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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du lundi 11 septembre 2006

7e séance de la session extraordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. YVES BUR,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures.)

énergie

Suite de la discussion,
après déclaration d’urgence,
d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au secteur de l’énergie (nos 3201, 3278).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Cet après-midi, l’Assemblée a commencé l’examen des articles, s’arrêtant aux amendements nos 1962 à 1994, portant article additionnel avant l’article 1er.

M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre délégué à l’industrie, rien ne va plus dans notre pays depuis que vous êtes au pouvoir. La Poste, notamment, marche de plus en plus mal : je n’ai reçu qu’aujourd'hui la lettre que M. Jean-Louis Debré nous a adressée le 31 août et dans laquelle il dramatise une situation pourtant banale, puisque nous sommes ici pour discuter d’un texte extrêmement important.

Connaissant comme vous tous la sagesse du président de notre assemblée, je ne comprends pas qu’il puisse se fourvoyer au point de nous écrire : « Je ne suis pas certain que les Français attendent de vous que vous paralysiez le bon fonctionnement du Parlement. » Ce n’est nullement de cela qu’il s’agit, mais de sauver un service public essentiel, qui distribue le gaz, un produit vital au même titre que l’électricité ou l’eau. Disposer du gaz est un droit.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Nous n’avons pas dit autre chose cet après-midi, mais vous n’étiez pas là pour nous écouter !

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Il fallait venir en séance, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président Ollier, le bon déroulement de nos travaux exige que nous en sachions plus : contrairement à ce qui a été dit, il se pourrait que demain le gaz arrivant dans nos cuisinières fasse l’objet d’une OPA, de la part de Gazprom par exemple.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Vous avez peur d’une attaque des Russes ?

M. Jean-Pierre Brard. On a vu comment cette société a traité la Lituanie, l’Estonie et d’autres États !

C’est donc une bataille essentielle que nous menons pour préserver un bien national que vous apprêtez à brader, monsieur le ministre. Dès lors qu’il s’agit de défendre la France et les Français, on ne saurait, comme l’a dit M. Breton au Grand Jury, avec son humilité et sa modestie habituelles,…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’en est assez, monsieur le président !

M. Jean-Pierre Brard. Je vois que vous opinez, monsieur Loos : il est vrai que vous le fréquentez au moins tous les mercredis au conseil des ministres, et je comprends qu’il vous irrite… (Sourires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Cela suffit, monsieur le président !

M. Jean-Pierre Brard. Nous, nous défendons un droit vital pour les Français : garder la maîtrise du gaz, et non le bazarder. Nous, nous défendons la France ! Nous, nous sommes des patriotes ! (« Nous aussi ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous gardons la maîtrise du gaz ! Nous l’avons encore démontré cet après-midi, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Nous ne sommes pas, comme M. Breton, des fossoyeurs de la nation et de ses intérêts. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je pense donc que la lettre de M. Debré mérite une explication de texte. Notre président est d’habitude plus avisé quant à la façon d’organiser les débats de l’Assemblée ! Le contresens qu’il a commis justifierait sans doute que nous suspendions la séance un peu plus tard de la soirée pour qu’il vienne s’expliquer. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dois-je vous rappeler, monsieur Brard, qu’un rappel au règlement se rapporte en principe au déroulement de la séance…

M. Jean-Pierre Brard. De quoi ai-je parlé, sinon de cela ?

M. le président. …et ne peut consister en une intervention d’ordre général ?

Nous allons maintenant poursuivre l’examen des amendements avant l’article 1er.

Avant l’article 1er (suite)

M. le président. Je suis saisi d’une série d’amendements identiques, nos 1962 à 1994, portant article additionnel avant l’article 1er.

Je constate que M. Migaud n’est pas présent pour soutenir l’amendement n° 1962.

La parole est à M. Christian Bataille, pour soutenir l’amendement n° 1963.

M. Christian Bataille. Cet amendement tend à préciser que « le service public de l’énergie garantit une prestation à long terme ». Énergie et long terme sont en effet deux notions complémentaires. Nous l’avons constaté lors de la discussion d’autres projets de loi : comme le disent aussi bien les physiciens que les historiens, la période, en matière d’énergie, doit correspondre à une cinquantaine d’années. C’est précisément ce qu’on appelle le long terme, dont le projet gouvernemental ne tient pas compte.

Notre malheureux xxe siècle a été dominé par divers régimes autoritaires, totalitaires,…

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Communistes !

M. Christian Bataille. …en tout cas par des régimes mécanistes qui tentaient d’infléchir la réalité. L’époque moderne, avec ce que d’aucuns appellent la social-démocratie, essaie d’inventer d’autres mécanismes correcteurs : des mécanismes de solidarité sociale, que nous évoquons souvent dans cette enceinte, mais aussi des mécanismes de solidarité sur le long terme. Le long terme possède en effet une vertu correctrice, tandis qu’en choisissant le court terme, monsieur le ministre, vous choisissez le marché, ses injustices, ses brutalités, ses mouvements en accordéon.

On peut corriger de tels effets du court terme. C’est ce que nous avions essayé de le faire il y a quelques années au moyen d’un dispositif portant sur la fiscalité du pétrole : la TIPP flottante. Vous avez préféré en revenir aux variations brutales du marché, si bien que le consommateur constate à la pompe, au jour le jour, les effets des conflits mondiaux dans leur brutalité.

Cet amendement vise donc le long terme – la planification, diront certains, et ce n’est pas un gros mot, après tout : le président de notre commission n’est-il pas lui-même un adepte et un héritier de « l’ardente obligation du Plan » du général de Gaulle ? Le Plan est un mécanisme qui permet de corriger les injustices. En proposant de garantir une prestation à long terme, nous voulons assurer au consommateur un prix qui ne répercute pas les mouvements brutaux du marché mondial. Contrairement à ce qui a été dit, le prix du gaz n’est pas seulement le reflet du marché mondial, de ses tensions et de ses conflits. Si de telles fluctuations jouent, la prise en compte du long terme dans la fixation des prix permet de les atténuer et d’instaurer une solidarité envers le consommateur.

Aussi regrettons-nous que la commission ait rejeté brutalement ces amendements, comme tous ceux que l’opposition a présentés. Il n’est cependant pas trop tard pour y réfléchir de façon plus approfondie et pour en comprendre la justesse.

M. Jean-Marc Ayrault et M. Jean-Yves Le Déaut. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert, pour soutenir l’amendement n° 1964.

M. Jean Gaubert. Ne disposant que de cinq minutes chacun, nous nous efforçons d’être complémentaires. Christian Bataille vient d’insister sur la nécessité de garantir au consommateur le prix le plus proche possible du prix de revient. Le système libéral-capitaliste, fondé avant tout sur la recherche du profit, en est incapable.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Ce système dure pourtant depuis un certain temps !

M. Jean-Pierre Brard. Depuis deux siècles, monsieur Novelli, et il est temps que cela change !

M. Jean Gaubert. Le profit immédiat, cher monsieur Novelli, se marie très mal avec les politiques énergétiques. S’il est un secteur où l’investissement doit être de long terme, c’est bien celui de l’énergie ! Aurions-nous construit les centrales nucléaires – au grand regret de certains, d’ailleurs…

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Croyez-vous qu’aux États-Unis les centrales relèvent du secteur public ?

M. Jean Gaubert. Non, monsieur Novelli, et c’est d’ailleurs pour cette raison que l’on a cessé d’en construire depuis un certain temps.

M. Jean-Pierre Brard. Cela explique aussi le rayonnement de l’Amérique ! (Sourires.)

M. Jean Gaubert. En outre, si la Californie a connu des difficultés, c’est que l’on n’a plus investi dans les réseaux…

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Et Tchernobyl ?

M. Jean Gaubert. Si vous me coupez sans cesse la parole, monsieur Novelli…

M. le président. J’en appelle au fair-play qui a prévalu lors de la séance de cet après-midi, mes chers collègues. En laissant les orateurs s’exprimer, nous pourrons avancer – lentement, certes, mais avancer quand même ! Vous seul avez la parole, monsieur Gaubert.

M. Jean Gaubert. Je ne demande pas mieux que d’avancer, monsieur le président !

J’expliquais à M. Novelli que la privatisation des réseaux aux États-Unis était à l’origine de la situation dans laquelle la Californie s’est trouvée. À l’évidence, aucun investisseur privé ne peut accepter que l’argent qu’il place dans une entreprise ne rapporte qu’à échéance de quarante ans.

M. Michel Piron. Ce n’est pas si sûr !

M. Jean Gaubert. Or, non seulement les retours des investissements que nous devons réaliser en matière d’énergie sont longs, mais ils ne sont pas complètement assurés. Aujourd'hui, on veut au contraire des retours courts et assurés à hauteur de 15, 20 ou même 25 % ! Le privé ne peut donc pas garantir la sécurité d’approvisionnement, ni un niveau de prix acceptable pour le consommateur. Il a même intérêt à ne pas garantir la sécurité d’approvisionnement pour que le consommateur paie plus cher un produit rendu plus rare ! Si l’on confie au privé le financement et la gestion de ce type d’équipements, le consommateur paiera très cher les choix qui seront effectués.

M. le président. Je constate que M. Ducout n’est pas présent pour soutenir l’amendement n° 1965.

La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, pour soutenir l’amendement n° 1966.

M. Jean-Yves Le Déaut. « Le service public de l’énergie garantit une prestation à long terme » : cet amendement se justifie par son texte même ! Nul n’ignore que tous les pays qui ont procédé à des privatisations sauvages dans le domaine de l’énergie ont eu des difficultés. On a rappelé New York plongée dans l’obscurité ou, Jean Gaubert vient de l’évoquer, la Californie privée de courant. D’ailleurs, connaissez-vous l’énoncé de l’équation californienne ? P + E = PE, privatisation plus éolienne égale pénurie d’électricité ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. C’est intéressant !

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. C’est un raccourci !

M. Jean-Yves Le Déaut. Mais il est très juste. Et Jean-Claude Lenoir, qui n’est pas très à l’aise, partage, je le sais, notre analyse.

M. Jean-Pierre Brard. Au fond de lui-même !

M. Jean-Yves Le Déaut. Le manque d’interconnexions des réseaux – le chacun pour soi obligé dans le libéralisme sauvage ! – et la politique énergétique à courte vue, contraire à celle poursuivie par l’État, ne permettent pas d’agir dans l’intérêt général puisque l’on veut, au jour le jour, tirer les dividendes et toucher l’argent des investissements, souvent d’ailleurs réalisés par d’autres.

Aujourd’hui, tant sur le gaz que sur l’électricité, nous avons l’ardente nécessité d’anticiper. Savez-vous que l’augmentation du prix du pétrole actuelle est due, certes, à une demande très forte, mais aussi au manque d’investissements – qui représentent des milliards – dans les capacités de raffinage au niveau mondial ? Dans un système totalement privatisé, on peut se demander si de tels investissements seront consentis pour faire face à la demande et garantir l’indépendance énergétique.

Au-delà de la privatisation de Gaz de France pour opérer un mauvais mariage avec Suez, sans conduite par l’État d’une politique énergétique à long terme avec des orientations stratégiques, on se retrouvera dans quelques années face à de grosses difficultés. Il en est de même, d’ailleurs, s’agissant du réchauffement climatique : les pays européens mènent aujourd’hui la politique de l’autruche sans voir ce qui est en train de se passer au niveau mondial.

M. Jean-Pierre Brard. Et ne parlons pas des États-Unis !

M. Jean-Yves Le Déaut. Du gouvernement fédéral surtout, car certains États commencent à s’en préoccuper. Même la Californie de Schwartzie ! (Sourires.)

Tous ces exemples montrent que s’engager dans la voie de la libéralisation totale, comme certains de nos collègues de la majorité le souhaitent, c’est renoncer à une politique à long terme, donc à une bonne politique énergétique.

M. Jean-Marc Ayrault. Très bien !

M. le président. La parole est à M. David Habib, pour soutenir l’amendement n° 1967.

M. David Habib. Depuis cinquante ans, notre modèle s’inscrit dans la recherche d’une continuité du service et de la qualité de la fourniture. Il correspond à une vision à moyen et à long terme, qui a recueilli un large consensus dans le pays, et dont témoignent les investissements consentis en matière d’électricité nucléaire sur une période de quarante ans à quarante-cinq ans. Il en va de même pour le gaz. Tous les présidents qui sont venus devant la commission ont développé – argument qui se retourne contre eux – la nécessité d’un effet de taille pour pouvoir mener à bien des investissements lourds permettant d’assurer aux consommateurs de notre pays une fourniture de gaz de qualité. Dans le même temps, ils admettaient qu’ils avaient des difficultés à honorer ce type de travaux, notamment du fait des marchés.

Jean-Yves Le Déaut vient de parler du raffinage. En la matière, il suffit de comparer la structure de l’investissement du groupe Elf lorsqu’il était public avec celle du groupe Total entre l’ouverture du capital d’Elf et l’OPE entre les deux groupes : il est évident que les capacités de raffinage du nouvel ensemble proviennent du groupe Elf. Les investissements initiés par l’État lui permettaient, en effet, d’avoir une structure à moyen et à long terme pour assurer une bonne prestation. Et l’on pourrait multiplier les exemples à l’envi, dans la filière gaz aussi.

Les schémas d’investissements de Suez et de Gaz de France laissent apparaître, de la part de GDF, un choix fort, encouragé par la puissance publique, y compris par les gouvernements de droite,…

M. Jean-Yves Le Déaut. Eh oui !

M. David Habib. …d’inscrire dans le temps les investissements nécessaires. Il n’en va pas de même pour Suez.

Vous ne niez pas, je suppose, que l’énergie nécessite une prestation à long terme. Ou alors, vous devrez vous en expliquer devant l’opinion publique. Dès lors, cet amendement déposé par le groupe socialiste pour éclairer la représentation nationale devrait emporter l’adhésion de l’ensemble de ses membres. Le contrat social, qui lie le service public de l’énergie et les citoyens de ce pays, commande de rappeler, dans une déclaration de principe, que le service public de l’énergie ne peut pas s’entendre dans une vision libérale, marchande et de court terme, et qu’il ne peut pas être soumis aux aléas des marchés.

Le groupe socialiste tient absolument à cette notion de long terme et souhaite avoir, en la matière, le débat le plus riche possible. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour soutenir l’amendement n° 1968.

M. François Brottes. Jean-Yves Le Déaut vous a présenté l’équation californienne et la filière éolienne. Pour ma part, je vous proposerai « l’équation sarkozienne », fondée sur la filière girouette : P + G = R, privatisation plus girouette égale reniement, ou rupture, selon le cas. (Sourires.)

Pour revenir à l’amendement, l’inscription du long terme dans la loi s’impose d’autant plus qu’il est l’ennemi de l’investissement privé. Les boursicoteurs de tout poil, en quête de profits immédiats, n’ont aucun intérêt à investir dans des opérations rentables au bout de très longues années seulement. Or l’énergie, par essence – pardon pour ce jeu de mots –, implique de lourds investissements. La garantie d’une prestation à long terme doit être complètement attachée à la notion de service public de l’énergie, toutes les parties intéressées à l’activité énergétique en ont besoin : les collectivités territoriales, qui sont des autorités concédantes, pour leurs infrastructures qui ne sont pas des investissements que l’on décide à la légère ; les industriels, surtout les gros, pour avoir une visibilité à long terme qui ne soit pas troublée par les mouvements de yo-yo des prix de l’énergie ; les ménages, qui doivent aussi avoir des garanties sur les prix.

Voilà ce que nous entendons par « service public de l’énergie » : une fourniture pour tout le monde, tout le temps, à égalité d’accès et de service rendu, et pour longtemps.

Pourquoi tenons-nous tant à l’affirmer dans la loi, même si le rapporteur ne manquera pas de rappeler que c’est inscrit quelque part dans celle de 2005 ? Sachant maintenant que je ne m’exposerai pas à des poursuites pénales, je peux vous lire un passage non noirci de la lettre de griefs, qui est à la disposition de tous : « La Commission européenne estime que l’accès au marché français est entravé par des barrières à l’entrée, résultant des difficultés d’accéder au gaz autrement que par des contrats long terme. » La notion même de fourniture à long terme est donc contestée aujourd’hui dans ces remarques fortes.

Si la majorité ne vote pas cet amendement avec nous, au moins expliquez-nous, monsieur le ministre, comment vous allez convaincre la Commission que les contrats de long terme sont une exigence de nos industries, de nos producteurs d’énergie et de l’ensemble des ménages. Sur ce point, comme sur d’autres, nous souhaitons la clarté, car, pour nous, cette impérieuse nécessité de conserver une perspective de long terme en matière de contrat pour l’énergie doit être affirmée dans la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Je constate que M. Bonrepaux n’est pas présent pour soutenir l’amendement n° 1969.

La parole est à M. Jean-Marie Aubron, pour défendre l’amendement n° 1970.

M. Jean-Marie Aubron. Cet amendement est défendu !

M. le président. Je constate que M. Balligand, M. Bascou, M. Besson, M. Bono, M. Cohen, Mme Darciaux, M. Dehoux, M. Dosé, M. Dumas, M. Dumont, M. Emmanuelli, Mme Gaillard, Mme Génisson, M. Gorce, M. Gouriou, M. Jung et M. Lambert ne sont pas présents pour soutenir leurs amendements identiques.

La parole est à M. Jean Launay, pour soutenir l’amendement n° 1989.

M. Jean Launay. Christian Bataille l’a excellemment dit, long terme et énergie sont deux notions complémentaires, que l’on ne peut dissocier et desquelles d’autres questions découlent, comme la durée des réserves en énergies fossiles.

Le choix du marché est celui du court terme. C’est celui que vous faites, en dépit de la loi d’orientation sur l’énergie du 13 juillet 2005, dont vous oubliez déjà les principes fondateurs. Nous vous posons des questions simples et directes sur le long terme ; vous vous arc-boutez sur les dispositions permettant la fusion entre Suez et GDF.

La puissance publique ne peut se désengager de la stratégie énergétique et laisser aux seuls groupes industriels privés cotés en bourse la conduite de la politique énergétique nationale ou européenne. D’ailleurs, les représentants de la fédération CFE-CGC des industries électrique et gazière ne disent rien d’autre : « Pas plus Suez que GDF ne dispose de ressources suffisantes dans les gisements gaziers alors que c’est dans ce domaine que résident les enjeux stratégiques pour l’avenir énergétique de la France et de l’Europe. L’avantage lié aux flottes de gaz naturel liquéfié n’est pas suffisant pour échapper à la dépendance à l’égard des producteurs mondiaux de gaz. Les négociations impliqueront donc encore les diplomaties des États, voire de la Communauté européenne. » Si nous ne sommes pas là dans le long terme, je n’ai pas tout compris ! Dans ce domaine, notre pays ne doit pas perdre sa capacité à s’affirmer.

M. le président. Je constate que Mme Lebranchu, M. Nayrou et Mme Saugues ne sont pas présents pour soutenir leurs amendements identiques.

La parole est à M. Philippe Tourtelier, pour soutenir l’amendement n° 1993.

M. Philippe Tourtelier. Lors de l’examen des amendements relatifs aux consommateurs, nous avons eu un mini-débat sur le thème : « L’entreprise est-elle citoyenne ? » Je ne vais pas revenir sur la question, mais force est de constater que les entreprises avec un actionnariat privé fort, comme celles qui nous occupent dans ce débat, ne sont pas citoyennes. Comment le seraient-elles puisque leur intérêt est d’abord celui des actionnaires et non l’intérêt général ? Comment imaginer qu’un fonds de pension, souvent international, puisse prendre en compte l’intérêt national ou celui des consommateurs ? Or le capital de Suez est déjà détenu à 30 % par des fonds de pension.

Qu’est-ce qui intéresse les fonds de pension et les actionnaires ? Le temps de retour, c’est-à-dire de rentabilité, par rapport aux investissements.

Lorsque M. Mestrallet a été entendu par notre commission, un collègue de l’UMP, que je ne nommerai pas car il est absent ce soir, a voulu savoir « comment le nouveau groupe, contraint de réaliser des investissements considérables à cinquante ans, parviendrait à rémunérer ses actionnaires à six mois ». Pour avoir relu en entier le compte rendu, je puis dire que c’est une des seules questions à laquelle M. Mestrallet n’a pas répondu.

Nous n’avons donc aucune sécurité à long terme pour les approvisionnements, comme cela vient d’être dit. On peut même se demander si les réseaux de distribution qui seront privatisés seront entretenus correctement. Il n’y a qu’à voir ce qui s’est passé en Grande-Bretagne pour le rail, et en Californie pour l’électricité.

Il est donc essentiel de voter l’amendement tendant à affirmer que « le service public de l’énergie garantit une prestation à long terme ». Il faut que l’État assume ses responsabilités, ce qui exclut toute privatisation.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour soutenir l’amendement n° 1994.

M. Jean-Marc Ayrault. Les amendements que le groupe socialiste a déposés et que mes collègues ont défendus les uns après les autres tendent à inscrire dans la loi que « le service public de l’énergie garantit une prestation à long terme ».

Ce qui se passe depuis cet après-midi, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues de la majorité comme de l’opposition, démontre à l’évidence que le procès qui a été fait à l’opposition – et une dépêche de l’UMP de treize heures trente accusait encore les membres de celle-ci de se comporter en flibustiers (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) – est un faux procès. Ce que nous sommes en train de faire est un acte éminemment politique, qui montre que nous souhaitons un débat de fond. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Ce débat est nécessaire parce qu’il intéresse tous les Français.

J’ai pris le temps – même si cela était parfois fastidieux – d’écouter hier l’interview du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, M. Thierry Breton – qui était présent dans cet hémicycle dans le courant de l’après-midi – et qui a repris, au fond, les mêmes arguments que le président de l’UMP la semaine dernière, M. Bernard Accoyer.

M. Jean-Marie Geveaux. C’est plutôt rassurant, non ?

M. Jean-Marc Ayrault. Il a clairement dit qu’il ne savait pas si la fusion GDF-Suez se ferait ! Ce qui est uniquement à l’ordre du jour, en effet, c’est la privatisation de Gaz de France. C’est pourquoi, dans notre amendement, il est proposé de rappeler que le service public de l’énergie, et notamment celui du gaz, garantit une prestation à long terme. Et c’est bien là le fond du débat.

Le Gouvernement et sa majorité nous réunissent pour privatiser Gaz de France. Eh bien, nous ne cesserons pas de répéter jour après jour que c’est un acte qui va à l’encontre de l’intérêt de la nation. Nous ne pouvons pas laisser passer cela sans attirer l’attention, chaque jour qui passe, de nos concitoyens.

Si nous le faisons, c’est parce que nous pensons que vous avez créé la confusion. En effet, qu’a annoncé, le 25 février dernier, le Premier ministre sur le perron de Matignon ? Il a déclaré que la réponse, pour faire face à une OPA d’un groupe italien sur Suez, était le patriotisme économique sous la forme d’une fusion entre Gaz de France et Suez. Il a présenté celle-ci comme un acte éminemment national, mais – nous l’avons maintenant compris – celui-ci passe par un acte essentiel qui est la privatisation de GDF – c’est le seul auquel vous avez invité l’Assemblée nationale –, sans être sûrs du résultat puisque vous l’affichez comme une orientation de politique industrielle.

Au fur et à mesure que les jours passent, le doute s’installe dans les esprits sur la pertinence de l’alliance entre GDF et Suez et sur ses conséquences. Vous ne savez pas où vous allez car, non seulement vous n’aurez pas la réponse de la Commission européenne – la lettre de griefs l’indique très clairement –, mais encore vous ne savez pas vers quel choix industriel vous orienter. Le vote que le Gouvernement demande à l’Assemblée nationale et à sa propre majorité concerne purement et simplement la privatisation de Gaz de France.

Vous avez ironisé sur les citoyens-consommateurs-usagers. Oui, ce sont des consommateurs et des usagers, mais ce sont aussi des citoyens qui votent, qui réfléchissent et qui pensent à l’intérêt à long terme de leur pays – je l’ai encore vérifié ces derniers jours et notamment durant le week-end.

Sur l’estuaire de la Loire dans le département de Loire-Atlantique, est implanté le terminal méthanier de Montoire. Quand j’explique à mes électeurs, comme aux électeurs de la majorité, de mon département, qu’il fait partie du patrimoine de Gaz de France et que, demain, il sera privatisé, je puis vous dire que cela leur fait un choc. Personne n’avait fait le lien. Or, à la lecture de la note de synthèse de la lettre de griefs, je constate que la Commission européenne doute même, s’il y a fusion entre GDF et Suez – fusion qui n’est encore qu’hypothétique –, que ce terminal reste dans les actifs de GDF-Suez.

M. Serge Poignant. C’est une affirmation gratuite !

M. Jean-Marc Ayrault. Quand on prend des exemples, les citoyens-consommateurs-usagers comprennent et se posent des questions, parce que c’est leur intérêt – et celui du pays.

Cela signifie que l’intérêt à long terme qui a guidé un gouvernement qui n’était pas de gauche – puisque c’était sous la présidence de M. Giscard d’Estaing – à investir dans un terminal méthanier dans l’estuaire de la Loire – lequel a été un élément déterminant pour le développement du port de Nantes-Saint-Nazaire et pour l’acheminement du gaz dans notre pays – serait remis en cause. On ne sait pas ce que demain réserve à ce terminal. En tout état de cause, pour des raisons de marché mondial, peut-être qu’un jour un groupe industriel qui en serait propriétaire ne le jugerait plus suffisamment rentable à court terme et déciderait de le fermer.

Ce sont de telles questions que beaucoup de gens commencent à se poser. Je vous le dis franchement, monsieur le président : si nous avons déposé autant d’amendements, c’est pour avoir ce débat et non pas pour bloquer celui-ci. D’ailleurs, vous avez vu que, depuis cet après-midi – et je vous remercie pour la manière sereine, propice aux échanges, dont vous présidez – nous nous employons à poser les vraies questions.

Ce sont les questions que les Français se posent parce que nous les aidons – c’est notre devoir de parlementaires – à se les poser.

Je suis sûr que l’intérêt national, le fameux patriotisme économique du Gouvernement, n’anime pas que l’opposition, mais également certains députés de l’UMP qui se demandent aujourd’hui s’ils ne sont pas en train de se tromper de route.

Nous n’aurons de cesse – puisque nous ne sommes qu’au début de l’examen du projet – de rappeler que, pour nous, « le service public de l’énergie garantit une prestation à long terme ». Cela signifie, en particulier, que des infrastructures comme les terminaux méthaniers ne peuvent pas être laissés au marché mais qu’ils doivent faire partie du patrimoine national. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, pour donner l'avis de la commission sur les amendements qui viennent d’être défendus.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. La commission a émis un avis défavorable sur ces amendements identiques.

Leur texte, il faut le dire très clairement, n’a aucune portée. Ce ne sont, une fois de plus, que des mots.

M. Jean-Marc Ayrault. Vous pourriez répondre sur le fond !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je mets en garde les personnes qui se laisseraient impressionner par le déferlement d’interventions auquel nous avons assisté – et auquel le président du groupe socialiste a joint sa voix – : en réalité, tout cela a une signification.

L’un de nos collègues, qui est absent ce soir, nous disait cet après-midi avoir fait, pendant le week-end, les marchés.

M. Jean-Pierre Brard. Vous, vous n’osez plus !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Les échos qu’il en a ramenés nous ont beaucoup étonnés. Des Françaises et des Français lui ont exprimé plus que leur lassitude – leur étonnement, leur irritation parfois – de voir la mécanique parlementaire bloquée par l’opposition socialiste du fait du nombre des amendements déposés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Pierre Brard. Vous allez trop sur les marchés du 16e arrondissement !

M. François Brottes. Répondez sur le fond !

M. André Gerin. Quel mépris pour l’Assemblée nationale !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Il y a là, bien au-delà des clivages traditionnels entre ce qu’il est convenu d’appeler la gauche et la droite, une manifestation d’humeur très forte, qui a été également perçue, dans un moment de lucidité, par nos collègues de l’opposition.

M. Christian Bataille. Nous verrons cela l’année prochaine !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Aujourd’hui, ils s’emploient à nous expliquer qu’ils ne sont pour rien dans cette manœuvre d’obstruction et que, s’il y a des retards, ce n’est pas de leur fait, mais parce qu’ils sont porteurs d’un certain nombre de préoccupations. En réalité, ils se sont employés à organiser une obstruction et ne savent plus comment faire pour se sortir du piège qu’ils ont eux-mêmes tendu. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Les interventions sont proprement inutiles. Nous avons là un exemple – sur lequel nous avons passé entre quarante et quarante-cinq minutes – d’amendements qui n’ont aucune portée et qui ne servent à rien, si ce n’est à bloquer le fonctionnement des institutions démocratiques.

M. François Brottes. Il n’y a aucun argument de fond dans votre réponse, monsieur le rapporteur !

M. Christian Bataille. Ces amendements portent sur le long terme !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je vous invite donc, mes chers collègues, à rejeter avec force non seulement ces amendements, mais également la tentative qui est faite une fois de plus pour empêcher l’institution parlementaire de fonctionner normalement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.– Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Yves Le Déaut. C’est de la provocation !

M. Christian Bataille. Vous refusez le long terme !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie, pour donner l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. Je vais vous apporter quelques éléments de réponse sur le fond…

M. Jean-Pierre Brard. Vous contredisez le rapporteur !

M. le ministre délégué à l’industrie. …parce que je suis, comme vous, très préoccupé par le long terme.

Ce fut un combat de plusieurs années – qui intéressa aussi mes prédécesseurs – que de faire admettre à la Commission européenne la nécessité d’avoir des contrats à long terme. Il est en effet beaucoup plus facile, au nom de la concurrence, de ne demander que des contrats à court terme. Mais il n’est pas possible d’acheter du gaz sans contrat à long terme parce que celui qui le vend a besoin d’investir pour le produire et le livrer.

M. Daniel Paul. Bien sûr !

M. le ministre délégué à l’industrie. Dans le secteur de l’énergie, qu’il s’agisse du gaz ou du pétrole, on ne peut pas fonctionner sans avoir une vision à long terme et sans la mettre en œuvre par des investissements, c’est-à-dire sans prendre des décisions coûteuses et qui engagent le compte d’exploitation sur de nombreuses années.

Le long terme est assurément une donnée essentielle dans le domaine de l’énergie.

C’est également une donnée juridique, inscrite dans l’article 1er de la loi de 2005. Il y est, en effet, indiqué que la politique énergétique vise à contribuer à l’indépendance énergétique nationale et à garantir la sécurité d’approvisionnement.

L’article 2 de cette même loi fixe un objectif de division par quatre des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 passant par une réduction de la consommation des énergies fossiles et donc du gaz : cela entraînera, par an, une réduction de 3 % des émissions de gaz à effet de serre et une amélioration de l’intensité énergétique de 2 %.

Ces contraintes à long terme visent à garantir une efficacité maximale de notre économie, afin que nos entreprises soient capables, dans la compétition internationale, d’être en permanence porteuses des meilleures technologies.

Dans la loi de 2004, nous avons introduit les programmations pluriannuelles pour l’électricité et le gaz. Thierry Breton et moi-même avons essayé de le faire accepter au niveau européen à travers le mémorandum européen sur l’énergie. Nous nous efforçons encore aujourd’hui de convaincre la Commission, mais également nos collègues des vingt-quatre pays européens, d’élaborer le même type de programmation pluriannuelle que nous ! La programmation pluriannuelle des investissements, qui porte sur les dix années à venir et que vous a transmise le Premier ministre garantit que les investissements nécessaires seront réalisés en temps utile par des entreprises privées comme publiques ! Notre dispositif fonctionne !

Quand vous me parlez de « long terme », je suis au diapason. Si GDF possède en effet deux terminaux méthaniers en France, Suez en possède plusieurs dans le monde – en Belgique, en Hollande et ailleurs – et prouve qu’ils peuvent parfaitement fonctionner sans pour autant être publics. La continuité, le long terme peut être assuré par des entreprises à qui l’on impose certaines contraintes.

Ainsi, j’ai récemment imposé, par un arrêté ministériel, le remplacement des fontes grises de tous les réseaux de gaz.

M. Christian Bataille. Très bien !

M. le ministre délégué à l’industrie. Croyez-vous que je n’aurais pas agi de même s’ils avaient été privés ?

M. Christian Bataille. Cela se passerait moins bien !

M. le ministre délégué à l’industrie. C’est une question de sécurité ! Et nous débattons ici sur des questions de sécurité d’approvisionnement de long terme.

En conclusion, si le long terme est indispensable, il est déjà satisfait dans les textes existants. Je ne vois donc pas l’utilité de voter les amendements.

M. le président. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. D’abord, l’opposition n’a pas le privilège exclusif de la vison à long terme. Nous la partageons sur tous les bancs et je n’accepte pas le procès en court terme, si j’ose dire, qui nous est fait de manière permanente !

Ensuite, l’opposition pose un postulat qui me semble pour le moins douteux et selon lequel, a priori, tout intérêt privé ne pourrait être soucieux que du court terme pendant que les pouvoirs publics seraient systématiquement soucieux du long terme ! C’est en effet l’honneur et le rôle de ces derniers de privilégier le long terme, mais la question est de savoir à quel niveau poser la question du pouvoir sur le long terme. Propriété des capitaux ou régulation ? Réglementation partagée à l’échelle européenne parce qu’il s’agit d’enjeux mondiaux, ou constat d’une impuissance nationale par rapport aux problèmes qui nous sont posés ?

Je ne vous soupçonne pas de ne pas être soucieux du long terme, chers collègues de l’opposition. Mais alors, admettez au moins que nous partagions cette préoccupation, même si nous divergeons sur les moyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Chacun d’entre nous, sur tous les bancs de cette assemblée, a reçu un courrier des agents et citoyens actionnaires d’EDF et GDF, ces salariés qui ont cru bien faire en achetant des actions dans le cadre de l’ouverture du capital de ces deux entreprises.

M. Jean Leonetti. Et que faisait Jospin en 2000 ?

M. Daniel Paul. Je lis : « Pour toutes ces raisons, en tant qu’actionnaires de GDF et citoyens, nous refusons d’être grugés par cette loi, nous en appelons solennellement à chaque parlementaire pour qu’il rejette ce projet et nous affirmons que la promesse faite en 2004 de ne pas abaisser la part de l’État dans GDF en dessous de 70 % doit être tenue ! » Telle est la conclusion de cette lettre portant sur le projet de loi sur l’énergie dont nous sommes saisis aujourd’hui.

Ce courrier comporte deux pages d’explications que je vous encourage vraiment à lire. Voici ce que les actionnaires dénoncent sur le sujet qui nous intéresse : « Cette fusion [GDF-Suez] ne sécuriserait en rien les approvisionnements gaziers de la France car, si on peut imaginer que Suez ait quelque compétence dans ce domaine en raison de sa modeste filiale belge, elle est loin d’atteindre celle de GDF, rompue depuis de nombreuses années aux grandes négociations très pointues de contrats d’approvisionnement long terme avec les pays producteurs (Algérie, Norvège, Pays-Bas, Russie). Par ailleurs, quel serait l’ordre de priorités donné par le nouveau groupe dans ses livraisons de gaz, produit stratégique, dans un marché de plus en plus spot (court terme) où, à tout moment, des quantités de gaz naturel peuvent être vendues au plus offrant ? »

C’est vrai, monsieur le ministre : Gaz de France possède deux gros terminaux méthaniers en France ; Suez en a également, mais vous avez cité celui de Zeebrugge en Belgique, et pas celui de Boston aux États-Unis. Or de nombreux observateurs, pas uniquement dans la presse dite « syndicale » ou « de gauche », mais aussi dans la presse économique spécialisée, pas spécialement marquée à gauche, laissent entendre qu’un méthanier au milieu de l’Atlantique peut aller à bâbord comme à tribord : à bâbord du côté de Boston comme à tribord du côté de l’Europe en fonction… du prix qu’on lui offre ! En matière de pétrole et de gaz, vous ne l’ignorez pas, la cargaison change de destination à plusieurs reprises pendant le voyage et les gouvernements n’y peuvent mais, la décision étant prise par la compagnie : la cargaison va à celui qui paie le plus !

M. Jean-Marc Ayrault. Exactement !

M. Daniel Paul. La loi de 2005 prévoyait une politique énergétique soucieuse de la protection du « long-termisme », déclarez-vous, monsieur le ministre, mais vous oubliez une chose : la loi de 2004 – que, pour notre part, nous n’avons pas votée – prévoyait que GDF et EDF étaient des entreprises publiques où l’État détenait 70 % du capital ! Or, une fois ce projet de loi sur l’énergie adopté, la part minimale de l’État dans le capital de GDF tombera à 34 % dans un premier temps. Ensuite, on verra…

M. Jean-Pierre Brard. On a vu ce qui s’est passé pour Renault !

M. Daniel Paul. En plus – mais, monsieur le ministre, ce n’est pas vous qui êtes en cause –, un ministre, ici même, avait proclamé : promis, juré, on ne descendra jamais en dessous de 70 % ! Pourtant, aujourd’hui, un autre nous affirme : promis, juré, on ne descendra jamais en dessous de 34 % ! Comment pourrions-nous vous croire plus aujourd’hui qu’hier ? Chat échaudé…

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui !

M. Daniel Paul. L’autosuffisance énergétique au niveau européen consisterait à faire en sorte que tous les pays soient autosuffisants soit grâce aux ressources de leur propre sol,…

M. Michel Piron. Ce n’est pas le cas !

M. Daniel Paul. …soit parce qu’ils s’approvisionnent sans avoir obligatoirement à compter sur leurs voisins pour leur fournir de l’énergie.

Comme je l’ai dit en début de séance, la responsabilité serait d’attendre la réponse de la Commission européenne sur ses futures exigences à l’égard du groupe que vous voulez créer.

La responsabilité serait également d’attendre de connaître ce que j’appelle les prétentions des actionnaires. La lettre que vous et nous avons reçue du syndicat CGC de GDF, dévoile que la fusion entre les deux opérateurs pourrait pousser les actionnaires de Suez à rompre la parité des actions, telle qu’elle est prévue actuellement. Pour chaque euro gagné par action, le coût pour GDF serait de 1,3 milliard d’euros ! Avec la parité remise en cause, le coût s’élèverait à 5,2 milliards d’euros ! La CGC m’a confirmé l’exactitude de ces chiffres. Monsieur le ministre, les confirmez-vous ou les infirmez-vous ?

M. le président. Monsieur Paul, il vous faut conclure ! Si chacun dépasse son temps de parole d’une minute, il nous faudra des centaines d’heures de débat supplémentaires !

M. Jean-Pierre Brard. Mais ce que dit notre collègue est intéressant !

M. Daniel Paul. La responsabilité consisterait en outre à faire en sorte que l’on privilégiât les contrats de long terme. Or la Commission européenne elle-même prévoit le remplacement progressif des contrats de long terme par des contrats de court terme, des contrats spot, parce que c’est cela qui est juteux dans l’opération !

M. le président. Concluez, monsieur Paul !

M. Daniel Paul. Bref, il est de notre responsabilité d’informer nos concitoyens de ce qui est en train de se passer, en leur expliquant que les réseaux de distribution et de transport sont sur la sellette et que la politique énergétique, qui a assis l’indépendance énergétique de la France pendant des années, s’apprête à être jetée aux orties ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. André Gerin. M. Paul a raison !

M. André Chassaigne. La majorité le sait bien !

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Je tiens à exprimer solennellement notre indignation à l’égard des propos du rapporteur Jean-Claude Lenoir dans sa réponse à notre amendement : il est inacceptable de considérer que les questions que nous posons sont inutiles.

Nos interrogations justifient totalement ce débat. Je veux remercier M. le ministre, mais aussi notre collègue Michel Piron d’avoir bien voulu entrer dans le débat de manière honnête et sincère. Nous essayons d’expliquer la nécessité de ce débat car nous voulons savoir ce qu’il adviendra des terminaux méthaniers et des contrats de long terme qui sont sur la sellette ! Les signataires de contrats de long terme sont en droit de savoir si, en fonction des accords passés dans le cadre de la fusion, ces contrats seront pérennisés ou pas ! La question se pose réellement pour les infrastructures et le stockage.

Dans sa lettre de griefs, la Commission passe en revue la quasi-totalité des actifs et il faudra bien falloir qu’à un moment ou à un autre les choses nous soient précisées.

Notre amendement sur une prestation à long terme n’est ni neutre ni futile, monsieur le rapporteur, et j’espère vous entendre retirer vos propos en vous excusant, car il est indispensable d’obtenir des réponses à nos interrogations !

Monsieur le ministre, vous avez eu la courtoisie de répondre très précisément à nos interrogations en citant, sans pour autant nous rassurer, l’article 1er de la loi de 2005. Certes, l’article 1er inscrit la garantie de la sécurité d’approvisionnement, mais il indique clairement que la conduite de la politique énergétique repose sur un service public qui nécessite le maintien et le développement d’entreprises publiques nationales et locales dans le secteur énergétique. Dès l’instant où vous renoncez à ce principe, tout l’édifice est mis à mal, toute la suite du texte ne vaut plus rien parce que vous privatisez !

Pour terminer, monsieur Piron, je dirai que nous pensons que le secteur privé ne garantit pas une prestation de service public à long terme, non par incompétence ou parce qu’il gère moins bien, mais parce que, étant soumis à une exigence de rentabilité à court terme, moult changements de main dans le capital sont possibles, excluant une pérennisation de l’actionnariat.

Nous risquons donc de constater très rapidement une dérive par rapport aux enjeux à long terme. C’est pourquoi nous souhaitons pouvoir confirmer, par l’adoption de ces amendements, que c’est bien le secteur public qui est garant d’un service public à long terme.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques qui viennent d’être soutenus.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement. (Mme Muriel Marland-Militello s’exclame.)

M. Jean-Pierre Brard. Mme Marland-Militello proteste ? Elle voudrait nous bâillonner, alors que, déjà, le Gouvernement nous traite comme si nous étions à la Chambre des pairs en ne nous transmettant pas les textes complets.

M. Jean Leonetti. Elle n’a rien dit !

M. le président. Monsieur Brard, tenez-vous-en à votre rappel au règlement !

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, ce rappel concerne le déroulement de nos débats. Notre collègue M. Brottes a évoqué tout à l’heure des engagements de M. Sarkozy et a comparé le ministre d’État à une girouette, avec la production d’énergie qui va avec. (Rires.) Comment peut-on avoir confiance dans des hommes politiques qui ne cessent de se renier ?

M. Jean Leonetti. : Comme les marxistes ?

M. Jean-Pierre Brard. Mon cher collègue Leonetti, vous gagneriez à lire Marx, cela vous éviterait de raconter des sottises.

M. Jean Leonetti. C’est vrai, les marxistes n’ont guère changé !

M. Jean-Pierre Brard. Vous pourriez même éventuellement le lire dans la langue de Goethe : dans cet exercice, Jean-Marc Ayrault pourrait vous donner des leçons.

M. le président. Monsieur Brard, ne vous égarez pas.

M. Jean-Pierre Brard. Je ne m’égare point, monsieur le président : c’est M. Leonetti qui voulait me pousser dans le fossé.

M. Jean Leonetti. Vous y êtes déjà !

M. Jean-Pierre Brard. Voilà ce que disait le Premier ministre : « Mais la priorité, aujourd’hui, c’est de renforcer l’indépendance de nos entreprises : beaucoup de pays se sont dotés de moyens efficaces pour protéger leurs entreprises sensibles contre des actions hostiles. Nous devons faire de même. » C’est ce qu’il avait appelé le « patriotisme économique ». Or nous apprenons, à la lecture du Monde, qu’on a invité au Mondial un certain nombre de députés pour mieux les circonvenir. (« Oh ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est un regret ?

M. Jean-Pierre Brard. Ils ne nous l’avaient pas dit. Chacun peut pourtant imaginer que des rapports privilégiés dans un climat d’enthousiasme peuvent avoir des conséquences assez néfastes sur l’indépendance de leur réflexion.

On lit ensuite, dans ce même journal, que « même contrôlée à 34 % par l’État, la nouvelle entité restera à la merci de l’OPA ».

Le 27 avril 2004, au Sénat, M. Sarkozy…

M. André Chassaigne. Lequel ?

M. Jean-Pierre Brard. …dont il était question tout à l’heure, disait : « Il n’y aura pas de privatisation d’EDF ni de GDF, et ce pour une raison simple : EDF et GDF ne sont pas des entreprises comme les autres. » Le 15 juin 2004, il a d’ailleurs répété ici même : « Des inquiétudes se sont exprimées sur ce sujet. Je veux donc y répondre par la loi : EDF et Gaz de France ne seront pas privatisées. » Et ainsi de suite.

Aujourd’hui, qu’en est-il ? Ce n’est pas une girouette, c’est un champ d’éoliennes. Le Premier ministre a été contaminé par M. Sarkozy. Malgré les engagements qu’il a pris, il fait aujourd’hui le contraire de ce qu’il a annoncé.

Notre rapporteur, M. Jean-Claude Lenoir, a fait tout à l’heure une remarque dont je doute qu’elle lui ait été inspirée par l’esprit que je lui connais, cette fidélité à la Normandie qui ne permet pas de proférer de telles inexactitudes.

M. Daniel Boisserie. C’est un jésuite !

M. le président. Ne provoquez pas M. Brard sur ce terrain !

M. Jean-Pierre Brard. Il a dit qu’il avait entendu, pendant le week-end, des électeurs s’étonner de la tournure que prenaient les débats. Quelle est notre ambition, monsieur le rapporteur ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Faire durer le débat !

M. Jean-Pierre Brard. Faire durer le débat pour avoir le temps de la pédagogie et faire tomber les masques ! Il faut que nos compatriotes comprennent ce que vous avez dit.

Si j’en crois ce que nous a écrit le président Debré dans sa lettre, nous pourrions faire durer le débat jusqu’aux prochaines échéances électorales. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Certainement au-delà, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Depuis 2002, vous avez perdu toutes les élections, mais vous n’en avez absolument pas tenu compte. Faire durer le débat, cela permet d’éclairer l’opinion, mais aussi de rendre la parole aux Français pour que vous ne puissiez plus trahir l’intérêt national.

M. André Chassaigne. Très bien !

M. le président. Monsieur Brard, vous vous êtes un peu égaré dans votre rappel au règlement.

La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Marc Ayrault. Mon collègue François Brottes a déjà fait part de notre état d’esprit à la suite de l’intervention de M. Lenoir.

Je respecte beaucoup le travail que vous avez accompli, monsieur le rapporteur, pour essayer de défendre un projet peu convaincant. Je souhaite donc vous demander la réciproque et de respecter ce que nous faisons. Tout à l’heure, le ministre et des collègues de l’UMP nous ont répondu et vous avez voulu relancer la polémique entamée jeudi dernier, au début de l’examen de ce texte. Je vous prie de cesser d’apporter ce type de réponses aux questions de fond que nous posons depuis le début de l’après-midi : elles sont graves, elles interpellent toute la nation.

Je souhaite que nous puissions reprendre le débat dans un climat serein, d’écoute et de respect réciproques, comme au début de l’après-midi, et que vous retrouviez, monsieur le rapporteur, la voie du dialogue et de l’échange.

Pour ce faire, monsieur le président, je demande une suspension de séance d’un quart d’heure.

M. le président. Avant de suspendre la séance, je vais donner la parole à M. le ministre, qui souhaite répondre à M. Brard.

Je vous en prie, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué à l’industrie. M. Brard a mis en cause Nicolas Sarkozy à propos de la position qu’il a défendue…

M. Christian Bataille. Les positions !

M. Jean-Pierre Brard. Il est relaps !

M. le ministre délégué à l’industrie. …au moment du débat sur la loi de 2004. Je voudrais que vous écoutiez ce qu’a dit M. Ayrault.

M. Jean-Yves Le Déaut. C’est le début de la sagesse !

M. le ministre délégué à l’industrie. Je suis d’accord avec le début de son intervention − moins avec la fin, qui relève de sa seule responsabilité. Il a dit qu’il était important que nous puissions dialoguer, nous écouter réciproquement et comprendre pourquoi chacun a adopté la position qu’il défend. Puissiez-vous avoir la même attitude vis-à-vis de Nicolas Sarkozy. Il a effectivement défendu certaines positions à une époque où le prix du gaz et la situation du marché international du gaz et du pétrole n’étaient absolument pas ce qu’ils sont devenus depuis (Rires sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains)…

M. Daniel Paul. Raison de plus !

M. André Chassaigne. Excellent numéro de cirque !

M. le ministre délégué à l’industrie. …et où les restructurations européennes dans le domaine de l’énergie n’avaient pas eu lieu. Je voudrais que vous preniez acte de cette situation…

M. Jean-Pierre Brard. Moi, je veux bien en prendre acte !

M. le ministre délégué à l’industrie. …et que vous ne fassiez pas en permanence référence à une histoire qui a été expliquée plusieurs fois depuis le début de ce débat. Je vous demande donc d’appliquer en cela la jurisprudence Ayrault.

M. Daniel Paul. Ce sont les paroles d’un vassal qui défend son suzerain !

M. le président. Peut-être faut-il en effet calmer le jeu.

Je vais donc maintenant suspendre la séance, pour une dizaine de minutes.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures quarante, est reprise à vingt-deux heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je ne vous redemanderai pas une suspension de séance, et je vous remercie d’ailleurs de nous en avoir accordé une – je ne reviendrai pas sur son objet, qui était précis.

En revanche, je voudrais, après l’échange intervenu voilà quelques instants entre notre collègue Jean-Pierre Brard et M. Loos, exprimer une demande au nom du groupe socialiste.

Voilà deux ans, c’est vrai, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie d’alors s’est solennellement engagé devant le Sénat – c’était le lundi 5 juillet 2004 –, à ne privatiser ni EDF ni GDF et, en tout état de cause, à ne jamais faire descendre la part de l’État dans le capital public de cette entreprise en dessous de 70 %. Aujourd’hui, c’est donc à un reniement, à un profond changement de position que l’on assiste.

La situation énergétique, monsieur le ministre, n’a pas été bouleversée à ce point en deux ans que l’on doive changer de doctrine. Aussi une explication claire est-elle nécessaire, d’autant qu’il ne s’agit pas en l’occurrence de n’importe qui – même si, en la matière, le rôle du Premier ministre, du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie d’aujourd’hui et du ministre délégué à l’industrie que vous êtes, est éminent –, mais du président de l’UMP, responsable à ce titre du groupe majoritaire qui aura à voter ce projet, et, au-delà, d’un candidat à l’élection présidentielle – à laquelle devraient d’ailleurs être, selon nous, renvoyés les choix de politique énergétique.

Puisque le Gouvernement a cependant décidé, avec la majorité, de présenter ce texte, je vous prie donc, monsieur le ministre, de transmettre au Premier ministre la demande que je formule au nom du groupe socialiste d’auditionner ici même M. Nicolas Sarkozy (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire),...

M. Jean-Pierre Grand. Nous, nous voudrions auditionner Ségolène Royal !

M. Jean-Marc Ayrault. ...afin qu’il vienne s’expliquer devant nous. Même s’il n’est pas directement en charge du projet de loi, il est membre du Gouvernement,...

M. Christian Bataille. C’est le numéro deux !

M. Jean-Marc Ayrault. ...dont il est en effet le numéro deux, sans oublier, je le répète, qu’il est président du parti principal de la majorité et qu’il sera candidat à l’élection présidentielle. Son changement complet de position, non seulement après s’être exprimé à l’Assemblée nationale, mais également après avoir écrit à toutes les organisations syndicales, nécessite donc, pour la poursuite du débat, une explication de sa part.

Vous dites, monsieur le ministre, que vous êtes pour le dialogue. J’en prends acte, et je vous en remercie. Si vous n’êtes pas en mesure de répondre à notre demande ce soir, faites-le demain. En tout cas, nous demandons solennellement que le ministre de l’intérieur, ancien ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, compte tenu des engagements qu’il a pris, vienne dans l’hémicycle expliquer pourquoi il a changé de point de vue. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Marie Geveaux. Alors il faudra que Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn viennent s’expliquer aussi !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Brard. Mon rappel au règlement fait suite à la déclaration de M. Loos tout à l’heure. Au moins, avec lui, on peut parler ! Ce n’est pas comme avec M. Breton, qui d’ailleurs ne vient pas. Il est vrai, si j’en crois la presse, qu’il cherche, par exemple, un subterfuge pour changer les règles en matière de stock-options sans passer devant nous !

Pour en revenir à vos propos, monsieur le ministre, 2004 serait selon vous de l’histoire. C’est une année qui fait pourtant partie du mandat actuel ! Or qu’y a-t-il eu de nouveau depuis ? La situation énergétique s’étant détériorée, elle est devenue plus grave.

M. Michel Piron. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Brard. Plus encore qu’en 2004, le devoir de la représentation nationale est donc de protéger les intérêts de nos concitoyens sans les abandonner aux appétits gloutons du grand capital, qu’il s’agisse de Total, de Gazprom ou de quelques autres.

Je vous donne volontiers acte que M. Sarkozy est une girouette...

M. Jean-Pierre Grand. Ce n’est pas la girouette qui tourne, mais le vent !

M. Jean-Pierre Brard. ...bien que cela ne soit pas vrai dans tous les domaines. Rappelez-vous son interview parue dans Le Monde daté de samedi dernier à propos des États-Unis ! Voilà un domaine où le ministre d’État ne change pas d’avis : ce pays le fascine toujours, lui qui, le 4 octobre 2004 à New York, devant un parterre d’étudiants et des dizaines de journalistes français, avait fait cette déclaration fameuse : « Je me sens étranger dans mon propre pays. » Voilà ce qui nous sert de ministre d’État !


Pour ma part, j’adhère complètement à la proposition qui vient d’être faite et je souhaite, moi aussi, que M. Sarkozy vienne s’expliquer. Certes, il n’a pas la responsabilité de ce texte mais chacun sait que M. Sarkozy est ministre de tout. La preuve : n’est-ce pas lui qui, cet été, a fait les arbitrages sur le texte que nous discutons aujourd’hui ? Qui, sur les rangs en face, oserait prétendre le contraire ? Encore qu’un doute s’insinue quand on entend Dominique Paillé s’exprimer et que l’on peut se demander si M. Sarkozy n’a pas un deuxième fer au feu. Quand dit-il la vérité ? Jamais !

Reprise de la discussion

M. le président. Je suis saisi d’une série d’amendements identiques, n°s 1995 à 2027.

Je constate que M. Bonrepaux n’est pas présent pour défendre l’amendement n° 1995…

M. Jean-Marc Ayrault. Il est soutenu !

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille, pour soutenir l’amendement n° 1996.

M. Christian Bataille. Je veux joindre ma voix à celle du président Ayrault pour saluer les propos de M. Loos et de notre collègue Piron, même si je ne partage pas leur analyse, car ils correspondent à notre volonté d’aller au fond. En revanche, je suis surpris par l’approche polémique de notre collègue Jean-Claude Lenoir, dont je connais par ailleurs le sérieux. Le sujet mérite beaucoup mieux. Je le répète à l’attention de nos collègues de la majorité, nous avons la volonté d’aller au fond des choses.

En proposant que « le service public de l’énergie est conforme aux exigences du développement durable », l’amendement n° 1996 réaffirme la nécessité de nous mobiliser contre l’effet de serre.

Contrairement à ce qui a été dit, nous sommes encore durablement soumis à la consommation d’énergies fossiles. Malgré de nombreuses déclarations alarmistes, nous sommes encore sur cette base pétrole-gaz pour cinquante ans et charbon pour deux cents ans et la pénurie d’énergie n’est certainement pas ce qui nous menace. Nous avons de l’uranium pour deux cents ans et même, si nous confirmons l’option du retraitement, pour mille ans.

Et puis, nous avons les énergies renouvelables. L’énergie éolienne n’apporte pas – c’est un constat que j’aurai l’occasion de développer dans d’autres amendements – toutes les ressources qu’elle promettait.

M. Michel Piron. Nous sommes d’accord.

M. Christian Bataille. Les Allemands ont dépensé beaucoup d’argent pour installer des éoliennes et celles-ci n’ont qu’un faible rapport.

M. Serge Poignant. Le discours a bien changé…

M. Christian Bataille. Alors que l’investissement est considérable, visible et financièrement lourd, le rapport n’est que de 3 % environ.

M. Michel Piron. Nous avons évité cette erreur-là.

M. Christian Bataille. D’autres énergies sont prometteuses mais ne sont pas encore complètement au point. Il en est ainsi de l’énergie photovoltaïque, qui n’en est encore qu’au stade expérimental. Quant au gaz de lisier de porc, que certains de nos collègues veulent promouvoir et que notre collègue Lenoir a appelé, une fois, le GPP (Sourires), je ne pense pas que ce soit une énergie très prometteuse.

En tout cas, et je conclurai sur ce point, les exigences du développement durable sont véritablement une obligation de service public, les deux notions sont complémentaires, et seule une entreprise publique comme Gaz de France peut répondre à des obligations de service public. Une entreprise qui obéit à d’autres principes, comme Suez-Lyonnaise, n’aura pas les mêmes préoccupations.

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert, pour soutenir l’amendement n° 1997.

M. Jean Gaubert. Une excellente année, l’année 1997, l’année de ma première élection.

M. Charles de Courson. C’est durable.

M. Jean Gaubert. Oui, et j’espère que cela le restera encore un peu.

Les difficultés que nous connaissons aujourd’hui, Christian Bataille vient de l’évoquer, tiennent à notre consommation effrénée d’énergies fossiles, d’énergies « faciles », parce que leur exploitation réclame plutôt moins d’investissements que le développement les énergies renouvelables. D’ailleurs, si les entreprises privées se dirigent plutôt vers ces énergies, et c’est normal compte tenu de l’essence même d’une entreprise privée, c’est d’abord pour satisfaire leurs actionnaires le plus rapidement possible, pas dans quarante ans. Prenons l’exemple d’Eurotunnel, les actionnaires sont extrêmement mécontents de devoir attendre encore très longtemps avant un retour, hypothétique qui plus est, des investissements réalisés il y a maintenant plus de vingt ans.

On sait bien que certaines activités ne se prêtent pas à l’investissement privé et c’est certainement vrai en particulier pour tout ce qui touche à la maîtrise et à la demande en énergie et tout ce qui touche aux énergies renouvelables.

On voit bien que les entreprises qui s’investissent dans ce secteur se dirigent en priorité vers les énergies fossiles, contribuant ainsi, si on n’y met pas terme, à assécher, beaucoup plus rapidement encore qu’on ne le pense, les ressources de notre planète, comme elles contribuent actuellement très largement, nous le savons aussi – il n’y a qu’à regarder la situation aux États-Unis –, à accumuler des gaz dans l’atmosphère, avec toutes les conséquences que nous connaissons.

Ce n’est pas de l’idéologie.

M. Michel Piron. Si !

M. Jean Gaubert. C’est simplement une constatation. Ce n’est pas un reproche contre ceux qui investissent dans le privé. Simplement, la logique veut que ce ne peut être le secteur privé qui assure le développement durable, qui assure le renouvellement de nos sources d’approvisionnement dont nous avons besoin pour nous permettre d’économiser au mieux les ressources fossiles et d’améliorer par là même la situation de la couche d’ozone. Seule la puissance publique peut assurer les investissements nécessaires, car elle seule ne recherche pas la rentabilité à court terme.

M. Michel Piron. Vous vivez sur un mythe.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ducout, pour soutenir l’amendement n° 1998.

M. Pierre Ducout. Avec cet amendement, dans lequel nous exigeons que le service public de l’énergie soit conforme aux exigences du développement durable, nous voulons rappeler à l’attention de nos concitoyens que ce développement durable s’appuie sur trois piliers : le pilier environnemental, le pilier social et le pilier économique. C’est par un progrès à la fois social, économique et de l’environnement que nous irons vers un développement durable.

Par exemple en Aquitaine, nous n’avons pas toujours géré l’énergie dans cette perspective de durabilité, en particulier en termes économiques ou d’aménagement du territoire. Nous avons exploité de manière intéressante le gisement de gaz naturel de Lacq, nous l’avons développé d’une certaine manière pendant cinquante ans avant que la pénurie ne le touche et que de nombreux emplois ne soient supprimés.

Dans la notion de développement durable, il faut prendre en compte l’aspect social et la question des prix accessibles par tous, la question des prix sociaux. Les entreprises publiques peuvent, en liaison avec le Gouvernement, déterminer des tarifs réglementés qui soient indépendants de la rareté de l’offre à certaines périodes ou éventuellement de l’utilisation de l’énergie comme arme par certains pays – on a vu ce qui s’est passé entre la Russie et l’Ukraine.

En matière économique, il est indispensable que l’énergie ne soit pas un instrument de guerre. L’énergie doit permettre un développement équilibré de tous les pays : aujourd’hui il y a la Chine, nous avons des relations prioritaires avec l’Afrique, nous voyons ce qui se passe aujourd’hui au Moyen-Orient. De la même manière, il est important que des pays comme le nôtre puissent avoir, pour mener cette politique, des entreprises publiques qui ont montré leurs capacités. Ce n’est pas le moment de démolir une organisation qui a fait ses preuves.

Enfin, il y a les problèmes environnementaux. Nous savons tous aujourd’hui les conséquences de l’effet de serre sur le réchauffement climatique. Nos concitoyens sont intéressés par tous ces sujets. Nous avons connu ces derniers temps de grosses chaleurs, avec des incendies, des feux de forêt, et nos concitoyens se demandent dans quelle mesure ce que nous avons fait en France depuis la Libération doit être poursuivi pour pouvoir tenir les enjeux. Aujourd’hui, nous prenons nos responsabilités. Nous pouvons le dire à nos concitoyens que nous rencontrons sur les marchés mais pas seulement, nous avons dans nos circonscriptions beaucoup d’associations qui s’intéressent aux problèmes d’énergie, aux problèmes environnementaux : le travail du groupe socialiste et du groupe communiste dans ce débat n’est pas un travail d’obstruction mais bien un travail constructif. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Vive l’union !

M. Pierre Ducout. Dois-je rappeler que sur un sujet également complexe, le pacs, Jean-Claude Lenoir avait pu, parce que le règlement lui permettait, parler pendant cinq heures pour défendre, d’une manière d’ailleurs relativement brillante, une motion de procédure ? Nous n’avions pas les mêmes positions, mais nos concitoyens ont pu s’accaparer le problème. C’est cela la réelle démocratie. Aujourd’hui, avec ces amendements, nous voulons travailler dans ce sens et nous voulons que nos concitoyens le comprennent : il s’agit d’un sujet mondial, il s’agit de leur pouvoir d’achat et de l’avenir de la planète, autant de sujets sur lesquels nous devons tous nous exprimer et prendre toute notre place. Ne démolissons pas des entreprises publiques qui, depuis cinquante ans, ont fait leurs preuves en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, pour soutenir l’amendement n° 1999.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je voudrais revenir sur ce que vient d’indiquer Pierre Ducout. Tout à l’heure, le rapporteur n’a pas répondu sur le fond, alors qu’un bon débat s’était engagé. Comment peut-on oser prétendre que nous faisions de l’obstruction, avant même d’ailleurs que nous ayons entamé l’examen des articles ?

M. Michel Piron. CQFD ! C’est la preuve par l’absurde !

M. Jean-Yves Le Déaut. Il nous a accusés dès jeudi et dès vendredi alors que nous étions encore dans la discussion générale.

M. Christian Bataille. C’est honteux !

M. Jean-Yves Le Déaut. Souvenez-vous, chers collègues, des cinq heures que M. Lenoir a tenu à la tribune dans le débat sur le pacs ! Un record tel que le président de l’Assemblée nationale a depuis modifié le règlement, réduisant le temps de parole à une demi-heure. Il le regrette bien aujourd’hui parce que depuis, dans sa mairie de Mortagne, il pacse un certain nombre de nos concitoyens, et que, lui aussi, se rend sur les marchés. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

François Loos tout à l’heure, qui, lui, s’est engagé dans le débat, a affirmé qu’il fallait arriver à diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre en 2050, soit 3 % par an. Fort bien, mais vous n’avez pas encore commencé et, alors que vous êtes au pouvoir depuis quatre ans, ce n’est pas à une réduction des gaz à effet de serre que nous assistons aujourd’hui mais bien à une augmentation des rejets de gaz à effet de serre, vous le savez bien.

Et le ministre le sait bien. Ce qui veut donc dire que ce sont des mots. Pendant que la mission sur le réchauffement climatique, que je présidais, menait ses travaux, nous examinions dans cet hémicycle la loi Borloo. Vous promettiez d’un côté 25 % de diminution des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020 et bien mieux d’ici à 2050, mais, dans aucun article de cette loi, vous ne vous occupiez de l’isolation des maisons dont vous décidiez la construction. Le Président de la République peut bien dire à Johannesburg que la maison brûle, la politique ne suit pas !

Aujourd’hui, le développement durable est une exigence. La température moyenne en Europe a augmenté de 0,9 degré au XXe siècle …

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ce n’est pas la faute du Président de la République !

M. Michel Piron. Il n’en est pas responsable quand même !

M. Jean-Yves Le Déaut. …et augmentera de trois à cinq degrés au XXIe siècle – Serge Poignant le sait puisqu’il était vice-président de la mission. Les rejets de gaz à effet de serre et le réchauffement que nous connaissons sont sans précédent dans l’histoire de la terre, mais vous n’y répondez que par la plus grande insouciance. L’ensemble de la planète sera bientôt aussi pollué que Shanghai et il faudra 350 ans pour revenir à la normale, mais « Tout va très bien, madame la marquise » ! On ne fait rien au niveau des politiques publiques ! On ne se préoccupe pas du développement durable ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Piron. C’est ahurissant !

M. Jean-Yves Le Déaut. Que le ministre dise que ce sont des mots, cela n’est pas tolérable. Il est un moment où l’on n’a pas besoin de réponses ministérielles, même si elles sont pertinentes ; on a besoin d’actes et de faits. Le développement durable doit être une des grandes exigences de la politique énergétique, comme, d’ailleurs, un des thèmes prioritaires de la campagne présidentielle.

Je ne suis pas aussi pessimiste qu’Yves Cochet, qui pense que le peak oil a déjà été atteint, c’est-à-dire que la moitié des énergies fossiles a été dépensée, qu’il y en aura de moins en moins, et que le pic gazier est pour bientôt, mais un secteur dérégulé et privatisé n’est de toute façon pas envisageable. Pourquoi un opérateur se préoccuperait-il du bien commun et d’une stratégie de long terme ? Il vendra du gaz si c’est ce qui lui rapporte le plus !

M. le président. Il faut conclure, monsieur Le Déaut !

M. Jean-Yves Le Déaut. Le développement durable est une question majeure, monsieur le président !

M. le président. Il n’y a que des questions majeures dans ce débat, je l’ai bien compris !

M. Jean-Yves Le Déaut. Le développement durable doit faire partie de nos priorités.

M. Gérard Menuel. Vous n’avez rien fait pendant cinq ans !

M. Jean-Yves Le Déaut. Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas parce que notre ministre de l’intérieur, président de l’UMP, est une ferme éolienne, comme l’a dit M. Brard, que nous n’avons rien fait en matière d’énergies renouvelables.

M. Gérard Menuel. Pour les biocarburants, vous n’avez rien fait !

M. Jean-Yves Le Déaut. Cela dit, certains membres de la majorité sont sans doute honnêtes et sérieux. Ils doivent donc voter cet amendement. Cela nous permettrait de passer à la suite plus vite.

M. le président. La parole est à M. David Habib, pour soutenir l’amendement n° 2000.

M. David Habib. Je veux bien me ranger à l’analyse de M. Birraux : il arrive que le service public abandonne les exigences du long terme et du développement durable. Pierre Ducout a rappelé comment le gaz de Lacq a été utilisé pendant cinquante ans. Moi-même, député de Lacq, je peux vous dire comment une entreprise publique a privilégié le court terme et le profit sur l’aménagement du territoire ! Mais il est clair qu’aujourd’hui le développement durable doit imprégner nos politiques, inspirer les choix des entreprises. De nombreux industriels ont fait remarquer que si l’éolien et le solaire n’avaient pas connu le succès escompté en France, c’est parce que nous ne disposions pas d’un outil industriel public capable d’impulser une politique de recherche, d’initier une véritable politique commerciale et d’assurer le succès industriel et commercial de ces technologies. Nous sommes au cœur de certaines préoccupations.

Les baisses qu’a connues depuis 2004 le budget de la recherche d’EDF font bien apparaître, comme l’ont montré les organisations syndicales, une corrélation entre le capital d’une entreprise et sa capacité à consacrer de l’argent au long terme à la recherche et au développement durable. En déposant l’amendement n° 2000, nous avons voulu non pas embarrasser nos débats, contrairement à ce qu’a dit M. Lenoir, mais au contraire rappeler l’un des principes fondamentaux de toute stratégie en matière énergétique et notre propos vise à convaincre la représentation nationale de la nécessité de parvenir à un consensus sur ce sujet. Si vous décidez de voter ces amendements, dites-le dès maintenant, je suis persuadé que François Brottes et mes autres collègues abandonneront leurs explications, et nous serons les premiers à être heureux de gagner du temps ! Nous pourrions ainsi enrichir ce texte de loi d’une référence au développement durable, ce qui permettrait d’assurer de meilleurs lendemains à nos concitoyens. Voilà pourquoi le groupe socialiste, de façon peut-être répétitive mais avec une conviction qui n’a jamais été démentie, propose d’inscrire dans la loi cette référence au développement durable qui est aujourd’hui une exigence de la nation.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous êtes satisfait, c’est déjà fait !

M. le président. La parole est à M. Claude Bartolone, pour soutenir l’amendement n° 2001.

M. Claude Bartolone. Il est d’autant plus nécessaire d’inscrire dans la loi ce devoir de respecter les exigences du développement durable dans le contexte économique actuel. La France, comme bon nombre d’autres pays européens, connaît certes les délocalisations et le chômage, mais au niveau du capitalisme et des entreprises nous ne sommes pas en période de pénurie. Les grandes entreprises internationales, et notamment celles du CAC 40, sont en pleine période d’euphorie, laquelle se traduit cependant non par une augmentation de la rémunération des salariés, mais par celle des dirigeants et des actionnaires. Notre collègue Piron, tout à l’heure, nous reprochait de vous faire un procès d’intention et de prétendre que nous étions les seuls à nous occuper du long terme. Non, je ne vous fais pas de procès d’intention ! Simplement, je dénonce cette situation parfaitement décrite dans un petit ouvrage dont je vous conseille la lecture, Le capitalisme est en train de s’autodétruire, qui a été écrit non par d’affreux gauchistes,…

M. Michel Piron. C’est vous qui parlez d’affreux gauchistes !

M. Claude Bartolone. …mais par Patrick Artus et Marie-Paule Virard. Ils expliquent avec beaucoup de pertinence comment l’argent coule à flots pour les dirigeants et comment les entreprises doivent répondre à la loi d’airain qui prévaut depuis 2004 : la rentabilité de 15 %, au moins, des fonds propres – ce fameux ROE.

Dans ce contexte se posent des problèmes d’arbitrage. Bon nombre d’entreprises ont déjà privilégié la rémunération de leurs actionnaires, de leurs dirigeants, sur celle des salariés, mais un second arbitrage met en danger le capitalisme : pour pouvoir augmenter la valeur des actions et des stock-options, les entreprises se livrent à des achats de leurs propres actions, au détriment du long terme. Les nouvelles règles de gouvernance les obligent bien souvent à arbitrer aux dépens des salariés en faveur de la délocalisation, au détriment du long terme pour faire face à des investissements de court terme. C’est dans ce contexte économique très innovant depuis 2004 que nous posons la question : comment peut-on faire confiance au seul marché…

M. Michel Piron. Ce n’est pas ce que nous faisons !

M. Claude Bartolone. …pour faire les investissements de long terme indispensables, notamment pour donner une chance à ces nouvelles énergies qui sont indispensables pour la planète ? Ne serait-ce que pour tenir compte de ce contexte, mes chers collègues, vous devriez voter ces amendements. Vous avertiriez ainsi le marché que, même si vous êtes des fervents défenseurs du capitalisme, vous ne pouvez pas admettre que les règles de gouvernance des entreprises sacrifient le long terme et la vie de nos enfants et petits-enfants.

M. Michel Piron. C’est caricatural !

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour soutenir l’amendement n° 2002.

M. François Brottes. Ces amendements visent à préciser que « le service public de l’énergie est conforme aux exigences du développement durable » et le président de la commission nous dit qu’ils sont satisfaits. Il est vrai que l’article 1er de la loi d’orientation stipule que la politique énergétique repose sur un service public de l’énergie qui garantit l’indépendance stratégique de la nation et favorise sa compétitivité économique, et qu’elle vise à préserver la santé humaine et l’environnement, en particulier en luttant contre l’aggravation de l’effet de serre.

M. Serge Poignant. Absolument !

M. François Brottes. Pour autant, le même article précise que la conduite de cette politique nécessite le maintien et le développement d’entreprises publiques nationales et locales dans le secteur énergétique.

M. Jean Launay. Cherchez l’erreur !

M. François Brottes. Par conséquent, dès l’instant qu’on supprime ces entreprises publiques en les privatisant, il faut forcément récrire les objectifs et prendre dans la loi toutes les dispositions nécessaires à titre de garantie.

En effet, il a deux manières complémentaires d’approcher le thème du développement durable.

La première est la lutte contre l’effet de serre, qui consiste à diminuer les pollutions. De ce point de vue, EDF et les grandes entreprises nationales sont plutôt vertueuses depuis de nombreuses années, quelle que soit la majorité politique.

En revanche, sur le second aspect, les économies d’énergie, nos opérateurs publics n’ont pas toujours été totalement vertueux, sans doute parce que leur propriétaire, en l’occurrence l’État, n’avait pas donné de consignes et que le législateur n’avait pas indiqué la bonne direction.

M. Michel Piron. Vous voyez bien que ce n’est pas si simple !

M. François Brottes. Seules les entreprises publiques peuvent recevoir des instructions qui leur prescrivent de tout faire pour économiser l’énergie – parce qu’un déséquilibre entre l’offre et la demande accélère l’augmentation des prix ou parce que l’énergie qui pollue le moins est encore celle que l’on ne dépense pas. En effet, les entreprises publiques, si elles sont maîtrisées par l’État, n’ont pas à redistribuer du dividende.

Mais, dès l’instant où une entreprise est privée, Claude Bartolone l’a brillamment rappelé à l’instant, elle recherchera le profit à court terme, fera l’impasse sur les investissements à long terme ou mettra en œuvre des systèmes de production d’électricité en glorifiant, pour prendre cet exemple, le retour du charbon. Bref, elle choisira les stratégies pouvant être mises en œuvre le plus rapidement dans les meilleures conditions économiques. Mais il faut savoir qu’elle fera alors l’impasse sur la lutte contre l’effet de serre. Voilà le risque auquel nous allons être confrontés.

Pour ne pas compromettre les résultats d’exploitation, les entreprises risquent de remettre en cause les quotas de CO2, que tous les industriels ont aujourd’hui la tentation de renégocier. Demain, ce sera le tour des producteurs d’énergie. On voit à quelle dérive nous ne manquerons pas d’être confrontés dès l’instant que ce ne seront plus des entreprises publiques nationales qui seront en charge de la politique énergétique du pays et du service public de l’énergie. C’est pour cela que ces notions doivent être sanctuarisées dans la loi.

Enfin, je voudrais répondre à M. le ministre. Selon lui, les déclarations de M. Sarkozy sont déjà anciennes et, depuis, les choses ont évolué. Je voudrais toutefois rappeler que la loi d’orientation sur l’énergie a été promulguée le 14 juillet 2005…

M. le ministre délégué à l’industrie. Mais elle date de 2004 !

M. François Brottes. …et que c’est le 25 février 2006 que, sur le perron de Matignon, M. de Villepin a déclaré qu’il fallait privatiser Gaz de France. Cela signifie que le Gouvernement a complètement changé d’avis en six mois, oui, en six mois – et non en deux ans –, puisque, le 14 juillet 2005, le Journal officiel indiquait encore que les entreprises publiques nationales devraient être garantes de la politique énergétique.

Quand un gouvernement est capable de changer d’avis tous les six mois dans un domaine comme celui-ci, comment ne serait-on pas méfiant et dubitatif à son égard ? À la faveur de ce débat, nous voudrions lui faire reprendre sa sérénité et son sang-froid dans un domaine fondamental pour l’avenir du pays.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Aubron, pour défendre l’amendement n° 2003.

M. Jean-Marie Aubron. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Philippe Martin, pour soutenir l’amendement n° 2004 de M. Jean-Pierre Balligand.

M. Philippe Martin. Chacun aura compris que le groupe socialiste souhaite un débat dont les développements auront des conséquences durables. (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

Or nous constatons aujourd’hui, face à des amendements dont les termes posent de véritables questions, des manœuvres d’obstruction de la part de la majorité. (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Il est clair que, si nos amendements, à peine défendus par le premier orateur, étaient aussitôt adoptés, nous pourrions accélérer ce débat. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je déplore que la majorité se livre à de telles manœuvres avec la complicité du Gouvernement, alors que les amendements que nous soutenons se justifient pleinement et que nous pourrions aller beaucoup plus vite.

M. Jean-Marie Geveaux. Ce n’est pas de la provocation, cela ?

M. Serge Poignant. Trop, c’est trop !

M. Michel Piron. C’est grotesque et affligeant !

M. Philippe Martin. Je regrette que la majorité recoure à un tel procédé. En effet, en matière de cohésion économique et sociale, ou de consultation des personnels, des usagers ou des associations de consommateurs, nous défendons des amendements de bon sens. S’ils étaient adoptés rapidement,…

M. Michel Piron. Ce n’est vraiment pas une nécessité !

M. Philippe Martin. …nous pourrions entrer dans le cœur du débat. L’amendement que nous défendons pourrait porter le n° 1987, puisque c’est de cette année que date la véritable définition du développement durable. Celui-ci, vous le savez, a pour but de répondre aux questions qui se posent aujourd’hui sans obérer pour les générations futures la possibilité de trouver des solutions. Pourtant, le développement durable, garant de la visibilité et de la possibilité de se projeter dans l’avenir, est devenu le parent pauvre de la politique du Gouvernement. Nous avons entendu de grands discours à Johannesburg…

M. Serge Poignant. Vous-mêmes, avez-vous beaucoup agi dans ce domaine ?

M. Philippe Martin. Une charte de l’environnement a été votée. Le principe de précaution a été invoqué. Mais, dans la réalité, rien n’a été fait. D’ailleurs, les premiers à soutenir ces discours, par exemple M. Nicolas Hulot, se sont peu à peu détournés du Président de la République et du Gouvernement, parce qu’il n’y avait rien derrière leurs grands mots.

Nous réclamons davantage de visibilité. Mais il y en a si peu dans votre projet de loi ! Ce soir, les administrateurs de la CGT de Gaz de France ont dénoncé, à l’issue d’un conseil d’administration, l’opacité du groupe quant aux solutions qu’il doit apporter à la Commission européenne pour répondre aux problèmes de concurrence soulevés par le projet de fusion. Ils ont même parlé d’un « nuage de fumée ». Ce n’est pas ainsi qu’on prépare le développement durable.

Notre amendement nous permettra de nous projeter dans l’avenir. Je répète qu’il devrait être adopté et que, si la majorité votait nos amendements au lieu de se livrer à des manœuvres d’obstruction systématique, le débat irait plus vite. (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je constate que M. Jacques Bascou et M. Éric Besson ne sont pas présents pour soutenir leurs amendements identiques.

Souhaitiez-vous intervenir, monsieur Ayrault ?

M. Jean-Marc Ayrault. Je vous demanderai la parole avant le vote.

M. le président. Nous n’en sommes pas encore là.

La parole est à M. Daniel Boisserie, pour soutenir l’amendement n° 2007 de M. Maxime Bono.

M. Daniel Boisserie. C’est un bon chiffre, monsieur le président : l’année 2007 est porteuse d’espoir !

Notre collègue Philippe Martin a eu raison de souligner que, sans l’obstruction systématique de la majorité, le débat serait plus facile. Les amendements en discussion sont incontestablement d’intérêt public.

Si notre collègue Jean-Marc Ayrault craint pour son terminal, moi, je tremble plus encore pour mes modestes tuyaux de campagne. Les élus ruraux le savent : pour amener le réseau de Gaz de France dans certaines communes, il a fallu participer financièrement de manière importante, comme l’ont fait les communes, les communautés de communes, les départements, quelquefois les régions, voire la Communauté européenne.

Je ne suis pas sûr que demain, le facteur rentabilité soit extrêmement porteur. Tout peut être remis en question à tout moment : un jour ou l’autre, on nous dira qu’une commune de 400 à 500 habitants n’est plus intéressante, propos d’ailleurs compréhensible dès lors qu’il émane d’une société privée. On négligera les réseaux. Peut-être était-ce le cas tout à l’heure à l’Assemblée nationale, ce qui expliquerait l’alerte… Quoi qu’il en soit, cela pose un problème de sécurité.

Voudra-t-on fermer les robinets non rentables ? Que deviendront alors les zones rurales ? Se verront-elles réclamer une nouvelle participation ? Pourquoi ne demanderait-on pas une nouvelle fois aux communes ou aux communautés de communes, qui ont une compétence économique, voire aux départements ou aux régions, de financer telle ou telle zone rurale non rentable ? Sollicitera-t-on une nouvelle participation des usagers des espaces ruraux ? Je suis particulièrement inquiet à ce sujet. Chacun d’entre nous, quelle que soit sa sensibilité politique, doit s’interroger. Pour ma part, si j’étais élu d’une zone rurale et que j’appartienne à votre majorité, je voterais cet amendement.

En outre, notre collègue Jean-Pierre Brard a dit à l’instant que les actionnaires étaient grugés.

M. Jean-Pierre Brard. Non, c’était Daniel Paul, mais nous sommes interchangeables !

M. Daniel Boisserie. Je vois en effet que vous êtes très solidaires… Quand on requiert ainsi la participation d’une commune, d’une communauté de communes ou d’un département, ceux-ci se retrouvent grugés eux aussi par une société privée, situation qu’il importe de dénoncer. La durabilité me semble une notion particulièrement importante, que chacun d’entre vous pourrait voter. Cela nous éviterait de perdre bien du temps.

M. Michel Piron. Et c’est vous qui dites cela !

M. le président. Je constate que M. Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, M. Marcel Dehoux, M. François Dosé, M. William Dumas, M. Jean-Louis Dumont, M. Henri Emmanuelli, Mme Geneviève Gaillard, Mme Catherine Génisson, M. Gaëtan Gorce, M. Alain Gouriou, M. Armand Jung et M. Jérôme Lambert ne sont pas présents pour soutenir leurs amendements identiques.

La parole est à M. Jean Launay, pour soutenir l’amendement n° 2022.

M. Jean Launay. Vous ne vous étonnerez pas, monsieur le président, que cet amendement traite encore du développement durable, point d’équilibre entre les domaines économique, social et environnemental.

Par cet amendement, chers collègues de la majorité, nous ne vous contestons pas la capacité de parler avec sincérité du développement durable. Cependant, nous ne croyons pas que les voies que vous suivez permettront de le mettre en œuvre. Comment pouvez-vous faire croire aux Français que le but de la fusion de GDF et de Suez est de sécuriser l’approvisionnement de la France en gaz, alors que les représentants de la Fédération nationale de l’énergie et des mines de Force ouvrière nous indiquent que Suez pèse, en gaz, trois fois moins que Gaz de France, que cette société n’alimente quasiment pas la France et que son activité en matière de gaz naturel liquéfié est prioritairement tournée vers le marché nord-américain, plus lucratif, ce qui renchérira d’ailleurs le prix du marché européen ? Nous savons du reste que Suez est bien plus endetté que Gaz de France.

Bref, vous ne retenez même pas l’aspect économique du développement durable. Vous n’envisagez que l’élément financier et le court terme, alors même que penser à long terme, c’est intégrer le temps et se mettre vraiment en cohérence avec le développement durable.

Je rappelle brièvement le texte de base visé par l’autorité des marchés financiers, au milieu de l’année 2005, lors de l’introduction en bourse de Gaz de France : « L’approvisionnement en gaz de Gaz de France est réalisé principalement au travers d’un portefeuille de contrats à long terme parmi les plus importants et les plus diversifiés d’Europe. Ces contrats offrent à Gaz de France la visibilité nécessaire pour assurer son développement et la sécurité de ses approvisionnements, constituant une des forces du groupe sur le marché du gaz naturel en Europe. » Je pense que l’opération que vous nous proposez fragilisera cet équilibre.

M. le président. Je constate que Mme Marylise Lebranchu, M. Henri Nayrou et Mme Saugues ne sont pas présents pour soutenir leurs amendements identiques.

La parole est à M. Philippe Tourtelier, pour soutenir l’amendement n° 2026.

M. Philippe Tourtelier. Je constate que l’argument majeur de notre rapporteur, selon lequel la mécanique parlementaire serait bloquée, a fait long feu puisque, depuis le début de l’examen de ce texte, nous sommes dans un débat de fond. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Si vous me provoquez, je serai forcé de vous répondre !

M. Philippe Tourtelier. Si cela vous a échappé, chers collègues, c’est que vous manquez de clairvoyance.

Le deuxième argument du rapporteur consiste à nous dire que nos propositions ne sont que des mots. Lorsqu’il nous a fait revenir en commission au mois de juillet pour nous présenter un prétendu « plan B », je n’ai pas considéré que ce n’étaient que des mots, mais qu’il s’agissait d’un élément du débat. Je fais donc appel à son sens de la réciprocité.

Encore une fois, c’est la crédibilité de la loi qui est en jeu puisque, ainsi que l’ont rappelé plusieurs de nos collègues, vous y inscrivez des principes que vous contredisez par vos actes. Ainsi, vous ne maintenez pas les entreprises nationales dans le secteur public, alors que vous l’aviez inscrit dans la loi. De même, lors de la création des « maisons Borloo », vous avez refusé de prendre les mesures qui auraient permis d’économiser de l’énergie et de lutter contre l’effet de serre, alors que vous avez adopté la Charte de l’environnement.

Pierre Ducout a rappelé que le développement durable consistait à rendre un arbitrage, souvent difficile, entre trois pôles : l’économique, le social et l’environnemental. L’un de ces trois éléments peut parfois être plus faible que les deux autres, mais, avec votre proposition de privatiser Gaz de France, on perd sur les trois tableaux. On peut difficilement faire pire !

Sur le plan économique – je pense ici au long terme, c’est-à-dire à l’économie des ressources –, on voit bien que les pétroliers font varier les prix et les quantités produites, non pas en fonction de l’intérêt général et du long terme, mais uniquement en fonction du taux de rentabilité, que leurs actionnaires souhaitent maintenir à 20 %. Par ailleurs, en renonçant à réguler le prix de l’énergie, qui est un élément essentiel de la compétitivité, vous fragilisez nos entreprises.

Au plan social, cette absence de contrôle des prix mettra un certain nombre de ménages en difficulté, et ce ne sont pas vos propositions de tarifs sociaux limités aux minima sociaux qui régleront les problèmes de la majorité de nos concitoyens.

Enfin, au plan environnemental, non seulement la lutte contre l’effet de serre nécessitera l’utilisation d’un « mix énergétique », mais il faudra également arbitrer entre les différentes énergies suivant la conjoncture internationale et, en ce qui concerne plus particulièrement le gaz, utiliser la cogénération lors des demandes de pointe qui ne sont pas satisfaites par notre parc nucléaire. Ces arbitrages en termes de développement durable nécessiteront une puissance publique très forte, que ce soit à l’échelle nationale ou à l’échelle européenne. J’ajoute que vous vous trompez de débat, car si, au niveau européen, 90 % du gaz russe est acheté pour l’Europe, le vrai problème est que nous l’achetons en ordre dispersé.

Si vous refusez de voter cet amendement, c’est parce que vous savez tout cela.

M. le président. Je constate que M. Vergnier n’est pas présent pour soutenir l’amendement n° 2027.

Quel est l’avis de la commission sur les amendements en discussion ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Ces amendements concernent le développement durable. Or je rappelle que la loi de 2005, dont notre excellent collègue M. Poignant était le rapporteur, consacre de longues pages à ce sujet.

M. François Brottes. Pas du tout !

M. Jean-Yves Le Déaut. Des mots !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Nous en reparlerons tout à l’heure.

Qu’est-ce que le développement durable ? L’expression est d’origine anglo-saxonne et sa traduction française ne correspond pas exactement à la politique que désigne ce concept. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.) En fait, cette politique consiste à ne pas grignoter le capital de ressources naturelles que nous laissons aux générations futures. Il s’agit en quelque sorte de restituer ce que l’on a pris à la nature afin que ces ressources, notamment énergétiques, puissent continuer à être utilisées dans plusieurs siècles. Là encore, les amendements socialistes ne font que reprendre ce qui est déjà dans la loi. Ainsi que Christian Bataille le disait lui-même, ils ouvrent une porte qui est déjà ouverte. Ils n’apportent donc pas une innovation majeure, fruit d’un effort intellectuel intense. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Quelles politiques faut-il mener pour assurer un développement durable ? Je dois reconnaître que, dans ce domaine, la majorité précédente a voté des textes, et je vous propose de les examiner un par un, afin de savoir ce qu’ils sont devenus au cours de la législature précédente.

Vous avez pris tout d’abord tout un ensemble de dispositions concernant les biocarburants, mais il ne s’est strictement rien passé dans ce domaine. De 1997 à 2002, la production en biocarburant n’a pas bougé.

M. François Brottes. Et la TIPP flottante ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Toutefois, la contribution de nos collègues n’a pas toujours été nulle. Un effort important a ainsi été consenti en faveur de la biomasse, puisque M. Yves Cochet a rédigé, sur ce sujet, un rapport qui représente une avancée intellectuelle indéniable. Je tiens également à souligner l’apport de Christian Bataille sur la question du GPP, dont il m’a attribué à tort la paternité puisque, après en avoir lui-même souligné l’intérêt de ce sujet à la tribune de cette assemblée, il y a consacré un rapport. Je rends donc à César ce qui lui appartient.

M. Jean-Pierre Brard. Ça, c’est une avancée intellectuelle !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. En ce qui concerne le renouvelable thermique, une loi sur la forêt, dont M. Brottes était le rapporteur, a été votée, mais tous ces mots ne se sont traduits par aucune disposition pratique.

M. François Brottes. Il n’y a jamais eu autant d’argent pour la forêt !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Il a fallu attendre la législature actuelle pour que des mesures fiscales soient prises et fassent décoller ce dispositif en faveur de l’utilisation du bois.

S’agissant du renouvelable électrique, la majorité plurielle, dont certaines composantes souhaitaient qu’un effort important soit consenti en faveur des éoliennes, avait adopté un plan Éole 2005. L’année 2005 est venue, mais le plan n’a pas porté tous ses fruits et, là encore, il a fallu que la majorité change pour rompre le véritable carcan qui avait été mis en place. Le président Ollier a ainsi contribué à ce que la réflexion aboutisse à des textes qui permettent un développement important des éoliennes sur l’ensemble du territoire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Brard. Il y a d’ailleurs des éoliennes à Rueil-Malmaison !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Dans le domaine des économies d’énergie et de la maîtrise de la demande, il ne s’est strictement rien passé. Il a également fallu attendre la législature actuelle pour que des dispositions fiscales majeures – comme le doublement du crédit d’impôt – incitent les contribuables à investir dans des dispositifs d’économies d’énergie.

Enfin, s’il est un domaine qui peut apporter aux générations futures une source d’énergie qui ne compromet pas les ressources de la planète, c’est bien le nucléaire. Or je me souviens qu’un groupe de travail avait mesuré l’impact extrêmement négatif de la décision d’annuler le programme du surgénérateur Superphénix et évalué les sommes considérables que cela a coûtées. Je ne veux pas rappeler de mauvais souvenirs à nos collègues de l’opposition, mais il existait sur ce point, ainsi que sur l’avenir du nucléaire, un débat au sein de l’ancienne majorité.

M. François Brottes. Chez vous, il n’y a aucune divergence !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Certains de ses membres, faisant preuve d’une grande lucidité, ont contribué à faire avancer la cause du nucléaire à gauche, mais tant d’autres souhaitaient que l’on détricote la politique qui avait été menée avec beaucoup de courage pendant de nombreuses années ! Je me souviens également que l’un d’entre eux, ici présent, réclamait à cor et à cri, ici même et à Matignon, le lancement du programme EPR, véritable élément de la politique de développement durable. Certains membres de l’ancienne majorité m’ont d’ailleurs dit à quel point ils regrettaient l’incurie du gouvernement de l’époque et le désintérêt qu’il manifestait pour ce projet. Là encore, c’est sous la législature actuelle qu’a été lancé le programme du réacteur de Flamanville, qui sera, je l’espère, le premier d’une série de réacteurs qui nous permettront de consolider une politique énergétique reposant sur une ressource appelée à durer, voire à se renouveler.

Ces quelques éléments suffisent à démontrer que, en matière de développement durable, nous n’avons de leçons à recevoir de personne. Les mots ne suffisent pas pour faire avancer les politiques. Il faut des dispositions pratiques et celles-ci ont été adoptées, au plan juridique et fiscal, par notre majorité.

M. Brard m’a rappelé tout à l’heure que, tout comme Guy Mollet d’ailleurs, il était né à Flers-de-l’Orne, dans mon département. Mais, contrairement à M. Brard, je ne suis pas normand, car je suis né à Mortagne-au-Perche, comme le philosophe Alain, qui disait : « Je suis percheron, c’est-à-dire autre que normand. »

M. Jean-Pierre Brard. Vos électeurs vous en tiendront rigueur !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Alain a également écrit : « Le pessimisme est fait d’humeur et l’optimisme de volonté. » Nous sommes des gens volontaires pour ce qui est du développement durable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements en discussion ?

M. le ministre délégué à l’industrie. M. le rapporteur ayant très bien expliqué ce qu’il y a lieu de penser de cet amendement, je vais pouvoir me contenter d’être beaucoup plus bref. Je limiterai par conséquent mon intervention à trois commentaires.

Premièrement, le service public de l’énergie est conforme aux exigences du développement durable. Cela figure déjà dans l’article 1er de la loi de 2004 : « Les contrats de service public portent notamment sur la protection de l'environnement, incluant l'utilisation rationnelle des énergies et la lutte contre l'effet de serre. »

M. Jean-Pierre Brard. Cela reste vrai !

M. le ministre délégué à l’industrie. Ce texte fait toujours foi aujourd’hui…

M. Jean-Pierre Brard. Et les paroles prononcées par Sarkozy en 2004, elles ne font plus foi ?

M. le ministre délégué à l’industrie. …et nous nous en inspirons, ne vous en déplaise, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Il est difficile de s’y retrouver !

M. le ministre délégué à l’industrie. Deuxièmement, vous avez plusieurs fois fait valoir qu’il fallait, dans une entreprise, faire des arbitrages entre le court et le long terme, et que le soutien à une politique de développement durable était donc, à vos yeux, incompatible avec l’entreprise privée. Je veux tout de même vous rappeler que nous avons mis en œuvre une politique des installations classées et une politique de lutte contre l’effet de serre qui donnent des résultats. Sur ce dernier point, M. Le Déaut affirmait tout à l’heure que nous n’avions pas encore réalisé, en 2006, les objectifs fixés dans le cadre du facteur 4 : ce n’est guère étonnant puisque c’est la loi de 2005 qui a fixé ces objectifs, qui ne devraient commencer à s’appliquer scrupuleusement qu’à partir de 2012. Une amélioration a tout de même été constatée en 2005 par rapport à 2004, puisque l’intensité énergétique a baissé de 1,7 % au lieu de 1,4 %.

M. Jean-Yves Le Déaut. Non, non !

M. le ministre délégué à l’industrie. La politique que nous appliquons aux entreprises privées dans ce domaine est opérationnelle et contraint celles-ci à effectuer les investissements nécessaires.

Troisièmement, l’utilisation du gaz ne me paraît pas répondre à une exigence de développement durable, dans la mesure où le gaz, comme toutes les énergies fossiles, constitue une ressource limitée en quantité, qui ne sera pas disponible indéfiniment.

Pour toutes ces raisons, il ne me paraît pas opportun de soutenir cet amendement.

M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole, monsieur le président.

Demande de vérification du quorum

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, compte tenu de l’heure, et afin de nous permettre de poursuivre nos travaux dans de bonnes conditions, je demande la vérification du quorum en application de l’article 61 du règlement.

M. le président. Permettez que je donne d’abord la parole aux orateurs qui l’avaient demandée.

La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Cette séance est commencée depuis deux heures et demie – pour rien, comme d’habitude. Cette façon qu’a l’Assemblée nationale de discuter sans discuter montre bien que le Parlement ne fonctionne plus. On peut toujours dire que c’est la faute de l’opposition, mais cela ne change rien au problème : force est de constater notre incapacité à faire fonctionner le Parlement normalement.

Remercions M. Ayrault de nous permettre d’aller dormir plus tôt que prévu, et d’écourter un débat d’amendements qui n’ont aucune portée, dans la mesure où tout le monde est d’accord à leur sujet.

Puisqu’en cette heure tardive, il n’y a plus personne dans les tribunes et que plus personne ne nous écoute, je peux me permettre de vous poser cette question, mes chers collègues : ne croyez-vous pas, alors que tout le monde dit que le Parlement ne sert plus à rien, qu’il serait temps d’arrêter d’aggraver le mal et de se mettre enfin à discuter sérieusement ? Nous pouvons parfois aboutir à des compromis, parfois en rester au stade de l’affrontement, tout cela fait partie du fonctionnement normal de la politique. Tel n’est pas le cas du débat actuel et nous, à l’UDF, refusons de manger de ce pain-là.

M. Jean-Pierre Brard. Ce qui manque sur la tartine de l’UDF, c’est un peu de beurre !

M. le président. La parole est à M. Serge Poignant.

M. Serge Poignant. Je n’ai pas l’intention de revenir sur la forme, même si je partage l’avis de notre collègue de Courson, mais il me semble tout de même que M. Martin n’évite pas le ridicule quand il tente de nous imputer l’obstruction.

M. Philippe Martin. Oui, c’est vous qui obstruez !

M. Serge Poignant. J’en viens au fond du débat. Qui a fait une première loi d’orientation de la politique énergétique française – où tout figure déjà, la diversification du bouquet énergétique comme le développement durable –, si ce n’est nous ?

Qui a fait voter une loi sur la charte de l’environnement ? C’est bien cette majorité.

Qui a voté la loi de 2005 instaurant les certificats d’économies d’énergie, l’obligation d’achat et les crédits d’impôt, qui ont ensuite été doublés et étendus du solaire à la biomasse ? Qui a annoncé un objectif – en bonne voie d’être atteint – relatif aux biocarburants et visant à nous faire respecter les accords de Kyoto ? C’est encore notre majorité !

M. Christian Bataille. Qui privatise GDF ?

M. Serge Poignant. Et qu’a fait votre majorité, avec ses ministres écologistes ? Rien !

Je rends néanmoins hommage à M. Le Déaut, qui a présidé la mission sur le réchauffement climatique, à l’issue de laquelle un consensus fut atteint sur les objectifs à fixer dans les prochains projets de loi, à l’exception d’un collègue communiste, déplorant sans doute le manque d’étatisme, et d’un collègue écologiste opposé au nucléaire – en lequel nous voyions pour notre part l’une des voies possibles dans la lutte contre l’effet de serre.

Aujourd’hui, pourtant, vous insistez sur le fait que le service public doit tenir compte du développement durable. Mais c’est déjà dans la loi ! De notre côté, nous considérons que le service public peut être organisé autour d’entreprises publiques et privées. Il est heureux que des entreprises privées s’engagent dans le développement durable et que l’État et les entreprises publiques ne soient pas les seuls à financer la recherche en la matière ! Nous sommes donc opposés sur le fond à ces amendements superfétatoires, car leurs objectifs figurent déjà dans la loi.

Enfin, ne venez pas nous dire que le développement durable est l’apanage de la gauche : la droite s’en préoccupe autant, et l’a prouvé à maintes reprises !

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Je suis d’accord avec M. le ministre…

M. le ministre délégué à l’industrie. Ah ! C’est bien !

M. Daniel Paul. …sur un point, et un point seulement : la multiplication préoccupante des centrales à gaz. L’idée que ces centrales vont fleurir un peu partout sur le territoire national me paraît en effet aller à l’encontre des exigences du développement durable et de la lutte contre l’effet de serre. Certes, elles garantissent une rentabilité quasi immédiate.

M. Christian Bataille. Oui, c’est du court terme !

M. Daniel Paul. Installées en quelques mois à proximité d’un terminal et peu pourvoyeuses d’emploi, elles ne tardent pas à rapporter les premiers profits et à satisfaire les actionnaires.

Dans le contexte actuel d’ouverture à la concurrence et de privatisation de GDF, la floraison de tels projets – qui entraînera certainement une hausse du prix du kilowattheure – justifie l’adoption de ces amendements. Le rôle de l’État est en effet de limiter le nombre de ces centrales afin de ne pas remettre en question soixante ans d’actions bénéfiques en matière énergétique et environnementale, dont trente grâce au nucléaire.

M. le président. Je suis saisi par le président du groupe socialiste d'une demande faite en application de l'article 61 du Règlement, tendant à vérifier le quorum avant de procéder au vote sur les amendements identiques qui viennent d’être défendus.

Je constate que le quorum n'est pas atteint.

Conformément à l'alinéa 3 de l'article 61 du Règlement et compte tenu de l’heure tardive, je reporte ce vote à la prochaine séance.

Ordre du jour des prochaines séances

M. le président. Aujourd’hui, mardi 12 septembre, à neuf heures trente, première séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 3201, relatif au secteur de l’énergie :

Rapport, n° 3278, de M. Jean-Claude Lenoir, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,

Avis, n° 3277, de M. Hervé Novelli, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mardi 12 septembre 2006, à zéro heure dix.)