Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus intégraux (session ordinaire 2004-2005)

 

Troisième séance du mardi 12 avril 2005

203e séance de la session ordinaire 2004-2005


PRÉSIDENCE DE M. MAURICE LEROY,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures quarante-cinq.)

    1

RÉGULATION DES ACTIVITÉS POSTALES

Discussion, en deuxième lecture,
d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la régulation des activités postales (nos 2157, 2229).

Discussion générale (suite)

M. le président. Cet après-midi, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Henri Nayrou.

M. Henri Nayrou. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l'industrie, mes chers collègues, si le projet de loi relatif à la régulation des activités postales porte essentiellement sur 1'organisation de la concurrence et sur le statut de l'établissement bancaire, la question de la présence postale reste cruciale en termes d'aménagement du territoire. Les manifestations bruyantes de ces derniers mois, les débats au sein du congrès de l'Association des maires de France au mois de novembre et la mobilisation de la Creuse, largement relayée dans tout l'hexagone, en sont le meilleur témoignage. Toutes ces actions traduisent un réel attachement à La Poste et à ses missions de service public.

La Poste tout comme le Gouvernement se sont, depuis lors, évertués à renouer le dialogue : la première, avec la proposition d'une charte du dialogue territorial ; le second, avec la création d'une conférence sur les services publics en milieu rural, qui masque mal son désengagement en la matière et qui, en tout état de cause, ne nous émeut guère : on connaît la douce musique, elle ne sert qu'à endormir !

Avec mes collègues du groupe socialiste, je souhaite donc à la fois dénoncer les risques que présentent pour La Poste certaines dispositions du projet de loi et proposer des solutions pour en faire un établissement public pérenne, performant, garant du maintien du lien social et d'un aménagement équilibré du territoire.

Mes propos porteront sur les points essentiels abordés dans le projet de loi : le service universel postal, la régulation et le risque d'écrémage, la présence postale territoriale et l'établissement de crédit postal.

La présence postale territoriale, qui constitue la contribution de La Poste à l'aménagement du territoire, repose sur l'exécution à la fois de ses missions relevant du service public et d'activités plus concurrentielles mais qui bénéficient à tous. La Poste se trouve contrainte de réduire les coûts de fonctionnement de son réseau, alors qu'elle s'est engagée à investir 1 milliard d'euros dans la modernisation de ses bureaux d'ici à 2010. Elle conserve sa mission de garantir un service et une présence sur le territoire, tout en se donnant des objectifs de résultat et de satisfaction des clients. Elle n'est plus seulement dans une logique de moyens, mais aussi de productivité.

Cette double contrainte va bien entendu nécessiter des orientations politiques claires en matière d'aménagement du territoire et de service public. C'est l'une des difficultés de La Poste, car son lien étroit avec l'État conditionne ses marges de manœuvre.

Les élus locaux ont, à cet égard, tout à fait raison d'exiger un service assuré, c'est-à-dire un service qui corresponde davantage à la réalité des usages et de la géographie qu'aux commodités d'organisation interne de La Poste, d'autant que ce dernier point de vue fausse les taux de fréquentation et ouvre la voie à d'autres restrictions et fermetures de points service postal : c'est un cercle vicieux qui est enclenché. Je citerai un exemple concret tiré de ma circonscription, celui du bureau de poste d'Artigat, commune de 520 habitants, que je qualifierai de zone rurale accessible. Ce bureau comptabilisait quarante-huit opérations par jour. Malgré cet excellent résultat rapporté au nombre d'habitants, le maire vient d'annoncer que le directeur de La Poste allait fermer le bureau l'après-midi. Je vous laisse imaginer les réactions des citoyens !

Si l'article 1er bis du projet de loi était appliqué à la lettre dans certains départements de montagne, 40 à 50 % de leurs territoires ne seraient pas desservis dans les années à venir par un point de contact de La Poste. Souvent, en effet, la population des territoires de montagne est concentrée autour des bourgs principaux. L'application stricte de la règle selon laquelle 10 % de la population d'un département ne doit pas se trouver éloignée de plus de cinq kilomètres des plus proches accès au réseau de La Poste, aurait donc pour effet d'exclure une grande partie de ces territoires montagneux. Je ne saurais trop vous suggérer, monsieur le ministre, de quitter Paris-Bercy ou Anthony, pour visiter nos zones rurales de la Chartreuse ou de l'Ariège !

M. François Brottes. Très bonne idée !

M. Henri Nayrou. Cet article fige la situation voire encourage un certain abandon du service public postal, car il est très en retrait par rapport à la pratique actuelle. Selon le service de la communication de La Poste, 96 % de la population se trouve aujourd'hui à moins de cinq kilomètres d'un point de contact : si cette disposition était adoptée en l'état, elle pourrait permettre à La Poste de fermer 3 000 de ses points de contact !

Déjà, de nombreuses communes doivent faire face au départ de leurs services publics - école, hôpital, perception... - et la fermeture d'un bureau de poste ne pourrait qu'aggraver leur situation en faisant disparaître un nouveau lien social de proximité.

Le Gouvernement ne peut condamner des territoires déjà en crise pour de simples raisons comptables. II s'agit donc de déterminer avec précision ce qui doit relever de l'État, qu'il s'agisse de l'aménagement du territoire, de la définition du service bancaire offert ou encore des aides à la presse.

M. François Brottes. Elles sont essentielles !

M. Henri Nayrou. Concernant ces dernières, La Poste doit être libérée d'une contrainte qu'elle ne peut plus assumer en situation de concurrence exacerbée. C'est à l'État qu'il revient d'assumer financièrement ses exigences en la matière.

Le coût de la diffusion de la presse par voie postale avoisine 1,2 milliard d'euros par an. Dans la logique des accords Galmot conclus le 4 juillet 1996, les éditeurs de presse versent environ 430 millions d'euros, par le biais du tarif préférentiel qui leur est accordé, et l'État prend à sa charge 290 millions d'euros - la même somme fixe depuis l'année 2000. La Poste est donc mise à contribution pour le reste, à peu près 480 millions d'euros, ce qui représente près de 40 % de la charge globale.

À l'issue d'une mission de négociation confiée en décembre 2002 à M. Henri Paul, conseiller maître à la Cour des comptes, un protocole d'accord a été signé, le jeudi 22 juillet 2004, pour la période de quatre ans allant de 2005 à 2008, par les syndicats de la presse, La Poste, le ministre de la culture et vous-même, monsieur le ministre délégué à l'industrie, afin de mieux répartir l'effort financier. En l'état, l'aide à la presse continuera cependant de peser lourdement sur les comptes de La Poste. Il est donc nécessaire de revoir le financement de ce service.

Si l'on ajoute à ce coût de la distribution de la presse, la somme de 350 millions d'euros due au titre de la présence postale territoriale, imaginer une solution alternative de financement apporterait à l'évidence à La Poste une souplesse financière qui lui permettrait de réorganiser son réseau dans le cadre d'une réflexion globale sur ses missions.

Que l'État assume ses exigences - que j'approuve - en faveur de la presse, et La Poste pourra alors financer le service qu'elle doit aux zones rurales au nom d'une solidarité territoriale évidente !

M. François Brottes. C'est simple, monsieur le ministre !

M. Henri Nayrou. Avec cette seule décision, vous régleriez deux problèmes, sans même parler d'un troisième, ce qui ne va pas manquer d'altérer la portée de vos certitudes jusqu'en 2007...

S'agissant de la compensation, les sénateurs ont fait évoluer le texte...

M. François Brottes. Faiblement.

M. Henri Nayrou. ...en établissant les bases juridiques d'un fonds de compensation du service universel postal, mais ils subordonnent sa création effective à un décret en Conseil d'État qui ne pourra être pris qu'une fois que l'autorité de régulation aura vérifié qu'il y a bien déséquilibre du financement du service universel. Nous souhaitons faire évoluer le texte sur ce point. Il nous semble d'ailleurs opportun que La Poste ait accès à ce fonds lorsqu'elle assure la continuité du service postal en lieu et place d'un opérateur.

Concernant le fonds postal de péréquation territoriale, le Sénat a précisé les conditions de sa gestion en mentionnant, à l'article 1er ter, le rôle que joueraient les commissions départementales de présence postale dans la répartition de ses dotations.

Si les questions relatives à la gestion et à la répartition de ce fonds sont réglées, d'autres points restent à éclaircir, sachant que les 150 millions d'euros affectés laisseront en tout état de cause un solde à la charge de La Poste. Il est donc primordial de donner une assise financière élargie au fonds de péréquation en mettant à contribution l'ensemble des opérateurs autorisés, afin de compenser l'obligation de desserte nationale faite exclusivement à La Poste. L'abondement de ce fonds est nécessaire pour lui permettre d'assurer sa mission en matière d'aménagement du territoire, même si cela emporte des coûts supplémentaires qu'une entreprise, dans un contexte concurrentiel, ne pourrait pas supporter.

S'agissant du secteur réservé, la France doit clairement s'engager en faveur de sa préservation lors des négociations européennes qui vont commencer à ce sujet en 2007. Aux termes du projet de loi, ce secteur comprendra, à compter du 1er janvier 2006, les envois de correspondance d'un poids ne dépassant pas 50 grammes et d'un prix inférieur à deux fois et demi le tarif de base. La directive du 10 juin 2002 a prévu une clause de rendez-vous en 2009 pour décider, après une étude d'impact, de généraliser ou non la concurrence dès le premier gramme. Cependant - mieux vaut le rappeler après vos déclarations en première lecture, monsieur le ministre - rien ne nous oblige à descendre sous la barre des 50 grammes. Tout dépendra de la façon dont la France défendra ses intérêts dans ces négociations...

M. François Brottes. Exactement !

M. Henri Nayrou. ...afin de garantir à La Poste les moyens de maintenir sa desserte de proximité et sa fréquence de distribution.

Pour ce qui est des services financiers offerts par La Poste, nous défendrons des propositions permettant d'assurer le financement pérenne d'un service bancaire universel, dont la charge pourrait revenir à l'établissement bancaire postal créé à l'article 8. Le marché ne garantissant pas spontanément que ces services soient rendus aux clients modestes, il convient de prévoir qu'un opérateur spécifique les assure et bénéficie en contrepartie d'un financement particulier. Ce débat recoupe celui que nous avons déjà eu sur le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux s'agissant de la politique à promouvoir en matière de services publics.

Quelle que soit l'évolution propre de la Poste, l'État doit prendre ses responsabilités en matière budgétaire afin d'assurer un maillage équilibré du territoire, plutôt que de se désengager, comme il le fait trop souvent, en arguant du fait que l'avenir des territoires appartient à leurs élus et à leurs citoyens.

Le moment est donc venu, pour les territoires, les élus et les citoyens, d'exprimer de fortes exigences. Le Gouvernement saura-t-il en tenir compte ? Réponse en 2007 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en première lecture, nous nous étions émus de la lenteur qui présidait à l'examen de ce texte. Nous voici aujourd'hui arrivés au terme de la discussion parlementaire qui, nous l'espérons, débouchera sur un texte conforme à nos attentes.

Avant d'entrer plus en détail dans l'examen de ce projet de loi, je tiens à affirmer de nouveau l'engagement de l'UDF dans la construction d'une Europe « quotidienne » et régie par des règles homogènes.

Plus que jamais, l'Europe nous stimule...

M. Frédéric Dutoit. Nous aussi !

M. Jean Dionis du Séjour. ...pour moderniser notre fonctionnement.

La transposition des directives européennes concernant l'ouverture à la concurrence du secteur postal permettra, selon nous, d'assurer un service de qualité auquel nous devons nous astreindre et dont nos concitoyens pourront profiter pleinement.

M. Frédéric Dutoit. Ça, c'est moins sûr !

M. Jean Dionis du Séjour. Parallèlement, cette ouverture à la concurrence nous permettra, toujours dans un objectif de modernisation, de définir des stratégies commerciales en fonction des missions de service public imparties à La Poste.

La construction du marché intérieur européen passe par cette modernisation. C'est donc vers cette Europe de 2005, qui reconnaît l'exigence de cohésion sociale et territoriale, que nous devons aller - rappelez-vous, monsieur Dutoit, l'article II-97 du traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Mme Christine Boutin. Ah bon ? C'est un article relatif à la protection de l'environnement.

M. Jean Dionis du Séjour. On vérifiera ! (Sourires.)

Le projet de loi s'inscrit pleinement dans cette perspective et la notion de service universel nous projettera dans une Europe porteuse d'avenir et non pas dans la France frileuse que préconisent certains de nos collègues. Encore faut-il impérativement concilier modernisation de la Poste et amélioration de son service pour tous les Français, quel que soit leur lieu de résidence.

À ce stade de nos travaux, la question centrale est, pour l'UDF, celle du fonds de péréquation.

M. François Brottes. Une dépense de plus pour La Poste !

M. Jean Dionis du Séjour. En la matière, nous devons nous montrer modernes et vigilants. Car si nous disons oui à la transposition qui est à l'origine de ce projet, et oui également à la construction du marché intérieur, tout cela doit se faire dans un objectif de cohésion territoriale, condition sine qua non de la réussite de l'entreprise dont nous discutons aujourd'hui.

M. François Brottes. Il ne faut pas tout mélanger !

M. Jean Dionis du Séjour. Élu d'une circonscription rurale dont nombre de communes montrent des signes de déclin économique et démographique, je considère que nous ne pouvons pas laisser des pans entiers de notre territoire sans réponse quant à l'évolution de la présence postale. L'organisation territoriale du réseau de La Poste doit prendre en compte cette réalité.

Les différentes lectures ont permis d'avancer à ce sujet. Sur l'instauration d'un fonds de péréquation notamment, un certain nombre de questions ont été réglées. Nous nous en félicitons. Il reste cependant des points à traiter sur lesquels je reviendrai.

La création du fonds national de péréquation, introduit et amélioré dans le projet de loi à la faveur des navettes, pose encore le problème fondamental de la présence territoriale. Nous avions réclamé certains éclaircissements en première lecture. Ils nous ont été en partie apportés par l'examen du texte à l'Assemblée, mais trop de doutes subsistent après la lecture du Sénat.

Tout d'abord, nous avions évoqué l'idée que La Poste ne devait pas être elle-même gestionnaire de ce fonds pour ne pas être à la fois juge et partie. En effet, la non-consommation des ressources du fonds pourrait entraîner des confusions dans l'utilisation. À notre avis, ces sommes doivent être exclusivement réservées au financement des agences postales communales et des points Poste et ne pas servir à la modernisation du réseau qui reste en propre à La Poste. C'est pourquoi la constitution de ce fonds dans les comptes de La Poste suscite chez nous quelques interrogations.

Nous souhaitons que ce fonds soit inscrit dans une comptabilité annexe et indépendante. Il n'est pas question bien sûr d'exclure complètement La Poste dans la mesure où elle serait partie intégrante de la gouvernance tripartite État-Poste-collectivités locales mais il nous semble important de garantir l'indépendance de la gestion.

M. François Brottes. La Poste a juste le droit de payer, c'est ça ?

M. Jean Dionis du Séjour. Nous le répétons, ce fonds n'a pas vocation à financer le réseau qui doit rester en propre à La Poste, c'est-à-dire, à terme, à peu près 6 000 bureaux de poste. Il doit avoir pour unique vocation le financement de formules complémentaires pour garantir la pérennité de la présence postale et du maillage actuel. Il est fait pour assurer une présence territoriale homogène. Tel est l'enjeu, telle est la dynamique que nous souhaitons insuffler à ce fonds de péréquation.

Dans cet esprit, nous soutenons la démarche du rapporteur qui propose de réintégrer, par un amendement, la notion de gestion paritaire et la convention tripartite. C'est également la raison pour laquelle nous souhaitons un retour au texte que nous avions voté en première lecture, instituant une « prime », aux territoires qui auront passé avec La Poste une convention de présence territoriale postale.

Nous devons concentrer nos efforts sur ces points bien précis, car ils sont les garants de la cohésion territoriale que nous souhaitons. Un effort significatif doit ainsi être fait en direction des agences postales communales, qui peinent à se développer pour des raisons financières et administratives. Leur décollage est plus lent que le décollage des points Poste.

Voilà quelques observations que je souhaitais porter à votre connaissance avant d'aborder la discussion des amendements.

J'évoquerai, avant de conclure, un amendement que Pierre-Christophe Baguet et moi-même avons déposé, et auquel Alfred Trassy-Paillogues s'est associé, relatif aux porteurs de presse. La question de l'accès aux boîtes aux lettres des porteurs de presse à domicile vous a été posée, monsieur le ministre, la semaine dernière. La presse a, depuis 1974, le droit d'organiser elle-même sa distribution et le portage à domicile constitue un axe majeur de son développement. La servitude d'accès aux boîtes aux lettres inscrite dans le projet de loi doit être à notre avis étendue aux porteurs de presse afin de garantir leur pérennité. Nous vous savons, ainsi que le ministre de la culture, attentif à ce sujet. Nous espérons que vous saurez donner un avis favorable à cette demande dont dépendent à la fois l'indépendance de la presse et la survie d'une filière qui emploie environ 18 000 personnes.

Mes chers collègues, le groupe UDF votera ce texte. Je déplore à ce propos l'attitude quelque peu populiste de nos collègues socialistes qui n'ont pas voulu du consensus qu'aurait dû susciter ce projet tant la modernisation de La Poste est nécessaire. Ils préfèrent camper sur des positions faciles. La modernisation de la Poste n'est pas incompatible, selon nous, avec l'aménagement du territoire. Je trouve dommage que nos collègues socialistes ne s'en soient pas rendu compte. Je les incite cependant à la prudence. On ne sait jamais ce que réserve l'évolution politique de notre pays et si, dans quelques années, ils étaient amenés à se replonger dans ces débats, je crains qu'ils ne puissent en tirer aucune fierté.

M. François Brottes. Parlez pour vous !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous aurons, pour notre part, le sentiment d'avoir au moins modestement contribué à faire avancer les choses. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Émile Zuccarelli. Ne vous croyez pas obligé de nous donner des leçons !

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la tonalité de mes propos diffèrera sans doute de celle de l'intervention de M. Dionis du Séjour.

M. François Brottes. J'espère !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. C'est probable, en effet.

M. Frédéric Dutoit. Nous voici donc rassemblés pour discuter d'un projet de loi mettant en œuvre la directive communautaire qui organise la libéralisation du secteur postal. Il est vrai que les chantres du libéralisme ont tout fait pour justifier cette entreprise.

L'argument le plus ressassé est que les services publics craqueraient de toutes parts. Usagers de la poste, élus locaux, postiers, syndicalistes, ne semblent cependant pas en être convaincus. C'est pourquoi ils ont protesté avec vigueur contre le démantèlement du service public postal, causé par la libéralisation du secteur et par votre projet de loi.

Quelles ont été vos réactions ?

Pour calmer le jeu, M. Raffarin, dans un courrier au président de La Poste, a lancé quelques promesses. Qui peut y donner crédit ? Il y est question de présence postale et de qualité du service, d'adaptation aux nouveaux modes de vie urbains, mais ces promesses sont illusoires !

Pourtant, contrairement à ce que souhaiteraient faire croire les pourfendeurs des services publics, le service postal n'est pas, ce que beaucoup de Français ne savent pas, le gouffre financier, gaspilleur et inefficace que vous prétendez vouloir combler.

M. Jacques Bobe. Nous n'avons jamais dit ça !

M. Frédéric Dutoit. Deuxième groupe postal européen, quatrième groupe postal au niveau mondial, La Poste a réalisé plus de 18 milliards de chiffre d'affaires en 2003, dont plus de 15 milliards pour la seule maison mère. Elle accueille 3,5 millions de visiteurs par jour, permet la distribution de 700 millions d'euros de prestations sociales versées chaque mois, et gère 210 milliards d'encours par an, chiffre qui progresse chaque année. Elle est présente partout sur le territoire, avec notamment 530 établissements en zone urbaine sensible, et au moins un bureau de poste sur plus de 11 000 communes. Un tel bilan est loin d'être insatisfaisant.

Quand on sait, en outre, que la densité de son réseau est un élément central de la cohésion sociale et de la vitalité des territoires ruraux, et qu'elle offre à de nombreux exclus du système bancaire classique l'accès à un compte, on est en droit de se demander quelle mouche a bien pu piquer les pourfendeurs de ce réseau.

M. André Chassaigne. Très bien !

M. Frédéric Dutoit. Lors du Conseil des ministres européens à Luxembourg en 2001, l'inexorable poursuite du « marché intérieur », reposant sur « une concurrence libre et non faussée », était étendue au secteur postal, venant modifier profondément les conditions de fonctionnement du service public postal. Les consignes communautaires auxquelles vous souscrivez mettent en effet de considérables bâtons dans les roues de l'entreprise publique, contrainte, dans un système livré à la concurrence, à une gestion axée sur la rentabilité à court terme, afin de pouvoir livrer bataille aux nouveaux entrants.

Pour mettre en œuvre ces consignes de l'Union européenne, vous entérinez le rabougrissement du domaine non soumis à la concurrence. Dorénavant, seuls les envois de moins de 50 grammes seront assurés par La Poste. Quand on sait qu'elle réalise plus de 60 % des recettes grâce aux activités « courrier » et que le courrier industriel occupe le premier rang des clients courrier, comment espérer la survie économique d'un opérateur en compétition avec des entreprises qui ne manqueront pas de se positionner, comme elles le font déjà en Suède, sur les segments les plus rentables du marché postal ?

M. André Chassaigne. Très juste !

M. Frédéric Dutoit. Autre point important de ce texte, vous orchestrez la séparation des comptes par activité au sein de l'entreprise publique, mettant ainsi fin à la péréquation entre les différentes branches. En désolidarisant financièrement les activités les plus rentables des autres, vous ouvrez la porte à la mise à mal du réseau postal et entravez l'accomplissement des missions de service public.

En réalité, ce texte porte en germe la privatisation du secteur postal. Les exemples précédents d'ouverture à la concurrence ont malheureusement montré que la séparation en centres de profits n'est qu'une première étape avant la privatisation. Rappelons que, depuis septembre 2004, l'État n'est plus majoritaire dans le capital de France Télécom.

Si certains ont encore des doutes, je les invite à prendre connaissance du bilan tiré par l'OCDE. Il y est écrit que si les privatisations dans l'Europe des Quinze ont porté sur 563 milliards d'euros entre 1984 et 2000, il n'y a eu aucune création de richesses supplémentaires, puisque les services existaient déjà. Il n'y a eu que des changements de propriété et donc la possibilité, pour de nouveaux acteurs ou propriétaires, d'imprimer leurs exigences de rentabilité.

M. Jean Dionis du Séjour. C'était pareil avec les nationalisations !

M. Frédéric Dutoit. C'est sur ce socle ultralibéral que l'Europe d'aujourd'hui voudrait se construire.

Les conséquences sociales de l'ouverture à la concurrence sont désastreuses.

Première conséquence directe : la recherche d'une réduction des coûts de l'entreprise, afin de la rendre plus concurrentielle. Dans la logique libérale, la main-d'œuvre est la première cible ! La Poste l'a compris, puisque, à ce jour, elle emploie plus de 110 000 salariés de droit privé, lesquels sont beaucoup moins rémunérés que leurs collègues fonctionnaires. Pas étonnant, dans ces conditions, que La Poste ne souhaite pas remplacer les quelque 140 000 fonctionnaires qui partiront en retraite d'ici à 2012. Et vous vous faites fort de l'engager sur cette voie, par le biais d'un amendement sur les conventions collectives qui marque la fin du recrutement de fonctionnaires à La Poste.

Cela dit, on ne pourra pas vous reprocher un manque de cohérence. C'est dans les entreprises publiques que les mobilisations collectives et l'opposition au libéralisme sont les plus organisées. Mettre fin au statut des postiers, c'est le meilleur moyen de faire taire la protestation contre un projet de société que les Français sont pourtant nombreux à désavouer. Quand entendrez-vous les protestations des postiers, qui ont été nombreux à se mobiliser et à manifester, notamment dans les Bouches-du-Rhône ?

Les salariés ne seront pas les seuls à faire les frais de la soumission du service public postal à une logique purement financière. Les usagers en seront également victimes car l'ouverture à la concurrence met en péril le transport et la distribution de la presse. Ce vecteur essentiel pour l'information et l'instruction des populations risque fort d'être compromis en raison des coûts élevés qu'il entraîne pour La Poste.

Pour justifier ce vaste gâchis, vous arguez souvent de la contrainte européenne. Mais aujourd'hui, vous allez au-delà. Votre acharnement à jeter dans les bras de la concurrence toute l'économie nationale, conformément au dogme que le projet de constitution européenne veut institutionnaliser, vous pousse à filialiser les services financiers de La Poste, alors qu'aucune disposition communautaire ne l'exigeait.

Là encore, quelques rappels s'imposent :

En 2002, les activités financières représentaient 23 % du chiffre d'affaires consolidé de La Poste, tandis que les encours dépassaient 200 milliards d'euros. La Poste gère aujourd'hui 48 millions de comptes, dont près de 11 millions de CCP, auxquels sont associés 4 millions de contrats d'assurance, autant d'éléments que salue d'ailleurs la Cour des comptes qui note l'augmentation régulière des encours. Outre ces bons résultats économiques, ce service bancaire de proximité bénéficiait de la confiance des Français, assurés d'une épargne sécurisée.

Vous livrez un pan supplémentaire du service bancaire à la concurrence, au moment même où le Conseil de la concurrence vient de remettre son rapport sur l'exclusion bancaire. Votre texte ne permettra pas de lutter contre ce phénomène, puisqu'il crée seulement pour La Poste l'obligation légale d'offrir des services « au plus grand nombre », disposition très restrictive par rapport à l'article L. 221-10 du code monétaire et financier, qui stipule que La Poste doit répondre favorablement à toute demande de création de compte sur livret.

Autre argument contre la filialisation des services financiers, leur intégration actuelle dans La Poste permet une collecte de l'épargne populaire de proximité. Séparer les activités financières de La Poste des autres secteurs revient à modifier le système de collecte de l'épargne populaire. À terme, c'est le nombre de « clients bancaires » de La Poste qui risque de changer. C'est aussi une remise en cause du financement des collectivités qui se profile.

On nous rappelle que moins de 10 % des points de contact de La Poste réalisent plus de la moitié de la collecte des services financiers, que plus un bureau est petit, plus la part des services financiers dans son chiffre d'affaires est importante : elle dépasse même 90 % dans certains bureaux ! Dans ces conditions, il est clair que la future banque postale ne restera pas neutre dans les discussions sur l'amplitude du futur réseau. Elle fera peser une épée de Damoclès sur les petits bureaux de poste.

Nous proposons pour notre part une solution d'avenir, un pôle financier public, indépendant du système libéral dominant, capable de financer des projets économiques de long, voire très long terme, utiles à toute la collectivité. Ces circuits financiers existent, ils relient aujourd'hui, malgré toutes les tentatives pour les assécher, la Caisse des dépôts, les caisses d'épargne et La Poste, avec le livret A et assimilés. Il est nécessaire de les développer, afin de se donner une chance de financer un développement économique qui soit effectivement durable.

En résumé, vos priorités politiques ne sont pas les nôtres.

Mme Christine Boutin. Ce n'est pas un scoop !

M. Frédéric Dutoit. En effet, mais il est bon de le répéter de temps en temps !

Malgré tout le respect que je vous porte, monsieur le ministre, vos solutions sont ringardes et conservatrices. Votre croyance dogmatique en la libre régulation de l'activité économique par le marché a pourtant déjà fait bien des dégâts. Ces recettes sont celles du passé. Les exemples dans différents secteurs d'activité montrent les coûts économiques et sociaux de votre entreprise d'ouverture inexorable à la concurrence.

Vous comprendrez que dans ces conditions, comme pour le projet de traité de Constitution européenne,...

M. Pierre Cohen. Ça se gâte !

M. Frédéric Dutoit. ...nous nous placions aux côtés des salariés, des usagers, des Français qui veulent un avenir de justice, de solidarité, de fraternité, de démocratie et de liberté. Avec eux, nous disons non à cette Constitution libérale et nous dirons non à ce projet de loi rétrograde.

M. Jean Dionis du Séjour. Quel amalgame !

M. André Chassaigne. Excellente conclusion !

M. le président. La parole est à M. Léonce Deprez.

M. Léonce Deprez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est parce que nous voulons tous assurer l'avenir de La Poste que nous sommes rassemblés autour de ce projet de loi. Nous vivons dans un monde de compétition économique.

M. Frédéric Dutoit. Il faut le changer !

M. Léonce Deprez. C'est une réalité et La Poste va, à son tour, aborder cette compétition économique que l'Union européenne a pour objectif non seulement de stimuler, mais aussi de réguler. Il est bon de le rappeler particulièrement aujourd'hui.

Pourquoi ne pas exprimer notre confiance dans les capacités de cette grande entreprise qu'est La Poste à devenir un atout important de notre vie nationale, autant qu'à se donner les moyens de jouer à armes égales avec ses principales concurrentes européennes ?

Sur le plan national, La Poste va demeurer présente dans 17 000 lieux sur tout notre territoire. Nous avons voulu aussi que la distance maximale, qui sera de cinq kilomètres, prévue par le projet de loi pour 90 % de la population, garantisse la pérennité du lien social qu'assure La Poste.

Un point de contact postal pour 3 500 habitants en France contre un pour 6 400 en Allemagne, par exemple, n'est-ce pas l'expression de la volonté politique de maintenir La Poste au cœur de la vie quotidienne des Français ?

Autre signe d'une volonté nationale : l'entreprise Poste pourra verser sa taxe professionnelle au fonds de péréquation territoriale. Ce fonds financera les petits bureaux dans nos campagnes. N'est-ce pas là une mesure traduisant la volonté politique de maintenir à La Poste son rôle dans une politique nationale d'aménagement du territoire ? C'est un point sur lequel nous avons exprimé une volonté très ferme en commission.

Exception à la règle du service à domicile que cette politique volontariste d'aménagement du territoire va permettre en France : les habitants des campagnes, en certaines régions rurales, devront continuer de marcher jusqu'aux carrefours pour y retrouver leur boîte aux lettres !

Le projet de loi que nous allons voter, outre qu'il prévoit la création de l'établissement de crédit postal, va permettre à La Poste, d'ici à 2007, d'assurer ses missions de service public et de devenir le premier réseau de distribution de France pour les particuliers et les professionnels.

Ce projet de loi de régulation des activités postales concilie la fonction sociale et sociétale de La Poste et la dynamique d'une économie qui doit être libérale pour se conformer à la règle du jeu de la concurrence. II est bon, à l'heure où l'Europe veut se donner une Constitution aboutissant sur un plan général à cette grande conciliation, que cette loi postale soit l'expression d'une vraie politique sociale-libérale. La loi fixe les règles du jeu, car l'économie sociale-libérale, c'est le contraire de la loi de la jungle.

Cette loi doit contribuer à motiver nos postiers. Et elle doit stimuler les élus des collectivités territoriales pour créer, au service de l'économie postale et des citoyens, un esprit de partenariat public-privé.

M. Frédéric Dutoit. C'est du rêve !

M. Léonce Deprez. La concertation entre La Poste et les élus s'étant enfin réalisée en profondeur, la présence postale doit pouvoir répondre aux attentes des clients et aux besoins des Français en maintenant une aide spéciale à la presse.

Dans le Pas-de-Calais, en ma commune du Touquet, j'ai pu, comme maire autant que comme député, aboutir à ce que La Poste se donne pour vocation de devenir le point central d'une maison du service public. Après un dialogue avec EDF et GDF, les clients de ces entreprises ont pu trouver dans le bel immeuble de La Poste, au cœur de la station, le point d'accueil nécessaire pour le paiement de leurs factures d'électricité et de gaz et la possibilité de joindre leurs conseillers EDF-GDF services. Tous les documents d'information sur les prestations d'EDF-GDF services y sont disponibles. Pour parvenir à ce résultat et à la modernisation de l'entreprise Poste, la ville du Touquet s'apprête, comme l'a fait la ville de Berck, à favoriser la création, sur un terrain périphérique du centre ville, d'un centre de distribution du courrier qui fera gagner à La Poste de précieux points de compétitivité. Ainsi La Poste pourra-t-elle demeurer un point d'accueil central en ville et assurer son avenir d'entreprise de service de proximité.

J'insiste sur ce point : l'économie sociale-libérale, la conciliation entre progrès de la société, progrès de la vie en commun et progrès de l'entreprise de service qu'est La Poste imposent un esprit d'initiative et un effort des collectivités territoriales autant qu'une volonté de l'entreprise Poste de se moderniser et de s'adapter aux exigences de la compétition économique européenne.

C'est un véritable contrat social de confiance qu'il s'agit d'établir entre l'établissement public qu'est La Poste et la collectivité territoriale accueillant ses bâtiments et ses services. L'État joue le jeu de La Poste en appliquant le principe d'allégement des cotisations sociales sur les bas salaires dés 2006, comme le prévoit le contrat de performance et de convergences pour la période 2003-2007. Mais la communauté de travail postale joue aussi le jeu en favorisant le recrutement de postiers par son ouverture sans restriction particulière aux salariés de droit privé.

Avec Jean Proriol, notre rapporteur, avec la grande majorité des membres de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, et après les sénateurs qui, comme nous, ont approuvé le relèvement à 150 millions d'euros du montant actuel de l'exonération de taxe professionnelle consentie à La Poste pour participer au financement du nouveau fonds postal national de péréquation territoriale, nous avons conscience de sauvegarder pour le futur le service universel postal de La Poste en France.

Nous donnons là une preuve de plus qu'en votant la Constitution européenne, comme nous serons nombreux à le faire, nous pouvons continuer à faire l'Europe sans défaire ce qui a contribué à faire la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Cohen.

M. Pierre Cohen. Une fois de plus, monsieur le ministre, vous profitez d'une directive européenne...

M. le ministre délégué à l'industrie. Non, de deux !

M. Pierre Cohen. ...pour mettre en place une politique libérale qui outrepasse l'esprit de la directive et qui n'est en réalité que le fruit de votre propre politique d'affaiblissement de la puissance publique et de remise en cause du service public. Comme l'a brillamment dit Jean-Marc Ayrault la semaine dernière, vous portez une énorme responsabilité quant à l'issue du référendum. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Proriol, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Il faut le dire à Fabius !

M. Pierre Cohen. En effet, nombre des dispositions de ce projet de loi constituent des attaques en règle contre le service public.

Ainsi de la définition d'un service universel a minima.

Ainsi de l'insuffisance des financements que vous prévoyez.

Ainsi de cette banque postale qui ne se voit pas explicitement régie par des missions de service public et qui, comme l'a dit le président de la Société générale, Daniel Bouton, « a vocation à être privatisée dans les deux ans » au prix de l'explosion à venir de l'exclusion bancaire.

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous avez des références !

M. Jean Proriol, rapporteur. Heureusement que M. Bouton n'est pas ministre !

M. Pierre Cohen. Apparemment, il s'y connaît.

Ce texte est à l'image de ce que fait le Gouvernement qui, quand il ne prive pas le service public de moyens, le vide de son contenu. L'un de ses principaux points faibles est qu'il réduit la notion de « service public » à celle de « service au public ». Certes, la qualité du service rendu au public est l'un des piliers du service public, mais celui-ci existe avant tout pour satisfaire les besoins essentiels des citoyens dans des conditions obéissant à des critères objectifs et non à des critères de rentabilité.

Ainsi, en choisissant de ne pas définir ce qu'est un point Poste, la majorité a décidé que n'importe quelle structure privée pourrait fournir des services postaux. De plus, elle rend impossible l'exercice effectif de la fonction d'aménagement du territoire par l'opérateur public en interdisant de fait toute péréquation, ce qui inquiète la plupart des élus locaux. De même, en dérégulant le recrutement de contractuels de droit privé par La Poste, elle tend à faire disparaître le statut de la fonction publique.

Par conséquent, nous allons assister à un accroissement dans l'inégalité d'accès au service public postal. Comme l'a dit François Brottes, c'est certainement anti-constitutionnel.

M. François Brottes. Ça l'est clairement !

M. Pierre Cohen. Mais surtout, pour ceux qui ne pourront pas bénéficier de la proximité d'une antenne de La Poste, l'inégalité dans la nature du service rendu sera criante. En effet, il est illusoire de croire que le service postal dans les points Poste sera le même que dans les bureaux de poste. Qui assurera le service public postal quand les commerçants hébergeant des points Poste partiront en vacances ? C'est la continuité, principe fondamental du service public, qui est menacée.

Les agents de La poste peuvent connaître beaucoup de la vie privée des usagers. Qu'est-ce qui garantira le respect de la confidentialité et le devoir de neutralité quand ce seront des commerçants, souvent impliqués dans la vie locale, qui assureront les missions de La Poste ?

L'automatisation dans le domaine des transports a supprimé la présence humaine dans certains lieux où l'on enregistre une aggravation de la délinquance, du sentiment d'insécurité, et l'on en vient à créer des postes de médiateurs. Or, comme l'a souligné François Brottes, le facteur joue un rôle de lien social. Par conséquent, de deux choses l'une : ou bien l'on fait déménager toutes les personnes dispersées dans nos campagnes, ou bien il faudra trouver des travailleurs sociaux, inventer des infirmières « à mission dégradée », qui seront en contact avec ces personnes et se substitueront aux facteurs. Car outre leur fonction postale, les facteurs, j'y insiste, contribuent au maintien du lien social.

M. André Chassaigne. Mais cela n'est pas rentable !

M. Pierre Cohen. Le fait que les services publics soient exercés par des opérateurs publics avec des agents publics n'est pas un dogme mais constitue une garantie pour les usagers. Alors que les libéraux fustigent le statut de la fonction publique, il convient de leur rappeler qu'il représente une protection nécessaire pour les usagers. C'est cette protection qui est sacrifiée par ce projet de loi sur la régulation des activités postales.

Je voudrais revenir, monsieur le ministre, sur votre obstination à apprécier la présence postale en fonction du nombre d'habitants. Dans les pays dont vous avez parlé, la densité urbaine est nettement plus forte que chez nous.

M. le ministre délégué à l'industrie. Ah bon ? L'Autriche, l'Espagne...

M. Pierre Cohen. La France se caractérise par sa diversité. Elle comporte des zones d'habitat dispersé, mais vous ne prenez pas en compte cette spécificité.

Réduire la notion de service public à celle de service au public revient paradoxalement à réduire la qualité du service rendu. Le financement est complètement maîtrisé, la rentabilité est l'objectif et le seul fait que la distribution de la presse reste à la charge de La Poste montre l'absence de la notion, que l'on commence à voir apparaître dans les textes européens, de responsabilité financière de l'État dans l'exercice des missions de service public.

M. le ministre délégué à l'industrie. Expliquez-le à vos amis !

M. Pierre Cohen. Je le leur dirai à l'occasion d'autres réunions mais, en l'espèce, monsieur le ministre, vous ne faites pas l'effort de pédagogie nécessaire pour le leur montrer puisque vous laissez à La Poste une charge financière qui n'est pas liée à sa propre mission de service public.

Ce texte porte la marque de l'obstination dogmatique du Gouvernement à préparer la libéralisation des services publics, en dépit d'exemples catastrophiques en la matière. Celui de la Suède est frappant : réduction du nombre de points poste, perte de 15 000 emplois et augmentation du prix du timbre de 70 % en dix ans ! Voilà ce qui nous attend dans les prochaines années.

En vérité, ce projet de loi n'a qu'un but : soumettre La Poste à un principe de rentabilité marchande,...

M. Frédéric Dutoit. C'est vrai !

M. Pierre Cohen. ...alors qu'il devrait permettre d'assurer une plus grande efficacité du service public postal au service des citoyens - et non des « clients » - et de parfaire le service public postal en l'adaptant au cadre européen, puisque tel est notre objectif. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. André Chassaigne. C'est en effet un service d'intérêt économique général !

M. le président. La parole est à M. Émile Zuccarelli.

M. Émile Zuccarelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en première lecture, j'avais, à cette tribune, dénoncé différentes menaces qui résultent du projet présenté par le Gouvernement sur la régulation des activités postales. Je ne répéterai pas tout ce que j'ai dit mais, à l'issue des débats de l'Assemblée et du Sénat, mes inquiétudes restent vives et inchangées.

Malgré les discours incantatoires qui promettaient de préserver un service public postal de proximité performant et accessible à tous, aucun geste sérieux n'est venu étayer ces bonnes paroles.

La création par la loi d'un fonds de péréquation destiné notamment à financer la présence postale sur l'ensemble du territoire aurait pu être une avancée. Très attendue, notamment par les maires ruraux, premiers touchés par la disparition des services publics, cette mesure restera inefficace si elle n'est pas abondée sérieusement et pérennisée. Les 150 millions d'euros dégagés du produit de l'exonération de la taxe professionnelle ne pourront couvrir un surcoût estimé à 500 millions au minimum par Gérard Larcher lui-même, alors sénateur, dans un rapport en date de juin 2003.

M. Jean Proriol, rapporteur. De juin 2002 !

M. Émile Zuccarelli. En ce qui concerne la cohésion sociale, que l'on évoque souvent, comme vient encore de le faire M. Deprez, la création d'un établissement financier filiale de La Poste n'est pas un signe encourageant. Pour nombre d'observateurs, dont je partage le point de vue, cette naissance constitue une première étape vers la privatisation des services financiers de La Poste. Que devient, dans cette perspective, l'impératif de fournir à tous, sur l'ensemble du territoire et sans distinction liée au niveau des revenus perçus ou au lieu de résidence, les services financiers de base ?

M. Frédéric Dutoit. Bonne question !

M. Émile Zuccarelli. La mobilisation des élus sur la problématique du service public postal, qui dépasse les clivages politiques, a démontré à quel point une véritable concertation avec les élus locaux est essentielle. Comme eux, je plaide non pour le maintien absolu du statu quo, mais pour la volonté de garantir un égal accès aux prestations du service public postal.

M. Frédéric Dutoit. Bien sûr !

M. Émile Zuccarelli. Il faut le reconnaître, il est désormais indispensable non seulement d'envisager, mais d'établir des schémas départementaux de la présence postale. Mais, alors que les élus locaux sont de plus en plus sollicités pour participer au coût de financement du réseau, ils n'ont, en raison du morcellement de La Poste entre les différents métiers, aucun interlocuteur identifiable doté d'un véritable pouvoir de décision.

Enfin, j'ai appris que la Commission européenne venait d'adopter, en toute discrétion pour les raisons que l'on imagine - je le dis sans arrière-pensée -, un rapport dressant le bilan et les perspectives de la libéralisation du marché postal. Pour elle, il faut « intensifier la concurrence ».

Reconnaissons-le : la France est directement visée par ce rapport dans lequel la Commission félicite et encourage les pays qui annoncent ou envisagent la libéralisation intégrale du secteur. Pour accélérer ce phénomène, elle envisage même de réduire la définition et la portée du service universel postal, pourtant déjà minimale.

Ces perspectives n'ont rien de rassurant ni pour La Poste, ni pour ses personnels, ni surtout pour les usagers. Elles relèvent d'une conception du service public qui n'est pas la mienne. À cet égard, le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, loin d'être un frein, semble en fait un relais, voire un outil d'amplification. C'est aussi pour cela qu'avec mes collègues radicaux de gauche, je voterai contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Louis Cosyns.

M. Louis Cosyns. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est présenté en deuxième lecture aborde un grand nombre de dispositions, mais mon propos ne portera que sur deux d'entre elles.

La première, introduite au Sénat à l'article 13 bis, est relative au transport de fonds par les salariés des banques. En effet, nous avions dans nos circonscriptions des permanences bancaires qui se sont retrouvées fermées du fait de l'impossibilité pour les salariés des banques de transporter des fonds. Il s'agissait le plus souvent de permanences situées dans de petits chefs-lieux de canton, dont la clientèle était essentiellement constituée de personnes âgées, aux moyens de transport limités. Il s'agit moins, en l'espèce, d'un problème de sécurité que d'aménagement du territoire et de maintien des services en zone rurale.

En première lecture, j'avais appelé l'attention du ministre de l'intérieur sur ce sujet par le biais d'un amendement. Soucieux de le convaincre de la souplesse qu'il est nécessaire d'introduire dans ce dispositif, j'avais développé avec Jean Auclair, député de la Creuse,...

M. Alain Rodet. Dans ce débat, la Creuse n'est pas une référence !

M. Louis Cosyns. ...une argumentation précise et raisonnable auprès de ses collaborateurs. Le ministre de l'intérieur, Dominique de Villepin, s'est finalement rendu à nos arguments. Je tiens à le remercier d'une disposition qui introduira de la souplesse et réduira les formalités administratives, les procédures d'agrément des salariés habilités à transporter jusqu'à 5 335 euros étant des procédures internes aux établissements concernés.

L'amendement adopté au Sénat, et reprenant l'esprit sinon la lettre de celui que j'avais déposé en première lecture, concilie notre double souci de garantir la sécurité des personnels concernés et de maintenir un réseau bancaire dans nos campagnes, où les personnes âgées, en tout premier lieu, en ont bien besoin. Nous soutiendrons donc l'article 13 bis dans sa nouvelle rédaction.

Cela étant, et c'est le second point que je souhaite aborder, il faudra veiller à ce que ces dispositions soient en accord avec le droit communautaire, particulièrement pour ce qui concerne le livret A. En effet, la création de la banque postale pose dans des termes nouveaux la question du monopole de distribution du livret A. Il est vraisemblable que ce monopole soit désormais contraire non seulement aux normes européennes en matière de concurrence, mais aussi à la liberté d'établissement. C'est pourquoi, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'appelle plus particulièrement votre attention sur ce point. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Je reviendrai très brièvement sur certains points de fait, afin de rectifier de manière ponctuelle quelques inexactitudes, quelques-unes seulement.

J'indique d'abord à M. Chassaigne que, dans le Puy-de-Dôme, 96,1 % des habitants sont à moins de cinq kilomètres d'un point de présence de La Poste.

M. Jean Proriol, rapporteur. M. Chassaigne le sait bien !

M. le ministre délégué à l'industrie. Il le sait certainement mais, comme il soutient le contraire, je lui réponds. Par ailleurs, 100 % des habitants se trouvent à moins de dix kilomètres, c'est-à-dire à moins de vingt minutes en automobile.

M. Jean Proriol, rapporteur. C'est une information capitale !

M. le ministre délégué à l'industrie. Le dispositif qu'il critique dans ce projet est donc parfaitement garanti pour le Puy-de-Dôme. Il est vain de prétendre le contraire.

M. André Chassaigne. Je n'ai pas pris l'exemple du Puy-de-Dôme !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je comprends pourquoi ! (Rires.)

M. André Chassaigne. De plus, je pense que ces chiffres sont à confirmer ! Et dans l'Ariège, la situation est plus mauvaise !

M. le ministre délégué à l'industrie. Pour ce qui est de l'Ariège, monsieur Nayrou, 93,8 % des habitants sont à moins de cinq kilomètres d'un point de présence de La Poste, 99,7 % à moins de dix kilomètres et 100 % à moins de vingt minutes. Là encore, le dispositif est totalement garanti.

Vous avez parlé d'Artigat et je vais vous répondre, car sachez que je fais vérifier systématiquement tout exemple que l'on me cite, de manière à éviter la désinformation. M. Paul m'avait donné, lors d'une séance précédente, des indications sur Le Havre, auxquelles j'ai dû apporter un démenti. Il a d'ailleurs eu l'élégance de reconnaître qu'il avait tort et d'avouer que sa bonne foi avait été surprise. Dont acte.

M. Jean Proriol, rapporteur. On lui avait apparemment donné de fausses informations !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est précisément parce que tout le monde peut être trompé qu'il faut vérifier chaque information.

Pour le moment, à Artigat, il n'y a pas de transformation prévue pour le bureau de poste, mais une négociation est en cours. Vous savez qu'aucun changement ne peut intervenir sans l'accord et la signature des élus locaux. Vous n'avez donc rien à craindre. Une discussion a commencé. Il y en aura peut-être d'autres, mais aucune contrainte ne sera exercée, puisque les élus locaux, j'y insiste, doivent donner leur accord. J'espère que cette garantie vous paraît suffisante.

Monsieur Cohen, pour la Haute-Garonne, département que je connais bien et que j'aime, 96,9 % des habitants sont à moins de cinq kilomètres d'un point de présence de La Poste, 99,8 % à moins de dix kilomètres et 100 % à moins de vingt minutes en automobile.

M. Jean-Jacques Descamps. Il est bon de remettre les choses au point !

M. Pierre Cohen. La Haute-Garonne n'est pas toute la France et je ne l'ai pas citée !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est drôle : les députés de l'opposition ont cité de nombreux exemples, mais toujours en dehors de leur département. N'est-ce pas curieux ? Vous parlez de toute la France sauf de chez vous. Pourquoi ne parlez-vous pas du département que vous connaissez le mieux ? La réponse est simple : parce que chez vous, ça marche ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Henri Nayrou. Et l'Indre-et-Loire ?

Mme Marylise Lebranchu. Et le Finistère ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Écoutez, les exemples que vous avez donnés jusqu'à présent ne sont vraiment pas probants !

M. André Chassaigne. Vous ne parlez pas de la nouvelle carte, monsieur le ministre, mais de la carte actuelle !

M. le ministre délégué à l'industrie. Dois-je encore vous rafraîchir la mémoire ? De 1997 à 2001, sous le gouvernement que vous avez soutenu, 1 709 points de contact ont été transformés.

Mme Marylise Lebranchu. C'est exact, hélas !

M. Frédéric Dutoit. Mais ce n'est pas une raison pour continuer les mêmes erreurs !

M. Alain Gouriou. Et vous avez vu ce que ça a coûté à la gauche ?

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est la loi Voynet qui a créé de facto les agences postales communales. Voilà une création du gouvernement que vous avez soutenu et de votre majorité. Je m'étonne donc que vous la critiquiez. « Vérité en deçà, quand on est au Gouvernement ; erreur au-delà ! »

Mais je tiens à rassurer pour l'avenir : votre discours catastrophique sur La Poste est tellement bien reçu que le pourcentage de ceux qui ont répondu aujourd'hui à votre appel à la grève était de 1,34 %. Bravo ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. Alain Gouriou.

M. Alain Gouriou. Monsieur le ministre, le projet de loi relatif à la régulation des activités postales, soumis en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, a déjà été modifié notablement par les amendements proposés par les parlementaires de la majorité et portant sur des points importants du texte, en particulier la présence postale territoriale et la création d'un établissement bancaire de La Poste. Bien peu, trop peu d'amendements proposés par l'opposition ont échappé à votre censure impitoyable.

Cependant, depuis la première lecture du projet de loi au Sénat, voici plus d'un an, plusieurs événements sont venus modifier le contexte du débat législatif.

Nous avons tous pu constater dans de nombreux territoires une dégradation des services de La Poste. Avant même le vote et la publication de cette loi, des mesures de réorganisation des réseaux ont été prises : diminution des horaires d'ouverture au public, réduction des plages horaires pour la distribution et les levées du courrier, transformation de points de contact. Ainsi, 1 300 bureaux de poste de plein exercice ont disparu depuis 2002. D'aucuns de nos collègues sont allés jusqu'à dénoncer le « comportement voyou » de certaines directions départementales de La Poste.

Les élus locaux, devenus méfiants, ne sont nullement convaincus par les simulacres de concertation organisés dans les commissions départementales de présence postale. Celles-ci n'ont le plus souvent pour fonction que de les informer des mesures déjà prises et de chanter les louanges des nouveaux points de contact installés dans les petits commerces, où le service rendu au public n'est qu'un service minimum, au rabais.

Il va de soi que les maires, les élus locaux, les postiers et les associations d'usagers ne sont pas restés inertes à l'annonce de ces grandes manœuvres visant à réduire drastiquement le service public. Ils auraient souhaité, par exemple, que l'évolution des missions de service public tienne compte des intercommunalités et de l'émergence des pays. Mais la direction de La Poste a superbement ignoré ces propositions, en tout cas jusqu'ici.

Cependant, l'émotion et la mobilisation des élus, en Creuse et ailleurs, ont été telles que M. le Premier ministre a estimé utile, dans un courrier daté du 7 mars dernier, de tenter de les rassurer. Il a annoncé que, d'ici au 1er janvier 2006, il décidait de conditionner à l'accord explicite des élus locaux tout projet qui aurait pour effet de diminuer la présence du service public en milieu rural, des instructions étant adressées aux préfets et aux ministres en ce sens. Il a ajouté que, dans certains départements, une charte du dialogue territorial serait établie au sein de la commission départementale de présence postale. Enfin, il semble - vous l'avez dit, monsieur le ministre - qu'un protocole d'accord entre La Poste et l'AMF ait été validé la semaine dernière pour l'organisation des agences postales communales et intercommunales.

Ces initiatives destinées à ouvrir le dialogue entre La Poste et les élus locaux vont certainement dans le bon sens, mais nous attendons d'en connaître le contenu et les effets sur le terrain avant de juger.

Nous partageons tous la volonté de renforcer le service public de La Poste. Nous voulons tous maintenir et améliorer un service fiable, dynamique, capable de s'adapter aux mutations démographiques et territoriales. Nous souhaitons tous une entreprise innovante, capable d'investir dans la recherche et le développement de nouvelles technologies et d'exploiter les nouveaux créneaux, telle la croissance du trafic lié au commerce électronique. Encore faudrait-il pour cela que La Poste surmonte quelques handicaps majeurs qui l'empêchent d'affronter avec un maximum d'atouts la concurrence intérieure et extérieure. Or le projet de loi est loin de lui donner ces atouts. Le renvoi en commission permettrait de revoir et d'approfondir certaines de ses dispositions.

Ainsi, le coût du transport de la presse a fait l'objet d'un accord entre l'État, la presse et La Poste, à la suite d'un rapport confié à M. Henri Paul. En 2005, sur un montant total estimé à 1,102 milliard, la contribution de La Poste est fixée à 415 millions. À l'époque où celle-ci avait le monopole du courrier, on pouvait admettre qu'elle finance sinon la totalité, du moins une part importante de cette charge, mais avec la réduction progressive du service réservé, voire, à terme, la disparition de celui-ci, il nous paraît légitime et nécessaire d'assurer à La Poste une compensation intégrale du coût de ce transport.

Qui plus est, si l'on ajoute à ce chiffre le coût des charges liées à la présence territoriale, évalué par les services de La Poste à 500 millions d'euros, celui de la fonction sociale des services financiers : 55 millions d'euros, et celui des charges de retraite : 2 milliards d'euros, on atteint un total de 3 milliards d'euros qui, avouons-le, représente un réel handicap. Ces chiffres sont, bien entendu, cités dans le rapport Larcher de 2002, qui fait référence.

Pour que La Poste surmonte ce handicap, il faudrait que le champ de concurrence défini par la loi ne favorise pas outre mesure les opérateurs concurrents. Or bien des mesures contenues dans le projet de loi limitent considérablement les services réservés, qui demeurent l'exclusivité de La Poste et permettent de financer le service universel. Vous-même, monsieur le ministre, avez personnellement plaidé, en première lecture, pour que soit supprimé le monopole des envois recommandés. Aussi le groupe socialiste a-t-il déposé un amendement à l'article 1er du projet de loi afin de préciser que le publipostage appartient aux services réservés.

En outre, les opérateurs concurrents de La Poste bénéficieront, grâce à cette loi, d'un avantage exceptionnel, puisqu'ils ne seront pas contraints de desservir l'ensemble du territoire national. N'est-ce pas, pour eux, une incitation à s'installer dans les territoires les plus rentables et à délaisser les régions dont la desserte est plus difficile ?

Dans ces conditions, vous comprendrez que le groupe socialiste réclame la création rapide d'un fonds de compensation pour le financement du service universel, fonds qui est par ailleurs autorisé par la directive. Nous ne voyons pas, en effet, comment La Poste pourrait faire face à ses missions de service universel avec des charges aussi lourdes et des recettes rendues aussi aléatoires. Plus exactement, nous ne le voyons que trop bien, et vous aussi d'ailleurs : par des réductions d'effectifs et par la fermeture de ses bureaux de poste, voire la vente d'une partie de son parc immobilier.

L'article 7 du projet de loi, qui concerne le fonds de compensation, justifierait à lui seul le renvoi en commission du projet de loi, dont il est le point faible. Du reste, en seconde lecture, M. Hérisson, rapporteur au Sénat, comme M. Proriol en ont proposé une nouvelle rédaction.

La volonté de développer et de favoriser la concurrence dans le domaine des activités postales nous paraît d'autant plus dangereuse que ces pratiques libérales ont eu des effets très négatifs sur l'emploi et la présence postale territoriale dans les pays européens, comme la Suède et l'Allemagne, qui nous ont précédés dans la transposition des directives postales.

Le plus inquiétant, c'est que, dans un rapport présenté le 23 mars 2005 au Conseil et au Parlement européen, la Commission recommande une plus grande ouverture encore à la concurrence, dénonce le maintien de privilèges et de distorsions sur le marché du courrier au profit des anciens monopoles et se prononce en faveur du renforcement des compétences des autorités de régulation. Tout cela n'augure rien de bon quant à l'avenir de notre poste.

Pourquoi vouloir confier à une même autorité la responsabilité de réguler et de contrôler des activités aussi différentes que les communications électroniques, dont le champ s'élargit sans cesse au rythme de l'évolution des nouvelles technologies, et les activités postales ? Il nous semble qu'une autorité spécifique pour les activités postales n'aurait pas été superflue.

Par ailleurs, comment sera défini le rôle des deux nouveaux membres de l'ARCEP qui intégreront cette instance au titre de la régulation des activités postales ? Et pourquoi attribuer des pouvoirs aussi exorbitants - même si la Commission européenne ne les juge pas assez étendus - à l'ARCEP nouvelle formule ? Celle-ci sera, en effet, chargée de délivrer les autorisations aux nouveaux opérateurs concurrents de La Poste, de définir le champ territorial de l'opérateur autorisé, de veiller au respect par les opérateurs des obligations qui leur sont imposées, de décider des modalités de l'encadrement pluriannuel des tarifs des prestations du service universel, d'émettre un avis sur les aspects dits économiques des tarifs de transport de presse, de contrôler le financement du service universel et de veiller à son équilibre, enfin de décider des sanctions à l'égard de l'opérateur historique et des autres opérateurs en cas de manquement à leurs obligations. Bref, il s'agit d'un transfert quasi total des compétences exercées jusqu'ici par l'autorité politique - Gouvernement et Parlement - à une autorité chargée en principe de veiller au seul respect d'une concurrence loyale entre opérateurs.

L'article 2 vous dépouille, monsieur le ministre, des prérogatives qui étaient jusqu'à présent celles du ministre chargé de la tutelle de la poste, l'une des institutions régaliennes les plus anciennes de ce pays. Vous perdez ainsi le pouvoir d'approbation des tarifs sous monopole - qui est le cœur du service public - et vous renoncez au contrôle des modalités du développement postal, puisque vous ne délivrerez plus les autorisations.

Comme vous le savez, mes chers collègues, c'est surtout l'avenir et l'organisation de la présence postale sur le territoire qui inquiètent à la fois les postiers, les usagers et les élus. Cette inquiétude continue de s'exprimer sur l'ensemble du territoire, comme en témoignent les délibérations de quelque 6 200 communes rurales qui ont été remises au président du Sénat à l'occasion de la seconde lecture.

Le groupe socialiste a déposé à l'article 1er, un amendement qui tend à définir précisément ce que l'on entend par point de contact de La Poste : « la présence postale territoriale qui concourt à l'exécution du service universel, notamment des services postaux, et propose, dans les domaines bancaire, financier et des assurances, des produits et des services au plus grand nombre. Cette présence postale est assurée dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité du service. Les personnes en charge de ce service sont astreintes à un devoir de réserve et de neutralité. »

Dès lors que l'usager ne peut y trouver qu'une infime partie des services offerts dans les bureaux de poste de plein exercice, nous ne pouvons pas considérer que les points de contact de La Poste installés dans les petits commerces des bourgs ruraux participent à l'aménagement du territoire, même s'ils sont un plus pour les communes où il n'existait, jusqu'à présent, aucune présence postale.

La question, essentielle, du fonds de péréquation destiné à financer le maillage territorial complémentaire mériterait également d'être approfondie en commission. Selon le texte, ce fonds sera financé « notamment » par le produit de l'exonération de la taxe professionnelle dont bénéficie La Poste à hauteur, nous dit-on, de 150 millions d'euros, lesquels viennent s'ajouter aux charges de la présence postale territoriale. Par ailleurs, ce financement serait pérennisé. Or une réforme de la taxe professionnelle est annoncée. À l'emploi du mot « notamment », qui figure dans le texte de façon sibylline, j'aurais donc préféré une définition plus précise. Du reste, le président du Sénat lui-même avait souhaité, lorsque le président de l'Association des maires ruraux de France lui a remis les 6 234 pétitions communales, qu'une réflexion soit engagée pour trouver d'autres sources de financement pour ce fonds de péréquation.

Par ailleurs, bien des incertitudes demeurent quant à la définition du statut et des missions de l'établissement bancaire postal. Sera-t-il une filiale à 100 % de La Poste ? Continuera-t-il à assurer les services bancaires de base, en particulier à nos concitoyens les plus défavorisés ? Selon le Guide du consommateur, cinq millions de Français sont exclus du système bancaire et interdits de tous services financiers. Beaucoup d'élus et d'associations réclament donc la mise en place d'un véritable service bancaire de base, au même titre qu'il existe un service universel des télécommunications et de l'électricité.

Les services financiers de La Poste représentent souvent l'essentiel du chiffre d'affaires des bureaux de poste. Leur réduction pourrait donc fournir un argument supplémentaire en faveur de la fermeture des plus petits bureaux. Aussi nous parait-il judicieux d'enrichir la palette des services de l'établissement financier. Nous connaissons l'opposition farouche de l'ensemble des banques à l'extension des services bancaires de La Poste, mais puisque celle-ci pourra désormais consentir des prêts immobiliers sans épargne préalable, pourquoi ne pas l'autoriser à proposer également des prêts à la consommation ? Ce serait, compte tenu de la concurrence qu'elle va affronter, un atout important pour tirer le meilleur parti d'un réseau de points de présence incomparable et pour élargir et fidéliser sa clientèle.

Les enjeux de ce texte sont considérables. Celui-ci détermine l'évolution d'une des plus grandes entreprises de main-d'œuvre de France - beaucoup d'agents dont 200 000 fonctionnaires - et définit les formes de la présence territoriale de La Poste, l'un des services publics auquel les Français sont le plus attachés. Il établit des règles de concurrence que La Poste aura bien de la peine à suivre tant ses moyens d'action et de services sont limités et ses charges accrues.

Nous craignons que ce texte n'accélère une démarche déjà engagée vers une privatisation en bloc ou en partie.

Enfin, ce projet présente des risques d'inégalités et de fractures territoriales. Bien des points soulevés par les précédents orateurs ont mis l'accent sur les conséquences négatives de ces dispositions. C'est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à vous prononcer en faveur de cette motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Proriol, rapporteur. Nous avons tous apprécié l'intervention de notre collègue M. Gouriou, qui est un connaisseur du milieu de La Poste et des télécoms. Pour ma part, j'ai trouvé son propos relativement mesuré par rapport à ceux qu'il nous a été donné d'entendre précédemment.

Qu'il me soit cependant permis de vous faire remarquer le plus aimablement du monde, monsieur Gouriou, que la commission a établi un rapport qui compte pas moins de 163 pages, auxquelles s'ajoutent 25 pages d'annexes. Ceci tend à démontrer que la commission a bien travaillé,...

M. Alain Gouriou. Je n'ai pas dit le contraire !

M. Jean Proriol, rapporteur. ...s'y reprenant même à deux fois pour rédiger certains amendements, comme vous l'avez vous-même reconnu. Il me semble par conséquent que la commission n'aurait pu faire mieux.

M. François Brottes. Plus de cent amendements n'ont pas été débattus !

M. Jean Proriol, rapporteur. Par ailleurs, si le texte n'était pas prêt pour l'examen en séance publique, pourquoi avoir déposé plus de 14 000 amendements en première lecture ?

M. François Brottes. Ils n'ont pas été discutés !

M. Jean Proriol, rapporteur. S'ils ont été refoulés, c'est qu'ils n'étaient pas acceptables (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Vous avez récidivé en deuxième lecture - dans des proportions certes cent fois inférieures -,...

M. Henri Nayrou. C'est peu, reconnaissez-le !

M. Jean Proriol, rapporteur. ...ce qui fait que plus de cent amendements identiques ont ainsi subi le même traitement.

M. François Brottes. C'est-à-dire le refus d'en débattre !

M. Jean Proriol, rapporteur. Le travail déjà effectué en commission fait qu'il n'y a pas lieu d'y renvoyer ce texte. Mais je veux vous répondre de façon plus précise sur certains points.

En ce qui concerne l'aide à la presse, qui a obtenu un accord tripartite entre La Poste, la presse et l'État, si ce n'est le gouvernement actuel ? Dans la situation antérieure, La Poste avait à supporter une charge d'environ 1,2 milliard d'euros. Depuis la conclusion de cet accord ayant consacré une répartition par tiers, cette charge a été ramenée à un peu plus de 400 millions, ce qui représente déjà un progrès considérable. Paris ne s'est pas fait en un jour !

Je me dois aussi de rappeler que nous avons essayé d'imposer une obligation de desserte géographique minimale aux nouveaux opérateurs, afin d'éviter que ceux-ci ne soient tentés de pratiquer un écrémage. Nous avons malheureusement dû renoncer à cette disposition qui, n'étant pas conforme à la directive européenne, nous exposait à un recours qui eût fragilisé l'ensemble du texte.

Vous avez évoqué le rapport émis discrètement, pour ne pas dire subrepticement, par la Commission européenne, mais dont la presse s'est tout de même emparée. La France y est assez fortement mise en accusation,...

M. Henri Nayrou. Qui doit payer, monsieur le rapporteur ?

M. Jean Proriol, rapporteur. ...un peu par votre faute, puisque la directive de 1997 n'a pas été transposée aussi rapidement que le souhaitait la Commission.

En ce qui concerne le fonds de compensation, nous y avons travaillé pendant toute une semaine - jusqu'à cet après-midi - afin d'améliorer un texte qui pouvait effectivement prêter le flanc à la critique. En tout état de cause, les éventuelles faiblesses de la rédaction actuelle, qui vous sera présentée au cours du débat, ne sauraient justifier le renvoi du texte en commission.

Quant aux pouvoirs de l'ART, je récuse formellement l'idée selon laquelle nous proposerions une extension maximaliste des prérogatives initiales de cet organisme. Au reste, ce n'est pas nous qui avons créé l'ART !

M. François Brottes. C'est la loi Fillon de 1996 !

M. Jean Proriol, rapporteur. L'institution a perduré tout au long du gouvernement Jospin, qui n'a pas jugé utile de modifier l'étendue de ses pouvoirs. Vous nous demandez de faire pour La Poste ce que vous-mêmes n'avez pas fait pour les télécoms. Mais comme nous le verrons, je ne crois pas qu'il soit possible de réduire les pouvoirs accordés à l'ART par la directive.

Je vous remercie, monsieur Gouriou, de nous avoir resservi les fameuses délibérations des 6 234 communes rurales. Mais savez-vous quelle est la présence postale dans ces communes-là ?

M. Alain Gouriou. Elle est très faible !

M. Jean Proriol, rapporteur. On ne compte effectivement que 600 lieux de présence postale parmi ces communes qui ont signé la pétition, ce qui signifie que 5 000 d'entre elles n'ont jamais bénéficié de la moindre présence postale, sous la forme d'une agence ou d'un point poste.

M. Alain Gouriou. Elles craignent la suppression de l'agence postale située dans la commune voisine !

M. Jean Proriol, rapporteur. Dans ces conditions, vous comprendrez que nous émettions quelques doutes quant à la valeur de ces délibérations.

Vous nous avez reproché de faire en sorte que l'établissement de crédit postal soit inaccessible aux personnes les plus défavorisées. Comme vous le savez, La Poste reçoit tous les jours des gens qui sont au RMI...

M. Frédéric Dutoit. C'est pour cela que nous défendons les agences postales !

M. Jean Proriol, rapporteur. ...des gens qui, se servant de La Poste comme d'un porte-monnaie, viennent y chercher quotidiennement dix ou vingt euros.

M. André Chassaigne. Pas dans les points poste ! Cela ne sera pas toujours possible !

M. Jean Proriol, rapporteur. Nous n'avons pas l'intention de mettre fin à cette pratique. Chacun pourra toujours ouvrir un CCP et y réaliser des opérations, même si le compte est peu provisionné, y compris dans les points poste.

M. André Chassaigne. C'est faux ! Je vous en ferai la démonstration tout à l'heure !

M. Jean Proriol, rapporteur. J'en veux pour preuve le fait qu'il ne sera pas possible d'identifier, à partir d'un point poste, les CCP peu provisionnés...

M. François Brottes. C'est un aveu !

M. Jean Proriol, rapporteur. Vous souhaitez vous-mêmes que la confidentialité soit préservée. Il ne faut pas demander une chose et son contraire ! Toute personne titulaire d'un CCP pourra effectuer un retrait dans la mesure de ses moyens.

M. André Chassaigne. Je peux démontrer que c'est faux !

M. Jean Proriol, rapporteur. C'est nous faire un mauvais procès que nous accuser de vouloir supprimer l'accès des moins favorisés à La Poste.

M. André Chassaigne. Monsieur le rapporteur, vous avez une mauvaise connaissance du dossier ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Proriol, rapporteur. Dans sa conclusion, M. Gouriou a qualifié à juste titre La Poste d'entreprise de main-d'œuvre. Mais si elle est effectivement l'une des plus grandes entreprises de main-d'œuvre de France - près de 300 000 personnes - elle est aussi une industrie, qui à ce titre a besoin de se moderniser.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Eh oui !

M. Jean Proriol, rapporteur. La Poste n'a plus que quatre ans pour faire face à l'arrivée de la concurrence. Par ce projet de loi, nous voulons lui donner les moyens de rattraper le temps perdu...

M. François Brottes. Vous faites l'inverse !

M. Alain Gouriou. Vous lui coupez les ailes !

M. Jean Proriol, rapporteur. Je suis certain que vous ne pensez même pas ce que vous dites ! Nous voulons, disais-je, donner à La Poste les moyens de faire face à l'arrivée d'une concurrence dont nous savons qu'elle peut être coûteuse. Il y a tout lieu d'être vigilants : La Poste française n'est pas, comme l'avez dit, le deuxième groupe postal européen, mais seulement le troisième derrière la Deutsche Post et TNT.

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe communiste et républicain.

M. André Chassaigne. Notre collègue Daniel Paul, qui a suivi les débats en commission, pourrait sans doute mieux que moi démontrer que le renvoi de ce texte en commission obéit à une impérieuse nécessité.

En ce qui concerne la règle des cinq kilomètres, vous avez cité tout à l'heure certains chiffres, monsieur le ministre,...

M. Jean Proriol, rapporteur. Des chiffres confondants !

M. André Chassaigne. ...en vous gardant bien de préciser que vous raisonnez sur la situation actuelle. Vous vous basez en quelque sorte sur une photographie des points de contact de La Poste, sans tenir compte des réorganisations en cours de négociation. À moins que vous ne connaissiez à l'avance le résultat de cette négociation, ce qui en dirait long sur la conception que vous en avez !

Mme Marylise Lebranchu. Très bien !

M. André Chassaigne. Or des simulations ont été effectuées. Si l'on raisonne sur les nouvelles bases, l'application stricte de la règle dans un département comme le Gers conduirait à placer plus de cent communes et 20 % de la population à plus de cinq kilomètres de tout point postal. Dans le Var, ce seraient 10 % de la population et 68 communes. Les informations dont vous disposez semblent vous avoir été données dans la précipitation, car elles ne correspondent pas à la réalité et aux évolutions prévisibles.

Le deuxième point qui justifierait un renvoi en commission, c'est la méconnaissance par le rapporteur de son dossier. M. Proriol n'a manifestement pas compris comment fonctionnent les points poste.

M. Jean Proriol, rapporteur. Il y en a dix en Haute-Loire, et je les ai tous inaugurés ! Vous n'avez aucune raison de me mettre en cause de cette manière !

M. André Chassaigne. Il se trouve que je me suis renseigné. Le commerçant responsable d'un point poste détient une liste, régulièrement mise à jour, d'usagers de la Poste titulaires d'un CCP au bureau de rattachement. Contrairement à l'usage en vigueur dans les agences postales, il est impossible à ce commerçant d'avancer de l'argent aux personnes en difficulté s'il y a le moindre risque que le compte ne soit pas provisionné. J'ai interrogé les points poste de mon arrondissement, et il m'a été certifié que la pratique était bien celle que je viens de vous décrire. La Poste ne sera donc plus en mesure de rendre, dans les points poste, le service dont bénéficiaient jusqu'à présent les usagers en situation précaire.

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est vous qui avez supprimé le point poste du Gers !

M. André Chassaigne. Je suis atterré de constater l'ignorance du rapporteur sur ce point et, s'il persiste à nier ce qui constitue pourtant une réalité sur le terrain, je le mets au défi de me prouver le contraire de ce que j'affirme, à savoir que le point poste ne remplit pas les mêmes fonctions qu'une poste de plein exercice. C'est tout simplement un mensonge que de laisser croire le contraire.

Troisièmement, il faut améliorer la lisibilité des différents niveaux. Les interventions le montrent, il existe en effet une certaine confusion entre le point de contact qui est uniquement un point poste, le guichet annexe, l'agence postale, l'agence postale communale, le bureau de plein exercice. Dans la mesure où les services rendus ne sont pas similaires, il faut faire précisément le point en la matière. Or la tendance actuelle consiste plutôt à noyer le poisson en parlant de « points de contact ». Pourtant, chacun le sait, point de contact et présence postale ne sont pas synonymes. Il faut en finir avec ce discours falsifié. On ne peut pas continuer à tromper le monde.

Enfin, La Poste dispose actuellement de plusieurs filiales avec participations. Or nous n'en parlons pas. Je peux en citer ici une dizaine : ...

M. Jean Proriol, rapporteur. Il y en a 180 !

M. André Chassaigne. ...Géopost, SF2, Efiposte, Sofipost, SCI immobilière Poste, SCI Réseau, SCI Marenbo, SCI Les Iles, SCI Galilée, SCI Bachelard. Quel sera le devenir de ces filiales dont le capital est détenu à 100 % par La Poste mais cependant avec des capitaux propres ? Nous attendons des explications en la matière.

Décidément, les arguments en faveur du renvoi en commission se multiplient. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Alfred Trassy-Paillogues.

M. Alfred Trassy-Paillogues. Tout ayant déjà été dit par le rapporteur et le ministre, je serai bref. L'autorité de régulation a fait l'objet de critiques récurrentes. On lui reproche notamment de réduire le pouvoir du Gouvernement. Nous considérons, quant à nous, qu'elle permet de mieux connaître les frontières du secteur postal. S'agissant des points poste, je constate que le système fonctionne à la satisfaction générale du public dans ma circonscription. Pour ce qui est du fonds de péréquation, nous estimons qu'il participe largement à l'aménagement du territoire. Parler de fracture territoriale est donc tout à fait excessif. À propos de la concurrence, nous pensons que ce projet de loi crée moins l'ouverture à la concurrence qu'il ne l'organise.

M. François Brottes. Non, c'est l'inverse !

M. Alfred Trassy-Paillogues. Avec ce projet de loi, La Poste aura la possibilité de se développer...

M. Pierre Forgues. Tu parles !

M. Alfred Trassy-Paillogues. ...et de résister aux coups de boutoir des postes concurrentes, notamment allemande et hollandaise, qui ne manqueront pas de venir sur notre territoire.

Ce projet de loi s'efforce d'assurer un meilleur équilibre entre les contraintes de service public que doit assurer La Poste et les conditions de leur prise en charge. Les travaux qui ont été menés au cours des différentes lectures, notamment au sein de notre commission, et auxquels ont participé bon nombre de nos collègues, dont M. Gouriou, prouvent que ce renvoi en commission n'est pas justifié. Le groupe UMP ne le votera donc pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Glavany.

M. Jean Glavany. Pour le groupe socialiste, les raisons militant en faveur du renvoi en commission sont fort nombreuses, au contraire. Comme l'a montré M. Gouriou, il faut en effet procéder à des vérifications et organiser des débats complémentaires.

Le premier point porte sur les service publics. Nous y sommes très attachés pour des raisons politiques de fond.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Nous aussi !

M. Jean Glavany. Il s'agit pour nous de rechercher la cohésion sociale, la cohésion territoriale et l'égalité des chances. Vous considérez, quant à vous, que La Poste est, comme tous les services publics, un archaïsme dont il faut se débarrasser. C'est une divergence politique de fond.

Cette opposition n'est pas seulement théorique. Elle est aussi concrète car les services publics trouvent leur traduction dans des principes de gestion que sont l'égalité d'accès, la péréquation tarifaire, etc. Or vous n'avez de cesse dans ce débat de porter atteinte à ces principes.

Deuxième point, je vous en veux à titre personnel - et je ne dois pas être le seul dans cet hémicycle - de chercher à vous cacher derrière l'Europe alors que nous sommes en plein débat démocratique sur l'avenir de l'Europe. Je le dis à tous ceux qui, au Gouvernement ou ici, utilisent cette expression : « Bruxelles » n'existe pas. Ce sont des politiques qui prennent des décisions à Bruxelles, au nom de compromis.

M. le ministre délégué à l'industrie. En l'occurrence, Bruxelles, c'était vous !

M. Jean Glavany. Parlons-en, monsieur le ministre ! La négociation des directives a effectivement été engagée par la majorité d'avant 1997 et nous l'avons achevée. Et dans la négociation de 2002, le gouvernement de Lionel Jospin, auquel j'ai la fierté d'avoir appartenu, a défendu mordicus, à Bruxelles, le domaine réservé que vous n'avez de cesse, depuis, d'ébrécher alors que rien ne vous y oblige.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Eh oui !

M. Philippe Rouault. Mauvaise foi !

M. Jean Glavany. Non, ce n'est pas de la mauvaise foi. Ce sont des faits !

M. Jean Dionis du Séjour. Vous appelez à voter non au référendum, monsieur Glavany !

M. Jean Glavany. Au contraire, j'appelle à voter oui pour défendre les vrais services publics. Mon discours est parfaitement limpide.

Je dénonce le mauvais procès fait à l'Europe et à cette directive. Ne les utilisez donc pas ! Affichez clairement vos intentions et assumez-les ! Le débat démocratique sera plus clair.

Troisième point, l'aménagement du territoire. Il y a un débat de fond entre les élus ruraux et La Poste. Monsieur le rapporteur, nous avons été choqués par le mépris avec lequel vous avez repoussé ces 6 700 pétitions, qui seraient fondées sur des mensonges. Non, il s'agit de maires et de conseillers municipaux qui n'ont pas tous une présence postale dans leur commune et qui se battent pour retenir La Poste en milieu rural.

Tous partent du constat de la faiblesse de l'activité de certains bureaux de poste.

M. Jean Dionis du Séjour. Ah !

M. Jean Glavany. Cher collègue, nous ne pouvons que déplorer, tous ensemble, qu'il ne passe que deux, trois, quatre, cinq ou dix personnes par jour dans ces bureaux. Vous en déduisez, quant à vous, qu'il faut réduire les horaires d'ouverture. Nous en concluons pour notre part qu'il faut renforcer l'activité de ces bureaux de poste pour que les clients y reviennent.

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous ne l'avez pas fait lorsque vous étiez aux affaires !

M. Jean Glavany. Il y a là une divergence de fond.

Le rapporteur s'est montré très fier d'avoir inauguré le premier point poste, qu'il nous présente comme la solution miracle. Mais, même à Lourdes, on n'oserait pas proposer de pareils miracles !

Sur les 6 700 communes, nous avez-vous dit, monsieur le rapporteur, 600 seulement ont une présence postale. Mais combien, parmi celles-ci, ont un commerce susceptible d'accueillir un point poste ? Dans ma circonscription, on n'atteint sûrement pas 10 %, voire 5 %.

M. André Chassaigne. Bien sûr !

M. Jean Glavany. Donc votre solution miracle sera inopérante dans 95 % des cas. Il ne s'agit par conséquent que d'un effet d'affichage.

Quatrième point justifiant le renvoi en commission, l'amendement scélérat concernant la lettre recommandée dénoncé fort justement par Marylise Lebranchu. Il semble qu'il y ait là un désaccord entre le rapporteur, qui souhaitait que la lettre recommandée reste dans le secteur postal réservé - c'était un des rares points d'accord entre nous -, et M. Estrosi, auteur d'un amendement de dernière minute qui a reçu l'appui du Gouvernement.

J'espère que le renvoi en commission donnera l'occasion au rapporteur de convaincre le Gouvernement qu'il faut revenir sur cette disposition.

Mme Marylise Lebranchu. Très bien !

M. Jean Glavany. Le dernier point porte sur le fonds de péréquation. Allez-vous le créer ? S'agira-t-il d'une création théorique, la création pratique pouvant intervenir ultérieurement par décret en cas de nécessité ? Monsieur le ministre, sachez-le, nous en avons besoin tout de suite !

M. Jean Proriol, rapporteur. Vous faites une confusion avec le fonds de compensation !

M. Jean Glavany. Pas du tout ! Le fonds de compensation est alimenté par les autres opérateurs, cela n'a rien à voir.

M. Jean Proriol, rapporteur. Le fonds de péréquation est créé !

M. Jean Glavany. Il faut approfondir cette question car nous ignorons toujours la date de sa création et son objet. Va-t-il servir à financer des points poste ? J'ai montré que cette solution miracle serait inopérante. Va-t-il au contraire servir à moderniser, et donc à renforcer, le service public de La Poste en milieu rural, comme nous le souhaitons ? Si tel est le cas, nous voulons émarger à ce fonds car nous avons des propositions à faire à La Poste en la matière. Cette question, pourtant très simple, est systématiquement éludée. Nous voulons quant à nous que le fonds de péréquation soit très vite opérationnel pour financer la modernisation de La Poste en milieu rural. Ce point, sur lequel nous sommes très exigeants et qui n'a fait l'objet d'aucune réponse, mériterait un renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Au groupe UDF, nous considérons que le travail en commission a déjà été effectué. Et nous n'avons pas été éblouis par les nouvelles contributions de l'opposition.

M. François Brottes. Pour être ébloui, il faut ouvrir les yeux !

M. Jean Dionis du Séjour. S'agissant de l'aide à la presse, le rapporteur a indiqué que nous étions parvenus à un accord, et le progrès est réel. Pour ce qui est de l'ART, nous estimons précisément que, tant qu'il y a consanguinité entre un État actionnaire et la fonction de régulateur, il faut prévoir un régulateur extérieur à l'État. Quant au fonds de péréquation, nous souhaitons sa mise en place rapide mais surtout pas pour moderniser les bureaux de poste. C'est le problème de l'entreprise, monsieur Glavany.

M. Jean Glavany. Mais La Poste ne fait rien !

M. Jean Dionis du Séjour. Intervenir à ce niveau serait un contresens complet. Concernant le fonds de compensation, enfin, le rapporteur a fait preuve d'une grande plasticité jusqu'à la dernière seconde.

Voilà toutes les raisons pour lesquelles l'UDF ne votera pas cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)

Discussion des articles

M. le président. J'appelle maintenant, dans le texte du Sénat, les articles du projet de loi sur lesquels les deux Assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.

Avant l'article 1er

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 182 portant article additionnel avant l'article 1er.

La parole est à M. André Chassaigne, pour le soutenir.

M. André Chassaigne. Cet amendement vise essentiellement à rappeler les principes fondateurs devant guider l'action de nos services publics. En effet, de changement de statut en privatisation, d'alourdissement des contraintes financières en ouverture du secteur à la concurrence, l'objet social de ces services publics s'étiole petit à petit.

Nous avions des services publics. Vous les videz de leur contenu, les limitez à être des monopoles publics. Et comme vous dites que les monopoles sont dangereux, vous les brisez. Seulement, votre politique contre les monopoles est à géométrie variable, vous n'avez apparemment rien contre les monopoles de la grande distribution...

Le contenu de notre service public doit être ambitieux : objet social, concrétisation des valeurs fondamentales de la République, et notamment du principe d'égalité, contribution à l'affermissement du lien social - François Brottes a ainsi rappelé le rôle fondamental des facteurs à la campagne. Tel est l'esprit qui guide les services publics.

Nous n'avons pas pour autant une forme d'attachement intemporel à des services qui n'évolueraient pas. En respectant les principes fondamentaux de la République, en impliquant les citoyens et les élus locaux dans la gestion, en démocratisant les choix économiques pour des secteurs de base vitaux comme La Poste, les réponses apportées aux besoins peuvent évoluer, mais le service public est maintenu. On ne glisse pas, comme vous le faites, vers une libéralisation progressive, qui sera suivie, contrairement à ce que vous dites, par une privatisation totale dans le cadre de l'ouverture à la concurrence.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean Proriol, rapporteur. La commission n'a pas examiné cet amendement.

Cela dit, monsieur Chassaigne, le texte que vous nous proposez figure déjà dans la loi du 25 juin 1999. Elle prévoit que le service universel postal concourt à la cohésion sociale et au développement équilibré du territoire, qu'il est assuré dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité, en cherchant la meilleure efficacité économique et sociale, et qu'il garantit à tous les usagers, de manière permanente, sur l'ensemble du territoire national, des services postaux répondant aux normes de qualité. Il me semble donc que votre amendement est satisfait.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis que le rapporteur. Il me semble, monsieur Chassaigne, que vous pourriez retirer votre amendement, qui figure déjà dans la loi. Sinon, ce serait un bégaiement.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Il est parfois préférable de bégayer si l'on veut faire passer une idée. Votre prise de position permet en effet de vérifier une fois de plus que la loi n'est pas appliquée.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Vous aurez noté, monsieur le rapporteur, que la précédente majorité avait largement commencé à transposer les directives. Elle s'était attachée à inscrire dans la loi d'aménagement du territoire, dite loi Voynet, les principes fondamentaux de cohésion sociale auxquels nous sommes attachés. Je reconnais avec vous que le texte que propose M. Chassaigne est assez similaire aux dispositions qui figurent dans la loi et que, pour l'instant, vous n'avez pas encore supprimées,...

M. Jean Proriol, rapporteur. Procès d'intention !

M. François Brottes. ...mais il a raison d'être vigilant et de souhaiter que nous y prêtions attention une nouvelle fois.

M. le ministre délégué à l'industrie. Notons-le trois fois, alors !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 182.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 181.

La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le défendre.

M. Frédéric Dutoit. On va enfoncer le clou, car je crois que c'est l'art de la pédagogie.

Dans l'Europe et dans le monde, le bilan de la libéralisation des services publics s'est révélé bien négatif, tant pour les usagers que pour les salariés. Les traits les plus marquants en sont les suppressions massives d'emplois chez les opérateurs historiques, peu compensées par les opérateurs privés, ou remplacées par des emplois très souvent précaires, l'augmentation des prix pour les usagers, aussi bien dans le secteur des télécommunications, de l'électricité, que dans le secteur postal, la liquidation des dispositifs de péréquation mais aussi la situation de faillite de certaines entreprises privatisées.

Face à certaines déconfitures, l'État a dû venir à la rescousse d'opérateurs privés. Faut-il vous rappeler que la société Railtrack, chargée du réseau ferroviaire britannique, privatisée en 1996, a dû être reprise en main et recapitalisée par l'État en raison de son incapacité à financer le dispositif de sécurité dont la carence avait entraîné la perte de dizaines de vies humaines ?

Si de telles insuffisances ne risquent pas de prendre un tour aussi tragique dans le secteur postal, les conséquences en termes de cohésion sociale, d'égalité de traitement entre les usagers et d'aménagement du territoire seront inévitablement négatives en raison de l'étranglement de l'opérateur historique provoqué par la libéralisation du secteur et l'absence d'obligations de service public pour les opérateurs privés. Les exemples suédois, allemand ou néerlandais donnent une idée du scénario qui nous attend. L'effondrement des marchés, illustré notamment par les mésaventures de Vivendi ou d'Alcatel, est une raison supplémentaire pour s'opposer à la prise en main des services publics par les opérateurs privés. Le capital des entreprises chargées d'assurer le service postal aux usagers et aux entreprises sera entre les mains d'actionnaires dont l'objectif est une rentabilité assurée.

Pour toutes ces raisons, nous demandons un rapport détaillé sur les coûts humains, sociaux et environnementaux de la libéralisation du secteur postal.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean Proriol, rapporteur. La commission n'a pas examiné cet amendement.

Je vous rappelle tout de même, monsieur Dutoit, que l'ART est déjà chargée d'établir un rapport chaque année, le 30 juin, qui porte pratiquement sur les mêmes sujets.

À titre personnel, je suis défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.

Ce sont les rapports de la Commission européenne qui sont importants puisqu'ils permettent de comparer les situations nationales, et en particulier la qualité des services dans chaque pays. Ils montrent d'ailleurs que les pays que l'on qualifie généralement de libéraux ont des niveaux élevés de qualité de service et des opérateurs postaux prospères.

De plus, à la suite du Conseil européen du 15 octobre 2001, nous allons passer de cent à cinquante grammes à partir du 1er janvier 2006. C'est après qu'il faudra faire un rapport, pas avant.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. La réponse du rapporteur et celle du ministre sont sensiblement différentes...

M. Jean Proriol, rapporteur. Complémentaires !

M. François Brottes. ...et, personnellement, j'adhère plutôt à celle du ministre. Que l'ART fasse un rapport, une étude d'impact, on sera content du voyage... Elle se contentera de mesurer l'impact sur les nouveaux entrants, la qualité du service lui importera peu. En tout cas, c'est ainsi que nous sommes habitués à la voir agir.

Monsieur le ministre, la Commission européenne s'est engagée, dans le cadre de la directive de 2002, à faire une étude d'impact avant de préconiser des modifications dans le secteur réservé. A-t-elle déjà proposé au Conseil des ministres européens un cahier des charges pour cette étude ?

M. le ministre délégué à l'industrie. La Commission va appliquer la décision prise le 15 octobre 2001 par le gouvernement que vous souteniez.

M. François Brottes. Quand fera-t-elle cette étude d'impact ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Après le 1er janvier 2006.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 181.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 1er

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 1.

La parole est à M. le rapporteur, pour le défendre.

M. Jean Proriol, rapporteur. Cet amendement a pour but d'améliorer la définition des services postaux. Il précise qu'il s'agit de la levée, du tri, de l'acheminement et de la distribution des envois postaux « dans le cadre de tournées régulières » pour que l'on ne confonde pas La Poste avec des entreprises de livraison de colis par exemple.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Favorable.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Sous réserve que cette précision s'applique strictement à la distribution, nous serions plutôt favorables à cette proposition.

M. Jean Proriol, rapporteur. C'est le cas !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je constate que le vote est acquis à l'unanimité.

Je suis saisi d'un amendement n° 63.

La parole est à M. François Brottes, pour le défendre.

M. François Brottes. C'est un amendement très important, qui s'inscrit très directement dans l'application de la directive de 1997. Il est totalement conforme à une initiative européenne que nous soutenons parce qu'elle clarifie ce qu'on entend par distribution.

La dérégulation étant en marche, les gens doivent être sûrs de continuer à recevoir leur courrier chez eux et non dans un point de contact qui se situerait par exemple au chef-lieu de canton. Je crois qu'il faut préciser les choses. Si vous refusiez cet amendement, monsieur le rapporteur, nous serions en droit d'être extrêmement inquiets et de relayer cette inquiétude.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean Proriol, rapporteur. Monsieur Brottes, je vous invite à lire le Journal officiel des Communautés européennes, cela lèvera vos inquiétudes. Il définit la distribution comme le processus allant du tri au centre de distribution jusqu'à la remise des envois postaux au destinataire. Il n'y a pas lieu de le rajouter ici.

Mme Marylise Lebranchu. Pourquoi ?

M. Jean Proriol, rapporteur. La commission a donc rejeté votre amendement.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Je note que M. le rapporteur a une approche sélective de ce qu'il faut reprendre dans notre droit. Il nous propose d'inscrire un certain nombre de dispositions contenues dans la directive mais, pour d'autres, ce n'est pas opportun. Avouez que nous avons tout lieu de considérer qu'il y a anguille sous roche.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Le Gouvernement a le même avis que le rapporteur.

Votre définition, monsieur Brottes, est plus restrictive que celle qui existe. Par exemple, elle ne conviendrait pas pour le traitement de la presse quotidienne régionale, qui livre les journaux déjà triés aux centres de distribution postale. Elle porterait donc atteinte à la liberté de la presse, que vous défendez par ailleurs avec tant de vigueur.

M. le président. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le ministre, la distribution du courrier n'empêche pas La Poste d'accepter de rendre des services différents, dont la distribution de la presse. La prestation offerte par La Poste à la presse relève d'ailleurs d'un autre texte, dont on a parlé souvent.

Si la définition proposée par François Brottes figure dans la directive, rien n'empêche de l'inscrire dans la loi française, au contraire, puisque vous reprenez vous aussi d'autres dispositions.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 63.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 59

La parole est à M. François Brottes, pour le soutenir.

M. François Brottes. La directive de 1997 permettait aux gouvernements des différents États de garantir un tarif unique sur l'ensemble de leur territoire national pour ce qui concerne le service universel. Dès l'instant où l'on fragilise La Poste, ce qui est en train de se passer,...

M. le ministre délégué à l'industrie. Ce n'est pas le cas !

M. François Brottes. ...où le secteur réservé est réduit à la portion congrue et où, de surcroît, les concurrents pourront sans limite pratiquer l'écrémage qu'ils voudront, le chiffre d'affaires captif de La Poste va diminuer. Par là même, la notion de péréquation pourra difficilement être maintenue puisque c'est grâce à ce chiffre d'affaires captif que La Poste peut garantir la péréquation et donc le tarif unique du timbre. Nous souhaitons donc que la loi précise qu'il y aura le même tarif sur l'ensemble du territoire.

Vous allez sûrement me répondre, monsieur le rapporteur, que la loi sur le développement des territoires ruraux prévoit un tarif unique sur l'ensemble du territoire. Vous reconnaîtrez cependant, avec l'honnêteté intellectuelle dont vous faites preuve habituellement, que le prix unique est garanti dans le cadre du secteur réservé. Si secteur réservé il n'y a plus, si les gouvernements européens en décident ainsi lors de la révision de la directive, notre loi ne garantira plus le tarif unique.

Notre amendement est clair : nous voulons garantir à tous nos concitoyens le même tarif sur l'ensemble du territoire national, sans conditions.

Mme Marylise Lebranchu. Très bien !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean Proriol, rapporteur. La commission a rejeté cet amendement.

D'abord, comme vous l'avez reconnu, monsieur Brottes, la loi du 23 février 2005 sur les territoires ruraux prévoit expressément que les services postaux constituant le secteur réservé sont proposés au même tarif de base sur l'ensemble du territoire national.

Par ailleurs, même à l'intérieur du secteur réservé, il n'est pas possible de pratiquer le même tarif pour le courrier égrené des particuliers et pour les envois en nombre des entreprises. Vous le savez bien puisque, de temps en temps, les municipalités envoient ce genre de courrier.

M. François Brottes. Ce n'est pas le sujet !

M. Jean Proriol, rapporteur. Votre amendement briderait l'usage d'une pratique qui est économiquement intéressante pour un certain nombre de personnes, voire d'organismes.

M. André Chassaigne. Cela n'a rien à voir !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Reprenez-vous, monsieur le rapporteur ! Il ne s'agit pas d'imposer le même tarif pour l'ensemble des produits et services de La Poste. Nous voulons qu'à produit ou à service équivalent, de Lille à Marseille, en passant par la Corrèze ou l'Alsace, le même tarif soit pratiqué, quel que soit le périmètre du secteur réservé. Or il y a une condition restrictive qui, de fait, ne garantit pas que le prix unique puisse être maintenu sur l'ensemble du territoire national, quoi qu'il arrive.

C'est un point très important, parce que c'est cela dont on parle avec les Français, c'est cela que l'on doit garantir dans nos villes, dans nos campagnes, dans nos montagnes. Il faut pouvoir leur dire que ce texte, certes dérégulateur, leur apporte la garantie que, quel que soit l'endroit où ils habitent, le prix du timbre sera le même. Sinon, ce n'est pas la peine de raconter des histoires sur la cohésion sociale, sur je ne sais quelle égalité d'accès au service public. Ce sont alors des pans entiers qui seront par terre et la désillusion sera au rendez-vous, mais ce serait un aveu.

Par cet amendement, nous vous offrons la possibilité de vous rattraper pour qu'il n'y ait plus d'ambiguïté. Si l'ambiguïté est maintenue, c'est que nous avions raison de donner l'alerte.

M. Jean Proriol, rapporteur. Ce raisonnement est totalement faux !

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Franchement, monsieur le rapporteur, vous ne pouvez pas botter en touche avec des arguments fallacieux, en mélangeant les torchons et les serviettes. Personne ne demande que l'ensemble des services soient payés au même tarif. Nous voulons qu'à service égal, il y ait une péréquation tarifaire sur l'ensemble du territoire, c'est-à-dire que les tarifs soient les mêmes que l'on habite au fin fond de la Haute-Loire ou en plein centre de Paris.

Si l'on est tous d'accord sur cette volonté, il faut évidemment adopter cet amendement, il faut l'inscrire dans la loi sans essayer de bricoler avec des explications qui ne tiennent pas la route. Si vous êtes contre le tarif unique sur l'ensemble du territoire, dites-le nettement, mais n'utilisez pas d'artifices.

M. Jean Proriol, rapporteur. L'amendement est satisfait ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 59.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 56, 183 et 2 rectifié, pouvant faire l'objet d'une discussion commune.

Les amendements nos 56 et 183 sont identiques.

La parole est à M. Alain Gouriou, pour soutenir l'amendement n° 56.

M. Alain Gouriou. Nous proposons d'insérer, après le troisième alinéa de l'article L. 1, les mots suivants : « Le service de distribution est effectué au domicile de chaque personne physique ou morale ou dans des installations appropriées à la demande du destinataire. »

La directive européenne 97/67/CE prévoit une levée et une distribution au domicile de chaque personne physique ou morale. La transposition de cette directive dans notre droit interne n'a pas précisé cette disposition. Il convient de remédier à cet oubli.

Il nous faut obtenir la garantie que chaque objet de correspondance puisse être remis en propre au domicile de la personne physique ou morale et non dans un autre lieu, par dérogation, comme le proposera le rapporteur un peu plus loin. En d'autres termes, nous considérons qu'il n'y a pas de dérogation possible au principe de remise de l'objet de correspondance au destinataire.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour défendre l'amendement n° 183.

M. Frédéric Dutoit. Notre amendement vise à donner un contenu concret au principe d'égalité de traitement des usagers, constitutif des services publics et reconnu comme tel par le Conseil d'État. Il met aussi en œuvre des consignes communautaires. Nous vous avons connu plus prompt, monsieur le ministre, à les respecter scrupuleusement. Un oubli sans doute de votre part ? Je crains malheureusement que non puisque, une fois de plus, vous cherchez par tous les moyens à réduire la présence postale, ne considérant celle-ci que sous l'angle de son coût financier.

Vous faites ainsi une double erreur. D'abord, l'existence d'un réseau dense est un atout considérable pour La Poste. Elle lui permet une large collecte de l'épargne populaire qui contribue à alimenter la bonne santé économique de l'entreprise. Par ailleurs et surtout, cette présence de La Poste au plus près des populations fait d'elle un service public fort qui alimente le lien social. Il est vrai que ce mot n'éveille pas chez vous beaucoup de résonance. Pourtant, dans certaines contrées très difficiles d'accès, quand les personnes âgées ne peuvent plus se déplacer, le facteur assure une visite quotidienne. N'aviez-vous pas déclaré, au moment de la canicule, vouloir venir en aide à ces personnes ?

On l'aura compris, votre volonté de diminuer les emplois publics et de restreindre au strict minimum le service public prime sur les considérations d'ordre social. C'est pourquoi nous vous avons proposé cet amendement.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 2 rectifié et donner l'avis de la commission sur les amendements nos 56 et 183.

M. Jean Proriol, rapporteur. La commission a rejeté l'amendement n° 56. Elle n'a pas examiné l'amendement n° 183.

Je propose un amendement qui est très voisin de celui de mes collègues mais qui introduit une possibilité de dérogation, prévue par la directive à l'article 3, dans des conditions déterminées par décret. Il doit pouvoir y avoir des distributions différentes, mais le principe général, je le confirme, c'est une distribution au domicile de chaque personne physique ou morale.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces trois amendements ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Le Gouvernement préfère l'amendement du rapporteur car la référence que font les deux autres à la directive est tronquée. Ils ne prévoient pas de dérogation, si bien qu'ils écartent les boîtes postales et les postes restantes. Or c'est un choix que peuvent faire les utilisateurs et qu'il convient de préserver. Seul l'amendement du rapporteur transpose la totalité de la directive.

M. le président. La parole est à M. Alain Gouriou.

M. Alain Gouriou. Monsieur le rapporteur, on pourrait accepter une dérogation introduite en accord avec le destinataire, mais, à partir du moment où, par dérogation, vous imposez un lieu par décret, cela signifie que le courrier peut être déposé en un endroit relativement distant du domicile du destinataire. Or, comme le soulignait M. Dutoit à l'instant, le contact avec le facteur est un élément important pour un certain nombre de personnes. On voit parfois en milieu rural des groupements de boîtes aux lettres, quinze, vingt, vingt-cinq, qui assurent la desserte d'un certain nombre d'« écarts », comme on dit. Il nous paraît normal que les préposés de La Poste joignent réellement les destinataires.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. C'est juste, et il n'y a aucune raison, monsieur le ministre, de ne pas l'inscrire dans la loi. Je pense vraiment que vous faites preuve de mauvaise volonté.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Il faut arrêter de vouloir nous faire prendre des vessies pour des lanternes. La directive de 1997, qui a été voulue par la gauche et qui est invoquée dans les deux amendements, dit textuellement : « ou, par dérogation, dans des conditions déterminées par l'autorité réglementaire nationale, dans des installations appropriées ». La directive, vous la voulez ou vous ne la voulez pas ?

Mme Marylise Lebranchu. Raisonnement fallacieux !

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Monsieur le ministre, vous avez raison de nous renvoyer à la directive. Il faut en dire quelques mots.

Tout à l'heure, vous avez jugé un de nos amendements irrecevable parce qu'il incluait le tri et que cela écartait la presse. Le tri ne figure pas dans cet amendement. C'est donc un argument que vous ne pouvez plus utiliser. D'ailleurs vous ne l'avez pas utilisé.

M. le ministre délégué à l'industrie. Alors ?

M. François Brottes. Notre amendement vise des installations appropriées, qu'évoque d'ailleurs la directive. Les boîtes postales, par exemple, ne sont pas exclues.

Enfin, si la directive permet une dérogation, elle ne l'impose pas. Les États font ce qu'ils veulent, il n'y a aucune obligation.

Bref, notre amendement est un amendement assez large qui permet les boîtes postales et les installations appropriées. Parler de dérogation laisse un champ extrêmement ouvert, à moins que vous ne nous expliquiez, monsieur le rapporteur, ce que l'on entend par dérogation. Donnez-nous quelques exemples de ces conditions qui seront déterminées par décret, de façon qu'on sache en confiance et dans la transparence ce qu'il y a derrière cette notion de dérogation.

M. le ministre délégué à l'industrie. On a besoin de souplesse !

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 56 et 183.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Monsieur le président, je souhaite une brève suspension de séance, au nom de mon groupe.

M. le président. La suspension est de droit.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à minuit, est reprise le mercredi 13 avril 2005 à zéro heure dix.)

M. le président. La séance est reprise.

Mes chers collègues, je vous propose de poursuivre ce soir l'examen du projet de loi jusqu'à l'amendement n° 3 de la commission.

Je suis saisi d'un amendement n° 192.

La parole est à M. André Chassaigne, pour le soutenir.

M. André Chassaigne. Cet amendement très important vise à préserver la coexistence des différents réseaux qui constituent la spécificité de La Poste.

La Poste dispose en effet d'un réseau de relevage, de tri et de distribution de courrier et de colis qui couvre l'ensemble du pays. Elle dispose aussi, parallèlement, d'un réseau de guichets qui mutualise les coûts d'accueil du public en distribuant des produits financiers et des produits postaux. Ce réseau est en outre complémentaire du réseau de distribution du courrier, les bureaux de poste assurant le retrait des courriers non remis lors des tournées de distribution ainsi qu'une partie de la collecte du courrier et, surtout, des colis.

Cette activité permet également une mutualisation des coûts avec celui de l'activité financière des bureaux de poste. En cela, l'existence de réseaux de courrier et de bureaux de poste est l'un des piliers de l'aménagement du territoire.

La Poste est souvent l'un des derniers services publics présents dans les communes rurales. Monsieur le ministre, puisque vous vous plaisez à répéter que vous aimez La Poste - ce qui est d'ailleurs très justifié -, il vous faut veiller, si votre intention est de la moderniser, à ce que le nombre des guichets de plein exercice reste suffisant et que l'équilibre d'ensemble du réseau et de ses différentes complémentarités soit maintenu, si l'on ne veut pas voir baisser la qualité du service public.

L'amendement n° 192 a donc pour objectif de rappeler l'utilité des réseaux et leur complémentarité. De ce fait, et compte tenu de sa rédaction assez consensuelle, son adoption ne devrait pas soulever de difficultés.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean Proriol, rapporteur. Cet amendement n'a pas été examiné par la commission ; à titre personnel j'y suis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Défavorable également.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. J'espère, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que vous n'exprimez pas ainsi un avis défavorable à l'unicité du réseau de La Poste, c'est-à-dire au fait que les trois activités que vient d'évoquer notre collègue ne sont pas exclusives ou séparables les unes des autres. C'est extrêmement important, monsieur le rapporteur, de réaffirmer ce principe. Vous pouvez considérer que cet amendement est inutile parce qu'il va de soi ; encore faudrait-il que vous-même et le ministre nous le précisiez. L'actuel président de La Poste a eu, comme je l'ai dit en première lecture, le mérite de reconnaître que le réseau de La Poste était un secteur à part entière de l'activité de cette belle entreprise publique. Or ce qui fait la force de ce réseau c'est l'union des activités qu'il propose. Supposons - hypothèse farfelue, mauvais procès, me direz-vous - que vous soyez tentés par une privatisation « par appartements » des différentes activités de La Poste : on comprendrait alors que vous préfériez ne pas voter ce type de disposition, qui pourrait constituer un obstacle à une telle privatisation. Si tel n'est pas le cas, autant le dire : la précision n'est pas superflue.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Proriol, rapporteur. Votre demande est facile à satisfaire, monsieur Brottes : je vous renvoie à l'article 2 de la loi du 3 juillet 1990, qui fait le lien entre les trois activités de La Poste. Seul un projet de loi contraire pourrait attenter à cette unité.

M. Frédéric Dutoit. C'est celui-là précisément !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 192.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 187.

La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le soutenir.

M. Frédéric Dutoit. Je regrette, monsieur le rapporteur, que la commission n'ait pas examiné ces amendements, qui avaient pourtant été déposés en temps et en heure, ce qui fait qu'elle avait tout le temps de les examiner.

En ce qui concerne plus précisément l'amendement n° 187, je voudrais rappeler que la Commission européenne tient beaucoup au principe de concurrence. On peut s'interroger sur sa compatibilité avec l'idée de service public. On peut imaginer qu'on impose aux entrants les mêmes contraintes de service public que celles que nous voulons voir conservées pour La Poste, puisque notre attachement va plus au service public qu'à La Poste en tant que telle. On verra alors si la conciliation est possible entre la concurrence sur un marché de réseaux et le respect des valeurs du service public, rappelées dans cet amendement. On verra si cette conciliation est possible entre ce que vous appelez l'« efficacité » de la gestion privée et l'aménagement du territoire dans le respect du principe d'égalité.

Si cela est possible, nous serons rassurés : nous serons convaincus que les entrants ne viennent pas en France pour capter des segments de marché hyperlucratifs en laissant dépérir l'opérateur historique, privé de ses activités rentables, comme c'est arrivé en Suède. Nous aurons la preuve que ces concurrents viendront sur ce marché parce qu'ils aiment distribuer le courrier.

En acceptant cet amendement, vous prouveriez que votre zèle à privatiser La Poste ne vise pas à offrir à des requins, des multinationales sans foi ni loi, affamées de dividendes, des pans entiers de notre patrimoine national, mais qu'il vise surtout à permettre à tous ceux qui aiment distribuer le courrier, de façon indépendante, de pouvoir le faire.

M. le ministre délégué à l'industrie. Plus personne ne parle comme cela !

M. Frédéric Dutoit. Vous avez un malaise, monsieur le ministre ?

II est certain que ces personnes seront nombreuses à frapper à la porte. Le précédent des télécommunications le montre bien. La meilleure preuve en est que le ministère de l'industrie a lancé, le 25 novembre 2004, dans le respect des règles de concurrence, un appel à candidatures pour le service universel des télécommunications, jusque-là assuré par l'opérateur historique France Télécom. Il s'agit là seulement de service universel, et donc d'un service public au rabais.

Ce service, qui s'étend sur l'ensemble du territoire, a été divisé en trois lots : le raccordement à un service téléphonique fixe de qualité à un prix abordable, comprenant des abonnements sociaux, l'accès à des cabines téléphoniques sur le domaine public et un service de renseignement et d'annuaire. Le coût de ce service universel était estimé par l'ART à 125 millions d'euros.

Bien évidemment, les candidats pour assurer ce service universel se sont bousculés au portillon. Une entreprise s'est porté candidate pour ces trois lots, en demandant d'ailleurs une forte hausse de ces tarifs : l'opérateur historique, comme par hasard. Nous avons là la preuve que les entreprises privées se battent pour défendre les valeurs du service public !

L'appétit rapace des entreprises du courrier ne nous intéresse pas. Il faut affirmer la nécessité d'exiger de chaque opérateur le respect des valeurs du service public. On ne peut pas accepter une ouverture à la concurrence qui ne vise qu'à permettre à des multinationales de se faire du fric sur le dos des Français et des postiers.

Je serais même tenté d'affirmer, monsieur le ministre, que le respect du dogme de la libre concurrence qui est le vôtre vous impose d'approuver cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean Proriol, rapporteur. Cet amendement n'a pas été examiné par la commission à l'occasion de cette seconde lecture. Elle l'avait en revanche rejeté en première lecture, car il est satisfait par l'article L. 3-2 du code des postes et télécommunications, qui impose ce type d'exigence essentiel.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Le Gouvernement n'a pas faim de cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 187.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 72.

La parole est à M. François Brottes, pour le soutenir.

M. François Brottes. Cet amendement ne devrait pas poser de problème puisque, pour reprendre une formule dont vous êtes friand, monsieur le rapporteur, il reprend les termes de la directive. Comme vous m'avez servi cet argument à plusieurs reprises depuis le début de ce débat, j'imagine que vous aurez à cœur d'être respectueux de vos propres principes.

Ce texte parle à plusieurs reprises du « réseau de La Poste » : il serait utile d'en définir les contours. Si vous refusiez de le faire, cela voudrait dire que vous ne partagez pas la conception de la directive, et vous devriez dans ce cas vous en expliquer. Mais comme je me refuse à vous faire ce procès d'intention, j'aimerais que vous nous disiez ce qu'on entend par « réseau postal public ».

Nous proposons une définition par cet amendement. Il est de votre rôle et de votre compétence de l'améliorer si elle ne vous satisfait pas : nous sommes à l'écoute de vos propositions.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean Proriol, rapporteur. La commission a rejeté cet amendement, qui ne reprend pas la directive, que vous avez mal citée. La commission a considéré que cet amendement était mal rédigé.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Je précise que cette modification de l'article L. 2 va à l'encontre de l'un des principaux objectifs de ce texte, qui est d'identifier les missions de service universel et de les distinguer des autres missions exercées par La Poste, notamment de ses obligations en matière d'aménagement du territoire. Dans l'état actuel du droit postal, par exemple dans le cahier des charges de La Poste, le terme « réseau postal » désigne uniquement des points de contact de La Poste, à l'exclusion de l'appareil de distribution. Vous avez donc parfaitement raison, monsieur le rapporteur : cet amendement est mal rédigé. Vous voyez, monsieur Brottes, que nous nous expliquons !

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Je veux d'abord vous remercier de cette précision, monsieur le ministre. Puisque nous sommes là pour éclairer le texte, j'aimerais savoir où commencent et où finissent les points de contacts de La Poste que vous venez d'évoquer. J'imagine qu'un bureau de Poste constitue un tel point de contact. Mais qu'en est-il d'une agence postale communale ? Fait-elle partie de ce réseau postal ? Le commerçant qui pourra désormais être un point de contact fera-t-il partie du réseau des points de contact de La Poste ? Ma question est précise : j'espère, monsieur le ministre, que la réponse le sera tout autant.

M. le ministre délégué à l'industrie. Les textes sont à votre disposition.

M. François Brottes. Pardonnez-moi d'insister, car il s'agit d'une question très importante, même si je comprends que vous souhaitiez un peu de temps pour pouvoir apporter cette précision. Nous devons savoir exactement quel est le périmètre des points de contact du réseau postal.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 72.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 73.

La parole est à M. Alain Gouriou, pour le soutenir.

M. Alain Gouriou. Cette question a été évoquée au cours de la discussion générale et de la défense des motions de procédure. Il nous paraît important de préciser une fois pour toutes ce qu'on entend par « point de contact de La Poste ». On a évoqué - à l'instant encore - certaines formes que pourra prendre la présence de La Poste : points Poste, agences communales, agences de La Poste, bureaux de plein exercice, etc. Au moment où vont s'engager des négociations au sein des commissions départementales de la présence postale - certaines ont déjà commencé -, il nous paraît indispensable que ces discussions soient fondées sur des définitions précises, de manière qu'il n'y ait pas d'ambiguïté ou d'équivoque, chez les élus pas plus que de la part de la direction de La Poste.

Voilà pourquoi nous proposons cette définition très précise : « on entend par point de contact de La Poste la présence postale territoriale qui concourt à l'exécution du service universel - c'est clair -, et notamment des services postaux, et propose, dans les domaines bancaire - c'est l'un des métiers de La Poste -, financier et des assurances, des produits et des services au plus grand nombre. Cette présence postale est assurée dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité du service - ce sont les formules mêmes que vous avez utilisées, monsieur le ministre -. Les personnes en charge de ce service, intégrées au réseau de l'opérateur du service universel, sont astreintes à un devoir de réserve et de neutralité ». Vous vous souvenez que nous avions insisté sur l'exigence de confidentialité, qui devait s'imposer à tous les points de contact de La Poste, en particulier aux points poste.

Il nous semble que cette définition contribuera à la clarté des négociations futures.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean Proriol, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable. La notion de présence postale relève de la loi du 2 juillet 1990, et non du code des postes et télécommunications. Les principes qui sont évoqués ici sont d'ailleurs redondants avec ceux mentionnés à l'article 2 de cette loi, qui fait l'objet d'une rédaction améliorée à l'article 8 du projet de loi. Chaque activité de La Poste est régie par les textes la concernant. Je vous renvoie à l'article L. 1 du code des postes et télécommunications pour les services postaux, et à l'article L. 518- 25 du code monétaire et financier pour les services financiers.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis. Je conteste l'idée qu'exprime cet amendement, à savoir que les points de contact organisés en partenariat avec les mairies, les commerces pluriactifs ruraux ou d'autres services publics ne participent en rien au service public. Je pense au contraire que l'éventail actuel des formes de présence postale doit être élargi, dans l'objectif d'assurer une meilleure accessibilité de l'offre de services.

J'ajoute que cet amendement est une véritable régression, puisqu'il condamne le dispositif qui a été institué par la loi Voynet en excluant du service public les agences postales communales.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Mais non !

M. le ministre délégué à l'industrie. Bien sûr que si !

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Nous préférons, monsieur le ministre, que vous vous exprimiez plutôt que vous ne vous exprimiez pas, même si vous avez droit au silence, comme chacun d'entre nous ici. Il est vrai qu'il vaut mieux parfois ne rien dire que dire des inexactitudes.

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est bien ce que fait votre amendement !

M. François Brottes. Je visais votre absence de réponse à notre interrogation à propos de la définition du périmètre du réseau postal public.

Alors que vous ne nous avez pas répondu tout à l'heure, vous nous reprochez maintenant de vouloir préciser ce qu'est un point de contact, et d'oser imaginer que ce point de contact ne puisse pas accomplir des missions de service public. Mais pourquoi alors ne pas nous avoir répondu que tous les points de contact, y compris les agences communales postales et les commerçants faisaient partie intégrante du réseau public postal ? Nous aurions peut-être dans ce cas retiré notre amendement, qui aurait été effectivement redondant face à une si grande précision. Mais comme vous ne nous avez apporté aucune précision, nous attendions de cet amendement qu'il soit pour vous l'occasion de nous éclairer. On avance donc un peu !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 73.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 3.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Jean Proriol, rapporteur. Cet amendement déplace à la fin de l'article L. 2 le décret définissant les caractéristiques du service universel, en l'élargissant à l'ensemble des dispositions du cahier des charges de La Poste, qui vont disparaître de celui-ci aux termes de l'article 17 du projet de loi. Il s'agit d'un amendement de transfert, typiquement rédactionnel.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Aujourd'hui, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, n° 2224, relatif aux assistants maternels et aux assistants familiaux :

Rapport, n° 2230, de Mme Muriel Marland-Militello au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 13 avril 2005, à zéro heure trente.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot