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Cahier annexe : articles, amendements, autres annexes
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Première séance du mercredi 15 juin 2005

226e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE ÉTRANGÈRE

M. le président. Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à une délégation de l'Assemblée nationale gabonaise, conduite par son Président, M. Guy Nzouba-Ndama. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

    2

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT
SUR LE CONSEIL EUROPÉEN
ET DÉBAT SUR CETTE DÉCLARATION

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur le Conseil européen et le débat sur cette déclaration, organisés en vertu de l'article 132 de notre règlement.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, les crises ne sont pas nouvelles en Europe. Elles ont rythmé la vie des institutions européennes depuis leur création.

C'est naturel : un projet politique de cette envergure ne peut grandir qu'en franchissant une à une des étapes difficiles. Le succès est à ce prix : la mise en place de la monnaie unique ou notre capacité à garantir la paix dans les Balkans en sont deux témoignages exemplaires.

L'Europe n'est jamais donnée : c'est le fruit d'un compromis entre des États liés par l'histoire et par la volonté, mais qui ne partagent pas toujours les mêmes intérêts ni la même vision. Elle se construit sur la base d'accords et de traités qui engagent chacun de ses États membres. Elle est un destin négocié et voulu.

Au cours des dernières années, nous avons tenté de franchir trois étapes : l'étape de l'élargissement, l'étape de la réforme des institutions et l'étape des valeurs de l'Europe.

Au regard des bouleversements historiques qu'a connus le continent européen depuis la chute du mur de Berlin, l'ambition était légitime. Au début des années quatre-vingt-dix, les peuples décidaient de leur destin. Ils affirmaient leur volonté de vivre ensemble dans un continent unifié, démocratique et en paix. Il était de notre devoir de répondre à leurs attentes en repoussant les frontières vers l'Est.

Cette réalité exigeait de doter l'Union européenne de nouvelles règles de fonctionnement : à vingt-cinq, nous ne pouvions continuer à travailler sur la base des mêmes textes. Nous avions besoin de dégager plus facilement des majorités et de prévoir des dispositifs appropriés pour permettre aux États qui l'auraient souhaité d'aller plus loin.

Enfin, chacun mesurait que le nouvel ensemble européen devait entrer dans l'âge politique en définissant un corps de valeurs cohérent : la Charte des droits fondamentaux.

Toutes ces étapes ont trouvé leur aboutissement dans le projet de Traité constitutionnel soumis le 29 mai dernier à référendum. Ce projet a été rejeté, ce qui doit nous conduire à répondre rapidement aux interrogations des Français, en veillant à préserver l'unité européenne.

Le Conseil européen est le premier rendez-vous. Deux questions sont à l'ordre du jour : les perspectives financières et l'avenir du processus de ratification du Traité. Sur chacun de ces sujets, je voudrais vous faire part de la position qui sera défendue par la France.

Aux difficultés politiques, nous ne devons pas ajouter une crise financière. Nous soutenons donc tous les efforts de la présidence luxembourgeoise en vue d'un accord sur les perspectives financières lors du Conseil européen tout en estimant que pour parvenir à un accord raisonnable et équitable, chacun doit faire une part du chemin.

Dans cette négociation, comme l'a rappelé le Président de la République, nous défendons quatre principes.

Premier principe : le respect de la discipline budgétaire, qui s'impose à tous.

Deuxième principe : la solidarité, qui doit permettre de financer la modernisation et le décollage économique des nouveaux membres dans l'intérêt de chacun.

Troisième principe : le respect des engagements. En octobre 2002, nous avons adopté une décision qui garantit le financement de la politique agricole commune jusqu'en 2013. C'est un acquis majeur pour nos agriculteurs, sur lequel personne ne saurait revenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Quatrième principe : l'équité. Chacun doit contribuer à l'effort européen à hauteur de ses moyens. Le Royaume-Uni, notamment, doit prendre toute sa part au financement de l'Europe élargie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Sur la base de ces principes, je souhaite que nous parvenions à un accord satisfaisant pour tous.

La deuxième question qui sera abordée à partir de demain à Bruxelles est l'avenir du projet de Traité constitutionnel. (« Il n'y a plus d'avenir ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Le peuple a dit non !

M. le Premier ministre. Douze pays se sont déjà prononcés, dont trois par référendum. L'Espagne a largement dit oui, la France et les Pays-Bas ont dit non. Treize pays doivent encore rendre leur décision, dont certains ont déjà annoncé le report ou la suspension de leur procédure.

Partant de ce constat, le premier choix porte sur la procédure à suivre : faut-il interrompre le processus de ratification ou le poursuivre ? La France s'est déjà prononcée. Il appartient désormais à chaque État de s'exprimer à son tour suivant les modalités qu'il aura choisies. C'est le respect de la démocratie. C'est aussi le signe le plus clair de notre volonté de préserver l'unité européenne et l'expression de chacun.

Au-delà du Conseil européen, des questions importantes se posent auxquelles nous ne pouvons pas aujourd'hui apporter toutes les réponses. Devant la représentation nationale, je ne veux cependant rien éluder des difficultés et des choix qui se présenteront à nous dans un avenir proche. Nous, Français, qui avons répondu non au projet de texte, nous portons une exigence particulière de vérité et de lucidité. Aujourd'hui, j'ouvre le débat avec vous.

M. Maxime Gremetz. On a bien fait de voter non !

M. le Premier ministre. La première question est celle des institutions. À vingt-cinq, nous devons inventer de nouvelles règles de fonctionnement. En rester au compromis de Nice ne peut pas être une solution durable. Très vite, nous nous heurterons à des difficultés majeures dans la prise de décision et dans la définition des grandes orientations de l'Union. J'ajoute que ce n'est pas l'intérêt de notre pays.

Un travail considérable a été accompli sur ce sujet au cours de ces dernières années. Il doit contribuer à éclairer notre réflexion.

La deuxième question est celle du modèle économique et social européen. La Charte des droits fondamentaux fixe un certain nombre de principes essentiels auxquels la France est particulièrement attachée : je pense à la défense des services publics (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), au respect de l'égalité hommes-femmes, à la reconnaissance de la diversité culturelle ou au rejet de toute forme de discrimination.

M. Maxime Gremetz. Il n'est plus temps de faire campagne !

M. le Premier ministre. Mais les Françaises et les Français n'y ont pas trouvé les réponses suffisantes à leurs interrogations sur le modèle de développement économique et social que nous leur proposons. L'Europe est-elle d'inspiration purement libérale, comme le craignent certains ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Doit-elle renforcer sa dimension sociale ? En France comme en Europe, je crois que la vérité est plutôt dans le dépassement de ce clivage, dans la fidélité à un héritage universaliste et humaniste. L'exigence d'initiative n'est pas contradictoire avec le besoin de solidarité. Elle est même complémentaire.

L'insatisfaction qui s'est exprimée dans le non européen ne porte donc pas la marque d'une résignation.

M. Jacques Desallangre. Non ! C'est un acte de résistance !

M. le Premier ministre. Elle exprime au contraire une certaine ambition européenne. (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Pour y répondre, il faudra rapidement avancer des propositions concrètes. (« Ah ! » sur les mêmes bancs.) Nous le ferons en étroite concertation avec nos partenaires, en particulier avec l'Allemagne, car nos deux pays doivent continuer à coopérer étroitement au service du projet européen.

Renforcer la politique sociale, c'est un premier défi à la hauteur des enjeux. La mise en œuvre sans délai de la clause sociale horizontale sera un moyen d'affirmer notre volonté d'avancer dans cette voie : aucun texte ne pourra être adopté sans que ses incidences dans le domaine social n'aient été évaluées et publiquement présentées.

Coordonner les politiques budgétaires et économiques au sein de l'Eurogroupe constitue un autre défi majeur : nous devons être plus forts, plus confiants dans nos capacités à fixer de grandes orientations économiques pour notre continent.

Revenir à la préférence européenne, qui a toujours été au cœur de notre projet commun, est une troisième orientation fondamentale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Pourquoi abandonnerions-nous aujourd'hui un principe fondateur qui est plus utile que jamais et que nos concurrents américains ou asiatiques appliquent largement ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Pourquoi hésiterions-nous à défendre nos intérêts dans le respect de nos engagements internationaux ?

Développer les outils de l'innovation et de la connaissance grâce à des budgets de recherche conformes à la stratégie de Lisbonne et à de grands projets industriels communs, c'est enfin une voie d'avenir qui touche à l'essence même du génie européen : génie de savoir, génie de curiosité, génie d'ouverture au bénéfice de tous.

La troisième question est celle de l'élargissement. Nous savons tous que la rapidité de l'élargissement, si elle a répondu à un véritable impératif historique, n'en a pas moins heurté beaucoup de nos concitoyens. Ce sentiment s'est exprimé le 29 mai : nous devons en tenir compte.

Les Françaises et les Français veulent savoir dans quelle Europe ils construiront leur avenir et quelles seront ses frontières.

M. Maxime Gremetz. C'est juste !

M. le Premier ministre. Pour répondre à leurs questions, nous devons en priorité apprendre à mieux nous connaître et approfondir les relations avec les nouveaux États membres. Les engagements pris à l'égard de la Bulgarie et de la Roumanie seront tenus, en veillant avec une attention particulière au respect des critères fixés. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mais, au-delà, nous devons certainement ouvrir une réflexion avec nos partenaires, dans le respect de nos engagements, sur les modalités des élargissements futurs. (« Ah ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

En l'absence d'institutions adaptées pour faire fonctionner une Europe élargie, la question du lien entre élargissement et approfondissement est désormais posée. Il appartiendra aux Européens d'en tirer ensemble les leçons au cours des prochains mois. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Les progrès de la construction européenne seront d'autant mieux acceptés qu'ils auront été compris par tous nos concitoyens et qu'ils se les seront appropriés.

L'association plus étroite des parlements nationaux à la prise de décision européenne me semble donc une priorité. Vous savez que l'article 88-4 de la Constitution fait obligation au Gouvernement de transmettre au Parlement toute proposition d'acte qui relèverait du domaine de la loi au sens national du terme. À l'entrée en vigueur du traité constitutionnel, il était prévu que ce dispositif soit élargi à toute proposition d'acte relevant du domaine de la loi au sens européen du terme. Je prendrai les dispositions nécessaires pour que cette clause soit appliquée dans les meilleurs délais.

Au-delà, toutes les Françaises et tous les Français doivent être mieux associés aux décisions européennes et à leur préparation. Je m'y emploierai.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le vote du 29 mai a fixé une double exigence : défendre les intérêts de notre pays en prenant en compte les inquiétudes et les aspirations des Françaises et des Français, défendre l'unité et le rassemblement des Européens. J'en tiendrai le plus grand compte.

Le débat référendaire a été un premier pas dans la voie d'une réappropriation de l'Europe par chacun de nos compatriotes. Il doit être poursuivi à l'échelle européenne pour tenir compte des attentes de tous les peuples. La France veut faire entendre sa voix et défendre une vision exigeante de l'Europe. Le Président de la République le fera bien sûr au prochain Conseil européen, mais aussi à l'occasion de tous les rendez-vous qui permettront la réconciliation de l'Europe et du citoyen. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, le groupe socialiste a demandé ce débat. Nous l'avons obtenu, et je m'en félicite, car c'était la moindre des choses. Je regrette cependant que, dans une grande démocratie comme la nôtre, ce débat se déroule à la va-vite et sans vote alors qu'il s'agit d'un événement considérable.

Mes chers collègues, le référendum du 29 mai a été un séisme. Reconnaissons-le tous. Mais le Gouvernement n'a qu'une heure à lui consacrer. Quelle légèreté devant l'histoire !

M. Marc Laffineur. Ce propos est nul !

M. Jean-Marc Ayrault. Pour la première fois, en effet, la France a dit non à un traité européen. Pour la première fois, elle a pris le risque de donner un coup d'arrêt à l'Union européenne (« Non ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) en rejetant sa première tentative concrète de se doter d'une armature politique.

M. Jean-Claude Thomas. C'est de la faute de Fabius !

M. Jean-Marc Ayrault. Je le regrette parce que je reste profondément convaincu que cette Constitution était une étape refondatrice pour l'Europe et un progrès pour ses peuples. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

J'assume le oui de combat qu'a défendu le parti socialiste.

Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Quel parti socialiste ?

M. Jean-Marc Ayrault. Malgré l'exaspération que provoquait la politique du pouvoir, malgré la déception qu'engendraient les insuffisances réelles de l'Europe, nous avions la conviction que la nouvelle architecture institutionnelle, la charte des droits fondamentaux, la reconnaissance du modèle d'économie sociale de marché consolidaient le projet européen et offraient la meilleure réponse à la mondialisation.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault. Mais il serait vain et pour le moins injurieux à l'égard de nos compatriotes de contester leur décision,...

M. Maxime Gremetz. Encore heureux !

M. Jean-Marc Ayrault. ...de l'imputer à je ne sais quelle méconnaissance d'un texte trop compliqué ou trop touffu. Les Français ont tranché en toute connaissance de cause (« Ah ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), après un débat de haute tenue qui a mobilisé la France et l'Europe, et honoré notre démocratie,

Mais, mes chers collègues, le refus du peuple français vient de loin. De l'incurie du pouvoir bien sûr (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), mais aussi de l'Europe elle-même, de son manque de réponse à la montée des insécurités économiques et sociales. Ceux qui ont toujours combattu l'Europe, les forces qui n'ont jamais voté un seul traité, ont trouvé là matière à leurs thèses.

M. Jacques Desallangre. On avait déjà raison pour le traité de Maastricht !

M. Jean-Marc Ayrault. Mais ce n'est pas l'idée européenne que nos concitoyens ont sanctionnée, c'est sa fuite en avant, sa difficulté à tracer une perspective claire qui entraîne les peuples. Nous tous ici qui avons assumé, à un moment ou un autre, la conduite des affaires, nous avons participé de ce divorce. Ayons l'honnêteté de le reconnaître.

M. Richard Mallié. C'est vrai !

M. Jean-Marc Ayrault. Mais comment ignorer la responsabilité particulière du Chef de l'État ? Jacques Chirac a sabordé le traité constitutionnel. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Non, c'est Fabius !

M. Jean-Marc Ayrault. Le sujet est trop sérieux pour que vous vous laissiez aller à des invectives !

Sa politique a dressé la France contre l'Europe. Depuis dix ans, il n'a porté ni projet européen, ni volonté de s'en expliquer devant les Français. À chaque difficulté, à chaque problème, l'Europe a servi de défausse à ses virevoltes et à ses renoncements.

Mme Sylvia Bassot. Vous parlez de Fabius ?

M. Jean-Marc Ayrault. Aujourd'hui, sa seule réponse à la crise qu'il a provoquée relève plus du calcul d'épicier que d'une vision de Chef d'État. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Ce propos est scandaleux !

M. Jean-Marc Ayrault. Je le dis avec tristesse pour notre pays : Jacques Chirac est devenu l'un des problèmes de l'Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.- Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Comment maintenant reconstruire ? Comment redonner un élan à une Europe minée par la tentation des replis nationaux ? (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) J'ai été choqué, monsieur le Premier ministre, que votre discours de politique générale n'ait consacré qu'un bref passage à ces questions décisives, comme si la crise n'était qu'une brève secousse, comme si l'Europe allait bientôt pouvoir reprendre le cours normal des choses.

Non, rien n'est plus comme avant. Poursuivre le processus de ratification est sans espoir ! Je conçois la volonté de respecter le droit souverain de chaque État de se prononcer. La France n'a pas le privilège de décider pour tous.

Mme Christine Boutin. Et les Pays-Bas ?

M. Jean-Marc Ayrault. Ayons cependant la lucidité de constater que c'est une bataille perdue d'avance. Le non de la France et des Pays-Bas a provoqué un effet de souffle dévastateur chez nos partenaires. S'acharner à prolonger la ratification serait le meilleur moyen de paralyser l'Europe.

De la même manière, faut-il écarter tout espoir de renégociation ? Malheureusement, il n'existe nulle part de « plan B » (« Ah ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française) ou de volonté d'en concevoir un.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Que répond Fabius ?

M. Jean-Marc Ayrault. Sur quelles bases d'ailleurs le ferait-on ? Sur celle du non, qui porte des aspirations différentes, voire contradictoires ? Sur celle des États membres qui ont le sentiment d'avoir été au bout des concessions dans le traité constitutionnel ? On voit bien qu'il n'existe aucune formule miracle de remplacement.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Si, c'est Fabius !

M. Jean-Marc Ayrault. La seule voie praticable, et c'est la proposition que je fais au nom des socialistes,...

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Lesquels ?

M. Jean-Marc Ayrault. ...serait que le Conseil européen décide unanimement de mettre en œuvre les dispositions constitutionnelles qui font consensus, comme la nouvelle architecture institutionnelle ou la possibilité de constituer des coopérations renforcées.

M. Jacques Myard. Mépris du suffrage universel !

M. Jean-Marc Ayrault. Il sauverait ainsi la possibilité pour l'Union de fonctionner à vingt-cinq.

C'est la première urgence (« Non ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) : éviter le délitement général et sauvegarder les acquis communautaires. On l'a vu dans les attaques contre l'euro, on le mesure dans le contentieux budgétaire : tous les piliers de l'Union sont aujourd'hui fragilisés. L'Europe est en danger.

M. Pierre Lellouche. Merci Fabius !

M. Jean-Marc Ayrault. Les nationalismes redressent la tête. Face à ce défi, les dirigeants français et européens sont en train d'écrire le pire scénario : celui d'un marchandage boutiquier sur la contribution financière de chacun. Où est le souffle ? Où est la vision ?

M. Francis Delattre. Au PS avec Fabius !

M. Jean-Marc Ayrault. Où est la prise de conscience des menaces et des intérêts de l'Europe ?

Alors, monsieur le Premier ministre, vous êtes au pied du mur. Ce qui est maintenant en jeu à Bruxelles, c'est l'Europe concrète, ses orientations économiques, ses choix budgétaires. Et l'absence de traité constitutionnel ne peut pas servir d'alibi pour rester inerte. Il est trop commode de demander aux Anglais de faire un geste de solidarité quand vous refusez vous-même à l'Europe les moyens de cette solidarité. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Que le rabais britannique n'ait plus de raison d'être est une évidence. (« Ah ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Mais sa suppression n'est qu'une goutte d'eau pour éteindre une maison en feu.

Je l'ai dit à de nombreuses reprises à cette tribune, l'entêtement de votre gouvernement à s'opposer à l'augmentation des ressources financières de l'Union européenne est suicidaire. Vous la privez des moyens de remplir ses obligations au moment même où s'exprime chez nos concitoyens une impatience de résultats concrets et tangibles.

Monsieur le Premier ministre, nous vous demandons des engagements concrets. Acceptez-vous la proposition de la Commission d'augmenter le budget de l'Union d'un quart de point ? Cela représente un ballon d'oxygène de 200 milliards d'euros. Quel levier pour stimuler des initiatives de croissance, pour consolider la solidarité envers les régions les plus fragiles, y compris en France, pour financer les investissements liés à l'élargissement, pour investir dans les nouvelles compétences de l'Union sur la recherche, l'innovation, les réseaux de transports !

Ayez donc le courage de sortir des dogmes sur la compression des dépenses qui étouffent l'Europe et l'empêchent de se déployer là où on en a le plus besoin. Pour favoriser cet effort, nous proposons que les contributions des États membres ne soient pas prises en compte dans le calcul des déficits publics.

M. René André. C'est irresponsable financièrement !

M. Jean-Marc Ayrault. La seconde exigence est d'en finir avec les directives néolibérales sur les services, le temps de travail ou la remise en cause des services publics. Nous ne lutterons pas contre l'arrivée d'une Europe à deux vitesses par les seules règles de la concurrence et du marché. Il est nécessaire qu'un plan de rattrapage aide les nouveaux pays adhérents à combler leur retard.

Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les membres du Gouvernement, si le Conseil européen envoie ces signaux à Bruxelles, s'il marque une réelle volonté de transcender les intérêts nationaux et de réformer ses approches, alors l'Europe se donnera la chance de rebondir.

Mais au-delà de ces décisions d'urgence, la France et l'Europe ne pourront sortir du marasme sans un examen de conscience. Nous avons depuis trop longtemps cédé au mythe d'une intégration sans fin où chaque étape franchie en appelle une autre, où chaque traité en prépare un suivant.

Cela vaut pour les élargissements, qui doivent marquer une pause si l'on veut qu'ils soient compris et acceptés par nos peuples. Donnons à l'Europe le temps nécessaire pour combler le fossé économique entre ses États membres et définir ses frontières.

Cela vaut aussi pour notre projet politique. Il faut avoir le courage de tourner la page du traité constitutionnel et de travailler à une réorientation concrète de l'Europe. Le temps d'une construction par le haut à travers de grands traités ou de nouvelles institutions a rencontré sa limite.

Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Baratin !

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je veux bien respecter mon temps de parole si je ne suis pas interrompu en permanence. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je note, en outre, que le Premier ministre n'a pas respecté le sien.

M. le président. Terminez, monsieur Ayrault !

M. Jean-Marc Ayrault. Si nous ne voulons pas enterrer notre ambition d'une Europe politique, nous avons l'obligation de revenir aux sources originelles de sa construction : des projets concrets, ciblés, quantifiables et assortis de calendriers, dont les peuples peuvent mesurer l'impact dans leur vie quotidienne.

Monsieur le Premier ministre, je sais que vous révisez votre réponse, mais si vous pouviez m'écouter un instant...(Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur le président Ayrault, il faut conclure !

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, aucun traité ne nous empêche de doter l'euro d'un gouvernement économique, de constituer des programmes de recherche à plusieurs, de bâtir des synergies industrielles, de développer des infrastructures communes pour sortir de l'ornière.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Respectez votre temps de parole, monsieur Ayrault !

M. Jean-Marc Ayrault. Alors, il vous faut mesurer votre responsabilité, monsieur le Premier ministre. L'Europe est en danger. Des choix que le Président de la République et vous-même ferez à Bruxelles vont dépendre une grande partie de son avenir. (Claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Ça suffit ! J'espère que l'orateur de votre groupe ne dépassera pas son temps de parole !

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est scandaleux, monsieur le président ! M. Ayrault a largement dépassé son temps de parole !

M. le président. Monsieur Ayrault, concluez votre propos.

M. Jean-Marc Ayrault. Mes chers collègues, je sais qu'il vous est difficile d'accepter un débat sur l'Europe dans cet hémicycle. Vous y avez été contraints parce que nous l'avons exigé. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mais vous n'en vouliez pas !

M. Jean-Marc Ayrault. Je terminerai mon propos, monsieur le Premier ministre, en vous disant ceci : soit vous vous enfermez dans les combats d'arrière-garde, soit vous recherchez les voies d'un compromis audacieux et une reconstruction deviendra possible. Pour paraphraser John Kennedy, ne vous contentez pas de demander ce que l'Europe peut faire pour la France, demandez-vous aussi ce que la France peut faire pour l'Europe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Pour le groupe UDF, la parole est à Mme Anne-Marie Comparini.

Mme Anne-Marie Comparini. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, mon intervention sera beaucoup plus calme que la précédente,...

M. Albert Facon. Ce n'est pas sûr !

Mme Anne-Marie Comparini. ...parce que, face à l'Europe, qui vit l'une des crises les plus graves de son histoire, même si ce n'est pas la première, les Européens convaincus que nous sommes ressentons aujourd'hui une grande déception.

Car le non français a débouché, malheureusement, sur une succession d'événements que nous avions été nombreux à annoncer - le non des Pays-Bas, puis l'annonce du report du référendum par les Britanniques - sans qu'à aucun moment ce « plan B » imaginaire qu'on nous promettait ne connaisse l'ébauche d'une amorce. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

De même - mais, là aussi, il fallait s'y attendre -, des voix se sont élevées pour demander l'abolition de l'euro et la fin de ses disciplines ou pour remettre en cause le financement de l'Union ou de la politique agricole commune.

Bref, les intérêts, les égoïsmes nationaux, se sont réveillés et ont pris le dessus sur la solidarité européenne, pourtant si nécessaire.

Alors, disons-le : les avancées européennes, acquises à force de volonté et d'imagination, courent aujourd'hui un risque considérable : l'Europe pourrait revenir en arrière, ou se disperser au gré de spéculations lancées par les uns et les autres.

Quoi qu'il en soit, nous restons, à l'UDF, plus que jamais convaincus que l'Europe est une nécessité vitale pour notre pays, qui ne peut avoir aucun avenir sans elle ni en dehors d'elle. Voilà pourquoi nous voulons que tout soit mis en œuvre pour initier une nouvelle dynamique crédible. C'est un acte de foi de militants européens qui ne se découragent jamais, même si le constat est rude.

Si les questions de politique intérieure ont pesé lourd dans les résultats français et néerlandais, sachons reconnaître que c'est aussi une certaine façon de faire l'Europe qui a été sanctionnée.

Depuis des années, nos concitoyens ont eu le sentiment que l'Europe se faisait en dehors d'eux, parfois même contre eux, que son projet n'était pas maîtrisé dans ses frontières et qu'il ne les protégeait pas contre la mondialisation. Bref, le projet européen des fondateurs, que l'UDF a toujours porté, a finalement inspiré plus d'inquiétudes que d'espoirs solides.

Alors, que faire ? C'est l'objet, monsieur le Premier ministre, de ce débat. Au nom de mon groupe, je crois qu'il faut sortir rapidement des incertitudes actuelles, qui minent toute volonté européenne.

La première incertitude concerne le processus de ratification. La France doit insister auprès du Conseil européen pour qu'il aille jusqu'à son terme.

M. Pierre Lellouche. Cela n'a aucun sens !

Mme Anne-Marie Comparini. J'entends bien M. Blair, mais, à ce jour, dix pays ont déjà ratifié la Constitution. Les deux non, français et néerlandais, ne doivent pas faire oublier ces dix oui...

M. Maxime Gremetz. Parlementaires !

Mme Anne-Marie Comparini. ...et priver les autres États membres d'un débat démocratique. Ce serait faire preuve d'un mépris insultant à l'égard de nos partenaires, et notamment des peuples de l'Est qui nous ont récemment rejoints et qui, eux, connaissent mieux que quiconque le prix de la démocratie.

La seconde incertitude a trait à l'accord sur les perspectives budgétaires, le nerf de l'action. L'Allemagne, en signe de bonne volonté, a accepté de revoir sa position sur le futur budget européen. La France doit suivre cette voie inspirée par la sagesse et la maturité, car il faut éviter un échec qui serait le signe d'un blocage supplémentaire au moment même où l'Europe doit montrer qu'elle est capable de parvenir à un bon compromis et de garder sa pleine capacité d'adaptation face au quotidien. Ne l'oublions pas : 2005 doit être l'année de la relance de la stratégie de Lisbonne et de la mise en place de l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Faisons en sorte de respecter ce calendrier !

Mais sortir des incertitudes ne suffit pas. La réflexion du Conseil européen ne pourra se limiter à des questions de procédure quand les attentes des citoyens sont d'abord économiques et sociales.

Mettons donc à profit les mois à venir, non pas pour faire une « pause » inspirée par le renoncement, mais pour être actifs. Le monde n'attend pas ceux qui font du surplace ! Il faut travailler à une nouvelle stratégie, qui démontrera la capacité des institutions européennes, chacune à leur niveau, de rebondir malgré un échec.

Dans cette perspective, nous proposons qu'un Conseil extraordinaire se réunisse, afin d'élaborer un plan d'action européen orienté, avec ou sans traité, dans trois directions essentielles, qui correspondant à la triple origine du non : un pouvoir européen lointain et jamais expliqué, une crise économique et sociale, et des frontières non définies.

Dans cette perspective, monsieur le Premier ministre, donnons d'abord la direction de la démocratie. Il est indispensable que le double assentiment des gouvernements et du Parlement européen soit requis pour tous les textes importants, afin que la voix des citoyens prenne enfin le poids nécessaire en Europe.

Donnons ensuite la direction de l'efficacité, avec une véritable gouvernance économique et sociale. À l'UDF, nous défendons depuis plusieurs années la nécessité d'une gouvernance économique. Nous ne pouvons pas réussir durablement avec l'euro et le pacte de stabilité tout en menant des politiques économiques différentes. D'urgence, décidons de coordonner nos politiques économiques, faute de quoi nous ne serons jamais en mesure de créer notre propre croissance européenne.

Enfin, nous devons montrer à nos concitoyens que l'Europe a des frontières clairement définies et sûres. L'Europe n'est pas illimitée. Trop étendue, son action sera diluée, et sa puissance, paradoxalement, sera réduite. Définissons les relations d'entraide réciproque que nous pouvons avoir avec les voisins de l'Europe. Je fais ici référence au partenariat privilégié que nous devons concrétiser pour bâtir la paix et le développement avec nos voisins, du Maghreb à Israël. Un tel partenariat, qui plus est, permettra de résoudre la question de la Turquie en Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Bâtissons une Europe qui s'assume, une Europe qui avance, dans des frontières bien définies.

Monsieur le Premier ministre, il y a, vous le savez, urgence à agir dans un monde en pleine transformation. Deux générations de bâtisseurs de l'Europe n'ont jamais ménagé leurs efforts. J'espère, au nom du groupe UDF, que leur expérience et leurs actions persévérantes sauront inspirer les acteurs du prochain sommet de Bruxelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Je vous remercie, madame, d'avoir respecté votre temps de parole.

Pour le groupe des députés-e-s communistes et républicains, la parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président, mes chers collègues, le 29 mai dernier, malgré une pression inouïe en faveur du oui, notre peuple a rejeté massivement le traité établissant une Constitution pour l'Europe. Il a affirmé clairement que l'Europe telle qu'elle s'était construite ne lui convenait pas. Il a repoussé un texte qui plaçait en son cœur le règne de « la concurrence libre et non faussée », et par là même constitutionnalisait le libéralisme. Il a lancé un appel à une autre Europe, bâtie sur d'autres fondements : le progrès social, les droits, la démocratie, la coopération, le co-développement et la paix.

Ce vote traduit un profond rejet des politiques libérales menées en Europe et en France. Il doit conduire les dirigeants européens et les Chefs d'État et de Gouvernement à de profondes remises en cause. Et ce d'autant que, quelques jours après notre référendum, les Pays-Bas ont rendu le même verdict et que, dans de nombreux pays de l'Union européenne, le rejet de ce texte progresse.

Le Président de la Convention peut bien expliquer dans un quotidien, avec un mépris d'un autre temps, que le peuple n'aurait pas dû être consulté sur un tel dossier, il peut dire : « On continue ! », les faits sont là et lui donnent tort !

M. Hervé Novelli. Il n'a pas du tout dit cela !

Mme Marie-George Buffet. L'Europe se trouve dans une situation nouvelle. Et, franchement, cette séance de l'Assemblée nationale, d'une durée limitée, sans véritable débat et sans vote pour donner un mandat clair aux représentants de la France au Conseil des Chefs d'État et de Gouvernement est en complet décalage avec la force, la qualité du débat populaire et les exigences démocratiques qui s'expriment depuis quelque temps dans notre pays. (« Le Pen ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le peuple français s'est prononcé. La signature de notre pays doit donc être retirée au bas du document officiel.

M. Jean-Claude Lefort. Très bien !

Mme Marie-George Buffet. C'est le premier geste à faire, et il ne tarde que trop !

Il ne saurait y avoir de faux-fuyants : la voix de la France, cette voix forte et courageuse, qui a dit non,...

M. Jean-Jacques Descamps. Le Pen !

Mme Marie-George Buffet. ...doit être portée par ses représentants avec toute la force requise au cœur des instances concernées. Notre peuple a délivré un mandat clair, qui ne saurait être trahi : il faut entamer un processus démocratique pour redéfinir les fondements de l'Union européenne.

La majorité des Français attend des signes, des actes. La deuxième disposition que la France doit soutenir après ce vote est la suspension immédiate des directives inscrites à l'agenda de Lisbonne, qui ne constituent rien de moins qu'une mise en œuvre du traité rejeté : directive sur la libéralisation des services, directive sur l'allongement de la durée légale du temps de travail, appel à l'amplification du démantèlement des retraites et de la protection sociale.

M. Jean-Claude Lefort. Très bien !

Mme Marie-George Buffet. Toutes les directives imposant la mise en concurrence des services publics doivent être suspendues, comme celles portant sur les sites portuaires ou sur la libéralisation du fret ferroviaire, visant le démantèlement de la SNCF. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Les cheminots vous l'ont encore fait savoir cette semaine (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) en manifestant contre la mise en circulation du premier convoi privé de transport de marchandises.

M. Guy Geoffroy. C'est une très bonne chose !

Mme Marie-George Buffet. Vous devez également faire cesser immédiatement la casse du secteur public de l'énergie et renoncer à la privatisation de Gaz de France. L'Europe doit exiger le retrait de l'éducation, de la santé et de la culture du champ des négociations de l'accord général sur le commerce des services.

M. Michel Bouvard. Nous ne sommes plus au XIXe siècle !

Mme Marie-George Buffet. Vous ne pouvez, monsieur le Premier ministre, ni soutenir dans les instances européennes ni appliquer les politiques désavouées par notre peuple : ce serait un déni de démocratie. Ce serait poursuivre une fuite en avant libérale qui conduit l'Europe à l'échec.

M. Jean-Jacques Descamps. C'est un raisonnement stalinien !

Mme Marie-George Buffet. Tous les indicateurs montrent que la conjoncture dans la zone euro se dégrade depuis plusieurs mois : la consommation des ménages se ralentit, l'industrie est entrée en récession, le chômage est massif - l'Europe compte 20 millions de chômeurs et 30 millions de « précaires ». Les divergences économiques et sociales se creusent.

Dans ce contexte, le pacte de stabilité joue un rôle dépressif. Il vaudrait mieux organiser à l'échelle de l'Union une relance des dépenses de santé, d'éducation, d'emploi, de logement social, de culture, de recherche. Il faut mettre radicalement en cause les principes du pacte de stabilité pour concevoir un pacte pour l'emploi, les qualifications et la croissance.

M. Jean-Claude Lefort. Très bien !

Mme Marie-George Buffet. La Banque centrale européenne devrait contribuer à soutenir, par la création monétaire, un effort concerté de relance des dépenses publiques utiles. Elle devrait avoir pour priorité l'emploi et la croissance réelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Une baisse sélective des taux d'intérêt s'impose pour favoriser des investissements plus créateurs d'emploi et de formation, et combattre la spéculation financière et les délocalisations - celles de Facom, Nestlé, Timing, STMicroelectronics, Selestica, ou encore de nombreuses entreprises du textile. Parallèlement, des mesures de convergence sociales et fiscales permettant de lutter contre le dumping doivent être prises dans les meilleurs délais.

Voilà ce que devrait être votre feuille de route pour le Conseil européen en ce qui concerne l'immédiat.

Que faire désormais pour débloquer la situation en Europe ? D'abord, prendre acte que ce traité ne verra pas le jour : il a été rejeté. Il a été rejeté non par défaut d'explication, mais parce qu'il gravait dans le marbre constitutionnel une politique libérale source de souffrances sociales, de reculs, et parce qu'il ne comportait aucune grande avancée démocratique. Le 29 mai ne peut être mis entre parenthèses. Le traité ne s'appliquera pas. Le processus de ratification prévu, lorsqu'il est sous forme référendaire, peut servir de base à de grands débats populaires. Mais si le débat doit se poursuivre et s'amplifier sur l'ensemble du continent, il doit désormais s'engager sur la refondation de l'Europe. Refonder l'Europe, c'est d'abord s'interroger sur les droits fondamentaux, sociaux de la personne, sur les valeurs qui rassemblent les peuples européens. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ce travail essentiel ne pourra être réalisé dans le cadre d'une Convention restreinte et sans légitimité. Il ne pourra être négocié seulement par les instances actuelles, qui viennent d'être sanctionnées et sont tentées de trouver des subterfuges pour maintenir leurs choix désastreux. Il faut un nouveau cadre pour effectuer ce travail, permettant aux peuples européens et à leurs forces politiques, syndicales, associatives d'être les acteurs, actrices d'une nouvelle construction de l'Europe.

Le Parlement européen et les parlements nationaux doivent prendre leur part à ce processus. Les citoyennes et les citoyens doivent y être associés directement. Les forces progressistes européennes viennent d'initier une démarche populaire en ce sens.

Imaginons la force formidable d'un tel bouillonnement démocratique pour l'Europe. Un texte établissant les droits et les grands principes de l'Union, desquels il faudra évidemment ôter ce qui en est aujourd'hui l'épine dorsale, c'est-à-dire le libéralisme (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), devra être ratifié par consultation dans chaque pays.

M. Jean-Claude Lefort. Eh oui !

Mme Marie-George Buffet. Un tel processus, loin de l'affaiblir, consolidera l'Union européenne parce qu'elle sera construite avec et pour les peuples.

C'est à partir de là, et pour servir ces objectifs définis démocratiquement, que devront s'écrire de nouveaux traités, qui devront nécessairement transformer les politiques de l'Union : politique économique, politique monétaire, politique sociale, politique étrangère... C'est à partir de là qu'il faudra se doter d'institutions adéquates.

Pour honorer pleinement les droits sociaux et fondamentaux définis en commun, ainsi que les valeurs communes aux peuples d'Europe, il faudra mettre au cœur des politiques européennes des systèmes de protection sociale de haut niveau, des services publics étendus, démocratisés, coopérant ensemble, des institutions beaucoup plus participatives et proches des citoyennes et des citoyens, des garanties véritables pour les droits sociaux, une politique économique et monétaire favorisant l'emploi, les salaires et la formation plutôt que les marchés financiers. Il faudra engager l'Union dans des combats politiques progressistes, tels que le désarmement et la paix, l'annulation totale de la dette des pays pauvres,...

M. Jacques Desallangre. Une autre Europe !

Mme Marie-George Buffet. ...le co-développement planétaire, la régulation équitable des échanges, le progrès social.

Notre peuple attend que sa voix soit entendue. C'est peu dire que les signes donnés par votre gouvernement ne vont pas dans ce sens. Vous poursuivez avec violence la casse du code du travail. Comment a-t-il été possible d'imaginer cette période d'essai de deux ans, qui installe les salariés dans une précarité de longue durée, dans des rapports humains et sociaux totalement déséquilibrés au sein de l'entreprise ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Mallié. Quel rapport avec l'Europe ?

Mme Marie-George Buffet. Pensez-vous que ce soit là une réponse digne ? Pensez-vous que ce soit là une réponse crédible pour l'emploi ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Suite à ce cinglant désaveu qui frappe votre majorité, vous avez choisi la provocation. Comment a-t-il été possible d'imaginer cette politique de quotas, de sélection des étrangers à nos portes, revenant à une philosophie coloniale ? En digne continuateur de M. Raffarin (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), vous vous entêtez dans une politique violente de régression sociale. Vous prenez ainsi de lourdes responsabilités, en choisissant de gouverner contre le peuple.

La majorité de nos compatriotes veulent voir leur vote enfin respecté, ils veulent voir leur « non » argumenté et porté avec la fierté qui est la leur,...

M. Richard Mallié. On parle de quoi ? De l'Europe ?

Mme Marie-George Buffet. ...ils veulent voir ce que vous allez faire pour que se bâtisse une autre Europe. Le 16 juin prochain, le jour d'ouverture de ce Conseil, partout en France se tiendront des rassemblements pour vous montrer et montrer aux dirigeants européens que la mobilisation des urnes va se poursuivre. Déjà, une pétition - qui vise le million de signatures - circule pour changer de politique en Europe. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Monsieur le Premier ministre, vous nous avez présenté de vagues généralités, sans aucun engagement concret. Notre peuple va devoir vous rappeler qu'il s'est prononcé pour porter lui-même ses choix en coopération avec les autres peuples de l'Union européenne au sein des instances de l'Union. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Pour le groupe UMP, la parole est à M. Édouard Balladur.

M. Édouard Balladur. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, l'Europe est en crise (« Ah ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) : le traité constitutionnel a été rejeté par deux pays fondateurs, on s'interroge sur la poursuite de la procédure de ratification, les perspectives financières 2007-2013 sont contestées, la réussite de l'élargissement à dix nouveaux membres - qui seront bientôt douze - reste à réaliser, la croissance en Europe est faible et donc l'emploi mal assuré.

Dans ce moment décisif, vous avez bien fait, monsieur le Premier ministre, de solliciter, comme nous le souhaitions, l'avis de l'Assemblée nationale.

M. Jacques Desallangre et M. Henri Emmanuelli. Sans vote !

M. Maxime Gremetz. Causons, causons !

M. Édouard Balladur. Je voudrais vous faire connaître celui du groupe UMP sur les trois sujets qui commandent notre avenir :...

M. Henri Emmanuelli. On est là pour donner notre avis !

M. Édouard Balladur. ...tout d'abord, le sort des institutions européennes ; en second lieu, les perspectives financières de l'Union, c'est-à-dire l'ambition de l'Europe ; enfin, le progrès économique et social de l'Union.

S'agissant des institutions européennes, je ne crois pas utile de m'étendre longuement sur la poursuite du processus de ratification. En effet, si le Conseil européen prenait une décision unanime sur ce point, il n'y aurait pas de difficulté ; s'il n'y parvenait pas, nul ne pourrait empêcher un État de ratifier s'il le veut, et nul ne pourrait obliger un État à ratifier s'il ne le veut pas. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Claude Lefort. Pas les États, les peuples !

M. Édouard Balladur. Nous serons fixés dans les semaines, voire dans les jours qui viennent. Mais quoi qu'il advienne, nul ne se risquerait à affirmer, à l'heure qu'il est, que le traité institutionnel pourra être appliqué. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Claude Lefort. Ça, alors !

M. Édouard Balladur. Faut-il pour autant attendre et se résigner à voir se déliter l'Europe, conclure qu'elle ne sera plus qu'un grand marché régi par des principes que l'on qualifie d'anglo-saxons, faut-il abandonner toute ambition collective qui permettrait à l'Europe politique et militaire d'exister dans le monde ?

Évidemment, non. Certes, il serait prématuré de décider dès maintenant ce qu'il y aurait lieu de retenir ou d'abandonner du traité rejeté par la France et les Pays-Bas. Le temps de la renégociation globale n'est pas venu. Ne rêvons pas. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Édouard Balladur. Les principes de notre action doivent être clairs et simples.

Nous devons tout d'abord défendre ce qui existe : le traité de Nice et les traités antérieurs, malgré leurs lacunes et leurs défauts, sont la base qui permet à l'Europe de continuer à fonctionner. Il faut les préserver, en attendant de pouvoir en améliorer les dispositions.

M. Maxime Gremetz. Voilà ! Plan B !

M. Édouard Balladur. C'est dire qu'il faut aussi maintenir et défendre l'existence de l'euro. Ce ne sera possible que si, face à la Banque centrale européenne, une autorité économique intergouvernementale apparaît. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Elle existe : c'est l'Eurogroupe, qui réunit les ministres des finances. Je souhaite non seulement que son existence soit confirmée, mais également que sa compétence soit étendue, afin d'améliorer la coordination des politiques économiques, budgétaires, fiscales et sociales sans lesquelles la zone euro risque d'être fragilisée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Pour parvenir à cet objectif de convergence des prélèvements fiscaux et sociaux, des moyennes par rapport auxquelles les États seraient autorisés à varier dans certaines limites devraient être définies. Il s'agirait, en s'inspirant de la méthode retenue jadis pour la construction monétaire européenne, de créer, à l'image de l'ancien serpent monétaire européen, un serpent fiscal et social. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Lorsque j'aurai un peu plus de temps, je m'expliquerai sur ce point.

M. Henri Emmanuelli. Le serpent social libéral !

M. Jean-Claude Lefort. Le venin est dans la queue !

M. Édouard Balladur. Voilà qui relève de notre seule volonté politique. Mais allons au-delà et, dès l'automne, commençons à réfléchir ensemble à ce que pourraient être les progrès institutionnels de l'Europe.

Certaines dispositions du projet de traité constitutionnel, sur lesquelles existe un consensus, ou un large accord, pourraient être mises en vigueur, mais elles nécessiteraient l'adoption d'un traité nouveau : il s'agirait, par exemple, de l'élection pour une période de deux ans et demi du président du Conseil européen ou de la limitation du nombre de commissaires, ou encore de la pondération des voix dans les institutions communautaires. Cela n'est possible qu'avec un nouveau traité.

Mais, dans le cadre des traités actuellement existants et sans relancer une procédure lourde de ratification, l'Europe peut progresser : les États membres pourraient adopter une déclaration commune avec la Commission et le Parlement européen afin d'affirmer les valeurs auxquelles ils sont attachés ; une personnalité pourrait se voir conférer le titre de ministre des affaires étrangères de l'Union,...

M. Jacques Desallangre. Giscard d'Estaing !

M. Henri Emmanuelli. Giscard ou Balladur ! Ou encore Raffarin ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Édouard Balladur. ...ce qui permettrait d'affirmer l'existence et le rôle de l'Union sur le plan international ; la transparence des travaux du Conseil des ministres pourrait être également mise en œuvre sans nouveau traité, de même que le rôle des Parlements nationaux dans le fonctionnement de l'Union pourrait être accru dès lors que la Commission prendrait l'initiative de les consulter de manière systématique et de prendre en compte leurs observations.

J'ajoute que des progrès pourraient également être faits dans un cadre intergouvernemental.

M. Jacques Myard. Ah !

M. Édouard Balladur. Tout d'abord, afin de permettre à l'Union de rester en mouvement, les États qui souhaitent progresser plus rapidement pourraient conclure, dans le domaine de la coopération politique, des accords dans des domaines tels que la défense et la sécurité.

M. Henri Emmanuelli. Ça oui, très bien !

M. Édouard Balladur. En outre, chacun le sait, l'Europe ne peut s'élargir indéfiniment. (« Ah ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Son extension actuelle a suscité déjà trop de craintes. Veillons à ne pas en ajouter ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Une fois intégrés les États envers lesquels des engagements précis ont été pris, sous réserve qu'ils remplissent eux-mêmes les conditions prévues, il faut différer pour longtemps tout nouvel élargissement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) De ce fait, l'Union doit organiser ses rapports avec ses voisins et signer avec eux des contrats de partenariats privilégiés en modulant leur contenu en fonction des besoins des pays. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Vous le voyez, mes chers collègues, il s'agit de tenir compte de ce qui s'est passé le 29 mai, sans renoncer à l'Europe. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Claude Lefort. Non, non !

M. Édouard Balladur. L'Union européenne peut reprendre sa marche en avant, à condition de le faire de façon réaliste et progressive, et en respectant la diversité des situations. S'il est une conclusion que l'on peut tirer de nos difficultés actuelles, c'est que le temps d'une Europe uniforme doit céder la place à la construction d'une Europe plus diversifiée. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lefort. Non !

M. Édouard Balladur. La deuxième préoccupation concerne les perspectives financières pour la période 2007-2013. Il s'agit d'un débat extraordinairement difficile et important et qui met en cause l'essentiel : notre ambition pour l'Europe. Doit-elle se limiter à n'être uniquement qu'un grand marché assorti de quelques politiques communes, agricole et régionale ?

M. Henri Emmanuelli. Non !

M. Édouard Balladur. Nous ne le pensons pas. Doit-elle se fixer pour but de rapprocher les niveaux de vie et la compétitivité des économies ?

M. Henri Emmanuelli. Oui !

M. Édouard Balladur. Nous le pensons.

M. Jean-Claude Lefort. Vous faites l'inverse !

M. Édouard Balladur. Notre projet consiste à donner à l'Europe un contenu plus large, notamment en matière de politique extérieure et de défense, et à faire en sorte qu'aux objectifs traditionnels de l'Union - le grand marché, la politique agricole, l'aide aux régions - s'ajoutent des objectifs nouveaux permettant de favoriser l'investissement, la recherche et donc la croissance.

M. Henri Emmanuelli. Et la démocratie !

M. Édouard Balladur. Comment financer l'aide à apporter aux pays qui viennent de nous rejoindre et assurer la solidarité entre les Vingt-cinq ? Chacun doit donner et recevoir en équité. La France a pris toute sa part en acceptant un rééquilibrage progressif entre les autres politiques communes et la PAC, dont la part dans les dépenses de l'Union va passer, en quelques années, de plus de la moitié à moins d'un tiers. Rappelons qu'il est indispensable que l'Europe assure non seulement son autosuffisance alimentaire, mais aussi sa place sur les marchés mondiaux, grâce à un meilleur respect des préférences communautaires.

Dans le contexte économique difficile que connaît l'Europe, nous approuvons le principe de la limitation du budget européen à 1 % du produit national.

M. Jacques Myard. C'est trop !

M. Édouard Balladur. Nous approuvons la volonté d'allouer les ressources dans les conditions les plus efficaces possibles, ce qui suppose un examen de l'ensemble des dépenses actuellement effectuées.

Nous estimons que la répartition des charges entre les différents pays contributeurs, telle qu'elle existe aujourd'hui, ne correspond plus à l'équité, aucun rabais ne pouvant être établi, calculé, ni maintenu pour l'éternité des temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Permettez-moi de dire que, si le Conseil européen parvenait demain à apporter des réponses précises à toutes ces questions, ce serait pour tous une heureuse surprise. Mais nous devons être fermes sur les principes, ne pas abandonner ce qui a fait le succès de l'Europe, ses politiques communes, accepter l'idée que tout doit évoluer, mais dans le respect des intérêts fondamentaux de chacun, y compris de ceux de la France.

M. Jean-Claude Lefort. Et du vote des Français !

M. Édouard Balladur. À partir de là, nous faisons confiance à nos représentants au Conseil européen pour parvenir aux solutions les meilleures.

Troisième objectif : comment retrouver une meilleure croissance économique en Europe ? Ne nous voilons pas la face : cette croissance est insuffisante par rapport aux pays européens, encore plus par rapport aux États-Unis et encore plus par rapport aux pays asiatiques.

M. Henri Emmanuelli. Eh oui !

M. Édouard Balladur. À terme, la situation n'est pas tenable, elle menace l'ensemble de nos équilibres économiques et sociaux.

Rien ne sera possible si nous ne poursuivons pas courageusement la politique de réformes indispensable (« Ah ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste) dont les pays européens ont besoin.

M. Jacques Desallangre. La flexibilité !

M. Maxime Gremetz. Bolkestein !

M. Édouard Balladur. Je tenais à le dire, monsieur le Premier ministre, et à appeler au changement, un changement négocié, un changement maîtrisé, un changement équitable, mais un changement indispensable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Les Français ne voteront pas !

M. Henri Emmanuelli. Vous pensez aux stock options et aux golden parachutes ?

M. Édouard Balladur. Telles sont les réflexions que je souhaitais vous soumettre : ne désespérons pas, ne nous décourageons pas devant l'échec subi, poursuivons la marche en avant, au besoin dans d'autres voies, faisons preuve d'imagination tout en tenant compte des inquiétudes de nos concitoyens. La France a été à la tête de la construction européenne depuis un demi-siècle. Cette ambition doit demeurer la ligne directrice de sa politique nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Le débat est clos.

M. Henri Emmanuelli. Et que fait-on, à présent, monsieur le président ? On vote ou on s'en va ?

M. Maxime Gremetz. On vote !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. le Premier ministre. Mesdames et messieurs les députés, permettez-moi d'abord de vous remercier pour vos interventions. Elles témoignent de la gravité de la situation, mais aussi de l'attachement de l'Assemblée nationale à la construction européenne.

M. Jean Glavany. Et à ses prérogatives !

M. le Premier ministre. Les Françaises et les Français veulent que nous répondions aux attentes qu'ils ont exprimées le 29 mai dernier. Comme vous l'avez indiqué dans vos interventions, ils n'ont pas remis en question la construction européenne, mais exprimé leur volonté de construire une Europe plus sociale (« Voilà ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), plus démocratique, mieux à même de défendre leurs intérêts, une Europe plus solidaire, comme l'a dit Mme Comparini.

M. Maxime Gremetz. Enfin, ils ont compris !

M. le Premier ministre. Mais vos interventions traduisent également une autre conviction que nous partageons tous ici : l'Europe doit aller de l'avant, elle doit savoir affirmer son destin. À l'heure où de grandes puissances émergent, à l'heure où la stabilité de la planète paraît fragile, à l'heure où les cartes du monde sont redistribuées, l'Europe doit, plus que jamais, résister à la tentation de la division. L'unité du continent est notre meilleur atout.

C'est cette double exigence que la France entend défendre lors du prochain Conseil européen comme dans les rendez-vous suivants, dont je vous ai dit qu'ils étaient absolument nécessaires. Monsieur Ayrault, ne cherchons pas de bouc émissaire. Dans la difficulté, dans l'épreuve européenne que nous traversons et que nous avons tous ensemble à affronter, soyons responsables, soyons justes, soyons courageux. Que chacun assume sa part, sa juste part.

M. Patrick Lemasle. Assumez la vôtre, et Chirac la sienne !

M. le Premier ministre. De ce point de vue, assumez comme nous assumons. Faites votre propre examen de conscience. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) À l'instar de John Kennedy, que vous avez cité, demandez-vous aussi ce que vous pouvez faire pour que toutes les leçons du 29 mai soient tirées. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La première question dont nous devons débattre avec nos partenaires, c'est, chacun l'a souligné, la suite à donner au processus de ratification du traité constitutionnel. Bien entendu, il ne s'agit pas de faire comme si rien ne s'était passé.

M. Jean-Claude Lefort. Ah, merci !

M. le Premier ministre. Chacun a vu combien la campagne du référendum a permis à nos concitoyens de se réapproprier le débat européen. Il appartient aux autres États de se prononcer à leur tour − vous l'avez dit, madame Comparini − afin de connaître la position des différents peuples européens sur les dispositions contenues dans le projet de traité.

Monsieur Ayrault, nous ne pouvons pas, aujourd'hui, démanteler le traité morceau par morceau. Certes, il a été rejeté par les Françaises et les Français.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. le Premier ministre. Aux autres États membres de se décider. Au Conseil européen d'apprécier la situation.

La seconde question dont les Chefs d'État débattront lors du prochain sommet est celle du budget de l'Union. Vous l'avez souligné, il est essentiel que cette rencontre débouche sur un consensus. La meilleure façon pour l'Europe de surmonter la crise actuelle est de prouver notre capacité à trouver un terrain d'entente pour continuer d'avancer. Certains d'entre vous ont fait part de leur inquiétude à ce sujet. Je tiens à saluer le travail effectué par Jean-Claude Juncker, Président de l'Union, qui a œuvré pour rapprocher les points de vue.

J'ai bien entendu les propositions qui ont été faites en faveur de l'augmentation du budget européen. Je veux seulement vous rappeler, monsieur Ayrault, les montants financiers qui sont en jeu : passer de 1 % à 1,06 % du revenu national brut, comme le propose M. Juncker, peut paraître une augmentation minime ; cela représente en fait, pour la France, un coût moyen supplémentaire de 1,5 milliard d'euros par an pour la période 2007-2013, soit un coût total supplémentaire de 10 milliards d'euros par rapport à 2006.

M. Henri Emmanuelli. Et alors ?

M. le Premier ministre. Il est facile de faire des promesses et de jongler avec les chiffres, mais tout cela a un coût considérable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Julien Dray. Et les privatisations ?

M. le Premier ministre. Je veux ici rassurer ceux qui pensent que le compromis financier se fera au détriment de l'esprit de solidarité qui a toujours guidé la construction européenne.

M. Henri Emmanuelli. Vous préférez la restauration à l'Europe !

M. le Premier ministre. Le soutien financier que nous apportons aux nouveaux pays membres est la seule manière de leur permettre d'engager au plus vite la modernisation de leur système économique et social. Nous l'avons vu lors des élargissements précédents − la Grèce, le Portugal, l'Espagne. Nous redoutions la libre circulation des personnes. Ces craintes se sont révélées sans fondement.

M. Maxime Gremetz. Il n'y a pas de chômage en Espagne ?

M. le Premier ministre. Bien au contraire, le rattrapage économique se fait toujours au bénéfice de l'ensemble des pays de l'Union.

M. Maxime Gremetz. Quel est le taux de chômage en Espagne ?

M. le Premier ministre. D'ores et déjà, nos relations commerciales avec les nouveaux pays membres constituent un atout pour notre économie et nos emplois. Nous sommes les premiers investisseurs en Pologne.

M. Maurice Leroy. Vive les plombiers polonais ! (Sourires.)

M. le Premier ministre. Nous sommes parmi les premiers investisseurs dans les autres pays de l'est de l'Europe. C'est notre intérêt de les aider à rejoindre le niveau de développement des autres pays européens.

Il n'est pas question non plus de revenir sur les engagements financiers pris il y a moins de trois ans pour la politique agricole commune.

M. Henri Emmanuelli. Ils ne sont pas défendables !

M. le Premier ministre. Les accords de Bruxelles d'octobre 2002 n'avaient pas été faciles à trouver. Ils ont fixé jusqu'à 2013 le montant des dépenses agricoles de marché. Ce compromis, qui a été difficile à atteindre, doit être préservé.

L'Europe ne doit pas oublier ce qu'elle doit à la politique agricole commune.

M. Henri Emmanuelli. C'est une politique injuste !

M. le Premier ministre. Grâce à elle, l'Europe a conquis son indépendance alimentaire. Elle est la politique la plus ancienne et la plus intégrée de l'Union européenne. Aujourd'hui, grâce à cette politique, nos paysans font tous les efforts nécessaires pour rester compétitifs, et pour garantir aux consommateurs une alimentation de qualité. Nous sommes la première puissance agricole en Europe, et l'Europe est elle-même l'une des toutes premières puissances agricoles du monde : c'est un atout que nous devons préserver à tout prix. Le compromis trouvé en 2002 est acceptable par tous.

M. Henri Emmanuelli. Non, il est injuste !

M. le Premier ministre. Il ne saurait donc être remis en question. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

En revanche, monsieur Ayrault, nous pouvons attendre que chaque membre contribue au budget européen à la hauteur de ses moyens. Chacun se souvient des circonstances dans lesquelles le Royaume-Uni avait pu obtenir, il y a plus de vingt ans, une diminution de sa contribution. Chacun voit également que rien ne saurait justifier aujourd'hui le maintien de cette exception, dans une Europe où tous les pays doivent assumer leur part du coût de l'élargissement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Au-delà de ces deux questions majeures, nous devons d'ores et déjà réfléchir à la relance de l'Europe, qui sortira fragilisée de l'épreuve actuelle. Vous avez raison, monsieur le président de la commission des affaires étrangères : nous ne pouvons pas accepter que l'Europe renonce à son destin. Vous avez raison : nous devons garder intacte l'ambition d'une Europe forte et respectée.

M. Henri Emmanuelli. Le budget d'abord !

M. le Premier ministre. Trois questions se posent à nous, trois questions qui étaient au cœur de la campagne pour le référendum.

La première est celle des institutions. Comment garantir, dans une Europe à vingt-cinq, l'efficacité et la transparence que nos concitoyens attendent ?

M. Henri Emmanuelli. Vous n'aviez qu'à y réfléchir avant !

M. le Premier ministre. Nous ne pouvons pas prendre le risque de la paralysie à une époque où il nous faut au contraire unir nos forces. Nous ne pouvons pas non plus prendre le risque d'un recul démocratique. Je pense comme vous, monsieur Balladur, que les avancées prévues par le projet de Constitution telles que la transparence accrue des travaux du Conseil, le rôle des parlements nationaux, ainsi que le droit de pétition pour les citoyens,...

M. Jacques Desallangre. C'est une plaisanterie !

M. le Premier ministre. ...méritent d'être retenues, parce qu'elles constituent de véritables outils de démocratie.

Nous allons, dans les mois qui viennent, continuer à fonctionner sur la base des dispositions prévues par le traité de Nice. Mais il faut, dès maintenant, commencer à réfléchir à l'amélioration de ce fonctionnement, à la lumière du travail qui a été accompli depuis deux ans. Je souhaite que votre assemblée puisse jouer un rôle clé dans cette réflexion.

La deuxième question est celle des politiques économiques et sociales de l'Europe. À cet égard, je voudrais répondre à ceux d'entre vous qui ont exprimé des inquiétudes au sujet de la proposition de directive européenne sur les services. Comme la France l'a demandé, cette proposition de directive a été remise à plat.

M. Henri Emmanuelli. Non !

M. le Premier ministre. Le rapporteur de ce texte au Parlement européen a fait des propositions qui vont dans notre sens.

M. Henri Emmanuelli. Non !

M. Richard Mallié. Ce rapporteur est socialiste !

M. le Premier ministre. Un débat aura lieu à l'automne prochain au Parlement européen. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Le Conseil se prononcera ensuite sur les propositions que la Commission nous fera sur cette base. En Europe, l'harmonisation sociale doit se faire par le haut.

M. Maxime Gremetz. Ça, c'est vrai !

M. Jean-Marie Le Guen. Vous avez raison ! On n'y avait pas pensé !

M. le Premier ministre. C'est vrai également, en dépit de ce que vous prétendez, madame Buffet, pour la directive « temps de travail ». Nous veillerons, dans les discussions qui continuent à Bruxelles, à ce que les régimes dérogatoires consentis à certains disparaissent. Les Françaises et les Français ont estimé que le texte du traité constitutionnel européen ne permettait pas de répondre suffisamment à leurs aspirations.

Nous continuerons donc de nous battre pour faire progresser l'Europe sociale, en allant plus loin sur chacune des avancées proposées : comment mieux garantir les services publics ? comment renforcer le dialogue social ? comment faire pour que l'Europe puisse défendre son modèle de société face aux grands vents de la mondialisation ? Elle a déjà montré qu'elle en était capable en parvenant à un accord avec les Chinois pour limiter leurs exportations de textile. Elle doit poursuivre dans cette voie. Chaque fois que l'Europe est unie, elle montre sa force.

Mais répondre aux inquiétudes des Françaises et des Français, ainsi que des autres Européens, c'est aussi permettre à l'Europe de renouer avec le dynamisme et la croissance. Nous disposons d'un outil formidable, l'euro, un outil que, aujourd'hui, personne ne songe à remettre en question.

M. Maxime Gremetz. Si !

M. le Premier ministre. Comment comprendre alors que nous ne nous dotions pas aussi d'une politique économique plus cohérente et plus ambitieuse ? Il y a aujourd'hui une impatience européenne partagée par l'ensemble des peuples de notre continent. Ils savent quels sont nos atouts, nos richesses, nos capacités. Ils veulent que l'Europe occupe le rang qui est le sien. Cela implique d'inventer et de promouvoir les grands projets industriels de demain, comme ITER ou Galileo. La recherche, l'innovation, la compétitivité, c'est cela aussi que les Françaises et les Français attendent de l'Europe.

La troisième question, c'est − vous avez été nombreux à le souligner − celle des frontières de l'Europe. À cet égard, il reste à faire un important travail de pédagogie sur l'élargissement de 2004, notamment sur son impact économique et social.

M. Jean Glavany. Qui n'a pas fait cet effort de pédagogie ?

M. le Premier ministre. Plus nous travaillerons avec les nouveaux pays membres, plus leur place au sein de l'Union sera confortée et comprise.

M. Jean-Marie Le Guen. Ça, c'est sûr !

M. le Premier ministre. Comment envisager les étapes suivantes ? Là aussi, nous devrons trouver une voie d'équilibre, respecter nos engagements, notamment vis-à-vis de la Roumanie et de la Bulgarie, et consolider l'Europe telle qu'ils la connaissent.

Il nous faut également concrétiser, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, les différents partenariats privilégiés que l'Union doit nouer avec ses voisins à l'Est - je pense, en particulier, à l'Ukraine - mais aussi avec les pays du Sud.

En 1954, après l'échec de la Communauté européenne de défense, le projet européen semblait dans l'impasse. Seule la CECA portait alors l'ambition des pères fondateurs. Or, dès l'année suivante, l'Europe des Six franchissait une nouvelle étape en décidant d'étendre les principes d'intégration européenne à toute l'économie. Dès 1957, l'idée d'une Communauté économique européenne fut arrêtée.

Dans une période de doute et d'incertitude comme celle que nous vivons, il est important de regarder en arrière et de tirer les leçons du passé.

M. Maxime Gremetz. Il fallait le dire pendant la campagne référendaire !

M. le Premier ministre. L'Europe rebondit toujours à travers les avancées concrètes, à travers des projets précis qui répondent aux attentes immédiates de nos concitoyens.

C'est pourquoi il est indispensable que nous poursuivions avec plus de détermination encore nos efforts de coopération avec tous nos partenaires européens. Je songe, en particulier, aux domaines de la sécurité et de la lutte contre les grands réseaux mafieux ; je songe également aux grands projets culturels, comme la bibliothèque européenne en ligne ; je songe à l'Europe des transports et des grands axes de communication ; je songe, enfin, à l'Europe de la recherche et de l'innovation qu'il nous faut continuer de bâtir dans la logique du processus de Lisbonne.

Il est urgent d'apporter aux Français comme aux autres peuples européens, la preuve qu'avec l'Europe ils sont plus forts, mieux protégés et mieux préparés pour l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Éric Raoult.)

PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

    3

DÉVELOPPEMENT DES SERVICES
À LA PERSONNE ET COHÉSION SOCIALE

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif au développement des services à la personne et à diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (nos 2348, 2357).

Hier soir, l'Assemblée a entendu les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais tout d'abord remercier le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, M. Giro, pour l'excellent travail réalisé autour de ce projet de loi relatif au développement des services à la personne et à diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.

Mes remerciements vont aussi au président de la commission, M. Dubernard, pour la qualité des débats menés au sein de la commission et la présentation synthétique qu'il a faite du projet de loi et de ses objectifs.

Je voudrais remercier également Mme Ginchard-Kunstler et M. Daniel Paul pour leurs propos liminaires, qui ont permis d'éclairer l'ensemble de la discussion.

Ce débat, riche, a permis de mettre en évidence l'importance du développement du secteur des services à la personne, point sur lequel l'ensemble des orateurs s'accordent.

M. Dubernard a rappelé que les services à la personne cumulaient deux atouts : ils constituent un formidable gisement d'emplois - ce secteur crée déjà 79 000 emplois par an - et ces emplois ne sont pas délocalisables. M. Paul a souligné que ce secteur avait vocation à combler des besoins de grande ampleur et particulièrement diversifiés.

La discussion a fait apparaître plusieurs préoccupations légitimes, auxquelles j'ai bien sûr à cœur de donner une réponse.

Le projet de loi vise d'abord à étendre le champ des activités concernées pour satisfaire les besoins croissants de la population en matière de services de proximité. Vous avez rappelé la variété et l'ampleur de ces besoins, en lien avec les évolutions socio-démographiques que connaît notre pays, - je pense particulièrement à ce phénomène que j'appelle la révolution de la longévité et à tous ces besoins liés au vieillissement de la population.

Je tiens à souligner, pour répondre à une crainte émise par plusieurs orateurs, et particulièrement vous, madame Hoffman-Rispal, qu'il ne s'agit pas dans ce projet de confondre les services médico-sociaux avec les autres services.

M. Patrice Martin-Lalande. En effet !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Un droit d'option sera proposé aux structures prestataires intervenant pour les publics fragiles.

Les dispositions issues de la loi de 2002 en direction de ces publics ne seront pas modifiées par ce texte et l'autorisation vaudra « agrément qualité ». En d'autres termes, il n'y aura pas de lourdeur supplémentaire. Cet agrément permettra aux structures qui le souhaitent de conserver les caractéristiques de sérieux et de professionnalisme qu'impose à juste titre la loi de 2002.

Par ailleurs, je précise que la validité de l'agrément simple sera nationale.

Le projet de loi a ensuite pour objectif de mieux structurer l'économie de ce secteur : en développant, d'une part, des enseignes nationales, dont certaines existent déjà et ne demandent qu'à se développer, en s'attaquant, d'autre part, au travail clandestin. Nous savons tous combien ce secteur est confronté à ce fléau, qui prive ses salariés de droits sociaux et encourage une économie souterraine néfaste à la croissance et à l'emploi.

M. Perrut s'est demandé si ce développement ne constituait pas, pour certains artisans, une concurrence déloyale. Je tiens à le rassurer sur ce point : les artisans qui le souhaitent pourront développer, en plus de leur activité traditionnelle, une activité de services à la personne. Il leur suffira de constituer une entité juridique, distincte de leur entreprise classique et exclusivement dévolue aux services à la personne, pour bénéficier de l'ensemble des avantages que propose ce projet de loi.

M. Patrice Martin-Lalande. Très bien !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Consultés, les représentants des artisans voient d'ailleurs dans ce projet de loi plutôt une opportunité de développement qu'une concurrence dès lors que les règles sont bien évidemment établies.

Ce secteur, on peut le rappeler, souffre d'une demande non solvabilisée, d'un éclatement des structures et de freins réglementaires. Son développement aura pour effet de dynamiser l'ensemble des services de proximité.

Quant à la concurrence des grandes enseignes, crainte nourrie par Mme Lignières-Cassou, tous nos contacts avec les représentants du secteur nous convainquent qu'elle n'empêchera pas le développement de petites structures, tant le secteur est actuellement parcellisé.

Le projet de loi vise - et nous sommes tous attachés, je crois, à ce point très important - à renforcer la professionnalisation du secteur. Plusieurs orateurs l'ont souligné, à l'instar de Mme Guinchard-Kunstler : il existe actuellement un manque patent de reconnaissance des métiers de ce secteur. M. Vercamer disait même que ce secteur souffrait d'une très mauvaise image.

Je rappelle que ce projet de loi s'accompagne de mesures non législatives qui figurent dans le plan de développement des services à la personne, parmi lesquelles le développement de la négociation collective, appelée de ses vœux par M. Vercamer. La négociation actuellement en cours a pour objectif la conclusion d'une convention collective unique pour tout le secteur.

Vous avez aussi évoqué des craintes relatives au contenu du projet de loi lui-même. Un peu vite, dans l'élan, Mme Ginchard-Kunstler a même parlé de « détricotage du droit du travail ».

M. Daniel Paul. C'est la réalité !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. J'ai cité la CGC !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. C'est tout l'inverse que se propose de faire ce projet. Si l'on a assoupli les délais de prévenance dans le cadre du temps partiel, comme vous le rappeliez, monsieur Paul, c'est pour tenir compte de cas où l'urgence ou une situation particulière rend impossible une répartition de temps de travail figée dans le marbre.

M. Daniel Paul. C'est déjà pris en compte !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Que se passe-t-il quand le jeune enfant gardé à domicile est malade ? Qu'arrive-t-il si la maladie qui impose la surveillance à domicile d'un parent s'aggrave ?

M. Daniel Paul. C'est déjà pris en compte !

M. le président. Monsieur Paul...

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Le texte prévoit en tout état de cause la communication par écrit au salarié de ses horaires de façon mensuelle et la définition par accord ou convention collective des cas définis comme une véritable urgence et rendant nécessaire cette dérogation.

Quant à la dispense de contrat de travail écrit, à laquelle faisait allusion Mme Génisson, chacun sait ici que c'est la règle pour l'ensemble du droit du travail et qu'il y a une possibilité dans ce domaine.

Plusieurs parmi vous ont également évoqué la question du travail à temps partiel subi. Je comprends votre remarque, monsieur Paul, qui me touche d'autant plus que ces temps partiels concernent le plus souvent des femmes. Mais je crois que c'est mal comprendre l'esprit du projet de loi qui vous est présenté et qui vise précisément à sortir ce secteur de la précarité.

Le sortir de la précarité d'abord en s'attaquant au travail illégal.

M. Bernard Perrut. Très bien !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Quoi de plus précaire et plus néfaste que cette économie souterraine ? Les exonérations de charges et le crédit d'impôt visent justement à inciter nombre de particuliers employeurs à mieux déclarer leur salarié, à leur accorder plus de droits.

Le sortir ensuite par l'incitation à la déclaration de la rémunération du salarié sur une base réelle plutôt que forfaitaire.

La convention du 29 mars 2002 va également dans ce sens, en revalorisant les salaires dans ce secteur. Elle a été renforcée par notre action générale en faveur de la hausse du SMIC depuis 2002.

Le sortir de la précarité enfin par les efforts de formation, réclamés à bon droit par M. Beaudouin, et qui seront consentis pour professionnaliser ce secteur.

Le plan de services à la personne présenté par Jean-Louis Borloo le 16 février dernier comprend des actions qui ne sont pas de nature législative mais qui constituent des soutiens majeurs au renforcement de ces métiers.

De même, j'ai personnellement signé il y a quelques semaines deux accords cadres pour assurer la formation des aides-soignantes.

Mme Génisson soulignait à juste titre le risque que les métiers les moins rémunérés et les plus précaires soient réservés aux femmes. C'est tout l'enjeu d'un autre projet de loi que votre assemblée a déjà discuté et qui sera débattu au Sénat les 12 et 13 juillet prochain.

Enfin, ce projet consiste à simplifier le plus possible les démarches des particuliers. Grâce au CESU, titre unique fusionnant le chèque emploi solidarité et le titre emploi service, il sera possible d'embaucher et de payer un salarié aussi bien dans le cadre du gré à gré que d'une association mandataire ou d'un prestataire.

Il sera également possible, ce qui est tout à fait nouveau, à une entreprise d'utiliser le CESU pour aider ses salariés à bénéficier de services comme la garde d'enfants ou le bricolage, c'est-à-dire de permettre à certains de nos concitoyens qui ne consommaient pas de services de le faire.

Enfin, je voudrais préciser à M. Colombier, qui a fait part de l'inquiétude des départements à cet égard, que le CESU pourra être employé pour le versement de l'APA. En effet, l'article 4 du projet de loi maintient la possibilité de versement direct aux intervenants sous réserve simplement de l'accord de la personne âgée ou de sa famille. M. Morel-A-L'Huissier l'a dit : il s'agit d'une intervention dans l'intimité de ces personnes fragiles. L'accord est donc nécessaire. Moyennant cette condition, les conseils généraux pourront continuer de verser l'APA aux associations qu'ils estiment devoir aider et auxquelles ils font confiance.

Telles sont les ambitions de ce projet de loi, dont l'objectif sera de créer, d'ici à 2009, plusieurs centaines de milliers d'emplois.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Le chiffre est moins précis !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. M. Gremetz a accusé ce projet de renforcer les inégalités, au motif, bien connu, que la réduction d'impôt ne touche que ceux qui en paient - jusque-là, nous sommes d'accord. Eh bien, nous assumons ce dernier point, en solvabilisant la demande de gens, souvent issus de classes moyennes, qui pourront trouver, grâce à cette aide, le moyen de mieux articuler leurs vies familiale et professionnelle ou d'aider des parents malades ou dépendants à rester plus longtemps à domicile. Et pour ceux qui ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu, ce projet est aussi un soutien à la consommation de ces services, une opportunité nouvelle de bénéficier de services - ce n'était pas le cas jusqu'à maintenant.

Mme Boutin avait proposé que soit étudié le projet de dividende universel. Je lui propose de nous retrouver sur ce sujet.

Enfin, monsieur Perrut, vous nous avez fait part d'une préoccupation, partagée par plusieurs orateurs, concernant les moyens des caisses en matière d'action sociale. Nous avons souvent eu l'occasion de nous entretenir sur la convention d'orientation et de gestion de la CNAV. C'est le même sujet pour la CNAF. Bien sûr, il ne s'agit pas ici de discuter d'une question étrangère à ce projet de loi. Pour autant, je voudrais rappeler tout l'attachement que le Gouvernement porte à la négociation des contrats d'objectifs et de moyens des caisses. J'y suis personnellement très attachée et je sais combien Xavier Bertrand est impliqué sur le sujet.

Voici, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, les objectifs de ce projet de loi et les premières réponses que nous pouvions apporter à vos interrogations. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour une durée qui ne peut excéder une heure trente.

M. Gaëtan Gorce. Madame la ministre, mes chers collègues, Paulette Ginchard-Kunstler a remarquablement exposé hier soir le point de vue du groupe socialiste, tout comme Mme Danièle Hoffman-Rispal et les autres orateurs qui se sont succédé à la tribune pour notre groupe ont exprimé le sentiment qui était le nôtre par rapport au texte qui nous est aujourd'hui présenté et dont nous avons à débattre.

Pour ma part, je voudrais centrer mon intervention sur le contexte de la politique de l'emploi dans lequel ce texte nous est présenté.

Il est quelque peu paradoxal que nous soyons saisis d'un tel texte quelques jours seulement après un changement de Gouvernement et, paraît-il, d'un changement de tonalité et de priorité, puisque l'emploi est devenu, semble-t-il - là encore, nous ne pouvons parler pour le moment que d'après les apparences - une priorité. Il aurait été intéressant, il aurait été normal que nous ayons une vraie discussion, sur le fond, sur ces grandes orientations, que nous dressions un état des lieux de la situation de l'emploi et que nous puissions débattre des mesures les plus appropriées pour lutter contre le chômage.

Ce n'est pas la solution qui a été retenue et mon groupe, qui a réclamé un grand débat national au Parlement sur la question de l'emploi, n'a manifestement pas été entendu. Je vais donc saisir l'occasion qui m'est offerte avec ce débat pour indiquer, au-delà du texte qui nous est soumis, quel est notre sentiment sur la situation de l'emploi et sur les orientations qui ont été exposées par M. le Premier ministre à cette même tribune la semaine dernière.

Le sentiment que nous avons, et qui est malheureusement partagé par un très grand nombre de Françaises et de Français, c'est que votre gouvernement a manqué le rendez-vous de l'emploi. Il l'a manqué en 2002, en 2003, en 2004 et il est encore en train de le manquer en 2005. Ce que propose aujourd'hui le Premier ministre, c'est à la fois trop tard, trop mal et trop peu.

C'est d'abord trop tard. La situation économique et sociale dans laquelle se trouve notre pays est, en effet, le résultat de l'accumulation des erreurs que vous avez commises ces trois dernières années. Nous avons assisté, depuis juin 2002, à une accumulation je n'oserai dire de maladresses, mais de choix qui ont en permanence joué contre l'emploi, et cela malgré nos mises en garde répétées. Nous n'avons jamais, à cette tribune, été entendus. A peine avons-nous été écoutés.

Pour préparer ce débat, j'ai repris les interventions qui ont été les nôtres dans les premières discussions à l'Assemblée nationale et j'ai retrouvé la première que j'ai été amené à effectuer le 30 juillet 2002. Le Parlement était alors convoqué en session extraordinaire justement pour mettre en place la première mesure que vous souhaitiez instituer, le contrat jeune, qui, en réalité, se traduisait par la suppression des emplois-jeunes. J'évoquais à cette occasion « l'ambition perdue du plein-emploi ». C'était en juillet 2002 et, malheureusement, cette prévision devait se réaliser.

J'ai repris les déclarations que j'ai faites sur le budget de l'emploi pour 2003. Nous vous disions alors que les moyens budgétaires que vous mobilisiez pour l'emploi étaient très insuffisants pour face à la situation qui était visible aux yeux de tous, sauf à ceux de ce gouvernement, le budget consacré au travail et à l'emploi pour 2003 étant en diminution de près de 6 %, alors que le chômage avait connu une évolution du même ordre.

La même chose s'est produite pour le projet de loi de finances pour 2004. Je vous invitais, là encore, à mobiliser des moyens nouveaux compte tenu de l'aggravation de la situation, et d'autres à cette tribune l'avaient fait avec moi, comme Jean Le Garrec qui s'est exprimé tant de fois, malheureusement sans échos. Et sur le projet de budget pour 2005, nous avons eu droit à la même conclusion, au même diagnostic et à la même absence de réponse.

Tout cela est particulièrement regrettable parce que, faute d'avoir entendu ces appels, vous devez maintenant gérer une situation qui est devenue dramatique sur le plan économique et social, et qui s'est prolongée sur le plan politique - nous l'avons vu le 29 mai dernier. Ce constat est accablant, mais ce n'est pas seulement l'opposition qui le fait. Ce bilan, ce n'est pas seulement moi qui le dresse. M. Borloo avait, d'une certaine manière, commencé lorsqu'il avait présenté son plan social pour l'emploi, son plan d'urgence, expliquant qu'il fallait une mobilisation rapide et constatant que rien n'avait été fait au cours des mois précédents. Six mois plus tard, M. de Villepin peut tenir exactement le même discours, le plan d'urgence de M. Borloo semblant avoir été avalé comme l'eau par le sable. Ce que nous a dit M. de Villepin sur la nécessité d'un sursaut et d'une mobilisation sonnait comme une condamnation lourde, grave et répétée, en tout cas retentissante, de l'échec qui est le vôtre.

Ce qui est préoccupant, c'est que cette situation que nous connaissons aujourd'hui, vous n'avez su ni l'anticiper, ni la comprendre, ni l'interrompre.

Vous n'avez pas su l'anticiper. Les premières mesures que vous avez prises à l'été et à l'automne 2002 ont été manifestement inspirées non pas par un esprit d'efficacité pour mettre en place un nouvel appareil d'action contre le chômage, mais malheureusement par une sorte d'esprit de revanche contre le bilan et le legs des années Jospin, qui s'étaient pourtant traduites par une diminution du chômage et une augmentation spectaculaire du nombre d'emplois marchands.

Première disposition dont nous avons discuté en juillet 2002 : la suppression des emplois-jeunes remplacés par des contrats jeunes en entreprise. Au moment même où les premiers signaux d'alerte apparaissaient concernant l'emploi, vous supprimiez les moyens que nous avions mobilisés au service de l'emploi des plus jeunes. Et rebelote à l'automne : cette fois c'était les 35 heures qui étaient directement mises en question ! Non pas pour des raisons économiques d'ailleurs. On voulait stopper le processus de négociation qui avait permis de signer plus de 150 000 accords dans les entreprises et de créer 350 000 emplois - c'est le constat même de la mission sur les 35 heures à laquelle j'ai participé. On a essayé de donner un coup d'arrêt à la réduction du temps de travail sans remplacer cette politique qui avait servi l'emploi et le développement par des mesures dont ont puisse attendre la même efficacité.

Je me souviens parfaitement de l'absence d'écho à mes interpellations répétées à M. Fillon pendant ce débat. Il était à la place que vous occupez aujourd'hui, madame la ministre, et je lui demandais en permanence de nous dire combien d'emplois il attendait de la remise en question des 35 heures. Je lui disais qu'il devait justifier ses mesures, ses initiatives, par cette préoccupation de l'emploi. Jamais je n'ai eu la moindre réponse sur cette question et pour cause, car l'objectif qui était poursuivi n'était ni économique ni social ; il était simplement politique, pour ne pas dire idéologique .

Cette situation, vous n'avez donc pas su l'anticiper, mais vous ne l'avez pas non plus comprise, car vous n'avez tenu aucun compte de la remontée du chômage qui était pourtant déjà visible. Vous nous l'aviez d'ailleurs dit, on pouvait donc penser que vous en tireriez les conséquences ! La dégradation de la situation de l'emploi était déjà sensible depuis la mi-2001. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Vous étiez au pouvoir !

M. Gaëtan Gorce. Le taux de chômage avait alors recommencé à augmenter pour passer de 8,6 % en juin 2001...

M. Guy Geoffroy. Malgré les 35 heures !

M. Gaëtan Gorce. ...- il est vrai que c'était beaucoup moins que l'augmentation que vous connaissez aujourd'hui - à 8,9 % en janvier 2002 et 9 % en juin 2002, lorsque vous avez pris vos responsabilités. Or, bien loin d'en tirer les conséquences, vous avez pris les mesures que j'ai décrites tout à l'heure, c'est-à-dire que vous avez cassé les outils existants sans les remplacer par une politique permettant de contrer ce processus.

Pis encore, vous avez fait des choix budgétaires qui ont encore aggravé le chômage ! Je l'avais dit lors des débats budgétaires, le fait de réduire les moyens consacrés aux emplois aidés au moment même où l'économie supprimait des emplois marchands ne pouvait que contribuer à accentuer la montée du chômage, et c'est malheureusement ce qui s'est produit. L'OFCE, qui a produit de nombreux rapports sur la question, impute à la politique budgétaire que vous avez conduite l'apparition de 60 000 à 80 000 chômeurs de plus, en tout cas la destruction de 60 000 à 80 000 emplois en 2003 et en 2004.

Pour que l'on ne puisse pas m'accuser d'être partisan, je vous lis un passage de ce document parfaitement argumenté de l'OFCE qui analyse l'évolution de la situation sur la période antérieure et trace les perspectives pour 2005 et 2006 : « La réorientation de la politique du Gouvernement du secteur non marchand vers le secteur marchand - non-renouvellement des emplois-jeunes, réduction importante des effectifs en contrats emploi-solidarité, création des contrats jeunes en entreprise -, cette politique engagée depuis 2002 s'est révélée insuffisante pour améliorer la situation de l'emploi. Pis, menée dans un contexte de ralentissement de l'activité, cette politique a globalement amplifié de respectivement 0,2 et 0,1 point en 2003 et 2004 la montée du taux de chômage en France. »

Alors que le chômage augmentait et que vous auriez dû en tirer les conséquences par des actions concrètes et en trouvant des moyens réels, vous avez, pour des raisons idéologiques là encore, accentué la dégradation de la situation de l'emploi. Le taux de chômage est passé de 9 % en juin 2002 à 9,4 % en janvier 2003, puis à 9,8 % en juin 2003 et à 10 % en janvier 2004, pour atteindre 10,2 % aujourd'hui. Voilà le bilan de votre politique, des choix que vous avez faits et qui sont graves puisque vous avez pris la responsabilité d'accentuer encore la tendance produite spontanément par le marché et l'économie. Vous n'avez donc su ni anticiper, ni comprendre, ni interrompre cette dégradation de la situation de l'emploi. Vous avez au contraire contribué à l'aggraver.

J'ai bien entendu M. Fillon expliquer, avec le ressentiment qu'il pouvait éprouver en quittant le Gouvernement après avoir brillé à l'emploi et à l'éducation nationale, qu'il ne resterait rien de l'action de M. Chirac, si ce n'est les réformes qu'il avait lui-même conduites. J'aurais tendance à lui dire - mais après tout cela pourrait être à mes collègues de l'UMP de lui répondre ! - qu'il ne restera rien de M. Fillon, sinon ses échecs en matière d'emploi et de gestion des principaux dossiers sociaux. Et M. Borloo peut partager la responsabilité du constat : 283 000 chômeurs de plus en trois ans contre 900 000 de moins en cinq ans lorsque nous étions au pouvoir, un taux de chômage aujourd'hui de 10,2 % contre 9 % lorsque nous avons quitté les responsabilités, un taux de chômage des jeunes qui atteint aujourd'hui 23,5 %, soit 61 700 personnes au chômage de plus,...

M. Guy Geoffroy. Et la croissance pendant ce temps !

M. Gaëtan Gorce. ...210 000 chômeurs de longue durée de plus et 100 000 femmes de plus au chômage, victimes de votre politique. Voilà votre bilan, qui s'est malheureusement accompagné de spectaculaires suppressions d'emplois dans le secteur industriel - moins 215 000 emplois dans l'industrie en deux ans et demi ! Voilà la situation dont vous êtes aujourd'hui comptables et qui vous rend difficilement crédibles quand vous prétendez avoir les moyens d'inverser la situation.

Comme vous le savez, je n'ai pas l'esprit polémique (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), mais ce qui est grave, ce n'est pas seulement que vous ayez fait des choix idéologiques qui se sont traduits par les conséquences que j'indiquais, ce n'est pas simplement que vous n'ayez pas vu que la situation appelait une réaction de votre part et que vous soyez restés inertes, tel Néron jouant de la lyre tandis que Rome brûlait, car c'est bien à cela que me faisaient penser M. Raffarin et M. Fillon, avec M. Borloo à leurs côtés ; ...

M. Patrice Martin-Lalande. N'importe quoi !

M. Gaëtan Gorce. ...ce que l'on peut vous reprocher plus encore, c'est d'avoir aggravé cette dégradation par vos choix budgétaires. Si j'avais l'esprit polémique, je dirais que s'il existait dans ce pays une Haute Cour de justice économique et sociale, M. Raffarin et M. Fillon, avec leur complice M. Borloo, devraient y être traduits pour s'expliquer sur la calamité des choix qu'ils ont pu faire pendant cette période. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Perrut. C'est exagéré !

M. Pierre-Louis Fagniez. Vous seriez le procureur !

M. Gaëtan Gorce. Les mesures aujourd'hui proposées viennent trop tard, parce que, lorsque l'on a un bilan pareil, il est difficile de convaincre les Français qui ont du bon sens et qui vous disent : « Vous nous promettez du nouveau, mais qu'avez-vous fait, qu'avez-vous changé qui puisse nous laisser penser que vous pourriez travailler autrement et plus efficacement ? » Ils regardent et ils n'ont plus confiance. Ils l'ont exprimé à chaque échéance électorale et, pour le coup, vous ne disposez plus ni de crédit ni de confiance pour pouvoir remobiliser le pays autour d'une politique qui d'ailleurs, d'une certaine manière, ne change pas.

Non seulement tout cela vient trop tard, mais tout cela tombe mal aussi. Cela peut-il changer ? Telle est la question que nous pouvons nous poser puisque notre pays est en crise profonde. Pour reprendre les références napoléoniennes si chères au Premier ministre, est-ce que votre politique de l'emploi ce sera le pont d'Arcole ou la Berezina ? Je ne veux pas anticiper, mais je crains qu'il ne faille nous préparer pour les grands froids. Il aurait fallu préparer une rupture. Il aurait fallu que vous ayez véritablement la volonté de tirer toutes les leçons de votre échec, mais nous sommes désormais dans la continuité non seulement des hommes - d'ailleurs M. Borloo est toujours aux responsabilités sur le terrain de l'emploi et de la solidarité -, mais aussi des moyens et des équipes qui sont mobilisées sur ce sujet.

Au moment où vous seriez censés incarner un véritable changement répondant à l'onde de choc qui s'est produite à la fin mai, vous reprenez à votre compte les mauvais paris, les mauvais choix et la mauvaise méthode qui étaient ceux de M. Raffarin et de M. Fillon.

D'abord, vous reprenez à votre comptes les mauvais paris qui sont autant d'erreurs de perspective. Nous avons attentivement écouté ce que M. Villepin a dit sur la question de l'emploi et la manière dont il entendait désormais combattre le chômage. S'agissant du chômage des jeunes d'abord, vous avez fait le pari des contrats jeunes et ce pari est aujourd'hui un échec, malheureusement pour les jeunes concernés. En effet, si l'on regarde la seule donnée qui vaille, c'est-à-dire l'évolution du taux de chômage des jeunes, celui-ci atteint 23 à 24 %, avec un nombre de chômeurs de moins de vingt-cinq ans qui a augmenté de 61 700 depuis trois ans. Vous avez fait le choix des contrats jeunes à la place des emplois-jeunes, mais si vous aviez continué ces derniers vous auriez eu de meilleurs résultats.

M. Guy Geoffroy. Vous, vous n'avez rien prévu !

M. Gaëtan Gorce. Ces contrats sont 130 000 pour plus de 300 000 emplois-jeunes qui ont progressivement disparus, 130 000 qui sont, pour l'essentiel, le résultat d'effets d'aubaine et de substitution qui n'avaient jamais atteint une telle ampleur. Effet d'aubaine évidemment, car il est plus simple pour une entreprise de recourir à ce type de contrat, avec 225 euros par mois pour chaque jeune employé, qu'aux autres contrats qui sont proposés. Donc effet de substitution, puisque parallèlement à la montée des contrats jeunes, qui reste d'ailleurs relative - les chiffres que j'ai cités sont très modestes -, nous avons assisté à une diminution de l'ensemble des contrats en alternance avant qu'ils ne soient purement et simplement supprimés après l'accord social intervenu et la loi qu'a fait voter M. Fillon sur la mise en place des contrats de professionnalisation.

Si l'on totalise aujourd'hui les contrats mis en place en direction des jeunes - contrats de professionnalisation et anciens contrats de qualification qui arrivent à leur terme -, on obtient le chiffre de 23 000, contre plus de 50 000 en 2004, à l'époque des anciens contrats. C'est dire ce qu'il en est du processus engagé aujourd'hui pour lutter contre le chômage des jeunes.

Vous avez mis en place un dispositif qui concentre certains avantages, mais qui n'apporte pas de solution réelle à la crise de l'emploi. Vous persistez d'ailleurs dans cette direction, avec la conséquence que l'on peut naturellement redouter : la prolongation d'une situation redoutable et déprimante non seulement pour les jeunes mais aussi pour leur famille, et qui ravage l'ensemble de notre société. Tel est l'échec des contrats jeunes et des mesures que vous avez mises en place pour lutter contre le chômage des jeunes.

En direction des chômeurs de longue durée, dont le nombre a augmenté de plus de 200 000 pendant deux ans et demi, vous avez fait le pari de modifier les types de contrat qui pouvaient exister. Certes, les CES et les CEC présentaient, au fil des années, des insuffisances ou des dysfonctionnements qu'il fallait corriger. Vous avez fait le choix de les remplacer purement et simplement par des contrats de même nature dont les règles de procédure et les modes de financement ont été modifiés, ce qui suppose un temps d'adaptation important pour l'ensemble des employeurs potentiels.

Nous voilà aujourd'hui dans une phase de creux. On passe en effet du processus qui mobilisait les CES et les CEC aux nouveaux contrats d'accompagnement et aux contrats d'avenir. Mais le temps qu'ils prennent le relais les uns des autres est une période creuse qui se traduit par une montée du chômage et une diminution des contrats proposés ou effectivement occupés.

Ce phénomène est encore accentué par la baisse des moyens que vous avez mobilisés pour ce type de dispositif. Je ne citerai pas tous les chiffres, qui sont du reste faciles à trouver, pour ne pas vous démoraliser davantage en vous rappelant la réalité de votre politique.

M. Guy Geoffroy. Ne rêvez pas ! Notre moral est excellent.

M. Gaëtan Gorce. Qui sait ? La lucidité pourrait peut-être vous venir un jour...

M. Guy Geoffroy. Et pas à vous ?

M. Gaëtan Gorce. ...avant le choc final qui se produira en 2007.

M. Guy Geoffroy. Les socialistes sont-ils si supérieurs aux autres ? (Sourires.)

M. Gaëtan Gorce. Ne comptez pas trop sur nos difficultés pour vous en sortir, messieurs de la majorité ! Nous avons nous-mêmes connu une situation comparable en 2001 et 2002. Nous nous disions que, dans l'état où était la droite et où le Président de la République avait mis le RPR, nous n'avions rien à redouter. Et nous avons perdu les élections ! Ne comptez donc pas trop sur les difficultés de la gauche pour vous refaire avant 2007 !

Quant à nous, j'espère que nous saurons faire preuve d'un esprit de responsabilité suffisant pour dépasser nos divergences d'aujourd'hui et offrir une alternative au pays. Au reste, si ni vous ni nous n'y parvenons, ce sont d'autres, moins recommandables, qui pourraient en profiter.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Merci de nous trouver recommandables ! (Sourires.)

M. Gaëtan Gorce. Contre le chômage de longue durée, vous avez choisi ces contrats avec les conséquences que l'on connaît. Les chiffres sont à votre disposition. Ils montrent une réduction des contrats aidés réellement offerts à nos concitoyens et une aggravation du chômage. Ce que nous observons, en ce premier semestre 2005, n'est pas de nature à nous rassurer. Sur l'ensemble de ces dispositifs, nous sommes très en retrait.

Puisque vous m'y incitez, je précise que le nombre de CES, fin avril 2002, s'élevait à 167 000. Nous en étions à 124 000 en avril 2005. On comptait 136 000 CEC en avril 2002 ; ils étaient 81 000 en avril 2005. Ainsi, les mesures que vous avez proposées n'ont produit aucun décollage. On compte à peine 6 700 contrats d'accompagnement dans l'emploi, sans parler des CIVIS, mesure phare annoncée par le Président de la République, dont le nombre ne parvient pas à dépasser le seuil de 1 500 contrats signés. C'est dire l'efficacité de la politique que vous avez conduite en la matière !

Vous avez fait un mauvais pari sur le chômage des jeunes, mais aussi sur le chômage de longue durée. Insistons un instant, pour ceux qui s'intéressent de près à ces sujets, sur ce qu'ont produit vos choix. Je veux parler de cette démobilisation du service public de l'emploi, soumis à une politique contradictoire. En effet, vous créez ou vous supprimez tour à tour des contrats aidés, sans que l'on puisse comprendre quelle ligne suit le Gouvernement pour conduire sa politique de lutte contre le chômage. On devine, sur le terrain, les conséquences d'une telle attitude pour les employeurs comme pour les administrations. Que doivent-ils faire ? Arrêter ou recommencer ? Malheureusement, cette politique de l'accordéon produit des effets dissonants en matière d'emploi.

Ces mauvais paris pour le chômage des jeunes et le chômage de longue durée sont tout simplement de mauvais paris pour le chômage tout court. Les politiques mises en œuvre pour le faire baisser n'ont rien de rassurant. M. Fillon nous a habitués à un discours simple que la majorité continue de tenir. Veut-on faire baisser le chômage de masse dans son ensemble ? La solution viendra d'elle-même, grâce au retournement démographique auquel nous allons assister. Moins de jeunes Français entrant sur le marché du travail et plus d'actifs le quittant pour partir en retraite, la situation de l'emploi s'améliorera automatiquement.

Seulement ce processus n'a pas fonctionné. Vous avez déjà épuisé en 2004 la moitié du bénéfice que vous pouviez attendre des différents dispositifs de départ anticipé votés dans le cadre des lois sur les retraites. Pourtant, le chômage a continué d'augmenter et le nombre d'emplois offerts a continué de baisser.

Alors que vous avez épuisé les effets de ce processus à court terme, la modification la plus lourde, qui se traduira par une diminution réelle du nombre d'actifs entrant sur le marché du travail, ne sera sensible qu'à partir de 2010.

À supposer même que l'on puisse en sentir les effets plus tôt ou de manière massive, il n'y a, en la matière, aucune automaticité à attendre. Ce n'est pas parce qu'une personne part à la retraite qu'elle est systématiquement remplacée. Du fait du ralentissement de la croissance, les entreprises profitent déjà des départs pour diminuer le nombre de leurs salariés et, de ce point de vue, les administrations leur donnent malheureusement le mauvais exemple.

De plus, les employeurs se heurtent au problème de la qualification. J'insiste sur ce point en espérant que le ministre des affaires sociales se saisira de cette question. Il est regrettable qu'aucune négociation ne soit engagée dans les branches professionnelles pour tenir compte des conséquences que produira sur un grand nombre de métiers le retournement démographique auquel nous assistons et qui pose déjà le problème de l'ajustement des qualifications. L'administration elle-même, quand elle recrute, se dispense de réfléchir à ces problèmes.

Enfin, à travers la loi qui remet en cause les 35 heures, vous avez fait le choix d'augmenter les heures supplémentaires. Là encore, vous avez incité les entreprises à ne pas recruter et à utiliser le plus possible les salariés de l'entreprise. En augmentant les contingents d'heures supplémentaires et en faisant exploser les plafonds conventionnels pour permettre une négociation individuelle entre le salarié et l'employeur, vous organisez en réalité le non-recrutement de nouveaux salariés. Vous prenez ainsi la responsabilité d'accentuer encore le chômage.

Sur ces mauvais paris, qui sont autant d'erreurs de perspective, je ne vois aucun changement, je n'observe aucune modification par rapport au discours et à la pratique du précédent gouvernement.

Mais non seulement le gouvernement actuel fait de mauvais paris, mais il fait aussi de mauvais choix qui sont autant d'erreurs de jugement.

À bien lire le plan qu'a présenté M. de Villepin, j'ai le sentiment, partagé par mes amis ainsi que par de nombreux partenaires sociaux, qu'il se trompe dans son analyse des causes du chômage. En la matière, il renoue avec des raisonnements que nous entendons depuis trente ans et qui n'ont jamais démontré leur pertinence.

Selon lui, la première cause du chômage, celle contre laquelle il faudrait lutter en premier lieu, serait la rigidité de notre droit du travail, notamment celui des contrats de travail. Cette antienne revient régulièrement dans la bouche du MEDEF ou dans celle des députés de la majorité. S'il y a du chômage, c'est qu'il y aurait trop de protection et trop de garanties, ou que le code du travail pèserait trop lourdement sur les entreprises chaque fois qu'elles voudraient procéder à une embauche.

Le prétendre, c'est méconnaître la situation réelle du marché du travail dans notre pays et ignorer le fait que, pour l'essentiel, les embauches se font déjà sur des contrats à durée déterminée. C'est le cas de 70 % des embauches, soit plus de deux sur trois. Parallèlement, 20 % du temps de travail est accompli par des salariés possédant des contrats de moins d'un an. Cela signifie que la flexibilité que vous réclamez existe déjà et que la rigidité du code du travail n'est au fond qu'un prétexte pour remettre en cause les dernières protections des salariés.

Plus préoccupantes que cette erreur d'analyse sont les conséquences que celle-ci peut produire. C'est une question sur laquelle il faut s'arrêter un instant. Si vous pensez, madame la ministre, que l'on peut dynamiser notre économie en accroissant la précarité et le sentiment d'angoisse ou d'inquiétude des salariés, vous faites une erreur majeure. En fait, vous les découragez. Vous les privez de leur motivation. Vous les mettez dans une situation de concurrence qui ne peut pas les conduire à s'attacher à leur travail, à leur entreprise et à leur économie. Vous les placez dans l'incertitude. C'est le contraire qu'il faudrait faire : accentuer les formations, les qualifications et les protections, de manière à obtenir la motivation nécessaire à la relance de notre économie, soumise une dure compétition.

M. de Villepin a également passé un long moment, à cette tribune, à parler des effets de seuil qui expliqueraient l'absence d'embauche au-delà de dix salariés. Mais, comme l'a excellemment fait remarquer le premier secrétaire du Parti socialiste, à supposer que le Premier ministre ait raison, il ne fait que déplacer ces effets et repousser le problème sans jamais le régler.

La deuxième explication qu'il donne pour justifier sa politique est que le chômage viendrait de la difficulté d'embaucher que connaîtraient les petites entreprises. J'ai déjà évoqué ce point à propos du contrat « nouvelle embauche » et des effets de seuil.

Comment peut-on penser que les petites entreprises seraient freinées uniquement par ces raisons ? On sait bien qu'elles dépendent d'un contexte économique général. Elles sont, pour beaucoup d'entre elles, en situation de preneuses d'ordres reçus par des entreprises qui subissent de plein fouet les mouvements de croissance, de concurrence ou de ralentissement de la conjoncture. Ce qui fera la dynamique des petites entreprises, c'est la dynamique générale de l'économie, à laquelle vous ne contribuez par aucune des mesures que vous proposez.

Last but not least, vous prétendez que, après la rigidité du code du travail et les difficultés à embaucher que connaîtraient les petites entreprises, la troisième cause du chômage serait que les chômeurs ne sont pas suffisamment incités à travailler. Ce point figurait lui aussi dans le discours du Premier ministre. La une d'un « grand quotidien du soir », selon la formule consacrée, rappelait d'ailleurs sa volonté de prévoir, dans la future convention avec l'UNEDIC et l'ANPE, un contrôle renforcé des chômeurs, assorti d'une obligation pour eux de prendre un emploi, dans des conditions mal précisées.

Là encore, c'est mal connaître la réalité du terrain. Si des abus peuvent exister, c'est à la marge. Le souhait de la plupart de ceux qui sont privés d'emploi est bien de retrouver du travail et de bénéficier de la formation qui l'accompagne. L'idée d'un contrôle ne sert en réalité qu'à les stigmatiser et à justifier le choix que vous avez fait l'an passé de mettre en concurrence l'ANPE avec des organismes de placement privés. Ceux-ci sont d'ailleurs mieux rémunérés pour obtenir, nous dit-on, de meilleurs résultats. Mais ces organismes s'adressent évidemment aux chômeurs les plus faciles à placer et laissent ceux qui rencontrent le plus de difficultés sous la responsabilité d'un service public que le Gouvernement a de facto affaibli.

Ainsi, madame la ministre, vous conjuguez mauvais paris, mauvais choix et mauvaises méthodes, qui sont d'ailleurs autant d'erreurs psychologiques.

La première est de « squeezer » les syndicats en considérant que, dans la démarche que vous allez engager et qui est censée se concentrer exclusivement sur la question de l'emploi, on pourrait se passer des partenaires sociaux. Il serait temps que, dans notre pays, un gouvernement se décide à dire à l'organisation patronale qu'est le MEDEF et à son futur président - ou à sa future présidente - que le rôle d'une organisation patronale est d'être, non pas simplement un lobby mais aussi un partenaire dans la négociation. Or j'observe que, dans toutes les situations dans lesquelles le MEDEF est placé depuis 2002, il refuse la négociation et demande le renvoi à la loi, alors même qu'il faisait exactement l'inverse entre 1997 et 2002, période pendant laquelle il refusait la loi pour exiger la négociation. Un tel jeu n'est pas équitable.

Si l'on veut que le dialogue social puisse réellement se développer, il faut que chacun des partenaires joue pleinement son rôle et que, quand l'un d'eux veut s'y dérober, le Gouvernement le rappelle à ses responsabilités. Mais comment pourriez-vous y parvenir puisque vous avez choisi de ne tenir aucun compte des avis, des propositions et des interventions des partenaires sociaux ? Ceux-ci ont été entendus sur des mesures dont ils ne connaissaient pas le contenu, lorsque le Premier ministre a préparé son intervention. Depuis, plus rien. L'ensemble des mesures annoncées, qui touchent pourtant aux contrats de travail, à la représentation syndicale ou à la modification des effets de seuil, ne sera ni discuté ni négocié avec les partenaires sociaux.

C'est une erreur en soi, mais c'est aussi une erreur grave compte tenu de votre but. Comment espérez-vous remobiliser nos concitoyens et toute notre société au service de votre politique de l'emploi si vous ne les associez pas, à travers leurs représentants, à la mise en œuvre et à la définition de ces objectifs ?

Vous « squeezez » non seulement les syndicats, mais aussi le Parlement, ce qui pourrait paraître moins grave, tant les assemblées se sont finalement habituées, depuis 2002, à être maltraitées par les gouvernements successifs. En trois ans, j'ai assisté à de nombreux débats sur l'emploi. Ils étaient toujours justifiés par l'urgence, ne donnaient lieu à aucune véritable discussion et la majorité ne tenait jamais compte des avis de l'opposition. Cette situation se prolonge, mais à l'aide de la formule la plus grave : les ordonnances. Autrement dit, nous serons amenés à nous exprimer seulement sur les grands objectifs, mais le Parlement ne sera pas associé au détail des mesures qui seront mises en place.

C'est grave, eu égard au contexte politique que nous connaissons. Les Français se sont exprimés et ont demandé à être mieux entendus. Ils ne le seront pas, puisque le Gouvernement ne change rien à sa politique. Même la représentation nationale, qui est, depuis l'élection de 2002, l'expression des Français, n'aura pas l'occasion de participer au débat sur la mobilisation en faveur de l'emploi, qui était censé être prioritaire. C'est une situation regrettable. Il est d'ailleurs dommage que le président de l'Assemblée nationale, que nous avons connu plus offensif pour soutenir le rôle du Parlement, ait renoncé à défendre ses droits sur une question majeure.

Comme le destin biologique est inscrit dans les gènes, le résultat de votre politique est inscrit dans votre projet : vos paris, vos choix et vos méthodes vous condamnent malheureusement à l'échec.

Je n'ai aucun mérite à le prédire ni aucune satisfaction à l'annoncer, mais en suivant la méthode de M. Juppé et en faisant le même type de promesses que M. Chirac, vous aurez le bilan de M. Raffarin. Hélas ! c'est le pays qui paiera le prix de vos erreurs à répétition.

C'est non seulement trop tard et trop mal, mais c'est aussi trop peu. Pour accompagner la politique voulue par M. de Villepin, on nous annonce 4,5 milliards d'euros en 2006. Tout à l'heure, j'ai entendu dire que 1,5 milliard d'euros supplémentaires pour que le budget de l'Union européenne puisse venir en aide aux nouveaux pays membres et assurer la cohésion territoriale, c'était trop. En tout cas, 4,5 milliards d'euros pour l'emploi, ce n'est pas assez, tout d'abord parce qu'ils n'y seront pas.

M. de Villepin nous a indiqué que toutes les marges budgétaires iront à l'emploi.

M. Pierre-Louis Fagniez. Et c'est bien !

M. Gaëtan Gorce. À ce compte-là, celui-ci risque de rester le parent pauvre de votre politique, car où sont ces marges budgétaires ? Nous sommes bien loin de l'époque où M. Poincaré pouvait dire au Cartel des gauches et à M. Herriot que la droite sait gérer et tenir les comptes alors que la gauche a la dépense facile. Aujourd'hui, nous pouvons faire le constat inverse. La dette publique représente près de 65 % de notre PIB, contre 58,2 % en 2002, soit sept points de plus en trois ans. En 2004, les comptes sociaux présentaient un déficit de 13,6 milliards, et il sera probablement de 10 milliards, au minimum, en 2005. Celui de l'assurance chômage s'élevait à 4 milliards et son déficit cumulé depuis 2002 à 15 milliards. Quant au déficit du budget de l'État, il s'élevait à 3,6 % du PIB, dépassant ainsi, et de loin, les critères fixés par l'Union européenne. Dans ces conditions, quelles marges budgétaires pourrez-vous consacrer à l'emploi ?

Comme M. de Villepin le sait, même s'il ne le dit pas - ce qui est regrettable, car on aurait pu espérer que le Gouvernement tienne au moins un langage de vérité et de courage pour convaincre les Français -, il nous annonce que la politique en faveur de l'emploi se fera également au prix d'une pause dans la baisse de l'impôt sur le revenu, ce qui d'ailleurs ne réjouit pas tout le monde sur les bancs de la majorité. Or la baisse de l'impôt sur le revenu n'était pas financée, ni dans le budget pour 2005 ni dans les prévisions pour 2006. Il n'y a donc là aucune économie à réaliser, aucune ressource à affecter.

Peut-être financera-t-on alors les promesses qui ont été faites en remettant en cause des crédits qui ont été votés. Cela accentuerait l'effet négatif du budget sur la conjoncture économique. Je rappelle, en effet, que, de l'avis de tous les conjoncturistes, les mesures budgétaires qui ont été annoncées auront un effet récessif sur la croissance, dont nous connaissons le rythme auquel elle évolue actuellement.

En réalité, c'est le même tour de passe-passe que pour le plan Borloo. On nous annonçait 1,4 milliard d'euros en 2005 pour les mesures nouvelles du plan d'urgence en faveur de l'emploi, mais, après avoir décompté l'ensemble des mesures réaffectées, on arrivait à 112 millions d'euros, soit plus de dix fois moins. Si le même calcul devait être appliqué aux mesures annoncées par le Premier ministre, ce ne seraient plus 4,5 milliards, mais 450 millions d'euros qui seraient mobilisés pour l'emploi. On voit que cette priorité pèse peu au regard de nos comptes publics.

Je n'ai aucun plaisir à dresser ce réquisitoire. Je regrette même d'avoir à le faire dans le cadre de l'examen de l'un des dispositifs de cette politique de l'emploi, mais il fallait que cela soit dit avant que ne s'engage l'examen des articles.

Qui peut se satisfaire de voir que rien ne change ni dans l'analyse, ni dans les propositions, ni dans les moyens mobilisés par les pouvoirs publics pour faire face à la situation ? Il n'y a rien à attendre de vos propositions, car vous ne parviendrez pas à retisser le fil magique qui manque depuis 2002, celui de la confiance, qui fait la croissance, qui elle-même fait l'emploi.

La confiance, vous ne l'avez pas, à cause du bilan du gouvernement précédent - dont les membres se retrouvent dans le gouvernement actuel - et vous ne l'aurez pas, car vous ne faites rien pour la susciter, non pas sur un plan politique - c'est une cause perdue -, mais sur un plan économique.

En effet, aucune de vos mesures ne permet d'apporter des réponses concrètes à la question de l'emploi. En 1997, nous avons su recréer la confiance, en partie grâce aux emplois-jeunes, car les parents étaient rassurés de savoir que leurs enfants pouvaient obtenir un contrat, certes à durée déterminée, mais de cinq ans et avec un salaire qui ne pouvait être inférieur au SMIC. À ce dispositif se sont ajoutés le soutien au pouvoir d'achat par le transfert des cotisations sociales vers la CSG et les mesures en faveur des minima sociaux et des salaires les plus faibles.

Nos concitoyens, qui ont déjà entamé leur épargne pour financer leur consommation l'an dernier, n'ont aujourd'hui aucune raison de privilégier la consommation par rapport à leur protection. Ils voient, en effet, que le chômage augmente, que les retraites ne sont pas financées et que les prélèvements fiscaux augmentent - d'au moins 0,3 point, soit 5 milliards d'euros supplémentaires, depuis 2002.

Comment créer la confiance avec un pouvoir d'achat en berne et une consommation - le paramètre le plus dynamique de notre économie - qui commence à traîner les pieds, puisqu'elle a augmenté de 0,7 % au cours du premier semestre de 2005 alors qu'elle était de 1 % au premier semestre de 2004 ?

Vous ne pouvez pas davantage compter sur l'Europe, compte tenu de ce qui s'est passé le 29 mai dernier, des incertitudes qui en résultent et de l'affaiblissement de la France et, au premier chef, du Président de la République.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Et M. Fabius ?

M. Gaëtan Gorce. Je le connais très bien, monsieur Dubernard. Je vous le présenterai si vous le souhaitez.

La difficulté qu'ont l'ensemble des partenaires européens à privilégier la défense des intérêts de l'Europe plutôt que celle de leurs intérêts nationaux n'augure rien de bon.

La croissance, vous ne l'avez pas non plus, et vous ne faites rien pour la susciter. L'année dernière, elle était de 2,3 à 2,4 %, ce qui était exceptionnel. Pourtant, nous n'avons pratiquement pas créé d'emplois. C'est l'un des paradoxes de votre politique : vous avez inventé la croissance sans emploi. Alors que les économistes nous expliquent que, avec une croissance de 1,5 %, on commence à créer de l'emploi et à faire reculer le chômage, vous n'avez créé, avec une croissance de 2,4 %, que 17 000 emplois. Le résultat est pitoyable ! Dois-je rappeler que, entre 1997 et 2002, 250 000 emplois ont été créés chaque année ? Vous comprendrez que j'éprouve, à cet égard, une certaine nostalgie pour cette période.

Le soutien à la recherche et à l'innovation trouvera peut-être, suite au travail qui a été mené par le PDG de Saint-Gobain, un début de commencement de financement - ce dont je me félicite, car la croissance dépendra pour une large part de notre capacité de recherche et d'innovation technologique -, mais, à part cela, vous ne prévoyez rien pour soutenir le pouvoir d'achat, rien pour l'investissement, rien pour la demande.

Or, sans croissance, pas d'emploi. Je crains donc que la situation ne soit, à la fin de l'année, aussi grave qu'aujourd'hui, voire pire, car le faible écho qu'ont pu rencontrer les propositions du Gouvernement sera à son tour étouffé, et il n'y aura plus rien à attendre, plus rien à espérer.

Or, lorsque les Français n'ont plus rien à espérer de ceux qui les gouvernent pour résoudre les difficultés liées au travail et au pouvoir d'achat auxquelles ils sont confrontés, il y a beaucoup à craindre pour l'avenir, sur le terrain social comme sur le terrain politique. On aurait pu souhaiter, au moment où nous examinons un projet de loi relatif aux services à la personne grâce auquel vous espérez créer des emplois, que le discours très général de M. de Villepin trouve sa concrétisation dans une vraie discussion sur l'emploi et la croissance.

M. Pierre-Louis Fagniez. Vous êtes hors sujet, monsieur Gorce !

M. Gaëtan Gorce. Hélas ! ce débat n'aura pas lieu parce que vous n'en avez ni les moyens ni la volonté.

La semaine dernière, nous avons assisté au simple replâtrage d'une équipe qui tente de survivre tant bien que mal. Ce gouvernement, c'est un peu le radeau de la Méduse. Vous avez d'ailleurs commencé à vous manger entre vous. J'espère que la France ne subira pas les conséquences de ce vilain festin. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. la parole est à M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur Gorce, j'ai écouté très attentivement votre brillante intervention, où confiance et conscience s'entremêlaient en rimes élégantes, mais elle ressemblait fort à un discours de politique générale,...

M. Pierre-Louis Fagniez. Eh oui !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. ...celui que nous aurions aimé entendre dans la bouche de l'orateur socialiste après le discours de M. de Villepin la semaine dernière.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. M. Hollande a très bien dit les choses !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Permettez-moi de vous rappeler que ce projet de loi porte sur le développement des services à la personne, un secteur qui a été négligé depuis vingt ans, alors qu'il suffit de regarder les pays voisins pour s'apercevoir qu'il recèle de nombreux emplois. Surtout, ces services contribueront à améliorer la qualité de vie des personnes qui en bénéficieront. Recentrons donc le débat sur les personnes à qui ce texte permettra d'offrir l'accompagnement dont elles ont besoin.

M. Guy Geoffroy. C'est l'essentiel !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. En tant que président de la commission des affaires culturelles, je veux dire que je n'ai trouvé, dans votre exposé, certes brillant, aucun élément qui puisse justifier un renvoi en commission. Je vous rappelle que le projet de loi a fait l'objet d'une discussion approfondie en commission, que quelque 250 amendements ont été déposés lors des trois séances que nous avons lui avons consacrées et qu'une cinquantaine ont été adoptés.

Je remercie d'ailleurs les membres de la commission ainsi que les députés, de la majorité comme de l'opposition, qui ont bien voulu se joindre à nos débats pour les enrichissements qu'ils ont permis d'apporter au texte. Je tiens également à remercier à nouveau publiquement notre rapporteur pour le travail qu'il a accompli avec l'intelligence et l'efficacité qu'on lui connaît. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Vous ne serez donc pas surpris que je me prononce contre l'adoption de cette motion de renvoi en commission. Je souhaite que l'examen des articles se déroule dans le même esprit constructif et permette d'approfondir davantage encore le travail entrepris en commission. Je le répète, pensons avant tout à l'homme,...

Mme Paulette Guinchard-Kunstler et Mme Martine Billard. Et à la femme !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Je veux dire : à toutes les personnes qui bénéficieront de ces services, qui devraient grandement améliorer leurs conditions de vie.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. À chacun son bilan, monsieur Gorce. Vous avez dressé un bilan catastrophique de la situation, mais je voudrais tout de même rappeler l'état dans lequel nous avons trouvé notre pays en 2002. À l'époque, tous les journaux titraient sur la cagnotte et, très rapidement, nous avons constaté que l'insécurité sociale régnait, que des menaces pesaient sur le pacte républicain et que les finances publiques étaient exsangues.

Les mauvais choix et les paris perdus, vous en avez faits : les emplois jeunes, dont vous avez longuement parlé, étaient mal ciblés, vous le savez bien.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Pas tous !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Combien de jeunes diplômés « bac + 5 » en ont bénéficié, avant de se retrouver cinq ans plus tard sans aucun emploi ? Nous avons parlé ensemble, madame Guinchard, à propos de la FEHAP, la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés, de ces emplois dont la sortie n'était pas assurée. Que de créations d'emplois ne nous a-t-on pas annoncées au moment des 35 heures ! Nous aurions été heureux qu'elles se concrétisent, ne serait-ce que pour permettre à nos concitoyens de retrouver le chemin de l'emploi.

Aujourd'hui, nos compatriotes attendent une vraie mobilisation, apportant de vraies réponses avec un accompagnement de tous les jeunes, qu'ils soient qualifiés ou non. Des accords ont été passés par le Gouvernement dans plus de cent branches, nous avons engagé la dynamisation des entrées en apprentissage grâce au plan de cohésion sociale : sur les quatre derniers mois, ce sont 57 000 jeunes qui sont entrés en apprentissage. Avec le contrat jeune en entreprise, plusieurs milliers de jeunes non qualifiés sont embauchés chaque mois dans des entreprises. Aujourd'hui, 130 000 bénéficient d'un tel contrat. Le Premier ministre a annoncé la semaine dernière un crédit d'impôt, afin d'orienter les jeunes vers les secteurs qui connaissent des difficultés de recrutement. Nos efforts pour apporter des réponses pragmatiques sont manifestes.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. À vous écouter, la France va bien !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Vous n'avez rien dit, monsieur Gorce, du texte que nous allons discuter ! (« C'est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. C'est M. Gorce qu'il faut renvoyer en commission !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. J'y vois le signe d'un consensus à venir et de la confiance que vous portez à ces gisements d'emplois potentiels.

Si vous n'avez pas jugé utile de commenter le texte, pourquoi le renvoyer en commission ? Autant en discuter tout de suite, pour ne pas faire perdre de temps aux jeunes qui attendent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Bernard Perrut, pour le groupe UMP.

M. Bernard Perrut. Après avoir écouté M. Gorce, j'ai envie de reprendre ma conclusion d'hier dans laquelle je citais Lamennais : « Le pire de tous les états de l'âme est l'indifférence. » Dans sa défense de la motion de renvoi en commission, il n'a même pas évoqué l'objet du texte.

M. Pierre-Louis Fagniez. Ce n'est pas bien, monsieur Gorce !

M. Guy Geoffroy. Quel mépris !

M. Bernard Perrut. Pourtant, le projet de loi touche à la vie des hommes, des femmes, des familles, ainsi qu'à celle de personnes âgées dépendantes. Votre plaidoyer, monsieur Gorce, aurait été mieux adapté à d'autres circonstances. Vous avez mis votre talent oratoire au service de la cause de l'immobilisme et du statu quo : vous n'avez fait aucune proposition nouvelle. Vous vous êtes contenté d'évoquer les emplois-jeunes, qui n'offraient cependant ni porte de sortie, ni formation.

Vous avez également ignoré les réformes qui ont été menées. Rien n'a été dit de la réforme pour sauver nos retraites, ni de celle pour préserver la sécurité sociale, et rien non plus sur celle, menée successivement par Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin, portant sur la cohésion sociale.

Nous ne sommes d'accord avec vous que sur un seul point : la situation de l'emploi, le chômage, nous inquiètent les uns et les autres. Mais, dans un tel contexte, comment ignorer les freins à l'embauche qui nous condamnent à la rigidité ainsi que les gisements d'emplois que nous voulons exploiter ? Vous en êtes donc réduit à vous référer à la grande politique des 35 heures que, pourtant, aucun autre pays n'a mise en œuvre. (« Et pour cause ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Au contraire, nous voulons mettre en place une politique volontariste et novatrice. Le projet de loi sur les services à la personne est un projet fort qui vise à chercher des emplois là où ils se trouvent et où ils sont nécessaires. C'est cet objectif qui en fait toute la force.

Vous avez attaqué également les contrats jeunes en entreprise. En tant que rapporteur du texte, je rappelle que 200 000 jeunes ont trouvé un poste grâce à eux. En quelques semaines, entre le 1er mai et le 15 juin, les dispositions nouvelles de la loi de cohésion sociale ont permis à l'ANPE de signer 17 813 contrats d'accompagnement et contrats initiative emploi. Quant aux contrats d'avenir, cinquante-quatre conseils généraux ont déjà signé une convention d'objectifs, soit 75 000 emplois pour les titulaires du RMI et plus de 20 000 pour ceux qui perçoivent l'allocation de solidarité spécifique.

La critique ne suffit pas et il faut juger en toute objectivité de l'action concrète du Gouvernement et du Parlement en faveur de l'emploi. Nous souhaitons donc que le projet de loi soit examiné pour porter tous ses fruits sur le terrain.

Vous auriez pu, monsieur Gorce, parler du travail accompli par les associations d'aide à domicile, d'aide aux personnes âgées et aux familles. Or vous les avez ignorées, préférant vous cantonner dans un débat purement politicien et manifestant ainsi à tout le moins de l'insouciance à propos d'un sujet qui nous concerne tous.

Le projet de loi a pour ambition de rendre l'accès aux services plus simple et moins cher. Il vise à favoriser l'entrée sur le marché des services à la personne de nouveaux acteurs et à susciter de nouvelles vocations, donc à créer de l'emploi.

Pour toutes ces raisons - et elles ne sont pas exhaustives -, le groupe UMP ne pourra que rejeter la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je donne maintenant la parole à M. Francis Vercamer, pour le groupe UDF, tout en lui souhaitant une bonne semaine. (Sourires.)

M. Francis Vercamer. Je vous remercie, monsieur le président. Peut-être serai-je enclin à l'indulgence envers le Gouvernement !

Nous devons nous prononcer sur la motion de renvoi en commission défendue par Gaëtan Gorce, qui s'est fait à la fois procureur et avocat du parti socialiste dans ses grandes heures. Pourtant, tout n'est pas bleu dans cette mandature,...

Mme Paulette Guinchard-Kunstler et Mme Danièle Hoffman-Rispal. Si ! Rien que du bleu sous ce gouvernement !

M. Francis Vercamer. ...et tout n'était pas rose sous la précédente.

S'agissant des emplois-jeunes, il faut reconnaître que leur pérennisation n'était pas assurée. J'habite à quinze kilomètres de Lille, dont le maire a créé les emplois-jeunes. Je serais curieux de savoir ce que sont devenus les 3 000 emplois-jeunes mis en place dans cette ville et combien il en reste entre les murs de sa mairie. Si l'initiative était intéressante, leur avenir s'est révélé moins radieux et votre perspicacité a été prise en défaut : vous n'avez pas su rendre ces emplois pérennes.

Quant aux 35 heures, partager le travail pouvait passer pour une riche idée, mais regardez ce qui se passe dans les hôpitaux, qui ne peuvent plus faire face aux besoins des malades. La réforme n'a été ni anticipée ni financée et elle a abouti à un fiasco. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Sous cette législature, on n'a pas beaucoup écouté l'UDF quand elle faisait des propositions. Souvenez-vous de l'allocation des chômeurs en fin de droits, l'ASS, dont nous avions demandé le maintien. Nous n'avons pas été entendus si bien que le Président de la République, après l'épisode malheureux des régionales, a considéré qu'il fallait la rétablir. De même, nous avions prévu l'échec du RMI-RMA. Quelques mois plus tard, un nouveau ministre, M. Borloo, modifiait le projet qui venait d'être voté dans un sens plus conforme à ce que nous proposions. J'aurais préféré que nous soyons suivis tout de suite.

C'est pourquoi je vous suggère, la prochaine fois, d'emprunter la troisième voie, celle de l'UDF, pour gouverner la France. (Sourires.)

M. le président. Dois-je comprendre que votre groupe rejette la motion de renvoi en commission ?

M. Francis Vercamer. Oui, monsieur le président.

M. le président. La parole est à Mme Paulette Guinchard-Kunstler, pour le groupe socialiste.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. J'aimerais bien comprendre, monsieur le président, pourquoi vous ne me souhaitez pas aussi une bonne semaine !

M. le président. Soyez assurée que je vous souhaite aussi une très bonne semaine, madame Guinchard-Kunstler.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Le groupe socialiste votera la motion de renvoi en commission et le conseil des ministres de ce matin nous fournit une raison supplémentaire de le faire.

À vous entendre, madame la ministre, on a le sentiment que la France va bien.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Ce n'est pas ce que j'ai dit.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Si tel est le cas, pourquoi a-t-on changé de Premier ministre et lancé une mobilisation pour l'emploi ? Il faut peser ses mots car il s'agit d'un débat important.

Monsieur Perrut, vous avez reproché à M. Gorce de ne pas avoir abordé le sujet. J'ai pourtant cru entendre hier dans la bouche de Mme Vautrin et de M. Borloo que l'enjeu du texte était la mise en valeur de nouveaux gisements d'emplois - même si je n'aime pas beaucoup cette expression. Or M. Gorce était au cœur même du sujet, à savoir le développement de l'emploi. Il n'était nullement hors sujet.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Si !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Ses remarques s'attachaient à cerner le nombre d'emplois qu'il est possible de créer, et la qualité de ces emplois. Nous sommes tous d'accord, de M. Gorce à M. Perrut en passant par M. Vercamer, pour considérer que les services à la personne constituent un secteur qui mérite d'être soutenu. Mais il faut s'assurer qu'il l'est dans une logique de bon emploi. Nous connaissons tous la très grande précarité dans laquelle se trouvent les femmes occupant ce type de poste.

M. le président de la commission déclarait, en réponse à M. Gorce que, depuis vingt ans, rien n'avait été fait. Le Commissariat général du Plan a rendu le mois dernier un rapport sur le développement des emplois dans les services - je le tiens à sa disposition - qui dresse la liste des mesures qui ont été prises. Vous ne pouvez donc pas lancer de telles affirmations. Quand j'étais au Gouvernement, l'APA a permis de créer 120 000 équivalents temps plein. (« Elle n'était pas financée ! » sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Mes chers collègues, laissez Mme Guinchard-Kunstler s'exprimer.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Arrêtez de dire des mensonges !

M. le président. Ma chère collègue, dans l'hémicycle, c'est à moi que vous devez vous adresser. C'est même une règle que vous rappelez souvent. Alors, n'interpellez pas vos collègues.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Qui a mis en place la validation des acquis, laquelle a contribué à une professionnalisation accrue ? Vous savez très bien que le Fonds de modernisation de l'aide à domicile a permis d'engager la structuration du secteur. D'ailleurs, Mme Vautrin l'a repris dans le plan « Handicap ». On ne peut pas dire, monsieur Dubernard, que rien n'a été fait. En vingt ans, à certains moments, des étapes ont été franchies.

La question porte sur la nature et la qualité de l'emploi offert. C'est la cohésion sociale qui est en jeu. Ce sont le plus souvent des femmes seules qui s'occupent des personnes en difficulté...

M. Guy Geoffroy. C'est pour cette raison précisément qu'il faut voter le texte !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Je ne suis pas certaine du tout que les mesures envisagées dans le cadre de ce projet de loi permettent de créer du bon emploi.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Elles permettent d'avancer.

M. Pierre-Louis Fagniez. Il faut espérer !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Enfin, ce matin, lors du conseil des ministres, M. Borloo a annoncé que la disposition concernant la mise en location de pièces d'une superficie inférieures à 9 mètres carrés est retirée. L'entourage du ministre a évoqué à ce propos des malentendus : ceux qui étaient demandeurs n'auraient pas fait preuve des encouragements attendus.

Il serait certainement injuste de soupçonner M. Borloo de saisir trop vite toutes les idées qui passent. Sans doute a-t-il été influencé par des personnes qui ne connaissent pas la réalité. Je pense notamment à un amendement déposé par Mme de Panafieu dans le cadre du projet de loi sur la cohésion sociale. Nous étions nombreux, sur tous les bancs, à demander au Gouvernement de revenir sur cette disposition. Le fait qu'il puisse changer d'avis sur de nombreux points montre bien que la motion de renvoi en commission défendue par M. Gorce mérite d'être adoptée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Daniel Paul. Trois facteurs, parmi d'autres, caractérisent depuis quelques années l'évolution de notre société : le vieillissement inéluctable de la population, l'augmentation considérable du nombre de personnes souffrant de handicaps divers et la demande accrue de services liés à la « petite enfance » - expression qu'il convient d'entendre comme générique.

Mais, comme Mme Guinchard-Kunstler l'a souligné avec raison, identifier trois des principaux facteurs de l'évolution de notre société est une chose, et répondre aux demandes de services ainsi formulées, en permettant la création d'emplois, en est une autre.

Différentes réponses peuvent être données : on peut laisser jouer les règles du marché, en permettant la création d'associations ou de structures publiques et privées et en favorisant la mise en place et le développement du gré à gré.

Mais si l'on vise la création de centaines de milliers d'emplois, on peut estimer nécessaire d'organiser les choses dès le départ en vue d'éviter de grandes difficultés pour les années à venir.

La question centrale, comme M. Gorce l'a souligné, est donc bien celle de l'emploi et elle rejoint, que vous le vouliez ou non, les inquiétudes qui se sont manifestées à diverses reprises dans l'opinion publique de notre pays ces dernières années et en particulier le 29 mai.

Il nous appartient à tous, mais particulièrement à vous, qui êtes actuellement aux affaires, d'entendre le message que les Français nous ont adressé : ras-le-bol de la précarité, ras-le-bol des petits boulots, ras-le-bol des salaires qui ne permettent pas de vivre ! Or, non seulement les emplois que vous créez dans le cadre du projet de loi conduisent précisément à ce dont les Français ne veulent plus, mais vous n'hésitez pas, de surcroît, à favoriser ces dispositifs en y consacrant d'importants fonds publics. Vous utilisez l'argent des contribuables pour développer un système d'emplois fondé pour l'essentiel sur la précarité ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est extraordinaire !

M. Yves Censi. Et les emplois-jeunes ?

M. Daniel Paul. En restant sourds au message que les Français vous ont adressé, notamment et pas seulement le 29 mai dernier, vous continuez dans la voie de la précarité et des petits boulots.

Or, il faut tout de même appeler un chat un chat ! Aujourd'hui en France, notamment dans mon département, la Seine-Maritime, ce qu'un collègue ici présent pourra confirmer, des groupes - Total, ATO ou Lafarge, pour ne pas les citer - font d'énormes bénéfices. Total à lui seul a fait 10 milliards d'euros de profits en 2004, un chiffre qu'il n'avait encore jamais atteint !

Ces profits, les entreprises en question les réalisent en faisant appel à de petites entreprises - M. Gorce l'a rappelé - qui, à leur tour, ont recours à des sous-traitants. Au bout de la chaîne, ou plutôt au cinquième ou au sixième sous-sol de sous-traitants, nous trouvons des salariés en très grande difficulté, auxquels il est interdit de compter les heures sous peine d'être renvoyés. C'est ainsi que ça se passe ! Il n'existe pas de semaine sans que, dans le pays, un scandale de cette nature éclate !

Et non contents de continuer dans cette voie, malgré les appels de détresse que les Français nous ont adressés, à tous, le 29 mai, vous allez le faire en procédant par ordonnances, en vue d'instaurer notamment la période d'essai de deux ans, une mesure tout à fait scandaleuse ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Paul.

M. Daniel Paul. Je termine, monsieur le président.

Faut-il vous rappeler que ce n'est pas la loi, mais les conventions collectives, qui fixent les périodes d'essai ? L'ordonnance relative à la période d'essai modifiera-t-elle l'intégralité des conventions collectives dans notre pays ?

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Le débat sur les ordonnances, c'est la semaine prochaine !

M. Daniel Paul. Mais je ne m'éloigne pas du sujet !

M. le président. Il vous faut conclure, monsieur Paul.

M. Daniel Paul. Vous témoignez dans les deux cas de la même surdité à l'égard des messages que les Français ne cessent de vous envoyer depuis plusieurs mois, le dernier étant celui du 29 mai.

Monsieur le président, vous avez souhaité une bonne semaine à M. Vercamer. Je tiens à vous dire que, depuis trois semaines, je suis entré dans une bonne période. Je suis content que le 29 mai la majorité des Français, et le monde du travail en particulier, aient fait savoir leur refus de la poursuite d'une telle politique. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Ils s'en repentiront.

M. le président. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)

Discussion des articles

M. le président. J'appelle maintenant les articles du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

Avant l'article 1er

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 91, portant article additionnel avant l'article 1er.

La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir cet amendement.

Mme Martine Billard. Cet amendement vise à faire figurer dans la loi, sinon une définition des services à la personne, du moins un cadre général.

En effet, le projet de loi ne précise à aucun moment ce qu'il entend par les services à la personne, se contentant de faire référence à la convention qui a été signée entre l'État et les acteurs intervenant dans le secteur. Or, le projet de loi, s'il est adopté, multipliera la possibilité d'embauches directes par des particuliers, dans le cadre d'emplois à temps partiel peu payés et sans garantie de formation, et introduira de nouvelles et nombreuses exonérations sociales et fiscales, voire des crédits d'impôt. L'argent public étant utilisé pour le développement de tels emplois, ceux-ci devraient, en échange, faire l'objet d'un contrôle.

La convention nationale a regroupé les services à la personne en différentes catégories, dont la première comprend les services à la famille : garde d'enfant, soutien scolaire, ou promotion de l'assistance aux personnes dépendantes - laquelle a fait l'objet de notre part d'un accord unanime et se trouve prise en compte à l'article 1er. Mais la convention va encore plus loin, ce qui a suscité un débat en commission sur la concurrence que ces nouveaux emplois risquent de faire peser sur les artisans - je pense notamment à la coiffure - puisque, je le rappelle, les salariés pourront être directement embauchés par les particuliers désirant faire appel à leur service. L'artisanat local en pâtira et les expériences qui ont pu être menées à bien ici ou là en France, comme celle de la coiffure à domicile au profit de personnes ne pouvant plus se déplacer pour des raisons de santé, risquent d'être mises à mal.

Or, la question concerne les services non seulement associés à la vie quotidienne à domicile, qu'il s'agisse de la coiffure ou du portage des repas - chacun reconnaîtra la nécessité de venir en aide aux personnes qui, pour des raisons d'âge, de santé ou de handicap, ne peuvent plus se préparer elles-mêmes leur repas -, mais également sur le lieu de travail : « services de conciergerie en entreprise, assistance de vie pratique, "trois petits points "... ». Sont également prévus les services associés au logement et au cadre de vie : gardiennage, jardinage - sur lequel des amendements ont été déposés - ou encore conseils ponctuels en aménagement. Cela signifie-t-il que le coût du conseil pour modifier sa cuisine ouvrira droit aux exonérations de cotisations sociales ou aux réductions d'impôt ?

C'est ce qui se produira si le projet de loi ne définit pas ce que sont les services à la personne : la seule référence du décret d'application sera alors la convention nationale. On est, certes, en droit de penser que, dans un premier temps, ce décret ne s'étendra pas à des secteurs trop larges et se concentrera sur ceux qui sont vraiment utiles. Mais la coiffure, le jardinage ou le bricolage étant déjà inclus dans les services bénéficiant d'exonérations fiscales ou d'exonérations de cotisations sociales, l'amendement que j'ai déposé au nom des Verts a pour objectif de limiter le champ des services à ceux contribuant à l'autonomie des personnes - personnes âgées ou en situation de handicap - ou assurant la garde ou l'accompagnement des enfants, ce dernier secteur représentant un champ d'emplois nécessaire en l'absence de crèche ou de tout autre système de garde collective d'enfants - qu'il s'agisse de la garde des tout-petits ou de celle des enfants d'âge scolaire après les heures de classe.

Cet amendement a donc pour objectif d'interdire une utilisation trop dispendieuse de l'argent public au détriment d'actions plus utiles.

M. le président. La parole est à M. Maurice Giro, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 91.

M. Maurice Giro, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. L'avis de la commission est défavorable.

Madame Billard, si vous relisez l'article 129-1 du code du travail, vous vous rendrez compte que votre amendement est inutile. Cet article qui, je le rappelle, mentionne la garde d'enfants, l'assistance aux personnes âgées ou handicapées, l'aide personnelle à domicile, l'aide à la mobilité et les tâches ménagères ou familiales, suffit à définir le champ de l'agrément des associations et des entreprises fournissant des services à la personne et permettra d'encadrer le décret d'application qui viendra compléter le dispositif en fixant le contenu précis des activités.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Avis défavorable.

Le Gouvernement considère également que la définition donnée à l'article L. 129-1 du code du travail, laquelle mentionne la garde d'enfants, l'assistance aux personnes âgées ou handicapées et plus généralement « à celles qui ont besoin d'une aide personnelle à leur domicile », est plus précise et plus complète que celle proposée dans l'amendement.

M. le président. La parole est à Mme Paulette Guinchard-Kunstler.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. L'amendement que propose Mme Billard porte sur un sujet, la définition des emplois de service, qui, comme je l'ai déjà dit hier, restera encore longtemps d'une grande complexité, que ce soit en France ou dans les autres pays européens.

Vous avez fait le choix, madame la ministre, et je l'approuve, de sortir de ce dispositif tout ce qui relève de la santé dans le champ du domicile.

Mais cet amendement, qui fait référence de façon précise à l'autonomie et à l'accompagnement des personnes fragiles pour définir les champs des services à la personne, cerne les critères sur lesquels il convient de travailler, tout en répondant aux craintes partagées par l'UPA et les artisans dans leur ensemble. C'est pourquoi j'y suis favorable.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Il serait possible de s'en tenir au texte de l'article 129-1 s'il n'y avait ensuite des amendements qui visent à prendre en compte les travaux de jardinage, de bricolage ou de maintenance informatique, et sur lesquels porte le désaccord.

M. Maurice Giro, rapporteur. Nous en discuterons le moment venu !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 91.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 1er

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article 1er.

Nous commencerons par entendre M. Patrice Martin-Lalande, qui m'a fait savoir qu'il comptait présenter une synthèse de son intervention sur l'article 1er et de son intervention sur l'article 2. Il bénéficiera en conséquence d'un temps de parole de huit minutes.

Vous avez la parole, cher collègue.

M. Patrice Martin-Lalande. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet est un volet supplémentaire de l'application du plan de cohésion sociale, et doit être apprécié après les étapes importantes qu'ont été la signature de la convention nationale à l'automne 2004 et le vote de la loi de programmation sociale en janvier dernier. Il répond à une évolution profonde de la société, marquée par l'accroissement du taux d'activité des femmes, l'augmentation du nombre des familles monoparentales, la recherche du maintien à domicile des personnes dépendantes et celle d'un meilleur accompagnement des personnes handicapées. Comme l'a dit fortement Jean-Louis Borloo, les services à la personne sont « un enjeu essentiel pour notre société. Chacun de nous est concerné dans sa vie quotidienne, et il faut répondre d'urgence aux questions de la dépendance, de l'isolement, du lien social. »

J'ai organisé avant-hier, dans ma circonscription du Loir-et-Cher, une concertation sur ce projet avec les principaux partenaires locaux concernés, et souhaite vous faire part des points essentiels qui y ont été mis en exergue.

Le premier est la nécessité de mieux répondre aux besoins des bénéficiaires les plus fragiles. Les collectivités et les associations - et je salue au passage le travail exemplaire des bénévoles, sans qui de nombreux services ne seraient pas dispensés dans nos communes - expriment leur inquiétude face au développement des relations dans le système du gré à gré. Pour les bénéficiaires les plus fragiles, il faut, comme le projet de loi le permettra, valoriser le recours à une association ou à une entreprise ayant la capacité de sélectionner et de former les personnels, d'évaluer la qualité du service rendu et de répondre au problème du remplacement. Ce recours permet aussi de tirer le meilleur parti des simplifications apportées par la loi.

Toujours dans le souci de répondre aux besoins des plus fragiles, un autre point important est le coût des services. De ce point de vue, le texte constitue un progrès substantiel : la création du chèque emploi service universel permettra d'alléger ce coût, tout comme le crédit d'impôt et l'exonération des charges patronales de sécurité sociale. Autre avantage que l'on peut escompter : le développement de l'offre de services permettra de réduire le temps d'attente et le contingentement de certaines prestations, dont la rareté pénalise particulièrement ce public.

La deuxième préoccupation qui s'est dégagée de cette concertation est la nécessité de donner aux salariés un vrai métier. Trop souvent, en effet, les salariés sont pénalisés et démotivé par des droits sociaux au rabais, un bas niveau de rémunération, des horaires précaires et limités et une formation professionnelle embryonnaire - quand elle existe ! - et difficile d'accès. Il faut revaloriser fortement les conditions d'exercice de ces métiers. S'agissant des salaires, le projet de loi permettra de mieux solvabiliser la demande en allégeant les charges, ce qui va dans le bon sens. Pour ce qui concerne le temps de travail, le renforcement du rôle des associations et des entreprises dans les services permettra de constituer des groupements d'employeurs, seuls capables d'assurer le volume et la continuité suffisants en matière d'horaires, et donc de réduire le risque de précarité. De plus, les droits sociaux afférents à ces métiers seront significativement renforcés par le projet.

La formation, enfin, est un enjeu central pour la revalorisation de ces métiers. La concertation que j'ai conduite a montré que les financements existants sont très difficiles à mobiliser.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Très juste !

M. Patrice Martin-Lalande. Seulement 50 % du fonds de modernisation ont d'ailleurs été utilisés. Et comment se former quand l'emploi du temps est modifié toutes les semaines, ou quand les lieux où la formation est dispensée sont trop éloignés ? Je souhaite que soit expérimentée une plateforme de formation commune aux métiers du tourisme et à ceux des services à la personne ; les uns et les autres exigent en effet une aptitude à la relation avec autrui qui est la clé de la qualité du service rendu et qui pourrait être l'objet d'un tronc commun de formation. Cela aurait l'avantage d'offrir aux candidats une plus large palette d'emplois possibles et accroîtrait de ce fait le nombre des demandeurs d'emploi prêts à s'engager dans ce secteur.

Une troisième observation a été formulée par les partenaires que j'ai consultés : c'est la nécessité d'éviter la concurrence déloyale. Les activités artisanales ne doivent pas être les perdantes de cette réforme. Certains artisans craignent que les travaux à domicile réalisés dans ce cadre ne soient pas soumis aux mêmes charges fiscales, sociales, réglementaires, que ceux des entreprises de l'artisanat. En privé, M. Borloo m'a indiqué hier soir que les mêmes obligations devront être respectées, notamment en matière de sécurité. Pouvez-vous, madame la ministre, nous le confirmer publiquement ? C'est un élément important pour comparer l'activité artisanale et l'activité des associations dans ce domaine.

En tout état de cause, le projet de loi permettra aux entreprises artisanales d'intervenir dans de meilleures conditions, et je me réjouis de l'amendement de notre rapporteur, qui tend à plafonner ce type d'intervention à domicile chez un même employeur.

En apportant les garanties nécessaires à l'établissement de la relation de confiance, primordiale dans les emplois de services, et à la création d'une véritable filière professionnelle, ce projet de loi et les autres volets du plan de cohésion sociale permettront d'améliorer le quotidien de chacun et de créer plusieurs centaines de milliers d'emplois de proximité.

En ce domaine d'avenir, la France peut réussir une véritable révolution pour devenir, comme le disait hier notre ministre, une référence mondiale : une telle ambition devrait tous nous mobiliser. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Dès son article 1er, le projet de loi montre ses limites. Il passe en effet sous silence ce qui caractérise le secteur des services à la personne : les bas et très bas salaires, les temps partiels subis, les journées à rallonge et le manque d'accès à la formation initiale et continue. En ne subordonnant pas l'agrément accordé aux entreprises prestataires de services à leur action en faveur de la qualification de leurs salariés et de l'accès au temps plein, conditions nécessaires pour obtenir une rémunération décente et des droits sociaux entiers, en ne centrant pas les missions de l'Agence nationale des services autour de ces mêmes actions, en créant des enseignes nationales qui ne retiennent pas ces problématiques de fond, il ne laisse aux salariés de ce secteur aucune chance d'avoir accès à des emplois qui leur garantiraient des salaires décents et des droits sociaux complets. Tout au plus trouve-t-on une mesure incitant les employeurs à cotiser sur la base des rémunérations réelles qu'ils offrent aux salariés afin d'étendre des droits sociaux par trop réduits ; mais cela ne changera pas la situation actuelle, puisque le dispositif en vigueur n'est pas annulé.

En fait, pour échapper au discrédit dans lequel vous êtes, votre objectif est de vous attaquer aux statistiques du chômage, au prix de la pérennisation et du développement d'emplois précaires et partiels. Ainsi se trouve entérinée la situation d'une partie de la main-d'œuvre féminine et renforcée la division sexuée du marché travail : on est bien loin de la citoyenneté sociale.

Mais ce n'est pas tout. Le développement des services à la personne répond à un réel besoin social, en particulier pour les personnes âgées, pour les personnes en situation de handicap et pour la garde d'enfants, mais la concentration des moyens publics mis à disposition par l'État profite essentiellement à un petit nombre de personnes solvables : la baisse de cotisations sociales supplémentaires pour les particuliers employeurs ne profitera qu'à une minorité. Actuellement, ce sont 2 millions de ménages sur les 34 millions de notre pays qui ont recours à ces services.

Et il n'est envisagé, pour solvabiliser les populations moins aisées, ni d'instaurer un crédit d'impôt ni d'élargir les prestations aux personnes dépendantes, telle l'APA, ni d'augmenter les salaires et les pensions. Faute de crédit d'impôt, ce seront les personnes imposables sur le revenu qui bénéficieront le plus des déductions fiscales existant dans le secteur, et surtout les 10 % de ménages les plus aisés. De fait, ce texte fait l'impasse sur la question fondamentale de la démocratisation de l'accès à ces services.

Autre point contestable : pour développer le secteur des services à domicile, l'arrivée d'entreprises privées est encouragée par l'exonération totale de cotisations sociales pour les employeurs. Or il paraît difficile que ces entreprises puissent concilier des emplois de qualité, rémunérés convenablement, avec des prix de services accessibles à tous ! C'est pourquoi je souhaite, pour assurer ces services à la personne, un secteur public et associatif fort, subventionné par la puissance publique.

Ce texte accentue la logique d'une société à deux vitesses, toujours plus soumise aux contraintes liées à l'emploi : horaires de travail flexibles, à rallonge, aussi bien pour les ouvriers que pour les cadres. Pour organiser sa vie privée, une partie de la population aura recours à des services marchands fournis par un salariat précaire, constitué essentiellement de femmes qui elles-mêmes n'auront pas les moyens de s'offrir ces fameux services à domicile. Une telle précarité n'est pas acceptable ! Nul ne nie le développement de la demande des services, liée aux évolutions de notre société ; dès lors, les défauts actuels auraient dû être corrigés et les bases posées pour construire un secteur attirant les salariées et donnant des garanties aux bénéficiaires et à leurs familles. Ce n'est pas le choix qui a été fait avec ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Nous avons écouté attentivement vos réponses après la discussion générale, madame la ministre, et je me permets de revenir sur certains points où elles ne nous satisfont pas entièrement.

C'est tout d'abord la question de l'agrément. Prenons un cas concret : un conseil général, dans le cadre de son schéma gérontologique, a délivré un agrément à telle et telle association, voire à des entreprises, pour lesquelles nous élaborons désormais des cahiers des charges. Voilà qu'ensuite une entreprise veut s'installer sur le territoire concerné. Mais le conseil général lui refuse l'agrément, car il sait par expérience qu'elle n'assure pas un service social de qualité en matière d'aide à domicile. Est-ce que votre agrément simple aura valeur contraignante pour les départements et pourra les conduire à accepter une entreprise qui n'est pas compétente ? Qui tranchera ? Comme je vous l'ai déjà dit, tous les conseils généraux se posent la question.

Faut-il remettre à plat les schémas gérontologiques, sur lesquels nous travaillons depuis des années ? Vous ne m'avez pas répondu sur la loi du 2 janvier 2002 et sur le décret d'octobre 2003, qui oblige les départements à fixer les tarifs. Que va-t-il se passer, par exemple, si nous ne souhaitons pas qu'une entreprise ou une association se voie verser des sommes au titre de l'APA - allocation que nous payons - parce qu'elle ne répond pas aux critères de qualité ? Le risque de conflit est fort entre l'agrément actuel, délivré par les conseils généraux, et l'agrément « simple » dont on ne distingue pas très bien la portée : vous l'avez évoqué tout à l'heure, madame la ministre, pour des services de bricolage et de gardiennage, mais aussi pour l'aide à domicile. Cette question nous inquiète depuis le début de ce débat. Nous craignons en effet que votre agrément national ne permette pas de distinguer le premier cas de figure du second, quand il s'agit d'aider une personne âgée ou en situation de handicap dans l'accomplissement des tâches essentielles de sa vie quotidienne.

Ma dernière remarque portera sur la solvabilisation.

Nous comprenons que, pour résoudre les questions liées à l'emploi, vous ayez décidé d'étendre le chèque emploi service universel. Reste que je suis inquiète pour ceux qui en ont le plus besoin.

Tout à l'heure, vous ne m'avez pas répondu s'agissant de l'APA, dont le montant devrait être relevé si nous voulons développer une prise en charge digne de ce nom. Nous savons aujourd'hui qu'une personne très fragilisée ne peut pas bénéficier du nombre d'heures que son état nécessite. Et si cette personne n'a pas de famille ou si sa famille n'a pas envie de s'en occuper ? Le CESU permet de donner du travail à domicile, mais peut-être pas pour s'occuper des personnes les plus fragiles. Il ne correspond pas forcément aux besoins de ces dernières.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Ce texte est volontairement flou. Il s'appuie sur des besoins réels, auxquels il convient certes de répondre : personnes âgées, personnes en situation de handicap, garde d'enfants, personnes momentanément maintenues à domicile pour raisons de santé. Seulement, pour faire face à ces besoins, vous proposez de généraliser assez massivement le gré à gré. Et l'on risque ainsi de multiplier l'emploi à temps très partiel, peu payé, sans formation.

Selon le tableau figurant dans le rapport, le nombre d'emplois concernés est estimé entre 965 000 et 1 105 000. Mais cela ne correspond, en emplois équivalent temps plein, qu'à 383 750 emplois. Et de fait, le nombre d'heures moyen hebdomadaire, par exemple s'agissant des emplois directs par les particuliers employeurs, va de 9,6 à 11,7 heures. Comme il s'agit le plus souvent d'heures payées au SMIC ou très peu au-dessus, ce n'est pas ainsi que les salariés pourront mener une vie digne ! Ajoutez à cela le fait que ce sont, au moins à 85 %, des femmes qui occupent ce type d'emplois. D'où un risque d'aggravation de la précarité et des faibles revenus pour les femmes. On vient pourtant de discuter un texte sur l'égalité salariale. Notez bien que la question des emplois à temps partiel n'a pas été alors posée.

Les employeurs, de leur côté, ont intérêt à ce que la prestation dont ils ont besoin soit garantie. Une personne bloquée à domicile, en raison de son âge, de son handicap ou de sa santé, doit être sûre qu'il y aura toujours quelqu'un pour lui apporter son repas - d'autant que les personnes seules sont de plus en plus nombreuses.

Une telle garantie existe lorsqu'il est fait appel à une association, qui s'engage à envoyer quelqu'un ; en cas de problème, elle doit trouver les moyens d'envoyer quelqu'un d'autre. Mais dans le cadre du gré à gré, cette garantie disparaît. D'où un risque d'aggravation de la situation des personnes fragiles, que ce texte est supposé aider.

Le bon choix aurait consisté à développer le secteur d'utilité sociale dont ont a réellement besoin, sous la forme associative, sous la forme de régies dans les villes comme les régies de quartiers, sous la forme d'associations d'insertion, par exemple pour les gardes d'enfant. Il aurait été ainsi possible de créer de véritables emplois, à temps plein, mensualisés, avec possibilité de formation. En effet, on n'a pas forcément envie de faire ce travail toute sa vie ; avec l'âge, il est plus dur de s'occuper de petits enfants, notamment. Or avec un emploi stable et des droits à la formation, il est possible de se former à un autre métier. Mais pas dans des relations de gré à gré !

Vous auriez pu choisir de créer des emplois stables, correctement rémunérés et offrant des garanties à ceux qui y font appel. Or vous avez fait exactement l'inverse en utilisant l'argent public, en morcelant la relation de travail et en aggravant encore la situation des femmes salariées. C'est une occasion manquée, alors que le besoin de tels emplois est réel dans ce pays.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Le Guen.

M. Jean-Marie Le Guen. Monsieur le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, vous avez souhaité, à travers ce plan, répondre à une urgence sociale dramatique : la montée incroyable du chômage.

Sans doute les choix effectués en ce début de mandature n'étaient-ils pas les bons. Votre majorité avait souhaité, pour des raisons idéologiques, déstabiliser l'ensemble des structures d'emploi aidé, à commencer par les emplois-jeunes, mais elle s'est aperçue qu'aujourd'hui notre société a besoin de ce type d'emplois.

Vous essayez donc de faire repartir la machine des emplois aidés. Vous le faites par deux moyens : le premier, traditionnel, consiste à baisser les charges et à accorder des exonérations. Nous nous interrogeons cependant sur la capacité du budget de l'État à abonder le budget de la sécurité sociale en compensation des recettes ainsi supprimées. Le second consiste à concentrer les aides fiscales, lesquelles bénéficient aux foyers les plus favorisés - et sur ce point nous divergeons fortement. Que les raisons en soient idéologiques ou électoralistes, vous ne vous donnez pas les moyens d'atteindre les objectifs quantitatifs que vous vous fixez en termes d'emplois. Nous y voyons un premier frein à la réussite de ce plan.

Deuxième frein : l'absence de problématique sociale réelle vis-à-vis des travailleurs potentiellement concernés. Même en recourant à la chasse aux chômeurs, à la répression des chômeurs, on ne pourra pas mobiliser dans notre pays les énergies en direction de ces métiers, qui sont le plus souvent très difficiles.

Les élus connaissent les difficultés de maisons de retraite ou de services hospitaliers pour trouver tout au long de l'année des personnels travaillant la nuit auprès des personnes âgées dépendantes. Car de tels emplois sont très ingrats.

Alors même que vous prévoyez d'instituer des dispositifs économiques contestables, si vous ne créez pas un volet social en direction des emplois que vous voulez susciter, vous rencontrerez un problème majeur d'attractivité de ces professions.

Nous ferons des propositions à l'article 1er pour que l'Agence nationale des aides à la personne développe une vraie politique de l'emploi. Il ne s'agit pas de multiplier les emplois précaires, pas plus que les entreprises qui ne seraient pas soumises à certains objectifs sociaux. Dans le domaine de la restauration, les aides substantielles accordées par le Gouvernement ne se sont pas traduites par des emplois nouveaux - que ce soit imputable aux employeurs ou au marché du travail lui-même.

De fait, si l'on ne prend pas en compte la dimension sociale et les ressources humaines, on ne risque pas de mener à bien une politique de l'emploi ni, en l'occurrence, de créer une véritable mobilisation en faveur des services à la personne.

Qu'entendons-nous par cette politique d'attractivité ? Avant toute politique de l'emploi et de toute politique de services à la personne, il convient de garantir de véritables parcours professionnels, de valoriser l'ensemble de ces professions, d'assurer des formations et des transferts de compétences.

Dans le domaine de la santé où j'interviens souvent, et qui est connexe à celui-ci, nous aurons besoin d'organiser dans les années qui viennent un massif transfert de compétences en direction des professionnels. Nous nous heurtons aujourd'hui à une crise de la démographie médicale - médecins et autres professions de santé. Des corporatismes se manifestent, des tensions et des inquiétudes existent. Il faut résoudre les problèmes en les prenant par le haut, en mobilisant l'ensemble des professions sociales et médico-sociales. Il faut leur dire qu'elles ont de l'avenir, en assurant à chacune des personnes intéressées qu'elles ont à valoriser un parcours, qu'elles auront demain des conditions sociales acceptables et des perspectives d'emploi.

Comme le faisait remarquer notre collègue Martine Billard, la rotation de ces emplois sera nécessaire. On ne peut pas rester trente ans dans un service de personnes âgées ou de personnes dépendantes. Des « respirations » sont indispensables. Lequel d'entre nous ne le comprendrait pas ?

Cette ambition sociale, cette mobilisation des ressources humaines vers le haut sont défaillantes dans votre plan. Non seulement les mécanismes d'incitation économique sont injustes et insuffisants par rapport aux objectifs affichés, mais le volet social qui aurait pu attirer dans ces professions certaines personnes est quasiment inexistant. Vous courez à l'échec. Nous prendrons du retard dans les services à la personne et dans les actions en faveur de l'emploi, qui, à l'heure actuelle, devraient tous nous mobiliser.

M. le président. Nous passons à l'examen des amendements à l'article 1er.

Je suis saisi d'un amendement n° 209.

La parole est à Mme Paulette Guinchard-Kunstler, pour le soutenir.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Madame la ministre, nous sommes au cœur même de la question, qui vous a été posée sur tous les bancs, du lien avec le dispositif de la loi du 2 janvier 2002 s'agissant de l'encadrement du public fragile nécessitant des services à domicile.

Je l'ai dit en défendant l'exception d'irrecevabilité hier, je m'étais battue pour que l'ensemble des structures de maintien à domicile soit inclus dans le champ de la loi du 2 janvier 2002. Cela n'a pas été simple parce que les associations de maintien à domicile ne le souhaitaient pas forcément. Nous savions pourtant combien cela était important pour leur permettre d'évoluer tant dans l'offre que dans la qualité des services. J'ai là un courrier d'une association de maintien à domicile de Bretagne, qui montre combien nous avions raison. Grâce à cette disposition, cette association a élaboré un projet de services dans lequel ont été intégrées, par le biais du conseil de la vie sociale, les personnes handicapées auprès desquelles elle intervient, et elle a ouvert des services réclamés par les usagers eux-mêmes. La loi a donc profondément modifié l'organisation de son travail.

Voilà pourquoi nous demandons qu'il y ait une référence explicite dans le présent texte au code de l'action sociale et à la loi du 2 janvier 2002. C'est un élément de réponse à votre souci de structurer les services, de s'assurer de leur qualité et de leur professionnalisation. L'absence de référence directe me semble dangereuse. C'est pourquoi notre amendement tend à préciser que les associations concernées figurent dans la liste définie dans la loi du 2 janvier 2002.

Nous demandons également que l'agrément accordé par le conseil général vaille agrément pour l'État. J'ai bien entendu, madame la ministre, ce que vous avez répondu sur ce point. Une ordonnance de simplification administrative offrira aux associations et aux entreprises d'aide à domicile de choisir entre l'agrément de qualité et la loi du 2 janvier 2002.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Non !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Le conseil d'administration de la Fédération hospitalière de France, dont je suis membre, a adressé sur ce point un courrier à M. le ministre de la santé. Il ne s'agit pas uniquement des personnes âgées et des personnes fragiles. La loi du 2 janvier 2002 est vraiment un des éléments de structuration du secteur.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Oui !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Vous verrez, en lisant le document de cette association de maintien à domicile bretonne, madame la ministre, combien elle a assuré le développement de la qualité des services rendus, de la parole des usagers, mais aussi des professionnels. L'absence de référence à cette loi dans votre texte est pour nous source de grande inquiétude.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Maurice Giro, rapporteur. La loi du 2 janvier 2002 n'a jamais été remise en cause par notre majorité.

Je vais m'arrêter un instant sur cet amendement, d'une part, parce que les interventions de Mme Guinchard-Kunstler le méritent et, d'autre part, pour répondre à plusieurs dizaines d'amendements qui portent sur le même sujet.

Le champ des services à la personne n'est pas celui de l'action sociale et médico-sociale définie par le livre III du code de l'action sociale et des familles. L'agrément de l'État prévu par l'article L. 129-1 n'est pas de la même nature que l'autorisation de création ou de transformation des établissements et services médico-sociaux prévue par l'article L. 313-1 du code de l'action sociale et des familles.

Le problème soulevé par Mme Guinchard-Kunstler ne peut se poser que vis-à-vis de l'agrément de qualité concernant la fourniture de services de garde d'enfants ou d'assistance à des personnes dites vulnérables. L'agrément simple tend à permettre de bénéficier des avantages fiscaux et de cotisations sociales mais n'est pas une condition préalable pour l'exercice d'une activité d'aide, ménagère ou familiale, à la personne.

Concernant les associations et entreprises devant obtenir un agrément de qualité pour exercer leur activité de service à la personne, leur domaine d'intervention ne correspond pas au champ d'activité des établissements et des services sociaux et médico-sociaux soumis à autorisation en vertu du code de l'action sociale et des familles. La liste de ces établissements et services figure à l'article L. 312-1 de ce code. Elle ne recoupe vraiment les services à la personne que sur un point : « les établissements et les services qui apportent au domicile des personnes âgées une assistance dans les actes quotidiens de la vie ».

Ce recoupement ne pose toutefois pas de difficulté sérieuse. En effet, ces établissements et services d'aide au domicile des personnes âgées exercent également, la plupart du temps, une activité d'accueil des personnes âgées ou de prestations de soins. Or l'agrément de qualité ne peut être délivré qu'aux associations et entreprises exerçant leur activité exclusivement dans le champ des activités mentionnées à l'article L. 129-1 du code du travail. Un agrément de l'État au titre des services à la personne ne pourra donc pas être délivré à la plupart de ces services. Une seule exception est toutefois prévue - elle existe dans le droit en vigueur - au bénéfice des établissements publics hébergeant des personnes âgées.

Ce raisonnement s'applique à la plupart des établissements et services soumis à autorisation sociale et médico-sociale. Notamment, j'attire l'attention sur le fait que les activités médicales sont totalement exclues du champ des services à la personne.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. J'y ai fait référence tout à l'heure !

M. Maurice Giro, rapporteur. Dès lors, les associations et entreprises demandant un agrément au titre de l'article L. 129-1 ne peuvent pas proposer des prestations de soins. L'agrément des services à la personne et l'autorisation des services sociaux et médico-sociaux peuvent donc coexister sans difficulté. Nous nous trouvons d'ailleurs face à une situation nouvelle puisque le code de l'action sociale a été réformé en 2002 et qu'à cette date l'agrément de qualité existait déjà depuis plusieurs années.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Tout à fait !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. C'est vrai !

M. Maurice Giro, rapporteur. Pour sécuriser les services sociaux et médico-sociaux, le Gouvernement a annoncé clairement son intention de considérer toute autorisation délivrée en application du code de l'action sociale et des familles comme valant agrément de qualité pour offrir des prestations de services à la personne sur le département. C'est une simplification et une clarification qui va dans le sens de l'apaisement.

Par ailleurs, les autorités chargées de délivrer l'agrément de qualité et l'autorisation médico-sociale doivent rester différentes. Pour les services à la personne, il s'agit du préfet ; pour les services sociaux et médico-sociaux, il s'agit tantôt du préfet, tantôt du président du conseil général, tantôt d'une décision conjointe. Les procédures et les objectifs poursuivis ne répondent pas aux mêmes impératifs. Je ne nie pas cependant que certains services à la personne agréés pourront proposer des prestations également offertes par des établissements médico-sociaux, ce qui instaurera une saine émulation dont devraient bénéficier les personnes âgées ou handicapées. Une telle coexistence existe d'ailleurs déjà aujourd'hui. Elle tendra seulement à se développer.

Pour ces motifs, la commission a rejeté tous les amendements demandant d'adosser le régime d'agrément des services à la personne au dispositif d'autorisation de création des établissements et services sociaux et médico-sociaux.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, pour donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 209.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs, je souscris à la position du rapporteur. Ne nous trompons pas de sujet ! L'aide médico-sociale est, pour l'essentiel, financée par des collectivités, notamment les départements, parfois avec un accord du préfet, parfois en totale autonomie de fonctionnement. Il n'est question de toucher ni à l'agrément, ni au prix de journée, ni au financement. Ce dispositif fonctionne et, je le disais dans ma déclaration initiale, la France n'a pas à rougir par rapport à ce qui existe dans d'autres pays européens. L'allongement de la durée de vie, les souhaits de nos compatriotes exigent, certes, que nous allions plus loin, mais nous ne touchons pas à cette règle-là.

Le véritable enjeu est d'offrir à tous, salariés, retraités, et non pas aux seuls PDG d'entreprise - qui le peuvent parce que leur secrétaire a le temps de faire les démarches -, le moyen d'accéder, dans des conditions financières raisonnables, à un service à domicile. Pour y parvenir, il faut réunir certaines conditions. La première, c'est la professionnalisation et le montant des salaires. Il y a trois mois, les conventions concernant les assistantes maternelles ont permis un financement en temps réel et une revalorisation des salaires de 23 %. Enfin ! La deuxième, c'est d'offrir un temps de travail suffisant à des personnes qui souhaitent travailler plus dans la semaine. Il faut permettre, par la professionnalisation et la polyvalence, aux femmes - certes plus nombreuses, madame Billard - mais aussi aux hommes d'atteindre un temps de travail hebdomadaire tendant au temps plein : deux heures hebdomadaires à domicile par foyer fiscal, c'est deux millions d'équivalent temps plein !

La révolution que nous proposons, c'est d'offrir à chacun, quel que soit son niveau sur l'échelle sociale, l'accès à une heure s'il en a besoin, pour déboguer un ordinateur, par exemple. Toutes les études montrent que, pour une nouvelle activité que l'on ne connaît pas, on passe quatorze heures à chercher un prestataire qualifié.

Il ne s'agit pas, monsieur Paul, de faire un marché de la grande distribution du service, mais de permettre à tout citoyen de pouvoir s'adresser à une enseigne de qualité - caisse d'épargne, AG2R, MAIF, MACIF, qui sont en quelque sorte des coopératives regroupant 38 millions de sociétaires - qui va sous-traiter à l'association, à la société ou à l'artisan pour garantir la qualité de l'information ou du service instantané. Voilà l'objectif de cette révolution : offrir du temps de travail qualifié partagé et résorber la précarité, fille de l'insuffisance d'offres.

Les associations, y compris celles qui sont visées dans la loi de 2002, demandent de pouvoir avoir des activités proches, où la polyvalence peut s'exercer, de façon à aller vers du temps plein, des filières de formation, un encadrement, une promotion sociale. Car malheureusement, le marché n'est pas suffisamment vaste pour permettre de faire plus de deux fois une heure et demie de service à domicile dans la journée.

C'est une véritable révolution du modèle français et elle est pour tous les citoyens. J'ai entendu que le chèque service universel n'était destiné qu'aux plus riches. Mais c'est exactement la même chose que le chèque restaurant ! Il s'agit d'améliorer les conditions de travail des salariés français en leur permettant, grâce au chèque service universel abondé par l'entreprise, d'avoir un service moins cher et d'accéder aux mêmes prestations qu'un cadre ou un PDG d'entreprise. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Avis défavorable à l'amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Le Guen.

M. Jean-Marie Le Guen. Je ne doute pas de votre bonne volonté, monsieur le ministre.

Vous dites que la vraie réponse à la précarité est, en quelque sorte, la demande de travail, c'est-à-dire faire en sorte qu'un plus grand nombre de personnes travaillent. Cela est grandement insuffisant. La précarité pour un travailleur, c'est exercer une profession qui ne lui assure ni statut, ni sécurité - en cas d'accident, par exemple - ni perspective de carrière, ni valorisation de son parcours grâce à une formation. Voilà des éléments de nature à lutter contre la précarité !

Le président de l'UMP a déclaré lors de la réunion du groupe ce week-end qu'il était logique que le bénéficiaire d'une allocation minimum de solidarité fournisse un travail à la société. C'est une conception que je combats. D'ailleurs, vous n'arriverez pas à créer une dynamique ni de demande ni d'offre d'emplois. Vous ne parviendrez pas à provoquer une mobilisation, à trouver des gens suffisamment motivés pour remplir l'ensemble des tâches, à moins - et c'est sans doute ce que vous comptez faire demain - d'utiliser un peu plus la contrainte.

Enfin, vous me semblez faire preuve de naïveté. Comment croire, en effet, que le patronat acceptera de nouvelles contributions sur le mode des chèques restaurant quand on voit ce qui se passe aujourd'hui en France et même dans le monde ? Vous avez parlé de AG2R ; j'évoquerai pour ma part les systèmes de prévoyance et d'assurance complémentaire d'entreprise : le MEDEF a donné pour consigne stricte de reprendre en main ces structures paritaires afin d'y peser de façon beaucoup plus forte dans le but de diminuer le champ de couverture des contrats et leur coût. D'ailleurs, d'un certain point de vue, je le comprends : la réforme de l'assurance maladie s'étant accompagnée de la mise hors remboursement de nombreuses prestations, la part des assurances complémentaires va augmenter de façon considérable et le patronat n'a pas spécialement envie d'augmenter ses charges indirectes dans le cadre de sa politique sociale.

Étant donné les menaces qui pèsent sur les retraites et l'assurance maladie, je vois mal comment les entreprises pourraient accroître leurs contributions. Votre optimisme me semble excessif et j'ai peur qu'il ne s'agisse, là encore, d'une promesse qui ne sera pas suivie d'effets. Si elle n'est pas accompagnée de contraintes dans les conventions collectives et de pressions du Gouvernement sur le patronat, les résultats seront bien loin de vos espérances.

M. le président. Avec beaucoup d'indulgence, je vais encore donner la parole à Mme Martine Billard, qui me l'a demandée. Le débat reprendra ensuite un rythme plus soutenu.

Vous avez la parole, madame Billard, pour une très courte intervention.

Mme Martine Billard. Malgré l'enthousiasme manifesté par M. le ministre, la comparaison avec les chèques restaurant pèche contre la logique car l'on a besoin de se nourrir pour survivre. On est donc obligé d'utiliser les chèques restaurant quand il n'y a pas de restaurant d'entreprise tandis qu'on n'est pas obligé de faire appel à une femme de ménage.

Par ailleurs, je ne suis pas convaincue que le rêve de tous les Français soit de pouvoir se payer des services comme un PDG. Celui de beaucoup de salariés me semble plutôt être de maintenir la réduction du temps de travail pour avoir le temps d'accomplir eux-mêmes un certain nombre de tâches.

Je le répète, s'il est réellement possible de développer l'emploi dans le secteur des services à la personne, il faut réserver toutes les aides au secteur associatif afin de créer des emplois stables et bien payés au lieu de travaux à temps partiel, peu payés et ne présentant aucune perspective de formation.

C'est vraiment le grand défaut de votre loi, monsieur le ministre, quel que soit l'enthousiasme avec lequel vous la défendez.

M. le président. Mme Guinchard-Kunstler avait également demandé la parole...

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Je répondrai au Gouvernement lorsque je défendrai mon prochain amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 209.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 107 rectifié et 221, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Georges Colombier, pour soutenir l'amendement n° 107 rectifié.

M. Georges Colombier. L'article 1er du projet de loi prévoit une procédure d'agrément dont l'obtention conditionne la possibilité de mettre en place un certain nombre de services à la personne. Les dispositions du projet de loi ne visent que les associations et entreprises.

Or, dans le champ des services aux personnes, les centres communaux et intercommunaux d'action sociale - les CCAS-CIAS - établissements publics administratifs, se sont, depuis de nombreuses années largement investis, tant dans la gestion d'activités de maintien à domicile telles que les services d'aide ménagère, de soins infirmiers à domicile ou de portage de repas, que dans le développement de services aux personnes, dans des domaines très variés : portage de médicaments ou de livres, petits dépannages, entretien des jardins, transport à la demande, garde d'enfants, aide aux aidants, services de téléassistance, aide aux démarches administratives et aux courses.

Les CCAS-CIAS représentent dans ce cadre un réel potentiel de création d'emplois dans les différents secteurs d'activité mentionnés à l'article L. 129-1. Nous souhaiterions donc qu'ils puissent être soumis, à côté des associations et entreprises, aux dispositions de l'article 1er.

M. le président. La parole est à Mme Paulette Guinchard-Kunstler, pour soutenir l'amendement n° 221.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Comme je l'ai annoncé, je répondrai également à M. le ministre concernant mon amendement précédent.

Les CCAS et les CIAS ont été les premiers à organiser des services de maintien à domicile, dans toute leur diversité d'ailleurs, et pas seulement en matière d'accompagnement des personnes fragiles. Nous demandons donc, comme M. Colombier, qu'il y soit fait référence à l'article 1er.

J'entends bien, monsieur le ministre, vos propositions et votre volonté de développer l'emploi dans le secteur des services à la personne. Et pourquoi pas s'il s'agit de bons emplois s'exerçant dans des conditions de travail et d'organisation équilibrées et équitables au niveau national ! Nous aurons l'occasion d'y revenir.

Mais, et je me permets d'insister, il est absolument nécessaire que le présent texte fasse référence à la loi du 2 janvier 2002, qui régit les services de maintien à domicile existants. Ce ne sont pas les dispositions du projet de loi qui sont en cause mais celles de l'ordonnance, qui fragilisent le système. Consciente du danger, la commission a même considéré devoir adopter un amendement précisant que tous les services de soutien à domicile concernaient les personnes fragiles.

Lors de l'examen du texte en commission, le problème de la référence à la loi du 2 janvier 2002 a été soulevé sur tous les bancs. Tous ceux qui connaissent le secteur des services à la personne savent que c'est un enjeu crucial.

Tous les services de maintien à domicile inclus dans le champ de cette loi ont développé un dispositif de qualité autour de la norme AFNOR, ce qui a garanti leur professionnalisation. Je dois avouer que la qualité du service rendu au public n'a pas forcément connu une amélioration aussi forte mais, si je me bats pour que l'on continue à y faire référence, c'est parce qu'elle est garante d'une meilleure organisation des services.

N'en ayons pas peur, si je puis utiliser cette formule...

M. le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement. Célèbre !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. ...déjà utilisée par beaucoup de monde !

Cela permettra à la fois de changer les choses et de clarifier les positions des uns et des autres.

Mais vous refusez cette référence et c'est bien dommage.

Pour revenir à l'amendement n° 221, faisons en sorte que les CCAS et les CIAS soient clairement mentionnés dans la loi.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 107 rectifié et 221 ?

M. Maurice Giro, rapporteur. Les centres communaux ou intercommunaux d'action sociale sont soit des services communaux, soit des établissements publics administratifs, soit des associations.

Dans les deux premiers cas, ils constituent des services en régie de la commune ou de la communauté de communes et n'ont donc pas de personnalité morale. Or, on ne peut pas délivrer d'agrément à une personne publique. Je rappelle que les services à la personne s'effectuent dans le cadre du code du travail.

Il existe une exception, ancienne mais toujours en vigueur, pour les établissements publics qui hébergent des personnes âgées.

Dans le troisième cas, c'est-à-dire dans celui d'une association, le centre peut, bien entendu recevoir un agrément de l'État.

Avis défavorable, par conséquent, sur les deux amendements.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Je rends, moi aussi, hommage au rôle remarquable joué par les CCAS et les CIAS.

Cela étant, comme tout le monde le sait, le législateur leur a confié, dans le domaine social et médico-social, des missions beaucoup plus larges que celles du simple service à la personne et ils bénéficient déjà d'exonérations de charges sociales au titre de certaines de leurs activités. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable aux deux amendements.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 107 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 221.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 138.

La parole est à Mme Paulette Guinchard-Kunstler, pour le défendre.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Cet amendement est défendu.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Maurice Giro, rapporteur. Avis défavorable. La notion d'assistance aux personnes âgées ou handicapées est claire et figure dans la loi depuis que l'agrément existe. C'est le terme même retenu par Édith Cresson dans la loi du 31 décembre 1991 qui a mis en place le premier agrément de l'État.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Nous préférons également le terme d'assistance. Voilà un bon exemple de la volonté du Gouvernement de s'appuyer sur la loi du 2 janvier 2002 !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Oh ! Pour ne pas allonger les débats, je vous répondrai plus tard, madame la ministre !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 138.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 11 et 204 rectifié, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l'amendement n° 11.

M. Maurice Giro, rapporteur. Cet amendement concerne l'agrément de qualité, que les associations ou les entreprises doivent obtenir de l'État pour pouvoir proposer leurs services de garde d'enfants ou d'assistance aux personnes dites vulnérables, c'est-à-dire les personnes âgées, handicapées ou très dépendantes.

Sur ma proposition, la commission a adopté cet amendement afin de préciser la rédaction du dispositif concernant les personnes dépendantes. En effet, l'agrément ne doit concerner que le cas des activités tournées vers les personnes dont la capacité physique, intellectuelle, mentale ou psychique nécessite une aide à domicile.

Le besoin d'aide personnelle qui est visé ne doit par résulter d'une simple indisponibilité liée, par exemple, à une surcharge de travail. Seules les activités relatives aux tâches ménagères et familiales du deuxième alinéa de l'article L. 129-1 concernent tout le monde sans restriction. En ce cas, l'agrément n'est nécessaire à l'association ou l'entreprise que pour bénéficier des avantages fiscaux et également de l'exonération de cotisations patronales.

M. le président. L'amendement n° 204 rectifié est-il défendu ?

M. Bernard Perrut. Oui, monsieur le président.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les deux amendements en discussion ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. La proposition de la commission est intéressante, mais je crains qu'elle n'ait tendance à trop restreindre le champ de ce que l'on peut appeler les « autres personnes susceptibles d'avoir besoin d'une aide personnelle à leur domicile ».

Au-delà des personnes fragiles, dont nous avons déjà parlé, je rappelle que l'esprit du projet de loi repose sur le principe de permettre un large accès à ces services. C'est une des conditions importantes visant à assurer le développement de ces emplois. C'est la raison pour laquelle l'avis du Gouvernement est défavorable.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Maurice Giro, rapporteur. Je retire l'amendement n° 11.

M. le président. L'amendement n° 11 est retiré.

M. Daniel Paul et Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Il est repris !

M. le président. L'amendement n° 11 est repris par M. Daniel Paul et Mme Guinchard-Kunstler.

La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. La façon dont a réagi Mme la ministre m'a poussé à reprendre cet amendement.

Dans sa sagesse, la commission avait finalement admis qu'il n'était pas souhaitable d'élargir à l'excès le recours à ce type d'emplois et, surtout, le bénéfice des aides y afférentes.

Le rapporteur, au nom de la commission, a donc tenté de limiter un peu ces possibilités - même si, à mon avis, on aurait pu aller plus loin. Il serait étonnant que les membres de la commission et le rapporteur se déjugent si peu de temps après l'adoption de l'amendement. Il me paraît personnellement souhaitable de l'adopter.

M. le président. La parole est à Mme Paulette Guinchard-Kunstler.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Il est intéressant de comparer les exposés des motifs des amendements nos 204 rectifié et 11, qui sont en discussion commune.

L'amendement n° 11 de la commission vise à permettre la reconnaissance de la situation des publics fragiles en situation d'incapacité physique ou psychique. Aussi me semble-t-il nécessaire de faire référence à la loi du 2 janvier 2002, afin de préciser clairement ce qui se situe dans le champ de l'aide aux publics fragiles.

Dans le même temps, avec un amendement assez semblable, Mme Boutin propose d'élargir le champ de l'article L. 129-1 aux cavaliers propriétaires de chevaux de selle à qui leur activité professionnelle ne laisse pas le temps d'entretenir leurs chevaux. Il faut qu'elle sache qu'il est possible de constituer des GIE afin qu'un groupement de propriétaires emploie des personnes dans le domaine de l'agriculture, des fromageries, etc. Cela existe depuis longtemps et c'est essentiel, tant pour les employeurs que pour les salariés. Cet amendement est l'exemple type des dérives possibles. La meilleure réponse résidait, selon moi, en une référence à la loi de 2002.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 11.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je note, madame Guinchard-Kunstler, que vous n'avez pas voté l'amendement que vous avez repris ! (Sourires.)

Je mets aux voix l'amendement n° 204 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 195 deuxième rectification.

La parole est à M. Frédéric Soulier, pour le soutenir.

M. Frédéric Soulier. L'objectif majeur du plan de développement des services à la personne est de créer et de pérenniser des emplois.

L'article L. 129-1 clarifie la définition des activités de services à la personne à domicile et relève du régime d'agrément.

Le régime instituant cet agrément délivré par l'État concerne les associations et entreprises qui consacrent exclusivement leurs activités à des services aux personnes. L'agrément est obligatoire lorsque le champ d'activité de ces associations ou entreprises concerne des publics vulnérables. Le dispositif d'accompagnement scolaire s'inscrit dans cet esprit et renforce le rétablissement d'égalité des chances.

L'égalité des chances en matière d'accompagnement peut aussi concerner les publics vulnérables hors domicile.

Mon amendement tend à inclure dans le dispositif le soutien scolaire hors domicile, au même titre que la garde d'enfant à domicile et hors domicile.

Quels sont les avantages pour les bénéficiaires ? L'accompagnement scolaire hors domicile est délivré par des enseignants qualifiés à des enfants ou des adolescents. L'accompagnement de l'enseignement à domicile est aujourd'hui majoritairement assuré par des étudiants, certes utiles mais sans compétence pédagogique affirmée, ni reconnue, le résultat restant souvent aléatoire. Le modèle du soutien scolaire hors domicile est créateur d'emplois. À titre d'exemple, 3 000 vacataires de l'éducation nationale sont aujourd'hui inscrits à l'ANPE. L'accompagnement hors domicile, sous couvert d'agrément délivré par l'État, permettrait de développer des CDI dans le cadre de l'accompagnement scolaire hors domicile.

Quels en seraient les avantages pour l'État ? Nous assistons à une véritable distorsion de concurrence. En effet, le soutien scolaire à domicile relève de la TVA à 5,5 %. Je rappelle que la majorité des cours à domicile sont assurés par des étudiants, sans compensation de recettes fiscales, alors que le soutien scolaire hors domicile relève du taux de 19,6 % - et en toute transparence puisqu'il y a facturation. À cela, il conviendra d'ajouter, après le vote de la loi, la réduction d'impôt, l'exonération des cotisations, ce qui accentuera une fois de plus la distorsion de concurrence vis-à-vis du hors-domicile.

L'intégration du soutien scolaire hors domicile dans la liste des procédures et des agréments fournis par l'État me semble correspondre à l'esprit de la loi : le développement des services à la personne, de l'emploi et de sa pérennisation. Ce serait bénéfique pour les finances publiques et permettrait d'assainir le marché de l'accompagnement scolaire.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Maurice Giro, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable. Il s'agit d'une trop grande extension de l'agrément de qualité. L'agrément simple concerne les tâches ménagères ou familiales qui peuvent être fournies par une aide hors domicile, par exemple par des conciergeries d'entreprise.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Cet amendement se situe précisément dans le cadre de ce que nous voulons éviter : une évolution vers des services en dehors du domicile.

L'article L. 129-1 s'applique aux activités exercées au domicile. L'aide hors domicile vise à fournir une aide à la mobilité dans un environnement proche pour des personnes vulnérables.

Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, qui pourrait de plus entraîner une très nette distorsion de concurrence.

M. le président. La parole est à Mme Paulette Guinchard-Kunstler.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Cet amendement illustre les dérapages possibles. Nous allons tous être confrontés à ce genre de pressions.

Vos arguments, monsieur Soulier, entraînent un risque de « marchandisation » de l'éducation.

On comprend l'énorme enjeu de tous ces services d'accompagnement des personnes en difficulté et d'accompagnement de la petite enfance. Il est important de trouver un dispositif permettant d'organiser l'intervention publique dans ces domaines.

Les propos de Mme la ministre sur cet amendement m'ont rassurée. Je pense qu'il faut réfléchir au rôle des communes, des départements et de l'État sur tous ces points.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Soulier.

M. Frédéric Soulier. Je retire l'amendement.

M. le président. L'amendement n° 195 deuxième rectification est retiré.

Je suis saisi d'un amendement n° 139.

La parole est à Mme Paulette Guinchard-Kunstler, pour le défendre.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. L'amendement tend à substituer, dans le premier alinéa de l'article  L. 129-1 du code du travail, le mot « soutien » au mot « maintien ».

Tous les secteurs relevant du code du travail, du code de l'action sociale utilisent le mot « maintien ». Il s'agit d'une évolution profonde de la société visant à respecter la dignité humaine, qui doit se traduire par l'usage des mots « soutien » et « accompagnement ». Il ne s'agit pas simplement d'un amendement rédactionnel - j'aurais d'ailleurs pu procéder à cette modification lorsque j'étais au Gouvernement. On ne « maintient » pas les personnes âgées à leur domicile, on les « soutient ».

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Maurice Giro, rapporteur. L'agrément de qualité vise le maintien à domicile et donc, évidemment, le soutien à domicile des personnes ayant des difficultés de mobilité.

Avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Madame Guinchard-Kunstler, nous n'allons pas nous livrer à un grand débat sur ce sujet, qui nous passionne l'une et l'autre.

L'expression « maintien à domicile » est communément admise par nos concitoyens. Pour la clarté des débats, il convient de la conserver.

Avis défavorable.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Dommage !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 139.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous indique dès à présent que je lèverai la séance vers dix-neuf heures trente.

Je suis saisi d'un amendement n° 92.

La parole est à Mme Martine Billard, pour le défendre.

Mme Martine Billard. Cet amendement est défendu.

Permettez-moi, monsieur le président, de revenir brièvement sur l'amendement précédent. Je pense en effet qu'à terme nous devrons avoir une réflexion sur la différence entre les notions de « maintien » et de « soutien » à domicile des personnes en difficulté.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Tout à fait !

Mme Martine Billard. Le mot « maintien » n'implique pas forcément que la personne dépendante soit maintenue à son domicile dans de bonnes conditions. C'est la raison pour laquelle il faudra non seulement assurer le maintien à domicile, mais également le soutien pour éviter l'isolement, mais c'est un autre débat.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. C'est en effet un sujet de fond ! Dans ce cas, je préfère parler d'accompagnement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Maurice Giro, rapporteur. Avis défavorable. L'argumentaire sur l'articulation avec le dispositif médico-social a déjà été développé.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 92.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 205 et 141, pouvant être soumis à une discussion commune.

L'amendement n° 205 n'est pas défendu.

La parole est à Mme Guinchard-Kunstler, pour soutenir l'amendement n° 141.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Cet amendement nous ramène à la discussion qui a eu lieu sur l'amendement de M. Soulier.

L'ensemble des dispositifs contenus aussi bien dans les lois de décentralisation que dans les lois relatives au champ médico-social et à l'égalité des chances confère une très grande responsabilité aux conseils généraux.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. C'est vrai.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Nous devons tenter de structurer le secteur des emplois de service à domicile. Nous ne pouvons séparer cette question de celle de l'organisation du territoire et de la responsabilité publique. Il y a là des enjeux de cohésion sociale et de protection des publics fragiles.

Depuis ces différentes lois, les conseils généraux se sont fortement investis dans le champ médico-social. Dans une vraie logique de décentralisation, il serait normal de donner aux conseils généraux la possibilité de délivrer eux aussi l'agrément aux associations et entreprises ayant pour activité le maintien à domicile des publics fragiles. Nous aurons rapidement, j'en suis persuadée et Mme Lignières-Cassou est intervenue à ce sujet, à réfléchir sur l'articulation entre territoire et développement des services.

Reconnaissons dans ce projet de loi la place et la compétence des conseils généraux en matière d'agrément. Tel est le sens de cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Maurice Giro, rapporteur. Avis défavorable. Je me suis déjà exprimé sur le sujet.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Défavorable, pour les mêmes raisons.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 141.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 225.

La parole est à Mme Paulette Guinchard-Kunstler, pour le soutenir.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Nous désignons dans notre amendement l'outil dont disposent les départements, à savoir les schémas départementaux, qui du reste ont été votés par l'actuelle majorité. Vous disiez en effet que les schémas départementaux concernant les personnes âgées, la petite enfance et les personnes fragiles devaient être envisagés en concertation avec l'État. Or, certains collègues de la majorité souhaitaient que seuls les départements en soient chargés.

Ces schémas sont des outils qui permettent de bien organiser l'agrément et la tarification, donc l'organisation des services aux personnes fragiles. J'en suis maintenant à me demander si ce projet de loi a été préparé avec les conseils généraux.

Je peux vous assurer, monsieur le rapporteur, que les conseillers généraux se demandent pourquoi on ne recourt pas à leurs compétences. Cela revient à ne pas reconnaître leur mission dans l'organisation des services. Les ignorer contribue à fragiliser votre loi.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Maurice Giro, rapporteur. Avis défavorable. J'ai déjà développé mes arguments.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Il n'est pas question, madame Guinchard-Kunstler, de remettre en cause le rôle des conseils généraux. Par ailleurs, l'agrément des services à la personne délivré par le représentant de l'État lorsqu'il concerne les publics vulnérables auxquels vous faites allusion, reste soumis à l'avis du président du conseil général, qui a bien évidemment une vision complète des structures présentes sur son territoire et de celles qui sont prévues dans son schéma départemental.

Le président du conseil général dans l'instruction des demandes d'agrément le concernant établit le lien que vous préconisez entre l'agrément délivré par l'État et les schémas d'organisation sociale et médico-sociale. Il est évident qu'il continuera, plus que jamais, à le faire eu égard aux responsabilités des conseils généraux.

Votre amendement est donc totalement satisfait. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement y est défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 225.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 140.

La parole est à Mme Paulette Guinchard-Kunstler, pour le défendre.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. Cet amendement est défendu.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Maurice Giro, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 140.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 93.

La parole est à Mme Martine Billard, pour le soutenir.

Mme Martine Billard. Notre amendement pose la question de la sélectivité des taux réduits de TVA et des exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale. Autant cela se justifie pour les activités visant au maintien à domicile des personnes fragiles, autant je ne vois pas pourquoi les fonds publics serviraient à payer des femmes de ménage au domicile de ceux qui ont les moyens de se payer une aide à domicile.

Nous ne sommes pourtant pas dans une période de croissance mirifique, où l'État disposerait d'un excédent budgétaire conséquent pour nous permettre une telle dérive. Cela ne semble pas émouvoir nos collègues de la majorité qui ont déposé un certain nombre d'amendements, Mme Boutin par exemple, visant à exonérer de cotisations sociales l'ensemble des activités de services C'est inadmissible !

Je plaide en faveur d'exonérations de cotisations sociales circonscrites aux activités de services aux personnes âgées en perte d'autonomie et aux personnes en situation de handicap, à la garde d'enfants quand les modes de gardes collectifs - crèches, garderies - font défaut.

En outre, à force de supprimer les cotisations, de surcroît compensées par l'État, on exonère des secteurs qui ne risquent pas la délocalisation : ce sont des emplois locaux qui s'effectuent sur le territoire national. La question de recourir à des mesures fiscales quand il s'agit de délocalisations hors de France ou hors d'Europe peut se poser, même si, pour ma part, je suis favorable à l'harmonisation fiscale au niveau de l'Europe - cela éviterait la concurrence. Mais utiliser de telles mesures dans le champ d'activités pour lequel il n'y a ni risque de délocalisation ni risque de concurrence ne s'impose pas.

Je considère que, si quelqu'un a fait le choix d'embaucher une personne pour assurer un certain nombre d'activités ménagères, c'est qu'il en a les moyens. On ne peut tout de même pas cumuler trois niveaux d'exonérations - réduction d'impôts, exonérations de cotisations sociales, TVA à taux réduit - : c'est beaucoup pour des activités qui ne sont pas fondamentales. Il serait nettement préférable de consacrer ces fonds à promouvoir la recherche. À cet égard, je vous invite à vous reporter au débat consacré à l'Europe, qui a eu lieu cet après-midi : n'a-t-on pas entendu qu'il fallait, dans le domaine de la recherche, des actions volontaires au niveau européen ? Il me semble que nous pouvons tous être d'accord.

En tout état de cause, mieux vaudrait utiliser les deniers publics à bon escient !

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Avec votre proposition, c'est le retour au travail au noir !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Maurice Giro, rapporteur. Avis défavorable. Je regrette, madame Billard, que vous n'ayez pas compris la philosophie du projet de loi : créer des emplois, de plus des emplois non délocalisables.

Mme Martine Billard. Mieux vaut en créer dans la recherche !

M. Maurice Giro, rapporteur. Le Gouvernement veut étendre le champ des « tâches ménagères ou familiales ». Il a publié une liste indicative d'activités pouvant y figurer. Nous ne sommes pas dans le flou, d'autant moins que l'expression « tâches ménagères ou familiales » est ancienne et bien connue.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Comme vient de le dire parfaitement le rapporteur, notre objectif est bien d'exploiter un gisement important d'emplois.

Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 93.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 220.

La parole est à Mme Paulette Guinchard-Kunstler, pour le soutenir.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler. M. Paul a, lors d'un précédent débat, défendu un amendement visant à faire bénéficier le transport des publics fragiles des exonérations de charges découlant de l'article L. 129-1 du code du travail.

Nous proposons, dans l'amendement n° 220, que ces exonérations s'appliquent également à l'accueil de jour, qui fait partie des dispositifs de soutien ou de maintien à domicile.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Maurice Giro, rapporteur. Avis défavorable. Ce serait étendre excessivement le champ des services à la personne, qui doit être centré sur l'aide à domicile.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Autant le Gouvernement est défavorable à ce que l'accueil de jour bénéficie de l'exonération, autant il me paraît nécessaire d'approfondir le débat, au cours de la navette parlementaire, sur le transport des personnes fragiles.

Le vrai problème aujourd'hui est en effet le défaut d'accompagnement des personnes vulnérables dans les lieux d'accueil de jour. Nous devons favoriser leur insertion dans leur environnement proche.

Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Lorsque M. Fillon était en charge du ministère des affaires sociales, j'avais défendu l'idée que le transport des personnes fragiles fait partie du maintien à domicile. Quand une personne âgée relativement dépendante a besoin de se rendre chez son médecin spécialiste, souvent éloigné de son domicile, alors que le médecin généraliste est à proximité, ou de faire un certain nombre d'actes de la vie courante, elle peut bien sûr prendre un taxi, mais celui-ci la déposera en bas de l'immeuble et viendra la rechercher au même endroit.

M. Fillon avait accepté l'idée, qui est bonne, que l'on puisse prendre la personne à son domicile et l'amener jusqu'à la salle d'attente du médecin, s'assurer qu'elle a tous les papiers nécessaires et la ramener chez elle, à l'intérieur de son domicile.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Tout à fait.

M. Daniel Paul. Cela serait un excellent service rendu à une personne souvent âgée, un peu dépendante, et dont il faut préserver au maximum l'autonomie.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Tout à fait.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 220.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    4

NOMINATIONS DE DÉPUTÉS
EN MISSION TEMPORAIRE

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre des lettres m'informant qu'il avait chargé MM. Laurent Wauquiez, Pierre Lasbordes, Marc Bernier et Francis Saint-Léger de missions temporaires.

    5

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 2348, relatif au développement des services à la personne et à diverses mesures en faveur de la cohésion sociale :

Rapport, n° 2357, de M. Maurice Giro, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot