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Troisième séance du mardi 28 juin 2005

241e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE M. MAURICE LEROY,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

    1

HABILITATION À PRENDRE PAR ORDONNANCE DES MESURES D'URGENCE POUR L'EMPLOI

Suite de la discussion,
après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi (nos 2403, 2412).

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Alain Bocquet, pour une durée ne pouvant excéder une heure trente.

M. Alain Bocquet. Monsieur le ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, ce recours aux ordonnances, qui permet à quelques dirigeants de dicter leur loi au pays, à l'abri du contrôle et de l'initiative parlementaires, confirme votre choix d'une fuite en avant dans le démantèlement des atouts économiques, industriels et sociaux de la France.

M. de Villepin a lancé le compte à rebours des cent jours - il n'en reste qu'environ soixante-dix - et adopté l'arrogance et la brutalité de ceux qui prétendent avoir raison contre le peuple. Malgré les camouflets électoraux et le développement de luttes sociales, vous persistez dans des réformes libérales contraires aux attentes de la grande majorité de nos concitoyens.

Il est vrai que le régime présidentialiste de la VRépublique, cette monarchie républicaine,...

M. Michel Piron. Tout en douceur !

M. Alain Bocquet. ...vous offre un cadre idéal pour pérenniser ces orientations. Droit dans les bottes de la constitution de 1958, vous refusez d'entendre le désaveu des urnes et ne tirez aucune leçon de l'avertissement retentissant que constitue la victoire du non lors du référendum du 29 mai.

Le récent sommet des chefs d'État et de Gouvernement européens a confirmé le refus du Président de la République de respecter le verdict populaire. Jacques Chirac s'est associé à la décision du Conseil européen de poursuivre le processus de ratification et partage le choix de l'ensemble de ces dirigeants européens de cacher la vérité aux peuples qui ne se sont pas prononcés à ce jour, à savoir que ce texte constitutionnel ultralibéral européen est mort et qu'il faut l'enterrer. Il est caduc puisque les votes des peuples français et hollandais interdisent qu'il puisse recueillir l'accord unanime qui conditionne sa mise en œuvre.

Mais, puisque ce sommet européen prétend souhaiter l'engagement d'une réflexion commune pour tenir compte des inquiétudes et des préoccupations, il faut passer à l'acte et organiser, comme l'exigent notamment les pétitions en cours de signature dans notre pays, un vrai débat citoyen, transparent et public, hors du cadre d'un traité rendu sans objet par le référendum du 29 mai.

Cette remise à plat s'impose d'ailleurs avec encore plus de force après le sommet des 16 et 17 juin, sommet fiasco, indigne et révoltant, ne serait-ce qu'en référence qu'aux 22 millions de chômeurs européens et aux 68 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté.

La crise budgétaire que cette réunion des chefs d'État et de Gouvernement entérine n'est pas une surprise. Elle résulte du choix de quelques-uns des pays les plus riches, dont la France, de geler le budget européen pour la période 2007-2013, malgré l'urgence des besoins des peuples des Quinze, et au sein des Dix venus constituer l'Union élargie.

En raison de ces constats, et parce que les politiques et les situations nationales et européennes sont étroitement liées entre elles, il faut rediscuter l'ensemble du budget européen pour sortir l'Europe de la crise où l'enfonce l'ultralibéralisme, mais la sortir par le haut, c'est-à-dire par les peuples, comme je vous le rappelais déjà le 8 juin dernier.

La crise politique et institutionnelle est très profonde à tous les échelons. D'ailleurs, l'attitude de votre gouvernement et celle de votre majorité, disposant de tous les leviers de l'État, retranchée dans sa forteresse réglementaire et hermétique aux appels aux changements de cap, en témoignent.

Il est donc temps que notre droit fondamental soit rénové. Il est temps de mettre un terme à cette hégémonie d'un exécutif qui réduit l'Assemblée nationale à une chambre d'enregistrement. (« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il est temps d'en finir avec la toute puissance d'un Président imperator, à la stature renforcée par le quinquennat et par l'inversion d'un calendrier électoral, qui privilégie l'élection présidentielle au détriment et au mépris de la désignation par le peuple des représentants de la nation. Il est urgent de rompre avec un système où le bipartisme d'alternance sans alternatives atrophie le débat public, nourrit l'abstention et fait le lit des courants les plus réactionnaires et démagogiques.

C'est pourquoi les députés communistes et républicains entendent œuvrer à la construction d'une république rénovée, moderne et démocratique. Les transformations à mettre en chantier ne manquent pas, que ce soit l'amélioration de la représentativité par l'application de la proportionnelle ou la revalorisation des capacités d'expertise, de contrôle et d'initiative législative du Parlement, que ce soit la création d'un statut de l'élu favorisant l'accès de tous aux responsabilités publiques, quels que soient le sexe ou l'origine sociale, ou que ce soit l'adoption d'une loi renforçant la participation citoyenne, tant dans le domaine syndical, qu'associatif et politique.

Ce n'est pas la voie que vous avez choisie. Vous préférez user du fait du prince pour mieux tourner le dos à l'intérêt général, au seul profit de la minorité de privilégiés qui, boursicoteurs ou spéculateurs de haut vol, accaparent les richesses créées par le travail d'autrui.

M. André Chassaigne. Belle formule !

M. Maxime Gremetz. Bien dit !

M. Alain Bocquet. Tel est bien en effet le sens des mesures que portent vos ordonnances sous le label fallacieux de « plan d'urgence pour l'emploi ». Pour l'essentiel, il s'agit, dans la continuité de l'action menée depuis trois ans, de vider pas à pas le code du travail des protections qu'il offre aux salariés, de tirer vers le bas la qualité des emplois tout en assurant au patronat une main-d'œuvre bon marché, via notamment des allégements de cotisations et la multiplication de jobs mal rémunérés.

Autant de recettes qui, peu ou prou, sont appliquées depuis vingt ans sans parvenir à résorber le chômage de masse ni les inégalités sociales. Les 2,5 millions de demandeurs d'emploi officiels ne sont qu'une partie des 15 millions à 20 millions de Français, soit entre un quart et un tiers de la population, qui sont confrontés à des conditions de vie difficiles en raison du chômage, de la précarité ou du travail sous-payé. Peut-on raisonnablement accroître encore l'appauvrissement et l'insécurité parmi tous ceux et toutes celles qui sont condamnés par le capitalisme à vendre leur force de travail et de création pour vivre ? Les députés communistes et républicains répondent non !

M. Maxime Gremetz. Toujours non !

M. Guy Geoffroy. Toujours dans la nuance !

M. Alain Bocquet. Mais pour vous, pour votre fausse majorité UMP-UMP qui, depuis longtemps, a embrassé le libéralisme pur et dur, la raison se plie aux exigences des marchés financiers et des multinationales. Elle se soumet à la loi de l'argent, qui exige des taux de rentabilité des capitaux à 15 %, sans aucun égard pour l'emploi et les populations.

M. André Chassaigne. Vous ne pouvez pas le nier !

M. Alain Bocquet. Rien de moderne ni d'inédit en cela. Jack London dénonçait déjà cette abjection. C'est toujours le vieil adage des hommes d'affaires vis-à-vis du produit du travail : « Il faut en tirer le maximum. » Aujourd'hui, comme aux premiers temps des fabriques, vous n'avez aucun scrupule à instrumentaliser le chantage du chômage élevé pour mettre les salariés, jeunes, plus âgés ou seniors, en concurrence. Vous êtes sans états d'âme pour les contraindre à accepter de nouvelles dégradations de leurs statuts et de leurs rémunérations.

C'est l'objectif essentiel des mesures annoncées dans ce projet de loi et qui seront prises par ordonnances. Et c'est en tout premier lieu le but du contrat « nouvelles embauches », qui consacre les emplois Kleenex.

M. Maxime Gremetz. C'est vrai !

M. Alain Bocquet. En instaurant une période d'essai de deux ans, juridiquement contestable, même rebaptisée en « procédure simplifiée » de licenciement, votre gouvernement fait coup double : il permet de licencier un salarié du jour au lendemain quasiment sans contrainte, et il institutionnalise le contournement du contrat à durée indéterminée, pour la plus grande satisfaction du MEDEF.

Contrairement à vos affirmations péremptoires, c'est bien un recul pour les prétendants à l'embauche, même par rapport au CDD, qui contient au moins un terme fixe et ne peut être rompu sans motif. Avec ce contrat hybride, le licenciement pourra être abusif sans moyen d'être contesté, et vous ne prévoyez même pas, toujours à l'instar du CDD, d'indemnités de précarité en raison de sa rupture.

En réalité, vous nous demandez, ni plus ni moins, qu'un chèque en blanc pour satisfaire les desiderata du patronat. En effet, l'impréparation, comme le flou qui entoure ces mesures, ne nous autorise pas à vous accorder une confiance aveugle, surtout au vu de votre bilan calamiteux depuis 2002 : 230 000 chômeurs supplémentaires, démantèlement des 35 heures, suppression d'un jour férié, réforme du dialogue social ou encore multiplication des contrats aidés avec quelques OVNI comme le RMA, et maintenant le contrat « nouvelles embauches ».

M. Hervé Novelli. Très bon contrat !

M. Alain Bocquet. À l'origine, le Premier ministre avait demandé au ministre de l'emploi de travailler sur l'hypothèse des très petites entreprises, celles de moins de huit ou dix salariés, mais visiblement le curseur a été placé plus haut. Le résultat est connu : en étendant le contrat « nouvelles embauches » aux entreprises de vingt salariés, la France comptera bientôt de 5 à 6 millions de salariés jetables et corvéables à merci. À quand le tour des entreprises de plus de cinquante ?

M. Bernard Perrut. C'est mieux que des chômeurs !

M. Alain Bocquet. J'y viendrai !

Il en va de même sur d'autres aspects de ce contrat atypique. Quel sera le nombre maximal de contrats signés par entreprise ? Un préavis s'imposera-t-il en cas de rupture du contrat ? Faudra-t-il motiver les raisons de la rupture et à combien se monteront les indemnités ? Les justifications seront-elles explicitement énumérées ? Quel sera le niveau du revenu de remplacement et celui des indemnités de chômage ? Autant de questions qui restent sans réponse. Ce n'est pas sérieux !

La seule chose qui est certaine avec ce procédé, c'est que le Gouvernement prescrit la précarité sur ordonnances. Ces ordonnances permettront également au baron Seillière de quitter la tête du MEDEF pour attaquer son mandat européen à l'UNICE avec un magnifique bilan !

M. Michel Piron. Voilà un argument d'autorité !

M. Alain Bocquet. La mesure concernant le titre spécial de paiement pour l'embauche de salariés dans les très petites entreprises est de la même veine. C'est le retour du travail journalier, du travail à la tâche sans considération pour les droits des salariés. À croire que de tels droits sont incompatibles avec le droit à l'emploi. C'est une erreur !

Vous vous réfugiez derrière une prétendue nécessité d'assouplissement du marché du travail. Mais la vérité, c'est que la précarité n'a déjà, au contraire, que trop augmenté. Le nombre d'intérimaires est passé de 113 000 en 1983 à 471 000 en 2003, soit un bond de 361 %. Les emplois aidés se sont accrus de 128 % sur la même période, pour toucher 503 000 personnes. Le nombre des contrats à durée déterminée a été multiplié par six en dix ans pour atteindre 1,6 million de contrats en 2003.

Le chômage a-t-il été réduit d'autant ? Assurément non ! Mais cela ne vous empêche pas de poursuivre votre entreprise de casse du code du travail. Le lissage des seuils d'effectifs dans l'entreprise va autoriser l'employeur à s'affranchir de ses responsabilités sociales en matière d'institutions représentatives du personnel, de procédures de licenciements collectifs ou de négociations, notamment sur l'intéressement et les salaires.

L'emploi, le monde du travail, la démocratie dans l'entreprise n'en sortiront pas gagnants, mais, bien évidemment le pouvoir patronal, lui, en sera renforcé.

Face au chômage, vous assurez que tout n'a pas été essayé. Votre gouvernement et les forces qui le soutiennent chaussent les lunettes du baron Seillière,...

M. Michel Piron. Encore lui ? Mais c'est obsessionnel !

M. Guy Geoffroy. Il nous manquait !

M. Alain Bocquet. ...lorgnent vers d'autres modèles.

On nous vante les mérites de la flex-sécurité à la danoise, avec des rotations accélérées des emplois. C'est oublier un peu vite que l'indemnisation du chômage est beaucoup plus généreuse au Danemark qu'en France, que ce pays consacre 5 % de son produit intérieur brut aux dépenses pour l'emploi quand cet effort ne dépasse guère les 3 % en France. On omet aussi de préciser que la patrie d'Andersen compte dix-sept agents de la fonction publique pour 100 000 habitants contre seulement huit pour 100 000 en France - un écart qui n'empêche d'ailleurs pas votre gouvernement d'annoncer plus de 5 000 suppressions de postes dans la fonction publique en 2006, après les 7 000 de 2005.

M. Gilbert Biessy. Même dans l'éducation nationale !

M. le président. Monsieur Biessy, n'interrompez pas votre président de groupe !

M. Alain Bocquet. C'est pour me soutenir !

M. Maxime Gremetz. Nous sommes sur la même ligne !

M. Guy Geoffroy. Une ligne plutôt sinueuse !

M. Alain Bocquet. Enfin, et c'est l'économiste Bernard Gazier, spécialiste de la mobilité sur les marchés du travail, qui le souligne : l'option danoise est « tout de même une machine à trier en fonction de la productivité de l'entreprise ». Malheur aux moins performants !

En fait, vos inspirations, mais ce n'est pas nouveau, puisent dans la veine libérale anglo-saxonne. La meilleure croissance et le taux de chômage plus faible du Royaume-Uni et des États-Unis seraient, selon vous, la conséquence d'une plus grande flexibilité dans l'utilisation de la main-d'œuvre. Outre que le lien de cause à effet reste à démontrer, cette lecture cantonnée à deux seuls indicateurs donne une vision tronquée de la réalité.

Le New Deal de Tony Blair a conduit à transférer des centaines de milliers de personnes du statut de chômeur à celui d'inactif. Un million d'Anglais ont été ainsi reclassés dans la catégorie « longue maladie » ces dernières années.

D'autre part, pour tenter d'enrayer la dégradation des services publics britanniques, Tony Blair, même si cela reste insuffisant au regard des besoins, a dû créer 500 000 emplois publics depuis 1998.

M. Maxime Gremetz. Vous voyez !

M. Alain Bocquet. Nos collègues de l'UMP, fanatiques de la réduction du nombre de fonctionnaires, se gardent bien d'évoquer ce paramètre.

Enfin, il convient de ne pas masquer la vérité : exploiter au maximum la population, à n'importe quel prix et dans n'importe quelles conditions, entraîne un coût social et des souffrances que ne reflète pas la courbe déclinante du taux de demandeurs d'emploi. Rappelons qu'outre-Manche les salariés sont soumis, en moyenne, à des semaines de labeur de 44 heures, contre 39,7 heures en France. Le nombre d'enfants pauvres est, en Grande-Bretagne, de 3 millions, soit trois fois plus élevé chez M. Blair que chez nous.

Aux États-Unis, le filet de protection sociale garanti est squelettique, le régime de retraite de base ne dépassant jamais 37 % du dernier salaire. Vingt millions d'Américains sont cantonnés dans des sous-SMIC par l'intermédiaire d'une prime que l'État verse au travailleur pour que le patronat puisse disposer indéfiniment d'une main-d'œuvre mal payée. C'est évidemment le rêve secret du MEDEF, et c'est le chemin que vous empruntez.

Les mesures fiscales incitatives que vous préconisez participent du même registre, dans le droit fil de la prime pour l'emploi. On subventionne indirectement les employeurs, on abaisse la rémunération du travail et on favorise le développement des bas salaires. Comment, après cela, pouvez-vous prétendre que c'est par l'essor d'un salariat hautement qualifié que la France tirera son épingle du jeu de la mondialisation ? Le plus probable, c'est que ces mesures vont se révéler inefficaces contre le chômage, créant surtout des effets d'aubaine et de substitution, tout comme les nouvelles exonérations de cotisations sociales patronales qui seront supportées par l'État, donc par le contribuable.

M. Maxime Gremetz. Tout à fait !

M. Alain Bocquet. En dix ans, elles ont été déjà multipliées par dix, pour atteindre 17 milliards d'euros en 2005, avec l'absence que l'on connaît de résultats probants sur la croissance et sur l'emploi.

Le ministre de l'économie, téléguidé par le Pacte de stabilité et les diktats de la Banque centrale européenne, n'en affirme pas moins que « la France vit au-dessus de ses moyens ». Quel mépris pour nos concitoyens ! S'il y a du « nettoyage » à faire actuellement, c'est bien dans les hautes sphères de la finance et des profits boursiers, où l'on peut dormir, comme le PDG de L'Oréal, sur des dizaines de millions d'euros de stock-options ou partir en retraite, toute honte bue, avec l'équivalent de plus de 2 800 années de SMIC, comme un PDG déficient de Carrefour !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Nous sommes d'accord !

M. Alain Bocquet. Et combien d'autres sont dans le même cas ? On sait que, d'une année sur l'autre, les seuls salaires des grands patrons du CAC 40 ont fait un bond de 10 %, et que leur rémunération brute moyenne s'établit à 2,2 millions d'euros en 2004 !

La voilà, la France qui vit au-dessus de ses moyens, dans un luxe et un cynisme insolents quand l'immense majorité accumule les difficultés et les désillusions et quand plus d'un Français sur deux ressent au quotidien un sentiment d'insécurité sociale profonde et redoute de tomber dans l'exclusion ! N'est-ce d'ailleurs pas le signe de la décadence d'une société quand les jeunes générations vivent globalement moins bien que celles qui les ont précédées ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Voyez l'appel lancé il y a juste un mois par les quarante associations du collectif Alerte et par cinq confédérations syndicales : « Notre société a tendance à gérer l'exclusion au lieu de travailler sans relâche à l'éradiquer et à la prévenir ».

« On ne croit plus au vivre ensemble », constatent des sociologues. Mais comment pourrait-il en être autrement quand 3,5 millions de nos concitoyens, soit 6 % de la population, survivent en dessous du seuil de pauvreté, quand 4,7 millions dépendent de la couverture maladie universelle, quand au moins un million sont RMIstes, quand un chômeur sur deux n'est pas indemnisé, quand un million de nos concitoyens attendent un logement social et trois millions sont mal logés ?

Comment pourrait-il en être autrement quand tous subissent l'effet cumulé des hausses de loyer de 3,1 %, de l'eau et des services liés de 3,5 %, du gazole de 14,1 %, du super de 12,7 %, de l'assurance habitat de 5,5 %, des complémentaires santé de 3,9 %, du fioul domestique de 20,8 %, du gaz de 16 % - soit, pour ce dernier, 47 % d'augmentation depuis 2000 ?

M. Maxime Gremetz. Scandaleux !

M. Alain Bocquet. Comment pourrait-il en être autrement quand menace, enfin, une décision de dévalorisation de la rémunération du Livret A après la baisse imposée par M. Raffarin en 2003 ?

M. Maxime Gremetz. Odieux !

M. Alain Bocquet. Pour l'immense majorité des 46 millions de Français qui en sont détenteurs, ce livret est le moyen de boucler les fins de mois difficiles ou de combler un découvert. Souvent il est aussi, pour les interdits bancaires, la seule façon de posséder un compte. Allez-vous préserver son intérêt, déjà maigre et tout juste apte à compenser l'érosion monétaire, et préserver aussi les Codevi, le Livret Jeune et le Livret d'épargne populaire ?

En fait, lorsque votre ministre de l'économie dénonce une France au-dessus de ses moyens, il est clair qu'il oublie toutes les largesses publiques dilapidées stérilement et fait abstraction des 57 milliards d'euros de bénéfices nets réalisés en 2004 par les grands groupes du CAC 40, en progression de 64 % par rapport à 2003.

M. Maxime Gremetz. Et vous n'avez pas honte ?

M. Alain Bocquet. Les actionnaires, en particulier les fonds anglo-saxons qui possèdent près de la moitié du capital de ces quarante multinationales, voient leurs gains progresser de 36,8 % avec 22 milliards d'euros reversés en dividendes. La plupart des groupes ont prévu en outre de consacrer une part de ces gains à des opérations de rachat d'actions destinées à soutenir leur cours en Bourse.

On le mesure donc bien : notre pays ne manque ni de ressources, ni de richesses. Cependant, celles-ci ne servent pas suffisamment les salaires, la formation, la recherche-développement et les investissements productifs : elles gonflent surtout les actifs financiers. En France, 41% de la valeur ajoutée créée est dédiée à la rémunération des capitaux propres, c'est-à-dire aux actionnaires. Cela représente douze points de plus qu'en 1980 et six points de plus que la moyenne actuelle des pays de l'OCDE. Cet accaparement de la richesse prive notre économie de dépenses utiles pour soutenir la consommation, revigorer la croissance et favoriser les créations d'emplois, qui n'ont connu aucune progression en 2004.

C'est d'abord par la relance des salaires que l'on luttera contre le chômage. Actuellement, 29 % des salariés perçoivent un salaire inférieur à 1,3 fois le SMIC, soit environ à peine 1 100 euros. C'est humainement et économiquement insoutenable.

Permettez-moi de citer les propos récemment rapportés dans la presse par Jean-François Lemoult, directeur de l'entreprise d'insertion ALPEJ : « Le Gouvernement ne pourra pas relancer l'emploi sans valoriser les salaires et les retraites. Mon entreprise, qui emploie des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans sur des chantiers et des espaces verts, est pénalisée par le manque de solvabilité des Français. Les retraités, par exemple, sont très demandeurs de services en espaces verts. Mais avec un revenu parfois inférieur à 600 euros, ils ne peuvent pas se permettre une prestation de service de 40 euros. À l'inverse il faut rémunérer le travail à sa juste valeur ! » Vous n'y répondez pas !

Nous proposons la tenue d'un Grenelle sur les salaires, pour contraindre le grand patronat à réinjecter le fruit du travail dans le pouvoir d'achat des ménages. Le Gouvernement doit aussi agir directement, en relevant dès maintenant significativement le SMIC et les minima sociaux et en accordant les augmentations qu'attendent toujours les fonctionnaires, dont le traitement de base a perdu 5 % de pouvoir d'achat depuis 2000.

Et vous ne pouvez pas brandir l'épouvantail de la compétitivité pour fuir le débat ! Une étude de l'INSEE souligne que le coût annuel moyen d'un salarié, en 2000, était de 37 941 euros en France, contre 45 664 euros en Allemagne - nouveaux Länder compris -, soit un écart de 20,4 %.

En décembre 2004, l'INSEE a encore relevé que « sous l'effet des gains de productivité, le taux de marge des entreprises non financières a augmenté du troisième trimestre de 2003 au deuxième de 2004. Il a ainsi retrouvé un niveau proche des années 2000-2001 : il s'établit à 40,1 % au deuxième trimestre de 2004 ». De toute évidence, le capital se porte bien quand le monde du travail se serre la ceinture.

Vous prétendez leurrer une fois de plus nos concitoyens, mais ils savent bien qu'il n'y aura pas d'amélioration durable de la situation de l'emploi dans notre pays si l'on ne s'attaque pas à la logique des marchés financiers, qui imposent des obligations de rendement toujours plus exorbitantes, et au comportement prédateur des grands groupes.

En ce domaine, monsieur le ministre, rien ou presque n'a été tenté. Le Gouvernement fait mine de se préoccuper en priorité du sort des PME. Pourtant - et c'est le plus récent exemple -, les mesures prévues par le projet Jacob-Dutreil qui vient d'être débattu au Sénat s'inscrivent en faux contre cette prétention. Car, sous couvert d'assurer la pérennité des PME, ce texte ne rompt pas avec une logique qui encourage surtout les acteurs économiques les plus forts et écrase les plus vulnérables.

Votre projet fait l'impasse sur les difficultés réelles liées à la stagnation de l'activité économique. Il ne préconise aucune mesure forte en faveur de l'allégement des charges financières des PME-PMI, dont vous permettez qu'elles restent soumises par les banques, à des taux d'intérêt de 6 % à 8 % quand des taux de 2 % sont consentis aux grands groupes. Pour aider véritablement les PME, il faudrait mettre en place un crédit sélectif à taux réduit, en échange de la création d'emplois, comme d'ailleurs il faudrait moduler la taxe professionnelle en fonction de ce même objectif.

Par ailleurs - et je vous ai alerté à ce sujet, évoquant notamment la situation d'entreprises de l'agro-alimentaire du Nord-Pas-de-Calais -, les dispositions qui viennent d'être adoptées sur la pratique des « marges arrière » utilisée par la grande distribution pour contourner la loi Galland, ne protégeront pas les PME des pressions qui leur sont imposées pour accepter des baisses de prix intenables.

Tout cela ne servira donc ni le dynamisme de l'économie, ni la création d'emploi. Et votre choix d'entériner dans ce même texte deux amendements de sénateurs UMP qui légalisent et imposent le travail dominical, le travail de nuit et les jours fériés pour les apprentis de moins de dix-huit ans,...

M. Michel Piron. Pas partout !

M. Alain Bocquet. ...poursuit lui aussi le même but : déréglementation et ultralibéralisme à tout crin.

M. Richard Mallié. On est au xxie siècle !

M. Maxime Gremetz. Vous voulez revenir à l'esclavage !

M. Alain Bocquet. Votre référence aux PME veut donner l'illusion d'encourager leur contribution indispensable à la création d'emplois. Mais votre démarche fait fi des relations de subordination et de dépendance que leur imposent aujourd'hui les groupes.

Un salarié de PME sur deux travaille, en effet, dans une entreprise contrôlée par un groupe et une proportion croissante des PME est mise sous tutelle. En France, le nombre de filiales des principaux groupes - de plus de 10 000 salariés - est passé de 3 000 en 1980 à 10 300 en 1995.

Pour mieux appréhender ce phénomène de double mouvement de déconcentration productive et de concentration du pouvoir de décision, je vous renvoie une fois de plus à l'INSEE et à l'instructive étude parue récemment dans Économie et statistique, ainsi qu'au rapport de mon collègue et ami Daniel Paul, adopté en 1999 par cette assemblée.

Les groupes, qui disposent pourtant d'énormes capacités d'autofinancement, drainent 90 % des financements aux entreprises, quand les entreprises indépendantes n'en mobilisent que 10 %.

C'est ce problème qui bride nos PME, bien davantage que les questions de réglementation et de coût du travail.

Le résultat de la suprématie des groupes sur notre économie est désastreux pour l'emploi. En quinze ans, de 1985 à 2000, les grands groupes ont détruit 550 000 emplois en interne, y compris dans des secteurs de pointe ou liés aux nouvelles technologies et à l'informatique, comme chez IBM. Le maintien de leurs effectifs globaux est surtout le fait d'acquisitions. Ils refusent tout risque, n'investissent plus pour créer et se contentent souvent de faire main basse sur des entreprises et des PME déjà matures et performantes.

M. Richard Mallié. Ou ils vont ailleurs !

M. Alain Bocquet. Quant à celles dont ils se séparent en les cédant, leur parcours devient chaotique. Sur la même période, elles ont perdu 300 000 emplois après être sorties d'un groupe.

Ce déséquilibre est d'autant moins supportable que l'histoire industrielle des trente dernières années montre que les stratégies « court-termistes » du grand patronat et des gouvernements inscrivant leurs pas dans l'idéologie du MEDEF ont conduit à des gâchis économiques et sociaux irrémédiables. J'en veux pour preuve la liquidation de l'essentiel de la sidérurgie française et les très vives préoccupations que suscite sa situation actuelle, alors que la demande explose et que les décisions guidées par le profit nous privent aujourd'hui des moyens d'y répondre. J'entends encore M. Barre et le vicomte Davignon justifier, dans les années quatre-vingt, la casse de la sidérurgie à Denain ou à Longwy en prétextant qu'il y avait trop d'acier dans le monde et que nos productions étaient trop chères. Aujourd'hui, on manque d'acier dans le monde et son prix a fait un bond de 40 % ! La recherche du profit maximum à l'époque a affaibli notre capacité productive à long terme. On mesure aujourd'hui le manque à gagner cruel pour notre économie !

M. Richard Mallié. Merci la Chine !

M. Alain Bocquet. Merci plutôt Davignon, Barre et les gouvernements de l'époque, qui ont fermé les usines au lieu de les moderniser !

M. Richard Mallié. Merci la Chine pour avoir fait repartir l'acier !

M. Alain Bocquet. Si on avait gardé notre sidérurgie, aujourd'hui on pourrait affronter la demande forte dans le monde.

M. Richard Mallié. Ce n'est pas tout à fait faux !

M. Alain Bocquet. Quelle erreur ! Et tout cela pour une rentabilité financière immédiate, le profit à court terme ! On aurait été bien inspiré de garder nos outils sidérurgiques. Aujourd'hui, la France n'est pas au rendez-vous.

M. Richard Mallié. C'est la Chine et le marxisme !

M. Claude Gaillard, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. En 1984, c'est la gauche qui était au pouvoir !

M. Alain Bocquet. Cela s'est passé en 1979. Je m'en souviens comme si c'était hier, M. Barre suivait les consignes du vicomte Davignon, chargé de l'industrie.

Les députés communistes et républicains ont déposé une demande de création de commission d'enquête parlementaire sur les conditions de la sauvegarde et du développement de la filière de production d'acier en France et en Europe. Ce secteur est un atout essentiel pour relancer une vraie politique industrielle ambitieuse et créatrice d'emplois. Or le PDG d'Arcelor, deuxième groupe sidérurgique mondial, conteste l'intérêt d'investir en France et en Europe, annonce un gel des embauches jusqu'en 2010 et prévoit 1 500 départs en retraite, bien évidemment non remplacés, en France, entre 2005 et 2006.

Le groupe Total offre un autre exemple des dérives du capitalisme financier. Quatrième groupe pétrolier mondial, il a réalisé en 2004 un bénéfice net de 9 milliards d'euros. Pour le seul premier trimestre de cette année, les profits atteignent 2,9 milliards - 1 milliard par mois ! -, un bond de 50 % par rapport à 2004. Or ces richesses colossales, accumulées en partie grâce aux tarifs prohibitifs de l'essence et du fioul supportés par les consommateurs, sont accaparées par les seuls actionnaires, dont la rémunération a connu en 2004 une hausse de 15 %. Les salariés,  eux,  n'ont pas constaté une telle progression de leurs feuilles de paie ! Total dépense depuis quatre ans 10 millions par jour en rachat d'actions mais ne consacrera qu'un milliard supplémentaire à ses investissements en 2005.

Pendant que la finance gonfle la finance, le groupe mène une politique d'emploi mortifère pour les territoires. Il a annoncé au début de l'année la suppression de près de 600 emplois dans sa filiale chimique Arkema, dont il compte se débarrasser. Avec l'impact sur la sous-traitance, ce sont près de 3 000 emplois qui vont disparaître. Il abandonne également l'un des sites historiques d'Elf, le bassin de Lacq en Aquitaine, tourne le dos au Béarn et refuse d'assurer la pérennité et l'essor des infrastructures de recherche-développement en pétrochimie.

Là encore, les députés communistes ont déposé une proposition de résolution pour créer une commission d'enquête parlementaire sur la stratégie de Total, l'utilisation de ses capacités financières et sa politique en matière d'investissements, d'emploi et de salaires. Le cas du géant pétrolier prouve que l'argent dans notre société n'est pas mis au service de l'émancipation humaine.

II est donc urgent de favoriser toute démarche qui, à l'exemple de celle que nous engageons, participe à l'émergence de solutions alternatives aux destructions des capacités de production et d'emplois. Un nouveau régime de croissance doit voir le jour. L'amélioration de la compétitivité de nos entreprises ne passe pas par la baisse du coût du travail mais par le relèvement des niveaux de formation, des capacités créatives des systèmes productifs, et par la cohérence et le renforcement de pôles technologiques et industriels locaux. En ce sens, les flux d'investissements, privés autant que publics, doivent être mieux maîtrisés pour financer en priorité l'emploi, les salaires, l'innovation, en s'appuyant sur la qualité des ressources humaines. Pour répondre efficacement aux défis de notre temps, l'élaboration d'un véritable système sécurité-emploi-formation pour tous, sécurisant le parcours de vie de chacun, s'impose plus que jamais. Les pouvoirs publics, les représentants des salariés et les élus des territoires doivent être associés à ce chantier d'avenir. C'est aussi le sens de notre proposition de relancer et de renforcer les commissions nationales et régionales de contrôle des aides aux entreprises, supprimées dès l'entrée en fonctions de Jean-Pierre Raffarin.

Maîtriser l'économie pour la mettre au service de la société passe par la préservation, le renforcement et la modernisation du secteur public. En laissant le pouvoir de la finance prendre le contrôle des banques, de grandes entreprises comme Aerospatiale, Air France, la SNECMA, Bull, France Télécom ou, dernier exemple en date, Gaz de France, l'État se prive de moyens pour conduire une stratégie de développement audacieuse. Il faut inverser cette tendance démissionnaire, en finir avec la politique de privatisation à tout-va, qui brade et casse les atouts essentiels de notre économie que sont les entreprises et les services publics. C'est pourquoi vous devez consentir à dresser un bilan des libéralisations, cessions d'actifs, ouvertures de capital et changements de statut d'entreprise décidés ces dernières années. Aucune politique crédible de soutien à l'emploi ne peut être mise en œuvre autrement qu'en mobilisant les moyens d'État qu'exige le développement de sociétés comme la SNCF, La Poste, EDF-GDF, France Télécom ou de secteurs comme la recherche, l'école ou l'hôpital public, lequel manque cruellement de personnels...

M. Maxime Gremetz. Eh oui !

M. Alain Bocquet. ...au moment où nous devons faire face aux risques de la canicule. Il y a, là encore, des gisements d'emplois nouveaux inexplorés.

Il en est ainsi du transport ferroviaire, tant d'ailleurs au niveau national qu'européen. Alors que la « réorganisation-désorganisation » du fret ferroviaire a mis 200 000 camions supplémentaires sur les routes en 2004, et après les drames des tunnels du Mont-blanc et du Fréjus, une politique d'investissement forte en faveur du ferroutage, des transports combinés et de l'accélération des travaux sur la liaison Lyon-Turin s'impose. Elle exige que le Gouvernement s'engage à assumer sans tergiverser davantage sa part du financement de ce grand chantier européen prioritaire, estimé à 12,5 milliards d'euros. Allez-vous prendre enfin toutes les dispositions, notamment budgétaires, qu'appelle l'urgence de la situation des professionnels et des populations concernés ? Allez-vous, comme l'avait recommandé en 2000 la commission de la production et des échanges de l'Assemblée nationale, présidée alors par mon ami André Lajoinie, prendre l'initiative de réclamer un grand emprunt européen, porté par la BEI, pour mailler tout le territoire européen d'un réseau de ferroutage efficace ? C'est un grand chantier d'avenir, indispensable au développement durable, qui assurerait d'ici vingt à trente ans une circulation soutenable des biens et des personnes de Varsovie à Lisbonne et de Stockholm à Athènes. Et quel gisement d'emplois pour les jeunes salariés en Europe !

Votre attitude vis-à-vis de l'ensemble du secteur public et les orientations que vous entendez donner au projet de loi de finances pour 2006, dans le prolongement de celles adoptées depuis 2003, nous font redouter le pire pour le dynamisme de l'économie et l'emploi. Car la rigueur budgétaire que vous imposez à la France au nom du Pacte de stabilité européen est non seulement une hérésie sociale, mais aussi un frein à l'accroissement de l'activité.

Agir pour l'emploi, c'est aussi doter les collectivités territoriales de moyens conséquents pour assumer leurs missions et développer leurs équipements. C'est particulièrement vrai dans les secteurs de la construction et du logement, qui traversent une crise historique par manque d'investissements, alors qu'ils sont des vecteurs d'emplois potentiels.

M. Richard Mallié. On ne vous a pas attendu pour cela !

M. Alain Bocquet. C'est pourquoi les députés communistes et républicains vous demandent de renverser la vapeur.

M. Richard Mallié. Communistes, oui, mais républicains, non ! Je suis désolé !

M. Alain Bocquet. Je vous prie de retirer ces propos !

M. Richard Mallié. Il n'en est pas question !

M. Alain Bocquet. L'histoire des communistes est remplie de gens, dont certains ont siégé dans cet hémicycle, qui ont défendu la France et qui ont été fusillés pour cela !

M. Richard Mallié. Je n'ai jamais dit le contraire !

M. Alain Bocquet. Alors retirez vos propos !

M. Richard Mallié. J'ai dit « communistes, oui » !

M. Alain Bocquet. Monsieur le président, je demande à intervenir pour un fait personnel.

M. le président. Les faits personnels sont évoqués en fin de séance, mon cher collègue.

M. Alain Bocquet. Accuser les communistes de ne pas être des républicains devant la place où a siégé Gabriel Péri  est scandaleux !

M. Maxime Gremetz. Et Jean Cathelas !

M. Gilbert Biessy. C'est odieux !

M. Alain Bocquet. C'est une honte, monsieur !

M. Richard Mallié. Je ne vous ai pas attaqué, j'ai précisé ce que je pense. Venez chez moi et on en reparlera !

M. Alain Bocquet. Non, j'en fais un fait personnel. Vous êtes un minable !

M. Guy Geoffroy. Tout en délicatesse, comme d'habitude !

M. Maxime Gremetz. Heureusement, le général de Gaulle ne parlait pas comme cela !

M. Guy Geoffroy. Pas vous, pas ça !

M. Maxime Gremetz. Vous n'avez plus rien de gaulliste. Vous faites du sarkozisme ! Vous en êtes à sortir les Kärcher pour tout nettoyer ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Gilbert Biessy. Et demain le grésil !

M. Maxime Gremetz. C'est triste !

M. Alain Bocquet. La constitution d'un pôle financier public regroupant la Caisse des dépôts, La Poste et les caisses d'épargne doterait notre pays d'un outil de développement inédit. Un tel pôle pourrait engager des prêts bonifiés par l'intermédiaire de fonds régionaux chargés, en toute transparence et en toute démocratie, d'allouer les ressources en fonction de leur impact sur l'emploi et sur l'aménagement des territoires.

Dans le même temps, nous sommes favorables à une réforme des cotisations patronales pour tenir davantage compte du facteur emploi dans les politiques des entreprises. Il n'est pas tolérable que les PME indépendantes financent proportionnellement plus l'assurance chômage, alors que ce sont surtout les grands groupes qui licencient.

Ces groupes et les grandes firmes doivent être juridiquement responsabilisés vis-à-vis des PME sous-traitantes ou filialisées, avec un renforcement correspondant des droits des salariés. Car, contrairement au Gouvernement, nous ne pensons pas que les travailleurs, leurs représentants et leurs organisations soient l'ennemi de l'emploi. Ils en défendent plutôt la cause - efficacement même - quand ils mettent en échec des licenciements ou obtiennent des hausses de salaires et des dépenses supplémentaires pour la formation ou la modernisation des activités.

Nous proposons d'améliorer leur capacité et leur droit d'intervention dans le pilotage des entreprises, notamment par l'instauration d'un recours suspensif en cas de délocalisation ou de restructuration, avec la possibilité de faire contrôler le motif économique de l'opération et de faire prévaloir des solutions alternatives.

M. Maxime Gremetz. Très bien !

M. Alain Bocquet. Les délocalisations sont au cœur des préoccupations de nos concitoyens,...

M. Maxime Gremetz. Absolument !

M. Alain Bocquet. ...et la publication du rapport Arthuis, curieusement postérieure de quelques semaines au référendum du 29 mai, souligne le bien-fondé de la vigilance et de la détermination des salariés et de leurs représentants à ce sujet.

M. Maxime Gremetz. Assurément !

M. Alain Bocquet. Ministre de l'économie voilà à peine huit mois, l'actuel président de l'UMP et ministre de l'intérieur n'avait alors pas de mots assez fermes pour dénoncer l'ampleur du phénomène. Il stigmatisait « une élite qui sait tout » et encourageait « notre pays à tirer les dividendes de la mondialisation ».

Ces dividendes, le rapport Arthuis nous les présente : 202 000 délocalisations d'emplois devraient intervenir entre 2006 et 2010 pour le seul secteur des services et, durant la même période, 13 500 par an au moins pour le secteur de l'industrie, tout cela sans présager de la suite !

La mondialisation capitaliste comme l'Europe libérale, que le vote de nos concitoyens vous fait désormais obligation de ne pas constitutionnaliser, ne font pas mystère de leurs appétits, de leurs objectifs et des ravages qu'elles entendent continuer à opérer, y compris dans notre propre pays où vous vous faites un devoir de relayer et d'amplifier leurs choix.

M. le Premier ministre a annoncé qu'il cherchait un chemin pour les Français. Le problème, c'est que c'est toujours le même chemin,...

M. Maxime Gremetz. Toujours !

M. Alain Bocquet. ...avec les mêmes ornières, qui mènera inévitablement au même calvaire le monde du travail et de la création, alors que, dans le même temps, les privilégiés de l'argent continueront de couler des jours heureux.

Votre chemin, c'est celui des injustices, des inégalités accrues, et rien d'autre !

Nous sommes, nous, persuadés que la clé pour résorber le chômage et les inégalités sociales réside dans la capacité d'initiative et de lutte du monde du travail. C'est sa confiance qu'il faut restaurer avant celle des marchés financiers. Naturellement, cela réclame un engagement résolu en faveur du salariat et des exclus, d'une sécurité emploi-formation et d'une véritable revalorisation des salaires et des retraites. Cela exige aussi une pratique démocratique, dans l'entreprise et hors d'elle, attachée à une République de progrès social.

Les députés communistes et républicains voteront résolument contre votre projet de loi d'habilitation antidémocratique et antisocial, qui ne peut se prévaloir de pareilles ambitions et se contente de sacrifier l'intérêt général aux appétits particuliers du MEDEF.

C'est la raison pour laquelle, le groupe des député-e-s communistes et républicains oppose la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement. Je veux d'abord, monsieur le président Bocquet, saluer une délégation d'un département qui nous est cher. Elle pourra témoigner que, sur des sujets sérieux, les parlementaires et le Gouvernement sont au travail.

Je suis heureux que vous ayez, dans la dernière phrase de votre intervention, mentionné la question préalable car la précédente tenait plutôt de l'explication de vote des députés communistes et républicains sur le projet de loi d'habilitation. De question préalable, il n'y a point en réalité, et je pourrais en rester là. Mais, par courtoisie démocratique à votre égard, je vais revenir sur quelques points.

Concernant la sidérurgie, sujet que vous connaissez bien, et que je connais aussi, je me permets de vous rappeler ce moment historique très fort où Pierre Mauroy, Premier ministre, est allé à Denain expliquer les fermetures dans ce secteur. Ce n'est pas sous le gouvernement de Raymond Barre que cela s'est passé, même si d'aucuns, comme le commissaire européen que vous avez cité, avaient produit des rapports. Les décisions concernant la sidérurgie, comme les mines, ont été prises sous un gouvernement de gauche, que vous souteniez. Si, pour les mines, il n'y avait, malheureusement, guère d'autre solution, pour d'autres secteurs industriels, on peut, vingt ans après, se poser des questions.

Vous parlez de capitalisme financier comme s'il s'agissait d'un modèle économique, que vous discréditez. Mais la vraie question est la suivante : est-on pour l'économie de marché, et sinon que propose-t-on à la place ?

Il y a quelques modèles économiques et politiques possibles. Il y a d'abord le troc, qui est une économie marchande, sans monnaie. Il y a ensuite l'économie politique : des théories fondées sur la dictature du prolétariat refusent le marché. C'est un modèle qui a existé, qui existe encore et qui continuera d'exister. Il y a aussi des régimes favorables à l'économie de marché - à l'extérieur en tout cas - mais sans la démocratie. Des régimes théocratiques, qui ne sont pas démocratiques, vivent sur l'économie de marché mondiale et pas forcément sur l'économie de marché intérieure.

C'est d'ailleurs l'un des problèmes de la mondialisation : les pays adhèrent à un modèle économique d'échanges sur des fondements totalement différents, dans certains cas démocratiques, dans d'autres, non. Sur certains continents, on voit des régimes adhérer à l'OMC et refuser à leurs propres travailleurs des droits et la protection sociale. Il y a peu, les Chinois sont venus étudier chez nous le fonctionnement de l'UNEDIC et de l'assurance chômage, car ils veulent en mettre une en place.

La mondialisation est un sujet complexe car se côtoient, dans la compétition au sein de l'OMC, des régimes démocratiques, qui ont leurs défauts, des économies de marché différentes, qui ont également leurs défauts, et des régimes où les conditions de travail et de vie des travailleurs ne sont pas toujours respectées.

Mais, derrière cette complexité, distinguons simplement l'économie de marché débridée et l'économie sociale de marché, parmi d'autres modèles qui ne relèvent ni de l'une ni de l'autre. L'analyse de cette réalité est probablement notre point fondamental de divergence.

Quant à la situation de l'emploi, nous sommes, monsieur le président Bocquet, vous comme moi, élus d'une région, le Nord-Pas-de-Calais, qui a vécu l'effondrement d'une économie dominée par de grandes entreprises d'État, qui ont fait des choix que vous n'avez d'ailleurs pas soutenus - je ne fais aucun procès d'intention - et qui a été en partie sauvée par l'économie de marché mondiale : ce sont des économies privées venues de loin, et parfois même de très loin, qui ont permis à cette région de retrouver quelques couleurs et un début de renaissance industrielle, grâce à ses centres de recherche et ses universités. Et, aujourd'hui, alors que le Nord-Pas-de-Calais a accueilli l'Agence ferroviaire européenne, nous nous battons ensemble pour en faire un pôle de compétitivité mondial.

Pour en revenir rapidement au texte, je ne peux pas vous laisser dire que le contrat « nouvelles embauches », qui est le vrai sujet de débat, est mal défini et qu'il ne prévoit pas d'indemnité de rupture ni de préavis.

Le contrat porte sur tous les champs d'activité et est défini par la taille : entre dix et vingt salariés, a laissé entendre le Premier ministre. Son champ est donc parfaitement connu. Il correspond d'ailleurs bien à la directive européenne de 2002...

M. Maxime Gremetz. Encore elle ? On a bien fait de voter non au référendum !

M. le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement. ...et à la convention n° 158 de l'OIT.

Tout cela pour dire, monsieur Gremetz, que, sur le plan légal et constitutionnel, ce contrat ne pose pas de problème juridique particulier par rapport aux normes françaises, aux directives européennes et aux règles de travail mondiales définies par l'OIT !

Quant à l'indemnité de rupture, c'est celle qui est prévue dans tous les dispositifs normaux de licenciement, à cette différence près que, pour la première fois - et je ne doute pas, connaissant votre sagacité, que vous l'ayez remarqué - elle est payable avant la rupture du contrat et non pas après sept, dix, voire vingt mois de contentieux qui ressemblent parfois à ceux de divorces compliqués. La rupture du contrat ne sera effective - et c'est une protection majeure pour les salariés - qu'après paiement complet des indemnités prévues par la loi.

Quant au préavis, le Premier ministre a été très clair.

Enfin, sur deux points, le Gouvernement vous suit complètement.

Le premier concerne le problème général de la sous-traitance et des petites entreprises. La France a besoin de ce que les Américains ont mis en place avec le Small Business Act, c'est-à-dire d'un dispositif de soutien aux entreprises moyennes. Dans la grande distribution comme dans l'industrie, il faut veiller à ce que les grandes organisations internationales portent une attention particulière au tissu de leurs entreprises moyennes : il y va de l'équilibre des territoires comme des performances de ces entreprises, car on ne se développe pas dans un désert !

Le second point auquel j'adhère est l'idée de la sécurité professionnelle emploi-formation. Il n'est de richesse que d'hommes, d'où l'importance de la gestion des ressources humaines. Mais pourquoi ne nous soutenez-vous pas quand nous mettons en place la convention de reclassement personnalisé qui évitera aux salariés licenciés d'une entreprise de moins de 1 000 personnes de se retrouver tout seuls ? Il leur sera proposé un parcours sécurisé, avec 80 % de leur rémunération antérieure !

De même, vous avez parlé de l'importance d'une adaptation territoriale. Mais alors, aidez-nous à mettre en place les maisons de l'emploi qui appliqueront la convention de reclassement personnalisé, feront des bilans de compétences qui nous permettront d'adapter les besoins aux territoires et de former les personnels en conséquence !

J'ai également du mal à comprendre que vous ne souteniez pas les contrats d'avenir, qui assurent une formation, ce qui vaut mieux que l'isolement dans le RMI.

Je ne comprends pas davantage que vous ne nous suiviez pas sur le contrat « nouvelles embauches » : c'est le premier contrat qui prévoit dans les très petites entreprises et la convention de reclassement personnalisée et son financement, au titre des 2 % indiqués par le Premier ministre.

Quand on y regarde de plus près, en matière de gestion des ressources humaines, les écarts ne sont pas si importants qu'il y paraît. Je souhaite donc de tout cœur que vous souteniez ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous passons aux explications de vote sur la question préalable.

Au titre des député-e-s communistes et républicains...

M. Alain Bocquet. Je demande la parole.

M. le président. Vous désirez expliquer votre vote ?

M. Alain Bocquet. Non ! Je demande un scrutin public sur le vote de la question préalable ainsi que la vérification du quorum.

Je préfère l'indiquer dès maintenant car il s'agit d'un sujet important. Il m'est arrivé une fois, de ne pouvoir formuler cette demande parce que l'on avait fait retentir la sonnerie tout de suite. Mieux vaut donc prévenir que guérir ! (Sourires.)

M. le président. Monsieur Bocquet, n'ayez aucun souci !

M. Alain Bocquet. Pour être clair, je demande donc que le quorum soit vérifié.

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz, pour une explication de vote au titre du groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Maxime Gremetz. Je voudrais vous poser une question, monsieur le président. À quel moment intervient le fait personnel ?

M. le président. Vous êtes un parlementaire chevronné.

M. Maxime Gremetz. Oui !

M. le président. Vous connaissez presque par cœur le règlement.

M. Maxime Gremetz. Non...

M. le président. Pour les faits personnels, la parole n'est accordée qu'à la fin de séance.

M. Maxime Gremetz. Il vaut toujours mieux vérifier ! (Rires.)

M. le président. Vous avez la parole, monsieur Gremetz, pour une explication de vote.

M. Maxime Gremetz. Monsieur le ministre, vous ne pouvez à aucun moment prétendre que la question préalable excellemment présentée par M. le président Bocquet n'en était pas une. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Son exposé n'était pas simplement une critique sévère de vos choix.

Quand notre collègue entend parler de fait personnel, il se sauve. (M. Gremetz désigne M. Mallié.) Insultons ! Et courage, fuyons !

M. Yves Bur. Donneur de leçons ! Il faut arrêter !

M. le président. Poursuivez, monsieur Gremetz !

M. Maxime Gremetz. C'est M. Mallié qu'il faut arrêter ! Empêchez-le de se sauver !

M. Yves Bur. Chacun est libre, ici, de faire ce qu'il entend !

M. Maxime Gremetz. La question préalable est solidement argumentée, C'est la critique, monsieur le ministre, de votre politique, qui devait être un grand plan d'urgence.

Vous êtes là depuis trois ans, monsieur Borloo, et vous vous réveillez subitement en disant : « Il y a urgence ! » Je pourrais faire, comme vous, du cinéma ! ((Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mais je m'en garderai bien.

M. Yves Bur. Grand-Guignol !

M. Maxime Gremetz. Vos résultats dans tous les domaines étaient très bons ! C'était formidable ! On s'aperçoit, au bout de trois ans, les études le montrent, que tous les clignotants sont au rouge - même si ce rouge n'est pas à notre goût. Comment espérez-vous obtenir de meilleurs résultats, en poursuivant dans la même voie et en laissant même s'aggraver la situation ? Cela ne me semble pas très créatif.

M. André Chassaigne. Ils le savent bien !

M. Maxime Gremetz. Vous nous avez fait un cours d'économie politique,...

M. Guy Geoffroy. C'est déjà bien de le reconnaître !

M. Maxime Gremetz. ...même s'il n'était pas très approfondi. Vous avez même inventé de nouvelles théories.

La précarité a été rejetée, condamnée par le peuple à trois reprises. Je ne comprends pas que cela ne vous ait pas fait réfléchir davantage, puisque vous remettez au goût du jour les vieilles recettes, en en rajoutant une couche. Nous aurons l'occasion de discuter des solutions que vous préconisez.

La majorité - 55 % - des Français qui ont voté « Non » le 29 mai n'ont-ils pas été assez clairs ?

M. Richard Mallié. De quelle année ?

M. Maxime Gremetz. Vous avez encore les résultats en travers de la gorge ! Vous avez perdu le moral !

M. Yves Bur. Ils vous sont montés à la tête !

M. Maxime Gremetz. Non, s'ils sont montés à la tête de certains, ce n'est pas mon cas.

M. le président. Monsieur Bur, je vous prie de ne pas interrompre M. Gremetz !

M. Maxime Gremetz. Si, je lui donne le droit !

M. le président. Non ! C'est moi qui préside !

Monsieur Gremetz, je vous prie de vous acheminer vers votre conclusion.

M. Maxime Gremetz. Monsieur Borloo, tout cela ne vous a pas suffi. Les électeurs vous ont pourtant clairement dit qu'ils en avaient assez que tout soit décidé là-haut, à leur place et d'être pris pour des imbéciles, alors qu'ils sont aussi intelligents que les « gens d'en haut ».

M. Richard Mallié. Vous allez voter pour ou contre la question préalable ?

M. Maxime Gremetz. Laissez-moi...

M. le président. Conclure ! (Sourires). Et M. Mallié se taira.

M. Maxime Gremetz. Il aura l'occasion de s'exprimer après, je l'espère.

M. le président. Votre temps de parole est expiré, monsieur Gremetz.

M. Maxime Gremetz. M. Mallié s'étant tu, je vais donc conclure. (Sourires.)

Vous nous dites : « Il y a urgence ! » Évidemment, cent jours, ce n'est pas long, et il n'en reste plus que soixante-dix ! Il y a déni de démocratie quand on invoque l'urgence pour faire passer un texte en force et empêcher le Parlement, qui a déjà si peu de pouvoir, d'en discuter et de faire d'autres propositions.

Tout recours aux ordonnances, qu'il soit le fait de la droite ou de la gauche, est condamnable. Vos mauvais coups sont en gestation dans ce texte. Nous allons défendre des amendements de suppression, pour expliquer - comme l'a fait M. Bocquet - le contenu néfaste et rétrograde de la politique que vous entendez poursuivre et aggraver, en liaison étroite avec le MEDEF !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Rolland, pour le groupe UMP.

M. Jean-Marie Rolland. Nous avons écouté avec beaucoup d'attention et le plus souvent avec une remarquable patience les arguments traditionnels de M. Bocquet. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Oh !

Mme Jacqueline Fraysse. Vos recettes aussi sont traditionnelles !

M. Jean-Marie Rolland. Ils ne se distinguent ni par leur sens de la nuance, ni par leur modernité. M. Bocquet a cité le modèle danois, mais en a fait une présentation tronquée.

M. Maxime Gremetz. Ah !

M. Jean-Marie Rolland. S'il est vrai que l'indemnisation chômage est plus généreuse au Danemark qu'en France, il faudrait également ajouter qu'il existe dans ce pays un véritable contrôle de la recherche d'emploi, axé sur le retour rapide à l'activité, qui mobilise l'ensemble des acteurs du service public de l'emploi. C'est un système « gagnant-gagnant », dont nous pourrions nous inspirer avec profit.

M. Bocquet a également évoqué la nécessité de revaloriser les salaires.

M. Maxime Gremetz. Oui !

M. Jean-Marie Rolland. Notre majorité a revalorisé, en trois ans, le SMIC horaire de plus de 17 %. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Émile Blessig. Pour combien de personnes ?

M. Jean-Marie Rolland. Tandis que pendant que M. Bocquet et ses collègues du groupe des député-e-s communistes et républicains étaient dans la majorité, le SMIC avait stagné. Il me semblait nécessaire de le rappeler. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Cette augmentation du SMIC correspond à l'équivalent d'un treizième mois.

M. Claude Gaillard, rapporteur. Eh oui !

M. Jean-Marie Rolland. M. Bocquet a peu insisté sur le point de savoir si les conditions de mise en œuvre de l'article 38 de la Constitution étaient juridiquement réunies. Mais M. Gremetz l'a fait.

La procédure du recours aux ordonnances est particulièrement encadrée. Elle a été utilisée par tous les gouvernements, de droite comme de gauche, et également par ceux que vous souteniez.

M. Maxime Gremetz. Non !

M. Jean-Marie Rolland. Sous la précédente législature, soixante-seize ordonnances ont été prises sur des sujets divers,...

M. Richard Mallié. Une paille !

M. Jean-Marie Rolland. ...y compris la durée du travail, le régime des CDD, l'abaissement de l'âge de départ à la retraite.

Sur le plan de la démocratie, j'ajoute que la commission des affaires sociales de l'Assemblée a examiné ce projet de loi selon les règles. On peut regretter que le faible nombre de représentants de l'opposition présents n'aient même pas défendu leurs amendements.

M. Maxime Gremetz. C'est parce que l'on ne discute pas sur les ordonnances !

M. Jean-Marie Rolland. Vous savez aussi que les partenaires sociaux n'ont pas été tenus à l'écart.

Sur le plan politique, nous sommes unanimes à reconnaître que la situation de l'emploi nous préoccupe tous.

M. Maxime Gremetz. Oh ! la la !

M. Jean-Marie Rolland. Personne ne conteste le malaise social. Il est donc urgent d'agir, car nous savons que le chômage n'est pas une fatalité.

M. Maxime Gremetz. Il galope !

M. Jean-Marie Rolland. Les exemples de pays voisins doivent nous inspirer. Ils montrent que des solutions existent.

M. Maxime Gremetz. Ah !

M. Christian Paul. C'est long, trois ans !

M. Jean-Marie Rolland. Dans un dossier aussi difficile, il est nécessaire d'oublier les querelles stériles, afin que le pragmatisme l'emporte.

Mme Jacqueline Fraysse. Il serait temps !

M. Jean-Marie Rolland. La loi d'habilitation a pour but de déverrouiller les blocages...

M. Maxime Gremetz. Toute protection est un blocage !

M. Jean-Marie Rolland. ...qui conduisent les entrepreneurs à ne pas embaucher mais aussi d'encourager les efforts de ceux qui reviennent vers l'emploi.

M. Maxime Gremetz. C'est la porte grande ouverte au MEDEF !

M. Jean-Marie Rolland. Ces mesures sont simples, pragmatiques. Elles portent à la fois sur l'offre et la demande. Il convient, monsieur Bocquet, de ne pas se laisser aller à la caricature ou à la manipulation de la vérité.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Jean-Marie Rolland. Tous les rapports, y compris celui du CERC, présidé par Jacques Delors, confirment que le durcissement excessif de la réglementation initiée par la gauche, par vos majorités,...

M. Hervé Novelli. Oui !

M. Jean-Marie Rolland. ...a généré, en retour, un contournement des règles.

M. Hervé Novelli. Tout à fait !

M. Jean-Marie Rolland. Ainsi constatons-nous une augmentation des licenciements pour motif personnel et une baisse des licenciements pour motif économique.

M. Hervé Novelli. Eh oui !

M. Jean-Marie Rolland. Il faut également noter l'augmentation du recours aux emplois à durée déterminée. Aujourd'hui, 70 % des recrutements sont opérés sous CDD ou sous intérim. Le Gouvernement propose pour répondre à cette situation difficile de créer un nouveau type de contrat, qu'il ne faut pas caricaturer. Il s'agit d'un contrat à durée indéterminée dont les possibilités de rupture sont prévues selon une procédure simplifiée, pendant une période de deux ans.

M. Maxime Gremetz. Les patrons peuvent les jeter quand ils veulent !

M. Jean-Marie Rolland. Par rapport aux CDD ou aux contrats d'intérim dont la faible durée ne permet pas d'ouvrir des droits à indemnisation, ce nouveau contrat, il faut le souligner, apportera des garanties nouvelles aux salariés, notamment celle d'une indemnisation de chômage,...

M. Maxime Gremetz. Quelle innovation !

M. Jean-Marie Rolland. ...même si le salarié n'a pas les six mois de travail nécessaire. Il est important de le rappeler.

Les mesures qui sont proposées dans ce projet de loi d'habilitation sont simples, rapides à mettre en œuvre, et répondent concrètement aux préoccupations de tous les Français, des entreprises et des salariés de notre pays.

Vous l'aurez compris, le groupe UMP ne votera donc pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Quel dommage !

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies, pour le groupe socialiste.

M. Alain Vidalies. S'il y a bien un moment où la question préalable se justifie, c'est précisément dans le cadre de la discussion d'un projet de loi d'habilitation.

Après les résultats du scrutin du 29 mai, le Gouvernement, estimant que la situation était grave, a déclaré vouloir légiférer en urgence sur la question de l'emploi. Mais c'est mal interpréter ces résultats, et nier l'aspiration de nos concitoyens à plus de démocratie. Il y a, dans les résultats du 29 mai, plusieurs éléments d'explications, la question européenne certes, mais aussi sur la situation sociale et démocratique de notre pays. Or le Gouvernement semble n'en tenir aucun compte. Et au moment où les Français veulent être associés plus étroitement à l'élaboration de la décision, soit par le biais des organisations syndicales, soit à travers la démocratie représentative, c'est-à-dire le Parlement, au moment où tous les commentateurs ont décelé dans la succession des derniers scrutins une sorte de distanciation entre nos concitoyens et leurs représentants, c'est-à-dire nous, mais aussi les médias, et tous ceux qui ont la charge de faire vivre la vie politique, le Gouvernement choisit de faire abstraction des procédures habituelles - d'abord la négociation avec les partenaires, puis le débat au fond devant l'Assemblée nationale - et de recourir à une procédure exceptionnelle qui nie l'existence du débat démocratique.

C'est une décision grave - et nous la combattrons sur le fond - et inopportune, car elle ignore, dans l'expression du peuple français, cette aspiration à plus de démocratie.

En outre, la précipitation suscite parfois des rédactions malencontreuses. À cet égard, j'attire votre attention, monsieur le rapporteur. Que peut-on lire en effet, page 41 de votre rapport ? Sous le titre « Les effets pervers des seuils », figurent :

« L'exercice des droits collectifs des salariés ; l'obligation de produire divers documents ; les prélèvements obligatoires, les petites entreprises étant exonérées de diverses cotisations et bénéficiant d'avantages fiscaux ; la gestion des heures supplémentaires ; l'emploi des travailleurs handicapés. »

M. André Chassaigne. C'est très fort !

M. Christian Paul. Scandaleux !

M. Alain Vidalies. Je suppose que telle n'était pas votre intention, car ce serait trop grave. Mais voilà le résultat quand on travaille dans la précipitation : une rédaction malencontreuse où, sous le libellé « les effets pervers des seuils », on vise, par exemple, la représentation collective des salariés ou l'emploi des travailleurs handicapés !

C'est tout le danger des procédures qui ignorent le travail parlementaire. C'est la raison pour laquelle nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Leteurtre, pour le groupe UDF.

M. Claude Leteurtre. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt l'intervention de M. Bocquet. La procédure des ordonnances, pour le « jeune » parlementaire que je suis, n'est pas enthousiasmante ; c'est en quelque sorte une auto-mutilation.

M. Christian Paul. Une castration !

M. Claude Leteurtre. Les propos de M. Bocquet sur la sidérurgie m'ont particulièrement interpellé. Dans le département du Calvados, dont je suis l'élu, le démontage et le départ de l'usine Usinor-Sacilor pour la Chine ont provoqué un gigantesque traumatisme dans toute la Basse-Normandie. Un tel événement ne peut en effet que susciter des interrogations. M. Mexandeau, qui appartenait à un gouvernement de gauche, a eu beaucoup de mal à expliquer aux travailleurs d'Usinor-Sacilor, qu'il était solidaire de cette décision. C'est dire que les choses ne sont pas simples. Et comme le disait M. Borloo, il est facile de réécrire l'histoire.

Je suis l'élu d'une ville où 700 employés travaillaient il y a cinq ans encore dans une usine Moulinex. L'usine a fermé il y a deux ans, mais nous avons fait venir une entreprise de plasturgie pour lui succéder. Cette entreprise qui s'était délocalisée depuis la vallée d'Oyonnax a apporté 25 emplois. Malheureusement, elle vient de fermer en raison de la crise de la plasturgie. Nous avons immédiatement retrouvé un repreneur. L'usine a fermé début mai, et les salariés ont été réembauchés le 1er juin. L'argent des congés de conversion a été utilisé pour la reprise. Or, le comité central de l'entreprise à Oyonnax a porté l'affaire aux prud'hommes en arguant d'une entente préalable : ce qui est faux, car j'ai, en tant qu'élu, servi d'intermédiaire et trouvé une solution. Face à de telles situations, de plus en plus complexes, nous devons rapidement trouver des solutions.

Si j'ai été sensible à l'argumentation de M. Bocquet sur la sidérurgie, il ne m'a pas convaincu s'agissant de l'urgence. La crise de l'emploi est désormais endémique. Nos concitoyens ressentent l'urgence qu'il y a à agir, et se moquent complètement de la formule retenue ; ils sont impatients.

M. Richard Mallié. Tout à fait, ils veulent des actes, des résultats !

M. Yves Bur. Ils veulent des emplois !

M. Claude Leteurtre. Par ordonnance ou par voie parlementaire, ce qu'ils veulent c'est un plan, et ils jugeront sur pièce.

Je suis moi aussi un républicain, et je pense que le droit de vote est acquis. Nos concitoyens l'ont exprimé, et ils l'exprimeront à nouveau en 2007. Il n'y a là aucune ambiguïté.

Cela étant, le Gouvernement, qui dispose d'une majorité suffisante pour légiférer selon les procédures habituelles, a choisi la formule des ordonnances. J'en prends acte, même si cela ne me convient pas outre mesure. En tout état de cause, il sera jugé sur son action. Dans ces conditions, compte tenu de la situation d'urgence ressentie par nos concitoyens, et de la complexité des problèmes, écoutons les propositions du Gouvernement. Essayons, dans la mesure du possible, de les améliorer.

Le groupe UDF ne votera donc pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Demande de vérification du quorum

M. le président. Sur le vote de la question préalable, je suis saisi par le groupe des député-e-s communistes et républicains d'une demande de scrutin public.

Mais je suis également saisi par le président du groupe des député-e-s communistes et républicains d'une demande faite en application de l'article 61 du règlement tendant à vérifier le quorum avant de procéder au vote sur la question préalable.

Je constate que le quorum n'est pas atteint.

Conformément à l'alinéa 3 de l'article 61 du règlement, le vote sur la question préalable est reporté à la reprise de la séance qui aura lieu à zéro heure dix. (« Très bien » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Bocquet. J'ai demandé la parole pour un fait personnel !

M. le président. À la fin de la séance, monsieur Bocquet. La séance n'est pas levée ! (Sourires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures dix, est reprise, le mercredi 29 juin, à zéro heure dix.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous allons maintenant procéder au scrutin.

Je vais donc mettre aux voix la question préalable de M. Alain Bocquet.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin sur la question préalable :

                    Nombre de votants 70

                    Nombre de suffrages exprimés 70

                    Majorité absolue 36

        Pour l'adoption 18

        Contre 52

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où s'engage la discussion générale sur ce texte important, je voudrais, comme le feront probablement certains de mes collègues du groupe UMP, revenir sur certains aspects qui me semblent essentiels, tant sur la forme et ce qui l'entoure que sur le fond, sur le détail des mesures qui nous sont proposées et sur les considérations plus générales que je me permettrai de qualifier d'avenir que peut nous inspirer ce texte.

Je traiterai tout d'abord, parce qu'il faut le faire, la question des ordonnances. On entend dire régulièrement, et aujourd'hui encore sur ces bancs, que la procédure des ordonnances serait indigne. Le Gouvernement qui y aurait recours aurait des choses à cacher ou n'aurait pas bien fait son travail et voudrait priver le Parlement de ses droits fondamentaux. En cette matière comme dans beaucoup d'autres, il faut savoir raison garder. Les quelques références à l'histoire des ordonnances sous la Ve République nous permettront d'y voir plus clair et de calmer nos ardeurs.

Comme l'a dit excellemment notre rapporteur, les ordonnances ne datent pas en effet d'aujourd'hui. Tous les gouvernements ou presque y ont eu recours et les gouvernements de gauche, notamment le plus récent, celui de Lionel Jospin, ne s'en est pas privé.

M. Bernard Accoyer. Eh oui !

M. Guy Geoffroy. Pour illustrer mon propos, je reviendrai sur deux débats portant sur une loi d'habilitation.

Le premier eut lieu dans cette assemblée - je n'y étais pas mais je m'en souviens presque ! (Sourires) - le 8 décembre 1981, donc très peu de semaines après le séisme du 10 mai. On lit sous la plume du Premier ministre de l'époque, Pierre Mauroy, des choses assez stupéfiantes. Celui-ci déclare en substance que le gouvernement est ardent et qu'il veut faire avancer les sujets sociaux mais que « cette ardeur n'a cependant pas encore permis que les réformes de structure soient votées aujourd'hui ». Et il ajoute : « Nous n'y parviendrons que difficilement. En outre... » - et je demande à mes collègues socialistes d'apprécier le propos tenu par un des leurs encore parlementaire - « ...votre tâche de député ne consiste pas seulement à siéger à l'Assemblée nationale. Vous devez pouvoir être davantage présents dans vos circonscriptions, surtout à la veille d'élections cantonales qui vont mobiliser un grand nombre d'entre vous. »

On prétend aujourd'hui que le Gouvernement voudrait nous museler. Mais, il y a vingt-quatre ans, le gouvernement disait finalement que nous, députés, n'avions pas grand-chose à faire ici, que nous serions bien mieux dans nos circonscriptions. À mon avis, ils auraient dû faire l'inverse quand on connaît le résultat des élections cantonales de 1982 ! C'est peut-être parce que nos collègues socialistes étaient trop sur le terrain que ce fut la débâcle.

Le Premier ministre de l'époque ajoutait avec force : « Nous refusons les 2,5 millions de chômeurs inscrits dans le VIIIe Plan ». Ce refus n'eut que de maigres conséquences puisque cette réalité malheureuse s'imposa à tous les gouvernements successifs dirigés par nos collègues socialistes.

Le Premier ministre donne ensuite quelques repères, une certaine forme de jurisprudence par rapport aux ordonnances qui ne seraient pas bonnes. Et il indique : « Le projet de loi qui vous est soumis est précis et limité quant à son objet. » On est bien là dans la stricte application de l'article 38 de notre Constitution que nous connaissons tous. « Le délai prévu pour la ratification est bref et impératif. » Nous pouvons le dire aujourd'hui du texte qui nous est présenté. Et il va plus loin : « Non seulement la politique économique et sociale du Gouvernement a déjà été présentée et ratifiée par votre assemblée, mais encore je suis convaincu que les mesures qui vous sont proposées à travers les ordonnances suscitent des adhésions au-delà même de la majorité présidentielle. »

À travers tout cela, on voit apparaître avec évidence que le constituant de 1958 a prévu le recours aux ordonnances non parce que les gouvernements envisageraient de cacher des choses, mais parce qu'en certaines circonstances il fallait rattraper du temps. Nous l'avons vécu il y a peu avec les lois d'habilitation visant à prendre par ordonnance les dispositions permettant la transposition de nombreuses directives européennes qui n'avaient pas pu l'être jusque-là. Citons encore les difficultés rencontrées en 1967 par la majorité trop étroite d'alors pour faire adopter des projets importants comme l'intéressement et la participation qui ont nécessité le recours à une procédure adaptée, celle des ordonnances. Alors que certains poussent des cris d'orfraie pour dénoncer ce qui serait un mauvais coup contre la République, je rappelle que la procédure des ordonnances est une procédure ordinaire, légitime.

Pour vous en persuader davantage, je ferai allusion à un débat qui eut lieu cette fois au Sénat et qui concernait les ordonnances de la codification de 1999. Le gouvernement de l'époque dirigé par M. Jospin ne faisait pas mieux que de soumettre des ordonnances et de les présenter en première lecture au Sénat. Quelle surprise quand on sait l'appétence de nos collègues députés socialistes pour la Haute Assemblée !

Il faut affirmer haut et fort que le mode opératoire qui nous est proposé par le Gouvernement est efficace, utile et qu'il correspond bien à la nature de la question qui nous préoccupe aujourd'hui, celle de l'emploi.

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. Richard Mallié. Il fallait oser le dire !

M. Guy Geoffroy. Je veux vous rappeler les déclarations du candidat François Mitterrand à la France entière, la regardant une fois de plus dans les yeux, quelques jours avant l'élection présidentielle du 10 mai 1981, déclarations qui n'avaient pas manqué de vous émouvoir : « La France ne comptera pas 2 millions de chômeurs, je m'y engage. »

M. Bernard Accoyer. Eh oui !

M. Guy Geoffroy. Je ne me permettrai pas dire que cet engagement avait été pris à la légère, mais c'était pour le moins un engagement hasardeux qui montre bien combien depuis le premier et surtout depuis le deuxième choc pétrolier, l'Occident tout entier, et notre pays en particulier, est frappé par un mal qui le ronge et dont il a peine à sortir, le chômage. Nous pensions alors que les dispositions prises par les gouvernements à la fin des années soixante-dix nous permettraient de sortir de cette situation beaucoup plus facilement. Mais ce qui était conjoncturel s'est installé dans la durée. Le traitement structurel du chômage conjoncturel a créé des conditions de blocage telles qu'aujourd'hui, quels que soient les efforts fournis par tous les gouvernements qui se sont succédé, nous devons constater que le mal est profond.

Monsieur le ministre, nous le savons bien, nous qui sommes à vos côtés, que vous vous efforcez depuis de longues années de combattre ce mal en mettant en place de manière patiente et approfondie tous les éléments de fond puis ceux qui viennent s'agréger au fond qui doivent permettre de gagner la bataille de l'emploi, de faire reculer sur tous les fronts ce chômage qui hante nos familles, nos anciens et nos enfants, bref notre société tout entière.

Le dispositif que vous nous proposez prévoit d'attaquer l'emploi de manière extrêmement pragmatique et précise. Nous sommes bien dans le cas de figure décrit par Pierre Mauroy en 1981. Nous sommes en train de décliner avec vous, monsieur le ministre, grâce à votre projet de loi, de manière précise et fidèle, l'engagement de politique générale du Premier ministre tel qu'il a été présenté ici dans un détail assez abouti et tel que nous l'avons approuvé.

Nous sommes tous des parlementaires de terrain et nos concitoyens viennent nous interpeller dans nos permanences. Nos jeunes nous demandent de les aider, alors qu'ils sont sortis du système scolaire sans aucune qualification, à trouver le moyen de prendre ou de reprendre espoir et à entrer d'une manière ou d'une autre sur le marché du travail. Vous leur proposez plusieurs modèles : le service militaire adapté et le crédit d'impôt qui permettra de ne pas se trouver à nouveau en difficulté la première année où il faudra s'acquitter de son imposition. Vous leur proposez un ensemble de dispositions qui doivent leur permettre de s'engager sur la voie de l'emploi, voie que nous avions ouverte dès la première session extraordinaire, en juillet 2002, avec les contrats jeunes qui ont déjà permis à 200 000 jeunes de trouver une embauche à laquelle ils aspiraient légitimement.

Nous rencontrons tous les jours des chefs d'entreprise, pas les présidents des grandes entreprises que la plupart d'entre nous ne connaissent pas, ni des grosses PME, mais des gens que nous côtoyons au quotidien, des chefs d'entreprise artisanale et de très petites entreprises. Le dispositif que vous leur proposez aujourd'hui ne vise pas à les enrichir au détriment de leurs futurs employés, mais à leur permettre, parce qu'ils en ont besoin, d'être dégagés du souci que peut provoquer chez eux la crainte d'une embauche aléatoire en leur donnant les moyens de se retourner en cas de difficulté.

On dit volontiers du contrat nouvelle embauche qu'il est incertain et qu'il priverait de certains droits. Bien au contraire, et je veux le dire avec force, ce contrat est une nouvelle chance pour les entreprises, les salariés qui pourront en bénéficier.

M. Yves Bur. Tout à fait !

M. Guy Geoffroy. Aucun des droits fondamentaux n'est supprimé, et certains vont même jusqu'à dire que nous allons à certains égards beaucoup plus loin dans la protection des salariés que ne le fait le CDI ordinaire.

M. Yves Bur. C'est vrai !

M. Guy Geoffroy. Vous pensez également à nos anciens en supprimant purement et simplement la limite d'âge pour le recrutement par concours dans la fonction publique. Ainsi, ils auront la possibilité d'intégrer nos administrations, qu'il s'agisse de l'administration de l'État, celle des collectivités territoriales ou des hôpitaux.

Vous prévoyez également pour eux, mais aussi pour les chômeurs de trop longue durée, la possibilité de ne pas être « gênés aux entournures » quand ils reprennent leur activité professionnelle. La prime de 1 000 euros que vous proposez de leur attribuer est sans doute la bienvenue.

Tout cela n'a rien d'exceptionnellement nouveau par rapport aux déclarations du Premier ministre, mais c'est bien naturel puisque nous sommes là pour décliner avec vous, monsieur le ministre, ce que le Premier ministre a proposé au pays et à la représentation nationale dans sa déclaration de politique générale. Tout cela, qui relève du bon sens, du courage serein, du pragmatisme, de la détermination, le groupe UMP dans son ensemble le soutiendra sans hésiter.

Pour conclure, je souhaite appeler à une réflexion sur ce qui est peut-être l'une des questions essentielles du message de nos concitoyens le 29 mai, le modèle social, que l'on pourrait appeler également notre idéal social qui nous appartient depuis longtemps et qui a été forgé, consolidé à travers les idéaux de la Résistance et qui fut et qui reste pour toujours l'héritage et le message social du général de Gaulle. Il appartient collectivement à tous les Français. Il ne saurait être question ni de s'appuyer sur ce qu'on croit qu'il est pour en faire un modèle rabougri, rétréci, sclérosé, ni de dire que les temps ont changé et qu'il doit cesser d'exister. Nous devons moderniser notre modèle social. Monsieur le ministre, l'étape supplémentaire que vous nous proposez, qui est une étape d'accélération, d'impulsion nouvelle par rapport au projet de notre gouvernement, en est probablement un élément indispensable, un de ceux que nous devrons approfondir et qui devra être prolongé pour que notre modèle social puisse continuer en France, être modernisé et que nous puissions surmonter l'ensemble des périls qui se sont accumulés dans notre pays depuis plus de trente ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après trois ans de gouvernement UMP, la majorité justifie aujourd'hui par la gravité de la situation de l'emploi le recours aux ordonnances. Autrement dit, c'est la gravité de votre échec qui justifie l'urgence. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Mallié. Et l'héritage !

M. Alain Vidalies. Il est vrai qu'à chaque consultation, le peuple français vous rappelle à cette lucidité qui vous contraint aujourd'hui à endosser le rôle de pompiers pyromanes. (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Il serait cruel de rappeler les déclarations et les pronostics qui ont accompagné la loi du 29 août 2002 créant le contrat jeune - par rapport aux objectifs avancés, la réalité est plus que décevante -, la loi du 17 janvier 2003 qui procédait à la première remise en cause des 35 heures et dont vous attendiez monts et merveilles,...

M. Hervé Novelli. Attendez donc !

M. Alain Vidalies. ...la loi sur la négociation collective revenant sur la loi de modernisation sociale qui devait faciliter le fonctionnement des entreprises et donner des résultats remarquables en matière d'emploi, enfin la loi sur le dialogue social à laquelle vous avez ajouté au dernier moment des articles essentiels qui remettaient en cause la hiérarchie des normes et le principe de faveur, règles pourtant fondamentales de notre droit du travail.

M. Bernard Accoyer. Voilà un discours paléolithique !

M. Alain Vidalies. Toutes ces agressions contre le droit du travail pour arriver à un résultat désastreux : 250 000 chômeurs de plus et une explosion de la précarité !

Après le 29 mai, le Gouvernement invoque cette sanction supplémentaire pour justifier le recours aux ordonnances. Le discours de notre collègue Geoffroy était convenu.

M. Guy Geoffroy. Et le vôtre fossile !

M. Alain Vidalies. Quand on est dans la majorité et que le Gouvernement veut légiférer par ordonnances, on dit ce qu'il a dit, nous l'avons dit aussi. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement. Moins bien !

M. Alain Vidalies. Sans doute, mais le fond était le même. En tout état de cause, on a tort de tenir un tel discours contraire aux intérêts du Parlement et au fonctionnement collectif de notre démocratie.

M. Guy Geoffroy. Quel bel exemple de repentance !

M. Alain Vidalies. Cette expérience partagée, où chacun joue le rôle qui lui est assigné, ne doit pas nous empêcher d'avoir collectivement ce moment de lucidité (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), même si, je le concède, c'est plus facile quand on est dans l'opposition...

M. Guy Geoffroy. On va vous y laisser longtemps, cela vous permettra de peaufiner votre discours.

M. Alain Vidalies. Vous aurez sans doute bientôt l'occasion de vous exercer aussi.

Je crains que vous n'ayez pas compris, une nouvelle fois, que le vote du 29 mai exprime une profonde crise à la fois sociale et démocratique.

M. Yves Bur. Parlez-en donc à François Hollande !

M. Alain Vidalies. La suspicion de nos concitoyens à l'encontre de tous les corps intermédiaires de représentation ou de médiation suppose au contraire plus de démocratie. Il fallait associer nos concitoyens au débat, il fallait engager une véritable négociation avec les partenaires sociaux et un vrai débat devant le Parlement. À l'opposé, la loi d'habilitation constitue un recul démocratique et une régression sociale.

Sur un plan politique, l'Assemblée nationale est certes privée de son droit de débattre au fond d'un texte, mais c'est surtout la démocratie sociale qui est la grande victime de votre initiative, tant sur la procédure que sur le fond.

Sur la procédure : comment pouvez-vous continuer à vous exprimer sur l'importance que la démocratie sociale revêtirait à vos yeux et ignorer à ce point les partenaires sociaux ? Vous avez vite oublié vos grandes déclarations - celles de votre prédécesseur, monsieur le ministre, je le reconnais - sur la nécessité d'organiser un dialogue entre les partenaires sociaux avant de modifier la législation sociale par la voie parlementaire. Cette déclaration solennelle du gouvernement précédent a été chaleureusement applaudie, mais, comme vous le savez, « il n'y pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour ». Vos discours d'hier sur la démocratie sociale, vous les avez aujourd'hui largement oubliés, et vos actes les éclairent d'un jour singulier.

Sur le fond : le projet de supprimer les effets de seuil pour les salariés âgés de moins de vingt-six ans révèle une conception des rapports sociaux qui remonte plutôt au début du siècle précédent.

Pour que la démocratie sociale fonctionne, il faut au contraire mettre en place des institutions représentatives de tous les salariés, y compris ceux des petites et moyennes entreprises. Comment justifier que les jeunes salariés et bientôt, probablement, les seniors, c'est-à-dire les plus de cinquante-cinq ans, soient exclus des effectifs de l'entreprise dans les calculs servant à la mise en place de délégués du personnel, d'un comité d'entreprise ou d'un comité d'hygiène et de sécurité ? Sur ce point, nous avons une vraie divergence car nous sommes au contraire favorables à des élections de représentativité dans toutes les entreprises et au principe de l'accord majoritaire, ainsi qu'au rétablissement du principe de faveur et de la hiérarchie des normes que vous avez supprimés.

À la régression démocratique s'ajoute une régression sociale.

Le contrat « nouvelles embauches » est tout simplement la possibilité pour l'employeur de licencier à tout moment et sans motif particulier. Il n'aura à invoquer ni une cause propre au salarié ni une raison économique, qui sont les deux seuls motifs de licenciement qui existent actuellement dans notre code du travail. Vous voulez donc en ajouter un autre : la décision unilatérale de l'employeur. Mais, si ce motif est inscrit dans le code, le contrôle du juge deviendra impossible puisque la nouvelle loi aura créé un licenciement sans cause autre que la seule volonté de l'employeur. Cette situation n'existe aujourd'hui que pendant la période d'essai où l'employeur peut décider - cela a toujours existé et cela apparaît naturel sur tous les bancs - de mettre fin au contrat de travail sans avoir à en rendre compte, sauf circonstance tout à fait particulière.

Les intentions du Gouvernement étaient très claires lorsque, dans son discours de politique générale, le Premier ministre a évoqué une période d'essai de deux ans, durée qui n'était en rien due au hasard. Manifestement, vous vous êtes rendu compte après coup que la période d'essai étant de construction conventionnelle et jurisprudentielle, il était impossible de l'inscrire dans la loi. Aujourd'hui, dans son intervention, le Premier ministre a utilisé un concept particulier sur lequel, monsieur le ministre, il vous appartient de vous expliquer. Comme des millions de nos concitoyens sont potentiellement concernés, il faudrait que nous sachions ce qu'il veut dire. « Le contrat que je propose est un contrat à durée indéterminée. Il instaure une période d'embauche, qui est un temps de consolidation de l'emploi. » Nous voilà nantis d'un concept nouveau, que personne ne connaît, et qui n'est manifestement destiné qu'à s'exonérer des règles habituelles du code du travail. Vous devez, monsieur le ministre, nous donner une définition et nous expliquer les raisons de ce choix.

Après quelques hésitations, le Gouvernement a précisé, s'agissant du champ d'application, que toutes les entreprises jusqu'à vingt salariés seraient concernées, soit, excusez du peu, 4 millions de salariés, représentant 28 % du privé. L'extension du dispositif aboutirait évidemment à un démantèlement définitif du code du travail. Les questions en suspens sont graves : comment se déroulera la rupture du contrat de travail ? Comment les salariés seront-ils assistés ? Quels seront leurs droits précis par rapport au droit commun ? De tout cela, nous débattons sans que le Gouvernement ne nous ait donné aucune réponse. Le nouveau dispositif est-il compatible avec nos engagements internationaux, je pense notamment à deux conventions de l'Organisation internationale du travail ? Sur ce point aussi, monsieur le ministre, nous attendons toujours votre réponse.

L'existence de ce nouveau contrat ouvre la porte à tous les abus. Ainsi, les maigres dispositions qui protègent les travailleurs saisonniers risquent de voler en éclats dans la mesure où les employeurs seront tentés d'utiliser le contrat de nouvelle embauche dont la rupture sera possible à tout moment plutôt qu'un contrat à durée déterminée. Je crains que la principale conséquence ne soit la généralisation de la précarité que vous appelez, vous, la flexibilité.

Pourtant, il existe d'autres marges de manœuvre. Je rappelle simplement que les cotisations ASSEDIC payées au titre des emplois précaires s'élèvent à 1 milliard d'euros et ouvrent 7 milliards de droits. Il serait probablement opportun de réfléchir à un système de bonus-malus qui pénaliserait les entreprises abusant des emplois précaires et permettrait de diminuer les cotisations de celles - ce sont souvent les petites - qui les utilisent le moins.

Enfin, monsieur le ministre, quelles sont les conséquences de la mise en œuvre du chèque-emploi, qui prend la suite du titre emploi entreprise voté par votre majorité et qui n'a concerné que 14 000 emplois au cours de l'année dernière ? Le projet de loi d'habilitation, qui fait référence à la déclaration d'embauche - et non plus à la déclaration préalable à l'embauche qui figure dans le code du travail -, laisse à penser que vous êtes allés trop loin dans votre souci de simplification puisqu'on risque ainsi de supprimer le principal instrument de lutte contre le travail illégal. Si tel était le cas, le remède serait pire que le mal. Nous attendons avec intérêt votre réponse sur ce point.

Votre projet de loi me rappelle finalement la célèbre déclaration d'un responsable du patronat - il s'agissait alors du CNPF - expliquant que les lourdeurs administratives, notamment l'autorisation administrative de licenciement, étaient un frein à l'emploi. Un débat avait eu lieu à l'Assemblée sur le sujet : la suppression de l'autorisation administrative de licenciement allait créer, nous disait-on, 387 000 emplois ! Pourquoi ce chiffre ? Personne ne l'a jamais su. Et, de fait,...

M. Richard Mallié. On n'en a créé que 386 000 !

M. Alain Vidalies. ...aucun emploi n'a été créé ! Je crains que les vieilles recettes que vous utilisez aujourd'hui n'aboutissent au même résultat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Pecresse.

Mme Valérie Pecresse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avons-nous, oui ou non, tout essayé pour réduire le chômage ? Devons-nous, oui ou non, accepter comme une fatalité deux millions et demi de chômeurs ?

Aujourd'hui, dans cet hémicycle, deux camps se font clairement face : le camp de ceux qui, sans rien proposer d'autre, ont choisi de s'opposer de façon quasi systématique à toutes les mesures du plan d'urgence pour l'emploi ; et le camp de ceux - j'en fais partie - qui considèrent que, face à une situation inacceptable - 10 % de chômeurs ! -, il convient de donner toutes leurs chances aux nouvelles actions que vous proposez, monsieur le ministre. Elles vont dans le bon sens en s'attaquant aux obstacles bien connus qui freinent l'emploi : la difficulté et le coût de l'embauche pour les très petites entreprises et le coût de la reprise du travail pour les chômeurs, qui restent englués dans l'assistance.

Le projet de loi d'habilitation qui fixe le cadre des ordonnances que vous allez prendre répond à ces préoccupations. Il appelle néanmoins de ma part deux réserves.

La première concerne le « contrat nouvelle embauche », qui en est une des mesures emblématiques. Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a décrit un nouveau contrat à durée indéterminée, qui allierait sécurité et liberté en offrant à l'employeur une plus grande souplesse et aux salariés de nouvelles protections. L'idée est alléchante. Reste que l'expression « période d'essai de deux ans », employée par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, soulève des interrogations. Je voudrais me faire ici l'avocate de tous les salariés qui pourraient bénéficier de ce contrat et vous dire en leur nom à quel point il serait anxiogène et difficilement justifiable de soumettre une personne à une période d'essai aussi longue, six mois suffisant amplement à mesurer la qualité du travail d'un salarié.

Mais je pense que l'expression utilisée était inexacte et ne reflétait pas le fond de votre pensée, monsieur le ministre.

Après avoir lu le texte du projet de loi d'habilitation et après avoir entendu, cet après-midi, le Premier ministre, j'ai compris que ces deux premières années sont en réalité, dans votre esprit, une période de montée en charge progressive des droits sociaux du salarié nouvellement embauché. Si tel est bien le cas, je souhaiterais que ce soit précisé aux Français, afin que la mesure puisse leur être clairement présentée : nous serions ainsi pleinement rassurés.

Ma deuxième réserve concerne l'emploi des femmes. Vous évoquez dans votre projet de loi le chômage des jeunes et celui des plus de cinquante ans. Aucune mesure n'est consacrée aux femmes. Or, elles doivent faire face au défi très spécifique que constitue la conciliation de la vie familiale avec la vie professionnelle. Si des Français ont peu d'avantage à reprendre un emploi, ce sont bien les mères. Faire garder ses enfants est difficile et coûteux : cela rend la reprise d'un emploi peu attractive sur le plan financier. Il serait pourtant de notre intérêt à tous de lever les freins à l'embauche et au retour au travail des femmes. Les économistes observent en effet que l'activité féminine stimule la croissance, les femmes consommant plus lorsqu'elles travaillent que lorsqu'elles restent chez elles. Le travail des femmes entraîne donc la création de nouveaux services et de nouveaux emplois. Contrairement à l'idée, longtemps reçue, selon laquelle le travail des femmes, c'est le chômage des hommes, la conclusion des économistes est simple : plus les femmes travaillent, moins il y a de chômage !

Or, nous ne leurrons pas ! Les choix professionnels des femmes sont en partie contraints. Ou elles n'ont pas d'enfant et elles peuvent prétendre à la même carrière que les hommes, ou elles en ont plusieurs et sont pénalisées. Celles qui s'arrêtent temporairement de travailler ont toutes les difficultés à retrouver un emploi et celles qui travaillent moins renoncent à progresser dans leur parcours professionnel.

La situation des femmes élevant seules des enfants est encore plus difficile. La monoparentalité ne conduit pas nécessairement à la pauvreté, mais elle rend plus vulnérable. L'immense majorité des parents seuls sont des femmes, et près de 80 % d'entre elles ne travaillent pas : 40 % sont au chômage, dont la moitié ne reçoit pas d'indemnités.

Le projet de loi d'habilitation a pour objectif de lever les freins à l'embauche et d'améliorer la situation de chaque Français, les plus vulnérables comme les plus entreprenants, les plus jeunes comme les plus âgés. Je vous demande donc, monsieur le ministre, de penser à la situation des femmes les plus vulnérables - celles qui élèvent seules leurs enfants - comme à la situation de celles qui sont les plus entreprenantes et veulent mener une carrière professionnelle à l'égal des hommes. Il convient, pour toutes ces femmes, de lever les barrières qui les tiennent éloignées du marché du travail.

M. Yves Bur. Très bien !

Mme Valérie Pecresse. Il est donc nécessaire - c'est même un préalable - d'accroître et de diversifier l'offre de garde des jeunes enfants. Le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, durant trois ans, a mené dans ce domaine des actions importantes, notamment le plan crèches, la mise en place de la PAJE et la loi sur les assistantes maternelles, qui devrait permettre d'attirer de nouvelles personnes vers ce métier et accroître ainsi l'offre d'accueil de qualité. Ces efforts doivent être amplifiés, comme le Premier ministre l'a promis dans sa déclaration de politique générale, et les moyens nécessaires à leur pérennité dégagés en priorité.

Mais une politique globale en faveur du retour des femmes à l'emploi reste à imaginer. Nous pouvons nous inspirer d'expériences réussies en Europe ou ailleurs. Je vous en soumets une, qui ne devra pas être écartée d'un revers de la main au seul prétexte qu'elle provient de Grande-Bretagne ! (Sourires.)

Tony Blair a mis en place en 1997 un programme « nouvelle donne » ou « new deal » pour aider des catégories spécifiques de chômeurs à retravailler, en leur permettant de concilier vie professionnelle et vie familiale. Un volet spécifique est consacré aux parents élevant seuls un enfant, le « new deal for lone parents ». Ce plan repose sur trois mesures phares, qui pourraient constituer autant de sources d'inspiration pour notre action en France en faveur des mères élevant seules des enfants. La première mesure vise à les inciter à rechercher activement un emploi : une prime de recherche d'emploi de 112 euros par mois est versée, pendant six mois maximum, aux parents seuls qui sont au chômage depuis plus d'un an et qui s'engagent à chercher activement un emploi. La deuxième mesure vise à encourager les mères seules à travailler, plutôt qu'à se contenter des minima sociaux et des aides spécifiques qui leur sont versés : une allocation d'activité de 228 euros par mois est accordée, durant la première année de travail, aux parents seuls qui trouvent un emploi de plus de seize heures par semaine. Enfin, les frais de garde des enfants des mères seules qui recherchent un emploi sont pris en charge. Ce programme a été très efficace puisque, depuis 1997, le taux d'emploi des femmes soutien de famille a augmenté de 40 %.

Une autre mesure visant à aider le retour à l'emploi des femmes serait également facile à mettre en place : elle consisterait à valoriser l'expérience des mères qui ont élevé leurs enfants. Visitant récemment une crèche de ma circonscription, j'ai entendu sa directrice me dire qu'elle aurait plus confiance en sa cuisinière de cinquante ans, qui avait élevé quatre enfants, qu'en une puéricultrice jeune diplômée qui n'aurait qu'une connaissance théorique des enfants. Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a donné pour objectif au Gouvernement d'aller chercher les emplois là où ils se trouvent, notamment dans le vivier des emplois de demain, les services à la personne, dont vous avez fait une priorité politique, monsieur le ministre. Une mère qui s'arrête de travailler pour élever un enfant acquiert une large palette de compétences en matière de soins aux jeunes enfants : il convient de les valider comme telles. L'élargissement de la validation des acquis de l'expérience permettrait à ces femmes d'obtenir une qualification en vue de postuler à des emplois publics ou privés de la petite enfance.

Je n'ai fait ici qu'apporter quelques idées au débat. Mais, monsieur le ministre, dans le cadre de votre plan d'urgence pour l'emploi, et par-delà les ordonnances que nous allons vous habiliter à prendre, je serais heureuse que vous ayez, à l'avenir, une pensée pour les femmes de France qui, au regard de l'emploi, ne sont pas des hommes comme les autres ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Simon Renucci.

M. Simon Renucci. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 8 juin dernier, j'étais de ceux - cela vous étonnera peut-être - qui attendaient beaucoup du discours du Premier ministre : comme la majorité de mes collègues, j'ai ressenti très douloureusement le terrible malaise social que le résultat du référendum a fini de révéler. J'étais, comme mes concitoyens, impatient de connaître les mesures que le Gouvernement allait prendre. De plus, l'engagement de l'appareil de l'État en faveur des jeunes sortis sans qualification ou diplôme du système scolaire, la disparition de la limite d'âge pour entrer dans la fonction publique ou les dispositifs d'insertion professionnelle sur le modèle du service militaire adapté d'outre-mer étaient très encourageants. Mais la lecture du projet de loi m'a déçu et me laisse l'impression que tous les enseignements du malaise social n'ont pas été tirés.

Il aurait en effet fallu combler le fossé démocratique existant entre la population et ses représentants et rompre avec une politique ultra-libérale qui creuse la fracture sociale depuis maintenant plus de trois ans. Votre projet est insuffisant, que ce soit du point de vue de la méthode ou sur le fond.

Sur la méthode, nos concitoyens considèrent le recours aux ordonnances comme une pratique antidémocratique qui révèle votre défiance vis-à-vis de la représentation nationale. Nous aurions pu siéger quelques jours de plus afin d'examiner un projet de loi dont, comme vous le reconnaissez vous-même, le sujet, en raison de la gravité de la situation, mérite l'engagement de toutes les forces de la nation, à l'exception, semble-t-il, de la représentation nationale, qui est tenue à l'écart.

Le plus lourd, le plus grave pour notre pays - je fais le même constat que vous, monsieur le ministre -, c'est le chômage endémique qui désespère nos quartiers et le pays dans son ensemble. Le chômage officiel atteint des records : plus de 2,5 millions de chômeurs, soit 300 000 de plus en trois ans, et des millions de nos concitoyens plongés, voire noyés dans la précarité. La France enregistre un autre triste record : le plus fort taux d'inactivité des jeunes et des plus de cinquante ans.

Or, dépossédés de notre droit de législateur, constatant à regret le balbutiement hésitant des discussions avec les partenaires sociaux, nous ne pouvons que nous en tenir aux déclarations d'intention, lesquelles suscitent autant d'inquiétudes pour les droits des salariés, déjà bien entamés.

Nos inquiétudes sont fondées sur le triste constat que la politique du gouvernement actuel ne fait que poursuivre celle engagée par le précédent. Depuis plus de trois ans, vous voulez démontrer que le chômage français s'explique par la rigidité du code du travail. Ce faisant, vous nous proposez - c'est la mesure phare de votre projet - d'introduire un nouveau contrat de travail, le contrat « nouvelles embauches », un produit précaire, hybride, dont nous n'arrivons toujours pas à saisir les contours : absence de période d'essai, allégement des modalités de rupture et applicabilité aux très petites entreprises - sans que personne d'ailleurs soit capable de dire ce que sont les « très petites entreprises ».

Rappelons que 70 % des contrats signés actuellement sont des contrats à durée déterminée. C'est la précarité qui, dans notre pays, depuis très longtemps, est devenue la norme. Ce contrat dérogatoire accentuera encore l'insécurité professionnelle de nos concitoyens, offrant à l'employeur, durant deux ans, la possibilité de licencier sans motif réel ou sérieux.

Tout cela, me semble-t-il, n'est pas à la hauteur des enjeux de la situation, laquelle exige de restaurer ce qui manque le plus : la confiance des Français à l'égard de leur Gouvernement et de leurs représentants, confiance qu'ils nous témoigneront de nouveau si nous arrivons à rompre la politique que vous mettez en œuvre.

Depuis trois ans en effet, le Gouvernement ne se préoccupe que des attentes des chefs d'entreprise - assouplissement du code du travail, remise en cause des 35 heures ou baisse des charges -, alors que, de toute évidence, le danger actuel réside dans la baisse constatée de la consommation des ménages. L'atonie de la croissance est telle que le ministre de l'économie et des finances, M. Breton, a été une nouvelle fois contraint de réviser ses prévisions à la baisse.

Il ne convient donc pas de stigmatiser le code du travail et les salariés, mais de mettre en œuvre une véritable politique de la demande dont le besoin urgent se fait sentir.

Le Gouvernement précédent s'était engagé, pour le mois de juin, à exiger des partenaires sociaux une vaste concertation sur le niveau des salaires en France. Il avait raison. Au cours de la commission nationale de la négociation collective du vendredi 19 juin, les syndicats ont une nouvelle fois pu mesurer l'ampleur de leurs désaccords avec les organisations patronales sur l'évolution des salaires dans le secteur privé. Hier encore, contrairement aux attentes des syndicats, le Gouvernement n'a pas annoncé de « coup de pouce » supplémentaire significatif pour le SMIC.

Au lieu de chercher à détricoter tous les protections sociales et professionnelles des salariés, il eût été politiquement plus juste et économiquement plus efficace que tous les talents du Gouvernement - il y en a ! - s'attachent au chantier prioritaire et fondamental que constitue, pour les Français et pour notre économie, l'augmentation significative des salaires dans notre pays.

Finalement, après le choix difficile que les Français avaient fait au lendemain du 21 avril 2002 et après le vote du 29 mai dernier, ce sont la démocratie parlementaire et la démocratie sociale qui se retrouvent affaiblies. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Le Guen.

M. Jacques Le Guen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que n'avons-nous entendu ces jours derniers au sujet du recours aux ordonnances pour la définition et la mise en œuvre de mesures d'urgence pour l'emploi que le Gouvernement, à juste titre, a la volonté d'appliquer dans les délais les plus brefs !

Aux cris d'orfraie - teintés de calcul politique - de certains, je préfère pour ma part une action résolue et déterminée pour l'emploi. Ne nous y trompons pas, l'objectif est bien là : permettre à nos concitoyens privés d'emploi d'accéder à nouveau au marché du travail. L'enjeu est de taille et justifie l'utilisation de dispositions exceptionnelles.

Concernant la situation de l'emploi dans notre pays, le constat, connu de tous, est multiple. Tout d'abord, nos concitoyens expriment une peur du chômage qui trouve en grande partie son origine dans un sentiment d'absence de perspectives de reclassement ou de retour à l'emploi dans des délais raisonnables. Ensuite, le chômage ne parvient pas à baisser durablement dans notre pays, se situant depuis trop longtemps autour 10 % de la population active.

Les principales victimes de cette situation sont les jeunes et les plus de cinquante ans. À peine plus d'un quart des 15-24 ans et moins de la moitié des 55-64 ans ont un travail. Ces proportions tranchent singulièrement, et pas à notre avantage, avec ce qu'il est possible de constater chez plusieurs de nos voisins européens.

À l'inverse, des centaines de milliers d'offres d'emploi demeurent non pourvues. Nous rencontrons tous des commerçants, artisans ou chefs d'entreprise qui ne parviennent pas à trouver du personnel. Il y a quelques jours encore, dans ma circonscription, un chef d'entreprise du bâtiment qui avait quinze emplois à pourvoir immédiatement me racontait qu'il s'était adressé à l'agence locale pour l'emploi et que celle-ci, bien que ce soit son rôle, s'était trouvée dans l'incapacité de répondre à sa demande. Cet exemple, qui est loin d'être isolé, atteste un phénomène préoccupant qui dure lui aussi depuis trop longtemps et a des effets dommageables pour notre économie, ainsi privée de leviers de croissance.

Dans son discours de politique générale, le 8 juin dernier, le Premier ministre a affiché sa détermination à aller chercher les emplois là où ils se trouvent, c'est-à-dire notamment dans les très petites entreprises. À l'appui de cet objectif, des mesures de simplification et d'assouplissement de la réglementation du travail devront permettre de libérer la capacité d'embaucher. C'est en grande partie l'objet des ordonnances que le Gouvernement se propose de prendre.

Mais il est un autre volet important de la bataille pour l'emploi, pendant indispensable du précédent : la mobilisation du service public de l'emploi. Le simple examen des dispositifs existant à l'étranger, et qui ont prouvé leur efficacité, montre combien nous sommes en retard, tant en matière de renforcement des liens entre l'indemnisation et le placement que dans la recherche d'une meilleure efficacité du système de placement.

Concernant le premier point, le retard peut être comblé de deux façons : d'une part, par la mise à la disposition des demandeurs d'emploi de guichets uniques, mais surtout par l'amélioration des dispositifs individualisés d'accueil et de suivi ; d'autre part, par la subordination du versement des allocations de chômage à la recherche active d'un emploi.

Soyons clairs : aujourd'hui, le chômeur s'inscrit à l'ANPE surtout parce qu'il est obligé de le faire, et non parce qu'il s'attend à recevoir un service indispensable. C'est cette situation que nous devons faire changer rapidement. Il est essentiel que toute personne privée d'emploi, et au-delà tout salarié - qui peut en effet aujourd'hui s'estimer à l'abri du chômage, dans un contexte de mondialisation et d'évolution de l'économie ? -, puisse se dire que son retour au travail est une priorité non seulement pour lui-même, mais aussi pour la société dans son ensemble. Et il est également essentiel qu'il puisse se dire que les mesures prises, quels que soient leur intérêt et leur utilité, ne sont pas dirigées uniquement vers les entreprises, mais lui sont tout autant destinées.

Force est de constater que cette perception ne prévaut pas aujourd'hui. Pour y remédier et mobiliser de façon accrue le service public de l'emploi, il faut rendre celui-ci plus opérationnel et le dynamiser.

La loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005 apporte déjà des réponses, avec la constitution du dossier unique du demandeur d'emploi et la création des maisons de l'emploi. Mais cet effort doit être poursuivi et amplifié dans le sens d'un appui renforcé à la personne en recherche d'emploi.

Il est admis de tous, et les faits l'attestent chaque jour, qu'effectuer toute sa carrière professionnelle dans une même entreprise n'est plus envisageable. L'exercice de deux ou trois métiers est et sera plutôt la règle. L'évolution technologique, l'innovation continue, la concurrence y poussent.

Dans le même temps, les salariés ont un légitime besoin de sécurité, en particulier ceux qui disposent de revenus modestes. Même dans le contexte d'incertitude économique que nous connaissons, cette sécurité, sans laquelle il est difficile de travailler efficacement ou sereinement, doit être privilégiée. Mais elle ne peut être synonyme d'immobilité ou de statu quo. Elle doit reposer, d'une part, sur la possibilité d'actualiser, d'améliorer ses compétences et d'en acquérir de nouvelles, d'autre part sur un accompagnement des transitions sur le marché du travail.

Il faut bâtir cette notion d'aide intensive sur quatre idées majeures destinées à dynamiser l'action de l'ANPE et du service public de l'emploi.

Première idée : la mise en place d'un accompagnement personnalisé pour une mise en confiance du demandeur d'emploi.

M. le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement. Oui !

M. Jacques Le Guen. Certes, celui-ci peut bénéficier aujourd'hui, dès son inscription, d'un projet d'action personnalisé. Selon l'ANPE, en 2004, les demandeurs d'emploi ont bénéficié de 7,2 millions d'entretiens PAP. Il serait intéressant d'en mesurer l'efficacité !

La perte d'un travail doit pouvoir être vécue moins comme un drame que comme une opportunité d'évoluer. Encore faut-il que, dès l'entrée au chômage, le salarié soit pris en main et soutenu. L'obligation d'un entretien dans un délai de huit jours ouvrés dès l'an prochain, puis de cinq jours à partir de 2007, comme le prévoit le projet de nouvelle convention entre l'État, l'ANPE et l'UNEDIC, constitue à cet égard une avancée. Cet entretien doit être suivi de contacts approfondis et réguliers pour aider le demandeur dans ses démarches, pour évaluer ses compétences et les mettre en valeur ou pour rectifier les erreurs qu'il pourrait commettre. La prise en charge doit être individualisée tout au long du processus de retour vers le travail.

Deuxième idée : renforcer la pratique des techniques de recherche d'emploi. Trop de demandeurs n'ont pas encore suffisamment connaissance ou ne maîtrisent pas ces techniques, qui vont de l'utilisation de l'Internet et du décryptage des offres d'emploi à la rédaction d'un CV ou à la préparation d'entretiens.

Troisième idée : plus que des offres, des propositions d'emploi. Se pose, à travers cette idée, l'exigence d'une parfaite connaissance par les agences locales pour l'emploi du marché du travail de leur territoire, de l'anticipation de son évolution et donc de la possibilité de répondre aux attentes des chefs d'entreprise.

Quatrième idée : aider à la reconversion ou au perfectionnement professionnels s'il est besoin. L'accès à un nouvel emploi peut passer par une action de formation afin d'élargir l'offre de compétences et de tenir compte de la réalité du marché du travail. Là encore, il est déterminant de veiller à ce que tout projet de formation soit bien en adéquation avec des secteurs qui embauchent.

Ces quatre idées impliquent toutes la nécessité d'un accompagnement individualisé, véritable passerelle vers l'emploi. Il s'agit d'avoir une approche positive et porteuse d'avenir de la situation vécue.

Dans ces conditions, le changement peut avoir des répercussions économiques favorables, car il contribue à la circulation et à l'adaptation des compétences, donc à la réactivité - plus que jamais indispensable - de l'économie.

La seconde mesure qui permettra de combler notre retard en renforçant les liens entre l'indemnisation et le placement porte sur les conditions d'indemnisation. Si l'on veut rendre l'ANPE, et le service public de l'emploi en général, plus efficaces, il faut permettre dans le même temps d'être plus exigeant avec les demandeurs d'emploi, à la fois pour les inciter à revenir sur le marché du travail et pour contrôler leurs démarches.

La sécurité des salariés que j'ai évoquée tout à l'heure, dans la mesure où elle se concrétise par une personnalisation accrue du dispositif de recherche d'emploi, par un soutien adapté, bref, par du « sur mesure », si j'ose dire, autorise que l'on invite le demandeur d'emploi à chercher réellement et que l'on remette en cause, si nécessaire, l'indemnisation du chômage.

Il faut être clair : dans la quasi-totalité des pays européens, la recherche active d'un emploi conditionne l'indemnisation du chômage. Les dispositions varient d'un pays à l'autre, mais, dans tous les cas, les demandeurs d'emploi doivent se plier à certaines obligations, comme par exemple des entretiens réguliers avec un conseiller pour l'emploi, et être prêts à occuper rapidement tout emploi acceptable pour ne pas perdre le bénéfice des allocations de chômage.

En France, nous le savons, les sanctions pour abus sont rarement appliquées.

Les conditions et modalités de suppression ou de réduction du revenu de remplacement, ou encore l'obligation de recherche active d'emploi et son contrôle, ont fait l'objet d'une redéfinition dans la loi de programmation pour la cohésion sociale. Or je constate, monsieur le ministre, qu'aucun décret n'est encore publié.

Le second retard de notre pays en matière de lutte contre le chômage concerne l'efficacité du système de placement.

Pour parvenir à améliorer cette efficacité, il convient tout d'abord de moderniser les structures publiques de placement.

M. le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement. Très juste !

M. Jacques Le Guen. Même si des évolutions sont perceptibles ou en cours, avec en particulier la création des maisons de l'emploi, il importe que le service public de l'emploi s'installe dans une logique de prestation de services et de règlement concret des situations. Il est permis de penser que la fin du monopole de l'ANPE dans les domaines du placement ou du reclassement y contribuera.

Cette logique de services doit pouvoir s'appuyer sur une culture du résultat. L'impulsion à donner suppose une autonomie de fonctionnement et de moyens à tous les niveaux, et en particulier dans les territoires, autonomie s'accompagnant d'une évaluation régulière sur la base d'indicateurs de performance fiables et objectifs. Je pense, entre autres, aux indicateurs qu'ont pu proposer nos collègues de la commission des finances au Sénat dans le rapport d'information sur les objectifs et les indicateurs de performance de la loi organique relative aux lois de finances qu'ils ont remis au printemps. Ces indicateurs portent notamment sur le nombre de demandes non satisfaites par l'Agence après un délai à déterminer, sur un rapport entre le nombre d'offres d'emploi pourvues par l'Agence et le nombre total d'offres pourvues, ou encore, même si cela ne sera pas facile à élaborer, sur le contrôle de la recherche effective d'emploi.

Le renforcement de l'efficacité de notre système de placement passera aussi par le soutien aux prestataires privés.

La France a décidé de supprimer le monopole de placement de l'ANPE, mais cette décision reste modeste dans sa portée puisqu'elle se contente de mettre en conformité le droit et les faits. Je crois qu'il faut aller plus loin. Savez-vous qu'en Allemagne, actuellement, les chômeurs indemnisés auxquels l'Agence fédérale du travail n'a pas fourni d'emploi dans le délai de trois mois peuvent s'adresser à une agence privée de placement ? Ils ont droit à un bon d'échange valable pendant trois mois et dont la valeur varie entre 1 500 et 2 500 euros en fonction de l'ancienneté du chômage. Si l'agence à laquelle ils s'adressent parvient à leur trouver un emploi, l'Agence fédérale du travail doit la rémunérer. Même en ce domaine, la concurrence peut - j'en suis persuadé - avoir du bon...

Certes, ce projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures d'urgence pour l'emploi n'aborde pas directement cette nécessaire modernisation du service public de l'emploi dans le sens d'un soutien accru aux demandeurs d'emploi. À mes yeux, cependant, toute entreprise de simplification et d'assouplissement de notre code du travail devenu trop rigide ne peut être séparée d'une action équivalente vers le service public de l'emploi. La réussite de la bataille pour l'emploi, pour laquelle nous saurons tous nous mobiliser, est étroitement liée à cette double action, et je me réjouis que le Gouvernement en ait fait deux objectifs majeurs de sa politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    2

ORDRE DU JOUR
DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Aujourd'hui, mercredi 29 juin, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 2403, habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi :

Rapport, n° 2412, de M. Claude Gaillard, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 29 juin 2005, à une heure quinze.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot