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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du vendredi 8 septembre 2006

4e séance de la session extraordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. MAURICE LEROY,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

énergie

Suite de la discussion,
après déclaration d’urgence,
d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au secteur de l’énergie (nos 3201, 3278).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, monsieur le ministre délégué à l’industrie, mes chers collègues, la question énergétique a longtemps été considérée comme une affaire de spécialistes scientifiques et économiques. Aujourd’hui encore, on incline à considérer ce problème comme subsidiaire. On voudrait surtout retenir son incidence sur l’environnement et en matière d’effet de serre. Si cet aspect est de première importance, l’énergie n’en est pas moins devenue avant tout, depuis ces dernières années, une dépense primordiale dans le budget des ménages, ce qui alimente les inquiétudes pour l’avenir et les incertitudes quant à notre approvisionnement futur.

La privatisation de GDF, doublée de sa fusion avec Suez, constitue, au plus mauvais moment, une remise en cause de principes fondamentaux d’organisation économique qui ont fait la preuve de leur efficacité dans notre pays. Alors que de nouveaux défis justifient le maintien, voire l’accroissement à l’avenir, de l’intervention des pouvoirs publics, l’État se verrait privé d’un outil essentiel pour peser sur des tendances économiques qui, de ce fait, nous échapperaient. Il conviendrait au contraire d’enrayer ce processus de privatisation dont, à l’évidence, la prochaine étape sera la privatisation d’EDF, fantasme absolu des économistes et des politiciens de droite dans ce pays.

Non seulement le projet qui nous est soumis va démanteler GDF en tant qu’entreprise publique, mais la collectivité nationale, les pouvoirs publics, le Gouvernement, le Parlement se verront dépouillés d’un instrument essentiel pour fixer notre politique énergétique. Cette décision est donc particulièrement inopportune et va à contresens des exigences de l’heure en matière de sécurisation de nos approvisionnements gaziers. Si elle est confirmée, elle représentera une menace directe pour les citoyens et pour les entreprises.

Le nouveau paysage énergétique mondial qui est en train de se dessiner appelle des politiques publiques fortes et volontaristes.

Les tensions sur les approvisionnements sont marquées par l’interdépendance de toutes les formes d’énergie. La demande mondiale d’énergie primaire – pétrole, gaz naturel, charbon, hydroélectricité, électricité nucléaire – connaît une augmentation constante, particulièrement forte depuis dix ans. Ce rythme recouvre néanmoins des différences considérables : l’augmentation est modérée dans les pays de l’OCDE, explosive dans les pays émergents, notamment en Chine.

Toutes les énergies connaissent des tensions sur les prix. Ainsi, le prix moyen du pétrole – bien que la consommation mondiale ait finalement peu augmenté – a fait un bond de 40 % en 2005 et se rapproche aujourd’hui des records observés lors du second choc pétrolier. L’insuffisance de la production et du raffinage ainsi que la spéculation représentent des menaces géopolitiques qui échappent à l’autorité des États.

Le charbon est l’énergie dont la consommation croît le plus rapidement dans le monde. Cette évolution, surprenante pour les Français, est particulièrement remarquable pour la production d’électricité, où le charbon se substitue au fioul. La consommation de ce minerai est forte aux États-Unis et en Allemagne, et elle s’est beaucoup accrue en 2005 en Chine, au Canada, en Argentine, en Inde… Les prix augmentent en conséquence. Cette tendance est particulièrement défavorable, nous en convenons tous, à la lutte contre l’effet de serre. En ce domaine, la volonté politique manifestée dans le protocole de Kyoto s’efface, comme souvent, devant le poids du marché.

Le gaz naturel, dont la consommation a, elle aussi, augmenté modérément, est surtout demandé en Chine et en Inde. Grâce aux améliorations technologiques, cette énergie est de plus en plus sollicitée pour produire de l’électricité. Son transport est facilité par le développement du gaz naturel liquéfié. Quant aux prix, ils suivent la même tendance à la hausse que ceux du pétrole. Dans l’Union européenne, ils ont augmenté tant pour les ménages que pour les industriels.

Ces tendances négatives justifient que les pouvoirs publics préservent, quand ils en ont les moyens, leur contrôle sur un marché aussi erratique. Dans un contexte à ce point perturbé, la déréglementation, la privatisation, le marché sans contrôle ne représentent pas l’alpha et l’oméga de la politique énergétique des grands pays : les États-Unis, contrairement à une idée reçue, n’ont absolument pas généralisé la déréglementation sur tout leur territoire. Seuls quelques États : l’Indiana, le Texas, l’Arizona, et l’Oregon, ont totalement ouvert leur marché électrique à la concurrence ; les autres ont retardé, suspendu ou abandonné le processus.

L’objectif d’uniformisation des prix de l’énergie dans l’Union européenne est sans équivalent dans le monde. Aux États-Unis, les disparités sont parfois importantes entre États, les tarifs pouvant varier du simple au double. En Europe, l’uniformisation des prix est un objectif bureaucratique de Bruxelles, défavorable aux consommateurs français dans la mesure où notre parc électronucléaire constitue pour le pays un avantage concurrentiel que nous ne devons pas sacrifier.

Contrairement au discours faussement enthousiaste des partisans de la privatisation et des thèses libérales, l’éligibilité des consommateurs domestiques à la concurrence n’a représenté aucun progrès. Je ne prendrai qu’un exemple : dans son rapport de juin 2006, l’autorité fédérale de régulation américaine constate que l’ouverture à la concurrence de la distribution d’électricité aux ménages dans sept États parmi les plus importants, dont l’État de New York, la Pennsylvanie, l’Illinois et le Texas, n’a accru ni l’offre de distribution ni la gamme d’options et de services, et qu’elle a fait augmenter les prix. Un bilan pluraliste et complet de la déréglementation du secteur électrique dans l’Union européenne serait donc indispensable pour éclairer le débat.

Les entreprises publiques sont à la base de la compétitivité industrielle et du niveau de vie.

L’énergie, notamment l’électricité et le gaz, n’est pas un produit commercial ordinaire. Il n’en va pas de ces ressources comme des autres produits. De la même manière que le pain avait acquis une valeur symbolique aux xviiie et xixe siècles, l’électricité et le gaz sont aujourd’hui des ressources de première nécessité, indispensables à la vie. Elles sont primordiales à la fois pour la production industrielle et pour le porte-monnaie de la ménagère : elles conditionnent la compétitivité industrielle et permettent, par les avantages qu’elles apportent à l’heure actuelle, que nos produits soient concurrentiels sur le marché ; elles ne pesaient pas, jusqu’à présent, sur les dépenses des ménages et restaient neutres dans l’évolution du coût de la vie, mais l’effacement de l’État entraînera une aggravation des dépenses domestiques en ce domaine.

Des investissements considérables sont nécessaires dans les années à venir : réseaux de distribution, centrales nucléaires, dépenses pour la recherche géologique et la recherche fondamentale… Ces investissements supposent une volonté publique allant bien au-delà du souci qu’ont les dirigeants d’entreprise de rémunérer l’actionnaire. Ils sont hors de portée pour le secteur privé, qui n’a qu’une vision myope de l’avenir et ne sait pas porter son regard au loin : le libéralisme militant aujourd’hui abandonné dans les pays anglo-saxons en a produit l’amère expérience et il n’est pas inopportun, messieurs les ministres, d’évoquer ici les ponts qui s’écroulent, les routes défoncées, mal entretenues, les trains qui déraillent, l’investissement public à l’abandon aux États-Unis et au Royaume-Uni.

L’énergie est plus que jamais une variable stratégique. Si les économies d’énergie sont, à n’en pas douter, une dimension primordiale de ce dossier, on se gardera toutefois de tirer argument de ce constat pour évacuer le débat sur les investissements énergétiques colossaux qu’il faudra faire dans les années à venir : selon l’Agence internationale de l’énergie, ceux qui sont à réaliser dans le monde d’ici à 2030 sont véritablement gigantesques !

Dans les pays développés, en particulier en France, il s’agira de renouveler ou de moderniser les installations - centrales électriques et réseaux de transport et de distribution – et d’accroître la part du gaz naturel et des énergies sans carbone. À partir des années 2015 se posera de façon récurrente le problème du renouvellement de nos centrales nucléaires, qui ont été construites durant la même période, à partir des années 1970. Par ailleurs, si l’on veut créer des sources d’énergie sans carbone, on ne peut se payer de mots : il faut savoir que les investissements seront colossaux et nécessiteront des crédits sur le long ou le très long terme.

Le secteur privé croit pouvoir répondre aux besoins d’investissement par des augmentations de prix, mais ces augmentations, si elles ne sont pas lissées par la collectivité publique, viendront s’ajouter de manière brutale aux augmentations de prix des matières premières, elles-mêmes amplifiées par la spéculation. À un univers énergétique où la collectivité publique joue un rôle de solidarité et d’approche des dossiers difficiles sur le long terme, risque de se substituer un univers plus brutal où régnera la loi du plus fort, imposée par celui qui aura le moyen de payer cher une énergie que notre imprévision aura rendue incertaine.

Seul un service public fort, maintenu dans ses prérogatives, peut assurer des évolutions tarifaires maîtrisées. S’il est vrai que l’on ne peut tout contrôler, notamment le marché international des matières premières – nous sommes bien d’accord sur ce point –, il est tout aussi clair que seules des entreprises publiques peuvent développer dans la durée des partenariats avec des entreprises d’extraction et d’exploitation contrôlées par d’autres États et obtenir des contrats d’approvisionnement de long terme.

C’est tout le travail que, dans le domaine du gaz, l'entreprise publique GDF a fait avec intelligence depuis de longues années. Les entreprises soumises aux volontés étatiques de la Russie ou de l’Algérie que sont Gazprom et Sonatrach, ne sont pas sur le marché des entreprises capitalistes ordinaires : elles obéissent, c’est vrai, à la loi du profit et à la nécessité de rémunérer les actionnaires, mais elles sont également dépendantes de la volonté politique des appareils d'État qui les contrôlent. Seules des entreprises publiques, qui ne sont pas soumises à la tyrannie des marchés financiers mais adossées à la volonté politique d'une nation, peuvent faire face aux enjeux de l'avenir.

Alors qu’en dépit des aléas mondiaux, les tarifs du gaz restent compétitifs en France, la privatisation entraînera leur dégradation, provoquant la fuite vers l'étranger des industries électro-intensives et gazo-intensives, comme M. Beffa, président de Saint-Gobain – un proche de vous, monsieur le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie –, en a crûment agité la menace, résumant la pensée de beaucoup de ses homologues.

De même qu'une politique industrielle suppose la maîtrise des marchés et des investissements gaziers, une politique d'aménagement du territoire digne de ce nom suppose qu'on conserve la maîtrise des décisions relatives aux investissements en matière de réseau gazier. Le ministre de l'aménagement du territoire, porté qu’il est à faire du spectacle sur les estrades politiciennes, ne s’est pas beaucoup inquiété de ce dossier. Il est vrai que cet élu de la Côte d’Azur croit plus aux rapports de force qu'à une politique de solidarité territoriale. Or Gaz de France a, depuis des décennies, réalisé de manière remarquable des réseaux en des points souvent peu rentables en eux-mêmes. Alors même que GDF n'a pas, comme EDF, des obligations de service public, nombre de territoires ruraux ou de banlieues éloignées, aidés par des clients plus prospères ou par les industries, ont ainsi bénéficié du raccordement au réseau gazier.

La réalisation du réseau de centrales nucléaires en France est une parfaite illustration du bon usage d'une entreprise publique. J’observe, du reste, que la politique d'investissement public d'EDF a été permise par les lois de 1946, voulues par la gauche avant d’être reprises par le pouvoir gaulliste qui restait, dans le passé, imprégné de la volonté de service public héritée de la Libération. D'autres pays dans le monde n'ont pas eu cette ressource et l'endettement massif garanti en son temps par l'État au profit d’EDF n'a pas été possible ailleurs. L'existence d'un grand service public a été pour notre pays une force dont bénéficient les générations actuelles. De la même façon, pour le gaz, le développement d'infrastructures exhaustives requiert l'investissement public en raison des coûts d'infrastructures en matière non seulement de réseaux de transport et de capacités de stockage, mais également de distribution, afin de continuer à tisser un réseau de desserte étendue des territoires dans des conditions de sécurité maximales et donc bien contrôlées.

Le raisonnement de ce gouvernement est, hélas, marqué par une contradiction majeure : alors que, nous dit-on, le gaz naturel est une voie d'avenir pour la production d'électricité, on laisserait pourtant à l'initiative privée le soin de choisir les modalités précises du développement de centrales électriques au gaz. Le gaz ne serait-il intéressant que parce que le temps de retour de l'investissement est, d'ailleurs provisoirement, plus réduit ?

Qui sera à même de mieux assurer le développement des usages du gaz naturel et qui aura la capacité d'endettement la plus importante : GDF, entreprise publique ou GDF-Suez, entreprise privée ? À ces questions, les socialistes répondent qu'il faut continuer à faire confiance au service public. Vous dites au contraire, sans l'assumer explicitement, que notre avenir énergétique doit désormais passer sous la coupe des capitaux privés.

Enfin, la fusion GDF-Suez que vous annoncez privera l'État d'un instrument d'intervention essentiel. En effet, le nouveau groupe GDF-Suez n'atteindra pas, contrairement à ce que dit le Gouvernement, la taille critique en tant qu'acheteur. Certes, on entend affirmer que ce nouvel ensemble industriel sera le premier acheteur et le premier fournisseur de gaz naturel en Europe avec 20 %, soit un cinquième, du marché européen. Mais, en face, Gazprom et Sonatrach, contrôlés, je le répète, par leurs États respectifs – Russie et Algérie –, fournissent à eux seuls le tiers du gaz naturel consommé dans l'Union européenne tout en obéissant à des stratégies politiques d'État.

Le vrai remède à la relative faiblesse de GDF réside dans sa capacité à accroître sa production autonome de gaz naturel, ses réserves propres ne représentant à l’heure actuelle que 3 % de son approvisionnement. Suez, pour sa part, dépend étroitement de ses fournisseurs, même si ses achats comportent une part de gaz naturel liquéfié, le GNL, plus importante.

La constitution d'une nouvelle entité dominée par les capitaux privés modifiera considérablement le rôle de l'État en matière gazière. Comme on l'a constaté à propos d'EDF, une part minoritaire de capital privé dans une entreprise publique d'énergie suffit à changer radicalement sa gouvernance. Les dirigeants de l'entreprise ne prennent plus leurs décisions qu’en vue de complaire aux détenteurs de capitaux privés. Alors que les actionnaires privés recherchent une rémunération maximale de leur apport en capital à travers l'augmentation des profits et la distribution des dividendes, l'État n'a pas les mêmes priorités : il privilégie l'intérêt général notamment par le lissage dans le temps des évolutions des coûts des fournitures, la vente du gaz au prix le plus bas possible ou le souci du long terme, lequel commande un renouvellement programmé des équipements de production et de transport et nécessite des investissements sur les réseaux.

Or pour gérer sa dette, l'État devra faire face à une contradiction insoluble puisqu’il ne contrôlera plus l'entreprise, qui aura comme objectif la maximisation de sa valeur boursière.

M. François Brottes. Exactement !

M. Christian Bataille. À partir du moment où l'État ne décide plus, sa participation financière perd beaucoup de son sens et il pourrait décider de vendre ses participations afin de diminuer sa dette publique – l’un de nos collègues de la majorité s’est, à cette tribune, clairement prononcé en ce sens. Le détricotage du secteur public de l'énergie ne fera plus que s’accélérer alors qu’un tel secteur représentait un atout compétitif pour notre pays.

Je le répète : les décisions du pouvoir politique et ses moyens d'intervention seront limités ou fragilisés et le contrôle des pouvoirs publics sur les prix, jusqu'alors traduit par des décisions gouvernementales, disparaîtra. C'est le porte-monnaie de la ménagère qui pâtira le premier de cette liberté tarifaire dont disposera une entreprise conduite par des intérêts privés. Sur un autre plan, l'État avait, par contrat, fixé à GDF des objectifs, notamment la rénovation du réseau en fonte grise vétuste et dangereux : le respect de ces objectifs sera, à n’en pas douter, plus difficile.

Je l’ai dit, l'État ne disposera plus d'une autorité suffisante pour faire prévaloir l'intérêt général au sein de la nouvelle entité. Or l'exemple d'EDF, certes détenu à 80 % par l'État mais dont le pilote économique est la part de capital privé, nous montre qu’on tire prétexte du financement de l'investissement à venir pour justifier les hausses de prix, ce qui est un mensonge, je ne crains pas de l’affirmer ! Ce mensonge, du reste, ne vient pas du Gouvernement mais du principal dirigeant d’EDF. J'ai en effet démontré que l'allongement de la durée de vie des centrales nucléaires au-delà de leur délai de financement de trente ans constitue une rente. On peut donc affirmer que les centrales deviennent, dans la seconde partie de leur existence, de véritables vaches à lait pour les bénéfices, lesquels seraient réinvestis par une entreprise publique mais seront hélas, il faut le craindre, transformés en dividendes par les dirigeants actuels. Dans une entreprise où l'État n'aurait plus que la minorité de blocage – ce que vous proposez –, il perdrait tout moyen de contrôle sur les prix. Comme l'ont rappelé mes collègues socialistes, la véritable réponse est un pôle public fort EDF-GDF.

Décidément, 2006 risque de rester dans l'histoire une année calamiteuse pour la grande industrie française.

M. François Brottes. Absolument !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. C’est excessif !

M. Christian Bataille. Dans le domaine de la sidérurgie, ARCELOR, produit pour partie de l'effort de la nation, est passé sous le contrôle de forces financières qui ignorent l'intérêt général et encore plus l'intérêt national.

M. François Brottes. C’est vrai !

M. Christian Bataille. Dans le domaine de l'énergie, Gaz de France passera sous le contrôle de groupes financiers dont le souci ne sera plus notre sécurité d'approvisionnement, le contrôle des prix ou la lutte contre l'effet de serre.

M. François Brottes. C’est la stricte vérité !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Qui était le rapporteur de la loi de 2000 qui a ouvert le marché de l’énergie ? M. Bataille !

M. Christian Bataille. Pourtant, les contraintes d'approvisionnement en énergie n'ont jamais été aussi lourdes et les prix mondiaux aussi incontrôlables. Le Gouvernement prétend adapter notre économie à cette nouvelle donne : en réalité, il fait le contraire en démantelant un à un des instruments de politique énergétique qui restaient pertinents et avaient fait leurs preuves depuis plus de soixante ans.

Après avoir vécu sur les acquis d'une politique de service public planificatrice qui fonde notre originalité dans un contexte européen de laisser-faire, l'actuelle majorité de droite…

M. Jean-Pierre Kucheida. D’ultra-droite !

M. Christian Bataille. …s'apprête à accélérer la libéralisation du marché de l'énergie.

Ce choix politique laissera nos concitoyens sans recours face aux errements du marché mondial. Des propositions cohérentes et l'affirmation du rôle de la puissance publique doivent, au contraire de ce que fait votre majorité, rétablir la confiance de la population et des milieux économiques dans un contexte instable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Daniel Paul. L’Européen !

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'objet du présent texte est double : achever la transposition française des directives relatives à l'ouverture des marchés de l'énergie et autoriser la privatisation de Gaz de France dans la perspective du projet de fusion Suez-Gaz de France. Nous regrettons que ces deux objectifs majeurs aient été rassemblés en un seul texte car, pour l'essentiel, ce sont deux enjeux distincts sur lesquels nos appréciations sont très différentes et, pour tout dire, opposées, ce que notre vote final ne pourra malheureusement que fort mal exprimer.

Nous souhaitons une transposition complète et audacieuse des deux directives européennes, lesquelles, arrêtées par le Parlement européen et par le Conseil européen, c'est-à-dire par nos représentants dans cette instance, le 26 juin 2003, prévoient que tous les consommateurs européens devront pouvoir choisir librement leurs fournisseurs d'électricité et de gaz à partir du 1er juillet 2007.

L'UDF porte dans ses gènes le projet européen : il est sa signature. C'est vrai pour les grands combats de la construction européenne, mais c'est également vrai pour la construction de l'Europe du quotidien. Au sein de cette assemblée, nous souhaitons être les militants de l'Europe du quotidien, car c'est pour nous un objectif majeur de construire un espace juridique commun grâce à la meilleure transposition possible des directives européennes dans nos législations nationales, de même que c'est pour nous un objectif majeur d'organiser un marché intérieur commun, où chacun peut circuler, travailler et s'installer librement et où les marchandises peuvent s'échanger dans le cadre d'une concurrence de plus en plus loyale.

C’est pourquoi l'UDF soutiendra évidemment les articles 1er à 9 du texte, nos amendements sur cette partie visant uniquement à combler les lacunes du projet, là où il transpose "petits bras" et "les pieds sur le frein". En effet, pour l'UDF, le modèle européen, tel qu'il s'est construit au cours des cinquante dernières années et tel que les directives le prévoient présentement, est bon, notamment parce que, influencé par le modèle français d'organisation du secteur énergétique de 1946, il comporte l’obligation de service public et de service universel.

Or malgré la qualité du cadre européen, la France est de nouveau l’un des derniers pays à transposer ces deux directives. Le projet de loi cherche à combler ce retard. C'est bien, mais il ne reprend, hélas, qu'une partie des dispositions à transposer. Où sont, notamment, celles relatives au service universel de l'électricité, qui serait bien utile à nos PME et aux habitants des zones rurales ? Autre lacune, plus importante encore : où sont les mesures conférant un rôle central et une vraie autorité à notre régulateur, la Commission de régulation de l'énergie, qui est aujourd'hui en France un nain politique, notamment par rapport à son équivalent dans le domaine des télécommunications – je sais, monsieur le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, que vous maîtrisez bien ce secteur –, alors qu’elle devrait être un arbitre puissant ?

L'UDF défendra donc une série d’amendements – réduite, mais sérieuse (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains). Ces quelque cinquante amendements,…

M. Pierre Cohen. Abordez le fond du sujet !

M. Jean Dionis du Séjour. …nous permettront de passer d'une transposition frileuse, un peu honteuse, à une transposition offensive de ces deux directives, et ainsi d’en tirer tout le « jus ».

M. François Brottes. Il est plus libéral que l’UMP !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous ne sommes pas plus libéraux qu’à l’UMP, mais plus européens !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Mais non !

M. Jean Dionis du Séjour. Ces directives incitent notamment les États membres à une planification à long terme ; elles définissent de larges obligations de service public et universel ;…

M. Maxime Gremetz. Ah !

M. Jean Dionis du Séjour. …elles étendent les pouvoirs du régulateur ; elles augmentent la protection des consommateurs en rendant les opérations commerciales accessibles en ligne ; enfin, elles permettent d'étendre le bénéfice de la compensation des charges de service public de l'électricité, la CSPE, à tous les fournisseurs d'électricité.

Nos amendements – peu nombreux mais de qualité (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) – ont connu un sort relativement heureux en commission. Nous en remercions et le président de la commission…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je vous remercie également, monsieur Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. …et le rapporteur. Nous espérons que l’Assemblée réunie en séance plénière amplifiera ce mouvement d'approbation. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Il s’agit enfin, dans le cadre de la transposition, de donner un cadre légal au principe de réversibilité partielle de l'éligibilité.

Le projet de loi, suivant en cela le modèle européen contenu dans la directive, sépare nettement les activités libres : production et vente, et les activités régulées : transport et distribution.

Les activités de vente – qui posent le problème du tarif final pour les clients, industriels et particuliers –, ne relèvent pas du législateur européen mais restent de la compétence du seul législateur national. Il faudra s'en souvenir, messieurs les ministres – ce sera d’ailleurs l’un de vos combats car je ne doute pas qu’il y aura des frictions avec la Commission européenne sur ce point – après le 1er juillet 2007, pour que chacun fasse son travail : le législateur européen de son côté et le législateur national du sien. Ainsi, comme nous disons en vallée de Garonne, « les vaches seront bien gardées ». (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. C’est une vache espagnole !

M. François Brottes. À moins qu’il ne s’agisse d’une vache folle !

M. Jean Dionis du Séjour. Or cette question est de la plus haute importance en France. L'existence de tarifs réglementés appelle la question du retour à ces tarifs pour les clients ayant exercé leur éligibilité. Environ mille entreprises ont choisi l’éligibilité du fournisseur et beaucoup ont subi de plein fouet la hausse des prix de l'électricité, cette hausse atteignant parfois plus de 60 % !

Malgré cela, étrangement, le projet de loi n'a pas jugé utile d'envisager une possibilité de retour, système de protection pourtant déjà appliqué dans d'autres pays comme l'Espagne. Nous aurions dû nous en inspirer. M. le rapporteur a tenté de rattraper cet oubli mais la réponse apportée ne nous semble pas satisfaisante. Charles de Courson, pour le groupe UDF, a présenté un amendement à la commission des finances, qui a bien voulu l’accepter.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Absolument !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous invitons l’Assemblée à suivre la commission. Au-delà de la situation urgente de ces entreprises, il faut en effet se poser la question politique de la spécificité française en matière d'électricité et de ses conséquences en matière tarifaire. Avec ses 58 tranches nucléaires, l’électricité française, d’origine nucléaire à près de 80 %, reste bon marché, puisqu’elle coûte autour de 35 euros le mégawatt/heure, contre 50 euros sur le marché libre. La question économique et politique qui se pose alors est de savoir à qui doit profiter la rente dégagée par l'atout français du nucléaire en matière d'électricité. Est-ce à EDF et son actionnaire principal, l'État ? aux clients d'EDF ? aux deux ? Dans un contexte de forte hausse des prix des différentes énergies, tirés par celle du pétrole, nous pensons que l'action de la France pour garantir des prix raisonnables et pérennes, en premier lieu aux entreprises, est légitime et « euro-compatible », comme l’a notamment dit Christian Bataille. C'est le sens de l'amendement très important de notre collègue Charles de Courson, désormais amendement de la commission des finances.

Venons-en à l'enjeu majeur de ce projet de loi, à savoir, d’une part, l'objectif clairement affirmé de faire fusionner Gaz de France et Suez et, d’autre part, le moyen proposé pour atteindre cet objectif : la privatisation de Gaz de France.

Commençons par l'objectif et essayons d'en évaluer la pertinence avec le plus d'honnêteté intellectuelle possible et en reconnaissant qu'il y a eu débat sur ce point au sein de l'UDF. Notons cependant avec force que le futur groupe Gaz de France-Suez aura un visage forcément modifié au terme des négociations avec l'Union européenne.

Celle-ci, nous le savons maintenant pour avoir pris connaissance autant que faire se pouvait de la lettre de griefs qu’elle a adressée aux deux entreprises le mois dernier, estime, avec raison, que ce projet nuirait à la libre concurrence, notamment en Belgique puisque le nouveau groupe y contrôlerait 95 % du marché de gros du gaz et 94 % de la fourniture du gaz, 80 % du marché de gros de l'électricité et 88 % de la fourniture d'électricité. Il y aura donc des cessions d'actifs imposées par Bruxelles, notamment dans le secteur du gaz en Belgique.

M. Daniel Paul. En France aussi !

M. Jean Dionis du Séjour. Ces cessions diminueront les synergies éventuelles offertes par la fusion des deux entreprises, perspective qui rend difficile un diagnostic précis sur l'opportunité de la fusion.

Cependant, tout en gardant cette réalité en mémoire, nous vous proposons de réfléchir ensemble à trois questions simples. Cette fusion va-t-elle dans le sens de l'intérêt national ? Renforce-t-elle les deux entreprises et, au-delà, notre industrie nationale ?

M. Maxime Gremetz. Non ! Définitivement non !

M. Jean Dionis du Séjour. Enfin, et troisième question : cette fusion est-elle bonne pour les consommateurs ? (« Non ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Quand on dit oui du côté droit de cet hémicycle, la France, elle, dit non !

M. Jean Dionis du Séjour. S’agissant de savoir si la fusion Gaz de France-Suez correspond à l'intérêt national, cela tombe bien : nous avons essayé de définir ce qu'était l'intérêt national en matière énergétique lors de l'adoption de la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique. Son article 1er dispose : « La politique énergétique repose sur un service public de l'énergie qui garantit l'indépendance stratégique de la nation et favorise sa compétitivité économique. Sa conduite nécessite le maintien et le développement d'entreprises publiques nationales et locales dans le secteur énergétique. »

M. Maxime Gremetz. Voilà ! C’est très clair ! Et maintenant l’UMP renie tout !

M. Jean Dionis du Séjour. « Cette politique vise à contribuer à l'indépendance énergétique nationale et à garantir la sécurité d'approvisionnement ; assurer un prix compétitif de l'énergie… »

M. Maxime Gremetz. Je comprends que M. Ollier quitte l’hémicycle : ce ne doit pas être facile pour lui à entendre !

M. Jean Dionis du Séjour. Franchement, mes chers collègues, répondez-moi les yeux dans les yeux : qui ne constate la tension, la contradiction entre l'article 1er de la loi de programme et le contenu du projet qui nous est soumis aujourd'hui ?

Prenons seulement le premier critère qui fonde notre politique énergétique nationale, à savoir l'indépendance énergétique nationale. Est-elle renforcée par cette fusion qui va faire de Gaz de France, aujourd'hui protégé des OPA par l'actionnariat d'État à 80 %, une entreprise opéable et dominée par un actionnariat privé et dispersé, représentant plus de 54 % du capital ? (« Non ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. François Brottes. Voilà un moment de lucidité, mon cher collègue !

M. Jean Dionis du Séjour. Or le risque d'OPA existe dans ce secteur où les acteurs économiques ont accumulé des capacités financières impressionnantes avec l'envolée des prix de l'énergie.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Pas vous, monsieur Dionis du Séjour ! Et vous étiez si bien parti …

M. Jean Dionis du Séjour. C’est un point central, monsieur le ministre ! Nous y reviendrons lorsque nous parlerons de la privatisation de Gaz de France. Mais nous avons déjà la réponse à notre première question : cette fusion fait prendre des risques à notre indépendance énergétique.

Si elle va dans le bon sens en ce qui concerne la sécurisation de nos approvisionnements – la fusion apporte en effet une vraie diversification géographique et technologique –, reconnaissons que ce n'est pas décisif. GDF est d'ores et déjà le premier fournisseur de gaz en Europe ; son poids est important. Le pôle gaz de Suez, quant à lui, est trois fois plus petit que celui de GDF. Si Gaz de France achète 65 milliards de mètres cubes, Suez n'en dispose que de 20. Passer de 65 milliards à 85 milliards de mètres cubes va-t-il fondamentalement changer la donne dans un marché de plus de 500 000 milliards de mètres cubes ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Oui !

M. Jean Dionis du Séjour. L'impact de la fusion existe mais reste marginal.

En conclusion, l'UDF émet un avis d'ensemble négatif sur l'opportunité de ce projet au regard de l'intérêt national.

La fusion va-t-elle dans le bon sens pour les deux entreprises ? Cette question, peut-être seconde par rapport à la première, n’est pas pour autant illégitime : dans un pays, l’industrie, cela compte.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est vrai !

M. Jean Dionis du Séjour. Reconnaissons qu’au sein de notre famille politique, les avis sont divers sur ce point, même si l'intérêt de cette fusion n'est pas contesté s’agissant du renforcement du pôle gaz de chacune des deux entreprises ni en ce qui concerne la réalisation d'une vraie convergence entre un électricien, Suez, avec sa filiale Electrabel, et un gazier, Gaz de France.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous savons que la maîtrise de cette offre mixte est un atout à la fois pour répondre à la demande des clients et pour sécuriser la couverture des pointes de la demande énergétique, réalisée de plus en plus grâce aux centrales au gaz.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour. Enfin, cette fusion va dans le bon sens pour Suez,…

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Nous y voilà !

M. Jean Dionis du Séjour. …dont 30 % du capital est un peu trop flottant.

En ce qui concerne maintenant l'intérêt des consommateurs, comme l'a noté la Commission européenne, à court terme, ce projet affaiblit la concurrence sur les marchés de l'électricité et du gaz en Belgique comme en France.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Est-ce le même orateur qu’il y a une minute ?

M. Jean Dionis du Séjour. Et on a rarement vu le recul de la concurrence au profit d’oligopoles ou de monopoles privés servir les intérêts des consommateurs.

Cependant, nous pensons, en ce qui nous concerne, que la fusion Gaz de France-Suez ferait naître un véritable concurrent à EDF – puisque Gaz de France-Suez posséderait à la fois Electrabel et six centrales nucléaires ainsi que la Compagnie nationale du Rhône –, ce qui, du point de vue du consommateur, ne serait pas un luxe. Bref, en ce qui concerne les consommateurs, notre appréciation du projet demeure réservée.

Venons-en à la privatisation de Gaz de France. Le Gouvernement nous propose comme moyen d'atteindre la fusion Gaz de France-Suez, la réduction de la participation de l'État à 34 % du capital du futur groupe. À l’UDF, monsieur le ministre, la privatisation n’est ni un gros mot ni une vache sacrée.

M. Maxime Gremetz. Formidable !

M. Jean Dionis du Séjour. Mais, dans le cas présent, le groupe UDF, dont j'ai dit tout à l'heure que les membres avaient eu des appréciations diverses sur l'intérêt industriel du rapprochement qui nous est proposé, est unanimement opposé à cette privatisation pour trois raisons. D’abord, elle serait contraire à nos engagements ; ensuite, elle rendrait l'entreprise vulnérable à d’éventuelles OPA ;…

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Pas du tout !

M. Jean Dionis du Séjour. …enfin, elle diminuerait les leviers d'action dont dispose l'État dans le secteur de l’énergie.

Cette privatisation serait contraire à nos engagements. Je ne reviens pas sur la loi de 2004 ni sur ce qu’avait pu dire le ministre de l’économie de l’époque. J’insiste en revanche sur les dispositions que nous avons tous adoptées en votant la loi de programme sur les orientations de notre politique énergétique – c’était il y a à peine un an. Je vous ai lu l’article 1er de cette loi. Nous reviendrons à la fois sur la loi de 2004 et la loi de 2005 si nous allons dans le sens de la privatisation.

M. Daniel Paul. On y va !

M. Jean Dionis du Séjour. Et comment, ensuite, faire croire aux Français que « cette fois, c'est promis, on ne descendra pas sous la barre des 34 % » ? Le cas d'Elf-Aquitaine a en effet laissé de douloureux souvenirs chez les élus aquitains notamment.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Comme François Bayrou.

M. Jean Dionis du Séjour. Comme François Bayrou, pourquoi ne pas le citer puisqu’il l’a vécu en direct ?

Plus grave enfin, ce revirement fragilise l'engagement de l'État de ne pas privatiser EDF. Comment faire croire aux salariés d'EDF et de GDF, aux syndicalistes, avec lesquels, comme vous, j’ai beaucoup discuté, que, certes, on privatise GDF mais qu’on ne privatisera jamais EDF, quand ils auront assisté à un tel revirement par rapport aux deux lois de 2004 et de 2005 ?

M. Maxime Gremetz. Bien sûr !

M. Alain Bocquet. Absolument !

M. Daniel Paul. Battez votre coulpe, messieurs de la majorité !

M. Jean Dionis du Séjour. En second lieu, cette privatisation rendrait l'entreprise vulnérable à d’éventuelles OPA. Aujourd'hui, Gaz de France est peut-être une entreprise de taille moyenne, mais elle est en bonne santé financière et, surtout, elle a pour actionnaire majoritaire l'État, présent à hauteur de 80 % dans son capital. Or la solution proposée par le Gouvernement amènerait la constitution d'un groupe dont le capital serait réparti de la manière suivante : l’actionnariat dispersé représenterait 54 %, l’État français 34 % et les acteurs institutionnels 12 %. Brutalement, Gaz de France, d'une société non opéable deviendrait une société opéable dans un secteur d'activité où, nous l'avons dit, existent des acteurs surpuissants sur le plan économique. Ce point, à lui seul, fonde notre opposition au texte.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Comme c’est faux, nous allons trouver un accord !

M. Jean Dionis du Séjour. Vous essaierez, monsieur le ministre, de nous en faire la démonstration, mais que l’actionnariat dispersé puisse représenter 54 % du capital me pose problème.

Le Gouvernement met beaucoup d'énergie à essayer de nous faire croire qu'il n'existe pas de plan B pour mettre en œuvre un rapprochement industriel entre Gaz de France et Suez. Nous constatons qu'il est bien seul à l'affirmer alors que des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent pour proposer des solutions différentes qui auraient pu retenir l’intérêt de l’UDF, qu’il s’agisse de la proposition de la CFDT de François Chérèque, qui vise à garantir une participation de l'État à au moins 51 %, ou des propositions d'actionnaires minoritaires de Suez, suggérant une OPA de Gaz de France sur Suez, financée par l'emprunt et par la cession d'actifs non stratégiques du nouveau groupe.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. On ne va pas recommencer ce qu’on a fait avec France Télécom !

M. Jean Dionis du Séjour. Non, certes, mais il ne s’agit pas tout à fait de la même chose, avec tout le respect que je vous dois.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Pour l’endettement, si.

M. Jean Dionis du Séjour. Bref, il y a visiblement des plans B, C, D… encore faut-il vouloir les examiner.

Par ailleurs, peut-on être assuré qu’à la constitution définitive du nouveau groupe la part de l’État sera effectivement de 34 % ? Cette inquiétude a déjà été exprimée hier par plusieurs orateurs.

M. Maxime Gremetz. Même M. Novelli, qui passe pour un grand libéral, craint qu’elle ne soit plus basse !

M. Jean Dionis du Séjour. Pourtant, on nous présente ce taux et le système d'action spécifique comme une garantie anti-OPA, une garantie de contrôle par l'État des grandes décisions stratégiques du groupe. Là encore, l'argument nous semble fragile. En effet, l'actionnaire minoritaire n'a pas d’impact dans la gestion quotidienne du nouveau groupe.

S’agissant plus précisément de la mise en place d’actions spécifiques, la Commission européenne, confirmée dans son avis par la Cour de justice des Communautés européennes, s'est prononcée contre à plusieurs reprises, et notamment en juin 2002 sur le dossier Elf-Aquitaine, estimant qu’elle constitue une atteinte aux principes fondamentaux de liberté de circulation des capitaux et de liberté d'établissement.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. On vous a répondu hier !

M. Jean Dionis du Séjour. Enfin, cette privatisation diminuerait la capacité d’action de l’État. Elle aurait été mieux comprise et acceptée dans une période de calme et de stabilité. Mais nous vivons une vraie révolution énergétique, avec la fin du pétrole abondant, la montée des exigences écologiques et une demande mondiale qui explose.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. Eh oui !

M. Jean Dionis du Séjour. Dans ces périodes, l'énergie est une arme, comme on le voit au Moyen-Orient ou en Ukraine.

Dans un tel contexte de risque, le principe de précaution exige de conserver une capacité d'action publique forte. Oui, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’énergie exige le long terme, c'est-à-dire l’action publique.

Permettez-moi maintenant de dire quelques mots de la forme.

137 119 amendements : triste record en matière d'obstruction parlementaire !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Hélas !

M. Maxime Gremetz. Oh !

M. Jean Dionis du Séjour. Parlons-en de ces 137 119 amendements que nous avons pu voir de près en commission.

À peu près mille d'entre eux – et c'est déjà énorme –, soit près de 1 % du total, sont intéressants. Je suis attentif aux propositions qui sont faites, j’apprends en écoutant mes collègues, y compris ceux de l’opposition comme Daniel Paul, François Brottes et Jean Gaubert.

M. Alain Bocquet. De bon députés !

M. Jean Dionis du Séjour. Mais je persiste à dire que les 136 000 autres sont vraiment débiles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Gardez votre esprit révolutionnaire, monsieur Dionis du Séjour !

M. Jean Dionis du Séjour. Le débat qui s’ouvre aujourd'hui risque d'être affligeant d'ennui et de bêtise, alors que les enjeux du projet de loi exigent un débat de très haute qualité.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Absolument !

M. Jean Dionis du Séjour. Grâce aux médias qui, sur cette affaire, ont fait leur travail, les Français découvrent, stupéfaits, nos tactiques un peu lamentables…

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Hélas !

M. Jean Dionis du Séjour. …pour arriver à ce chiffre record, comme le dépôt d’un amendement prévoyant un taux de 70 %, d’un deuxième proposant 70,1 % et d’un troisième proposant 70,2 %. Tout cela est affligeant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Que personne ici ne vienne ensuite pleurer sur la montée de l'antiparlementarisme ! Tout le terrain reconquis grâce à la qualité du travail des commissions d'enquête – je pense à celle sur l’affaire Outreau et à celle sur la fin de vie – ne pèsera pas lourd devant de telles bouffonneries ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire – Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Nos collègues socialistes et communistes – je songe là encore à Daniel Paul ou François Brottes – n’ont pas été très à l'aise pour défendre cette obstruction sans précédent.

M. Maxime Gremetz. Nous avons réclamé un grand débat national et un référendum !

M. Jean Dionis du Séjour. Ils nous ont expliqué que l'obstruction parlementaire n’avait pas été inventée par eux…

M. Daniel Paul. Il n’y a pas d’obstruction parlementaire !

M. Jean Dionis du Séjour. …et que notre rapporteur, sous une autre législature, s'était taillé une réputation grâce à ses discours à la durée toute castriste. C’est vrai, mais cela ne change rien !

M. Maxime Gremetz. Le meilleur fut M. Accoyer !

M. Jean Dionis du Séjour. Pour l'UDF, la règle devrait être que l'opposition a droit à des débats prolongés, approfondis et intenses, permettant à la réflexion de nos concitoyens de mûrir – c’est juste et utile – mais qu’au bout de quinze jours par exemple le vote est de droit, que le texte ait pu ou non être entièrement examiné. L'opposition a le droit d'imposer des prolongations, mais elle ne peut supprimer le match que constitue l'examen d'un texte.

M. Maxime Gremetz. C’est vous qui voulez le supprimer !

M. François Brottes. Et le CPE, alors ?

M. Jean Dionis du Séjour. Or, ici, l’opposition a choisi non d'exposer un point de vue et d'essayer de convaincre, mais d'occuper le temps parlementaire, même au prix de l'abaissement ridicule de la qualité des débats à l'Assemblée nationale !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Protégez les arbres !

M. Maxime Gremetz. Le Gouvernement nous cache les documents, y compris ceux de Bruxelles ! Il ne veut même pas nous informer !

M. le président. Monsieur Dionis du Séjour, il faut conclure !

M. Jean Dionis du Séjour. J’arrive à ma conclusion, monsieur le président.

Et tout ce cirque, pour quoi faire ?

D’abord, pour convaincre les médias. Mais les syndicalistes et les consommateurs ont une culture politique bien plus grande qu’on ne le croit. Ils connaissent tout : nos positions, nos revirements, nos hésitations. L’esbroufe de l’obstruction ne trompe personne !

M. Maxime Gremetz. Expliquez-nous ce qu’il y a dans la lettre de griefs de la Commission européenne !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous avons donc décidé de combattre de telles pratiques d'obstruction.

Mais il y a plus grave : derrière la décision mal inspirée des partis socialiste et communiste, il y a la volonté implicite de pousser le Gouvernement à la faute, à recourir à l’article 49-3 pour pouvoir ensuite présenter cette décision comme brutale et non démocratique. Or, contrairement aux apparences, cette décision ne fait que servir ceux qui, au Gouvernement ou à l’UMP, souhaitent en finir au plus vite : on leur sert le 49-3 sur un plateau ! Au lieu d’être un contre-pouvoir, le Parlement justifie l'évitement du débat. L'UDF s'opposera de toutes ses forces à cette étrange complicité, à ce cercle vicieux pour notre démocratie.

Les Français sont nombreux à regarder nos débats sur internet. Ils veulent un vrai débat sur l'énergie. L'énergie, qui a un impact direct sur leur vie quotidienne, leur budget, leurs habitudes mérite autre chose que des jeux politiciens. En leur nom, l'UDF demande instamment et solennellement à l'opposition de faire preuve de responsabilité…

M. Pierre Cohen. On n’a pas besoin de vous pour cela !

M. Jean Dionis du Séjour. …et d’entrer dans le débat démocratique, comme elle a su le faire en commission en abandonnant ses intentions d'obstruction du débat.

En conclusion, monsieur le président, résolument décidés à avoir le débat démocratique que mérite un tel enjeu, favorables à l'ouverture des marchés de Gaz et d'électricité, opposés à la privatisation de Gaz de France,…

M. Pierre Cohen. C’est faux ! Vous êtes pour !

M. Jean Dionis du Séjour. …nous ferons entendre nos convictions et notre différence tout au long des débats.

Mais l'enjeu de l'indépendance énergétique domine les autres. Il fondera donc notre position. Pour nous, privatiser GDF dans le contexte énergétique actuel est une faute. Nous voulons que la France s'en préserve. Pour cette raison, nous voterons contre ce texte.

M. Maxime Gremetz. Là, bravo !

M. Pierre Cohen. C’est une posture électoraliste, rien de plus !

M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet.

M. Alain Bocquet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, laisserons-nous quelques patrons de groupes industriels de notre pays, dont la plume est tenue par des fonds d'investissement versatiles et âpres au gain, écrire l’avenir énergétique de notre pays ? Tel est l'enjeu de l'examen de ce projet de loi qui n'est que le fruit de la volonté d'un cercle d'initiés.

Hier, à l’appel de Force ouvrière et de la CGT, 94 % des salariés de Gaz de France ont dit non à la privatisation.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Pour un taux de participation de 35 % !

M. Alain Bocquet. L’opinion des élus locaux, des associations de consommateurs est également complètement ignorée. Aucune consultation digne de ce nom n'a été organisée dans le pays.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Oh !

M. Alain Bocquet. Je rappelle que les députés communistes et républicains ont proposé, compte tenu de l’enjeu, de soumettre à référendum votre proposition de privatisation de GDF.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous n’êtes même pas venu me voir alors que ma porte est restée ouverte tout l’été !

M. Daniel Paul. N’en rajoutez pas, monsieur le ministre !

M. Alain Bocquet. En outre, les représentants de la nation que nous sommes n’ont toujours pas accès à l'intégralité de l'avis transmis par la Commission de Bruxelles.

Si je partage certains des propos que vient de tenir notre collègue de l’UDF, je ne comprends pas son acharnement contre l’attitude de l’opposition.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est simple : 137 000 amendements !

M. Alain Bocquet. Il n’a pas dit un mot sur l’interdiction faite à l’Assemblée nationale de connaître le contenu de la lettre de griefs de la Commission européenne.

M. Georges Colombier. Vous le connaissez !

M. Alain Bocquet. Voici la liasse qui contient l’ensemble des amendements qui ont été déposés par le groupe communiste : elle fait exactement soixante-quatorze pages. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. C’est faux !

M. Maurice Giro. Vos 90 000 amendements n’y sont pas !

M. Alain Bocquet. Ils y sont tous ! Ce n’est pas un arbre, seulement quelques branches !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Onze années de débats parlementaires !

M. Alain Bocquet. Pour répondre à la mise en scène qui a été orchestrée ici même – les kilomètres de papier vierge  –, je dirai que quand le doigt montre la lune, l’imbécile regarde le doigt !

Monsieur le ministre, voici les amendements du groupe communiste. (M. Bocquet descend de la tribune pour remettre la liasse à M. le ministre.)

M. Jean Dionis du Séjour. Vous avez mauvaise conscience !

M. Guy Geoffroy. Prenez l’engagement de ne défendre que ceux-là !

M. Alain Bocquet. Puisqu’ils sont tous là, je m’y engage, au nom du groupe des députés communistes et républicains. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Donnez-les à la presse !

M. Alain Bocquet. Vous les avez : faites-le donc !

M. le président. Mes chers collègues, il ne sert à rien d’interrompre.

M. Guy Geoffroy. Ça fait du bien !

M. le président. De temps en temps , sans doute, mais je souhaite que le débat reprenne son cours.

Veuillez poursuivre, monsieur le président Bocquet.

M. Alain Bocquet. Monsieur le ministre, vos méthodes technocratiques sont inadmissibles. (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Franck Gilard. Sous Brejnev, c’était mieux !

M. Alain Bocquet. Les dix-sept articles que vous voulez faire avaliser concernent la vie quotidienne des 28 millions d'usagers d'EDF et des 13,8 millions d'abonnés à GDF, c'est-à-dire la quasi-totalité des foyers de notre pays, toutes ses collectivités locales et ses administrations, ainsi que la plupart des entreprises françaises, actuellement préoccupées par le poids de leur facture énergétique.

Avec les mesures que vous proposez, il s'agit bel et bien de la déréglementation totale du service public du gaz et de l’électricité. Ce qui est programmé, c'est la fin de la maîtrise par l'État des prix de l'énergie, le renoncement au principe de péréquation garantissant un tarif unique sur l'ensemble du territoire, à un coût relativement limité.

Vous mettez en avant votre titre Ier portant sur le maintien des tarifs régulés et la tarification sociale. Après moi, mon ami Daniel Paul soulignera l'inconsistance et la duplicité de ces dispositions.

Nos concitoyens, qui souffrent déjà des hausses répétées de l’énergie, risquent de faire douloureusement les frais de votre entêtement à libéraliser et à privatiser coûte que coûte, sans jamais apporter le moindre début de preuve du bienfait de tels choix pour les ménages et pour la société. Complètement enfermé dans le dogme du libéralisme, vous en êtes prisonnier. Pour faire écho à l’évocation des vaches par notre collègue de l’UDF, permettez-moi de vous renvoyer au journal L’Humanité (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) citant Mao Tsé-Toung : « La bouse de vache est plus utile que les dogmes : on peut en faire de l’engrais. » (Sourires.)

M. Maxime Gremetz. Il avait raison !

M. Alain Bocquet. On attend toujours un bilan étayé sur les conséquences des premières applications des directives européennes d’ouverture à la concurrence et des expériences de privatisation en France, en Europe et en Californie. On sait toutefois que, dans ce dernier État, la déréglementation a entraîné des augmentations allant jusqu’à 500 % et qu’en France les gros industriels qui ont choisi de quitter les tarifs régulés ont eu à supporter une hausse de 30 % par an !

Votre texte, qui autorise le démantèlement et la soumission à la Bourse de Gaz de France, qui organise une rivalité meurtrière et destructrice avec EDF, qui livre chaque usager à la jungle de la concurrence dans un marché que domineront des oligopoles avides de profits, votre texte signe l’abandon d’une politique énergétique exercée dans l’intérêt de la nation. C’est le torpillage d’un mode d’organisation qui, pendant soixante ans, est parvenu à soutenir efficacement le développement économique et social de notre pays. Le général de Gaulle, avec son ministre Marcel Paul, avait eu une vision juste – et toujours actuelle – quand il choisit, en 1946, de protéger le secteur de l’énergie de l’affairisme par la création d’EDF et de GDF.

M. Maxime Gremetz. Très bien !

M. Alain Bocquet. Aujourd’hui, le président Chirac et la majorité UMP bradent l’un des derniers héritages du gaullisme social. (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) En tronçonnant un système intégré de production, de distribution et de fourniture, en particulier dans le gaz, en bradant GDF pour l’opposer frontalement à EDF, le Gouvernement met en péril l’indépendance et la sécurité énergétique de la France !

Ce sont pourtant les mêmes considérations stratégiques qui, en 2004, avaient conduit M. Sarkozy, alors ministre de l’économie, à inscrire dans la loi une clause maintenant Gaz de France SA dans le secteur public grâce à un seuil minimal de détention par l’État de 70 % du capital. Dix-huit mois plus tard, comment M. Sarkozy peut-il justifier pareil retournement de veste ? Où est le respect de la parole de l’État ? Manifestement, les sirènes du MEDEF (« Ah ! »sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) l’ont davantage charmé que les arguments des organisations syndicales, qui, unanimes, s’opposent à la privatisation de GDF. De nombreuses personnalités qualifiées s’alarment du reflux de la puissance publique, notamment le président d’honneur de GDF, Francis Gutmann, qui relève : « Avec le rapprochement avec Suez, on ne parle plus que de 34 %. L’État se leurre et nous leurre s’il n’a rien trouvé de mieux que ces pourcentages pour sauvegarder l’essentiel. »

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. En voilà un qui connaissait bien l’entreprise ! Il en était issu, cela se voit !

M. Alain Bocquet. M. Gutmann ajoute : « Ceux-ci ne sont que barrières de papier dès lors que des opérations boursières à venir ou le refus de l’État d’assumer ses obligations pour de futurs investissements les feront mettre à bas. »

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. On a vu quand il était président !

M. Alain Bocquet. Nos concitoyens en font l’amère expérience avec France Télécom : la logique rentière des actionnaires privés est inadaptée pour garantir à notre pays une sécurité d’approvisionnement durable à des prix abordables pour le plus grand nombre. Depuis l’ouverture de son capital, GDF s’est conformé à cette logique, poussant ses tarifs vers le haut pour alimenter des bénéfices records : 1,7 milliard d’euros l’an passé. Résultat, la facture de gaz a augmenté de 30 % en dix-huit mois et de 70 % depuis l’ouverture à la concurrence en 2000 !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’était 30 % de hausse pour la seule année 2000 !

M. Alain Bocquet. L’absorption de GDF par Suez, dont le capital est dominé par des fonds spéculatifs, ne fera qu’attiser cette inflation. Or le gaz n’est pas une marchandise banale, c’est un produit de première nécessité pour des millions de familles, indispensable au fonctionnement de milliers d’entreprises et de collectivités.

M. le ministre délégué à l’industrie. Et d’où vient-il ?

M. Alain Bocquet. Sa gestion est incompatible avec des politiques financières à courte vue, surtout dans un contexte de tensions internationales sur l’accès aux hydrocarbures.

M. le ministre délégué à l’industrie. C’est bien le problème !

M. Alain Bocquet. Le gaz réclame des contrats et des programmes d’investissements à long terme, notamment pour assurer une fourniture continue et une fiabilité optimale des réseaux en protégeant les personnes et l’environnement. Or les exigences de rentabilité du jeu boursier ne favorisent pas l’établissement de relations commerciales stables et mutuellement avantageuses avec les pays producteurs. Le renouvellement du parc de production électrique en France comme en Europe – 600 gigawatts de puissance électrique à construire d’ici à 2030, soit six fois la taille du parc français actuel –, le développement des infrastructures et interconnexions électriques et gazières permettant la fluidification du marché, la solidarité énergétique et les approvisionnements gaziers en Europe, tous ces chantiers imposeront des investissements coordonnés, lourds et de long terme.

La maintenance et le renouvellement des conduites de gaz sont des missions impératives, qui relèvent de l’aménagement du territoire et de la sécurité publique, comme l’ont dramatiquement rappelé les accidents de Mulhouse et de Dijon. Le niveau de fiabilité des équipements devra-t-il évoluer en fonction des fluctuations du cours de la Bourse ? Comment la France compte-t-elle réduire massivement ses émissions de gaz à effet de serre, sauvegarder l’environnement par la diversification des sources d’énergie, si les priorités et les choix sont abandonnés aux seuls critères comptables du marché, des critères qui privilégient les transactions opportunistes – « trading » et « marché spot » – et tirent vers le bas les dépenses en faveur de l’emploi, la formation et la recherche ?

On nous promet un mariage GDF-Suez équitable. Or Suez pèse trois fois plus lourd que GDF en capitalisation boursière et la presse économique révèle ce matin qu’il affiche à nouveau pour le premier semestre des bénéfices records : plus 40 % de résultat net. Sans rien apporter au potentiel gazier de GDF, Suez ferait ainsi main basse sur un fleuron industriel. Gaz de France, une des plus importantes compagnies au monde, aux capacités d’autofinancement intactes, est une structure intégrée de l’amont à l’aval. Elle possède une dizaine de plates-formes offshore et terrestres de production de gaz, deux terminaux méthaniers, quatre navires méthaniers, plus de 150 000 kilomètres de canalisations de transport et de distribution de gaz, treize sites de stockages souterrains totalisant plus de 10 milliards de mètres cubes de gaz en réserve, représentant 20 % de la consommation française, et quarante-cinq stations de compression de gaz, sans compter un des plus importants sites de recherche et développement d’Europe.

Quelles seraient les répercussions de ce marchandage gigantesque pour les 200 000 salariés concernés ? Dans les filiales de service concurrentes des deux groupes – Elyo pour Suez et la Cofathec pour GDF – on craint 10 000 suppressions d’emplois. Pour autant, la fusion ne protégerait pas Suez d’une OPA ou d’un démantèlement. Une des solutions alternatives pour garantir l’avenir du groupe, ses activités et l’emploi, passe par le renforcement de son capital via des acteurs publics comme la Caisse des dépôts et consignations ou Areva.

S’agissant de GDF, et plus largement du secteur de l’énergie, la logique industrielle et sociale, l’intérêt général, tout plaide en faveur d’une fusion avec EDF. De tels rapprochements entre électriciens et gaziers d’un même État membre ont déjà été opérés en Allemagne et en Espagne sans que la Commission de Bruxelles n’oppose de veto. Une étude d’un cabinet conseil, que je tiens à votre disposition, monsieur le ministre, démontre la pertinence, en matière de complémentarité et de densité du réseau de distribution, d’une réunion d’EDF et GDF. Nous proposons donc que les deux entreprises, redevenues publiques à 100 %, puissent tirer avantage de leur collaboration historique, de leurs synergies financières, technologiques et de services pour assurer pleinement leurs missions. Il s’agit de bâtir un pôle public de l’énergie qui, dans le cadre européen, participerait à la mise en œuvre d’un véritable droit à l’énergie pour tous, en faisant prévaloir les coopérations et l’efficacité sociale sur la concurrence et le profit.

Votre texte, monsieur le ministre, ne suscite que rejet dans notre peuple, comme en témoignent les milliers de pétitions contre la privatisation que nous avons recueillies dans nos circonscriptions. Le 12 septembre prochain sera une journée de protestation contre votre projet de loi. Confédérations syndicales, associations d’élus locaux, de consommateurs et de citoyens, appellent à manifester ce jour-là. Les députés communistes et républicains prennent toute leur place dans cette mobilisation. Nous ne ménagerons pas nos efforts, à coup d’arguments et de contre-propositions, pour défendre les intérêts de notre pays et de nos concitoyens. Il est encore temps, monsieur le ministre, de vous épargner un désaveu aussi cinglant que celui du CPE : retirez sans plus attendre ce projet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Serge Poignant.

M. Serge Poignant. Messieurs les ministres, mes chers collègues, lors du débat sur l’énergie, très opportunément souhaité par M. le Premier ministre le 14 juin dernier, au moment où se posait la question d’une éventuelle fusion GDF-Suez mais aussi avant l’ouverture complète à la concurrence au plan européen au 1er juillet 2007, je m’étais exprimé au nom du groupe UMP pour conclure à la volonté de ce groupe, dans la diversité des interrogations de ses membres, de mettre à profit l’été pour approfondir la question posée de cette éventuelle fusion et celle, préalable, de la privatisation de GDF.

Je tiens, tout d’abord, à vous remercier, monsieur le ministre Thierry Breton, d’avoir compris cette nécessité. Votre travail de pédagogie et les nombreuses auditions organisées à la suite de ce débat par notre excellent président de la commission des affaires économiques, Patrick Ollier, ont permis d’éclairer nombre de mes collègues et d’apporter des réponses à leurs légitimes questions.

Parallèlement et comme cela avait été souhaité lors du débat, des solutions alternatives ont été avancées et étudiées, notamment par notre non moins talentueux rapporteur, spécialiste reconnu de ces questions – vous avez pu le mesurer hier –, Jean Claude Lenoir.

Je ne reprendrai pas en détail, comme je l’ai fait le 14 juin, l’action du Gouvernement et de sa majorité menée depuis 2002 en matière d’énergie, si ce n’est pour rappeler l’immobilisme du gouvernement Jospin de 1997 à 2002. Cet immobilisme a conduit le gouvernement Raffarin à déposer en urgence, en octobre 2002, un projet de loi de transposition de la directive gaz pour répondre au lancement de procédures contentieuses. Cela s’est traduit par la loi du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électricité et au service public de l’énergie.

Permettez-moi de rappeler, une nouvelle fois, messieurs les ministres, mes chers collègues, et quoi qu’en dise notre opposition, la loi de 2000…

M. Henri Emmanuelli. Faites-vous plaisir !

M. Serge Poignant.…et les engagements affirmés au Conseil européen de Barcelone en mars 2002 par le Premier ministre de l’époque, M. Jospin, engagements qui concernaient l’ouverture des marchés pour l’ensemble des consommateurs, contrairement à ce que disait M. Hollande.

Permettez-moi de rappeler également les déclarations de certains de nos collègues opposants d’aujourd’hui. En novembre 2001, M. Fabius, alors ministre de l’économie et des finances, déclarait : « Une entreprise investie de missions de service public, peut sans tabou nouer des partenariats industriels, qui se traduisent par une alliance capitalistique. C’est dans ce cadre qu’avec pour objectif un projet industriel et social ambitieux nous serons ouverts pour faire évoluer, le moment venu, le statut de Gaz de France. »

M. Franck Gilard. Quel tartufe !

M. Serge Poignant. En janvier 2002, M. Strauss-Kahn affirmait : « Le changement de statut d’EDF et l’ouverture de son capital sont compatibles avec le maintien du service public. La part de l’État devra être suffisante pour assurer un ancrage incontestable, sans pour autant graver dans le marbre le seuil de 50 %. » C’est bien d’EDF que parlait M. Strauss-Kahn !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est vrai !

M. Franck Gilard. Il avait des moments de lucidité !

M. Serge Poignant. Luc Chatel a déjà souligné ce point hier après-midi. Quant à Dominique Strauss-Kahn, il doit intervenir dans quelques instants. Vous imaginez combien nous serons attentifs à son discours !

De tels propos de nos collègues de l’opposition devaient être rappelés au moment où nous abordons la discussion générale du projet de loi que vous nous proposez aujourd’hui, monsieur le ministre.

Dans l’exposé des motifs, vous plantez parfaitement le décor : « La gestion des enjeux énergétiques est un axe essentiel de la politique économique et stratégique de la nation. La France doit faire face à un triple défi : la quasi-disparition des surcapacités de production en matière d’hydrocarbures, le renforcement de la sécurité d’approvisionnement en gaz de l’Europe et le mouvement considérable de consolidation des acteurs européens de l’énergie. »

Le projet de loi qui nous est soumis répond à la double question de notre adaptation à l’ouverture complète des marchés de l’énergie au 1er juillet 2007, conformément aux directives européennes de 2003, et à la privatisation de Gaz de France pour lui permettre de nouer efficacement des alliances, sachant qu’un projet de fusion avec Suez est en gestation depuis plusieurs mois.

Ces deux questions pourraient n’apparaître que partiellement liées mais, d’une part, le Conseil d’État subordonne la constitutionnalité de la privatisation de GDF à la transposition de la directive gazière et, d’autre part, nos collègues sont légitimement préoccupés par l’évolution des prix et des tarifs, tout comme l’ensemble des consommateurs français, qu’ils soient particuliers ou professionnels.

C’est ainsi que le titre Ier du projet de loi aborde la question de l’ouverture des marchés et du libre choix des consommateurs d’électricité ou de gaz. Il transcrit bien évidemment dans notre législation française, conformément aux directives européennes, le principe d’éligibilité de tous les consommateurs finals, particuliers compris, leur offrant ainsi des possibilités nouvelles. Il précise – ce à quoi tenait le groupe UMP – que lesdits consommateurs finals pourront continuer, s’ils le souhaitent, à bénéficier des tarifs réglementés au-delà du 1er juillet 2007. Un amendement, que j’ai cosigné avec M. le président de la commission et M. le rapporteur, proposera de donner aux nouveaux sites de consommation professionnelle la même possibilité qu’aux consommateurs domestiques.

De même, nous vous proposerons, monsieur le ministre, un amendement tendant à instaurer un tarif de retour pour l’électricité. Au mois de juin, j’ai déjà appelé votre attention sur la spécificité française en matière de production électrique : comment expliquer en effet qu’avec 80 % de nucléaire et un rejet de gaz carbonique dans l’atmosphère beaucoup moindre que d’autres pays, européens notamment, nous atteignions le niveau des prix actuels ? Comment expliquer aux PME et aux PMI qui ont vu leur coût d’énergie augmenter de plus de 60 %, après avoir fait jouer leur éligibilité, qu’elles ne peuvent revenir au tarif, quand on connaît les besoins en investissement des opérateurs et notamment d’EDF ? Vous m’aviez répondu en avoir parfaitement conscience. Les mois de juillet et août ont été mis à profit pour arrêter la rédaction de cet amendement, qui instaure un tarif réglementé transitoire de marché, compatible avec la directive européenne, après discussion avec les opérateurs et sans incidence, il faut le souligner, pour les consommateurs.

Nous souhaitions également, messieurs les ministres, l’instauration d’un tarif social du gaz, comme il en existe pour l’électricité, indépendant de l’éligibilité. Le projet de loi le prévoit et nous en sommes heureusement satisfaits. J’avais déjà formulé cette demande dans mon rapport sur le projet de loi fixant les orientations de la politique énergétique de juillet 2005.

Je ne m’attarderai pas sur le titre II du projet, qui traite, conformément aux directives, de la séparation juridique des gestionnaires des réseaux de distribution d’électricité et de gaz se trouvant au sein d’entreprises verticalement intégrées desservant plus de 100 000 clients, ce qui est le cas d’EDF et de GDF. Je me limiterai à souligner que l’opération ne remettra pas en cause le service commun à ces deux groupes et que l’organisation de la distribution de gaz restera inchangée. Elle demeurera exercée par GDF et ses filiales.

Quelques mots sur les titres IV et V, qui concernent toujours la transposition des directives de 2003, pour souligner que, au-delà des nécessaires dispositions transitoires, la question de la protection des consommateurs dans le futur contexte me semble fondamentale. Le développement de nouvelles offres commerciales ne peut en effet se faire que dans un cadre de lisibilité et de sécurité bien défini dans le code de la consommation.

Venons-en maintenant au titre III, qui contient les dispositions relatives au capital de Gaz de France et au contrôle de l’État.

Je vous rappelle l’importance cruciale des enjeux énergétiques européens et mondiaux, dans le contexte d’une évolution rapide de la population planétaire – qui va passer, vous l’avez souligné hier, monsieur le ministre, de 6 à 9 milliards de personnes en quelques décennies – et d’un prix du baril de pétrole durablement élevé.

Les auditions de juillet auront permis de préciser certains points. Par exemple, l’évolution tendancielle du mix d’énergies primaires dans l’Union européenne montre que la part de gaz, qui était de 17 % en 2000, pourrait dépasser 40 % en 2030, alors que les concentrations de gisements dans le monde engendreront inéluctablement des tensions sur les approvisionnements.

À noter également l’accélération de la consolidation des groupes en Europe depuis 2005, donnée nouvelle et sans précédent par rapport à août 2004, date de la loi à laquelle certains n’ont évidemment pas manqué de se référer. C’est d’ailleurs dans ce processus de concentration qu’Enel a projeté une OPA hostile sur Suez au début de l’année 2006, qui vous a amené, monsieur le ministre, à engager une concertation avec les protagonistes d’une éventuelle fusion GDF-Suez ainsi qu’avec le Conseil supérieur de l’électricité et du gaz, présidé par Jean-Claude Lenoir.

La première question à se poser était de savoir si la constitution d’un nouveau groupe GDF-Suez était un bon projet industriel. Pour ma part, je pense que oui. Cela permettrait en effet de constituer un groupe puissant en Europe tant sur le plan gazier, car il serait à dominante gazière, que sur le plan électricien. Rappelons qu’en Europe GDF est le numéro un du gaz et Suez le numéro cinq de l’électricité et le numéro six du gaz. En tant qu’unique fournisseur, le nouveau groupe pourrait proposer les deux énergies aux clients – qui sont nombreux, vous le savez, à le souhaiter. Il pèserait près de 70 milliards d’euros et serait leader mondial dans le gaz naturel liquéfié, qui est appelé à jouer un rôle clé dans la diversification des sources d’approvisionnement de demain.

Pour ma part, toujours, si cette union devait se faire, je souhaiterais qu’elle se fasse entre égaux, en respectant les qualités respectives des deux entreprises. GDF est notamment porteur d’une culture gazière ancienne qui allie compétences techniques, exigence de sécurité et attention portée aux clients.

Mais nous n’en sommes pas là, la seconde question, que l’on doit d’ailleurs considérer comme première, étant de savoir comment donner à GDF les moyens d’évoluer dans le monde concurrentiel d’aujourd’hui et de constituer un grand groupe industriel qui comptera demain en Europe, avec Suez ou d’autres partenaires. C’est précisément l’objet du titre III du projet.

Le Gouvernement propose – c’est, selon lui, la condition pour répondre à cet objectif – de revenir sur la disposition législative qui prévoit un seuil minimum de détention de l’État au capital de GDF de 70 % et de privatiser GDF. Je pense être autorisé à dire que la grande majorité du groupe UMP soutient cet aspect essentiel du projet dans la mesure où est maintenue, conformément à la volonté qu’il avait exprimée, une participation de l’État d’au moins un tiers du capital dans le nouvel ensemble, ce qui correspond à la minorité de blocage dans le cas où une décision n’était pas prise dans le sens de l’intérêt national.

Le groupe UMP se félicite également de la présence dans le projet de loi du dispositif d’action spécifique appelé golden share, conforme à la jurisprudence communautaire, qui confère à l’État, et de manière pérenne, le droit de s’opposer aux décisions de l’entreprise ou de ses filiales affectant en France les actifs concernant les canalisations de transport, la distribution et les stockages souterrains du gaz naturel et, pour le gaz liquéfié, les installations qui concourent à la continuité et à la sécurité des approvisionnements.

En outre, je pense réellement, monsieur Dionis du Séjour, que ces mesures, s’ajoutant à la possibilité de nommer des commissaires du gouvernement dans un futur groupe et ses filiales de transport et de distribution, sont de nature à dissuader toute volonté d’OPA.

Mes chers collègues, messieurs les ministres, nous avons mis l’été à profit pour examiner le texte et envisager, comme nous en étions convenus en juin, des solutions alternatives, et nous sommes arrivés aux conclusions suivantes.

Une prise de participations croisées en maintenant l’État à 70 % du capital mobiliserait trop peu de moyens pour permettre d’envisager une alliance structurante ou de vraies synergies.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Absolument !

M. Serge Poignant. Le maintien de l’État à 51 % du capital de Gaz de France, qui méritait d’être étudié, ne serait pas non plus à la hauteur des enjeux pour permettre à Gaz de France de nouer des alliances majeures.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Tout à fait !

M. Serge Poignant. Dans le cas d’une fusion avec Suez, par exemple, les seuls scénarios financièrement tenables impliqueraient le démantèlement du groupe Suez et la revente de la branche environnement, ce qui n’est bien évidemment pas ce que nous souhaitons.

La séparation des activités régulées de Gaz de France ne nous est pas non plus apparue comme une solution fiable. Dans ce dernier cas, les activités de réseaux resteraient au sein de Gaz de France et les activités concurrentielles seraient apportées au partenaire privé en contrepartie d’une part du capital. Nous n’avons pas retenu cette solution : elle aurait l’avantage de permettre la survie d’une entreprise GDF publique mais, outre le démantèlement de la structure d’aujourd’hui, elle induirait une très faible influence de l’État dans le groupe privé, et donc une faible défense contre une OPA.

Quant à l’hypothèse d’une fusion EDF-GDF, prônée par nos opposants, il faut savoir qu’elle tomberait sous le joug de la réglementation européenne au regard des chiffres d’affaires…

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Tout à fait !

M. Serge Poignant. …et entraînerait assurément de la part de la Commission européenne l’exigence de mesures correctives lourdes. Nos collègues de l’opposition sont-ils prêts à accepter la cession de centrales nucléaires françaises ? Je rappelle que la commission Roulet a rejeté cette hypothèse en 2004 et que la Commission européenne a refusé une fusion entre Électricité du Portugal et Gaz du Portugal.

M. Daniel Paul. Elle ne l’a même pas examinée !

M. Serge Poignant. Mes chers collègues, messieurs les ministres, il nous restera à expliquer à nos concitoyens qu’il y va de leur propre intérêt à terme que nous légiférions.

Il ne faut pas les tromper sur l’évolution des prix et des tarifs du gaz, qui sont liés au prix du baril de pétrole et aux coûts d’approvisionnement, quelle que soit la structure capitalistique du fournisseur. La preuve en est qu’en 2000, sous le Gouvernement Jospin, le gaz a augmenté de plus de 30 % alors que le capital était détenu à 100 % par l’État.

Il ne faut pas les tromper, mes chers collègues de l’opposition, sur le sujet du service public, car le contrat de service public sera maintenu.

Il ne faut pas les tromper en matière de sécurité car le monopole public de transport demeurera.

Il ne faut pas les tromper en faisant un amalgame avec l’électricité en termes de sécurité. GDF achète du gaz à l’étranger et le revend. EDF produit de l’électricité en France, avec la spécificité nucléaire que l’on connaît : cela justifie son maintien comme entreprise publique, ce qui sera évidemment le cas.

Il est également de notre devoir de considérer l’avenir du personnel de nos entreprises. Pour ce qui est de GDF, je tiens à souligner la qualité et le savoir-faire de son personnel. Le Gouvernement s’est engagé sur le maintien du statut des IEG – les industries électriques gazières – qui est lié aux activités principales qu’elles exercent et concerne l’ensemble des entreprises de la branche : production, transport, distribution, importation et exportation d’électricité et de gaz combustible.

Je vais bientôt conclure mais je ne peux le faire sans m’indigner profondément de l’hyper-obstruction organisée par nos collègues de gauche avec leurs 130 000 à 140 000 amendements. (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) D’ailleurs, ce n’est plus de l’obstruction, c’est un irrespect total du travail parlementaire !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Tout à fait !

M. Serge Poignant. Je ne suis pas un député très ancien dans cette maison mais, au bout de trois mandats, j’ai toujours, comme la très grande majorité d’entre nous, le même engagement, la même conscience et la même envie de participer à notre vie démocratique française…

M. Michel Vergnier. Nous allons vous rappeler certains textes !

M. Serge Poignant. …et d’expliquer sincèrement la chance de notre pays à nos concitoyens, et notamment aux jeunes. J’ai toujours respecté les avis différents dans les débats de fond. C’est cela la démocratie ! Je ne rejette pas non plus l’humour, monsieur Brottes, mais, aujourd’hui, chers collègues socialistes et communistes, vous vous apprêtez à bafouer les règles de la démocratie,…

M. Pierre Ducout. C’est vous qui bafouez les Français !

M. Serge Poignant. …et à donner un spectacle affligeant qui dévalorise l’ensemble de notre institution. Devrons-nous subir cette course infantile entre vous au plus grand nombre d’amendements déposés : 40 000 socialistes, 90 000 communistes ? Qui dit mieux ?

Mme Claude Greff. C’est ridicule !

M. Serge Poignant. Tout à fait ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Monsieur Bocquet, dans la pile que vous venez de remettre à M. le ministre, figurent bien 90 000 amendements. Leur maigre volume démontre s’il en était besoin l’inconsistance de leur argumentaire,…

Mme Claude Greff. C’est vrai !

M. Pierre Ducout. Votre argumentation à vous est nulle !

M. Serge Poignant. …et votre volonté de les utiliser aux fins que nous connaissons.

Mme Muguette Jacquaint. Vous disiez la même chose pour le CPE !

M. Serge Poignant. Il n’appartiendra qu’à vous, dans la suite de nos débats, chers collègues de l’opposition, de me démentir, et à vous en particulier, monsieur Bocquet, car le sujet mérite autre chose qu’un enlisement stérile.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, après une période de recul et d’analyse nécessaire, les députés du groupe UMP prendront leurs responsabilités.

Quelques avis différents s’exprimeront librement,…

M. Pierre Ducout. Non : pas librement !

M. Serge Poignant. …mais les députés UMP voteront, avec quelques amendements, dans leur grande majorité, votre projet de loi. Ils le voteront en prenant en compte l’intérêt des consommateurs particuliers et professionnels dans la transposition des directives européennes de 2003.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Très bien !

M. Serge Poignant. Ils le voteront, considérant qu’il permet de préparer l’avenir de Gaz de France, tout en garantissant des leviers d’action efficaces à l’État.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Très bien !

M. Serge Poignant. Je renouvelle pour ma part mon souhait d’une politique européenne de l’énergie, indispensable tant en matière de stratégie que d’environnement dans le monde en pleine évolution où nous vivons. Pour l’heure, messieurs les ministres, mes chers collègues, avançons de façon pragmatique dans l’intérêt de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Henri Emmanuelli.

M. Henri Emmanuelli. Monsieur le président, messieurs les ministres, puisque M. Poignant vient d’évoquer la morale, la responsabilité, je vais en faire autant. Je ne le souhaitais pas, mais je me dois de lui répondre.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Cours de morale de M. Emmanuelli !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Une fois n’est pas coutume !

M. Henri Emmanuelli. Je formulerai d’abord une considération sur la conception de la politique. Vous êtes, monsieur Poignant, membre de l’UMP, j’ai beaucoup entendu votre président parler depuis quelques semaines de rupture.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Provocateur !

M. Henri Emmanuelli. Monsieur le ministre, il n’est pas d’usage qu’un ministre interrompe un orateur. Mais si vous le souhaitez, je vous donnerai volontiers mon accord. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Avec la réciprocité, quand le ministre parle !

M. Henri Emmanuelli. Je sais que M. Breton n’a jamais été parlementaire, mais je lui rappelle que cela ne se fait pas. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Le président du groupe UMP parle donc de rupture. Il existe au moins un domaine dans lequel il n’y a pas de rupture, celui de la conception de la politique. M. Jacques Chirac avait l’habitude de dire : « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. » Je constate que M. Sarkozy la partage. Il nous affirmait solennellement, il y a un an, trois fois de suite que jamais ! jamais ! jamais ! la participation de l’État au capital de Gaz de France ne descendrait en dessous de 70 %. Un an après, nous en sommes à 34 %. Et peut-être moins encore, car M. Novelli a présenté un amendement devant la commission des finances.

Un député du groupe UMP. Vous l’espionnez !

M. Henri Emmanuelli. Non ! il n’est pas espionné, il rapportait devant la commission des finances, jeune homme, et, en employant ce qualificatif, je crois faire preuve de beaucoup de gentillesse.

M. Novelli va présenter un amendement en séance, visant à descendre en dessous de 34 %.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Ma proposition envisage cette possibilité !

M. Henri Emmanuelli. M. Novelli est cohérent et sincère, ce n’est pas le cas de tout le monde dans son camp. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Il a aussi d’autres qualités !

M. Henri Emmanuelli. Je lui fais des compliments.

Quand on parle d’éthique, de responsabilité et de morale dans un pays où l’on voit le numéro deux du Gouvernement se déclarer en rupture, alors qu’il est président du groupe majoritaire sans lequel le Gouvernement ne peut exister, laissez-moi vous dire que, dans aucune autre démocratie au monde, ce genre de plaisanterie n’aurait la moindre chance d’intéresser qui que ce soit, à moins de déclencher des commentaires sans doute assez nourris. Il n’y a que chez nous que cela peut arriver.

Puisqu’on parle d’institution, de conception et de dévoiement, existe-t-il, monsieur le ministre, une autre démocratie au monde où les parlementaires sont obligés d’aller chercher dans la presse les informations dont ils ont absolument besoin pour débattre au fond.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Mensonges !

M. Henri Emmanuelli. Monsieur le ministre, vous nous avez annoncé hier, à cette tribune, que vous aviez reçu une lettre du commissaire européen chargé du marché intérieur et des services donnant le feu vert aux golden shares. Ce matin, en lisant notamment la presse étrangère, j’ai découvert que ce n’était pas aussi simple que cela. Cette lettre classique rappelle quelques principes généraux. Elle laisse en suspens l’essentiel de la problématique, qu’il s’agisse de la définition ultérieure de l’intérêt supérieur qui ne serait pas national ou de la liste des filiales à privatiser.

Il n’existe pas dans les démocraties développées un autre Parlement dans lequel les parlementaires soient obligés d’aller chercher dans la presse étrangère les informations essentielles au débat qu’ils mènent.

M. François Brottes. Exact !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Mensonges !

M. Henri Emmanuelli. Je demande que cette lettre soit distribuée à l’ensemble des parlementaires ou au moins aux membres des commissions concernées.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Bien entendu ! Sans aucun problème !

M. Henri Emmanuelli. J’ai entendu de nombreuses considérations techniques. Monsieur le ministre, vous avez affirmé, hier, à cette tribune, que le rapprochement Suez-GDF était dans les tuyaux depuis longtemps ? C’est faux ! En revanche, l’alliance EDF-Total était dans les tuyaux depuis longtemps, à la demande de M. Gadonneix.

M. Pierre Ducout. Et Statoil !

M. Henri Emmanuelli. Après Statoil !

Un accident est survenu : une grande société française a été menacée. Si, dans la vie des entreprises privées, la rémunération est proportionnelle à la compétence, on peut s’étonner que, depuis le temps, les dirigeants de cette entreprise privée n’aient pas pris les dispositions nécessaires pour se mettre à l’abri, constituer un pacte d’actionnaires, un noyau dur. Ils auraient pu le faire, compte tenu de leur rémunération ahurissante. Je ne comprends pas que personne ne l’ait encore fait remarquer.

Mme Claude Greff. C’est nul !

M. Henri Emmanuelli. Ils se permettent dans la presse de donner des leçons aux parlementaires. Qu’il me soit donc permis, à moi qui suis infiniment moins payé qu’eux – n’est-ce pas, monsieur le ministre ? –, de leur renvoyer la politesse. Vous connaissez bien ces sujets, monsieur le ministre, et je vois que vous ne me contredisez pas.

J’ai entendu beaucoup de considérations techniques sur la façon de brancher les tuyaux avec tel ou tel. En réalité, pour les politiques, le problème n’est pas là. Au moment où nous nous trouvons dans un contexte de crise énergétique et où cette problématique ne va cesser de prendre de l’importance dans les semaines, les mois et les années à venir, le Gouvernement de la République française décide de confier à des intérêts privés le soin de veiller sur la sécurité de l’approvisionnement de notre pays.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Mais non !

M. Henri Emmanuelli. Non seulement il renonce à la situation précédente mais il ouvre aux actionnaires privés des perspectives de prélèvement sans limite sur le pouvoir d’achat des ménages, mettant éventuellement en danger la compétitivité des entreprises.

Monsieur le ministre, ne faites pas de signe !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je ne peux pas parler, je n’ai pas le droit de bouger non plus !

M. Henri Emmanuelli. Nous avons le 30 août assisté à l’audition de six présidents de fédérations industrielles. Ils sont venus nous confier leurs inquiétudes, leurs craintes.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Pas du tout !

M. Henri Emmanuelli. Laissez-moi m’exprimer ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Souffrez que je réagisse à vos propos ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Henri Emmanuelli. Vous pouvez tout faire, monsieur Breton. D’ailleurs, vous ne vous en privez pas, vous voyez ce que je veux dire, sinon je vous expliquerai. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Demain, lors du conseil d’administration de ce nouvel ensemble, les actionnaires auront la possibilité, contrairement à ce que vous dites, de fixer les prix, donc de prendre dans la poche des ménages français de façon illimitée et de mettre en danger notre compétitivité sans avoir aucun compte à rendre à quiconque, sans tenir compte de l’intérêt national, de l’intérêt collectif, en un mot de l’action publique. C’est inadmissible ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Messieurs de l’UMP, ne protestez pas. Cela correspond exactement aux propos tenus par M. Paillé depuis des semaines avec raison. Ce n’est pas parce qu’il s’appelle Paillé et qu’il est membre de l’UMP qu’il a tort à mes yeux. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Il a mis le doigt sur ce risque majeur. Vous êtes entre vous, vous vous faites plaisir, vous avez la majorité. Mais attention : quand on néglige le principe de réalité, on le regrette toujours.

Je vais, pour conclure, m’adresser aux actionnaires de la future société privée, ce que personne n’a fait avant moi, et je m’en étonne.

M. Jean Ueberschlag. Bouffon !

M. Henri Emmanuelli. Pas d’injure, je vous prie ! En matière de bouffon, j’aurais des leçons à prendre !

M. Jean Ueberschlag. Je ne me suis pas adressé à vous !

M. Henri Emmanuelli. Vous vous adressiez bien à moi ! Ayez au moins le courage de vos paroles, ou bien allez vous promener. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

« Bouffon » , qu’est-ce que cela signifie ? Vous imaginez peut-être que vous allez m’impressionner, me faire taire. Il faudrait vous lever tôt ! Il faudrait aussi être là depuis longtemps et surtout être sûr d’y rester. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Le problème, avec vous, monsieur Emmanuelli, c’est que vous ne pouvez pas rester calme très longtemps !

M. Henri Emmanuelli. Il y a, comme cela, des gens de passage qui se croient autorisés à tout dire. Ce n’est pas grave !

Monsieur le ministre, contrairement à vous, je vais m’adresser aux actionnaires de la future société privée.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. En tant que banquier, vous les connaissez !

M. Henri Emmanuelli. Personne ne leur parle. Je vais justement me référer à mon expérience professionnelle d’ancien banquier dans le privé.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous allons prendre des leçons !

M. Henri Emmanuelli. Mesdames, messieurs les actionnaires de Suez, réfléchissez bien. Vous allez vous trouver autour d’une table de conseil d’administration où l’État français détiendra 34 % et la minorité de blocage. De surcroît, cet actionnaire dispose du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire. Cela fait beaucoup ! Le deuxième actionnaire sera Albert Frères avec environ 4 %. Le Crédit agricole sera le troisième actionnaire et détiendra 3 %. Vous pouvez mesurer l’écart.

Si l’État français, avec 34 %, la minorité de blocage, et le pouvoir législatif et réglementaire, ne se fait pas entendre, c’est qu’il aura choisi de mauvais représentants autour de la table.

On fait, pour l’instant, miroiter aux actionnaires privés une opération de sauvetage. Mais vous serez demain dans une situation impossible, que ce soit un gouvernement de droite ou de gauche. En effet, un gouvernement, quel qu’il soit, aura l’obligation de faire respecter le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Cela relève de la CRE !

M. Henri Emmanuelli. Le rôle de ce management, s’il change – et il changera – ne consistera pas à faciliter la distribution de dividendes ou la tenue du titre en Bourse, mais concernera l’approvisionnement de la France, la sécurité énergétique, le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises.

Je réfléchirais bien à la place des actionnaires privés, car il sera trop tard ensuite pour venir, comme en d’autres circonstances, solliciter une évolution des parlementaires, qui reçoivent chaque jour des mails d’actionnaires concernant des travaux d’utilité publique et qui sont aujourd’hui fort marris.

Réfléchissez mesdames, messieurs les actionnaires de Suez ! En vue de sauver un management incompétent et de répondre à de fausses exigences – il existe d’autres solutions, vous le savez parfaitement –, vous allez hypothéquer les marges de manœuvre de tous les gouvernements à venir, qu’ils soient de droite ou de gauche, et fabriquer en plus des actionnaires privés malheureux.

Avouez que cela fait beaucoup pour un seul ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je voudrais, à ce stade du débat, répondre aux orateurs.

Monsieur Bocquet, je vais vous redonner l’index des amendements déposés par le groupe communiste, que vous avez eu l’amabilité de me remettre. Derrière cet arbre au feuillage modeste, il y a bien la forêt des 90 000 amendements déposés par le groupe communiste et les tonnes de papier qu’ils exigeront, à raison de 134 000 pages par député,…

M. Henri Emmanuelli. Je vous ai demandé la lettre, pas de faire du baratin !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …soit 77 252 000 pages pour l’ensemble des 577 députés. Voilà donc l’arbre qui cache la forêt.

Mme Muguette Jacquaint. Ce n’est pas la question qui est posée !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Cela représente 6 754 arbres, soit une forêt.

N’ayez pas honte, monsieur Bocquet, de la démarche que vous suivez. Je respecte ce que vous voulez faire, mais il faut que les Français soient informés ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés-e-s communistes et républicains)

Encore une fois, je respecte ce que vous voulez faire. Je me contente d’en informer les Françaises et les Français.

Cela dit, je souhaite revenir sur les principaux éléments qui ont été exposés par les premiers orateurs et qui nous ont permis d’aborder le fond du débat ce matin.

M. François Brottes. Qu’est-ce que cela signifie, monsieur le président ? On n’a jamais vu ça ! Le ministre parle quand il veut ? Avant la fin de la discussion générale ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je vais commencer par répondre à M. Bataille.

Monsieur Bataille, vous êtes un connaisseur du dossier : votre action dans le domaine nucléaire en témoigne et je veux vous rendre hommage.

Vos constats sont les bons : augmentation des pressions sur les prix ; investissements colossaux ; enjeux géostratégiques.

M. Henri Emmanuelli. Bla bla bla !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous partageons ce constat. Mais au moment de la décision, vous devenez plus vague, plus silencieux.

Si nous sommes d’accord sur le constat, nous différons sur les remèdes. Que proposez-vous ?

Nous avons donné à nos entreprises les moyens d’investir. Je rappelle qu’EDF consacrera 40 milliards d’euros dans les cinq ans à venir pour permettre au parc nucléaire de se développer, au parc électrique d’accroître sa capacité pour les consommateurs et pour les entreprises.

Pour investir, il faut à la fois de l’argent et un bilan pour pouvoir peser, je l’ai dit à maintes reprises. L’entreprise Gaz de France doit avoir les moyens de se développer. Vous dites vous-même qu’elle est trop petite. Il faut donc qu’elle trouve une entreprise avec qui se marier.

M. Pierre Ducout. Il y a EDF !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous avons attentivement examiné cette possibilité.

M. Pierre Ducout. Mais non !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous en avons abondamment parlé, M. Dionis du Séjour l’a rappelé.

Vous avez une vision caricaturale de la situation, monsieur Bataille !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. On a l’habitude !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous affirmez que, dans le secteur de l’énergie, il n’est possible de travailler qu’avec des entreprises publiques. Mais savez-vous que Total investit dans la recherche davantage qu’EDF ? À vous écouter, si seules des entreprises à capitaux publics pouvaient distribuer du gaz comme il convient, …

M. Pierre Ducout. La distribution, c’est public !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …cela voudrait dire – au regard de l’évolution des entreprises gazières dans les pays européens – que seule la Bulgarie pourrait continuer à progresser. En effet, excepté dans ce pays, il n’y a plus d’ entreprises gazières en Europe détenues majoritairement par des capitaux publics. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Nous sommes les héritiers du gaullisme. En 1946, nos anciens ont pris des décisions courageuses, je le redis et je sais que vous les partagez, monsieur Bataille. Aussi, soyons à la hauteur de cet héritage !

Vous avez par ailleurs fait allusion à Arcelor. Souvenez-vous des propos que j’ai tenus hier. En droit des sociétés, il faut avoir trois chiffres à l’esprit : 50 % – pour les actionnaires – 34 % et 5 %. Je reconnais – et vous avez raison – que si l’État français avait détenu plus de 5 % des titres d’Arcelor, il aurait pu s’opposer à la fusion.

M. Alain Bocquet. Eh oui !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Or savez-vous qui a vendu les 7 % qui lui restaient ? M. Strauss-Kahn !

M. Henri Emmanuelli. Pour une fois, ce que vous dites est vrai, monsieur le ministre !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous le voyez, monsieur Emmanuelli : je suis très objectif !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. M. Emmanuelli confirme !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur Dionis du Séjour, le Gouvernement partage votre analyse générale du marché de l’énergie. Vous avez rappelé l’importance du sommet de Barcelone : disons les choses comme elles sont. Là aussi, monsieur Emmanuelli, je ne fais que décrire la réalité.

M. Henri Emmanuelli. Non !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Le sommet de Barcelone a été un point de départ dans l’ouverture du marché de l’énergie qui se traduira dans les faits le 1er juillet 2007, lorsque la directive s’appliquera.

M. Henri Emmanuelli. C’est Mme Fontaine qui a fait sauter les conditions !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. M. le rapporteur l’a excellemment rappelé hier, et de façon incontestable ; il s’agit d’une réalité historique.

M. Pierre Cohen. Non !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Assumez !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. La transposition de la directive est une nécessité impérieuse, monsieur Dionis du Séjour, pour respecter nos engagements vis-à-vis de nos partenaires et organiser l’ouverture des marchés (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)…

M. Pierre Ducout. Il n’y a pas de marché réel !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …tout en conservant les tarifs. Je le redis : si nous ne transposons pas cette directive, les consommateurs seront les premières victimes. Nous serions dans un vide juridique tel que nous ne serions pas en mesure de préserver les tarifs régulés de l’électricité et du gaz.

M. Daniel Paul. Vous les avez dans le collimateur !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Chacun doit donc prendre ses responsabilités. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Telle est, mesdames, messieurs les députés, la réalité : il faut la dire à nos compatriotes. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement et la majorité sont déterminés à aller de l’avant,…

M. Pierre Cohen. Quelle majorité ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …parce qu’il y va de l’intérêt des consommateurs français et de l’intérêt de la France !

Je note, monsieur Dionis du Séjour, que vous êtes d’accord avec le Gouvernement et la majorité – et je pense même que nous allons pouvoir progresser – sur les articles 1 à 9, ce qui est une bonne chose.

M. Jean Dionis du Séjour. Cela se gâte en effet avec l’article 10 !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous disposons d’ores et déjà d’une bonne base d’accord. J’espère que nos débats seront sereins et que nous réussirons à vous convaincre du bien-fondé des articles suivants !

Sur la CRE, monsieur Dionis du Séjour, nos avis divergent. La commission de régulation de l’énergie n’est pas un nain, mais une institution respectée et puissante. Le Gouvernement soutiendra les amendements de la commission des affaires économiques à ce sujet.

M. Philippe Auberger. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. S’agissant du principe de réversibilité, je pense que notre proposition est équilibrée. Nous poursuivons du reste les discussions avec Bruxelles. La réversibilité pure et simple n’est pas possible car elle remettrait en cause les investissements. Il nous faut évaluer les tenants et les aboutissants, mais je crois sincèrement que la proposition de la commission répond clairement à vos préoccupations et à celles du Gouvernement.

En ce qui concerne le projet de rapprochement de Gaz de France et de Suez, je tiens à le dire solennellement, ne transformons pas notre débat en discussion d’assemblée générale des actionnaires, monsieur Emmanuelli.

M. Henri Emmanuelli. Je sais ce que je fais !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous sommes ici au Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Cohen. C’est vous qui le bafouez ! Vous ne savez même pas ce qu’est le Parlement !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. La seule question qui nous est posée est de savoir si nous sommes d’accord ou non pour donner à Gaz de France les moyens de nouer des alliances comme cela a été réclamé à maintes reprises par mes prédécesseurs, de façon que Gaz de France puisse aller de l’avant. C’est la seule question qui est posée au Parlement ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. René Couanau. Pas tout à fait !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Le reste ne concerne pas notre débat. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Cela dit, vous avez raison, il y a un projet dont le Gouvernement a été amené à se saisir – nous en avons longuement parlé hier – mais dont nous n’avons pas à traiter dans le cadre de ce projet de loi.

M. Pierre Cohen. Cela ne nous regarde pas ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous n’avons pas à nous prononcer là-dessus par voie législative.

M. Pierre Ducout. Pourtant, il en est question dans l’exposé des motifs !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Le Gouvernement souhaite que Gaz de France puisse discuter à armes égales avec les entreprises ou l’entreprise dont il pense qu’elles peuvent l’aider à résoudre ses problèmes et à relever les défis qui lui sont lancés.

Nous pensons en effet que le projet de fusion avec Suez est un bon projet, mais ce n’est pas l’objet du débat parlementaire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Cependant, monsieur Emmanuelli, je suis prêt – fidèle à mon habitude et vous commencez à bien me connaître – à vous donner toutes les informations qui sont à ma disposition, y compris celles qui ne concernent pas directement le débat parlementaire. C’est d’ailleurs chose faite avec la lettre de griefs, dont je rappelle qu’elle n’est qu’un élément qui ouvre une procédure et qu’elle n’est en aucun cas conclusive.

M. Daniel Paul. Dans ce cas, pourquoi ne pas nous donner les renseignements que nous demandons ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Le courrier que j’ai reçu de M. McCreevy sera évidemment transmis au président de la commission des affaires économiques dès aujourd’hui. J’espère du reste que vous serez plus nombreux à consulter ces documents, car vous n’avez été que neuf députés à avoir pris connaissance de ces éléments jusqu’à présent.

M. Pierre Ducout. Nous l’avons fait !

M. Daniel Paul. Absolument !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. En effet, M. Paul et M. Dionis du Séjour les ont consultés. En tout état de cause, les documents seront mis à votre disposition conformément à votre demande tout à fait légitime.

En ce qui concerne les risques d’OPA, il faut, monsieur Dionis du Séjour, revenir au principe de réalité. À partir du moment où vous lancez une OPA, c’est dans le but de créer des synergies, de pouvoir fusionner une entité avec une autre. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) À cet effet, il est nécessaire d’obtenir une majorité en assemblée générale extraordinaire, où 34 % du capital offrent un droit de veto. Et pour une fusion, il faut avoir – l’exemple d’Arcelor nous le rappelle et M. Emmanuelli m’a donné raison – plus de 95 % du capital. Tel est le principe de réalité.

J’ajoute que la détention d’actions spécifiques permettrait d’éviter de céder des actifs que l’État estime stratégiques. L’ensemble de ce dispositif protège donc parfaitement le nouveau groupe que Gaz de France voudra constituer en s’alliant avec le partenaire de son choix tout en préservant les intérêts de l’État.

M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas vrai !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Voilà ce qui vous est proposé, mesdames, messieurs les députés : rien de plus, rien de moins. Tout le reste ne concerne pas, je le répète, nos débats.

Le tarif social et la sécurisation des tarifs réglementés sont importants, vous avez eu raison de le souligner, monsieur Dionis du Séjour. Mais pour cela, la transposition de la directive est impérative. Faute de quoi, ce seront, comme d’habitude, les plus défavorisés qui en feront les frais. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement et la majorité sont déterminés à se battre pour faire adopter ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Monsieur Bocquet, autant j’ai partagé les préalables de M. Bataille et de M. Dionis du Séjour, autant, et n’y voyez aucune attaque d’aucune sorte, je ne peux partager votre constat.

M. Daniel Paul. Vous nous rassurez !

M. Frédéric Dutoit. Cela ne nous étonne pas vraiment !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous ne comprenons pas le monde de la même façon. Vous avez cité Mao Tsé-toung : ce ne sont pas les références du Gouvernement ni même, je crois, celles d’une autre gauche, n’est-ce pas monsieur Emmanuelli ?

Je voudrais remercier M. Poignant pour l’important travail qu’il a effectué tout au long des six derniers mois sur ce texte. Nous avons ensemble amélioré le texte. Nous avons progressé et nous avons réussi à trouver un équilibre qui a su tenir compte des diversités que nous avons pu ressentir ici et là dans la majorité, diversités que, du reste, nous respectons. Serge Poignant a fait une synthèse qui a permis de recentrer le débat sur les deux questions essentielles qui nous occupent : premièrement, comment transposer la directive dans l’intérêt des consommateurs ?

Mme Marie-Anne Montchamp. Oui !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. À cet égard, nous avons trouvé un bon équilibre ; le Gouvernement acceptera vos amendements et ceux proposés par la commission.

Deuxièmement, sommes-nous d’accord pour donner à Gaz de France, avec des conditions extrêmement strictes, la possibilité d’avancer, et jusqu’où ? C’est précisément dans cette discussion que nous avons trouvé, je crois, un compromis qui permet de préserver les intérêts et les missions de service public auxquels nous sommes attachés et de donner à Gaz de France la possibilité d’aller de l’avant et de ne pas être isolé dans la guerre énergétique à laquelle nous sommes confrontés tout en maintenant des tarifs régulés, arrêtés par la Commission de régulation de l’énergie, comme c’est le cas depuis des années.

Il faut éviter de dire des sottises, en faisant croire à nos compatriotes que c’est parce que l’on détient une action que l’on peut définir un tarif dans le domaine énergétique. Ce n’était pas le cas hier, ce n’est pas le cas aujourd’hui, et ce ne sera pas le cas demain. Nous l’avons dit, vous l’avez répété. Telles sont les garanties apportées par ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour un rappel au règlement.

M. François Brottes. Je me fonderai d’abord sur l’article 58, alinéa 1.

Permettez-moi, monsieur le ministre, de m’étonner de votre intervention au milieu de la discussion générale. Si c’est votre droit (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), ce n’est pas l’usage. (Exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Pierre-Louis Fagniez. C’était nécessaire !

M. François Brottes. Généralement, le ministre attend d’avoir entendu l’ensemble des orateurs pour faire des commentaires.

Mais j’imagine que, si vous prenez la parole à ce moment du débat, c’est parce que vous avez été gêné par beaucoup de choses qui ont été dites et que vous souhaitiez leur opposer des arguments, comme à votre habitude, discutables.

M. Frédéric Dutoit. Fallacieux, même !

M. François Brottes. Hier, c’était l’ancien fonctionnaire,…

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je n’avais, hélas, pas le statut de fonctionnaire !

M. François Brottes. …président de France Télécom, qui dérapait et quittait son devoir de réserve. Aujourd’hui, c’est le ministre qui sort du cadre et donne des leçons aux parlementaires en leur disant ce dont ils peuvent ou non parler.

Je veux redire ici que nous, représentants du peuple français, nous devons défendre les actions détenues par le peuple français dans cette entreprise. Nous ne sommes donc pas hors sujet en en parlant.

Par ailleurs, vous nous dites, monsieur le ministre, que la golden share, l’action spécifique, ne concerne pas ce débat ; or il en est question à l’article 10, alinéa 2, du projet de loi. Avant de nous donner des leçons, il faudrait peut-être vérifier ce dont il est question !

Ensuite, j’aimerais que l’on sorte de la caricature, dont se servent les journaux parce que cela fait quelque effet, et le ministre lui-même, à propos des arbres qui cachent la forêt.

Premièrement, nous dresserons un bilan très précis à la fin de l’examen de ce texte du nombre de pages qui auront été effectivement imprimées en vue de la défense des amendements.

Deuxièmement, puisque M. le ministre de l’économie tient ses statistiques très à jour, je lui demande solennellement de faire le compte du nombre de pages qui ont été imprimées dans la presse pour faire la publicité de cette opération, depuis des mois et des mois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Cohen. Et de leur coût !

M. François Brottes. Je suis certain que la comparaison sera intéressante, compte tenu des chiffres que vous nous avez donnés tout à l’heure. D’autant que, si vous allez jusqu’au bout de ce funeste projet, il y aura encore d’autres pages de publicité en direction des actionnaires des deux entreprises. Vous devrez nous rendre des comptes sur cette question.

Mme Claude Greff. Et si l’on demandait aux socialistes de payer les frais liés à l’impression de leurs milliers d’amendements, qui sont à la charge des contribuables ?

M. François Brottes. Puisque nous parlons de forêt, sujet que je connais un peu, je voudrais dire à M. le ministre avec quelque gravité qu’il pénalise la sylviculture française en se prononçant de cette manière. La France a une forêt qui a doublé de surface en un siècle et, pour lutter contre l’effet de serre, il faut abattre les vieux arbres pour laisser pousser les jeunes. En tout état de cause, il faut que la forêt soit exploitée et régulièrement entretenue pour qu’elle puisse remplir sa fonction, y compris au regard de l’environnement. Monsieur le ministre, n’accréditez pas des thèses qui n’ont rien à voir avec le sujet dont vous traitez, ou alors renseignez-vous au préalable !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous sommes d’accord !

M. François Brottes. Enfin, monsieur le président, sur le fondement de l’article 58, alinéa 3, je demande au nom de mon groupe une suspension de séance pour que nous puissions obtenir une copie de la fameuse lettre que M. le ministre a reçue du commissaire européen au marché intérieur, Charlie McCreevy, qui, selon ses dires, lui donnerait le feu vert pour la golden share.

Mme Claude Greff. N’en avez-vous jamais assez ?

M. François Brottes. Nous prendrons ainsi connaissance des contours précis de la position du commissaire, de façon à en tenir compte dans la suite de nos travaux.

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz, pour un rappel au règlement.

M. Maxime Gremetz. J’en avais envie depuis longtemps, monsieur le président !

D’abord, je vous pardonne, monsieur le ministre, de ne pas connaître les us et coutumes de l’Assemblée nationale.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Ah non, monsieur Gremetz, je ne veux pas être pardonné par vous !

M. Maxime Gremetz. Mais, par cette méconnaissance, vous faites de l’obstruction parlementaire (Rires sur divers bancs.) Vous nous permettez, en effet, de prendre la parole pour un rappel au règlement pendant la discussion générale, alors que c’est interdit. Ce n’est pas bien ! Mais vous aurez le moyen de réparer cela et de gagner un peu d’expérience en matière parlementaire avec les échéances qui s’annoncent.

Ensuite, plus sérieusement, monsieur le ministre, je suis frappé… (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Daniel Mach. On le savait déjà !

M. Maxime Gremetz. Oui, mais vous c’est de naissance, moi, ce n’est que par moments. Si vous voulez plaisanter, plaisantons !

Nous sommes tous et toutes élus par le peuple français, car je ne fais pas de différences (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), vous êtes ici comme nous par la volonté du peuple et « nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes », comme disait l’autre. Pour ma part, depuis des législatures que je suis élu, je n’ai jamais vu un ministre s’engager devant notre assemblée comme l’actuel ministre d’État l’a fait pour obtenir un accord des organisations syndicales qui lui demandaient des garanties : M. Sarkozy – souvenez-vous, c’était un matin, où il n’y avait certes pas beaucoup de monde – avait déclaré que le Gouvernement tout entier s’engageait à ce que la part du capital de GDF détenue par l’État ne descende pas en dessous de 70 %. Et c’est ce même gouvernement qui nous dit aujourd’hui que celle-ci sera peut-être de 34 %. M. Novelli, l’ultra-libéral de service (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), s’inquiète lui-même du fait que, avec des pénétrations de capital autres (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), le seuil détenu par l’État ne soit même pas garanti à 33 %. Je ne travestis pas vos propos, n’est-ce pas, monsieur le rapporteur pour avis ?

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Sauf pour les pénétrations !

M. Maxime Gremetz. Nous pouvons utiliser d’autres termes, des « participations nouvelles du privé », si vous préférez. D’ailleurs, vous n’avez pas répondu à la question, monsieur Novelli, alors que vous êtes l’un des rapporteurs du projet.

Monsieur le ministre, je vous trouve particulièrement donneur de leçons, pourtant, il n’y a pas de quoi. Vous nous accusez de faire de l’obstruction, mais c’est vous qui en faites. Ce grand sujet de société n’aurait-il pas mérité un grand débat national auquel tous les citoyens et toutes les citoyennes participent, et même un référendum ? C’est nous qui parlons en leur nom et décidons à leur place, et vous n’avez pas voulu mettre toutes les pièces relatives à la Commission européenne à notre disposition : vous nous cachez toute une série de choses.

Il est tout à fait normal que...

M. le président. Merci, monsieur Gremetz !

M. Maxime Gremetz. Si nous n’avions pas déposé tous ces amendements, demain, ce débat si important du point de vue de la nation et l’avenir de notre pays, de l’Europe, des usagers et de notre dépendance énergétique, n’aurait pas eu lieu du tout. Heureusement que nous sommes là !

Monsieur le ministre,…

M. Jean Dionis du Séjour. Arrêtez-le !

M. Maxime Gremetz. …écoutez davantage les orateurs qui font des propositions au lieu de parler pendant qu’ils interviennent. Vous n’écoutez personne. Vous avez la science infuse des grands patrons et des grands banquiers. Les salariés, les syndicalistes ne comptent pas.

M. le président. Merci, monsieur Gremetz.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à douze heures.)

M. le président. La séance est reprise.

Reprise de la discussion

M. le président. Nous en revenons à la discussion générale.

La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’aurai l’occasion, en présentant une motion de renvoi en commission cet après-midi, de revenir plus largement sur les enjeux de la privatisation de GDF et de sa fusion avec Suez, que mon collègue Alain Bocquet, président du groupe, a abordés ce matin.

Que ce projet soit contraire aux intérêts du pays et des consommateurs, qu’il ne réponde qu’à des logiques financières, il ne sera pas très difficile d’en faire la démonstration. Les arguments développés pour tenter de justifier ce rapprochement douteux sont pour le moins confus ou contradictoires. La qualité industrielle du projet est sujette à caution, et la précipitation dont vous faites preuve, nul ne l’ignore, ne vise qu’à satisfaire les attentes de quelques actionnaires au détriment de l’intérêt général dont vous feignez aujourd’hui de vous préoccuper en prétendant que GDF aurait besoin de Suez alors que vous souteniez le contraire il y a quelques mois.

Pour l’heure, j’aborderai l’autre principal objectif de ce texte, l’ouverture totale des marchés de l’électricité et du gaz au 1er juillet prochain. Il vous sera facile de me répondre que le projet de loi se borne sur ce point à transposer, conformément au calendrier prévu, les dispositions des directives de juin 2003.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis de commission des finances, de l’économie générale et du Plan. C’est vrai.

M. Daniel Paul. Mais votre zèle est ici à la mesure de votre aveuglement. Comment prétendre qu’il pourrait être sage – ou même seulement opportun – de procéder à l’ouverture complète des marchés de l’énergie alors que leur ouverture partielle depuis 2000 a eu tant d’effets néfastes sur l’industrie et sur l’emploi, dénoncés par ceux-là mêmes qui en sont victimes ? Vous ne pouvez ignorer que, pour l’ensemble des clients industriels concernés, cette ouverture s’est soldée par l’augmentation des coûts de la fourniture en énergie. Oh, certes, ils ont bénéficié au départ de prix inférieurs à ceux du marché régulé. Mais cette période dorée a peu duré. Les industriels qui ont quitté le marché régulé pour le marché libre ont rapidement connu – et connaissent encore – des hausses vertigineuses de leur facture d’énergie : jusqu’à 80 % d’augmentation ! Certaines de ces entreprises, à présent étranglées, se retrouvent dans l’impossibilité de revenir en arrière et doivent purement et simplement cesser leur activité. J’ai ainsi eu l’occasion de vous écrire, messieurs les ministres, au sujet d’un des principaux fournisseurs d’ammoniac dans notre pays, le groupe Yara, qui a renoncé à reprendre ses activités en raison de l’augmentation du prix du gaz.

M. Yves Cochet. Eh oui !

M. Alain Bocquet. C’est vrai aussi dans le secteur de l’aluminium !

M. Daniel Paul. Celui-ci intervient en effet pour 87 % dans ses coûts de production. L’augmentation consécutive à la sortie du marché régulé ayant atteint 50 à 60 %, vous imaginez quel peut être le résultat : 130 emplois directement supprimés.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. C’est ça, le problème !

M. Daniel Paul. Eh oui, il y a un problème ! Et ce n’est pas la solution aujourd’hui avancée qui va le résoudre. En outre, notre pays devra désormais importer de l’ammoniac.

Concernant l’électricité, les éléments rendus publics par l’organisme NUS Consulting ont dévoilé que les prix de gros avaient augmenté de 48 % entre avril 2005 et avril 2006. L’écart entre les prix de l’énergie et les tarifs réglementés par l’État atteint aujourd’hui 66 %. Vos amis du Medef s’en sont eux-mêmes inquiétés, constatant que l’ouverture actuelle du marché européen de l’électricité « conduit tout le monde dans le mur » car elle est faite à court terme et souffre d’une absence de coordination au niveau européen. Dans ce contexte, n’aurait-il pas été plus indiqué de tirer le bilan de l’ouverture des marchés et d’appeler au gel des directives ainsi qu’à leur renégociation ?

Au lieu de cela, que proposez-vous ? Rien de moins que de soumettre désormais l’ensemble des consommateurs, y compris les familles et les petites entreprises, c'est-à-dire l’ensemble des citoyens et de leurs outils de travail, au même risque d’explosion de la facture énergétique. Certes, pour des raisons électoralistes, et afin de recueillir le soutien de l’ensemble de la majorité parlementaire, vous avez eu l’habilité de prévoir quelques mesures visant à arrondir les angles. Mais cela ne trompe personne.

Ainsi, vous affichez votre volonté de maintenir les tarifs réglementés. À vous entendre, le consommateur aura donc demain le choix soit de continuer à bénéficier des tarifs réglementés, soit de souscrire aux nouvelles offres qui lui seront proposées. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes !

Mais qu’adviendra-t-il en réalité ? Vous confirmez le principe d’irréversibilité. Rien d’étonnant, puisque l’objectif de la directive, confirmé par la Commission européenne et par la lettre de griefs comme par la CRE et par les directions de GDF et de Suez, est de supprimer les tarifs régulés et de laisser jouer les règles du marché, dont on voit aujourd’hui les conséquences.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. C’est le contraire ! Voyez le projet de loi !

M. Daniel Paul. Mais les protestations sont telles que vous êtes contraints de donner le change : un possible retour au tarif régulé, à un tarif de 30 % supérieur – puisque le tarif non régulé a augmenté de 60 %, on coupe la poire en deux ! –, pour une durée de deux ans, et seulement pour les entreprises les plus en difficulté. Surtout pas pour toutes, nous avez-vous dit : cela empêcherait EDF de fournir suffisamment d’électricité, alors que l’on en manque.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Non, on n’en manque pas !

M. Daniel Paul. Mais que se passera-t-il, monsieur le rapporteur, si, au bout de deux ans, le tarif dérégulé a encore augmenté ? Les entreprises seront alors contraintes de quitter ce système mi-chèvre, mi-chou et, ne pouvant rejoindre le marché régulé, devront subir les prix du marché libre, qui pourront, d’ici là, avoir augmenté de 50 ou 60 %. L’interdiction de revenir aux tarifs régulés ne va-t-elle pas tout simplement pousser ces entreprises à délocaliser, voire les amener à mettre la clé sous la porte ?

M. Alain Bocquet et M. Yves Cochet. Si !

M. Daniel Paul. Quant aux ménages, les associations de consommateurs ont parfaitement décrit les risques qu’ils courent : propositions alléchantes pour accrocher le client, en particulier celui qui peine à payer sa facture, puis, au bout de quelques semaines ou de quelques mois, passage à la réalité des prix, là aussi sans espoir de retour, avec, au bout, l’aggravation des difficultés. On sait ce que cela donne aujourd’hui dans la téléphonie : des prix « d’accroche » à 29,90 euros, et une augmentation quand on est entré dans le système.

Quant aux fournisseurs engagés – comme l’ont rappelé leurs directions – par des promesses sur les résultats faites à leurs actionnaires, ils obtiendront sans nul doute la compensation de la perte liée à cette baisse de tarif. M. Mestrallet le rappelle ce matin dans un journal national : « les actionnaires ne doivent pas souffrir des évolutions des tarifs ».

M. Alain Bocquet. Bravo !

M. Daniel Paul. Je ne suis pas inquiet pour eux.

Quant à la Commission européenne, dans sa lettre de griefs, elle reproche à la France – en termes choisis, naturellement – de faire obstacle à l’entrée de nouveaux concurrents sur le marché français parce que les tarifs de l’énergie y sont insuffisamment élevés. Il faudrait donc que les tarifs augmentent pour favoriser la concurrence.

Au bout du compte, ce sont les petits consommateurs qui paieront pour que les producteurs et les distributeurs d’énergie rentrent dans leurs sous et que les actionnaires soient satisfaits. Et, dans ces petits consommateurs, j’inclus évidemment les familles, mais aussi les petites et moyennes entreprises. Vous nous avez répété en commission – et vous le ferez probablement à nouveau pendant ce débat – que c’est le ministre qui décide des prix, …

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Pas les prix, les tarifs !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Ce n’est pas la même chose !

M. Daniel Paul. …mais cela ne changera pas grand-chose aux pressions des actionnaires et aux logiques de marché. Cette politique, monsieur le rapporteur, est dangereuse pour notre économie et pour nos concitoyens.

Vous êtes dans une contradiction : consommateurs ou actionnaires ? Intérêt général ou logique financière ? Vous avez fait votre choix, nous avons fait le nôtre : ne pas sacrifier l’intérêt du pays et celui des consommateurs – y compris des entreprises – à celui des actionnaires et des fonds de pension. Nous voterons bien évidemment contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je souhaite répondre à des questions qui ont été posées avant la suspension de séance, et dont je pensais qu’elles avaient été oubliées.

Il a été fait état ce matin du courrier que le ministre a reçu du commissaire Charlie McCreevy. Il est possible que la communication d’autres documents soit réclamée au cours du débat. Nous avons donc fait le point avec le Gouvernement et avec le président de la commission des affaires économiques, afin de définir un principe et une procédure sur lesquelles nous pouvons nous mettre d’accord : de tels documents, lorsqu’ils nous sont transmis par le Gouvernement, sont remis au président de la commission et sont consultables dans son bureau. Nous répondrons ainsi à une demande d’information tout à fait légitime et qui vient d’ailleurs de tous les bancs.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour un rappel au règlement.

M. François Brottes. Je souhaite d’abord corriger les propos du rapporteur : la demande n’avait pas du tout été oubliée : je me suis inquiété il y a peu auprès de la présidence afin de savoir si le Gouvernement avait donné une réponse. Le rapporteur n’a donc pas à faire ce genre de commentaire. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Par ailleurs, je prends acte du fait que le document sera consultable. J’aimerais qu’il soit précisé que nous pourrons également en faire une copie – tant pis si cela nous oblige à envoyer quelqu’un en commission et, s’il le faut, nous demanderons une suspension de séance. Cette fois, le document demandé n’a en effet rien de confidentiel. Je prends votre silence, monsieur le rapporteur, comme une confirmation.

M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet.

M. Alain Bocquet. La pratique consistant à organiser des files d’attentes devant les bureaux de la commission des affaires économiques pour permettre l’accès à des documents ne me paraît pas la plus efficace pour garantir la complète information de notre assemblée. M. le ministre l’a d’ailleurs relevé : peu des nôtres sont allés lire la fameuse lettre de griefs de la Commission européenne…

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Et encore ! L’ont-ils lue jusqu’au bout ?

M. Alain Bocquet. Cette dénomination symbolise d’ailleurs parfaitement l’Europe actuelle. « Lettre d’observations » eût été plus diplomatique.

M. Jacques-Alain Bénisti. C’est le terme légal !

M. Alain Bocquet. Si on veut informer les parlementaires, ce qui est légitime, cette lettre devra être communiquée dans son intégralité, sans pages noircies rendant incompréhensibles des passages entiers. Quant aux échanges épistolaires entre M. le ministre et la Commission, ils n’ont rien de secret. Nous n’en sommes plus à quelques branches près, d’autant plus que l’on peut utiliser du papier recyclé.

Vous pouvez parfaitement nous communiquer les termes exacts de ces courriers indispensables à notre information et à notre travail.

Si l’UMP a refusé la réunion de l’Assemblée en comité secret, ce qui nous aurait fait gagner du temps, c’est qu’elle ne souhaite pas que la transparence soit totale et qu’elle veut nous cacher des choses. Cela commence à devenir évident pour nombre de Françaises et de Français.

Afin de nous accorder sur une méthode démocratique vraie et efficace permettant enfin à la représentation nationale de disposer de tous les éléments d’information dont elle a besoin pour décider en toute conscience, vous comprendrez, monsieur le président, que je demande au nom de mon groupe une suspension de séance.

M. le président. À moins que, dans un souci de conciliation, vous ne renonciez à cette suspension si la réponse de M. le rapporteur vous donne satisfaction, monsieur Bocquet !

M. Daniel Paul. Nous voulons l’intégralité de la lettre !

M. le président. Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Il faut éviter tout malentendu. Pour qu’en effet la représentation nationale dispose des éléments dont elle a besoin pour délibérer, nous nous sommes mis d’accord sur une procédure.

M. Alain Bocquet et M. Daniel Paul. Non !

M. François Brottes. Nous ne sommes d’accord sur rien !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Celle-ci est valable pour la durée du débat. Ainsi, un certain nombre de documents sont mis à disposition par le président de la commission et sont donc intégralement consultables.

M. Alain Bocquet. Non !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Cela ne signifie pas pour autant qu’il sera possible d’en faire des photocopies pour les diffuser à l’extérieur. Votre demande est donc satisfaite.

M. Alain Bocquet. Ce n’est pas possible !

M. François Brottes. C’est grave !

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Soyons clairs, monsieur le rapporteur. Il y a, d’une part, les documents qui viennent d’être évoqués par le président Bocquet – les échanges de courriers entre la Commission européenne et le Gouvernement – et, d’autre part, la lettre de griefs. Je l’ai consultée. Des pages entières sont noircies et particulièrement tous les chiffres d’un tableau.

M. Alain Bocquet. Maquillés !

M. Daniel Paul. Ils sont, en effet, maquillés, camouflés. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) On ne sait donc pas si l’entreprise dispose de 5 %, 50 % ou 95 % du marché.

M. Alain Bocquet. On ne sait rien !

M. Daniel Paul. Reconnaissez que c’est un peu gênant. Des chiffres ont été barrés, rendant totalement incompréhensibles des phrases et des paragraphes entiers. On ne sait pas, par exemple, si l’on parle de pourcentages ou d’euros. Ce n’est pas sérieux ! Quand vous parlez de « prise de connaissance intégrale », incluez-vous celle du document que la Commission européenne a adressé à GDF et à Suez, nous permettant d’être totalement informés ? Si tel n’est pas cas, c’est que vous voulez cacher à la représentation nationale, et au-delà à la population, la réalité de ce qui risque effectivement de se passer dans quelques semaines lorsque, le Parlement ayant terminé son travail, les actionnaires et leurs représentants à Bruxelles et au Gouvernement feront des coupes claires dans ce qui est toujours une grande entreprise publique qui deviendra alors un oligopole privé aux ailes quelque peu rabougries.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ducout.

M. Pierre Ducout. Ayant été l’un des premiers à prendre connaissance de la lettre de griefs, je puis témoigner que les conditions de sa consultation dans le bureau du président de notre commission ne furent pas satisfaisantes. Le président travaillait en même temps, téléphonant à certains journalistes pour leur dire tout le mal qu’il pensait de notre position quant à la privatisation de GDF. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) De plus, jusqu’à mardi, contrairement à ses affirmations, le président n’a pas fait plusieurs photocopies.

M. Daniel Paul. Il n’y avait aucune photocopie !

M. Alain Bocquet. C’est scandaleux !

M. Pierre Ducout. C’est lorsque M. Paul a voulu également consulter cette lettre qu’il a été fait une deuxième photocopie, ce qui a d’ailleurs pris un certain temps. Les conditions de travail ne sont pas simples. Dans tous les cas, il est indispensable que les documents qui n’ont pas de caractère confidentiel puissent être communiqués directement à chaque responsable de groupe, qui les utilisera comme bon lui semblera.

La lettre de griefs comprend des éléments indispensables à notre compréhension, mais certains sont illisibles. Cela fait perdre du temps à ceux qui cherchent à les retrouver – car c’est possible –, dans les comptes rendus d’activité de telle ou telle entreprise. C’est donc se moquer de la représentation nationale que de procéder ainsi. Nous voulons travailler sérieusement. Il conviendrait au minimum de communiquer correctement à chaque groupe tous les documents qui peuvent être mis à sa disposition, sans penser aux quelques répercussions que cela pourrait avoir sur nos forêts.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. La position du Gouvernement est très claire. Je l’ai dit et je le répète : nous travaillons en toute transparence. Mais certains éléments peuvent être confidentiels parce qu’il y a des précautions à prendre.

M. Alain Bocquet. Non !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. La procédure que nous avons définie avec le président de la commission des affaires économiques permet à chacun d’être informé. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Bocquet et M. Daniel Paul. C’est faux !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je n’ai pas terminé !

Monsieur Brottes, nous avons, conformément au dispositif adopté avec le président de la commission, fait parvenir cette lettre, qui est donc consultable dès maintenant. Comme cette lettre est adressée par la Commission au ministre, mes services vont lui demander si elle ne voit pas d’inconvénient à ce qu’elle puisse être photocopiée. Il est préférable de procéder ainsi et sans doute pourrions-nous nous accorder sur ce point. Je vous ferai part de sa réponse, qui devrait être positive. Entre-temps, j’invite ceux qui le désirent à consulter cette lettre dans le bureau du président de la commission des affaires économiques. Cette proposition est donc raisonnable.

M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet.

M. Alain Bocquet. Après l’intervention de M. le ministre et de M. le rapporteur, je veux dire mon indignation. On nous prend pour des « croque-saucisses mendigots » ! Ce n’est pas possible ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Ces méthodes de travail sont incroyables ! Il s’agit d’une rétention d’information organisée, structurée par le ministre et ses services ! Nous ne sommes pas à égalité avec le Gouvernement en matière d’information. M. Thierry Breton ne me fera jamais croire qu’il ne connaît pas la lettre de griefs dans son entier.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est faux !

M. Alain Bocquet. Elle ne comporte pas les passages barrés comme celle que l’on a communiquée à la représentation nationale !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Tout ce que j’ai eu, vous l’avez !

M. Alain Bocquet. C’est absolument scandaleux ! Je réitère la demande faite hier et cinquante-huit de mes collègues me rejoindront : s’il le faut, réunissons-nous en comité secret pour que l’on nous lise, enfin, in extenso le texte de la Commission européenne ! Mais pour qui nous prend-on ici ? Pour qui prend-on les élus du peuple ? C’est inadmissible ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) C’est impensable ! Chers collègues du groupe majoritaire, si vous voulez être des godillots jusqu’au bout, c’est votre problème ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Mais, en ce qui nous concerne, nous ne l’accepterons jamais ! (Exclamations sur les mêmes bancs.) Je trouve scandaleux pour la démocratie française que l’on ne nous donne pas toute l’information ! Je demande une suspension de séance et je vais faire appel, s’il le faut, au Président de la République, parce que nous nageons en plein délire ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Qu’est-ce que c’est que cette République du secret ? (Exclamations sur les mêmes bancs.) Qu’est-ce que c’est que cette République de l’opacité ? Nous sommes ici la représentation du peuple !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Nous aussi ! Et nous sommes majoritaires !

M. Alain Bocquet. L’avenir de l’énergie, l’avenir du service public, tels sont les enjeux ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Et on nous mégote des informations ! On veut nous faire faire la queue devant le bureau du ministère ! Nous ne sommes pas sur le fil en train de sécher, monsieur le ministre ! Nous travaillons ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Le Bureau de l’Assemblée et la Conférence des présidents doivent être convoqués pour mettre enfin de l’ordre ! Je demande d’ailleurs la venue du président Debré !

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Je n’utiliserai pas les mêmes mots que le président Bocquet, mais je partage totalement son indignation. Je le dis très solennellement à l’ensemble de nos collègues.

M. Alain Bocquet. C’est scandaleux ! Pour qui nous prend-on ?

M. François Brottes. Certes, nous devons transposer des directives, mais nous n’avons pas à légiférer et à débattre en obéissant aux injonctions de tel ou tel membre de la Commission européenne !

M. Pierre Cohen. Et encore moins du Gouvernement !

M. François Brottes. C’est inacceptable. Monsieur le ministre, il peut y avoir des documents confidentiels et secrets. Nous en avons parlé et avons dit tout le mal que l’on en pensait. Toutefois, la lettre que vous a envoyée le commissaire, et dont toute la presse fait état par bribes, doit être copiable et diffusable. En tout état de cause, monsieur le président, nous n’allons pas attendre l’aval de tel ou tel commissaire pour en obtenir une copie. Je m’associe donc à la demande de suspension de séance pour que nous ayons le temps de la recopier puisque l’on nous refuse toute photocopie.

M. Alain Bocquet. Tout à fait ! Qu’est-ce que c’est que ces méthodes ?

M. François Brottes. Et que l’on ne m’interdise pas d’entrer dans la salle de la commission des affaires économiques avec un stylo et du papier blanc ! C’est une affaire extrêmement importante ! C’est la question de la golden share ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Cette golden share est-elle susceptible de protéger les intérêts publics en matière d’énergie ? Je ne vois pas comment on peut poursuivre ce débat si on ne connaît pas les contours de l’avis émis aujourd’hui par Bruxelles.

M. Jean-Christophe Cambadélis. Absolument !

M. François Brottes. Nous devons avoir le temps pendant cette suspension de séance, et sans attendre l’aval de qui que ce soit, de copier cette lettre du commissaire McCreevy. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laffineur.

M. Marc Laffineur. Gardez votre calme, chers collègues de l’opposition !

M. Alain Bocquet. Vous exagérez !

M. Marc Laffineur. Nous avons montré que la transparence était totale…

M. François Brottes et M. Alain Bocquet. Non, c’est faux !

M. Marc Laffineur. …puisque tout est consultable.

M. Alain Bocquet. Non !

M. Marc Laffineur. Ce n’est pas la peine, messieurs, d’injurier le groupe majoritaire.

M. Christian Bataille. On ne vous injurie pas, on constate !

M. Marc Laffineur. Je reprends vos propos ! Il est inutile de prendre tous les prétextes pour faire traîner ce débat !

M. Alain Bocquet. Donnez-nous le texte !

M. Marc Laffineur. Tel est, en fait, le fond du sujet ! Depuis hier, vous ne cessez de chercher le moindre petit prétexte pour allonger les débats Vous avez déposé 130 000 amendements et maintenant vous usez de toutes les procédures possibles !

L’énergie mérite un débat de fond. C’est extrêmement important !

Un député du groupe socialiste. Exiger la transparence, c’est énorme !

M. Alain Bocquet. C’est fondamental d’être informé !

M. Marc Laffineur. La transparence est parfaite puisque vous pouvez prendre connaissance en permanence de tous les documents dans le bureau du président.

Plusieurs députés du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. C’est faux !

M. Marc Laffineur. Il est inutile de m’injurier et de m’invectiver. La vérité doit être rétablie. Gardez votre calme !

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à douze heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves le Déaut, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je crois que nous ne sommes pas dans de bonnes conditions pour continuer le débat, dans la mesure où M. Brottes est allé recopier la lettre que le ministre refuse de nous communiquer après avoir dit qu’il l’avait reçue.

Plusieurs d’entre vous nous accusent de faire de l’obstruction…

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. C’est vrai !

M. Jean-Yves Le Déaut. …mais, si le ministre avait laissé le débat se poursuivre sans intervenir, nous aurions presque terminé ! Comme mes collègues communistes, je suis obligé de souligner que c’est en raison de la méconnaissance parlementaire d’un membre du Gouvernement que nous en sommes là aujourd’hui. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Bien sûr que si, et vous le savez ! Il y en a même qui nous le disent en privé ! (Protestations sur les mêmes bancs.)

Nous sommes dans une très mauvaise situation. Laissons donc M. Brottes prendre connaissance de cette lettre et continuons la discussion à quinze heures, puisque le Gouvernement a souhaité aller déjeuner plus tôt.

M. le président. Monsieur Le Déaut, c’est une proposition qui me convient tout à fait et qui, je suis sûr, conviendra aussi à l’Assemblée nationale.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ORDRE DU JOUR DE la PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 3201, relatif au secteur de l’énergie :

Rapport, n° 3278, de M. Jean-Claude Lenoir, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,

Avis, n° 3277, de M. Hervé Novelli, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures cinquante.)