroître en 2001 alors que, partout ailleurs, la baisse était significative.

Avec les 35 heures et le maintien d'un endettement trop important, vous avez été les fossoyeurs de la reprise et les responsables de la stagnation économique qu'a trouvée le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin en arrivant au pouvoir.

M. Jean Glavany. Et vous, que faites-vous ?

M. Lionnel Luca. Son honneur est d'avoir impulsé une politique volontariste en assouplissant, dès janvier 2003, la réglementation du temps de travail, ce qui a permis à la France de retrouver dès 2004 un taux de croissance satisfaisant et de stopper la hausse du chômage. Il faut rappeler qu'en 2004, c'est la France qui a eu le plus fort taux de croissance de la zone euro ! C'est donc la gauche qui, avec les 35 heures, a favorisé le grand patronat et les grandes entreprises. Ce n'est pas le moindre des paradoxes !

M. Dominique Tian. Tout à fait !

M. Lionnel Luca. Car ce sont les grandes entreprises qui ont le plus profité des 35 heures : d'une part, en modulant la semaine de travail afin de réintroduire le travail le dimanche ; d'autre part, en allégeant les charges sociales induites.

Mme Marylise Lebranchu. Ce n'est pas vrai !

M. Lionnel Luca. Cela coûtera aux contribuables, cette année, 15 milliards d'euros, c'est-à-dire l'équivalent des exportations de notre industrie aéronautique. Rien que cela ! C'est un des formidables tours de passe-passe dont vous seuls avez le secret ! La réduction du temps de travail n'a pas seulement diminué l'ardeur des Français les plus actifs, comme les cadres, mais, dans de trop nombreux cas, elle a encouragé le travail au noir, ce qui, moralement et socialement, est inacceptable.

Il est non moins paradoxal que ceux qui protestent avec le plus de véhémence contre les délocalisations soient ceux qui en ont créé les conditions ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Combien d'emplois ont-ils été perdus et combien n'ont pas été créés, faute de l'implantation dans notre pays d'entreprises étrangères, celles-ci ayant renoncé à s'installer chez nous ?

Les 35 heures n'ont donc créé aucun emploi, en tout cas pas ceux promis. Elles ont même provoqué l'effet inverse.

M. Jean Glavany. Vous, vous allez en créer !

M. Lionnel Luca. « Les faits sont têtus » disait Lénine (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste), les chiffres aussi. Selon l'OCDE, la France enregistre la durée annuelle du temps de travail la plus faible d'Europe : 1 393 heures, avec l'Allemagne et ses 1 362 heures. Comme par hasard, ce sont les deux pays qui ont le taux de chômage le plus important, avec 9,9 %, pour ne pas dire 10 %, et 10,5 % de la population active. L'Allemagne le reconnaissait hier, elle vient de passer la barre des 5 millions de chômeurs. La Grande-Bretagne, avec une durée de travail de 1 652 heures, a un taux de chômage moitié moindre ! Comme l'indique Le Monde de l'économie de la semaine dernière, la France et l'Allemagne connaissent le plus faible taux d'emploi : 63 %, contre 72 % en Grande-Bretagne.

Mme Marylise Lebranchu. C'est le chômage !

M. Lionnel Luca. Ce sont donc les pays qui travaillent le plus qui ont le moins de chômeurs. Cela démontre que le partage du travail est un concept absurde, à la limite de l'indigence intellectuelle. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Cher collègue !

M. Lionnel Luca. Les 35 heures sont un échec cuisant. C'est si vrai qu'aucun pays dans le monde n'a cherché à nous copier, pas même ceux que vos amis de l'Internationale socialiste gouvernent, d'ailleurs avec des mesures plus libérales que celle que nous allons voter. C'est sans doute aussi cela l'exception française, pour le malheur de nos entreprises et de nos salariés.

Au-delà de ce débat, qui devrait être le dernier, c'est le concept même de la réglementation du temps de travail qui est désormais obsolète. La Grande-Bretagne de votre ami Tony Blair n'a pas cru devoir réglementer. Pourtant, les Britanniques ne se plaignent pas de travailler plus pour gagner plus et venir en France racheter le patrimoine des Français dans bon nombre de nos régions ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

La liberté et l'adaptabilité sont les meilleurs atouts de la croissance et de l'emploi, permettant à nos entreprises de lutter à armes égales dans la bataille économique mondiale la plus redoutable de l'histoire.

Dans quelques années, notre débat de ce jour paraîtra aussi ringard et surréaliste que si nous remettions en question le contrôle des prix !

En adoptant le texte qui nous est proposé par nos collègues Patrick Ollier, Hervé Novelli, Pierre Morange et Jean-Michel Dubernard, nous donnerons au monde le signal que la France qui travaille, la France qui se bat, la France qui gagne est de retour ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, au moment où notre pays compte 3 millions de demandeurs d'emploi et de plus en plus de salariés à temps partiel subi, le Gouvernement et l'UMP ne trouvent rien de mieux à faire que d'augmenter le volume des heures supplémentaires et d'en réduire le coût pour les entreprises.

Seule une vision dogmatique peut expliquer une initiative aussi désastreuse. Les demandeurs d'emploi comprendront vite que votre majorité les abandonne à leur triste sort et que le slogan : « Travailler plus pour gagner plus » relève de la publicité mensongère, voire de la provocation envers ceux qui sont dans la difficulté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

À trois reprises déjà, votre majorité a augmenté le contingent des heures supplémentaires pour le porter à 220 heures, alors que la moyenne utilisée par les entreprises n'est que de 59 heures.

Mme Marylise Lebranchu. C'est exact !

M. Alain Vidalies. Déjà, vous avez élargi le nombre de salariés dont le temps de travail peut être comptabilisé en forfait jours ; déjà, vous avez réduit le droit au repos compensateur ; déjà, vous avez supprimé un jour férié et augmenté le temps de travail effectif en modifiant sa définition.

M. Michel Vergnier. Excellent rappel !

M. Alain Vidalies. Pour quel résultat ? 200 000 chômeurs de plus en seulement deux ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous poursuivez méthodiquement le démantèlement du code du travail en facilitant les licenciements et en remettant en cause la hiérarchie des normes qui protégeaient les salariés d'une même branche professionnelle. Votre bilan est déjà lourd, mais le pire n'est peut-être pas atteint puisque dans cette proposition de loi, vous transgressez même les principes fondamentaux de notre droit du travail. Pour la première fois en effet, vous permettez à un employeur de passer un accord direct avec un salarié pour contourner l'application de la loi ou de la convention collective. Croyez-vous vraiment que, demain, le salarié d'une petite entreprise à qui son employeur demandera de renoncer à dix jours de repos aura la possibilité de refuser ?

Vous introduisez ainsi pour la première fois une brèche dans notre droit du travail, qui, jusqu'à présent, reposait sur la reconnaissance - partagée par toutes les majorités jusqu'à aujourd'hui - d'un lien de subordination qui justifiait la protection du salarié par la loi ou par les conventions collectives. Quand, dans le même temps, vous nous parlez de simplifier demain le code du travail, vous comprendrez nos inquiétudes qu'il se résume de plus en plus à l'application des règles du code civil !

Il faut reconnaître qu'à l'appui de cette besogne, vous avez le sens de la formule. Après « travailler plus pour gagner plus », voici le « temps choisi ». Il faut quand même, je le reconnais, beaucoup d'imagination pour voir dans l'augmentation des heures supplémentaires et dans la diminution de leur coût pour l'entreprise un cheminement harmonieux vers le temps choisi.

Votre conception du dialogue social est pour le moins à géométrie variable. Alors que vous ne cessez de critiquer la généralisation des 35 heures au travers des lois Aubry, vous n'hésitez pas, sans aucune négociation avec les organisations syndicales, à inscrire à l'ordre du jour prioritaire votre proposition de loi sur l'assouplissement des 35 heures. À cet égard, j'avoue que la démonstration de M. Novelli était bien singulière, car venir ici nous donner des leçons sur la négociation sociale et nous dire qu'on va privilégier le contrat par rapport à la loi, et ce au moment même où, justement, vous ignorez complètement les partenaires sociaux pour procéder à l'inscription d'office de ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), il faut le faire ! La réponse à votre proposition est dans votre propre attitude !

M. Jean Glavany. Très bien !

M. Alain Vidalies. Depuis le temps que vous attribuez aux 35 heures la responsabilité de tous les maux et, surtout, de tous vos échecs, on se demande bien pourquoi vous ne les avez pas tout simplement supprimés plutôt que de faire ce « détricotage » laborieux ! (« Voilà ! » sur les bancs du groupe socialiste.) C'était pourtant très simple : il suffisait de revenir aux 39 heures et de rembourser les allégements de cotisations. On serait alors revenu à la case départ et tout serait maintenant pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Or, vous le savez parfaitement, vous ne pouvez pas vous engager dans cette voie...

M. Gérard Bapt. Ils ne sont pas courageux !

M. Alain Vidalies. ...car il s'ensuivrait une augmentation importante du chômage.

Vous le savez bien : au fond, la maîtrise du temps de travail est un passage obligé de toute véritable politique de lutte contre le chômage.

La France n'est pas un pays qui s'appauvrit, mais un pays qui s'enrichit. Depuis vingt ans, à l'exception de l'année 1993, la croissance est au rendez-vous. Et pourtant, jusqu'à la mise en œuvre des 35 heures, le chômage de masse n'avait cessé d'augmenter.

Dès lors, si nous sommes capables, grâce au progrès technique et scientifique, de produire de plus en plus de richesses avec de moins en moins de travail, seule la diminution du temps de travail permet une juste répartition des gains de productivité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Personne n'échappe à cette problématique et surtout pas certains pays qui affichent des taux de chômage exemplaires sans avoir réduit le temps de travail. Ces statistiques sont un leurre car la réalité est souvent gommée par l'explosion du travail à temps partiel. Il est facile d'annoncer 4 à 5 % de taux de chômage quand 26 % des salariés travaillent à temps partiel comme au Japon, 23,3 % au Royaume-Uni ou même 30 % au Pays-Bas. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Si vous augmentez le nombre des salariés à temps partiel en France pour parvenir à des taux comparables à ceux que je viens de citer, vous aurez aussi des statistiques flatteuses, mais, en réalité, vous aurez créé des millions de salariés pauvres (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) car le loyer, la facture d'électricité, la facture d'assurance ne sont pas des factures partielles.

M. Gérard Bapt. Et la mutuelle !

M. Alain Vidalies. C'est donc au fond une formidable hypocrisie que de s'interroger sur la diminution du temps de travail. Elle existe déjà, mais toute la charge en est supportée, d'abord, par les chômeurs, mais aussi par ces salariés à temps partiel subi qui sont aujourd'hui identifiés - et c'est terriblement révélateur - sous le vocable de « travailleurs pauvres ».

C'est d'abord pour réagir contre cette évolution que nous avons choisi la diminution du temps de travail. Elle reste aujourd'hui pour nous une réponse privilégiée pour la création d'emplois. Elle reste pour nous un formidable moyen de recréer les conditions d'un dialogue social constructif.

Entre 1985 et 1998, sur 1 million d'emplois créés, 900 000 l'étaient à temps partiel. Ainsi, au lieu d'une réduction collective et négociée, on assistait à une réduction individuelle et imposée.

Malgré toutes vos contorsions, vous avez été obligés de reconnaître que les 35 heures avaient permis la création d'au moins 350 000 emplois.

M. Patrick Ollier. Et pas 700 000 !

M. Alain Vidalies. En comparaison, votre bilan est désastreux dès lors que la France a même perdu 40 000 emplois en solde net.

Cet échec, les Français l'ont lourdement sanctionné au cours de toutes les consultations électorales de 2004. Vous n'en avez tenu aucun compte et, au contraire, le texte que vous nous proposez aujourd'hui est une fuite en avant.

Manifestement, l'emploi n'est plus pour vous une priorité. Si, demain, la croissance est au rendez-vous, les entreprises auront tout le loisir de recourir aux heures supplémentaires plutôt que d'embaucher. C'est un non-sens économique et une régression sociale.

Le cumul des horaires, que vos différentes initiatives permettent aujourd'hui, ignore les risques pour la santé des travailleurs.

M. Michel Vergnier. Parfaitement !

M. Alain Vidalies. Il est quand même extraordinaire, en 2005, de nous proposer une loi qui permet à l'employeur, de sa seule initiative, d'alimenter le compte épargne-temps. Autrement dit, en cas de variation de l'activité, l'employeur pourra...

M. Hervé Novelli. Pourra !

M. Alain Vidalies. ...décider d'affecter au compte-épargne temps les heures effectuées par le salarié au lieu de les rémunérer en heures supplémentaires. Ce n'est plus « travailler plus pour gagner plus », mais faire des heures pour du beurre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. Très belle formule ! Elle est très évocatrice !

M. Alain Vidalies. Votre texte révèle une vision bien singulière de la réalité des entreprises, mais aussi du rôle du Parlement. Il n'est pas acceptable que le président du MEDEF revendique officiellement la paternité de votre proposition de loi. C'est pourtant ce qu'il fait dans un entretien publié par Les Échos du 18 janvier 2005 : « Les Français n'ont pas de doute. Selon un sondage que nous avons fait réaliser, 8 % d'entre eux estiment que l'UMP en est à l'origine, 30 % que c'est le Gouvernement et 38 % le MEDEF ».

M. Jean Glavany. Et voilà !

M. Alain Vidalies. M. Seillière a raison. Les Français sont lucides sur les objectifs réels de cette proposition de loi. Mais c'est bien le Gouvernement et l'UMP qui, le moment venu, devront rendre des comptes d'un bilan qui n'aura eu qu'une obsession : démanteler le code du travail et les protections collectives.

M. Jean Le Garrec. Eh oui !

M. Jean Glavany. C'est la triste réalité !

M. Alain Vidalies. Votre proposition ne correspond à aucune attente réelle des PME dont vous vous autoproclamez les porte-parole. Dans la dernière enquête de conjoncture publiée an janvier 2005 par la Banque de développement des PME, il ressort : « Le manque de fermeté de la demande est de loin perçu comme le principal frein à l'investissement, cité par 69 % des dirigeants en novembre 2004. »

M. Jean Le Garrec. Et voilà !

M. Alain Vidalies. Or c'est bien votre politique économique et fiscale qui a pénalisé la consommation populaire en mobilisant les moyens de l'État dans les baisses d'impôt des plus favorisés, avec pour résultat d'alimenter davantage l'épargne que la consommation.

Tout à l'heure, l'un d'entre vous nous a fait une démonstration sur les augmentations des salaires, ce qui est tout de même bien singulier au moment où, en janvier 2005, les salariés constatent le résultat de vos décisions sur la CSG et le RDS, à savoir que leur salaire net a diminué ! C'est la réalité de la feuille d'impôt des salariés aujourd'hui, messieurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean Glavany. Ils ne le savent pas !

M. Alain Vidalies. Mais puisque nous sommes réunis aujourd'hui pour débattre des 35 heures, il n'est pas pensable que ni le Gouvernement ni l'UMP ne s'expriment sur l'objectif affiché de M. Sarkozy, président de l'UMP, de supprimer les 35 heures dans la fonction publique. D'autant que ce projet est manifestement soutenu par certains auteurs de la proposition de loi.

M. Gérard Bapt. Les mêmes !

M. Alain Vidalies. Vous avez porté le débat sur la place publique. Il serait étrange que vous ne vous exprimiez pas sur cette question devant l'Assemblée nationale. Monsieur le ministre, nous attendons avec intérêt, et les Français avec nous, votre réponse à cette question.

Pour notre part, nous sommes attachés aux 35 heures et nous les défendrons samedi prochain aux côtés des salariés qui manifesteront partout en France...

M. Hervé Novelli. Manifestation politicienne !

M. Alain Vidalies. ...contre votre proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Maurice Giro.

M. Maurice Giro. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je comprends mal les réactions des élus de l'opposition qui parlent de revanche idéologique ou de régression sociale puisque, après l'examen et le vote de ce texte, il sera possible - tout simplement - premièrement, d'effectuer des heures choisies au-delà du contingent légal d'heures supplémentaires,...

Mme Muguette Jacquaint. C'est faux !

M. Maurice Giro. ...deuxièmement, d'assouplir les conditions d'utilisation du compte épargne-temps...

Mme Muguette Jacquaint. Comme le temps partiel choisi !

M. le président. Madame Jacquaint !

M. Maurice Giro. Madame Jacquaint, je vous ai laissé parler ! S'il y en a un qui assiste à la séance et qui ne dit rien, c'est quand même bien moi ! M'empêcher de parler est lamentable ! La démocratie commence par laisser parler les autres !

M. le président. Allez-y, monsieur Giro !

M. Maurice Giro. Enfin, ce texte proroge pour trois ans le régime dérogatoire dont bénéficient les petites entreprises.

Bien entendu, nous avons deux conceptions différentes. Vous pensez et vous voulez faire croire que l'on peut travailler moins et gagner plus. Nous pensons que, dans un environnement européen et mondial où peuvent circuler facilement les hommes et les marchandises, où peuvent rapidement se délocaliser les entreprises, il faudra travailler plus pour gagner plus.

Nous n'avons pas peur de dire que la prospérité d'une société comme la nôtre, qui prend de plus en plus les caractéristiques d'une société de service, dépend de la volonté de ses membres de travailler plus, et non pas moins, et en plus grand nombre. Cela deviendra de toute façon un impératif en raison de l'évolution démographique dont on ne parle pas, mais qui est à notre porte.

Alors, pourquoi ces réactions politiciennes ?

Il n'est peut-être pas inutile de rappeler que certains ont même reconnu, au lendemain d'une défaite électorale, que les 35 heures constituaient un ratage, une erreur. Aujourd'hui encore, quelques-uns ont l'honnêteté de reconnaître que tout le monde n'a pas bénéficié de la réduction du temps de travail et que beaucoup de salariés pouvaient être séduits par l'idée de travailler plus pour gagner plus.

Mais revenons sur ces lois Aubry.

Nous constatons qu'elles n'ont pas permis de développer l'emploi dans notre pays, qu'elles ont porté durablement atteinte aux ressorts de notre développement, qu'elles ont permis de tirer vers le bas le revenu du travail. Beaucoup d'emplois sont à temps partiel, à vingt heures...

Ces lois ne laissent aucune place à la liberté de choix : elles ne font qu'imposer. On en trouve d'ailleurs la preuve dans un sondage récent qui fait apparaître que presque 20 % des salariés aspirent au changement. Cela veut dire qu'un salarié sur cinq et un ouvrier sur quatre souhaitent travailler plus pour augmenter leur pouvoir d'achat. À quel titre pourrait-on leur interdire ?

Avec cette réforme, ils le pourront, et ceux qui voudront conserver leur temps de travail actuel le pourront également.

M. Le Garrec est parti, et c'est dommage. Je l'ai écouté hier avec beaucoup d'attention, comme les autres, et j'ai cru qu'il allait nous faire le coup du monopole du cœur appliqué au monopole de la connaissance des entreprises, en s'adressant au président Dubernard. À l'UMP, il y a aussi des élus qui connaissent l'entreprise, pour s'y impliquer physiquement, financièrement,...

M. Patrick Ollier. Très bien, monsieur Giro !

M. Roland Chassain. Bravo !

M. Maurice Giro. ...avec le souci de préserver les emplois et l'ambition d'en créer.

Comme les entrepreneurs sont, vous le savez, indissociables des salariés, j'ai souhaité en interroger quelques-uns et vous rapporter leur analyse.

Pour une entreprise de production de plusieurs centaines d'employés, il m'a été dit : « La mesure la plus urgente à adopter serait de supprimer la contrainte que le texte actuel fait peser sur les heures supplémentaires. Il faut libérer le travail. »

Pour un établissement commercial d'environ 50 personnes, la remarque a été la suivante : « Cette diminution des horaires individuels a eu des impacts négatifs sur l'organisation. Elle a accentué les pénuries qui se manifestaient déjà sur le marché du travail et elle a considérablement compliqué la permanence de fonctions comme l'administration commerciale. »

Dans une société de fabrication de 150 personnes, il m'a été rapporté que, en raison des pénuries de personnel, un noyau de quelques anciens ayant statut de cadre a accepté de boucher les trous. Mais, s'il n'y a pas d'assouplissement pour les heures supplémentaires, elle sera obligée de cesser son activité.

Enfin, une entreprise commerciale de 15 personnes m'a indiqué qu'elle avait renoncé à l'option des 35 heures payées 35 en raison des perturbations que cela aurait entraînées dans l'organisation et parce que le personnel ne le voulait pas. Elle demande qu'un assouplissement pour les heures supplémentaires soit rapidement mis en œuvre.

On le voit, à travers toutes ces réflexions, la loi sur l'aménagement du temps de travail qui nous est présentée apporte des solutions tant aux salariés qu'aux employeurs : elle était souhaitée et indispensable.

Vous êtes gênés, mesdames et messieurs de l'opposition, car l'abrogation de la loi sur les 35 heures vous aurait rendu la tâche plus facile. Aussi, vous cachez que seuls les salariés qui veulent travailler plus pour gagner davantage pourront obtenir satisfaction. Vous cachez que les salariés qui estiment travailler suffisamment avec les 35 heures pourront rester à ce régime. Et vous cachez que ce texte de loi apportera des solutions aux employeurs qui, grâce au nouveau quota d'heures supplémentaires, pourront faire appel à des volontaires pour travailler plus, afin, par exemple, de répondre à une commande urgente et ne pas perdre de clients.

M. Hervé Novelli. C'est vrai !

M. Maurice Giro. Vous comprendrez que nous soyons fiers de voter une proposition de loi qui apporte des réponses à la France qui travaille. Redonner de la liberté aux entreprises et aux salariés, redonner du pouvoir d'achat aux salariés qui travailleront plus, permettre d'échanger des jours de RTT contre de la rémunération dans le cadre du compte épargne-temps, voilà qui correspond à notre ambition. Nous voterons donc cette proposition de loi, dont nous félicitons les auteurs, MM. Morange, Ollier, Dubernard et Novelli. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Roland Chassain.

M. Roland Chassain. Monsieur le président, monsieur le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, monsieur le ministre délégué aux relations du travail, mes chers collègues, j'ai lu avec beaucoup d'attention le rapport d'information présenté par notre collègue Hervé Novelli au nom de la mission d'information commune sur l'évaluation des conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail, que présidait Patrick Ollier.

Je remercie d'ailleurs les parlementaires pour leur contribution au débat. Le constat général qui est fait sur les conséquences des 35 heures est sans appel. Il reflète la réalité vécue par nos concitoyens. L'enquête réalisée pour la mission d'information montre que le texte que nous allons adopter est indispensable, puisque 70 % des entreprises souhaitent une réforme plus ambitieuse que celle de la loi Fillon.

Le constat est amer puisque 50 % des entreprises ayant appliqué les 35 heures déclarent que celles-ci ont eu un impact économique et financier négatif. En matière d'emploi, 20 % des entreprises ont gelé les embauches, 25 % ont bloqué les salaires et seulement 30 % ont recruté, en faible proportion. Pour celles qui ne sont pas encore passées aux 35 heures, elles souhaitent à 80 % ne pas y être obligées. Il n'y a pas d'autre réalité.

D'ailleurs, Laurent Fabius ne déclarait-il pas, le 19 mai 1999, à propos de la loi sur les 35 heures : « Il serait mauvais d'imposer des dispositions couperet [...] Veillons à éviter de surcharger les entreprises, ce qui serait contre-productif » ?

Mes chers collègues, chaque jour qui passe depuis la mise en place de la réforme des 35 heures, notre pays perd de nouveaux marchés, notre économie se dégrade et les Français s'appauvrissent.

Heureusement, avec la première correction apportée par les lois Fillon et récemment encore avec l'extension du contingent d'heures supplémentaires, nous sommes parvenus à réduire partiellement l'impact négatif des lois Aubry.

Pourtant, nous le constatons sur le terrain, ces mesures restent insuffisantes et les délocalisations se poursuivent. Dans ma circonscription, c'est l'usine Lustucru-Riz qui disparaît au profit de centres de production extérieurs où le coût de la main-d'œuvre est moins élevé et le temps de travail plus important.

Chaque jour, nous découvrons un nouveau site où nos concitoyens sont soumis au chantage à la délocalisation, conséquence directe des 35 heures.

Vous connaissez autant que moi les résultats dramatiques de cette réforme sur la qualité du service public, notamment en milieu hospitalier. Nous devons aussi nous inquiéter de la question du temps de travail dans la fonction publique et nous avons le devoir d'informer les Français sur le coût des 35 heures dans le secteur public.

Peut-on laisser les présidents de région et de département socialistes justifier leurs hausses fiscales par la décentralisation, alors que, en réalité, ils font payer à leurs administrés le coût de leurs promesses, celui de l'APA, celui de la réforme des SDIS et le surcoût des 35 heures qui, dans les collectivités, représente près de 20 % de la masse salariale ?

Dans le secteur touristique comme dans de nombreux secteurs économiques, la réforme est totalement inapplicable. Il existe des métiers, comme l'hôtellerie traditionnelle ou de plein air, la restauration, la conserverie-confiserie, pour lesquels seul l'aménagement du temps de travail permet d'honorer les commandes ou de recevoir les clients sans contraintes. Qui peut imaginer que, dans un secteur ou le service du client est le gage de la réussite, l'on puisse organiser son activité en fonction d'horaires figés ?

Toutes les études démontrent clairement que, en définitive, les RTT n'ont entraîné aucun accroissement de l'activité touristique. Il ne suffit pas d'avoir du temps, il faut aussi avoir de l'argent pour développer les loisirs. Or les 35 heures ont figé durablement les revenus des Français. Le témoignage du président Daguin auprès de la commission est très clair : l'impact des 35 heures sur l'activité hôtelière et touristique est nul.

Mes chers collègues, nous devons maintenant rétablir et favoriser la négociation par entreprise et par branche, car le temps de travail ne doit pas être fixé de façon arbitraire par la loi, mais adapté à la taille de l'entreprise et à chaque type d'activité. Nous devons apporter plus de souplesse aux entreprises comme aux salariés, dans le cadre de choix librement consentis.

Dans ma commune, aux Saintes-Maries-de-la-Mer, capitale de la Camargue, où le tourisme représente 95 % de l'activité, il faudrait pouvoir moduler librement les horaires avec une activité forte en été et réduite en hiver.

Une telle souplesse doit pouvoir s'appliquer à d'autres branches d'activité, afin de réduire le nombre d'emplois saisonniers ou les CDD au profit de CDI modulables.

Ce projet de loi organisera la gestion du compte épargne-temps. Ne laissons pas le monopole du cœur à la gauche. Pour cela, je souhaite que le Gouvernement puisse réfléchir à la mise en place de la RTTH, réduction du temps de travail humanitaire, c'est-à-dire que l'on puisse concevoir l'affectation d'une partie des RTT à l'action humanitaire ou à l'économie solidaire, par une contribution croisée de l'employeur, de l'État et du salarié.

Mes chers collègues, en juin 2002, nous avons été élus sur des engagements et des promesses. La réforme de la loi sur les 35 heures en faisait partie. Notre devoir est de tenir nos engagements, sans nous laisser impressionner par quelques leaders syndicaux qui, en France, représentent moins de 10 % des salariés.

Pour conclure, je voudrais dire à la gauche, qui, malheureusement, n'est pas là, ce qui me déçoit un peu...

M. Louis Giscard d'Estaing. Si, Mme Guigou est là !

Mme Élisabeth Guigou. Vous êtes très désobligeant pour Mme Jacquaint et pour moi ! Vous devriez vous excuser !

M. Roland Chassain. Excusez-moi, madame Guigou ! Un député par groupe, ce n'est pas trop mal...

M. Patrick Ollier. Un seul député socialiste en séance : ce n'est pas terrible !

Mme Élisabeth Guigou. Mais la gauche est là, monsieur !

M. Roland Chassain. Un député socialiste et un député communiste en séance, ce n'est pas trop mal pour défendre leurs collègues, les employés et les salariés.

Mme Muguette Jacquaint. Nous saurons les défendre, ne vous en faites pas !

M. Roland Chassain. Je voudrais donc dire à la gauche dogmatique, ignorante des réalités, que travailler plus pour gagner plus, ce n'est pas un slogan, mais, pour un grand nombre de nos concitoyens, une véritable nécessité. C'est la raison pour laquelle je vous invite tous à cesser de raisonner par idéologie afin d'adopter ce texte qui est juste et équilibré, même si, comme certains de mes collègues, j'eusse aimé qu'il aille encore plus loin. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Brunel.

Mme Chantal Brunel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les 35 heures sont un acquis social, en particulier pour les femmes, qui peuvent ainsi concilier davantage vie privée et vie professionnelle. Cet acquis social a été aussi particulièrement apprécié par certains cadres.

Mais, si les 35 heures ont permis à certains de trouver une meilleure harmonie entre travail et vie privée, les inconvénients au niveau national ont été considérables. L'attractivité de notre pays a été détériorée. Aujourd'hui, la France a souvent, à l'étranger, l'image d'un pays paresseux. Elle est en tout cas l'un de ceux où le nombre d'heures travaillées au cours d'une vie professionnelle est le plus faible. La conséquence est évidente : les entreprises et les salariés paient plus de charges, puisqu'il faut financer davantage ceux qui ne travaillent pas.

Les 35 heures ont un coût financier très lourd pour notre pays. Le budget consacré aux 35 heures est supérieur à celui de la recherche. Nous consacrons plus d'argent à travailler moins, plutôt qu'à construire l'avenir de nos enfants et de notre pays.

Le prix de nos produits a augmenté et notre compétitivité à l'exportation s'est détériorée.

Mais les 35 heures ont également renforcé les inégalités entre les entreprises, entre celles de moins de 20 salariés, qui sont restées aux 39 heures, et les grandes qui ont négocié des contreparties − modulation, durée plus longue d'utilisation des machines, travail le samedi, voire le dimanche. Celles qui ont le plus souffert des 35 heures sont les entreprises de taille moyenne, qui ont perdu de la souplesse et de la réactivité, qualités qui étaient auparavant leur principal atout face aux grands groupes.

Autre inconvénient majeur : les 35 heures ont accéléré les délocalisations. La RTT n'a pas été le seul facteur, mais un facteur supplémentaire incitant beaucoup de chefs d'entreprise à produire à l'étranger. L'impact des délocalisations est d'ailleurs mal estimé, car, si le transfert d'une usine se voit et se mesure, on ne peut en dire autant des innombrables contrats de sous-traitance partielle ou totale, des joint-ventures, des achats de prestations à l'étranger, des prestations externalisées partiellement ou totalement.

Enfin, dernier inconvénient, et non des moindres, la baisse du pouvoir d'achat de certains salariés qui n'ont pu réaliser, comme auparavant, les heures supplémentaires souhaitées par l'entreprise et par eux-mêmes.

La présente proposition de loi, qui résulte d'un important travail d'Hervé Novelli, de Patrick Ollier, de Pierre Morange, donne la possibilité aux branches ou à l'entreprise de négocier des heures supplémentaires au-delà des 220 heures annuelles, dans la limite de 48 heures par semaine, et ouvre des voies d'assouplissement du temps de travail. Mais tout cela demandera du temps, car la proposition de loi renvoie à la négociation.

Par ailleurs, je ne suis pas sûre que les entreprises petites et moyennes, qui ont souvent vécu les premières négociations de la loi Aubry sur les RTT comme un traumatisme, soient prêtes à affronter de nouvelles négociations.

Je suis également convaincue que les plus grandes vont rechigner à remettre en cause des accords qui ont demandé beaucoup de temps et de travail, et qui se sont souvent accompagnés de tensions importantes. Je remarque d'ailleurs que, dans la branche de la métallurgie, il semble qu'on ait mis deux ans pour passer de 180 à 220 heures.

Des habitudes ont été prises. En cas de surcharge de travail, le recours à l'intérim, à la sous-traitance, en France ou à l'étranger, est devenu la règle.

Quant au compte épargne-temps dont les possibilités d'alimentation sont élargies, il s'agit là aussi d'une bonne mesure, mais particulièrement complexe à gérer. On insiste à juste titre sur les nécessaires simplifications − comme celle de la fiche de paye. Prenons garde à ne pas recréer ailleurs de nouvelles complexités. En outre, en cas de défaillance de l'entreprise, que deviendra le compte épargne-temps ?

Je voterai bien sûr cette proposition de loi, mais avec le sentiment qu'elle vient peut-être trop tard, près de sept ans après la loi Aubry I. Libérer le temps de travail autorisé répond à une attente, mais les énergies sont-elles encore intactes pour recommencer les négociations ? Il me paraît nécessaire de dresser un bilan un an après l'entrée en application de la présente loi. J'ai donc déposé un amendement en ce sens. La représentation nationale et les Français doivent connaître l'impact de ces nouvelles mesures. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le dictionnaire définit l'idéologie comme une pensée détachée du réel, qui se développe abstraitement sur ses propres données. »

M. Hervé Mariton. Vous êtes spécialistes en la matière !

M. Philippe Auberger. Surtout Mme Aubry !

Mme Élisabeth Guigou. Avec cette proposition de loi, vous faites de l'idéologie car vous ne répondez pas à des besoins économiques ou sociaux réels. En effet, votre texte ne va pas améliorer la situation économique de notre pays, ni celle des entreprises. Elle n'augmentera ni le pouvoir d'achat, ni la liberté de choix des travailleurs. Enfin, elle va aggraver les désordres du monde du travail en le rendant encore plus dur et plus inégalitaire.

M. Patrick Roy. Exactement !

Mme Élisabeth Guigou. D'un point de vue macro-économique, ce qui compte, c'est le nombre d'heures travaillées en France, la productivité de ces heures travaillées et le nombre de créations d'emplois.

Or jamais les Français n'ont autant travaillé qu'en 2000, année record de la mise en place de la réduction du temps de travail, avec 27 milliards d'heures travaillées. On le doit bien sûr à la politique économique menée alors, mais aussi aux 350 000 emplois créés par les 35 heures.

M. Louis Giscard d'Estaing. Au lieu des 700 000 annoncés !

Mme Élisabeth Guigou. Depuis 2002, le nombre total de ces heures travaillées a diminué d'un milliard, en raison de l'augmentation du chômage - 200 000 chômeurs supplémentaires - et de la destruction nette d'emplois - 40 000 de moins entre 2002 et 2004 -, phénomène que l'on n'avait pas observé depuis très longtemps.

Honorer la valeur « travail », pour nous, c'est avant tout donner du travail au maximum de personnes. Or, aujourd'hui, les Français travaillent moins. Depuis bientôt trois ans, vous vous êtes en effet trompés de politique économique, au détriment de la croissance et de l'emploi.

Messieurs les ministres, je vous le demande, avec 2,5 millions de chômeurs aujourd'hui en France, est-il responsable d'inciter les chefs d'entreprise à recourir aux heures supplémentaires plutôt que d'embaucher ?

Vous savez aussi bien que moi que la productivité de l'heure travaillée - et donc la compétitivité internationale de la France - n'a jamais autant progressé qu'à la fin des années quatre-vingt-dix, sous le gouvernement Jospin, avec un rythme annuel d'environ 3 % contre 0,7 % actuellement. Nous nous situions, à l'époque, aux tout premiers rangs dans le monde et au premier rang européen. Car travailler moins, c'est travailler mieux. C'est aussi cela, valoriser le travail.

D'un point de vue micro-économique, les entreprises françaises ont-elles besoin d'heures supplémentaires ?

Certaines entreprises dans certains secteurs et à certaines périodes ont bien sûr besoin d'heures supplémentaires. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Et c'est pourquoi les lois Aubry avaient permis de la souplesse avec un contingent d'heures supplémentaires à la rémunération majorée, une définition annuelle du temps de travail pour permettre la meilleure organisation possible du travail et tenir compte des périodes de pointes et de creux ainsi qu'un relèvement du contingent d'heures supplémentaires pour les PME.

Il est vrai que des goulots d'étranglements demeurent dans certains secteurs comme le bâtiment, la restauration, la poissonnerie ou la coiffure. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Philippe Auberger. L'informatique aussi !

Mme Élisabeth Guigou. Un certain nombre de problèmes liés à la RTT sont encore à résoudre, nous ne l'avons jamais nié. Mais une réforme aussi innovante et aussi complexe...

M. Hervé Novelli. Aussi idéologique !

Mme Élisabeth Guigou. ...que les 35 heures demande forcément des adaptations, des assouplissements ultérieurs pour mieux prendre en compte la réalité de chaque secteur. (« Voilà ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Vergnier. Attendez la suite, chers collègues !

Mme Élisabeth Guigou. Le problème, c'est que vous n'adaptez pas les 35 heures, vous les abrogez de fait. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Vergnier. Et sans le dire !

Mme Élisabeth Guigou. Or, bien souvent, le problème dans les branches que je viens de citer réside dans la faible attractivité des emplois, du fait des horaires, mais aussi, nous le savons, de mauvaises conditions de rémunération et de travail. Au lieu de revaloriser ces emplois, vous aggravez les difficultés de recrutement en stoppant le passage aux 35 heures et en instituant durablement une France du travail à deux vitesses : la France des moyennes et grandes entreprises passée aux 35 heures contre la France des PME toujours aux 39 heures, avec des heures supplémentaires majorées très faiblement, d'environ 10 %.

M. Louis Giscard d'Estaing. La faute à qui !

M. Hervé Novelli. C'est vous qui avez commencé !

Mme Élisabeth Guigou. Cette situation, très injuste au regard du principe « à travail égal, salaire égal », avait été tolérée par le Conseil constitutionnel à condition qu'elle soit transitoire. Or vous pérennisez à présent cette inégalité jusqu'en 2008 et vous relevez le contingent légal des heures supplémentaires jusqu'à 220 heures par an. Ce faisant, non seulement vous battez en brèche un principe constitutionnel - raison pour laquelle Jean Le Garrec a défendu ici avec talent une exception d'irrecevabilité - mais, de surcroît, cette mesure, trop globale, trop systématique, trop idéologique,...

M. Hervé Novelli. Vous voulez parler des lois Aubry !

Mme Élisabeth Guigou. ...n'est pas adaptée à la réalité des besoins des entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Car qu'observe-t-on ? En 2003, les entreprises n'ont utilisé ce supplément de contingent qu'à hauteur de 59 heures supplémentaires en moyenne. Seules 31 branches sur 274 ont négocié des accords en ce sens. Bien souvent, les chefs d'entreprise comme les salariés ont signé des accords de passage aux 35 heures « gagnants-gagnants » et ils n'ont pas du tout envie de les défaire. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Hervé Mariton. Alors, ils ne les déferont pas ! Que craignez-vous donc !

Mme Élisabeth Guigou. Mettre fin aux 35 heures ne va pas augmenter le pouvoir d'achat des salariés ni leur liberté de choix. Vous dites qu'il s'agit de « permettre aux salariés de gagner plus s'ils le veulent ». Laissez-moi vous dire, comme François Chérèque, que c'est un mensonge, et même un gros mensonge.

M. Jean Le Garrec. Assurément !

Mme Élisabeth Guigou. Votre proposition de loi vise précisément le contraire : les salariés vont désormais être contraints - et non libres - de travailler plus, pour un salaire qui sera moins majoré. En effet, vous ouvrez la possibilité aux employeurs de stocker d'autorité les heures supplémentaires effectuées par leurs salariés dans leur compte épargne-temps.

M. Hervé Novelli. C'est faux : c'est une faculté, pas une obligation !

Mme Élisabeth Guigou. Les salariés ne pourront pas refuser d'effectuer des heures supplémentaires sans s'exposer à un licenciement pour faute grave. Comment oser parler, dès lors, de « temps choisi » ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Patrick Ollier. Vous mélangez tout. Avez-vous vraiment lu la proposition de loi ?

Mme Élisabeth Guigou. De surcroît, ces heures supplémentaires stockées dans le compte épargne-temps pourront être transformées en rémunération immédiate sans garantie de majoration dans la loi. Jusqu'à l'équivalent de 30 jours de travail pourront être monétisés sur la base du taux horaire non majoré. Quant aux salariés des très petites entreprises, de moins de 20 salariés, ils sont encore moins bien lotis.

Toutes ces mesures se conjuguent pour faire des heures supplémentaires des heures normales : imposées et payées comme les autres. Cette dénaturation des heures supplémentaires rend caduque la durée légale du travail, même si vous ne la supprimez pas.

M. Jean Le Garrec. Tout à fait !

Mme Élisabeth Guigou. Celle-ci a en effet pour fonction première de fixer dans la loi le seuil collectif de déclenchement des heures supplémentaires et les majorations de rémunérations qui leur sont associées.

M. Jean Le Garrec. En effet !

Mme Élisabeth Guigou. Vous brouillez délibérément cette ligne jaune pour mieux permettre son dépassement. Vous supprimez, sans oser le dire, la durée légale du travail et vous faites travailler plus pour gagner moins.

M. Hervé Novelli. C'est vous qui avez commencé avec les entreprises de moins de vingt salariés !

Mme Élisabeth Guigou. Ce qui est peut-être encore plus grave, c'est que cette déréglementation de la durée légale du travail va aggraver encore les désordres du travail.

Cette abrogation de fait des 35 heures est dangereuse pour les salariés. Tous expriment aujourd'hui un besoin très fort de régulation et de sécurisation de leurs parcours professionnels. Or vous n'avez même pas jugé bon de consulter les partenaires sociaux sur une loi aussi déterminante pour l'avenir du droit du travail en France. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Sur le fond, votre proposition de loi dénoue les filets de protection collective autour des salariés en parcellisant le plus possible la négociation des conditions de travail.

M. Christian Estrosi. Caricature !

Mme Élisabeth Guigou. La loi n'offre plus aucune garantie : elle renvoie aux négociations de branche et surtout d'entreprise, niveau, nous le savons, où le rapport de force est plus favorable aux employeurs. Vous ouvrez même la porte, dans les entreprises de moins de vingt salariés, à la négociation individuelle du temps de travail, chaque salarié se retrouvant seul face à son patron pour déterminer ses heures de travail !

M. Hervé Novelli. Simple adaptation aux réalités !

Mme Élisabeth Guigou. C'est une régression sociale sans équivalent !

Avec 2,5 millions de chômeurs aux portes des entreprises, qui nous fera croire que les travailleurs pourront négocier ? Les chantages aux délocalisations fonctionnent déjà à plein en faveur des employeurs, comme le démontrent les accords qui viennent d'être signés chez Bosch - avec 36 heures payées 35 - et chez Arcelor - avec 37,5 heures payées 35. Or les Français ont besoin de sécurité au travail. Depuis trente ans, la montée du chômage de masse a non seulement comprimé leur pouvoir d'achat mais aussi détérioré leurs conditions de travail. Les contre-pouvoirs dans l'entreprise, principalement syndicaux, se sont affaiblis. La précarité a progressé, sous la forme des CDD, de l'intérim, des temps partiels subis. Les accidents du travail même, par la pression physique et la pression morale liées ...

M. Hervé Novelli. Aux 35 heures !

Mme Élisabeth Guigou. ...aux nouvelles formes d'organisation du travail, ont augmenté. Cette insécurité sociale nourrit l'individualisme et mine la cohésion sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Elle est inefficace économiquement et explosive d'un point de vue politique et social. L'éclatement de la durée du travail que vous nous proposez ici ne peut qu'aggraver cette situation.

Depuis trois ans, vous avez fait des 35 heures le bouc émissaire de tout ce qui ne va pas dans notre pays. Comme vous savez que la majorité des salariés y sont attachés - et les femmes plus particulièrement, comme le montre un récent sondage - vous n'osez pas les supprimer ouvertement. Alors, vous organisez leur contournement systématique en proposant aux salariés une supercherie.

En allant contre la baisse séculaire du temps de travail - avec à chaque diminution, une opposition entre la gauche et la droite -, ...

M. Alain Vidalies. Depuis 1863 !

Mme Élisabeth Guigou. ...vous commettez un grave contresens historique. Vous ignorez le besoin de sécurité de nos concitoyens et leur aspiration à un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Vous alimentez, ce faisant, une crise de confiance sans précédent.

M. Louis Giscard d'Estaing. Et les élections de 2002, ce n'était pas une crise de confiance peut-être !

Mme Élisabeth Guigou. C'est bien le plus grave, car la crise de confiance dans le travail renvoie à une crise sociale. Le travail est beaucoup plus que le travail. C'est le premier lien social aujourd'hui dans la société. Votre posture idéologique aggrave la crise politique. Formulant une fois de plus des promesses, qui, hélas ! ne seront pas tenues, vous prenez une lourde responsabilité, celle d'aggraver la défiance, la méfiance à l'égard du présent mais aussi de l'avenir, celle également d'alimenter encore davantage l'abstention et la prolifération des démagogies. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, je dirai d'abord en souriant qu'en siégeant un mercredi matin, ce qui n'est pas coutumier, notre assemblée témoigne de son engagement dans la réforme de l'organisation du temps de travail.

M. Alain Vidalies. Façon de voir !

M. Hervé Mariton. Et il n'est pas mauvais que nous donnions ainsi l'exemple.

Selon vous, chers collègues de l'opposition, nous serions en train de commettre une erreur manifeste, partout dénoncée.

M. Jean Le Garrec. Eh oui !

M. Hervé Mariton. Mais permettez-moi de dénoncer les contrevérités que vous énoncez, que ce soit au groupe socialiste ou au groupe communiste. Je reprends donc les propos de certains d'entre vous.

M. Alain Vidalies. Ce sont les ministres qui procèdent ainsi !

M. Hervé Mariton. Selon Alain Bocquet, nous serions en train de faire reculer de soixante-dix ans, pas moins, la législation du travail. À ce point d'excès, qui vous croira ?

M. Patrick Roy. Les salariés !

M. Hervé Mariton. Gaëtan Gorce, pour sa part, a expliqué que la proposition de loi suscitait les critiques de tous les acteurs syndicaux. Pour ma part, je ne crois pas avoir entendu que la CGC participerait au mouvement du 5 février. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Chers collègues, la CGC appréciera ! Nous ne manquerons pas de lui dire de quelle manière vous réagissez quand nous rendons compte de sa position.

M. Patrick Ollier. C'est choquant !

M. Hervé Mariton. Oui, il est choquant que la position d'un acteur syndical respectable et reconnu de notre pays déclenche votre hilarité. Chacun le saura. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Vidalies. Quelle caricature !

M. le président. Chers collègues, tout se passait bien jusqu'à présent, veuillez vous calmer.

M. Alain Vidalies. Mais il nous provoque !

M. le président. Personne ne provoque, chacun s'exprime. Voilà tout.

M. Hervé Mariton. Martine Aubry nous a expliqué que, grâce aux 35 heures, nous avions abouti à l'arrêt de l'augmentation du chômage, et même à sa diminution. Oui, mais il y a un « hic » dans son raisonnement, vous le savez bien : dès l'année 2001, le chômage dans notre pays a recommencé à croître.

Si vous aviez trouvé la méthode miracle,...

Mme Élisabeth Guigou. On n'a jamais dit cela ! mais qu'est-ce que c'est que cette caricature ?

M. Hervé Mariton. ...en tout cas on l'aurait constaté. Or les faits démentent ce que vous assénez. Martine Aubry se trompe s'agissant des chiffres de l'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Gorce nous a expliqué que nous allions engendrer des inégalités. Mais qui les a engendrées en matière de SMIC, dont nous réparons progressivement le niveau depuis plus de deux ans ? Nous corrigeons les inégalités que vous avez provoquées.

François Hollande nous a expliqué, ces dernières heures, qu'il n'y a plus d'heures supplémentaires à faire dans les entreprises françaises. Quelle vision des choses !

M. Yves Durand. En tout cas, ce n'est pas la vôtre !

M. Hervé Mariton. À dire vrai, si tel est le cas, elles ne se feront pas et il n'y a alors pas de raison de dénoncer le texte à ce point. Nous sommes simplement un peu moins pessimistes que lui sur l'avenir de notre pays, de son économie et de son emploi.

Au total donc, les critiques de Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius quant aux rigidités des 35 heures sont maintenant oubliées.

J'ai trouvé une déclaration intéressante et pleine de vérité d'Arlette Laguiller qui a reconnu, le 31 janvier dernier, que « le Gouvernement octroie la liberté de travailler plus pour gagner plus ». Enfin quelqu'un à gauche qui, même si, par ailleurs, elle dénonce d'autres dispositions du texte, prend acte de l'objectif principal de notre démarche. Arlette Laguiller a le mérite de faire un diagnostic lucide, même si le terme « octroyer » est un peu déplaisant.

M. Alain Vidalies. L'UMP citant Lutte ouvrière, voilà qui est rare !

M. Hervé Mariton. Vous nous parlez de réforme idéologique. Oui, nous avons des convictions, nous affirmons la place de la valeur travail dans notre société.

M. Alain Vidalies. Même M. Estrosi semble s'inquiéter !

M. Hervé Mariton. Pour autant, notre approche est totalement pragmatique. Nous pensions que les cadres seraient plus attachés au maintien du dispositif actuel. Pourtant, la majorité des cadres demandent un assouplissement de l'organisation du temps de travail.

Vous avez souvent évoqué dans le débat ce sondage qui fait apparaître que 77 % des salariés souhaitent conserver leur temps de travail. Pourquoi pas ? Mais il y a aussi ceux qui souhaitent le modifier et il est important d'y répondre. La réforme donne simplement les moyens de répondre aux souhaits des uns et des autres. La réforme sera ce que la vie des entreprises, la vie des salariés, la vie économique la fera.

Mais prenons garde à ne pas décevoir.

M. Yves Durand. Encore un peu de courage !

M. Patrick Roy. Pourquoi pas la semaine de 48 heures ?

M. Hervé Mariton. La mise en œuvre de cette réforme doit être simple et efficace. C'est vrai, les entreprises sont parfois hésitantes à remettre sur le métier ce qui a été si compliqué et si coûteux en termes de préparation et de mise au point d'accords. L'organisation du travail n'est pas une affaire simple, elle ne doit pas être modifiée sans réflexion, sans les outils - nous les apportons - et sans la recherche du résultat.

Enfin et surtout, messieurs les ministres, nous ne devons pas décevoir ceux qui, demain, voudront travailler plus.

M. Patrick Roy. 48 heures, par exemple ?

M. Hervé Mariton. Il est important de pouvoir répondre, à un instant donné, aux demandes des salariés, même s'ils ne sont que 23 % aujourd'hui à vouloir travailler plus. Car, au fur et à mesure que le temps passe, tous les salariés pourront être concernés à un moment donné. Les 23 % ne seront pas les mêmes dans deux, trois ou cinq ans. Oui, ces 23 %, nous pouvons les multiplier.

M. Jean Le Garrec. C'est la multiplication des petits pains !

M. Hervé Mariton. Voilà comment nous pensons répondre à la demande de la grande majorité de nos concitoyens.

M. Chérèque a bien résumé les choses en déclarant : « L'enjeu est que le Gouvernement tienne ses promesses aux 20 % de salariés qui souhaiteraient travailler plus. » L'assouplissement de l'utilisation du compte épargne-temps, les heures choisies au-delà du contingent légal, le régime dérogatoire des petites entreprises permettront effectivement à ceux qui veulent travailler plus de gagner plus.

Cette réforme sera utile. C'est tout ce que je lui souhaite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Christian Estrosi.

M. Christian Estrosi. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, lorsque le gouvernement Jospin-Aubry-Guigou a décidé, en solitaire, d'instaurer la semaine des 35 heures de façon dogmatique et autocratique,...

M. Yves Durand. Ça commence bien !

M. Alain Vidalies. C'est l'Assemblée qui a décidé !

Mme Muguette Jacquaint. Vous, vous n'êtes pas solitaires, vous avez le MEDEF !

M. Christian Estrosi. ...les Français ont assisté, impuissants, à la naissance d'un véritable mirage, à la fois économique et social.

Le mirage a d'abord été économique. Les partisans de la réduction du temps de travail nous ont annoncé un million et demi de nouveaux emplois.

M. Jean Le Garrec. C'est faux !

M. Christian Estrosi. Aujourd'hui, les spécialistes estiment que 350 000 emplois au mieux ont été créés ou préservés.

Mme Élisabeth Guigou. Voilà un mensonge de plus !

M. le président. Madame Guigou, personne ne vous a interrompue. Alors, n'interrompez pas M. Estrosi.

M. Christian Estrosi. Les 35 heures ont coûté plus de 15 milliards d'euros par an,...

Mme Élisabeth Guigou. Ça aussi, c'est faux !

M. Christian Estrosi. ...c'est-à-dire plus que le déficit de la sécurité sociale en 2004 ! En un mot, l'État a dépensé 15 milliards d'euros tous les ans pour empêcher les Français de travailler !

Et il ne faut pas oublier que l'augmentation du coût du travail a pesé fortement sur la compétitivité de nos entreprises et que la France s'est retrouvée avec des pertes de marché. Quel comble pour une réforme dont l'objet était de créer des emplois ! En un mot, les 35 heures imposées ont fait de notre économie la risée de nos partenaires européens !

M. Yves Durand. Il fallait avoir le courage de les supprimer !

M. Christian Estrosi. J'observe que ce sont les pays qui travaillent le plus qui connaissent les taux de chômage les plus bas, et non l'inverse.

À ce sujet, je voudrais m'arrêter un instant sur double langage que tient Mme Guigou. En effet, dans un article d'un grand hebdomadaire du dimanche intitulé « Guigou, le grand retour » (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),...

M. Jean Le Garrec. Voilà, elle est là !

M. Jacques Briat. Elle était donc partie !

M. Christian Estrosi. ...elle déclare : « Il faut stopper durablement la crise de l'emploi et la dégradation du travail que nous connaissons depuis trente ans. »

M. Hervé Novelli. Quel aveu !

M. Yves Durand. Elle a raison !

M. Christian Estrosi. Et elle ajoute que l'on ne doit pas se crisper sur les acquis et que c'est par la revalorisation du travail que l'on pourra mieux vivre ensemble.

Mme Élisabeth Guigou. Évidemment !

M. Yves Durand. Ce n'est pas par le chômage !

M. Christian Estrosi. Pourtant, Mme Guigou tient un autre discours, le mercredi suivant, dans la confidentialité de l'Assemblée nationale. Quelle duplicité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Yves Durand. C'est d'une élégance !

M. Christian Estrosi. Il convient de conserver les 35 heures comme durée légale du travail, tout en permettant, par la négociation collective, de fixer une durée conventionnelle du travail, comme cela se pratique depuis longtemps et sans problème majeur dans plusieurs pays d'Europe.

Mais surtout, il est urgent que nous réaffirmions la valeur du travail, afin de gommer les méfaits du deuxième mirage des lois Aubry, à savoir le mirage d'une réforme sociale juste.

Je tiens à rendre hommage à Hervé Novelli, Patrick Ollier, Pierre Morange et au Gouvernement, qui soutient cette démarche. Avec cette proposition de loi, nous allons permettre à ceux qui le souhaitent de travailler davantage pour gagner davantage. Dans cet esprit, je demeure persuadé que nous devons étendre au plus vite les avancées de cette proposition de loi à l'ensemble de nos fonctionnaires. L'équité doit nous conduire en effet à leur proposer les mêmes avantages que ceux dont pourront bénéficier les salariés du privé, à savoir l'assouplissement du compte épargne-temps et la possibilité d'effectuer des heures choisies au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires.

Mme Élisabeth Guigou. Voilà la prochaine étape !

M. Michel Vergnier. Sarkozy l'a dit, Estrosi veut le faire !

M. Christian Estrosi. Nous devons dépasser le tabou de la question des 35 heures dans la fonction publique et faire en sorte que nos fonctionnaires disposent eux aussi de la liberté de pouvoir choisir, parce qu'ils nous le demandent.

Ce sont les 3 400 agents dévoués et compétents du conseil général des Alpes-Maritimes que je préside qui m'ont alerté sur ce sujet : un grand nombre d'entre eux sont exclus du dispositif des heures supplémentaires.

Aussi, je propose au Gouvernement les modifications du cadre légal et réglementaire suivantes.

Je vous rappelle que les heures supplémentaires sont actuellement plafonnées à 25 heures par mois et payables seulement aux agents de catégorie C ou B ayant un indice brut inférieur à 380.

Les heures supplémentaires ne sont pas payables aux rédacteurs au-delà du septième échelon ainsi qu'à tous les rédacteurs principaux et aux rédacteurs chefs. Elles ne sont pas payables non plus aux techniciens supérieurs au-delà du cinquième échelon ainsi qu'à tous les techniciens supérieurs principaux et aux techniciens supérieurs chefs, ni aux assistants socio-éducatifs au-delà du troisième échelon ainsi qu'à tous les assistants socio-éducatifs principaux.

J'ai donné un seul exemple par filière, mais il en va de même pour les contrôleurs de travaux, les éducateurs et bien d'autres métiers. On trouve, au sein de la fonction publique territoriale, des dizaines de métiers exceptionnels au service de l'intérêt général et de l'intérêt public et il nous appartient de leur apporter des réponses concrètes.

M. Roland Chassain. Très bien !

M. Christian Estrosi. Aussi, je propose, d'une part, d'augmenter le quota d'heures supplémentaires au-delà des 25 heures mensuelles et de l'annualiser car certains dépassements horaires correspondent à des activités saisonnières ou sont liés à des tâches administratives exceptionnelles mais limitées dans le temps.

M. Alain Vidalies. Le progrès est en marche !

M. Christian Estrosi. D'autre part, je propose la revalorisation du plafond de l'indice 380, voire sa suppression pour que l'ensemble des agents puissent en bénéficier.

Par ailleurs, pour le compte épargne-temps, le régime applicable aux collectivités locales est plus limité que dans le secteur privé ou même dans la fonction publique d'État.

Dans la fonction publique d'État, la durée du compte épargne-temps est de dix ans ; elle n'est que de cinq ans dans la fonction publique territoriale.

Dans le secteur privé, le nombre maximum de jours par an pouvant alimenter le compte épargne-temps est de vingt-deux, comme dans la fonction publique. La proposition de loi envisage d'élargir les possibilités d'alimentation du compte épargne-temps en laissant à l'accord collectif le soin de fixer ses limites sous réserve de respecter, d'une part, la durée maximale hebdomadaire du travail et, d'autre part, la durée minimum effective des congés annuels.

II y aurait lieu, monsieur le ministre, de supprimer toute limite de durée du compte épargne-temps et d'augmenter significativement le nombre de jours pouvant être versés chaque année. Dans les collectivités locales, ce nombre pourrait être fixé par délibération de l'assemblée.

Il est également envisageable de régler sous forme de supplément de traitement tout ou partie des jours compte épargne-temps, par exemple lors du départ à la retraite de l'agent, à l'issue d'une période intermédiaire à définir ou pour conforter financièrement un projet personnel.

Il était important de défendre le statut de ces fonctionnaires des collectivités territoriales qui aspirent, pour beaucoup d'entre eux, à pouvoir gagner plus en travaillant plus au service de territoires qu'ils aiment et qu'ils défendent avec énergie aux côtés des élus. J'espère que le Gouvernement saura écouter au plus vite ces très nombreux fonctionnaires auxquels on ne donne que trop rarement la parole. Ils comptent sur lui pour avoir enfin la possibilité d'être mieux rétribués, grâce à une rémunération au mérite.

M. Yves Durand. Le mot est lâché !

M. Christian Estrosi. Je souhaite, messieurs les ministres, que vous ne les déceviez pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Poulou.

M. Daniel Poulou. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, tant de choses ont été dites depuis hier, avec tant de talent et de conviction, que je serai bref ! Je me contenterai de rappeler les incidences de la réforme sur les petites et moyennes entreprises, si importantes pour l'économie de notre pays.

La gauche socialiste a voulu faire de la réduction du temps de travail un vecteur de progrès social et un outil de création d'emploi.

M. Michel Vergnier. Et elle a réussi !

M. Daniel Poulou. En réalité, la loi a engendré des rigidités dans les entreprises, des complexités administratives, et grevé les budgets, mettant en danger la compétitivité de nos entreprises.

M. Michel Vergnier. Rien que ça !

M. Daniel Poulou. Les 35 heures ont coûté 11 milliards d'euros à l'État en 2004. Elles représentent une charge insupportable pour le budget de la France.

En voulant imposer une durée du travail universelle, la gauche socialiste a institué une nouvelle exception française. Elle a commis un contresens lourd de conséquences pour la vitalité de nos entreprises et le pouvoir d'achat des salariés, bref, pour le pays tout entier.

M. Michel Vergnier. Parlez-nous du tourisme !

M. Daniel Poulou. Sans demander à renoncer à ce qui est considéré aujourd'hui comme un acquis, nos entrepreneurs attendent que le Gouvernement, avec le soutien de la majorité, leur rende de la liberté et de la flexibilité pour organiser leur travail et leur permettre de faire face à la concurrence grâce à leur réactivité. Les salariés doivent faire confiance aux entreprises qui, par définition, souhaitent se développer malgré les aléas du marché avec le souci de maintenir leurs emplois, d'assurer leur formation et de mieux les rémunérer.

En ce qui concerne le texte, j'aurais aimé que l'article 3 pérennise le dispositif de la loi du 4 mai 2004. Il prévoit la reconduction, jusqu'au 31 décembre 2008, du régime transitoire applicable aux entreprises de moins de vingt salariés assujetties à la durée légale de 35 heures depuis le 1er janvier 2002. Je regrette que nous n'ayons pas profité de la discussion pour pérenniser définitivement ce dispositif en l'étendant à l'ensemble des entreprises. Peut-être ne sommes-nous pas encore allés assez loin dans la réforme.

Quoi qu'il en soit, je remercie tous ceux de mes collègues qui ont eu le courage de déposer cette proposition de loi, en particulier Patrick Ollier, Hervé Novelli et Pierre Morange, ainsi que le Gouvernement qui a accepté de l'examiner. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Guibal.

M. Jean-Claude Guibal. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, Martine Aubry, lorsqu'elle était ministre du travail, s'est crue à la fin des années quatre-vingt-dix revenue au temps du Front populaire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Elle s'est imaginée qu'elle en était l'héritière et qu'elle devait en être la continuatrice.

Mme Élisabeth Guigou. Quel sens de la nuance !

M. Jean-Claude Guibal. Or, entre-temps, le monde avait changé ! Aujourd'hui, en effet, l'économie est globalisée et soumise aux lois du marché. Parce qu'elles sont en concurrence, les entreprises, mais aussi les nations, sont condamnées à être compétitives. Le travail, dans quelque secteur que ce soit, constitue un facteur de production essentiel. Le contingenter, comme l'ont fait les lois Aubry, c'est poser le postulat que la France met davantage de capital que les autres pays développés à la disposition de ses salariés et que ceux-ci sont les plus intelligents, les mieux formés et les plus productifs de tous les travailleurs. C'est un bel hommage, sans doute mérité, qui est ainsi rendu au peuple de France, mais qui traduit aussi aveuglement, ou prétention. Il bride notre compétitivité et notre capacité à créer des richesses et, par conséquent, à les partager.

Contingenter le travail pour lutter contre le chômage, c'est aussi supposer que le travail serait une quantité fixe, un stock donné, qu'il s'agirait de partager de sorte que chacun en ait une part. L'observation des mécanismes économiques nous démontre tous les jours que, contrairement à cette vision statique, c'est le travail qui crée le travail !

Dans le monde d'aujourd'hui, nombreux sont ceux qui aspirent à davantage de temps libre et de loisir. Mais les mêmes souhaitent aussi une augmentation de leur pouvoir d'achat et les moyens de financer leurs loisirs. Or, si les lois Aubry ont accru le temps libre, elles ont simultanément réduit le pouvoir d'achat des salariés, en particulier celui des plus modestes d'entre eux. Au total, et c'est aussi l'opinion d'une majorité de nos concitoyens, les 35 heures ont coupé les moteurs de la croissance, pénalisé l'emploi et aggravé les inégalités.

Il convenait donc, et le texte s'y attache, de corriger les conséquences les plus négatives des lois Aubry en réintroduisant de la souplesse dans un dispositif excessivement rigide et uniforme, et en l'adaptant aux exigences de l'économie de marché en même temps qu'à celles de l'équité sociale.

Adapter les lois Aubry, c'est d'abord permettre aux branches, aux entreprises et aux salariés qui en ont besoin, et qui le souhaitent, de travailler plus. C'est aussi laisser un plus large choix entre le temps épargné et le temps rémunéré ainsi que dans les modalités d'organisation du temps de travail. C'est encore mieux rémunérer le temps travaillé au-delà de la durée légale, de façon à revaloriser le travail, à accroître le pouvoir d'achat et à réduire l'écart de rémunération entre le capital et le travail. C'est enfin prendre en compte les différences d'organisation et de moyens qui existent entre les grands groupes, qui ont servi de référence aux lois Aubry, et les PME ou les très petites entreprises, qui ne survivraient pas à l'application stricte de ces textes.

En d'autres termes, la proposition de loi qui nous est soumise ne remet pas en cause la durée légale du travail, désormais fixée à 35 heures, mais elle introduit dans l'organisation du temps de travail une souplesse indispensable aux entreprises et une plus grande liberté de choix pour les salariés. C'est à mes yeux un texte équilibré et mesuré qui fait sortir le débat sur le temps de travail de son âge métaphysique. Il lui fait quitter les rivages de l'économie administrée (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) pour aborder ceux de l'économie réelle. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est juste un problème de paradigme ! La proposition de loi préserve la compétitivité des entreprises et protège l'emploi. Elle renforce la liberté des salariés et améliore la rémunération du travail. Et ce sont autant de raisons de la voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Alfred Trassy-Paillogues.

M. Alfred Trassy-Paillogues. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur, le sujet que nous abordons aujourd'hui ne mérite pas le sectarisme. Il ne justifie pas l'invective ni n'appelle l'agressivité car l'enjeu n'est rien de moins que la compétitivité de nos entreprises, leur adaptabilité, leur capacité à réagir vite dans une conjoncture souvent difficile et imprévisible. Il en va du développement économique de la France et de son aptitude à lutter efficacement contre le chômage.

Dans ce débat d'une grande complexité, où tout n'est pas blanc ou noir, j'éviterai l'idéologie pour me concentrer sur les PME et PMI qui constituent la trame de l'emploi dans notre pays grâce, souvent, à la grande stabilité de leurs effectifs. Elles représentent un véritable contrepoids à des groupes qui nous prennent parfois à contre-pied avec leurs délocalisations soudaines, leurs fusions subreptices et leurs brutales compressions de personnel.

La mise en place des 35 heures est partie d'une double méprise : d'une part, le travail serait un gâteau dont les parts seraient d'autant plus nombreuses qu'elles seraient plus petites ; d'autre part, le marché pourrait être contrôlé et l'organisation du travail réglementée jusqu'à l'uniformisation, la standardisation, et même la rigidité.

M. Alain Vidalies. Nous avons fait exactement l'inverse !

M. Alfred Trassy-Paillogues. Dans les grosses entités, où la gestion du personnel est plus informatique ou statistique qu'humaine, des emplois ont peut-être été créés à court terme, mais au prix d'un stress qui a été mis en évidence par la médecine du travail. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Durand. Grande nouveauté !

M. Alfred Trassy-Paillogues. Mais les petites et moyennes structures ont subi un véritable électrochoc : des effectifs fluctuant en permanence et insuffisants, au point de déstabiliser certains services plusieurs jours par semaine, les contraintes de coût les privant des embauches qui auraient permis de résoudre leurs problèmes - mais comment recruter un cadre spécialisé et performant à tiers ou quart temps ? - ; un service commercial bien souvent affaibli par une force de vente devenue inopérante. C'est ainsi que l'on perd des marchés avant de perdre sa substance. Aussi, pour maintenir son activité, l'entreprise doit-elle, face aux aléas de la conjoncture et aux coups de boutoir de la concurrence, être flexible, très flexible, excessivement flexible.

Ne pas comprendre, ou feindre de ne pas comprendre, que, dans une PME ou une PMI, la relation entre le « patron » et le salarié puisse être de confiance, ne pas comprendre que le contrat, avec tout ce qu'il sous-entend de concertation, de négociation et de consensus, puisse se révéler gagnant-gagnant, ne pas comprendre que l'on ait envie de convertir ses jours de RTT en salaire, ou que l'on souhaite arrondir ses fins de mois sans recourir à des expédients illégaux constitue une erreur, voire une faute lourde de conséquences pour l'ensemble de l'économie.

Le texte de Patrick Ollier, d'Hervé Novelli et de Pierre Morange, messieurs les ministres, ouvre aux salariés et aux entreprises un nouvel espace social de liberté et de responsabilité dont nous avons bien besoin. C'est pourquoi je le soutiendrai. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Diefenbacher, dernier orateur inscrit.

M. Michel Diefenbacher. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'avoue être un peu surpris du tour pris d'emblée par la discussion. La gauche semble nous accuser de commettre un double crime : nous serions, d'une part, en train de profaner un sanctuaire et, d'autre part, sur le point de violer la volonté des Français. Or, nous ne profanons rien, nous respectons la loi puisque la durée légale du travail restera à 35 heures.

M. Yves Durand. Personne n'est dupe !

M. Michel Diefenbacher. Nous ne violons pas les Français ; au contraire, nous leur rendons la parole.

M. Yves Durand. Vous êtes libre de tout dire !

M. Michel Diefenbacher. Au système des lois Aubry fondé sur la volonté autoritaire de l'État et sur le nivellement, nous opposons un dispositif qui repose sur deux principes : le volontariat et la négociation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Vidalies. C'est le seul texte sur lequel il n'y a pas eu de négociation !

M. Michel Diefenbacher. Pourquoi modifier l'existant ? Si l'on en croit la gauche, surtout les socialistes, tout le monde serait satisfait de la législation actuelle. Les employeurs ne demanderaient pas de modification et les salariés ne trouveraient que des avantages à disposer de plus de temps libre. Mais, si les choses étaient si simples, les critiques n'auraient pas été, dès l'origine, aussi violentes et n'auraient pas eu en 2002 les conséquences politiques que l'on sait. Et nous ne serions pas engagés dans une réforme dont nous mesurons toute la difficulté.

Mme Élisabeth Guigou. Vous vous embarquez dans une drôle d'affaire !

M. Michel Diefenbacher. La réalité est infiniment plus complexe et nuancée que ce que vous dites. En vérité, si les employeurs ne demandent pas que les 35 heures soient rayées d'un trait de plume, c'est qu'ils ont besoin d'un minimum de stabilité dans leur organisation. Ils constatent, comme tout le monde, que, depuis vingt ans, chaque échéance électorale nationale se traduit par une alternance, et ils ne peuvent pas se permettre de revoir tous les cinq ans leur mode de travail. Sinon, l'ensemble de l'économie française en souffrirait. Du côté des salariés, un certain nombre d'entre eux sont satisfaits, il faut le reconnaître, mais combien d'autres mettent le pouvoir d'achat au centre de leurs préoccupations et sont prêts à travailler plus pour gagner davantage ?

On prétend qu'ils ne sont que 23 % ! Mais c'est un chiffre déjà considérable ! Ne seraient-ils que 15 %, 10 %, voire 5 %, que leur revendication devrait être prise en considération.

M. Hervé Novelli. Il en va du respect des minorités !

M. Michel Diefenbacher. Qui ira leur expliquer que c'est parce qu'ils sont politiquement minoritaires qu'ils ont juridiquement et économiquement tort ?

Trois vérités doivent être rappelées.

Tout d'abord, un grand nombre d'entreprises ont aujourd'hui encore du mal à s'adapter aux 35 heures. Il ne s'agit pas seulement des petites et moyennes entreprises, mais également d'entreprises publiques, comme La Poste, dont la compétitivité, du fait des 35 heures, est gravement handicapée par rapport aux postes étrangères, ou l'hôpital public, qui ne s'est toujours pas remis de cette réforme.

De plus, comme l'a rappelé Hervé Mariton, un grand nombre de salariés demanderont eux-mêmes à sortir des 35 heures.

Il convient également de rectifier sur un point ce qu'un des orateurs de gauche a affirmé sur la compétitivité de la France. On prétend que la France est au premier rang en termes de compétitivité. C'est à la fois vrai et faux. C'est vrai si l'on rapporte la production du pays au nombre des salariés qui sont effectivement occupés. À cet égard, nos entreprises et notre main-d'œuvre sont très productives. Mais la compétitivité d'un pays se mesure par rapport à l'ensemble des personnes en âge de travailler. Nous ne situons plus alors qu'au vingt et unième rang : c'est dire le retard que nous avons à rattraper !

Nous voulons éviter que ce débat ne se place sur le terrain idéologique. Nous sommes, plus que quiconque, convaincus que l'idéologie et l'économie font nécessairement mauvais ménage. Mais nous refusons en même temps de créer une instabilité permanente du droit. Les entreprises ont besoin, pour leur organisation interne, d'un minimum de continuité. C'est pourquoi nous voulons à la fois faire progresser la liberté dans la vie des entreprises en ouvrant un espace à la négociation collective et améliorer le pouvoir d'achat des salariés.

Les 35 heures représentaient pour la France une menace majeure : celle de faire de notre pays un pays de bas salaires. Il convient de sortir de cette logique.

M. Alain Vidalies. Vous commencez très mal !

M. Michel Diefenbacher. Ce qui gêne la gauche, dans ce débat,...

M. Alain Vidalies. C'est la droite !

M. Michel Diefenbacher. ...c'est qu'il montre clairement l'absurdité de la théorie de la lutte des classes ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Les intérêts des entreprises, des salariés et de la collectivité sont manifestement convergents. Les entreprises ont besoin d'une plus grande souplesse, les salariés souhaitent légitimement améliorer leur pouvoir d'achat et la collectivité a besoin d'une amélioration de la productivité et d'un soutien à la consommation.

Il est nécessaire pour la France de voir le volume d'heures travaillées dans l'hexagone augmenter. Le nouveau dispositif doit être attractif. Il le sera si les prélèvements fiscaux et sociaux ne sont pas trop lourds.

M. Alain Vidalies. Voilà !

M. Michel Diefenbacher. Louis Giscard d'Estaing a évoqué, avant moi, la piste d'un allégement des charges salariales sur les heures effectuées au-delà des 35 heures. C'est, je le sais, un sujet difficile. L'enjeu financier en est important. Mais depuis deux ans et demi que nous sommes au pouvoir, nous cherchons par tous les moyens à montrer à l'opinion publique combien nous sommes attachés à la réhabilitation du travail. Dans la perspective de 2006, nous devons réfléchir aux allégements fiscaux et à la baisse des charges. Autant il est important d'alléger les charges fiscales qui pèsent sur l'ensemble des revenus, autant il serait important de marquer, me semble-t-il, une attention particulière aux revenus du travail et aux bénéficiaires de ces revenus lorsqu'ils acceptent, pour le développement de notre économie, de travailler davantage. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Vidalies. Et pour les 200 000 chômeurs que vous avez créés, que prévoyez-vous ?

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais vous faire part, au nom de mon collègue Gérard Larcher et de l'ensemble du Gouvernement, de notre satisfaction devant la grande qualité du travail accompli par la mission parlementaire et devant celle de la concertation qui a été menée. Le résultat en a été le dépôt de cette proposition de loi, qui est, à la fois, simple et de bon sens.

Il m'appartient de faire quelques remarques d'ordre général. Les 35 heures, dont l'application constitue, dans le monde d'aujourd'hui, une originalité française, ont, me semble-t-il, donné lieu à des résultats pour le moins nuancés. Le débat sur l'adaptation et l'organisation du temps de travail n'est pas né avec la loi sur les 35 heures. De nombreux débats portant sur l'adaptation du temps de travail ont déjà eu lieu sous les gouvernements précédents - je pense notamment à une proposition de loi déposée par Gilles de Robien et par des parlementaires RPR. Qui peut contester que, sur certains points, des adaptations étaient nécessaires pour permettre une meilleure flexibilité ou une meilleure souplesse, voire des réductions réfléchies du temps de travail ? Il est probable que les adaptations « Robien » ou « Aubry I » ont permis d'engager, dans certains cas, les mutations industrielles dont la France avait besoin, notamment pour des entreprises dont la taille le permettait et dont la part capitalistique était très importante par rapport au coût du travail. La flexibilité était alors indispensable pour rentabiliser les investissements capitalistiques et rendre plus performante toute une partie de notre industrie.

Mme Chantal Brunel. C'est vrai.

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Dont acte !

En revanche, ces réformes, dans des secteurs où la compétition se décide sur la part de main-d'œuvre, notamment dans les services, ont probablement freiné le développement économique d'entreprises plus modestes, qui n'avaient pas de telles capacités d'adaptation.

Les dispositifs d'adaptation ont, vraisemblablement aussi, permis à des salariés français de bénéficier d'un plus grand nombre de jours de vacances - je pense notamment aux cadres méritants de notre pays.

Mais comment refuser de voir, comme l'indiquait un rapport de 2000, que les plus mécontents des salariés se trouvent parmi les ouvriers et principalement les ouvrières non qualifiées, pour lesquelles les modalités de passage aux 35 heures ont finalement été à la source d'inquiétudes liées aux modulations des horaires collectifs ?

Comment refuser de voir que si les adaptations « Robien » ou « Aubry I » ont permis une plus grande flexibilité dans les entreprises, celle-ci a été obtenue au prix de ce que l'on a appelé pudiquement la « modération salariale », c'est-à-dire, en réalité, d'une pression extrêmement forte sur les salaires les moins qualifiés ?

M. Maxime Gremetz. Vous appelez cela une modération !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Puisque vous m'interpellez, monsieur Gremetz, je serai plus précis : en 2000, si les salaires nets français ont baissé de 0,2 %,...

M. Hervé Novelli. Chiffres de l'INSEE !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. ...les salaires des ouvriers qualifiés et non qualifiés ont baissé, quant à eux, de 0,8 %. Ce sont les chiffres de l'INSEE.

M. Maxime Gremetz. C'est une évidence !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. J'essaie simplement de voir les choses en toute objectivité !

La question qui est sur toutes les lèvres concerne les créations d'emploi. J'en appelle à la raison du Parlement. Chacun sait que les effets économiques ou publics des mesures prises sont toujours différés. Il ne suffit pas d'un claquement de doigts ! On a évoqué les 350 000 emplois créés par l'ensemble du dispositif Aubry. Une appréciation exacte se révèle difficile dans un pays où, je tiens à le rappeler, 30 000 emplois sont créés ou détruits par jour ouvrable. Je ne peux pas certifier la réalité d'un tel chiffre. Je me contenterai de faire la constatation suivante : alors que les prévisions de 1998 portaient sur la création de 700 000 emplois au titre de la RTT obligatoire, à partir du moment où les 35 heures ont été rendues massivement obligatoires, en 2000,...

M. Pierre Morange, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Le chômage a augmenté !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. ...ce fut, en France, la fin d'une période heureuse de croissance économique.

M. Hervé Mariton. C'est exact !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Je n'établis pas de causalité directe,...

M. Hervé Novelli. Mais il y a quand même un fort soupçon !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. ...je constate simplement le fait. La courbe du chômage n'a plus cessé de monter jusqu'en 2004 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Vidalies. Dans ces conditions, pourquoi ne supprimez-vous pas purement et simplement les 35 heures ?

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. J'ai donc du mal à voir où sont passés les 350 000 emplois créés ! On oublie pudiquement de nous dire que le document qui prétend les attester évoque la « sauvegarde d'emplois », concept pour le moins imprécis, puisqu'il inclut tous les salariés d'une entreprise qui ont simplement signé la convention de modération salariale. La vérité est que ce n'est pas la mise en application généralisée des 35 heures qui a amélioré la performance économique de notre pays. L'augmentation de la production et l'accroissement des richesses ont été les résultats de la politique menée antérieurement, dans les années 1996 et 1997, lesquelles ont constitué une période de forte croissance pour notre pays.

Les 35 heures payées trente-neuf sont considérées comme un acquis social. Dont acte ! La seule question qui reste posée concerne donc la modernisation des 35 heures en vue de les rendre supportables pour les entreprises.

M. Maxime Gremetz. C'est-à-dire le retour aux 39 heures, voire aux 40 heures !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. La modernisation des 35 heures comprend trois objectifs.

Le premier objectif concerne la réactivité de nos entreprises. On entend aujourd'hui parler du chantage à la délocalisation comme hier du sentiment d'insécurité. La délocalisation et la compétitivité sont des réalités. Un rapport récent indique que la meilleure façon de lutter contre les délocalisations, c'est encore de permettre une meilleure réactivité des entreprises françaises, ce que vise la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le deuxième objectif de cette modernisation est de tirer vers le haut les salaires les plus modestes. Ce n'est pas un hasard si, comme le révèlent les sondages, ce sont les ouvriers qui sont deux fois plus sensibles que les cadres à la question du pouvoir d'achat. Nous voulons engager la modernisation du niveau des revenus des ouvriers non qualifiés et qualifiés français, et donc de leur niveau de vie.

M. Alain Vidalies. Les cadres ne risquent pas d'être payés en heures supplémentaires, puisqu'ils le sont au forfait !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. La modernisation doit porter enfin sur le dialogue social : à cet égard, les mesures proposées ne seront applicables que dans le cadre d'un accord collectif.

Ce texte de bon sens ne vise qu'à soutenir les salaires les plus faibles et à accroître notre capacité de répondre aux évolutions de la conjoncture, une plus grande réactivité étant le meilleur moyen de lutter dans la compétition internationale. Qui ne se réjouit ici quand une entreprise française ou étrangère vient s'installer dans sa circonscription ou dans sa commune ? Dès lors, pourquoi désigner globalement les entreprises françaises à la vindicte ? Cela ne correspond nullement à ce que chacun de vous vit sur le terrain ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Rappels au règlement

M. Jean Le Garrec. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Jean Le Garrec, pour un rappel au règlement.

M. Jean Le Garrec. Le ministre clé dans ce débat, celui de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, vient de s'exprimer. Il est vraiment dommage que cette intervention n'ait pas eu lieu à l'ouverture du débat, car elle tranche singulièrement avec tout ce que nous avons pu entendre jusqu'à présent.

Mme Chantal Brunel. Pas du tout !

M. Jean Le Garrec. La discussion aurait sans doute pris un autre tour. Sur bien des points, je suis en désaccord avec le ministre, mais, s'il était intervenu d'emblée - ce qui était son rôle -, nous aurions pu engager un débat sur le fond et éviter ainsi les prises de position caricaturales auxquelles nous avons assisté.

Permettez-moi donc de formuler deux remarques, monsieur le ministre.

Tout d'abord, vous ne pouvez contester les chiffres des créations d'emplois : ils sont issus de votre propre administration et ont été au préalable très largement soumis à l'examen et à la critique, sous le contrôle de l'INSEE et d'autres organismes. Jamais nous n'en avons utilisé d'autres, pas même celui des emplois créés de façon indirecte par le développement d'activités de services.

Mme Élisabeth Guigou. C'est exact !

M. Jean Le Garrec. Inutile de hocher la tête, monsieur Novelli !

M. Hervé Novelli. Ce sont des comptes d'apothicaires !

M. Jean Le Garrec. Bien que nous soyons certains de ce chiffre, nous n'avons pas assez d'éléments de comparaison.

M. Hervé Novelli. Allons donc ! Vous mélangez les choux et les carottes !

M. le président. Je vous signale que la discussion générale est close, monsieur Le Garrec.

M. Jean Le Garrec. Certes, monsieur le président, mais M. Borloo vient de faire une intervention très importante.

M. Jean-Pierre Soisson. Mieux vaut entendre la bonne parole tard que jamais !

M. le président. Vous êtes un président chevronné, monsieur Le Garrec, et vous connaissez le règlement. Je vous demande donc de conclure, d'autant que M. Gremetz veut suivre votre exemple et intervenir à son tour pour un rappel au règlement.

M. Jean Le Garrec. Je conclus, monsieur le président.

Puisque vous avez parlé de « modernisation sociale », monsieur Borloo, je vous demande de prendre en compte deux éléments : tout d'abord les 120 000 accords négociés dans notre pays traduisent une volonté sans précédent d'activer le dialogue social ; ensuite, vous êtes bien mal placé pour nous donner des leçons, vous qui augmentez le contingent d'heures supplémentaires sans consulter les organisations syndicales, alors que vous en aviez pris l'engagement et que c'est écrit noir sur blanc dans les textes de M. Fillon. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Vidalies. Voilà la vérité !

M. Jean Le Garrec. Vraiment, monsieur le ministre, je regrette que votre intervention n'ait pas ouvert la discussion. Même si nous ne sommes pas d'accord sur tous les points, le débat aurait eu une tout autre allure !

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz, pour un rappel au règlement.

M. Maxime Gremetz. La remarque de M. Le Garrec est tout à fait justifiée, monsieur le ministre. Je suis moi aussi très étonné que vous n'interveniez qu'à la fin du débat, mais on voit bien la teneur de votre discours : du vent, du vent, du vent ! Contrairement à M. Le Garrec, je ne vois pas la différence avec les interventions de la majorité et du ministre délégué, sauf peut-être sur la forme. Si, au physique, M. Larcher est plus enveloppé que vous, vous l'êtes davantage dans votre discours, monsieur le ministre. (Sourires.)

Mme Marylise Lebranchu. Très juste !

M. Jean-Pierre Soisson. C'est ce qu'on appelle l'équilibre ministériel !

M. Maxime Gremetz. Reste que je ne vois rien de différent. Vos propos ne font guère avancer le débat.

J'espère donc que vous serez présent, monsieur le ministre, quand nous allons passer à l'examen des amendements de fond que nous proposons. Nous pourrons alors juger de vos intentions non pas sur vos belles paroles, mais sur des dispositions concrètes.

M. le président. La suite de la discussion de la proposition de loi est renvoyée à la prochaine séance.

    2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement 1 ;

Suite de la discussion de la proposition de loi, n° 2030, de M. Patrick Ollier et plusieurs de ses collègues portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise :

Rapport, n° 2040, de M. Pierre Morange, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures cinquante.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot

1 Les quatre premières questions porteront sur des thèmes européens.