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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 21 septembre 2006

24e séance de la session extraordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

énergie

Suite de la discussion,
après déclaration d’urgence,
d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au secteur de l’énergie (nos 3201, 3278).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Mardi soir, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles, s’arrêtant à l’amendement no 137631 portant article additionnel après l’article 5.

M. François Brottes. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour un rappel au règlement.

M. François Brottes. Hier, conformément à la tradition républicaine, l’Assemblée a suspendu ses travaux pour permettre à notre groupe d’organiser une journée parlementaire…

M. le président. Elle s’est bien passée ?

M. François Brottes. Très bien, je vous remercie. Mais puisque vous faites preuve de tant de sollicitude à notre égard, je me dois de constater que l’élaboration du calendrier prévisionnel de nos travaux a fait l’objet d’une véritable incompréhension. Je tiens d’ailleurs à vous remercier d’avoir bien voulu, lors de la dernière séance, préciser qu’il ne s’agissait que d’une prévision et en aucun cas d’un accord politique.

M. le président. Monsieur Brottes, quelle que soit la tendance politique du président de l'Assemblée nationale, le rôle de la Conférence des présidents est d’organiser les débats le mieux possible. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil de l’hémicycle.

M. François Brottes. J’en conviens, monsieur le président. Mais je note que la presse – y compris de grands quotidiens habitués à traiter plus au fond les sujets qui nous préoccupent – s’est surtout concentrée sur les propos de couloirs et sur la manière dont on pouvait interpréter telle ou telle réunion de travail.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Ce n’est pas la première fois !

M. François Brottes. Depuis le début de ce débat, nous avons eu – y compris pendant les séances récentes, sur la question du tarif de retour – des échanges importants, qui ont permis de faire valoir nos différences d’appréciation quant aux conséquences du texte sur l’avenir de notre industrie. Mais, et je le déplore, ils n’ont pas été rapportés comme ils auraient dû l’être. De même, il a été peu rendu compte de la mise au point que vous avez bien voulu faire avant-hier soir, monsieur le président, et c’est regrettable, même si, naturellement, vous n’y êtes pour rien.

La dernière séance, lors de laquelle nous avons voté l’article 5, s’est terminée un peu rapidement : l’Assemblée a adopté un amendement de nos collègues communistes, faisant tomber de nombreux amendements que nous avions déposés.

M. le président. L’amendement adopté prévoyait une nouvelle rédaction de l’article…

M. François Brottes. Je l’ai bien compris, monsieur le président, et je ne conteste pas ce résultat. Mais j’avais posé à M. le ministre délégué à l’industrie une question relative au titre IV de la loi du 9 août 2004, dans laquelle s’insère l’article 5, et aux régimes spéciaux de retraite des industries électriques et gazières. Comme il m’a semblé qu’il était disposé à y répondre, je me tourne à nouveau vers lui, avant que nous ne passions à autre chose.

M. le président. Le débat y gagnera en clarté.

La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. Si je me souviens bien, la question concernait le système social mis en place dans la loi de 2003 et la façon dont il pourrait être « impacté » par l’article 5 de ce projet. Certes, l’article 5, en supprimant la notion de « client non éligible » désormais sans objet, fait référence à la loi de 2003, mais il ne change rien au statut des personnels des industries électriques et gazières. C’est d’ailleurs ce que nous avons dit à leurs représentants lorsque nous les avons longuement consultés, au premier semestre, sur le projet de rapprochement entre GDF et Suez.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Je vous remercie de cette précision, monsieur le ministre. De fait, en juin 2006, M. Breton avait affirmé, dans la déclaration du Gouvernement sur la politique énergétique de la France, que les engagements pris à l’égard des partenaires sociaux seraient respectés. Dont acte ! Mais permettez-moi de vous rappeler ma question, inspirée par la remise en cause, par certains de vos amis, des régimes spéciaux de retraite : en quoi le régime général contribue-t-il au financement des retraites des industries électriques et gazières ? Et si ce n’est pas le cas, comme le dit parfois la rumeur, pourquoi serait-il nécessaire d’en modifier les contours ? La question est très importante.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l’industrie. J’avais oublié cette partie de la question. En réalité, la loi de 2004 a permis d’adosser au régime général le statut des personnels des IEG. La réforme a donc eu lieu ; elle a été transparente et d’une neutralité totale pour ces personnels. Quant à ce projet de loi, il n’entraîne aucune conséquence pour leur statut.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Je note donc que les provocations de M. Fillon à l’égard du régime de retraite des industries électriques et gazières étaient totalement inutiles.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour un rappel au règlement.

M. Daniel Paul. Nous l’avons dit à plusieurs reprises, il peut paraître surréaliste de discuter de l’avenir de GDF alors même que le périmètre de ce groupe est amené à évoluer en raison des exigences de la Commission européenne. Lorsque nous nous sommes quittés, mardi, il était beaucoup question d’un document en circulation détaillant les concessions que GDF et Suez se préparaient à faire, dans la perspective de leur fusion, afin de répondre à la lettre de griefs. La presse économique fait ce matin état de la lettre adressée par GDF à la Commission, mais nous n’en avons pas connaissance. Nous ne savons donc pas quels actifs la direction du groupe est prête à lâcher.

Le législateur doit être pleinement informé de ce qui se passe derrière son dos. De même que nous avons protesté contre le refus de nous donner communication en intégralité de la lettre de griefs, nous demandons à prendre immédiatement connaissance de la réponse de GDF avant de poursuivre des débats qui, sinon, n’auraient aucun sens.

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille, pour un rappel au règlement.

M. Christian Bataille. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 58, alinéa 1, monsieur le président.

Nous sommes réunis pour un débat très important concernant la privatisation de Gaz de France, mais aussi, en filigrane, les équilibres internes d’EDF et, plus largement, la politique énergétique de la France. Cela suppose que nous prenions le temps nécessaire.

Nous prenons acte, monsieur le président, de votre volonté de réguler les travaux du Parlement et de définir un calendrier. Vous avez précisé qu’il ne fallait y voir qu’une adaptation technique qui ne gommait en rien les différences entre la majorité et l’opposition…

M. le président. Monsieur Bataille, je l’ai déjà dit en réponse à M. Brottes : depuis toujours, le rôle de la Conférence des présidents est d’essayer d’organiser nos débats. La présidence, quant à elle, n’a pas à rechercher un quelconque accord politique, ce n’est pas son problème. Ne faisons pas de faux procès : il ne s’agit que de rendre nos travaux lisibles pour le citoyen.

M. Christian Bataille. C’est tout à fait le sens de mon propos, monsieur le président. C’est pourquoi je m’étonne d’entendre des députés – appartenant à la majorité comme à l’opposition – proclamer l’importance de la démocratie parlementaire alors qu’ils ne participent pas à nos travaux. Qu’ils viennent ici débattre plutôt que de faire ce genre de déclarations tonitruantes à l’extérieur ! Si notre démocratie est menacée, c’est parce que, sur un problème aussi important que la privatisation de GDF, ceux qui ont voix au chapitre ne considèrent pas l’hémicycle comme le lieu par excellence de leur expression.

L'Assemblée nationale ne doit pas être un théâtre d’ombres où des responsables absorbés par d’autres charges entrent et ressortent en coup de vent, après une brève déclaration !

M. le président. Vous, au moins, monsieur Bataille, vous êtes très présent, et je vous en félicite.

M. Christian Bataille. Nous sommes quelques-uns à suivre les débats avec assiduité. C’est la seule façon de bien comprendre les enjeux. Tout le monde gagne à ce que la discussion ait lieu selon les règles dans cette enceinte. La démocratie parlementaire, il est vrai, ne doit pas souffrir d’un excès de parole, mais elle a besoin de temps. Et il nous reste plus d’une semaine pour débattre sur le fond.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l’industrie. Nous arrivons, ce matin, à une étape importante. La fameuse lettre de griefs de la Commission européenne a, en effet, fait l’objet de nombreuses questions. Les deux entreprises qui souhaitent fusionner devaient, en effet, expliciter leurs propositions pour que la concurrence en matière d’approvisionnement du gaz et de l’électricité s’exerce toujours sur le marché européen et que les monopoles locaux ne viennent pas la troubler. Cette lettre de griefs dressait la liste de tous les sujets sur lesquels les deux entreprises devaient se prononcer avant mercredi minuit. Leur réponse a été apportée sous la forme d’une lettre importante et détaillée. La Commission considère quelle est de nature à déclencher la deuxième étape, c’est-à-dire la consultation des concurrents des entreprises électriques et gazières. Il s’agit d’un test de marché : les entreprises du secteur vont maintenant dire si elles considèrent que les propositions d’EDF et de Suez permettront une concurrence suffisante et si elles se sentent en mesure d’être présentes sur ce marché. Que la Commission ait accepté ce test de marché sur la base de ces propositions est un excellent signe. C’est ce qui a permis à Thierry Breton, voici deux ou trois jours, peut-être vous en souvenez-vous, d’affirmer qu’il était confiant, voire très confiant, dans l’évolution de ce dossier.

La Commission a donc déclenché la deuxième étape à l’issue de laquelle, si elle y est favorable, les propositions des deux entreprises pourront être acceptées. Cette étape est importante, puisqu’elle apportera des réponses à nombre de vos interrogations. Vous en avez lu certaines dans la presse. Nous aurons sûrement l’occasion d’en parler. J’imagine, en effet, que, dans la mesure où vous voulez approfondir l’ensemble des questions, il y aura sans doute lieu d’y revenir dans le détail. J’ai moi-même été amené avant-hier à m’exprimer sur les terminaux méthaniers de Montoir et à dire l’importance qu’ils représentaient à nos yeux. Toutefois, pour que vous soyez parfaitement informés, le Gouvernement a demandé aux entreprises de communiquer leurs propositions. Nous avons donc transmis au président de la commission des affaires économiques la lettre envoyée à la Commission de Bruxelles pour que vous puissiez la consulter. Je précise tout de suite qu’elle est non caviardée, puisqu’elle émane de nous et non de la Commission.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. M. le ministre Breton nous a indiqué, il y a deux jours, que, à la suite de l’échange entre les deux entreprises et la Commission européenne, de nombreuses et nouvelles informations nous seraient effectivement communiquées au cours de cette journée de jeudi. Nous en prenons acte. Il serait donc bien évidemment nécessaire de suspendre la séance pour que nous puissions les consulter. C’est en effet très important. Vous preniez l’exemple du terminal méthanier de Montoir, cher à notre collègue Jean-Marc Ayrault, dont vous nous avez dit, monsieur le ministre, qu’il était essentiel dans le dispositif. Nous avons toutefois cru comprendre qu’il serait filialisé. Nous devons vérifier cette affirmation et savoir de quelle filiale et de quels partenaires il est question. Il nous faut également prendre la mesure d’un certain nombre d’autres sujets.

Puisque nous abordons maintenant les aspects « distribution, infrastructures et réseaux » après avoir évoqué les aspects « tarifs », je souhaiterais, monsieur le président, que nous puissions disposer des dix ou quinze minutes nécessaires pour consulter ce document, en espérant que nous ne soyons pas contraints de le recopier à la main. Je sollicite donc une suspension de séance, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Mon intervention aura le même objet, monsieur le président.

Ce document est d’une telle importance qu’il pourrait modifier le cours de notre discussion. Nous devons, en effet, examiner de quelle manière les directions des deux entreprises, puisque nous sommes dans le cadre de la fusion – ou tout au moins celle de GDF, toujours entreprise publique à l’heure où nous discutons –, envisagent la modification du périmètre de leurs activités. François Brottes a évoqué les terminaux. On peut également citer les réseaux de transport et de distribution. Des cessions importantes de gaz – 10 %, voire plus –, ont été évoquées.

Je demande donc la réunion de la commission des affaires économiques pour que nous puissions examiner collectivement le contenu de ce document.

M. François Brottes. Très bonne proposition !

M. le président. La parole est à M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Je tiens tout d’abord à remercier le Gouvernement de nous avoir informés des événements dès cette nuit.

Nous sommes dans la logique de la lettre de griefs et je comprends parfaitement que vos arguments soient aujourd’hui identiques.

S’agissant de ces engagements auprès de la Commission européenne, ce que l’on appelle la réponse des entreprises à la lettre de griefs, il est important de bien préciser les problèmes liés à la communication de ces documents aux parlementaires. Les ministres M. Breton et M. Loos ont fait en sorte, ce dont je les remercie, que les entreprises communiquent, comme cela s’est produit pour la lettre de griefs, ce document à la commission des affaires économiques, dont je rappelle, le ministre ne l’ayant pas précisé, qu’il est soumis aux mêmes règles de confidentialité que la lettre de griefs, puisqu’il s’agit de la réponse à ladite lettre. Des photocopies ont été faites pour que les représentants des groupes puissent consulter ce document de vingt-sept pages, qui exige du temps pour être lu. Il est donc à la disposition de la majorité et de l’opposition.

Cela étant, monsieur le président, il faut voir les choses comme elles sont. Nous n’en sommes pas encore à l’article 10, à savoir l’autorisation donnée au Gouvernement de modifier le montant de la participation de l’État au capital de Gaz de France, éventuellement de privatiser cette entreprise. (Murmures sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Monsieur Paul, c’est un élément important pour le débat.

M. Daniel Paul. Je réagissais au mot « éventuellement » !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous aurons donc cette discussion lorsque nous aborderons l’article 10.

M. François Brottes. Non ! Le problème de la distribution est également essentiel !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Laissez-moi terminer, monsieur Brottes ! Je ne vous ai pas interrompu lorsque vous vous exprimiez !

M. le président. Ne nous énervons pas dès maintenant, nous en aurons tellement l’occasion au cours de cette journée !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Mais M. Brottes est très calme !

M. François Brottes. Absolument !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ce document est donc à votre disposition. Si vous souhaitez en prendre connaissance immédiatement, dix minutes de suspension de séance devraient suffire pour lire une vingtaine de pages.

M. François Brottes. Non ! Pour un document aussi dense, ce n’est pas raisonnable !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Le président de l’Assemblée en décidera !

Bien entendu, comme la confidentialité l’exige, il sera impossible de vous le confier. Cette lettre est donc dès maintenant consultable dans les couloirs. Les députés qui voudront l’examiner dans la journée pourront se rendre dans les bureaux de la commission des affaires économiques.

Vous voyez que nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour éclairer le débat.

M. le président. Je vais suspendre la séance pour une quinzaine de minutes.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à neuf heures cinquante-cinq, est reprise à dix heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

M. François Brottes. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour un rappel au règlement.

M. François Brottes. Monsieur le président, nous avons souhaité prendre connaissance des engagements de Gaz de France et de Suez communiqués hier à la Commission européenne. Le ministre nous disait il y a quelques minutes que cela convenait à la Commission – je ne sais pas comment il le sait, mais il nous le dira peut-être –…

M. le ministre délégué à l’industrie. Parce qu’elle a déclenché l’étape suivante !

M. François Brottes. …et qu’on pouvait passer à la phase suivante.

Le texte compte vingt-sept pages, mais je n’ai pu en lire que sept. Je ne lis pas très vite, mais ce document se lit moins facilement qu’un poème ou qu’un discours du président de l’Assemblée nationale. Cela demande en tout état de cause un peu de concentration.

Ce qu’on comprend en tout cas, c’est que, notamment en matière de fourniture de gaz en Belgique et en France, les cessions d’actifs, en contrepartie, seront très importantes. Une société sera créée pour gérer ces actifs et sera cédée à un repreneur – j’imagine qu’on ne sait pas encore lequel puisque les parties s’engagent à activer les choses pour en trouver un. Cela concernera un grand nombre de contrats de vente et d’approvisionnement ainsi que les capacités de transport et de stockage en France et en Belgique. Nous avons donc besoin d’un éclairage.

Le principal argument de la fusion GDF-Suez, en effet, c’était que l’on allait accroître les capacités globales d’action dans le domaine du gaz. Si, comme je crois le comprendre, mais je n’ai pas eu le temps de lire le texte en entier, bon nombre de ces actifs sont cédés, quel est l’intérêt de la fusion ? On a compris que c’était pour éviter une OPA sur Suez mais, pour le reste, tout cela ne cesse de nous inquiéter.

On ne peut pas discuter des articles suivants sans savoir à quelle hauteur sera démantelée l’entreprise publique Gaz de France. Je ne parle pas de privatisation mais de démantèlement. Cela concerne ses contrats, sa capacité de transport et de stockage.

J’insiste donc vraiment beaucoup, et je pense que l’ensemble de mes collègues sont d’accord, pour que nous ayons des précisions, une explication de texte en quelque sorte. On liste un certain nombre de choses dans la lettre qui a été envoyée à la Commission européenne, mais nous avons besoin d’en connaître les contours.

M. le président. Nous en venons maintenant aux amendements portant articles additionnels après l’article 5.

Après l’article 5

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 137631.

La parole est à M. Serge Poignant, pour le défendre.

M. Serge Poignant. C’est un amendement très important. Il concerne les contrats d’obligation d’achat de l’électricité produite par cogénération, et cela concerne notamment les serristes.

Si la majorité des contrats avec les fournisseurs d’électricité ont été signés dans le cadre législatif et réglementaire antérieur à la loi de février 2000, un petit nombre d’entre eux ont été conclus en application de l’article 10 de la loi de février 2000 et, en dépit des dispositions de l’article 82 de la loi de finances pour 2006, du 30 décembre 2005, la CRE, qui détermine le montant des charges à compenser, a refusé de tenir compte des modifications contractuelles de déplafonnement au motif que la disposition législative ne serait pas d’application directe.

Cet amendement propose donc tout simplement d’insister sur le caractère d’application immédiate de ces dispositions.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, pour donner l’avis de la commission sur cet amendement.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Favorable. J’ajoute que ce déplafonnement présente un grand intérêt pour les réseaux de chaleur, notamment dans les immeubles collectifs sociaux.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Favorable. C’est, en effet, un amendement très important.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 137631.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Monsieur le ministre, j’ai posé des questions précises, et je souhaite que vous y répondiez. Je comprends que vous n’ayez pas forcément le temps, mais, dans ce cas-là, je demande une suspension de séance. On ne peut pas continuer le débat sans avoir de réponses précises. Le silence ne peut nous convenir en la circonstance : c’est trop grave.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l’industrie. Comme vous n’avez lu que sept pages, monsieur Brottes, je pensais que vous préféreriez qu’on en reparle à l’issue de la prochaine interruption de séance pour qu’on puisse discuter de l’ensemble. Cela dit, je suis bien sûr en mesure d’apporter des réponses.

Gaz de France et Suez proposent à la Commission européenne un dispositif qui consiste à réduire le champ de leur activité pour laisser de la place à des concurrents dans les zones, et notamment en Belgique, où ils auraient la totalité de l’activité gazière. Leur proposition porte sur la vente de gaz aux clients industriels, ce qui correspond à une partie de l’activité de Districhaleur.

La Commission voit ainsi qu’il peut continuer à y avoir de la concurrence dans ce domaine, mais rien n’interdit à l’entreprise Gaz de France-Suez, si la fusion se fait, de repartir à l’assaut de cette clientèle. On peut donc très bien prendre acte de l’état actuel de cette proposition et réfléchir ensuite à l’évolution de la synergie créée par le rapprochement entre Gaz de France et Suez.

Il y a un projet industriel. Il n’est pas remis en cause par les propositions qui sont faites, et c’est sur lui que nous comptons pour améliorer la sécurité de l’approvisionnement et avoir un effet de masse plus important avec le rapprochement des deux entreprises.

Bref, à moyen terme, dans le cas d’une fusion éventuelle, ce qui existe sera un peu réduit et, à un peu plus long terme, on pourra avoir une base pour un grand projet industriel. Nous sommes favorables à ces deux aspects, et c’est la raison pour laquelle nous avons accepté les engagements communs de Gaz de France et de Suez.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Merci de votre réponse, monsieur le ministre.

Cela dit, même en n’ayant lu que sept pages, j’ai cru comprendre qu’il y avait des contraintes et que l’entité fusionnelle ne pourrait pas repartir à l’assaut avant un certain délai, peut-être même dix ans.

Quant à l’effet de masse, vous nous avez expliqué que, Gaz de France ayant 16 % du marché et Suez 4 %, cela faisait 20 % et que cela permettait d’aller à la conquête de l’approvisionnement dans de meilleures conditions. Il est important qu’on sache de quelle part ce pourcentage sera réduit à la suite des engagements qui sont en train d’être pris. Il est important qu’on sache si les infrastructures de transport et de stockage sont concernées par la cession.

Même si ces éléments ont été fournis hier, j’imagine que le Gouvernement ne les découvre pas : je pense qu’il a donné son aval aux propositions qui ont été faites à la Commission européenne. Le projet industriel qui nous a été présenté par M. Mestrallet et M. Cirelli est forcément modifié, et je souhaiterais donc, monsieur le président de la commission – je connais votre capacité d’écoute et votre sérieux dans cette affaire –, ainsi que l’a demandé Daniel Paul, vous réunissiez la commission, peut-être dans l’après-midi. Je ne demande pas que ce soit immédiatement, pour qu’on continue à avancer.

Vous voyez, monsieur le président, que je suis sensible au bon déroulement de nos débats, même si c’est vous qui les dirigez…

M. le président. On va dire qu’il y a un accord entre nous. Ce n’est pas possible ! (Sourires.)

M. François Brottes. Ne recommencez pas, monsieur le président ! Cela peut devenir équivoque. (Sourires.)

Je souhaiterais que la commission des affaires économiques se réunisse dans l’après-midi pour que le ministre nous dise en quoi le projet industriel est modifié. Il est important que nous puissions le cerner et, très honnêtement, cela nous laissera le temps de lire l’intégralité de la lettre. Je pense que ce serait une bonne façon de travailler. Pour l’instant, nous sommes dans le brouillard.

Déjà que le Gouvernement veut un chèque en blanc. Si, en plus, on signe un chèque en blanc dans le brouillard, c’est absolument insupportable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Je voudrais prendre un exemple concret, monsieur le ministre.

La semaine dernière, je vous avais posé une question sur les terminaux méthaniers, mais vous n’étiez pas forcément en mesure de répondre.

Le terminal méthanier de Montoir, dans la Basse-Loire, près de Saint-Nazaire, fait partie des actifs, des infrastructures. J’ai dit à plusieurs reprises qu’il risquait d’être privatisé dans le cadre de la privatisation de Gaz de France que vous souhaitez à l’article 10, mais, qui plus est, de faire partie des actifs qui seront cédés à la demande de la Commission européenne. On ne sait pas à qui iront ces infrastructures stratégiques ni ce qu’elles deviendront. Puisque vous êtes le représentant de l’actionnaire majoritaire qu’est l’État, vous avez donné votre aval à la réponse des entreprises.

Le terminal méthanier de Montoir fait-il partie des infrastructures qui seront cédées ? C’est une question très précise, très concrète et très importante.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l’industrie. En réponse à plusieurs d’entre vous, mardi soir, j’ai rappelé que le terminal de Montoir était essentiel pour l’approvisionnement et qu’il n’était pas question d’abandonner quoi que ce soit de cette importance. Ce qui est inscrit dans ce texte, c’est la filialisation, qui a comme intérêt de séparer la comptabilité des deux entreprises.

Vous comprenez bien que les réponses qui sont faites à la Commission de Bruxelles et à ses griefs sont le fruit d’une intense discussion.

Une filialisation à 100 % permet à la fois de répondre aux exigences du gouvernement français de conserver la maîtrise de cet instrument extrêmement important, et de garantir une transparence dans la comptabilité concernant le transit par ces terminaux. Je pense que c’est aussi une bonne réponse à votre attente.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ni le Gouvernement ni la majorité ne veulent cacher quelque information que ce soit. En revanche, nous avons à respecter les règles de droit liées à la confidentialité. Comment peut-on concilier ces deux problèmes ? Vous posez des questions légitimes, et vous avez le droit d’obtenir des réponses.

Je ne vois aucun inconvénient à ce qu’un débat ait lieu, comme vous l’avez demandé, en commission des affaires économiques. Je vous propose donc de la réunir aujourd’hui à quatorze heures trente.

M. le président. Vous pourriez réunir la commission à quatorze heures, ce qui vous donnerait une heure avant la séance publique.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Tout à fait, monsieur le président. J’invite les députés qui ne sont pas membres de la commission des affaires économiques à venir assister à cette réunion, qui se tiendra sans la presse.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l’industrie. Qu’il n’y ait pas de malentendu : ce sont les entreprises qui répondent à la Commission européenne, non le Gouvernement. Il ne faut pas faire d’amalgame. Les responsabilités ne sont pas les mêmes. Cela étant, afin de répondre à vos préoccupations, je suis ouvert à un débat qui pourra être plus libre dans le cadre de la commission des affaires économiques qu’en séance publique.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Je remercie le président Ollier d’inviter tous les députés intéressés à assister à cette réunion de la commission. Nous entrerons alors davantage dans le détail.

Monsieur le ministre, vous mettez le doigt sur un des grands dangers de ce projet lorsque vous nous dites que Gaz de France donne, avec l’accord du Gouvernement – puisque l’État est actionnaire majoritaire, même si l’entreprise a une gestion autonome – des garanties à la Commission en acceptant une filialisation à 100 % des infrastructures, comme le terminal méthanier de Montoir, que j’ai évoqué à titre d’exemple. Vous avez reconnu qu’il jouait un rôle stratégique, mais vous avez ajouté, dans votre réponse, que c’était une négociation, une partie de bras de fer. Et ce que ni vous, ni la représentation nationale au moment où elle se prononcera ne connaîtrez, c’est la réponse définitive de la Commission européenne. Rien ne garantit, une fois Gaz de France privatisée par votre décision, que la Commission européenne ne demandera pas à aller plus loin. Qui deviendra alors propriétaire de cette infrastructure stratégique dont vous avez reconnu l’intérêt national ? Nous sommes bien au cœur d’un débat d’intérêt national et, une fois de plus, par le flou de vos réponses, vous nourrissez nos inquiétudes.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Ce qui se noue ici, c’est tout simplement le démantèlement, la désintégration de l’entreprise intégrée GDF.

Dès lors que GDF deviendra un groupe privé, sa filiale sera à 100 % privée. Et comme la vocation d’une filiale, c’est à un certain moment de perdre sa filialisation, il y a donc un énorme risque.

Le développement d’autres terminaux méthaniers – celui d’Antifer, à propos duquel j’ai posé une question mardi dernier, et celui de Dunkerque – est prévu. C’est bien et cela montre le développement possible de ce genre d’infrastructure. Mais, compte tenu des contraintes posées par la Commission européenne, on peut craindre que Gaz de France ne soit pas propriétaire de ces terminaux. Appartiendront-ils à d’autres groupes ? La question n’est pas neutre : entre les terminaux et les clients se profilent les réseaux de transport.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous empiétons sur le débat que nous devons avoir en commission ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. En effet. Puisque le président de la commission et le ministre ont répondu à votre souhait de réunir la commission, nous n’allons pas entamer ce débat ici. Ou alors je demande au président de la commission de d’annuler la réunion.

La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Je serai bref, monsieur le président, puisque nous aurons en effet cette discussion en commission. Je poserai simplement une question afin que M. le ministre puisse y réfléchir d’ici à la réunion prévue.

Une filiale de commercialisation, en charge de l’offre d’accès, existe déjà pour un terminal qui n’est pas achevé, celui de Fos-Cavaou.

Si la filiale privée décide de la commercialisation et de l’offre d’accès, restera-t-il à GDF à mettre à disposition ses infrastructures, la société réglant tous les problèmes de rapports commerciaux avec les clients ?

M. le président. La parole est à M. Serge Poignant.

M. Serge Poignant. En tant qu’élu UMP de Loire-Atlantique, je partage bien sûr les préoccupations qui se rapportent au terminal méthanier de Montoir et aux grandes infrastructures du même type, mais je pense que nous aurons ce débat en commission.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Je me félicite que la commission puisse se réunir. Pour que nous puissions travailler avec la plus grande efficacité en commission, il faudra nous éclairer sur les deux cas de figure possibles : ce qui est filialisé à 100 % du groupe fusionné – qui est au demeurant public – et ce qui est filialisé pour être revendu. En effet, dans les engagements de Gaz de France, une filiale est créée qui a vocation à trouver acquéreur, et ce n’est pas tout à fait le même cas de figure.

M. le président. Je suis saisi de 1 188 amendements, nos 91898 à 93085, soit 54 séries de 22 amendements identiques.

La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Il s’agit, par ces amendements, de proposer le report de l’entrée en vigueur des dispositions des articles 1er à 5, dans l’attente d’une renégociation des directives européennes 2003/54 et 2003/55.

Inlassablement, en effet, à l’occasion de chacune des transpositions législatives des directives européennes qui nous font avancer inexorablement dans la voie de la disparition de cette composante essentielle de notre spécificité française que sont les « services publics », nous n’avons cessé d’alerter la représentation nationale sur les conséquences désastreuses, en termes de tarifs – c’est ce qui nous a le plus préoccupés ces derniers temps –, mais aussi en termes d’emploi, de cohésion sociale et d’équilibre territorial, qui pourraient en résulter pour nos concitoyens.

Nos appels à des analyses préalables, à des études d’impact, sont restés vains. Au nom d’une construction européenne libérale, l’un après l’autre, nos services publics ont été minés : ceux des postes et des télécommunications, avec France Télécom et La Poste, ceux de l’énergie, avec EDF et GDF, celui des chemins de fer, avec la SNCF.

Le processus est toujours le même – comme l’évoquait mon collègue Daniel Paul –, pernicieusement progressif, en quatre étapes : d’abord, on réduit les moyens des services publics, on les met en difficulté face aux attentes des citoyens et aux missions à accomplir ; ensuite, on ouvre le secteur à la concurrence, en indiquant que c’est une évolution nécessaire pour assurer les meilleures conditions de la modernisation du service public ; après quoi, on change le statut de l’opérateur historique pour en faire une société anonyme, on casse les solidarités et les cohérences internes en prétextant la nécessité de lui permettre de passer des alliances stratégiques ; enfin, on n’a plus qu’un petit pas à faire pour réaliser la privatisation. C’est un processus constant pour l’ensemble de nos services publics.

Il ne reste plus alors aux citoyens qu’à se résigner à la perte d’un fleuron national, passé entre les mains des grands investisseurs en bourse, et à vivre avec un nouveau prestataire privé qui les traite, non plus comme des usagers ayant des droits, mais comme des clients ayant des porte-monnaie. Quand on n’assiste pas, au surplus, à des réductions d’emplois, dans le cadre de plans d’assainissement que ne tardent pas à exiger les nouveaux actionnaires au nom de la rentabilité immédiate.

Nous exigeons donc de retarder l’entrée en vigueur des dispositions des articles 1er à 5, afin que soit réalisé un bilan des processus de déréglementation du secteur énergétique, avant que l’on ne décide de poursuivre ou non l’entreprise calamiteuse d’ouverture à la concurrence et de privatisation du secteur.

Tel est le sens de nos amendements. On ne peut en effet agir sans avoir pleinement connaissance des termes du débat !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Cette question a déjà été abordée à plusieurs reprises. Elle fait écho à l’engagement qui avait été pris à Barcelone de réaliser une étude d’impact avant de poursuivre l’ouverture du marché de l’énergie.

Nous avons bien compris que le Gouvernement n’en ferait pas explicitement la demande, et nous le regrettons. Nous avons également compris, lors des déclarations récentes qu’il a faites – y compris lors de la réunion stratégique qu’il a pilotée hier ou avant-hier avec l’ensemble des commissaires européens – que le président de la Commission européenne, M. Barroso, souhaitait une nouvelle organisation du marché de l’énergie, c’est-à-dire une nouvelle étape dans la libéralisation de ce marché, dans laquelle ne seraient retenus que quatre ou cinq grands opérateurs de l’énergie à l’échelle du continent européen. Dans quelle mesure, monsieur le ministre, le Gouvernement français, comme les autres gouvernements, a-t-il été informé de ces souhaits de la Commission, ou bien s’agit-il simplement de supputations, d’hypothèses de travail solitaires de M. Barroso ?

Nous sommes tout à fait en accord avec nos collègues : continuer à déréguler aura des conséquences néfastes pour l’ensemble des consommateurs. Et les dispositions que nous ont présentées le rapporteur ou le président de la commission des affaires économiques sur le tarif de retour et sur le tarif social ne sont qu’un emplâtre sur une jambe de bois. Tout cela est extrêmement fragile et s’inscrit dans un contexte mouvant au niveau de la Commission européenne.

Je me permets d’insister : les États, en particulier l’État français, ont-ils été informés de la manière dont la Commission européenne souhaitait faire évoluer les règles du jeu du marché de l’énergie au niveau communautaire d’ici à la fin de l’année en cours ?

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Soisson.

M. Jean-Pierre Soisson. Nous avons déjà eu ce débat il y a quelques jours. J’avais indiqué alors – et vous aviez, monsieur Brottes, confirmé mes propos – la position du président de la Commission européenne. Celui-ci a en effet exprimé le vœu que l’Europe engage une nouvelle étape dans la voie d’une libéralisation accrue.

M. Michel Vaxès. Et vous nous proposiez la soumission !

M. Jean-Pierre Soisson. Nous n’avons donc pas du tout intérêt à reporter encore l’application de ce texte : nous devons au contraire fixer assez rapidement la position de la France. En effet, nous risquons demain de nous voir imposer par la Commission des positions plus dures, de votre point de vue, c’est-à-dire plus libérales.

Il est bon que l’ensemble de la représentation nationale entende le ministre à ce sujet – et je vous remercie, monsieur le président de la commission des affaires économiques, de permettre à tous les députés intéressés d’assister à cette audition – pour que nous puissions définir ensemble la position de la nation. Mais il ne faudrait pas reporter inconsidérément l’entrée en vigueur des dispositions prévues, par le biais d’amendements artificiellement multipliés, comme cela se fait depuis le début de ce débat. Proposer ainsi de repousser l’entrée en vigueur au 1er juillet, au 1er août, au 1er septembre, etc., n’est pas conforme à l’intérêt général.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Vous êtes, monsieur Soisson, fidèle à la position que vous nous avez exposée il y a environ une semaine, et qu’on pourrait résumer ainsi : appliquons sans discuter ! On vous reconnaît bien là, monsieur Soisson.

Nous pensons au contraire qu’il est nécessaire de reporter l’application de ces dispositions, et notre conviction est renforcée par ce qui se passe dans les autres pays de la Communauté européenne. Je citerai tout à l’heure Mme Merkel, qui est un peu plus de votre bord que du nôtre et qui exprime son inquiétude devant l’évolution du prix de l’énergie dans son pays.

Nous pensons que l’Europe fait fausse route en matière énergétique, comme dans d’autres domaines. Elle pense en effet qu’on peut mettre en concurrence les producteurs d’énergie, comme s’il s’agissait de bonbons ou de biscuits !

Or l’énergie est un produit vital, comme nous l’avons déjà dit, stratégique. Et si l’on peut stocker le gaz, il n’en va pas de même de l’électricité, et sans doute pour longtemps encore. Ouvrir à la concurrence le marché d’un produit non stockable, c’est courir à la hausse des prix. Et c’est ce qui s’est passé : tous les pays européens qui ont ouvert le marché de l’énergie ont vu ses prix augmenter, mettant en péril l’activité économique, et grevant le budget des ménages.

Nous avons, nous, une autre ambition pour notre pays, surtout depuis qu’il a exprimé son inquiétude en votant « non » au référendum de 2005 : nous voulons que notre pays remette en question les traités et les directives dont cette politique n’est que la conséquence.

Tel est le but de ces amendements : il ne s’agit pas tant de se fixer comme horizon telle ou telle date, que de revenir sur cette politique avant qu’il ne soit trop tard. Il nous reste quelques années pour mettre en œuvre une véritable politique européenne de l’énergie, qui ne se résume pas à une libéralisation et à une mise en concurrence à tous crins faisant fi des spécificités de l’énergie.

Vous et vos amis le reconnaissez d’ailleurs vous-mêmes, monsieur Soisson, puisque certains maires de l’UMP ne cachent pas que leur commune ne se tournera pas vers la concurrence. En effet, un tel choix est irréversible : on ne peut pas revenir en arrière si les prix augmentent. Je mets en garde les personnes qui m’écoutent depuis les tribunes : une fois qu’on a quitté le tarif régulé, on ne peut plus revenir sur sa décision. Étant donné la gravité de ses conséquences, ce choix mérite d’être réexaminé au niveau européen.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l’industrie. Je veux, monsieur Brottes, répondre en deux mots à votre interrogation quant aux déclarations de M. Barroso, afin que vous ne me reposiez pas la question dans cinq minutes.

S’il est vrai que M. Barroso a exprimé le souhait d’aller plus loin, il ne nous a pour l’instant saisis d’aucune proposition écrite.

M. Michel Vaxès. Ça va venir !

M. le ministre délégué à l’industrie. Il ne le fera pas, en tout état de cause, avant la fin de l’année. Il est probable qu’il proposera l’institution d’un organisme européen de régulation du secteur énergétique, mais nous avons déjà déclaré notre préférence pour un organisme de régulation national qui fonctionne dans chaque pays. Il s’agit donc d’un « non-sujet ».

M. le président. Je vais appeler l’Assemblée à se prononcer sur les amendements nos 91898 à 93085.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’une série d’amendements identiques, nos 3324 à 3356.

La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. J’imagine, monsieur le rapporteur, que vous allez m’opposer qu’on abordera le sujet de ces amendements après l’article 10. Il me semble pourtant que c’est au moment où nous abordons les dispositions relatives à la distribution qu’il convient de décider quelles seront les marges de manœuvre de ceux qui sont au bout de la chaîne de la distribution, à savoir les usagers.

Il s’agit notamment de savoir quelles seront les conséquences de l’adhésion à une offre multi-énergies. Depuis quelques mois, les usagers reçoivent une facture d’électricité distincte de la facture de gaz – quand ils ont la chance d’être raccordés au gaz – alors qu’auparavant ils recevaient une seule facture de gaz et d’électricité. À partir du 1er juillet 2007, ils pourront être démarchés par des opérateurs autres que EDF et GDF.

Il faut donc veiller à ce que l’acceptation par les consommateurs d’offres de services combinés gaz-électricité ne puisse entraîner ipso facto un renoncement au tarif régulé, réglementé, ou administré, qui les protège d’une éventuelle augmentation. Il ne faudrait pas que le changement d’opérateur entraîne à l’insu de l’usager un changement de contrat qui le contraindrait à payer plus cher son énergie.

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Il ne faudrait pas que nous votions des dispositions susceptibles d’être interprétées d’une façon désavantageuse pour les consommateurs. Vous ne cessez de nous répéter que la liberté des consommateurs est le principe : il ne faudrait pas que la possibilité de proposer des offres multi-énergies soit utilisée pour faire sortir sournoisement le consommateur, à son insu, du tarif réglementé . Celui qui souscrirait à une offre multi-énergies verrait dans ce cas sa dépense énergétique augmenter de façon sensible.

En effet, notre groupe refuse la privatisation de GDF, non seulement pour préserver une entreprise publique, mais aussi par souci du porte-monnaie de la ménagère : il s’agit de préserver les moyens d’existence de nos concitoyens, non par le biais de leurs revenus – c’est un autre débat – mais en limitant leurs dépenses.

La précision proposée par ces amendements vise donc à éviter un surcroît de dépense au consommateur insuffisamment vigilant.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Vous avez eu la courtoisie, monsieur Brottes, de répondre par avance à la question que vous m’avez posée : j’interprète cela comme une marque de confiance !

C’est à juste titre que vous avez soulevé ce problème, que la commission avait elle-même soulevé. C’est pour résoudre ce problème que M. le président de la commission et moi-même avons déposé une série d’amendements à l’article 13, plus satisfaisants que ceux que vous nous proposez.

La commission a donc émis un défavorable, non par opposition de fond, mais plutôt par souci de cohérence : il vaut mieux rassembler à l’article 13 tous les dispositifs de protection des consommateurs.

Votre intervention, monsieur Bataille, prolonge ce débat sur un point que je juge essentiel : l’objectif du texte que nous sommes en train d’examiner est bien d’ouvrir les marchés sans pénaliser le consommateur. Nous n’avons eu de cesse d’introduire dans la loi des dispositions qui protègent le consommateur. Je rappelle, entre autres, que nous avons voté un amendement qui maintient le bénéfice des tarifs réglementés au-delà du 31 décembre 2007. C’est le même souci de protection du consommateur qui nous a fait modifier la composition de la Commission de régulation de l’énergie.

Toutes ces dispositions visent à faire en sorte que ces tarifs, non seulement ne disparaissent pas, mais aussi qu’ils restent en deçà des prix du marché. La réaction négative d’EDF aux dispositions modifiant la composition de la CRE prouve bien que nous avons atteint notre objectif, à savoir l’empêcher de plaider avec succès une augmentation excessive des tarifs.

Nous avons donc déjà manifesté très clairement notre volonté de protéger le consommateur et marqué des points en la matière. Ce dispositif sera complété à l’article 13.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Même avis.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Les mots ont un sens ! En nous disant qu’il faut protéger le consommateur et éviter qu’il ne soit pénalisé, le rapporteur passe aux aveux et reconnaît l’effet néfaste de l’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie pour les particuliers, décidée par le gouvernement Raffarin le 25 novembre 2002. Ne fallait-il pas y réfléchir avant ?

Il est certes difficile pour le rapporteur de trouver des solutions de pis-aller pour tenter d’endiguer l’effet néfaste de cette ouverture. Nous examinerons lors de l’examen de l’article 13 les dispositifs de protection envisagés, mais il aurait assurément mieux valu ne pas tomber dans le piège d’une extension de l’ouverture des marchés, qui avait pu être évité lors du sommet de Barcelone et à la tentation duquel vous n’avez pas réussi à ne pas succomber lors du sommet européen où Mme Fontaine a laissé libre cours à son enthousiasme pour une déréglementation échevelée.

Monsieur le rapporteur, vos propositions sont certes utiles compte tenu du contexte, mais nous regrettons de vous voir dans le rôle d’un pompier pyromane : c’est vous qui avez allumé l’incendie que vous tentez d’éteindre.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements identiques nos 3324 à 3356.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’une série d’amendements identiques, nos 3291 à 3323.

La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Ces amendements sont l’image inversée de ceux de la série précédente : le consommateur de gaz qui adhérerait à une offre multi-énergies proposée par un vendeur d’électricité doit pouvoir conserver les tarifs régulés pour le gaz.

Si nous tenons à apporter toutes ces précisions, c’est parce que, comme vient de le souligner très justement François Brottes, le Gouvernement avait jusqu’à présent, puisque Gaz de France et Électricité de France étaient des entreprises publiques, le moyen d’arbitrer et de fixer les tarifs dans un sens favorable au consommateur – et de fait le Gouvernement a bien rempli son rôle en contenant les prétentions de Gaz de France, qui pesait pour obtenir des augmentations. Cela n’a d’ailleurs pas empêché Gaz de France de réaliser le semestre dernier les superbes bénéfices dont toute la presse fait largement état.

Déjà, pourtant, on constate un dérapage à EDF, du fait du souci de rémunérer l’actionnaire minoritaire. Il y a donc lieu de craindre que les tarifs dérégulés deviennent chers. L’amendement proposé vise donc à assurer aux consommateurs des protections, des garde-fous qui leur évitent d’être entraînés à payer, sans espoir de retour, des factures multi-énergies de plus en plus lourdes par rapport à ce qu’ils avaient l’habitude de payer.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Nous avons eu, lors de l’examen de l’article 4, un débat intéressant sur l’importance d’une bonne compréhension de l’offre et de ses conséquences de la part des usagers domestiques, c’est-à-dire des ménages. Sur ma proposition, le rapporteur a finalement supprimé les mots : « à sa demande ».

Le rapporteur souhaitait initialement, je le rappelle, que le consommateur ne conserve le bénéfice du tarif réglementé que s’il en faisait explicitement la demande. Nous avons eu avec le ministre un débat autour de la question de savoir comment le consommateur particulier pourrait savoir qu’il devait faire la demande de ce tarif pour pouvoir en bénéficier. En effet, s’il n’en est pas informé, il ne fera pas la demande et sortira malgré lui du tarif administré.

J’ai pris acte du geste du rapporteur, qui a bien voulu supprimer les mots : « à sa demande ». Il est donc acquis que le consommateur pourra conserver le bénéfice du tarif administré, même en cas d’offre mixte associant le gaz et l’électricité, mais on ne sait pas encore dans quelle mesure il sera informé du fait que la souscription d’un contrat auprès d’un autre fournisseur le fera sortir de ce tarif. Il importe donc que vous nous confirmiez, à l’occasion de l’examen de ces amendements, que le fournisseur qui fait une offre commerciale à un usager domestique sera bien obligé de mettre en garde celui-ci en l’informant que la souscription à cette offre le fera sortir du tarif administré.

La transparence en la matière sera-t-elle assurée et le consommateur sera-t-il informé avant d’apposer sa signature sur un contrat ? Dans le cas contraire, s’il n’a pas connaissance qu’il est en train de sortir du tarif, ou même qu’il a droit de le conserver, vous aurez beau écrire tout ce que vous voudrez pour le lui garantir, c’est comme si… – je m’arrête là, car l’expression qui me vient à l’esprit est très vulgaire.

Je le répète : il ne suffit pas de nous faire plaisir en inscrivant dans la loi la possibilité de conserver le bénéfice du tarif administré ; il faut nous dire comment sera assurée la transparence sur cette garantie.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. M. Brottes évoque ici un sujet qu’il connaît parfaitement, car nous en avons débattu en commission. Je rappelle, dans le droit fil de ce que je viens de dire à propos des mesures en faveur des consommateurs, que nous avons pris d’immenses précautions pour que le consommateur ne soit pas conduit à renoncer au tarif régulé sans le savoir. L’opérateur sera obligé de proposer le tarif.

En deuxième lieu, c’est à la demande expresse du consommateur que celui-ci pourra quitter le tarif pour un prix. En troisième lieu, une mention spécifique et lisible sera portée à la connaissance du consommateur pour l’avertir des conséquences de sa décision.

Ces initiatives que j’ai prises se traduiront par des amendements dont nous avons discuté et qui ont été adoptés par la commission. Ils permettront d’apporter une réponse satisfaisante à la question posée mais qui sera plus longuement débattue lors de l’examen de l’article 13.

Avis défavorable, donc.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Monsieur le rapporteur, toutes les précautions sont nécessaires, car nous allons nous trouver, par votre volonté, dans un univers nouveau.

Les nouveaux entrants sur le marché de l’énergie utiliseront tous les moyens – la publicité, la tentation permanente. Des entreprises énergétiques nouvelles, créées par des gens qu’on pourrait décrire comme d’ambitieux golden boys à la française, voudront séduire un consommateur pas toujours averti, qui pourra parfois se dire qu’après tout EDF et GDF ne le servaient pas bien et qu’il vaut mieux changer de fournisseur sans savoir où cela l’entraîne.

Il faudra donc veiller, même s’il est abusif de l’inscrire dans la loi, à créer des conditions draconiennes pour les nouveaux entrants sur le marché de l’énergie, qui devront avertir à l’avance les consommateurs tentés de changer de fournisseur et les informer qu’ils peuvent conserver le tarif régulé et qu’ils ne peuvent changer de tarif que s’ils en expriment clairement la volonté.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Il s’agit là d’un aspect important de la question et je suppose aussi, monsieur le rapporteur, que, comme pour d’autres types de contrats, le délai de rétractation sera de rigueur.

Permettez-moi d’évoquer, à titre d’exemple, une situation qui s’est produite voici quelques jours dans la région havraise. Une dame, abonnée à France Télécom pour une ligne fixe, est démarchée par un commercial d’une entreprise concurrente. Sans doute celui-ci est-il efficace, car la dame donne son accord verbal pour changer d’opérateur, à condition toutefois de recevoir un courrier fixant par écrit les conditions de son nouvel abonnement. À réception du courrier, quelques jours plus tard compte tenu des délais postaux, la dame s’aperçoit que, contrairement à ce qu’elle avait cru comprendre, les conditions de ce nouveau contrat ne sont pas aussi intéressantes que celles dont elle bénéficiait précédemment et fait donc savoir qu’elle veut conserver son abonnement auprès de France Télécom. Or dans l’intervalle, le commercial de la société concurrente avait fait le nécessaire pour que le changement de contrat prenne effet. La dame a certes pu revenir au contrat antérieur, mais France Télécom, qui avait déjà coupé la ligne, lui réclame 55 euros pour la rétablir.

Voilà un exemple des situations qui peuvent se produire dans le domaine de la téléphonie fixe et mobile. Il ne faut pas que de mauvaises plaisanteries de ce genre soient possibles pour l’électricité.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements identiques nos 3291 à 3323.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’une série d’amendements identiques, nos 136624 à 136645.

La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Nos amendements visent tout simplement à charger le Parlement d’une mission de suivi des prix dans le secteur énergétique.

Nous l’avons dit à maintes reprises : l’énergie est une question politique cruciale, qui concerne l’ensemble de la population car elle est, avec l’eau, la matière que nous utilisons de la naissance à la mort – c’est dire si elle est vitale – et elle a des implications tant sociales et industrielles qu’environnementales et économiques.

Il est donc tout à fait normal que le Parlement se saisisse du suivi des prix : ils concernent tous les habitants du pays, le pouvoir d’achat des citoyens-consommateurs et la justice sociale, en tant qu’ils posent la question de l’accès à l’énergie. Ils conditionnent aussi grandement la bonne santé des entreprises et, par là même, les conditions de vie de nombreux salariés. En effet, pour certaines industries, électro-intensives ou gazo-intensives, l’énergie constitue le principal poste de dépenses.

La presse se fait ce matin l’écho de la situation que connaît l’Allemagne dans ce domaine, puisqu’on peut y lire un article intitulé : « L’Allemagne veut juguler la hausse des prix de l’électricité. » Dans cet article, on apprend que le gouvernement allemand veut mettre un terme à l’envolée des prix sur le marché de l’électricité où, depuis 2004, les tarifs ont augmenté de 10,3 % pour les particuliers et de plus de 22 % pour l’industrie. Parmi les modifications envisagées, il est question de la suppression d’un dispositif qui interdit à l’administration de contrôle d’intervenir lorsque la différence de prix entre deux entreprises structurellement identiques est inférieure à 10 %.

Le ministère souhaite également faire examiner le mécanisme de formation des prix à la bourse de Leipzig. Nous sommes au cœur du sujet. Le constat que font les Allemands actuellement, ce sera sans nul doute celui que nous ferons également. D’ailleurs l’opposition qui a surgi sur vos propres bancs montre que les députés qui s’interrogent sur la fusion et l’ouverture à la concurrence cessent d’appliquer une lecture purement idéologique du sujet. MM. Anciaux, Paillé, Daubresse, Méhaignerie sont autant de voix qui montrent que le pouvoir politique a son mot à dire en matière énergétique. Ces voix, qui viennent pourtant d’un parti traditionnellement acquis aux thèses libérales, prouvent que les décisions qui concernent la vie de tous nos concitoyens et concitoyennes ne sauraient être abandonnées aux mains des dirigeants des grands groupes, dont l’objectif est de réaliser une amélioration des dividendes.

Si le Parlement dispose de son propre rapport sur l’évolution des prix de l’énergie, il aura une base plus solide pour discuter du bien-fondé de l’ouverture à la concurrence et de la privatisation du secteur, et pour appeler l’attention sur les risques qui sont encourus ; il pourra juger de façon plus éclairée les conséquences du processus de déréglementation. Cela nous semble une étape nécessaire de façon à empêcher que les actionnaires de Suez, de GDF, de Poweo, d’EDF soient maîtres dans la gestion du bien public énergétique.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements identiques nos 136624 à 136645.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Nous passons aux amendements portant articles additionnels avant l’article 6.

Avant l’article 6

M. le président. Je suis saisi de vingt-deux amendements identiques, nos 93086 à 93107.

La parole est à M. Michel Vaxès, pour les soutenir.

M. Michel Vaxès. La formation des prix du gaz n’est pas seulement tributaire, nous le savons tous ici, des coûts d’approvisionnement et des logiques de marché qui en guident de plus en plus l’évolution, elle l’est aussi des coûts de distribution, qui font l’objet de mécanismes de péréquation territoriale, outre la péréquation existant entre les activités de GDF dans le cadre de l’entreprise intégrée. Les directives européennes relatives à l’ouverture du marché de l’énergie sont venues bousculer cet équilibre, notamment en réclamant la séparation juridique des entreprises qui assurent les gestions de réseaux de distribution d’électricité ou de gaz naturel des maisons mères, avec lesquelles elles constituaient des entreprises verticalement intégrées. Ce sont ces dispositions que transpose l’article 6 de ce projet de loi.

La directive communautaire de 2003 prévoyait la séparation juridique des opérateurs de réseaux de transport et de distribution, la date butoir de cette séparation était cependant plus tardive pour les seconds – 2007 – que pour les premiers – 2004. La loi du 9 août 2004 avait donc déjà filialisé les réseaux de transport – RTE et GRT –, mais pas les réseaux de distribution. Les filialisations dont il est ici question sont proprement juridiques et consistent dans l'obligation de créer des entités juridiques séparées de la maison mère, séparation qui se double de l'autonomisation des activités de management. La logique à l'œuvre dans cet article 6 n'est finalement ni plus ni moins que le démantèlement d'entreprises publiques qui s'étaient construites sous la forme d'entreprises intégrées afin de réduire les coûts de production et de permettre des péréquations entre leurs activités pour édifier un service public efficace et moderne.

L'objet des présents amendements est de rappeler, dans la droite ligne de ces observations, les obligations de service public qui doivent peser sur le gestionnaire de réseau pour que le service reste efficace, juste et respectueux des territoires. Ces obligations sont rappelées dans le texte de l'amendement : principes d’égalité de traitement, de sécurité et de sûreté des installations gazières, dimensionnement et programmation pluriannuelle des investissements de réseau, de stockage et d'installation de gaz naturel liquéfié, continuité de fourniture, régularité, qualité et prix, protection de l'environnement et développement équilibré du territoire.

Ce n'est pas une pétition de principe que nous proposons ainsi au vote de notre assemblée et rien ne s'oppose a priori à ce que nous puissions inscrire ces principes dans la loi. Il nous semble en effet qu'en une période comme la nôtre, qui tend à faire de l'énergie, du gaz et de l'électricité, des marchandises comme les autres, il serait utile de souligner qu'il s'agit avant tout de biens appartenant à tous, de biens sociaux appartenant à la collectivité nationale. Cela pour parer à l'éventualité, malheureusement souvent vérifiée, que les effets de la concurrence ne viennent à faire perdre de vue aux gestionnaires la spécificité de ces biens.

Sous le bénéfice de ces observations, nous vous proposons d'adopter les présents amendements, d’autant que vous nous avez dit les uns et les autres, sur tous les bancs, votre attachement au service public.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. L’intervention de notre collègue Michel Vaxès m’amène à confirmer, pour bien informer l’Assemblée, que nous allons en effet aborder aujourd’hui la séparation juridique des réseaux de distribution. Je rappelle que la loi de 2004 a déjà opéré la séparation juridique pour les réseaux de transport.

Pour ce qui concerne les règles de service public, dont M. Vaxès appelle de ses vœux l’inscription dans la loi, je rappelle qu’elles figurent déjà dans l’article 16 de la loi du 3 janvier 2003. Par conséquent, ces amendements n’ont pas d’objet. L’avis est donc défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Même avis que la commission.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Les amendements nos 93086 à 93107 sont pertinents. Le rapporteur vient de nous dire qu’une telle inscription existe déjà. Certes, mais il faut que, dans la fixation des tarifs pour le transport et la distribution, soient prises en compte la sécurité et la sûreté des installations gazières, la programmation pluriannuelle des investissements de réseaux, les opérations de recherche. Suite à la catastrophe d’AZF, j’ai travaillé avec François Loos sur les questions de recherche dans le domaine du transport et du stockage du gaz, et je ne suis pas persuadé que, dans un système où on libéralise la totalité du transport et de la distribution, on puisse trouver les moyens suffisants pour la développer efficacement puisqu’on sera obligé d’axer les prix sur la concurrence au niveau européen. On risque donc, sous la pression du marché et pour rentabiliser le système, de ne pas prévoir les investissements pour le futur, de ne pas financer la recherche et, finalement, d’avoir un système qui, petit à petit, devienne de moins en moins performant et de moins en moins sûr. Pour toutes ces raisons, je ne suis pas persuadé, malgré l’optimisme de notre rapporteur, que la loi de 2003 prévoie suffisamment ces obligations de service public. Je suis donc favorable aux amendements du groupe communiste.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements identiques nos 93086 à 93107.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de vingt-deux amendements identiques, nos 93108 à 93129.

La parole est à M. Jacques Desallangre, pour les soutenir.

M. Jacques Desallangre. Je partage tout à fait les observations faites par notre collègue Jean-Yves Le Déaut. Il est bon que la loi affirme et réaffirme les obligations de service public, face à la pression de la gestion libérale de nos grandes entreprises. Nous proposons donc d’insérer l’article suivant, avant l’article 6 : « Tout gestionnaire de réseau d’électricité sur le territoire français doit assumer des obligations de service public, notamment l’égalité de traitement, la sécurité et la sûreté des installations gazières, le dimensionnement et la programmation pluriannuelle des investissements de réseaux, de stockages et d’installations de gaz naturel liquéfié, la continuité de fourniture, la régularité, la qualité et le prix, la protection de l’environnement et le développement équilibré du territoire. » Ces amendements réaffirment qu’EDF n’est pas le seul fournisseur à avoir des obligations de service public. Ils visent à inscrire noir sur blanc ces obligations, lesquelles sont identiques à celles concernant le gaz. Elles font évidemment écho aux principes qui gouvernent la notion juridique de service public et dont découlent des obligations connues et reconnues : le principe de continuité, qui renvoie à l’existence d’un besoin social ou stratégique à satisfaire ; le principe d’égalité, qui implique que tous les usagers soient placés dans une position égale ; le principe d’adaptabilité, qui suppose que les prestations soient adaptées en permanence aux besoins, et évoluent en quantité et en qualité.

Si certains libéraux voient aujourd’hui dans la notion de service public un archaïsme, force est de constater que dans le domaine qui nous occupe, celui de l’énergie, ces principes apparaissent indubitablement pertinents à l’énorme majorité de nos concitoyens. Et c’est bien cela qui compte. La multiplicité des acteurs, conséquence de l’ouverture des marchés, rend à l’évidence plus fragile l’accomplissement des missions de service public, et c’est pourquoi les inscrire dans la loi nous apparaît, une fois encore, plus que souhaitable.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Parallélisme des réponses : tout à l’heure les amendements portaient sur le gaz, et j’ai indiqué qu’ils étaient satisfaits par la loi de 2003 ; maintenant ils portent sur l’électricité, et je rappelle que l’article 19 de la loi du 10 février 2000 répond déjà à ces préoccupations. L’avis est par conséquent défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Même avis que la commission.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Compte tenu du parallélisme des réponses, et du ton laconique avec lequel le rapporteur et le Gouvernement indiquent que ce que proposent ces amendements est déjà prévu, je pourrais redire, s’agissant de l’électricité, ce que j’ai déjà dit sur le gaz.

On met la charrue avant les bœufs dans ce dossier. Je rappelle que le gouvernement de Lionel Jospin avait donné, à Barcelone, son accord à un compromis à condition que les obligations de service public, de sécurité d’approvisionnement, de mise en place d’organismes de régulation, soient prévues. On demandait à la Commission de poursuivre son examen en vue de consolider et de préciser, dans une proposition de directive-cadre, c’est-à-dire dans un texte fondateur qui encadre les directives sectorielles, les principes relatifs aux services d’intérêt général. Or ce texte n’a pas été élaboré. Le gouvernement de M. Raffarin a tout de même permis la libéralisation dans le domaine de l’électricité aux particuliers.

Il y a donc aujourd’hui un système qui a été libéralisé en méconnaissant au niveau européen et national les obligations de service public. C’est EDF qui va assurer la totalité de ces missions, et l’on a même vu certains amendements de nos collègues les plus libéraux de la commission des finances proposer que les opérateurs assurant moins de 10 % du total puissent acheter de l’énergie très peu chère et faire du commerce sans assumer la totalité des contraintes en matière énergétique – heureusement que ces amendements ont été rejetés, ce qui montre bien la division dans les rangs de l’actuelle majorité. Nous avons donc démasqué ce que veulent certains. Il n’y a pas de remparts protégeant les principes de service public, à l’inverse de ce que dit Jean-Claude Lenoir, et on voit dans les propositions de la commission des finances un réel danger pour le service public de l’énergie au niveau national.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements identiques nos 93108 à 93129.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

Article 6

M. le président. Sur l’article 6, plusieurs orateurs sont inscrits.

La parole est à M. Armand Jung.

M. Armand Jung. Je n’ai jamais eu beaucoup d’embonpoint, mais je vous remercie, monsieur le président ! (Sourires.)

Il est largement question à l’article 6 des entreprises locales de distribution et des distributeurs non nationalisés. Nous allons ainsi évoquer, entre autres sociétés locales, Gaz de Strasbourg et Gaz de Bordeaux. C’est un débat très suivi en Alsace et notamment à Strasbourg : des organisations syndicales de Gaz de Strasbourg sont réunies à l’heure où nous parlons, et des associations de consommateurs commencent à affluer, inquiètes des rumeurs concernant la modification des statuts de Gaz de Strasbourg et de Gaz de Bordeaux. Lors de l’examen des amendements, je vous exposerai la position de ces organisations, qui viennent de me faire parvenir leur message.

Depuis 1914, Gaz de Strasbourg affirme ses compétences de distributeur de gaz sur un secteur couvrant aujourd’hui une grande partie du Bas-Rhin. De la gestion technique des réseaux aux services aux clients, Gaz de Strasbourg s’engage quotidiennement en matière de sécurité des installations et de qualité de services pour proposer les meilleures prestations au moindre coût. Il développe toutes ses activités d’utilisations domestiques, tertiaires et industrielles du gaz naturel avec les entreprises régionales.

La société Gaz de Strasbourg – qui ne prit officiellement ce nom qu’en 1918 – fut créée en 1914. Son statut de société d’économie mixte ne sera pas remis en cause en 1946, lors des débats relatifs aux lois de nationalisation. Aujourd’hui, avec sa filiale Gaz de Barr, Gaz de Strasbourg est le premier distributeur de gaz naturel en Alsace, avec 119 000 clients dans 97 communes et un réseau de distribution de 1 850 kilomètres.

J’en viens à son statut juridique. Société anonyme de droit français, Gaz de Strasbourg est également une société d’économie mixte. En effet, s’il s’agit d’une société de droit privé soumise à la loi de juillet 1966, son actionnaire majoritaire est une collectivité locale, en l’occurrence la ville de Strasbourg, qui détient 50,06 % du capital. Les deux principaux partenaires, la Caisse des dépôts et consignations et Gaz de France, en détiennent respectivement 24,98 % et 24,89 %. Les actionnaires sont représentés par des administrateurs au sein du conseil d’administration de la société. Celui-ci est l’organe qui dirige et administre la société. M. Harry Lapp, adjoint au maire de Strasbourg et ancien député de Strasbourg, en est l’actuel président-directeur général.

Le rôle de Gaz de Strasbourg, auquel j’ose espérer qu’on ne touchera pas, ne se limite pas exclusivement à la distribution de gaz : il s’agit également d’assurer la mise en place et l’entretien du réseau, ce qui nécessite des investissements importants. Sa situation particulière en fait un rouage essentiel de l’économie régionale. Dans un contexte d’intensification concurrentielle, la société se veut ouverte sur le monde industriel et s’engage sur la voie de la diversification de ses activités et de ses offres commerciales.

Telle est donc, rapidement brossée, la situation de Gaz de Strasbourg. Cette société, véritable institution historique, fait partie du patrimoine économique de la ville de Strasbourg, dont chaque habitant est fier : à Strasbourg, le technicien qui vient relever le compteur de gaz est aussi bien reçu que le facteur ! À l’un comme à l’autre, les habitants sont particulièrement attachés et accordent toute leur confiance.

Aujourd’hui, des bruits courent au sujet du sort réservé à cet édifice bâti au fil des années. J’espère que nous n’aurons pas à évoquer une remise en cause de son statut presque centenaire. Je connais l’attachement que M. le ministre François Loos lui porte, ainsi qu’à la ville de Strasbourg, lui qui s’était engagé en 2005, devant une délégation de syndicalistes, à « ne pas modifier cet article de loi, les réseaux [étant] la propriété de la collectivité publique et locale et [devant] le rester ». Je crois que nous serons d’accord, monsieur le ministre, sur le respect de cet engagement.

Tels sont les éléments que je voulais rappeler pour introduire nos débats sur l’article 6.

M. le président. Il n’y a pas que vous et M. Loos qui soyez attachés à Strasbourg : nous le sommes tous ! (Sourires.)

M. Armand Jung. Je me félicite de votre soutien, monsieur le président !

M. le président. La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre. L’article 6 vise lui aussi à transposer certaines dispositions des directives communautaires de 2003. II s’agit de séparer juridiquement les entreprises qui assurent les gestions de réseaux de distribution d’électricité ou de gaz naturel des maisons mères, avec lesquelles elles constituaient des entreprises verticalement intégrées.

La logique à l’œuvre dans les directives est le démantèlement d’entreprises publiques qui s’étaient construites sous la forme d’entreprises intégrées, afin de réduire les coûts de production et de péréquer leurs activités pour construire un service public efficace et moderne.

La Commission européenne, comme toujours aveuglément soumise au dogme libéral – quel que soit le secteur économique concerné –, s’attelle à démanteler les entreprises publiques : EDF-GDF, La Poste, ou encore la SNCF sont ainsi soumises au même régime. Cette recette toute prête est trop simpliste pour répondre à une logique industrielle cohérente. Comment imaginer en effet que la production, le transport et la distribution d’énergie puissent être traités selon les mêmes règles que le service postal, entreprise de main-d’œuvre dont le caractère de réseau est beaucoup moins développé et dont les synergies entre les différentes activités ne répondent pas aux mêmes défis ?

Ce qui est en jeu dans cette logique de démantèlement, c’est la séparation en centres de profits des anciens opérateurs historiques : pour la Commission en effet, le démantèlement des entreprises publiques intégrées va de pair avec l’ouverture aux capitaux privés. L’article 12 du projet de loi ouvre ainsi la distribution au privé – nous y reviendrons. II est vrai que plusieurs analyses d’économistes mettent en évidence une crise d’extension du capitalisme, auquel il faut bien trouver des débouchés. Le secteur public recouvre un champ de nouveaux marchés à conquérir, à tout le moins sur ses segments les plus « juteux ».

Mais revenons à l’énergie. Après avoir organisé la filialisation des transports de gaz et d’électricité par la loi de 2004, vous prévoyez, par l’article 6 du projet de loi, celle des gestionnaires de réseau de distribution. Définissant les missions des gestionnaires de réseau, cet article prépare aussi le terrain pour l’arrivée de nouveaux distributeurs de gaz ou d’électricité. Par cette initiative, le Gouvernement montre sa volonté de livrer un pan supplémentaire du secteur à de nouveaux opérateurs privés.

Aujourd’hui, ni GDF ni EDF ne possèdent, du fait de l’existence des DNN – distributeurs non nationalisés –, l’entier monopole de distribution sur le territoire national. Toutefois, les DNN ont eu jusqu’alors des périmètres d’intervention limités, qui permettaient aux opérateurs historiques de réaliser de réelles économies d’échelle, lesquelles soutiennent le service public. Certes, votre article ne remet pas en cause les concessions en cours, mais rien ne vient non plus maintenir le système de successeur obligé et sa contractualisation locale.

En ce qui concerne le gaz, le réseau pourrait encore être développé : si GDF dessert aujourd’hui quelque 8 000 communes en gaz naturel, plus de 5 000 avaient demandé à intégrer le schéma directeur qui prévoyait l’étude de la possibilité de raccordement au réseau. Le système d’appel d’offres ouvre la possibilité de recourir à des entreprises privées. Mais en ouvrant à la concurrence le secteur de la distribution du gaz – mesure préparée par l’article 6 et achevée avec les articles 8, 9 et 12 –, quelles conditions de sécurité garantissez-vous à nos concitoyens ? Les enjeux ne sont en effet pas exactement les mêmes que pour la téléphonie, où le développement du réseau ne met pas en jeu la sécurité des utilisateurs. En matière de distribution du gaz, le développement du réseau nécessite des investissements lourds, que l’entreprise GDF, par sa taille sur le marché, a réussi à supporter. Économies d’échelle et investissements dans la formation des salariés techniciens sont autant d’atouts qui concourent à la fiabilité des entreprises. Est-il bien raisonnable d’encourager la concurrence sur un tel secteur, qui nécessite des investissements importants et des prévisions économiques sur le long terme ?

Il faut souligner l’importance d’un monopole dans ce domaine. L’expérience montre en effet que les grosses entreprises publiques ont les reins plus solides pour soutenir de telles activités. Ainsi, pendant la tempête de 1999, l’entreprise de distribution Électricité de Bordeaux a disparu : les réseaux sont tombés, et l’entreprise n’a pas pu assumer les coûts énormes de réparation qu’exigeait leur remise sur pied. En a-t-il été de même pour EDF ? Non, bien sûr.

Pour cette raison, qui touche à la sécurité des usagers et à la fiabilité du réseau, nous dénonçons l’ouverture à la concurrence que vous encouragez dans l’article 6.

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Le principal objectif d’un service public de l’énergie est selon nous de garantir l’approvisionnement en électricité et en gaz sur l’ensemble du territoire national, dans le respect de l’intérêt général. Si je réaffirme cette exigence à ce moment du débat, c’est qu’avec la filialisation du réseau de distribution, ainsi que sa privatisation pour le gaz, le Gouvernement prépare le démantèlement de l’entreprise intégrée. Je développerai mon propos sur l’article 6, mais le montage est savant, et vous verrez qu’il concerne également les articles 9 et 12.

Vous vous êtes défendus au cours de la discussion de vouloir privatiser les activités de distribution. Mais je vous soupçonne fortement de ne pas être complètement honnêtes sur ce point. Certes, vous n’y allez pas franchement : vous dispersez dans le texte les éléments qui aboutiront à la privatisation partielle du réseau de distribution de gaz. On en vient à se demander si ce n’est pas une stratégie pour noyer le poisson !

Comment procédez-vous ? Il faut tout simplement connecter les articles 6, 9 et 12 pour comprendre l’ampleur des changements en jeu. Vous commencez, avec l’article 6, par définir les missions des gestionnaires de réseau, préparant le terrain pour l’arrivée de nouveaux distributeurs de gaz – et aussi d’électricité, notons le au passage.

Dans l’article 12, vous modifiez une disposition de la loi de 1946 qui permet la privatisation des activités de distribution de gaz. En effet, le simple ajout de deux mots – « la distribution » – à l’alinéa 4 de l’article 8 de la loi de 1946 permet d’ouvrir la voie à la privatisation de la distribution de gaz, puisque ce bref alinéa définit les activités qui sont exclues de la nationalisation.

Enfin, à l’article 9, vous mettez fin au système de péréquation nationale, qui prévalait, peu ou prou, sur l’ensemble du territoire. Cela permet aux nouveaux arrivants, opérateurs privés qui souhaiteraient conquérir des parts de marché sur le territoire français dans les activités de distribution de gaz de pratiquer leurs propres tarifs, sans souci d’égalité de traitement entre les usagers. La seule chose à laquelle ils sont tenus, selon l’article 9, c’est de pratiquer une péréquation sur leur zone de distribution.

Autrement dit, tous les usagers ayant recours aux services du même opérateur paieront le même prix, mais il n’est plus question d'obligation d'égalité entre l’ensemble des usagers du territoire, plus question de solidarité nationale !

Quel que soit le scénario qui se prépare, il ne sera sûrement pas satisfaisant.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous êtes pessimiste.

M. Michel Vaxès. Soit les tarifs pratiqués seront très bas, de manière à capter la clientèle, et on peut craindre alors pour la qualité du réseau ; soit, après quelque temps, se reconstituera un monopole privé, qui instaurera ses propres prix, sans se préoccuper de savoir s’ils sont équitables et abordables pour l'ensemble des usagers du réseau. Quoi qu'il en soit, l'usager sera le grand perdant de ces nouvelles dispositions ! Or, un service public respectueux de l'intérêt général doit se soucier de solidarité nationale et de justice tarifaire.

Les activités de distribution de GDF contribuaient au bon fonctionnement de l’ensemble. Pourquoi, dans ce cas, remettre en jeu le monopole de ce qui constitue le premier réseau de distribution en Europe et la péréquation tarifaire ? Nous souhaitons des explications !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Vaxès.

M. Michel Vaxès. Le but du service public n'est pas d'ouvrir la porte à de nouveaux acteurs privés pour leur permettre de faire des bénéfices sur le dos des usagers. Nous souhaitons réaffirmer, au contraire, que le service public de l'énergie a pour objet de garantir l'approvisionnement en gaz sur l'ensemble du territoire national, dans le respect de l'intérêt général et dans l’esprit de la loi de 1946, à laquelle vous tenez sans doute, monsieur le président.

M. le président. Oui, monsieur Vaxès, mais je tiens surtout à ce que l’on respecte son temps de parole.

La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Je me contenterai de rappeler les inconvénients de cet article 6 que l’on veut nous faire adopter. Ils concernent EDF et GDF, mais aussi, pour l’électricité, Électricité de Strasbourg, Usine d’électricité de Metz, SOREGIES dans la Vienne ou le Service de distribution des Deux-Sèvres, et, pour le gaz, Gaz de Strasbourg et Gaz de Bordeaux, toutes compagnies importantes.

Certes, le Gouvernement va nous dire qu’il s’agit de transposer une directive européenne, mais, comme ne tardera pas à le comprendre l’opinion publique, il est proprement ubuesque de vouloir démanteler des entreprises qui fonctionnaient bien. Le réalisateur anglais Ken Loach a parfaitement décrit, dans The Navigators, les conséquences du démantèlement des chemins de fer britanniques : des trains qui n’arrivent plus à l’heure et des investissements en panne.

La parcellisation, l’éparpillement que nous dénonçons sont contraires à l’organisation rationnelle qui prévalait dans un système intégré, et nous craignons que cela ne débouche sur une forme de désordre, qui ne pèsera pas seulement sur la distribution mais aussi sur le porte-monnaie de la ménagère, qui va supporter le poids de cette manière nouvelle de gérer les choses. On parle de déréglementation, mais l’on pourrait tout aussi bien parler de « désharmonisation », puisque les synergies existantes vont disparaître, avec les surcoûts que cela entraînera.

Dans un tel contexte, qu’en sera-t-il des investissements nécessaires pour l’avenir ? Il reste notamment un important travail de renouvellement des fontes grises à effectuer. Ces travaux seront-ils réalisés, comme s’y était engagé le Gouvernement, ou vont-ils être considérés comme accessoires ? Qu’en sera-t-il également de l’aménagement du territoire et du développement des réseaux secondaires ? Toutes ces incertitudes nous font dire que l’article 6 est très inquiétant.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Chacun a bien compris qu’entre la loi du 9 août 2004 et le projet d’aujourd’hui l’évolution est majeure. En effet, l’article 13 de la loi de 2004 se bornait à signifier aux entreprises du secteur énergétique que la distribution du gaz et de l’électricité devait relever d’un service autonome en termes de gestion comptable. Cette obligation était assortie de deux clauses : elle ne concernait que les entreprises desservant plus de 100 000 clients – ce qui figurait dans la directive européenne – et ne s’appliquait qu’à celles exerçant par ailleurs une ou plusieurs autres activités dans le même secteur.

Dans le projet actuel ne subsiste que le seuil des 100 000 clients, au-delà duquel il faut franchir le Rubicon et confier la distribution à une entité distincte. Le glissement est plus que sémantique puisqu’il s’agit de créer une entité juridiquement autonome – en filialisant, éventuellement. Les régies nous signalent que les risques de surcoût d’un tel système existent, car multiplier les structures a un prix – en termes de gestion et de fiscalité – qui se répercutera forcément sur les tarifs. Je ne suis pas sûr que cela constitue une grande avancée.

Si la directive impose la barre des 100 000 clients, c’est sans doute avec l’idée que les distributeurs, ainsi instaurés en instances juridiques séparées, pourraient partir à la conquête d’autres secteurs de distribution et devenir des acteurs de la concurrence sur ce marché. Est-ce leur objectif ? Est-ce l’intérêt des usagers qu’ils desservent ? Rien n’est moins sûr.

J’interrogerai donc le rapporteur et le ministre sur deux points. En premier lieu, s’il est fait la preuve que les DNN – pour reprendre l’expression consacrée, très républicaine au demeurant – n’ont pas l’intention d’aller chasser sur d’autres marchés et qu’elles entendent maintenir leur activité sur les territoires qui les ont vu naître et prospérer dans l’intérêt du service public qu’elles accomplissent, pourquoi est-il besoin de créer une structure sociétale différente ? Il est normal d’appliquer le principe de gestion séparée, car – et c’est bien le sens de toutes les directives – il ne faut pas mélanger les genres entre distribution, production et transport. Mais pourquoi aller au-delà ?

En second lieu, à lire les vingt et un alinéas de ce très long article 6, on a le sentiment qu’il a été rédigé pour nous dire que rien n’allait changer, que les contrats passés allaient perdurer, que les modalités resteraient identiques. C’est à ce point répété que cela en devient inquiétant. Est-on assurés, en effet, que ceux qui veulent, au nom de la concurrence, s’attaquer au marché de la distribution, à Strasbourg ou ailleurs, ne tireront pas profit de certaines failles juridiques qui vont fragiliser les nouvelles entités, séparées de leur maison mère ?

Il ne s’agit pas seulement des DNN mais de l’ensemble de la distribution. Qu’en est-il des collectivités qui avaient un contrat avec une entreprise publique et vont se retrouver liées à des opérateurs privés, dont le capital est ouvert à Dieu sait qui et la gestion davantage orientée vers le profit que vers le service du public ? Ces collectivités ne voudront-elles pas, le cas échéant, changer de gestionnaire de distribution ?

Vous avez beau dire que rien ne change avec ce texte, tout change : la nature des partenaires comme leurs objectifs, modifiés par le projet de privatisation de Gaz de France. Partant, doit-on comprendre que ni les autorités concédantes ni les nouveaux concurrents n’auront les moyens de modifier le paysage ou bien que rien ne changera si personne ne le souhaite ? Cette interrogation est au cœur de l’article 6.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. L’article 6 dessine les nouveaux contours du paysage de l’énergie française tel que le conçoivent les libéraux. Préparer l’après-pétrole – ce qui sera bientôt notre préoccupation majeure – implique de disposer d’un service public de l'énergie fort. Au lieu de quoi, on observe aujourd'hui un désengagement de l’État. L’article 6 prévoit le véritable saucissonnage du service public et la fin, à terme, du contrôle tarifaire, malgré les mécanismes mis en place, ce qui signifie que les clients paieront plus cher. Et tout ceci est entrepris sans même que nous connaissions les exigences européennes concernant la fusion entre Suez et Gaz de France !

La séparation entre la production, l’achat, le transport et la distribution est une mauvaise chose, car, en cas de coup dur – un de nos collègues faisait allusion tout à l’heure à la tempête de 1999 –, les entreprises intégrées avaient les moyens de faire face. Comment, au contraire, des opérateurs qui ne produisent plus d’énergie mais se contentent de la vendre pourront-ils gérer des situations critiques ?

Votre saucissonnage va certes rendre possible la libre concurrence, mais il va également aboutir à la disparition d’un pôle public fort dans le domaine énergétique.

Notre collègue Jung vient d’évoquer, à propos de Gaz de Strasbourg, la règle de 2004 relative au critère de 100 000 clients raccordés. Pour ma part, je parlerai de l’usine d’électricité de Metz, qui est dans le même cas.

Imposer une séparation juridique entre la production et la distribution pour des entreprises qui, si elles comptent 100 000 clients, n’en sont pas moins des entreprises de petite taille, entraînera à terme des difficultés. Nombre d’entre elles ne cherchent pas à se développer, faute de bases financières suffisantes. Avec de telles mesures, ce sont des concentrations qui risquent de se produire dans le domaine de la distribution – des concentrations bien différentes de celles qui pourraient avoir lieu dans le domaine de la production, et contraires à l’intérêt national. Jusqu’à présent, certaines petites unités, à Strasbourg, à Bordeaux, à Metz ou dans la Vienne jouaient un rôle important dans le panel énergétique français. Ce ne sera, hélas, plus le cas demain. On prend là une responsabilité très importante.

Lorsque le Gouvernement a négocié la directive de 2004, il aurait dû réclamer un relèvement de la barrière des 100 000 clients – en dessous de laquelle sont prévues des dérogations – afin de permettre aux entreprises locales de subsister.

M. le président. La parole est à M. Jean Le Garrec.

M. Jean Le Garrec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a peu de biens premiers : l’énergie, l’habitat, l’air, le transport et l’eau. L’énergie est un bien premier et, à ce titre, il faut répondre à trois enjeux : le coût, la sécurité et l’investissement. Avez-vous l’impression, en ouvrant à la concurrence, que ces enjeux fondamentaux seront pris en compte ? Pour ma part, j’en doute fortement, car les entreprises n’ont plus qu’un seul objectif : réaliser un profit à deux chiffres. Monsieur le ministre, vous le savez, le point faible, en France, c’est l’investissement. Même si la croissance marque une amélioration pour 2006, ce dont nous nous félicitons, elle est plutôt soutenue par la consommation. Or, dans ce cas, ce sont l’investissement et la sécurité qui sont sacrifiés. D’ailleurs, on le constate dans d’autres pays, comme l’Angleterre, où la privatisation a conduit à l’augmentation des tarifs, à la diminution de l’investissement – et donc de la sécurité.

Vous comprendrez, monsieur le rapporteur, que cet article fasse naître chez nous quelques doutes, car il est extrêmement confus. Mal écrit, mal explicité, il n’est pas clair dans ses objectifs. Pour apporter une petite touche d’humour à nos débats, je dirai que cet article me fait penser à une phrase célèbre des Shadocks, auxquels Claude Piéplu avait prêté sa voix extraordinaire : « Quand on ne sait pas où on va, il faut y aller le plus vite possible ! »

M. le président. Alors, dépêchons-nous ! (Rires.)

La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Ce matin, l’UDF s’est montrée discrète. Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais mes collègues de l’opposition m’y obligent, pour défendre la directive européenne. Elle est remarquablement écrite, beaucoup mieux que la loi – sur ce point, je rejoins Jean Le Garrec. Lorsque nous légiférons, nous ne faisons que compléter les textes antérieurs. Il en résulte que les lois françaises sont illisibles, alors que cette directive est parfaitement claire.

M. Jacques Desallangre. Elle est surtout parfaitement libérale !

M. Jean Dionis du Séjour. Le caractère intégré des opérateurs historiques n’est pas du tout remis en cause. Ce qui l’est, c’est l’indépendance absolue de gestion des activités régulées, c’est-à-dire le transport et la distribution. C’est une mesure saine, qui permettra un accès sans discrimination.

Il faut être précis et ne pas faire dire aux directives ce qu’elles ne disent pas, car c’est comme cela que l’on distille des sentiments anti-européens. Nous avons déposé plusieurs amendements à l’article 6 montrant que les directives vont dans le bon sens, s’agissant notamment de l’environnement. Nous serions bien inspirés d’inscrire dans notre loi le texte in extenso des directives !

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. On nous dit que la filialisation des réseaux de distribution – à laquelle vous procédez dans cet article – n’impliquerait qu’une séparation des comptes de la maison mère et du gestionnaire de réseau. Il faut rectifier ces propos qui tendent à banaliser l’importance de la décision que vous prenez, rappelons-le, de votre propre initiative et non sous la contrainte communautaire. La filialisation constitue bien une étape supplémentaire dans le démantèlement de l’entreprise intégrée.

Depuis la loi d’août 2004, les réseaux de distribution de GDF et d’EDF ont déjà des comptes séparés de leurs maisons mères respectives. Ils ont également des dirigeants qui répondent aux critères d’indépendance définis dans la directive.

Qu’implique donc la filialisation allant au-delà d’une comptabilité distincte ? Elle signifie la séparation juridique du gestionnaire de réseau de distribution et de la maison mère. Autrement dit, elle provoque la création d’une société séparée, avec son propre conseil d’administration et son propre capital. Ce n’est plus GDF qui prend, avec sa direction interne, les décisions stratégiques, mais le gestionnaire de réseau qui prend ses propres décisions.

En outre, la filialisation ouvre la voie à la création de sous-filiales. On entre donc dans une logique de forte indépendance du gestionnaire de réseau par rapport à la maison mère. Ainsi, en matière d’investissement dans le réseau de distribution, GDF n’aura plus son mot à dire après la séparation juridique que vous allez mettre en œuvre avec cet article.

Autre point sur lequel nous reviendrons lorsque nous défendrons nos amendements : la filialisation du réseau de distribution amène une transformation de la composition du conseil d’administration, où l’État sera moins représenté.

Vous le voyez : la filialisation, c’est bien plus que des comptes séparés, c’est l’autonomisation du réseau de distribution, la mort de l’entreprise verticalement intégrée, la perte de coordination et de décisions stratégiques, telles que les choix d’investissement, pris en coordination avec les différents maillons de la chaîne du secteur gazier. (Murmures sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Vous pouvez protester, chers collègues de l’UDF, mais c’est la réalité. Si vous lisez le texte qui nous a été distribué ce matin, vous le constaterez.

M. le président. Je suis saisi de vingt-deux amendements, nos 93130 à 93151, tendant à supprimer l’article 6.

La parole est à M. Daniel Paul, pour soutenir ces amendements.

M. Daniel Paul. L'article 6 est l’un des points centraux – avec l’article 1er et l’article 10 – du projet de loi. Il est certes moins médiatisé que l’ouverture à la concurrence ou la privatisation de GDF, mais il est tout de même fort problématique.

Après la filialisation, par la loi de 2004, des réseaux de transport de gaz et d'électricité, c'est au tour des activités de distribution de passer sur la table d’opération du démantèlement ! Il ne s'agit de rien de moins que de séparer juridiquement les entreprises qui assurent la gestion des réseaux de distribution d'électricité ou de gaz naturel des maisons mères, avec lesquelles elles constituaient des entreprises verticalement intégrées. Cette séparation juridique se double de l'autonomisation des activités de management.

Finies donc les synergies industrielles entre les maisons mères EDF et GDF et leurs filiales de distribution ! C'est pourtant l’un des éléments central dans la force des entreprises : des coopérations entre les salariés des différents services, une approche de coopération entre les différentes activités, entre le stockage et le transport de gaz, entre la distribution et la fourniture d'énergie. C'est tout cela que vous mettez à mal. C'est pourtant ce qui faisait la particularité des salariés : le caractère intégré de l'entreprise leur permettait d'avoir une compréhension plus globale de leur secteur d'activité et de ne pas être coupés des différentes activités de la chaîne. Mais Bruxelles et les chantres du libéralisme à toutes les sauces en ont décidé autrement…

Parce que nous ne pouvons nous résigner à jeter aux oubliettes une des entreprises intégrées qui a su faire la preuve de son efficacité, nous demandons, par ces amendements, la suppression de l'article 6.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. J’en profite pour répondre aux questions posées.

L’article 6 est important puisqu’il traite de la séparation juridique entre les activités de fourniture et de distribution. La loi de 2004 avait organisé la séparation juridique pour le réseau de transport. Il s’agit, avec l’article 6, des réseaux de distribution.

En effet, un texte européen oblige à dissocier le transport et la distribution d’une part, l’approvisionnement et la production d’autre part : c’est le point 37 de l’accord conclu le 16 mars 2002 à Barcelone, que je vous invite à relire. Sur un plan historique, cela ne peut être contesté, et c’est en application de cette décision que nous organisons aujourd’hui la séparation juridique de la distribution.

Bien sûr, nous sommes attentifs aux modalités d’application aux distributeurs non nationalisés – les DNN. Vos interventions laissent transparaître l’intérêt que vous portez à leur bon fonctionnement et à la qualité des services rendus par ces distributeurs. Les directives rendent obligatoires la séparation pour les DNN desservant plus de 100 000 clients, qui, Christian Bataille l’a rappelé, sont au nombre de deux pour le gaz – Gaz de Strasbourg et Gaz de Bordeaux – et de quatre pour l’électricité – Électricité de Strasbourg, Électricité de Metz, SOREGIES dans la Vienne et le Syndicat des Deux-Sèvres.

Cette option est facultative pour les moins de 100 000 clients.

La séparation juridique peut prendre deux formes puisqu’il existe deux segments : d’un côté, l’acheminement et la distribution ; de l’autre, les fournitures et la commercialisation. On filialise la distribution ou on filialise les activités commerciales.

Les deux entreprises EDF et GDF ont choisi la première option : la filialisation de la distribution. Il semblerait aujourd’hui que les DNN, qui sont obligés de le faire, opteraient plutôt pour la seconde solution.

Nous avions abordé ces questions au cours de la réunion que la commission a tenue au mois d’août, mais, comme je l’ai écrit dans mon rapport, nous avions alors souhaité, en accord avec le président, disposer d’un peu de temps pour y voir clair et être en mesure de répondre à toutes les sollicitations provenant notamment d’élus qui participaient de près ou de loin au fonctionnement des distributeurs non nationalisés.

À l’issue des réflexions qui ont été menées, et toujours en accord avec le président, j’indique d’ores et déjà – nous aurons bien sûr l’occasion d’être plus précis au cours de l’examen des amendements – que je donnerai un avis favorable à trois séries d’amendements.

Tout d’abord, aux amendements qui précisent les missions des gestionnaires de réseaux de distribution.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Ensuite, je donnerai un avis favorable à des amendements qui lèveront l’obligation de transférer vers une filiale de DNN des clients situés sur la zone de desserte et qui ont choisi d’exercer leur éligibilité.

Enfin, je donnerai un avis favorable aux amendements qui se proposent d’étendre les dispositions fiscales qui sont créées par les modifications qui interviennent dans les transferts prévus dans le cadre de ce projet de loi, aux opérateurs qui entreprendront cette séparation et aux distributeurs non nationalisés qui sont situés en dessous de la barre des 100 000 clients.

Toutes ces dispositions devraient nous permettre de répondre de manière positive à un certain nombre de questions qui ont déjà été posées ou qui transparaissent derrière les amendements.

Bien entendu, la commission a émis un avis défavorable aux amendements de suppression de l’article.

M. le président. Cela ne m’avait pas échappé.

M. Daniel Paul. Nous espérions pourtant…

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Mais j’espère que ces explications nous feront gagner du temps.

M. le président. Je l’espère également.

Quel est l’avis du Gouvernement sur ces amendements ?

M. le ministre délégué à l’industrie. L’objet de cet article 6 est simple : il s’agit de transposer l’article 13 de la directive Gaz et l’article 15 de la directive Électricité qui, sinon – c’est la même chose qu’à l’article 1er –, s’appliqueraient d’office le 1er juillet 2007.

Sa lecture peut être compliquée, j’en conviens, monsieur Dionis du Séjour, mais les explications du rapporteur devraient la rendre plus aisée.

Le Gouvernement est donc défavorable aux amendements de suppression de l’article.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. M. le rapporteur ne cesse de répéter : « Barcelone ! Barcelone ! Barcelone ! ». Cela me fait penser à cette très belle chanson merveilleusement interprétée par un chanteur qui a malheureusement disparu. Mais, à Barcelone, il s’agissait d’envisager la dissociation entre la transmission et la distribution, d’une part, et la production et l’approvisionnement, d’autre part. L’utilisation du terme « dissociation » laissait entendre qu’un service dissocié pouvait répondre aux exigences de la directive, ce qui était le cas dans la mise en œuvre de la loi de 2004.

En revanche, le 25 novembre 2002, les conclusions de la 2465e session du conseil – sous le Gouvernement Raffarin donc – indiquent, tout en se réjouissant de l’ouverture à la concurrence pour les ménages, que l’accord du sommet porte sur des dispositions concernant la séparation des gestionnaires de réseaux de transport et de distribution. C’est à ce moment-là qu’il a été envisagé de séparer juridiquement les choses plus nettement. Je tenais à remettre le calendrier dans le bon ordre, monsieur le rapporteur.

En outre, il ne faut pas accabler de critiques ce sommet du 25 novembre, car quelques précautions y étaient prises.

M. Jean-Yves Le Déaut. En effet !

M. François Brottes. Cet accord évoque une indépendance sur le plan de la forme juridique et sur l’organisation de la prise de décision, mais il précise également que la poursuite d’un certain degré de coordination entre les sociétés mères et leurs filiales est autorisée et que les dispositions relatives à la séparation des réseaux n’impliqueraient pas une exigence de séparer la propriété des avoirs des réseaux de transport et de distribution de la part des sociétés verticalement intégrées.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est vrai dans la directive aussi.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Oui.

M. François Brottes. Il est important de le rappeler : la désintégration ne coule pas de source. Mais avouez que le démantèlement et la désintégration, pour utiliser un terme un peu impropre mais qui reflète assez bien ce qui risque d’arriver, sont au rendez-vous de l’« après-vote » de cette loi.

M. le ministre délégué à l’industrie. Non !

M. Jean-Yves Le Déaut. Le ver est dans le fruit !

M. François Brottes. Jean-Yves Le Déaut a critiqué, à juste titre, le seuil des 100 000 clients. Je relève que, dans les conclusions du sommet du 25 novembre, il était écrit que le seuil de 100 000 clients serait rééaxaminé. On avait bien conscience qu’il n’était pas adapté et qu’il rendrait de mauvais services aux usagers et aux clients des régies de distribution DNN.

Il est dommage, monsieur le ministre, que nous n’ayons pas saisi cette occasion pour pousser à ce réexamen. Pourquoi la France, très concernée par ce seuil des 100 000 clients, n’a-t-elle pas éprouvé le besoin de pousser ce petit avantage que lui offraient les conclusions de ce sommet du 25 novembre, au cours duquel fut réclamée la dissociation juridique, la séparation juridique, des gestionnaires de distribution et de transport ?

M. le président. La parole est à M. Léonce Deprez.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, j’aurais également souhaité intervenir…

M. le président. Mes chers collègues, il n’est pas question de refaire constamment des débats.

M. Léonce Deprez. Nous intervenons très peu, monsieur le président.

M. le président. Théoriquement, si j’applique le règlement, il y a deux orateurs, et c’est tout.

M. Jean Dionis du Séjour. J’ai été très discret jusqu’à présent, monsieur le président.

M. le président. Sinon, il ne faut pas venir se plaindre. Le rapporteur a annoncé qu’il émettrait des avis favorables sur certains amendements, le débat interviendra à ce moment-là. On ne va pas lancer le débat maintenant, pour le reprendre après…

M. Jean Dionis du Séjour. Les députés UDF ont été plus que discrets, monsieur le président.

M. le président. Vous vous êtes exprimé, monsieur Dionis du Séjour.

La parole est à M. Léonce Deprez.

M. Léonce Deprez. Nous intervenons nous-mêmes très peu pour ne pas allonger les débats, et le rapporteur et le président de la commission apportent toujours les réponses. Par ailleurs, nous avons beaucoup débattu en commission, en juillet et en août.

Mais le sujet est important. Nous sommes, avec la séparation des activités, au cœur du problème. M. Le Garrec a tout à l’heure parlé, de façon très intéressante – comme c’est d’ailleurs le cas de la plupart de ses interventions – des investissements

M. Jean Le Garrec. Trop de compliments est inquiétant.

M. Léonce Deprez. Les investissements, c’est bien l’essentiel. C’est parce que l’État n’a pas les capacités financières de réaliser les investissements nécessaires pour Gaz de France et pour Électricité de France que nous avons envisagé de nouvelles formules pour le futur.

M. Jacques Desallangre. Oh ! la la !

M. Léonce Deprez. Il faut des capitaux pour assurer ces investissements.

Par ailleurs, la séparation des activités est très importante. Vous avez d’ailleurs beaucoup travaillé sur cette question, monsieur le rapporteur. L’augmentation insupportable des prix n’est pas due à la distribution et au transport. C’est le prix de la fourniture même qui a fait un bon en avant.

M. Jacques Desallangre. Ce n’est pas vrai.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Bien sûr que si !

M. Jacques Desallangre. En partie seulement.

M. Léonce Deprez. C’est la raison pour laquelle nous étions intervenus, avec le président Ollier, pour que, en revenant aux prix régulés, on limite la hausse au prix de l’énergie et non pas au prix du transport, ce qui ne me paraît pas avoir été suffisamment pris en considération.

M. Michel Vaxès. Il faut limiter la distribution des dividendes : 40 % d’augmentation des dividendes, cela a joué aussi dans les prix. Et ce sera 60 % la prochaine fois !

M. Léonce Deprez. Il faut bien séparer le transport et la distribution de la fourniture même de l’énergie.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements identiques nos 93130 à 93151.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour
des prochaines séances

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 3201, relatif au secteur de l’énergie :

Rapport, n° 3278, de M. Jean-Claude Lenoir, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,

Avis, n° 3277, de M. Hervé Novelli, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures vingt-cinq.)