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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 12 septembre 2006

8e séance de la session extraordinaire 2005-2006

Présidence DE M. YVES BUR,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour un rappel au règlement.

M. François Brottes. Monsieur le président, alors que nous allons, dans un instant, passer au vote sur les amendements identiques concernant les engagements relatifs au développement durable dans le projet de loi sur l’énergie, je ne reviendrai pas sur l’engagement de M. Sarkozy de ne pas privatiser Gaz de France et EDF et de ne pas faire descendre la participation de l’État en dessous de 70 %.

M. Paul Giacobbi. Ce n’était pas un engagement durable !

M. François Brottes. J’avais d’ailleurs pris soin, sans votre complicité, monsieur le président, de diffuser l’enregistrement de sa voix dans l’hémicycle. Chacun a pu se reporter à ses propos.

M. le président. C’était inaudible.

M. François Brottes. Je peux recommencer : j’ai l’enregistrement sous la main.

Mais j’ai un autre enregistrement de M. Sarkozy (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), en date du 15 juin 2004, que je vous lis : « Troisième garantie prévue par le projet : il pérennise le système de financement du régime de retraites des industries électriques et gazières. Trois principes nous guident dans ce domaine. Tout d’abord, le régime spécial par répartition des industries électriques et gazières est maintenu pour tous les agents, qu’il s’agisse des retraités, de ceux qui sont présents dans l’entreprise ou des futurs embauchés. » Il a dit beaucoup d’autres choses, mais cet engagement est important. Or qu’apprenons-nous ce matin par la bouche de M. François Fillon, qui, en matière de retraite, connaît un peu le sujet, et qui est, par ailleurs, l’un des bras droits de M. Sarkozy ?

M. Paul Giacobbi. La voix de son maître !

M. François Brottes. Qu’il maintient un engagement, mais ce n’est pas tout à fait celui que M. Sarkozy avait pris : la réforme des régimes spéciaux fera partie du programme de l’UMP pour la prochaine législature. Nous espérons que ce ne sera pas le cas.

M. le président. Nous examinons un texte sur l’énergie, monsieur Brottes.

M. François Brottes. Je vous parle du système des régimes de retraites des industries électriques et gazières, monsieur le président, nous sommes donc totalement dans le sujet !

Ce qui est assez grave, sans entrer dans le fond du débat sur les régimes spéciaux, c’est qu’on ait eu le 15 juin un engagement de M. Sarkozy, dans le cadre global de l’engagement de ne pas privatiser, et que quelques mois plus tard, on nous annonce que cet engagement ne vaut plus rien et que l’on fera totalement l’inverse.

Chacun – y compris ceux qui aujourd’hui essaient d’expliquer aux Français quels sont les dangers de cette privatisation – aura noté un nouveau dérapage, un nouveau reniement. Quel crédit est-il dès lors possible d’accorder aux engagements de ce gouvernement, et de M. Sarkozy en particulier ? Je vous laisse juge, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet, pour un rappel au règlement.

M. Alain Bocquet. Je voudrais, au début de la journée, rappeler solennellement la demande de mon ami Daniel Paul pour que nous disposions d’une version non expurgée de la lettre de griefs de la Commission européenne. Pour éviter des dépenses en papier, elle pourrait être remise au président de chaque groupe. C’est important pour éclairer notre débat.

De même, pour ne pas perdre de temps et pour éclairer nos débats, il serait intéressant que M. le Premier ministre, vienne exposer son point de vue sur le projet ainsi, de manière concomitante, que M. le ministre de l’intérieur, qui était ministre de l’économie et des finances au moment où il s’est prononcé pour le maintien de la participation de l’État à hauteur de 70 % dans GDF.

M. le président. Monsieur Bocquet, le Gouvernement est représenté. M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a toute latitude pour exprimer la position du Gouvernement.

La parole est à M. Jean Gaubert, pour un rappel au règlement.

M. Jean Gaubert. Il n’est pas possible de laisser passer certaines informations que la presse nous a données ce matin. Elle fait état de bénéfices semestriels de GDF de 1,7 milliard d’euros, soit un peu plus de 11 milliards de francs.

Monsieur le ministre, vous nous avez expliqué hier et la semaine dernière, que le prix du gaz augmentait d’abord en raison de l’augmentation du prix d’achat. Sans doute le prix d’achat du gaz entre-t-il pour une part dans le total, mais n’y a-t-il pas également une façon de se servir sur le dos des clients ? Au passage, on ne parle plus d’usagers, pour lesquels on essayait encore de se tenir proche du prix de revient, mais de clients : il n’y a plus de vergogne. On prend le maximum puisque l’on sait que l’on est sur un marché tendu et de pénurie. On le voit, la dérive a déjà commencé : il faut faire du cash.

Cela me rappelle un peu ce qui se passe sur un marché que je connais au moins aussi bien que celui du gaz : le marché du cochon. Quand le cochon augmente de quinze centimes, le prix de la saucisse augmente d’un euro. C’est la même chose ici : le gaz a augmenté un peu à l’achat, mais beaucoup à la vente. Et 1,7 milliard d’euros, c’est particulièrement choquant !

Alors bien sûr, vous allez nous répondre qu’il n’y aura plus d’augmentation avant le 1er juillet 2007. Mais on sait bien ce que cela veut dire. Sous-entendu : « Vous ne perdez rien pour attendre : après le 1er juillet 2007, si nous sommes encore là, vous paierez. » Au moins, les Français sont prévenus !

Après les 5,2 milliards d’euros liés à la « parité équitable », comme vous l’appelez – je croyais que la parité était toujours équitable –, c’est-à-dire, en clair, après ce qu’il faudra donner aux actionnaires de Suez pour qu’ils acceptent le « un pour un », après le partage de la dette de Suez – parce que la cagnotte d’EDF va servir à cela – et après le partage de la charge du démantèlement du nucléaire belge, le coût de cette opération pour la collectivité sera particulièrement scandaleux et le Conseil constitutionnel ferait bien, le moment venu, de se pencher sur cette situation et de vérifier les conditions de cette privatisation – si tant est que vous arriviez à vos fins –, car la collectivité nationale aura été spoliée. Tout cela pour sauver le soldat Mestrallet !

M. Alain Bocquet. Tout à fait !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. François Brottes. Pour nous parler du régime des retraites ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Pour recadrer le débat ! Monsieur Brottes, je comprends bien que vous souhaitiez entraîner le débat dans les chemins un peu sinueux de la politique au quotidien.

M. François Brottes. C’est M. Fillon qui le fait !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Il y a un débat au sein de l’UMP, des instances qui réfléchissent. Des gens, qui ne sont pas tout à fait d’accord entre eux, s’expriment et un congrès aura lieu dans quelques mois pour décider du projet.

Je ne sais pas, monsieur Brottes, si ce débat est plus ou moins important qu’au parti socialiste. Je ne sais pas si, chez les socialistes, c’est M. Strauss-Kahn, candidat à la présidence de la République, qui a raison lorsqu’il affirme être prêt à descendre la part de l’État en dessous de 50 % dans le capital des entreprises dont nous parlons.

M. François Brottes. Ce n’est pas ce qu’il a dit !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Je ne sais pas si c’est M. Fabius qui a raison lorsqu’il dit vouloir renationaliser EDF. Vous allez décider. C’est l’honneur d’un parti de débattre ; c’est sa responsabilité de décider.

M. François Brottes. Mais c’est vous qui êtes au gouvernement aujourd’hui !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Lorsque vous aurez décidé au sein du parti socialiste, il y aura un débat entre vous et nous pour la présidentielle, mais tant que vous n’aurez pas décidé, je ne me permettrai pas de dire quelle est la position de votre parti. C’est la même chose à l’UMP. Nous n’avons pas encore décidé. Laissons le débat se poursuivre. Nous avons des idées, des principes, nous les affirmons. Et en tout état de cause, nous n’avons pas peur du débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Monsieur Bocquet, je me permettrai de vous dire très amicalement que vous menez un combat pugnace et je respecte la manière dont vous vous battez contre le texte que nous avons présenté, parce que nous ne partageons pas les mêmes idées. Le groupe communiste est constant dans sa position. Je rends hommage à cette pugnacité Le problème, c’est qu’elle s’applique à des principes qui sont écartés depuis bien longtemps. S’agissant de la lettre de griefs, monsieur Bocquet, elle est dans mon bureau. Moi, je suis coincé ici : je vous offre mon bureau pour que vous veniez la lire en prenant tout votre temps, comme l’a fait M. Paul. («  Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Car il l’a lue et je suis certain qu’il vous a tout dit sur cette lettre de griefs, vos liens d’amitié m’empêchent de penser le contraire. Le Gouvernement, et je l’en remercie, a fait tout ce qu’il fallait pour que ce document soit à la disposition des députés. Je me permets de rappeler que, depuis quinze jours, seuls six députés sont venus le lire.

M. Alain Bocquet. Distribuez-le dans les groupes !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Mesdames, messieurs les députés, je rappellerai tous les jours certains faits. Nous sommes ici pour débattre de deux questions très importantes pour l’avenir des Françaises et des Français : d’une part la transposition de la directive énergie,…

M. François Brottes. Ça, c’est le prétexte !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie …qui doit permettre, au 1er juillet 2007, de continuer à bénéficier des tarifs régulés en toute sécurité.

M. François Brottes. C’est faux !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je ne cesserai de le rappeler car c’est de cela que nous débattons pour l’avenir des Françaises et les Français.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Tout à fait !

M. Christian Bataille. On n’est pas obligé de privatiser pour cela !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. D’autre part, – et c’est le second point dont nous débattrons à partir de l’article 10 – la manière dont nous souhaitons pouvoir donner à Gaz de France la possibilité de nouer des alliances, dans quelles conditions, et jusqu’où, en ce qui concerne la participation de l’État. C’est uniquement de cela que nous allons parler.

Je vais vous faire une confidence. Je recevais hier soir M. Jean-Cyril Spinetta, le patron d’Air France. Air France est une belle entreprise, leader mondial dans son secteur. En 2002 – nous nous repassions les faits, M. Spinetta et moi-même –, Air France devait aller de l’avant, nouer des alliances, elle était en discussion avancée, très avancée, avec Lufthansa. Mais, pour y parvenir, nous devions lui donner la possibilité d’être privatisée. Nous en avons donc débattu au Parlement et vous vous êtes bien sûr violemment opposés à la privatisation. Aujourd’hui, Air France est le numéro un dans son secteur.

La majorité dans sa sagesse a autorisé Air France à utiliser son capital afin de nouer des alliances et d’édifier ainsi un groupe de dimension mondiale. Et finalement, comme me le faisait observer M. Spinetta, le rapprochement n’a pas eu lieu avec Lufthansa,…

M. François Brottes. Ça n’a rien à voir !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …ni avec British Airways, qui en avait pourtant exprimé le souhait,…

M. Pierre Ducout. Hors sujet !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …pas davantage avec Sabena, mais avec KLM.

M. Pierre Ducout. Le transport est un domaine fort différent !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. L’essentiel, me disait-il, c’était qu’on lui donne la possibilité d’avancer, de discuter, de négocier, non seulement avec le partenaire éventuel, mais aussi avec la Commission. En effet, celle-ci avait déjà envoyé une lettre de griefs sur les projets d’alliance avec Lufthansa ou avec British Airways. Et si vous n’avez pas alors demandé qu’on vous la communique,…

M. Alain Bocquet. Nous aurions dû !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …c’est qu’alors vous vous en teniez au sujet du débat, à savoir dans quelles conditions on donnait à Air France la possibilité d’aller de l’avant.

Ceci rappelé, le Gouvernement agit dans la transparence la plus totale : ce texte est motivé par un projet industriel, comme l’était déjà la privatisation d’Air France, et le Gouvernement estime que c’est un bon projet, qui permettra à l’entreprise de répondre aux défis qu’elle a à affronter.

Mais, comme je ne cesse de le répéter, il y a un temps pour tout. Il y a eu le temps du dialogue social, au cours duquel nous avons donné toutes les garanties – je dis bien toutes – aux salariés d’EDF.

M. François Brottes. Ce n’est pas ce qu’ils disent !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est désormais le temps du débat parlementaire, consacré à la seule question législative de savoir si, oui ou non, nous voulons donner à Gaz de France la possibilité d’aller de l’avant. Viendra ensuite le temps pour l’entreprise de finaliser un projet industriel. Comme je l’ai déjà dit, et tout dernièrement à la tribune, nous souhaitons vivement qu’elle choisisse de s’allier à Suez, mais d’autres alliances sont possibles : ce qui importe au Gouvernement, c’est que Gaz de France ne reste pas isolé.

Et c’est parce que nous sommes partisans de la plus grande transparence que, comme l’a rappelé le président Ollier, nous vous communiquerons, par son intermédiaire, tous les documents à notre disposition concernant directement, voire indirectement, ce projet de loi, afin que les parlementaires puissent disposer des mêmes informations que le Gouvernement, et dans les mêmes conditions.

Je ne cesserai, mesdames, messieurs les parlementaires, de marteler ces deux points, car c’est de cela que nous avons à débattre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre-Louis Fagniez. Voilà qui est clair !

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour un rappel au règlement.

M. Daniel Paul. Il semble, monsieur le ministre, monsieur le président Ollier, qu’il soit encore besoin de répéter que la lettre de griefs dont j’ai pris connaissance dans votre bureau était un document tronqué, dont des phrases, des paragraphes, voire des pages entières, sont incompréhensibles, du fait que tous les chiffres, toutes les statistiques ont été occultés. Je le répète : c’est insulter le législateur que de lui interdire ainsi l’accès à un document qui constitue une pièce majeure de ce dossier.

Notre demande est simple : que chaque groupe puisse disposer d’un exemplaire non tronqué de ce document. On peut quand même se fier aux groupes qui constituent cette assemblée pour ne pas mettre en péril des accords commerciaux en divulguant des informations confidentielles ! Vous savez bien que l’enjeu n’est pas là.

Vous venez de nous annoncer, monsieur le ministre, que vous comptez bien marteler chaque jour vos vérités. Eh bien, quant à nous, nous rappellerons chaque jour qu’on nous interdit d’accéder à certains documents.

Répondant ce matin, sur les ondes d’une grande station nationale, aux questions des journalistes et des auditeurs, M. Stiglitz, prix Nobel d’économie, a jugé que la France ne devait pas s’engager dans la privatisation du secteur énergétique. C’est qu’il sait ce que cela a coûté à ses concitoyens et à l’économie américaine. Ce jugement, venant d’une personnalité du monde économique, et qui a semblé surprendre les journalistes présents, n’est pas sans importance au regard de nos débats.

On a également appris ce matin que les profits de GDF avaient explosé. Ces profits record ont été réalisés sur le dos des usagers et des clients, puisqu’on doit désormais, paraît-il, distinguer selon qu’ils sont soumis au régime du tarif ou à celui du prix. Mais c’est sans distinction qu’ils ont contribué à cette augmentation des profits.

Je ne peux pas m’empêcher, monsieur Loos, de penser au sort de Yara, entreprise de la région havraise, qui explique à son échelle cette explosion des profits. L’augmentation du prix du gaz est en train de la mener à sa perte et de réduire ses salariés au chômage. Il est absolument anormal que les profits de GDF augmentent ainsi au détriment de l’emploi et de l’activité français.

Contrairement à ce que j’ai pu entendre, GDF ne vend pas à perte : elle pratique tout simplement une optimisation des tarifs. J’ose dire en revanche, monsieur le président, qu’on veut faire de GDF la vache à lait d’une Suez surendettée. J’ai repris à mon compte les questions posées à ce propos par les syndicats dans le cadre de la motion de procédure que j’ai défendue vendredi soir. Je les répète aujourd’hui puisque vous n’y avez pas répondu : est-il vrai que Suez est surendettée ? Est-il vrai qu’au nom du principe de parité rappelé par M. Gaubert à l’instant, les actionnaires de Suez pourraient exiger de l’entreprise publique le versement de 5,2 milliards d’euros avant la fusion ? Une fusion des deux entreprises dans de telles conditions serait inacceptable. Est-il vrai enfin que GDF devrait assumer le coût du démantèlement des centrales nucléaires d’Electrabel ? On sait en effet que la plupart des centrales nucléaires belges devront être fermées avant 2020.

Autant de questions qui nous paraissent importantes. Or nous n’avons toujours pas de réponses à ces questions, que nous vous posons depuis vendredi. Ce n’est pas le type de débat que nous souhaitons : le débat que nous souhaitons doit au contraire éclairer nos compatriotes.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Il ne suffit pas, monsieur le ministre, d’adopter de bon matin un ton professoral pour dire la vérité.

M. Christian Bataille. Bientôt, il va nous apprendre la grammaire !

M. Pierre-Louis Fagniez. C’est le ton de la compétence !

M. François Brottes. Je suis obligé de vous rappeler, monsieur le ministre, avec tout le respect que je vous dois, que l’histoire n’est pas exactement telle que vous venez de la raconter.

Vous nous dites qu’il y a eu concertation. Or, comme nous l’a rappelé M. Loos hier, la fusion n’a pas été évoquée avec les personnels, sous prétexte que ce n’était pas le sujet. Vous n’avez sûrement pas non plus évoqué avec eux la réforme des régimes spéciaux, qui les concerne pourtant au premier chef.

À propos d’Air France, je reconnais votre constance : votre majorité n’a pas dévié de sa direction initiale et a suivi la voie que l’on connaît. C’est précisément ce qui rend la comparaison peu pertinente. En outre il s’agit d’un service tout différent, qui ne concerne pas l’ensemble de nos concitoyens. L’énergie est un secteur tout à fait particulier, qui regroupe production, transport et distribution.

Sur ce sujet, le film compte trois épisodes. En 2004, M. Sarkozy et votre majorité nous assurent qu’on ne privatisera pas GDF. La loi d’orientation que vous faites voter en 2005 affirme que ce sont les entreprises publiques de l’énergie, Gaz de France et EDF, qui garantissent le service public de l’énergie.

Moins de six mois après, M. de Villepin nous affirme, sur le perron de Matignon, qu’il faut privatiser Gaz de France pour sauver le soldat Suez : c’est un changement de pied radical !

Vous nous dites que ce texte a deux objectifs importants. Il viserait d’abord à transposer la directive de sorte à maintenir les tarifs régulés. La légitimité de cette transposition n’est pas contestable, mais vous n’y songiez pas avant que le Conseil d’État ne vous avise qu’il serait opportun de faire voter la privatisation de Gaz de France à l’occasion de la transposition de la directive. Cette initiative, qui n’était pas, en dépit de sa nécessité, prévue dans votre scénario initial, a donc d’abord un objectif cosmétique.

Je vous prie donc, monsieur le ministre, de bien vouloir ne pas réécrire l’histoire.

énergie

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au secteur de l’énergie (nos 3201, 3278).

Discussion des articles (suite)

Avant l’article 1er (suite)

M. le président. Hier soir, l’Assemblée s’est arrêtée au vote sur les amendements identiques du no 1995 au n° 2027, portant article additionnel avant l’article 1er.

Je mets aux voix par un seul vote ces amendements.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de 32 amendements identiques, du no 2028 au n° 2060.

La parole est à M. François Brottes, pour défendre l’amendement n° 2028.

M. François Brottes. Nous proposons là encore d’inscrire dans la loi, afin de les conforter, des principes auxquels nous sommes fortement attachés, à savoir les principes de transparence, de responsabilité et d’accessibilité.

En ce qui concerne la transparence, j’en ai déjà dit deux mots à propos de la façon dont vous avez traité les personnels. Ce principe devra également s’appliquer aux relations avec les usagers et les consommateurs. Il y a fort à parier en effet que l’ouverture à la concurrence pour les particuliers, dont vous avez, avec Mme Fontaine, exprimé le souhait il y a quelques mois, et qui devrait, malheureusement, avoir lieu le 1er juillet 2007, va entraîner une forte augmentation des tarifs. On peut s’attendre également à ce que les usagers soient perdus devant les offres de services qui seront proposés par une multitude d’opérateurs. La fusion de Gaz de France et de Suez mettra en outre en péril l’activité d’EDF, à qui vous imposerez de surcroît de compenser les baisses de prix. Mais nous reviendrons sur ce débat lorsque nous parlerons des tarifs.

Les principes de transparence et de responsabilité vous imposent également, monsieur le ministre, d’assumer l’initiative de cette fusion, ce que vous ne faites pas.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Mais si !

M. François Brottes. Vous prétendez que ce n’est pas la question, mais l’exposé des motifs de ce projet de loi précise de façon explicite que la fusion est l’enjeu de cette privatisation. Vous ne pouvez pas le nier, monsieur le ministre : c’est écrit.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je ne le nie pas.

M. François Brottes. Telle est donc la motivation, l’élément moteur de la privatisation.

Pour notre part, nous souhaitons, comme la très grande majorité des Français, que la part de l’État dans le capital de Gaz de France reste majoritaire. En effet un sondage publié hier révèle que seuls 12 % des Français souhaitent que la part de l’État descende au-dessous de 50 %.

En l’espèce vous ne satisfaites donc pas aux exigences de transparence et de responsabilité qui doivent être de règle s’agissant du service public de l’énergie.

Quant au principe d’accessibilité, nous le considérons comme central, en ce qu’il garantit l’égal accès de tous à l’énergie. Il est vrai que les communes ne sont pas toutes desservies en gaz.

En revanche, le volontarisme affirmé en matière de desserte gazière – notamment par le groupe socialiste, sous l’égide de Christian Bataille – n’a de sens que parce que l’État garde le contrôle de GDF et dispose des leviers lui permettant de garantir que les opérateurs de l’énergie pourront répondre à l’exigence d’accessibilité pour tous dans le cadre de la diversification des propositions énergétiques. L’amendement n° 2028 vise donc à conforter une situation aujourd’hui compromise.

Monsieur le ministre, je vous rappelle l’article 1er du titre I de la loi d’orientation sur l’énergie promulguée le 14 juillet 2005, qui dispose que c’est par le maintien et le développement d’entreprises publiques nationales de l’énergie qu’on peut garantir un bon service public de l’énergie. Cet engagement est aujourd’hui en passe d’être rompu.

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille, pour soutenir l’amendement n° 2029.

M. Christian Bataille. À la différence d’un service commercial ordinaire, le service public obéit à des principes qui gênent fort les libéraux en général, et ceux de Bruxelles en particulier, qui sont les héritiers lointains de Mme Thatcher et de M. Reagan et prônent le dépeçage du service public.

Il paraît contraire au bon sens et à la raison de vouloir tronçonner nos entreprises nationales, qui assurent équitablement un service sur tout le territoire, mais, aujourd’hui, chacun en réclame sa part. J’ai ainsi lu dans la presse de ce matin que M. Beigbeder – qui a sans doute quelques apparentements avec le MEDEF, lui-même apparenté à certains membres de votre gouvernement – réclame à EDF la livraison de kilowatts-heure nucléaires au prix coûtant, que son entreprise Poweo revendrait avec bénéfice, sur le dos du consommateur. Où s’arrêtera-t-on ?

Il semble bien, en effet, que M. Beigbeder ait un avis autorisé, qui ne fait que préfigurer une situation que nous connaîtrons peut-être dans l’avenir au nom de la concurrence et de la diversité des entreprises : le droit pour une entreprise privée de revendre plus cher un produit public, issu de l’épargne et de l’effort des Français, de la lucidité politique de leurs gouvernements successifs. Sans vergogne, M. Beigbeder réclame sa part de ce dépeçage.

Nous réaffirmons donc dans plusieurs amendements les principes du service public – ici ceux de transparence, de responsabilité et d’accessibilité.

Je m’arrêterai sur un de ces mots, la transparence, qui est une grande exigence du service public et n’a pas toujours été spontanément réalité. Elle doit notamment s’appliquer à l’énergie nucléaire, qui ne sera mieux acceptée de notre population qu’à deux conditions : d’abord, que le kilowattheure fourni soit moins cher que l’électricité produite dans d’autres pays, ce qui suppose qu’on fasse partager cet avantage compétitif aux citoyens français ; ensuite, que l’on explique d’une manière transparente comment cette électricité est produite et quel est l’aval du cycle nucléaire – terme qui, dans le jargon en usage, désigne le traitement des déchets.

La transparence est un principe fondamental et nous réaffirmons que rien mieux que le service public ne répond à cet objectif.

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert, pour soutenir l’amendement n° 2030.

M. Jean Gaubert. Il n’est guère difficile de trouver des arguments en faveur de cet amendement.

Il y est question de transparence ? Voilà quinze jours que nous demandons des informations que nous n’obtenons pas et que, monsieur le ministre, vous vous y opposez avec des arguments qui ne sont pas forcément les vôtres. Ce qui nous choque n’est d’ailleurs pas tant la façon dont vous utilisez ces arguments que le fait même ne semble pas vous gêner.

Pour être clair, la Commission européenne nous interdit de donner ces informations au motif qu’elles sont commercialement sensibles pour des entreprises cotées. Un gouvernement pourrait toutefois interroger la Commission sur son juste rôle et lui demander si les parlementaires n’ont pas le droit de connaître ces informations. Je ne reviendrai pas sur ce point qui montre bien que, lorsqu’il est question d’une société cotée, les règles actuelles de confidentialité commerciale empêchent la transparence. Pourtant, sur le marché en cause, la transparence est absolument nécessaire.

Christian Bataille vient d’évoquer le scandale que représente le fait que certains opérateurs du gaz et de l’électricité, fidèles au vieux principe de la socialisation des pertes et de la privatisation des bénéfices, voudraient acheter à un tarif fixé par l’État le plus bas possible et vendre au prix qui leur convient, le plus cher possible. Plus encore, comme nous le reverrons à l’occasion d’un amendement proposé par la majorité, lorsque le client ne peut pas payer, il faudrait avoir recours à un fonds constitué sur le dos des consommateurs.

Voilà pourquoi nous considérons que la transparence ne peut pas être assurée par une société privée. Le problème ne tient pas aux hommes, mais au système.

Il en va de même pour la responsabilité : ce ne sont pas non plus les hommes qui sont individuellement en cause, mais le système. Lorsque la pression consiste à trouver du cash et à assurer des bénéfices immédiats, les impératifs de continuité et de sécurité du service – sécurité du nucléaire, certes, mais aussi des réseaux – tendent, dans l’esprit du personnel ou des cadres, à passer au second plan, car l’actionnaire est le premier – et parfois le seul – servi.

L’accessibilité, enfin, suppose un ensemble de conditions, dont la première porte sur le réseau et sa qualité. Si, comme ce sera le cas pour le gaz, on laisse le réseau à une entreprise privée, ce réseau sera d’autant mieux entretenu et développé qu’il y aura des espoirs de ventes d’énergie juteuses et rémunératrices. En revanche, le réseau sera abandonné – c’est le terme qui convient, car il ne sera plus entretenu, comme le montrent déjà de nombreux exemples – dans les secteurs où l’on estimera que le développement de la vente du gaz ne pourra pas satisfaire à ces objectifs.

Ce mécanisme aurait dû vous sauter aux yeux, car il s’agit là exactement de ce qui s’est produit dans les pays qui ont privatisé avant nous. C’est le cas du rail en Grande-Bretagne, évoqué hier par certains de nos collègues, mais aussi celui de l’électricité ou du gaz.

Il est clair que, lorsqu’on a des intérêts privés à défendre, la seule question qu’on se pose n’est pas de savoir où sont les besoins des citoyens, mais où il sera le plus rentable d’investir son argent.

Ce qui nous sépare n’est pas l’idéologie, mais la compréhension du système que vous voulez mettre en place. Nous avons parfois des doutes mais, dans le cas présent, c’est une certitude : les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ducout, pour soutenir l’amendement n° 2031.

M. Pierre Ducout. L’amendement n° 2031 vise à affirmer que le service public de l’énergie satisfait aux principes de transparence, de responsabilité et d’accessibilité, au bénéfice de tous nos concitoyens – qu’on les nomme usagers, consommateurs ou, comme aujourd’hui, clients.

Dans une démocratie évoluée comme la nôtre, tous les citoyens doivent disposer de tous les éléments d’information relatifs à l’énergie. Cette transparence doit s’exercer à l’échelle internationale et doit porter sur les enjeux, sur les prix, sur la situation réelle des énergies fossiles et de leurs réserves potentielles, sur les relations de force entre les différents pays engagés dans une véritable guerre de l’énergie et sur l’évolution prévue pour les cinquante prochaines années.

Ainsi, l’évolution prévue de la population du monde, dont il a été récemment confirmé qu’elle devrait passer de six à neuf milliards d’individus, se traduira par de nouveaux besoins, notamment par une très forte augmentation dans les pays africains, avec lesquels nous avons et devons continuer d’avoir des relations privilégiées, et en Asie.

Cette transparence doit s’exercer également en matière de politique européenne. Je rappelle en effet que, comme l’expriment clairement leurs attendus, les directives des années 1990 visaient à mettre en place une concurrence qui devait se traduire par une baisse des prix. Or, aujourd’hui, le marché se caractérise par une offre insuffisante par rapport à la demande.

De ce point de vue, tout comme les députés, tous nos concitoyens doivent pouvoir disposer de tous les éléments d’information nécessaires, et en particulier de la lettre de griefs dont il a déjà été question. J’ai été l’un des premiers à pouvoir la consulter, et je remercie le président de la commission des affaires économiques de l’avoir mise à notre disposition dans son bureau – même si nous avons dû insister beaucoup pour l’obtenir. Nous avons obtenu également de nouveaux locaux, qui ont permis à la commission de travailler plus efficacement dans des conditions plutôt délicates.

On observe cependant que, dans cette lettre de griefs, tous les éléments importants à caractère quantitatif ou relatifs à l’évolution de la concurrence sont gommés. En outre, il n’y est question que de concurrence formelle, et nullement des objectifs de meilleur service et de meilleurs prix pour nos concitoyens.

La transparence doit porter aussi sur le fonctionnement de notre entreprise Gaz de France. Indiscutablement, monsieur le ministre, il serait bon de rappeler à notre assemblée sur quels points celle-ci a réalisé des bénéfices plus importants que prévu. Pour la CRE, en effet, les tarifs réglementés devraient normalement être fixés au plus près des prix de revient de notre entreprise, et rien ne justifie les surbénéfices réalisés sans nécessité sur le dos des usagers et des contribuables, malgré un besoin bien réel d’investissements destinés à préparer l’avenir.

Pour ce qui est encore de la transparence des prix, la lettre de griefs de la Commission européenne met en cause les contrats à long terme, que nous avons évoqués hier, au motif qu’ils donneraient un avantage compétitif anormal à notre grande entreprise publique, alors même que ces contrats permettent de garantir à la fois des prix abordables et la sécurité.

Ensuite, quand on évoque la transparence, se pose aussi la question du nucléaire, et M. Bataille en a bien parlé. Vous le savez tous, pour que nos concitoyens acceptent le nucléaire, il faut la meilleure transparence possible. Et cela n’est pas toujours facile. J’ai en tête des présentations de sites de déchets nucléaires où l’on ne distinguait pas, sur la carte, les déchets issus de l’aviation ou des centres de radiologie, des déchets ultimes à très haute radioactivité des grandes centrales nucléaires. De même, il faut la transparence quant aux risques liés aux fontes grises. Les médias ont rappelé hier un accident important qui s’est produit dans une maison ayant explosé à cause du gaz. Nous n’avons toujours pas eu d’informations réelles sur les causes parce que les médias en parlent un jour mais sans assurer le suivi dans le temps.

M. Yves Simon. Ce n’est pas le sujet !

M. Pierre Ducout. La responsabilité, c’est celle de nos entreprises publiques en ce qui concerne la qualité et la continuité des fournitures, mais également celle des gouvernements.

Pour terminer, je voudrais dire un mot sur l’accessibilité à tous. Nous sommes dans un pays où, quels que soient les besoins de réduire certains étalements urbains, nous avons la possibilité de bien vivre partout grâce à ces entreprises publiques qui desservent pratiquement tout le territoire. En ce qui concerne le gaz, les gouvernements de gauche ont apporté un plus en permettant le raccordement de nouvelles communes. Mais aujourd’hui, quand on voit que les réseaux sont susceptibles de devenir privés, on peut se poser des questions sur l’accessibilité à tous de la fourniture de qualité d’électricité et de gaz. Il est donc absolument indispensable d’inscrire dans la loi ces objectifs de service public.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, pour soutenir l’amendement n° 2032.

M. Jean-Yves Le Déaut. On ne peut que s’interroger sur la volonté réelle du Gouvernement de maintenir le service public dans notre pays. « J’affirme que c’est un engagement du Gouvernement : EDF et GDF ne seront pas privatisés. » Monsieur Breton, cela a été dit et écrit il y a moins de deux ans par votre prédecesseur. Aujourd’hui, une rumeur d’OPA a servi de prétexte pour balayer cet engagement, pour annoncer une fusion-disparition de Gaz de France, décridibilisant la parole de l’État et accessoirement celle du ministre en question. L’échange d’actions entre Gaz de France et Suez aboutira à la disparition de cet opérateur historique, avec une dilution de la place de l’État : 34 % aujourd’hui, mais combien demain ? C’est absolument certain. Usant des grands mots, au nom du « patriotisme économique », le Gouvernement a décidé la disparition de l’entreprise publique Gaz de France tout en fragilisant l’autre entreprise publique, EDF. Du coup, vous verrez que, dans quelques années, EDF, Gaz de France et Suez seront coupés en morceaux et dilapidés.

Il est pourtant indispensable aujourd’hui, pour préparer l’après-pétrole, de disposer d’un secteur public de l’énergie fort. Nous sommes là dans un débat de fond, à l’inverse de ce que certains ont prétendu et des photos qui ont été présentées, mais on a l’impression de prêcher dans le désert et que vous êtes un peu comme des canards sous la pluie : vous avez mis le bec sous les ailes et vous attendez que ça passe.

M. Yves Simon. Belle formule !

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous souhaitons que le service public de l’énergie satisfasse au triple principe de transparence, de responsabilité et d’accessibilité.

Je vais vous lire la lettre d’un lecteur de Libération, publiée jeudi dernier – un lecteur très pertinent : « La privatisation de GDF est une mesure purement idéologique. Les grandes infrastructures nationales sont une partie de notre souveraineté. Dans les années qui vont venir, la question de l’énergie sera aussi préoccupante que peuvent être le chômage ou le sentiment d’insécurité aujourd’hui. Le service public de l’énergie est une affaire trop importante pour le laisser dans les mains d’actionnaires et autres fonds de pension, généralement étrangers, qui n’ont que les dividendes en ligne de mire. L’UMP, qui représente 16 % du corps électoral – européennes de 2004 – n’a pas la légitimité politique pour brader le patrimoine commun et pour dégrader les conditions d’exploitation d’un service public si important dans notre vie quotidienne. »

Je vais développer rapidement les trois points de l’amendement.

S’agissant de la transparence, il est évident qu’elle a été développée pour le nucléaire. Plusieurs d’entre nous ici ont travaillé sur la loi relative à la transparence et à la sécurité nucléaire. C’est un texte important. Mais comment pouvons-nous vous faire confiance, monsieur le ministre, quand on ne sait pas ce que vous allez faire dans trois mois des infrastructures, notamment de Gaz de France, si jamais la Commission européenne vous demande de céder en contrepartie de la fusion une part de ses actifs ? François Loos a visité avec moi, dans mon département de la Meurthe-et-Moselle, le centre de stockage de Cerville puisque nous avons fait un rapport, lui comme président et moi comme rapporteur, sur les risques industriels après l’accident d’AZF.

M. le ministre délégué à l’industrie. C’est vrai.

M. Jean-Yves Le Déaut. Mes chers collègues – qui somnolez pour certains, qui discutez pour d’autres –, braderiez-vous aujourd’hui les centres de stockage de notre pays si la Commission européenne l’exigeait ? La sûreté de nos concitoyens n’est-elle pas la priorité ? Au centre de Cerville, il est évident que la sécurité doit s’imposer. Ceux qui ont l’œil rivé, non sur la sécurité des installations mais sur les dividendes qu’ils vont toucher, pensez-vous qu’ils auront la sécurité des installations en ligne de mire ? Est-ce que si Gazprom achetait les réseaux de transports de gaz – les tuyaux – et les centres de stockage, sa priorité serait la sécurité des installations dans notre propre pays ? Sûrement pas !

La responsabilité de l’État, c’est la sûreté de l’approvisionnement, c’est la sécurité des installations. Nous ne sommes pas persuadés qu’elles soient assurées avec le montage que vous nous présentez.

Enfin, le dernier point, c’est bien sûr l’accessibilité à l’énergie. Je crains, alors qu’on a fait de gros progrès pour la couverture du gaz sur le territoire national, que la rentabilité ne soit de nouveau un des critères retenus par les opérateurs privés, et que l’État n’ait que ses yeux pour pleurer quand finalement, dans quelques années, on constatera une dégradation de notre service public.

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi pour soutenir l’amendement n° 2033 de M. Habib.

M. Paul Giacobbi. S’il était besoin de démontrer l’utilité d’un tel amendement, le débat me semble l’avoir déjà largement fait.

S’agissant de la responsabilité, je dois d’abord dire que j’ai été surpris par la réaction du président de notre commission, qui s’est livré à toute une série de considérations relatives aux programmes de grands partis, l’UMP ou le parti socialiste, alors que ce dont nous parlions, c’étaient des engagements du Gouvernement et même, selon les termes du ministre des finances de l’époque, de « l’engagement solennel du Président de la République en conseil des ministres ». C’était dans son esprit, je suppose, l’expression la plus haute de la responsabilité, à propos du caractère majoritaire de l’actionnariat de l’État dans le capital de GDF.

Par ailleurs, je ne sais plus très bien si nous sommes dans un débat sur la privatisation ou sur la fusion. Toujours est-il que l’un semble justifier l’autre. Tout à l’heure, nous avons entendu M. Breton nous dire, dans une conception très manichéenne de la question, qu’il s’agissait d’un bon projet. Je me souviens d’avoir ici même entendu notre ministre des finances nous expliquer que la fusion Mittal-Arcelor ne se ferait pas, qu’il s’agissait d’un très mauvais projet,…

M. Jean-Yves Le Déaut. Eh oui !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. On n’a jamais dit ça !

M. Paul Giacobbi. …et que tous les gens bien informés – les actionnaires, les commentateurs économiques – étaient du même avis que lui. Et puis, j’ai constaté ce que j’avais prévu quelques mois avant, à savoir que le projet s’est réalisé, avec une dépense en cash exactement identique à celle qui était évaluée au départ, c’est facile à démontrer. 94 % des actionnaires l’ont approuvé ; quant à la presse internationale et aux commentateurs, ils l’ont approuvé absolument tous. Je ne sais donc plus ce qu’est un bon ou un mauvais projet, mais ce que je sais en tout cas, c’est qu’on a manqué de responsabilité et de transparence.

Dernier point, justement : la transparence. Il est stupéfiant de constater que nous débattons sans avoir certains éléments d’information et que l’on caviarde – expression qui date de la guerre de 14 – la lettre de griefs pour que nous, impurs, incompétents, irresponsables, n’ayons pas le droit de la lire jusqu’au bout, alors que c’est tout de même un élément fondamental du dossier. Si s’attache à cette lettre une telle confidentialité – toute relative puisqu’elle sera, tôt ou tard, publiée dans la presse et que nous en prendrons donc tous fatalement connaissance –, il vaut mieux attendre que cet aspect de l’affaire soit éclairci pour débattre du projet en connaissance de cause. À l’évidence, nous sommes dans un débat surréaliste !

M. le président. Je constate que MM. Migaud, Bonrepaux, Aubron, Balligand, Bascou, Besson et Bono ne sont pas présents pour défendre leurs amendements.

J’appelle donc maintenant l’amendement n° 2041.

La parole est à M. Pierre Cohen, pour le soutenir.

M. Pierre Cohen. Ce que j’ai entendu depuis ce matin est la preuve que nous avons la volonté de parler au fond, que tous les artifices que vous avez essayé de mettre en avant pour tenter d’instaurer une certaine solidarité au sein du groupe de l’UMP s’estompent de plus en plus, et qu’enfin un vrai débat se substitue au thème de l’obstruction parlementaire. Je suis heureux que M. Dionis du Séjour arrive parce que, en commission, il nous a stigmatisés avec la notion de service public version 1946. J’espère que nous aurons l’occasion d’y revenir au cours du débat, parce qu’il n’y a pas que M. Dionis du Séjour et que des ultra-libéraux, il en existe aussi à l’UMP…

M. Jean Dionis du Séjour. Vraiment pas beaucoup !

M. Pierre Cohen. …et qu’ils vont nous dire ce que le service public signifie aujourd’hui, avec son prétendu modernisme. L’intérêt, c’est d’en débattre point par point. Nous allons essayer de voir si la notion de service public tel que nous le défendons a tout son sens et toute sa modernité tandis que les ultralibéraux, petit à petit, grignotent, remettent en cause les services publics, en inadéquation avec ce que pensent les Françaises et les Français. Nous aurons l’occasion aujourd’hui de détailler le sondage sorti dans Les Échos, qui montre, monsieur le ministre, que même vos sympathisants de la droite parlementaire sont complètement défavorables à votre projet.

Revenons sur le service public. La notion de transparence, de responsabilité et d’accessibilité est-elle une notion de service public version 1946 ? À l’époque s’est structurée en France cette notion de service public grâce à laquelle, depuis cinquante ans, nous avons un droit à l’éducation, à la santé, mais aussi un droit à l’énergie, à la formation, aux transports. Cela montre bien que ce qui s’est passé en 1946 a permis à la France, dans la seconde moitié du XXe siècle, de se reconstruire et d’être une puissance au plus haut niveau sur le plan mondial.

Mais depuis, il y a une évolution des services publics. J’aimerais insister sur cette notion de transparence et de responsabilité, et, d’une autre façon, sur l’accessibilité. Aujourd’hui nous sommes, en tant qu’élus, particulièrement ceux qui ont des mandats locaux, de plus en plus confrontés à une exigence de transparence de la part de nos concitoyens. Non seulement, comme cela a été dit, en matière de sécurité, mais aussi par rapport à ce qui risque d’arriver puisque vous prenez la responsabilité, en privatisant – même s’il y aura des lois et si l’État essaiera de réguler le prix –, de susciter chez les citoyens une exigence de transparence totale sur les décisions. Dès lors, les stratégies de stockage, les choix stratégiques qui permettront d’avoir des prix accessibles, tout cela obligera les citoyens que vous appelez les clients à se fédérer pour avoir l’information et la transparence. C’est en ce domaine que la responsabilité peut évoluer. Certes, jamais je ne dirai qu’une entreprise privée est irresponsable.

Néanmoins, une entreprise privée, tout en se conformant bien sûr à la loi, choisira toujours l’intérêt de ses actionnaires, voire de ses clients, dont le nombre peut se restreindre sans porter atteinte à ses profits si ses prix de vente augmentent.

C’est pourquoi il faut défendre le principe essentiel de l’accessibilité. Nous, élus locaux, avons souvent incité les organismes HLM ou les habitants à opter pour le gaz, compte tenu notamment du coût du chauffage. Si nous n’avons plus les moyens de maîtriser celui-ci, nous serons responsables devant eux des choix que nous leur avons suggérés, et l’accessibilité sera remise en cause.

Ainsi, dans des domaines essentiels, le service public est profondément moderne, à condition qu’on le pilote en fonction de l’intérêt général, et en faveur du plus grand nombre.

M. le président. Mme Darciaux et M. Dehoux n’étant pas présents pour soutenir leurs amendements, j’appelle maintenant l’amendement n°2044.

La parole est à M. François Dosé, pour le soutenir.

M. François Dosé. En l’état actuel de nos connaissances, au moins trois problèmes majeurs sont à prévoir pour les décennies à venir : les fractures démographiques – dans notre société et dans le reste du monde –, la gestion de l’eau et le problème de l’énergie.

Ces trois rendez-vous ne sauraient nous dispenser des exigences de transparence, de responsabilité et d’accessibilité, car on ne peut les réduire à des échanges de connaissances au sein des seules institutions, fussent-elles démocratiques, comme les nôtres, ou parfois citoyennes, comme les entreprises. La communauté, qu’elle soit nationale ou internationale, doit s’approprier ces enjeux. Voilà ce qui justifie ces amendements.

Nous souhaitons la transparence : elle est la clé de la connaissance. Nous souhaitons la responsabilité, car elle est le fondement d’un échange partenarial, et non mercantile. Nous souhaitons enfin l’accessibilité, qu’elle soit sociale ou territoriale, afin que chacun puisse apporter sa contribution dans ce défi qu’est la gestion de l’énergie, dont le gaz n’est d’ailleurs qu’une déclinaison.

Aussi ces amendements ne visent-ils pas à faire tourner l’horloge, mais à susciter une prise de conscience : réduire les défis que j’évoquais à des enjeux marchands ne peut nous satisfaire.

M. le président. M. Dumas et M. Dumont n’étant pas en séance, la parole est à M. Yves Durand, pour soutenir l’amendement n° 2047.

M. Yves Durand. Comme hier, je défends l’amendement de M. Emmanuelli.

L’énergie n’est pas une marchandise comme les autres, et vous le savez bien, messieurs les ministres. Aussi sommes-nous – comme beaucoup de nos collègues sur l’ensemble des bancs, j’en suis persuadé – profondément attachés au service public de l’énergie, qui garantit les trois éléments que nous souhaitons mettre en relief avec ces amendements : la responsabilité, celle de la collectivité et de l’État, j’y reviendrai ; la transparence, que beaucoup de nos collègues, et notamment Christian Bataille, viennent d’aborder ; et enfin le principe d’égalité dans l’accessibilité.

La mission de l’État est en effet de garantir l’égal accès de tous à l’énergie, à l’instar d’autres domaines tels que l’éducation ou la santé. Ce n’est pas faire injure aux entreprises privées de dire que ce n’est pas leur but, qui est de réaliser des bénéfices, de distribuer des dividendes. Telle est la règle du jeu, et nous l’acceptons tous. Mais c’est précisément la raison pour laquelle, afin de garantir l’égalité des droits, le service public doit être fort. Voilà, messieurs les ministres, ce que vous vous apprêtez à démanteler.

C’est là un dessein d’autant plus grave que vous agissez en catimini, sans l’assumer et en tentant de passer en force. Le débat est pourtant fondamental, et il devra être tranché dans quelques mois : en dépit de certaines résistances au sein même de la majorité, vous voulez aller vite. Outre les arguments techniques – même si notre débat est profondément politique –, beaucoup de nos collègues ont répondu à votre place à des questions que nous vous posions.

Je voudrais donc une fois de plus, messieurs les ministres, aborder ce qui me semble être la question politique fondamentale de notre débat. M. François Brottes a rappelé hier l’article premier de la loi de programmation, que je cite à mon tour : « La politique énergétique repose sur un service public de l’énergie […]. Sa conduite nécessite le maintien et le développement d’entreprises publiques nationales […]. » Vous êtes en train de faire le contraire : dites-le !

Je vous pose la question à vous, monsieur le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, car vous représentez le Gouvernement – mais il faudra bien un jour que M. Sarkozy nous réponde lui-même : qu’est-ce qui justifie aujourd’hui le reniement du texte que vous avez fait voter ? Est-ce le désir, presque physique, de vous faire ovationner par les assemblées du Medef ? Ou la volonté d’aliéner la propriété de la nation, c’est-à-dire de tous les citoyens, à des intérêts privés ? Votre dessein est-il idéologique, à quelques mois d’échéances électorales où les Français auront à choisir un projet de société ? Si oui, dites-le clairement, au lieu de nous engager dans un débat irréel, comme on l’a souligné tout à l’heure.

M. le président. La parole est à Mme Geneviève Gaillard, pour soutenir l’amendement n° 2048.

Mme Geneviève Gaillard. Tous nos collègues devraient voter cet amendement, car il démontre bien que le service public répond à des exigences fondamentales souhaitées par nos concitoyens. Dans les domaines de l’eau et de l’énergie en particulier, les Français veulent en effet des garanties. Ils veulent savoir ce qu’ils achètent, comment les prix sont établis et la façon dont les décisions sont prises. Nos sociétés ne se contentent plus de subir le diktat d’entreprises privées souvent opaques et muettes sur leurs intentions.

Il faut donc souligner que le service public, qui satisfait aux principes de transparence, de responsabilité et d’accessibilité, satisfait aussi au principe de justice sociale. C’est pourquoi je défends moi aussi cet amendement.

M. le président. En l’absence de Mme Génisson et de M. Gorce, la parole est à M. Alain Gouriou, pour soutenir l’amendement n° 2052.

M. Alain Gouriou. Je voulais revenir sur la notion d’accessibilité, à laquelle cet amendement fait allusion. Si le réseau de Gaz de France, élément essentiel de notre patrimoine énergétique, dispose d’un maillage très important, il n’est pas assez étendu pour desservir l’ensemble des territoires de la métropole. Des projets d’extension existent, car des activités économiques particulières le nécessitent – je pense notamment à l’agriculture.

Or la question se pose de savoir si, dans le cadre d’une privatisation, les investissements nécessaires à la modernisation du réseau et à son extension seront réalisés. Ces travaux d’extension, on le sait, sont très coûteux, et ils exigent des compétences particulières en génie civil : seul un service public, comme l’est GDF jusqu’à présent, est capable de les réaliser.

Dans les années à venir, il est à craindre que, lorsque des choix devront être faits, l’entreprise privatisée n’arbitre au profit de ses actionnaires, toujours soucieux d’un retour sur investissement le plus rapide possible, au détriment des équipements nécessaires. On peut donc redouter que ces derniers ne soient pas réalisés.

L’autre problème, lié à l’accessibilité, est celui de la sécurité, indispensable dans le cadre de la desserte du gaz. La sécurité est aujourd’hui garantie par la densité du réseau et la grande compétence des personnels de GDF, capables d’intervenir très vite dès qu’un dysfonctionnement est constaté. Il est donc également à craindre, dans l’hypothèse d’une privatisation, que des économies soient réalisées en la matière, notamment en ce qui concerne les personnels.

M. Breton sait mieux que quiconque ce qui s’est passé avec le réseau des télécommunications. Lors de la privatisation de France Télécom, chacun, dans sa circonscription, a pu constater qu’il existait des zones blanches pour les territoires non accessibles aux téléphones mobiles…

M. Yves Simon. À qui la faute ?

M. Alain Gouriou. …et des zones grises pour les territoires non accessibles au haut débit. Le Gouvernement s’était engagé à mettre fin à la situation dans les plus brefs délais, afin d’assurer la couverture de l’ensemble du territoire, tant en ce qui concerne le haut débit que la téléphonie mobile. Or cette couverture, on le sait, n’est toujours pas achevée : il existe encore en métropole des territoires non accessibles aux téléphones mobiles, sans parler du haut débit. Qu’en sera-t-il sur un réseau comme celui de Gaz de France où les investissements nécessaires sont au moins aussi lourds ?

Notre groupe, à l’évidence, ne peut donc que voter cet amendement.

M. le président. Je constate que M. Jung, M. Lambert, M. Launay, Mme Lebranchu, M. Nayrou, Mme Saugues, M. Tourtelier et M. Vergnier ne sont pas présents pour défendre leurs amendements.

Sur l’ensemble des amendements identiques qui viennent d’être soutenus, quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Avec ces amendements, nous ouvrons à nouveau la boîte de Pandore. Nous y trouvons un certain nombre de mots qui flattent l’opinion : transparence, responsabilité, accessibilité. Plusieurs orateurs de l’opposition, présents à l’Assemblée dès potron-minet, sont montés à l’assaut des travées pour défendre avec des mots très forts, auxquels nous ne sommes pas indifférents, ces valeurs qu’ils ont qualifiées d’essentielles au bon fonctionnement des entreprises publiques.

Mes chers collègues, je vous propose donc de faire l’inventaire de vos actes. Vous avez eu l’occasion, au cours des dernières années, des derniers mois, de mettre en pratique un certain nombre de ces bonnes résolutions que vous célébrez. Je les prends donc une par une. Transparence : nous avons entendu ce matin beaucoup de choses sur le sujet. Avant 2002, la ministre en charge de l’environnement, Mme Voynet, qui appartenait à la gauche plurielle, a proposé au nom du Gouvernement un projet de loi sur la transparence nucléaire. Les élections étant assez proches, des voix dissonantes au sein du Gouvernement de l’époque ont mis en doute l’opportunité de soumettre ce projet de loi à la discussion. Après débat interne, le projet de loi n’a donc pas été présenté.

C’est l’actuel gouvernement qui a pris le relais, dans un esprit de responsabilité, et a donné une suite législative à une intention qui s’appuyait sur la transparence, célébrée ce matin. Et savez-vous ce qui s’est passé au moment du vote sur ce projet concernant à la fois la transparence et la sécurité nucléaires ? La gauche, qui avait pris l’initiative de ce projet, ne l’a pas voté !

Vous célébrez ensuite la responsabilité. Là aussi, faisons l’inventaire, toujours dans le domaine nucléaire, puisque c’est celui que vous avez évoqué. Était-il responsable de faire ce que vous avez décidé de faire à partir de 1997, c'est-à-dire de ruiner le grand projet du surgénérateur ? Répondant à l’exigence des Verts, vous vous êtes engagés dans un projet que je ne saurais qualifier, coûtant des dizaines de milliards de francs de l’époque et consistant à démanteler cette filière.

M. François Dosé. Ce n’est pas de nos amendements qu’il s’agit là !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Mais le plus bel exemple, toujours dans le nucléaire, nous est fourni par l’un des membres du groupe socialiste, pour lequel j’ai le plus grand respect, car il a su, parfois contre ses propres amis, défendre, dans le respect du nucléaire, la question du traitement des déchets radioactifs. Il est présent dans l’hémicycle et se reconnaîtra.

Une loi votée en 1991 porte son nom et prévoit qu’une nouvelle loi pose, quinze ans plus tard, au-delà des principes, les bases d’un stockage des déchets radioactifs. Cette nouvelle loi a été soumise au Parlement par l’actuel gouvernement. Qu’a fait la gauche ? Elle n’a pas voté le texte. Et aujourd’hui, elle voudrait nous donner des leçons, au nom de la responsabilité ! Chaque fois que vous avez l’occasion de mettre en pratique ces beaux principes, vous vous défilez.

Vous défendez enfin l’accessibilité. A écouter vos interventions, cela concerne non seulement la constitution de réseaux de distribution de gaz mais aussi la possibilité donnée à un client, qu’il s’agisse d’un particulier ou d’une entreprise, de se raccorder dans les meilleures conditions à un réseau de gaz.

Un élu évoquait tout à l’heure la situation qu'ont connue beaucoup de maires, qui souhaitaient avoir le gaz et ne l’obtenaient pas du fait de la configuration du réseau national édifié par Gaz de France. Vous avez, dans le prolongement de cette anecdote, souligné la nécessité de maintenir la distribution et ses réseaux dans le secteur public. Je voudrais quand même rafraîchir vos mémoires : qui a donné la possibilité à des concurrents de créer des réseaux de gaz ? C’est vous, dans la loi de finances de 1998. Lorsque des communes ou des agglomérations ont souhaité disposer de réseaux de gaz, il a fallu procéder à des appels d’offres. Et, face à cette concurrence, Gaz de France a été obligé d’aller là où les entreprises privées ne souhaitaient pas aller. C’est là une des vertus de la concurrence et c’est grâce à ces dispositions que vous avez mises en place que le réseau a pu se renforcer.

Pour ce qui concerne maintenant l’accès d’un particulier au réseau, nous vous donnons rendez-vous, mes chers collègues, sur l’article 13 du projet de loi. Mais je peux d’ores et déjà vous poser une question : serez-vous présents à ce rendez-vous et saurez-vous répondre à la proposition qui vous sera faite de mettre en harmonie vos actes et vos bonnes intentions ? Sans préjuger, nous verrons alors si vous êtes en mesure d’honorer les engagements moraux que vous prenez avec force envolées lyriques.

La commission a rejeté ces amendements parce que d’autres mots nous viennent à l’esprit pour évoquer le service public. Ces mots, que nous mettons en pratique et qui figurent dans la loi de 2005, ce sont la continuité – c'est-à-dire la continuité territoriale –, l’égalité – avec la péréquation tarifaire – et l’adaptabilité – c'est-à-dire la possibilité offerte aux entreprises de se moderniser en empêchant une évolution qui les étoufferait, voire entraînerait leur déclin.

C’est la raison pour laquelle je vous invite à repousser ces amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. M. le rapporteur a déjà très largement répondu aux questions abordées dans la présentation de ces trente-deux amendements. Je rappellerai simplement qu’une loi sur la transparence a été votée en juin dernier et que ce n’est pas le seul texte sur la transparence en matière d’énergie adopté sous l’actuelle législature, puisque la transparence des tarifs a été inscrite dans la loi de 2003. Quant à l’accessibilité et à la responsabilité, ce sont très exactement les termes des contrats de service public d’EDF et de Gaz de France. Pour ce qui concerne enfin l’accès de tous à l’énergie, elle est rappelée à l’article 1er de la loi du 13 juillet 2005.

Nous avons donc le sentiment que ces principes que nous défendons tous sont inscrits dans la législation sur l’énergie.

Ceci dit, entre l’énoncé des principes et leur mise en pratique au quotidien, des questions peuvent évidemment se poser et vous en avez dressé la liste. Le rapporteur y a largement répondu. Je reviendrai juste sur le problème de l’avenir des réseaux. Il n’est pas question que les réseaux deviennent privés, puisqu’ils appartiennent aux communes.

Plusieurs députés socialistes. Mais bien sûr que si !

M. le ministre délégué à l’industrie. Les réseaux de transport appartiennent à Gaz de France, et il est donc tout à fait absurde de parler de leur privatisation puisque ce sont les communes qui en sont les propriétaires.

M. François Brottes. Pas des réseaux de transport !

M. le ministre délégué à l’industrie. Pour toutes ces raisons, il ne me semble pas nécessaire de voter ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Je voudrais régir aux propos du rapporteur, qui a mis en cause le groupe socialiste, le gouvernement de Lionel Jospin et moi-même en tant que rapporteur d’un certain nombre de textes.

La question la plus délicate qu’il pose est celle de l’arrêt de Superphénix, dont l’essentiel de la mission n’était plus de produire de l’énergie mais d’être un centre de recherches. Superphénix ayant été arrêté, les recherches en cours se sont poursuivies sur le site de Phénix, à Marcoule, mais j’admets que nous devrons avoir recours pour des recherches supplémentaires à un surgénérateur localisé au Japon. Cela étant, je le dis à titre personnel, il n’est pas bon de faire d’une installation un enjeu politicien.

Concernant la loi sur la transparence, vous dites que le groupe socialiste ne l’a pas votée. Certes, mais nous n’avons pas voté contre, nous nous sommes abstenus. J’ai en mémoire à ce propos, ce que m’avait expliqué l’un de vos prédécesseurs, Robert Galley, lors du débat en première lecture de la loi de 1991 sur les déchets. Quand on est dans l’opposition, disait-il, et que l’on approuve plus ou moins une démarche, on ne va pas au-delà de l’abstention. En effet, l’opposition n’apporte son approbation à un texte que dans des conditions tout à fait exceptionnelles, s’il met en jeu l’intérêt national, par exemple.

Il est vrai qu’à l’époque la droite avait d’abord pu s’abstenir, puis montrer son accord unanime sur le texte en dernière lecture. Mais nous fonctionnions alors avec d’autres procédures que les navettes accélérées, voire bâclées, qu’utilise aujourd’hui le Gouvernement. Nous ne disposons pas, nous, d’une majorité au Sénat pour l’éternité, et examinons un texte qui revient à plusieurs reprises devant l’Assemblée, sur lequel on peut donc exprimer chaque fois de nouvelles nuances. La brutalité de votre méthode, qui s’appuie sur un vote conforme au Sénat et un seul retour à l’Assemblée, ne nous le permet pas. Si vous voulez donc que nous puissions dans l’avenir discuter avec plus de nuances, il faut savoir prendre son temps, ce que nous faisons pour notre part.

S’agissant enfin de la loi sur les déchets nucléaires, qui a été votée en juin, nous nous sommes abstenus, non pour faire un geste politique, mais parce que la majorité a obstinément refusé la création d’un fonds dédié pour financer l’aval du cycle nucléaire. Bien que ce ne soit pas le sujet de notre débat, j’en parlerai brièvement, notre rapporteur l’ayant lui-même évoqué. Il s’agit d’une somme rondelette – 80 milliards d’euros – qui se trouve pour l’essentiel dans les caisses d’EDF et, pour une plus petite part, dans celles du CEA et d’AREVA. EDF était encore une entreprise publique lors de la collecte de ces fonds auprès des consommateurs. Aujourd’hui, son statut a changé et rien ne justifie qu’EDF, société anonyme, conserve de telles sommes, qui doivent retourner à la puissance publique : nous avions proposé qu’elles soient placées sous le contrôle de l’État et gérées par la Caisse des dépôts, ce qui constituait une mesure financièrement neutre et assurait un certain recul, mais vous l’avez refusé obstinément. Je le dis à M. Lenoir : si le changement de majorité que nous souhaitons se produit, nous reviendrons à la création d’un fonds public externalisé. Voilà pourquoi nous n’avons pas voté votre loi des deux mains, alors que, je le reconnais, elle prolongeait la loi de 1991 : vous n’étiez pas allé au bout de votre logique et le texte était inachevé.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Bataille.

M. Christian Bataille. La loi que vous avez votée est satisfaisante, mais vous auriez pu faire bien mieux.

M. le président. Mes chers collègues, j’ai laissé chacun d’entre vous s’exprimer afin que le débat puisse avoir lieu. Cela étant, nous allons repartir sur les mêmes bases qu’hier soir : pour répondre à la commission et au Gouvernement, un seul orateur par groupe pourra prendre la parole. Nous pourrons ainsi débattre dans le temps qui nous est imparti pour l’examen des amendements.

La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Je souhaite répondre à M. Cohen qui nous a traités d’« ultralibéraux ». Drôles d’ultralibéraux que ceux qui s’apprêtent à défendre une participation majoritaire dans Gaz de France…

En réalité, nous sommes des militants de la construction européenne, sujet qui vous pose problème. La construction européenne, ce ne sont pas seulement de grands débats, c’est aussi l’Europe du quotidien, c’est transposer des directives et, ce faisant, honorer notre parole auprès de nos partenaires.

Si nous saluons l’œuvre du législateur de 1946, nous constatons que le monde a bien changé depuis : à l’époque, la France produisait du gaz à Lacq, en Aquitaine, ainsi que dans le Sahara, et l’Europe n’existait pas. Aujourd’hui, les directives européennes nous font du bien tant en matière de transparence des tarifs – heureux celui qui comprenait quelque chose à la tarification d’EDF ! – que d’accès aux réseaux de production et de distribution. Nous considérons donc qu’à ce titre, le texte va dans le bon sens.

M. de Courson a terminé hier soir sur une note de mauvaise humeur que je vais relayer. Si nous n’en sommes pas encore au stade des amendements débiles, nous examinons toutefois des pétitions de principe. Celles-ci ouvrent certes de vrais débats, mais nous avons déjà évoqué ces questions, notamment à propos de la loi d’orientation.

M. Jean Gaubert. Il n’en reste plus rien !

M. Jean Dionis du Séjour. Nombre d’entre vous ont d’ailleurs participé à son examen, comme Jean Gaubert, François Brottes ou François Dosé.

Certes, l’article 1er du projet trahit quelque peu la loi d’orientation, mais il n’était pas nécessaire de déposer ces amendements de bavardage. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Le groupe UDF dénonce la stratégie d’obstruction qu’ont choisie les groupes socialiste et communiste (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), car elle alimente l’antiparlementarisme et, pis encore, appelle le recours au 49-3. Je vous pose la question : jusqu’à quand cela va-t-il durer ? Jusqu’après la journée d’action du 12 septembre ? Jusqu’à vendredi ? Avez-vous conclu un accord avec l’UMP avec laquelle vous discutez souvent ?

M. Alain Gouriou. Non, pas souvent !

M. Jean Dionis du Séjour. Quoi qu’il en soit, si le 49-3 est utilisé, vous en porterez la coresponsabilité.

M. Claude Gatignol. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Serge Poignant.

M. Serge Poignant. Mon intervention sera dans le droit-fil de ce qui a été dit sur les amendements précédents, comme celui que vous avez présenté ce matin sur le développement durable.

M. Jean-Yves Le Déaut. Excellent amendement !

M. Serge Poignant. Sur le fond, vous savez ce que nous en pensons… D’ailleurs, je sais gré au ministre et au rapporteur d’avoir rappelé une nouvelle fois la loi de juillet 2005 dans laquelle ces principes sont clairement inscrits.

Vous nous traitez d’ultralibéraux : bien au contraire, nous sommes pour un service public de l’énergie moderne.

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous aussi !

M. Serge Poignant. Nous devons être réalistes face au monde d’aujourd’hui, un monde de concentration européenne régi par des directives. Il faut savoir évoluer, et nous disons oui à la sécurité, à la transparence et à l’accessibilité.

Puisque vous faites toujours allusion aux mêmes références, je vais vous rappeler les propos de l’un de vos responsables – et candidat putatif à l’élection présidentielle : « Le changement de statut d’EDF et l’ouverture de son capital sont compatibles avec le maintien du service public. La part de l’État devra être suffisante pour assurer un ancrage incontestable sans pour autant graver dans le marbre le seuil des 50 %. » S’agissant d’EDF et du nucléaire, je suppose que, comme nous, vous n’êtes pas d’accord… Cessez donc d’avoir l’air si sûrs de vous et relisez les propos énoncés par l’un des vôtres dont je rappelle qu’il n’est pas le plus obscur d’entre vous !

Le groupe UMP refuse la caricature que vous faites en nous accusant de restreindre les défis actuels à de simples enjeux de marché, mais refuse également une vision du service public fondée sur les seules entreprises publiques !

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Je m’étonne que M. Dionis du Séjour nous accuse de ne vouloir faire que de l’obstruction.

M. Jean Dionis du Séjour. Assumez !

M. Jacques Brunhes. Il me semblait pourtant que nombre de députés, y compris à l’UDF, pensent comme nous que, dans l’état actuel de nos institutions, les pouvoirs de l’Assemblée nationale sont réduits à la portion congrue. En déposant des amendements qui touchent au fond d’un sujet aussi essentiel que l’indépendance énergétique de la France, nous tentons de répondre à la dérive monarchique du système. Quel déni de démocratie en effet qu’un ministre d’État annonçant il y a huit mois le contraire de ce que prévoit aujourd’hui le projet de loi ! Ne pas tenir ses promesses,…

M. André Schneider. Jamais les communistes n’ont fait cela !

M. Jacques Brunhes. …voilà ce qui nourrit l’antiparlementarisme et le rejet de la politique ! Voilà la dérive institutionnelle que nous combattons ! Pour reprendre la formule d’Alain Duhamel, l’Assemblée « regarde passer les trains » et ne représente plus rien. Vous persistez à nous caricaturer en nous accusant de faire de l’obstruction (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire)

M. Jean Dionis du Séjour. Assumez !

M. Jacques Brunhes. …et vous contribuez ainsi à entretenir l’antiparlementarisme. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nos amendements ne sont qu’une façon d’aborder les problèmes de fond et de répondre à la dérive institutionnelle.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques qui viennent d’être soutenus.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. François Brottes. Rappel au règlement, monsieur le président !

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour un rappel au règlement.

M. François Brottes. L’intervention de M. Dionis du Séjour m’y contraint. Il nous reproche d’avoir déposé des amendements « débiles », tout en reconnaissant que, jusqu’à présent, ils ne le sont pas…

M. Jean Dionis du Séjour. Ceux-là vont arriver !

M. François Brottes. Or les journées de débat que nous avons eues ne font que confirmer le flou qui entoure ce projet de fusion. À tel point que le ministre lui-même affirme que nous parlons ici de privatisation, et non de fusion – question qui serait abordée ultérieurement. Tarifs, cessions d’actifs de l’entreprise publique Gaz de France, avenir des personnels, retraites, autant d’incertitudes que nous tentons de lever. Hier, monsieur le ministre Loos, vous avez indiqué que vous n’aviez pas parlé de la privatisation avec les représentants des personnels : je comprends qu’ils s’interrogent !

L’État risque de perdre la majorité dans une entreprise pourtant stratégique, et nous n’avons toujours pas de réponse sur les actions spécifiques ou la minorité de blocage. Jusqu’à présent, nos amendements ont permis de démontrer le flou et l’incertitude qui entourent ces questions. Tel est bien l’objet du débat parlementaire. Quel meilleur endroit qu’ici même, à l’Assemblée, pour évoquer ces sujets, dans le souci de clarifier pour nos concitoyens les arguments des uns et des autres ?

Préférez-vous les titres de journaux annonçant que 55 % des Français soutiennent la privatisation de GDF ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est pourtant la vérité !

M. François Brottes. Un sondage indique que seuls 12 % d’entre eux y sont favorables. Nos concitoyens commencent à comprendre à quelle sauce vous allez assaisonner le service public de l’énergie !

Reprise de la discussion

M. le président. Je suis saisi de trente-deux amendements identiques, nos 2211 à 2243.

La parole est à M. Christian Bataille, pour soutenir l’amendement n° 2211.

M. Christian Bataille. Cet amendement prévoit la mise en place de structures et de procédures de participation des usagers à l’entreprise afin de promouvoir la citoyenneté.

La citoyenneté est un terme tout à fait adapté dès lors qu’on parle de service public, notion inscrite dans la tradition républicaine – contrairement au service marchand. La participation des usagers doit promouvoir la citoyenneté au sein du service public de l’énergie. Si les salariés ont leur mot à dire – et ils le font aujourd’hui avec force dans la rue – les usagers sont également au cœur du fonctionnement du service public.

Permettez-moi de rappeler les déclarations inouïes du président de Poweo, selon lequel le service public n’existera bientôt plus : EDF vendra l’énergie à prix coûtant à des intermédiaires qui feront des bénéfices à la revente, supprimant du même coup le profit que tout citoyen consommateur est en droit de tirer du bon fonctionnement du service public, qui lui garantit des prix moindres que ceux d’entreprises privées. Je reconnais que le Gouvernement a fait son travail en modérant les ardeurs de M. Cirelli, qui voulait augmenter plus encore les prix. Mais en privatisant l’entreprise elle-même, vous allez priver les usagers de leur participation au service public et condamner l’exigence de citoyenneté.

Il est bien certain que pour Suez, ou pour toute autre entreprise privée désireuse d’accéder au marché du gaz, il n’y a pas de citoyens, mais seulement des acheteurs, des consommateurs : les relations sont fondées sur les gros sous, un point c’est tout !

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour soutenir l’amendement n° 2212.

M. François Brottes. Une fois n’est pas coutume, M. le rapporteur nous a fait la démonstration de l’intérêt de placer les citoyens au premier rang dans les procédures destinées à assurer le contrôle ou la transparence – je pense en particulier aux commissions locales d’information et de sécurité mises en place à proximité des installations industrielles à risques. Cette préoccupation a été renforcée majorité après majorité. On ne peut en effet laisser l’usager à l’écart des enjeux de la politique industrielle – y compris sur le plan tarifaire. Mais on ne peut pas non plus s’en tenir à des vœux pieux : il faut des structures et des procédures permettant de promouvoir cette démocratie participative. C’est notamment le cas pour le service public de l’énergie, surtout si vous en privatisez une partie importante.

Dans ce domaine, l’intérêt général est en jeu à plus d’un titre. Il y a la question des plus démunis, dont on reparlera à propos des tarifs sociaux. Comment les définir ? Combien sont-ils ? Comment répondre aux problèmes qu’ils rencontrent ? Comme on le verra, nous n’avons pas sur cette question le même périmètre de définition. En outre, poursuivant le désengagement de l’État, vous avez récemment laissé aux conseils généraux le soin d’assumer de telles charges.

De même, il faut bien s’inquiéter des territoires défavorisés. Si les citoyens ne sont pas impliqués, les entreprises publiques n’ont pas, naturellement, ce genre de préoccupation. Il est vrai que vous avez des réponses toutes prêtes – avec la complicité, sur ce point, de M. Dionis du Séjour. Ainsi, en matière de télécommunications, les petites communes pauvres, délaissées par les fournisseurs d’accès au haut débit ont, grâce à vous, le droit d’investir dans les infrastructures pour devenir elles-mêmes opératrices de télécommunications. Les pauvres ont donc désormais le droit de payer pour un service que les plus riches obtiennent gratuitement ! À votre place, je ne serais pas fier d’avoir permis ce type de dérapage. Or, ce qui est déjà en œuvre dans le domaine des télécommunications, vous le préparez dans celui de l’énergie. C’est pourquoi les usagers doivent être au cœur de la procédure de contrôle.

Un autre enjeu est le développement durable. En matière énergétique, l’économie n’est pas une vertu très partagée. Et s’ils ne sont pas contrôlés, notamment par les citoyens, ceux qui ont intérêt à vendre le maximum de kilowattheures pour augmenter leurs profits risquent de continuer à gaspiller.

Par ailleurs, monsieur le ministre, j’espère que vous aurez l’occasion d’expliquer aux usagers la façon dont Gaz de France a pu voir ses bénéfices augmenter de 44 % sur la période écoulée. Est-ce dû à l’augmentation du prix de vente aux usagers ? À la baisse des prix d’achat de la matière première ? Ou à l’amélioration de la productivité, et donc à la diminution de la maintenance et de l’emploi ? Il y a bien une explication ! Lorsque l’on fait pareil bénéfice, c’est bien grâce au mouvement de l’un de ces trois curseurs ! Nos concitoyens doivent le savoir : vous souhaitez présenter GDF comme une belle mariée bien dotée à Suez. Et quand on voit que le président de GDF n’a pas hésité à menacer d’attaquer le ministre parce que celui-ci, alors qu’il était encore en mesure de contrôler l’entreprise, a exigé que l’augmentation des tarifs soit contenue, il y a de quoi s’inquiéter. Que se serait-il passé si ses demandes avaient été acceptées ?

Je crois, monsieur le ministre, que vous nous devez des réponses, et notre amendement en est l’occasion. D’où vient cette augmentation des bénéfices ? D’où vient l’argent ?

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert, pour soutenir l’amendement n° 2213.

M. Jean Gaubert. Je souhaite revenir aux propos de M. le ministre puisque vous ne m’avez pas autorisé, monsieur le président, à prendre la parole après lui. Le sujet est en effet capital, et j’aimerais comprendre.

On nous accuse de chercher à faire durer le débat. Mais qui en est responsable, sinon ceux dont les déclarations sont contradictoires ou manquent de clarté ? Ainsi, M. le ministre délégué nous expliquait il y a quelques minutes que les réseaux ne seraient pas privatisés. Comment est-ce possible si l’État ne conserve que 34 % du capital de Gaz de France en lui laissant ses réseaux ? (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.) À moins, monsieur le ministre, que vous n’ayez décidé – et ce serait une très bonne nouvelle – de prendre en compte notre amendement, repoussé ce matin par la commission, tendant à exclure les réseaux du périmètre privatisable. Est-ce le cas ?

Une fois Gaz de France privatisée, l’entreprise, dites-vous, pourra s’allier avec qui elle veut. Le show donné par M. Mestrallet et M. Cirelli, avec la bénédiction du Premier ministre, n’avait-il donc pour but que d’amuser la galerie, ou y a-t-il vraiment quelque chose derrière ? Le Gouvernement parle-t-il d’une seule voix ? Tantôt il affirme que la question n’est pas celle d’un éventuel accord entre Suez et Gaz de France – vous venez de le répéter, monsieur le ministre –, tantôt il insiste, comme l’a fait M. Copé selon une dépêche, sur la nécessité de cette fusion. Le porte-parole du Gouvernement a en effet rappelé que, dans un contexte où trois grands groupes se partagent plus de 50 % des fournitures de gaz et où certains envisagent de se regrouper – il faisait allusion à Gazprom et Sonatrach –, il fallait absolument que nous ayons un groupe de taille importante. Qui parle au nom du Gouvernement ? Son porte-parole ou le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ? Nous voulons des réponses claires. Si elles l’étaient, peut-être gagnerions-nous du temps.

Ne nous accusez pas, monsieur le ministre, de vouloir faire durer le débat ! À cause de vos réponses contradictoires, plus nous avançons, moins nous comprenons !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je n’accuse personne, et nous tenons tous le même discours.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ducout, pour soutenir l’amendement n° 2214.

M. Pierre Ducout. Il me paraît indispensable d’assurer la participation des usagers du service public. Parmi les enjeux, celui de la maîtrise de la consommation d’énergie est le premier qui me vient à l’esprit. À cet égard, nous savons que des progrès doivent être réalisés dans l’habitat, qu’il soit ancien ou à construire, ainsi que dans les transports. La programmation pluriannuelle des investissements préparée par M. le ministre délégué à l’industrie fait d’ailleurs figurer la maîtrise énergétique parmi ses principaux objectifs, tout en reconnaissant, à l’instar de RTE, que les objectifs les plus ambitieux ne devraient pas pouvoir être atteints tant le comportement des citoyens évolue lentement en ce domaine.

Bien entendu, il s’agit d’éviter les gaspillages en améliorant par exemple l’isolation thermique, et non de réduire le niveau de confort, domaine dans lequel des avancées sont au contraire toujours possibles. C’est le cas, en ces années de canicule, en matière de droit à la climatisation – mes collègues déjà présents au début des années quatre-vingt se souviennent sans doute qu’il était parfois impossible de travailler dans l’hémicycle tant les installations étaient défaillantes – qui peut même se transformer en obligation pour certains établissements publics comme les hôpitaux.

Des structures et des procédures de participation des usagers favoriseraient la responsabilisation des citoyens en matière de maîtrise énergétique. À cet égard, les gouvernements de gauche ont réalisé des avancées, par exemple en faisant vivre les commissions consultatives des services publics locaux, qui fonctionnent d’ailleurs plus souvent dans les collectivités gérées par la gauche. Naturellement, ces commissions s’intéressent plus particulièrement à des services publics locaux tels que la distribution d’eau, alors que l’énergie est et doit rester un problème national. Mais elles peuvent en relayer les enjeux au niveau local.

Par ailleurs, les communes reçoivent chaque année un rapport sur le service public de l’énergie réalisé par l’entreprise concessionnaire. Elles sont en effet encore responsables de la distribution, même si votre projet de loi n’indique pas clairement comment cette responsabilité va évoluer.

M. le ministre délégué à l’industrie. Cela ne change pas.

M. Pierre Ducout. EDF et GDF en sont coresponsables, et il est devenu plus difficile, depuis que les statuts ont changé, d’obtenir des informations de manière transparente. La société anonyme, sous la pression des actionnaires, ne réagit plus comme avant. C’est pourquoi il faut permettre la participation des citoyens aux relations avec les concessionnaires et étendre la compétence des commissions consultatives des services publics locaux aux problèmes d’électricité et de gaz. Tout cela est indispensable pour garantir les meilleurs prix et les meilleurs services.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, pour présenter l’amendement n° 2215.

M. Jean-Yves Le Déaut. S’il y a un amendement que vous devriez accepter, monsieur le ministre, c’est bien celui-ci. Même notre collègue Dionis du Séjour devrait y être sensible.

En d’autres temps, quand l’UMP portait un autre nom, la participation était un élément clé de la politique gaulliste. Ce parti l’a oublié depuis, mais la promotion de la démocratie et de la citoyenneté était alors pour lui un thème important.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous parlons, nous, de participation.

M. Jean-Yves Le Déaut. Qui est le grand perdant de notre système d’accès à l’énergie ? Ce sont nos concitoyens ! Alors que nous débattons d’une privatisation de Gaz de France, vous semblez oublier que la facture pétrolière et gazière a augmenté dans chaque foyer : les abonnés au gaz paient environ 200 euros de plus par an.

M. Jean-Pierre Gorges. Et pourtant, c’est public !

M. Jean-Yves Le Déaut. Pensez-vous que les choses vont s’améliorer avec la privatisation ? Regardez les cours du pétrole ! L’augmentation du baril de brut entraîne directement celle du prix à la pompe ! Convenez tout de même que c’est anormal. En la matière, la participation des citoyens devrait finalement être obligatoire. Quand le prix du pétrole augmente, l’État se remplit les poches puisqu’il prélève un pourcentage fixe de taxes. Donc, lorsque certains de nos concitoyens paient aujourd’hui plus cher leur facture gazière et pétrolière, l’État est gagnant. Voici quelques années, vous avez refusé notre proposition tendant à rétablir la TIPP flottante. Il convient de le faire, ce qui ne signifie d’ailleurs pas qu’il faille accepter une application automatique de la TIPP. Puisque l’énergie est indispensable pour le chauffage des habitations et pour le transport, il est nécessaire de prévoir une sorte de « bon à tirer » pour chacun de nos concitoyens.

M. Jean-Pierre Gorges. Comme pendant la guerre ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Il est en effet inégalitaire et choquant que l’État s’enrichisse quand les factures pétrolières augmentent. C’est ce que répondraient avec force, si on les interrogeait, nos concitoyens.

Pour calmer certains députés UMP, pour rassurer aussi un certain nombre de chefs d’entreprise, le rapporteur du projet de loi a proposé un prétendu « droit de retour » au tarif réglementé pour les entreprises qui ont choisi le marché.

M. François Brottes. C’est un leurre !

M. Jean-Yves Le Déaut. C’est un leurre, certes. Ce prétendu nouveau tarif réglementé transitoire d’adaptation au marché…

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. D’ajustement !

M. Jean-Yves Le Déaut. …s’inscrit dans la volonté du Gouvernement de favoriser le rapprochement du tarif réglementé du prix du marché afin de rendre caduque la notion même de tarif.

De plus, qui paiera cette compensation ? Les utilisateurs de l’énergie gazière ou électrique, si bien que les simples citoyens – vos électeurs dans vos circonscriptions, messieurs les députés de l’UMP –, dont la consommation d’énergie est modeste, paieront pour ceux qui chauffent 500 mètres carrés au gaz !

Ce sont là des usines à gaz ! (Sourires.) Ces systèmes sont totalement injustes !

Pour s’en sortir et vous donner des gages, mesdames et messieurs les députés de l’UMP, on invente des systèmes si compliqués qu’ils ne fonctionneront jamais. Nous risquons, au bout du compte, de nous retrouver dans une situation similaire à celle du pétrole : ceux qui rencontrent les plus grandes difficultés à vivre dans notre société paieront pour les autres.

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi, pour soutenir l’amendement n° 2216 de M. Habib.

M. Paul Giacobbi. Cet amendement traite de la citoyenneté et s’oppose au concept de marché que vous semblez défendre prioritairement pour l’énergie. C’est stupéfiant ! En effet, s’il existe un secteur dans le monde, depuis l’émergence des produits fossiles, qui échappe à peu près totalement au marché, c’est bien celui de l’énergie. L’extraction et le transport sont totalement contrôlés par les États, tandis que la fixation des prix, entièrement décidée par les États sur la base de quotas, dépend du cartel de l’OPEP, qui se prononce lors de réunions régulières en fonction de l’augmentation ou de la diminution des quotas et dirige donc assez bien les prix, en tout cas en ce moment.

Nos économies sont étroitement dépendantes du prix de l’énergie. Le Gouvernement met d’ailleurs en avant quatre ou cinq paramètres pour fonder ses prévisions de croissance, toujours fausses, puisque, en matière de prix du pétrole, il se trompe régulièrement d’environ 50 % les bonnes années !

Enfin, la fiscalité française est en très grande partie, vous le savez, assise sur l’énergie.

Je ne vois pas, dès lors, pourquoi on pousse des cris d’orfraie pour défendre le marché de l’énergie, marché qui n’existe pas vraiment et qui, lorsqu’on essaie de l’introduire, génère les catastrophes que l’on sait !

Nous devons faire participer nos concitoyens, en les informant, à la fixation du prix de l’énergie pour cinq raisons fondamentales, en dehors du fait qu’il s’agit d’un bien indispensable à la vie contemporaine, dont personne ne peut en être privé. À ce propos, nous avons entendu une énormité selon laquelle le regroupement des acheteurs de gaz ferait tendre le prix à la baisse. C’est stupéfiant ! Concernant le marché du gaz, chacun sait que les prix sont administrés strictement par une alliance entre les Russes et les Algériens, qui s’alignent sur le prix du pétrole. Il peut y avoir une puissance d’achat de 20 %, 30 % ou 40 % en face, personne n’y peut rien, cela ne changera rigoureusement rien ! Autant croire, pour trouver un équivalent dans le domaine du pétrole, qu’un accord entre la Chine, l’Inde et les États-Unis ferait varier les prix du pétrole à la baisse autant qu’on le voudrait. C’est absurde ! Face à de telles sottises, le citoyen ne doit pas s’en laisser compter !

Nous devons informer nos concitoyens sur les liens qui existent entre les prix et les bénéfices des entreprises gazières en particulier. Récemment, M. Cirelli – grand économiste et dont l’expérience de l’entreprise est grande, puisqu’il en a dirigé beaucoup avant d’être nommé à la tête de Gaz de France –, a dit qu’il fallait absolument augmenter encore plus le prix, sous peine de mettre l’entreprise en danger. Or, avec le prix actuel, le bénéfice de l’entreprise est déjà considérable. Sans opter pour autant pour le prix le plus bas, un choix doit être fait dans la transparence et la responsabilité.

Il y a également l’exigence de la sécurité dont nous savons tous qu’elle est une composante fondamentale, mais qu’elle a un coût. Les citoyens doivent participer à l’arbitrage entre le prix qu’ils paieront et le niveau de sécurité exigé. Il ne faut pas faire n’importe quoi, baisser le prix au maximum par exemple, en vertu du principe de précaution.

Il y a enfin le poids de la péréquation. Les citoyens doivent participer à sa mise en œuvre si l’on ne veut pas verser dans le système totalement absurde précédemment dénoncé, à savoir que les riches auront gratuitement ce que les pauvres devront payer. Ne croyez pas que nos concitoyens sont incapables d’apporter leur participation en la matière. Ils bénéficieraient au moins de l’information et pourraient peut-être faire pression au moment du choix.

Même si vous pensez qu’il le sera grâce à votre action, ce secteur ne sera jamais dirigé par le marché. Il n’y a guère qu’en France que l’on pourrait demain le décider. Cette idée est totalement à contre-courant non de l’évolution actuelle, mais d’un siècle de l’histoire de l’énergie. Cela n’a jamais existé. C’est complètement surréaliste ! La participation du citoyen s’impose dans ce domaine encore plus qu’ailleurs, s’agissant d’une ressource absolument essentielle à la vie.

M. le président. MM. Migaud, Bonrepaux, Aubron et Balligand ne sont pas présents pour soutenir leurs amendements.

La parole est à M. Jacques Bascou, pour soutenir l’amendement n° 2221.

M. Jacques Bascou. Cet amendement est essentiel parce qu’il est révélateur de notre discussion. Je ne reviendrai pas sur le décalage entre les actes et les paroles ; il suffit de se référer à la déclaration du ministre de l’économie, voici un peu plus de deux ans. Je ne parlerai pas non plus des principes parce que, si la loi peut effectivement les fixer, il faut ensuite les appliquer. Ils peuvent effectivement s’appliquer dans des structures et notamment, pour l’énergie, dans le service public de l’énergie. Il y a, en effet, une contradiction fondamentale entre le service public, qui vise l’intérêt général, et la logique d’actionnariat. Donc, quand on évoque la citoyenneté, c’est-à-dire les citoyens responsables de l’intérêt général dans un service public, il est fondamental d’aborder le problème en fonction des enjeux énergétique et environnemental.

Chacun est aujourd’hui conscient du réchauffement climatique : cinq degrés au XXIe siècle, ce qui correspond globalement à ce qui s’est produit pendant des millénaires. Une mission parlementaire sur le réchauffement climatique a d’ailleurs été créée. Sur tous ces bancs, nous sommes donc conscients qu’au-delà des États et des protocoles, il est fondamental que nous soyons tous plus sensibles aux conséquences de nos comportements et que nous recherchions les économies d’énergie, en particulier dans les transports et l’habitat. Pour y parvenir, quoi de mieux finalement que la mise en place de structures de participation dans le cadre du service public de l’énergie ?

Deux logiques s’affrontent : celle du marché – on parle alors de consommateurs et d’actionnaires –, et celle de la citoyenneté. Nous avons évoqué le profit, mais également le manque d’investissements dans la filière énergétique. Au-delà de l’intérêt immédiat, nos concitoyens doivent s’emparer de ce débat.

M. le président. En l’absence de M. Besson et de M. Bono, j’appelle maintenant l’amendement n° 2224.

La parole est à M. Pierre Cohen, pour le soutenir.

M. Pierre Cohen. Le rapporteur ne répond pas exactement aux interrogations et aux arguments que nous exposons en défendant nos amendements. Nous tentons en permanence de prouver que la privatisation privera GDF de toute responsabilité. Dans sa réponse qui a duré dix minutes, le rapporteur s’est contenté d’évoquer ce que n’a pas fait le gouvernement Jospin et ce qu’a fait le gouvernement Raffarin. Il nous a répondu en termes de responsabilité politique, quand nous visons, car c’est un sujet très sérieux, la responsabilité de l’entreprise. Donc, écoutez-nous, monsieur Lenoir, et répondez-nous plus précisément si vous voulez un débat de fond, sérieux et efficace.

J’ai, pour ce qui me concerne, participé à une commission d’enquête mise en place après la catastrophe d’AZF et présidée par l’actuel ministre de l’industrie, M. Loos, et dont M. Le Déaut était le rapporteur. Je me souviens du grand émoi que nous avons alors ressenti et de notre désir commun de démocratie, de concertation, de transparence. La mise en place des structures de concertation est un des points essentiels de la loi s’inspirant des travaux de la commission que vous avez fait voter ensuite. C’est une décision que nous avons prise ensemble à la fin de la précédente législature.

Je conçois que certains amendements fassent l’objet de divergences entre nous : vous êtes des libéraux, donc favorables à la privatisation, alors que nous pensons nécessaire de maintenir dans certains domaines les entreprises publiques en tant qu’éléments de maîtrise et de régulation.

Mais le présent amendement concerne l’évolution du secteur de l’énergie. Or, les citoyens ne doivent pas être que des consommateurs. Dans la logique de la loi, vous allez mettre en place des entreprises privées qui vont considérer les gens comme des clients et, dans cette hypothèse également, il y devra obligatoirement y avoir une prise en compte citoyenne des enjeux de l’énergie. Si vous n’acceptez pas que l’on mette en place des structures au sein desquelles, au-delà des responsables et des élus, les citoyens puissent exprimer un avis sur l’enjeu de l’énergie, les conséquences de l’augmentation des prix et la responsabilité de la stratégie de stockage, les citoyens eux-mêmes ne manqueront pas de réagir, et vous serez finalement amenés à créer le type de structure que nous avons été obligés de mettre en place après la catastrophe d’AZF.

Je vous appelle donc à voter cet amendement. Nous aurons l’occasion, par ailleurs, de nous affronter sur le fond, mais cet amendement va parfaitement dans le sens de la loi, surtout avec la privatisation de Gaz de France.

M. le président. Mme Darciaux et M. Dehoux ne sont pas présents pour soutenir leurs amendements.

La parole est à M. François Dosé, pour soutenir l’amendement n° 2227.

M. François Dosé. Cet amendement, par son texte même, pointe une insuffisance. Il suggère une nouvelle donne, une ambition de la gouvernance économique. Je crois qu’il faut parfois oser dire des choses qu’on ne souligne pas assez.

Oui, l’entreprise publique et le service public ont d’autres défis que la performance économique, même si ce défi-là, nous l’admettons, doit être relevé. Cela dit, même un service public ou une entreprise publique n’ont pas toutes les vertus, et il y en a une qu’ils doivent retrouver, c’est la citoyenneté. Les choses sont claires : nous souhaitons que l’entreprise ou le service public, au-delà de la performance nécessaire, ait l’ambition de faire en sorte que l’usager soit chaque fois que possible un peu plus citoyen et un peu moins consommateur. Il est évident que la privatisation est le contraire de ce que nous souhaitons, car elle conduira à abandonner même le titre d’usager pour celui de consommateur.

Derrière tout cela, il y a les défis qui sont les nôtres et bientôt ceux de nos enfants autour de l’eau et des énergies. Si, dans ces deux domaines en particulier, nous pouvions faire en sorte que les entreprises puissent ouvrir des chemins de réflexion et de citoyenneté, ce serait vraiment très bien. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. M. Dumont et M. Emmanuelli n’étant pas présents en séance, la parole est à Mme Geneviève Gaillard, pour soutenir l’amendement n° 2231.

Mme Geneviève Gaillard. Avec ce funeste projet de loi, nos concitoyens devront demain faire des choix pour leur approvisionnement en énergie et constateront la dérive des prix. Confrontés à cette problématique, ils doivent pouvoir s’exprimer, donner leur point de vue sur le chemin dans lequel ils souhaitent que notre pays s’engage.

Cet amendement, qui tend à mettre en place des structures et des procédures de participation des usagers est donc fondamental, d’autant plus que, hier, nous avons longuement débattu du développement durable. Qu’il s’agisse de l’énergie et de l’eau, comme le soulignait François Dosé, ou du développement économique tout court, cela concerne le développement durable et, dans les principes qui sont mis en avant depuis quelques décennies, la participation de nos concitoyens est un élément essentiel.

Il faut cesser de tenir des propos qui ne donnent lieu à rien de concret et les traduire par des actions. Il est donc indispensable d’adopter cet amendement.

M. le président. La parole est à M. William Dumas, pour soutenir l’amendement n° 2228.

M. William Dumas. Cet amendement se justifie en effet par son texte même. Promouvoir la citoyenneté au sein du service public de l’énergie, c’est d’abord respecter la loi du 9 août 2004, défendue par M. Sarkozy, alors ministre des finances, aujourd’hui ministre d’État, tandis que, en privatisant GDF, vous vous apprêtez à renier l’engagement qui avait été pris.

Alors que le prix du gaz a déjà passablement augmenté, plus de 30 % depuis 2002…

M. Franck Gilard. 30 % aussi sous Jospin !

M. William Dumas. …la privatisation de GDF risque de faire flamber les prix du gaz et de réduire encore plus le pouvoir d’achat des Français. Toutes les études démontrent en effet qu’une privatisation ou une dérégulation entraîne une augmentation du prix des services de l’énergie. En Angleterre, où l’ouverture des marchés date déjà de 1990, le prix du gaz est parmi les plus élevés du monde et l’électricité est de 50 à 60 % plus chère que dans les autres pays européens.

GDF a versé en 2005 699 millions d’euros de dividendes, en hausse de 60 % par rapport à 2004, et Suez 1,5 milliard. Malheureusement, ce sont encore nos concitoyens usagers qui vont payer l’addition, comme le rappelait Jean-Yves Le Déaut à l’instant. Cette année, l’augmentation de la facture énergétique a été de 200 euros par an et par famille. Ce sont les plus défavorisés qui seront une fois de plus les plus vulnérables à l’augmentation des tarifs. C’est pourquoi je vous demande de voter cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean Le Garrec, pour défendre l’amendement n° 2234 de M. Gorce.

M. Jean Le Garrec. Vous connaissez ma communauté de pensée avec M. Gorce et avec mes amis qui travaillent à la commission des affaires sociales.

Ce matin, monsieur le rapporteur, M. Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, a fait une intervention extrêmement forte. Il écrit en ce moment un livre qui montre les limites de l’économie de marché et les risques d’une ouverture totale des marchés et, interrogé à cette occasion, il a déclaré que le projet de loi que nous examinons était une erreur capitale (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), pour de multiples raisons, que l’on voit très bien.

On a déjà évoqué l’environnement. C’est l’un des problèmes majeurs de l’économie mondiale pour les années à venir. Si les pouvoirs publics, au niveau national, européen et mondial, ne le maîtrisent pas, c’est l’avenir de la planète qui sera en jeu, nous le savons tous.

Erreur capitale également pour la défense des usagers et, à ce sujet aussi, contrairement à ce qui a été dit parfois, y compris dans la presse, le dépôt de nombreux amendements permet d’élargir le débat. Car cette privatisation n’est pas une simple manipulation monétaire ou financière, et elle ne concerne pas que des intérêts privés : il s’agit de la responsabilité des pouvoirs publics et donc de l’État, ce qui est fondamental.

On a tout de même intérêt à tenir compte des leçons d’un grand économiste, mondialement reconnu, dont le prochain livre sera un pamphlet terrible contre les risques d’une économie de marché sans aucun contrôle et sans aucune maîtrise des enjeux fondamentaux, non seulement pour les citoyens mais aussi pour l’environnement. C’est à ce titre, monsieur le président, que j’ai défendu avec force l’amendement de Gaëtan Gorce.

Mme Élisabeth Guigou. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Alain Gouriou, pour soutenir l’amendement n° 2235.

M. Alain Gouriou. Cet amendement est à coup sûr l’un de ceux qui ne sont pas à classer dans la catégorie des amendements « débiles ».

M. Xavier de Roux. Parce qu’il y en a ? (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Franck Gilard. La vérité commence à se faire jour !

M. Alain Gouriou. Vous étiez absent tout à l’heure, monsieur de Roux, vous n’avez pas suivi le cours !

M. le président. Poursuivez, monsieur Gouriou.

M. Alain Gouriou. Il s’agit de promouvoir une démarche citoyenne et responsable permettant aux citoyens actifs de prendre part au débat et de ne plus se comporter en consommateurs passifs.

La création dans un grand nombre de communes de comités locaux des usagers a souvent débouché sur des actions très positives en matière d’environnement, grâce à une modification des comportements, mais aussi en matière économique. Ces comités locaux prennent aujourd’hui toute leur place dans la cité, sans doute d’abord parce que nos concitoyens se sont aperçus que certaines factures cumulées atteignaient des niveaux à peine supportables. Lorsque vous ajoutez les factures d’eau, de gaz et d’électricité aux quittances de loyer, je vous assure que, pour beaucoup d’entre eux, les échéances deviennent douloureuses. Il suffit de voir l’état des fonds départementaux mis à disposition de ceux qui ne peuvent plus payer leurs factures d’électricité pour se rendre compte de la réalité.

M. Jean-Pierre Gorges. C’est bien pourquoi il faut changer.

M. Alain Gouriou. C’est une démarche intéressante parce qu’elle est source de progrès. J’ai lu ce matin dans la presse locale qu’une entreprise de ma ville avait réalisé une économie de 100 000 euros sur les douze derniers mois, ce qui représentait 10 % de sa facture d’électricité, et ce à partir de gestes tout simples et d’économies faciles à réaliser.

Lorsque l’on parle d’économies d’énergie, de meilleure isolation, d’énergies nouvelles, on se situe très exactement dans la démarche suggérée par cet amendement, et je ne doute pas qu’il recueillera l’unanimité dans notre hémicycle.

M. le président. M. Jung et M. Lambert ne sont pas là pour défendre leurs amendements.

Nous allons passer au dernier orateur, la conférence des présidents ayant décidé que les séances du mardi matin seraient levées à midi afin de permettre à tous les députés de participer aux réunions de groupe.

La parole est M. Jean Launay, pour soutenir l’amendement n° 2238.

M. Jean Launay. Les usagers du service public du gaz, en tant que consommateurs, sont bien ceux qui, in fine, sont concernés par toute la chaîne du gaz – réserves, production, transport, distribution – et par les conditions économiques et financières qui président au déroulement de ce processus.

Nous, nous n’oublions pas que le consommateur est aussi contribuable, et notre inquiétude est réelle face à la privatisation d’une partie du service public de l’énergie que vous envisagez.

Le financement de la lourde dette de Suez par les résultats bénéficiaires de Gaz de France nous inquiète, d’autant que nous nous posons des questions sur leur origine et que vous nous devez une réponse.

Nous n’oublions pas non plus que le consommateur est aussi citoyen et, dans la démocratie représentative qui est la nôtre, ce sont les bons débats parlementaires, les questionnements profonds qui créent les conditions d’une bonne information des citoyens. Nous cherchons à créer ces conditions. Vos réponses sont attendues, monsieur le ministre, par nous, par les salariés, par les usagers, qui sont dans la rue aujourd’hui.

M. le président. La suite de l’examen des amendements identiques nos 2211 à 2243 est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour des prochaines séances

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 3201, relatif au secteur de l’énergie :

Rapport, n° 3278, de M. Jean-Claude Lenoir, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,

Avis, n° 3277, de M. Hervé Novelli, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures.)