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Deuxième séance du mardi 12 avril 2005

202e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE M. MAURICE LEROY,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix-huit heures.)

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RÉGULATION DES ACTIVITÉS POSTALES

Discussion, en deuxième lecture,
d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la régulation des activités postales (nos 2157, 2229).

La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, avec cette deuxième lecture, nous arrivons presque au terme de nos débats sur un texte qui nous permettra de transposer enfin dans notre droit national la directive postale de 1997, modifiée en 2002. Une nouvelle étape sera ainsi franchie dans le processus visant à donner à l'activité postale un cadre législatif lui permettant d'évoluer dans le paysage européen et d'y faire valoir pleinement ses atouts.

À ce stade du débat, je voudrais rappeler les principaux apports de ce projet de loi et des précédentes lectures par l'Assemblée nationale et par le Sénat. C'est aussi l'occasion pour moi de saluer la qualité des travaux réalisés ici même lors de la première lecture, et de vous remercier tout particulièrement, monsieur le président de la commission des affaires économiques.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Je vous remercie, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Permettez-moi, en premier lieu, de revenir sur la transposition des directives européennes de 1997 et de 2002. Ces directives sont un élément essentiel de l'avenir de notre service public et concernent le quotidien de l'ensemble de nos concitoyens. En effet, elles définissent, parmi l'ensemble des services postaux, un domaine appelé « service universel postal ». Ce service universel est constitué des envois de correspondance de moins de deux kilos, des envois de colis de moins de vingt kilos, des envois recommandés et à valeur déclarée, y compris transfrontaliers.

Dans ce domaine, les États membres de l'Union européenne ont deux obligations et deux facultés.

Leur première obligation est d'assurer une offre comprenant toute la gamme du « service universel », disponible tous les jours ouvrables, sur tout leur territoire et accessible à tous les utilisateurs, à un prix abordable.

M. André Chassaigne. On en reparlera !

M. le ministre délégué à l'industrie. Les États membres ont pour seconde obligation de garantir qu'une autorité nationale indépendante des opérateurs postaux sera chargée de veiller à la bonne fourniture du « service universel postal » et au respect des règles de concurrence dans le secteur postal. À cette fin, le projet de loi prévoit d'étendre les pouvoirs de l'Autorité de régulation des télécommunications à la régulation du secteur postal. Dotée de nouveaux services compétents dans le secteur postal, cette autorité deviendrait alors l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'ARCEP.

Vous aviez proposé en première lecture de porter à sept le nombre des membres de son collège. Avec le soutien du Gouvernement, cette proposition a été acceptée par le Sénat. C'est un gage d'efficacité pour une institution qui aura la lourde tâche d'accompagner l'ouverture des marchés des services postaux à la concurrence, tout en garantissant la bonne fourniture du service universel postal.

Ces deux obligations sont essentielles, mais elles sont assorties de deux facultés importantes laissées à chaque État membre pour maintenir un service public de qualité sur l'ensemble du territoire.

Les États membres de l'Union européenne auront d'abord la faculté d'autoriser au prestataire du service universel postal un certain monopole, dans la limite des seuils définis par la directive, afin de garantir le financement de la mission de ce service universel. En contrepartie de la fourniture d'un service universel de qualité à un même prix sur l'ensemble du territoire, La Poste pourra donc se voir réserver une certaine catégorie d'envois de correspondance. Le projet de loi ajuste le monopole de La Poste aux seuils prévus pas la directive européenne.

Depuis le 1er janvier 2003, le secteur réservé couvre les envois de correspondance d'un poids inférieur à cent grammes. Au 1er janvier 2006 cette limite tombera à cinquante grammes.

M. André Chassaigne. Et voilà !

M. Alain Gouriou. Aïe, aïe, aïe !

M. le ministre délégué à l'industrie. Ce sont là les conséquences des décisions prises par la précédente majorité !

M. Frédéric Dutoit. Ce n'est pas une raison !

M. André Chassaigne. Et c'est faux !

M. le ministre délégué à l'industrie. Si le secteur réservé ne suffisait pas à compenser le coût de la mission dévolue au prestataire du service universel postal, un fonds de compensation abondé par les concurrents de La Poste pourrait être activé.

M. François Brottes. Pas par tous !

M. le ministre délégué à l'industrie. Nous aurons très certainement, monsieur Brottes, l'occasion de débattre de cette question au cours de l'examen des articles, je ne me fais aucun souci en la matière !

Les États membres pourront aussi - c'est la seconde faculté - créer un régime d'autorisation ou de déclaration préalable au bénéfice des concurrents du prestataire de service universel. Le projet de loi édicte un régime de ce type pour les seuls services d'envois de correspondance allant jusqu'à la distribution. Ainsi, l'octroi d'une autorisation par l'ARCEP est assorti d'exigences de qualité, de respect de la confidentialité des envois et de protection des consommateurs.

Voilà, en quelques mots, les règles du jeu du marché européen des activités postales que nous transposons dans ce projet de loi.

M. André Chassaigne. Ce n'est qu'un bel emballage !

M. le ministre délégué à l'industrie. La Commission européenne a rendu public, le 23 mars dernier, son rapport sur l'application des directives postales. Ce rapport confirme que, globalement, la réforme du secteur postal est bien avancée dans les États membres. La transposition du cadre communautaire est aujourd'hui achevée, à l'exception notable de la France et de quelques nouveaux États membres.

Néanmoins, la Commission souligne qu'« il conviendrait que les autorités de réglementation nationales s'intéressent davantage aux questions de la séparation des comptes, de l'allocation de coûts et du suivi des prix du service universel ».

M. Pierre-Christophe Baguet. Très bien !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je ne doute pas que ces questions feront l'objet de discussions approfondies au cours de nos débats.

Je veux aussi souligner, dans un deuxième temps, que le projet de loi ne se limite pas à la transposition des directives communautaires : il permet également de doter La Poste et ses concurrents des outils indispensables pour assurer leur croissance sur le marché national des services postaux et leur expansion à l'international.

Les précédentes lectures ont aussi considérablement enrichi ce volet du dispositif qui vous est soumis, et je tiens à saluer à nouveau la qualité de vos travaux. Je souhaiterais m'arrêter sur quelques avancées notables que vos débats ont permis de concrétiser, notamment grâce au travail accompli par la commission des affaires économiques, son président et son rapporteur.

Tout d'abord, la mission d'aménagement du territoire dévolue à La Poste, la « présence postale » à laquelle nous tenons tous, bénéficie désormais d'un cadre législatif précis, clair et efficace.

L'article 1er bis définit ainsi les critères d'accessibilité au réseau de La Poste : « Sauf circonstances exceptionnelles, ces règles ne peuvent autoriser que plus de 10 % de la population d'un département ne se trouve éloignée de plus de cinq kilomètres des plus proches points de contact de La Poste. »

M. André Chassaigne. Attendons de voir ce que cela donnera sur le terrain !

M. le ministre délégué à l'industrie. Par ailleurs, le financement de cette mission est rendu pérenne au travers du fonds postal national de péréquation territoriale. Ses ressources proviennent notamment de l'allégement de fiscalité locale dont La Poste bénéficie.

Je suis également heureux de saluer l'aboutissement attendu des discussions entre La Poste et l'Association des maires de France, l'AMF, qui vont prochainement signer un protocole d'accord sur les conventions des agences postales communales et intercommunales. Dans le nouveau cadre accepté par les deux parties, les indemnités accordées par La Poste seront de 9 600 euros par an au minimum, soit l'équivalent du salaire d'un employé de mairie à mi-temps, alors que par le passé cette indemnité était calculée sur le chiffre d'affaires de l'agence. C'est une très grande avancée pour les communes qui décident de mettre en place, en partenariat avec La Poste, ce type de point de présence. Il va de soi que les agences postales existantes pourront bénéficier de ces conditions plus avantageuses.

Ensuite, l'Établissement de crédit postal, l'ECP, bénéficie d'un cadre législatif, que le Sénat a adopté sans modification, rendant ainsi hommage au travail de l'Assemblée nationale. Il permettra à La Poste de travailler à la constitution de sa filiale bancaire, qui doit voir le jour le 1er janvier 2006.

C'est pour La Poste la garantie de pouvoir offrir ses services financiers selon le droit commun bancaire. Dès l'année prochaine, elle pourra proposer des prêts immobiliers sans épargne préalable. La loi l'autorisera également à proposer des crédits à la consommation, faculté qui lui sera ouverte dans un second temps.

Sur ce dossier, le Gouvernement entend avancer avec pragmatisme et sans idéologie. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) C'est dur à entendre de ce côté-ci de l'hémicycle...

M. André Chassaigne. Surtout dans votre bouche ! Vous avez la mémoire courte !

M. Alain Gouriou. Vous n'êtes qu'idéologie !

M. le ministre délégué à l'industrie. L'Établissement de crédit postal, qui pourra s'appuyer sur le réseau de La Poste, disposera pour commercialiser ses produits financiers du plus grand réseau de distribution. La Poste et l'ECP seront liés en toute transparence par une convention. La Cour des comptes établira un rapport sur le fonctionnement de cette filiale et ses relations avec les autres entreprises du groupe de La Poste.

La Poste bénéficiera également, dès le 1er janvier 2006, des exonérations de charge sur les bas salaires, dites « exonérations Fillon ». Le Sénat a adopté cette disposition sans modification, ce qui est un nouvel hommage rendu à l'Assemblée nationale. Par ailleurs, un amendement adopté au Sénat propose d'accorder à La Poste la faculté de recruter des agents contractuels sans restriction.

M. André Chassaigne. Et voilà ! C'est la fin de la fonction publique !

M. le ministre délégué à l'industrie. Ces dispositions placeront La Poste et ses concurrents - à qui vous avez permis d'agir sur le territoire national, monsieur Chassaigne - en situation d'équité concurrentielle quant au recrutement de leur personnel. Je veux que La Poste soit à égalité avec ses concurrents.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Très bien !

M. André Chassaigne. Ce n'est pas l'égalité : c'est le nivellement par le bas !

M. le ministre délégué à l'industrie. Parmi les avancées du texte, je veux aussi mentionner le nouveau régime de responsabilité de La Poste et des opérateurs postaux en cas de perte ou d'avarie d'un envoi postal. J'y suis très attaché. Il nous faut en effet basculer clairement d'un principe d'irresponsabilité, héritage ancien devenu anachronique, vers un régime de responsabilité entière, mais adapté à l'économie du secteur postal.

Le texte adopté au Sénat va clairement dans ce sens. Il s'applique à tous les prestataires de services postaux pour le bénéfice des utilisateurs, entreprises et consommateurs. C'est également pour La Poste, qui a déjà accompli des progrès importants, une forte incitation à améliorer encore la qualité de ses services.

Enfin, monsieur Baguet, le projet de loi comporte désormais une disposition importante de nature à garantir l'accès aux boîtes aux lettres aux prestataires de services postaux autorisés. Vous vous souvenez certainement qu'au cours de nos débats en première lecture, conscient des difficultés de mise en œuvre que pouvait comporter une telle disposition, je m'étais engagé à confier au Conseil général des technologies de l'information une mission d'évaluation juridique et technique de ce dispositif. Ce rapport a été, je crois, transmis à l'Assemblée nationale, et plusieurs d'entre vous en ont déjà pris connaissance. Les premières conclusions m'ont été rendues et je les ai immédiatement transmises à votre commission des affaires économiques.

Cet accès aux boîtes aux lettres est bien entendu essentiel pour la bonne fourniture des services postaux. Il est aussi précisément encadré. Se pose la question aujourd'hui de l'opportunité de l'étendre à d'autres prestataires, tels que les vendeurs colporteurs de presse. Nous reviendrons certainement au cours de nos débats sur ce problème délicat.

Pour conclure, je veux souligner qu'en adoptant ce projet de loi, vous permettrez au secteur postal de franchir une étape essentielle. La concurrence dans les services postaux existe d'ores et déjà en France, dans le domaine du colis par exemple, ou dans celui du publipostage non adressé. Les gains de productivité que cette concurrence entraîne chez les opérateurs du secteur nourrissent et soutiennent la croissance de notre économie.

D'après le rapport de la Commission européenne, en 2002, les revenus postaux ont atteint en Europe 88 milliards d'euros, soit près de 1 % du PIB.

Le secteur postal représente environ 5 millions d'emplois directs, concentrés encore aujourd'hui chez les prestataires du service universel. Le Royaume-Uni vient d'annoncer qu'il libéralisera complètement son marché à partir de 2006.

M. André Chassaigne. Quel exemple !

M. le ministre délégué à l'industrie. L'Allemagne fera de même dès 2008. Les Pays-Bas l'envisagent sérieusement pour 2007. Le groupe Deutsche Post s'affirme désormais comme un des leaders mondiaux du secteur postal. Il aura le droit d'opérer sur le territoire français. Son bénéfice net devrait encore, selon les prévisions de son président, augmenter cette année d'au moins 500 millions d'euros comparé à 2004, année où il avait déjà atteint 1,6 milliard d'euros.

M. Pierre-Christophe Baguet. Il est temps de se réveiller !

M. le ministre délégué à l'industrie. La poste allemande compte bien utiliser sa puissance financière, fruit de l'outil de production le plus moderne d'Europe, pour investir à l'étranger, y compris en France, monsieur Chassaigne. Depuis quelques années, Deutsche Post a une stratégie claire d'expansion internationale, avec acquisitions à l'appui. En 2004, la part de son chiffre d'affaires réalisée hors d'Allemagne avait déjà atteint 48 % ; en 2005, le groupe compte pour la première fois réaliser plus de la moitié de son chiffre d'affaires à l'étranger. Quant à moi, je veux que La Poste soit en mesure de se battre sur ce marché.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Très bien ! Voilà un ministre énergique !

M. le ministre délégué à l'industrie. La Poste et les autres acteurs français de l'économie des services postaux savent qu'il leur faudra atteindre, avant 2009, le niveau de qualité et de performance de l'opérateur historique allemand s'ils veulent jouer dans la « cour des grands » dans la compétition mondiale de l'économie postale. Ils en sont capables, ils l'ont déjà prouvé.

Dans ce processus, une nouvelle étape doit aujourd'hui être franchie. Le projet de loi relatif à la régulation des activités postales qu'il vous est proposé d'adopter, mesdames, messieurs les députés, préparera La Poste et l'ensemble des acteurs du secteur postal à conquérir de nouveaux marchés dans un contexte de plus en plus concurrentiel, tout en garantissant sur l'ensemble du territoire un service public de très grande qualité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mme Françoise Imbert. C'est à voir !

M. André Chassaigne. On en reparlera !

M. le président. La parole est à M. Jean Proriol, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

M. Jean Proriol, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l'industrie, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, l'objet du présent projet de loi est, rappelons-le, de transposer les deux directives européennes des 15 décembre 1997 et 10 juin 2002 sur l'ouverture à la concurrence des services postaux de la Communauté.

C'est un texte enrichi par le Sénat qui revient aujourd'hui devant nous, mais sans que les apports sénatoriaux aient modifié grandement l'ossature du projet que nous avions voté en première lecture.

Ce texte s'inscrit également dans le cadre d'un champ problématique plus restreint, un certain nombre de questions ayant été réglées grâce à la navette avec le Sénat. De fait, plusieurs articles ont été votés conformes, en particulier l'article 8, relatif à la création de la banque postale, mais aussi l'article 21, qui prévoit la création de l'établissement de crédit postal au plus tard pour le 1er janvier 2006, et l'article 16, relatif à l'alignement de La Poste sur le droit commun en matière d'exonération de cotisations sociales patronales sur les bas salaires - c'est l'avantage de la loi Fillon que vous avez souligné il y a quelques instants, monsieur le ministre.

Par ailleurs, le Sénat a suivi l'Assemblée nationale dans un certain nombre de ses choix et, en premier lieu, celui d'ouvrir aux opérateurs autorisés, comme au prestataire du service universel, la possibilité de se voir confier la gestion des envois recommandés dans le cadre des procédures administratives et juridictionnelles ; en deuxième lieu, le choix de limiter l'obligation de recourir aux transporteurs de fonds en cas de convoyage de bijoux dépassant une certaine valeur - au moins 100 000 euros. La Haute assemblée a même complété le dispositif en autorisant les employés de La Poste ou ceux des banques à transporter eux-mêmes une certaine somme - jusqu'à 5 335 euros - lorsqu'ils y sont habilités par leur employeur. Enfin, le choix d'exonérer les envois de correspondance de la taxe environnementale sur les imprimés non sollicités. Nous débattrons tout à l'heure d'un amendement qui étend ce dispositif à la presse.

Le Sénat a modifié à la marge nombre des autres dispositions du texte. Certaines modifications ont une portée plutôt symbolique, comme l'obligation de faire figurer la mention « France » sur les timbres, ou encore l'introduction d'un représentant des communes au sein du conseil d'administration de l'exploitant public, mesures dont je me félicite. A une portée symbolique encore l'ajout par les sénateurs de « vingt minutes de trajet automobile » au critère des cinq minutes que nous avions proposé pour définir le maillage minimal de présence postale. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. André Chassaigne. Voilà qui est digne d'un joueur de flûte !

M. Jean Proriol, rapporteur. Notre commission n'a toutefois pas souhaité conserver l'ajout sénatorial, jugeant le critère des vingt minutes trop imprécis, voire plastique, sinon élastique.

Certaines des modifications de la Haute assemblée ont une portée plus substantielle.

Le Sénat a tout d'abord précisé les conditions institutionnelles de gestion du fonds postal national de péréquation territoriale, conduisant à indiquer notamment que celui-ci serait constitué dans les comptes de La Poste, mais bien entendu débattu à l'échelon départemental par les commissions départementales de présence postale territoriale, présidées par un élu. Il a également supprimé la contrainte d'une exigence particulière ou d'une spécificité professionnelle pour le recrutement d'agents contractuels à La Poste.

S'agissant de la mise en place des bases d'un fonds de compensation du service public universel postal, les sénateurs ont renvoyé sa création effective à un décret en Conseil d'État après, bien entendu, que l'autorité de régulation a subordonné sa création à la mise en évidence d'un déséquilibre de financement du service universel. Nous y reviendrons dans quelques instants. Notre commission a d'ailleurs adopté, sans le modifier dans son principe, une version plus opérationnelle de ce dispositif complexe, en l'inscrivant dans la loi, et en renvoyant à un décret en Conseil d'État pour préciser les conditions de son fonctionnement, mais à un décret simple pour décider de sa mise en service.

Le Sénat a également adopté une version nouvelle de la responsabilité des opérateurs postaux. Les opérateurs seront totalement responsables pour les pertes et les avaries, mais ils bénéficieront d'une responsabilité limitée, concernant les retards, aux seuls envois signalés et pour lesquels ils se seront engagés sur une date de livraison. Notre commission a proposé une rédaction améliorant encore la dimension pédagogique du dispositif. Je sais, monsieur le ministre, que vous avez été particulièrement attentif au problème de la responsabilité des opérateurs postaux pour l'aligner sur le droit commun, notamment sur le célèbre article 1382 du code civil.

Quant aux marges de manœuvre dévolues à l'autorité de régulation, notre commission avait en première lecture une perception légèrement différente de celle exprimée par la Haute assemblée. En ce qui concerne les pouvoirs de contrôle reconnus à l'autorité de régulation, nous avons cherché à coller au plus près au texte des deux directives postales de 1997 et de 2002.

M. Henri Nayrou. Vous avez cherché, mais vous n'avez pas trouvé !

M. Jean Proriol, rapporteur. Le Sénat avait, lui, renforcé des pouvoirs plutôt a priori, comme l'illustraient trois modifications qu'il avait apportées au projet de loi, et sur lesquelles nous sommes revenus. Nous avons supprimé l'apport du Sénat concernant le pouvoir de l'autorité de fixer des prescriptions relatives aux conditions de l'accès, par les opérateurs alternatifs, aux moyens détenus par La Poste et indispensables à l'exercice de ses propres activités postales. Notre commission a aussi supprimé un autre ajout reconnaissant à l'autorité de régulation un pouvoir général de participer à la mise en œuvre des lois et règlements. Enfin, elle a revu, lors de l'examen des amendements au titre de l'article 88 du règlement, son propre amendement, adopté la semaine dernière, sur le pouvoir de contrôle de l'autorité de régulation sur les données de comptabilité analytique de La Poste.

Notre commission vous propose un texte qui lève toute suspicion, en tout cas qui veut apporter de la clarté sur une question qui peut passionner les juristes, voire les spécialistes en comptabilité. De quoi s'agit-il ? Du contrôle du financement du service universel. Ce contrôle vise à vérifier l'absence de subventions croisées pouvant provenir des autres activités de La Poste : services réservés, services financiers, prestations diverses, etc. Il s'agit d'éviter toute porosité, c'est-à-dire le transfert de ressources d'une des activités de La Poste à une autre. Vous l'avez dit, monsieur le ministre, en employant une autre expression : c'est la séparation des différents comptes de La Poste. Notre message est donc très clair. Le contrôle visera également à vérifier si un éventuel déséquilibre de financement du service universel pourrait justifier l'entrée en service du fonds de compensation prévu à l'article 7 et versé à La Poste par les autres opérateurs. Nous voulons assurer la pérennité du service universel dans le cadre du respect des directives : toutes les directives, mais rien que les directives.

La présence postale a été traitée...

M. François Brottes. Mal traitée !

M. Jean Proriol, rapporteur. ...en première lecture par deux amendements : l'un mettant en place une règle spatiale - 90 % de la population à moins de 5 kilomètres d'un point de contact -, et l'autre instituant un mécanisme de financement abondé par le fonds postal national de péréquation territoriale. Ces deux avancées prennent appui sur les déclarations répétées du ministre délégué à l'industrie et du président de La Poste : « La Poste maintiendra les 17 000 points de contact. » Depuis 1954, c'est une règle arithmétique qui n'a jamais été démentie. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Le texte en préparation et les affirmations que je viens de rappeler ont calmé le jeu des surenchères et rassuré au moins une grande partie des élus locaux. Mais nous devons être vigilants et aux aguets !

M. Alain Gouriou. Ça oui !

M. Jean Proriol, rapporteur. Car il y a les grandes décisions du groupe La Poste, qui lance ce qu'il appelle un « projet terrain », et il y a ensuite des applications sur le terrain qui s'en éloignent peu ou prou. Je mets en garde La Poste.

M. Henri Nayrou. Terrain miné !

M. Jean Proriol, rapporteur. Le législateur et la loi ne veulent pas d'une application réductrice, rigide, tatillonne, au rabais, ou encore d'une application avec des accents d'autorité et des décisions présentées sur le thème « c'est à prendre ou à laisser ».

M. Alain Gouriou. Très bien !

M. Jean Proriol, rapporteur. Cette époque est révolue ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Henri Nayrou. Ne criez pas victoire !

M. Jean Proriol, rapporteur. Ça vous embête que je le dise, mais je le dis avant vous et je le pratique.

Les maires ont trop le souvenir d'avoir été placés devant le fait accompli pour des fermetures, des réductions d'horaires d'ouverture, des loyers à rediscuter au rabais, des prises en charge de personnels, des levées anticipées de courrier pour des motifs tout à fait divers. Nous rappelons ce passé pour le voir s'éloigner et pour que la colère latente des élus locaux ne se manifeste pas de nouveau.

Un signe récent et encourageant montre que La Poste a tourné la page et adopté d'autres relations avec les élus locaux.

M. André Chassaigne. C'est faux ! Allez donc sur le terrain !

M. Jean Proriol, rapporteur. Écoutez-moi donc, monsieur Chassaigne, avant de dire n'importe quoi !

M. le président. Monsieur le rapporteur, ne vous laissez pas interrompre par M. Chassaigne, qui n'a pas la parole.

M. Jean Proriol, rapporteur. M. Chassaigne est coutumier des interruptions. Il sait que sa voix porte, et il en use !

Le 6 avril dernier, le président de l'Association des maires de France, notre collègue Jacques Pélissard, a fait valider par l'ensemble du bureau de l'AMF - toutes tendances politiques confondues, et Michel Charasse était là - le protocole d'accord sur l'organisation des agences postales communales et intercommunales, avec des annexes à finaliser d'ici au 28 avril.

M. le président. Il faudrait conclure, monsieur le rapporteur.

M. Jean Proriol, rapporteur. Avant de terminer, je veux dire un mot sur le médiateur du service postal, créé par le gouvernement Jospin, qui n'avait pas pu transposer les directives - nos collègues socialistes en savent quelque chose. Ce médiateur disparaît mais ses services pourront être utiles au médiateur national qui prend le relais.

M. André Chassaigne. C'est surréaliste !

M. Jean Proriol, rapporteur. J'ai terminé, monsieur le président, mais si j'ai excédé mon temps de parole, c'est que j'ai pu bénéficier de celui du président Ollier, qui me l'a offert.

Ce projet de loi devrait permettre à l'opérateur historique de conquérir de nouveaux marchés et d'être un acteur majeur au niveau européen, tout en fournissant un service postal universel de qualité : souhaitons qu'il y parvienne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. François Brottes, pour une durée ne pouvant excéder trente minutes.

M. François Brottes. Comme je savais que cela vous ferait plaisir, monsieur le ministre, je tenais aujourd'hui à relayer auprès de vous un orchestre symphonique de louanges sur le texte issu du Sénat. Autrement dit : comment utiliser les mots qui rassurent pour faire croire que tout ira mieux après le vote de ce texte.

En fait, je vais essayer d'aider chacun d'entre vous à ne pas prendre, dans ce dossier, des vessies pour des lanternes.

J'ai reçu, en tant qu'élu local, d'un sénateur UMP, pour lequel j'ai, par ailleurs, la plus haute estime, un courrier d'argumentation qui vante les vertus - jusque-là insoupçonnées - du projet de loi relatif à la régulation des activités postales.

On y lit : « L'un des mérites de ce projet de loi est de prévoir les moyens juridiques et financiers qui permettront au réseau de La Poste de se développer dans un contexte concurrentiel croissant, mais également de conforter le service public offert sur l'ensemble du territoire national. » Pourtant, les moyens juridiques sont plutôt aux abonnés absents ! Il n'y a aucune contrainte sérieuse pour les futurs concurrents de La Poste, tout juste une autorisation presque automatique donnée par le régulateur. Et en matière de moyens financiers, il n'y a rien de plus pour La Poste, bien au contraire : l'aide à la presse reste à sa charge et une nouvelle dépense est créée par l'instauration d'un fonds de péréquation territorial.

M. Henri Nayrou. Scandaleux !

M. François Brottes. Comment peut-on prétendre alors conforter le service public offert sur l'ensemble du territoire national ?

De la vessie à la lanterne, il n'y a qu'un pas, le pas lent du veilleur de nuit chuchotant : « Dormez, dormez braves gens. » Aujourd'hui, on aurait plutôt tendance à intimer : « Circulez, il n'y a rien à voir ! » (Sourires.)

Je continue ma lecture du courrier sénatorial : « La France doit aujourd'hui prendre en main l'évolution inéluctable du service postal. Une Poste performante est indispensable à la compétitivité de l'économie nationale et au maillage du territoire par un grand service de proximité. »

« Inéluctable » : le mot est lâché. Autant dire que si on ne le fait pas, ce sera le chaos ! L'argument est un peu éculé. Prenons l'exemple de la Suède, qui a été parmi les premiers pays à privatiser sa poste et à libéraliser le secteur postal. Dix ans après, le bilan est lourd : le prix du timbre a doublé, 43 % des emplois ont été supprimés, le nombre de bureaux de poste a été divisé par cinq et, de surcroît, la poste suédoise est en déficit chronique.

Donc, avant d'avancer vers ce qui serait inéluctable, il est utile d'en mesurer les conséquences, car ce qui risque d'être inéluctable, c'est l'impossibilité de revenir en arrière !

« Les maires ruraux ont tout à fait raison de souligner l'importance structurante des services publics en milieu rural », poursuit le sénateur, qui ajoute : « Il s'agit là d'un thème majeur auquel les Français sont tous sensibles et qui nous préoccupe particulièrement ». Sans commentaire : sur ce point, je crois que nous sommes tous d'accord.

« Comme vous le savez », dit-il encore, « le Parlement vient d'adopter la loi relative au développement des territoires ruraux. Cette loi garantit à nos concitoyens l'égalité d'accès aux services, essentielle à l'attractivité économiques des territoires ruraux et à la qualité du cadre de vie des populations rurales. »

Mais l'égalité d'accès aux services en matière postale, c'est, bien sûr, monsieur le rapporteur, la garantie d'un prix unique du timbre, sans condition. Or, jusqu'à présent, la majorité a refusé de voter cette mesure, de même que celle qui garantirait la distribution au domicile de chacun. Certes, pour calmer le jeu, une disposition a fini par être votée, visant à garantir le prix unique, mais seulement dans le cadre du secteur réservé sous monopole - aujourd'hui, les plis de moins de cent grammes et, demain, ceux de moins de cinquante grammes.

Mais le débat est posé pour l'avenir : quelle est la pérennité du secteur réservé ? Et, par là même, quelle est la pérennité de la péréquation qui garantit le prix unique du timbre ? Votre texte n'apporte aucune garantie sur ce plan.

« La majorité sénatoriale, et en particulier le groupe UMP » - je ne recule devant aucun sacrifice ! - « a souhaité conforter la desserte des territoires ruraux en services publics, en mettant en place un mécanisme de concertation. [...] La Conférence nationale des services publics en milieu rural, qui vient d'être instituée par le Premier ministre, va permettre la mise en application de cette loi rurale, s'agissant notamment des services publics de proximité dans les zones rurales. »

Sur la concertation, monsieur le ministre, je suis prêt à considérer avec vous que c'est une grande avancée que de savoir que telle ou telle mesure de fermeture va être prise, mais je suis sûr que ce que souhaitent les élus, ce n'est pas tant de savoir à l'avance si un bureau va fermer ou non, mais comment va être garantie la continuité du service.

M. Henri Nayrou. C'est évident !

M. François Brottes. Visant son électorat captif, le même sénateur rappelle : « Le projet de loi relatif à la régulation des activités postales tend également à répondre aux attentes des maires ruraux et des populations rurales. L'existence d'une commission départementale de présence postale territoriale est désormais consacrée dans la loi. »

Étant donné que je suis l'instigateur des commissions départementales de la présence postale territoriale, je me réjouis de les voir reconnues dans la loi. C'est un bon point mais ce sera facile à compter !

J'en reviens à mon sénateur : « En outre, le texte prévoit désormais une double règle d'accessibilité en distance - pas plus de cinq kilomètres du plus proche point de contact de La Poste et pas plus de vingt minutes de trajet automobile - afin de garantir un bon accès au service postal en tous lieux du territoire. »

Que l'accessibilité soit mieux garantie par votre texte, il y a beaucoup à redire sur cette affirmation. D'abord, il s'agit de cinq kilomètres à vol d'oiseau, c'est donc la technique du compas qui va être utilisée. Et je peux vous dire qu'en montagne, cinq kilomètres à vol d'oiseau, cela peut faire jusqu'à vingt kilomètres de trajet ! D'où l'idée des sénateurs d'ajouter la notion de « vingt minutes », qui peut offrir une garantie supplémentaire ; mais j'ai cru comprendre, en vous écoutant, monsieur le rapporteur, que vous souhaitiez proposer la suppression de cette disposition.

C'est donc, de la part dudit sénateur, de la publicité mensongère ! Il est vrai qu'il ne pouvait savoir que le rapporteur de l'Assemblée allait procéder à des coupes sombres dans le texte du Sénat. Il n'est donc pas coupable.

Enfin, toujours sur ce point, nous ne disposons pas de mesure d'impact précisant combien de points de contact vont fermer, combien vont ouvrir. On nous dit que cela ne changera rien dans environ quatre-vingts départements. Que se passera-t-il dans les autres ? Des rumeurs prétendent que des centaines de bureaux seraient victimes de la mesure. Qu'on nous accorde l'étude d'impact que nous réclamons à cor et à cri depuis des semaines !

Je reprends ma lecture : « En outre, la constitution, dans les comptes de La Poste, d'un fonds postal national de péréquation territoriale, prévu par le contrat de plan signé en janvier 2004, est officialisée. L'attribution des ressources provenant de ce fonds devrait être majorée pour les zones urbaines sensibles, les zones de revitalisation rurales et les intercommunalités. »

Parlons-en de ce fonds de péréquation territoriale ! C'est une dépense nouvelle pour La Poste qui, en plus d'assurer sur son propre budget le soutien à la diffusion de la presse - alors que c'est au budget de l'État de le faire -, devra mobiliser une enveloppe conséquente - 150 millions d'euros - pour la redistribuer aux communes. Par conséquent, pour La Poste, il y aura plus de dépenses et moins de recettes, puisqu'elle aura moins de parts de marché : c'est la conséquence directe de l'ouverture à la concurrence dans un marché du courrier en décroissance.

Pour les communes, c'est mettre « le doigt dans l'engrenage » d'une fonction postale territorialisée. Certes, l'idée d'un forfait annuel est séduisante, mais qu'en est-il de la pérennité de ce fonds de péréquation et de la responsabilité des maires dans ce dispositif banalisé ?

Comme a voulu le démontrer le Président de la République, en présentant en son musée, à Saran, une exposition sur la poste, rangée ainsi au rayon de l'histoire, notre sénateur nous rappelle que « la question du réseau de la Poste est restée centrale dans les préoccupations du Sénat qui compte nombre d'élus locaux concernés par ce sujet. Sur ce point, le Sénat a proposé d'assigner enfin à La Poste une claire mission d'intérêt général relative à l'aménagement du territoire [...] Alors que ces obligations ne concernent que le courrier, la mission d'aménagement du territoire reposera sur l'ensemble du groupe de La Poste, qui l'assumera à travers toutes ses activités, y compris financières. »

Voilà donc une déclaration forte qui vise à assigner La Poste à « résidence de proximité ». Mais l'injonction ne coûte pas cher à ceux qui la font et elle n'est assortie d'aucune compensation pour La Poste : on lui met des boulets aux pieds avec de nouvelles dépenses, on autorise ses concurrents à prendre ses marchés les plus rentables et, en plus, on lui demande d'assurer plus fortement une fonction d'aménagement du territoire, sans pour autant garantir 1'abondement d'un fonds de compensation qui ne sera créé, en l'état actuel du texte, que selon le bon vouloir de l'autorité de régulation. Il y a de fortes chances pour que, dans ces conditions, La Poste ne puisse pas assurer sa mission d'intérêt général.

« Le Sénat a souhaité rétablir, par ailleurs, le dispositif du contrat pluriannuel. Ce contrat entre l'État et La Poste sera passé après avis de la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques - chère à Pierre Hérisson - et des principales associations représentatives des collectivités territoriales, ce qui assure à ces dernières une participation régulière dans la mise en œuvre et à la destination du fonds de péréquation, et laisse une plus grande place à la concertation. Une concertation permanente avec les élus locaux est bien entendu requise. C'est pourquoi La Poste a proposé une charte territoriale. »

Je vous proposerai un amendement qui demande à La Poste de faire un exercice permanent de contorsionniste. En effet, entre le contrat de plan avec l'État, d'une part, et la charte territoriale départementale, d'autre part, la contorsion est de mise - d'autres appellent cela le grand écart. Nous voilà au cœur de l'une des contradictions de ce texte : comment concilier des exigences de qualité de service à « J + 1 », des contraintes de productivité à tous les étages et des contraintes d'aménagement du territoire ?

Je ne vois qu'une solution : augmenter le prix du timbre, réduire le nombre de bureaux de poste, supprimer des emplois en ne remplaçant pas les retraités.

Au-delà du moratoire décidé, semble-t-il, jusqu'à la fin de l'année par M. le Premier ministre, j'ai le sentiment que la mise en application de cette contradiction est en marche : c'est ce qu'on appellera désormais la marche du contorsionniste ! (Sourires.)

Le sénateur veut nous rassurer : « Assurance est donnée que chaque département conservera au moins autant de points de présence postale qu'aujourd'hui. La Poste s'est, en effet, engagée à maintenir ses 17 000 points de contact, soit sous forme d'agences communales postales, soit sous forme de points Poste. Leur maillage devra être revu, en concertation avec les élus locaux, afin de constituer un réseau de proximité active, avec le souci du multiservice et de l'élargissement de l'offre postale. »

Comment peut-on affirmer cela ? C'est digne de la méthode Coué ! En effet, il n'est prévu aucune étude d'impact, je vous le disais, monsieur le rapporteur, sur le dispositif des cinq kilomètres à vol d'oiseau. En outre, la « consécration » scandaleuse, dans la loi, du fait que 10 % au moins de la population seront exclus de la proximité « active » des bureaux de poste est un délit avéré de rupture d'égalité. Par ailleurs, quelles garanties de confidentialité, de sécurité et d'éthique offriront les fameux points Poste ? Voilà encore une façon inéquitable de traiter nos concitoyens !

Enfin, notre sénateur s'enflamme, pour ne pas dire qu'il flambe, en rappelant : « Par ailleurs, le projet de loi a été très largement enrichi par l'adoption au Sénat d'un amendement créant un établissement de crédit postal de droit commun afin d'autoriser La Poste à distribuer du crédit immobilier sans épargne préalable ou du crédit à la consommation dans des conditions assurant une concurrence loyale avec les établissements de crédit en proposant déjà [...]. »

La question de la banque postale a été vite « pliée ». J'imagine que c'était là votre volonté, monsieur le ministre, et vous vous êtes montré très efficace. Je vous rappelle qu'elle est arrivée par amendement, subrepticement, au Sénat, sans passage devant le Conseil d'État - c'est plus pratique ! - et que, dès à présent, un vote conforme permettra de ne plus aborder à l'Assemblée nationale les sujets qui fâchent. Le prétexte - au demeurant légitime, je le reconnais - c'est l'élargissement des services financiers proposés par La Poste. Mais la réalité, c'est le début d'une privatisation par appartements, par « vente à la découpe », ainsi que le refus d'affirmer des missions de service public bancaire en faveur des plus démunis. Des millions de Français sont concernés ; à qui s'adresseront-ils désormais ?

Je le dis solennellement, monsieur le ministre, tout cela est fragile et irresponsable, et je prends date : dans trois mois, peut-être six, les concurrents vont attaquer La Poste sur les partenariats publics locaux, sur la porosité des comptes, et ils demanderont la banalisation du Livret A. Cet établissement étant progressivement privatisé et aucune mission spécifique de service public ne lui étant assignée, il sera rapidement mis en cause.

Notre sénateur s'achemine en ces termes vers sa conclusion : « le Sénat a souhaité mettre définitivement fin au régime d'irresponsabilité dont jouissait jusque-là La Poste et qui ne répond pas aux légitimes exigences des Français. Le texte sénatorial soumet clairement La Poste et ses concurrents au droit commun de la responsabilité pour les pertes et avaries subies par les courriers ou les colis. »

Sur le régime de la responsabilité, votre texte améliore sensiblement la situation, mais il n'en demeure pas moins irresponsable, monsieur le ministre, de ne pas avoir exigé de « garantie de bonne fin » à l'égard de ceux qui, demain, se feront passer pour La Poste et dont ils seront les concurrents autorisés par l'ARCEP.

Je n'ose interrompre l'enthousiasme final de notre sénateur, qui déclare qu' « avec la loi relative au développement des territoires ruraux, ce projet de loi sur la régulation des activités postales lève les incertitudes et apporte des réponses claires aux élus locaux ainsi qu'aux populations des zones rurales sur le problème de la présence postale en milieu rural ». Quelle emphase !

Mais chacun aura compris que, pour ce qui est des « incertitudes » et des « réponses claires », ce texte n'est pas au rendez-vous, et j'espère que ma démonstration aura au moins permis aux députés de la majorité de ne pas utiliser les mêmes arguments que leurs collègues sénateurs pour vanter les mérites de cette loi de dérégulation postale.

Votre texte, monsieur le ministre, n'est pas recevable au regard de la Constitution.

M. le ministre délégué à l'industrie. Nous y voilà !

M. François Brottes. Car la rupture d'égalité devant l'accès au service postal est inscrite à tous les articles, ou presque. Le texte de loi renvoie systématiquement à des décrets ultérieurs la définition précise des missions de service public en matière de service postal universel.

Le système de libéralisation des services postaux mis en place par ce projet est particulièrement défavorable à La Poste, en ouvrant le marché à différents prestataires de services postaux sans garantie suffisante.

Le choix de l'ARCEP comme autorité de régulation, ou plutôt de dérégulation postale, est en réalité le choix d'une compétence sur la technologie pour réguler un secteur où le facteur humain est plus important que le facteur technologique.

En outre, l'autorisation délivrée par l'ART aux concurrents de La Poste est quasi automatique.

Si l'article L. 3 prévoit que les prestataires de services postaux non réservés doivent être titulaires d'une autorisation, l'article L. 5-1 prévoit que l'ART ne peut refuser de délivrer cette autorisation « que par une décision motivée, fondée sur des motifs tirés de l'incapacité technique, économique ou financière du demandeur de faire face durablement aux obligations attachées à son activité postale ».

Cette autorisation serait-elle de droit ? Quel intérêt, dans ce cas, de donner compétence à l'autorité de régulation pour accorder de telles autorisations ? Si la prestation de services postaux peut être effectuée par n'importe quel prestataire, il y a non seulement une rupture d'égalité, mais aussi une insécurité notable pour les usagers.

Ce texte marque la fin de la tarification unique du timbre, alors que les directives communautaires évoquent un prix « abordable » et l'accès à tous aux prestations postales - article 12 de la directive de 1997. L'article 12, deuxième tiret, prévoit la possibilité, pour les États membres, de fixer un tarif unique sur le territoire national en matière de prestations du service postal universel. Or vous ne le faites pas !

Ce texte fragilise en outre les missions les plus importantes de La Poste. Les envois recommandés, utilisés dans le cadre de procédures administratives ou juridictionnelles, sont livrés en pâture à la concurrence.

Le cinquième alinéa du 3° de l'article 1er renvoie à un décret en Conseil d'État pour les envois recommandés utilisés dans le cadre de procédures administratives ou juridictionnelles, qui peuvent désormais être confiés à des prestataires de services postaux. De quelles garanties les administrés disposeront-ils ? Outre le risque de disparités en fonction du secteur géographique concerné, se pose le problème de la valeur juridique de tels envois, et notamment de leur force probante. C'est grave.

Ce texte est timoré quant à la création du fonds de compensation du service universel postal. En effet, la formulation de l'article 7 de la loi n'impose pas d'obligation réelle à l'ARCEP pour créer un tel fonds et ne constitue pas une garantie suffisante.

De surcroît, si la loi prévoit une contribution de chaque prestataire de service postal proportionnelle à son chiffre d'affaires réalisé dans le champ du service universel, elle renvoie à un décret ultérieur pour fixer le seuil d'exemption de contribution.

M. Michel Vergnier. Malheur aux pauvres !

M. François Brottes. Ainsi, les petits opérateurs pourront écrémer tranquillement, sans en payer les conséquences.

Le texte met La Poste en péril. En effet, les différentes charges qu'elle assume au titre de sa situation de monopole ne sont ni supprimées ni même diminuées, alors que ce monopole se réduit comme peau de chagrin. Le surcoût de l'aide à la presse demeure dans son budget. Ce projet est porteur d'hypocrisie, car un certain nombre d'activités financières restent interdites à La Poste.

Le texte en rajoute et « plombe » les comptes de La Poste par le financement du fonds postal national de péréquation territoriale. Et, en guise de « cerise sur le gâteau », une obligation supplémentaire de vérification des comptes de La Poste est créée par la loi : il s'agit là d'une vérification annuelle, à la demande de l'ARCEP, par un organisme qu'elle agrée, et pourtant effectuée aux frais de La Poste.

On ne peut que s'étonner de cette double vérification, les commissaires aux comptes effectuant déjà un contrôle des comptes qu'ils certifient et mettent à disposition de l'ARCEP, sans que puisse être opposé le secret professionnel. Je rappelle, monsieur le rapporteur, que la directive ne crée aucune obligation de double vérification.

M. Jean Proriol, rapporteur. Si !

M. François Brottes. L'article 14-1 de la directive de 1997 énonce l'obligation pour les autorités réglementaires nationales de s'assurer, par une vérification effectuée par un organe compétent et indépendant du prestataire du service universel, de la conformité du système de comptabilité avec les systèmes analytiques prévus par la directive. L'article 15 prévoit, quant à lui, que la vérification des comptes financiers de tous les prestataires est effectuée par un commissaire aux comptes.

Rien ne s'oppose en droit à ce que le commissaire aux comptes, dans l'exercice de son obligation de vérification des comptes - obligation applicable à tout prestataire de service postal - vérifie la conformité du système analytique retenu par La Poste - obligation particulière à la charge du prestataire universel. Cela éviterait une charge supplémentaire pour La Poste, mais ce n'est pas tant la charge qui pose problème que la volonté de nuire à l'opérateur historique et, peut-être, de supprimer à terme la fonction de commissaire aux comptes, ce qui serait un scoop !

M. Jean Proriol, rapporteur. Vous nous faites un procès d'intention !

M. François Brottes. Le texte aggrave les risques encourus. Il ne prévoit aucune contrainte territoriale pour les opérateurs entrants, d'où un risque d'écrémage considérable et de rupture d'égalité sur le plan géographique. Il constitue une certitude d'exclusion : jusqu'à 10 % de la population d'un département peut se trouver éloignée de plus de cinq kilomètres des plus proches accès au réseau de La Poste.

L'ajout par le Sénat d'une limitation de cette distance à vingt minutes de trajet permettrait d'éviter une discrimination à l'encontre des populations de montagne, pour lesquelles, je le rappelle, cinq kilomètres à vol d'oiseau peuvent facilement correspondre à vingt kilomètres. Mais il est question de supprimer cette disposition. En effet, ce risque de discrimination de l'accès aux services postaux sur un critère géographique est renforcé par l'absence d'obligation à la charge des concurrents de garantir une certaine couverture géographique en ce qui concerne leurs prestations.

En outre, monsieur le ministre, votre transposition des directives communautaires en droit français ne garantit pas l'objectif communautaire défini par la directive de 2002. Je cite le paragraphe 6 de son préambule : « Le réseau rural postal, notamment dans les zones montagneuses et dans les îles, joue un rôle primordial en matière d'intégration des entreprises dans l'économie nationale et internationale, ainsi que dans le maintien d'une cohésion sociale et de l'emploi dans les zones rurales montagneuses et insulaires. De plus, les bureaux de poste ruraux dans les zones montagneuses et dans les îles peuvent fournir un réseau d'infrastructures primordial pour l'accès universel aux nouvelles technologies du secteur des télécommunications. » Dont acte, mais votre texte n'est pas au rendez-vous !

M. Frédéric Dutoit. Ce serait plutôt l'inverse !

M. François Brottes. Pour ce qui concerne la banque postale, les autres banques mettent en avant différents éléments pour lutter contre un élargissement de l'offre bancaire par La Poste : le financement public de La Poste au plan local, les produits financiers qui lui sont réservés, comme le Livret A, le statut privilégié de son personnel, l'absence d'étanchéité entre ses différentes activités - ce que le rapporteur appelait la « porosité ». Mais vous ne devez pas oublier que la banque postale est aussi la banque des exclus et que c'est sur ce fondement qu'elle dispose de certains avantages comme le Livret A.

M. Frédéric Dutoit. Ils font un choix de société !

M. François Brottes. En n'élargissant pas, dans le contrat de plan, le champ des services financiers qu'elle peut proposer, vous tenez deux discours : la loi autorise, mais le Gouvernement interdit, puisqu'il ne garantit pas à La Poste les moyens de mettre en œuvre sa politique bancaire particulière.

Avec l'ouverture à la concurrence ainsi prévue, comment garantir à la filiale bancaire de La Poste sa spécificité ?

En l'absence de missions de service public bancaire spécifiquement assignées à La Poste et de garantie suffisante, et notamment d'un capital détenu à 100 % par La Poste, comme nous le souhaitons, il est évident que le législateur ne pourra plus justifier que certains services, comme le Livret A, soient exclusivement réservés à La Poste.

La question se pose quant au personnel de la banque postale : avec un capital détenu à 50 % par La Poste, quel sera le statut des salariés ? Et s'il diffère de celui de la maison mère, quel sera le sort des anciens salariés de la maison mère ?

Enfin, le texte prétend moderniser le tri postal en faisant l'impasse sur le rôle social du facteur. Un rôle social qui n'entre plus désormais dans les critères de rentabilité que va imposer la concurrence sauvage que vous préconisez.

M. Frédéric Dutoit. Libre et non faussée !

M. François Brottes. Cette présence est parfois attendue chaque jour comme un signe d'espoir, comme une poignée de main qui rassure, souvent avec impatience, car même si la lettre ou le journal ne sont pas au rendez-vous, le sourire et l'attention prennent le pas pour donner des nouvelles de l'un ou de l'autre, et cela, monsieur le ministre, n'a pas de prix : ce n'est pas du service universel, mais du bonheur universel. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

À ceux qui se moquent en estimant que j'en rajoute un peu, je veux dire que je connais beaucoup de gens, en ville ou en montagne, à qui cette visite quotidienne du facteur apporte l'énergie qui permet de continuer à vivre. Je pense aux facteurs de Saint-Égrève et de Saint-Martin-le-Vinoux qui, en ce moment même, essaient de faire reconnaître, grâce à un mouvement revendicatif, l'importance de ce lien social.

Loin de moi l'idée de stigmatiser leur employeur, car c'est La Poste, et La Poste tout entière, qui est mise sous pression pour que changent ces pratiques.

Monsieur le ministre, votre projet de loi est irrecevable parce qu'il porte en lui-même le renoncement à la mission de cohésion sociale que remplit La Poste, dans la proximité, avec professionnalisme. Il n'est pas trop tard pour ne pas commettre l'irréparable. C'est la raison pour laquelle j'invite l'Assemblée à voter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Nombre d'arguments invoqués par M. Brottes n'ont pas lieu de figurer dans le cadre d'une exception d'irrecevabilité tendant à prouver le caractère inconstitutionnel du dispositif. Mais penchons-nous sur son argument principal, selon lequel ce projet porterait atteinte à l'égalité, en raison de l'inégalité de la présence postale sur le territoire.

M. Pierre Cohen. Entre autres !

M. le ministre délégué à l'industrie. Pour éclairer l'Assemblée, je vais citer quelques exemples de présence postale à l'intérieur de l'Union européenne.

La France a un point de présence postale pour 3 529 habitants, contre 6 487 habitants en Allemagne,...

M. Michel Vergnier. La géographie n'est pas la même !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...4 500 en Autriche, 7 656 en Belgique, 5 092 au Danemark, 3 968 en Espagne, 3 676 en Finlande, 4 799 en Grèce, 4 198 en Italie et 7 662 aux Pays-Bas.

À l'exception du Royaume-Uni, dont la présence postale est un peu supérieure à la nôtre, avec un point pour 3 468 habitants, nous sommes le pays d'Europe qui a la plus forte densité de présence postale.

M. Pierre Cohen. Ce n'est pas un problème de densité, mais de rapport.

M. le ministre délégué à l'industrie. J'ai donc du mal à croire que, dans un contexte concurrentiel, le Conseil constitutionnel et a fortiori l'Union européenne considèrent que la France porte atteinte à l'égalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. François Brottes. C'est la répartition qui n'est pas bonne, monsieur le ministre !

M. le président. Dans les explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité, la parole est à M. Alain Gouriou, pour le groupe socialiste.

M. Alain Gouriou. M. le ministre vient d'énumérer nombre de nos voisins européens pour souligner la très grande densité des points de présence postale dans notre pays. Mais peut-on comparer le territoire de la Belgique avec celui des Pyrénées ou des Alpes ? Dans le « plat pays », comme le dit la chanson, la desserte postale bénéficie de facilités qu'on ne retrouve ni dans les Pyrénées, ni dans le Massif central, ni dans les Alpes.

M. le ministre délégué à l'industrie. Que faites-vous de l'Autriche ?

M. Alain Gouriou. Je m'élève aussi contre cette tendance à accuser l'opposition, notamment le groupe socialiste, de s'arc-bouter pour conserver à la présence postale son statu quo. Nous estimons simplement qu'elle doit évoluer avec la démographie et l'émergence des nouveaux territoires.

Encore faut-il que la concertation se fasse en toute clarté et en toute honnêteté. À cet égard, monsieur le rapporteur, j'ai entendu avec plaisir votre plaidoyer pour une véritable concertation - un plaidoyer qui, si j'ai bien compris, s'adressait davantage à la direction de la Poste qu'à l'opposition.

M. Jean Proriol, rapporteur. Tout à fait !

M. Alain Gouriou. Mais vous devez aussi le reconnaître, vous qui êtes honnête : sur trois ou quatre points du projet de loi, et en particulier sur la question du financement, le flou demeure. S'agissant de la péréquation, on est même proche du tour de bonneteau, puisque La Poste elle-même sera le premier contributeur du fonds de péréquation territoriale. C'est un peu fort, avouez-le !

Quant au fonds de compensation du service universel postal, dont François Brottes a rappelé les faiblesses, il doit être, au minimum, créé immédiatement, car les conditions dans lesquelles La Poste devra assurer ce service ne lui permettront pas, à l'évidence, de le financer.

François Brottes a également souligné l'importance du lobbying mené par les banques pour empêcher La Poste d'élargir sa gamme de produits financiers et pour lui enlever ce qui reste un de ses points forts : le Livret A. Vous avez sans doute reçu comme moi, mes chers collègues, le courrier provenant d'une entreprise importante du réseau bancaire français qui contenait ces deux revendications.

Toutes ces raisons conduisent à voter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Alfred Trassy-Paillogues, pour le groupe UMP.

M. Alfred Trassy-Paillogues. M. Brottes a tenu des propos excessifs. Je regrette qu'il n'ait pas conservé le ton adopté en commission.

En termes d'aménagement du territoire, le projet de loi apporte des garanties, même si certains les contestent systématiquement. Ma circonscription offre l'exemple d'un point Poste dont les horaires d'ouverture, dix heures par jour et sept jours par semaine, donnent toute satisfaction : le bureau qu'il remplace n'était ouvert qu'une heure et demie par semaine.

M. François Brottes. Ce n'est pas le même service !

M. Alfred Trassy-Paillogues. Non seulement ce point Poste assure 90 % des services autrefois rendus, mais plus de 90 % de la population est satisfaite de la nouvelle organisation, comme l'ont montré les enquêtes diligentées par des organismes indépendants.

M. François Brottes. Méfiez-vous des sondages !

M. Alfred Trassy-Paillogues. Même si tout n'est pas parfait, cela montre qu'il faut évoluer. Il faut le faire en tenant compte de la démographie, comme l'a noté M. Gouriou, mais aussi des nouvelles habitudes de consommation.

La Poste entre en concurrence avec des opérateurs européens puissants. Si, dans deux, trois ou quatre ans, la Poste allemande ou la Poste hollandaise prennent pied de manière irréversible sur le territoire national, M. Brottes sera le premier à nous reprocher de n'avoir rien fait.

M. Guy Geoffroy. Eh oui !

M. Alfred Trassy-Paillogues. C'est pourquoi nous ne voterons pas l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. André Chassaigne. L'intervention de notre collègue François Brottes était très complète. Il a fait la démonstration irréfutable de l'inconstitutionnalité de ce texte. Bien entendu, nous voterons l'exception d'irrecevabilité.

M. Roland Chassain. À charge de revanche !

M. André Chassaigne. Deux raisons principales motiveront notre vote.

Premièrement, le projet de loi aura un effet discriminatoire sur les territoires, en particulier ruraux. Quand on prétend, en effet, que le service postal continuera d'être assuré grâce aux points Poste, je réponds que c'est une imposture, que l'on trompe le monde. Et je vais le démontrer aussitôt.

Pensez-vous que le touriste de passage, voire l'habitant d'une commune située à quinze kilomètres pourra, dans un point Poste, retirer de l'argent sur son compte chèques postal ?

M. Jean Proriol, rapporteur. Oui !

M. André Chassaigne. Non ! Il devra se rendre au bureau de rattachement. Dans un point Poste situé au milieu de l'Auvergne, vous ne pourrez pas retirer de l'argent, monsieur le ministre, ni d'ailleurs aucune personne de passage.

De même, croyez-vous que l'on pourra acheter des devises dans un point Poste ? Non ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, président de la commission. Est-ce qu'on peut le faire aujourd'hui ? Réfléchissez, monsieur Chassaigne !

M. André Chassaigne. Croyez-vous que l'on pourra y émettre un mandat ? Certaines personnes en difficulté ne disposent pas d'un compte chèques postal, vous le savez. Comment feront-elles ?

M. Patrick Ollier, président de la commission. Quelle démagogie !

M. André Chassaigne. Pensez-vous que l'on pourra payer une facture par mandat ou par TIP dans un point Poste ? Non, on ne le pourra pas !

M. Patrick Ollier, président de la commission. N'importe quoi !

M. André Chassaigne. Pensez-vous que l'on pourra, dans un point Poste, acheter une recharge de téléphonie mobile ? Non !

M. Jean Proriol, rapporteur. Mais si ! Pourquoi pas ?

M. André Chassaigne. Pensez-vous que l'on pourra y acheter des timbres de collection ? Non ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, président de la commission. Vous atteignez le ridicule avec de tels arguments !

M. André Chassaigne. Est-ce que vous pensez qu'il sera possible, dans un point Poste, de faire un affranchissement international ? D'envoyer un colis nécessitant une pesée ? De faire des envois spécifiques, de type « chronopost » ? Non, on ne pourra pas le faire ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Pensez-vous qu'un point Poste proposera la réexpédition, avec garde, du courrier ? Non ! Qu'un artisan pourra y obtenir une facture ? Non ! Que l'on pourra y déposer une procuration postale ou financière ? Non !

Vous prétendez que le service public sera maintenu grâce aux points Poste, mais c'est un mensonge ! La plus grande partie des prestations actuellement offertes par les bureaux de poste ne seront pas disponibles.

Ce projet de loi est donc irrecevable, parce qu'il déroge au principe d'égalité garanti par la Constitution. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Entendre parler des personnes âgées dans les villages vous fait sourire, et même crier ! Cela montre à quel point vous êtes attentifs à la qualité de la vie en milieu rural ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Cohen. Eh oui !

M. Jean Proriol, rapporteur. Croyez-vous pouvoir nous donner des leçons ?

M. Guy Geoffroy. Vous en faites un peu trop !

M. André Chassaigne. Le Journal officiel témoignera...

M. Patrick Ollier, président de la commission. De l'énormité de vos arguments ?

M. André Chassaigne. ...de vos réactions face aux services qui ne seront plus rendus ! Aurez-vous le courage de vous comporter ainsi auprès des habitants des territoires ruraux ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Proriol, rapporteur. C'est ridicule !

M. le président. Mes chers collègues, M. Chassaigne s'apprête à conclure. Laissons-le donc poursuivre !

M. André Chassaigne. Il est très difficile de s'exprimer dans cette assemblée, monsieur le président.

M. le président. Certes, et il vous arrive de contribuer - sans vous en rendre compte, bien entendu - à cet état de fait.

Poursuivez, monsieur Chassaigne.

M. André Chassaigne. Deuxième raison : la transposition de cette directive illustre parfaitement votre souci, monsieur le ministre, mesdames et messieurs de la majorité, de faire que dans ce pays il n'y ait plus de service public. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Cohen. Eh oui !

M. Jean Proriol, rapporteur. Procès d'intention !

M. André Chassaigne. Vous l'avez fort bien montré, monsieur le ministre, et avec des mots bien choisis : selon vous, la libéralisation du service postal devrait faciliter l'accès aux services, améliorer les prestations, entraîner des gains de productivité. Or, et je le prouverai dans un instant, partout où cette libéralisation a eu lieu, le service s'est appauvri et les gains de productivité ne sont pas au rendez-vous. Finalement, en transposant cette directive, vous organisez le désert. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe UDF.

M. Jean Dionis du Séjour. J'ai écouté attentivement mon collègue François Brottes, avec qui je travaille régulièrement en commission. Mis à part l'argument d'une inconstitutionnalité fondé sur la rupture d'égalité, il a, globalement, adopté une posture électorale. C'est habile, mais est-ce responsable ?

En première lecture, je demandais aux membres du groupe socialiste s'ils n'étaient pas revenus à une certaine forme de molletisme, sociolibéral au gouvernement, sociopopuliste à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Cohen. Vous nous l'avez déjà dit la semaine dernière ! Changez de disque !

M. Jean Dionis du Séjour. C'est parce que vous n'avez toujours pas changé le vôtre ! Il tourne en boucle !

M. Guy Geoffroy. Et il est rayé !

M. Jean Dionis du Séjour. Je me vois contraint de poser à nouveau la question.

Quant à nous, à l'UDF, notre position est simple.

Premièrement, il faut transposer, car cela fait partie du travail quotidien de construction européenne. Or nous sommes pour cette construction, pas à moitié pour et à moitié contre.

Deuxièmement, nous pensons qu'il faut moderniser La Poste, parce que, de toute façon, il y aura concurrence. Vos trémolos ne doivent pas faire oublier que 300 000 emplois sont en jeu, dont 1 500 dans mon département.

M. François Brottes. Justement !

M. Jean Dionis du Séjour. Si on éprouve vraiment du respect pour les femmes et les hommes en jaune, il faut le montrer, et faire en sorte qu'ils puissent garder leur emploi.

M. Michel Vergnier. Ce n'est pas le cas, en l'occurrence !

M. Jean Dionis du Séjour. L'enjeu de ce projet de loi est donc important.

M. Alain Gouriou. Nous verrons !

M. Jean Dionis du Séjour. Certainement !

Troisièmement, il faut assurer une présence territoriale moderne et efficace.

La deuxième lecture est l'occasion de préciser le cadre du fonds de péréquation. Pour un département rural comme le mien, c'est également un enjeu de taille. Dès lors, l'UDF dit : « Au travail ! » et elle ne votera pas l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. André Chassaigne, pour une durée ne pouvant excéder trente minutes.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le débat se fait l'écho d'une situation que les Français, aujourd'hui, supportent de plus en plus difficilement, celle dans laquelle se trouve le service postal en France. Nos compatriotes en constatent chaque jour la réalité : de plus en plus souvent, le courrier n'est pas distribué quand un facteur vient à tomber malade, ou l'est de façon aléatoire, en l'absence de brigades de remplaçants, par des vacataires non formés et ne connaissant pas la tournée.

Aux guichets, en raison de l'arrêt du recrutement de fonctionnaires, les agents de La Poste perdent leur savoir-faire, ce qui n'est pas non plus sans conséquences sur la qualité du service rendu : les files d'attente s'allongent, les usagers s'énervent. Et comment pourrait-il en être autrement, dès lors que l'envoi d'un recommandé prend maintenant une bonne heure ?

Les agents de La Poste, si attachés à la qualité du service, sont contraints de subir et de gérer une situation qu'ils n'ont jamais choisie, comme l'attestent, ces derniers mois, leurs nombreux mouvements de grève.

À la campagne, la situation est désastreuse. Avant même que cette loi ne soit votée, et comme par anticipation, nous assistons au grand retour des transhumances. Les directions départementales de La Poste se transforment en commis voyageurs et organisent les déménagements dans des conditions pour le moins expéditives.

Alors que le Premier ministre vient d'annoncer qu'aucun service public ne serait plus fermé sans l'aval des élus concernés, nous constatons, dans mon département, de quelle curieuse façon sont menées ces trop fameuses concertations : avec un mépris affiché pour les élus ruraux taxés d'immobilisme, ce sont des propositions habillées d'un chantage qui ne laissent quasiment aucune marge de manœuvre et la désagréable impression que notre tête est fermement posée sur le billot !

Devant cette pression, insupportable, beaucoup cèdent malheureusement et les arrondissements ruraux voient disparaître, petit à petit, tout leur maillage de bureaux de poste ! Dans le Puy-de-Dôme, la direction de La Poste a découpé le département en douze territoires. Le projet de carte de présence postale élaboré avant toute discussion se découvre petit à petit, au gré de pseudo-concertations. Réunion après réunion, les élus doivent avaler une potion mijotée par des technocrates qui n'affichent que mépris pour le monde rural.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. C'est vrai !

M. André Chassaigne. Sur les six territoires dont les résultats sont connus, dont l'agglomération clermontoise, nous dénombrons aujourd'hui quatre-vingt-cinq bureaux de plein exercice. Avec le projet, il ne restera que quarante-cinq bureaux. Les quarante bureaux restants vont être transformés en agences postales ou tout simplement en points Poste dont les charges de fonctionnement et de présence seront supportées soit par les communes, soit par les commerçants. Quoi qu'il en soit, comme je l'ai précédemment expliqué, la possibilité d'accès à l'ensemble de la gamme des activités se verra fortement réduite. Prenons conscience que les points Poste ne sont pas des bureaux de poste et qu'ils n'assurent pas les mêmes prestations, tant s'en faut.

Ainsi, restructuration après restructuration, grignotage après grignotage, La Poste de plein exercice s'éloigne de plus en plus des zones à faible densité de population. Nous connaissons les conséquences de cette évolution : les usagers de La Poste n'auront pas le même accès à ce service et l'accès des épargnants de La Poste à leurs livrets sera considérablement réduit. Il en ira de même de nombre de personnes âgées ou à la mobilité réduite.

Aussi, mes concitoyens ressentent-ils durement cette évolution. Ils ont souvent le sentiment légitime que leurs efforts de chaque jour pour faire vivre leurs régions et développer nos territoires sont vains parce que l'État les abandonne et fait le choix du désert, évidemment moins coûteux à entretenir à court terme qu'une ruralité vivante.

Alors, me direz-vous, le trait est gros et la description lapidaire. Il y a bien, je le concède, un article 1er bis du projet de loi qui réaffirme l'attachement symbolique de la République à ses services publics. Il crée même un fonds postal national de péréquation territoriale ! Je crains cependant que ces déclarations symboliques, comme les effets de manche des membres de la majorité, n'aient guère d'effets concrets sur le terrain : comme si les violons que vous mobilisez pour chanter les louanges du service public ne pouvaient jouer que des requiems ! Nous avons constaté, tout à l'heure, que le ministre n'a pas fait jouer le violon pour les services publics, mais pour démontrer à quel point le libéralisme pouvait présenter des avantages !

Quant à cette belle disposition, monsieur le rapporteur, interdisant que plus de 10 % de la population d'un département ne se trouve éloignée de plus de cinq kilomètres du plus proche accès au réseau de La Poste, notons d'abord qu'elle ne fait pas de distinction entre des bureaux de poste de plein exercice et les points de contact que vous souhaitez multiplier. Mais elle est surtout aussi démagogique que trompeuse. Il suffit de se référer à une étude de l'Association des maires ruraux de France selon laquelle 51 % des communes du Rhône, 42 % de celles de la Gironde, 45 % de celles de Meurthe-et-Moselle - je ne dispose malheureusement pas des chiffres concernant le Puy-de-Dôme - pourraient ainsi se trouver à plus de cinq kilomètres d'un point de contact de La Poste. C'est scandaleux ! Il s'agit d'une tromperie dont le but est de masquer les conséquences désastreuses du choix de mettre en œuvre des directives européennes.

Monsieur le rapporteur Proriol, puisque vous êtes l'auteur de cet amendement,...

M. Jean Proriol, rapporteur. Et j'en suis fier !

M. André Chassaigne. ...vous en connaissez les conséquences !

M. Jean Proriol, rapporteur. Je vous invite à le voter parce qu'il vous sera utile !

M. André Chassaigne. Comme on dit en Auvergne, vous avez la queue du renard qui vous sort de la bouche et vous dites ne pas l'avoir croqué !

M. Patrick Ollier, président de la commission. C'est beau comme expression !

M. André Chassaigne. Quant au fameux fonds national de péréquation, ses missions comme ses ressources restent pour le moins floues et le renvoi de l'application de cette mesure à un décret paraît bien opportun... Certes, il serait a priori gagé à hauteur de 150 millions d'euros, mais cette somme est bien faible au regard des besoins ressentis dans nos campagnes et dans les banlieues en situation de crise. Elle ne constitue surtout, de la part de La Poste, qu'un simple retour vu les allégements fiscaux dont elle bénéficie.

Si vous pouvez vous réjouir de la satisfaction de l'Association des maires de France quant à la présence postale, sachez bien que vous ne disposez pas du soutien des maires ruraux : leur association - l'Association des maires ruraux de France - a d'ailleurs regretté, dans son dernier bulletin, que le Sénat se soit couché devant le Gouvernement lors des débats sur le projet de loi qui nous occupe aujourd'hui.

M. le ministre délégué à l'industrie. Quel vocabulaire ! Quel sens du respect des institutions !

M. Jean Proriol, rapporteur. Entre le « renard » et le « couchage »...

M. André Chassaigne. Je ne fais que reprendre le titre de cette revue !

Certes, un tel fonds constituerait un moindre mal, mais vous ne pourrez m'empêcher de penser que le service public de La Poste peut parfaitement assurer seul cette mission de péréquation entre territoires ! En maintenant tout simplement son caractère de service public, c'est-à-dire le monopole public sur ce secteur économique, on peut s'assurer de l'internalisation de cette mission d'aménagement dans la comptabilité de La Poste et donc de son parfait accomplissement.

Mais, comme vous ouvrez le secteur postal à la concurrence, vous autorisez logiquement La Poste à externaliser cette mission de péréquation territoriale. Il faut bien, dans votre logique, socialiser les pertes si l'on veut privatiser les profits ! Nous sommes bien là au cœur du problème. La gestion publique permet d'intégrer, dans la stratégie d'un service public, les externalités de son activité sur la société, c'est-à-dire la contribution de cette activité au bien-être collectif qui ne peut se mesurer dans une comptabilité. La gestion privée, dont vous vantez les effets et que vous prétendez abusivement supérieure, n'a pas cette logique extravertie. Parce qu'elle ne repose que sur une logique comptable et une analyse de bilan, elle ne mesure pas l'impact, positif ou négatif, de son activité sur la société. En privatisant, comme le propose le projet de loi, le mode de gestion de La Poste, vous ne pourrez que réduire son champ de vision.

En tant que service public, La Poste portait des logiques économiques, d'aménagement du territoire et de cohésion sociale. Ses activités financières et postales étaient indissociables les unes des autres et cela fonctionnait ! La Poste n'était pas déficitaire, sa couverture du territoire était de qualité, ses services satisfaisaient les besoins de tous les Français, notamment des plus modestes. Avec ce projet de loi, vous parez La Poste de bien tristes œillères : elle ne verra plus que son bilan comptable ou sa profitabilité économique. Elle sera aveugle aux ravages que cette situation occasionnera sur nos territoires et elle se fragilisera du fait de la césure que vous opérez entre ses différentes missions, pourtant complémentaires.

Ainsi, le projet de loi prévoit que le tarif de base du timbre du secteur réservé ne peut excéder 1 euro, c'est-à-dire deux fois son prix d'aujourd'hui. Tout cela augure évidemment d'une flambée des tarifs après la fin du secteur réservé ! Et je n'évoque même pas les risques réels de remise en cause du principe d'égalité tarifaire. Quelles garanties pouvons-nous vous donner que les particuliers ne paieront pas plus cher leurs envois postaux que les entreprises et que les personnes issues du monde rural ne paieront pas plus cher leurs timbres que les urbains ?

On voit bien qu'en privatisant les modes de gestion de La Poste, la qualité du service rendu baissera et les tarifs augmenteront. Ce sera une belle réussite. Mais il faut bien trouver une marge pour faire exploser les profits !

Permettez-moi de rappeler, à ce titre, le merveilleux exemple de la privatisation de la poste suédoise. Dix ans après, le bilan est sans appel : le prix du timbre a doublé, 30 000 emplois parmi les 70 000 que comptait l'opérateur historique ont été supprimés et le nombre de bureaux de poste traditionnels a été divisé par cinq et ils sont dévolus désormais aux entreprises. Pire, la poste suédoise qui générait des profits est en déficit chronique depuis des années. Elle a perdu plus de 87 millions d'euros en 2002, un déficit qu'elle s'attend encore à voir se creuser en 2003. La plupart des actifs ont été vendus, du système de paiement postal, très répandu en Suède, jusqu'aux bâtiments, en passant par le siège social.

Tout cela montre parfaitement combien est absurde cette évolution qui, au nom de l'Europe et de la seule liberté d'entreprise exige de briser tout ce que notre peuple a pu construire, au fil des années, avec succès.

Nous le savons bien, en effet, ce texte transpose avant tout une directive communautaire, vous l'avez dit et redit, monsieur le ministre et monsieur le rapporteur. Même si le Gouvernement l'a, de sa propre initiative, excessivement pimenté, le plat qui nous est servi vient bien de Bruxelles. Et la recette de ce plat est tirée, aucun élu honnête ne peut le contester, de traités que l'on cherche aujourd'hui à transmuter en constitution !

Alors, oui, ce texte évoque ces désormais fameux services d'intérêt économique général ! Certains osent considérer qu'il s'agit là d'un cadre juridique permettant de préserver nos services publics. Soyons sérieux, mes chers collègues ! Nous trouvons dans le texte du traité constitutionnel des dizaines d'article sacralisant le droit de la concurrence et proclamant la nécessité d'achever le marché intérieur des biens et services. Le seul article qui traite clairement des services d'intérêt économique général, l'article III-166 de ce projet de constitution, dispose clairement que les entreprises chargées de la gestion de ces SIEG sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de concurrence et donc qu'elles ne pourront déroger à ces règles que de façon exceptionnelle. Nous sommes bien loin, avec ce texte, d'une reconnaissance de droit commun de nos services publics !

En première lecture, j'avais demandé à notre assemblée pour quelles raisons la construction de l'Europe, et donc l'accomplissement de l'idéal internationaliste de fraternité entre les peuples, exigeaient en préalable que nos bureaux de poste ferment dans nos campagnes. Je n'ai pas eu de réponse ; cette question de bon sens, pourtant, de très nombreux habitants de nos régions se la posent.

On veut nous vendre l'Europe, et l'on nous explique qu'au nom de cette nécessaire amitié entre les peuples, un conclave s'est réuni à Bruxelles pour décider de l'ouverture à la concurrence du marché postal, entraînant inévitablement l'adaptation du mode de gestion de La Poste à cette nouvelle donne et donc son déménagement massif de territoires non rentables. Permettez-moi, en conséquence, de reposer aux éminents représentants de cette assemblée ou du Gouvernement cette question que tout le monde se pose chez moi : pourquoi la construction de l'Europe exige-t-elle, en préalable, la fermeture de nos bureaux de poste ?

M. Jean Dionis du Séjour. Quel raccourci !

M. André Chassaigne. Les bureaux de poste menaceraient-ils la paix entre nos nations ?

M. Patrick Ollier, président de la commission. Croyez-vous en ce que vous dites ?

M. Jean Proriol, rapporteur. Plus c'est gros et plus cela passe !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Êtes-vous convaincu de ce que vous dites, monsieur Chassaigne ?

M. Jean Dionis du Séjour. Super-bobards !

M. André Chassaigne. Quand vous réagissez ainsi, c'est que je vise juste !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Non, c'est que ce que vous dites est ridicule, monsieur Chassaigne !

M. André Chassaigne. Les receveurs de nos bureaux de campagne seraient-ils des démolisseurs bellicistes de la belle Europe dont nous rêvons ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Telle n'est pas mon impression ! D'ailleurs, de plus en plus d'Anglais, de Hollandais ou d'Allemands décident d'émigrer dans nos vertes prairies. Ils sont généralement attentifs, comme tout le monde, à la qualité du service public à la française.

M. Jean Proriol, rapporteur. C'est l'accueil des capitalistes étrangers !

M. André Chassaigne. Cela signifierait-il que le maintien d'un service public postal de qualité constitue moins une menace pour la paix entre les peuples que pour la valorisation du portefeuille boursier des pontes du CAC 40 ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Cela signifierait-il donc que le drapeau européen, dont vous parez vos réformes, vise avant tout à dissimuler le libéralisme effréné inscrit dans le marbre des traités européens ?

Cela signifierait-il que le monopole de l'Europe, dont vous vous drapez, ne cache, en fait, que le développement d'un libéralisme honteux ?

Mes chers collègues, il est temps de sortir de ces débats stériles dans lesquels notre rôle se limite à avaliser les orientations prises à Bruxelles ! Cette camisole libérale ne fait qu'entériner une impuissance politique que nous reprochent si justement nos électeurs.

Et c'est bien - mais je pense que vous l'avez compris - pour briser ce carcan que le « non » au référendum du 29 mai s'impose !

Monsieur le ministre, les députés communistes vous avaient demandé en première lecture de militer pour une renégociation des directives postales. Vous nous aviez répondu que ce n'était pas possible. Pourtant, à vous entendre, l'affaire de la directive Bolkestein aurait montré entre-temps qu'il était possible de renégocier un projet de directive. Il en est de même du pacte de stabilité.

M. Jean Dionis du Séjour. La directive Bolkestein n'est pas encore adoptée !

M. André Chassaigne. Le pacte, lui, était approuvé, mon cher collègue ! Alors pourquoi ne pas renégocier les directives postales ?

M. Frédéric Dutoit. Très juste !

M. Jean Dionis du Séjour. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait quand vous faisiez partie de la majorité ? Un peu de rigueur, monsieur le professeur !

M. André Chassaigne. C'est pour vous donner le temps de négocier le retrait de ces directives, monsieur le ministre, que nous devons repousser l'examen de ce projet de loi.

Au-delà du gâchis que constitue un refus, la persévérance dont vous faites preuve pour imposer un texte dont nos concitoyens ne veulent pas révèle que l'attitude du Gouvernement sur la directive Bolkestein est plus tactique que sincère.

M. Jean-Luc Warsmann. Oh !

M. André Chassaigne. D'ailleurs, elle est démentie par le texte du traité constitutionnel, qui dans ses articles I-3, I-4, III-133 et III-150 consacre la libre circulation des services.

Il est vrai, mes chers collègues, que le Gouvernement a pimenté avec excès ce projet de loi de transposition. Loin d'en relever le goût initialement désagréable, il l'a rendu franchement indigeste. Je pense à la création de cette banque postale, dont nous n'aurons malheureusement pas l'occasion de débattre dans le cadre de cette deuxième lecture.

M. le ministre délégué à l'industrie. Quel dommage !

M. André Chassaigne. La création de cet établissement de crédit, qui répondait au départ au souci légitime d'élargir la gamme des services financiers de La Poste, prépare en réalité la séparation du groupe La Poste en deux entités distinctes, afin de jeter par la suite les fondations de la privatisation de cette future banque postale.

Cette mesure nous interpelle, à juste titre : quelle place accordera cette nouvelle banque postale aux missions de service public ? Je pense évidemment à la gestion des fonds du Livret A. Aujourd'hui, le Livret A est un outil de financement incontournable du logement social, d'autant que le Gouvernement ne finance plus qu'à la marge la construction des logements sociaux, dont le besoin n'a jamais été aussi important en France depuis la Libération.

C'est pourquoi la constitution de cette banque postale est une bien mauvaise nouvelle. Elle sera une société anonyme plus ou moins privatisée, et le risque est grand de voir le Livret A, si peu attractif, disparaître progressivement, La Poste préférant inciter ses clients à placer leurs économies sur d'autres types de contrat.

Il convient également d'analyser les conséquences sur notre système financier de la création de cette banque postale. Nous savons à quel point la déréglementation de notre système financier est responsable de nos difficultés économiques actuelles, notamment de la faiblesse structurelle de l'investissement en France. L'apparition d'un nouvel acteur bancaire majeur dans ce secteur pourra-t-elle régler ce problème ? Évidemment non ! Cela ne pourra que l'aggraver, encourager de nouvelles concentrations bancaires et donc des investissements spéculatifs, et altérer encore un peu plus le lien qui doit exister entre les petits acteurs économiques et leurs intermédiaires financiers.

Nous avons proposé des solutions alternatives. Permettez-moi de vous les rappeler, tant le débat sur le sujet, malheureusement, fut tronqué.

Il était nécessaire d'envisager pour les services financiers de La Poste un avenir qui ne soit pas celui du droit commun bancaire, un avenir plus noble, basé sur deux exigences : soutenir le développement économique et social des régions sinistrées et financer les investissements publics, qui s'avèrent aujourd'hui incontournables, dans les domaines du logement social, de l'énergie, des transports ou de la recherche.

Ni les marchés financiers, trop spéculatifs, ni les banques, trop liées à ces mêmes marchés, ni l'État, très endetté, ni les collectivités territoriales, asphyxiées par les transferts de compétences imposés par les lois de décentralisation, ne parviendront à financer ces équipements structurants. Il est donc inévitable qu'intervienne un autre acteur économique, en mesure de financer ces projets. Ce ne peut être qu'un pôle financier public, indépendant du système financier libéral dominant, capable de financer des projets économiques de long, voire de très long terme, et utiles à toute la collectivité. La Poste, en lien avec la Caisse des dépôts, les caisses d'épargne, aurait pu être l'un des piliers de ce pôle public de financement. Vous avez fait d'autres choix. Nous les regrettons, même s'ils ne nous étonnent pas.

Le mode de régulation que vous avez choisi pour le nouveau marché postal est tout aussi inacceptable. Ainsi, la nouvelle autorité de régulation, l'ARCEP, est clairement conçue pour dynamiser la concurrence, favoriser l'apparition de concurrents sur ce marché et réduire à son strict minimum le service universel postal. Les pouvoirs exorbitants accordés à cette autorité, son lien organique avec le Conseil de la concurrence plutôt qu'avec le Conseil d'État attestent de la privatisation du droit régissant les postes. Petit à petit, ce sont toutes les références aux droits et aux valeurs du service public qui disparaîtront de ce secteur économique.

L'emprise libérale de ce texte est telle que vous avez même ouvert à la concurrence les envois de recommandés dans le cadre de procédures administratives et juridictionnelles.

Ce projet de loi est donc empreint d'un dogmatisme idéologique tout à fait déplorable.

M. Frédéric Dutoit. Tout à fait !

M. André Chassaigne. Les services publics, mes chers collègues - faut-il le rappeler ? - sont l'une des plus belles conquêtes de notre République. Ils ont été portés par les plus grands juristes du début du XXe siècle, dont Léon Duguit, chef de file de l'école de Bordeaux, qui un peu avant la Première Guerre mondiale rappelait que la solidarité doit s'imposer aux uns et aux autres et qu'il appartient aux gouvernants d'utiliser leur puissance pour assurer le respect de l'intérêt général. Il concluait logiquement que le droit public a pour mission d'imposer cette solidarité à tout le corps social, notamment par la constitution de services publics. Nous devons au mouvement ouvrier d'avoir donné à ces idées le débouché politique qui leur manquait, lors du Front populaire mais surtout à la Libération. C'est cet héritage que vous foulez aujourd'hui aux pieds. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mes chers collègues, c'est avec le service public que les valeurs d'égalité et de fraternité ont connu leur plus profond aboutissement et que la République a réalisé ses plus belles promesses. C'est pourquoi votre acharnement à les démanteler les uns après les autres nous révolte tant !

Ainsi - quel symbole ! -, la disparition de la mention « République française » sur les timbres, votée au Sénat en deuxième lecture, n'est pas anodine. Au-delà de l'argumentaire ridicule selon lequel la mention « RF » serait source de confusion avec la République finlandaise (Rires)...

M. François Brottes. En effet, il faut trouver autre chose !

M. André Chassaigne. ...votre décision de faire disparaître toute référence à la République sur les timbres émis par La Poste, monsieur le ministre, symbolise parfaitement votre volonté d'enterrer les valeurs qui ont fondé notre pacte social.

M. Jean Dionis du Séjour. Quel discours !

M. André Chassaigne. Quelquefois, mon cher collègue, il faut utiliser des symboles !

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à voter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Proriol, rapporteur. Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je voudrais rappeler à André Chassaigne que nous sommes en train de transposer une directive qui date de 1997 !

M. Jean Dionis du Séjour. Eh oui !

M. Jean Proriol, rapporteur. Si cela était si facile, je ne comprends pas pourquoi le gouvernement précédent ne l'a pas fait. Votre groupe, monsieur Chassaigne, aurait certainement trouvé des moyens plus efficaces que les nôtres ! S'il ne l'a pas fait, je doute de sa capacité à changer une situation qu'il nous a lui-même léguée !

M. François Brottes. Il n'a pas eu le temps !

M. Jean Proriol, rapporteur. Comme d'habitude, dans les interventions d'André Chassaigne, on sent le feu du volcan auvergnat, qui ne cesse de lancer ses torchères. Nous avons entendu une description apocalyptique du système. Celles et ceux qui l'ont écoutée pourront comparer avec ce qui se passe en réalité dans leur département.

Certes, monsieur Chassaigne, La Poste ne se comporte pas comme un enfant de chœur en matière de fermetures de bureaux ou de réduction du nombre des distributions. Je sais bien qu'elle n'est pas parfaite. Mais ce que vous avez dit du Puy-de-Dôme ne se rapporte qu'au Puy-de-Dôme. Et je suis sûr que les postiers apprécieront la description que vous en avez faite ! (Sourires.)

Depuis vingt ans, monsieur Chassaigne, et même davantage, La Poste prend des mesures concernant sa représentation territoriale. Elle le fait avec ses moyens. Je note que, de 1954 à 2004, la présence postale a été constante dans notre pays, sous les trois formes que vous avez rappelées, avec 17 000 points de contact.

Vous avez exprimé, monsieur Chassaigne, un certain nombre de contrevérités et je vais vous en citer quelques-unes. Vous nous dites que l'État vous abandonne. C'est faux, monsieur le ministre (Rires)... Pardon : monsieur le député, voulais-je dire !

M. Henri Nayrou. Solidarité territoriale !

M. Alain Gouriou. La gauche revient !

M. Jean Proriol, rapporteur. Non, l'État ne vous abandonne pas ! Monsieur Chassaigne, vous avez, au cours de ces derniers mois, reçu dans votre propre commune deux ministres de ce gouvernement qui vous abandonne. Vous avez attiré les ministres, vous les avez caressés et vous venez dire ici du mal de ceux dont vous disiez du bien à Saint-Amant-Roche-Savine !

M. Jean Dionis du Séjour. Ce n'est pas bien !

M. Jean Proriol, rapporteur. Quel double langage, monsieur Chassaigne : ici, à l'Assemblée, j'agresse le Gouvernement, mais quand il se rend dans mon fief, j'en dis du bien ! Je vous précise, mes chers collègues, que les deux ministres étaient M. Gaymard et M. Forissier. Monsieur Chassaigne, vous voyez que l'État ne vous abandonne pas, puisque vous l'avez invité à vous rendre visite et vous l'avez accueilli avec fanfare ! Voilà la première contrevérité.

M. le ministre délégué à l'industrie. Peut-être vais-je moi aussi me rendre à Saint-Amant-Roche-Savine, monsieur Chassaigne ! (Sourires.)

M. Jean Proriol, rapporteur. Vous énoncez une deuxième contrevérité avec « les violons du libéralisme ». En ce qui me concerne, je ne joue pas de violon et je ne suis pas certain d'être un parfait libéral dans ce domaine.

M. le ministre délégué à l'industrie. Avec M. Chassaigne, ce serait plutôt la grosse caisse !

M. Jean Proriol, rapporteur. Vous estimez, comme M. Brottes, que 10 % de la population à cinq kilomètres d'un bureau de poste est une tromperie.

M. François Brottes. Absolument !

M. Jean Proriol, rapporteur. Qu'avez-vous proposé de mieux lorsque vous étiez au pouvoir ? Vous avez contemplé la fermeture des bureaux de poste sans jamais édicter de règle !

M. François Brottes. Pas du tout !

M. Jean Proriol, rapporteur. Nous, nous édictons une règle. Certes, elle n'est pas parfaite, n'étant pas aussi générale que nous l'aurions souhaité. Mais nous ne pouvons tout de même pas desservir les ermites, qui s'installent le plus loin possible de la population. Il en existe encore quelques-uns en Auvergne, et M. Chassaigne les fréquente au moment des campagnes électorales. (Rires.)

M. Henri Nayrou. Il n'en reste pas beaucoup !

M. Alain Gouriou. Des noms !

M. Jean Proriol, rapporteur. Ce chiffre n'est pas une tromperie. Vous auriez pu faire mieux lorsque vous étiez au pouvoir, mais vous n'avez rien fait. Nous, nous proposons une mesure...

M. Alain Gouriou. Elle aura des effets pervers !

M. Jean Proriol, rapporteur. ...qui, je l'indique à M. Brottes, permettra à La Poste de créer quelques points de contact.

Troisième contrevérité : monsieur Chassaigne, vous nous accusez de privatiser La Poste. C'est faux ! Le groupe La Poste est toujours détenu à 100 % par l'État. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Alain Gouriou. C'est faux !

M. Jean Proriol, rapporteur. Vous qui êtes un ancien postier, monsieur Gouriou, vous le savez bien !

M. Alain Gouriou. Pas du tout !

M. Jean Proriol, rapporteur. Il est totalement faux de dire que nous allons privatiser La Poste. La Poste reste un groupe public, détenu à 100 % par l'État.

M. André Chassaigne. Et la banque postale ?

M. Jean Proriol, rapporteur. L'établissement bancaire est créé avec un capital provenant à 100 % de La Poste, groupe public détenu par l'État.

M. François Brottes. Ce n'est pas dans le projet de loi !

M. Jean Proriol, rapporteur. Si, 100 % du capital au départ !

M. François Brottes. Et à l'arrivée ?

M. Jean Proriol, rapporteur. Comme le font un certain nombre de pays voisins et néanmoins amis, nous offrons à l'établissement de crédit postal la possibilité de créer des partenariats, à condition que La Poste détienne au minimum 50 % des parts.

M. André Chassaigne. Et ce n'est pas un début de privatisation ?

M. Jean Proriol, rapporteur. J'en viens à la quatrième contre-vérité, qui va mettre en lumière vos contradictions, monsieur Chassaigne. Vous nous affirmez que c'est la direction départementale du Puy-de-Dôme qui décide de la fermeture de bureaux de poste, pour nous dire quelques minutes plus tard que c'est la faute d'un conclave réuni à Bruxelles. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il faut savoir, monsieur Chassaigne !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Le conclave, c'est à Rome !

M. Alain Gouriou. C'est une alliance objective !

M. Jean Proriol, rapporteur. Nous ne sommes pas à Rome ! Ce n'est pas Bruxelles qui décide, monsieur Chassaigne, et vous le savez bien, de la fermeture des bureaux de poste. Vous êtes pris en flagrant délit de bobard !

M. André Chassaigne. Vous avez dit qu'il fallait appliquer les directives. C'est vous qui vous vous contredisez !

M. Jean Proriol, rapporteur. Enfin, monsieur Chassaigne, vous dites que nous cherchons à réduire le service universel. C'est faux. Au contraire, nous le confortons en créant un fonds de compensation pour faire face à d'éventuels déséquilibres.

Je ne pense pas que nous foulons aux pieds les héritages du peuple, comme vous le dites. Nous ne sommes pas des acharnés, nous n'avons pas la tête sur le billot ! Monsieur Chassaigne, je ne suis pas sûr que des expressions aussi fortes soient bien adaptées à notre auditoire ! Le Sénat ne s'est pas couché devant le Gouvernement ! Modérez un peu vos expressions ! Vous ne ferez peur à personne en employant des termes pareils !

Vous avez parlé de la poste d'antan. Alors pourquoi n'avez-vous pas prorogé ce moratoire de 1993 ? Il fallait le faire !

Dans cette affaire, M. Chassaigne est, comme d'habitude, un extrémiste. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Il nous a montré qu'il était toujours communiste !

M. Jean Dionis du Séjour. Sympathique !

M. Alain Gouriou. C'est excessif !

M. Jean Proriol, rapporteur. Il nous a sorti un certain nombre de slogans ! Nous sommes habitués ! Nous attendons le prochain numéro ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à M. Michel Vergnier, pour le groupe socialiste.

M. Michel Vergnier. Monsieur le ministre, ce débat me laisse plutôt un goût d'inachevé.

M. le ministre délégué à l'industrie. Allons, il ne fait que commencer !

M. Michel Vergnier. Il y a, me semble-t-il, entre La Poste et les élus, une vraie volonté de dialogue, une vraie volonté d'avancer, et il faut le dire. J'emploie le terme « inachevé » car cette volonté de dialogue devrait aboutir à des solutions négociées - j'ai, pour ma part, le plus grand respect pour les conseils municipaux, seuls habilités à décider. Mais je n'ai pas une grande affection pour les points Poste, tout simplement parce qu'ils n'offrent pas les garanties de discrétion et de pérennité. Avant d'installer un point Poste, il vaudrait mieux vérifier la solidité du commerce qui va l'accueillir, car un commerce qui ferme, c'est un point Poste qui disparaît et qu'on ne remplace pas. Monsieur le ministre, cela arrive, et on l'a malheureusement constaté sur le terrain.

J'ai donc quelques réticences par rapport à ces points Poste ; mais si, après tout, des conseils municipaux les préfèrent à des disparitions totales, je ne m'en offusquerai pas - je dis bien : à des disparitions totales.

Selon moi, il aurait fallu être beaucoup plus exigeant et, envisager, d'abord, de renforcer les bureaux de poste de plein exercice pour penser, ensuite, au maillage. On n'a pas travaillé dans le bon sens : on a plutôt fait du coup par coup selon des décisions d'opportunité.

Mais une chose m'inquiète davantage : malgré cette volonté de dialogue, je crains que tout cela ne soit pas accompagné des moyens nécessaires pour aboutir.

Ce texte ne donne pas à La Poste les moyens de son ambition. En effet, et nous n'avons pas cessé de vous alerter sur ce point, le fonds de péréquation est et restera insuffisant. Tout le monde le dit, y compris La Poste, mais nous n'avons pas eu satisfaction, ni reçu de réponse.

De la même façon, le refus du tarif unique du timbre sur l'ensemble du territoire est porteur, notamment pour les départements ruraux, de craintes importantes. Malheur à ceux qui ne seront pas assez rentables. Bientôt, on distribuera moins. Ou alors on paiera plus cher.

Enfin, comme François Brottes tout à l'heure, je voudrais insister sur le rôle social du facteur.

Non, notre collègue n'a pas exagéré le trait. On peut imaginer de véritables coopérations entre les gériatres, les conseils généraux, La Poste. Mais qui paiera ? L'enjeu est essentiel pour les territoires et, si nous sommes volontaires pour travailler, pour inventer, nous ne voulons pas d'une négociation de dupes. Nous sommes tous, dans cet hémicycle, des militants de l'égalité des citoyens sur l'ensemble du territoire, mais vous savez combien ces territoires sont, au départ, inégaux.

Face au manque de moyens accordés à La Poste, un véritable rééquilibrage qui permette de véritables avancées - je ne parle pas de l'aspect bancaire, très bien décrit par mon collègue André Chassaigne tout à l'heure - est nécessaire. Faute de quoi, les inégalités s'accroîtront.

Voilà quel est, malgré la volonté de travailler, mon regret : un goût d'à-peu-près, d'inachevé. Nous avançons d'un petit pas, mais nous risquons, dans quelque temps, de reculer de plusieurs pas.

C'est pourquoi nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bobe, pour le groupe UMP.

M. Jacques Bobe. M. Chassaigne a développé tous les arguments en faveur de l'immobilisme de La Poste, alors que c'est la majorité de gauche qui gouvernait ce pays lorsque les directives européennes ont été adoptées et quand il a été demandé aux différents pays de les transposer !

M. Alain Gouriou. Il ne faut pas exagérer !

M. Guy Geoffroy. C'est bien de le rappeler !

M. Jacques Bobe. Le projet de loi qui nous est soumis, avec simplement les quatre points qui nous ont été présentés au cours de cette séance - l'instauration d'un cadre pour le marché des activités postales, la définition des principes de la régulation pour encadrer l'ouverture à la concurrence, la refonte du cadre juridique des services financiers de La Poste et, enfin, les modalités de la présence postale territoriale et la question du réseau de La Poste -, doit permettre à La Poste de s'adapter et d'assurer son développement en France et à l'étranger. On sait très bien, en effet, et cela a été démontré, que la poste allemande avait les possibilités de se développer sur notre territoire. Notre conviction est que la poste française, par la qualité des services qu'elle est capable d'apporter, peut elle-même se développer tant en France qu'à l'étranger, à condition de lui donner tous les cadres nécessaires.

Monsieur Chassaigne, le groupe UMP ne peut pas vous suivre dans votre argumentation car elle est passéiste et truffée de contrevérités. Si vos idées étaient appliquées, elles conduiraient à cet immobilisme et donc à la régression de la très belle institution qu'est La Poste française.

C'est la raison pour laquelle nous ne voterons pas la question préalable que vous nous avez présentée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le rapporteur, permettez-moi de vous dire que je veux soutenir ici mon ami André Chassaigne ! (Sourires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Non seulement par mes convictions, mais parce qu'il n'est pas acceptable de vous entendre dire qu'il est un extrémiste.

Monsieur Proriol, je pense qu'il ne faut pas confondre la fougue, la conviction et l'engagement avec l'extrémisme. Soyez un peu plus modéré dans vos propos. Les extrémistes de tout bord sont plus que dangereux, et nous les combattons, je crois, aussi bien que vous.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Lesquels ?

M. Frédéric Dutoit. Nous combattons tous les extrémismes, qu'ils soient philosophiques, religieux ou même politiques ! J'espère que c'est également le cas de votre côté !

Ensuite, M. Chassaigne, en accueillant dans sa circonscription - notamment dans son merveilleux village de cinq cents habitants, Saint-Amant-Roche-Savine, que je vous invite à visiter -, n'a fait que son travail de député, de maire et d'élu. Un travail efficace, permettez-moi de le dire, que nous tous ici souhaitons d'ailleurs faire ! Que me répondriez-vous si je vous disais qu'à Marseille, dans ma circonscription, j'ai accueilli le ministre de la cohésion sociale, celui du logement, celui des affaires étrangères - qui va arriver la semaine prochaine -, celui de la formation professionnelle ? Nous ne faisons là, ni plus ni moins, que notre travail d'élu efficace au service de notre population, qui nous a élus. C'est pour cela qu'elle nous a élus, quelles que soient les majorités. Il faut que les ministres aillent sur le terrain et dans toutes les circonscriptions.

En fait, ce qui nous pose problème, et c'est la raison pour laquelle le groupe communiste votera, à l'unanimité, la question préalable. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Vous êtes deux !

M. Frédéric Dutoit. Vous êtes en train de reconnaître que nous ne sommes pas assez nombreux ? Vous avez bien raison ! Les Français apprécieront ! (Sourires.)

En fait, disais-je, et vous l'avez reconnu tout à l'heure, monsieur le ministre, il y a vraiment une différence radicale de conception entre vous et nous.

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est sûr !

M. Frédéric Dutoit. Vous avez déclaré, monsieur le ministre : « dans le cadre de la concurrence, on ne peut pas... » ! Cela a été vrai pour EDF, pour France Télécom, et c'est vrai aujourd'hui pour La Poste. À chaque fois que vous prenez la parole sur ce projet de loi, vous dites : « dans le cadre de la concurrence », comme s'il n'y avait aucune autre possibilité, aucun autre choix possible ! Dites plutôt que c'est votre choix !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est le choix du monde libre !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Le monde libre a choisi, monsieur Dutoit ! Merci de vous en souvenir !

M. Frédéric Dutoit. Je fais partie du monde libre, ne vous inquiétez pas !

Nous faisons pour notre part un autre choix : celui de la solidarité nationale, de la fraternité, de la démocratie et de la liberté. Nous voulons que la solidarité nationale de tous les Français et de toutes les Françaises - et j'espère qu'il en sera également ainsi au niveau européen - puisse s'appliquer pour que chaque citoyen bénéficie d'un égal accès à La Poste et à ses services.

Il s'agit bien là d'une différence fondamentale. Je ne veux pas développer puisque M. Chassaigne y a beaucoup insisté dans sa question préalable, parlant de la carte de la présence postale. Il est effectivement élu d'un milieu rural - encore que Thiers ne soit pas une petite ville. Mais moi, je suis un élu des quartiers nord de Marseille, une circonscription totalement urbaine.

Vous savez, monsieur le ministre, le postier qui va dans les cités populaires est aussi un lien social ! Et la suppression du service de La Poste dans les quartiers populaires notamment...

M. le ministre délégué à l'industrie. Ce n'est pas ce que nous projetons de faire !

M. Frédéric Dutoit. ...risque de poser de graves problèmes au regard de la cohésion sociale sur laquelle votre gouvernement fait beaucoup de discours !

Si votre projet de loi passe, ce n'est donc pas seulement dans les territoires ruraux que de véritables difficultés se poseront. Il provoquera également une inégalité d'accès aux services postaux dans les quartiers populaires et dans les milieux urbains.

Une dernière chose à l'intention de M. Proriol et de M. le ministre : effectivement, nous transcrivons aujourd'hui une directive européenne...

M. le ministre délégué à l'industrie. Deux !

M. Frédéric Dutoit. ...de 1997. Mais la question n'est pas de savoir si nous avons mis du temps à la transcrire dans la loi française ! Encore une fois, notre critique porte sur la nature de la proposition que vous nous faites et non pas sur le fait que nous transcrivons une directive européenne.

M. le ministre délégué à l'industrie. Il fallait le faire !

M. Frédéric Dutoit. Aujourd'hui encore, nous avons la possibilité de transcrire une directive européenne. Or si le projet de Constitution européenne passe - ce que je ne pense pas -, nous n'aurons plus de choix dans ce Parlement. (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe UDF.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, M. Chassaigne a commencé par être hors jeu pendant un long moment, mais c'est qu'on lui avait donné mandat de faire de la pub pour le « non » au référendum. J'aimerais, si vous le permettez, lui répondre sur ce sujet.

Il nous a posé une question centrale : pourquoi l'Europe nous impose-t-elle la fermeture de nos bureaux de poste et une concurrence non faussée ? À cette question globale, je voudrais apporter une réponse globale : c'est parce qu'il y a eu à l'Est un système économique qui a été une brillante réussite. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. − Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Frédéric Dutoit. Vous aussi, vous vous y connaissez, en hors-jeu ! Vous êtes même hors terrain !

M. le ministre délégué à l'industrie. Ils disaient : « globalement positif » !

M. Jean Dionis du Séjour. M. Chassaigne ne connaît pas assez bien le traité établissant une Constitution pour l'Europe, dont l'article II-96 sur les services d'intérêt économique général prend en compte le souci de « cohésion territoriale et sociale ». Il faut donc que M. Chassaigne lise le projet de Constitution.

M. André Chassaigne. Je le connais parfaitement !

M. Jean Dionis du Séjour. M. Chassaigne n'a pas non plus la moyenne en droit européen, puisqu'il ne connaît pas le mécanisme de codécision. Il a demandé pourquoi la directive postale ne pourrait pas être renégociée, puisque la directive Bolkestein pouvait l'être. Mais la directive postale a été acceptée par le Parlement et par les ministres.

M. Jean Proriol, rapporteur. Sous Jospin !

M. Jean Dionis du Séjour. Et ces ministres étaient des vôtres, monsieur Chassaigne. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

À l'inverse, la directive Bolkestein a été torpillée dès le Conseil européen.

M. Guy Geoffroy. Un peu de courage !

M. Jean Dionis du Séjour. M. Chassaigne doit donc travailler le droit européen et le projet de Constitution. Il serait prudent − et prophylactique − qu'il s'abstienne de toute réunion publique sur ce sujet. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. − Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean Proriol, rapporteur. Ça, c'est impossible !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous avons bien le droit de nous amuser : M. Chassaigne n'a pas fait, non plus, dans le détail.

M. Guy Geoffroy. Il n'a pas fait dans la dentelle !

M. Jean Dionis du Séjour. Plus sérieusement, il nous a tout de même dit que la situation actuelle de La Poste était idyllique. Nous n'avons pas dû consulter les mêmes documents. Pour ma part, j'ai lu, sur la situation de La Poste, un rapport de la Cour des comptes qui considérait qu'il y avait des difficultés à traiter. C'est aussi notre rôle que de nous en occuper. Ajoutez à cela le défi de la concurrence, dont il a parlé : qu'elle lui plaise ou non, elle est là. Elle représente à la fois une chance de développement et un risque. Mais il est de notre responsabilité de muscler, de développer La Poste, et c'est pourquoi le groupe UDF ne votera pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

M. le président. Avant de lever la séance, je vais donner la parole au premier orateur inscrit dans la discussion générale.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Alfred Trassy-Paillogues.

M. Alfred Trassy-Paillogues. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous discutons organise un véritable marché de l'activité postale, conformément aux directives de 1997 et 2002, et met en place les instruments juridiques d'un rétablissement de la situation de La Poste dans des domaines où elle subit des handicaps concurrentiels évidents : l'extension de la gamme des services financiers à travers la mise en place d'une filiale ayant le statut d'établissement de crédit et la fin de l'exclusion du bénéfice des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires. Ces deux dispositions ont été votées conformes par le Sénat le mois dernier.

Tous les handicaps concurrentiels ne sont pas traités ici, car tous ne relèvent pas de la loi, mais l'économie générale du projet de loi est assez équilibrée et les modifications que nous avons apportées en première lecture ont permis d'achever cet effort de mise en balance d'un renforcement de la concurrence, d'un confortement de l'opérateur public, notamment sur les trois aspects importants que sont la clarification des modalités de la présence postale, la mise en place d'un régime de responsabilité des opérateurs postaux et un privilège d'accès aux boîtes aux lettres.

Du point de vue de la transposition des directives, ce projet de loi organise l'ouverture à la concurrence plus qu'il ne la crée.

Pour le colis et l'exprès, la libéralisation est complète en droit depuis 1999. La Poste occupe le troisième rang en Europe dans ce domaine, et a même noué une alliance en 2000 avec le numéro un mondial. Pour le courrier, l'abaissement dans la loi du plafond du domaine réservé de La Poste de trois cent cinquante à cent grammes crée apparemment un mouvement de libéralisation assez sensible, mais, juridiquement, ce plafond a d'ores et déjà été ramené à cent grammes depuis le 1er janvier 2003, en application directe de la directive du 10 juin 2002.

En fait, La Poste est soumise à une très forte pression concurrentielle dans le secteur du courrier, y compris dans le domaine réservé, puisque près de 90 % de son chiffre d'affaires dans le courrier dépend d'une clientèle d'entreprises, non captive, ce qui a conduit La Poste à adopter une attitude innovante en matière de qualité de service et de responsabilité.

En matière d'organisation du marché, le véritable apport du projet de loi est la mise en place d'un régulateur dont les tâches essentielles seront de délivrer des autorisations aux opérateurs entrants, de superviser les prix et la qualité des prestations du service universel, de traiter les litiges entre les opérateurs et ceux entre le prestataire du service universel et ses grands clients.

Mais la mise en place du régulateur aura plus généralement pour effet de mieux délimiter les frontières du secteur postal, qui restent à ce jour assez incertaines. Ainsi, pour les opérateurs de l'exprès qui sont déjà organisés en fonction des règles du droit des transports et se trouvent exclus du champ de la régulation postale d'un strict point de vue juridique, en vertu de la directive de 1997, la commission a introduit, pour la distribution, le critère des « tournées régulières », qui élimine les prestations occasionnelles de point à point.

En définitive, le régulateur devrait avoir un rayon d'action bien circonscrit. Comme il est institué par extension des compétences de l'Autorité de régulation des télécommunications, il sera automatiquement placé sous les divers contrôles parlementaires mis en place par la loi du 9 juillet 2004. Il devra notamment rendre compte de ses activités devant les commissions permanentes des assemblées à leur demande, ce qui fera du régulateur postal une instance effectivement indépendante du Gouvernement, avec certaines caractéristiques d'une « agence parlementaire », notamment avec la configuration à sept membres décidée par notre assemblée en première lecture.

En organisant le marché des activités postales, le projet de loi ne va, d'une certaine façon, que consolider la situation actuelle, déjà très largement structurée selon les modes de fonctionnement en régime concurrentiel.

Cependant, le projet de loi ne se limite pas à la mise en place d'un marché régulé. Il s'efforce aussi d'assurer un meilleur équilibre entre les contraintes de service public auxquelles La Poste se trouve soumise et les conditions de leur prise en charge. À cet égard, l'article 1er bis, introduit par notre assemblée, redéfinit les modalités de la présence territoriale avec, d'une part, la définition de critères d'accessibilité qui constituent une manière d'inscrire dans la loi une obligation minimale s'agissant du nombre et de la densité des points de contact, et, d'autre part, l'institution d'un fonds postal national de péréquation territoriale, qui a pour mission d'assurer un financement de la participation de La Poste à l'aménagement du territoire.

En première lecture, notre assemblée a veillé à améliorer le dispositif en introduisant une norme minimale d'accessibilité, qui consolide au niveau législatif l'engagement qu'avait pris le président de La Poste de maintenir les 17 000 implantations de La Poste tant au niveau national qu'au niveau départemental, notamment sous la forme de « points Poste » chez les commerçants.

À l'occasion de cette deuxième lecture, notre commission a redéfini les conditions de mise en place du fonds postal national de péréquation territoriale, de façon que celle-ci s'opère en liaison avec les collectivités territoriales, et non pas de manière exclusive avec l'État et La Poste, comme l'a établi à nouveau le Sénat en deuxième lecture. C'est une convention tripartite avec les principales associations représentatives des collectivités locales que notre commission souhaite, et cette évolution est cohérente avec la démarche engagée par la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques qui, en créant un groupe de travail sur le fonds postal national de péréquation territoriale, y a adjoint des représentants des associations des collectivités territoriales.

Ce fonds aura principalement pour rôle de répartir les 150 millions d'euros correspondant à l'abattement dont bénéficie La Poste sur les taxes locales, pour mettre en place de nouveaux « points Poste » et agences postales communales, partout où une présence postale doit être maintenue sans que le volume d'activité puisse justifier la présence d'un bureau de plein exercice. J'avais demandé que fût ajouté le mot « notamment » à la disposition fixant l'affectation de cet abattement au fonds. Avec prudence, le Sénat a conservé cet adverbe en deuxième lecture, car il est évident que, sans cela, toute évolution de la fiscalité locale aurait remis en cause le dispositif.

La mise en place d'un marché postal ne saurait non plus se concevoir sans celle d'un régime de responsabilité pour les opérateurs. En janvier 2004, le Sénat avait conduit à une avancée dans cette direction, avec deux imperfections : la référence à la notion de « preuve suffisante », et, d'autre part, le maintien de dispositions spécifiques à La Poste à côté du régime sectoriel.

En première lecture, notre assemblée a réparé ces deux imperfections, en mettant en place un régime de responsabilité complet traitant à égalité tous les opérateurs. Il importe de souligner qu'une telle avancée s'est faite à l'avantage de tous : un régime simple et transparent de responsabilité, comme y invite la directive de 1997, ne peut que susciter plus de confiance de la part du consommateur, et par voie de conséquence une augmentation du chiffre d'affaires de l'activité, à l'instar de ce qui s'est passé pour le commerce électronique, qui a énormément progressé en valeur en 2004, après la mise en place d'un régime de responsabilité simple et transparent du vendeur en ligne, dans le cadre de la loi du 21 juin dernier sur l'économie numérique.

M. Jean Dionis du Séjour. C'est vrai !

M. Alfred Trassy-Paillogues. Par ailleurs, il devient problématique, notamment pour les opérateurs postaux, d'accéder aux boîtes aux lettres situées dans les halls d'entrée des immeubles, qui sont de plus en plus souvent protégés par des systèmes de sécurité électroniques.

L'article 3 de la directive de 1997 exige des États membres qu'ils veillent à ce que « les utilisateurs jouissent du droit au service universel postal » et inclut au nombre des prestations à fournir dans ce cadre « une distribution au domicile de chaque personne physique ou morale », alors qu'il n'existe pas de droit au courrier à domicile, puisque l'article D. 90 du code des postes et des communications électroniques prévoit que, si le destinataire ne donne pas les moyens de recevoir le courrier, celui-ci est mis en instance au bureau de poste.

La question se pose de savoir dans quelles conditions on peut imposer une obligation d'accès aux boîtes aux lettres pour permettre l'exercice de l'activité postale.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. Alfred Trassy-Paillogues. Ainsi, en première lecture, l'Assemblée nationale a décidé d'insérer un nouvel article L. 5-10, qui permet au prestataire du service universel et aux prestataires autorisés d'accéder aux boîtes aux lettres des destinataires d'envois postaux, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'État, après avis de l'autorité de régulation, et il a été institué, dans le code de la construction et de l'habitation, une obligation pour les propriétaires de donner accès aux boîtes aux lettres particulières, ce qui contribuera à rétablir une certaine égalité concurrentielle entre les différents opérateurs.

Cependant, si la clarification juridique ainsi opérée permet un rééquilibrage de la situation de la concurrence au niveau opérationnel, elle soulève aussi des difficultés, car elle ne peut pas concerner tous les opérateurs utilisant les boîtes aux lettres et le privilège d'accès ne peut se concevoir qu'en contrepartie d'un minimum de garanties. Seuls le prestataire du service universel et les prestataires autorisés entrent, avec la régulation des activités postales mise en place par le présent projet de loi, dans le cadre d'un dispositif de contrôle permettant de vérifier qu'ils présentent ces garanties.

L'accès aux boîtes aux lettres est également un besoin pour les porteurs de presse, qui sont aussi des opérateurs d'envois postaux lorsque leur distribution concerne des journaux présentés sous conditionnement portant l'adresse du destinataire, ou des courriers proposant un renouvellement de l'abonnement. Tout privilège d'accès du prestataire du service universel et des prestataires autorisés créera à leur profit une distorsion de concurrence face aux porteurs de presse, alors que nous avons tout intérêt à alléger la charge non compensée de La Poste au titre du service public de l'aide au transport de presse.

Il apparaît ainsi essentiel que les porteurs de presse puissent bénéficier de la servitude d'accès aux boîtes aux lettres créée par le projet de loi.

Je conclurai en observant que ce projet de loi assure une transposition des directives de 1997 et 2002 en prévoyant toutes les dispositions nécessaires à un fonctionnement amélioré du secteur postal, de manière, d'une part, qu'il donne lieu à la concurrence la plus équilibrée possible, et d'autre part que les missions de service public restant à la charge de La Poste, tout particulièrement sa participation à l'aménagement du territoire, puissent être exercées dans des conditions mieux définies.

Notre groupe apportera un soutien sans réserve au texte qui nous est présenté dans la rédaction adoptée par notre commission des affaires économiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.

    2

ORDRE DU JOUR
DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures quarante-cinq, troisième séance publique :

Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, n° 2157, relatif à la régulation des activités postales :

Rapport, n° 2229, de M. Jean Proriol au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures quinze.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot