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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du vendredi 8 septembre 2006

5e séance de la session extraordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. MAURICE LEROY,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

énergie

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au secteur de l’énergie (nos 3201, 3278, 3277).

Rappel au règlement

M. François Brottes. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour un rappel au règlement.

M. François Brottes. À l’issue de la séance de ce matin, j’ai dû me rendre dans le bureau du président de la commission des affaires économiques pour recopier, à la main, la fameuse lettre envoyée par le commissaire européen, Charlie McCreevy, à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. M. Breton a indiqué depuis que nous pouvions en avoir une photocopie, ce qui m’aurait évité deux pages d’écriture, mais ce n’est pas très grave car j’ai pu prendre connaissance d’un élément très important.

Je veux m’adresser à ceux qui multiplient dans les journaux les plaidoyers pro domo et à ceux qui, s’exprimant en dehors de nos débats, considèrent que l’opposition fait de l’obstruction et que le Parlement ne remplit pas son rôle. Beaucoup de ces donneurs de leçons ne sont pourtant jamais ici ! J’ai lu les déclarations des uns et des autres, y compris de certains ministres… C’est assez intéressant !

L’opposition est dans son rôle, comme la majorité peut parfois l’être, quand elle demande des éclaircissements.

Le cœur du présent débat est le désaccord de l’opposition sur la privatisation de Gaz de France face à la majorité dont la position consiste à dire que Gaz de France peut être privatisée tout en gardant la maîtrise et le contrôle de l’entité fusionnée, GDF-Suez, grâce à la minorité de blocage et à l’action spécifique.

Avec conviction et véhémence, mais aussi avec la modestie qui le caractérise, M. le ministre de l’économie nous a répondu hier après-midi, selon le compte rendu analytique : « L’État n’aura plus, dites-vous, le contrôle des infrastructures. Faux : le contrôle se fera par la régulation et par l’action spécifique, laquelle a été approuvée hier par le commissaire McCreevy, qui me l’a fait savoir. S’agissant des actifs stratégiques de l’entreprise, constitués pour l’essentiel par les terminaux méthaniers et par les réserves et stockages stratégiques, il est prévu de donner à l’État un véritable droit de veto et le commissaire européen en charge du marché intérieur et des services, M. McCreevy, vient de me confirmer qu’un tel dispositif n’était pas incompatible avec le droit communautaire et ne susciterait pas de réserves de la Commission européenne. Je tenais donc à vous donner immédiatement cette information, certains d’entre vous s’étant légitimement émus de la compatibilité de cette exception avec le droit européen. »

Le ministre a compris que certains d’entre nous se soient émus de la compatibilité du dispositif avec le droit européen ; j’en prends acte. Après les réactions immédiates que nous avons pu avoir, une rationalisation des arguments est maintenant nécessaire. Pour ce faire, nous devons connaître dans le détail les éléments qui invitent ou non la France et le gouvernement français à prendre telle ou telle disposition visant à la compatibilité avec le droit européen. Voilà pourquoi nous avons demandé à lire cette fameuse lettre, non pas de griefs, mais de remarques, du commissaire européen.

Afin que le débat ne soit pas faussé, il me paraît logique et important que ceux qui suivent nos débats aient, dès à présent, une connaissance précise de la teneur de ce texte relativement court.

Le commissaire européen Charlie McCreevy a écrit au ministre Breton la lettre suivante :

« Mes services ont eu l'opportunité d'examiner le projet de décret que vous nous avez présenté ce 5 juillet 2006. » Monsieur le ministre, nous ne connaissons pas ce projet de décret ayant amené le commissaire européen à faire des commentaires utiles pour la suite de nos travaux. Ce texte de base doit donc nous être communiqué.

« Ce décret, poursuit le commissaire européen, vise à introduire au sein du capital de Gaz de France une action spécifique au bénéfice de l'État lui conférant le droit de s'opposer à la cession d'actifs stratégiques essentiels à la sécurité d’approvisionnement et de distribution de gaz en France. » Effectivement, notre préoccupation est d’obtenir une sécurisation, et c’est le sens de l’action spécifique.

« Ma conviction profonde, précise le commissaire européen, est que les droits spéciaux que les gouvernements s'attribuent afin de contrôler des entreprises privées créent des obstacles aux investissements directs visant à influencer la gestion de ces entreprises, et sont donc contraires au Marché unique. » Premier tacle de la part de M. McCreevy : la clause d’exception n’est pas tout à fait eurocompatible, même si vous n’êtes pas le premier ni le dernier à la demander, monsieur le ministre !

Écoutez la suite de la lettre, elle est intéressante – nous travaillons dans la transparence et la sérénité !

« Cependant, je suis conscient que la Cour européenne de justice a reconnu dans son arrêt Distrigaz, du 4 juin 2002, que certains pouvoirs peuvent se justifier lorsqu'il s'agit d'assurer la sécurité d'approvisionnement et de distribution de gaz, qui constituent des objectifs légitimes de sécurité publique. Dans cette affaire, la Cour a constaté que dans le cas de Distrigaz :

« - Le système visait à protéger des intérêts généraux essentiels.

« - Il s'agissait d'un système d'opposition a posteriori. » Cette formulation signifie qu’on fait les choses puis qu'on les conteste après, ce qui n’est pas sans poser problème !

« - L'opposition [à la golden share !] devait intervenir dans des délais stricts. » Cela veut dire que si vous ratez le délai, vous n’avez plus de recours possible !

« - Les actifs spécifiques concernés étaient clairement définis. » Autrement dit, si vos actifs ne sont pas clairement définis, la mise en œuvre de cette action spécifique peut être contestée !

« - Les décisions étaient susceptibles de recours. »

M. le président. Monsieur Brottes !

M. François Brottes. Monsieur le président, mon intervention doit être complète pour la clarté de nos débats car nous sommes là au cœur du projet de loi ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Certes, mais je dois conduire ces débats !

M. François Brottes. Et je vous remercie, monsieur le président, de nous permettre de clarifier les choses sans caricaturer les arguments des uns et des autres. Je le répète, nous ne faisons pas d’obstruction. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Mais nous ne pouvons pas délibérer sur le fond du sujet sans disposer des éléments précis qui font partie du débat.

Je tiens à lire la suite de cette courte lettre, et elle est à votre avantage, monsieur le ministre :

« Au vu de ces éléments, mes services ont conclu que, dans son état actuel, le projet de décret ne contient pas d'élément contentieux qui mènerait la Commission à ouvrir une procédure d'infraction à l’encontre de la France. »

Il y a donc un cadrage général dans cette lettre. Et j’espère que M. le ministre se fera un honneur de nous transmettre ce projet de décret pour nous permettre de débattre.

« Je dois cependant souligner, poursuit le commissaire européen, que cet avis est basé sur l'état actuel de la législation et de la jurisprudence. Par conséquent, des modifications de celles-ci pourraient mettre en cause cette conclusion. » Soit dit en passant, mes chers collègues, un « paquet énergique » sera discuté par la Commission à la fin du mois de décembre et est susceptible de modifier la législation en vigueur !

Charlie McCreevy met ensuite des bémols :

« De même, d'éventuelles modifications au projet de décret ou l'adoption d'autres mesures complémentaires qui pourraient modifier l'impact du décret ne peuvent bien évidemment pas être prises en compte à ce stade dans notre évaluation du projet de décret. » Cela veut tout dire !

« Je vous suggère cependant, précise le commissaire, les modifications suivantes qui renforceraient la compatibilité du décret avec le Marché unique :

« - Préciser plus en détail les actifs qui seraient concernés par le décret.

« - Préciser que le décret vise à protéger les intérêts essentiels de la France, plutôt que simplement les intérêts nationaux. » Cette subtilité dans la formulation m’échappe un peu : je ne vois pas la différence entre les intérêts de la France et les intérêts nationaux, mais M. le ministre nous éclairera certainement.

« Mes services sont bien entendu à la disposition des vôtres pour toute clarification supplémentaire », conclut le commissaire européen.

En résumé : des remarques de fond avec une opposition de principe assez fondamentale, et la capacité à déroger à des principes moyennant des exceptions très cadrées.

Le commissaire européen suggère au Gouvernement des modifications. Pour notre part, monsieur le ministre, nous souhaitons également obtenir de votre part le détail précis des actifs concernés par l’action spécifique.

Monsieur président, pardonnez-moi d’avoir été un peu long (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire),…

M. Léonce Deprez. Ce n’était pas un rappel au règlement !

M. François Brottes. …mais mon intervention a porté sur le fond du sujet et permettra à l’ensemble de mes collègues de débattre dans de meilleures conditions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur Brottes, vous avez eu accès à cette lettre. Le commissaire européen nous ayant donné l’autorisation de la diffuser, elle reste à votre disposition.

Comme je l’ai indiqué hier, l’élément très important est le paragraphe indiquant : « Au vu de ces éléments, mes services ont conclu que, dans son état actuel, le projet de décret ne contient pas d’élément contentieux qui mènerait la Commission à ouvrir une procédure d’infraction à l’encontre de la France. »

M. Serge Poignant. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je suis tout à fait d’accord pour que vous soit communiqué le texte du projet de décret. Vous pourrez ainsi avoir connaissance des éléments afférents à cette action spécifique.

Monsieur Brottes, il n’y aura aucun problème de copie, vous aurez ce document !

Monsieur le président, les débats peuvent maintenant se poursuivre en toute sérénité, chacun étant tranquillisé sur cet aspect des choses.

Discussion générale (suite)

M. le président. Ce matin, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à Mme Marie-Anne Montchamp.

Mme Marie-Anne Montchamp. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens à exprimer mon soutien déterminé au projet de loi.

D'abord, parce qu'il constitue une transposition responsable et complète de la directive européenne, une transposition respectueuse de l'intérêt des consommateurs français.

Ensuite, parce que le projet offre à la grande entreprise qu'est GDF une nouvelle marge de manœuvre couplée à un haut niveau de protection : protection de sa gouvernance – notre collègue socialiste Henri Emmanuelli a tenu à le détailler ce matin –, protection de ses missions de service public et, au bout du compte, protection du consommateur.

Je veux en préalable réaffirmer, chers collègues, certaines vérités que les ministres, notre rapporteur, puis Serge Poignant ce matin, ont excellemment rappelées.

Concernant les prix, d'abord.

Le projet de loi prévoit le maintien des tarifs réglementés après le 1er juillet 2007.

L'évolution de la structure de capital de GDF est de plus sans incidence sur la régulation des prix.

Vous le savez, mes chers collègues, GDF achète son gaz principalement en Norvège, en Russie et en Algérie, dans le cadre de contrats indexés sur le prix du pétrole.

Ainsi, il est choquant, je dirais même profondément choquant, de tenter de déstabiliser les Français à grands coups de contrevérités, comme ce fut parfois le cas dans la presse, dans les émissions matinales de radio ou dans cet hémicycle.

Enfin, ce projet de loi est vertueux car il garantit la sécurité d'approvisionnement de notre pays, et ce à deux titres.

Aujourd'hui, il faut aller chercher le gaz de plus en plus loin et il convient également de diversifier les sources d'approvisionnement face à des entreprises offensives qui s'organisent par concentration en Europe.

Tout cela nécessite des investissements particulièrement lourds, nécessite des capitaux importants, ce qui impose de pouvoir mobiliser une force de frappe financière à l'échelle de l'évolution de ces entreprises.

65 milliards d’euros, telle est la cible pour GDF-Suez. Notre État peut-il, compte tenu de la dette publique, apporter une réponse capitalistique de ce niveau ? Telle est, entre autres, la question que nous devons nous poser.

Il faut tout autant garantir le transport et la distribution.

Il faut investir plus encore dans la liquéfaction, notamment, pour garantir notre indépendance sur ce plan et, pour ce qui concerne la distribution, soutenir la collaboration ancienne et fructueuse de GDF avec EDF.

C’est ce que le projet de loi confirme par la transposition de la directive européenne. Mais il est un autre point, à mes yeux primordial, qui concerne les salariés de GDF. Leur statut est totalement préservé, on l’a dit, et il n’a jamais été question qu’il en soit autrement, mais, au-delà, avec l’essor de nouvelles marges de manœuvre qui apporteront à l’entreprise des moyens de développement inédits, c’est la culture même de l’entreprise gazière qui sera préservée, la culture d’hommes et de femmes porteurs des valeurs du service public et qui garantissent la mise en œuvre des obligations de service public définies par les lois de janvier 2003 et d’août 2004 et que précise le contrat de service public liant l’État à GDF. Le projet de loi que nous allons examiner renforcera ces obligations, notamment pour l’offre sociale de tarifs, mais aussi pour ce qui concerne le développement équilibré du territoire. Permettre, par ce projet de loi, l’essor de GDF, qui deviendra ainsi une entreprise plus forte, plus libre, c’est redire aux salariés, aux agents, à la maîtrise ou aux cadres de GDF, notre confiance et combien leur contribution est importante. C’est refuser l’immobilisme, car les entreprises concurrentes − Gazprom et Sonatrach − n’attendent pas.

Mes chers collègues, le dogmatisme, c’est le refus de construire l’avenir et la croissance de GDF. Le dogmatisme…

M. Daniel Paul. C’est vous !

Mme Marie-Anne Montchamp. …c’est le refus de créer, aux côtés d’EDF, d’Areva et de Total, le quatrième pilier énergétique français. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, chacun voit le cœur du débat selon sa représentation du monde énergétique − et, en parlant du monde, je pense aussi à la planète. Or, le projet de loi est inadapté au contexte énergétique mondial. Aujourd’hui, 40 % de l’énergie mondiale est fournie par le pétrole, 22 % par le gaz, 22 % par le charbon, 6 % par le nucléaire et 10 % par l’hydroélectricité et la biomasse, chère au cœur de M. Brottes. Ainsi, 84 % de l’énergie est d’origine fossile, le pétrole étant à la fois directeur et prescripteur des prix et des coûts de toutes les autres énergies.

Je me souviens avec émotion du débat que nous avons eu, il y a deux ans et demi, à l’occasion du débat sur la loi d’orientation sur l’énergie : nous étions tous là, M. Bataille, M. Le Déaut et d’autres. Époque heureuse − en tout cas le croyait-on − où le baril était encore à 35-38 dollars ! Aujourd’hui, il oscille entre 65 et 75 dollars, et certains clament que cela ne peut pas aller plus haut, que cela va s’arrêter bientôt, que les prix seront plus raisonnables. Cette croyance, qui, à l’époque, était d’ailleurs partagée par M. Sarkozy et M. Devedjian, qui siégeaient au banc des ministres, est fausse. On ne reviendra pas à des prix plus raisonnables et les prix actuels ne décroîtront pas. Au contraire, la tendance est à la hausse, pour trois raisons que, semble-t-il, depuis deux ans et demi, le Gouvernement n’a pas comprises.

La première est géologique : elle n’a donc rien à voir avec Suez ou Gaz de France. Ce ne sont pas les robinets qui coulent moins vite, mais la source qui commence à se tarir. Dans les milieux informés, on appelle ça le Peak Oil ou le Peak Gas. En ce qui concerne le Peak Oil, nous y sommes. Ce n’est pas pour demain matin, c’est pour aujourd’hui. Quant au Peak Gas, c’est pour bientôt − 2008 ou 2010. Croire que, pour garantir l’approvisionnement et sa sécurité, il suffirait que nos fournisseurs adoptent une politique d’offre supérieure, est totalement illusoire. Quand il y en a moins, il y en a moins, et il ne servira à rien d’avoir signé des contrats gaziers avec la Hollande, la Norvège, la Russie ou l’Algérie.

Je pense d’ailleurs que, dans le monde des hydrocarbures, les chiffres sont très gonflés. Les réserves gazières de la Russie représentent vraisemblablement la moitié de ce qu’elle déclare elle-même. C’est un peu comme pour les impôts : tout repose sur du déclaratif, on ne va pas voir sur place ce qu’il y a dans le sous-sol. Ne croyez pas que l’offre de pétrole ou de gaz va augmenter : elle va au contraire diminuer. Ce simple facteur géologique se traduit par une hausse structurelle des prix.

Le deuxième facteur est économique. Il se trouve que, depuis 150 ans, nous vivions dans un monde d’abondance énergétique bon marché, l’offre étant toujours supérieure à la demande. Depuis janvier 2002, c’est la demande qui est structurellement supérieure à l’offre, et c’est pour toujours. On nous dit que les Chinois, l’Inde, l’Afrique du Sud ou le Brésil veulent se développer. Ils ont peut-être raison. Ils veulent des bagnoles, comme nous. Bien entendu, ils ne les auront jamais. Il n’y a pas assez de matière première, dans le sous-sol, pour les satisfaire. Mais il y aura toujours de la demande : cela aussi fait grimper les prix.

Enfin, troisième facteur géopolitique, le pétrole, c’est la guerre. Les pays qui ont du pétrole et des hydrocarbures sont déstabilisés, leurs populations malheureuses et c’est la guerre.

M. Daniel Paul. Eh oui !

M. Yves Cochet. Voyez l’Irak, voyez peut-être − je le crains sans vouloir anticiper sur l’histoire − l’Iran. Une part de ce qui se passe au Liban ne s’explique-t-elle pas par les données géopolitiques de cette région du monde ?

Permettez-moi de vous poser une question, messieurs les ministres. En 2004, M. Sarkozy et M. Devedjian, qui étaient à votre place, annonçaient que le budget 2005 tablait sur un prix moyen du baril de pétrole à 35,50 dollars. Il a terminé l’année à 58 dollars. Quelle erreur ! Quel aveuglement ! Quelle ignorance ! Quelle incompréhension des mécanismes matériels et de marché de l’ensemble du secteur énergétique mondial !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. M. Cochet a une boule de cristal !

M. Yves Cochet. L’an dernier, vous-même, monsieur le ministre de l’économie, envisagiez un prix directeur du pétrole de l’ordre de 60 dollars en moyenne pour 2006. Quelle sera, en définitive, la moyenne du prix du baril pour 2006 ? Elle sera beaucoup plus élevée. Monsieur Breton, quelle sera, dans la loi de finances initiale dont nous discuterons dans un mois, votre prévision pour 2007 ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous le saurez !

M. Yves Cochet. Je prendrai connaissance de vos chiffres avec intérêt.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Heureusement qu’il y a le nucléaire !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Merci de Gaulle !

M. Yves Cochet. Ne parlons pas du nucléaire qui, dans cette affaire, est marginal. À ce propos, monsieur le rapporteur, vous dites toujours qu’il faut garantir l’indépendance énergétique de la France.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La démonstration est faite !

M. Yves Cochet. Mais, que ce soit dans le pétrole, dans le gaz, dans le nucléaire, nous sommes à 100 % dépendants de l’extérieur : nous n’avons ni pétrole, ni gaz, ni uranium. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Ne racontons pas d’histoires : dans ces conditions-là, quelle est la bonne politique ? Une fois que l’on a décrit la réalité matérielle, le marché mondial de l’énergie et la totale dépendance de la France, que fait-on ? On peut certes répondre qu’il convient de fusionner Suez et GDF, afin de créer une entité suffisamment importante pour aller négocier des contrats gaziers à l’extérieur. Mais je ne le crois pas.

On peut d’ailleurs juger assez curieux cet esprit franco-français qui veut que, d’un côté, on soit très content − sous prétexte qu’il est formidable de voir jouer la loi du marché − lorsque GDF rachète la SPE en Belgique ou que Suez rachète Electrabel, mais que, d’un autre côté, lorsque Enel envisage de racheter Suez, le Premier ministre invoque le patriotisme économique. La pensée énergétique de la France, qui, en réalité, est aveugle, c’est monopole à l’intérieur, Monopoly à l’extérieur. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Brottes. Bien vu !

M. Yves Cochet. C’est ridicule !

Monsieur le ministre, face à une telle situation, quelle doit être la responsabilité du législateur et du Gouvernement ? Garantir l’intérêt général de nos populations, de nos consommateurs, de notre entreprise, non pas en imaginant que les prix de l’électricité, du gaz ou du pétrole vont baisser − ils ne vont cesser d’augmenter…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ça, c’est vrai ! Et ce n’est pas notre faute !

M. Yves Cochet. …mais en essayant, d’une part, d’économiser de l’énergie − et, en ce domaine, le potentiel est considérable…

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Très bien !

M. Yves Cochet. …puisqu’il dépasse les 50 %, quoique l’affligeante loi d’orientation sur l’énergie ne s’en soucie pas le moins du monde…

M. Jacques Myard. C’est vous qui êtes affligeant !

M. Yves Cochet. …et, d’autre part, de mettre en valeur les énergies présentes dans chaque région de notre pays, que ce soit l’éolien, la biomasse, le solaire. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, M. Cochet n’a-t-il pas dépassé son temps de parole ?

M. Yves Cochet. Je termine, monsieur le président.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est que M. Strauss-Kahn voudrait parler !

M. Yves Cochet. Pour Gaz de France, je propose deux missions nouvelles. Premièrement, la France produit à peu près 15 % de biogaz, dont la composition chimique est similaire, sinon identique, à celle du gaz de terre. Pourquoi Gaz de France fait-il tant d’ennuis aux producteurs de biogaz ? Quinze pour cent, c’est beaucoup mieux que d’aller chercher en Russie des contrats qui trichent sur les chiffres.

Deuxièmement, la France compte 5 millions de familles − soit 15 millions d’individus et 20 % de la population − qui ont encore des chaudières au fioul. Il ne faut pas brûler le pétrole !

M. Jacques Myard. Il faut brûler Cochet !

M. Yves Cochet. Je propose que Gaz de France soit chargé d’une mission de service public pour, d’abord, favoriser les économies d’énergie en isolant les bâtiments, et ensuite pour transformer les 5 millions de chaudières au fioul de nos concitoyens en chaudières à bois − pour faire plaisir à M. Brottes et à la sylviculture. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Dionis du Séjour. Il a raison !

M. le président. La parole est à M. Dominique Strauss-Kahn.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Enfin quelqu’un de sérieux !

M. Dominique Strauss-Kahn. Messieurs les ministres, vous nous avez fait un bien mauvais projet. Pourtant, les circonstances appelaient un projet énergétique de grande ampleur, d’abord parce que, chacun l’a rappelé, la question de l’énergie est essentielle, ensuite parce que la hausse du prix marquant la pression à la diminution de l’offre au cours de ces dernières années et très probablement pour les années qui viennent en font un sujet beaucoup plus essentiel encore que par le passé.

Le besoin d’une politique énergétique se fait donc sentir plus encore que naguère, d’autant que, comme l’a rappelé M. Cochet − avec l’emphase qui est la sienne, mais que nous apprécions tous −, on constate des conséquences énergétiques directes, liées à la diminution de la ressource, des conséquences environnementales et des conséquences géopolitiques, qui font qu’une bonne part de l’instabilité planétaire s’expliquent par le fait que certains pays, notamment au Moyen-Orient, détiennent des ressources et nous rendent dépendants.

Ce sujet majeur aurait pu être traité plusieurs fois déjà au cours de la législature, puisque, en quatre ans, nous avons connu cinq projets de loi traitant de ces questions et deux déclarations de politique énergétique. Pourtant, il faut bien reconnaître que le résultat est assez mince. Ce qui a été voté, discuté, concerne principalement l’ouverture des réseaux et, avec des résultats plus ou moins contestés – si contestés d’ailleurs que nombre de ceux qui sont entrés dans ces réseaux ouverts veulent en sortir. Aussi voyons-nous, depuis le début de cette discussion, l’Assemblée nationale se transformer en une cour d’école où chacun s’exclame : « Ce n’est pas moi qui ai commencé, c’est l’autre ! »

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. On sait parfaitement qui a commencé : vous !

M. Dominique Strauss-Kahn. Tout cela est un peu infantile. Ce débat est beaucoup trop grave pour que la question principale soit simplement de savoir si c’est à Jacques Chirac, chef de la délégation, ou à Lionel Jospin, Premier ministre, que l’on doit d’être engagés dans cette direction.

Le vrai problème, aujourd’hui, c’est de déterminer où nous en sommes dans la procédure d’ouverture des réseaux, quels sont ses défauts et quelles corrections on peut lui apporter. Il convient d’autre part d’examiner l’autre partie du projet de loi, celle concernant la fusion Gaz de France-Suez.

S’agissant du premier sujet, votre projet est très inefficace. En quatre ans, l’ouverture a abouti à une marche arrière de nombre d’entreprises, qui ont considéré que les prix du marché auxquels elles étaient soumises étaient insupportables. À cet égard, l’habillage que vous nous proposez ne durera pas très longtemps : prévu pour s’appliquer tout au plus deux ans, il est probable qu’il ne durera pas autant. En tout cas, à lire les comptes rendus de presse publiés à la suite de la déclaration de la Commission, il semble que celle-ci ait démenti votre propre déclaration, monsieur le ministre de l’économie, assurant que le problème du retour était réglé.

C’est un premier point sur lequel je souhaite donc avoir des précisions : qu’en est-il du droit au retour et de votre affirmation selon laquelle la question n’avait plus à se poser, sachant que la Commission semble avoir apporté un démenti ?

Mme Brigitte Le Brethon. De quelle commission parlez-vous ?

M. Dominique Strauss-Kahn. De la Commission de Bruxelles.

Comme je n’ai connaissance, monsieur le ministre, de ce démenti que par la presse, je vous demande de bien vouloir confirmer ou infirmer cette information afin de savoir exactement ce qu’il en est.

De toute façon, si l’on veut que les prix baissent, il faut mettre fin à certains dysfonctionnements du marché. Notre collègue, Pierre Méhaignerie, en a dressé dans cette assemblée, le 14 juin dernier, une longue liste tout en indiquant les remèdes à leur apporter. Or que trouve-t-on dans le projet de loi en matière d’amélioration de la régulation ou de renforcement de la surveillance ? Rien ou pratiquement rien.

Quelqu’un disait au début du débat que la CRE était un nain, d’autres que c’était un géant. Ce n’est ni l’un ni l’autre, mais une institution qui a besoin de pouvoirs renforcés et de règles de fonctionnement aménagées. Force est de reconnaître que le texte ne répond en rien ou pratiquement en rien à cette préoccupation. C’est un cautère sur une jambe de bois.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Le rapporteur prépare des amendements sur ce point.

M. Dominique Strauss-Kahn. Non seulement les quelques propositions que le projet contient sont peut-être non conformes au droit communautaire – on le saura prochainement –, mais elles sont, en tout état de cause, insuffisantes pour garantir le maintien du pouvoir d’achat des consommateurs et la compétitivité des entreprises.

Ce point très important que je soulève est, à la limite, plus important pour vous, mesdames et messieurs de la majorité qui êtes des libéraux, que pour nous.

Le libéralisme, en effet, cela suppose des règles.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est vrai.

M. Dominique Strauss-Kahn. Le marché ne peut fonctionner en l’absence de règles. Or aujourd’hui, tout le monde en est d’accord, celles qui régissent la partie libérée du marché de l’énergie ne sont pas suffisantes. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Gouvernement veut revenir à des tarifs réglementés.

Soyez donc logique avec vous-même et mettez en place ces règles que, très honnêtement, le projet de loi ne prend absolument pas en compte !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Dites lesquelles !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous n’avons pas seulement une ambition, nous !

M. Dominique Strauss-Kahn. Monsieur le ministre, vous aviez là l’occasion de laisser un nom. Votre passé dans le téléphone nous le faisait d’ailleurs espérer. J’avais même cru que tel était l’objectif principal de votre nomination : transposer votre expérience en matière de réseau dans le monde de l’énergie, et faire en sorte qu’en organisant la régulation du marché énergétique vous en transformiez le paysage. L’occasion a été ratée, et je ne suis pas sûr qu’au cours de la législature qui se termine et, a fortiori, de la suivante, vous ayez de nouveau l’occasion de la saisir.

Après ce premier sujet, à savoir la régulation et le renforcement de la surveillance, sujet pour lequel très peu de choses sont prévues, qu’en est-il du deuxième, qui nous occupe beaucoup, celui de la privatisation de Gaz de France à des fins de fusion avec Suez ?

Permettez-moi, après beaucoup d’autres, d’y revenir car je considère qu’il ne revient pas au ministre des finances de décider des sujets dont l’Assemblée entend se saisir. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Certes.

M. Dominique Strauss-Kahn. Ma position de principe est claire, même si vous vous êtes vous-même, monsieur le ministre, dans une sorte de pantomime, qui, certes, anime nos débats, employé à citer tour à tour Laurent Fabius et moi-même.

Pour parler en mon nom – Laurent Fabius ayant toute latitude pour intervenir –,...

M. Philippe Auberger. Il n’est pas suffisamment haut dans les sondages !

M. Dominique Strauss-Kahn. ...je n’ai en rien changé d’avis.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Il vous a fallu longtemps pour le dire !

M. Dominique Strauss-Kahn. Lorsque l’intérêt de l’entreprise, de ses salariés, des consommateurs, c’est-à-dire, au bout du compte, lorsque l’intérêt national l’exige, je ne vois pas d’obstacle à l’ouverture du capital d’une entreprise publique, à condition, je le répète, que cet intérêt existe, c’est-à-dire que le projet industriel soit suffisamment bon pour rendre indispensable cette ouverture du capital.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, et M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. C’est le cas.

M. Dominique Strauss-Kahn. En l’espèce, le projet industriel est mauvais.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est votre avis.

M. Jacques Myard. Comment se raccrocher aux branches !

M. Dominique Strauss-Kahn. Je vous demanderai donc, monsieur le ministre, de ne plus insinuer que j’aurais changé d’avis : je n’en ai pas changé.

M. Jacques Myard. Non, bien sûr !

M. Dominique Strauss-Kahn. Pourquoi votre projet est-il, selon moi, très mauvais ? Parce que, chacun l’a souligné, la sécurité énergétique ne serait en rien renforcée. On augmente certes de 25 % les capacités gazières du nouveau groupe, mais personne ne peut prétendre qu’en passant de 16 % à 20 % du marché gazier, on crée un géant qui tout à coup dominerait tout.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. 60 % de plus en volume !

M. Guy Geoffroy. Le premier groupe dans le monde !

M. Dominique Strauss-Kahn. Tout au plus grossit-on un peu, mais insuffisamment pour que cela soit significatif. Certes, on pourrait prétendre que le grossissement sera plus important après cette première étape, sauf que cela nous renvoie à un sujet que vous avez abordé ce matin, monsieur le ministre, celui des futures alliances.

En effet, une fois l’opération avec Suez réalisée – si finalement ce texte est adopté – plus aucune alliance ne sera possible avec la minorité de blocage de 34 % que vous entendez conserver. Sinon, l’État étant bien trop impécunieux pour suivre une quelconque augmentation du capital, toute alliance ferait passer ce seuil en dessous de celui des 34 %. Dans ces conditions, soit il n’y aura plus d’alliance, soit vous devrez revenir sur votre engagement de conserver les 34 % – vous me direz que l’ayant fait à propos du seuil de 70 %, vous pouvez bien le faire pour celui de 34 % !

En tout cas, prétendre que l’on pourra faire des alliances tout en gardant la part de l’État à 34 %, est un engagement impossible à tenir. Pour prévoir des alliances, il faut détenir beaucoup plus que 34 %. Ce n’est qu’à 70 % ou 80 % de part du capital qu’une diminution de quelques pour cent est possible, rendant ainsi concevable une alliance, notamment par échange d’actions. Sinon, c’est impraticable.

En matière de sécurité énergétique, aucune avancée n’est donc réalisée.

À défaut de renforcer la situation en matière de gaz, le texte peut-il au moins servir à renforcer celle d’un autre secteur énergétique ? Non. C’est même le contraire qui se produira, car s’il se réalise, votre projet affaiblirait plutôt EDF qu’elle ne la renforcerait.

Voilà des années que Suez essaie de pénétrer activement sur le marché électrique français, et voilà des années que les gouvernements, de gauche comme de droite, dans un seul mouvement, empêchent cette pénétration afin de préserver, dans l’intérêt national, EDF.

M. Jean-Yves Le Déaut. C’est vrai !

M. Dominique Strauss-Kahn. Et voilà que vous balayez d’un trait ces années de politique conjointe de la droite et de la gauche, le tout pour une opération dont a bien du mal à trouver l’intérêt !

M. Pierre Ducout. Exactement ! Ce sont les serviteurs du grand capital !

M. Dominique Strauss-Kahn. L’affaiblissement d’EDF sera manifeste.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Qui, sinon vous, a donné la CNR à Suez ?

M. Dominique Strauss-Kahn. La CNR est une bien petite chose, monsieur le rapporteur.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Une « petite chose », le deuxième producteur d’électricité français ?

M. Dominique Strauss-Kahn. Entre le premier et le deuxième, la différence est considérable, comme dans les élections entre celui qui arrive premier et le deuxième.

M. Jacques Myard. C’est un expert qui parle !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Vous avez donné la CNR à Suez !

M. Dominique Strauss-Kahn. Le ministre des finances a trouvé un contre-argument, celui de la concurrence. Cet argument est d’une naïveté confondante. Il y a en effet concurrence et concurrence.

En cette affaire, le problème n’est pas celui de l’existence ou non d’un concurrent – elle est toujours possible. Il tient au fait que le concurrent d’EDF que l’on veut créer disposera du fichier commercial des douze millions de clients de GDF. Ce n’est donc pas un concurrent que vous introduisez dans le marché de l’électricité, mais un cheval de Troie.

M. Pierre Ducout. Très bien !

M. Dominique Strauss-Kahn. En permettant à ce nouveau fournisseur d’électricité de disposer de ce fichier, c’est toute la donne de notre marché électrique que vous modifiez.

Faute de sécurité d’approvisionnement ou de renforcement du marché électrique, le projet propose-t-il par ailleurs certains avantages ? Permettra-t-il, par exemple, de mieux remplir les missions de service public ?

D’abord, pourquoi y a-t-il des missions de service public en l’espèce ? La réponse, chacun d’entre nous la connaît : c’est parce qu’existe un monopole naturel, que ce dernier entraîne une rente et que celle-ci n’a aucune raison d’être donnée au privé. Le préambule de notre Constitution le prévoit d’ailleurs : dès lors qu’elle relève d’un monopole, la rente a toutes les raisons d’être publique. Certes, ce n’est pas une chose formidable qu’un monopole public, mais un monopole privé est encore beaucoup moins bien.

À ce sujet, les concessions signées sous l’empire de la loi de 1946 seront-elles remises en cause ? Ces concessions se justifiaient avec le « monopoleur » parce qu’il était public. Dès lors qu’il ne sera plus public, pourquoi n’y aurait-il pas mise en concurrence ?

M. Pierre Ducout. Très bon argument !

M. Dominique Strauss-Kahn. Le texte ne prévoit pas la remise en cause des concessions, mais le rapporteur a posé la question, et je ne suis pas certain qu’il ait obtenu une réponse.

Dès lors qu’il y a des missions de service public puisqu’il y a monopole naturel comme dans toute économie de réseau, peut-on sérieusement penser qu’elles seront mieux remplies par une entreprise privée qu’elles ne le sont par une entreprise publique ? Allons donc ! Même sur les bancs de la majorité, personne n’osera penser que cela pourrait être le cas en matière de tarifs sociaux ou encore d’universalité d’accès.

Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y aurait pas de cas où une entreprise privée ne pourrait pas, de façon satisfaisante, remplir des missions de service public. La délégation de service public, nous la pratiquons quotidiennement dans nos collectivités territoriales, mais il ne s’agit pas de monopoles naturels. Il n’y a aucune raison de préférer en matière de distribution un monopole privé à un monopole public.

Si le texte ne présente pas non plus d’intérêt sur ce plan, en va-t-il différemment pour les salariés ? Consultés, 94 % de ceux qui ont voté se sont déclarés hostiles au projet. Exit donc également l’intérêt des salariés.

Ce mauvais projet, plein d’inconvénients, sert-il au moins à créer l’Europe de l’énergie ? On sait bien qu’il n’en est rien et que le texte, même s’il était discuté depuis longtemps dans les arrière-cours, n’a émergé qu’à cause de la crainte créée par l’arrivée d’ENEL. En effet, le Gouvernement, dans une sorte de fébrilité que l’on a connue sur d’autres sujets, ne l’a sorti de son chapeau que pour contrer ENEL. Depuis, plus personne ne parle d’OPA d’ENEL, mais le projet poursuit sur sa lancée, jusqu’à arriver à cette situation ubuesque qui veut que le Premier ministre discute avec le président du gouvernement italien d’éventuelles cessions du nouveau groupe à ENEL !

Dans cette affaire, l’Europe de l’énergie est bien malade. À tout le moins, elle n’avance pas.

Le projet – autre argument que j’ai également entendu –, protégerait le nouveau groupe contre les OPA.

M. Jacques Myard. Ce n’est pas un argument.

M. Dominique Strauss-Kahn. Personne ne peut croire un instant cette plaisanterie. La seule manière de se protéger efficacement, c’est de conserver un capital non pas obligatoirement à 100 % public, mais majoritairement public.

M. Jacques Myard. Non.

M. Dominique Strauss-Kahn. Une petite part publique ne sert à rien. Le ministre le rappelait tout à l’heure, 7 % du capital d’Arcelor, que l’État détenait, ont été mis sur le marché. Cela n’aurait rien changé que nous les gardions. Le Grand-duché du Luxembourg avait gardé une part d’Arcelor : cela n’a en rien empêché l’OPA de Mittal.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Si l’État n’avait pas voulu les apporter, la fusion ne se faisait pas !

M. Dominique Strauss-Kahn. Or, des Arcelor, il y en aura d’autres, et je ne voudrais pas que l’éventuel groupe Suez-Gaz de France soit le suivant.

Des moyens doivent être inventés – les raisons existent déjà – qui mettent à l’abri de telles OPA inamicales. En tout cas, faire perdre à une entreprise son caractère majoritairement publique, c’est la mettre en grand danger.

Nombre de spécialistes des questions énergétiques ici présents rencontrent les représentants des entreprises du secteur de l’énergie tant publiques que privées du monde entier. Qu’entendent-ils sinon que les grands gaziers mondiaux se frottent les mains ? L’opération projetée augmente en effet considérablement l’attrait de Suez ! Jusqu’à présent, peu en voulaient. Certes, ENEL s’est manifestée, mais rien n’était sûr. En revanche, Suez plus Gaz de France, voilà une entreprise pour laquelle une OPA vaut la peine ! L’opération que vous envisagez valorise tellement la proie qu’il y a malheureusement peu de doute : un jour ou l’autre, un prédateur se présentera.

Comment, enfin, ignorer le risque qu’il y a à délibérer sans connaître les contreparties que, dans son rapport au mois d’octobre sans doute, la Commission demandera ?

M. Pierre Cohen. Eh oui !

M. Dominique Strauss-Kahn. Déjà, dans son rapport préliminaire de 200 pages elle a dit tout le mal qu’elle pense du projet. On peut donc s’attendre à ce que ces contreparties soient massives.

On se demande vraiment ce qui pousse le Gouvernement à vouloir mener ce projet à son terme, sinon un entêtement que l’on a déjà connu avec le CPE il n’y a pas si longtemps. L’idée est lancée et, en dépit des dangers qui partout s’accumulent, on ne veut plus s’arrêter au nom d’un patriotisme économique qui n’a pas beaucoup de sens lorsqu’il est franco-français – il ne pourrait en avoir un que s’il revêtait un caractère européen.

Comme nombre d’entre vous savent tout cela, il est clair qu’il n’y a pas de majorité dans cette assemblée pour faire passer ce texte. L’opposition est contre, mais l’UDF aussi, et beaucoup de députés UMP. (Protestations sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Occupez-vous de vos affaires !

M. Dominique Strauss-Kahn. C’est pour ça qu’on nous parle de 49-3, et pas du tout à cause du nombre d’amendements déposés.

M. Guy Geoffroy. Faites la police chez vous !

M. le président. Monsieur Geoffroy…

M. Dominique Strauss-Kahn. Souvenez-vous, le débat sur les 35 heures avait été mené jusqu’à son terme, malgré des dizaines de milliers d’amendements.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Non !

M. Guy Geoffroy. Soyez sérieux !

M. Dominique Strauss-Kahn. Jamais Lionel Jospin, Premier ministre, n’a utilisé le 49-3, parce qu’il était sûr de sa majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est faux, monsieur Strauss-Kahn. Il n’y a jamais eu des dizaines de milliers d’amendements.

M. Éric Besson. Mais si !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Vous racontez n’importe quoi !

M. Dominique Strauss-Kahn. Si aujourd’hui le Gouvernement était sûr de sa majorité, il pourrait aller au bout du débat, mais il n’en est pas sûr – à juste titre d’ailleurs. Comme il veut qu’aucune voix ne manque et que la preuve de son échec en la matière ne soit pas apportée par sa majorité, il utilisera peut-être le 49-3. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mes chers collègues, je termine, d’une phrase. Il est des députés socialistes – dont je suis – qui ont le courage de dire qu’il peut, parfois, être utile d’ouvrir le capital d’une entreprise publique, pour les raisons que j’ai indiquées, quand il y va de l’intérêt national. Il pourrait y avoir des députés de l’UMP qui aient le courage de dire qu’il vaut mieux, parfois, garder une entreprise publique lorsque c’est l’intérêt national. Eh bien, c’est à cela que je voudrais vous inviter, à faire preuve d’un peu de courage de temps en temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Claude Greff. On a connu M. Strauss-Kahn meilleur.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Il est fatigué par la pré-campagne électorale.

M. le président. La parole est à M. Gilles Carrez.

M. Gilles Carrez. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais pour commencer saluer le remarquable travail de réflexion, de concertation dont ce projet de loi a fait l’objet depuis deux mois. C’est suffisamment rare, hélas !, dans nos procédures parlementaires pour être souligné.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Merci.

M. Gilles Carrez. La commission des affaires économiques tout d’abord a beaucoup apporté à la compréhension du sujet, grâce à la tenue d’auditions extrêmement intéressantes pendant tout l’été. Je remercie le président Patrick Ollier, le rapporteur Jean-Claude Lenoir, ainsi que Serge Poignant, de nous avoir permis de progresser réellement dans notre réflexion sur ce dossier.

M. François Brottes. Quel bouquet de fleurs !

M. Gilles Carrez. La commission des finances quant à elle, qui ne s’était saisie que de quatre articles, a soulevé des questions de fond par la voix de son rapporteur, Hervé Novelli, en particulier sur la place de l’actionnaire État dans une entreprise soumise à la concurrence.

M. Éric Besson. Et quelle a été la réponse ?

M. Gilles Carrez. Son président, Pierre Méhaignerie, tout en réaffirmant que l’énergie devait rester en France un facteur de compétitivité de nos entreprises, a posé pour sa part la question des tarifs de retour pour laquelle une solution va être trouvée.

Tous, nous avons été guidés dans nos réflexions par une seule préoccupation, protéger le mieux possible les consommateurs de gaz et d’électricité, qu’il s’agisse des entreprises, pour leur compétitivité et l’emploi, qu’il s’agisse des ménages, en particulier les plus vulnérables d’entre eux.

Je voudrais aussi vous remercier, monsieur le ministre de l’économie, ainsi que vos équipes.

Mme Claude Greff. On le peut en effet !

M. Gilles Carrez. Vous avez accepté d’étudier avec nous toutes sortes d’orientations, de pistes, qui différaient de celles du projet de loi et vous nous avez montré, dans le cadre d’une discussion approfondie, quels étaient vraiment les avantages des choix que vous nous proposiez. Les propositions faites par notre rapporteur au mois de juillet m’ont, pour ma part, beaucoup éclairé pour comprendre les enjeux, complexes, entre d’une part, les activités régulées de ces entreprises publiques, qu’il s’agisse de la production, du stockage, du transport, des réseaux, d’autre part, les activités proprement commerciales, avec la question de GDF mais également d’EDF.

Bref, tout ce travail a été extrêmement utile et quand j’entends Dominique Strauss-Kahn prétendre qu’il n’existerait pas de majorité sur ce texte au sein de l’UMP…

Mme Claude Greff. Il se trompe !

M. Gilles Carrez. …il oublie tout simplement qu’à l’UMP, nous réfléchissons, nous travaillons et ne nous bloquons pas, nous, sur des positions idéologiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Cohen. Parlez du fond !

M. Gilles Carrez. Lorsque s’est posé le problème du financement de nos entreprises publiques par l’État, entre 1997 et 2002, je me souviens d’entretiens privés que j’ai pu avoir notamment avec Dominique Strauss-Kahn ou Christian Pierret sur la difficulté de l’État actionnaire à remplir son devoir.

M. Pierre Cohen. Parlez-nous plutôt de ce qui vous a convaincu !

M. Gilles Carrez. Mais nous, monsieur Strauss-Kahn, nous évoluons et aujourd’hui, nous sommes quasiment unanimes, grâce à la réflexion, grâce à la discussion, sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Très bien !

M. Gilles Carrez. Je suis franchement déçu qu’une démarche aussi sérieuse et constructive ne rencontre auprès de nos collègues de l’opposition qu’une attitude systématique d’obstruction aveugle.

Mme Claude Greff. Ridicule !

M. Gilles Carrez. Pourtant, les enjeux de fond sont immenses.

Mme Claude Greff. Eh oui !

M. Gilles Carrez. Permettez-moi d’évoquer un de ces enjeux, en deux minutes.

Quelles peuvent être les conséquences économiques de l’ouverture du marché européen de l’énergie sur une entreprise comme Gaz de France ?

Premièrement, Gaz de France devra disposer pour survivre et se développer d’une offre complète, gaz plus électricité, vis-à-vis des entreprises bien sûr mais également vis-à-vis des ménages.

Deuxièmement, Gaz de France devra opérer au moins à l’échelle du marché européen.

Troisièmement, Gaz de France devra consolider sa capacité d’approvisionnements, notamment en gaz, sur la base de contrats à long terme.

Quatrièmement, Gaz de France, qui a bien avancé dans ce domaine, devra intégrer de façon plus complète et plus systématique les services qui sont liés à la fourniture d’énergie, je pense par exemple à l’entretien des installations des clients et aux réseaux de chaleur. L’entreprise devra aussi s’équiper plus massivement en installations de liquéfaction de gaz, en méthaniers pour le transport. Car c’est une technologie qui a tout l’avenir devant elle, on le voit bien. Gaz de France est déjà très bien placée de ce point de vue.

Toutes ces actions, indispensables pour la compétitivité de notre belle entreprise qu’est Gaz de France, vont exiger d’énormes investissements. L’actionnaire État bloqué à 70 % pour des raisons idéologiques peut-il y faire face ? À l’évidence non. Notre État impécunieux, déficitaire depuis vingt-cinq ans, surendetté, qui a progressivement dû se résigner à sacrifier, nous le regrettons tous à chaque loi de finances, sa capacité d’investissement, ne remplira pas ses obligations d’actionnaire. Nous le savons tous et tout particulièrement Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l’économie et des finances.

Mme Claude Greff. Eh oui !

M. Gilles Carrez. C’est lui qui, entre 1997 et 1999, a conduit dans l’impasse, à la quasi-faillite, la belle entreprise France Télécom (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.), en l’obligeant à s’endetter au-delà du raisonnable.

Mme Claude Greff. Eh oui !

M. Dominique Strauss-Kahn. C’est ridicule !

M. Pierre Cohen. Moins de gesticulation et plus d’arguments, monsieur Carrez.

M. Gilles Carrez. Quand, à l’automne 1999, il est apparu qu’un excédent de recettes fiscales de plusieurs dizaines de milliards allait être réalisé, nous avions, l’opposition d’alors, demandé que cet argent serve à recapitaliser nos entreprises publiques et soit investi dans la recherche, dans l’innovation, dans les infrastructures. Et qu’avez-vous fait, monsieur Strauss-Kahn ? Avec cet argent, vous avez financé les 35 heures. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Gaubert. Ce n’est pas vrai !

M. Gilles Carrez. On ne peut pas faire confiance à un État actionnaire qui se comporte de la sorte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Cohen. Ne donnez pas de leçons !

M. Dominique Strauss-Kahn. C’est totalement ridicule !

M. Gilles Carrez. Est-ce donc cet avenir-là, monsieur Strauss-Kahn, que vous réservez à notre belle entreprise Gaz de France ?

M. Pierre Cohen. Sous quel gouvernement les chercheurs sont-ils descendus dans la rue ?

M. Gilles Carrez. Pour ma part, j’ai une conviction, chers collègues, c’est qu’en abaissant le seuil de participation de l’État tout en gardant la minorité de blocage, renforcée par une action spécifique, nous donnons à Gaz de France les moyens de son développement que nécessite l’ouverture au 1er juillet 2007 du marché européen, mais également bien au-delà de l’Europe.

En concluant, je m’aperçois que je n’ai pas évoqué le groupe Suez. Mais il y a un temps pour chaque chose et le projet de fusion sera examiné le moment venu. Dans l’immédiat, ce qui doit nous préoccuper, c’est de renforcer la magnifique entreprise Gaz de France au service du bien être et du pouvoir d’achat des Français et de la compétitivité et de l’emploi dans nos entreprises. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Nicolas.

M. Jean-Pierre Nicolas. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, pour détendre un peu l’atmosphère, je dirai que la guerre du feu au cours de laquelle Naoh et les siens échappèrent aux mammouths, aux aurochs, aux tigres géants, aux nains jaunes et aux dévoreurs d'hommes, n'était peut-être qu'un prélude à la quasi-guerre énergétique qui se dessine sous nos yeux. En fait, la disparition annoncée des surcapacités mondiales de production d'hydrocarbures, conjuguée à l'accroissement des besoins, modifie considérablement et rapidement la donne énergétique mondiale.

Dans ce contexte, la politique énergétique de la France devient un axe essentiel de la politique économique et stratégique de la nation.

Force est de constater que nos ressources hexagonales sont limitées même si l'on doit se féliciter de la réussite de notre programme nucléaire et que l'on peut se réjouir des décisions prises en faveur de l'EPR.

En effet, la politique énergétique de notre pays ne peut prendre tout son sens qu'en s'appuyant sur des entreprises en capacité de faire face aux enjeux de ce nouveau monde énergétique.

C'est le cas d'EDF qui, avec la filière nucléaire, peut avoir une stratégie de producteur dans un cadre juridique où l'État est et doit rester largement majoritaire.

Concernant le gaz naturel, dont nous ne sommes quasiment pas producteurs, Gaz de France développe depuis longtemps une stratégie de négociant dont la performance est à mettre à l'actif de tous les personnels, dont il faut saluer le savoir-faire unanimement reconnu et qui constituent des partenaires appréciés notamment des collectivités locales qu'ils desservent avec cette énergie qui, de marginale il y a quelques années, devient désormais stratégique dans le nouveau contexte énergétique.

Mais à l'évidence, le mouvement s’est encore accentué récemment avec l'entente entre Gazprom et Sonatrach. Il est indispensable de renforcer Gaz de France afin de pouvoir peser sur la cartellisation des producteurs gaziers qui s'organisent sous nos yeux. Il est impératif, vital même, de renforcer notre amont gazier.

Comment le faire ? L'État doit-il rester majoritaire ou conserver seulement une minorité de blocage dès lors que seront assurées la pérennité du service public, avec un statut du personnel inchangé, et la sécurité de nos approvisionnements au meilleur coût, que les clients qui le souhaitent pourront continuer à bénéficier des tarifs réglementés et que sera créé un tarif spécifique de vente de gaz aux personnes en difficulté dans un dispositif où les prérogatives de l'organisme régulateur seront préservées et que la fixation des tarifs relèvera in fine de la puissance publique, qui, faut-il le rappeler, détenait 100 % du capital de Gaz de France en 2000 sous le gouvernement Jospin lorsque les tarifs de gaz ont augmenté de 30 %. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je sais bien que certains objectent que la participation de l'État a été déjà été fixée en 2004, mais l’évolution du contexte énergétique mondial nous invite à l'humilité et au pragmatisme en dehors de toute idéologie.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur, et M. Gilles Carrez. Très bien !

M. Jean-Pierre Nicolas. Chers collègues, nous avons à cette époque légiféré avec un baril de pétrole à 28 dollars ; il est aujourd'hui à 70 dollars et la rapidité avec laquelle s'effectuent les concentrations de producteurs énergétiques nous contraint à ne pas rester passifs et à rechercher la meilleure solution pour la stratégie énergétique de la France et peut-être de l'Europe.

D'ailleurs, la privation de GDF n'est pas une idée nouvelle. Nicole Bricq, auteur d'un rapport pour un gouvernement socialiste, ainsi que M. Fabius et M. Strauss-Kahn ont en leur temps avancé cette idée.

M. Jean-Yves Le Déaut. M. Strauss-Kahn vient de répondre !

M. Pierre Cohen. Ils n’écoutent même pas !

M. Jean-Pierre Nicolas. En marge du projet de loi, il y est d'ailleurs fait allusion dans l'exposé des motifs, et chacun l’a bien sûr à l'esprit, se situe le projet de fusion de GDF avec Suez, qui peut apparaître séduisant dès lors qu'une fusion EDF-GDF générerait de la part de Bruxelles des demandes de compensation de nature à affaiblir considérablement notre électricien national.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Nicolas. L'exemple récent du Portugal est à cet égard significatif.

Le projet de fusion GDF-Suez, si séduisant soit-il, et qui, nous dit-on, ne comporte pas de plan B, suscite quand même quelques interrogations.

Les concessions demandées par Bruxelles seront-elles acceptées par les actionnaires ?

Ceux-ci ont-ils intérêt à accepter la fusion au détriment de l'intégrité des actifs énergétiques de Suez ? N'est-il pas préférable, pour eux, de valoriser ces actifs ?

Les conditions de la fusion GDF-Suez, avec la minorité de blocage de l'État, font, selon certains experts financiers, perdre 15 % aux actionnaires. La révision de la parité Suez-GDF ne sera-t-elle pas demandée lors de l'assemblée générale de Suez en fin d'année ? La fusion sera-t-elle encore possible ?

Les conditions posées par Bruxelles ne rendent-elles pas la fusion trop coûteuse ?

La modification du paysage énergétique est rapide, nous devons être réactifs. Il faut légiférer. J’aurais cependant souhaité que le Parlement n’ait à se prononcer qu’après que les actionnaires de Suez eurent donné un engagement, fût-il de principe.

M. René Couanau. Très bien !

M. Jean-Pierre Nicolas. J’espère, monsieur le ministre, que ces interrogations seront levées au plus tôt et qu’ainsi nous pourrons rapidement nous honorer d’avoir un groupe qui soit le numéro un européen, avec Suez ou un autre, avec un amont gazier renforcé, au bénéfice de l’économie française et des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Léonce Deprez.

M. Léonce Deprez. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, sous l’autorité de Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, nous avons analysé ce projet pendant des dizaines d’heures en juillet et août, et je voudrais vous faire part de la conclusion qu’il m’inspire.

Ce projet répond à une exigence liée à l’évolution du monde en ce début de nouveau siècle. Il n’est pas anormal, en effet, de chercher des solutions nouvelles pour des temps nouveaux. Il s’agit de permettre à la France de faire face au problème essentiel des ressources énergétiques. Nous sommes tous attachés à Gaz de France, mais il s’agit précisément de lui permettre de se donner les capacités d’investissement dont toute entreprise, quelle que soit son échelle, a besoin pour demeurer compétitive et assurer son avenir. Plus de trente ans de direction d’entreprise m’amènent à cette observation.

Je vais émettre une affirmation et je souhaite, monsieur le ministre, que vous puissiez la confirmer. Ce n’est pas l’État français – cela n’a pas été dit par M. Strauss-Kahn –, dont l’endettement ne peut plus être aggravé – M. Thierry Breton le dit assez souvent –, qui est en mesure d’apporter à Gaz de France les ressources financières permettant les énormes investissements que l’entreprise doit réaliser pour garantir la continuité et le développement des ressources énergétiques de la France.

Faut-il rappeler – je ne comprends pas que M. Strauss-Kahn ne l’ait pas souligné – que le budget 2006 de la France a été adopté avec une prévision d’un déficit de 46,9 milliards d’euros ? Le but de ce projet de loi est d’aboutir à assurer à Gaz de France un capital suffisant pour faire face à la puissance des grands groupes pétroliers et du groupe allemand E.ON.

Le transport du gaz par gazoduc ne pouvant plus satisfaire nos besoins à l’avenir, il s’agit de permettre à Gaz de France de transporter le gaz depuis les sources de production jusqu’aux sources de consommation. L’énergie du gaz étant l’énergie fossile la moins polluante, la demande de gaz est croissante. La France va donc, comme les autres pays européens, devoir utiliser le gaz naturel liquéfié.

L’objectif est, en partenariat par exemple avec des pays du Moyen-Orient, de prospecter et d’acquérir de nouveaux gisements en vue de produire du gaz et de renforcer l’intégration du nouveau groupe sur toute la chaîne gazière en passant par la fonction industrielle de la liquéfaction du gaz.

Le gaz naturel liquéfié, c’est en effet une perspective intéressante, la perspective d’un partenariat possible avec des pays du Moyen-Orient tels que le Qatar et l’Égypte, pour aboutir à valoriser leurs nappes gazeuses et pour substituer progressivement au pétrole ce gaz naturel liquéfié.

Il nous faut expliquer davantage aux Français que GDF, unie à Suez, pourra se donner l’ambition de développer les productions de gaz naturel liquéfié, productions qui représentent une fonction industrielle.

Il s’agit de sortir le gaz du sol et de le comprimer en le refroidissant jusqu’à ce qu’il devienne liquide, puis, dans un deuxième temps, de transporter ce gaz liquéfié par mer à partir des pays producteurs dans des bateaux méthaniers jusqu’à des terminaux méthaniers. Tout cela demande d’énormes investissements. Or, nous n' avons à ce jour que deux terminaux méthaniers en France : à Montoire-de-Bretagne et à Fos-sur-Mer sur la côte méditerranéenne.

Les groupes pétroliers ont eux, dès à présent, les moyens de peser sur le marché du gaz naturel liquéfié. Le danger, par exemple, pourrait être que Exxon devienne le leader du transport et du négoce du gaz naturel liquéfié. Ce groupe international en a les moyens financiers. Gaz de France doit donc grandir pour faire face aux grands producteurs de gaz.

L’alternative est claire : soit GDF doit s’endetter terriblement pour faire face et il obère sa capacité d’investissement pour le futur ; soit GDF fusionne avec Suez et conserve la capacité d’investir progressivement, en devenant dès maintenant un acteur majeur du gaz naturel liquéfié.

Nous devons donc assurer à Gaz de France la possibilité de conserver des capacités financières à l’échelle de celles des grands groupes concurrents tel le groupe allemand E.ON. II s’agit pour GDF de passer de 30 milliards de capitalisation à 70 milliards d’euros de capital, avec Suez.

C’est ainsi que nous sauvegarderons la capacité pour GDF de maintenir sa fonction de service public à un « tarif social » pour certaines catégories de consommateurs et de sauvegarder pour son personnel actuel l’avantage du statut qu’il a mérité d’acquérir depuis les lendemains de la Libération.

J’insiste sur le fait que, pour demeurer dans la première division des groupes d’origine gazière, GDF doit être en mesure de supporter le coût d’investissements énormes.

Le gaz naturel liquéfié permet à présent de contourner la puissance de Gazprom et de la Russie qui inondent l’Europe de l’Est et de l’Ouest. A partir du gaz naturel liquéfié, on retrouve des capacités de négociation avec Gazprom, avec l’Algérie et avec les Norvégiens, principaux fournisseurs de gaz à GDF, en diversifiant nos sources d’approvisionnement.

A ce jour, GDF dispose de huit bateaux méthaniers. Le groupe Suez dispose lui aussi de huit bateaux méthaniers. GDF dispose de deux terminaux méthaniers à Montoire-de-Bretagne et à Fos-sur-mer. Suez en a trois, à Zeebruge, à Boston et dans l’île de Trinidad. Pour l’avenir, sur la façade atlantique, il y a une dizaine de projets.

En additionnant la flotte de méthaniers de GDF et celle de Suez, plus les terminaux méthaniers des deux groupes, on arriverait donc à concurrencer les grands groupes pétroliers et à représenter un potentiel capable de peser sur les marchés.

Telles sont les observations essentielles que je souhaitais faire en analysant le problème du point de vue de l’entreprise industrielle. Il s’agit de se donner les moyens de gagner la compétition au plan mondial en évitant les divisions intérieures. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. René Couanau.

M. René Couanau. Monsieur le ministre de l’économie, je vais faire, trop brièvement à mon goût, entendre une voix différente au sein d’un groupe où le débat a été plus vif et les avis plus divers qu’on ne le dit.

M. Pierre Ducout. C’est vrai !

M. René Couanau. Nous ne sommes pas ici dans un domaine législatif ordinaire. D’abord, parce que l’énergie n’est pas un bien comme les autres ; ensuite, parce que nous savons bien que le marché, et notamment le marché financier auquel tous les autres sont de plus en plus soumis, échappe presque totalement à l’intervention des responsables politiques. Personne ne peut dire ce qu’il adviendra demain des quelques précautions aléatoires prises par le législateur pour tenter d’éviter des dérives imprévisibles.

M. Pierre Ducout. Il a raison !

M. René Couanau. Sur de point, la démonstration de Hervé Novelli, …

M. Jean Dionis du Séjour. Elle était brillante !

M. René Couanau. …rapporteur pour avis de la commission des finances, a été totalement éclairante.

Nous ne sommes pas dans un domaine législatif ordinaire, enfin, parce que toute expérimentation est exclue, qu’il n’y a pas de « retour » possible et que nous nous soumettons, par la loi, à des lois qui n’en sont pas, celles du marché, et à des intérêts qui nous échappent, ceux des investisseurs privés.

La question centrale n’est pas, même si elle est très importante, le devenir du groupe Suez. Non, la question centrale est de savoir si l’État, c’est-à-dire la nation, c’est-à-dire ses intérêts supérieurs, doivent et peuvent conserver, à défaut de l’étendre, la maîtrise directe des grands secteurs énergétiques dans un monde fluctuant, instable et insaisissable.

M. Jacques Myard. Excellent !

M. Pierre Ducout et M. Jean Gaubert. Très bien !

M. René Couanau. Autrement dit, la question est de savoir si la présence majoritaire de l’État au capital de Gaz de France est plus à même d’assurer cette maîtrise que le transfert de cette majorité à des actionnaires privés, même avec une minorité dite de blocage dont nous savons qu’elle diminuera et divers garde-fous.

M. Pierre Ducout. Absolument !

M. Daniel Paul. Bonne question !

M. Pierre Cohen. Alors, monsieur Carrez, c’est un UMP qui le dit !

M. Gilles Carrez. Chez nous, il y a de vrais débats !

M. René Couanau. J’ai le regret de dire, messieurs les ministres, qu'aucun des nombreux, et variants, arguments présentés ne m’a convaincu du contraire.

M. Pierre Ducout. Nous non plus !

M. René Couanau. Pourquoi ? Parce que ce sont surtout les circonstances qui ont dicté le projet industriel ;…

M. Jean Gaubert. Eh oui !

M. René Couanau. …que, sans l’occurrence simultanée de la nécessaire application des directives européennes, à laquelle il faut procéder, …

M. Jacques Myard. Ça, c’est moins sûr !

M. René Couanau. …et des difficultés rencontrées par le groupe Suez, la question de l’évolution de la structure du capital de Gaz de France ne se serait pas posée aujourd’hui, et qu’au moins elle aurait été précédée d’un débat de fond sur la stratégie énergétique nationale et européenne ; qu’il nous apparaît donc qu’on nous présente une décision de long terme sous la pression d’éléments extérieurs de court terme. D’ailleurs, la perspective de modification du capital de GDF n’a pas été publiquement posée avant cette occurrence et l’on nous disait même, il y a encore quelques mois, que GDF « avait les moyens désormais » de se développer seul.

J’entends, bien sûr, les reproches d’immobilisme et les suspicions d’attachement suranné au service public. Bien sûr, pour être puissant, dans le domaine de l’énergie gazière comme dans les autres domaines, il convient de nouer les alliances nécessaires et de présenter, puisqu’il ne s’agit ici que d’acheminement et de distribution, une force d’achat et de vente capable de tenir tête aux autres puissances. Mais l’on ne peut avancer à la fois l’idée que les prix de l’énergie sont totalement indépendants de la structure financière du groupe et l’argument contraire selon lequel la fusion entre GDF et Suez permettrait au nouveau groupe de faire bénéficier les consommateurs des tarifs obtenus en force dans les négociations.

MM. Daniel Paul, Jean Gaubert et Pierre Ducout. Très bien !

M. René Couanau. Quant aux investissements, pourquoi un organisme public ne les consentirait-il pas à la hauteur nécessaire quand il s’agit pour l’État d’investir pour notre indépendance énergétique ?

M. Jacques Myard. Très bien !

M. René Couanau. A force de stigmatiser avec raison des endettements déraisonnables, on en vient à oublier qu’il est aussi du devoir de l’État d’investir pour les générations à venir et de ne pas s’en remettre nécessairement aux mécanismes du marché.

Quant au service public, on me permettra de penser et de dire tout haut ce que je dis quelquefois dans des cénacles plus restreints, à savoir qu’il est un peu facile pour des responsables politiques de considérer qu’il n’est pas approprié à la gestion des entreprises quand, en fait, ils se sont révélés incapables d’en maîtriser et la gestion et l’évolution.

J’ajoute que, à mon sens, tout aujourd’hui, et notamment le déficit d’Europe, inciterait à réviser nos conceptions respectives concernant l’ampleur, la force et les alliances du secteur public dans certains domaines essentiels.

Être flexible, mobile, adaptable ? Oui ! La survie est à ce prix. Mais il me paraît que cela ne signifie pas s’engager dans le premier courant venu quand la réversibilité n’est pas assurée et sans envisager d’autre option. Nous aurions donc aimé, messieurs les ministres, que l’on nous décrive les recherches menées pour définir et identifier d’autres projets.

Nous aurions souhaité que, dans des délais compatibles avec les échéances politiques, nous soient fournis les éléments qui me semblent manquer aujourd’hui au débat : par exemple, les conditions de l’indépendance énergétique, les perspectives énergétiques européennes, la capacité prévisionnelle de financement par GDF des investissements nationaux indispensables, l’impact économique technique et financier de diverses options envisageables. Je suis désolé de vous dire que, si nous étions au conseil d’administration ou à l’assemblée des actionnaires de Suez, nous réclamerions au moins ces éléments-là, notamment cet élément essentiel qu’est la capacité de choix.

Bref, nous aurions aimé disposer du seul élément qui vaille quand les enjeux sont si déterminants : c’est-à-dire… le choix. A défaut d’en disposer, et dans l’incertitude grandissante au fur et à mesure que nous avançons dans ce débat sur les réactions européennes, la réaction des actionnaires de Suez, l’évolution du prix, la parité, etc, je choisis, pour ma part, de ne pas donner suite à la proposition de privatisation qui nous est faite et je ne voterai donc pas le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. L’orateur est applaudi par la gauche : beau résultat !

M. le président. La parole est à M. Michel Diefenbacher.

M. Michel Diefenbacher. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, si Gaz de France était libéré des contraintes que génèrent les 70 % minimum de participation de l’État, aurait-il d’ores et déjà passé des alliances avec des partenaires français ou européens ? La réponse ne fait aucun doute, c’est « oui ». Oui, parce que le marché du gaz n’est plus national mais européen et que, pour y être présent, il n’y a pas d’autre solution que de passer des alliances ; oui, parce que la demande est mondiale et que, pour peser face aux grands fournisseurs – russe et algérien notamment –, il faut avoir une surface financière, technologique et commerciale à laquelle aucun opérateur isolé ne peut actuellement prétendre.

Les concurrents de GDF ne s’y sont pas trompés : tous recherchent des partenariats. C’est le cas partout en Europe. Et, hors d’Europe, le rapprochement de Gazprom et de la Sonatrach donne la mesure de ce processus de concentration.

Gaz de France peut-il rester à l’écart d’une telle évolution ? Ou, pour poser la question autrement, faut-il donner la priorité au maintien des garanties et des contraintes statutaires – les 70 % de participation de l’État – ou s’engager au contraire vers une privatisation qui seule permet de nouer de nouveaux partenariats ?

Lorsque les frontières de nos États étaient aussi des barrières commerciales, le statut d’entreprise publique était le plus sûr atout de développement. Mais, lorsqu’elles tombent et que les marchés s’ouvrent, ce qui compte n’est plus la garantie de l’État, mais l’expansion internationale. Et la protection statutaire, qui était auparavant un atout, devient dès lors une entrave.

La question n’est donc pas de savoir s’il faut ou non assouplir le statut de GDF – il me semble urgent de le faire –, mais de savoir dans quelles proportions et comment. C’est un débat technique que nous devrions avoir. Mais, une fois encore, la polémique politique prend le dessus.

Pourquoi ? Parce que, chez les uns, l’idéologie continue à prendre le pas sur le pragmatisme. Pour les communistes, seule l’entreprise publique peut assurer une mission d’intérêt général. Cette position a le mérite de la clarté et de la constance, mais elle est absurde.

Parce que, chez les autres, les socialistes, on a pris l’habitude d’oublier dans l’opposition ce qu’on a fait quand on était au pouvoir. Hier, au sommet de Barcelone, Lionel Jospin donnait son accord à l’ouverture du marché.

M. Jean Gaubert. Pas sans conditions !

M. Michel Diefenbacher. Aujourd’hui, dans cette enceinte, François Hollande dénonce dans cette évolution la marque de l’ultralibéralisme. Quand une élection s’approche, il est tellement plus facile de crier avec les loups que de penser à l’intérêt du pays !

J’ai longtemps hésité, monsieur le ministre, à soutenir le projet de loi que vous présentez, car il soulève des questions difficiles.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est vrai.

M. Michel Diefenbacher. Mais je suis maintenant bien décidé à le voter, et cela pour une seule raison : seule la privatisation permet de bâtir un vrai projet industriel qui ouvre à Gaz de France le marché européen et conditionne la sécurité même de nos approvisionnements.

Notons au passage que, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, la sécurité n’est pas le statu quo, mais au contraire l’adaptation constante au contexte nouveau qui nous entoure. On ne dira jamais assez que, dans un monde qui change de plus en plus vite, rien n’est plus dangereux que l’immobilisme.

Je voterai donc. Mais je souhaite, monsieur le ministre, vous soumettre deux observations.

La première concerne ENEL. J’ai été choqué par la façon dont ce groupe a été éconduit lors de son OPA sur Suez. Nul, bien sûr, n’est tenu d’applaudir à une OPA, surtout lorsqu’elle est hostile. Mais on ne peut pas encourager nos entreprises à prendre des participations en Europe et, dans le même temps, fustiger leurs concurrentes européennes qui font de même en France. Nous sommes européens. Nous ne pouvons pas vouloir la construction européenne et en éviter les risques. Un partenariat avec ENEL aurait du reste probablement un sens.

Ma seconde observation porte sur la manière dont les salariés de Gaz de France ont été informés du projet gouvernemental. Après soixante ans de service public, ils ont appris, en quelques minutes d’une communication publique, que leur entreprise allait être non seulement privatisée, mais aussi fusionnée. Il faut mesurer le choc d’une telle annonce et les conséquences qu’elle peut comporter sur l’entreprise.

Ce qui est fait est fait. Mais il importe à présent de veiller à ce que les partenariats que GDF pourra nouer avec Suez ou d’autres soient équilibrés et préservent strictement la culture et l’identité de l’entreprise.

Contrairement à ce qu’ont dit les orateurs de gauche qui se sont succédé à cette tribune, il doit être clair que notre ambition n’est nullement de démanteler Gaz de France, mais au contraire de valoriser le potentiel de cette entreprise. Et son potentiel humain n’est certainement pas le moindre.

Je terminerai en rappelant à l’opposition que, dans la vie politique comme dans la vie tout court, lorsqu’on prend une décision, il faut en assumer les conséquences. Lorsqu’on ouvre un secteur à la concurrence, il faut donner aux entreprises de ce secteur les moyens de l’investir. C’est ce que propose le projet de loi. Rien de plus, rien de moins.

M. Pierre Cohen. On rêve ! Il propose exactement le contraire ! Et qui va payer ?

M. Michel Diefenbacher. Puissent les 140 000 amendements déposés ne pas jeter un voile d’obscurité sur cette simple et lumineuse évidence. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean Gaubert. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, pendant le temps qui m’est imparti, je me bornerai à évoquer deux sujets, non sans commencer par un petit appendice, en réponse à une contrevérité qui vient d’être prononcée par M. Diefenbacher, au sujet de l’accord de Barcelone. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir, puisque nous nous préparons à un long débat.

Il faudrait se rappeler les termes exacts de cet accord, monsieur le rapporteur, et surtout les propos tenus ici même en novembre 2002…

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Barcelone, 16 mars 2002 : c’est là qu’a été fixé le cap !

M. Jean Gaubert. …par Mme Fontaine, qui a occupé les fonctions de ministre délégué à l’industrie : « Nous avons décidé de montrer enfin que nous sommes de bons Européens ; nous ne mettrons aucun frein à la libéralisation au 1er juillet 2007 », phrase qui figure dans tous les comptes rendus. Arrêtons donc ce genre de débats. Certes, l’accord de Barcelone n’était loin d’être parfait, mais il apportait un certain nombre de conditions.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Assumez vos choix ! C’est Lionel Jospin qui a engagé le processus à Barcelone !

M. Jean Gaubert. Mais c’est vous qui avez décidé de les lever toutes les conditions sans aucune contrepartie.

M. Pierre Cohen. Ils ont capitulé !

M. Jean Gaubert. J’aborderai deux sujets.

Tout d’abord, en ce qui concerne les prix et les tarifs de l’électricité et du gaz, je voudrais m’arrêter sur la manière dont on comprend les choses. Nos collègues de tous les bancs semblent d’accord pour conserver le tarif régulé, mais à quel niveau ? On sait que Bruxelles entend qu’on se rapproche du marché et que la CRE tient le même discours. Autant dire que, mis au niveau du marché, le tarif régulé tombera tout seul. Il mourra de sa belle mort, sans que personne ait pris la responsabilité de le démonter.

Le deuxième sujet concerne le tarif social. Certes, on s’est beaucoup gaussé – vous y reviendrez, monsieur le rapporteur, mais nous aussi – sur le fait que la gauche avait un peu tardé à prendre des décrets.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Vous n’avez rien fait !

M. Pierre Cohen. Nous avons voté la loi de 2000 !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Rien de rien !

M. Jean Gaubert. Nous avons au moins voté le tarif social ! Mais laissez-moi aller jusqu’au bout : dans la mesure où le tarif régulé va monter, dans les années à venir, pour se rapprocher du tarif de marché qui, lui, est élevé, le tarif social que vous nous proposez sera complètement inopérant pour la majorité de nos concitoyens. Vous le proposez en effet pour ceux qui bénéficient des minima sociaux. Vous oubliez tous ceux qui travaillent tous les jours pour de petits salaires ou de faibles revenus – 1 000 ou 1 500 euros – ; eux seront au tarif régulé, qui aura beaucoup augmenté. Nous devons donc nous demander à quel niveau situer le tarif social, le seul que la puissance publique contrôlera vraiment.

Mais le plus fort, c’est tout de même le débat autour des prix de l’électricité. Je tiens à dire aux libéraux qui sont présents que j’ai toujours du mal à les comprendre.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Quel dommage ! M. Strauss-Kahn vient de partir !

M. Jean Gaubert. J’ai la possibilité de m’expliquer avec lui ailleurs que dans cet hémicycle. C’est à mes collègues que je m’adresse.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Vous parliez des libéraux. Je pensais que vous faisiez allusion à lui.

M. Jean Gaubert. Je voudrais vous rappeler, mes chers collègues, que, sur un marché libéral, le prix de vente n’a rien à voir avec le prix de revient. Il résulte de la confrontation entre l’offre et la demande.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. C’est ce que dit M. Strauss-Kahn, en effet.

M. Jean Gaubert. Pourquoi s’offusquer si celui qui a les moyens de le faire, parce que le marché est tendu, en profite pour augmenter son prix de vente, puisqu’il sait qu’il aura des clients ? C’est littéralement la règle du système libéral. Il n’y en a pas d’autre et tout ce que vous cherchez à faire pour l’encadrer ne peut être qu’un voile, que vous jetez jusqu’au 1er juillet 2007.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Voyons : si c’est encadré, ce n’est pas libéral !

M. Jean Gaubert. Nous y reviendrons. C’est la réalité : si le prix de vente est plus élevé que le prix de revient, l’entreprise fait des bénéfices. S’il est plus bas, soit l’entreprise tente de le faire baisser, ce qui n’est pas facile ; soit, à terme, elle en tire les conclusions. C’est la règle du libéralisme.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. On ne peut rien vous cacher !

M. Jean Gaubert. Il est tout de même extraordinaire qu’on soit obligé de vous l’expliquer du haut de la tribune, alors que c’est une évidence.

Mais il existe d’autres moyens d’agir soit sur la demande, soit sur l’offre. Depuis la libéralisation intervenue dans certains pays, sachant qu’on a plus de mal à agir sur la demande, on a agi sur l’offre.

J’ai entendu hier M. Novelli nous expliquer qu’il n’y avait pas de lien entre la libéralisation et l’augmentation des prix. Il oubliait tout simplement ce qui s’est passé dans les premiers pays qui ont libéré. Ceux-ci ont vu, les premières années, les prix baisser. Cela s’est produit en Norvège, en Grande-Bretagne, au Canada et même aux États-Unis, en Californie. Mais, très rapidement, les industriels ont ajusté l’offre pour faire monter les prix. Tel est le cas même en Norvège, pays pourtant assis sur des réserves extraordinaires d’énergie. Les industriels se sont débrouillés, en n’investissant plus, pour faire monter les prix afin de gagner davantage. C’est une évidence du système. Certains orateurs de la majorité l’ont rappelé : il est évident que, en matière d’énergie, on ne peut pas s’en remettre au secteur privé pour régler certains problèmes.

Je tenais à le rappeler, même si nous aurons l’occasion d’y revenir dans les prochains jours.

Mais le meilleur, c’est la manière dont vous proposez d’effectuer la correction. Le fameux « amendement 30 % », je le qualifierai, monsieur le rapporteur, d’« amendement Direct Energie et copains ». Ayant constaté à juste titre le scandale de l’augmentation née de la libéralisation, vous vous êtes dit qu’il fallait agir. Vous proposez donc une correction de 30 % maximum applicable au tarif régulé.

M. Pierre Ducout. À titre temporaire, pour une durée de deux ans !

M. Jean Gaubert. Mais, comme je l’ai indiqué, ce tarif montera, de sorte que la somme que représente ce quota de 30 % montera elle aussi. Les industriels ne l’ont sans doute pas encore vu pour le moment, mais ils le comprendront en temps et en heure. Qui paiera la différence entre le prix proposé par Direct Energie ou d’autres ? Le consommateur qui sera au tarif régulé ou au tarif social, puisque l’augmentation sera acquittée grâce à une taxe sur les barrages, les centrales nucléaires et autres investissements déjà amortis. En somme, vous voulez faire payer aux petits consommateurs de notre pays une mesure de correction temporaire – puisque vous avez avancé vous-mêmes le délai de deux ans – qui nous renvoie à l’après-2007, pour résoudre un problème que vous ne savez pas régler parce que, idéologiquement, vous ne voulez pas le faire.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Vous n’avez pas lu l’amendement !

M. Pierre Ducout. C’est automatique, monsieur le rapporteur !

M. Jean Gaubert. Nous avons lu et relu l’amendement, monsieur le rapporteur, et nous en avons parlé très longuement en commission. Rassurez-vous, d’ailleurs ; nous y reviendrons.

Puisqu’il me reste encore un peu de temps, j’évoquerai également le problème de la fusion entre Gaz de France et Suez. À ce sujet, monsieur le ministre, cessez de répéter que nous ne devons pas parler de Suez, alors que vous y revenez sans cesse vous-même. D’ailleurs, si vous le faites, c’est parce que vous avez un projet industriel et, si ce n’est pas le cas, c’est encore plus grave.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Ce n’est pas la question posée au Parlement.

M. Jean Gaubert. Ce n’est peut-être pas la question que vous nous posez, mais nous avons envie d’en débattre. C’est notre droit de nous poser des questions corollaires au dossier que vous nous présentez.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous avez tous les droits, mais il n’empêche que la question n’est pas celle-là !

M. Jean Gaubert. Vous nous dites, comme l’a fait le Premier ministre lui-même, qu’il faut sauver une entreprise française. Mais M. Mestrallet a prétendu il y a quelques mois : « Nous ne sommes plus une entreprise française, mais une entreprise européenne. » Il faudrait qu’il précise sa position. Une entreprise peut-elle être européenne un jour et française le lendemain ?

Si le processus va à son terme, on aura une société qui, avec plus de 50 % de capital privé, restera opéable, ainsi que l’a expliqué Dominique Strauss-Kahn. Si tel n’est pas le cas, on aura privatisé Gaz de France et on l’aura rendu lui-même opéable. Au lieu d’un opéable, on en aura donc deux !

M. Jean-Yves Le Déaut. Eh oui !

M. Jean Gaubert. Si c’est ce que vous souhaitez, il faudra nous expliquer pourquoi, monsieur le ministre.

Par ailleurs, que répondez-vous à ceux qui estiment que l’opération coûtera un peu plus de 5 milliards d’euros à Gaz de France, en raison de la conversion un pour un des actions ? Et que pensez-vous des bruits qui courent selon lesquels la fusion entre Suez et Gaz de France priverait l’État de 3 milliards d’euros de recettes fiscales ? Ne conviendrait-il pas de profiter de ces possibilités financières pour contribuer au désendettement de la France ? Au reste, vous auriez pu mener pour Suez une opération similaire à celle dont a bénéficié Veolia. Cela méritait réflexion mais, par idéologie, vous ne l’avez pas fait.

Vous n’avez que le mot « champion » à la bouche, mais un champion de quoi ? Du gaz ? Vous savez parfaitement, et les dirigeants eux-mêmes le reconnaissent, qu’il faudra sans doute abandonner, dans ce secteur, des positions qui correspondent peu ou prou à l’apport de Suez. Un champion de l’électricité ? Gaz de France n’en a pas et Suez n’est pas un champion dans ce secteur. Un champion des services ? Suez a, certes, des positions importantes sur notre territoire, mais il n’est pas le premier. En réalité, vous nous proposez simplement de créer un champion régional du décathlon.

Et quid de l’opérateur commun à EDF et GDF que vous avez décidé de créer, qui comprend entre 55 000 et 60 000 salariés ? Suez a, un peu partout sur notre territoire, des équipes capables d’assurer la maintenance des réseaux de gaz, moyennant une formation. Pouvez-vous nous assurer que cette entreprise préférera faire appel aux salariés de l’opérateur commun plutôt qu’aux siens ? C’est une question extrêmement importante à laquelle il vous faudra répondre.

Enfin, quand on a pour credo une participation active à la construction européenne, il est pour le moins étonnant d’organiser un tel Monopoly, au détriment des Belges en particulier – puisqu’on annonce que l’on vendra sans doute quelques actifs en Belgique, voire des parts dans les centrales de la Meuse –, en prenant en otage les Italiens, à qui l’on promet de donner un petit bout de ce qui sera vendu en Belgique. Mais enfin, les Belges ont tout de même leur mot à dire sur des infrastructures aussi stratégiques ! Là encore, vous ne rendez pas service à l’image de notre pays…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous ne sommes pas d’accord !

M. Jean Gaubert. … en construisant cette structure, qui n’a pour avantage que de sauver quelques intérêts, sans que l’on sache très bien lesquels. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi d’exprimer le point de vue des députés de la majorité qui sont profondément hostiles au texte.

M. Pierre Ducout. On les comprend !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Accepter le projet de fusion Suez-GDF, ce serait tout d’abord renier la parole politique, à quelques mois d’élections cruciales pour l’avenir de notre pays. « Ces entreprises [EDF et GDF] sont de grands services publics. Elles le resteront, ce qui signifie qu’elles ne seront pas privatisées » – Jacques Chirac, Président de la République, le 19 mai 2004. « Je le redis avec force : conformément aux engagements du Président de la République et du Gouvernement, EDF et Gaz de France ne seront pas privatisées » – Nicolas Sarkozy, le 16 juin 2004. Je m’étais abstenu, en 2004, parce que j’avais fait confiance au ministre de l’économie et des finances sur la barre des 70 %.

M. Jean Gaubert. Quel tort !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Accepter le projet de fusion Suez-GDF, ce serait – et c’est déjà – placer le Parlement dans une situation assez pittoresque. On nous demande en effet de délibérer avant même la décision de la Commission de Bruxelles – qui interviendra, le 25 octobre –, sous la pression des dirigeants de GDF et de Suez, sans avoir toujours les informations nécessaires et sous la menace du 49-3 qui, après la triste affaire du CPE, ne servirait pas la majorité.

Accepter le projet de fusion Suez-GDF, ce serait – et cela a été dit sur de nombreux bancs – rendre opéable GDF. Non seulement on ne protégera pas Suez d'OPA hostiles, mais on y expose désormais GDF, ainsi que l’ont indiqué MM. Daubresse et Paillé.

M. Pierre Ducout. C’est vrai !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Accepter ce projet, c’est évidemment affaiblir EDF, cœur de cible inavoué de cette politique. Fusionner GDF avec Suez, c'est enterrer définitivement le mariage de cœur et de raison entre GDF et EDF, seul capable de refonder le service public de l'énergie en France, selon le pacte mis en œuvre en 1946 par le général de Gaulle.

M. Pierre Ducout. Eh oui !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Accepter ce projet, c’est rendre inéluctable l'alignement par le haut des tarifs de GDF et d’EDF sur ceux de leurs concurrents européens,…

M. Pierre Ducout. Bien sûr !

M. Nicolas Dupont-Aignan. … conformément aux accords insensés de Barcelone,…

M. Pierre Ducout. Ah non !

M. Nicolas Dupont-Aignan. … que Lionel Jospin a signés avec le Président de la République, et à la politique prônée depuis toujours par la Commission de Bruxelles. L'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie en Europe implique la disparition en France des tarifs réglementés, dont la modicité – fruit des efforts en faveur de notre industrie électronucléaire – rend impossible l'intervention des opérateurs européens sur le marché français. Les garanties données sur le maintien des tarifs réglementés ne pourront être – et vous le savez tous pertinemment – que transitoires, comme l'ont rappelé la Commission, les PDG de GDF et d’EDF, ainsi que le président de la Commission de régulation de l'énergie. Ne pensez-vous pas qu’il est temps d’arrêter cette politique qui consiste à tenir un langage différent à Bruxelles et à Paris ? Cela nous a coûté assez cher par le passé !

Accepter le projet de fusion Suez-GDF, c’est affaiblir la compétitivité de nos entreprises. Celles qui se sont laissé piéger par le « marché libre » ont bien compris l’absurdité de celui-ci. En fait, les tarifs sont alignés sur le Powernext,…

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Pas les tarifs, les prix : c’est une différence essentielle !

M. Nicolas Dupont-Aignan. …, les prix, vous avez raison, Powernext qui est un marché hautement spéculatif, puisqu’il n’y a pas de véritable interconnexion des lignes.

Enfin, accepter le projet actuel de fusion Suez-GDF, c’est oublier qu’il existe d’autres solutions dans le cadre des traités européens, comme celle de conserver une majorité de 51 % dans GDF…

M. Jean Dionis du Séjour. C’est vrai !

M. Nicolas Dupont-Aignan. … en organisant des participations croisées, ce qu’ont proposé certains de nos collègues de la majorité et les syndicats raisonnables – je pense à la CFTC ou à la CGC. Mais la seule solution valable si l’on veut préparer l’avenir, c’est la fusion EDF-GDF.

En définitive, et ce sera ma conclusion, le projet de loi est totalement contraire à l’esprit du temps. Face à la rareté de l’énergie et au réchauffement climatique, la France dispose d’un atout important, avec ces deux entreprises publiques qui ont collaboré pendant cinquante ans ; et l’on veut détricoter tout cela au profit des intérêts de quelques lobbies d’affaires !

Ce n’est pas une question droite-gauche, c’est l’intérêt national qui est en jeu. Aussi la majorité ferait-elle bien d’écouter la voix de ceux qui prônent la suspension du débat et de réfléchir, avant l’élection présidentielle, au service public de l’énergie que nous voulons donner à notre pays, sans se coucher devant les maîtres qui règnent à Bruxelles.

M. Jacques Myard et M. Daniel Paul. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Monsieur le président, messieurs les ministres, le groupe socialiste est résolument opposé au projet de loi relatif au secteur de l'énergie qui, comme l’a dit Dominique Strauss-Kahn, est mauvais.

Sous cet intitulé se cachent en effet non seulement la privatisation de Gaz de France, mais aussi le démantèlement de cette entreprise nationalisée. Ce projet constitue un véritable reniement des engagements pris au plus haut niveau de l'État et par M. Sarkozy lorsqu’il était ministre des finances. En déstabilisant EDF et en créant une concurrence non seulement au niveau européen, mais aussi à l’échelle de la France, il ouvre la porte à la privatisation future d’EDF et il introduit un cheval de Troie dans le marché de l’électricité puisque l’ensemble du fichier des clients sera à la disposition de la future entreprise. Enfin, ce projet est dangereux pour les consommateurs et les petites entreprises, qui verront le prix du gaz s’envoler. Ceux qui estiment que cette opération permettra de stabiliser les prix doivent savoir que la facture de gaz d’un particulier a augmenté d’environ 200 euros cette année, ce qui est beaucoup lorsque l’on gagne 1 200 euros par mois. À ces problèmes, le texte n’apporte aucune solution.

Le projet de loi suscite l’opposition de l'ensemble des syndicats que l’on a auditionnés, de toute la gauche et d’une partie des membres de la majorité, même si certains d’entre eux se font plus discrets après avoir avalé la couleuvre de la privatisation de Gaz de France au cours de l’été.

Sur la forme, je peux dire, après avoir lu la lettre de griefs de la Commission européenne dans le bureau du président Ollier,…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est vrai.

M. Jean-Yves Le Déaut. … qu’elle est très sévère pour le projet.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous n’en avons pas la même lecture !

M. Jean-Yves Le Déaut. Le ministre a minimisé cette sévérité, mais sa conclusion – je peux la citer puisque le ministre l’a fait – est tout de même la suivante : « L’opération de concentration entre Suez et Gaz de France n’est pas compatible avec le marché commun et avec le fonctionnement de l’accord EEE ».

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. C’est la formule d’usage !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Et ce n’est pas la décision finale !

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous sommes très inquiets, car cette opération risque de se traduire, dans quelques mois, par la vente d'infrastructures gazières de Gaz de France ou par le démantèlement de Gaz de France-Réseau de distribution, dont certains censeurs européens disent que l'indépendance n'est pas assurée. Qui nous garantit que, demain, Bruxelles ne demandera pas en contrepartie la vente des réseaux de transport et de distribution du gaz ou encore des infrastructures de stockage ? Vous dites que refuseriez une telle demande, mais avec quels moyens ?

M. Jacques Myard. On mènera une opération commando à Bruxelles !

M. Jean-Yves Le Déaut. Vous prenez le risque de brader ce qui fait réellement partie du service public de l'énergie. On ne peut d'ailleurs qu'être très inquiet à la lecture de ce document – et je rappelle que j’ai voté oui lors du référendum sur le traité constitutionnel européen –,…

M. Jacques Myard. Et vous vous en mordez les doigts !

M. Jean-Yves Le Déaut. … car, à aucun moment, on ne sent la volonté de la Commission de se battre pour renforcer la politique européenne de l'énergie. Les termes de « barrière », de « contrainte », d'« entrave à la concurrence » se retrouvent à chaque page, alors qu'il faudrait dépasser l'application restrictive des règles de concurrence au niveau de chaque État membre, pour prendre en compte un marché de référence à l'échelle européenne. Ce qui nous intéresse, c’est de pouvoir résister à des OPA du type de celle de Mittal sur Arcelor, d’être compétitifs vis-à-vis des États-Unis. Or on est en train d’affaiblir l’Europe, en supprimant la possibilité de développer de grands groupes au niveau européen.

M. Jean Gaubert. Très bien !

M. Jean-Yves Le Déaut. Par ailleurs, il est aberrant que l’on examine ce texte sans connaître ni les contreparties demandées, ni la réponse que fera M. Cirelli aux observations contenues dans la lettre de griefs, ni les intentions réelles du Gouvernement, qui ne nous les annoncera qu’en novembre et qui fait ainsi preuve de mépris envers le Parlement.

Enfin, où est la morale politique…

M. Marc Laffineur. Pas vous !

M. Jean-Yves Le Déaut. … quand, deux ans après avoir affirmé avec force dans cet hémicycle qu’il n’y aurait pas de privatisation, un candidat à la présidence de la République fait aujourd’hui le contraire. Comment le croire ?

Nous voulons, au PS, que l’État contrôle non seulement les centrales nucléaires, mais aussi les réseaux de transport et de distribution de gaz et d’électricité.

Vous vouliez protéger Suez de l’OPA d’ENEL, mais ce n’est qu’un prétexte, car la meilleure protection contre les offres publiques d’achat consiste à garder le capital de l’entreprise dans le secteur public. Vous auriez dû être vaccinés après l’offre de Mittal sur Arcelor. Même les actionnaires de Suez s’expriment publiquement dans une page publicitaire en indiquant que la structure du projet « telle qu’elle est actuellement envisagée est à la fois défaillante dans son concept et profondément contraire aux intérêts des actionnaires de Suez ».

En permettant que la participation de l’État dans le capital de GDF descende à 34 %, vous vous interdisez, contrairement à ce que certains ont affirmé, la possibilité d’alliances avec échanges de parts comme cela avait fait dans le passé.

Le Parti socialiste s’est exprimé en faveur de la création d’un pôle public de l’énergie, obtenue au moyen d’une fusion entre EDF et GDF, qui aurait eu du sens. Aucune règle européenne n’interdit a priori cette fusion. En effet, l’essentiel du chiffre d’affaires de ces deux entreprises est réalisé en France, critère fondamental pour déterminer la compétence de la Commission. D’autre part, les parts de marché dans le gaz et l’électricité ne sont pas additionnées par la Commission, celle-ci considérant que ce sont deux marchés différents.

Pour toutes ces raisons, nous sommes opposés à ce projet de privatisation, car comme l’a excellemment dit Jean Gaubert, le nouveau groupe, lorsqu’il aura dû vendre une partie de ses actifs, restera opéable. Nous risquons par conséquent d’assister non pas à une seule OPA, mais à deux ou trois, et une fois que l’on aura démantelé Gaz de France, il n’y aura malheureusement aucune amélioration des prix pour le consommateur. Le Gouvernement aurait dû au préalable élaborer des règles anti-OPA sur les entreprises du service public,

Ce texte organise l’abandon de ce qui fait partie de nos intérêts stratégiques. C’est un chèque en blanc pour le Gouvernement.

C’est pourquoi nous souhaitons mener une bataille au Parlement – une bataille de fond et non pas de forme et d’obstruction comme certains le prétendent – car le rôle des parlementaires est de défendre les intérêts de la Nation. C’est ce que les socialistes vont faire dans les prochaines semaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous essayez de minimiser votre responsabilité !

M. le président. La parole est à M. Claude Gaillard.

M. Claude Gaillard. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous venons tous, les uns après les autres, exprimer notre vérité et dire ce que nous croyons bon pour la France. Je voudrais, à ce propos, saluer la présence de Dominique Strauss-Kahn, qui a eu le courage de venir s’exprimer publiquement sur un dossier important,…

M. Jean-Yves Le Déaut. Très bien !

M. Claude Gaillard. …ce qui n’est pas le cas de tout le monde dans son camp.

M. Pierre Cohen. On n’a pas vu Sarkozy !

M. Serge Poignant. Ce n’est pas un parlementaire !

M. Claude Gaillard. Il a ainsi repris une partie de son argumentation, expliquant que l’évolution de GDF allait affaiblir EDF. Mais aucune décision n’ayant jamais été prise, c’est si l’on ne faisait encore rien aujourd’hui, précisément, que GDF serait affaiblie !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Voilà !

M. Claude Gaillard. Dans la logique actuelle, du fait de l’impossibilité d’une fusion EDF-GDF, qui entraînerait un éclatement du parc nucléaire, EDF va récupérer l’ensemble des clients pour l’électricité et pour le gaz. C’est pourquoi ne rien faire aujourd’hui, c’est affaiblir durablement GDF.

M. François Brottes. Ce n’est pas si simple !

M. Claude Gaillard. En outre, nous nous situons dans une période d’énergie chère, et le fait qu’EDF et GDF soient des entreprises publiques ne change rien. C’est bien la preuve que le statut d’une entreprise ne résout pas tous les problèmes qui se posent.

Enfin, nous sommes également au seuil d’une période où nous risquons de connaître une pénurie de l’offre. Le sous-investissement qui a résulté de la tergiversation de la précédente majorité, notamment en ce qui concerne le lancement du troisième réacteur nucléaire – au sein de la majorité plurielle, le Parti communiste voulait avancer, mais les Verts refusaient et les socialistes hésitaient ; rien n’a donc été fait – a entraîné un considérable retard de production énergétique. Nous avons en fait reproduit les conditions de la situation de pénurie qu’a connue la Californie, ce qui peut laisser craindre le pire. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Quel rapport avec le gaz ?

M. Claude Gaillard. En ce qui concerne le gaz, quel est le problème ?

Pendant dix ans, j’ai eu l’honneur d’être administrateur de GDF et nous avons sans cesse parlé de la nécessité d’adosser…

M. François Brottes. Pas de brader !

M. Claude Gaillard. …GDF à une autre entreprise. M. Strauss-Kahn a lui-même reconnu – et je n’hésite pas à le souligner par honnêteté intellectuelle – que le seuil de 50 % de participation de l’État n’était pas inscrit dans le marbre. Aujourd’hui, où en sommes-nous ? Les fournisseurs ayant cassé le marché et détenant le pouvoir…

M. Pierre Ducout. C’est vrai !

M. Claude Gaillard. …il convient, si l’on veut éviter la pénurie, de se développer en amont, à la prospection et à la production. GDF le fait, mais ne dispose pas des moyens d’aller plus vite. C’est pourquoi nous proposons cette évolution consistant à l’adosser à une autre entreprise, seule solution pour sortir de l’impasse où nous nous trouvons.

Quant à la solution proposée, je l’ai dit, deux choses ne m’ont pas plu au départ. D’abord, le mauvais signal que nous avons donné en sonnant l’alarme lorsqu’une entreprise italienne a lancé une OPA : j’ai en effet la conviction, renforcée depuis le référendum sur la Constitution européenne, que le patriotisme économique n’a de sens que s’il est européen, et qu’il ne faut plus raisonner sur le plan franco-français, comme le fait la gauche.

M. Pierre Ducout. C’est simpliste !

M. Claude Gaillard. En outre, affirmer qu’il fallait sauver Suez ne me semblait pas de bonne méthode. Comme l’a dit M. le ministre, le véritable enjeu aujourd’hui est de savoir comment nous pouvons permettre à GDF de se mettre en mouvement, de saisir les opportunités qui se présenteront dans le cadre de l’accélération du regroupement énergétique, afin de ne pas se laisser irrémédiablement distancer.

M. Pierre Cohen. C’est du baratin !

M. Claude Gaillard. J’ai bien vu, lorsque j’étais rapporteur du texte sur France Télécom, que les choses pouvaient aller beaucoup plus vite qu’on ne l’imaginait. C’est le cas aujourd’hui pour l’énergie : il faut savoir réagir rapidement.

Enfin, l’essentiel dans ce texte est ce que j’appellerai la parité financière. Nous ne devons pas perdre de vue que nous délibérons sur GDF, et non sur la fusion avec Suez.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Absolument !

M. Claude Gaillard. Il nous appartiendra de déterminer le moment venu, en fonction des réponses de l’Europe et de l’avis des actionnaires, si cette fusion est, ou non, une bonne chose pour la France.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Tout à fait d’accord !

Plusieurs députés du groupe socialiste. C’est un chèque en blanc !

M. Claude Gaillard. Il va de soi que la parité financière qui relève déjà des conseils d’administration de GDF et de Suez et un élément essentiel et que nous ne devons pas dépendre de la seule volonté des actionnaires.

M. François Brottes. Mais quelles garanties ?

M. Claude Gaillard. Vous avez ma confiance sur ce point tout à fait déterminant, monsieur le ministre.

Le deuxième point essentiel est la parité du management. La compétence des salariés de GDF, qui n’est plus à démontrer, implique qu’ils aient toute leur place dans le nouveau groupe dont la création est devenue nécessaire.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Absolument !

M. Claude Gaillard. C’est pourquoi je ne souhaite pas que l’on polémique sur la Commission européenne ou sur les déclarations du groupe Suez. Il importe avant tout de déterminer ce que l’on attend de GDF, comment nous allons procéder pour en faire un grand groupe européen auquel viendront se joindre un certain nombre d’entreprises – de préférence trois, provenant de trois pays différents.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Très bien !

M. Claude Gaillard. Vous avez ma confiance, monsieur le ministre. Vous avez l’autorisation de baisser la participation de l’État dans le capital, mais s’il y a un vote, il ne vous donnera pas l’autorisation de fusionner avec Suez, quelles que soient les conditions.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Absolument ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Claude Gaillard. À partir du moment où l’on a comme objectif l’intérêt de la France, je pense qu’il est possible de suivre le mouvement en cours et de réussir. Pour cela, vous avez notre confiance.

M. François Brottes. Ne soyons pas naïfs !

M. Claude Gaillard. Ce dossier est difficile, convenons-en. S’il ne l’avait pas été, la gauche aurait pris des décisions lorsqu’elle était en situation de le faire, or elle n’en a pris aucune. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) L’UMP, elle, en prend. Je suis heureux de la capacité de débat qu’a montrée notre groupe. Ainsi, j’apprécie que René Couanau se soit exprimé comme il l’a fait, car personne n’est sûr de rien.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Absolument !

M. Claude Gaillard. Ceux qui ont des certitudes sont pour moi des gens dangereux, et l’on peut voir dans l’assurance une forme d’arrogance. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) C’est mon acte de foi, monsieur le ministre : je vous fais confiance et je vous remercie de continuer de nous informer de cette évolution qui nous apparaît essentielle. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour moi, ce projet était absolument nécessaire en raison de l’obligation de transposer la directive, impliquant de prendre un certain nombre de décisions relevant incontestablement du domaine législatif…

M. François Brottes. C’est venu après !

Plusieurs députés du groupe socialiste. C’est un cache-sexe !

M. Philippe Auberger. …une obligation évoquée par trop peu d’entre nous jusqu’à présent. Si nous n’avions pas réagi, la directive se serait appliquée dès le 1er juillet 2007 sans que le Parlement ait pu en délibérer. Or, je vois au moins trois points importants dans la transposition de la directive.

Premièrement, le maintien des tarifs réglementés, essentiel pour les entreprises qui n’ont pas opté pour le système concurrentiel, mais aussi pour les consommateurs – un problème auquel je ne doute pas que vous soyez tous attentifs, mes chers collègues.

Deuxièmement, l’introduction du tarif social pour les plus démunis. Si nous n’étions pas intervenus, il n’y aurait pas eu ce tarif social, essentiel dans la mesure où il permet l’égalité d’accès pour tous au service public.

Troisièmement, les garanties contractuelles accrues par l’article 13 de ce projet de loi, relatives à l’information au moment de l’offre, à la durée de l’engagement, aux formalités de résiliation et aux modifications contractuelles en matière de prix. Qu’il s’agisse de l’électricité ou du gaz, nos concitoyens ont affaire à des entreprises publiques extrêmement puissantes. Il importait par conséquent de mieux encadrer la liberté contractuelle.

On a beaucoup parlé de l’ouverture du capital de Gaz de France. Je voudrais d’abord rappeler que l’article 34 de la Constitution prévoit que le Parlement doit délibérer sur une modification de la propriété du capital des entreprises publiques. En revanche, il n’y a pas lieu de délibérer en cas de fusion d’entreprises, même publiques. Or, il s’agit bien de permettre à Gaz de France d’ouvrir son capital plus largement, avec un seuil minimum de 34 %. Cela ne signifie évidemment pas que ce seuil sera atteint du jour au lendemain : tout dépendra des opportunités et il est beaucoup trop tôt pour en discuter aujourd’hui.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Absolument !

M. Philippe Auberger. C’est seulement dans une deuxième phase que nous reverrons cet aspect du problème avec les ministres concernés.

Lorsque la question s’est posée, j’étais néanmoins très hésitant. Je dois remercier le président Ollier, qui a ouvert largement la commission des affaires économiques à des interventions extérieures, ainsi qu’à des collègues d’autres commissions, ce qui nous a permis de poser des questions. J’ai ainsi pu réfléchir en toute connaissance de cause et en définitive changer d’opinion.

Le marché est en constante évolution en ce qui concerne les prix, mais aussi les alliances. Ainsi, au mois d’août dernier, il y a eu un accord entre le principal producteur russe, Gazprom, et le principal producteur algérien, Sonatrach, qui assurent respectivement 20 % et 16 % de notre approvisionnement total en gaz. Face à la puissance de tels interlocuteurs, il est impératif que Gaz de France puisse être plus réactif.

Par ailleurs, le Gouvernement a pris fort justement dans ce texte un certain nombre de précautions : minorité de blocage, action spécifique, maintien des obligations de service public. Ces dispositions apportent des garanties évidentes.

J’ai néanmoins deux regrets, monsieur le ministre. Tout d’abord, j’aurais aimé que les obligations de service public en matière de gaz soient mieux affirmées.

M. Pierre Cohen. Nous proposerons des amendements en ce sens !

M. Philippe Auberger. Elles sont prévues s’agissant des tarifs mais elles ne me semblent pas suffisantes en matière d’égalité d’accès, de continuité et de sécurité.

M. Pierre Cohen. Vous pourrez voter nos amendements !

M. Philippe Auberger. Mon second regret porte sur les réseaux de transport. Nous avons déjà un problème concernant l’électricité. Nous avons voté la filialisation des opérateurs en matière de transport. Il est ainsi prévu que RTE ouvre son capital à des entités publiques, en dehors d’EDF. Malheureusement, il y a actuellement un blocage en ce domaine. Or, si nous voulons que la concurrence puisse s’exercer, l’accès aux réseaux de transport doit être égal pour tous les opérateurs, ce qui n’est pas forcément le cas aujourd’hui. EDF ayant un tel besoin de capitaux pour réaliser des investissements, il faut absolument procéder à cette ouverture, même si RTE contribue à l’heure actuelle, compte tenu de la consolidation, au tiers des résultats d’EDF. Je crains que ce problème concernant l’électricité ne se pose à très brefs délais pour le gaz. Il importe donc de le prendre en compte.

Enfin, nous avons été nombreux, ici ou là, à déplorer fort justement l’absence d’une politique énergétique européenne.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Eh oui !

M. Philippe Auberger. Mais pour régler ce problème, il ne suffit pas de rédiger un livre vert. Du reste, celui de la Commission est jugé à juste titre insuffisant. Une véritable politique énergétique européenne ne peut reposer que sur des opérateurs européens. Or on nous demande précisément aujourd’hui d’autoriser l’ouverture du capital de Gaz de France pour constituer un opérateur européen. Nous participerons donc de la sorte à l’élaboration de cette politique européenne. Comment refuser cette chance à Gaz de France ? Voilà une raison supplémentaire de voter ce texte ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Cohen.

M. Pierre Cohen. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis plus de quatre ans nous avons l'occasion de dénoncer et de condamner régulièrement la politique d'inspiration libérale du Gouvernement. À maintes occasions, nous avons condamné son déni de démocratie en imposant contre une très grande majorité des lois iniques qui cassent les services publics et remettent en cause des acquis sociaux. La triste expérience du CPE n'aura donc pas suffi !

Ce projet de loi va cette fois au-delà de tout ce que nous avons connu. Il est en effet contesté par bon nombre de Français, y compris dans votre majorité. Il est également condamné par tous les syndicats et plus largement par les personnels de GDF. II ne trouve pas non plus de justification sur le fond, ce qui montre qu’il est le fruit de votre idéologie libérale. II n'est donc pas acceptable pour les députés de l'opposition que nous sommes.

Nous ne sommes pas prêts à recevoir des leçons de votre part et encore moins à subir des provocations pour dénoncer une prétendue obstruction parlementaire. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Et vous dites cela sans rire, monsieur Cohen !

M. Pierre Cohen. Chers collègues de l'UMP, vous n'êtes vous-mêmes pas plus convaincus par la méthode Villepin-Breton. Alors laissez l'opposition faire son travail pour que le débat ait enfin lieu ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. 137 000 amendements ! Oui, c’est de l’obstruction !

M. Guy Geoffroy. Et ce sont des amendements ridicules !

M. Pierre Cohen. Cette opération est hasardeuse, dirigée contre les intérêts des entreprises en question et surtout contre les intérêts de la France et des Français. L’essentiel de ce projet de loi n'est pas imposé par les directives européennes ouvrant le marché de l'électricité et du gaz à la concurrence.

Rien ne vous oblige en effet, à faire tomber la participation de l'État dans le capital de GDF de 70 à 34 %, rendant ainsi effective la privatisation de GDF d'autant que Nicolas Sarkozy, avait pris l’engagement solennel, ici même, de ne pas toucher au statut public d'EDF et de GDF.

M. Jean-Yves Le Déaut. M. Sarkozy est amnésique !

M. Guy Geoffroy. Parlez-nous des promesses de François Mitterrand !

M. Pierre Cohen. Que s'est-il donc passé pour que, dans la hâte, dans l'improvisation la plus totale, vous-même, monsieur le ministre et le Premier ministre, mettiez tant d'acharnement sur ce projet de loi contre l'avis général des Français ? Ce n'est pas l'éventuelle OPA de l'italien ENEL sur Suez, qui ne s'est d'ailleurs pas confirmée, qui aurait imposé de mettre en place une stratégie industrielle par une fusion avec GDF.

Aujourd'hui, le résultat de cette opération apparaît incertain. M. Gaillard a eu au moins l’honnêteté de faire la différence entre le projet de loi et ce qui risque d’arriver. Personne, ici, ne peut garantir que la fusion, confirmée ou non, de ces deux entreprises ne fasse pas naître de convoitises. Vous prenez ainsi le risque à court terme de fragiliser les deux entreprises et de créer un concurrent de poids à EDF sur le marché de l'électricité. Au bout du compte, les trois entreprises pourront être en danger. Cette stratégie industrielle nous paraît bien hasardeuse !

Ce projet de loi n'est pas non plus le résultat d'une stratégie énergétique. Personne n'adhère à votre argumentation sur le grand pôle gazier qui permettrait avec les 20 % du marché du gaz européen de négocier les prix. Ce n’est pas sérieux ! Nous ne produisons presque pas de gaz et le prix d'achat est essentiellement, compte tenu de la pénurie de la matière première, la résultante du marché international dont la composante politique n'échappe à personne.

En outre, nous le savons tous, la privatisation, la libéralisation et la dérégulation vont faire augmenter les tarifs, affaiblissant ainsi les entreprises et réduisant une fois de plus le pouvoir d'achat des consommateurs.

Ce n'est pas non plus le dernier argument en date de M. le rapporteur, lequel est décidément bien gêné pour assurer sa mission – nous l’avons constaté le 26 juillet en commission –, qui nous convaincra davantage du bien-fondé de ce projet de loi. Contraint et forcé il aura tout essayé au point d'avancer que cette loi est, non pas le fait de cette majorité, mais bien celle du gouvernement précédent.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. C’est la conséquence de vos choix antérieurs !

M. Pierre Cohen. Le débat sera long et difficile mais respectons-nous et laissons au vestiaire les arguments malhonnêtes. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Cela s'adresse aussi à vous, monsieur le ministre de l’économie, puisque, en interrompant le débat général, vous avez repris cette fausse argumentation.

En mars 2002 – j’espère que tout le monde prendra le temps de reprendre ces documents –, Barcelone a été l'étape de l'ouverture du marché aux entreprises et l'amorce d'une réflexion sur sa généralisation. Lionel Jospin, alors défavorable, avait posé deux conditions : une étude d'impact qui n'a jamais été réalisée, et, surtout, ce que nous avions tous souhaité ici même, à l’occasion du débat sur la directive Bolkestein, l'adoption au préalable par le Parlement européen d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général, pour éviter que les directives européennes ne puissent continuer à grignoter la notion de service public. Tout cela est dans notre projet. Lionel Jospin l’avait demandé, mais cela n’a pas été accepté.

En novembre 2002, en revanche, c'est bien Mme Fontaine, ministre du gouvernement Raffarin, qui a autorisé, sans condition, la généralisation et l'ouverture totale du marché du gaz et de l'électricité à l'ensemble des consommateurs. Nous sommes donc en présence d'une opération de portée idéologique qui peut faire perdre à l'État de façon irréversible le contrôle de l'énergie de notre pays et de la politique tarifaire.

Donc pas d'hypocrisie ! Vous vous devez d'assumer ce projet de loi ou bien vous le retirez.

Si toutes les conséquences ne sont pas encore perceptibles sur le plan industriel, ni sur l'évolution des prix, ni sur l'indépendance et la stratégie industrielle, nous savons, monsieur le ministre de l’économie, que la privatisation de GDF portera immanquablement atteinte aux missions de service public – M. Auberger vient d’y faire allusion.

Nous aurons largement le temps d'y revenir au cours de la discussions sur les nombreux amendements que nous avons déposés car, contrairement à ce qu’a pu dire M. Dionis du Séjour, la plupart de nos amendements …

M. François Brottes. Tous nos amendements !

M. Pierre Cohen. … sont fondés. Nous démontrerons ainsi aux Français en quoi votre projet de loi est dangereux.

J'insisterai tout de même sur deux points qui auront une résonance dans vos rangs. Tout d'abord, la continuité du service. Personne ici ne peut nier les manquements et les insuffisances des entreprises privatisées dans des pays comme la Grande-Bretagne et les États-Unis notamment lors de catastrophes. En ce qui nous concerne, nous avons su faire face, avec nos entreprises publiques, à la tempête de 1999 ou, plus localement, à Toulouse lors de la catastrophe d'AZF.

M. François Brottes. Très juste !

M. Pierre Cohen. Second exemple, et ce n'est pas le moindre, le désengagement dans les investissements à long terme et, surtout, dans le domaine de l'innovation et de la recherche. France Télécom en est le parfait exemple, monsieur le ministre.

M. Jean-Yves Le Déaut. Eh oui !

M. Pierre Cohen. Lorsqu'on sait que l'avenir du monde en ce début de siècle va se jouer sur la diversité des sources et la maîtrise de l'énergie, quelle erreur que de se fragiliser, voire de se désengager de ce défi que constituent le savoir et la connaissance ! Ils ont été la force de notre développement au cours des cinquante dernières années.

Monsieur le ministre vous êtes dans l'erreur, II est encore temps de retirer ce projet de loi. N'attendez pas que les Français vous y obligent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Soulier.

M. Frédéric Soulier. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en juin dernier je faisais partie des parlementaires qui demandaient du temps, pour bien comprendre l'enjeu de l'ouverture du capital de GDF,…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est vrai !

M. Frédéric Soulier. … mais aussi l'enjeu et les défis énergétiques auxquels notre pays doit se préparer à faire face. Quel avenir pour Gaz de France ? Peut-elle rester seule ? Combien de temps ? A-t-elle besoin de partenaires ?

Face aux mutations des métiers de l'énergie, tous les opérateurs bougent vite, et cherchent à renforcer leur positionnement stratégique. Endesa, E.ON, l'OPA d'ENEL sur Suez ou, dernièrement, l'alliance de la fin juillet entre Gazprom et la Sonatrach font l'actualité et accélèrent un peu plus l'enjeu de l'ouverture du capital.

Face à ces mutations, l'ouverture du capital de Gaz de France est une décision de gouvernance sur le marché de l'énergie et permet de donner naissance à un énergéticien stratège pour notre pays et l'Europe.

En effet, l'ouverture du capital prévue par ce texte rend possible l'opportunité d'un projet industriel qui, en s'appuyant notamment sur des prérogatives fortes en matière de définition des missions de service public, renforcerait notre sécurité d'approvisionnement énergétique.

Quel projet après l'ouverture du capital pourrait faire face à la difficile maîtrise du coût de l'énergie ? Nous voilà donc soumis à une forte préoccupation à laquelle l’Assemblée sur l'ensemble de ses bancs est confronté, et qui est, totalement indépendante de la question de l'ouverture du capital.

Lors d'un récent colloque sur la hausse des énergies, le directeur de la branche commerce d'EDF indiquait que la hausse de 20 % pour la période 1973-1983 était liée au programme nucléaire, tandis que la baisse qui a suivi provenait de l’amortissement de ce programme,

Le marché en Europe est aujourd'hui dans une phase d'investissement, et le prix pour s'éclairer et se chauffer serait pour les années à venir plus cher, du moins dans les périodes de fort investissement.

L'ouverture du capital est totalement indépendante de la maîtrise des coûts, totalement indépendante aussi des différents scénarios évoqués : privatisation des seules activités concurrentielles, rapprochement Suez-GDF avec la part de l'État à 51 %, participations minoritaires croisées, fusion EDF-GDF.... Totalement indépendant même de la logique du 100 % public. Rappelons-le, M. Jospin, alors patron à 100 % de Gaz de France, avait augmenté de 34 % le prix du gaz en 2000.

Alors, que faut-il faire quand les producteurs s'organisent, dernièrement Gazprom et la Sonatrach, qui satisfont à eux seuls 36 % des besoins de l'Union européenne, si ce n'est sans doute de permettre à des acheteurs de poids de bien s'organiser ? Bien s'organiser, face aux appétits dominant des nouveaux producteurs de gaz qui veulent devenir des fournisseurs de gaz sur le marché européen, mais aussi face aux groupes de taille importante qui accèdent aux ressources gazières qui se situent hors d'Europe.

Que pouvons-nous attendre de l'ouverture du capital de Gaz de France ? Le projet d'entreprise connu, devenir le premier gazier européen, et le premier opérateur mondial du gaz naturel liquéfié, et le second groupe mondial d'énergie entre la production et la commercialisation est très séduisant, notamment parce qu’il sera créateur d'emplois.

La fusion de deux entreprises, telle que je la comprends, mobiliserait leur pleine capacité à l’investissement, sans endettement de part et d’autre. Cette stratégie devrait permettre une meilleure maîtrise des coûts à moyen terme pour le pouvoir d’achat des consommateurs français. Car l’État, qui ne céderait aucune action de Gaz de France, valoriserait son capital patrimoine. En effet, 34 % de 70 milliards, c’est mieux que 80 % de 20 milliards !

M. Pierre Ducout. Voilà pourquoi cela ne marche pas !

M. Frédéric Soulier. Ce nouvel actionnariat devrait peser fortement dans le cadre du nouveau contrat que l’État sera amené à signer.

C’est une raison majeure. Il faudra veiller à ce que la pleine capacité financière née de la fusion soit consacrée prioritairement aux investissements nécessaires en amont et en aval de la maîtrise de la chaîne des coûts.

Cette ouverture du capital doit correspondre en priorité à cet engagement. J’attends que notre gouvernement soit entreprenant et vigilant sur la première préoccupation des Français.

La politique énergétique d’un pays soulève un vrai débat de fond. Je m’étonne de l’entêtement de l’opposition qui, invariablement, reste figée sur l’idée d’une fusion de GDF avec EDF qui serait garante du service public, 100 % public.

Pour moi, le contrat de service public n’entraîne pas systématiquement la pleine propriété de l’État, car l’État, dans le cadre du projet de loi, conservera ses prérogatives en matière de définition des missions de service public, qui évolue dans le cadre de l’ouverture des marchés, avec le maintien des tarifs régulés au-delà du 1er juillet 2007, la création d’un tarif social pour le gaz naturel et d’un tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché.

La privatisation, comme la nationalisation, provoque le choc de deux cultures parce que 100 % du capital est issu soit du public, soit du privé. Dans le cas de GDF, l’ouverture du capital permet à l’État de rester propriétaire en valorisant plus du tiers de son capital.

La nationalisation, qui fut dans les années quatre-vingt la politique économique française, a fait tanguer l’industrie française. L’environnement du secteur de l’énergie a évolué depuis 1946. Les lois de nationalisation et les directives européennes nous rappellent les engagements des gouvernements de la France, notamment celui de M. Jospin. Et si aujourd’hui le 100 % public redevenait une référence en matière de gouvernance, en Europe et dans le monde, cela se saurait !

Souvenons-nous que le gouvernement Jospin, en s’opposant à l’ouverture du capital de France Télécom, a failli en arriver au pire et a conduit le président de l’époque à financer sa croissance extérieure par l’endettement, que la direction actuelle de notre pays continue de payer !

Alors pourquoi persister, alors que l’ouverture du capital permettrait avant tout de porter un projet d’entreprise ?

Pourquoi persister, face à une opposition couchée en travers du chemin, opposition qui joue les mascarades folkloriques à la mairie de Tulle ? Le premier secrétaire du Parti socialiste a marié EDF avec GDF, salissant au passage les valeurs du mariage…

Pourquoi persister, puisque ce projet industriel s’inscrit aussi dans une dimension européenne, sur laquelle l’Europe devrait davantage peser.

Dans la guerre du prix de l’énergie, tout le monde est concerné, et en premier lieu les Européens. La construction européenne passe par la mise en place d’une grande politique dans le domaine énergétique. C’est une question stratégique. On estime en effet que la consommation d’énergie dans le monde pourrait être multipliée par un coefficient se situant entre deux et cinq d’ici à 2100 sous l’effet de la croissance démographique et économique.

L’Europe ne doit pas uniquement se cantonner dans son rôle de gendarme de la concurrence, car réguler les opérateurs c’est une chose, mais c’est insuffisant parce que la concurrence sur les services facturés doit mieux servir les intérêts des usagers. Quand verrons-nous les autorités européennes plus actives sur la maîtrise de la chaîne des coûts de l’énergie ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous avez raison !

M. Frédéric Soulier. Quand verrons-nous les autorités européennes plus cohérentes quant au choix des moyens énergétiques ?

La France, le ministre nous l’a rappelé ce matin, a souvent été l’initiatrice d’une telle démarche. L’Europe doit peser comme régulateur de marché, tant pour soutenir les nouvelles sources d’énergie que pour agir sur le coût des énergies imposé aux usagers.

C’est enfin la volonté politique d’un pays que de permettre à des industriels en charge de leur développement de répondre aux enjeux énergétiques de demain. Personne ne peut donc rester indifférent à l’opportunité de faire d’un tel projet industriel un atout pour l’Europe du gaz.

Je souscris à cette ambition, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur. Nous devons mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour que des entrepreneurs européens comme Gaz de France portent les ambitions d’une Nation pour les générations de demain. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la question qui nous occupe aujourd’hui – la privatisation partielle de GDF afin de permettre sa fusion ultérieure avec un groupe privé – soulève des questions légitimes, tout en comportant, je vous l’accorde, des atouts indéniables.

C’est une véritable question économique, mais également stratégique et politique, à laquelle on ne peut répondre avec des slogans idéologiques, quels qu’ils soient.

Des atouts, votre texte en a, monsieur le ministre de l’économie, et vous les avez fait valoir : nécessité de doter GDF d’une structure plus souple pour s’adapter aux lois d’un marché vibrionnant et changeant, c’est vrai, et de disposer d’un instrument plus adapté ; nécessité de muscler GDF dans un projet industriel cohérent, permettant de faire appel à des actionnaires futurs. Il existe aussi des complémentarités bien réelles entre GDF et Suez et je vous donne bien volontiers acte que les deux entreprises ne nous ont pas attendus pour nouer des contacts et envisager un avenir commun. Leur objectif est d’avoir une capacité d’achat renforcée et le pouvoir de presser les prix, pour parler français.

Tout cela serait bel et bien s’il ne s’agissait pas du marché international de l’énergie. Inutile de rappeler que l’énergie constitue un enjeu national, nous en sommes tous d’accord. La sécurité d’approvisionnement constitue un objectif géostratégique constant de l’État.

L’État doit donc en garder la maîtrise, sinon directement, du moins indirectement, nous le savons tous. Existe-t-il un marché fluide, diversifié qui permette d’atteindre cet objectif national avec les moyens ordinaires d’un État simple régulateur et non intervenant, comme il l’a été avec EDF, GDF, Elf ou Total ? Rien de tel ! Malheureusement, ce n’est plus le cas.

En matière d’électricité, il n’existe pas de marché international. Pour des raisons physiques, l’électricité, énergie secondaire, est difficilement transportable sur de longues distances. De surcroît, seul le nucléaire est à la hauteur des défis à venir pour faire face aux besoins grandissants. Cela implique un engagement fort de l’État et une politique industrielle qui n’a rien à voir avec le simple jeu des marchés.

Quant au gaz, il n’est plus guère produit en France, presque plus en Europe, sauf en Norvège. Le marché international du gaz est un réel oligopole où règnent et régneront de plus en plus en maîtres les fournisseurs russes et algériens, lesquels viennent d’ailleurs de conclure un accord de coordination pour leur offre.

C’est dans ces conditions de raréfaction de l’offre d’énergie que Bruxelles exige de libéraliser, d’ouvrir les marchés, suite aux décisions du fameux sommet de Barcelone, adoptées à l’unanimité par le gouvernement français de l’époque, et de limiter ainsi l’action des États membres, le tout pour le 1er juillet 2007.

Je le dis comme je le pense, jamais il n’a existé un tel décalage entre une idéologie, celle d’un modèle théorique du tout-concurrence, et les réalités économiques, politiques et géostratégiques.

Dans ces conditions, il est patent que le « tout-marché » de la Commission n’est pas la réponse pour assurer l’indépendance énergétique de la France et répondre à la nécessité d’obtenir les meilleurs prix pour les entreprises et les ménages. En un mot, l’État a-t-il encore les moyens pour maîtriser l’évolution de ce secteur ? Votre projet de loi le permet-il ?

Tout cela m’amène à vous poser quelques questions, au regard de la nécessité pour l’État de ne pas subir, mais de maîtriser ce secteur vital pour l’économie nationale.

Premièrement, la société est-elle opéable ? Vous me l’avez assuré dans un entretien particulier, monsieur le ministre, elle ne l’est pas, l’État conservant la minorité de blocage de 34 %. Je veux bien vous croire, monsieur le ministre, mais que se passera-t-il dans le cas d’une augmentation de capital de la future société ? Ce cas de figure n’est pourtant pas théorique.

Deuxièmement, cette fameuse action spécifique de l’État est-elle eurocompatible ? Une étude fort détaillée, écrite dans un idiome barbare par la Commission en juillet 2006 concluait que tel n’était pas le cas. Comme l’a répété M. McCreevy, toutes ces golden shares sont totalement contraires au marché unique. Mais je prends acte de sa récente lettre. Même s’il avance à reculons, il vous donne acte que le futur décret fondé sur l’article 10 de la loi de 1986 modifiée en 2000 peut permettre, sous des réserves de vocabulaire, de maintenir cette action spécifique – pour l’instant…

Troisièmement, les tarifs régulés, nécessaires au regard des missions de service public, seront-ils eurocompatibles après le 1er juillet 2007 ? Permettez-moi d’avoir des doutes, car je ne suis pas certain que cela soit le cas. Sur ce point, j’attends vos explications.

Ces questions et leurs réponses sont nécessaires pour savoir où l’on va. Ma conviction personnelle est que si l’on s’en tient à ces questions, il y a une solution, l’État pouvant conserver la maîtrise des choses.

Toutefois, une autre question se pose, à mes yeux encore plus fondamentale et qui dépasse largement l’enjeu de la baisse de la part de l’État de 70 % à 34 % dans le capital de GDF. Monsieur le ministre, supposons que la passion retombe, que nos collègues de gauche soient frappés par la grâce – le risque est faible – bref, que le projet de loi soit voté et que les réponses aux questions que je vous ai posées soient positives. Nous aurions alors un marché ouvert, avec des tarifs régulés pour éviter les hausses, une action spécifique, une minorité de blocage et une multitude de fournisseurs utilisant les réseaux nationaux. Tout serait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes… Oui, mais c’est là que survient Gazprom.

Rien n’empêchera en effet Gazprom de se placer sur le marché de l’énergie et de mettre à la disposition de nos concitoyens du gaz à un prix très bas, et de sortir ainsi GDF du marché. Cette hypothèse a rarement été évoquée à cette tribune. Pourtant, elle existe bel et bien. C’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer en Allemagne, avec la complicité de l’ancien chancelier, et je trouve cela un peu fort !

L’État, dans ces conditions, avec tout ce qu’il garderait au sein de GDF, serait mis « hors course ». Il lui resterait, je vous l’accorde, les tarifs régulés, mais il perdrait un outil nécessaire pour faire face aux besoins des Français.

Dans ces conditions, on voit bien qu’au-delà du projet de loi, c’est le cadre européen qui est totalement décalé par rapport à la réalité du marché international de l’énergie, à un moment où les Russes ont parfaitement compris qu’on pouvait substituer la dissuasion énergétique à la dissuasion nucléaire ! C’est une question géopolitique, qui dépasse largement le projet industriel.

Je le dis comme je le pense, ce n’est pas votre projet de loi qui est problématique, c’est le cadre posé par Bruxelles pour traiter cette question fondamentale de l’énergie qui me paraît totalement décalé vis-à-vis des réalités du monde. La théorie de M. Gordon Brown sur le level playing field, c’est-à-dire une économie fonctionnant avec des entreprises sans la moindre aspérité et sans aucune intervention de l’État, me paraît totalement utopique. Pourtant, c’est celle-ci qui règne en maître à Bruxelles.

C’est la raison pour laquelle on ne s’en sortira pas sans réviser les règles de Bruxelles. On ne s’en sortira pas sans une réelle politique industrielle française et européenne pour maîtriser le marché de l’énergie, qui ne peut être laissé aux foucades du marché.

Si vous recherchez la quadrature du cercle, vous ne la trouverez pas avec ce projet de loi car, vous le savez très bien, un grand nombre d’éléments vous échappent. Les Français ont voté « non », ce n’est pas tout à fait un hasard mais la preuve qu’ils n’acceptent pas que la maîtrise de leur destin puisse leur échapper. Il est temps d’en tirer les conclusions, de reprendre la gouvernance, tant à Bruxelles qu’ici. C’est la raison pour laquelle, dans l’état actuel de ce texte et du cadre européen, je m’abstiendrai sur le projet.

M. le président. La parole est à M. Claude Gatignol.

M. Claude Gatignol. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le texte en débat aujourd’hui est particulièrement important et il ne saurait se résumer à un déluge d'amendements ou à une dérive de procédure. Certains devraient se souvenir du mot de Talleyrand : « Tout ce qui est excessif est insignifiant », qui prend ici toute sa valeur.

Il s'agit bien, car c'est une obligation sous peine de sanction grave, d'inscrire en droit français la directive 2003/55/CE sur le marché de l’énergie.

Pour ceux qui ont quelque considération pour leurs concitoyens consommateurs, pour ceux qui ont le souci du pouvoir d'achat des ménages, des charges d'une entreprise quant à leur facture énergétique, ce projet de loi représente une nouvelle pierre angulaire. Le 1er juillet 2007, c'est demain. Il faut donc prévoir l'application de nouvelles règles du marché de l'énergie, en évitant bien évidemment de pénaliser les consommateurs, ce que propose le présent texte. Il est donc nécessaire de prendre les décisions législatives appropriées.

Naturellement, des questions se posent, monsieur le ministre. Quels risques énormes prendrions-nous si, par une faiblesse coupable, nous restions dans le statu quo ?

Parce que la situation internationale nous y oblige avec acuité – et celle-là nous ne la maîtrisons pas – il nous importe d'examiner avec attention l'évolution des acteurs industriels du secteur énergétique. Car, je le rappelle une fois de plus, le premier devoir du Gouvernement et du Parlement est bien de garantir autant que faire se peut la sécurité d'approvisionnement du pays.

Nous sommes un grand producteur d'électricité sur le sol national, et, quand il nous arrive d’en manquer, les interconnexions européennes sont alors fort utiles. Mais, comme chacun le sait ici, les investissements dans la production électrique sont très lourds et exigent des délais incompressibles. Toutes les sources d’approvisionnement sont les bienvenues, à condition que leur coût soit compétitif et qu’elles participent à la réduction de l'effet de serre, deux points incontournables auxquels le rapporteur général est très attentif. Vous connaissez tous les qualités de l’énergie nucléaire, de l'hydraulique et du gaz sur ces points, dont la part dans le paysage énergétique croîtra inéluctablement dans les années à venir.

EDF s’est engagée à investir 40 milliards d'euros sur cinq ans, programme qui devra vraisemblablement être augmenté. C'est considérable et cela induit des variations sur le coût du kilowattheure. La commission de régulation donne des avis intéressants sur ce sujet que beaucoup devraient lire et s’en inspirer.

Quant à l'approvisionnement en gaz, les informations qui nous parviennent sur de grandes manœuvres internationales en Russie, en Algérie, au Turkménistan, au Qatar, au Yémen, voire en Iran, doivent être à la base de nos réflexions et de nos conclusions car elles sont très préoccupantes. En effet, nous importons tout notre gaz, en grande partie par gazoduc. Or, quels sont les détenteurs des plus grandes réserves ? La Russie, l'Afrique du Nord, le Proche-Orient. L'approvisionnement par gaz liquéfié constitue donc une belle assurance contre certains aléas géopolitiques puisqu’il nous permet de nous libérer de l'humeur momentanée du détenteur de la vanne du gazoduc.

Sur ce point, GDF a un potentiel intéressant avec ses bateaux et terminaux méthaniers, mais elle doit trouver du renfort à l'extérieur auprès d’un partenaire sérieux avec lequel elle puisse établir des synergies, sous peine d'un affaiblissement à terme inéluctable. Sur ce point, je n’ai pas besoin d’apporter des précisions supplémentaires sur les contours d’un bon projet en cours, puisque chacun l’a à l’esprit. Ce projet est parfaitement cohérent et il apportera à GDF des mégawatheures de la meilleure origine, nucléaire et hydraulique, donc sans production de C02.

Pour ce faire, il faut donner à cette belle entreprise qu’est Gaz de France des chaussures de course propres à stimuler son dynamisme et ses compétences. Il est donc nécessaire de revoir la part de l'État dans son capital et de permettre ainsi de conclure des accords avec d’autres entreprises, décidés par elles-mêmes et à parité. Souvenons-nous du mauvais coup porté, dans les années précédentes, à France Télécom et au contribuable, qui a coûté 70 milliards d'euros.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Heureusement, France Télécom a eu ensuite un bon président ! (Sourires.)

M. Claude Gatignol. Monsieur le ministre de l’économie, quelles conditions vous paraissent nécessaires pour faciliter cette amélioration du potentiel industriel de GDF qui n'est pas aujourd’hui un producteur gazier ? Quels sont aussi les ajustements incontournables que demandera la Commission européenne avec laquelle vous avez été en contact ? Quelles assurances avez-vous recueilli sur ces points, en particulier quant à une fusion d’entreprises ?

Alors que de partout viennent des signaux inquiétants quant à l’augmentation du prix de l'énergie, l’immobilisme serait vraiment la pire des solutions. Notre objectif, à l’UMP, est de défendre le consommateur, de lui offrir, dans le cadre d’un marché ouvert, des fournisseurs sérieux et de lui éviter des hausses de prix ponctuelles qui seraient maintenues sur le long terme. Le fameux marché spot dont on parle doit demeurer l'exception, sinon les conséquences seront désastreuses tant pour les familles que pour les entreprises. Il est donc nécessaire de réguler mais aussi d’assurer une transition au-delà du socle évident des obligations de service au public, les fameux services d’intérêt général au niveau européen.

Voilà pourquoi une entreprise doit avoir une dimension internationale suffisante, des moyens d'investissement très forts, une capacité d'agir dans la concurrence dans l’intérêt de ses clients.

Je suis persuadé que le texte que vous nous proposez, monsieur le ministre, amendé avec lucidité, sagesse et volonté par la commission des affaires économiques, son président, Patrick Ollier…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Merci !

M. Claude Gatignol. …son rapporteur, Jean-Claude Lenoir, qui a fait un énorme travail, et par le rapporteur pour avis de la commission des finances, Hervé Novelli, permettra à la France et aux entreprises, acteurs dans ce domaine complexe de l'énergie, de faire face aux transformations économiques inéluctables et prévisibles qui sont devant nous.

Le général de Gaulle avait pour habitude de dire qu’il fallait s’adapter à son temps. Avec ce texte, nous parlons de l’avenir. Nous travaillons pour les générations futures. C’est pourquoi, nous le voterons. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Guillet.

M. Jean-Jacques Guillet. Monsieur Gatignol, le général de Gaulle disait également qu’il ne fallait pas regretter le temps de la marine à voile et des lampes à huile ! (Sourires.)

En 2002, j’avais, à cette tribune, appelé de mes vœux le rapprochement entre Gaz de France et Suez. En 2004, je m’y étais inquiété de la mise en application des dispositions législatives nécessaires pour préparer l’échéance du 1er juillet 2007. C’est dire que ce projet de loi me convient parfaitement.

Je traiterai ici du contexte international dans lequel Gaz de France évolue, à la différence d’EDF qui est cantonnée au marché régional européen. Plus que par l’annonce en février dernier du projet de fusion entre Gaz de France et Suez, les esprits ont été frappés cette année par deux événements.

D’abord, la crise russo-ukrainienne qui a mis en lumière la dépendance énergétique de l’Europe en matière de gaz naturel, dont on sait qu’il est appelé à prendre une place croissante du fait de l’importance relative de ses réserves et de son caractère plus propre que le pétrole, répondant ainsi mieux à notre souci de lutter contre le réchauffement climatique.

Ensuite, il y a eu la hausse des prix de l’énergie. La demande croissante de la Chine et de l’Inde, pays pauvres en énergie, ont tiré les prix du pétrole vers le haut sur lesquels sont indexés ceux du gaz.

À l'exception du Qatar, les principaux pays producteurs sont appelés, et c’est heureux pour l’économie mondiale, à devenir eux-mêmes des consommateurs, raréfiant ainsi un peu plus l’offre dans l’avenir. Nous sommes donc dans une perspective de recherche de nouvelles ressources gazières qu’une politique volontariste d’efficacité énergétique ne peut suffire à compenser.

L’exploration-production est une nécessité, de même que l’investissement dans les infrastructures de transport et d’exploitation des réserves existantes, celles des pays producteurs, à commencer par la Russie, n’étant guère satisfaisantes. Les Russes ont besoin des opérateurs occidentaux pour les gisements de Shtokman et de Yamal, dont on sait qu’il peut parfaitement s’interrompre en 2010. Les Algériens ne peuvent s’en sortir seuls, tant pour l’exploration des gisements sur leur sol – et Dieu sait s’ils sont à la fois nombreux et petits ! – que pour la mise en place qui sera annoncée le 19 septembre prochain du futur gazoduc entre leur pays et le Nigeria destiné à l’approvisionnement de l’Europe. Cela suppose qu’il est impératif pour les opérateurs des pays consommateurs, que ce soit l’Europe, les États-Unis ou la Chine, voire l’Inde, d’investir en amont, de façon à maîtriser parfaitement l’ensemble de la chaîne gazière. Or ils ne peuvent le faire que s’ils possèdent une structure de bilan leur permettant de réaliser des investissements lourds, point sur lequel vous avez insisté hier et qui concerne au premier chef Gaz de France.

Les pays producteurs possèdent en général des compagnies nationales, contrôlées par l’État – mais qu’en sera-t-il dans le futur ? – parmi lesquels Gazprom et Sonatrach qui ont été souvent citées ici aujourd’hui. Celles-ci, sans méconnaître les besoins d’investissement sur leurs infrastructures, sont soucieuses de maîtriser l’ensemble de la chaîne gazière. Aussi souhaitent-elles être présentes dans la distribution – Gazprom projette en Grande-Bretagne d’acquérir Centrica.

Peut-on avoir systématiquement des fantasmes à propos de Gazprom ? J’entendais à l’instant mon collègue et ami Jacques Myard formuler certaines réserves sur l’intervention de cette société, en disant qu’elle pourrait très bien du jour au lendemain vendre à des prix trop bas et mettre ainsi en péril nos propres opérateurs. Mais si elle vendait à de trop bas prix, elle risquerait alors de se mettre elle-même en difficulté.

Même s’il convient d’être vigilant et de tenir compte des inévitables orgueils nationaux avant d’être une arme stratégique, le gaz est plus simplement pour ces pays un outil commercial et économique.

De même que nous souhaitons sécuriser nos approvisionnements, les pays producteurs souhaitent, eux, sécuriser leurs ventes.

M. Daniel Paul. Très juste !

M. Jean-Jacques Guillet. Nous sommes donc dans le cadre d’un marché mondial du gaz qui commence à émerger. Le mémorandum conclu récemment entre Gazprom et Sonatrach semble d’ailleurs viser deux objectifs dont j’ai parlé il y a quelques jours avec des responsables algériens. Le premier est de permettre à la Russie d’accéder à la technologie du GNL, mieux à même de répondre à la structure de ce marché et à la demande des États-Unis devenus importateurs. Le second est de parvenir à distinguer la fixation du prix du gaz de celui du fioul, de façon que les conditions d’un marché spécifique soient véritablement remplies. Pays producteurs et pays consommateurs ont donc un intérêt commun à entrer pleinement dans une logique de marché qui d’ailleurs bénéficiera à la croissance mondiale et à la qualité des relations internationales.

M. Daniel Paul. Très juste !

M. Jean-Jacques Guillet. Les uns veulent sécuriser leurs ventes, les autres leurs approvisionnements. Dans ce contexte, ils ont intérêt à favoriser les contrats à long terme – et je partage l’observation de Claude Gatignol sur les marchés spot dont il faut limiter le rôle – qui présentent l’avantage de stabiliser les prix sur une longue durée. Il convient donc pour nous de les négocier dans une bonne position commerciale, et c’est l’un des intérêts du projet.

L’essentiel aujourd'hui pour les États n’est pas de posséder les ressources et les moyens de les exploiter, mais de permettre un fonctionnement satisfaisant du marché de l’énergie à l’échelle mondiale. Des tensions géopolitiques pourront persister, sans être, du reste, nécessairement liées à l’énergie : il importe pour nous de les atténuer en privilégiant les règles d’un marché équitable. Dans ce contexte, les obligations de service public qui s’appliquent d’abord et avant tout au réseau de transport et de distribution ont un caractère strictement national et local, que le projet de loi conforte largement.

Celui-ci vise à concilier les deux logiques : celle du marché mondial, permettant à Gaz de France de se développer, de nouer des alliances, de réaliser des investissements en amont et de sécuriser nos approvisionnements et celle d’un service public régulé au plan national et délégué, ne l’oublions pas, par les collectivités locales au plan local.

M. Pierre Ducout. C’est vrai.

M. Jean-Jacques Guillet. Il témoigne ainsi, pour notre pays, d’une vision claire et pertinente de l’intérêt national sur le plan énergétique. Toute autre approche, me semble-t-il, privilégiant la confrontation entre États – il s’agit de le reconnaître – et la logique, au plan mondial, de la possession sur celle du marché, me paraîtrait particulièrement archaïque et dangereuse. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laffineur.

M. Marc Laffineur. Le présent projet de loi tente de répondre à deux défis : d’une part, assurer la meilleure adaptation possible au nouvel environnement concurrentiel qui résultera de l'ouverture complète du marché de l'énergie au 1er juillet 2007, d’autre part, préparer Gaz de France à ce nouvel environnement et sécuriser nos approvisionnements. Telles sont, à mon sens, les deux principales questions qui méritent d'être soulevées au cours de cette discussion.

Depuis le 1er juillet 2004 les marchés de l'électricité et du gaz sont ouverts à hauteur de 70 %. Cette ouverture, qui se limite aux professionnels, sera étendue à partir du 1er juillet prochain aux particuliers, qui seront désormais libres de choisir leur fournisseur en vertu des directives européennes prises en application des décisions du sommet de Barcelone. Dans ce nouveau marché européen unifié, les États ont la possibilité de maintenir certains garde-fous en vue de protéger les consommateurs des effets d'une concurrence non maîtrisée dans le domaine énergétique. Tel est le sens des articles 3 et 4 du projet de loi, qui renforcent les obligations de service public de tout opérateur souhaitant s'installer sur le marché français. Le projet instaure une tarification spéciale de solidarité sur le gaz pour les foyers les plus démunis, tout en maintenant les tarifs réglementés pour les ménages qui le souhaitent, tarifs dont la fixation demeurera de la compétence de l'État.

L'existence de tels tarifs est un instrument qui permettra de contenir la hausse irréversible du prix du gaz, puisque celui-ci est indexé sur celui du pétrole, dont le cours a plus que triplé en trois ans, passant de 25 à 75 dollars le baril – se situant aujourd'hui à 66 dollars. Le prix du gaz ne dépend donc en aucun cas du statut public ou privé de l'entreprise : du reste, chacun se rappelle qu’en 2000 et 2001, sous le gouvernement Jospin, le prix du gaz avait augmenté de 30 % en un an.

M. Guy Geoffroy. Eh oui !

M. Marc Laffineur. Toutefois de tels aménagements à la libéralisation du marché de l'énergie ne vont pas sans quelques adaptations chez les opérateurs historiques nationaux, à commencer par Gaz de France. Car il convient de s'adapter au nouvel environnement énergétique mondial, qui se traduit par une envolée des cours des matières premières et par une raréfaction de leurs gisements. Face à cette double menace, il s'agit de sécuriser nos approvisionnements : c'est à ce défi qu'entend répondre l'autorisation donnée à Gaz de France de nouer des partenariats extérieurs afin de renforcer sa capacité d'achat.

En raison du renchérissement, depuis deux ans, du prix du pétrole et du gaz, renchérissement lié non seulement à l'augmentation de la demande mondiale mais également au coût sans cesse plus important de leur extraction, nous avons assisté à un mouvement de concentration sans précédent chez les principaux acteurs de la filière, notamment en Europe où les rapprochements entre producteurs et distributeurs se multiplient. En effet, compte tenu du montant colossal des investissements – ils peuvent s’élever à des centaines de millions d'euros, notamment en vue de construire un terminal de gaz naturel liquéfié ou un méthanier –, il est nécessaire pour les entreprises du secteur de nouer des partenariats stratégiques et d'atteindre une taille critique leur permettant de négocier et de peser sur les prix.

C’est pourquoi, si Gaz de France bénéficie déjà d'une place enviable et respectée dans le secteur du gaz – c’est, en Europe, le premier transporteur et le premier distributeur, le deuxième stockeur et le deuxième opérateur pour le gaz naturel liquéfié –, il n'en demeure pas moins un acteur de taille moyenne sur la scène mondiale dont le développement est freiné à terme par son statut d'entreprise au capital majoritairement public. Il n'a donc pas les moyens de son développement. Nous avons déjà connu à la fin des années quatre-vingt-dix un cas similaire : France Télécom, pour faire face au mouvement de concentration dans le secteur des télécommunications, avait dû massivement s'endetter lors du rachat d'Orange, compte tenu de son statut d'entreprise au capital majoritairement détenu par l'État. Or dans de tels secteurs à l'intensité capitalistique aussi forte, il est essentiel de ne pas trop s'endetter, sous peine d’obérer sa capacité à investir pour préparer l'avenir. Aujourd'hui, l'une des réponses à la hausse des coûts de l'énergie est de susciter des investissements dans l'exploration et la production. Le présent projet de loi entend donc mettre en œuvre les conditions permettant à Gaz de France de développer des alliances industrielles.

En effet, une fusion avec EDF étant inenvisageable, en raison des problèmes d'abus de position dominante qui conduirait à la vente de centrales nucléaires, ce qui est inacceptable…

M. François Brottes. Non !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est vrai !

M. François Brottes. Affirmation sans preuve !

M. Marc Laffineur. …il ne reste que deux solutions : s’endetter – mais France Télécom a failli ne pas y survivre – ou procéder à un échange d'actions avec un partenaire de poids équivalent, ce qui est la solution la plus raisonnable. C'est ce que le texte prévoit en ramenant la part de l'État dans Gaz de France à 34 % du capital, soit la minorité de blocage. Cette participation est assortie de la création d'une action spécifique, qui confère à la puissance publique un droit de veto sur toute décision affectant la cession d'actifs stratégiques.

M. François Brottes. Cela reste à prouver !

M. Marc Laffineur. Ainsi constituée, la nouvelle répartition du capital de Gaz de France répond au triple défi posé par la hausse du prix du pétrole, les risques sur la sécurité d'approvisionnement en gaz et le mouvement de concentration des acteurs européens de l'énergie.

Le débat est donc extrêmement intéressant. Nous n’en regrettons que davantage les manœuvres d’obstruction de l’opposition qui, depuis hier, révèle son refus de débattre sur le fond en usant constamment d’artifices. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques et M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. C’est vrai !

M. Pierre Ducout. Certains collègues de l’UMP se posent également des questions !

M. François Brottes. Quelle obstruction pratiquons-nous présentement ?

M. Marc Laffineur. Cependant la très grande majorité du groupe de l’UMP votera ce texte, parce qu’il y va de l’intérêt de la France, des Français, de Gaz de France et de ses salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. Mesdames et messieurs les députés, c’est brièvement que je répondrai aux nombreuses questions que vous avez posées, je vous prie de ne pas m’en tenir rigueur. Je tiens du reste à vous remercier de la qualité de la discussion générale et – si vous me le permettez – de votre relative unanimité à propos du diagnostic : chacun est en effet conscient que la sécurité d’approvisionnement est en jeu et que nous avons à faire face à une situation internationale différente de ce qu’elle pouvait être il y a encore deux ou trois ans. Il convient donc de trouver des réponses appropriées. Vous en proposez, les uns et les autres, de très différentes, mais vous partagez finalement le même diagnostic sur la nécessité de garantir à la fois en quantité, en prix et en disponibilité la sécurité d’approvisionnement en gaz.

Si j’insiste sur le caractère général d’un tel diagnostic, c’est que la question de la quantité, en France, se ramène à une exigence précise : ne pas être dépendant et donc être capable de répondre à la défaillance d’un des fournisseurs. À cette fin, il convient pour Gaz de France d’être un grand opérateur national, acteur international de premier plan en mesure de conclure un nombre de contrats d’achats plus élevé que celui dont la France a strictement besoin. C’est à cette seule condition que l’approvisionnement de notre pays sera assuré à tout moment et en quantité nécessaire.

Un tel acteur est également le mieux placé pour obtenir, dans le cadre de négociations, l’approvisionnement au meilleur prix et avec une disponibilité suffisante pour l’ensemble de nos concitoyens et de nos entreprises. Telles sont les obligations de service public que le projet de loi organise et renforce.

Ce diagnostic nous renvoie donc directement aux grandes orientations du texte : il appartient à Gaz de France d’assurer ses obligations de service public tout en devenant un grand acteur international capable de faire face à toute nouvelle situation.

Anne-Marie Montchamp a dit « stop » au dogmatisme : je l’en remercie. Ces questions suscitent en effet un grand nombre de réponses, dont certaines peuvent relever d’une attitude dogmatique. Elle nous a rappelé qu’il convenait, en la matière, de se montrer pragmatique afin de comprendre les enjeux et pouvoir mieux y répondre.

Pour Yves Cochet, nous sommes à 100 % dépendants : il serait dès lors urgent de contraindre les 5 millions de foyers qui utilisent le fioul à passer au gaz. Face à une telle caricature de la situation économique de la France, nous avons pour obligation de conduire une politique reposant sur la réalité.

Je souhaite renvoyer M. Strauss-Kahn, qui a soulevé de nombreuses questions, à la discussion des articles. Toutefois, je lui ferai deux remarques.

Tout d’abord, il a affirmé qu’il s’agit d’un mauvais projet industriel après avoir déclaré que la fusion entraînerait une telle valorisation de l’opérateur qu’un prédateur se présenterait forcément. Il faudrait savoir ! Il s’agit ou d’un bon ou d’un mauvais projet industriel. Nous pensons quant à nous qu’il est bon et qu’aucun prédateur ne pourra se présenter parce que nous avons pris les moyens de nous en prémunir.

Je souhaite également lui répondre sur l’obstruction réelle dont l’opposition fait preuve, au travers du dépôt de 140 000 amendements. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Ducout. Il ne s’agit pas d’obstruction !

M. Jean Dionis du Séjour. Le ministre a raison !

M. Pierre Ducout. Ces amendements visent seulement à éclairer l’opinion !

M. le ministre délégué à l’industrie. Comparons !

Jusqu’à présent, vous aviez atteint des sommets avec la loi postale ou la loi sur les retraites, en déposant quelque 11 000 amendements. Aujourd'hui, vous multipliez ce nombre par treize ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Strauss-Kahn a demandé combien d’amendements l’opposition de l’époque – dont nous sommes un certain nombre ici à avoir fait partie – avait déposé contre le projet de loi relatif aux 35 heures : 1 569, dont 806 pour le groupe RPR et 524 pour le groupe UDF. Nous avions respecté le travail parlementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Voilà une attitude républicaine.

M. le ministre délégué à l’industrie. Je souhaiterais que M. Strauss-Kahn l’entende !

Monsieur Daniel Paul, vous avez évoqué les augmentations du prix de l’électricité qu’ont subies les entreprises. Vous n’êtes pas sans savoir que nous avons mis en place, dès la loi de finances de l’année dernière, pour les entreprises les plus électro-intensives, un dispositif qui leur permet actuellement de négocier dans de très bonnes conditions avec les producteurs.

M. Daniel Paul. Ces conditions ne sont pas si bonnes que vous le prétendez !

M. le ministre délégué à l’industrie. Certains des amendements que la commission a retenus contiennent des mesures permettant de résoudre les problèmes des PME en la matière. Vous n’êtes pas sans savoir non plus que nous proposons, pour le consommateur, la mise en place d’un tarif social du gaz ainsi que le maintien des tarifs réglementés. C’est la preuve de notre volonté d’agir en ce domaine au mieux des intérêts de chacun.

Je tiens à remercier Gilles Carrez, d’avoir mis en évidence, par le rappel de l’histoire de France Télécom, le fait que la fusion de Gaz de France avec une autre entreprise permettra son développement sans endettement excessif.

M. François Brottes. Cela n’a rien à voir !

M. le ministre délégué à l’industrie. Notre méthode est donc meilleure que celle qui a été utilisée pour France Télécom et dont l’inefficacité n’est plus à démontrer. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Ducout. Il ne s’agit pas de la même branche !

M. le ministre délégué à l’industrie. Nous ne commettrons pas la même erreur.

Jean-Pierre Nicolas a beaucoup insisté sur la nécessité de renforcer l’amont gazier : c’est une des priorités de ce texte. En effet, pour être un acteur international de premier plan capable de faire face à d’éventuelles défaillances de fournisseur, il convient, dans la conjoncture actuelle, de pouvoir peser sur ce qu’il a appelé « la cartellisation » du secteur.

Je remercie Léonce Deprez pour sa parfaite présentation de l’enjeu que présente le gaz naturel liquéfié, le GNL. On ne le dit en effet pas assez : le GNL offre l’avantage de pouvoir être stocké et n’est par conséquent pas acheminé par des tuyaux mais par bateau dans des terminaux. Vous ne le savez peut-être pas : la Russie ne produit pas de gaz naturel liquéfié, et c’est d’ailleurs sans doute l’une des clauses de son accord avec le producteur algérien Sonatrach qui, lui, maîtrise cette technologie en tant, notamment, que client Gaz de France.

Le GNL est très important car il nous permettra de nous mouvoir avec souplesse sur le marché et nous donnera accès à de nouveaux fournisseurs. Aussi avons-nous tout intérêt à nous montrer très actifs dans ce secteur. Ainsi, si l’on fusionne Gaz de France et Suez, la nouvelle entité constituera le numéro un mondial du GNL. Il s’agit donc d’un atout extraordinaire qu’il ne faut pas négliger.

Je remercie René Couanau de nous avoir rappelé que le débat existe bel et bien au sein de l’UMP, qu’il n’est pas étouffé. Je ne partage pas ses arguments et je me tiens à sa disposition pour lui démontrer que Gaz de France, dans ses structures actuelles, insuffisamment larges, n’est pas apte à faire face aux enjeux auxquels il va être confronté.

Je remercie également Michel Diefenbacher qui, pour sa part, a rendu hommage au travail d’explications et de persuasion du Gouvernement.

Jean Gaubert, lui, nous a donné un cours très intéressant sur la fixation des prix, qu’on peut résumer en disant que le mieux reste de vendre plus cher que le prix de revient. Ce qu’il a simplement oublié de constater, c’est qu’en général les concurrents obligent à la réalisation des progrès nécessaires au maintien de sa place sur le marché. Bien sûr, nous souhaitons que la concurrence produise des effets positifs pour le consommateur, mais sans nuire à la volonté d’investir et d’innover.

M. Daniel Paul. On voit ce que cela donne !

M. le ministre délégué à l’industrie. Et lorsque l’État est amené à réguler le marché, il garde une très lourde responsabilité en matière de politique des prix. Aussi les craintes de M. Gaubert m’apparaissent-elles infondées.

M. Dupont-Aignan nous a fait part, en ce qui le concerne, de sa crainte de l’affaiblissement d’EDF dans la perspective envisagée et marque sa préférence pour une fusion EDF-GDF. Comme Thierry Breton, Jean-Claude Lenoir et d’autres l’ont rappelé, cette hypothèse est malheureusement impossible à mettre en œuvre dans la mesure où elle impliquerait, de la part des autorités de la concurrence, un découpage de l’opérateur EDF, ce que nous ne souhaitons pas, et ce qu’il ne doit pas souhaiter non plus.

Jean-Yves Le Déaut nous a longuement parlé de la lettre de griefs de la Commission européenne. Je souhaite simplement expliquer pourquoi cette lettre est si longue. Il est évident que deux entreprises comme Gaz de France et Suez agissent sur de très nombreux marchés – particuliers, entreprises, mais aussi le marché de fourniture en gros, celui de la distribution. Or, la lettre de griefs analyse l’état de la concurrence sur chacun de ces marchés. Comme toute autorité de concurrence, elle est ici dans son rôle. C’est donc à l’aune de cet examen qu’il est nécessaire que les entreprises qui souhaitent fusionner apportent des éléments de réponse. Cet épisode aura lieu après ce débat puisque nous en sommes à la définition du cadre législatif. Aux entreprises de tenir compte de cette analyse et de faire part de leurs propositions, mais il s’agit d’une autre étape.

Je salue le propos de Claude Gaillard sur les grandes manœuvres et le rejoins quant à la nécessité de se développer en amont. Le Gouvernement a bien pris en compte le souhait de voir examiner l’ensemble des options possibles à l’issue du vote de cette loi.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Tout à fait.

M. le ministre délégué à l’industrie. Philippe Auberger a analysé l’accord conclu entre Gazprom et la Sonatrach qui, comme je le disais tout à l’heure, a une importance considérable sur le marché du gaz. Il convient de ne pas en négliger certains aspects techniques. Ainsi, je rappelle que Gazprom, bien que très gros producteur, ne dispose pas d’installations de GNL. Il est même arrivé à Gaz de France d’aider l’opérateur russe à livrer du gaz naturel liquéfié aux États-Unis.

Pierre Cohen a abordé la question des acquis sociaux. Il nous reproche de les remettre en cause. Franchement, je ne vois pas où nous remettons en cause les acquis sociaux dans ce projet de loi, c’est même le contraire que nous faisons. Il y a évidemment la question du tarif social, qu’on pourra mieux apprécier lors de l’examen des articles.

Frédéric Soulier nous a rappelé les différentes missions de service public de Gaz de France et la nécessité de ne pas financer par l’endettement la croissance qu’implique le statut de grand opérateur international. Nous l’évitons justement à travers une possibilité de fusion.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Très bien !

M. le ministre délégué à l’industrie. Jacques Myard s’est interrogé sur le risque lié aux augmentations de capital. La golden share que nous proposons et les engagements pris par le commissaire Mac Grevy constituent la réponse qui convient.

M. Jacques Myard. Parlez d’« action spécifique », monsieur le ministre ! Défendez donc la langue française !

M. le ministre délégué à l’industrie. M. Myard a tout à fait raison de se préoccuper de la question, mais nous y avons veillé à travers cette action spécifique.

Claude Gatignol, lui, s’interroge sur les conséquences éventuelles d’un statu quo : que se passerait-il si nous ne faisions rien ? Nous aurions probablement à craindre un certain nombre de problèmes d’approvisionnement à court ou moyen terme. Cet hiver, nos voisins anglais ont connu cette situation que nous avons, nous, évitée. Nos voisins transalpins ont éprouvé cette même crainte et mon homologue du gouvernement italien précédent s’est rendu plusieurs fois à Moscou pour négocier la continuité de l’approvisionnement de son pays. Il m’apparaît évident que nos partenaires européens ont une conscience aussi aiguë que nous de l’importance de l’opération que nous proposons de mettre en œuvre.

Jean-Jacques Guillet a rappelé qu’il ne suffisait pas de réaliser des économies d’énergie. Notre politique énergétique en a certes besoin, elle doit de plus en plus s’appuyer sur des énergies renouvelables, mais elle ne sera solide que si nous nous montrons capables d’assurer notre approvisionnement en énergies fossiles de plus en plus coûteuses et difficiles d’accès. C’est cet environnement mondial, ce sont ces considérations géopolitiques qui nous conduisent à vous soumettre ce projet de loi.

Enfin, tout en regrettant les manœuvres d’obstruction de l’opposition, Marc Laffineur a conclu la discussion en annonçant un débat passionnant. J’en suis également persuadé et je forme le vœu qu’il se fonde sur toutes les bonnes idées contenues dans les 140 000 amendements. J’ai du reste constaté que si l’on comptait de nombreux amendements, il arrivait quelquefois que le même se répète énormément (« Non ? » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Il paraît. (Sourires.)

M. le ministre délégué à l’industrie. Ainsi avons-nous peut-être une chance de discuter de bonnes idées. C’est en tout cas ce à quoi nous nous préparons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Très bien !

Motion de renvoi en commission

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Messieurs les ministres, l'heure est presque venue de tirer un bilan du mandat du Gouvernement et de sa majorité parlementaire. Durant cinq ans, vous avez décidé d'une série de mesures, que vous avez pudiquement appelées « réformes », alors qu'elles ont été synonymes de coups durs pour nos concitoyens. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Réforme des retraites, du système de santé, compression du nombre de fonctionnaires dans les hôpitaux et les écoles, démantèlements en tous genres du code du travail – autant d'attaques contre la justice sociale et l'égalité, dont vous aurez à répondre au printemps prochain devant les électeurs.

M. Marc Laffineur. Vous aussi irez devant les électeurs !

M. Daniel Paul. Dans le secteur énergétique non plus, vous n'y êtes pas allés de main morte avec vos « réformes » : transformation du statut et ouverture du capital de l'ancien opérateur historique EDF et GDF, ouverture à la concurrence des marchés électriques et gaziers, dépossession partielle de l'État du contrôle des enjeux stratégiques – autant d'éléments qui concourent à la perte de la maîtrise publique d'un bien commun, et qui tendent à faire primer l'intérêt de quelques groupes privés sur l'intérêt commun.

Nos concitoyens ont pu constater, ces derniers mois, les conséquences de votre politique en termes de tarifs. En effet, si la consommation énergétique en France a pratiquement stagné en 2005, la facture, elle, s'est considérablement alourdie – plus 35 %. De nombreux salariés et syndicalistes mettent également l'accent sur la réorganisation profonde et générale du secteur et sur la difficile compatibilité de la perte de la maîtrise publique avec les missions de service public.

En dépit de cela, vous refusez obstinément d'ouvrir sérieusement le débat sur le bilan de ce double processus d'ouverture à la concurrence et de privatisation dans le secteur énergétique.

Et vous faites un pas de plus dans cette fuite en avant en ouvrant totalement les marchés du gaz et de l'électricité, en privatisant l'ancien opérateur historique gazier et en organisant le démantèlement de l'ancienne entreprise intégrée. Vous cédez par là même aux intérêts privés un pan supplémentaire de l'économie nationale, alors que l'énergie concentre des enjeux économiques, environnementaux et sociaux cruciaux.

Tout ceci dans un contexte de mutation du capitalisme, où le capitalisme industriel laisse la place à un capitalisme financier, dans lequel la financiarisation de l'économie aboutit à mettre entre les mains d'agents boursiers des intérêts industriels, économiques et sociaux gigantesques. Les « réformes » que vous introduisez risquent de n'en être que plus graves, car non seulement vous privatisez un bien public, mais le capitalisme financier auquel vous livrez ce bien rend sa gestion encore plus incertaine.

Vous avez bien tenté par de multiples moyens de justifier le projet de fusion GDF-Suez. Au mois de mars, à l'annonce du projet de rapprochement entre les deux entreprises, ce fut l'évocation du patriotisme économique pour défendre Suez face à la menace d'une OPA hostile. Il fallait « sauver Suez », s'opposer à la prise de contrôle de l'entreprise par l'italien ENEL.

Certes, l'italien ENEL avait sans aucun doute des vues sur le groupe Suez, mais comme je l'avais mentionné au mois de juin lors du débat sur la politique énergétique, il existe d'autres façons de défendre ce groupe : sa direction avait ainsi, par exemple, envisagé l'émission de bons de souscription d'actions. Une version plus proche de nos convictions aurait consisté à faire monter dans le capital de Suez des actionnaires publics tels que la Caisse des dépôts et consignations.

En outre, quel crédit peut-on réellement porter à votre argument de patriotisme économique ? Il reste difficile de croire les fervents défenseurs d'une construction européenne libérale et capitaliste lorsqu'ils invoquent la défense par l'État des intérêts économiques ! L'audition de MM. Cirelli et Mestrallet avait d'ailleurs révélé que le projet de fusion était dans les esprits depuis longtemps et n'était pas lié à une menace d'OPA. Il est difficile d'être plus clair que Gérard Mestrallet qui déclarait dans Le Monde du 12 juin : « Ce projet n'est dirigé contre personne et n'a pas été inventé contre la menace d'ENEL. »

Brandir l’argument du patriotisme économique, était-ce autre chose qu’un coup de « com’ » monté pour justifier une opération dont les motivations étaient autres que celles annoncées ?

Vous avez ensuite soutenu que la fusion GDF-Suez ouvrirait la voie à de nouveaux projets industriels. Or, pour ses activités gazières, Suez investit avant tout dans le GNL, avec les terminaux méthaniers de Zeebrugge et de Boston. Son expérience industrielle est donc limitée. En particulier, Suez ne dispose pas de contrat d’approvisionnement classique. Contrairement à GDF, le groupe ne présente pas de structure intégrée d’amont en aval. Le slogan vantant un « leader mondial de l’énergie » paraît dès lors un peu exagéré !

L’argument de la sécurité d’approvisionnement n’est guère plus convaincant, comme l’ont souligné les partenaires sociaux : si Suez est un distributeur important en Belgique, il reste marginal en France et achète au total trois fois moins de gaz que GDF.

Permettez-moi également de douter que les intérêts économiques du pays soient servis par l’absorption de Gaz de France par Suez, qui est dotée d’un chiffre d’affaire équivalant quasiment au double de celui de GDF. En quoi l’entreprise privée Suez, majoritaire dans le capital du nouveau groupe, serait-elle garante de nos intérêts économiques ? Les exemples offerts par plusieurs grands groupes français qui n’hésitent pas à avoir recours à des plans sociaux ou à des délocalisations ne plaident pas en ce sens. Faut-il rappeler le comportement du groupe EADS, issu de la fusion d’un groupe public, Aerospatiale, et d’un groupe privé, Matra, dans l’affaire de la Sogerma ? Est-ce un signe des temps que de voir notre pays supprimer un groupe public pour confier à un groupe privé ses intérêts gaziers ?

La production d’électricité en cycle combiné gaz-électricité aurait été possible et pertinente dans un autre cadre juridique : celui de la fusion entre GDF et EDF. Si vous êtes vraiment soucieux des synergies industrielles nécessaires à GDF, monsieur le ministre, pourquoi ne pas étudier sérieusement la possibilité de cette fusion ? Vous balayez d’un revers de main l’éventualité même de soumettre à la Commission européenne un tel projet, avec examen des contreparties qui pourraient être exigées par l’institution. Alors que l’étude d’un cabinet de conseil conclut à la faisabilité de la fusion, vous vous contentez de spéculer sur les conclusions de la Commission pour mieux jeter aux oubliettes ce rapprochement riche de sens. Notons au demeurant que vous avancez des risques de contreparties dans l’hypothèse d’un projet de fusion entre EDF et GDF, mais que vous refusez de faire connaître les contreparties liées à la fusion GDF-Suez.

Devant les inquiétudes d’une partie de votre majorité, vous avez dû de nouveau changer votre fusil d’épaule, et l’on entend aujourd’hui que ce projet de fusion et la privatisation de GDF viseraient à sauver l’entreprise, en lui permettant de ne pas rester isolée. Mais sa santé financière est loin d’être mauvaise : deuxième entreprise européenne la moins endettée dans le secteur énergétique, bénéfices et chiffre d’affaires en hausse, projet de 1,5 milliard d’investissements dans les gazoducs européens… Oui, GDF a les moyens d’être un véritable acteur gazier !

Certes, la question de l’avenir de GDF dans le paysage énergétique actuel n’est pas sans pertinence. Les problèmes du secteur énergétique, liés à la raréfaction des énergies fossiles, aux incertitudes que le contexte géopolitique de certains pays producteurs fait peser sur le secteur, à la déréglementation des différentes activités de production et de fourniture, sont effectivement nombreux. Mais la réponse apportée, au lieu de venir résoudre ces problèmes, ne vient qu’alimenter la machine de guerre qui semble se mettre en route dans ce domaine.

Cette guerre énergétique, vous avez largement contribué à l’organiser en livrant à la concurrence et aux capitaux privés des entreprises publiques qui avaient apporté la preuve de leur efficacité. Vous avez préféré suivre aveuglément le dogme libéral, sans vous soucier de la capacité du marché à assurer une répartition équitable des ressources, un prix modéré pour les consommateurs, des relations stables avec les pays producteurs, une continuité d’approvisionnement et la sécurité des installations gazières et électriques. Il faudra nous expliquer en quoi des entreprises privées seront mieux à même de négocier avec Gazprom que le gouvernement français ; nous dire pourquoi des entreprises soumises aux pressions de leurs actionnaires investiraient plus dans la maintenance et la sécurité du réseau de transport que ne le ferait une entreprise publique ; et en quoi des entreprises privées assureront une meilleure gestion à long terme des ressources. Nous pensons pour notre part que toutes ces missions sont difficilement compatibles avec les caractéristiques d’un marché privatisé et concurrentiel !

Les discussions autour de l’existence même d’une minorité de blocage détenue par l’État dans le capital du nouveau groupe Suez-GDF en disent long sur les nouveaux rapports de force qui vont s’installer chez GDF. N’a-t-on pas lu dans la presse en mai dernier que l’État pourrait renoncer à cette minorité de blocage, sous la pression des actionnaires de Suez ? C’est d’ailleurs ce que l’un des vôtres, chantre renommé de l’ultralibéralisme, revendique, en souhaitant que l’État renonce à conserver 34 % du capital du nouveau groupe. Ce seuil ne donne à l’État aucun pouvoir réel en matière de décisions stratégiques de l’entreprise, mais c’est déjà beaucoup trop pour les actionnaires privés ! La détention de 34 % du capital ne protège même pas contre une OPA. Nous reviendrons sur ce point lors de la discussion des articles du texte, si du moins vous nous épargnez le 49.3.

Le flou qui règne sur les raisons profondes du projet de fusion GDF-Suez nous oblige à poser la question des intérêts en jeu dans cette opération. Celui de Suez et de ses salariés ? Celui de GDF et du service public gazier ? Y va-t-il de la sécurisation des approvisionnements pour les consommateurs ? Ou, plus trivialement, du portefeuille des actionnaires, qui se sont déjà livré bataille sur les termes de l’échange, lesquels pourraient évoluer d’ici à la fin de l’année dans un sens plus favorable aux intérêts des actionnaires de Suez ?

Vous avez eu recours à toute une série d’artifices pour tenter de justifier cette fusion capitalistique et financière qui fait fi des enjeux énergétiques de notre pays. C’est là avant tout une décision idéologique, que votre aveuglement ou votre mauvaise foi vous amène à faire passer pour un projet économique et industriel.

Ce n’est pas tout : non seulement les arguments que vous avez avancés pour défendre la fusion ne tiennent pas, mais un manque de transparence patent caractérise la gestion de ce dossier.

L’analyse de la chronologie est éclairante à cet égard. Après l’annonce du projet de fusion entre GDF et Suez, la Commission européenne avait lancé une enquête approfondie sur le mariage franco-belge, puisque le droit communautaire l’amène à se prononcer sur les opérations de concentration. Elle n’indiquera toutefois que fin octobre si elle autorise ou interdit cette fusion.

Monsieur le ministre de l’économie, vous annonciez au Figaro le 17 août dernier que vous aviez « toute confiance dans le travail de la Commission », pour justifier que votre projet de loi soit examiné avant la fin du mois d’octobre. C’est pourtant cette même Commission européenne qui avait décidé, en 2002, d’annuler le rapprochement entre les groupes Schneider et Legrand. C’est une drôle de façon de faire de la politique que de se contenter de paris à l’issue incertaine !

Votre gouvernement soumet son projet de loi au vote des parlementaires français avant que les conclusions de la Commission ne soient connues. Pour le dire plus clairement, vous entendez que les députés se prononcent sur l’avenir de l’opérateur historique gazier alors même que les termes du débat évolueront après le vote de la loi. Vous grillez les étapes, sans vous soucier de la couleur du feu qui sera donné par la Commission, à laquelle revient pourtant le pouvoir de décision en ce domaine.

Et que penser de l’impossibilité faite aux députés d’avoir accès à la lettre de griefs notifiée par la Commission européenne le 18 août, c’est-à-dire après les réunions que notre commission des affaires économiques a tenues en juillet ? Pourquoi les élus du peuple doivent-ils batailler pour être tenus informés de l’avenir de l’entreprise gazière ? Les intérêts commerciaux prévaudraient-ils sur les intérêts politiques et économiques de notre pays ?

Conformément à ce qu’annonçait ce matin son président Alain Bocquet, le groupe communiste a adressé dès cet après-midi une lettre au Président de la République afin de lui demander d’intervenir dans ce débat au titre de sa haute mission.

M. Maxime Gremetz. Très bien !

M. Daniel Paul. Quant au conseil d’administration de GDF, il a fallu une décision de justice pour qu’il se tienne et que les représentants des salariés soient informés de la nature des griefs communautaires.

Là encore, quelques précisions chronologiques ne sont pas inutiles. La lettre de griefs envoyée par la Commission européenne aux entreprises appelle une réponse rapide. Celle-ci adviendra entre le 6 et le 20 septembre, c'est-à-dire maintenant ! Si vous aviez vraiment souhaité que les députés sachent réellement à quelles évolutions ils livraient le secteur énergétique français en se prononçant sur le texte de loi ouvrant la porte à la fusion entre GDF et Suez, il vous aurait suffi de retarder quelque peu le débat.

Ces graves entorses à la transparence du débat démocratique sont intolérables. Au nom de la confidentialité, qui ne sert qu’à protéger les intérêts des actionnaires, on a voulu priver les citoyens, leurs représentants et les élus des salariés de leur légitime droit à l’information sur le sort d’un service public.

Il est vrai que les intérêts privés et la transparence font rarement bon ménage ! Que nous proposez-vous donc, si ce n’est l’accaparement par une minorité, dans le secret des coulisses de la Bourse et des tractations commerciales, de cette ressource vitale qu’est l’énergie ?

Mais venons-en au fond, c’est-à-dire au contenu des contreparties que pourrait exiger la Commission européenne en échange de l’autorisation de fusion GDF-Suez. Vous déclarez, monsieur le ministre de l’économie, n’être « pas inquiet sur le fond » du dossier. Pourtant, les contreparties qui pourraient être exigées de GDF sont considérables : les abandons d’actifs requis pourraient conduire à une réelle restructuration de l’ancien opérateur historique. L’entreprise risque en effet d’être contrainte de mettre d’importants volumes de gaz à la disposition de ses concurrents. On évoque aussi la sortie pure et simple des activités de transport et de distribution de gaz, ce qui priverait GDF de son cœur de métier, ou encore la remise en cause des tarifs réglementés. Dès lors, faire croire à un renforcement de l’ancien opérateur historique par la fusion avec Suez relève du mensonge d’État.

En ce qui concerne les activités de transport de gaz, rien n’oblige, en l’état actuel des directives, à la séparation patrimoniale entre GDF et le gestionnaire du réseau de transport, mais nous savons que certains services de la Commission brûlent de l’envie de franchir de nouvelles étapes dans la libéralisation du secteur énergétique. Après avoir cherché à « libérer l’amont » – vous aurez reconnu là le jargon des fanatiques de la concurrence –, c’est-à-dire à ouvrir à la concurrence les activités d’extraction et de traitement du gaz, la Commission européenne tenterait de modifier l’organisation de l’« aval » du secteur, le transport.

Ces préoccupations semblent largement relayées par la Commission de régulation de l’énergie, dont le président juge essentielle la séparation des activités de réseau. Ce faisant, il défend clairement l’indépendance patrimoniale des gestionnaires de réseau de transport. Il est vrai que ces activités constituent un bastion plutôt lucratif, qui intéressera sans aucun doute des capitaux privés : en effet, le gros des investissements a déjà été réalisé. Que des acteurs de la politique énergétique aussi influents que la Commission européenne et la CRE donnent des signes en faveur de la poursuite de la libéralisation du secteur, cela n’est guère rassurant !

Certes, MM. Mestrallet et Cirelli cherchent à calmer le jeu et vantent les mérites de l’entreprise intégrée, peut-être pour ne pas effrayer les partenaires sociaux. Toutefois, à la mi-août, M. Cirelli assurait dans la presse ne pas vouloir perdre le contrôle, et non la propriété, du réseau de transport – point qu’il a d’ailleurs confirmé lors de l’audition conjointe des deux dirigeants par la commission des affaires économiques.

Pourquoi y a-t-il lieu de s’inquiéter ? Les enjeux d’une ouverture aux capitaux privés du réseau de transport sont considérables. La sécurité des installations de gaz naturel liquéfié est une question primordiale. Nous ne pouvons négliger les risques importants qu’encourent de telles installations, qui jouent un rôle essentiel dans l’alimentation de notre pays en gaz et contribuent de manière déterminante à la sécurité de nos approvisionnements. Accepter d’ouvrir aux capitaux privés le réseau de transport de gaz, ce serait lâcher du lest sur une activité hautement stratégique.

Il y a plus : la Commission européenne évoque également la possible remise en cause les contrats à long terme par la fusion GDF-Suez. L’idée serait de céder une partie des contrats d’approvisionnement aux fournisseurs concurrents du nouveau groupe et de spécialiser ces contrats sur le marché dérégulé. Le Gouvernement a pourtant clamé dans la presse qu’il s’agissait, par ce projet de fusion GDF-Suez, de renforcer l’opérateur historique et de lui ouvrir de nouveaux horizons pour ses achats de gaz. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les conclusions de la Commission compromettent largement cet objectif ! Au lieu de renforcer GDF, la fusion entraînerait une cession d’actifs qui diminuerait les capacités d’achat de l’opérateur gazier.

Vous pourrez toujours objecter, monsieur le ministre, que le nouveau groupe pourra se fournir en gaz sur le marché spot. Serait-ce là l’objectif : remplacer des contrats de long terme par le marché spot, dont on connaît la volatilité et les hausses qu’il a enregistrées ces derniers mois ?

Là encore, force est de constater que la communication que vous mettez en œuvre pour défendre la fusion, axée notamment sur la sécurisation des achats de gaz et la modération de la hausse des prix en jouant sur les quantités d’achat, est parfaitement erronée. Cette incertitude nouvelle dans l’évolution des prix, voire dans la sécurité d’approvisionnement, ne pourra pas jouer en faveur des consommateurs.

Contrairement à ce que vous annoncez, ce n’est pas dans l’intérêt national que se réalise cette partie de Monopoly capitalistique. Ça l’est d’autant moins que la lettre de griefs de la Commission remet également en question les tarifs réglementés, qui vont, dit-elle, « contre le marché ».

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Mais non ! La Commission n’en parle pas !

M. Daniel Paul. Elle l’écrit en toutes lettres, affirmant que la modération des tarifs de GDF est un obstacle à l’entrée sur le marché français et qu’elle est donc anticoncurrentielle. Cela signifie-t-il qu’il faudrait augmenter les tarifs pour favoriser la concurrence ?

Vous noterez d’ailleurs que l’existence de ces tarifs n’a pas de lien direct avec l’opération de fusion entre GDF et Suez, qui devrait constituer l’objet exclusif des griefs de la Commission. Votre projet de fusion donne cependant à celle-ci une occasion supplémentaire pour casser un peu plus l’ancien opérateur historique.

Pour en terminer avec les griefs, je relève que la Commission s’en prend aux infrastructures de stockage et aux terminaux méthaniers de GDF. Là aussi, la position dominante de l’entreprise est dénoncée. Ce qui se profile, c’est l’apparition d’acteurs privés dans le secteur, pour le moins sensible et dangereux, du stockage de gaz. En présence de capitaux soumis à des rendements capitalistiques, comment garantir que la sécurité des terminaux et des stockages sera assurée au maximum ? Comment garantir que la gestion des terminaux et des méthaniers n’aura pas, elle aussi, comme premier critère de gestion la rentabilité à tout prix ?

Faut-il, une fois de plus, rappeler le triste épisode des rails anglais ou les dangereuses évolutions en cours dans la gestion du trafic aéroportuaire pour éclairer nos collègues sur la lourde responsabilité qu'ils endossent en ouvrant la porte à une gestion partiellement privatisée des infrastructures du gaz, ressource stratégique et dangereuse ?

Ce sont tous ces risques que vous refusez de voir portés à la connaissance de l'opinion, et c’est la raison pour laquelle vous n’avez mis à la disposition des parlementaires qu'une version expurgée de la lettre de griefs.

Ce projet de fusion GDF-Suez pèche donc sur bien des points. Vous ne nous proposez rien d’autre qu'une opération financière aux conséquences industrielles et économiques incertaines, qui ouvre la porte à une véritable déstructuration de l'entreprise gazière, sur laquelle la représentation nationale n'aura plus son mot à dire une fois le texte voté. J’ai bien entendu M. le ministre promettre que si le projet de fusion n’est pas satisfaisant, il s’y opposera. Chiche, mais nous verrons bien !

M. le ministre délégué à l’industrie. Oui, chiche !

M. Daniel Paul. Les contreparties que pourrait exiger la Commission européenne en échange de l'autorisation de fusion entre GDF et Suez risquent fort de sceller la mort de l'entreprise gazière publique et verticalement intégrée. Ce qui se trame, c'est le découpage en centres de profits de Gaz de France sous forme de filialisation ou d'ouverture des capitaux des entreprises gestionnaires de réseau. Or cela entraînerait nécessairement une perte de cohérence de l'ensemble de l'organisation du secteur gazier français, car ce démantèlement signifierait inévitablement la perte de synergies industrielles reposant sur le caractère intégré de l'entreprise. Cela ne fera que hâter la fin de la péréquation que pouvait se permettre l'entreprise intégrée.

En outre, le choix de fusionner GDF avec Suez ne manquera pas d'entraîner un autre changement majeur dans le domaine énergétique : la privatisation d'EDF. Car dans le nouveau contexte économique ainsi créé, l'entreprise publique sera naturellement amenée à chercher elle aussi un nouveau partenaire gazier. L'offre duale en énergie constitue en effet un atout considérable pour les entreprises énergétiques, mais Gaz de France ne sera plus un candidat possible. Il est donc prévisible que si aucune décision politique n'est prise, c'est avec un acteur privé qu'EDF s'alliera. Qui sera-t-il ? Qui s'offrira la possibilité de faire main basse sur un fleuron de notre économie nationale ? On vous entendra alors dire qu'il convient de modifier la loi dont nous sommes en train de débattre. Ainsi, même si l'article 10 de votre texte actuel ancre législativement la part de l'État dans le capital d'EDF à 70 %, il est difficile d'être rassuré sur la garantie que cet article apporte pour l'avenir de l'énergie électrique.

M. Maxime Gremetz. On peut même être certain du contraire !

M. Daniel Paul. D'autant que votre gouvernement et votre majorité ont déjà illustré le peu de crédit que nous pouvons accorder à la parole de l'État. M. Sarkozy a eu beau s'engager personnellement…

M. François Brottes. Et au nom du Gouvernement !

M. Daniel Paul. …dans cet hémicycle, sur la non-privatisation des deux entreprises énergétiques publiques en 2004, vous avez attendu à peine vingt-quatre mois que l’encre sèche pour revenir sur ces engagements.

M. Maxime Gremetz. Il devrait venir s’expliquer ici !

M. Daniel Paul. Toutes les incertitudes qui planent sur l'avenir de l'ancien opérateur historique rendent nécessaire un renvoi en commission pour analyser le document qui nous a été communiqué par la Commission européenne le 18 août et les réponses de GDF et de Suez. Le black-out organisé autour de ce projet de fusion nous conforte dans notre opposition au projet de privatisation de GDF et de fusion avec Suez. Il renforce également notre détermination à réorienter la construction européenne vers une gestion des enjeux énergétiques qui ne donnera pas la priorité à la concurrence entre les entreprises du secteur et à la captation par les marchés de l'activité énergétique.

Vous nous proposez avec ce texte ni plus ni moins que la poursuite de la fuite en avant que constitue la mise entre les mains du privé d'intérêts collectifs essentiels dans l'organisation sociale. Je l'ai souvent dit, l'énergie est une ressource vitale dont nul ne peut se passer, un bien commun de l'humanité. À ce titre, elle doit être maîtrisée de façon publique et collective. Vous organisez ici, au contraire, l'abandon d'un instrument efficace, au cœur des défis énergétiques. Vous abandonnez l'idée de maîtrise collective et publique d’un bien commun à tous. Nous disons non à la privatisation des ressources !

M. Maxime Gremetz. Tout à fait !

M. Daniel Paul. Je terminerai sur quelques questions soulevées par un document de la CGC dont nous avons pris connaissance aujourd’hui. Est-il vrai, monsieur le ministre, que la fusion entre GDF et Suez coûterait 5,2 milliards d’euros à Gaz de France ? Est-il vrai que GDF aurait pour mission d’absorber une partie de l’endettement de Suez, qui s’élève actuellement à 16 milliards d’euros ? Est-il vrai que GDF devrait aussi participer au démantèlement des centrales nucléaires belges, décidé par la loi belge de 2005 sur la sortie du nucléaire ? Est-il vrai enfin que la loi française permettrait, si la fusion s’opérait, au nouveau groupe ainsi créé, que j’appellerai « Gaz de Suez », de réaliser un bénéfice fiscal de 3 milliards d’euros, au détriment du budget de l’État ?

Ce sont là, il me semble, des questions qui méritent d’être renvoyées devant la commission des affaires économiques avant d’être discutées ici ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Je souhaite donner quelques arguments pour dissuader l’Assemblée de voter cette motion de renvoi en commission. Monsieur Paul, vous avez défendu avec conviction un contre-projet à celui que le Gouvernement et la majorité veulent soutenir. C’est votre entière liberté et je la respecte. Mais je n’ai rien entendu dans les arguments que vous avez avancés qui puisse justifier un renvoi en commission.

Jamais depuis 2002, une commission de l’Assemblée nationale n’avait travaillé aussi longtemps que sur ce projet de loi. Sans revenir sur tout ce qui s’est passé depuis le mois de juin, je rappellerai – et je prends à témoin M. Poignant et M. Gatignol, qui sont les responsables de notre groupe au sein de la commission –, tout ce qui a été fait pour apporter les éclaircissements demandés par les parlementaires, tant de l’opposition que de la majorité, car il y a eu débat au sein même de la majorité. C’est à l’honneur du Parlement d’avoir permis à ce débat de se développer au cours du mois de juillet. Nous avons commencé le 4 juillet par vos auditions, messieurs les ministres, puis nous avons procédé aux auditions des organisations syndicales et des responsables des différentes entreprises. Ce travail a abouti à un rapport d’étape qui a constitué, monsieur Paul, une autre exception à la règle de fonctionnement des commissions. Nous avons en effet tenu à aller jusqu’au bout du débat et à discuter des solutions alternatives et des excellentes idées proposées par des membres de la majorité, mais aussi des groupes communiste et socialiste. D’aucuns ont trouvé ce rapport d’étape inutile, mais je considère qu’il a permis de régler bien des problèmes, de même que la manière dont le rapporteur Jean-Claude Lenoir a abordé la question pour se forger sa propre conviction.

Le travail de commission a repris dès la deuxième quinzaine du mois d’août, au cours de laquelle nous avons travaillé durant près de quarante heures, ce qui est exceptionnel.

C’est également à votre demande, face aux 137 000 amendements que vous avez déposés et qui n’ont pas facilité le travail de commission, que nous avons sérié les problèmes. Avec MM. Brottes, Poignant et Charié, vous avez fait, monsieur Paul, des propositions très constructives s’agissant des thèmes à débattre pour cerner tous les aspects de ce texte. Neuf thèmes ont ainsi été choisis : tarifs réglementés et modalités de retour, missions de service public, part de l’État au capital de GDF, tarifs sociaux, politique européenne de l’énergie, sécurité d’approvisionnement, protection des consommateurs, organisation des réseaux de transport et de distribution, pouvoirs du régulateur. Je crois donc que tous les thèmes essentiels concernés par ce projet de loi ont été largement débattus. Je remercie autant la majorité que l’opposition d’avoir, tout au long de cette deuxième quinzaine du mois d’août, travaillé de la sorte.

Je comprends que vous puissiez défendre un renvoi en commission, mais je ne vois aucune raison à ce que l’Assemblée le vote.

J’ajoute, s’agissant des documents européens, que notre commission a demandé au ministre…

M. Daniel Paul. Nous les avons demandés !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …– que je remercie, même si la méthode ne vous convient pas tout à fait –, de mettre la lettre de grief à notre disposition. Je vous rappelle tout de même qu’elle est dans mon bureau depuis une semaine et que seulement six députés de tous les groupes se sont dérangés pour venir la lire !

M. Maxime Gremetz. C’est une version caviardée ! Vous en avez retiré l’essentiel !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ceux-là ont sans doute pris suffisamment de notes pour informer leurs collègues. Il me semble dès lors que l’Assemblée est largement informée.

Voilà les raisons pour lesquelles la commission des affaires économiques, par la voix de son président et de son rapporteur Jean-Claude Lenoir, vous demande, compte tenu de l’important travail de réflexion et de débat qui a été fourni, de rejeter cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe UDF.

M. Maxime Gremetz. Il va la voter !

M. Jean Dionis du Séjour. Oui, l’UDF votera le renvoi en commission, même si cela ne change pas le résultat du vote. Nous ne voulons pas retarder le débat – nous avons dit tout le mal que nous pensions des 136 000 amendements et du cercle vicieux « obstruction-article 49-3 » –, nous souhaitons faire passer un message pour l’Europe. Nous retenons du plaidoyer de Daniel Paul un point : par nos hésitations et nos maladresses, nous avons réussi, encore une fois, à diaboliser les institutions européennes. Les titres de la presse d’aujourd’hui sont éloquents : « Ce que vous cache Bruxelles », « Les coups tordus de Bruxelles ». C’est reparti !

Mme Janine Jambu. C’est la réalité !

M. Jean Dionis du Séjour. Non, c’est parfaitement scandaleux !

M. Maxime Gremetz. C’est la faute de ceux qui veulent nous cacher la réalité !

M. Jean Dionis du Séjour. Comme d’autres, je suis allé lire la lettre de griefs. Je remercie d’ailleurs le président Patrick Ollier qui, coincé entre ce que voulaient donner les entreprises et les réclamations des députés, a fait ce qu’il a pu. Mais soyons honnêtes, le résultat n’est pas très heureux. L’opération « lecture expurgée » de la lettre de griefs est mal vécue et c’est normal. Si cette lettre était confidentielle, on ne devait certes pas la lire. Mais elle n’est rien d’autre que l’avis chiffré de Bruxelles sur la détérioration de la concurrence que produirait la fusion. Rien d’ultraconfidentiel en somme ! Nous aurions donc dû pouvoir en disposer intégralement.

L’UDF veut maintenant un débat sérieux. Pour cela, nous suggérons que le président de l’Assemblée nationale demande à la Commission européenne la transmission in extenso de la lettre. On évoque souvent la nécessité de partenariats entre les institutions européennes et les parlements nationaux. Voilà une bonne occasion de leur donner un nouveau visage ! Bref, une nouvelle réunion de travail de la commission des affaires économiques avec l’ensemble des documents européens ne serait pas un luxe. La lettre de griefs, la lettre, favorable au projet, du commissaire McCreevy sur l’action spécifique et l’avis de la Commission sur le projet de décret créant une action spécifique fourniraient un fonds de documents sur lesquels nous pourrions travailler sans perdre de temps. Sinon, nos collègues de l’opposition ont un os à ronger, qu’ils ne se priveront pas de ronger jusqu’au bout !

M. Maxime Gremetz. On vous croyait dans l’opposition, mais en fait vous êtes dans la majorité ?

M. Jean Dionis du Séjour. C’est une question difficile ! (Sourires.)

Nous risquons de susciter fantasmes et méfiance sur la question européenne. L’UDF ne peut l’accepter et c’est la raison pour laquelle elle votera le renvoi en commission.

M. Maxime Gremetz. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour le groupe socialiste.

M. François Brottes. Je regrette que M. Loos ait, lui aussi, soufflé sur le nuage de fumée allumé par le président de l’Assemblée nationale et ait développé avec une mauvaise foi qui caractérise plutôt d’habitude M. Breton la question de l’obstruction. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Nous avons tous, l’opposition comme l’ensemble de l’Assemblée, un travail de clarification à faire sur ce texte. On l’a bien vu pendant ces deux jours de débat. Et ce n’est qu’en vous interrogeant, amendement après amendement, que nous y parviendrons. Le projet recèle en effet de nombreuses zones d’ombre et chausse-trappes.

Permettez-moi d’ailleurs de revenir sur cette question des amendements, car il ne faut pas raconter n’importe quoi, monsieur le ministre. (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Dès le mois de juillet, nous avons, pour vous laisser le temps de préparer vos réponses, déposé environ un millier d’amendements, qui sont consultables sur Internet, un millier d’amendements qui appellent donc un millier de réponses, soit un peu moins que les 1 500 auxquelles vous faisiez allusion tout à l’heure sur une autre loi.

Cependant, quand on n’est pas sûr d’avoir de réponse, mieux vaut déposer les amendements plusieurs fois ! Ainsi, plusieurs députés peuvent être amenés à compléter leur argumentation. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Dès lors, il y a trois possibilités.

La première consiste – et nous sommes à peu près certains que vous y recourrez comme vous y avez recouru lors de l’examen du texte concernant La Poste, vous avez bien fait d’y faire allusion, au cours duquel le président de l’Assemblée nationale a, en deux coups de cuiller à pot, passez-moi l’expression, déclaré irrecevables 14 000 amendements – à trouver des moyens pour prouver l’irrecevabilité d’un certain nombre d’amendements déposés par l’opposition ou pour les faire tomber : il existe des techniques bien connues pour ce faire.

M. Daniel Paul. C’est déjà commencé !

M. François Brottes. Dans la mesure où le texte est très court – une ligne et demie suffit pour privatiser Gaz de France –, il est donc important que nous ayons sécurisé notre dispositif d’interpellation afin d’obtenir les réponses souhaitées. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Belle langue de bois !

M. François Brottes. La deuxième possibilité que vous avez – et la commission et le Gouvernement l’utilisent très souvent – c’est que vous n’êtes pas tenus de répondre sur le fond sur les amendements défendus. Il vous suffit d’indiquer que vous y êtes ou non favorables. Je parle sous le contrôle du président de séance.

M. Guy Geoffroy. Les amendements reprennent souvent les mêmes idées. Vous allez être la risée du peuple !

M. François Brottes. Donc, très souvent, les amendements déposés par l’opposition se heurtent au mutisme absolu du ministre, celui-ci se contentant de se déclarer défavorable.

Comme nous n’obtenons pas de réponse, il est important, pour parvenir à nos fins, qu’un autre collègue puisse reprendre l’argumentation (Exclamations et applaudissements ironiques sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) jusqu’à ce que le ministre veuille bien répondre.

Il y a cependant une troisième possibilité, messieurs les ministres : répondre clairement aux premiers développements de l’argumentation. Si une réponse est donnée à la question posée, il n’y a aucune raison que nous allions au-delà !

Compte tenu des accusations que vous avez portées, monsieur le ministre, je vous mets donc au défi de nous dire, et dans le travail réalisé en commission dont vient de parler le président de la commission, et dans les deux jours de débats que nous venons de vivre, à quels moments nous avons fait de l’obstruction. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

À aucun moment ! (Mêmes mouvements.) Ce texte est trop important pour que nous n’obtenions pas des clarifications.

M. Georges Colombier. Vous exagérez !

M. Pierre-Louis Fagniez. Les Français ont bien compris, eux !

M. François Brottes. Il y a certains collègues qui ne viennent en séance qu’au moment du vote et n’ont pas suivi les débats ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Nous avons exigé ce matin que vous nous communiquiez le texte intégral de la lettre qui vous a été adressée par le Commissaire européen. Je suis même allé la copier à la main. Après discussions, nous avons obtenu que vous nous en donniez une copie.

Nous avons exigé d’avoir le texte du décret auquel il était fait allusion dans cette lettre. Nous n’avons pas demandé de suspension de séance pour cela, puisque vous avez anticipé notre demande et que nous en avons eu une copie. Un certain nombre de questions restent en suspens mais ce que je veux souligner, c’est que nous aurions pu, redemander, à cette occasion, une suspension de séance et que nous ne l’avons pas fait !

À quels moments avons-nous donc fait de l’obstruction sur ce texte ? Ne racontez pas n’importe quoi sur cette question ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre-Louis Fagniez. Pour trois socialistes, cela fait beaucoup d’amendements !

M. François Brottes. La transparence n’est pourtant pas au rendez-vous et il subsiste des questions qui justifient un renvoi en commission. Je me contenterai d’en citer cinq.

Première question : que répondrez-vous à la lettre de griefs concernant les actifs que devra céder Gaz de France, dans lequel l’État est majoritaire ? Nous ne posons pas la question pour Suez car ce n’est pas le problème du ministre. Nous n’avons pas de réponse à cette question importante.

Une deuxième question concerne le poids de l’action spécifique. Le commissaire chargé du marché unique qui vous a écrit, monsieur le ministre, vous a demandé de préciser plus clairement les actifs qui seront concernés par cette action spécifique, le golden share. Là encore, nous n’avons pas eu de réponse.

Je vous ai également, avec d’autres, demandé lors de mon intervention dans la discussion générale si vous aviez un accord de la Commission européenne pour le fameux tarif de retour. Nous n’avons pas eu de réponse. Pourtant la question est d’importance.

Quatrième question : que vont devenir les fichiers clients d’EDF dans ce dispositif ? EDF-GDF services constitue en effet une entité de gestion commune. Il ne s’agit pas seulement d’une liste de noms. Y figure également la consommation d’énergie mois après mois et année après année des entreprises comme des ménages. C’est une question importante car on ne peut tout de même pas s’approprier, au détour d’une fusion, tout le travail de commercialisation et de relations avec la clientèle effectué par une entreprise publique.

Une cinquième question – je ne les cite pas toutes car Daniel Paul l’a très bien fait – porte sur le coût de la transaction et sur les obligations qui pèseraient sur Gaz de France concernant les centrales nucléaires en Belgique.

Sur tous ces points importants, pas de réponses ! C’est la raison pour laquelle il est indispensable de retourner en commission, afin d’avoir toutes les précisions qui nous manquent et faire ainsi avancer le débat.

Vous voyez que je ne fais pas d’obstruction. Je suis très concret.

Je terminerai sur la question du papier. Nous avons calculé le nombre de pages de publicité imprimées dans les journaux pour faire la promotion de cette opération : nous en sommes aujourd’hui à à peu près cent millions de pages de format A4.

Je pose donc la question à tous mes collègues : qui bloque la démocratie ? Qui donne les mêmes moyens aux syndicats, qui sont tous opposés à cette opération ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Personne !

Je le dis donc très solennellement : face au pouvoir de la pub, nous opposons le droit à la parole ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.-Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre-Louis Fagniez. Vous n’êtes pas nombreux à la prendre, la parole !

M. Guy Geoffroy. Nous sommes vendredi : peu de membres de l’opposition sont présents !

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Maxime Gremetz. Peut-on dire que la commission chargée d’étudier le présent texte a travaillé moins ou moins bien que d’autres commissions ? Daniel Paul me répond que non.

M. Jean-Marc Nudant. Comme avec Lajoinie ! Nous l’avons vu à l’œuvre lorsqu’il était président de la commission !

M. Maxime Gremetz. Le problème, ce n’est pas le travail de la commission, mais le fait que nous ne disposions pas de certains éléments que vous n’aviez pas non plus : en particulier, nous n’avons pas pu discuter de la lettre de griefs. Quelle sera la réponse du Gouvernement aux questions de Bruxelles ? Nous n’en savons rien.

Compte tenu de l’enjeu de l’opération, certains pensent qu’il s’agit de corporatisme. Non. Pour nous, elle constitue en réalité un nouveau projet de société puisque les services publics, les entreprises publiques sont remis en cause.

Il suffit de voir ce qui se passe lorsque c’est la rentabilité financière qui domine pour des ressources qui, c’est le moins que l’on puisse dire, ne sont pas courantes et qui engagent l’indépendance énergétique d’un pays. Ce sont des questions aussi importantes que celles du nucléaire, de l’environnement, de l’eau qui sont concernées.

M. Pierre-Louis Fagniez. Autant qu’il n’y ait pas d’eau dans le gaz ! (Sourires.)

M. Maxime Gremetz. Aujourd’hui, vous dites qu’il ne s’agit pas de Suez mais de GDF. Mais les motivations du présent texte – et vous n’avez pas manqué de le dire – c’est qu’il faut à tout prix privatiser GDF pour aller chercher un électricien, et surtout un financier. Voilà le fond de l’affaire.

Je vais vous rafraîchir un peu la mémoire.

J’ai écouté toutes les interventions. J’ai beaucoup apprécié celle de M. Couanau. Je n’ai pas manqué de noter la diversité des opinions exprimées au sein de la majorité. J’ai relevé de nouveaux arguments et constaté également beaucoup d’inquiétude.

J’ai aussi beaucoup lu M. Paillé. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) L’avez-vous donc, parce qu’il ne dit pas comme vous, déjà exclu ? Vous êtes pire que chez nous, car moi, je ne suis pas encore exclu ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je peux même prendre la parole au nom de mes camarades !

Je vais vous rappeler certaines choses que vous avez certainement oubliées mais qui, à moi, posent un vrai problème.

J’ai relu toutes les déclarations de M. Sarkozy. C’est impressionnant pour un ministre d’État, qui engage le gouvernement de la France ! Ce n’est même plus une contradiction, c’est un revirement total, global, et chez un homme qui prétend diriger la France !

Je rappellerai tout d’abord l’engagement solennel qu’il a pris au nom de la France à ce que la participation de l’État à GDF ne soit pas inférieure à 70 %. Jamais, avait-il déclaré, GDF ne sera privatisé ! Il faut le faire ! Et cela de la part d’un ministre d’État, qui engage la France et même le Président de la République ! Aujourd’hui, il accepte que la participation de l’État ne soit plus que de 34 % !

M. Serge Poignant. Il y en a eu d’autres avant lui !

M. Pierre-Louis Fagniez. La situation a évolué depuis deux ans !

M. Maxime Gremetz. Il faudra que vous m’expliquiez comment vous avez réussi à le convaincre de changer d’avis car il avait également dit qu’il fallait envisager la nationalisation d’EDF et de GDF. Avez-vous vous vu cette déclaration ? Je vous la donnerai car, à ce qu’il semble, vous ne lisez pas tout.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous êtes donc favorable au texte, monsieur Gremetz. Monsieur le président, veuillez le noter je vous prie !

M. Maxime Gremetz. Il parle souvent, c’est vrai. Il a fait 400 discours en peu de temps. Mais, quand on parle beaucoup, mieux vaut se répéter que se contredire.

Si nous avions parlé de nationalisation, que n’aurions-nous pas entendu ? Nous aurions été accusés de vouloir tout étatiser.

M. Serge Poignant. Cela n’a rien à voir !

M. Maxime Gremetz. À Sarkozy, personne n’a rien dit ! Vous l’écoutez bouche bée !

Troisième déclaration : il faut utiliser la complémentarité entre GDF et EDF, pour aller vers un grand pôle public de l’énergie.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Les cinq minutes sont dépassées, monsieur le président !

M. le président. Je vous remercie, monsieur Gremetz !

M. Maxime Gremetz. Attendez ! Je n’ai pas encore épuisé mon temps de parole.

M. le président. Vous l’avez dépassé, monsieur Gremetz !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Le moment est venu de passer au vote !

M. Maxime Gremetz. Vous n’aimez donc pas, monsieur le président, que je rappelle certaines déclarations de M. Sarkozy…

M. le président. Je vous indique simplement que votre temps de parole est écoulé. Veuillez conclure, monsieur Gremetz !

M. Maxime Gremetz. Je termine, monsieur le président.

Comme les 143 000 amendements, la proposition de renvoi en commission se justifie par…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Il recommence ! Ce n’est pas acceptable !

M. Maxime Gremetz. Si, devant un tel enjeu, le Gouvernement avait organisé un grand débat national, (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire)…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ce n’est pas acceptable, monsieur le président !

M. Maxime Gremetz. …vous aviez envisagé comme nous le proposons et comme les organisations syndicales ont eu le courage de le faire, …

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. M. Gremetz pouvait s’inscrire dans la discussion générale, monsieur le président. Il ne l’a pas fait ! Je demande qu’on passe au vote !

M. Maxime Gremetz. …une consultation sur ce qui est en fait une grande question de société, nous ne serions pas dans la situation présente.

M. le président. Je vais maintenant passer au vote, monsieur Gremetz !

M. Maxime Gremetz. C’est pourquoi nous proposons d’entendre M. Sarkozy… (M. le président interrompt l’orateur.)

M. le président. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour des prochaines séances

M. le président. Lundi 11 septembre 2006, à quinze heures, première séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 3201, relatif au secteur de l’énergie :

Rapport, n° 3278, de M. Jean-Claude Lenoir, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,

Avis, n° 3277, de M. Hervé Novelli, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures.)