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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 7 septembre 2006

2e séance de la session extraordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

énergie

Discussion, après déclaration d’urgence,
d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au secteur de l’énergie (nos 3201, 3278, 3277).

Rappels au règlement

M. Daniel Paul. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour un rappel au règlement.

M. Daniel Paul. Ce rappel au règlement se fonde sur l’article 58, alinéa 1, du règlement de notre assemblée. (Sourires.)

M. le président. Je n’imaginais pas qu’il pût s’agir d’un autre article.

M. Daniel Paul. Au moment où nous abordons la discussion du projet de loi privatisant GDF pour préparer sa fusion avec Suez, je veux m’élever contre les conditions imposées aux députés pour prendre connaissance de la lettre de griefs de la Commission européenne.

Certes, d’un engagement écrit de ne rien divulguer, nous sommes passés à une confirmation écrite de prise de connaissance du document, mais le problème reste entier : l’importance de ce document justifie qu’il soit mis à la disposition de tous les députés, tant il contient d’éléments éclairant les enjeux du dossier. L’argument selon lequel il est adressé aux deux entreprises, et non au Gouvernement, ne tient pas : comment justifier que les parlementaires ne puissent pas être informés de l’évolution qu’aurait à subir le secteur gazier, aujourd’hui dominé par une entreprise publique, si cette dernière était demain privatisée ?

Dans la décision que chacun et chacune d’entre nous aura à prendre à l’issue de ce débat, cette évolution et les risques qui s’y attachent pèsent lourdement. Rien ne doit donc entraver l’accès des législateurs aux informations nécessaires à l’établissement de leur avis.

On nous dit que cette lettre contient des informations commerciales protégées par le code pénal. Les parlementaires seraient donc moins capables que d’autres de réaliser l’importance de la discrétion qui s’impose pour certains renseignements ? Cette suspicion est insultante. Elle est inacceptable au moment où l’enjeu est, ni plus ni moins, le devenir d’une entreprise publique et des activités gazières de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Exclamations sur les sur les bancs du groupe de l’nion pour un mouvement populaire.)

D’autant que cette lettre comporte des éléments essentiels, qu’il serait important de faire connaître. Ainsi, quand la Commission européenne estime que l’accès au marché français est entravé par des barrières à l’entrée résultant des difficultés d’accéder au gaz autrement que par des contrats de long terme ou des tarifs réglementés qui freinent le développement des concurrents, ne sommes-nous pas au cœur du débat sur la privatisation de GDF ?

Faut-il penser que nous n’avons pas le droit de connaître, de commenter et de faire savoir que la Commission européenne considère que GDF, entreprise publique, offre des tarifs plus bas que ses concurrents parce qu’elle s’appuie sur des prix coûtants, et que l’exercice de la concurrence exigera que les tarifs augmentent ? Voilà en effet ce que contient le document.

Faut-il penser que la solution serait de réduire les contrats de long terme au bénéfice des prix du marché, pour pénaliser les usagers ? Nous demandons que ce document et la réponse de GDF expliquant comment l’entreprise publique envisage de surmonter ces exigences européennes soient portés à la connaissance de tous les députés…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Il est disponible !

M. Daniel Paul. …et fassent l’objet d’une discussion en commission.

Nous demandons qu’on en finisse avec ce qui s’apparente à des menaces – menacer du code pénal des députés dans l’exercice de leur mandat ! – et que les parlementaires aient accès à tout ce qui peut leur permettre d’exercer pleinement leur activité. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. François Brottes. Je demande la parole pour un rappel au règlement. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour un rappel au règlement.

M. François Brottes. N’en déplaise à nos collègues de la majorité, que j’entends s’indigner, je prolongerai, sans pour autant évoquer le fond, les propos de M. Paul en rappelant que j’ai souhaité, en tant que porte-parole du groupe socialiste sur ce texte, prendre connaissance de la lettre de griefs, à l’invitation du président de la commission des affaires économiques, M. Patrick Ollier, lequel, je le souligne, s’est efforcé de nous permettre d’accéder à ce document. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Merci de le reconnaître, monsieur Brottes.

M. François Brottes. Toutefois, devant l’obligation qui nous était faite de signer un document attestant que nous avions pris connaissance d’éléments qui nous exposaient à la menace d’une condamnation si nous venions à les divulguer dans le débat,…

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Et l’immunité ?

M. François Brottes. …j’ai préféré, bien évidemment, ne pas signer ce document et ne pas consulter la lettre.

Des administrateurs salariés ont heureusement permis à la presse et, par voie de conséquence, aux députés de prendre connaissance d’une synthèse de cette lettre de griefs, mais il est malheureux d’en être réduits à de telles méthodes.

S’agissant d’une entreprise publique, dans laquelle l’État joue un rôle majeur – et, jusqu’à preuve du contraire, le Parlement est concerné quand tel est le cas –, il est parfaitement indigne que ces éléments n’aient pas été présentés en toute transparence à la commission, comme nous l’avions exigé au mois de juillet, lorsque les présidents ont fait état de notre intention de boycotter cette séance faute d’avoir eu connaissance des remarques de Bruxelles.

Monsieur le président, je tenais à vous dire à mon tour, au nom du groupe socialiste, que ce ne sont pas des méthodes : on ne peut pas légiférer à l’aveugle ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Bocquet. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet, pour un rappel au règlement.

M. Alain Bocquet. Monsieur le président, vous vous êtes fait photographier et filmer à la tribune de l’Assemblée avec une montagne de papier (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), en vue de discréditer l’opposition. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Elle se discrédite elle-même !

M. Alain Bocquet. Il s’agit pourtant ici d’un débat fondamental, capital pour l’avenir du service public de l’énergie et pour empêcher l’inflation galopante des tarifs du gaz qui suivrait la privatisation. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

C’est la raison pour laquelle nous avons demandé que ce texte soit retiré – nous y reviendrons. Je tiens d’autant plus à y revenir, après Daniel Paul et notre collègue du groupe socialiste, que l’on nous reproche de dévaloriser le Parlement. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Toujours est-il – et je passe sur le recours à l’article 49-3 et à l’article 40 de la Constitution ou sur la réduction du temps de parole de l’opposition –, que les amendements sont désormais notre seul moyen de nous exprimer. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Vous comprendrez donc, monsieur le président, que pour revaloriser le Parlement et faire en sorte que les parlementaires, sur tous les bancs de cet hémicycle, puissent débattre d’un texte important en ayant toutes les cartes en main, en disposant de toutes les informations nécessaires, je souhaiterais que vous puissiez vous faire filmer et photographier en nous présentant la lettre de griefs – ce nom est déjà tout un symbole ! – publiée par la Commission européenne. Que nous ne puissions pas disposer de ce document ne crée pas les conditions démocratiques et transparentes qui nous permettraient d’avoir un débat efficace dans l’intérêt des Françaises et des Français, dans l’intérêt de la France.

Je demande donc une suspension de séance (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) pour vous permettre de rechercher cette lettre de griefs, de nous la présenter à la tribune et, éventuellement, de nous la lire. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Pitoyable !

M. le président. Monsieur Bocquet, la prochaine fois, je me ferai photographier avec vous et vos 93 670 amendements ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Marc AyraultMonsieur le président, je n’engagerai pas de polémique avec vous sur votre initiative, même si j’ai été, comme mes collègues du groupe socialiste, surpris de voir de telles photos publiées avant la session extraordinaire qui, je le rappelle, n’a été ouverte que ce matin à dix heures. Si j’avais demandé à être photographié dans l’hémicycle avant cette session avec les amendements du groupe socialiste, je pense que je n’en aurais pas eu l’autorisation. Je tenais, sans esprit de polémique, à le souligner. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Après le débat de ce matin sur la situation au Liban et au Proche et Moyen-Orient, nous voici encore réunis pour un sujet grave. Je le répète après MM. Daniel Paul, François Brottes et Alain Bocquet, qui ont très bien exposé les questions qui se posent à la représentation nationale : il n’est pas possible d’aborder ce dossier, qui prévoit la privatisation de GDF, entreprise propriété de la nation, de l’ensemble des contribuables et citoyens français, sans disposer des éléments que nous sommes en droit d’attendre.

J’imagine sans peine que le Gouvernement, qui représente l’État actionnaire a eu connaissance de l’intégralité de la lettre adressée le 18 août 2006 par la Commission européenne aux deux entreprises concernées – Suez et Gaz de France – pour leur communiquer ses griefs. D’ailleurs, M. Breton, ministre de l’économie et des finances, en a lui-même commenté le contenu.

Je poserai deux questions. D’abord, je voudrais être sûr que lorsque nous évoquerons le contenu de cette lettre au cours du débat – car, comme vient de le rappeler François Brottes, nous en avons eu partiellement connaissance par des administrateurs salariés – les parlementaires, sur tous les bancs, seront exonérés de tout risque pénal.

La question n’est pas mince. Elle est grave. Je souhaite que vous nous répondiez, monsieur le président, car il est de votre responsabilité de défendre les intérêts non seulement du Parlement, mais aussi de tous les députés, qui ont ici la libre parole. Ce n’est pas là une question mineure, et l’on ne peut commencer ce débat sans qu’il lui soit apporté une réponse claire, qui sécurise la liberté de parole de tous les députés de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

En second lieu, et en nous associant à la demande de suspension de séance que vient de demander M. Bocquet, nous demandons que, lorsque la première question aura obtenu une réponse, le Gouvernement qui, en tant que représentant l’État actionnaire, dispose de cette lettre, la communique aux parlementaires. En tout état de cause, une réunion de la commission des affaires économiques doit permettre d’en prendre connaissance, avant que l’ensemble de la représentation nationale puisse, ayant reçu ces deux réponses, commencer ses travaux normalement, sereinement et dans la transparence. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur Ayrault, avant de donner la parole au président de la commission des affaires économiques,, je vous ferai deux brèves réponses.

D’abord, puisque c’est à moi qu’il revient de donner l’autorisation de photographier dans l’hémicycle, j’aurais très volontiers accepté que vous soyez photographié avec vos 43 750 amendements. Si, d’ailleurs, vous le demandez, je peux faire rapporter les amendements pour que l’on puisse prendre ces photographies. La presse en sera certainement heureuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

En second lieu, et plus sérieusement, le régime des immunités s’applique au cas présent, et il n’y a pas lieu de déroger à cette règle. J’y veillerai.

La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je suis étonné du temps que nos collègues consacrent à ce problème, même s’il est délicat. Merci, monsieur Brottes, d’avoir fait état du travail accompli par notre commission.

Il s’agit ici d’un document émis par la Commission de Bruxelles, et qui lui appartient en toute propriété. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Laissez-moi terminer : je vous explique les conditions dans lesquelles nous avons réussi à vous donner satisfaction. (« Non ! » et protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Ce document est soumis à l’article 226-13 du code pénal, qui précise qu’on n’a pas le droit de communiquer les informations qu’il contient : des informations financières concernant les entreprises, dont la divulgation peut mettre ces dernières en difficulté, ainsi que des informations sur la stratégie, qui risquent de mettre en cause de la même manière l’avenir de ces entreprises.

Monsieur Brottes, monsieur Paul, lorsque vous avez demandé en commission que nous ayons accès à cette lettre de griefs, je me suis tourné vers le ministre et nous nous sommes rencontrés dans la journée.

M. Maxime Gremetz. Breton, c’est pas la transparence !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Le rapporteur s’est associé à notre démarche et, pour vous donner satisfaction, nous avons fait en sorte qu’un exemplaire de cette lettre de griefs parvienne à l’Assemblée. Je remercie M. Breton d’y avoir travaillé, ainsi que M. Sirelli et M. Mestrallet et, surtout, la Commission européenne, qui en a accepté la possibilité.

Depuis jeudi dernier à quinze heures, ce document est à la disposition de tous les membres de la commission des affaires économiques et de la commission des finances qui souhaitent le consulter, comme nous en sommes convenus avec M. Méhaignerie.

M. Maxime Gremetz. Il est expurgé !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Les représentants des groupes socialiste et communiste sont venus le lire ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Chers collègues, vous aviez depuis jeudi dernier la latitude de venir beaucoup plus nombreux en prendre connaissance – ceux qui l’ont lu ont aussi la latitude d’en donner les éléments à ceux qui le souhaitent. En effet, depuis jeudi dernier j’ai fait tirer deux photocopies, au cas où il y aurait plus de monde ; ce matin, M. Le Déaut s’est rendu à la commission, où on l’a accueilli avec joie, mais il est le seul à être venu ! Si vous voulez des informations, venez les chercher là où elles sont, mais ne dites pas que nous sommes de mauvaise foi ! Nous essayons de concilier la confidentialité du document avec la nécessaire information des députés. Je vous fais pour ma part confiance, sachant que vous êtes sérieux et qu’ayant lu le document, vous ne vous en servirez pas pour divulguer des secrets qui porteraient préjudice aux entreprises. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. Maxime Gremetz. Arrêtez !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Venez le lire quand vous voulez. Il restera accessible jusqu’à la fin des débats ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Il est expurgé !

M. le président. Mes chers collègues, comme nous sommes appelés à siéger de nombreuses heures ensemble, il n’est pas question s’énerver. Compte tenu des demandes de suspension qui m’ont été présentées par MM. les présidents Bocquet et Ayrault, je vais suspendre la séance pendant vingt minutes. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures vingt, est reprise à quinze heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Rappels au règlement

M. François Brottes. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. Avant de vous donner la parole, je voudrais attirer votre attention, monsieur Brottes, sur le fait que, si les rappels au règlement se multiplient, il est à craindre que l’orateur principal du groupe socialiste, M. Hollande, ne puisse s’exprimer avant vingt heures, auquel cas son intervention ne pourra être retransmise au journal télévisé, ce que je ne souhaite pas ! (Sourires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Vous avez néanmoins la parole.

M. François Brottes. Compte tenu de ce que M. Hollande a à dire, il importe que les remarque formulées à l’occasion de ce rappel au règlement puissent être prises en compte.

Nous avons bien entendu pris acte de la volonté de rendre consultable la lettre de griefs de la Commission, qui intéresse évidemment le déroulement de nos travaux. Nos signatures attestent qu’elle a été consultée par tel ou tel d’entre nous. Mais il est interdit d’en faire copie, et même d’entrer dans la salle de consultation avec un téléphone portable, qui pourrait faire office d’appareil photographique. C’est du moins ce qui m’a été signifié.

Vous nous avez indiqué, monsieur le président, que nous étions couverts par l’immunité parlementaire dès lors que nous ferions état du contenu de ce document ou de sa synthèse. Cependant, comme Jean-Yves Le Déaut vient de me le confirmer – je m’en étais d’ailleurs moi-même subrepticement aperçu lorsque cette lettre reposait sur le bureau du président de la commission des affaires économiques –, de nombreux passages sont totalement noircis ! La lettre a donc été expurgée des passages les plus importants. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je vous pose donc une question, monsieur le président, dans l’optique de nos travaux à venir : l’immunité parlementaire nous couvre-t-elle également si nous divulguons les passages noircis ?

M. le président. Allons, monsieur Brottes, comment pourriez-vous divulguer des passages noircis ?

M. François Brottes. Monsieur le président, vous qui avez pu poser derrière des piles de documents vierges, vous pourriez sans doute rendre de nouveau lisibles pour chacun ces passages noircis ! (Sourires.) Il est nécessaire que nous disposions de l’intégralité de la lettre de griefs, sachant, comme l’a rappelé le président Ayrault tout à l’heure, que GDF appartient à l’ensemble des contribuables français.

La conclusion – puisqu’elle n’était pas noircie – de cette lettre de griefs est assez redoutable : elle indique en effet que la fusion entre GDF et Suez, telle qu’elle est envisagée dans le projet de loi, n’est absolument pas compatible avec les règles du marché européen de l’énergie. Avouez que cette conclusion est lourde de sens !

M. Gérard Charasse. En effet !

M. François Brottes. M. Cirelli lui-même semble indiquer, en substance, que si la Commission européenne exige trop de cessions d’actifs, la fusion ne pourra pas être menée à bien.

Vous voyez, monsieur le président, le dilemme devant lequel nous nous trouvons : nous ignorons à quelle sauce va être mangé GDF, et nous savons que la réponse définitive de la Commission européenne devrait intervenir vers le 17 novembre prochain. Il faut donc reporter ce débat.

M. Gérard Charasse. Il a raison !

M. François Brottes. On ne saurait en effet traiter de la question sans connaître les modalités de la réponse de la Commission et les échéances qui concernent l’entreprise GDF. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je voudrais sans tarder rassurer M. Brottes, qui est d’ailleurs un expert et qui ne sera donc pas étonné de mon propos.

S’agissant d’abord du statut de cette lettre de griefs, comme vous le savez, monsieur Brottes, à chaque fois que la Commission souhaite ouvrir une procédure relative aux concentrations, elle est obligée de justifier sa démarche en indiquant, comme vous l’avez rappelé, qu’« à ce stade », l’opération envisagée est contraire aux règles du marché commun intérieur.

M. Jean-Yves Le Déaut. Elle l’a dit !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. À défaut, la procédure ne peut être ouverte.

Deuxièmement, en ce qui concerne la lettre de griefs, je vous rappelle que, pour amorcer l’instruction liée à la procédure, la Commission doit mentionner l’ensemble des éléments qui pourraient, le cas échéant, faire problème. Si elle omet l’un de ces éléments,…

M. François Brottes. Elle n’en manque pas !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …elle ne pourrait ensuite négocier avec les entreprises. Je vous remercie de m’en donner acte.

Troisièmement, cette lettre de griefs ne vaut donc nullement décision, ni même information. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Daniel Paul. Elle a au moins une valeur informative !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Cependant, par souci de transparence, et en accord avec le président de la commission des affaires économiques, M. Ollier, le Gouvernement, destinataire de cette lettre comme tous les administrateurs de GDF, a souhaité la transmettre en l’état.

Certains passages ont en effet, monsieur Brottes, été noircis par la Commission – européenne, bien entendu : la commission des affaires économiques ne se le serait pas permis –, (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) laquelle a indiqué aux destinataires, notamment GDF, les éléments qui les concernaient, et biffé les autres.

M. Alain Bocquet. Eh bien ce n’est pas respectueux !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. En toute transparence, nous avons donc transmis ces informations de nature commerciale, comme vous l’avez vu, à la commission des affaires économiques. Je le dis à l’ensemble des parlementaires : vous pouvez consulter librement…

M. Daniel Paul. Non !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …cette lettre au bureau de la commission des affaires économiques. Rien n’a été caché.

M. Daniel Paul. Si !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. J’ajoute pour conclure que nous sommes réunis dans cet hémicycle pour évoquer la transposition de la directive européenne relative au secteur de l’énergie, tellement importante pour les consommateurs et nos compatriotes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Nous avons aussi à décider si nous souhaitons ou non donner la possibilité à GDF d’évoluer pour nouer des alliances.

Voilà, comme je l’ai rappelé à maintes reprises, le sujet de nos débats. Si vous souhaitez par ailleurs, pour éclairer ceux-ci, avoir les informations que j’évoquais, vous êtes libres de consulter à nouveau cette lettre exhaustive de deux cents pages, qui s’inscrit dans la procédure habituelle, y compris lorsque les investigations de Bruxelles se concluent par un blanc-seing total. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Daniel Paul. Rappel au règlement !

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour un rappel au règlement.

M. Daniel Paul. Monsieur le ministre, afin que chacun, y compris à l’extérieur de cet hémicycle, dispose d’une information complète, il convient d’insister, à la suite de François Brottes, sur le fait que des pages entières de la lettre de griefs sont noircies. Des chiffres, des pourcentages, sont biffés, si bien que des phrases entières deviennent incompréhensibles.

M. Alain Bocquet. En effet !

M. Daniel Paul. Il n’est pas neutre de savoir si GDF, ou une autre entreprise, se partage tel ou tel pourcentage de tel ou tel marché.

M. Alain Bocquet. Absolument !

M. Daniel Paul. Sur un tel sujet, l’information du législateur et de tous les élus du peuple doit être totale. Nous ne parlons pas de n’importe quel produit, mais du gaz. Il n’est pas admissible que, sur un sujet aussi important, on nous invite à consulter dans le bureau de la commission un document expurgé, tronqué.

M. Maxime Gremetz. Très bien !

M. Daniel Paul. Je réitère donc la demande que nous soit communiqué le document intégral.

M. Maxime Gremetz. Voilà ! Et à tous les députés !

M. Daniel Paul. Afin que l’information soit complète, j’ajoute que nous devrions également avoir connaissance de la réponse de GDF – je ne parle pas de Suez, car c’est une entreprise privée – à cette lettre de griefs. Nous pourrions ainsi savoir comment la direction actuelle, et par conséquent comment le Gouvernement envisage les suites à lui donner. Quelles cessions d’actifs envisage-t-il d’opérer, dans le domaine du transport par exemple ?

La Commission européenne estime – le passage, pour le coup, n’est pas tronqué – que l’accès au marché français est « entravé par des barrières à l’entrée, résultant, premièrement, des difficultés d’accéder au gaz autrement que par des contrats de long terme ». Diable ! Cela signifie que la Commission estime qu’il faut réduire la part des contrats de long terme, et augmenter celle des contrats spot – c’est-à-dire la part relative au marché financier international.

Deuxièmement, la Commission dénonce les difficultés d’accès aux infrastructures de transport, celui-ci étant – bien évidemment ! – facilité pour GDF, et « insuffisamment compensé par les mécanismes correctifs existants et par des extensions de capacité limitées à moyen terme ». Elle dénonce aussi « les conditions d’accès aux terminaux méthaniers, mal adaptés aux nouveaux entrants » sur le marché – quoi d’étonnant, dans la mesure où ils sont la propriété de GDF ? –, ainsi que l’accès aux installations de stockage, dont chacun connaît l’importance stratégique, puisqu’il équivaut à cent jours de consommation.

Troisièmement, lesdites barrières résultent selon elle du « non respect de certaines recommandations de la CRE – commission de régulation de l’énergie – sur l’indépendance des gestionnaires d’infrastructures » – c’est là envisager le démantèlement de GDF !

Quatrièmement, la Commission déplore l’existence des tarifs réglementés, qui freinent le développement des concurrents. C’est dire que, pour la Commission européenne comme pour la CRE, l’augmentation des tarifs est une condition indispensable au jeu de la concurrence : ce qui gêne les nouveaux entrants, ce sont précisément les tarifs réglementés. Or, ceux-ci constituent justement la force de notre pays et de GDF. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Je trouve que la première journée de cette session extraordinaire est particulièrement éclairante sur le rôle et la place que l’on réserve à la démocratie parlementaire. (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Ce matin, après deux mois d’un conflit majeur au Liban, nous avons enfin eu, à la demande du président Bocquet, une communication du Gouvernement et un débat d’une demi-journée, sans vote, sur le sujet. Et voilà que cet après-midi, sur une question aussi essentielle que l’indépendance énergétique de notre pays, on veut nous faire délibérer « à l’aveugle », pour reprendre l’expression d’un journaliste.

M. Alain Gest. Un journaliste de L’Humanité, sans doute !

M. Jacques Brunhes. Les journalistes connaissent eux aussi cette affaire de la lettre de griefs et de ses caviardages !

Nous sommes donc hostiles à ce projet, aussi bien du point de vue de la méthode que du fond. Dès lors que le Parlement est bridé par la fixation de l’ordre du jour prioritaire par le Gouvernement, par l’application des articles 40, 44, 49-3 de la Constitution, par les dispositions relatives à l’irrecevabilité financière et maintenant l’irrecevabilité législative, le seul moyen pour l’opposition de s’exprimer, dans un débat de cette importance, est de déposer des amendements. Laisser croire que ceux qui le font sont responsables de l’échec d’un débat relève de ce que les spécialistes appellent une inversion de culpabilité ! C’est le Gouvernement et vous-même, monsieur le président, qui bridez le Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.) Le Gouvernement doit donc repousser ce débat. (Applaudissements sur les mêmes bancs. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Ne nous énervons pas. Chacun doit avoir le droit de dire ce qu’il souhaite, et je vous remercie, monsieur Brunhes, d’avoir été sincère.

La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Yves Le Déaut. Comme l’a indiqué le président de la commission des affaires économiques, j’ai consulté, ce matin, la fameuse lettre de griefs. Il est très important d’y revenir, car toutes les considérations de la commission européenne doivent constituer le cadre de notre débat.

Vous nous avez dit tout à l’heure que l’on pouvait en parler, puisque l’on était protégés par l’immunité diplomatique…

M. le président. Pas encore !

M. Jean-Yves Le Déaut. Je voulais dire parlementaire, mais pensais à certains collègues qui poursuivent leur carrière dans la diplomatie.

J’ai donc moi aussi consulté pendant deux heures cette lettre de griefs de deux cents pages. J’ai constaté comme plusieurs de mes collègues l’importance des parties expurgées et le nombre de pages noircies, qui gênent la compréhension de l’ensemble.

Quoi qu’il en soit – et je ne serai pas attaqué pour le dire puisque M. Thierry Breton, qui avait eu communication de la lettre, l’a lui-même signalé –, il en ressort que l’opération de concentration notifiée n’est pas compatible avec les règles du marché commun et avec le fonctionnement de la CRE.

Au-delà de cette conclusion, particulièrement sévère, on peut prévoir, comme vient fort bien de le souligner Daniel Paul, qu’à l’issue de la concertation avec la Commission européenne un certain nombre de sessions vont être exigées de nos opérateurs. Dans la mesure où le fait que Gaz de France soit propriétaire des infrastructures gazières est considéré comme une barrière à la concurrence, il est à craindre que la session de ces infrastructures soit demandée. Dès lors, l’indépendance de Gaz de France Réseau Distribution n’est plus garantie, ce qui signifie que, pour la protéger, on s’achemine vers un véritable démantèlement de Gaz de France.

Les actionnaires ne se sont d’ailleurs pas trompés sur la nature de ce qui, en théorie, aurait pu être une bonne opération industrielle, et ils ont indiqué, il y a quelques jours, sur une pleine page du Monde, qu’ils n’étaient pas d’accord avec la manière dont les choses se passaient.

Comment peut-on débattre sans connaître la position du directeur général de Gaz de France, lequel a obtenu de pouvoir reporter sa réponse au 20 septembre, date à laquelle vous espérez, monsieur le ministre, avoir terminé l’examen du texte ? Il est scandaleux de vouloir discuter sans connaître la position du Gouvernement sur l’évolution de notre service public, et je pense donc, monsieur le président, qu’il faut reporter l’examen de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. Maxime Gremetz. Le Gouvernement décide de passer en force !

M. le président. Monsieur Gremetz, vous n’avez pas encore la parole !

La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Henri Emmanuelli. Et de la privatisation !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Mesdames et messieurs les députés, je voudrais en ouvrant ces débats vous dire mes remerciements, ceux de François Loos, du Gouvernement et du Président de la République pour le travail qui a déjà été réalisé. Je voudrais en particulier mentionner le président de la commission des affaires économiques, Patrick Ollier (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), qui a énormément travaillé avec l’ensemble des membres de la commission depuis plusieurs mois, remercier le rapporteur, Jean-Claude Lenoir (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), qui a également énormément travaillé pour nous éclairer sur un débat si important pour l’avenir de notre pays, remercier enfin le rapporteur pour avis, Hervé Novelli (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), qui, au nom de la commission des finances, a apporté lui aussi tout son savoir-faire pour faire évoluer ce texte et nous permettre de prendre la décision qui s’impose en notre âme et conscience. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur les bancs du groupe socialiste.)

Au terme de six mois de discussions, de dialogue et de concertation (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), ce texte est sans doute l’un de ceux qui a donné lieu au plus gros effort de concertation préalable. Je me souviens du reste de la discussion qui s’est tenue le 14 juin dernier dans ce même hémicycle, où ceux qui étaient présents – et je les en remercie – ont pu assister à un débat de grande qualité, chacun exprimant son opinion, chacun s’impliquant pour réfléchir à l’avenir énergétique de notre pays.

M. Maxime Gremetz. Et le Gouvernement n’en faisant qu’à sa tête !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Oui, depuis six mois, le Gouvernement et le Parlement discutent, dialoguent, se concertent et l’on peut tout dire sauf que le Gouvernement a cherché à passer en force sur ce texte. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Acceptez un référendum !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je présenterai ce texte à l’aune des deux grands défis auxquels tout homme et toute femme responsables, engagés dans l’action politique, auront à répondre dans les années à venir.

Un député socialiste. A l’aune du fric !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Le premier défi, c’est le défi démographique. En effet, comment parler de l’énergie sans se projeter dans dix, quinze, vingt ans, vers la prochaine génération ? La planète va voir sa population passer de six à neuf milliards d’ici à 2050. C’est un enjeu majeur, auquel s’ajoute le vieillissement de la population ; c’est une excellente nouvelle, mais cela impose de s’interroger sur l’organisation de notre société, la protection, la distribution des richesses, le vivre-ensemble.

Lorsque l’on regarde également comment va évoluer la population en Asie, en Asie du Sud-Est, en Inde, en Afrique et en Amérique latine, on constate une aspiration légitime et nécessaire au progrès, lequel passe par un accroissement des besoins énergétiques. On note déjà dans les pays en développement une explosion de ces besoins énergétiques et une accélération de la demande.

M. François Hollande. Il fait de l’obstruction en faisant durer le débat !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Le second défi auquel nous devons faire face, c’est l’épuisement des énergies fossiles disponibles. La prochaine génération va être confrontée à la diminution des réserves de carbone fossile, en particulier de pétrole. Avec l’accroissement de la demande et l’épuisement des énergies fossiles, les besoins en gaz vont devenir de plus en plus importants, car le gaz, lui, reste encore abondant.

M. Jean-Claude Sandrier. Cela n’a rien à voir avec la privatisation !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. D’où l’importance du débat qui nous réunit aujourd’hui. Et ce d’autant plus que les gisements gaziers sont localisés dans quelques pays, la Russie, l’Algérie, les Pays-Bas, l’Europe du Nord, de moins en moins, le Yémen, le Qatar.

Voilà la réalité énergétique de notre pays et du monde dans lequel nous vivons. Le débat qui s’ouvre doit nous permettre de poser les bonnes questions et de répondre au double défi qu’elle implique.

Ce contexte étant rappelé, je voudrais maintenant évoquer notre héritage commun, la manière dont l’Europe, notre Europe, s’est organisée pour faire face à ces défis. Tout a démarré au sommet de Barcelone, lorsque l’ensemble des États membres a pris, à l’unanimité, la décision d’ouvrir le marché de l’énergie.

M. Henri Emmanuelli. C’est faux ! Vous mentez !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Ensuite, l’ensemble des États membres a progressivement bâti les directives permettant de suivre cet axe arrêté à Barcelone. Je le dis sans esprit partisan. Tel est, mesdames et messieurs les députés, notre héritage commun. Nous avons décidé ensemble et à l’unanimité de l’ouverture des marchés de l’énergie.

M. François Brottes. Pas pour les ménages !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Cette ouverture, décidée à Barcelone, a été ensuite progressivement mise en œuvre – c’était sous le gouvernement Jospin (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) – pour permettre au consommateur de bénéficier d’une offre diversifiée et pour que l’Europe puisse relever les défis auxquels elle est confrontée. (Exclamations sur les mêmes bancs.)

La conséquence de tout cela, qu’on le veuille ou non, c’est notre rendez-vous du 1er juillet 2007. A cette date, la directive Énergie s’appliquera. L’ouverture sera faite, les consommateurs de l’Union européenne pourront choisir librement leurs fournisseurs de gaz ou d’électricité. C’est comme ça. C’est ce que nous avons bâti ensemble.

À l’approche de ce rendez-vous, nous avons deux possibilités. La première consiste à ne rien faire, et dans ces conditions la directive s’appliquera d’office sans que nous ayons pris le temps de discuter pour en aménager l’application, compte tenu de nos spécificités.

Or, je le dis sans détours et solennellement, si nous ne transposons pas cette directive, nous courons le risque de connaître un vide juridique concernant les tarifs réglementés du gaz et de l’électricité, auxquels nous somme tous très attachés. Le Gouvernement ne veut pas de ce vide juridique, et c’est la raison pour laquelle il est de notre responsabilité de débattre et de protéger les consommateurs français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Telle sera la situation au 1er juillet 2007, si nous n’avons pas transposé la directive européenne. Que chacun le sache et prenne, en connaissance de cause, ses responsabilités.

En ce qui concerne la transposition de cette directive, nous voulons qu’elle permette le maintien des tarifs réglementés et la mise en œuvre, pour les plus défavorisés de nos compatriotes, d’un tarif social du gaz, comme il y a un tarif social de l’électricité et des télécommunications. Nous voulons une meilleure information afin d’assurer une meilleure protection des consommateurs, s’agissant des contrats qu’ils seront, pour certains, amenés à signer à partir du 1er juillet 2007.

Monsieur le président de la commission et monsieur le rapporteur, oui, nous sommes prêts à examiner favorablement votre souhait, concernant l’électricité, de mettre en œuvre un tarif de transition ou de retour pour les entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Encore faut-il que nous débattions d’une telle disposition et que nous la votions.

C’est à l’aune de ces divers éléments qu’il faut s’interroger sur le devenir de Gaz de France. Je le dis sans détour, Gaz de France est une grande entreprise, dont nous sommes fiers, une entreprise composée d’hommes et de femmes…

M. Henri Emmanuelli. Eh oui ! Ce ne sont pas des Martiens !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …qui ont montré leur dévouement au cours des dernières décennies.

M. Maxime Gremetz. Quand on est mort, on est toujours beau !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Gaz de France – on peut le regretter – n’est plus désormais qu’une entreprise de distribution de gaz. Certains l’ont peut-être oublié, mais la France ne dispose plus de gisements gaziers, contrairement à EDF, laquelle contrôle la quasi-totalité de son outil de production – plus de 90 % – grâce à la sagesse de ceux qui ont pris les décisions qui s’imposaient et, au premier rang d’entre eux, le général de Gaulle, qui a fait de la France ce qu’elle est aujourd’hui dans le domaine nucléaire (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire),…

M. Maxime Gremetz. Ne citez pas le général de Gaulle ! Il va se retourner dans sa tombe !

M. Henri Emmanuelli. N’oubliez pas Mendès !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …grâce également à la sagesse et aux décisions courageuses des parlementaires pour ce qui concerne l’hydraulique, ce qui n’était pas non plus chose facile.

S’agissant du gaz, hélas ! monsieur Emmanuelli, nous ne contrôlons plus que moins de 5 % de la production et l’entreprise Gaz de France ne fait que distribuer le gaz. Elle l’achète auprès des pays producteurs – qui sont peu nombreux –, elle le distribue dans ses réseaux et elle passe des contrats avec le client final : le consommateur. Aujourd’hui, Gaz de France n’est qu’une entreprise de distribution.

Je vous le dis sans détour, ce n’est pas le Gouvernement qui a décidé de ce calendrier, mais les événements et leur accélération. Et c’est l’honneur d’un gouvernement, monsieur Ayrault…

M. François Brottes. L’honneur perdu !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …l’honneur d’un responsable politique de voir le monde tel qu’il est, d’en tenir compte et de saisir le Parlement pour débattre sereinement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) C’est l’honneur d’une majorité que de le faire (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), même si nous savons qu’il y a des échéances électorales dans quelques mois, et que d’aucuns auraient souhaité que ce débat ait lieu après…

M. Henri Emmanuelli. Rassurez-vous, nous l’aurons !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Mais que va-t-il se passer après ? (« La France d’après, c’est qui ? » sur les bancs du groupe socialiste.)

Certains, sur ces bancs, sont des spécialistes de l’« après » ! Or, depuis que le Gouvernement et le Parlement travaillent sur ce texte, le marché de l’énergie s’est concentré de manière accélérée. Les problèmes qui se posent à Gaz de France se posent à tous les acteurs européens ou mondiaux du secteur de l’énergie : ceux qui ne possèdent pas de champs gaziers – comme la quasi-totalité des distributeurs européens – prennent leurs responsabilités en permettant à leurs entreprises de nouer des alliances, conformément d’ailleurs à ce que mes prédécesseurs avaient appelé de leurs vœux, et je veux parler de M. Fabius et de M. Strauss-Kahn. Cela relève du bon sens : dans le cadre d’un monde qui change, nous devons donner à Gaz de France la possibilité de nouer des alliances pour aller de l’avant et pour assumer ses missions de service public.

Telle est la réalité à laquelle nous sommes confrontés, et il ne faut pas avoir peur d’en parler.

M. Henri Emmanuelli. Cela n’a rien à voir avec votre projet ! Vous voulez privatiser GDF !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Il faut le reconnaître humblement, (Murmures sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), mais sereinement, si nous sommes sensibles à cette question, c’est parce que les principaux acteurs européens du secteur énergétique, qu’il s’agisse d’EON, de RWE, de NDSA, d’Enel ou de Suez, se sont tous mis en mouvement. Les hommes et les femmes qui travaillent sur ce dossier depuis plusieurs années le savent, Gaz de France envisageait de se rapprocher de Suez, estimant que c’était un bon projet industriel. Un certain nombre d’entre vous, sur ces bancs, qui ont été administrateurs de Gaz de France, peuvent en témoigner. C’est GDF – et non l’État ou le Gouvernement – qui a estimé, en son âme et conscience, que ce projet permettrait de relever les défis que je viens d’évoquer.

M. Henri Emmanuelli. Allons donc !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. M. Gadonneix, président de GDF, peut vous le confirmer. Il me l’a dit à maintes reprises, ainsi qu’à mes prédécesseurs, dont certains sont présents dans cet hémicycle. Ce sont, au premier chef, les opérateurs qui ont pris conscience de la nécessité de bouger. Alors, il est vrai que, dans ce contexte, le Premier ministre a souhaité que l’on donne à Gaz de France les moyens d’aller de l’avant.

Mesdames et messieurs les députés, je vous le dis clairement, nous ne sommes pas ici pour discuter de la fusion de Gaz de France avec telle ou telle entreprise (Murmures sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), mais plutôt des conditions dans lesquelles nous allons permettre à l’entreprise d’aller de l’avant, de nouer des alliances, jusqu’à quel point et sous quelle forme. Voilà la seule question que nous nous posons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Au reste, ce sont toujours les mêmes débats qui reviennent lorsqu’il s’agit, pour relever de nouveaux défis, de donner un peu de souplesse à une entreprise nationale. Je constate que, malheureusement, nombre d’entre vous n’ont pas tiré les leçons du passé et que ce sont toujours les mêmes questions qui reviennent. Il n’est pas question de signer un chèque en blanc à Gaz de France (« Si ! » sur les bancs du groupe socialiste), mais de discuter, sereinement, d’un seul point : sommes-nous d’accord pour donner à Gaz de France la possibilité de nouer des alliances…

M. Maxime Gremetz. Et il faut privatiser pour cela ? J’ai déjà entendu cela quelque part !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …vœu exprimé par nombre d’entre vous, à droite comme à gauche ? Nous aiderons ainsi GDF à exercer ses missions, à protéger les consommateurs et à garantir la sécurité de notre approvisionnement énergétique. Dès lors, la question qui se pose, c’est : « jusqu’où faut-il aller dans l’évolution ? » Je le répète, la question s’est posée parce que Gaz de France travaillait sur un projet industriel que, du reste, je crois bon. Mais aujourd’hui, telle n’est pas la question. Demain, si de nouvelles possibilités – encadrées, naturellement…

M. Maxime Gremetz. Elles ne le sont pas !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …sont données à Gaz de France, comme le souhaite le Gouvernement, alors viendra le temps des actionnaires…

M. Maxime Gremetz. Nous y voilà !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Après le temps des débats au Parlement, viendra le temps des projets, qui seront ensuite discutés au sein des entreprises. Bien entendu, si une certaine souplesse est donnée à Gaz de France, lorsque les derniers éléments du projet seront connus, je m’engage devant le président Ollier à venir en débattre devant la commission des affaires économiques. Pour l’heure, je le redis solennellement, la question posée au Parlement est de savoir si nous sommes prêts à donner à Gaz de France la possibilité d’aller de l’avant pour nouer des partenariats et exercer au mieux sa mission.

Alors, jusqu’où et comment ?

M. Jean-Claude Sandrier. Il ne faut pas privatiser !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Telle est la question qui a été posée au Gouvernement et que je pose aujourd’hui au Parlement. La proposition du Gouvernement tend à préserver deux éléments fondamentaux. En matière de droit des sociétés – car c’est de cela dont il s’agit – il y a trois chiffres à retenir : 50 %, 34 % et 5 %.

M. Maxime Gremetz. Au lieu de 70 %, 34 % !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Tout d’abord, 50 %, c’est, pour les actionnaires, la possibilité d’avoir la majorité au conseil d’administration.

M. Henri Emmanuelli. Nous ne sommes pas ignares !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Quant au chiffre de 34 %, c’est celui qui donne aux actionnaires, lorsqu’ils sont convoqués en assemblée générale extraordinaire, le droit de veto – ou la minorité de blocage – pour s’opposer à un projet d’absorption, de fusion, d’augmentation du capital, de changement de statut ou de siège.

M. Daniel Paul. Vous céderez !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Enfin, 5 %, c’est le seuil en dessous duquel il ne saurait être question de descendre en cas d’OPA – 95 % des actions doivent être acquises par l’entreprise pour pouvoir procéder à la fusion.

M. Henri Emmanuelli. Et l’amendement Novelli ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Les chiffres clés permettant d’éviter les absorptions non désirées, ce sont donc 34 % et 5 %.

M. Maxime Gremetz. C’est à croire que M. Sarkozy n’a rien compris !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Aussi, compte tenu de l’évolution rapide de la situation énergétique, le Gouvernement vous propose que Gaz de France puisse conclure des alliances industrielles et procéder à des fusions avec des entreprises dont elle estime qu’elles lui permettront de mieux répondre aux défis énergétiques et à ses missions de service public, sans que l’État ne renonce à la minorité de blocage que lui confère la détention de 34 % du capital. Nous protégerons ainsi ce à quoi nous sommes tant attachés.

M. Maxime Gremetz. Nicolas Sarkozy n’a vraiment rien compris ! Heureusement, nous avons Thierry Breton !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. S’agissant des actifs stratégiques de l’entreprise, constitués pour l’essentiel par les terminaux méthaniers et par les réserves et stockages stratégiques, il est prévu de donner à l’État, bien qu’il ne dispose plus de 50 % du capital et donc, du contrôle sur le conseil d’administration, un véritable droit de veto. Certains d’entre vous m’ont demandé à juste titre si cette exception serait compatible avec le droit européen. Aussi, je tiens à vous donner immédiatement une information qui me vient de Bruxelles : le commissaire européen en charge du marché intérieur et des services, M. McCreevy, vient de me confirmer qu’un tel dispositif n’était pas incompatible avec le droit communautaire et ne susciterait pas de réserves de la Commission européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

J’en viens aux tarifs.

M. François Brottes. Ah ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur Brottes, ne faites pas l’étonné, vous qui m’avez tant aidé à privatiser France Télécom ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Brottes. Mensonge !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. On fait trop souvent l’amalgame entre privatisation et tarification. Je tiens à le redire clairement : aucun lien ne peut être établi entre la détention du capital et la politique tarifaire.

M. Gérard Charasse. C’est faux !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est particulièrement vrai dans le secteur énergétique où, depuis des décennies, c’est la CRE, la Commission de régulation de l’énergie, qui décide de la politique tarifaire. (Exclamations et claquements de pupitre sur les bancs du groupe socialiste.) Les tarifs sont régulés : quelle que soit la structure du capital, que l’entreprise soit publique ou privée, elle doit demander à la Commission l’autorisation de transférer au consommateur final le différentiel des coûts d’acquisition.

C’est ainsi qu’en 2000, alors que Gaz de France était une entreprise à 100 % publique, les tarifs ont, en une seule année, augmenté d’environ 30 %…

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Merci Jospin !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …pour suivre l’explosion des coûts d’acquisition. Cela pourra arriver à nouveau.

En revanche, une chose est certaine, mesdames et messieurs les députés : si nous ne bougeons pas, Gaz de France sera en moins bonne position pour négocier et d’autres entreprises passeront avant elle, soit parce qu’elles auront noué des partenariats, soit parce qu’elles bénéficieront d’une meilleure structure de bilan, ce qui à mes yeux est le plus important, parce que cela permet d’investir en amont sans s’endetter ni pénaliser le consommateur final.

On peut ainsi acquérir des champs gaziers – en Égypte, par exemple – ou chercher à mieux maîtriser certaines technologies, comme celle du gaz naturel liquéfié, si importante pour l’avenir du secteur énergétique. Dans ce domaine, Gaz de France a en effet la possibilité de devenir, avec le partenaire qu’elle souhaite, le numéro un mondial, ce qui lui permettrait de diversifier ses approvisionnements à travers plusieurs oléoducs, d’accéder à des champs gaziers situés au-delà de nos frontières, voire des océans, grâce à une flotte de méthaniers. Il s’agit donc d’un enjeu essentiel pour notre indépendance énergétique.

M. Claude Gatignol. Exactement !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Or une entreprise capitalisant plus de 75 milliards d’euros et ayant près de 90 milliards d’euros à son bilan serait à même d’y répondre sans endettement, ce qui permettrait de préserver le consommateur.

M. Henri Emmanuelli. Quel culot ! Quel cynisme !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Ainsi, après avoir construit, en son temps, un champion dans le domaine du nucléaire, puis un autre dans le domaine du pétrole, nous en ferons un dans le domaine du gaz, et en particulier dans celui du gaz naturel liquéfié.

M. Maxime Gremetz. C’est long ! Il fait de l’obstruction, monsieur le président !

M. Henri Emmanuelli. Il dit surtout n’importe quoi !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. En donnant à Gaz de France la liberté d’aller de l’avant, en la dotant d’une structure de bilan adéquate, nous lui permettrons de concurrencer les plus grands groupes et de discuter d’égal à égal avec les principaux pays producteurs.

Depuis que nous avons entamé nos discussions sur ce sujet, monsieur le président de la commission, nous voyons s’accélérer l’évolution du secteur : en moins de six mois, EON a finalisé son offre sur l’espagnol Endesa et le russe Gazprom a décidé de se rapprocher de l’algérien Sonatrach. Si nous ne bougeons pas, si nous ne permettons pas à GDF d’aller de l’avant, …

M. Henri Emmanuelli. Avec l’État majoritaire, pas de problème !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …si le Parlement – lequel est évidemment souverain en la matière – ne prend pas une décision maintenant, quand reparlerons-nous de ces questions ? Dans douze mois ? Dix-huit mois ? Vingt-quatre ?

M. François Hollande. Après 2007 !

M. Henri Emmanuelli. Après vous, surtout !

M. Jean-Marc Ayrault. Oui, partez !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Quel sera, alors, le contexte ?

M. François Hollande. Vous ne serez plus là !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Les autres auront-ils attendu Gaz de France ? Attendront-ils la fin de nos débats pour décider ou non d’agir ? C’est la question que nous devons nous poser en conscience si nous voulons répondre aux défis que je viens d’évoquer.

Avant de conclure, je voudrais rappeler que c’est le sens des responsabilités qui a guidé notre engagement sans réserve sur ce dossier, François Loos et moi.

M. Henri Emmanuelli. Et celui des intérêts de certains actionnaires !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je comprends et je respecte profondément le besoin immense de pédagogie et d’explication qui a été exprimé. J’espère l’avoir en partie satisfait, et je continuerai à le faire sans réserve. Je comprends également les questions, les garanties demandées. Elles sont légitimes et nous allons, du reste, en débattre longuement.

Enfin, je comprends ceux qui auraient souhaité faire l’économie d’un sujet aussi exigeant à quelques mois d’échéances électorales majeures.

M. Alain Bocquet. Vous allez être battus !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Mais c’est maintenant que se pose la question de l’avenir de Gaz de France. On peut le regretter, mais il est de notre devoir de l’assumer. Nous devons prendre en compte l’évolution du monde, la transformation, plus rapide que nous l’avions imaginé en 2004, du secteur de l’énergie, et notamment des concurrents et des fournisseurs de GDF. Refuser de voir la réalité, si déplaisante soit-elle, ce n’est pas agir en responsables publics. Remettre à plus tard la résolution de problèmes qui se posent aujourd’hui ne l’est pas davantage. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Dans le domaine des finances publiques, cette attitude a engendré l’immense endettement que connaît la France depuis vingt-cinq ans. En matière d’entreprises publiques, elle a failli provoquer, en 2000, la disparition de France Télécom.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. En effet !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Remettre à plus tard, ce n’est pas le style de notre majorité ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Même si ce choix n’était pas facile, nous n’avons pas voulu remettre à plus tard la réforme des retraites, …

M. Maxime Gremetz. Ni le CPE !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …dont Lionel Jospin reconnaît aujourd’hui qu’il aurait dû la faire en son temps. De même, nous n’avons pas voulu remettre à plus tard le rétablissement des finances publiques et le désendettement.

Si je suis tellement déterminé à convaincre dans la concertation qui s’ouvre aujourd’hui, c’est parce que je sais au plus profond de moi que refuser aujourd’hui d’apporter des réponses à ces défis reviendrait à affaiblir Gaz de France et, in fine, à pénaliser notre pays.

Notre majorité – et je lui rends hommage – n’a pas voulu remettre à plus tard le traitement de ce problème essentiel pour notre indépendance énergétique, pour nos consommateurs et pour l’un de nos fleurons industriels. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Huées sur certains bancs du groupe socialiste.)

Rappels au règlement

M. le président. Je suis saisi de deux demandes de rappel au règlement, l’une de M. François Brottes, l’autre de M. Alain Bocquet. Je vous rappelle, monsieur Brottes, que s’il s’agit d’un fait personnel, l’article 58, alinéa 4 n’autorise à l’aborder qu’en fin de séance.

M. François Brottes. Il s’agit bien d’un rappel au règlement, monsieur le président, qui concerne le déroulement de notre séance et la dignité nécessaire des débats. Bien que certains, nous l’avons noté, n’hésitent pas à recourir au mensonge, chacun doit respecter ce qu’ont fait ou dit les autres et, par exemple, ne pas mélanger le dossier de France Télécom et celui de Gaz de France. (« Cela vous gêne ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) En tout état de cause, il ne s’agit pas d’une mise en cause personnelle, mais collective.

Monsieur le ministre, dans une dépêche d’agence, vous affirmiez hier que d’aucuns, ici, vous auraient aidé à privatiser France Télécom. Je souhaite donc rétablir très précisément les faits. Lorsque le gouvernement de M. Raffarin – M. Mer occupait alors votre poste – a décidé de réduire à moins de 50 % la part du capital de France Télécom détenue par l’État, c'est-à-dire de privatiser définitivement cette entreprise, nous nous y sommes fortement opposés et en avons dénoncé les conséquences. Président de France Télécom, vous aviez alors demandé à rencontrer les représentants des formations politiques et des organisations syndicales, et j’ai répondu à cette invitation en tant que porte-parole de mon groupe sur ce texte. Vous avez alors attiré mon attention sur le fait qu’un recours devant le Conseil constitutionnel conduirait à ce que celui-ci écarte un important article destiné à préserver le statut des personnels de France Télécom. Nous en avons discuté collectivement, et nous avons en effet pu le vérifier : dès l’instant où une entreprise était privatisée, et n’était plus seule en charge d’une mission de service public – puisqu’il a alors été décidé que ce serait le cas de tous les opérateurs de téléphonie –, le Conseil constitutionnel n’avait pas de raison de maintenir le statut des personnels. C’est donc par esprit de responsabilité, et après en avoir débattu avec l’ensemble des organisations syndicales, que nous avons décidé de renoncer à déposer ce recours. Si vous considérez que cela vous permet d’affirmer que j’ai facilité la privatisation de France Télécom (« Oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), c’est inadmissible ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet.

M. Alain Bocquet. En écoutant le ministre, je me posais la question du respect de la parole de l’État. M. Breton, avec beaucoup de vigueur, de certitude, d’aplomb (« De talent ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), veut nous rassurer sur l’avenir idyllique de Gaz de France. Mais il y a quelques mois, répondant depuis cette tribune aux questions des parlementaires, le même M. Breton, avec le même aplomb, la même certitude, …

M. Alain Néri. La même arrogance ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Bocquet. …nous assurait que jamais Arcelor ne fusionnerait avec Mittal.

Depuis, Mittal a absorbé Arcelor et il n’y a aucun Français dans la direction.

M. Daniel Paul. Eh non !

M. Alain Bocquet. Belle défense des intérêts de la France !

M. Arnaud Montebourg. Sacré patriote !

M. Alain Bocquet. Dans la même veine – celle du respect de la parole de l’État –, nous avons entendu ici même votre prédécesseur, M. Sarkozy, un homme important dans le pays – du moins pour l’instant – nous promettre que jamais l’État ne réduirait à moins de 70 % sa participation au capital de Gaz de France.

M. Maxime Gremetz. Il l’a même fait inscrire dans la loi !

M. Jean Leonetti et M. Jean-Marc Roubaud. Non, cela concernait EDF !

M. Alain Bocquet. Monsieur le président, nous savons tous combien vous êtes attaché au respect des institutions, mais où est la parole de l’État ?

Par ailleurs, il n’est pas question que le débat puisse s’engager avant que nous n’ayons pris connaissance de la fameuse lettre de griefs de la Commission européenne, dans sa version complète, sans ce caviardage digne d’un autre temps. C’est pourquoi je me permets une suggestion : le recours à l’article 51 de notre règlement. Je comprends bien la crainte de voir divulguées les informations contenues dans cette lettre. Demandez donc au Premier ministre – et s’il refuse, je me tournerai vers mes collègues de l’opposition, dans la mesure où un vote peut avoir lieu à la demande d’un dixième des membres de l’Assemblée – de décider notre réunion en comité secret. (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Lisez le règlement !

M. Bernard Accoyer. Pourquoi pas un comité central ?

M. Jean Leonetti. Un politburo ?

M. Alain Bocquet. Deux heures suffisent, nous a-t-on dit, pour lire la lettre de griefs. Une lecture en comité secret empêcherait la circulation d’informations confidentielles tout en donnant aux députés tous les éléments susceptibles de les éclairer.

Je vous propose, monsieur le président, pour accélérer le mouvement, de prendre contact avec le Premier ministre qui peut prendre cette initiative. Sinon, je suggérerai que cinquante-huit de nos collègues – et nous les trouverons –,…

M. Alain Néri. Il n’y a pas de problème !

M. Alain Bocquet. …demandent la réunion de l’Assemblée en comité secret ; le rapporteur ou vous-même pourrez alors nous lire cette lettre de griefs. Cela réglerait le problème de la confidentialité…

M. Maxime Gremetz. Et nous serons informés !

M. Alain Bocquet. …tout en nous permettant de disposer de l’information.

L’application de cet article 51 nécessite toutefois un certain temps, et c’est pourquoi je demande une suspension de séance. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur Bocquet, vous connaissez parfaitement l’article 51. Je ne peux pas prendre cette initiative. Mais, pour répondre à votre dernière demande, je vais suspendre la séance.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

application de l’article 51 du règlement

M. le président. Mes chers collègues, je viens de recevoir des membres des groupes socialiste et communiste une demande de formation de l’Assemblée en comité secret.

La liste des signataires sera publiée en annexe au compte rendu intégral de la présente séance.

Cette demande est conforme aux dispositions de l’article 51 de notre règlement.

M. Maxime Gremetz. Vous ne le saviez même pas !

M. le président. Cet article dispose que l’Assemblée se prononce par un vote sans débat, ce qui exclut tout rappel au règlement.

Sur cette demande de formation de l’Assemblée en comité secret, je suis saisi par le groupe communiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans le Palais. Il aura lieu dans cinq minutes.

…………………………………………………………….

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans le Palais.

Je vais donc mettre aux voix la demande de formation de l’Assemblée en comité secret.

Le vote, naturellement, est personnel.

M. Maxime Gremetz. Tout le monde est pour la transparence !

M. le président. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est ouvert.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

La demande de formation de l’Assemblée en comité secret est rejetée.

M. Alain Bocquet. Je demande la parole pour un rappel au règlement ! (Vives protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Un rappel au règlement demandé par un président de groupe est de droit. Je suis contraint de lui donner la parole, que cela vous plaise ou pas, et je respecterai le règlement.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet, pour un rappel au règlement.

M. Alain Bocquet. Je constate que la majorité UMP…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Est majoritaire !

M. Alain Bocquet. …refuse que la transparence puisse se faire (Vives protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) sur la fameuse lettre dite « de griefs » de la Commission européenne. La demande que j’avais formulée, à laquelle se sont associés le groupe socialiste et les députés de gauche qui sont ici, et je les en remercie, était toute simple. Puisqu’il y a un problème de confidentialité, nous demandions que l’Assemblée soit formée en comité secret pour qu’on puisse lire à la tribune le texte non expurgé de cette lettre afin de nous informer totalement et d’alimenter notre réflexion sur le texte mis en discussion par le Gouvernement.

Je prends acte du refus de la majorité de nous permettre d’avoir connaissance de texte. C’est grave.

M. Maxime Gremetz. Oui, très grave !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je vous attends, monsieur Bocquet, venez le lire !

M. Alain Bocquet. À ma connaissance, monsieur le président, la dernière demande – il faudrait le vérifier – remonte…

M. le président. C’était en 1945.

M. Alain Bocquet. La dernière demande remonte donc à 1945. Les comités secrets se tiennent plutôt en temps de guerre, mais ne sommes-nous pas en pleine guerre économique (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), une guerre qui fait des victimes tous les jours : ceux qui se retrouvent au chômage, jetés à la rue ? Voilà la réalité ! Et demain les usagers devront payer leur gaz trois ou quatre fois plus cher ! Je ne crois pas un mot de ce qu’a dit M. Breton.

Je demande donc une suspension de séance pour examiner, après le refus opposé par la majorité, les conditions dans lesquelles le débat peut se poursuivre.

M. le président. La parole est à M. Bernard Accoyer.

M. Bernard Accoyer. Nous prenons acte nous aussi, mes chers collègues, mais de l’attitude de l’opposition !

M. Daniel Paul. Transparence !

M. Bernard Accoyer. Une opposition qui tente de recourir à une disposition – l’article 51 de notre règlement – qui n’a pas été utilisée depuis soixante ans (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Maxime Gremetz. Vous avez peur de la démocratie et de la transparence. Vous vous cachez, ce qui est grave !

M. Bernard Accoyer… démontrant, s’il le fallait, qu’elle ne renoncera à rien pour empêcher le Parlement de débattre, et cela nous le dénonçons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

De surcroît, réclamer une réunion sur cette lettre de griefs est, à plusieurs titres, inutile et déplacé.

M. Jean-Claude Sandrier. Ah bon ?

M. Bernard Accoyer. Inutile, puisque, aujourd’hui – le Gouvernement vient de nous le rappeler –, nous n’examinons que la privatisation de GDF, (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains)

Plusieurs députés du groupe des député-e-s communistes et républicains. Quel aveu !

M. Bernard Accoyer… alors que la lettre de griefs concerne un autre dossier, dont l’examen viendra ou non ultérieurement.

Déplacé : si les parlementaires de l’opposition étaient assidus, ils auraient répondu à l’invitation du Gouvernement et du président de la commission des affaires économiques, Patrick Ollier, qui ont mis ce document à leur disposition.

Plusieurs députés du groupe des député-e-s communistes et républicains. Non ! Non !

M. Bernard Accoyer. Or ils n’ont été que quelques-uns à venir le consulter. Voilà la vérité ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Seulement six !

M. Bernard Accoyer. Mes chers collègues, votre obstruction n’est que le résultat d’une surenchère à l’intérieur même de la gauche, au sein du parti socialiste et entre le parti socialiste et le parti communiste. Mais surtout vous reniez ce que vous avez vous-mêmes engagé en 2000 lorsque le gouvernement Jospin a accepté l’ouverture à la concurrence, la libéralisation du marché de l’énergie. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) D’ailleurs M. Strauss-Kahn et M. Fabius, qui sont présents et s’en souviennent, ont immédiatement dit qu’ils étaient favorables à la privatisation d’EDF et de GDF. Telle est la vérité, il fallait la rappeler. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Martine David. Non, pas à la privatisation !

M. Bernard Accoyer. Aujourd’hui, alors que tout a changé et que nous avons le devoir de préparer l’avenir, l’immobilisme, le renoncement à moderniser notre pays,…

M. Maxime Gremetz. Arrêtez !

M. Bernard Accoyer… à le préparer aux défis de l’avenir sont incompréhensibles et nous les refusons.

M. Maxime Gremetz. Vous laissez tout aux financiers ! Vous avez peur du peuple !

M. Bernard Accoyer. Nous, députés UMP, sommes ici pour examiner ce texte et l’adopter dans l’intérêt des Français pour qu’ils aient demain une sécurité d’approvisionnement en gaz et les meilleures conditions d’achat. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je n’avais pas prévu de prendre la parole, mais je suis indigné par l’intervention de M. Accoyer. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Il a dit que nous n’étions ici que pour décider de la privatisation de GDF ! Une banalité finalement ! Une session extraordinaire organisée pour une décision, somme toute, technique !

Mme Martine David. C’est fou !

M. Jean-Marc Ayrault. Vous imaginez-vous qu’il n’y a pas débat dans le pays, au sein même de vos électeurs ? C’est une décision grave.

M. Jean-Jacques Descamps. Alors venons-en au débat !

M. Jean-Marc Ayrault. Par notre demande de comité secret – qui a été rejetée et j’en prends acte – nous sollicitions simplement la lecture intégrale de la lettre de griefs adressée par la Commission européenne le 18 août, non seulement à Suez, mais aussi à GDF, entreprise propriété de la nation. C’est la moindre des choses que, pour se prononcer, le Parlement soit totalement informé.

Je rappelle que la Commission européenne elle-même a fait savoir qu’elle ne rendrait sa décision sur cette fusion qu’après que le Parlement français se sera prononcé. Ce qui se passe est un déni de démocratie ! C’est un scandale que nous dénonçons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. — Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Alors vous pouvez nous parler de reniement, mais de quel côté est le reniement ? Monsieur Breton, vous n’avez cessé de mentir ! (Vives protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. De tels propos sont scandaleux !

M. Jean-Marc Ayrault. À cette tribune, vous venez de reprendre une contrevérité. Devant la commission des affaires économiques, où vous êtes venu présenter votre projet, vous avez dit que le gouvernement Jospin avait décidé l’ouverture à la concurrence pour les particuliers. Je vous ai alors interrompu pour vous rappeler que celle-ci a été en réalité décidée par cette majorité, par ce Gouvernement, le 25 novembre 2002, et vous en avez pris acte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Je rappelle simplement les faits !

Enfin, monsieur Accoyer, un reniement certain est celui de votre gouvernement, de votre majorité, du ministre de l’intérieur, candidat à la présidence de la République qui s’était engagé par écrit auprès des organisations syndicales à ce qu’il n’y ait pas de cession de capital au-dessous de 70 %, affirmant, la main sur le cœur, que l’État resterait majoritaire dans GDF. C’était il y a deux ans ! Voilà le reniement ! Voilà ce qui vous gêne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Menteurs !

M. le président. Cela suffit, monsieur Gremetz !

M. Maxime Gremetz. Quand on prend des engagements on les tient, surtout quand on veut être Président de la République !

M. le président. M. Bocquet m’ayant demandé une suspension de séance, celle-ci est de droit. Elle sera de trois minutes. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a quelques jours, alors que nous venions d’examiner en commission 34 000 amendements, au cours de séances qui ont d’ailleurs été d’un très grand intérêt, et ayant fini de lire la lettre de griefs reçue de la Commission européenne et qui avait été mise à notre disposition, je m’étais organisé pour prendre connaissance des amendements annoncés par le groupe communiste, au nombre de 60 000, ils furent finalement beaucoup plus nombreux. Comme j’avais un peu de temps de libre, je suis allé à la bibliothèque pour chercher ce que notre assemblée avait fait depuis 1945 dans le domaine de l’énergie.

Tout d’abord, bien sûr, en 1946, elle a adopté la loi qui a organisé les secteurs de l’électricité et du gaz. Suite à cela, l’Assemblée nationale ne s’est pas penchée sur le dossier de l’énergie pendant plusieurs dizaines d’années, non par manque d’intérêt, mais simplement parce que le sujet n’avait pas besoin d’être évoqué : l’offre faite par les entreprises nationales EDF et Gaz de France ne suscitait aucune observation particulière, l’ensemble du dispositif fonctionnant parfaitement.

Ce n’est qu’à partir de 1974 et de la crise consécutive à la hausse du prix du pétrole que cette question de l’énergie est revenue à l’ordre du jour de notre assemblée, avec le vote d’une loi visant à favoriser les économies d’énergie. Il a fallu attendre ensuite une bonne dizaine d’années avant que la majorité d’alors, composée des socialistes et des communistes, ne consacre un débat, sans vote, à la question. En 1993 se tenait un nouveau débat sans vote, organisé par une autre majorité, à laquelle beaucoup de nous appartenait.

Cette question s’est imposée de nouveau avec force à notre assemblée en l’an 2000, et n’a pas cessé depuis de réapparaître à notre ordre du jour avec une fréquence accrue : de la loi de 2000 à ce projet de loi qui nous réunit aujourd’hui, en passant par les lois de 2003, de 2004 et de 2005, le dossier de l’énergie est devenu un dossier majeur tant pour la représentation nationale que pour le Gouvernement.

Cela s’explique d’abord, chacun le comprend, par les profondes mutations du monde actuel, entraînant de fortes tensions sur le cours du pétrole, et d’une façon générale par un développement accru des besoins énergétiques. Ce nouveau contexte nous impose de faire évoluer nos structures et infrastructures énergétiques afin de répondre à cet accroissement particulièrement fort de la consommation d’énergie, notamment en Europe.

En outre, mue par un souci de transparence en matière d’énergie nucléaire, notre assemblée a créé l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, à l’origine de rapports décisifs sur la question des déchets et de l’industrie nucléaire en général. Je tiens à ce propos à rendre hommage, en espérant diminuer ainsi, au moins pour un moment, les tensions qui pourraient nous opposer, à Christian Bataille, Claude Birraux, ainsi qu’à Jean-Yves Le Déaut, dont les contributions ont permis l’organisation d’un débat public sur ces sujets.

Une autre raison de rouvrir ce dossier est le développement accru de la part du gaz dans nos économies. Alors que le charbon, puis le pétrole et l’électricité d’origine nucléaire ont pendant longtemps comblé l’essentiel de nos besoins, aujourd’hui, pour des raisons sur lesquelles je ne m’étendrai pas maintenant, la part du gaz n’a cessé d’augmenter, aussi bien dans la consommation des entreprises et des ménages que dans la production d’électricité.

Tel est le contexte dans lequel nous allons débattre des mesures contenues dans le texte relatif au secteur de l’énergie qui nous est soumis aujourd’hui. Parmi les dispositions assez variées de ce texte assez riche, on peut distinguer trois ensembles : les premières ont pour raison d’être la transposition de la directive ; les adaptations proposées tant par le Gouvernement que par la commission touchant l’organisation des secteurs électrique et gazier constituent la deuxième composante de ce texte ; les mesures visant la modernisation du secteur de l’énergie constituant le troisième groupe, en particulier celles visant à modifier le statut de Gaz de France.

La directive que nous avons à transposer nous impose de compléter le dispositif institué par les lois de 2000, 2003 et 2004, qui permet à certains consommateurs d’électricité et de gaz de choisir leurs fournisseurs ; cette directive nous fait obligation d’étendre cette éligibilité à l’ensemble des consommateurs, notamment aux particuliers.

L’origine de cette directive est elle-même objet de débats, en commission, et à l’instant même dans cet hémicycle, mais aussi sur maints plateaux de radio et de télévision.

M. François Brottes. Le 25 novembre 2002 !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La décision politique a été prise par le Conseil européen de Barcelone le 15 mars 2002 – comme vous le savez, ce conseil réunit les chefs d’État et de gouvernement européens.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Voilà !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Aujourd’hui certains cherchent à minimiser l’importance de cette décision, sous prétexte que la directive dont nous allons aujourd’hui transposer l’essentiel n’a été publiée qu’après l’élection présidentielle.

M. François Brottes. Vous réécrivez l’histoire !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Cela est vrai, mais l’honnêteté impose, notamment au pré-opinant qui vient encore de s’exprimer, de reconnaître que cette directive n’est pas sortie du classeur d’un bureaucrate bruxellois, mais qu’elle est l’application d’une décision politique prise à l’unanimité des chefs d’État et de gouvernement présents le 15 mars 2002 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Exactement !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Pour éviter tout malentendu, je vous citerai un passage de la déclaration qui a été votée ce 15 mars : « Le Conseil européen demande à la Commission et au Parlement européens d’adopter dès 2002 les propositions en instance concernant la phase finale de l’ouverture des marchés de l’électricité et du gaz ». On ne saurait être plus clair ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Exactement !

M. Ghislain Bray. On voit qui sont les menteurs !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je mets quiconque au défi de me citer des passages de cette déclaration qui n’iraient pas dans ce sens, et je connais suffisamment ce dossier pour pouvoir affirmer sans crainte d’être démenti que la directive n’est que la traduction de la volonté politique qui s’est exprimée alors. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Cette directive, qui donne corps légal à la décision du 15 mars 2002, nous invite à modifier notre législation pour permettre aux particuliers de choisir leurs fournisseurs. Je me permets de faire observer à l’Assemblée nationale qu’en la matière elle a déjà fait l’essentiel, notamment en transposant la première directive en 1999 et en 2000, à l’initiative du Gouvernement de M. Jospin. Celle-ci ouvrait aux plus gros consommateurs la faculté de changer de fournisseurs ou de renégocier leurs contrats.

Aujourd’hui que le marché est ouvert à 70 %, on observe qu’il n’est animé que dans le premier segment : ce sont les plus grosses entreprises qui ont exercé cette faculté d’éligibilité. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Daniel Paul. Cela coûte plus cher !

M. François Brottes. Et ils le regrettent !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. En revanche, la deuxième vague d’éligibilité n’a entraîné que très peu de mouvements.

La loi de 2004, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, étendait cette possibilité aux professionnels, aux collectivités locales et à leurs établissements publics. Je ne nie pas que quelques bouchers, profession pour laquelle j’ai la plus grande estime, quelques notaires en ont profité pour changer de fournisseur, mais soyons francs : cela n’a pas remis en cause les données fondamentales du marché. Ce sont bien les premiers à avoir bénéficié des dispositions que vous aviez fait voter en l’an 2000 qui sont directement concernés par l’ouverture du marché de l’électricité et du gaz. Croyez-vous sincèrement, franchement, sérieusement, qu’étendre cette éligibilité aux 30 % qui restent, c’est-à-dire aux ménages, ça va changer grand-chose ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Christian Bataille. Pour eux oui !

M. Daniel Paul. Ils paieront plus cher !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Nous vous dirons tout à l’heure quelles solutions nous comptons vous proposer pour protéger ces consommateurs de dysfonctionnements éventuels ou des erreurs qu’ils pourraient commettre.

Je vous demande encore une fois d’assumer vos responsabilités.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. C’est vous qui avez engagé le processus, et les extensions qui ont suivi en étaient les étapes inéluctables. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Exactement !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Seriez-vous aujourd’hui aux responsabilités, c’est vous qui assureriez, et sans doute plus rapidement encore, l’application du principe qui était inscrit dans la déclaration de Barcelone.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Voilà la vérité !

M. François Brottes. Affabulateurs !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Le projet de loi que nous allons examiner doit donc permettre aux particuliers de choisir leur fournisseur, voire le contrat qui les lie aux fournisseurs dit « historique », Électricité de France ou Gaz de France.

Ce projet de loi doit également assurer la séparation juridique des gestionnaires de réseaux de distribution : c’est le deuxième élément de transposition. Nous avons déjà, par la loi de 2004, assuré l’indépendance juridique des réseaux de transport, et il était alors prévu que les réseaux de distribution connaîtraient le même sort. Le texte maintient cependant l’opérateur et les services communs à EDF et Gaz de France. Je vous rappelle, mes chers collègues, que le plus gros des troupes d’EDF et de Gaz de France, les agents qu’on voit sur le terrain, relèvent de l’opérateur commun.

La médiation des litiges qui peuvent opposer le consommateur à son fournisseur est le troisième élément d’importance de la transposition.

M. Daniel Paul. C’est bidon !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Ce projet de loi propose la mise en place de médiateurs au sein des entreprises fournisseurs d’énergie. La commission a approuvé mon raisonnement et ma proposition d’un médiateur national unique adossé à la Commission de régulation de l’énergie. Cette solution simple me paraît s’imposer au regard des exigences de transparence et d’indépendance.

Voilà pour ce qui est de la transposition. On peut certes en discuter – preuve en est cette session extraordinaire. Mais les conséquences des décisions que nous allons prendre ne sont pas aussi essentielles que celles qui résultaient des décisions qui ont été prises par une autre majorité en l’an 2000. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Daniel Paul. Bien sûr que si !

Mme Muguette Jacquaint. Pourquoi sommes-nous là dans ce cas ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Le deuxième ensemble de mesures vise à adapter notre secteur de l’énergie à la réalité actuelle. Nous, nous sommes pragmatiques.

Sans vouloir trop enfoncer le clou, je m’étonne encore qu’on n’ait pas pris en 2000 les précautions minimales afin de parer aux dysfonctionnements dont l’éventualité était peu douteuse étant donné les dispositions qui ont été alors adoptées. Cela relevait du simple bon sens pour quiconque un tant soit peu versé dans ces questions.

D’abord, la commission a demandé – proposition largement soutenue par le président Patrick Ollier – que les tarifs puissent être maintenus au-delà du 31 décembre 2007. La loi dit qu’ils cessent d’être proposés aux industriels et aux professionnels à compter du 31 décembre 2007 ; nous proposons qu’ils soient maintenus au-delà du 1er janvier 2008.

À cet égard, il faut bien différencier tarif et prix. Le tarif est réglementé : il est soumis à des règles extrêmement précises. Le prix est négocié : il résulte du marché.

L’entreprise publique proposait des tarifs. Avant les lois que je viens d’évoquer, ils étaient fixés directement par le ministre des finances. Aujourd’hui, plusieurs tarifs existent : le tarif d’acheminement, transport et distribution est proposé par la Commission de régulation de l’énergie et confirmé par le ministre ; les tarifs de fourniture font l’objet d’une demande des entreprises, d’un avis de la Commission de régulation de l’énergie et c’est le ministre qui décide en toute indépendance.

En affichant notre volonté de maintenir les tarifs, nous voulons simplement protéger les consommateurs de certaines dérives observées au cours des derniers mois, voire depuis plusieurs années.

Deuxième point, la commission tient à affirmer que l’éligibilité, c’est-à-dire le droit de choisir son fournisseur, doit rester facultative. En aucun cas, une personne ne doit être obligée de quitter un tarif pour aller sur le marché des prix avec les incertitudes qui s’y attachent.

M. Daniel Paul. Cela se passera comment au bout de deux ans ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Une autre disposition, suggérée par un groupe de travail que j’ai eu l’honneur de présider à la demande des ministres qui ont préparé le projet de loi, concerne la situation des particuliers qui ont changé de fournisseur et qui déménagent.

Au sens strict de la directive, ils sont « marqués au fer rouge » : ayant choisi leur éligibilité, ils restent au prix jusqu’à la fin de leurs jours. Cette situation n’étant pas satisfaisante, nous avons introduit le principe du couple site-personne. Une personne changeant de site peut revenir au tarif. De même, dans tout logement, en cas de changement de titulaire du contrat, le retour au tarif sera possible.

Troisième point important : nous souhaitons une meilleure information pour permettre à l’ensemble des consommateurs de choisir en toute connaissance de cause. Je gage que nous aurons un peu de temps dans les jours à venir pour commenter certains des amendements qui ont été déposés, en particulier ceux de votre rapporteur, lesquels présentent le plus d’intérêt par rapport à cette question. J’aurai l’occasion de vous présenter plus avant le dispositif auquel nous avons travaillé et que nous serons peut-être amenés, encore, à perfectionner.

Par une autre disposition importante, nous avons voulu régler un problème pouvant se poser par la demande d’un particulier, s’adressant soit à EDF soit à Gaz de France, d’une « offre duale », c’est-à-dire demandant à EDF de lui fournir également du gaz, ou à Gaz de France de lui fournir de l’électricité. Une application littérale de la directive impliquerait qu’il soit soumis au prix du marché, et pour l’électricité et pour le gaz. Mais ne voulant pas obliger un particulier à quitter le tarif s’il ne le souhaite pas, nous avons pris des dispositions pour qu’EDF continue, même s’il vend du gaz, à vendre l’électricité au tarif, et inversement pour le gaz.

Il est un autre point important sur lequel certaines précautions auraient dû être prises il y a quelques années. En effet, nous constatons tous, en particulier dans nos circonscriptions, que nombre d’entreprises ayant mis en œuvre les dispositions que l’ancienne majorité avait fait voter, c’est-à-dire les entreprises ayant changé de fournisseur, s’en mordent aujourd’hui les doigts.

M. Alain Vidalies. En 2004, vous disiez l’inverse !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Dans un premier temps, c’est vrai, les prix proposés à ces entreprises ont plutôt baissé, de 20 % en moyenne. Pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons, ils ont ensuite augmenté et, aujourd’hui, certaines entreprises se trouvent dans une situation particulièrement difficile, l’augmentation du prix de l’électricité allant de 60 % à 80 % dans certains cas. Or la loi de 2000 transposant la directive – mais nous pouvons, bien sûr, procéder à des aménagements, à des adaptations –…

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous sommes là pour ça !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. …prévoyait le principe du non-retour, de l’irréversibilité, c’est-à-dire qu’après avoir choisi de quitter le tarif pour aller sur un prix, il était impossible de revenir en arrière ! (« Absolument ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Brottes. Qu’avez-vous fait en 2004 ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Or aujourd’hui, quels parlementaires de la majorité comme de l’opposition n’ont pas, dans leur circonscription, des entreprises qui craignent, si rien ne change, de ne pouvoir faire face aux charges ? Du reste, si les entreprises sont confrontées à des problèmes de charges, elles connaissent aussi les effets de concurrence : le concurrent proche qui, lui, est resté au tarif a un avantage considérable.

Pour régler ce problème, au-delà du principe acquis dans la loi de finances pour 2005 – instituant la possibilité pour les très gros consommateurs de constituer un consortium qu’on appelle Exeltium, qui permet de faire un appel d’offre pour acheter en gros l’électricité à un prix moindre –, nous avons voulu aller plus loin en nous intéressant notamment aux PMI, directement concernées, et en mettant au point un tarif réglementé. Le retour au tarif est impossible ; en revanche, nous avons prévu un dispositif appelé « tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché » – mais je suis preneur de toute autre appellation si elle est plus simple et plus compréhensible ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Si cette disposition était votée, une entreprise ayant quitté le tarif pour aller sur les prix pourrait, d’ici au 1er juillet 2007, demander à son fournisseur de bénéficier de ce tarif transitoire qui s’appliquera pendant une durée de deux ans.

M. Daniel Paul. Et après, que se passera-t-il ?

M. Alain Vidalies. Franchement, qui va croire cela ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Ensuite, nous observerons si le marché commence, comme nous le souhaitons, à se stabiliser après les à-coups dus à certaines impérities de la précédente majorité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous proposons que ce tarif transitoire ne puisse excéder 30 % du tarif réglementé.

M. Daniel Paul. Et si l’augmentation se poursuit ?

M. Christian Bataille. Qui paiera ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Il est un autre sujet sur lequel les représentants de l’opposition vont être plus discrets : c’est le tarif social. Comme vous le constatez, le silence se fait tout de suite car ils connaissent le sujet ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

La loi de février 2000 prévoyait l’instauration d'un tarif social pour les consommateurs d’électricité, idée intéressante, généreuse et qui, je crois, fut adoptée par tous. Mais pour que ce tarif puisse s’appliquer, un décret d’application devait être pris ! Année 2000 : pas de décret d’application. (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Francis Delattre. Ah ! Les socialistes !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Année 2001 : pas de décret d’application. (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire Quel courage !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Arrivent les élections : toujours pas de décret d’application ! (« Oh ! » et sourires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Mes chers collègues, c’est le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin qui a pris ce décret (Applaudissement sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) permettant aux personnes les plus nécessiteuses de bénéficier du tarif social de l’électricité ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Brottes. La droite a voté contre le tarif social en 2000 !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Démonstration est faite du formidable décalage entre les déclarations à la tribune de l’Assemblée et les actes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Subsistait un autre oubli que nous allons combler en instituant, dans ce texte, un tarif social du gaz. En outre, en accord avec le président de la commission des affaires économiques, Patrick Ollier, et après en avoir fait part au Gouvernement qui semble prêt à soutenir notre initiative, nous allons améliorer encore le dispositif relatif au tarif social de l’électricité. Notre préoccupation va donc trouver son aboutissement …

M. François Brottes. Vous essayez de vous rattraper !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. …car nous allons faire ce que les autres prétendaient vouloir faire, mais qu’ils n’ont pas fait alors qu’ils en avaient le temps !

M. François Brottes. Vous aviez voté contre !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Ainsi, nous répondrons à une demande légitime des personnes qui sont en difficulté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

La troisième série de dispositions du projet de loi vise à moderniser nos entreprises publiques et à permettre à Gaz de France de s’organiser pour devenir un champion gazier en Europe.

M. Yves Cochet. Comme acheteur !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La logique des premières directives, que certains oublient un peu, conduisait à la construction et aux structurations que nous avons été amenés, à plusieurs reprises, à voter. Même si certains renoncent à assumer cette responsabilité, j’entends déjà les commentaires à venir… Balivernes et billevesées que tout cela, mes chers collègues ! Car la vérité est là : les décisions prises au début des années 2000 impliquaient tous les changements qui sont intervenus. Et j’affirme ici, personne ne pourra me démentir, que tout ce qui se fait avec cette majorité-là l’aurait aussi été avec l’opposition si elle avait gagné les élections,…

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Bien sûr !

M. François Brottes. Faux !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. …à cette nuance près qu’elle serait allée plus vite et plus loin.

M. François Brottes. Faux !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je me souviens encore de certains propos, qui ont laissé des traces !

M. François Brottes. Mensonges !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Ces propos ont parfois été écrits… et les écrits restent ! Les déclarations reprises restent également à travers les écrits, chers collègues ! Je me souviens de ce cortège bruyant et bavard des premières semaines de l’année 2002, lorsque les socialistes pensaient gagner ! À l’époque, les déclarations ne manquaient pas ! À hue et à dia ! Untel se reconnaîtra, qui proposait la privatisation rapide de Gaz de France ! Tel autre souhaitait la privatisation d’Électricité de France !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est vrai !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Nous gardons sous le coude ces écrits que nous ne manquerons pas de vous rappeler durant le débat ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations et sourires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Absolument !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je pense à deux personnes, qui ne peuvent être récusées puisque, d’après ce que j’ai lu dans la presse, elles sont candidates à l’élection présidentielle ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je vous avoue d’ailleurs attendre avec gourmandise le moment où seront appelés certains amendements, espérant que leurs auteurs viendront expliquer ici pourquoi, aujourd’hui, ils préconisent exactement le contraire de ce qu’ils souhaitaient pour la France en 2002 ! (Exclamations et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Brottes. Parlez plutôt de Sarkozy !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La vérité est que l’ouverture des marchés a une conséquence que n’avaient pas bien définie au départ ceux qui les ont ouverts. Ouvrir le marché veut dire accepter que des concurrents viennent prendre des parts de marché des entreprises situées en France : Électricité de France, Gaz de France. Si ces parts de marché sont prises, le chiffre d’affaires des entreprises diminue, conduisant celles-ci au déclin, à la diminution des effectifs et des ressources qui leur sont nécessaires pour investir dans des outils de production, de stockage ou dans tous les réseaux de transport. (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Dès lors que vous ouvriez, il fallait bien donner aux entreprises la possibilité de se redéployer dans d’autres champs d’activité.

M. Philippe Auberger. Nous avons bien entendu cela !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Pour EDF, la question ne se pose pas du tout dans les mêmes termes, car EDF produit, et elle le fait même, grâce à nous, en quantité suffisante pour vendre à l’étranger une partie de sa production − quelque 15 %. J’ajoute que, dans divers pays, elle exerce d’autres activités, notamment dans le domaine de la distribution. Une part importante de son chiffre d’affaires se fait donc à l’international.

La situation est bien différente pour Gaz de France : sans vouloir minimiser l’intérêt de cette entreprise ni les vertus de ceux qui la dirigent, il faut bien reconnaître qu’elle ne possède que des tuyaux, pour le transport et la distribution du gaz. Certes, en amont et en aval, il y a des contrats d’approvisionnement et de fourniture : mais, contrairement aux réseaux, ils ne sont pas pérennes et leur validité n’excède pas celles des dispositions qu’ils contiennent. Si vous ne donnez pas à Gaz de France la possibilité de développer des activités nouvelles, de renforcer sa présence à l’international, y compris en matière de prospection, l’entreprise ira vers son déclin.

M. Daniel Paul. C’est votre version !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Est-ce le souhait de ceux qui, aujourd’hui, voudraient empêcher Gaz de France de se doter, grâce à la loi, des moyens de renforcer sa présence, de se renforcer et de renforcer par là même la sécurité de nos approvisionnements ?

Nous le savons, pour l’avoir entendu dire depuis des années, Gaz de France doit se rapprocher d’un partenaire. Je me souviens d’une époque, en 2000, où j’étais dans l’opposition − cela nous arrive de temps en temps −…

M. Jean-Pierre Balligand. Ça va vous arriver bientôt !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. …et où j’entendais les dirigeants de Gaz de France expliquer qu’ils discutaient avec le ministre des finances − qui n’était pas celui que je soutenais le plus − des conditions dans lesquelles on allait pouvoir ouvrir le capital et se diriger vers la privatisation. Ne parlons pas des déclarations qui ont été faites par la suite : dès 2000, l’humeur était à la privatisation de Gaz de France.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Bien sûr !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Tout le monde disait alors que, pour d’innombrables raisons, Gaz de France et EDF n’étaient pas comparables.

M. Alain Vidalies. Et en 2004 ?

M. Jean-Pierre Balligand. Mémoire sélective !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Il est deux raisons principales pour lesquelles le rapprochement avec un partenaire est nécessaire. Il faut, d’une part, que Gaz de France puisse proposer de l’électricité à ses clients et, d’autre part, que l’entreprise puisse sécuriser ses approvisionnements. Gaz de France est relativement peu présent dans la prospection, notamment dans un domaine aujourd’hui stratégique, celui du gaz naturel liquéfié.

M. Yves Cochet. Ça coûte cher !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Le ministre en a déjà parlé et je ne voudrais pas lasser l’auditoire en insistant sur ce point. (« Non ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Peut-être aurons-nous, la semaine prochaine, en abordant l’article 7, l’occasion d’en dire un peu plus. Mais, puisque vous le demandez (« Oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), je vais tout de même vous dire qu’il est nécessaire pour notre pays d’avoir accès à des sources d’approvisionnement fiables, situées dans des pays qui, dans la mesure du possible, ne soient pas à risque.

M. Yves Cochet. Quels pays ? Citez-en un ! Le Qatar ? L’Iran ?

M. Jean Dionis du Séjour. La Norvège ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Aujourd’hui, il y a deux façons de s’approvisionner en gaz. Le gaz naturel qui circule dans les gazoducs ne peut venir que de trois sources : la Mer du Nord − Norvège et Écosse −, la Russie, l’Algérie. Mis à part la Norvège et l’Écosse, ces territoires posent un certain nombre de problèmes que je ne détaillerai pas à cette tribune.

M. Daniel Paul. En Écosse, il y a le monstre du Loch Ness ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Gaz de France a réussi à relativement sécuriser ses approvisionnements en évitant d’être trop dépendant de l’un de ses fournisseurs : c’est tout à son honneur. Néanmoins, il est aujourd’hui nécessaire de se tourner vers le gaz naturel liquéfié…

M. Yves Cochet. À quel prix ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. …produit dans des pays dont les réserves de gaz sont considérables − notamment le Qatar − et qui le liquéfient sur place, avant qu’il ne soit acheminé par méthanier jusqu’à nos terminaux.

M. Jean Le Garrec. En parlant si longuement, le rapporteur ferait-il de l’obstruction ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Chacun a pu observer, cet été, à quel point il est important de renforcer la position de Gaz de France par rapport aux producteurs. Comme tout ce qui arrive en cette période, un événement survenu au mois d’août est passé un peu inaperçu : Gazprom et la Sonatrach − la Russie et l’Algérie − ont signé un mémorandum.

M. Yves Cochet. Eh oui !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Cet accord bouleverse le paysage : nous sommes pris en tenailles un peu plus encore à l’intérieur de ce monde gazier. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Il est donc important d’offrir à Gaz de France les moyens de peser devant les producteurs.

M. Daniel Paul. Il y a un autre accord entre la Russie et l’Ukraine !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Le projet de fusion entre Suez et Gaz de France, qui ne figure pas dans le texte du projet de loi mais dans l’exposé des motifs, présente un grand intérêt au plan industriel, pour trois raisons que je vais évoquer − rapidement car je ne voudrais surtout pas être accusé de retarder l’issue de nos débats.

M. René Couanau. Examinons cela en comité secret ! (Sourires.)

M. le président. Je rassure l’Assemblée : M. le président de la commission des affaires économiques a renoncé à son temps de parole.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Au bénéfice du rapporteur !

M. le président. Vous avez donc un peu plus de temps, monsieur le rapporteur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Il s’agit là, monsieur le président, d’une marque de confiance et d’amitié qui me touche beaucoup.

M. le président. N’en profitez pas pour être trop long ! (Rires.)

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Votre bienveillance, monsieur le président, me conforte dans ma position, qui, vous l’avouerez, n’est pas des plus faciles. (Rires.)

M. Alain Vidalies. Où est le plan B du rapporteur ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Trois raisons justifient le projet industriel présenté par Suez et Gaz de France. Premièrement, il convient de renforcer les activités de Gaz de France ainsi que notre sécurité.

M. François Brottes. Gaz de France est déjà le premier gazier !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Ainsi, avec la fusion, le poids de la Russie dans l’approvisionnement de la France en gaz va diminuer. D’autre part, nous allons voir émerger le premier gazier européen. Certains remarquent qu’il ne représentera que 20 % : mais qui fait mieux ? Il sera le premier, et c’est un gage de grande solidité.

Deuxième intérêt du projet, la fusion apporte à Gaz de France, qui en est dépourvu, des capacités de production électriques grâce aux possibilités offertes par Suez qui, vous le savez, dispose de centrales nucléaires…

M. François Brottes. EDF aussi !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. …en Belgique, mais qui a surtout obtenu, dans des conditions dont nous pourrons reparler, chers collègues de l’opposition, la cession des barrages de la Compagnie nationale du Rhône. Mais on ne peut pas tout dire aujourd’hui. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Marc Francina. Il faut en garder !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Il faut en réserver. Il paraît que nous aurons un peu de temps pour débattre, discuter, argumenter.

Enfin, la troisième raison est de bon sens. En 2004, lorsque nous avons parlé de l’organisation de notre système, des statuts d’EDF et de Gaz de France, ce projet n’était pas à l’ordre du jour.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est une lapalissade !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Il n’y avait pas de projet de mariage. Et c’est bien parce que des discussions particulièrement intenses se sont engagées entre les deux entreprises au cours des derniers mois de 2005 que les conditions de l’examen d’un tel projet de fusion ont été réunies. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Pour réaliser cette fusion, le projet nous propose de privatiser. Y avait-il d’autres solutions ?

M. Alain Vidalies. Le plan B du rapporteur !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. En théorie, oui, et elles ont toutes été examinées. Divers responsables ont ainsi évoqué la possibilité d’un rapprochement, voire d’une fusion, entre EDF et Gaz de France.

M. Alain Vidalies. On parle de tout, sauf du projet Lenoir !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Cette question a été longuement étudiée par des observateurs dont l’objectivité ne peut pas être mise en doute. En conclusion, il est apparu que Bruxelles aurait imposé aux deux entreprises des contreparties qui aboutissaient à leur quasi-démantèlement : cession d’actifs dans le gaz et dans l’électricité.

M. François Hollande. Comment le savez-vous ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Comment le sais-je ?

M. Christian Bataille. Vous ne l’avez pas vraiment demandé !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Comme certains représentants de l’opposition, j’ai siégé à la commission Roulet mise en place après le vote de la loi de 2004 et qu’avait souhaitée le ministre de l’économie et des finances de l’époque, pour savoir dans quelles conditions et à quelle hauteur le capital d’EDF et celui de Gaz de France allaient être ouverts. Cette commission s’est réunie souvent, a bien travaillé, a commandé divers rapports à des cabinets spécialisés. Je tiens à votre disposition, en plus des documents dont vous réclamez la communication mais que vous ne prenez pas la peine de lire (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire),…

M. Marc Francina. C’est qu’ils ne sont pas secrets !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. …ce rapport d’un cabinet expliquant que la fusion d’EDF et de Gaz de France entraînerait de fait un quasi-démantèlement de ces deux entreprises. Nous avons renoncé à cette hypothèse.

Une autre solution avait été avancée par les deux entreprises Suez et Gaz de France, au moment de l’annonce de leurs fiançailles : elles souhaitaient qu’il puisse y avoir des participations croisées, qui avaient vocation à s’éteindre assez rapidement. Il s’agissait d’attendre que la fusion puisse se faire, à un moment où des tentatives d’OPA étaient annoncées de la part d’Enel.

M. Yves Cochet. C’est curieux : dans ce sens, c’est interdit ! Quand c’est vers l’extérieur, on a le droit de lancer des OPA, mais pas quand une entreprise française est concernée !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Il s’agissait d’afficher une volonté de rapprocher les deux entreprises.

Une troisième suggestion proposait d’abaisser le seuil à 51 %. Cela revenait à nationaliser Suez et les centrales nucléaires belges. On pouvait difficilement s’attarder sur une telle possibilité.

J’ai, pour ma part, avancé une autre proposition, qui consistait à ne privatiser que ce qui était concurrentiel et à garder dans le segment public − dans Gaz de France restant public −, les réseaux de transport et de distribution. Je remercie les ministres et leurs collaborateurs de l’intérêt qu’ils ont manifesté et du temps qu’ils ont consacré à l’examen de cette proposition. Mais que n’ai-je entendu par ailleurs ? Que n’ai-je lu ? Les commentaires les plus fantasmagoriques expliquaient que quelqu’un m’avait soufflé ces propositions et que j’étais le bras séculier de je ne sais qui − pêle-mêle : des entreprises, des personnalités, voire des puissances étrangères. Je dois dire, en toute modestie, que mon orgueil en a été un peu blessé : j’ai compris que l’on estimait que je n’étais pas capable d’avoir de bonnes idées tout seul. (Rires.)

M. Bernard Accoyer. Impossible !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Seule a compté la conclusion à laquelle nous sommes arrivés d’un commun accord : cette voie ne présentait pas tout l’intérêt que j’y voyais.

À ce sujet, nous avons tous suivi le débat concernant les 70 % du capital de Gaz de France. Patrick Ollier m’autorisera à rappeler − puisque je prends son temps de parole et que je dois peut-être dire ce qu’il aurait pu exprimer à la tribune − que c’est lui et moi qui avons déposé l’amendement portant la part du capital à 70 %…

M. Jean Dionis du Séjour. C’était une erreur !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. …alors que le projet du Gouvernement était à 51 %.

M. Jean Dionis du Séjour. C’était mieux !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Peut-être l’avons-nous fait d’une façon un peu mécanique, car, depuis des années, on a tendance à avoir le même regard sur les entreprises Gaz de France et EDF, à considérer que ce qui vaut pour l’une doit valoir pour l’autre.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est vrai !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Nous avions envisagé que cet amendement, portant la part du capital détenue par l’État à 70 %, ne puisse s’appliquer qu’à EDF, l’État ne conservant que 51 % de Gaz de France. Certes, cette dernière entreprise restait publique, l’État y gardant la majorité. Mais l’on aurait souligné qu’il y avait en termes de valeurs une différence importante à observer entre les missions et les activités d’EDF et celles de Gaz de France.

M. René Couanau. C’est refaire un peu l’histoire !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Aujourd’hui, l’heure est à la privatisation, avec les garanties apportées par le texte.

À cet égard, et sans avoir l’audace de vouloir apporter de meilleures explications que M. le ministre, lequel a été, comme à son habitude, excellent, je tiens néanmoins à répondre très brièvement à certaines des questions que nous aurons l’occasion d’aborder à nouveau pendant le débat, et que l’on m’a posées, surtout à l’extérieur.

Certains s’inquiètent pour le statut des personnels. Je le dis donc très clairement : ce n’est pas parce que Gaz de France fusionne avec Suez que ce statut changera. Il s’agit en effet de celui des industries électriques et gazières qui concerne la branche d’activité et non l’entreprise. C’est ainsi que certains salariés d’entreprises concurrentes d’EDF et de Gaz de France relèvent de ce même statut. Tel est le cas, par exemple, des agents de Suez qui travaillent sur les barrages de la Compagnie nationale du Rhône.

Une autre interrogation porte sur les prix. Nous aurons là aussi l’occasion d’y revenir, mais – bien que j’aie vraiment quelque difficulté à me contenir sur ce point – je ne ferai qu’une observation à cet égard.

Ne restons pas sur l’idée qu’une entreprise publique protégera mieux les consommateurs. Ce n’est pas parce que Gaz de France, mais également EDF, resteraient publiques que ceux-ci seraient mieux traités. Je ne prendrai sur ce point que deux exemples.

Aux portes de la France, un important groupe privé gazier vend du gaz à des consommateurs aussi bien industriels que particuliers, je veux parler de Suez, en Belgique. Eh bien, les prix pratiqués par cette entreprise sont analogues à ceux appliqués par Gaz de France dans notre pays alors que l’une de ces entreprises est privée, et l’autre publique. Le statut de l’entreprise n’a donc rien à voir en la matière.

M. Daniel Paul. Ce n’est pas tout à fait ce qu’indique la Commission européenne dans la lettre de griefs !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. De même, s’il était démontré qu’une entreprise publique offre de meilleurs prix à ses clients, comment alors expliquer le niveau de ceux de l’électricité pratiqués auprès des industriels ? Si ces derniers prix étaient proposés par une entreprise privée, ne dirait-on pas, dénonçant les excès de celle-ci, qu’elle fait n’importe quoi ? EDF, bien entendu, ne fait pas n’importe quoi – des explications de sa politique seront données au cours du débat. Mais ce n’est pas parce qu’une entreprise est publique qu’elle protégera mieux ses consommateurs.

M. René Couanau. Ce n’est pas lié à la structure juridique !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Les lois du marché existent et celles-là, ce n’est pas le Parlement qui les vote.

J’en viens à ma conclusion, qui sera brève. Comme souvent, on ne sait pas vraiment, avant de monter à la tribune...

M. René Couanau. À quel moment on va en descendre ! (Rires.)

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. ...comment on va conclure, mais, simplement, que l’on doit conclure.

Cette conclusion, je l’emprunterai finalement à l’un de nos collègues présents, président d’un groupe important de l’opposition, qui certes ne parlait pas du sujet qui nous réunit, mais des prochaines élections présidentielles.

M. Jean-Louis Idiart. Hors sujet !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Si j’en crois la dépêche que j’ai sous les yeux, il invite, s’adressant sans doute à une personne qui pourrait être candidate à ces élections l’année prochaine,...

M. Ghislain Bray. Hélas !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. ...à être loyal.

M. Jean-Marc Roubaud. « Royal ! »

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Nous ne sommes plus, disait-il, en 1995 ni en 2002, et il faut être loyal vis-à-vis de la prochaine génération.

Oui, mes chers collègues, soyons loyaux avec les Français de demain qui auront à diriger les entreprises, et créons dès à présent les conditions pour que Gaz de France et Suez permettent de soutenir le développement et la croissance de notre pays ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, après le débat sur la politique énergétique de la France, le 14 juin dernier, nous voici sur le point d'entamer la discussion générale du projet de loi relatif au secteur de l'énergie, et, je l'espère, prochainement et même très prochainement, l’examen de ses dix-sept articles.

Il n'est pas dans le rôle de rapporteur pour avis de la commission des finances de porter un jugement sur les quelque 120 000 amendements déposés. Je me bornerai à souhaiter que l'institution parlementaire, dont on relève à l'envi dans de savants colloques, chers à la gauche de cet hémicycle, la dévalorisation, l'affaissement, voire la marginalisation, ne soit pas affectée par cette particularité arithmétique que constituent ces 120 000 amendements.

Mesdames et messieurs, la commission des finances s'est saisie pour avis de quatre articles – les articles 4, 10, 11 et 12 – qui concernent deux parties du présent projet de loi : la privatisation de Gaz de France, d'une part ; la libéralisation des marchés de l'électricité et du gaz et les mesures qui l'accompagnent, d'autre part.

Comme l’a excellemment rappelé le rapporteur au fond, Jean-Claude Lenoir, dans la fresque historique qu’il a brossée, le texte, parachève l’ouverture de ces marchés. À cet égard, deux clarifications s’imposent.

La première sera pour en finir avec l'hypocrisie qui consiste à feindre de découvrir qu'il existe un marché commun de l'énergie, ...

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. ... alors que celui-ci a été souhaité et voulu dès le début de la construction européenne, et qu'il induit la libre circulation des produits et le libre établissement des producteurs, et donc la concurrence dans chaque pays membre. Les directives européennes établissant ce marché commun de l'énergie – Jean-Claude Lenoir l’a rappelé – ont été prises en 1996 pour l'électricité et en 1998 pour le gaz, cette dernière ayant été à l'époque validée, je le rappelle, par le gouvernement de M. Lionel Jospin, ce qui n'est contestable par personne.

Ces directives ont elles-mêmes été remplacées par celles du 26 juin 2003, lesquelles fixent un objectif d'ouverture complète des marchés à l'horizon du 1er juillet 2007, conformément – je le rappelle encore une fois pour qu'on ne l'oublie pas – à l'accord donné par le gouvernement de M. Jospin à Barcelone, en 2002. C'est donc dans ce cadre qu'il nous faut, pour être à la hauteur des enjeux, situer aujourd'hui notre réflexion.

Depuis le 1er juillet 2004, tous les clients professionnels peuvent choisir leurs fournisseurs d'électricité et de gaz naturel. Il s'agit maintenant d'offrir cette possibilité à tous les ménages, conformément aux directives européennes du 26 juin 2003 qui prévoient donc qu'à partir du 1er juillet 2007 tous les consommateurs finaux seront éligibles, c'est-à-dire libres de contracter avec le fournisseur de leur choix.

Le projet de loi prévoit les conditions dans lesquelles les consommateurs finaux qui n'exerceront pas leur éligibilité, c'est-à-dire leur capacité à s'adresser à d'autres fournisseurs, pourront continuer à bénéficier des tarifs réglementés. La commission des finances s'est, avec juste raison, préoccupée, en même temps que la commission des affaires économiques, de l'importante augmentation des prix de l'électricité qui affecte les entreprises sorties, comme elles en avaient le droit, des tarifs depuis 2004.

La seconde clarification a trait à l'augmentation des prix de l'électricité. Celle-ci n'est pas due, contrairement à ce que l’on répète à l'envi, à l'ouverture des marchés. Cette dernière a précédé, et de loin, le début de l'augmentation des prix de gros de l'électricité. L’ouverture des marchés s'est en effet opérée dès 1990 en Grande-Bretagne, en 1998 en Allemagne, et en 2000 en France. Or force est de constater que l'augmentation des prix n'a commencé à intervenir qu'en septembre 2003.

Il n'y a donc pas de corrélation entre l'ouverture des marchés et l'augmentation des prix de gros de l'électricité. En réalité, le renchérissement du prix de l'énergie est largement corrélé à celui des cours du pétrole.

Aujourd'hui, l'écart se creuse entre tarifs réglementés et prix du marché, ce qui peut créer des distorsions de concurrence susceptibles de mettre en péril certaines exploitations. C'est la raison pour laquelle je souhaite qu'il soit permis aux entreprises concernées de payer, à titre temporaire, la moitié de leur consommation aux tarifs réglementés. Le prix moyen de leur facture d'électricité serait ainsi ramené à un niveau raisonnable, sans être pour autant totalement déconnecté du marché.

La commission des finances a adopté un amendement de M. de Courson prévoyant la possibilité d'un retour à un tarif basé sur le tarif réglementé de l'électricité, majoré de 20 %.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Nul doute que ce dispositif puisse encore être réfléchi, notamment pour ne pas le déconnecter totalement du marché, mais, sur le principe, les commissions des affaires économiques et des finances sont d’accord : une modération de la facture s'impose.

En contrepartie de ce tarif de retour, il faut permettre à la concurrence – dont certains indices montrent qu’elle ne fonctionne pas bien aujourd'hui – de jouer sur le marché de l'électricité, ce qui passe par l’adoption de deux types de mesures.

Tout d'abord, il convient d’éviter que le tarif de retour ne se traduise par un retour de tous les consommateurs chez l'opérateur dominant, EDF, au risque de tuer le marché. Il faut permettre aux fournisseurs d'avoir accès à une partie de la production d'origine nucléaire et hydraulique à un prix qui représente le coût de développement du parc nucléaire. La commission des finances a adopté un amendement très important en ce sens – j’aurai l’occasion d’y revenir.

Il est, ensuite, impératif de renforcer le régulateur. Nos deux commissions en sont également d’accord : la commission de régulation de l'énergie doit voir ses pouvoirs renforcés. Sur un marché où certaines entreprises occupent des positions dominantes, un régulateur fort s’impose. Il faut donc, en matière de surveillance des marchés de gros, renforcer le pouvoir de la commission de régulation de l’énergie.

Aujourd'hui, cette dernière ne peut surveiller que le marché organisé. Or, dans les marchés de gros, 90 % des transactions se font de gré à gré : ce sont celles qui sont les moins transparentes et qui devraient être le plus suivies.

J'en viens au cœur du projet de loi. Le titre III – les articles 10, 11 et 12 –, dont la commission des finances s'est saisie pour avis, autorise la privatisation de Gaz de France et organise le contrôle de l'État sur la société.

Reconnaissons-le, le Parlement entame l'examen de ce texte après une longue phase de concertation entre le Gouvernement, les partenaires sociaux, les parlementaires et les autres acteurs concernés par ce dossier.

Je souhaite, à ce stade de mon intervention, rendre un hommage tout particulier au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, qui, sans compter son temps, a, durant de longs mois, mené la nécessaire concertation dont on sentait bien que le Parlement avait besoin pour clarifier les enjeux de ce dossier et pour se faire une opinion. J’associe, bien entendu, à cet hommage le ministre délégué à l’industrie qui, avec Thierry Breton, s’est employé à faire prendre conscience de ces enjeux.

L'ouverture des marchés – Jean-Claude Lenoir l’a rappelé – change la donne pour Gaz de France, dont près de 80 % de l'activité seront constitués par le transport et la distribution de gaz, volet régulé et sans surprise.

Sur ce marché européen, GDF doit se marier, voilà la réalité, car le célibat, en l’espèce en tout cas, c'est la perspective du déclin et de la marginalisation. Or, dans ce mariage, dans cette alliance incontournable, la part de 70 % détenue par l'État empêche, il faut le reconnaître, les augmentations de capital nécessaires pour mettre en œuvre cette stratégie et peut contraindre à l'endettement.

M. Jean-Marc Roubaud. Très juste !

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Rappelons l'exemple de France Télécom et le rôle joué alors par Thierry Breton – il me pardonnera d’offenser, une fois encore, sa modestie.

M. Alain Vidalies. Si on vous gêne, on peut s’en aller !

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. France Télécom, et ce n’est pas du tout hors sujet, avait failli être emporté par l'obstination mise à garder une part prépondérante de la puissance publique, mauvais actionnaire.

Mme Marie-Anne Montchamp. Il faut savoir apprendre.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Les partisans du statu quo, ici comme ailleurs, sont donc ceux du déclin.

La diminution de la participation de l'État dans le capital de Gaz de France doit permettre le développement de l'entreprise dans un secteur où la concurrence est de plus en plus vive et où les grands énergéticiens nouent des alliances.

M. Christian Bataille. C’est vraiment la langue de bois !

M. François Brottes. C’est du Lenoir sans le talent !

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Il faut donc donner à Gaz de France les moyens de se renforcer dans un secteur où le moindre investissement coûte plusieurs centaines de millions d'euros.

Deux évidences s'imposent aujourd'hui.

La première, c'est que Gaz de France est privatisable, même le Conseil d'État, peu suspect d'a priori idéologique, le reconnaît dans son avis du 11 mai dernier. Les activités de Gaz de France ne constituent en effet ni un service public national au sens constitutionnel du terme, ni un monopole.

La seconde évidence, que j'évoquais précédemment, c’est que Gaz de France doit grandir et, pour cela, la part de l'État doit baisser mécaniquement. La seule question que nous devons nous poser est simple : quel est le niveau optimal d'une participation de l'État dans une société privatisable ? Le texte répond, en prévoyant un tiers. C'est ce qu'on appelle la minorité de blocage.

M. David Habib. On commence comme ça, et après… Prenez l’exemple d’Elf !

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Tout le monde est d'accord, mesdames et messieurs, pour que l'État conserve une participation dans le capital de Gaz de France, mais quel est le bon niveau ? Nous avons répondu effectivement 70 % il y a deux ans. Certains ont proposé 51 %. Aujourd'hui, nous en sommes à 33, 3 %.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Et demain ?

M. Christian Bataille. Demain, ce sera 0 %, bien entendu !

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Il faut ouvrir un débat en indiquant que la fixation a priori de la part de l'État peut entraver la croissance de Gaz de France en l'empêchant de réaliser des investissements. Or notre but n'est pas de fragiliser Gaz de France, mais bien de lui donner les moyens de son développement !

Tout cela ne signifie pas qu'il faille que la part de l'État descende en dessous de 33 %, et je ne veux pas être caricaturé sur ce point. Cela signifie simplement que la part de l’État ne doit pas être inscrite dans la loi.

M. David Habib. Vous préférez la fixer par décret ?

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Seul doit être retenu le principe, auquel je souscris, d'une participation de l'État au capital. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Si, en définitive, la loi prévoit de fixer la part de l'État à un tiers du capital, cela soulève quelques interrogations que je voudrais vous soumettre, monsieur le ministre.

Premièrement, les dispositions relatives à la distribution d'actions inscrites dans le cadre de la loi sur l'actionnariat salarié feront baisser mécaniquement la part de l'État en dessous du tiers du capital dans deux ans. Faudra-t-il que l'État apporte une dotation pour nous éviter de légiférer à nouveau ?

M. François Brottes. C’est une bonne question !

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Deuxièmement, fixer un niveau a priori, n’est-ce pas risquer de survaloriser la part de Gaz de France dans un futur ensemble et de dissuader les actionnaires de Suez d'adhérer à la fusion ? Ne risque-t-on pas de fragiliser la fusion ?

Troisième interrogation, alors que beaucoup sur les bancs de cette assemblée ont souhaité l'émergence d'un groupe européen – et il faudra y réfléchir, notamment avec nos amis italiens d’Enel –, s’est-on rendu compte que, dans ce mariage à trois, la part de l'État peut être affectée et baisser encore mécaniquement pour franchir largement vers le bas la barre fatidique fixée par la loi aujourd'hui ?

M. Christian Bataille. Eh oui !

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Autre point important, monsieur le ministre. Nous avons adopté, il y a six mois, un texte, dont j’étais le rapporteur, qui permet de lutter contre une OPA hostile grâce à une augmentation de capital. Avec ce projet de loi, nous introduisons la minorité de blocage pour nous opposer, avec succès, à une OPA.

M. Christian Bataille et M. David Habib. Oui, mais vous voulez la réduire !

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Je compte sur vous pour nous indiquer comment maintenir la cohérence de ces dispositifs.

Il existe un moyen de lutter contre une OPA hostile, c’est l’action spécifique.

M. David Habib. Cela ne marche jamais !

M. Christian Bataille. Regardez Arcelor !

M. David Habib. Ou Elf !

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Vous l’avez affirmé tout à l’heure avec raison, monsieur le ministre, cette action spécifique donne suffisamment de pouvoir à l’État pour garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz de la France. Il suffit que l'État détienne une participation pour la transformer en action spécifique.

En conclusion, je souhaite que, comme en commission des finances, un débat puisse s’ouvrir sur la participation de l'État dans Gaz de France et que ce débat puisse se dérouler dans des conditions sereines. J’espère que les travaux de la commission des finances, où chacun a pu exprimer ses positions, contribueront au travail législatif et permettront un débat de fond plutôt que d’assister à un affrontement stérile dont le Parlement ne sortirait pas grandi. La commission des finances a émis un avis favorable à ce projet de loi et je m'en réjouis. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Exception d’irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. François Hollande.

M. François Hollande. Monsieur le président, messieurs les ministres, mesdames, messieurs, nous avons à débattre aujourd'hui de la privatisation de Gaz de France et de la transposition d’une directive, mais, surtout, à aborder ensemble et de manière responsable l'avenir énergétique de la France. Voilà le sujet, au-delà des dispositions que nous allons examiner durant la discussion.

Cette question de l’avenir énergétique de la France devrait être au cœur des grands choix politiques de l’année prochaine. Chacun, au-delà de sa sensibilité politique, en connaît désormais les enjeux : le réchauffement de la planète, qui pose la question de notre propre modèle de développement ; la fin des énergies fossiles, qui oblige à préparer dès aujourd'hui la société sans pétrole ; la sécurité des approvisionnements dans un monde marqué par les désordres et les conflits ; enfin, l'égal accès de tous à l'énergie dans un contexte que l’on connaît de hausse durable des prix des matières premières.

C'est à l'aune de ces réalités-là que doit être regardée l'organisation du secteur énergétique dans notre pays.

M. Jean-Marc Roubaud. Nous sommes d’accord.

M. François Hollande. Nous devons faire le choix d’une structure industrielle, d’une propriété publique ou privée, non pas en fonction de nos a priori idéologiques, mais en fonction de la capacité que nous pensons pouvoir donner au pays pour relever les défis dont je viens de parler.

Or, monsieur le ministre, au nom du Gouvernement, vous nous présentez un projet dont le seul objet, en définitive, est de démanteler, pour des raisons idéologiques (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste),…

M. Jean-Marc Roubaud. Oh ! c’est un scandale !

M. François Hollande. …les fondements du service public de l'énergie.

Par la privatisation d’abord de GDF, et nous y reviendrons, par la libéralisation du marché, par la dérégulation de l’énergie,…

M. Jean-Marc Roubaud. C’est une décision de Jospin !

M. François Hollande. …vous redonnez au marché le rôle principal dans un domaine stratégique, là où l'État devrait garder à nos yeux toute sa responsabilité pour préparer l'avenir.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Strauss-Kahn ! Jospin ! Fabius !

M. Francis Delattre. Barcelone !

M. François Hollande. C’est pourquoi je dis solennellement, au nom du groupe socialiste, que les Français auraient dû être saisis d'une telle décision à l'occasion de l'élection présidentielle.

M. Marc Laffineur. Comme pour la réforme des retraites !

M. François Hollande. Le moment arrive où, les uns et les autres, il va falloir présenter nos choix, nos stratégies, nos conceptions de la société, notamment sur l’énergie.

M. Jean-Marc Roubaud. Avec les socialistes, on ne fait rien ! Ce n’est jamais le moment.

M. François Hollande. Il aurait été responsable qu’en cette fin de législature et devant des sujets aussi difficiles, aussi lourds de conséquences, vous ouvriez certes un débat pour préparer les esprits, mais que vous renvoyiez la décision au vote des Français.

M. Marc Laffineur. C’est comme pour les retraites, c’est toujours après !

M. Jean-Marc Roubaud. Avec les socialistes, on ne fait rien !

M. François Hollande. Certes, nous pouvons, cela s’est produit quelques fois dans la législature, diverger sur telle ou telle part dans le capital public d’une entreprise, nous pouvons avoir des solutions industrielles différentes dans tel ou tel domaine, mais nous ne pouvons pas, à la veille d'une échéance décisive, changer les principes mêmes de notre politique énergétique, nous ne pouvons pas modifier la nature des opérateurs et décider des regroupements d’entreprises qui vont engager la France et pour longtemps.

Voilà pourquoi, au-delà même du groupe parlementaire que je représente, le groupe socialiste,…

M. Francis Delattre. Peu représenté cet après-midi !

M. François Hollande. …je crois que ce débat est si important. Voilà pourquoi nous voulons que le Parlement lui consacre le temps nécessaire, afin que les Français soient informés des conséquences de l'adoption d'un tel projet sur leur vie quotidienne, sur leur pouvoir d'achat, mais aussi sur leur sécurité et leur environnement.

D'autant qu'il n'y avait aucune urgence à légiférer une nouvelle fois et aussi vite. Dois-je rappeler que c'est le quatrième texte en trois ans que le Parlement va étudier dans le domaine de l’énergie ?

M. Luc Chatel. Tant mieux !

M. François Hollande. Dois-je rappeler que le législateur va délibérer avant même que toutes les données utiles à sa décision ne soient livrées et connues ? Nous ignorons aujourd’hui – cela a été l’objet de notre interpellation en début d’après-midi – les conditions posées par la Commission européenne à la fusion Gaz de France-Suez. Le fait que nous ignorions les conséquences de cette éventuelle fusion, notamment dans le domaine tarifaire, pose un problème pas simplement à l’opposition, mais à l’ensemble de la représentation nationale.

Parce que vous aussi, députés de la majorité, vous pouvez vous poser les mêmes questions que nous : quelle activité Gaz de France va-t-elle être obligée de céder ? Quelle contrepartie sera-t-elle exigée pour Suez ? Quelle capacité aura ce nouvel ensemble pour agir de façon cohérente ?

Voilà pourquoi je considère que votre texte est un texte de circonstance, pire, un texte de convenance, et surtout de complaisance à l'égard du marché et de négligence à l'égard de l'avenir.

Pour nous, il est irrecevable pour plusieurs raisons :

La première raison est presque d’ordre moral.

M. Francis Delattre. Oh !

M. François Hollande. Votre projet contrevient en effet à une promesse solennelle, celle qu'avait faite ici même Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie et des finances, en 2004, lors du débat sur le statut d'EDF et de GDF.

Mme Martine David. Eh oui !

M. François Hollande. Permettez-moi – ce sera vraiment une exception – de le citer. Il déclarait : « Je l'affirme parce que c'est un engagement du Gouvernement : EDF et GDF ne seront pas privatisées. »

Plusieurs députés du groupe socialiste. Eh oui !

Mme Martine David. Il l’a dit !

M. François Hollande. Parlant peut-être pour la première fois depuis longtemps au nom du Président de la République, il avait précisé : « Le Président de la République l’a rappelé solennellement lors du conseil des ministres au cours duquel fut adopté le projet : il ne peut être question de privatiser EDF et GDF. »

Mme Geneviève Gaillard. Très bien !

M. Jean-Yves Le Déaut. Quelle amnésie !

M. François Hollande. Il avait même ajouté, répondant à une interpellation, que ce qui nous garantissait que la loi ne permettrait pas de privatiser ultérieurement, c’était la parole de l’État. Il n’y aura pas de privatisation, disait-il, parce que GDF et EDF sont un service public.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Très bien !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ce n’est pas la citation exacte.

Mme Martine David. Que des mensonges !

M. François Hollande. Il avait même écrit aux syndicats le 29 avril 2004, pour confirmer que « ces sociétés – en l’occurrence EDF et GDF – resteront publiques et ne seront en aucun cas privatisées compte tenu de leur caractère déterminant pour les intérêts de la France et pour la sécurité de nos approvisionnements ».

Plusieurs députés du groupe socialiste. Très bien !

M. François Hollande. Il précisait : « leur capital restera majoritairement public ».

Plusieurs députés du groupe socialiste. Et voilà !

Mme Martine David. C’est cela, oui…

M. François Hollande. Il a fallu une rumeur d'OPA d’Enel sur Suez pour balayer cet engagement et pour provoquer une intervention précipitée du Premier ministre, le 25 février 2005, au nom du patriotisme économique. Après avoir convoqué dans son bureau même les deux présidents des entreprises concernées, il annonçait à l’opinion publique, par le biais de la télévision, dans l’urgence, une fusion-disparition de Gaz de France, sans consultation des personnels ni du Parlement, et pas davantage de l'Agence des participations de l’État, qui n'a pu faire connaître son avis avant l’intervention du Premier ministre.

Mais, à ce manquement à la parole de l'État s'ajoute la dissimulation.

Mme Martine David. Ils ont promis et ils ne tiennent pas leurs promesses. On ne peut plus les croire !

M. François Hollande. Nous avons appris en effet, un peu plus tard, que Suez et GDF travaillaient déjà depuis de longs mois…

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Depuis 2000 !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. À l’époque de M. Jospin ! (« C’est faux ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. François Hollande. Mais c’est encore pire. Suez et GDF travaillait depuis plusieurs années donc sur l'hypothèse d'un rapprochement. La menace d'une OPA d’Enel n'a donc servi que d'alibi public à un arrangement privé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Martine David. Bien sûr !

M. François Hollande. Je relève d’ailleurs que l’hypothèse d’un raid d’Enel n’est plus sérieusement évoquée.

M. Francis Delattre. Enel avait tout de même rassemblé 50 milliards !

M. François Hollande. Le Premier ministre, M. de Villepin, est même allé voir son homologue italien à Rome, il y a quelques jours, pour lui dire qu’il était d’accord pour qu’il y ait des échanges d’activités entre Enel et le nouvel ensemble Suez-Gaz de France.

M. Michel Piron. Tant mieux pour l’Europe !

M. François Hollande. La menace n’est donc plus là !

Loin d’être une riposte à une intervention hostile d’une entreprise étrangère, la fusion Gaz de France-Suez est donc d’abord une opération purement financière souhaitée par les pouvoirs publics, et dont le préalable passe par la privatisation de Gaz de France. Même si le doute est permis, je veux croire que les termes de cette décision n’étaient pas connus du Gouvernement lorsqu’il a présenté son projet en 2004, car si l’on avait alors fait délibéré le Parlement en connaissant cette hypothèse, en sachant qu’il faudrait un peu plus tard privatiser Gaz de France, ce ne serait pas seulement un manquement à la parole donnée, ce serait un mensonge d’État ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) La première raison de repousser votre projet est donc morale.

M. Francis Delattre. C’est un peu juste !

M. François Hollande. La deuxième raison est de nature industrielle. La question que nous nous posons tous est de savoir si le regroupement Suez-Gaz de France disposera d’un effet de taille tel qu’il permettra une amélioration de la position de cette entité et une meilleure négociation des prix. Là aussi regardons les chiffres ! Le gain en termes de parts de marché du nouvel ensemble en matière de gaz sera de 4 %. Pas de quoi changer significativement le rapport de forces, vous en conviendrez ! En outre, l’addition pure et simple des rangs de Suez et de Gaz de France dans chaque métier du gaz et de l’électricité ne construit pas une entité industrielle cohérente. Elle ignore les divergences des deux entreprises sur les options stratégiques, les territoires de développement et la gestion des réseaux. Elle ignore complètement les incidences sur l’emploi. Pis, elle vient concurrencer EDF, l’opérateur public, en cassant la complémentarité avec Gaz de France établie depuis 1946.

En revanche, et nous en avons déjà débattu cet après-midi, la fusion, si elle était décidée, aboutirait à réduire les capacités des deux entreprises concernées au nom des règles de concurrence. Vous nous demandez de ne pas nous inquiéter sur ce point, mais pourquoi devrions-nous vous faire confiance ? D’après ce que l’on sait, la Commission européenne, dans sa communication des griefs, a confirmé la position dominante du nouvel ensemble et exigé des cessions d’actifs. D’ores et déjà, les dirigeants des deux entreprises concernées, Gaz de France et Suez, ont accepté de vendre tel ou tel actif. La vente de la participation de GDF dans l’électricien belge SPE est déjà confirmée.

Mais l’on parle de risques beaucoup plus sérieux, et d’abord de l’abandon d’une partie des centrales nucléaires d’Electrabel et des activités de Distrigaz, qui sont aujourd’hui contrôlées par Suez. D’ailleurs, le président de Suez lui-même s’en est ému. On évoque même, pour les récuser, les menaces d’une séparation des réseaux, c’est-à-dire la remise en question de la pérennité de l’entreprise Gaz de France.

M. Serge Poignant. Ce n’est pas vrai !

M. François Hollande. M. Cirelli, dans une interview de presse, vient de dire que, si tel était le cas – l’hypothèse n’est donc pas à rejeter –, lui-même refuserait alors l’idée de la fusion.

De quoi débattons-nous donc ? Il s’agit non plus de nous prononcer pour ou contre la fusion, mais d’évaluer ses conséquences pour Gaz de France et Suez.

M. Jean-Yves Le Déaut. Eh oui !

M. François Hollande. Et puisque nous n’en savons rien aujourd’hui, quel peut être le sens de ce débat parlementaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Tel est le troisième motif d’irrecevabilité : le défaut de transparence. Il est en effet demandé au Parlement de voter une privatisation – il s’agit bien de cela ! – préparant une fusion avant même que ne soit connue l’importance des cessions d’activités réclamées par Bruxelles, que l’on ne connaîtra qu’au mois de novembre. C’est donc un chèque en blanc que l’on nous demande de signer ! M. Accoyer a d’ailleurs reconnu que le seul objectif était désormais de privatiser GDF. Je note que vous ne cherchez même plus à justifier la privatisation au nom d’une fusion hypothétique, voire dangereuse. Comment pouvez-vous admettre la privatisation de GDF sans que l’on connaisse son avenir ?

De même, le Parlement va se prononcer sans connaître les conditions financières de l’opération. Chacun sait que ce n’est pas le Parlement qui fixera les conditions de la fusion, ce qui est fâcheux, mais que ce sera l’assemblée générale des actionnaires de Suez,…

M. Jean-Pierre Balligand. Bien sûr !

M. François Hollande. …dont beaucoup se plaignent aujourd’hui de la parité retenue – une action GDF contre une action de Suez –…

M. Francis Delattre. Il leur a été répondu !

M. François Hollande. …et réclament l’éclatement de Suez et l’abandon des activités liées à l’eau. S’ils se faisaient entendre dans cette fameuse assemblée générale qui se réunira à la fin de l’année, l’opération pourrait se réaliser à un prix différent de celui annoncé aujourd’hui, ce qui modifierait naturellement la participation de l’État. Et si la fusion envisagée vient à être abandonnée, de quoi aurons-nous parlé ici ? Pendant des jours et des jours, voire des semaines, nous aurions parlé de la privatisation de Gaz de France pour une fusion qui n’aura pas lieu, ou bien pour une autre opération dont nous ne connaissons ni l’ampleur ni la qualité !

M. Jean Gaubert. Pour une OPA !

M. François Hollande. Voilà pourquoi il faut repousser ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Chacun conviendra également que l’avenir énergétique de la France doit se décider non pas « à la corbeille », mais au sein du Parlement. Nous avons donc demandé que les Français soient mieux informés de ce projet et que nous prenions le temps de la réflexion. Attendons les décisions de Bruxelles et les réponses des actionnaires pour que le débat puisse reprendre au lendemain des prochaines élections présidentielle et législatives en fonction des choix qu’exprimera le peuple souverain.

Vous nous dites qu’il s’agit de protéger Suez d’une OPA hostile grâce à une participation de 34 % de l’État dans le nouvel ensemble et grâce à l’« action spécifique ». Or, cette dernière n’assure en rien la protection de l’entreprise contre une intervention extérieure, à supposer même que sa légitimité soit reconnue par la Cour de justice européenne, qui avait récusé le principe d’une action spécifique pour Elf. Alors qu’une telle protection est assurée par la structuration actuelle du capital de GDF, l’État détenant 80 % des actions, rien ne garantit que Gazprom ne prendra pas demain le contrôle de l’entreprise en cas de privatisation, puisque ce groupe dispose de la masse financière nécessaire.

Prétendre que l’« action spécifique » permettrait à l’État, minoritaire, de décider de la stratégie de l’entreprise et de ses orientations dans le sens de l’intérêt général est fallacieux et illusoire. De la même manière, ce n’est pas l’« action spécifique » qui va permettre à l’État de maîtriser les tarifs du nouvel ensemble.

C’est là le quatrième motif d’irrecevabilité : le texte est inquiétant pour les consommateurs. Rappelons d’abord les faits avant de mesurer les risques : la facture de gaz a augmenté de 30 % en dix-huit mois. Les prix de l’électricité comme du gaz ont explosé depuis l’ouverture des marchés : la hausse est de 70 % pour les grosses entreprises consommatrices, voire de 100 % pour les plus petites. La hausse des prix de gros est de près de 50 % pour la seule période allant d’avril 2005 à avril 2006. L’écart entre les prix du marché et les tarifs réglementés est de 60 % – cela a été rappelé par le rapporteur –, d’où les distorsions de concurrence.

Certes, le projet de loi affirme le principe du maintien des tarifs réglementés et même celui du droit au retour, mais c’est aujourd’hui une digue de papier. En effet, les tarifs réglementés sont contestés tant par la Commission européenne qu’en France par la Commission de régulation de l’énergie.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Mais non !

M. François Hollande. Le Gouvernement ne peut s’engager pour autrui et le Parlement pas davantage ! Nous pourrons faire tous les tarifs réglementés, si, à un moment, la Commission européenne les rejette, alors nous serons dans le régime du marché. Et c’est bien ce qui risque de se produire pour le gaz. Quand les tarifs régulés disparaîtront – car ils disparaîtront ! –, la nouvelle entité Suez-Gaz de France, ou toute autre entité absorbant Gaz de France, sera libre de fixer ses prix et le réveil sera particulièrement douloureux pour les usagers.

Quant au droit au retour vers le tarif réglementé, espéré par tant de chefs d’entreprise qui se sont laissés aller à croire à la libéralisation du marché,…

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. C’est votre loi !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est incroyable ! Monsieur Hollande, c’est votre loi de 2000 ! Il ne faut pas l’ignorer !

M. François Hollande. …à la concurrence, espérant la baisse du prix des cours aujourd’hui – ce sont les écarts entre les principes affichés ou les doctrines établies et la réalité ! –, il est lui-même fragile car il ne peut valoir que pour un temps limité. En outre, il repose sur une compensation du manque à gagner des opérateurs par une taxe sur les producteurs d’énergie nucléaire et hydroélectrique. C’est donc EDF qui paiera l’essentiel des compensations accordées aux clients au nom du marché ! Et c’est l’opérateur de service public qui paiera les conséquences de la libéralisation !

M. Marc Laffineur. C’est invraisemblable !

M. Jean-Pierre Balligand. Ce n’est pas invraisemblable, c’est ce que vous avez fait voter !

M. Francis Delattre. C’est un fantasme !

M. François Hollande. Dernier motif d’irrecevabilité : votre texte sape les fondements de la politique énergétique de la France.

D’abord, comment la sécurité de nos approvisionnements pourrait-elle être améliorée si l’État perd le contrôle de l’ensemble des infrastructures lourdes qui en sont les outils pour le gaz – terminaux méthaniers, capacité de stockage, réseaux de transport et de distribution ? La privatisation fait courir le risque de voir ces équipements essentiels pour notre pays devenir un jour la propriété d’un groupe étranger. Allez comprendre ! Au nom du patriotisme économique, on va laisser les infrastructures lourdes du gaz être détenues demain par un groupe étranger ! Avec ce patriotisme-là, l’internationalisme a bonne mine !

Ensuite, les principes mêmes du service public de l’énergie sont altérés. Depuis 1946, EDF et GDF ont travaillé de façon coordonnée au sein de leurs services communs de distribution, qui comptent 60 000 agents formés pour le service public. Cette structure perd sa raison d’être avec la fusion Suez-Gaz de France.

Elle sera d’ailleurs dépourvue de personnalité morale et ne pourra rester intacte ni résister à la compétition que vont se livrer les deux opérateurs, tant il est compliqué de fournir un même service à deux opérateurs qui se font concurrence. Pour les agents, ce sera un dilemme, un cas de conscience ou une cause de schizophrénie. C’est pourquoi cette structure ne pourra pas durer.

Quant aux communes, dont on n’a pas parlé jusqu’à présent, elles sont propriétaires des réseaux de distribution depuis la Libération. Mais, là encore, le projet crée une situation paradoxale. Elles auront pour concessionnaire non plusieurs opérateurs, mais une entreprise privée en situation de monopole légal.

Enfin, pour rester sur le problème du service public et de la politique énergétique de la France, je veux évoquer l’avenir de l’autre entreprise : EDF. Soyons-en fiers, car il s’agit d’une construction de toutes les majorités qui se sont succédé depuis la guerre. Aujourd’hui, c’est la première entreprise sur le marché européen de l’électricité. Son capital public ne l’a nullement gênée pour assurer son développement, acquérir des entreprises et nouer des alliances. Sur le marché intérieur, elle a su relever, ce qui n’était pas si simple, le défi de la concurrence. C’est une réussite exceptionnelle, qui appelle la fierté de l’ensemble de la représentation nationale. Pourquoi donc, en récompense des loyaux services qu’elle a rendus depuis la Libération, l’État déciderait-il aujourd’hui de lui créer de toutes pièces en France un compétiteur national de statut privé ?

Mme Martine David. Bonne question !

M. François Hollande. Au nom de l’intérêt général, de l’intérêt national, comment justifier la constitution, par l’apport d’une entreprise publique comme Gaz de France à un grand groupe privé, estimable par ailleurs, comme Suez, d’un ensemble industriel dont la vocation même est de réduire la place de l’opérateur public qu’est EDF sur le marché domestique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous prétendez qu’il ne s’agit que de la privatisation de Gaz de France. Non ! Il s’agit aussi de la dévalorisation du capital public contenu dans EDF. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Est-il responsable de priver cette entreprise de la seule possibilité à court terme de proposer une offre complète électricité et gaz, ce que va faire l’autre groupe, enlevant ainsi à EDF l’offre qui lui permettrait d’être la plus performante auprès des consommateurs ? Cette entreprise sera ainsi pénalisée sur le marché domestique comme sur les marchés extérieurs.

Voilà pourquoi il faut refuser votre texte et en proposer un autre, comme nous le ferons à l’occasion des prochaines échéances nationales. Notre projet pourrait s’articuler autour de trois principes.

Il faut tout d’abord élaborer une politique européenne de l’énergie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Francis Delattre. C’est ça, votre plan B ?

M. François Hollande. L’approche européenne du Gouvernement se borne à supposer un choix entre deux entreprises, l’une à capitaux italiens et présentée un temps comme un risque, Enel, l’autre à capitaux belges et français. Telle est sa conception de l’Europe ! Mais quand on sait que la consommation européenne de gaz augmente de 3 % par an et qu’elle est de plus en plus dépendante de ressources extracommunautaires alimentées par des pays fournisseurs – vous les avez cités – organisés sous forme d’oligopole, on se dit que c’est à l’échelle de l’Europe qu’il faudrait constituer des alliances, proposer des regroupements et même imaginer un service public.

En décembre prochain, un « paquet énergétique » sera proposé par la Commission européenne. Voilà ce dont il faudrait débattre aujourd’hui, en saisissant cette occasion pour renforcer la politique européenne de l’énergie. Cette politique doit s’appuyer sur la création d’un véritable régulateur européen capable de dépasser l’application restrictive des règles de la concurrence au niveau de chaque État membre, dont nous avons tous mesuré les conséquences et les dangers, pour prendre en compte un marché de référence à l’échelle européenne.

Mme Martine Lignières-Cassou. Très bien !

M. François Hollande. Les uns et les autres, nous en avons fait l’expérience et, vous avez raison, chacun a pris ses responsabilités. Beaucoup ont pensé que la concurrence pouvait être le seul régime qui prévaudrait en Europe. On en voit l’impact.

Le marché de l’énergie ne peut pas être soumis simplement aux règles de la concurrence. Il s’agit de préparer le long terme et d’affirmer l’avenir. Tirons-en les leçons et proposons ensemble une politique européenne de l’énergie qui permette de donner l’image d’une France non pas repliée sur elle-même, empêchant tel ou tel regroupement ou se méfiant d’une OPA, mais capable de proposer des alliances européennes, des opérateurs européens et une régulation européenne.

Mme Martine David. Très bien !

M. François Hollande. Vous nous avez parlé du sommet de Barcelone. Je vais y revenir. Il faut être simple et clair. Que s’est-il passé à Barcelone, à la veille de l’élection présidentielle de 2002 ? Une négociation européenne sur l’ouverture du marché de l’énergie. Jacques Chirac présidait une délégation dont Lionel Jospin était membre. Tous deux représentaient la France.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Certes ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. À quoi sert l’article 20 de la Constitution ?

M. François Hollande. Je suis heureux de voir que vous défendez à ce point la prééminence du Premier ministre, puisque vous semblez croire que le Président de la République n’avait aucun pouvoir dans cette négociation, ce que, pour ma part, je me refuse à croire. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Là n’est pas l’essentiel. La France a accepté, c’est un fait, l’ouverture du marché de l’énergie pour les entreprises et non pour les ménages, comme cela a été convenu au cours de la négociation. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. C’est faux !

M. Pierre Lellouche. Voilà un gros mensonge !

M. François Hollande. Deux conditions ont été posées.

La première prévoyait une étude d’impact de l’ouverture des marchés, d’ailleurs rappelée dans les directives de 2003. Il a même été affirmé lors de ce sommet, soyez-en coresponsables, qu’il était nécessaire d’adopter une directive cadre sur les services d’intérêt économique généraux. Faute de quoi, l’ouverture des marchés ne pourrait avoir lieu.

M. Pierre Lellouche. C’est décidément un mensonge militant !

M. François Hollande. Or qu’avez-vous décidé en novembre 2002 ? Vous avez accepté cette ouverture pour les ménages, sans condition, sans préalable et sans même cette directive cadre, qui n’a toujours pas été présentée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Le deuxième principe que voudrait affirmer notre projet est la création d’un pôle public de l’énergie. Celle-ci n’est pas un bien comme les autres. Elle engage la souveraineté et l’indépendance d’une nation. C’est un bien nécessaire, indispensable aujourd’hui, pas simplement pour le bien-être, mais même pour la vie.

M. Francis Delattre. Surtout quand on n’en a pas !

M. François Hollande. Quand on affirme que l’énergie est indispensable à l’indépendance nationale et qu’elle doit être considérée comme un bien spécifique, il doit y avoir service public et propriété publique.

M. Francis Delattre. En vertu de quoi ?

M. François Hollande. C’est pourquoi nous proposons la constitution d’un pôle public de l’énergie regroupant EDF et GDF, et permettant ainsi de garantir l’approvisionnement, la distribution et la maîtrise des tarifs.

Des synergies fortes et historiques existent déjà entre les deux entreprises, notamment pour la distribution. C’est le seul moyen pour notre pays de rester maître de sa politique énergétique, et de conserver et garantir aux consommateurs, aux particuliers comme aux entreprises, un service public de qualité avec des tarifs raisonnables.

Au-delà même de cette question, car la politique tarifaire n’a pas nécessairement besoin de tarifs réglementés quand elle est organisée par une entreprise publique, un rapprochement entre EDF et GDF n’est pas contraire aux textes européens. Sans doute contraindrait-il les deux entreprises à abandonner une part de leurs activités, comme Gaz de France sera d’ailleurs obligé de le faire pour fusionner avec Suez et comme cette entreprise sera également contrainte d’abandonner une part de son parc nucléaire en Belgique pour effectuer la fusion avec GDF. Un rapprochement ne serait donc pas sans conséquences.

M. Jean-Marie Geveaux. De quelles conséquences parlez-vous ?

M. François Hollande. Mais, en même temps, un pôle EDF-GDF permettrait de renforcer la position de ces entreprises en France et à l’étranger. C’est pourquoi nous demandons au Gouvernement de solliciter l’avis de la Commission européenne sur la création d’un pôle public qui les rapprocherait.

Le troisième principe que nous posons est celui du maintien du tarif réglementé qui, étant donné l’évolution des prix de l’énergie, est indispensable. Ils représentent un facteur essentiel de la compétitivité des entreprises ; or celle-ci est atteinte aujourd’hui. Par ailleurs, les ménages voient leur pouvoir d’achat entamé depuis plusieurs mois à cause de la hausse de ces prix.

Il faut donc maintenir le tarif réglementé. Et il est indispensable de garantir un droit de retour si un consommateur qui a fait le choix des prix de marché subit une hausse substantielle du coût de l’énergie. C’est la raison pour laquelle des consommateurs comme les hôpitaux, qui peuvent être amenés à réduire l’exécution de certaines missions pour faire face à l’augmentation importante des factures énergétiques, doivent disposer d’un droit à retour.

Je conclus cette motion… (« Enfin ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Cette potion ?

M. François Hollande. Mais je ne clos pas le débat, qui va se prolonger, n’ayez crainte.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Allez-vous rester jusqu’au bout ?

M. François Hollande. Le choix qui est soumis à notre Parlement et, au-delà, à notre pays, est clair. D’un côté, le démantèlement ; de l’autre, le renforcement. D’un côté, l’abandon, c’est-à-dire en l’occurrence la privatisation de Gaz de France ; de l’autre, une volonté, celle d’un pôle public Gaz de France-EDF. D’un côté, le tout-marché, à travers la dérégulation totale ; de l’autre, le service de l’intérêt général.

Voilà pourquoi votre texte est à la fois dangereux et précipité. Dangereux, car il met en cause l’indépendance énergétique. Dangereux, car il altère la sécurité des approvisionnements. Dangereux, car il menace le service public et atteint le pouvoir d’achat des Français. Mais aussi précipité. Rendez-vous compte : nous sommes obligés de siéger en session extraordinaire pour débattre de la privatisation de Gaz de France sans connaître les conditions d’une éventuelle fusion. Précipité, car vous ne savez pas aujourd’hui, une fois que vous aurez privatisé Gaz de France, dans quelles conditions, sous quelle forme et pourquoi vous aurez pris cette décision. Bref, vous nous demandez de voter un projet les yeux fermés.

C’est pourquoi il faut refuser votre texte, attendre l’élection présidentielle de 2007 et laisser les Français décider eux, les yeux ouverts, d’une politique qui doit engager leur avenir et celui des générations futures. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le député, je voudrais vous rappeler une phrase dans laquelle un certain nombre d’entre vous vont se retrouver : « Vous ne pouvez bien vendre du gaz que si vous en produisez. Or Gaz de France ne produit que moins de 10 % de son gaz. Et donc il faudra tôt ou tard qu’il y ait une réforme afin de l’intégrer à un autre gazier. »

M. François Brottes. Mais Suez ne produit pas de gaz ! (« Si ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’était en 2001. La phrase, vous le savez, est de Laurent Fabius. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Cohen. Vous ne savez pas débattre autrement !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. « Tôt ou tard » ? Le moment est venu. Que s’est-il passé depuis ? Le prix du baril de pétrole, vous le savez, monsieur Hollande, a plus que triplé, ce que nul ne pouvait l’anticiper. Tôt ou tard ? Oui, le moment est venu.

Quel est l’honneur d’un homme politique responsable. Est-ce de proférer des erreurs ? Vous le voyez : pour ma part, je préfère ne pas utiliser, contrairement à certains, le mot « mensonges » et je me contenterai de parler d’« erreurs ». Mais je vous réponds, monsieur Hollande : faux, huit fois faux.

Je regrette que vous n’ayez pas, comme beaucoup de vos collègues, pris le soin de venir cet été dialoguer avec moi. Je vous ai tous invités. Nous aurions pu gagner du temps et corriger les huit erreurs que vous avez commises.

Mme Martine David. Quel donneur de leçons !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Première erreur : l’État n’aura plus le contrôle des infrastructures. Faux, monsieur Hollande. Il pourra le faire par la régulation et par l’action spécifique, dont je vous rappelle, car je l’ai déjà signalé tout à l’heure, qu’elle a été approuvée hier par le commissaire McCreevy, qui m’en a avisé par lettre.

Deuxième erreur : on ne connaît pas la part de l’État dans Gaz de France. Faux, monsieur Hollande. Nous voulons garantir la part de l’État à plus de 33 %. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Brottes. Comment vous croire ? Hier, vous « garantissiez » 70 % !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Troisième erreur : nous ne faisons rien contre la hausse des prix de l’électricité. Faux, monsieur Hollande. Nous voulons proposer, par la transposition de la directive, un tarif de retour et nous donnons par ailleurs à EDF les moyens d’investir.

Quatrième erreur : nous créons un concurrent pour EDF. Faux ! Dès lors que la directive s’appliquera le 1er juillet 2007, les concurrents seront là. Vous pouvez le regretter mais, ainsi que l’a excellemment rappelé votre rapporteur, nous avons une part de responsabilité commune dans ce domaine, car nous avons estimé, les uns et les autres, que tel était l’intérêt des consommateurs. Encore une fois, la concurrence s’appliquera de facto le 1er juillet 2007. J’ajoute que Suez est déjà un concurrent d’Électricité de France.

Cinquième erreur : Bruxelles demande la cession des centrales nucléaires de Suez. Faux, monsieur Hollande. Cela n’est nullement demandé…

M. François Hollande. Comment le savez-vous ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.… et n’est pas mentionné dans la lettre de griefs…

M. François Brottes. C’est noirci !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. … que vous pouvez aller consulter dans le bureau du président de la commission des affaires économiques. Celui-ci me dit que vous ne vous y êtes pas rendu, mais vous y êtes le bienvenu, comme l’ensemble des parlementaires.

Sixième erreur : EDF peut s’allier à Gaz de France. Permettez-moi de vous rappeler, monsieur Hollande, que lorsque Gaz du Portugal et Électricité du Portugal ont souhaité s’allier, la réponse de la Commission a été sans appel : c’est tout simplement impossible.

M. David Habib. Et EON ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Enfin, huitième erreur : EDF ne saurait pas faire de gaz. Là encore, c’est faux ! EDF est déjà un important acteur gazier.

Vous estimez par ailleurs qu’il faut maintenir les tarifs réglementés. Eh bien, nous sommes d’accord, monsieur Hollande !

M. François Brottes. Vous ne l’avez pas proposé !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est précisément la raison pour laquelle nous vous demandons de transposer la directive car, sans cette transposition, nous ne pourrions pas le faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je constate donc que nous sommes d’accord avec le groupe socialiste sur un point majeur de la transposition de la directive « énergie ». Comme quoi, monsieur Hollande, quand on est un homme d’État, ou quand on aspire à l’être (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.– Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), l’intérêt général finit toujours, grâce au dialogue et à la discussion, par prendre le dessus.

C’est pourquoi je suis convaincu que, après les effets de manche auxquels on a pu assister ici ou là (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), la raison et le bon sens finiront par l’emporter. Car ce qui nous motive, c’est l’intérêt général et l’intérêt des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. J’ai écouté avec beaucoup d’attention M. Hollande défendre l’exception d’irrecevabilité, qui, selon l’article 91 du règlement, vise à relever les dispositions contraires à la Constitution des textes dont nous débattons. Or il n’a avancé aucun argument de cet ordre Je ne suis donc pas en mesure de lui en opposer d’autres.

Néanmoins, j’ai été surpris, monsieur Hollande, que vous abordiez le sujet sous l’angle de l’autocritique. En effet, les dysfonctionnements que vous avez dénoncés sont la conséquence de décisions qui ont été prises sous la précédente majorité, notamment de la loi de 2000, qui a été votée sans le minimum de précautions qui nous auraient épargné les difficultés que nous connaissons aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Vidalies. Quelles précautions y avait-il dans la loi de 2004 ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Par ailleurs, vous avez cru devoir revenir sur le sommet de Barcelone. Sur ce sujet, permettez-moi de vous rappeler l’extrait de la décision du Conseil européen que j’ai cité tout à l’heure et qui précise que l’orientation fixée à la Commission de Bruxelles consistait à étendre l’ensemble du marché à tous les consommateurs. Comment pouvez-vous affirmer aujourd’hui que des réserves auraient été émises et prétendre que, dans la coulisse, dans l’avion du retour, il aurait été précisé que cela ne s’appliquait qu’à une partie de la phrase incriminée ? Assumez vos responsabilités, monsieur Hollande !

M. François Hollande. Relisez les textes !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Vous avez également souhaité qu’EDF et Gaz de France puissent fusionner. Outre le fait qu’une telle fusion entraînerait – et vous avez bien voulu le concéder – la cession d’un certain nombre d’actifs, pourquoi ne l’avez-vous pas fait lorsque vous étiez au pouvoir ? Ce qui était possible à l’époque – jusqu’en 2002, la Commission n’aurait pas pu, me semble-t-il, s’y opposer – ne le serait plus aujourd’hui, en raison de l’internationalisation des activités d’EDF engagée par François Roussely lorsqu’il en était le président, sauf à démanteler EDF et Gaz de France. Si telle est la politique énergétique que vous voulez proposer aux Français, ce débat aura au moins eu l’utilité de montrer que, dans ce domaine, vous regardez en arrière en proposant des solutions impossibles et complètement dépassées. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

La commission, qui a eu à connaître l’exception d’irrecevabilité –…

M. François Hollande. Non !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. … une feuille de papier parmi tant d’autres – a considéré qu’il fallait la rejeter.

M. le président. Dans les explications de vote sur l’exception d’irrecevabilité, la parole est à M. Luc Chatel, pour le groupe de l’UMP.

M. Luc Chatel. Avec le parti socialiste, ce n’est jamais le moment, ni de transposer la directive sur l’énergie, ni de permettre à Gaz de France de nouer des alliances.

Vous vous contredisez, monsieur le premier secrétaire du parti socialiste,…

Mme Martine David. Ici, il est député, comme vous !

M. Luc Chatel. … en prétendant défendre les consommateurs et en vous opposant à un texte qui leur offre des avancées majeures par rapport à la directive européenne.

M. Alain Vidalies. Qu’en pense Sarkozy ?

M. Luc Chatel. En effet, le projet de loi prévoit la liberté de choix – à laquelle le consommateur est très attaché – entre le marché régulé et le système ouvert à la concurrence. Il prévoit, en outre, le maintien du système tarifaire actuel, que la commission des affaires économiques a souhaité prolonger. Cela signifie que les consommateurs qui choisiraient le système régulé ont des garanties puisque, en vertu de la convention signée entre l’État et EDF, l’électricité n’augmentera pas au-delà de l’inflation au cours des cinq prochaines années. En vous opposant à ce texte, vous vous opposez à cette mesure, comme au tarif social du gaz.

M. François Brottes. Vous aviez voté contre les tarifs sociaux !

M. Luc Chatel. De même que, en 2004, M. Raffarin, alors Premier ministre, avait signé le décret permettant d’appliquer le tarif social de l’électricité – alors qu’aucun décret d’application de la loi de 2000 instaurant ce tarif n’avait été publié –, nous proposons, en tenant compte des conclusions de la commission Durieux, l’instauration d’un tarif social du gaz. D’un côté, vous prétendez défendre le pouvoir d’achat des Français, sur lequel pèserait le coût de l’énergie,…

Mme Martine David. C’est la réalité !

M. Luc Chatel. … et, de l’autre, vous refusez des mesures qui ont pour objectif de réduire les dépenses énergétiques des ménages les plus démunis.

Enfin, vous vous opposez à des dispositions majeures relatives à l’information et à la protection des consommateurs – je pense aux offres précontractuelles, à la démarche commerciale, au contrat, à la facture – qui vont bien au-delà de la directive européenne, permettant ainsi d’éviter les dérives que l’on a pu connaître sur le marché des télécoms ou des fournisseurs d’accès à Internet.

En ce qui concerne Gaz de France, monsieur Hollande, vous offrez décidément l’image d’un parti hors du temps et hors du monde actuel, lequel est marqué par une croissance forte, par un besoin d’énergie croissant et par la restructuration de nombreux groupes. C’est vrai, monsieur Hollande, depuis 2004, les choses ont évolué.

M. François Brottes. C’est la rupture !

M. Luc Chatel. Si la multiplication par trois du prix du pétrole et la restructuration de tant de groupes au niveau mondial vous paraissent anodines, nous, nous considérons qu’être responsables, c’est être réactifs et s’adapter en tenant compte de l’environnement mondial. Votre immobilisme condamnerait cette entreprise et coûterait cher aux consommateurs et aux salariés de GDF.

Mme Martine David. C’est vous qui condamnez GDF !

M. Luc Chatel. Je souhaite à mon tour vous rafraîchir la mémoire, monsieur Hollande. Il est vrai que le sommet de Barcelone s’est tenu le 16 mars 2002, à une époque où M. Jospin n’avait pas un programme socialiste. Mais, même si vous avez réduit son rôle à celui d’officier d’ordonnance du Président de la République (Sourires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), il a tout de même déclaré, à l’issue de ce sommet : « Nous avons accepté d’entrer dans le processus d’une libéralisation maîtrisée et progressive. »

M. François Brottes. Maîtrisée ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Luc Chatel. Nous avons appris, il y a quelques jours, de la bouche de M. Jospin que vous l’aviez renié une première fois en refusant la réforme des retraites. Aujourd’hui, vous le reniez en quelque sorte une deuxième fois, et nous ne doutons pas que, dans les jours qui viennent, vous saurez le renier une troisième fois sur d’autres sujets. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Je pourrais également citer M. Fabius qui, avant sa période ATTAC, était, en 2001, dans sa période blairiste. Lorsqu’il était le plus libéral des ministres socialistes de l’économie, il affirmait, perspicace, sur les ondes d’une grande radio nationale, qu’il n’y avait pas de consensus sur ce sujet au sein de la majorité plurielle, mais que l’on allait essayer de le chercher et que, tôt ou tard, la réforme de Gaz de France aurait lieu parce que c’était l’intérêt des salariés et des usagers. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je pourrais encore évoquer M. Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l’économie et des finances qui, sur ce sujet, n’a, c’est vrai, guère changé d’avis. Dans son livre publié en janvier 2002, il indiquait que le changement de statut d’EDF et l’ouverture de son capital étaient compatibles avec le maintien des missions de service public et que la part résiduelle de l’État devrait être suffisante pour assurer un ancrage incontestable, sans pour autant graver dans le marbre le seuil des 50 %. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Nous avons bien compris, monsieur Hollande, que vous vous livrez aujourd’hui avant tout à un exercice à usage interne.

M. Alain Vidalies. Et vous donc !

M. Luc Chatel. Mais nous avons aussi cru comprendre que pour vous, monsieur Hollande, la route s’annonçait longue et la pente très forte.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Parlez plutôt du texte !

M. Luc Chatel. Selon la presse de ce matin, il semble que certaine « créature » vous échapperait. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Je crois qu’en réalité, c’est le courage et la responsabilité qui vous échappent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Sur le vote de l'exception d'irrecevabilité, je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Dans la suite des explications de vote, la parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe des députés-e-s communistes et républicains.

M. Daniel Paul. Monsieur le ministre, je vous ai entendu affirmer il y a quelques instants que vous étiez décidé à faire en sorte que la part de l’État dans le nouveau groupe résultant de la fusion ne descende pas en dessous des 34 % annoncés par le texte. Mais quelle confiance peut-on accorder à une telle promesse, alors que votre prédécesseur nous avait juré la main sur le cœur – et avait même écrit – que la part de l’État dans le capital de Gaz de France ne descendrait jamais en dessous de 70 % ? À mon sens, aucune, monsieur le ministre.

Je voudrais poser un certain nombre de questions suite à l’intervention du rapporteur au sujet de la proposition d’amendement de l’UMP relative aux entreprises qui ont quitté le tarif régulé pour choisir le marché dérégulé. Que se passera-t-il si, au bout de deux ans, les prix du marché ont poursuivi leur augmentation ? Selon cet amendement, les entreprises qui auront connu un passage au purgatoire avec une augmentation de 30 % pendant deux ans seront bien contraintes de revenir aux tarifs alors en vigueur, même si ceux-ci ont continué de progresser. Qui réglera le manque à gagner pour les fournisseurs qui se verront empêchés de respecter les engagements pris auprès des actionnaires ? M. Cirelli, par exemple, s’est engagé à ce que les bénéfices à partager entre les actionnaires atteignent non plus 1,7 milliard d'euros comme en 2005, mais 2 milliards d'euros pour 2006. Si cet objectif ne peut être atteint, il faudra bien compenser d’une façon ou d’une autre !

La solution que vous avez trouvée consiste à faire payer les producteurs d’électricité nucléaire et hydraulique, c’est-à-dire essentiellement EDF. Mais on peut s’attendre à ce qu’eux non plus n’aient guère l’intention de subir les conséquences d’une décision qui n’est pas de leur fait. Au bout du compte, qui paiera, sinon les consommateurs individuels et familiaux, les petites et moyennes entreprises ?

Ce n’est pas au moment où les enjeux sont si élevés, du fait de la raréfaction des ressources fossiles et de l’effet de serre, qu’il faut brader, comme vous le faites, l’outil national gazier et sans doute bientôt électrique. Votre choix dogmatique contribuera à l’augmentation des prix puisque, comme cela transparaît sans ambiguïté dans la lettre de griefs de la Commission européenne – dont nous nous efforcerons d’analyser la teneur tout au long de ce débat, en dépit des efforts que vous déployez pour nous en empêcher –, le libre jeu de la concurrence suppose cette augmentation.

Votre choix antiéconomique, contraire aux intérêts des familles et des entreprises, l’est également à l’intérêt national. Sous le prétexte d’une possible OPA sur Suez, vous privez notre pays d’un formidable outil public en privatisant Gaz de France, dont vous minimisez d’ailleurs sans vergogne l’importance pour justifier la fusion, présentée comme la création d’un géant. Nous aurons l’occasion de démontrer la fausseté de cet argument.

À l’évidence, monsieur le ministre, il s’est passé quelque chose depuis le mois de juillet. Alors que vous aviez initialement prévu une « action spécifique », voilà que trois sont maintenant annoncées. N’est-ce pas parce qu’entre-temps, la Commission européenne vous ayant adressé sa communication de griefs, les menaces se sont précisées, notamment sur l’activité transport de Gaz de France ? Il faudrait protéger l’intégralité des activités de l’entreprise, et ce n’est, hélas, pas l’existence d’une golden share – d’une « action spécifique », pour parler français – qui pourra y changer grand-chose.

Nous voterons bien évidemment cette exception d’irrecevabilité. Nous sommes partisans d’une autre politique énergétique pour notre pays – le référendum du 29 mai a montré que d’autres voies étaient possibles – et appelons à une renégociation des traités et des directives qui conduisent aujourd’hui à une libéralisation dangereuse du secteur de l’énergie et à la privatisation d’outils essentiels à la nation. Nous sommes, enfin, partisans d’une maîtrise publique intégrale d’EDF et de GDF car nous considérons que l’énergie n’a pas vocation à nourrir les dividendes. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Balligand, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Pierre Balligand. Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas, comme vous venez de le faire, balayer d’un revers de main les arguments développés par François Hollande lors de sa présentation de l’exception d’irrecevabilité. Nous avons entendu les huit arguments que vous avez avancés en réponse et nous aurons l’occasion d’y revenir, qu’il s’agisse des infrastructures, du seuil de 34 % ou des tarifs de retour.

Pour l’instant, je me limiterai à un seul point. Puisque vous avez parlé de la déréglementation européenne, je vais vous lire un passage du compte rendu du conseil européen « Transports, télécommunications et énergie » qui s’est tenu à Bruxelles le 25 novembre 2002. Il y est dit que « l’accord prévoit la libéralisation des marchés de l’électricité et du gaz pour les clients non résidentiels au plus tard le 1er juillet 2004 et une ouverture complète pour tous les clients au plus tard le 1er juillet 2007. » Je rappelle que c’est Mme Fontaine qui était alors ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargée de l’industrie. Si vous aviez à redire, c’était alors qu’il aurait fallu le faire, plutôt que de nous intenter des procès au sujet du sommet de Barcelone ! Nous aurons l’occasion d’en reparler mais il n’est pas inutile de produire les documents qui démontrent votre mauvaise foi – celle, par exemple, dont a fait preuve tout à l’heure le rapporteur de la commission des affaires économiques dans une intervention qui n’avait pas la hauteur de vue suffisante (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire). Vous limiter, sur un sujet aussi important, à évoquer des problèmes de politique interne, n’était pas à la hauteur de la représentation nationale d’un pays comme le nôtre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Henri Emmanuelli. M. Balligand a raison !

M. Jean-Pierre Balligand. Je rappelle que le groupe socialiste avait demandé dès le 11 avril la constitution d’une commission d’enquête relative au projet de fusion entre Gaz de France et Suez,…

M. Yves Nicolin. Baratin !

M. Jean-Pierre Balligand. …convaincu que d’autres réponses étaient possibles que celle que le Gouvernement tente aujourd’hui d’imposer au Parlement.

Je comprends, monsieur le rapporteur, que vous ayez argumenté avec une telle outrance. Celle-ci n’avait d’autre objet que de faire oublier vos prises de position, pas si anciennes, mais fort différentes, sur le sujet. Et vous n’étiez pas le seul à l’UMP à penser différemment !

J’ai assisté cet été aux auditions par la commission des affaires économiques de M. Gadonneix et de M. Cirelli. Mais je suis aussi membre de la commission des finances dont le président, Pierre Méhaignerie,…

M. François Hollande. Un saint homme ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Balligand. …déclarait le 30 août dernier : « Je suis perplexe sur ce projet. Il est patent que la CRE n’a pas fait preuve d’une réelle autonomie. Il est regrettable que l’option présentée par Jean-Claude Lenoir et Patrick Devedjian, prévoyant une séparation des infrastructures de réseaux de GDF, n'ait pas été retenue. Il ne faut pas se cacher le problème qui se pose concernant les infrastructures de transport. » Le président Méhaignerie ne saurait être considéré comme un franc-tireur patenté, mais jouit au contraire d’une certaine autorité, me semble-t-il, au sein de l’UMP.

Une autre citation, extraite de la même réunion : « Comment le Parlement peut-il se prononcer sur une fusion qui devra être assortie de contreparties dont on ne connaît pas la teneur ? Peut-être se trouvera-t-on même dans l’impossibilité de respecter le seuil de 34 % de détention par l’État du capital de GDF ». Ce n’est pas la gauche qui a tenu ces propos, mais l’un de vos collègues.

Une troisième citation, enfin, toujours tirée de la réunion du 30 août : « Un autre problème est celui de la cohérence de la démarche de l’actuelle majorité, qui revient sur la position qu’elle avait adoptée il y a dix-huit mois, à la fois sur la question de la fusion multi-énergies et sur la question du seuil de détention publique d’EDF et de GDF. » Un peu de sérieux, mes chers collègues : en moins d’un mois, vous modifiez radicalement votre position, sans craindre de faire le grand écart !

M. Henri Emmanuelli. Ils en ont l’habitude !

M. Jean-Pierre Balligand. Au bout du compte, rien n’est sûr en cette affaire.

Premièrement, la décision de la Commission européenne n’est pas connue et ne le sera pas avant novembre, alors que son avis est décisif pour la faisabilité de l’opération.

Deuxièmement, le périmètre définitif de la fusion n’est pas connu, alors que s’annoncent des cessions industrielles majeures et que les salariés, notamment ceux de Suez, sont très inquiets.

Troisièmement, les conditions financières exactes de la fusion ne sont pas connues, étant précisé que la parité invoquée à l’origine, à savoir une action Gaz de France pour une action de Suez – l’un des points sur lesquels portait notre demande de commission d’enquête du 11 avril –, est une totale mystification qui n’a que trop duré. De nouvelles conditions sont à l’étude, plus coûteuses pour l’État et dont nous ignorons tout au moment où nous examinons ce texte.

En dépit de toutes ces inconnues, on nous demande aujourd’hui d’approuver les yeux fermés la privatisation de Gaz de France, fleuron du secteur énergétique français, et cela six mois avant la fin de la législature, deux ans seulement après l’engagement solennel de Nicolas Sarkozy que jamais la part de l’État ne descendrait en dessous de 70 % dans le capital de l’entreprise, et sans que jamais Dominique de Villepin ait évoqué ce projet dans son discours de politique générale ni le Président de la République dans son programme présidentiel.

Votre projet ne traduit pas seulement un mépris de la Constitution, dont le préambule dispose que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » Il ne traduit pas seulement un mépris du Parlement appelé à statuer à l’aveuglette et dans la précipitation sur une redistribution majeure du secteur énergétique. Il traduit également un mépris inadmissible à l’égard des Français, tous consommateurs de gaz et d’électricité, auxquels vous préparez des lendemains qui déchantent, avec des tarifs qui vont exploser comme c’est déjà le cas pour les industriels depuis le 1er juillet 2004. C’est pourquoi il est temps, chers collègues de vous ressaisir et de revenir à vos positions d’il y a quelques mois ou quelques jours, en votant cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe UDF.

M. Jean Dionis du Séjour. Avec cette intervention, l’UDF entre sur le terrain et va toucher ses premiers ballons en douceur. Il est question ici d’irrecevabilité s’agissant d’un texte qui comporte finalement deux projets sur lesquels l’UDF a des avis très divergents. Elle est en effet favorable à la transposition des deux directives européennes. L’ouverture à la concurrence des marchés de l’électricité et du gaz est constitutionnelle. C’est le minimum syndical. Cela nous renvoie d’ailleurs aux traités signés par la France et pour lesquels nous avons pris du retard.

En outre, l’UDF ne veut pas d’une transposition honteuse. Elle estime qu’il est bon notamment de prévoir un espace juridique commun.

M. Henri Emmanuelli. Nous avons vu vos amendements en commission !

M. Jean Dionis du Séjour. En revanche, et nous aurons l’occasion d’y revenir, l’UDF est contre la privatisation de GDF telle qu’elle est proposée. Sur le strict plan constitutionnel, force est cependant de constater qu’il s’agit d’une modification simple de la loi de 2004, dont le Conseil d’État a du reste confirmé le caractère constitutionnel.

L’UDF tient donc à ce que le débat ait lieu. Elle veut un débat de qualité, sans caricature, sans ces 137 000 amendements, dont la plupart sont d’ailleurs d’une débilité insondable (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et qui conduisent au cercle vicieux obstruction-application de l’article 49-3.

Sur le fond, nous partageons quelques points d’accords avec les analyses de M. Hollande. L’UDF affirmera notamment son attachement à une participation de l’État d’au moins 50 % dans le capital de GDF. Cela fondera notre vote. Par contre, l’apologie nostalgique de la solution EDF-GDF nous a quelque peu attristés. Il fallait le faire quand il en était temps. Il ne sert à rien d’y revenir à présent. L’évaluation à laquelle il a été procédé montre que le tiers environ des actifs d’EDF serait réclamé en cession. Si quelqu’un compte le faire, qu’il le dise…

En conclusion, l’UDF ne votera pas cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix l'exception d'irrecevabilité.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

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M. le président. Le scrutin est ouvert.

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M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 3201, relatif au secteur de l’énergie :

Rapport, n° 3278, de M. Jean-Claude Lenoir, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,

Avis, n° 3277, de M. Hervé Novelli, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)