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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 21 septembre 2006

25e séance de la session extraordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. RENÉ DOSIÈRE,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Rappels au règlement

M. le président. Je suis saisi de plusieurs demandes de rappel au règlement.

La parole est d’abord à M. François Brottes.

M. François Brottes. Avant que ne se poursuive notre discussion sur les aspects du projet de loi sur l’énergie relatifs à la distribution, je prends acte avec satisfaction de la réunion de la commission des affaires économiques qui vient de se tenir. Je rappelle que nous l’avions demandée ce matin et que le président Ollier avait accédé à cette requête.

Pendant une heure, nous avons donc procédé à des échanges de vues sur des informations que la presse relayait déjà largement ce matin, avant même que nous en ayons eu connaissance. M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et M. le ministre délégué à l’industrie nous ont expliqué que la publication intégrale des propositions faites par les deux entreprises à la Commission européenne ne pouvait être envisagée, contrairement à ce que l’on a lu ici ou là. Il y a eu des communiqués, mais l’intégralité de ces informations reste confidentielle. Nous n’échappons pas à l’obligation de respecter, au moins en partie, cette règle.

Ce que nous avons appris, c’est que l’ensemble des secteurs – transport, stockage, infrastructures, réseaux de chaleur – étaient concernés par les modifications de périmètre d’activité des deux entreprises, que ce soit en Belgique, en France ou dans les deux pays à la fois, et que ces réductions de périmètre et de chiffre d’affaires envisagées correspondent des pourcentages significatifs. En l’état actuel des choses, la Commission européenne semble se satisfaire de ces propositions, puisqu’elle a décidé de passer à l’étape suivante, à savoir la consultation des concurrents sur les différents marchés, avant de rendre un avis définitif dont on ne peut, bien entendu, prédire la teneur.

S’agissant de la consultation de la concurrence, un point n’a pas été éclairci. Je me permets de l’évoquer ici car je doute qu’il ait un caractère confidentiel : envisage-t-on de consulter les concurrents du seul secteur de l’énergie, ou ceux de l’ensemble des secteurs d’activité des entreprises concernées, comme l’environnement ? Une entreprise comme Veolia sera-t-elle entendue par la Commission sur ce dossier ?

Nous avons par ailleurs bien compris que trois cas de figure se présentaient pour diminuer les périmètres d’activité : la cession pure et simple à un autre opérateur, la possibilité ou l’obligation de filialiser, et enfin la possibilité de rendre accessible aux concurrents, de façon transparente, certaines infrastructures.

Au total, je me félicite de la tenue de cette réunion et de la qualité de nos échanges. Si la confidentialité est de mise s’agissant des détails, nous pouvons toutefois affirmer que nous sommes loin de voir la fin du processus en cours devant la Commission européenne. Le démantèlement de Gaz de France s’effectuera pour une part en réponse aux remarques de la Commission, pour une autre part en raison de l’existence de doublons entre les activités de Suez et celles de GDF, et pour une dernière part en raison de l’incertitude concernant l’obtention de la parité entre les actions des deux entreprises. À ce propos, monsieur le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, vous avez affirmé à plusieurs reprises que l’on donnerait aux assemblées générales d’actionnaires l’occasion de se saisir de la question. Ce que nous déplorons – et continuerons de déplorer jusqu’au bout –, c’est que tout cela se décidera après que le Parlement vous aura donné un chèque en blanc !

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Mon rappel au règlement est fondé sur l’article 58, alinéa 1.

Je constate une évolution intéressante, messieurs les ministres et monsieur le président de la commission : alors que nous n’avons eu connaissance de la lettre de griefs de la Commission européenne que dans une version où tous les chiffres étaient raturés, il n’en est pas de même dans la réponse de Suez et de GDF. En tout cas, je n’ai vu aucune page expurgée. Naïvement, j’en conclus que c’est le résultat de notre récent « coup de gueule » en réaction au peu de considération où l’on nous tenait.

Je vous l’accorde, messieurs les ministres, vous avez tout fait, lors de notre réunion de quatorze à quinze heures, pour répondre à nos questions. Pourtant, les risques demeurent. Je maintiens que la désintégration de GDF est en marche. La filialisation des diverses activités porte en elle ce risque. Si, d’ailleurs, vous réservez à l’État une action spécifique dans certains éléments filialisés, c’est bien que le risque existe ! Vous pourrez toujours m’objecter que l’action spécifique vous sert précisément à protéger ces éléments : encore faut-il que vous en ayez la volonté et la capacité politiques ! On sait ce qu’il en a été du maintien de 70 % de GDF et d’EDF sous le contrôle de l’État : l’engagement a été pris en 2004, et aujourd'hui on nous dit que les temps ont changé, que le monde a bougé, si bien qu’il faut maintenant descendre plus bas. J’imagine bien la déclaration similaire que vous pourriez nous faire dans quelques années, dans le cas où vous resteriez aux affaires : le monde a changé, et il n’est plus possible de faire jouer l’action spécifique !

Je maintiens également que nous allons légiférer avant la décision définitive de la Commission européenne, sans pouvoir préjuger précisément de son contenu – il nous faudra attendre quelques semaines – et avant que les prétentions des actionnaires de Suez sur les richesses du groupe GDF nous soient connues.

En conclusion, si cette réunion de la commission en réponse à nos demandes de ce matin constitue une étape importante et si nous en savons gré au président Ollier et aux ministres, elle ne change rien quant au fond du dossier. Pour notre part, nous sommes opposés à l’opération de privatisation et de mise à mal de GDF pour préparer sa fusion avec Suez.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Avant de répondre aux interventions de M. Brottes et de M. Paul, permettez-moi, monsieur le président, de remercier le président de la commission des affaires économiques de nous avoir permis, à François Loos et à moi-même, de participer à cette réunion. L’échange a été, je crois, très constructif avec les parlementaires qui ont bien voulu répondre à votre invitation, monsieur le président Ollier. Vous avez d’ailleurs ouvert la réunion à tous les députés qui le souhaitaient, et non aux seuls membres de votre commission. Le Gouvernement s’en réjouit car sa volonté, concernant ce texte, c’est la transparence. Nous voulons tout faire pour que se tienne devant les Françaises et les Français un débat de qualité.

Permettez-moi aussi de rappeler – comme je le fais quotidiennement et sans aucun esprit polémique – que nous sommes ici pour discuter, jusqu’à l’article 9 inclus, des modalités de transposition de la directive Énergie afin que celle-ci, dans l’intérêt de nos compatriotes, trouve sa traduction en droit français et que les Français puissent bénéficier au 1er juillet 2007, dans les meilleures conditions possibles, des tarifs régulés tant pour l’électricité que pour le gaz.

Ensuite, à partir de l’article 10, nous discuterons des conditions dans lesquels nous pourrions donner à Gaz de France la possibilité de nouer, le cas échéant, une ou plusieurs alliances industrielles dans le cadre d’un grand projet qui lui permettrait de répondre aux défis de l’avenir en matière d’énergie tout en préservant les intérêts de l’État. Voilà pourquoi nous proposons que l’État garde 34 % d’un groupe issu d’une fusion avec Gaz de France et un partenaire de son choix pour répondre à ces défis et qu’il se réserve la possibilité de détenir des actions spécifiques sur les actifs stratégiques que sont les terminaux méthaniers – qui doivent être filialisés, monsieur Paul, du fait de l’exigence de transparence de la directive –, les réseaux de transport et les stockages stratégiques.

Cela étant dit, le groupe Gaz de France travaille parallèlement à un projet sur lequel il appartiendra in fine, non pas à l’Assemblée nationale, mais aux actionnaires de GDF – et donc, au premier chef, à l’État – de se prononcer s’il voit le jour. Lorsque le Parlement a voté la privatisation d’Air France, il n’a aucunement été question de discuter d’une quelconque lettre de griefs !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Jamais !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. À l’époque – le partenaire envisagé était alors British Airways –, vous ne l’aviez pas demandé, mesdames et messieurs les députés de l’opposition. Et lorsque vous avez permis la privatisation de Renault, vous n’avez pas demandé non plus s’il existait une lettre de griefs concernant les discussions de l’entreprise avec Volvo.

M. Daniel Paul. Ce n’est pas du tout pareil !

M. François Brottes. Dans les deux cas, il n’y avait pas de contrats de service public !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Air France reste délégataire de missions de service public, ce que beaucoup d’élus savent bien !

Vous avez bien fait, du reste, de ne formuler aucune demande sur d’éventuelles lettres de griefs, car vous auriez perdu votre temps : en définitive, Renault s’est mariée avec Nissan et Air France avec KLM.

Pour en revenir à Gaz de France, il existe en effet un projet parallèlement à notre discussion. La Commission a été saisie. Elle a communiqué sa lettre de griefs, mais l’a shuntée, pour reprendre un mot que certains d’entre vous ont employé. En toute transparence, nous avons transmis ce document tel qu’il nous est parvenu au président de la commission des affaires économiques.

Les groupes Gaz de France et Suez ont répondu hier à cette lettre de griefs et nous sommes très heureux qu’ils aient rendu leurs conclusions publiques par le biais d’un communiqué détaillé. Le fait est suffisamment rare pour être souligné, même si le document a pu paraître synthétique.

M. François Brottes. Très synthétique !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est la raison pour laquelle, monsieur Brottes, à votre demande, nous nous sommes réunis, dans un esprit de dialogue et de transparence. Nombre d’observateurs estiment aujourd’hui que ces propositions sont crédibles et réalistes et qu’elles ne remettent pas en cause la qualité du projet industriel, bien au contraire. Le Gouvernement se réjouit de l’étape ainsi franchie et entend continuer à travailler sur le projet.

S’agissant des remèdes proposés, ils préservent l’intégralité du périmètre de Gaz de France et ne concernent, pour l’essentiel, que Distrigaz en Belgique. Le Gouvernement ne souhaite pas faire de commentaires supplémentaires. Nous sommes satisfaits de la façon dont les choses se déroulent, même si tout cela ne concerne que le troisième temps, après le temps du Parlement, celui des projets et des assemblées générales.

Soyez convaincus, mesdames, messieurs les députés, qu’à chaque fois que le Gouvernement disposera d’une information, il la partagera en toute transparence, comme il vient de le faire à la demande du président de la commission, avec les parlementaires intéressés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

énergie

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au secteur de l’énergie (nos 3201, 3278).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Ce matin, l’assemblée a poursuivi l’examen des articles en s’arrêtant à l’amendement n° 137534 à l’article 6.

M. François Brottes. Je demande la parole, monsieur le président !

M. le président. Les deux rappels au règlement, entre guillements, que nous venons d’entendre ont permis de poser un débat et d’avoir une réponse du ministre. Il est temps de passer à la discussion des articles, au cours de laquelle vous pourrez vous exprimer.

Article 6 (suite)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 137534.

La parole est à M. Antoine Herth, pour le soutenir.

M. Antoine Herth. Cet amendement concerne l’application du texte aux distributeurs non nationalisés. Ce matin, j’ai noté avec satisfaction les déclarations de notre rapporteur tendant à prendre en compte certaines particularités. À cet égard, il me semblerait utile que l’on examine la situation des distributeurs non nationaux qui « jouent dans la cour des grands », qui devraient avoir les mêmes chances que Gaz de France de se positionner sur un marché devenu concurrentiel. C’est pourquoi cet amendement tend à modifier l’article 23 de la loi du 8 avril 1946 relative aux sociétés d’économie mixte pour permettre aux collectivités d’ouvrir le capital des DNN au privé et rendre possibles des alliances entre DNN. Précision importante, les collectivités conserveraient au maximum 33 % du capital des distributeurs. Nous souhaitons en effet que les villes ayant choisi ce type d’entreprise puissent vérifier la bonne exécution des missions de service public.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, pour donner l’avis de la commission.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. La commission n’a pas examiné cet amendement. Pour en avoir discuté avec le président Ollier et avec ses auteurs, je considère, à titre personnel, qu’il pose une vraie question, particulièrement sensible dans certaines localités, telles que Strasbourg et Bordeaux. Il faut être attentif au risque de fragilisation du monopole que détiennent actuellement les distributeurs non nationalisés et tenir compte des sensibilités qui s’expriment au niveau local. Je suggère de laisser au Sénat le soin de discuter cet amendement. Il disposera de plus amples éléments d’information qui lui permettront de bien identifier les tenants et les aboutissants. Ainsi mûri, le sujet pourra être repris en commission mixte paritaire.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. Cet amendement très intéressant établit un parallèle entre la situation qui est faite à Gaz de France et celle qui pourrait être faite aux DNN gaziers.

M. Christian Bataille. Et voilà ! Ils veulent privatiser Gaz de Strasbourg !

M. le ministre délégué à l’industrie. Il y a vingt DNN gaziers en France. Je relève que l’amendement, cosigné par le maire de Bordeaux…

M. Christian Bataille et M. François Brottes. Lequel ? (Sourires.)

M. Jean Dionis du Séjour. Hugues Martin !

M. le ministre délégué à l’industrie. …et des élus alsaciens, relaie à l’évidence une demande de Gaz de Strasbourg et de Gaz de Bordeaux. Il conviendrait donc, avant de se prononcer, d’examiner la situation de l’ensemble des DNN et d’organiser une consultation des collectivités qui les représentent. Votre rapporteur a souligné la nécessité d’approfondir tous les aspects du problème et de mettre à profit le temps qui nous sépare de l’examen du même article au Sénat.

M. Jung a rappelé ce matin que j’avais affirmé à plusieurs interlocuteurs le principe du maintien des réseaux dans la propriété des collectivités locales. Mais le présent amendement ne porte pas sur ce sujet et je confirme que, en effet, nous n’envisageons en aucun cas de remettre en question la place des collectivités locales vis-à-vis des réseaux de distribution.

M. Jean Dionis du Séjour. Exactement !

M. le ministre délégué à l’industrie. Ici, il s’agit plutôt de la propriété de la société en charge de la distribution et de la fourniture. Sur cette question de la propriété, les positions peuvent évoluer. Aussi, je pense qu’il serait plus prudent d’avoir au préalable consulté l’ensemble des DNN concernés. C’est la raison pour laquelle je propose à M. Herth de retirer son amendement afin que celui-ci puisse faire l’objet d’une étude plus approfondie d’ici à son examen par le Sénat.

M. le président. La parole est à M. Armand Jung.

M. Armand Jung. Gaz de Strasbourg, dont j’ai dressé ce matin un rapide historique depuis 1914, est une société d’économie mixte qui a échappé aux lois de nationalisation en 1946. C’est également une véritable institution sociale, économique et culturelle en Alsace, au même titre que le régime local d’assurance maladie et d’autres institutions régies par le droit local progressiste. Les Alsaciens y sont autant attachés qu’à La Poste. Le releveur du gaz est accueilli dans les familles comme le facteur : on l’apprécie, on discute avec lui. Je ne peux donc me résoudre aux attaques que l’on entend porter contre cette institution. Les syndicats sont mobilisés en permanence et les associations de consommateurs suivent nos débats avec attention : ils considéreraient toute mise en cause de ce régime spécifique comme une agression.

Sur le fond, une telle évolution du statut ne présente aucun intérêt et n’a pas de justification. Gaz de Strasbourg est une société d’économie mixte dans laquelle la ville de Strasbourg est majoritaire à 50,08 %. Elle vaut aujourd’hui 180 millions d’euros. La ville de Strasbourg veut réduire sa part à 33 % – même pas la minorité de blocage envisagée pour Gaz de France, qui est elle à 34 % ! En l’occurrence, il ne s’agirait que d’une opération de trésorerie, qui consisterait à récupérer sur une année 35 millions d’euros grâce à la vente de ses parts. Mais ce n’est qu’un fusil à un coup. Pour l’instant, Gaz de Strasbourg rapporte à la collectivité locale 2,5 millions d’euros en moyenne chaque année, avec un pic en 2005 de 7 millions d’euros. En moins de dix ans, ces 35 millions seraient recouvrés !

Le projet de loi n’implique pas du tout la privatisation de Gaz de Strasbourg. Dès lors, tout le monde s’interroge : quelle est la justification profonde d’une telle opération, sinon l’intérêt financier ?

Monsieur le président, je ne suis pas un des ténors de l’Assemblée et je ne prends que rarement la parole, si ce n’est pour défendre avec détermination ma région et Strasbourg, siège du Parlement européen. La France devrait être honorée d’accueillir au moins une institution européenne.

M. le président. Ne vous défendez pas de défendre l’Alsace !

M. Armand Jung. C’est que M. le président Debré m’a fait une remarque à ce sujet, ce matin.

Je voudrais encore évoquer les missions de service public. Même si – parce que la loi l’y obligerait – une société privée maintenait ces missions de service public, on peut s’interroger sur les investissements qu’elle serait disposée à envisager. Le premier réflexe de l’investisseur ne serait-il pas de rentabiliser le capital qu’il aurait placé dans Gaz de Strasbourg ? Les 334 salariés de l’opérateur craignent une diminution de leurs effectifs ou le non-remplacement des départs à la retraite. Même si le statut des personnels était conservé, rien ne dit que leur nombre serait garanti à terme. Jean Le Garrec l’a dit ce matin, nous considérons – et à Strasbourg encore plus qu’ailleurs – que le gaz n’est pas une marchandise comme une autre et qu’il ne peut pas être traité sur un plan strictement financier.

Je prends acte, monsieur le ministre, de votre proposition de renvoyer l’affaire au Sénat. J’aurais ainsi, lorsqu’elle nous reviendra, l’occasion de vous interpeller, comme je l’ai déjà fait à Strasbourg. S’il y avait un intérêt majeur à privatiser Gaz de Strasbourg, cela se saurait et on pourrait en discuter. Mais il n’y en a aucun ! L’opération est strictement financière. Cette institution historique n’a jamais posé de problème juridique ni financier. De grâce, n’y touchez pas !

M. le président. Je vous rappelle, monsieur Jung, que, compte tenu de la déclaration d’urgence, il n’y aura qu’une seule lecture du texte dans chaque assemblée !

La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre. Après une aussi fougueuse défense des intérêts strasbourgeois, j’hésite à défendre ceux de la Picardie et me placerai donc sur un terrain plus général.

M. le ministre nous a dit que cette proposition d’amendement émanait principalement de Gaz de Strasbourg et de Gaz de Bordeaux, mais c’est surtout celle d’hommes politiques libéraux. Conformément aux convictions de notre collègue Herth et relevant de la même logique que les deux amendements précédents qu’il a défendus, celui-ci est purement idéologique. Et nous ne partageons pas cette idéologie.

J’ai également noté que le rapporteur, tout comme le ministre, avait fait preuve d’une extrême circonspection. Tous deux savent combien la population est opposée à ces mesures. C’est pourquoi ils ont renvoyé la balle dans le camp du Sénat.

J’exprime l’opposition ferme, claire et sans détour du groupe communiste et républicain à cet amendement d’inspiration purement libérale. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour une brève intervention.

M. Jean Dionis du Séjour. Vous aurez remarqué, monsieur le président, combien nous avons été discrets ce matin. S’il existait un organisme comme le CSA dans cette assemblée, il aurait noté que l’opposition a bénéficié d’un important temps de parole, tandis que l’UDF et l’UMP avaient été très discrets.

M. Jacques Desallangre. Votre temps de parole est comptabilisé avec celui de l’UMP !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous pouvons donc espérer disposer d’un peu de temps quand nous demandons la parole.

L’amendement que nous examinons est important. Je ne suis pas aussi concerné que M. Jung qui a défendu avec passion la cause de Strasbourg, et j’en parlerai avec modestie devant un ministre lui aussi strasbourgeois. Néanmoins, en tant que député aquitain, j’ai eu l’occasion de m’entretenir du sujet avec le maire de Bordeaux et je suis content que l’on puisse en parler dans cette enceinte.

Comme la fait remarquer M. le ministre, il n’est pas question de propriété dans l’amendement. La collectivité locale restera propriétaire des réseaux de distribution et elle gardera à ce titre, ainsi qu’à celui de la domanialité, des leviers considérables d’action et de maîtrise sur ceux-ci.

Cela étant, le Sénat n’a pas le monopole de ce qui concerne les collectivités locales. Je ne suis pas favorable, pour ma part, à ce qu’il donne le tempo en la matière. Le Parlement est composé de deux chambres et elles ont toutes les deux le droit de parler sur les questions touchant aux collectivités locales.

L’UDF est favorable à cet amendement. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Christian Bataille. Ils choisissent leur camp !

M. Daniel Paul. Ils dévoilent leur jeu !

M. Jean Dionis du Séjour. D’une part, comme je viens de le faire remarquer, les municipalités conservent des leviers d’action puisqu’elles demeurent propriétaires des réseaux, d’autre part, il s’agit seulement pour elles d’un arbitrage patrimonial : si l’affaire est aussi intéressante que le prétend M. Jung, je ne doute pas que les municipalités de Strasbourg ou de Bordeaux conserveront les 2,5 millions que cela leur rapporte par an ; par contre, si elles ont intérêt à vendre, cet amendement le leur permettra.

M. Daniel Paul. Ça, c’est du libéralisme !

M. Jean Dionis du Séjour. Le même arbitrage était en quelque sorte demandé lors de la concession des autoroutes. Nous avions alors dit que l’État avait intérêt à garder celles-ci. Dans ce qui est proposé, ce serait aux collectivités locales d’arbitrer. L’amendement leur ouvre la possibilité d’abaisser de 51 % à 33 % leur seuil de participation. Je ne vois pas pourquoi elles arbitreraient contre leurs intérêts patrimoniaux.

M. Daniel Paul. Chassez le naturel, il revient au galop !

M. Jean Dionis du Séjour. Enfin, pour avoir travaillé pendant six ans dans une municipalité, je puis dire que c’est une lourde responsabilité pour une commune de gérer des métiers d’une telle technicité. Alors qu’elles ont des services techniques pour contrôler les réseaux et qu’elles disposent de la délégation de service public, leur donner la majorité de gestion sur l’exploitation me paraît un peu contre nature.

L’amendement défendu par M. Herth est donc justifié et j’aimerais que l’Assemblée se prononce en sa faveur.

M. Jacques Desallangre. Le temps de parole de M. Dionis du Séjour doit être décompté de celui de la majorité !

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Mes propos vont, je le sais, déplaire à M. Dionis du Séjour, mais cet amendement est purement idéologique !

M. Jean Dionis du Séjour. Ce n’est pas vrai !

M. Christian Bataille. Il relève d’une approche libérale. Il est proposé de privatiser Gaz de Strasbourg pour le principe car je n’ai entendu aucun argument sur le fond qui pourrait justifier cette opération. Personne ne peut soutenir que Gaz de Strasbourg fonctionne mal ou que la collectivité locale est incapable de gérer cette activité. Armand Jung a au contraire souligné, d’une manière posée et dépassionnée, combien ce service fonctionnait bien. Il a également insisté sur le fait qu’il avait une dimension culturelle en Alsace.

Dès lors, j’ai du mal à comprendre la réponse du rapporteur qui, bien que vous ayez rappelé, monsieur le président, que l’urgence ayant été déclarée sur ce texte, il n’y avait qu’une seule lecture devant chaque assemblée, renvoie le problème au Sénat. L’Assemblée nationale doit se prononcer. Si vous êtes, chers collègues, favorables à la privatisation de Gaz de Strasbourg, dites-le, mais dites-le franchement. M. Jung saura à quoi s’en tenir. Il a indiqué qu’il y était défavorable et nous sommes évidemment, à ses côtés, tout à fait opposés à cette opération de basse politique.

M. le président. Monsieur Jung, comme vous connaissez mon attachement au droit local, je veux bien vous donner de nouveau la parole.

M. Armand Jung. Je veux ajouter un argument supplémentaire : le réseau de transport de Gaz de Strasbourg vient d’être entièrement refait et remis aux normes par les collectivités locales, notamment à la suite des dramatiques incidents de Mulhouse. Et voilà qu’après avoir procédé à la réfection de l’ensemble du réseau,…

Mme Muguette Jacquaint. La corbeille de la mariée est intéressante !

M. Armand Jung. … elles devraient le céder à un actionnaire privé dont on ne connaît même pas l’identité puisque la ville de Strasbourg a chargé la banque Rothschild de trouver un repreneur pour ses parts. Qui nous dit que ce ne sera pas Gazprom ? Ce serait pour lui une bonne façon de mettre un pied en France !

M. Daniel Paul. D’autant que Strasbourg, en tant que capitale européenne, est tout un symbole !

M. Armand Jung. La gestion de Gaz de Strasbourg ne pose aucun problème. Il bénéficie d’une telle expérience, d’un tel acquis et d’une telle reconnaissance que je ne vois aucune utilité à sa privatisation.

M. Jacques Desallangre. Recapitaliser et privatiser sont à la mode aujourd’hui !

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Comme vous m’avez invité, monsieur le président, à m’exprimer sur les amendements, je ne manque pas de le faire et vous remercie de me donner la parole.

Je ferai trois remarques.

Premièrement, il est important que notre assemblée rejette clairement cet amendement parce qu’il est lourd de conséquences. Monsieur Dionis du Séjour, une majorité de gestion, pour légitime qu’elle soit – bien qu’elle soit toujours conjoncturelle –, ne donne pas tous les droits devant l’histoire. Ce n’est pas parce que, dans une commune, une majorité souhaiterait se séparer d’un quartier qui lui reviendrait trop cher, qu’elle pourrait le faire ! Eh bien, la comparaison vaut en l’espèce. Je trouve l’amendement totalement irresponsable. Nous devons veiller à ne pas donner aux majorités de gestion – toujours conjoncturelles – des droits qui excéderaient la légitimité dont elles peuvent se prévaloir dans le temps et dans l’histoire. Ce point est très important.

Deuxièmement, M. Jung a qualifié l’opération proposée de fusil à un coup. Je me demande, quant à moi, s’il n’y a pas en fait derrière cette mesure un fusil à deux coups, c’est-à-dire l’idée que la réduction du périmètre d’activité des nouvelles entreprises privatisées devrait être compensée par l’acquisition d’actifs sur d’autres marchés, notamment celui des distributeurs non nationalisés. On est en droit de s’interroger, cette majorité nous ayant donné l’habitude d’avancer en plusieurs étapes.

Troisième remarque : c’est bien, monsieur le ministre, parce que nous avons eu l’expérience avec Air France d’une mariée qui n’était finalement pas celle prévue, que, lorsque le Gouvernement fait des annonces, nous nous montrons désormais prudents en amont et demandons des comptes. Par ailleurs, nous aimerions savoir – mais nous en reparlerons à l’article 10 – quel a été le rôle exact de l’Agence des participations de l’État dans les discussions d’aujourd’hui, un décret du 9 septembre 2004 lui ayant donné des compétences s’agissant de Gaz de France.

M. le président. Je signale à l’Assemblée que, sur le vote de l'amendement n° 137534, dont je rappelle que le rapporteur et le ministre ont demandé le retrait, je suis saisi par le groupe des député-e-s communistes et républicains d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Comme l’a dit Jacques Desallangre, nous avons bel et bien affaire à un amendement idéologique et purement dogmatique. À la première occasion, dans un domaine extrêmement important, de surcroît à Strasbourg, siège du Parlement européen…

M. Jean Dionis du Séjour. Gaz de Bordeaux aussi est concerné !

M. Daniel Paul. Le poids symbolique n’est pas le même. À la première occasion, disais-je, le Gouvernement offre à la ville de Strasbourg, et à d’autres, de profiter d’un effet d’aubaine en leur permettant de vendre une partie de leur réseau gazier. C’est vraiment symptomatique de l’orientation que vous souhaitez ou en tout que certains souhaitent donner au texte que nous examinons.

La demande de scrutin public que j’ai déposé au nom du groupe communiste répond à la même logique que celle que nous défendons pour l’ensemble de ce texte. Opposés à l’utilisation du 49-3, nous souhaitons que chaque parlementaire se prononce en personne et de manière officielle et connue de tous, afin que l’on sache quels sont ceux qui auront privatisé Gaz de France ou des entreprises comme Gaz de France, ou ouvert leur capital. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Monsieur Herth, maintenez-vous l’amendement n° 137534 ?

M. Antoine Herth. Mon amendement a donné lieu à tant d’interprétations et d’extrapolations qu’il me paraît nécessaire de préciser à nouveau son objet et sa portée.

Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un amendement « alsacien ». Vous aurez noté qu’il est cosigné par d’autres députés, dont un député de Bordeaux. D’autres auraient pu se joindre à eux. M. Dionis du Séjour a également fourni des arguments pour sa défense.

C’est une question de principe qui est posée. Comme M. Jung l’a rappelé, Gaz de Strasbourg a échappé à la nationalisation à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale. Aujourd’hui, nous remettons en cause le principe même de la nationalisation puisque nous ouvrons le capital de Gaz de France. Dès lors, pourquoi ne pas faire de même pour les DNN ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Eux aussi, auront à évoluer dans un nouveau contexte concurrentiel. Jusqu’à présent, le gazier était le représentant d’un monopole. Eh bien, demain, il sera le représentant d’une entreprise de distribution dans un contexte concurrentiel.

M. François Brottes. Au moins, vous êtes honnête !

M. Antoine Herth. Quelle est la mission des collectivités locales ?

Mme Muguette Jacquaint. Être bien placées au CAC 40 !

M. Antoine Herth. Est-ce de jouer le jeu de la concurrence ou, au contraire, d’assurer le service public ? Nous retrouvons ces questions derrière cet amendement.

Quant au statut des salariés, il n’est pas du tout remis en cause, non plus que la qualité du service rendu aux usagers.

Monsieur Jung, vous qui défendez avec des accents vibrants…

M. François Brottes. Et sincères !

M. Antoine Herth. …les intérêts de l’Alsace, que n’avez-vous cosigné cet amendement car, pour défendre l’avenir de Gaz de Strasbourg, il faut précisément lui donner toutes ses chances afin qu’il puisse se positionner dans le contexte actuel.

M. Jacques Desallangre. Il y a de l’argent à se faire !

M. Antoine Herth. C’est vrai – M. le ministre l’a fait remarquer – il s’agit là d’une question nouvelle, qui n’a pas été examinée en commission.

Puisque nous posons des questions de principe et que l’amendement concerne, au-delà de Gaz de Strasbourg et de Gaz de Bordeaux, l’ensemble des DNN,…

M. Jacques Desallangre. Tout cet argent qui dort !

M. Antoine Herth. … il serait bon de laisser mûrir la question. Je souhaiterais que d’autres parlementaires concernés par notre proposition, comme ceux de la région de Metz, puissent également apporter leurs réflexions

Pour l’heure, je retire cet amendement sous réserve qu’il fasse l’objet d’une consultation plus large et d’une réflexion plus approfondie et réexaminé lors de la discussion au Sénat ou, au pire, devant la commission mixte paritaire.

M. le président. L’amendement n° 137534 est retiré.

M. le président. Je suis saisi d’une série d’amendements identiques, nos 93152 à 93173.

La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Daniel Paul a défendu, ce matin, avec le talent que nous lui connaissons, un amendement visant à supprimer l’article 6. Malgré l’excellence de ses arguments, l’amendement de suppression a été rejeté par la majorité.

Vous avanciez, monsieur le président de la commission, comme M. Soisson et M. le ministre, l’argument principal selon lequel un « texte européen » doit être appliqué. Vous obligez à la soumission – je le répète et je le ferai aussi souvent que l’occasion m’en sera donnée – contre leur volonté une majorité de Françaises et de Français qui ont repoussé, pour ces raisons, le texte de la Constitution européenne.

Nous pensons qu’un « texte européen », contraire à la volonté majoritaire des Françaises et des Français, appelle à la résistance. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’alinéa 1 de l’article 6.

L’article 6 – nous l’avons rappelé lors de nos interventions ce matin – organise la séparation juridique des entreprises qui assurent la gestion des réseaux de distribution d’électricité et de gaz des maisons mères. Ces mesures découlent des deux directives de 2003. Celles-ci reconnaissaient l’importance, pour l’achèvement du marché intérieur, d’un accès non discriminatoire au réseau des gestionnaires de réseaux de transport et de distribution.

Le Gouvernement, guidé par ce principe de portée générale et abstrait, se trouve aujourd’hui fondé à légiférer indépendamment de toute autre considération. C’est ce que nous entendons dénoncer avec force, car les directives que nous transposons aujourd’hui portent les stigmates de ce qu’une majorité de Français reprochent précisément à l’Europe telle qu’elle est, et non telle qu’ils la souhaitent, c’est d’être un rouleau compresseur technocratique. Il n’y a rien de plus technocratique que de légiférer sur le fondement de principes abstraits sans tenir compte des réalités mais surtout des spécificités de la matière visée, en l’occurrence le secteur énergétique. Considérer que le transport et la distribution d’énergie sont des biens comme les autres relève davantage de la pétition idéologique que de la réflexion politique.

Mais votre zèle en la matière vous porte à aller encore plus loin. C’est sans doute la logique qui anime désormais le discours sur la rupture du président de l’UMP, rupture en forme de bégaiement, puisque vous ambitionnez de substituer aux valeurs du gaullisme les recettes appliquées hier par Thatcher ou Reagan. Quel modernisme ! Face à un tel manque d’imagination politique et de sens des réalités, nous ne pouvons que proposer la suppression du premier alinéa de l’article 6.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je vais donner une réponse, qui vaudra pour d’autres amendements de suppression d’alinéas.

Si nous ne votons pas l’article 6, la directive s’appliquera de toute façon, je vous le rappelle. Il vaut donc mieux – comme le Gouvernement et la commission l’ont indiqué depuis le début de ce débat – …

M. Daniel Paul. Plier devant la Commission européenne !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. …transposer en adaptant cette directive à notre législation, …

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. On respecte les accords de la France !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. …plus précisément à notre organisation. (« Vous vous soumettez ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Même avis que la commission.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Je voudrais revenir sur la réponse générique de M. le rapporteur.

En 2004, M. Sarkozy a fait voter un projet, dont l’article 13 transposait déjà la directive. Vous procédez maintenant à une modification de cet article 13. Quelles directives nouvelles y a-t-il eu depuis 2004 ? Aucune !

Vous accélérez un processus, proposez des modifications beaucoup plus contraignantes. Pourquoi n’avez-vous pas fait tout cela en 2004 ? Pourquoi ne pas se satisfaire de la loi de 2004 ?

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. François Brottes, votre intervention me permettra d’apporter des précisions et de répondre à des questions émanant de la majorité. Le processus engagé depuis dix ans se met en place progressivement, loi par loi, directive par directive.

Différentes étapes ont permis d’adapter progressivement les réseaux de transport et de distribution à un schéma général contenu dans l’esprit, dès la première directive de 1996.

Il y a trois séparations possibles : la séparation comptable, la séparation juridique et la séparation patrimoniale.

En 2000, la première séparation comptable a été engagée pour les réseaux de transports.

M. Daniel Paul. On pouvait s’en tenir à ça !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. En 2004, la séparation juridique des réseaux de transports a eu lieu.

Il reste la séparation juridique des réseaux de distribution. On aurait certes pu le faire en 2004, puisque la directive datait de 2003. Le choix retenu était d’agir progressivement, et non brutalement. Il était judicieux, il nous a permis de nous adapter progressivement à une organisation qui – dans son esprit, je le répète – était fixée dès 1996, et bien entendu dans la loi de 2000.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 93394 à 93415.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’une série d’amendements identiques, nos 93152 à 93173.

La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre. Ces amendements visent à supprimer les alinéas 2 à 4 de l’article 6. Cela fait suite à la proposition de notre collègue Michel Vaxès, qui a fort justement rappelé qu’il n’y avait rien de plus technocratique que de légiférer sur le fondement de principes abstraits, sans tenir compte des réalités.

En réclamant la séparation juridique des entreprises, qui assurent la gestion des réseaux de distribution d’électricité ou de gaz naturel des maisons mères, les directives européennes viennent perturber sans nécessité une organisation qui a pourtant fait la preuve de son efficacité – tous les choix faits par nos concitoyens en sont la preuve.

Ce n’est pas la première fois que nous déplorons de tels faits. Les mêmes directives ont déjà entraîné, par le truchement de la loi du 9 août 2004, la filialisation des réseaux de transports – RTE gestionnaire du réseau de transport d’électricité, GRT gestionnaire du réseau de transport du gaz. Les filialisations peuvent faire craindre un démantèlement de la distribution. J’irai plus loin : je pense qu’elle nous assure, à terme, un démantèlement.

En effet, M. le rapporteur vient de nous préciser que nous progressons par petites étapes. Il faut faire avaler cela, sans faire trop peur au bon peuple. Ce dernier boit donc la potion par petites gorgées amères.

Les filialisations peuvent faire craindre un démantèlement de nos entreprises publiques qui s’étaient construites sous la forme d’entreprises intégrées.

Nous l’avons dit, mais nous le répéterons encore : toutes les synergies, et les formes de coopération utiles entre GDF et EDF permettaient de réduire les coûts de production et d’opérer des péréquations entre les activités ; elles se trouvent aujourd’hui mises sur la sellette.

Nous voulions faire un grand champion français dans le secteur de l’énergie, et nous le pouvions. Il suffisait pour cela d’adosser GDF à EDF. Mais, bizarrement, cette formule n’était pas bonne, tandis que celle de GDF-Suez est valable. La Commission européenne vole, comme toujours, à votre secours, en indiquant que cela n’aurait pas été possible. Lorsque nous voyons la Commission si vite conciliante par rapport à ce projet de fusion – c’est bien ce qui se cache derrière la privatisation –, on se demande pourquoi elle a été si dure à l’égard de la proposition de constitution d’un autre véritable champion national.

Le risque de voir disparaître un aspect essentiel de ce qui faisait d’ EDF et de GDF un service efficace et moderne existe. L’obligation imposée par la Commission de Bruxelles – laquelle, je le rappelle une nouvelle fois, est soumise au dogme libéral – ne change pas notre appréciation.

Monsieur le rapporteur, je trouve votre argumentation fallacieuse. Rien ne vous obligeait à en rajouter, si ce n’est la volonté d’avancer à petits pas pour parvenir au but ultime.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Même avis que la commission.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 93152 à 93173.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d'une série d’amendements identiques, nos 93416 à 93437.

La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Ces amendements visent à supprimer l’alinéa 2 de l’article 6.

Je souhaite insister, pour compléter les argumentations développées par mes collègues, sur le fait que l’article 6 est d’autant plus inquiétant que le texte prépare par ailleurs, insidieusement, l’ouverture à la concurrence du secteur de la distribution. Il définit, en effet, les tâches de tout gestionnaire de réseau de distribution et évoque des sociétés gestionnaires de réseaux de distribution d’électricité et de gaz.

L’article ne remet pas directement en cause les concessions en cours, mais rien ne maintient non plus le système de successeur obligé qui existait auparavant entre les communes et sa contractualisation locale.

Aujourd’hui, GDF et les distributeurs non nationalisés assurent la distribution en France. Ni GDF ni EDF ne possèdent, du fait de l’existence des DNN, l’entier monopole de distribution sur le territoire national. Mais les DNN ont, jusqu’à présent, eu des périmètres d’intervention territorialement limités, qui permettaient aux opérateurs historiques de réaliser de réelles économies d’échelle.

En s’attaquant à la question de la péréquation des tarifs de distribution de gaz, qui concerne GDF et les DNN sur leurs zones de desserte historiques respectives, l’article 8 précise que la péréquation ne se fera que sur la zone de desserte de chaque gestionnaire. Dans un contexte politique où le Gouvernement souhaite faciliter l’entrée dans le secteur de nouveaux opérateurs privés, cet article prépare le terrain pour la disparition de la péréquation.

Nous nous trouvons là en face de l’un des risques majeurs attachés à l’ouverture du marché de l’énergie – nous y reviendrons.

Force est, dans l’immédiat, de constater que la voie privilégiée par le Gouvernement est pavée de contradictions et d’incohérences : vous favorisez d’un côté, la constitution d’oligopoles et de l’autre, la déconcentration du réseau de distribution, en poursuivant la dérégulation et en maintenant des tarifs réglementés. La voie choisie ne sera, en tout état de cause, pas plus de nature à garantir la sécurité d’approvisionnement que la modération et la péréquation tarifaire.

Pour toutes ces raisons, nous proposons de supprimer l’alinéa 2 de l’article 6.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Monsieur le rapporteur, je vous poserai une question. Le réseau de distribution sera une entité juridique séparée, avec sa maintenance, son mode de fonctionnement. Il devra être utilisé de façon non discriminatoire – pour reprendre un terme cher à M. Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Exactement ! C’est la directive !

M. François Brottes. Cela signifie donc que ce réseau de distribution pourra être utilisé par n’importe quel fournisseur de gaz.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est vrai !

M. François Brottes. Quel est le rôle du régulateur par rapport à l’utilisation de ce réseau de distribution ?

Intervient-il sur les modalités d’accès au réseau de distribution et les prix de facturation ou n’intervient-il que sur le réseau de transport ? La question est importante. Dès l’instant où vous libéralisez les usages du réseau de distribution, l’impact sur le prix payé par l’utilisateur est inévitable.

Dans ces conditions, pourquoi conserver cet alinéa ? Il serait souhaitable, monsieur le rapporteur, que vous justifiez les conséquences de la séparation juridique. C’est l’utilisation non discriminatoire des réseaux qui est en jeu. En quels termes ? À quel prix ?

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Claude Lenoir. La réponse à votre question est contenue dans la loi de 2000 laquelle ouvre les réseaux pour l’ensemble des clients.

M. François Brottes. Pas les particuliers !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Pour les particuliers, la question ne se posait pas en 2000, car jusqu’à présent, ils n’étaient pas éligibles. Depuis 2000, le caractère non discriminatoire de l’accès fait l’objet d’une surveillance par la Commission de régulation de l’énergie. Elle est donc amenée à surveiller les conditions d’accès au réseau et à fixer les tarifs d’acheminement, y compris pour le réseau de distribution, lorsque le client y figure à son terme, ce qui n’est pas le cas de tous : les très gros clients peuvent seulement être concernés par le réseau de transport.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 93416 à 93437.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’une série d’amendements identiques nos 93438 à 93459.

La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Votre volonté de privatiser le transport et la distribution, en particulier du gaz, transparaît dans plusieurs dispositions de votre projet de loi.

D'abord, le transport du gaz – tout en restant propriété de GDF – sera privatisé. Ensuite, en matière de distribution, le gestionnaire issu de GDF pourra être détenu par GDF ou tout opérateur privé. Enfin, il est significatif que l'État supprime ses administrateurs au GRT comme au GRD ; il n'y aurait plus éventuellement qu'un commissaire avec voix consultative.

Votre texte manifeste un zèle démesuré à l'égard des exigences des directives, derrière lesquelles vous vous retranchez souvent depuis le début de nos débats.

On ne peut qu'être inquiet de cette volonté manifeste de privatiser entièrement ce secteur, avec comme corollaire, une fois de plus, la privatisation des profits et la socialisation des coûts.

Quand on sait que le schéma actuel de l'organisation de la distribution du gaz relève de la compétence des collectivités locales, dans le cadre du régime de l'exploitation en régie ou de la concession, il n'est pas difficile de prédire que le futur schéma que vous avez en tête reproduira pour l'énergie ce que nous avons connu pour l'eau. Je tenais à alerter les élus locaux qui siègent ici sur ce point.

Sous le bénéfice de ces observations, je crois utile de vous proposer à nouveau la suppression de l’alinéa 3 de l'article 6 du projet de loi.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 93438 à 93459.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 88543.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Avis favorable.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Il ne suffit pas de prétendre qu’un amendement est rédactionnel pour qu’il le soit. Nous avons eu l’occasion de nous en apercevoir à plusieurs reprises lors de nos débats.

Pour ma part, je considère que cet amendement a une portée normative. C’est la raison pour laquelle je souhaite que nous nous y attardions un moment.

L’alinéa 3 de l’article 6 est ainsi rédigé : « La gestion d’un réseau de distribution d’électricité ou de gaz naturel desservant plus de 100 000 clients sur le territoire métropolitain est assurée par des personnes morales distinctes de celles qui exercent des activités de production ou de fourniture d’électricité ou de gaz naturel. » La commission veut substituer aux mots « d’un réseau », les mots : « de réseaux ». L’interprétation peut être double :

Soit, la barre des 100 000 clients peut-être atteinte lorsque l’on gère plusieurs réseaux – 50 plus 30 plus 20 – auquel cas, le pluriel prend tout son sens et cet amendement n’est pas rédactionnel.

Soit, deuxième hypothèse, les DNN – distributeurs non nationalisés – peuvent aller « picorer » dans la gestion d’autres réseaux d’autres DNN en raison d’éventuelles cessions-ventes.

En proposant le pluriel, vous laissez ouvertes les deux possibilités : je voudrais être sûr d’avoir bien compris, monsieur le rapporteur.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. S’il s’agit de Gaz de France, il n’y a qu’un réseau. Dès lors qu’il y a d’autres distributeurs, le pluriel s’impose. Ce n’est pas un pluriel bien singulier, mon cher collègue. (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Le pluriel de « réseaux » induit-il que la barre des 100 000 clients peut être atteinte si l’on gère trois ou quatre réseaux qui, au total, représentent 100 000 clients ? Car cela n’était pas le cas dans la rédaction initiale.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La réponse est oui !

M. François Brottes. Il ne s’agissait donc pas d’un amendement rédactionnel !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 88543.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 88544 de la commission et cosigné par M. Dionis du Séjour.

Il semblerait que cela soit un amendement de précision, mais je reste prudent désormais ! (Sourires.)

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Les mots ont un sens, monsieur le président. Il s’agit bien d’un amendement de précision.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Avis favorable.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

Ne s’agirait-il pas d’un amendement de précision ?

M. François Brottes. Il s’agit en fait d’un amendement de conséquence !

Je voudrais savoir s’il peut y avoir plusieurs gestionnaires d’un même réseau de distribution.

M. Jean Dionis du Séjour. Non.

M. François Brottes. Pourtant, c’est ce que l’on pourrait comprendre.

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Contrairement aux affirmations de François Brottes, cet amendement est directement inspiré par la directive et vise à préciser qu’il ne peut y avoir qu’un seul gestionnaire de réseau, désigné par l’État membre.

M. François Brottes. Je me suis contenté de poser une question.

M. Jean Dionis du Séjour. La directive est claire : les États membres désignent un gestionnaire de réseau.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 88544.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’une série d’amendements nos 5202 à 5351.

La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Ces amendements apportent une précision et manifestent une conviction !

Nous souhaitons que les personnes morales distinctes qui sont amenées à gérer le réseau de distribution – pour ce qui est des distributeurs non nationalisés notamment, mais aussi pour Gaz de France – soient de droit public.

Nous donnons ainsi l’occasion au rapporteur et au Gouvernement de faire amende honorable quant à leur volonté de privatiser tous azimuts. Ce n’est pas parce qu’une activité de réseau est filialisée, et je prends l’exemple d’EDF – ou séparée, qu’elle devra ouvrir son capital ou être privatisée de la même façon. Une partie de l’activité peut rester publique et une autre rester privée, hypothèse d’école.

Pour ce qui est de la distribution, nous souhaitons affirmer que les personnes morales conservent un caractère de droit public. Cela impose au minimum une propriété publique au-delà de 50 %.

Je ne sais pas quel avenir sera réservé aux sociétés d’économie mixte, mais compte tenu des dérogations que vous demandez, j’imagine que vous nous expliquerez, demain, que le capital public ne pourra excéder 30 %, mais je referme la parenthèse, puisque c’est un autre sujet.

Nous souhaitons que vous ayez un sursaut de lucidité républicaine en autorisant par la loi le fait que les distributeurs demeurent des personnes morales de droit public.

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Nos adversaires politiques de l’UMP doivent considérer ironiquement que cet amendement fait très « loi de 1946 » comme si nous étions attachés à des principes désuets et qu’au nom de la modernité, il fallait oublier tout cela. « Personnes morales », c’est plus neutre, plus impersonnel, plus XXIsiècle que « droit public » qui renvoie à des principes républicains à valeur constitutionnelle. Je rappelle que la loi de 1946 le dit clairement. Voilà pourquoi nous sommes attachés à ces mots et que nous ne cesserons de les marteler. Le tour pris tout à l’heure par la discussion sur la privatisation de Gaz de Strasbourg était à cet égard très symbolique de tout ce qui nous sépare. Je suis rassuré que le président de l’Assemblée nous ait précisé ce matin que nous ne nous sommes entendus que sur un calendrier prévisionnel. Car sur le fond, rien de commun ne peut nous rapprocher. Vous considérez le rôle du service public et du droit public comme secondaire. Pour le rapporteur, parler de personnes morales est suffisant. Quant à nous, en parfaits héritiers de ceux qui, en 1946, ont fondé EDF et GDF, nous sommes très attachés à la notion de personnes morales de droit public.

M. le président. Monsieur Jung, souhaitez-vous défendre l’amendement ?

M. Armand Jung. Je me rallie aux arguments de M. Bataille.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. L’amendement porte à la fois sur EDF et GDF. Pour EDF, le problème ne se pose pas, car il ne s’agit pas de privatiser, l’entreprise reste publique à 70 %.

M. Jacques Desallangre. Pour combien de temps ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. En revanche, l’amendement ne peut pas être adopté pour ce qui concerne Gaz de France, car le projet de loi qui vous est soumis a pour objectif de privatiser GDF.

Avis défavorable, donc.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Même avis que la commission.

Le Gouvernement a consulté le Conseil d’État le 11 mai dernier lequel a estimé que l’on pouvait privatiser des GRD gaziers mais aussi électriques.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.


M. François Brottes
.
Monsieur le ministre, vous imputez au Conseil d’État une responsabilité qui ne lui revient pas. Vous l’avez questionné pour savoir comment faire échapper votre projet à l’inconstitutionnalité. Il vous a répondu que tant qu’il ne s’agissait pas d’une entreprise privée, vous ne pouviez pas faire ce que vous vouliez.

Aujourd’hui, vous êtes en train de faire quelque chose d’inconstitutionnel au sens où vous ne respectez pas les principes fondamentaux de la Constitution selon laquelle les missions de service public doivent être accomplies par des entreprises nationales publiques. Il vous faut donc démanteler le dispositif juridique avant de démanteler le dispositif de l’entreprise même et les services qu’elle propose.

La réponse que vous nous faites ressemble à une excuse, mais elle renvoie à un passage obligé dans votre volonté de privatiser et, j’y insiste, de privatiser tous les étages alors que vous n’y êtes pas obligé. Transport, distribution, production : vous visez l’ensemble, comme vous venez de nous le dire, monsieur le ministre. Nous avions un doute s’agissant du réseau de transport, pensant qu’il pourrait rester public, d’autant que certains membres de l’UMP l’avaient laissé entendre. Votre réponse très claire, pour laquelle je vous remercie, montre qu’il n’en est rien. Votre volonté est de tout privatiser, de l’amont jusqu’à l’aval.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Ne soyons pas dupes de la tactique qui a été choisie. Comme M. le rapporteur l’a rappelé, en 2004, vous auriez pu passer au stade où vous en êtes actuellement et aujourd’hui, vous pourriez rester là où vous en étiez en 2004.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Mais non !

M. Daniel Paul. Sauf que votre tactique consiste à faire des petits pas pour ne pas effrayer car nous entrons dans une période difficile, avec les élections importantes dans quelques mois. Le Conseil d’État vous a obligés à ajouter au projet de loi relatif à la privatisation la transposition de la directive européenne relative à l’ouverture à la concurrence. Et si vous allez à petits pas, c’est pour ne pas « casser la baraque », si vous me permettez d’employer cette expression triviale.

La filialisation prépare tout simplement la privatisation avec le démantèlement de l’entreprise en plusieurs tronçons. Dans un autre jargon, on appelle cela les « centres de profit », selon une logique où chaque élément doit rapporter.

Tout en n’étant pas d’accord, sur la forme, avec les amendements autres que les amendements de suppression, je reconnais qu’il vaut mieux que les personnes morales soient de droit public car c’est une garantie supplémentaire. C’est pourquoi nous voterons ces amendements du groupe socialiste que nous considérons comme des amendements de repli.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements identiques nos 5202 à 5251.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’une série d’amendements identiques, nos 93460 à 93481.

La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre. Pour défendre ces amendements tendant à supprimer l’alinéa 4 de l’article 6, je voudrais rappeler certains principes relatifs au respect des missions de service public. Cela me paraît être un exercice utile à l’heure où le Gouvernement et sa majorité calquent leurs déclarations publiques sur celles du MEDEF.

Ils se plaisent ainsi à mettre en avant les dysfonctionnements et les manquements des services publics, montrant du doigt les salariés et leurs statuts pour mieux les opposer aux salariés du privé. Vous ne reculez devant aucun argument démagogique pour essayer de discréditer les services publics afin de mieux préparer leur liquidation. Ce faisant, vous oubliez que nos compatriotes, qui leur sont attachés, sont bien conscients qu’ils ne constituent pas un archaïsme mais un socle de droits et une garantie de justice et d’égalité. Comme vous avez pu en faire le cruel constat, leur soutien grandit à mesure que vos attaques s’amplifient.

Les services publics, cela signifie et cela devrait toujours signifier la possibilité de disposer d’une ligne téléphonique, du gaz, de l’électricité, de l’eau, d’un service postal, la possibilité d’être soigné par le médecin de son choix, dans un hôpital dispensant des soins de qualité, de bénéficier d’un ensemble éducatif public permettant à chaque enfant de suivre une scolarité qui lui soit adaptée et lui offre une éducation artistique et l’accès à la culture, entre autres.

Sur chacun de ces domaines essentiels, votre politique a toujours consisté soit à grignoter, soit à amputer ces services, au point que l’on pourrait croire que c’est une obsession – mais c’est plus que cela, c’est une véritable conviction politique. En filialisant les activités de distribution d’énergie, en privatisant le réseau de distribution de gaz, vous continuez dans cette voie. Mais au profit de qui ? Certainement pas des Français car vous ne faites que suivre des logiques qui ont déjà fait la preuve de leur nocivité – le principe de promotion de la libre concurrence et le privilège accordé aux privatisations –, sans même vous soucier, le plus souvent, de la pertinence économique ou industrielle de vos choix.

Cet aveuglement idéologique est dangereux et le sens de notre amendement est d’alerter nos concitoyens sur l’aberrante obstination de votre gouvernement à vouloir ouvrir aux capitaux et aux intérêts privés le réseau de distribution de gaz, sans qu’aucun motif sérieux n’en justifie l’opportunité.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. J’aimerais dire à quel point ces amendements et la défense qu’en a faite notre collègue Desallangre me paraissent pertinents.

La privatisation de Gaz de France n’est pas un événement anodin, ce n’est pas une simple mesure de rationalisation d’ordre économique. C’est une rupture profonde avec une culture qui avait apporté son équilibre à notre pays.

Le système marche bien et a toujours bien marché, à la satisfaction générale. Entendez-vous des usagers se plaindre de Gaz de France ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Ce n’est pas le problème ! Cela n’a rien à voir !

M. Christian Bataille. Entendez-vous des usagers dire que si le gaz était fourni par une entreprise privée, ils paieraient moins cher leur facture ? Certes, ils souffrent de la hausse mondiale des prix de l’énergie mais ils sont aussi satisfaits que l’État joue son rôle en pesant sur les prix à la baisse.

À travers chacun des articles de ce texte, vous allez détricoter un système qui marche bien pour faire un saut dans l’inconnu. Vous êtes en train d’élaborer un système qui ne marchera pas et vous en porterez l’entière responsabilité, monsieur le ministre, vous, votre gouvernement et votre majorité.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements identiques nos 93460 à 93481.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’une série d’amendements identiques, nos 93482 à 93503.

La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. Monsieur le ministre, après tous les arguments que j’ai pu entendre, votre majorité aurait été bien inspirée d’accepter l’amendement de suppression de l’article 6. Vous ne serez donc pas étonné qu’amendements après amendements, nous revenions sur la même question. Alinéa par alinéa, nous allons disloquer votre article comme vous allez détruire les collectivités locales en favorisant le taux de rentabilité des opérateurs privés des réseaux de distribution d’électricité et de gaz, au lieu de répondre aux besoins de la population.

Les conséquences de cette décision vont être catastrophiques pour nos concitoyens. Les opérateurs privés prendront position dans les zones de distribution les plus rentables lorsque les contrats de concession arriveront à échéance. Que restera-t-il à l’opérateur historique ou plutôt à sa filiale de distribution ? La desserte des zones les plus difficiles à approvisionner en gaz, dans le cadre d’obligations liées au service public de l’énergie. Pour mémoire, c’est déjà ce qui s’est passé, de façon plus ou moins analogue dans le secteur de la téléphonie où France Télécom se voit seule contrainte de maintenir une implantation minimale de cabines téléphoniques, en dépit de leur coût relativement élevé.

La desserte des zones les moins rentables risque d’être facturée « plein pot », avec les conséquences que cela implique pour les populations qui y résident. Il leur sera impossible de bénéficier d’une quelconque péréquation pour les coûts de distribution et de se raccorder au réseau de distribution. Les nouveaux opérateurs jugeront l’opération trop coûteuse. L’opérateur historique, quant à lui, devant le risque de perdre les marchés les plus rentables au profit des nouveaux opérateurs privés, n’aura plus les reins assez solides pour investir dans des zones reculées, donc moins rentables.

Nos amendements visent donc à supprimer la première phrase de l’alinéa 4, afin de garantir l’approvisionnement en gaz de l’ensemble du territoire national, dans le respect de l’intérêt général et du principe d’égalité.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Avis défavorable également.

M. le président. La parole est M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Depuis le début des débats, les formations de gauche dans leur ensemble défendent pied à pied Gaz de France en tant qu’entreprise publique. Il faut le comprendre, c’est une décision d’importance.

Mes collègues de droite voudront bien m’en excuser, mais nous n’avons pas encore évoqué aujourd’hui le scandale sur lequel nous sommes déjà revenus à maintes reprises et que nous évoquerons lors de chaque nouvelle séance. Il y a deux ans, M. Sarkozy nous disait que Gaz de France ne serait pas privatisée. Aujourd’hui, il s’apprête à accepter lui-même cette privatisation. C’est un véritable reniement de la part d’une personne qui aspire aux plus hautes fonctions. Les Français en seront juges !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.


M. Patrick Ollier
,
président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur Bataille, cela fait plusieurs fois que vous reprenez les mêmes arguments. Permettez-moi, à mon tour, de mettre les choses au point.

Je ne voudrais pas que ceux qui nous écoutent croient que nous ne considérons pas Gaz de France comme une belle et bonne entreprise…

M. François Brottes. Pourquoi la démantelez-vous, alors ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …et qu’elle ne rend pas les meilleurs services aux consommateurs.

Bien entendu, nous ne pouvons, comme vous, que rendre hommage à la qualité de service rendu depuis des décennies par cette entreprise Gaz de France. Mais la question n’est pas là !

M. Daniel Paul. Si !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je comprends que l’opposition utilise ce subterfuge pour que l’arbre cache la forêt, mais vous ne pouvez pas, à longueur de séance, accuser le ministre d’État, Nicolas Sarkozy, de renier sa parole.

M. François Brottes. Il trahit ses engagements !

M. Christian Bataille. N’oubliez pas que c’est votre candidat !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nicolas Sarkozy est un homme d’État, il ne renie pas sa parole et il est fort désagréable d’entendre des accusations d’ordre personnel. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Charles Cova. C’est facile d’attaquer quelqu’un qui n’est pas là pour se défendre !

M. Christian Bataille. Je ne me réfère pas à sa vie privée, mais aux paroles de l’homme public !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Monsieur Bataille, chaque fois que vous parlez, nous vous écoutons avec gourmandise pour pouvoir mieux vous répondre. Mais lorsque nous nous exprimons, ayez la gentillesse de nous écouter !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Très bien !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je répète donc que le ministre d’État ne renie pas sa parole. D’abord, ce sont M. Breton et M. Loos qui défendent aujourd’hui le projet, mais surtout la situation a changé depuis 2004. Si nous sommes conduits à engager une action, c’est parce qu’en deux ans les prix du pétrole, sur lesquels ceux du gaz sont indexés, ont été multipliés par 2,5. Et je suis convaincu que « la guerre de l’énergie » qui sévit depuis deux ans sera la guerre la plus dure que nous aurons à affronter dans les décennies à venir. Vous voudriez que la France reste l’arme au pied et qu’elle regarde passer le train, tandis que des regroupements européens ont été organisés en Allemagne, en Espagne et en Italie ?

Mes chers collègues, pardon pour la passion qui m’anime, mais à travers Gaz de France qui incarne effectivement une société nationale, il ne faut pas que la France, à l’initiative du Premier ministre, de Thierry Breton et de François Loos, reste les bras ballants face à cette évolution du marché.

Souvenez-vous de ce qui s’est passé pour France Télécom. La majorité au pouvoir à l’époque n’avait pas voulu entreprendre les évolutions nécessaires, alors que le marché des télécommunications se transformait à une vitesse encore plus grande que celui de l’énergie.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est vrai !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. En l’espace de six mois tout avait changé. Résultat : l’entreprise était au bord de la catastrophe et affichait un endettement monumental de 70 milliards d’euros qui fait encore frémir les députés ici présents !

M. Christian Bataille et M. François Brottes. Oh !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Depuis le 7 septembre, vous répétez inlassablement les mêmes arguments. Permettez-moi donc de redire que nous défendons un vrai projet industriel, qui permettra à la France et à l’Europe, à travers la Belgique, de s’adapter aux nouvelles circonstances.

M. Jacques Desallangre. Comme pour Arcelor, sans doute !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est dans l’intérêt de la France, de l’Europe, mais aussi du consommateur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Le Gouvernement souscrit pleinement aux propos passionnés mais parfaitement légitimes de M. Ollier.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Merci, monsieur le ministre.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur Bataille, chacun tient sa place dans cet hémicycle, dans la dignité républicaine. Mais je ne peux pas vous laisser parler du « scandale du démantèlement de Gaz de France ».

M. Jacques Desallangre. Pour nous, c’est bien de cela qu’il s’agit !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Tout ce que nous faisons démontre que c’est l’inverse d’un démantèlement. C’est, au contraire, un projet qui le fera grandir.

Enfin, je reprends bien volontiers à mon compte les propos de Patrick Ollier concernant Nicolas Sarkozy. Compte tenu des évolutions majeures dans le secteur de l’énergie que le président de la commission des affaires économiques a brillamment rappelées, le Gouvernement a proposé au Parlement de débattre de cette question. Nicolas Sarkozy, homme d’État (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) – c’est une chance pour la France d’avoir des hommes d’État, monsieur Bataille ! –, par ailleurs président de notre famille politique, nous a, c’est vrai, incités à aller de l’avant, car il était de l’intérêt de la France de le faire. Mais c’est le Parlement qui légifère et je souhaite que nous préservions la dignité républicaine des débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M.  François Brottes.

M. François Brottes. Monsieur le ministre, il n’y a rien d’indigne à rappeler les propos officiels d’un ministre d’État. Il ne s’agit pas du tout d’une attaque personnelle. Il se trouve que Nicolas Sarkozy est le numéro deux du Gouvernement actuel et le président de votre famille politique.

Quant à vous, monsieur Ollier, vous n’avez pas attendu deux ans, mais six mois. La loi promulguée le 14 juillet 2005 indique clairement que les entreprises nationales publiques sont chargées de faire en sorte que les missions du service public de l’énergie soient accomplies. Certes, le temps passe vite, mais changer d’avis en six mois au motif qu’il faut sauver Suez en raison d’une OPA d’Enel, voilà un argument un peu léger !

Vous parliez de « guerre ». Le mot est peut-être un peu excessif, mais, c’est vrai, le secteur de l’énergie est extrêmement agité, complexe et déterminant pour la stratégie économique de nos pays.

Mais quand on va à la guerre, il faut avoir des armes. Nous considérons, quant à nous, que nos meilleures armes, ce sont les entreprises nationales publiques, les entreprises nationales du secteur de l’énergie. Dès lors qu’on les vend ou qu’on les démantèle, elles deviennent « opéables » et peuvent être rachetées par n’importe qui, y compris par ceux qui sont chargés de nous approvisionner. Avec votre privatisation, vous fragilisez le dispositif.

Quant à ce qui s’est passé dans le secteur des télécoms, monsieur Ollier, vous savez bien qu’il y a eu une période de spéculation considérable et que les autres pays ont connu les mêmes problèmes que nous. Deutsche Telekom est encore plus endettée que ne l’était France Télécom et on voit ce qui se passe chez Telecom Italia.

Monsieur le ministre, en début d’après-midi, en commission, vous nous avez demandé de ne pas trop parler du détail, car les concurrents de ces entreprises vont être saisis et que tant que Gaz de France est une entreprise publique, nous sommes responsables. Soit. Pour autant, nous ne pouvons pas laisser dire au détour d’une phrase que tout va bien, qu’il n’y aura pas de cession et que l’entreprise va garder le même périmètre. Non, nous l’avons vu en commission, il y aura forcément une réduction.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Limitée !

M. François Brottes. Tout est dans l’épaisseur du trait et dans la manière dont on l’analyse !

Entre « il ne se passera rien » et « il se passera quelque chose », il y a un écart. Et l’on verra ce qui se passera après que les concurrents auront réagi.

Monsieur le président, étant donné que l’ambiance s’anime un peu et que nos arguments ont été taxés d’indignité, je vous demande, au nom de mon groupe, une suspension de séance.

M. le président. Monsieur Brottes, avant de suspendra la séance, je vous propose de terminer la discussion des amendements nos 93482 à 93503.

La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Il y a peu, en commission des affaires économiques, M. Mestrallet et M. Cirelli ainsi que les ministres ici présents nous disaient que cela faisait longtemps que les deux entreprises discutaient. Je n’ose imaginer que GDF, entreprise nationale, ait pu le faire sans que l’État fût au courant.

Si la discussion a pu se poursuivre aussi longtemps, c’est bien parce que l’État actionnaire était consentant. L’encre n’était pas encore sèche que la décision était prise de remettre en cause ce que Nicolas Sarkozy, alors ministre d’État, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie avait consenti aux syndicats lors d’une rencontre et qui avait ensuite été accepté ici.

En réalité, c’est une politique opportuniste, trompeuse, à petits pas, comme l’a dit tout à l’heure le rapporteur. En effet, quelle confiance peut-on avoir dans vos paroles, dans ces conditions ? Si la privatisation de Gaz de France et la fusion avec Suez étaient porteuses de tous les bienfaits que vous voulez bien nous décrire, si vous apportiez tous les éléments de bilan que l’on vous demande depuis si longtemps mais que vous ne nous donnez pas…

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Si !

M. Daniel Paul. …on pourrait l’examiner.

Vous prétendez que les filiales sont protégées, mais en fait puisque vous allez privatiser GDF, ses filiales seront, elles aussi, privatisées. Vous avez tellement peur de ce qui peut advenir de ces filiales que vous avez prévu une action spécifique. Comme quoi, vous n’avez pas vraiment confiance.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est pour vous rassurer !

M. Daniel Paul. Cette action spécifique, nous dites-vous, est une sorte de Fort Knox. Mais, Fort Knox n’est plus ce que c’était. Votre passé récent ne plaide pas en faveur de votre futur proche !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur Paul !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Voilà une formule qui dépasse votre pensée, monsieur Paul !

M. Daniel Paul. Monsieur le ministre, dans quelque temps vous nous resservirez les mêmes arguments qu’aujourd’hui – le monde a changé, il faut tenir compte des réalités, nous sommes dans un grand marché mondial – pour justifier qu’on ne peut plus utiliser l’action spécifique comme prévu initialement.

Mesdames, messieurs les députés de la majorité, si hélas ! vous êtes encore là dans quelques mois, vous nous expliquerez qu’il faut franchir une autre étape. M. Lenoir nous dira peut-être alors que c’est encore une politique de petits pas.

Nous refusons cette politique des petits pas et nous voulons garder GDF entreprise publique, en attendant de la faire redevenir nationale !

Mme Muguette Jacquaint. Très bien !

M. le président. La parole est à M.  Jean-Pierre Soisson.

M. Jean-Pierre Soisson. Monsieur le président, j’avais cru comprendre ce matin que le débat sur l’article 10, et donc sur la privatisation de Gaz de France, s’engagerait lundi et que nous y consacrerions deux ou trois séances.

Toutefois, à vous écouter, chers collègues de l’opposition, j’ai le sentiment qu’en prévision du débat de lundi, vous avez tout simplement entrepris de faire vos gammes, rien de plus ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jacques Desallangre. C’est dérisoire !

M. Michel Vaxès. C’est que nous sommes des artistes !

Mme Muguette Jacquaint. Mais nous ne jouons pas sur le même instrument !

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. M. Breton nous a appelés à la « dignité républicaine » et le président Ollier a tenu des propos similaires.

Je tiens donc à assurer M. Breton, qui représente ici le Gouvernement, de mon respect pour la fonction qu’il incarne, mais je revendique en même temps mon droit à exprimer mon désaccord avec M. Sarkozy, dont il ne me semble pas que remettre en cause les propos, c’est sortir de la dignité. Serait-il intouchable ? Je n’ai fait, du reste, aucune allusion à sa vie privée ! Il y a Paris Match pour cela !

M. Bernard Debré. C’est déplacé !

M. Christian Bataille. J’ai fait allusion à des propos publics que M. Sarkozy a tenus ici même, dans le cadre de ses fonctions et dont il est comptable envers la représentation nationale.

Je reconnais à ce gouvernement le droit de se tromper. Il lui est également arrivé d’avoir raison : ainsi, en matière de politique nucléaire, il a pris des décisions judicieuses que j’ai saluées.

M. Serge Poignant. Très bien ! Tout le monde ne l’a pas fait !

M. Christian Bataille. C’est la raison pour laquelle il est à mon sens primordial de conserver, en tant qu’instruments de votre politique nucléaire, des entreprises publiques fortes permettant d’appliquer les décisions que vous avez prises. Or, je regrette de devoir le répéter, le texte que vous nous présentez, en affaiblissant les entreprises publiques, diminuera l’efficacité de tels instruments de politique industrielle.

M. Jacques Desallangre. Il a raison !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Pas pour le nucléaire !

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 93482 à 93503.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. À la demande du groupe socialiste, la séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Je suis saisi d’une série d’amendements identiques nos 94054 à 94075.

La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Je note avec satisfaction que M. le président de la commission des finances revient détendu après cette suspension de séance. Je n’en oublie pas pour autant l’admirable passion qu’il met à défendre la privatisation de Gaz de France et il ne s’étonnera pas que cette passion n’altère en rien notre calme détermination à combattre le projet de la majorité.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est bien pour cela qu’il y a une majorité et une opposition !

M. Michel Vaxès. Sans doute.

La présente série d’amendements vise à supprimer l'alinéa 4 de l'article 6. Cet alinéa constitue en effet le nerf de la guerre de cet article puisque vous préparez l'ouverture à la concurrence des opérateurs de distribution d'énergie en définissant le cadre dans lequel ils devront s'insérer : vous donnez une définition de leurs missions, ouvrant la voie au positionnement de nouveaux entrants sur le marché.

Vous pourrez contester cette interprétation puisqu’il est vrai que vous ne remettez pas directement en cause le monopole de distribution de l’électricité. Reconnaissez toutefois que la rédaction de l’article, avec des formulations telles que « tout gestionnaire de réseau », joue d'ambiguïté.

Par ailleurs, pour le gaz, l'article 6 doit être lu à la lumière de l'article 12 – que nous examinerons probablement la semaine prochaine – qui ne prévoit rien de moins que la possible ouverture aux acteurs privés du secteur de la distribution. En outre, GDF privatisé par cette loi, le gestionnaire de réseau le sera également.

Vous arguerez sans doute que sont déjà présentes sur le marché de la distribution de l'électricité et du gaz, d'autres entreprises qui assurent la distribution de l'énergie. Mais les périmètres d'intervention des DNN – les distributeurs non nationalisés – ont jusqu'alors été limités et permettaient aux opérateurs historiques de réaliser de réelles économies d'échelle. Ainsi, il est difficile de reprendre à notre compte l'avis du Conseil d'État soulignant que GDF n'a jamais bénéficié d'un monopole de la distribution sur l'ensemble du territoire national.

Cette filialisation des réseaux de distribution met donc à mal les entreprises intégrées en les séparant d'une de leurs activités stratégiques ; de plus, elle ouvre plus ou moins directement le secteur à la concurrence du privé. C’est pour l’éviter que nous présentons ces amendements.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je signale à M. Vaxès, pour lui montrer que je suis bien les débats, qu’il a défendu une autre série d’amendements que celle qui était appelée.

M. Michel Vaxès. Pas du tout, il s’agissait de la bonne série !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je n’ai pas le sentiment que votre argumentation correspondait à la série d’amendements identiques n°s 94054 à 94075 que nous sommes en train d’examiner. Quoi qu’il en soit, l’avis de la commission reste défavorable.

Mme Muguette Jacquaint. N’essayez pas de nous déstabiliser !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Même avis.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. J’avais bien compris, pour ma part, que notre collègue du groupe communiste défendait la série d’amendements appelée. Je saisis cette occasion pour m’inscrire en faux contre certains propos de M. le président Ollier. Il a en effet interrompu M. Vaxès pour lui dire : « C’est bien pour cela qu’il y a une majorité et une opposition. » Certes, cette majorité n’est pas de circonstance mais issue des urnes et donc fondée à faire voter des lois au Parlement.

M. Bernard Debré. Merci de le reconnaître !

M. François Brottes. En revanche, quelle est sa légitimité pour brader une partie de l’intérêt national ? N’agit-elle pas – pour reprendre un exemple précédent – à la manière de la ville de Strasbourg qui souhaite privatiser Gaz de Strasbourg comme si la municipalité pouvait se débarrasser d’un quartier dont elle estime qu’il lui coûte trop cher ? Quelle légitimité aurait donc la majorité à privatiser Gaz de France alors que ni le Président de la République dans son programme ni ses Premiers ministres successifs, MM. Raffarin et Villepin, dans leur déclaration de politique générale, n’ont évoqué la privatisation d’une entreprise nationale de l’énergie ? En effet, quelle est votre légitimité alors que ni les uns ni les autres n’avez annoncé qu’il serait procédé, à quelques mois d’une importante échéance électorale, à un acte aussi grave que le démantèlement d’un secteur aussi stratégique que celui de l’énergie et d’une entreprise aussi capitale que Gaz de France ? Le fait d’être majoritaire ne donne pas tous les droits : vous ne pouvez faire tout et n’importe quoi sans vous référer aux discours des Premiers ministres devant le Parlement, ou au programme du Président de la République.

Le fait que vous nous proposiez, avec cet article, une disposition contraire aux principes de la Constitution de la Ve République est très préoccupant. En outre, si notre opposition se révèle si forte dans ce débat – certains députés du groupe de l’UMP sont d’ailleurs eux-mêmes troublés – c’est parce que le caractère démocratique de votre projet est contestable et parce que son fondement en regard de l’intérêt national est, pour sa part, totalement contesté.

Nos collègues communistes vous rappellent, avec cette série d’amendements – et ils réitéreront au moment de l’examen de l’article 10 –, que la loi de 2000 porte sur la modernisation et le développement du service public de l’électricité. Or vous avez réaffirmé dans la loi d’orientation sur l’énergie de 2005 que ce service public devait être assuré par des entreprises nationales publiques. Il est nécessaire d’en revenir aux grands principes énoncés par ces textes, d’où l’intérêt de cette série d’amendements qui vous dérange, monsieur le président de la commission, parce qu’elle met l’accent sur vos contradictions. Elle met en évidence le fait que vous reniez vos propres engagements et trahissez l’intérêt national. Et comment ne pas, une fois encore, citer le nom de M. Sarkozy ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Pas de cela, monsieur Brottes ! Je vous en prie !

M. François Brottes. J’insiste ! M. Sarkozy a trahi ses engagements en acceptant aujourd’hui de soutenir une disposition qui met à mal une partie de la Constitution, qui met à mal l’intérêt national stratégique de notre pays et qui met à mal le service public. Quand on sait ce que vous avez à l’esprit – je pense en particulier à la privatisation de l’ensemble des DNN –, il est nécessaire, puisqu’il s’agit d’un sujet éminemment politique, de se référer aux principes fondamentaux, ne vous en déplaise, monsieur le président Ollier !

M. Charles Cova. À chaque fois qu’il se trouve du monde dans les tribunes, vous mettez en cause M. Sarkozy ! Êtes-vous donc en campagne électorale ?

Mme Muguette Jacquaint. C’est M. Sarkozy qui a déjà commencé la sienne !

M. Charles Cova. Vous êtes des anges de pureté, c’est bien connu !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Soisson, et à lui seul.

M. Jean-Pierre Soisson. Dans un débat pourtant demeuré très courtois jusqu’à présent, je relève quelques mots tels que : « trahir », « brader » (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains),…

M. François Brottes. « Démanteler » !

M. Charles Cova. Ces mots sont indignes de l’opposition !

M. Jean-Pierre Soisson. …« mettre à bas l’intérêt national ». Tel n’est vraiment pas notre objectif !

Je rappelle, après les ministres, le président de la commission et le rapporteur, qu’il s’agit pour nous, députés de la majorité, d’adapter notre droit aux directives européennes. (« Non ? » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Nous avons tardé à les transposer et si nous ne nous y attelons pas maintenant, elles s’appliqueront automatiquement et dans des conditions beaucoup plus difficiles. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jacques Desallangre. Comme c’est pratique !

Mme Muguette Jacquaint. Ne vous cachez pas derrière les directives européennes !

M. Jean-Pierre Soisson. Ensuite, il s’agit de permettre à Gaz de France de s’adapter aux conditions nouvelles – je dis bien nouvelles – du marché gazier international,…

M. Jacques Desallangre. Arrêtez donc !

M. Jean-Pierre Soisson. …mais aussi de conclure certaines alliances. Pour ce faire, la part de l’État doit devenir minoritaire. Cependant le texte prévoit le maintien de la participation de l’État à hauteur d’un tiers du capital, ainsi que des mécanismes de garantie comme l’action spécifique.

M. Jacques Desallangre. Pour le moment !

M. Charles Cova. Ne criez pas avant d’avoir mal !

M. le président. Mes chers collègues, ne vous interrompez pas, vous prendrez chacun la parole à votre tour.

M. Jean-Pierre Soisson. Vous nous faites un procès sur le long terme alors que j’essaie de répondre calmement à certaines de vos observations.

J’insiste sur le fait que ce projet n’a pas d’autre fin que d’adapter le droit interne aux directives européennes…

M. Jacques Desallangre. Arrêtez de nous prendre pour des naïfs !

M. Jean-Pierre Soisson. …et d’adapter Gaz de France à un milieu international changeant,…

Mme Muguette Jacquaint. C’est bien, vous récitez bien votre leçon !

M. Jean-Pierre Soisson. …pour lui permettre de nouvelles actions et donc pour le fortifier.

M. Jacques Desallangre. Quelle belle histoire !

M. Jean-Pierre Soisson. Ainsi ce texte n’affaiblit pas Gaz de France mais le renforce.

Je remercie le président Ollier de m’avoir permis d’assister à la réunion de la commission des affaires économiques. J’en ai conçu le regret de ne pas avoir choisi cette commission lors du dernier renouvellement. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Il n’est pas trop tard !

M. Jacques Desallangre. Vous nous avez beaucoup manqué ! (Rires.)

M. Jean-Pierre Soisson. J’ai souhaité en effet intégrer la commission des lois et ce fut une erreur car on y discute rarement de changements constitutionnels ; en revanche, la commission des affaires économiques prend de véritables décisions qui modifient le paysage économique.

M. Jacques Desallangre. Demandez plutôt à devenir membre de la Commission européenne ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, monsieur Soisson.

M. Jean-Pierre Soisson. Mon cher collègue, j’ai été à plusieurs reprises à Bruxelles. J’ai dû présider deux ou trois fois, au nom de mon pays, le Conseil des ministres européens. Aussi n’ai-je pas de leçons, ou, si vous préférez, d’observations particulières à recevoir à ce sujet de votre part.

M. Jacques Desallangre. C’était un conseil !

M. Jean-Pierre Soisson. C’est parce que je connais Bruxelles que je trouve très souvent vos observations un peu obsolètes. (Rires et applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Le Garrec.

M. Jean Le Garrec. M. Soisson a le mérite de faire rebondir le débat et d’en revenir à l’essentiel. Or notre critique porte sur le fond, sur votre incapacité à maintenir l’architecture de l’ensemble des dispositions que vous proposez. Or vous ne mesurez pas les graves conséquences qui en résulteront pour les usagers, certes, mais aussi en termes de maîtrise énergétique et donc d’intérêt national.

L’Europe n’a jamais demandé à la France de revenir sur le statut de GDF.

M. François Brottes. Eh oui !

M. Jean Le Garrec. Jamais ! Et vous en ouvrez le capital à la concurrence sans aucune garantie pour l’avenir, malgré les promesses de M. Sarkozy…

M. François Brottes. Trahison !

M. Charles Cova. C’est reparti ! Ne vous donnez plus cette peine : les tribunes du public se vident !

M. Jean Le Garrec. …qui s’était fermement engagé sur le maintien de l’État dans le capital de GDF à hauteur de 70 %.

Quant aux alliances, si on les noue sans être en position de force, ce sont les intérêts financiers à court terme qui l’emportent. Et il suffit d’observer la valse-hésitation des financiers de Suez, ou de connaître la position de M. Frère, qui en est l’actionnaire principal, pour comprendre que c’est ce qui va se passer pour Gaz de France. Les conditions devant entourer l’alliance de garanties ne sont absolument pas réunies. En définitive, vous sautez dans l’inconnu.

M. François Brottes. Par pure idéologie !

M. Jean-Yves Le Déaut. C’est un saut à l’élastique sans élastique !

M. Jean Le Garrec. Rappelez-vous de l’affaire Mittal : qu’a pesé le patriotisme économique face aux 30 ou 40 milliards d’euros mis sur la table par le propriétaire du groupe lors de son OPA sur Arcelor ?

M. Jean Gaubert. Tout le monde s’est couché !

M. Jean Le Garrec. Les actionnaires ont agi en fonction de leur seul intérêt, et c’est aussi ce qui risque de se passer en cas de fusion avec Suez : GDF sera très fragile, l’État n’offrant plus aucune protection. L’énergie constituant un bien de première nécessité, mesurez-vous le risque que vous prenez pour l’indépendance énergétique de notre pays et que vous faites courir aux usagers et aux salariés de GDF, qui ont toutes les raisons de s’inquiéter ?

Ce matin, M. Jung a évoqué le cas de Gaz de Strasbourg. Il l’a rappelé, les Alsaciens sont plus patriotes que quiconque en France, mais ils tiennent absolument à conserver ce qui leur a été octroyé par Bismarck, c'est-à-dire un système énergétique particulier, une protection sociale solide et le concordat. Or, à lui non plus, vous n’avez pas répondu, car vous préférer ignorer les problèmes. Ainsi, non contents de sauter dans l’inconnu et de renier les engagements formels d’un ministre d’État, vous remettez en cause une situation spécifique qui jusqu’à présent était garantie par la République !

Monsieur Soisson, évitez de donner des leçons ! Nous soulevons des problèmes qui se posent dans ce débat, et nous continuerons de le faire dans les jours à venir. Nous résisterons par tous les moyens à la tentation irresponsable de ce gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean Gaubert. Il est extraordinaire de devoir poser cent fois les mêmes questions parce que les réponses ne viennent jamais.

Mes chers collègues, si nos concitoyens doutent de la démocratie dans notre pays, c’est parce qu’ils savent que trop de promesses faites par les hommes politiques – de droite, mais aussi de gauche, reconnaissons-le – n’ont pas été tenues.

M. Daniel Paul. Bien sûr !

M. Jean Gaubert. Or une promesse solennelle a été faite à la tribune de l’Assemblée – François Brottes l’a même enregistrée.

M. Bernard Accoyer. Il est interdit d’enregistrer nos débats !

M. Jean Gaubert. Cette promesse a également été faite aux salariés de GDF et d’EDF. Et on voudrait la faire passer par pertes et profits ?

M. François Brottes. M. Sarkozy devra s’en expliquer !

M. Jean Gaubert. Décidément, rien n’est fait ici pour revaloriser la démocratie ni la place du Parlement ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Soisson. Déposer plus de 130 000 amendements, est-ce respecter la démocratie ? Silence !

M. Michel Vaxès. Ne pas retirer un projet qui fait l’unanimité contre lui, est-ce respecter la démocratie ?

M. le président. Poursuivez, monsieur Gaubert, ne vous laissez pas interrompre.

M. Jean Gaubert. Ce n’est pas à vous, monsieur Soisson, qu’il appartient de me condamner au silence. Seul le président pourrait éventuellement le faire. Je veux bien entendre vos objections, mais pas celle-là.

M. Jean-Pierre Soisson. Vous avez raison sur ce point, mais vous avez tort sur tout le reste !

M. Jean Gaubert. Nous gagnerions tous ici à ce que la parole des hommes politiques retrouve de la valeur.

J’en viens aux directives européennes, déjà évoquées par mon collègue Jean le Garrec, et sur lesquelles vous entretenez la confusion depuis le début. Hasard ou non, je note qu'elles ont été adoptées – en 1996 puis en 2003 – quand la droite avait la majorité. Il est exact qu’elles exigent de libéraliser le marché de l’énergie, et même si nous en contestons la nécessité, il est normal d’en débattre. Mais en aucun cas elles n’obligent à privatiser les entreprises publiques. Il y a deux ans, salle Lamartine, lors de son audition devant la commission d’enquête sur la gestion des entreprises publiques, le commissaire à la concurrence de l’époque, M. Mario Monti, l’avait d’ailleurs réaffirmé. Selon lui, la Commission n’a pas d’opinion sur le statut de ces entreprises, elle veut seulement que la concurrence ne soit pas faussée – par des capitalisations indues ou des impositions non réclamées, par exemple – et que toutes les entreprises soient traitées à égalité.

GDF doit pouvoir conclure des alliances, dites-vous. Peut-être, mais pas nécessairement avec Suez. De toute façon, le projet de fusion n’a pas été motivé par le besoin d’alliances de GDF, mais parce que Suez était en difficulté en raison de la menace d’une OPA de la part de l’italien Enel. J’observe au passage que cela ne vous gêne pas, en revanche, que des entreprises françaises tentent des OPA sur des entreprises européennes. Dès lors que nous faisons partie de l’Union européenne, il faut accepter que les règles jouent dans les deux sens.

M. Jean Le Garrec. Il a raison !

M. Jean Gaubert. Et si nous ne voulons pas que des OPA soient possibles, il faut garder les entreprises concernées dans le secteur public. Chacun sait d’ailleurs que le nouveau groupe fusionné ne sera pas à l’abri d’une OPA. (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. François Brottes. Gazprom !

M. Jean Gaubert. Tout cela se fait en outre en se moquant de nos amis belges. On voit bien en effet que les futures concessions se feront toutes sur le dos de la Belgique. Que dirions-nous si c’était l’inverse ? Réfléchissez-y !

En vérité, vous vous pincez le nez, vous vous bouchez les oreilles, vous fermez les yeux, vous coupez l’élastique… et vous êtes décidés à sauter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Serge Poignant.

M. Serge Poignant. C’est tout de même extraordinaire : quand nous intervenons, vous nous accusez de donner des leçons, mais quand c’est vous qui le faites, il ne s’agit pas de leçons mais de convictions.

M. François Brottes. Ce sont des rappels ! Des rappels de la parole donnée !

M. Serge Poignant. Non, mes chers collègues, nous avons chacun nos convictions. C’est cela, la démocratie.

Quant à M. Gaubert, dont j’apprécie en général les interventions car il sait argumenter, il n’est peut-être pas le mieux placé pour dire que rien n’est fait pour valoriser la démocratie.

M. Jean Gaubert. Vous ne répondez pas à nos questions.

M. Serge Poignant. Vous posez cinquante fois, cent fois, deux cents fois la même question ; nous vous donnons cinquante fois, cent fois, deux cents fois la même réponse.

M. Jean Gaubert. La même non-réponse !

M. Serge Poignant. Et contrairement à vous, qui ne cessez de revenir sur les déclarations de M. Sarkozy, nous ne disons rien de celles de vos camarades Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn.

M. François Brottes. La parole d’un ministre d’État s’exprimant à la tribune, ce n’est pas la même chose !

M. Serge Poignant. Mais je parle, moi, d’anciens ministres. Or ils ont dit et écrit, au sujet d’EDF, qu’il ne fallait pas s’accrocher à la sacro-sainte barrière des 50 % de capital public.

M. François Brottes. Personne n’a jamais dit cela.

M. Serge Poignant. C’est sans doute usant de répéter cent fois la même chose mais, si vous insistez, nous pouvons le faire aussi.

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Notre collègue Soisson entretient sciemment la confusion sur les conséquences des directives européennes. Elles prévoyaient seulement une ouverture à la concurrence, c'est-à-dire la fin des monopoles. Et c’est ce qu’a fait la loi de 2000 – je le dis afin de devancer notre rapporteur. Mais avant que soit votée cette loi, avant même l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1997, certains collègues de droite, comme François Goulard, ne cessaient de marteler que la concurrence ferait baisser les prix. Quel argument merveilleux ! On nous accusait d’être collectivistes et favorables aux monopoles, on nous reprochait d’empêcher les consommateurs de profiter de ces baisses. Or tout le monde sait que la dérégulation – et demain la privatisation – entraînent une hausse des prix. Le porte-monnaie de la ménagère sera la première victime de cette politique ! La privatisation de GDF est sans doute motivée par certains intérêts financiers, mais certainement pas par l’intérêt des consommateurs. Et elle n’est pas exigée par la législation européenne.

M. François Brottes. C’est votre choix, et votre choix seul !

M. le ministre délégué à l’industrie. Oui, c’est notre choix !

M. Christian Bataille. La privatisation, ce n’est pas la Commission de Bruxelles qui la demande, mais l’Elysée, Matignon, et Bercy – Chirac, Villepin et Sarkozy.

M. Jean-Pierre Soisson. C’est aussi l'Assemblée nationale !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, permettez-moi de répondre, puisque j’ai été mis en cause par nos collègues. Je le ferai paisiblement, contrairement au ton passionné que je reconnais avoir utilisé avant la suspension de séance.

Monsieur Brottes depuis près de trois semaines que nous débattons de ce texte de dix-sept articles – et je mesure les problèmes que cela peut poser à l’opposition –, nous sommes parvenus à respecter les règles républicaines. Je souhaiterais qu’il puisse se poursuivre dans les mêmes conditions. Nous nous connaissons bien tous les deux, monsieur Brottes, et je respecte votre compétence et votre honnêteté intellectuelle, mais je ne peux accepter que vous m’accusiez de trahir l’intérêt national. C’est blessant et injuste.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Très bien !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je ne m’arrêterai pas sur l’aspect blessant, qui est un problème personnel. C’est, de plus, injuste pour une majorité qui se bat depuis déjà trois semaines et qui va continuer. Cher monsieur Bataille, ce n’est pas le Premier ministre qui « privatise » Gaz de France, c’est une majorité unie et cohérente qui s’engage dans un débat parlementaire pour adopter un projet de loi (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains)

M. Jacques Desallangre. C’est une vision optimiste !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …qui comporte, effectivement, la privatisation de Gaz de France.

M. Christian Bataille. C’est le Premier ministre qui a signé le projet de loi !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est nous qui votons ici, monsieur Bataille. Vous allez voter contre, nous allons voter pour. C’est pourquoi j’ai dit tout à l’heure qu’il y avait une majorité et une opposition !

Ce n’est pas faire injure à la représentation nationale que de dire que nous ne partageons pas les mêmes valeurs. Selon que l’on vote pour l’actuelle majorité ou pour vous, on ne défend pas les mêmes idées ! Nous sommes bien d’accord. Je respecte votre position, même si je ne la partage pas, monsieur Brottes ! Je ne vous ai jamais, quant à moi, accusé de trahir l’intérêt national ! Vous êtes, j’en suis convaincu, respectueux de l’intérêt national, mais à partir de valeurs que nous ne partageons pas. Nous n’avons pas la même appréhension de cet intérêt et nous ne considérons pas que les instruments permettant de le défendre sont les mêmes. Je respecte votre position, je vous demande de respecter la mienne, sinon mon ton pourra peut-être tout à l’heure être plus passionné !

Plusieurs orateurs ont fait valoir que nous débattons d’un texte qui n’était pas inscrit dans le programme électoral de 2002.

M. François Brottes. Est-ce faux ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est exact. Mais est-ce faire injure au suffrage universel que de tenir compte, au nom de l’intérêt national, des évolutions qui se sont produites depuis 2002 et, avant tout, du triplement du prix du baril de pétrole, sur lequel celui du gaz est indexé et auquel ni vous, monsieur Brottes, ni moi ni le ministre, quels que soient ses pouvoirs, ni la France ne peuvent rien ?

Vous avez également affirmé, monsieur Bataille, que la privatisation entraînerait une hausse des tarifs.

M. Christian Bataille. On verra !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Des Français nous écoutent sur les ondes et ici et mon devoir est de dénoncer ce que vous dites.

Le contrôle de Gaz de France à 100 % par l’État garantit-il l’absence de hausse des tarifs ? J’accepte que vous l’affirmiez, mais pourquoi, si vous dîtes vrai, M. Jospin, alors Premier ministre, donc propriétaire à 100 % de Gaz de France, a-t-il décidé une augmentation de plus 34 % du gaz en 2000 ? Je ne dis pas qu’il avait tort, je ne raisonne pas ainsi. Il a assumé ses responsabilités et les électeurs en ont ensuite tiré les conséquences. Le problème n’est pas là. Mais si M. Jospin, Premier ministre, qui, j’en suis certain, était soucieux de l’intérêt national, a agi de la sorte, c’est parce qu’il ne pouvait pas faire autrement, car le prix d’achat du gaz est malheureusement indexé sur le prix du baril de pétrole. Le seul moyen de défendre le consommateur, c’est de créer un champion européen, franco-belge en l’occurrence,…

Mme Muguette Jacquaint. C’est de privatiser ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …qui pèsera dans les négociations, contrôlera les prix d’achat du gaz à l’extérieur et limitera la hausse des tarifs pour le consommateur. Nous devons nous adapter à cette évolution, donc proposer une telle mesure même si elle n’était pas envisagée en 2004. M. Lenoir, ici présent, et moi avons en effet, à l’époque, déposé un amendement qui prévoyait le pourcentage de participation de l’État à 70 %. Ce n’est pas le ministre Sarkozy !

Mme Muguette Jacquaint. Il s’est engagé !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous assumons tous deux cette proposition. Aujourd’hui, le Gouvernement et la majorité, doivent, dans un souci de vérité, de transparence et de sincérité dues aux Français, poser un problème qui n’existait pas à l’époque. Je ne reviendrai pas sur l’exemple de France Télécom, je sais que cela vous déplaît.

M. François Brottes. Pas du tout !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Mais nous ne voulons pas recommencer ce que vous avez fait avec cette société. Nous ne voulons pas tomber dans le piège de la faillite d’une entreprise nationale parce que nous n’aurions pas fait preuve de suffisamment de prévoyance !

Je terminerai sur un ton apaisé en citant l’époque 1997-2002. Monsieur Bataille, monsieur Le Garrec, vous m’avez interpellé, je vous réponds. M. Jospin avait-il prévu dans son programme, en 1997 qu’il privatiserait Aerospatiale ? L’espace et la défense ne sont-ils pas deux domaines sensibles ? Les Français ont-ils été, à l’époque, prévenus de la privatisation de la branche défense de Thomson, de France Télécom ou de Renault, de la privatisation de la Compagnie nationale du Rhône – la fameuse CNR –, ou du réseau de transport du gaz du Sud-Ouest ? Non ! Mais, si le Premier ministre d’alors l’a fait, c’est, je le pense, parce qu’il était soucieux de l’intérêt national. Et je ne l’ai alors pas critiqué, pas plus que je ne le ferais maintenant ! N’utilisez donc pas aujourd’hui des arguments qui vont à l’encontre de ce que vous avez fait vous-mêmes dans le passé !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Très bien !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Enfin, je n’accepte pas le procès à propos d’Arcelor et de Mittal ! C’est un peu fort de café ! Qui a vendu les parts de l’État dans Arcelor entre 1997 et 2002 ? Tout à l’heure, l’un d’entre vous a dit que nous manquions de patriotisme économique parce que l’on n’avait pas défendu Arcelor !

M. Jean Le Garrec. Je n’ai pas dit cela !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Arcelor disposait de parts de l’État qui ont été vendues par le gouvernement de M. Jospin ; cela a produit les effets que l’on connaît aujourd’hui. On ne vous l’a pas reproché à l’époque !

Je tenais à apporter un apaisement dans ce débat. Si nous agissons ainsi, ce n’est pas par idéologie, mais par conviction. Ce n’est pas pour trahir qui que ce soit, notamment les Français, parce que nous défendons leurs intérêts. Nous sommes convaincus que ce champion à qui nous voulons donner naissance permettra d’y parvenir. Vous ne partagez pas notre sentiment, je respecte votre position. Mais, je vous en prie, ne m’accusez pas et n’accusez pas la majorité de trahir l’intérêt national ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Mes chers collègues, nous n’allons pas reprendre la discussion. La règle du jeu a été fixée tout à l’heure. Chacun a pu s’exprimer et M. Ollier a conclu.

M. François Brottes. Ce n’est pas une conclusion, c’est une provocation ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Vous pourrez prendre la parole dans la suite du débat.

Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 94054 à 94075.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de l’amendement n° 88545.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Il s’agit d’intégrer la notion de transparence des règles dans la loi, telle qu’elle figure dans l’article 12 de la directive que nous devons transposer.

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Chers collègues, je vous invite à faire une lecture comparée de cette loi et de la directive européenne que nous transposons. La loi est difficilement lisible, même pour des spécialistes comme nous, qui devons nous reporter au projet, au rapport, et réintégrer la nouvelle loi dans des lois précédentes. Cela ressemble à une pièce que l’on ajoute à un vieux jean. Au contraire, que l’on soit pour ou contre, les directives, reconnaissons-le honnêtement, sont lisibles et cohérentes. Je me permets d’adresser ce message à la haute administration de cette assemblée. Il y a un véritable fossé entre la lisibilité démocratique des directives et les lois que l’on vote.

J’en viens à cet amendement. En lisant la directive, j’ai, en effet, constaté que des éléments n’étaient pas repris dans le projet. C’était dommage. L’amendement n° 88545 tend à préciser que les gestionnaires de réseaux de distribution doivent veiller à ce que ces règles de gestion soient transparentes. Il s’agit d’une exigence de base. Je remercie le rapporteur et la commission de m’avoir suivi.

Dans ce débat, j’essaie d’être clair, notamment sur l’aspect européen. Comme Jean Gaubert, j’observe que la directive ne dit absolument rien sur la structure du capital des opérateurs dans le secteur de gaz et de l’électricité. Nous devons avoir l’honnêteté intellectuelle de le rappeler. Nous allons en débattre à l’article 10. L’Europe ne s’est pas prononcée, c’est une décision nationale. On est pour ou contre, mais on assume ! En tout cas, nous qui sommes des militants européens, nous ne devons pas accepter que l’Europe soit un bouc émissaire ! J’en ai un peu assez de ces manœuvres !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Je m’en remets à la sagesse du rapporteur, donc avis favorable.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Nous ne sommes pas férocement opposés à cet amendement, même s’il est quelque peu redondant de dire que des règles objectives et non discriminatoires seront aussi transparentes. Toutefois, cela ne nuit pas à la compréhension du texte. Donc, son adoption ne serait pas dramatique.

Néanmoins, cher président Ollier, j’ai clairement indiqué qu’il y avait trahison de la parole donnée, je n’y reviens pas et je maintiens mes propos, de même qu’il y a trahison de nos textes fondamentaux, dans leurs dispositions sur les services publics et les entreprises nationales telles que les a voulues le Conseil national de la Résistance. Le Conseil d’État vous a d’ailleurs invités à modifier les textes en vigueur pour pouvoir contourner l’obstacle constitutionnel. Nous contestons cette faute, de notre point de vue, lourde et grave. Ce contournement trahit la Constitution. Je ne vous ai pas pour autant dit que vous étiez un traître. Mes mots ont un sens, ils sont pesés et j’aimerais que vous en preniez acte.

Puisque vous avez considéré utile de revenir sur l’augmentation des prix du gaz par le gouvernement Jospin, je veux rappeler très tranquillement les faits. Comme vous, nous avons dû assumer la hausse des coûts d’approvisionnement. Or on ne peut pas agir sur ces coûts, qu’il y ait fusion ou non avec Suez, surtout quand on réduit le périmètre du secteur gazier de Gaz de France et de Suez, comme le confirment les éléments fournis à la commission. Comme je l’ai déjà souligné, et je le rappelle, à l’époque, la marge de Gaz de France diminuait. Le gouvernement avait en effet souhaité que, compte tenu de la hausse des coûts d’approvisionnement, Gaz de France n’accroisse pas sa marge. Aujourd’hui, elle augmente de 44 % en un semestre pour plaire aux actionnaires avec lesquels on va pacser ou pactiser. On ne vous reproche pas d’augmenter les prix du gaz du fait des coûts d’approvisionnement, auxquels personne ne peut rien, mais d’en rajouter une louche au détriment du pouvoir d’achat des ménages. C’est là que se situe la difficulté.

Je tenais à faire ces observations à l’occasion de mon explication de vote sur cet amendement. Mais je répéterai les mots « trahison de la parole donnée » encore plusieurs fois au cours du débat.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.


M. Daniel Paul
. Nous n’avons pas de remarques particulières à ajouter à propos de cet amendement, il va de soi que les règles seront transparentes.

Monsieur Ollier, nous sommes confrontés à des enjeux lourds comme l’effet de serre, les réserves de ressources fossiles, l’augmentation des prix. Ce sont des données objectives, et nous sommes tous d’accord. La solution que vous préconisez, c’est la privatisation et la fusion avec un groupe privé, en donnant comme argument le fait qu’il faut pouvoir investir plus. Vous voulez donner des armes supplémentaires à un groupe européen, français.

J’ai ici un tableau qui présente les caractéristiques des deux groupes, Suez et Gaz de France, dans le secteur du gaz. C’est intéressant. Gaz de France est le premier fournisseur d’Europe, le premier réseau de transport, le premier réseau de distribution et le deuxième opérateur de terminaux GNL. Il a 12,5 millions de clients ou d’usagers. Suez en a 5,6 millions. Quant au reste, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ne jouent pas dans la même cour.

Le prétexte de l’opération, c’est la mise en place d’un grand. Ce n’est pas un très grand en tout cas, ce n’est pas un plus grand et, quand on grandit, il faut regarder à quel prix. Là, c’est la privatisation d’un groupe public énergétique, pour des raisons dogmatiques, et c’est ce que nous vous reprochons.

Il y a soixante ans, ceux qui nous précédaient étaient d’accord entre eux. Paul Ramadier, par exemple, qui n’était pas de la même obédience politique que moi, disait qu’il fallait préserver l’énergie des intérêts privés.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Le monde a changé depuis !

M. Daniel Paul. Vous êtes en train de mettre ce secteur entre les mains d’intérêts privés, alors que, pour le gaz en particulier, les fournisseurs, eux, sont sous la coupe des intérêts publics, et je pense en particulier à la Russie et à l’Algérie. Vous privatisez, pour des raisons dogmatiques. C’est la raison fondamentale de notre différence. Vous allez casser une entreprise publique pour des raisons très peu engageantes.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 88545.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 88546 rectifié de la commission.

La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le défendre.

M. Jean Dionis du Séjour. Selon la directive, le gestionnaire du réseau de distribution se doit de fournir aux utilisateurs des réseaux les informations dont ils ont besoin pour un accès efficace aux réseaux. Ça va mieux en le disant. C’est plus clair dans la directive que dans la loi. Il est donc proposé de l’ajouter.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Favorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Fournir aux utilisateurs des réseaux les informations dont ils ont besoin pour un accès efficace aux réseaux, ça ne mange pas de pain. Ils sauront ainsi à quelle sauce ils seront mangés.

M. Jean-Pierre Soisson. Mais non !

M. Jean-Yves Le Déaut. Cela dit, je vais essayer d’expliquer pourquoi nous sommes en désaccord avec M. Ollier. Il a d’ailleurs eu le mérite d’être clair, sauf que les explications sont tout de même à géométrie variable suivant les moments où elles sont données.

Vous avez choisi en 2002 d’ouvrir intégralement le marché. Nous ne sommes pas d’accord. L’ouverture du capital de Gaz de France, pour des biens premiers, comme disait Jean Le Garrec tout à l’heure, c’est-à-dire des biens de première nécessité, ce n’est pas la solution que nous souhaitions. L’ouverture à la concurrence au niveau européen, nous étions d’accord, à condition que l’Union définisse des obligations de service public, définisse la sécurité de l’approvisionnement et mette en place des organismes de régulation. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

L’information que propose Jean Dionis du Séjour n’est pas suffisante. On voit bien, en effet, les grandes difficultés qu’ont les entreprises qui ont cru pouvoir faire des bénéfices grâce aux prix du marché et qui s’aperçoivent qu’elles ont fait une erreur d’appréciation. On a dû imaginer des dispositifs très compliqués de retour à des prix régulés pour éviter des catastrophes.

Que se passera-t-il alors pour les particuliers ? Les premières années, en effet, on leur fera sûrement des propositions alléchantes. Il y a eu récemment un scandale dans le domaine du téléphone. Des entreprises de télécommunications proposaient des contrats moins chers, et des gens se sont retrouvés abonnés sans le savoir. Ce sera la même chose. Quand ces particuliers s’apercevront que les coûts sont plus élevés, ils voudront revenir au tarif régulé, mais la loi ne prévoit pas de système de retour.

Les informations proposées sont donc insuffisantes. Des informations sur l’accès au réseau, ce n’est pas ce dont les particuliers ont besoin. Ils ont besoin de savoir s’ils ne risquent pas de subir de très grosses augmentations. C’est ce qui s’est malheureusement passé en Grande-Bretagne quand on a dérégulé totalement le marché.

Vous prévoyez des informations, mais les gens ne sauront pas à quelle sauce ils seront mangés. C’est donc un mauvais système, que nous combattons avec beaucoup de force et de détermination.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 88546 rectifié.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 137616.

La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour le défendre.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Depuis 1946, les activités de comptage font partie des missions essentielles du gestionnaire de réseau de distribution, afin de garantir à la fois la transparence et le bon fonctionnement du réseau.

Or un arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 13 décembre 2005 souligne qu’il y a silence sur ce point dans le cadre des transpositions. Nous introduisons donc un élément qui permet de lever toute ambiguïté et qui confirme que le comptage fait bien partie des missions de service public du gestionnaire du réseau de distribution.

La commission a accepté cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Au fond, l’amendement a le mérite de préciser une situation qui existe. De ce point de vue-là, je ne peux que souscrire à cette idée.

Cela dit, il y a dans les types de comptage une grande variété et, d’une certaine façon, il faudrait que le titulaire du monopole du comptage en tienne compte.

Aussi, je suis favorable à l’amendement, mais je pense qu’il faut étudier la question d’un peu plus près.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Une fois n’est pas coutume, je voulais, au nom du groupe socialiste, me féliciter de cette proposition qui, à l’inverse de beaucoup d’autres, ne vise pas au démantèlement mais vise au contraire à renforcer l’entité globale de gestion du réseau. Je me disais que la majorité avait eu un moment de lucidité, mais les propos du ministre montrent bien que cette garantie n’est pas acquise puisque, pour ce secteur aussi, il n’est pas impossible d’envisager une ouverture à la concurrence.

Nous souscrivons donc à la proposition du rapporteur, en espérant qu’il saura tenir bon jusqu’à l’adoption du texte.

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean Gaubert. Je suis moi aussi favorable à cet amendement, mais il ne me paraît pas totalement suffisant dans la mesure où il ne nous garantit pas qu’EDF ne continuera pas à faire appel à de la sous-traitance, mal formée et parfois aux pièces, ce qui pose un certain nombre de problèmes pour le relevé des compteurs sur notre territoire.

À terme, dans quelques dizaines d’années sans doute, avec les compteurs électroniques, on n’aura plus cette difficulté, mais, ici ou là, il y a eu des problèmes car des consommateurs n’arrivaient plus à savoir quel était le bon releveur de compteur. EDF dit de temps en temps de faire attention, mais, aujourd’hui, les releveurs de compteur ne sont jamais les mêmes. Dans le temps, c’était simple, c’était toujours le même pendant quinze ans. Quand il se présentait, on le connaissait. Aujourd’hui, EDF fait appel à des sociétés privées et sous-traite. Des gens mal intentionnés s’engouffrent dans cette brèche et abusent un certain nombre de consommateurs.

Je crois qu’il serait utile de rappeler à EDF que le relevé des compteurs doit être fait par des agents d’EDF et non par des gens de l’extérieur. Cela éviterait toute confusion.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 137616.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 137567 rectifié.

La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le défendre.

M. Jean Dionis du Séjour. L’activité de comptage, c’est à la fois ce que le distributeur livre au fournisseur et ce que le fournisseur d’électricité livre au client. Dans la directive, cette activité n’est pas rattachée au distributeur. C’est une initiative prise par le Parlement. On peut la défendre, mais, je comprends tout à fait le ministre. Le fournisseur peut être impliqué et cela mérite au moins d’être étudié.

J’en viens à l’amendement n° 137567 rectifié.

Comme la directive européenne, il prévoit que le gestionnaire de réseau de distribution réalise ses missions dans des conditions économiquement acceptables tout en accordant l’attention requise au respect de l’environnement. Il est souvent question de poteaux, de lignes, d’installations et d’investissements qui peuvent avoir un grand impact visuel. Il me paraît donc important que le respect de l’environnement fasse partie des critères de décision.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Défavorable. Cet amendement n’a pas de portée normative. Les principes énoncés figurent d’ailleurs déjà dans la loi de 2005, aux articles 1er et 2. Je vous invite donc à le repousser.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je soutiens cet amendement qui apporte une précision importante, – le respect de l’environnement – y compris pour les gestionnaires de réseau. Mais j’ai tout de même l’impression, avec tous ces amendements, que pendant que le bateau coule, vous voulez nous faire lustrer les cuivres ! On s’attache à des sujets minuscules, pendant que le bateau sombre !

M. Jean Dionis du Séjour. C’est le Titanic !

M. Jean-Yves Le Déaut. « Veiller au respect de l’environnement dans des conditions économiques acceptables », certes, c’est mieux que rien…

M. Jean Dionis du Séjour. Ce sont les termes de la directive !

M. Jean-Yves Le Déaut. C’est qu’elle n’est pas bonne !

Cela signifie qu’un gestionnaire de réseaux à qui l’on demande d’enfouir une ligne électrique, pour éviter un impact visuel, ou une conduite de gaz, pour des raisons de sécurité, pourra toujours prétexter que les conditions économiques ne sont pas acceptables, faute d’une rentabilisation de ce que l’on pourrait appeler le respect de l’environnement.

Nous avons une fenêtre de tir de vingt-cinq ans pour traiter des problèmes du réchauffement climatique. Tant que nous n’aurons pas tranché entre les deux impératifs – et malheureusement dans le domaine de la fourniture d’énergie nous ne l’avons pas fait – nous en serons réduits à aller droit dans le mur en chantant : « Tout va très bien, madame la marquise » !

Nous ne sommes pas les seuls à le dire : un certain nombre de parlementaires sur vos bancs le disent aussi. Et pourtant, on ne traite pas cette question.

Il faudra bien que nous établissions un jour une hiérarchie entre le respect de l’environnement et les conditions économiques acceptables. Si l’on souhaite réellement traiter le problème, il faut donner un certain nombre de consignes. Cet amendement, le rapporteur l’a reconnu, n’a pas de portée normative. C’est un premier effort, monsieur Dionis du Séjour, mais il faut aller plus loin dans ce sens.

M. le président. La parole est à M. Jean Le Garrec.

M. Jean Le Garrec. À l’intervention brillante de M. Le Déaut, j’ajouterai une remarque : il se pourrait que cette catastrophe résulte de la mauvaise qualité des rivets. Je crains bien que les rivets – c’est-à-dire l’entretien des réseaux, l’enfouissement… – ne soient pas de bonne qualité.

M. Jean Dionis du Séjour. On en resserre quelques-uns !

M. Jean Le Garrec. L’amendement de M. Dionis du Séjour, lorsqu’il évoque le respect de l’environnement, est éminemment sympathique, mais je m’interroge : que peut bien signifier « dans des conditions économiques acceptables » ?

M. Serge Poignant. Bonne question !

M. Jean Le Garrec. Il y a, monsieur Dionis du Séjour, une contradiction dialectique entre la volonté de préserver l’environnement et l’affirmation de conditions économiques acceptables. Le dépassement de cette dialectique ne peut passer que par une révision complète de ce texte – ce qui n’est pas le cas – et une prolongation du débat que nous sommes en train d’engager.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 137567 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. J’en viens aux amendements identiques n°s 93504 à 93525.

La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. On pourrait qualifier votre manière de procéder de stratégie de saucissonnage car vous prévoyez une déstructuration du secteur de l’énergie par étapes. J’y vois une opération bien réfléchie. On segmente le démantèlement de l’ancienne entreprise EDF-GDF pour que celui-ci ne puisse paraître trop scandaleux, peut-être aussi pour tenter de diviser les intérêts des salariés. Dans le même temps, vous videz les opérateurs historiques du cœur de leur activité pour les réduire à des entreprises banales et leur ôter les caractéristiques qui faisaient leur force.

En effet, c’est en grande partie grâce aux synergies entre les différentes activités de la chaîne énergétique qu’EDF et GDF ont pu être aussi performantes. En termes de gestion économique, par exemple, l’ancien opérateur historique pouvait répartir les bénéfices de l’activité de transport de gaz, relativement lucrative une fois passé le temps des investissements les plus lourds de la mise sur pied du réseau et financer ainsi d’autres activités comme le stockage ou l’approvisionnement. Un chiffre suffira d’ailleurs pour comprendre l’intérêt que peut représenter une telle péréquation : à GDF les activités de réseau constituent un tiers du chiffre d’affaires, mais trois quarts des bénéfices de l’entreprise. À la lumière de ce genre de données, on comprend d’ailleurs pourquoi certains sont si attachés à la privatisation du réseau de gaz rendue possible par votre article 11. Il y a en réalité du business à faire !

Ce n’est pas le modèle économique que nous défendons. Le modèle d’entreprise intégrée dans le secteur énergétique a une rationalité économique très grande. Nous sommes fermement opposés à sa mise à mal. C’est pourquoi nous demandons une nouvelle fois la suppression de l’article 6 et en l’occurrence de la dernière phrase de son quatrième alinéa.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Pour des raisons sans doute différentes de celles nos collègues communistes, Michel Bouvard a déposé le même amendement. Un membre de la majorité veut supprimer la dernière phrase du quatrième alinéa de l’article 6 !

Les débats menés au sein de la commission des finances ont en effet bien montré que si le cadre des gestionnaires de réseaux de distribution d’électricité ou de gaz est complètement éclaté et désintégré, il ne sera plus possible de mettre en œuvre des politiques d’investissement et de développement des réseaux de distribution.

J’ajoute que nous ne connaissons pas aujourd’hui le contenu du décret en Conseil d’État. Cela mériterait, puisqu’une partie de la majorité va dans ce sens, que le rapporteur et le Gouvernement s’expliquent à ce sujet.

M. le président. Vous allez avoir satisfaction, monsieur Le Déaut, puisque M. le rapporteur va vous répondre.

M. Jean-Yves Le Déaut. Mais il faut qu’il nous convainque !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je n’ai pas cru devoir expliquer la position de la commission sur un amendement qui n’a pas été défendu, celui de M. Michel Bouvard. Néanmoins, puisque la question est posée, j’y réponds bien volontiers, mais ne m’accusez pas, mon cher collègue, d’avoir été silencieux sur ce point !

L’amendement de M. Bouvard aurait la même conséquence que l’amendement communiste s’il était adopté, mais l’argumentation n’est pas du tout la même. Il demandait que soit assurée la continuité contractuelle. C’est un sujet que nous allons aborder quelques amendements plus loin puisque l’amendement n° 137510, que je demanderai à l’Assemblée d’adopter, répond à sa préoccupation. Par conséquent, la réponse est ainsi fournie.

M. le président. Monsieur le rapporteur, nous sommes sensibles à vos explications. Néanmoins, si vous donnez des explications sur des amendements qui ont été retirés, comme c’est le cas de l’amendement de M. Bouvard, les débats risquent de s’élargir. Nous avons déjà suffisamment d’amendements en débat !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Monsieur le président, je répondais à une demande expresse de M. Le Déaut !

M. Serge Poignant. Rappelez M. Le Déaut à l’ordre, monsieur le président !

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 93504 à 93525.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 137552.

La parole est à M. Antoine Herth, pour le soutenir.

M. Antoine Herth. L’alinéa 4 de l’article 6 précise les missions des distributeurs de gaz, mais nous venons de l’amender pour aller encore plus loin, notamment sur la question du comptage. Il faut maintenant franchir une étape supplémentaire en précisant les missions qui concernent plus particulièrement les gestionnaires de réseaux de distribution qui seront issus de la séparation juridique prévue. Tel est l’objet de cet amendement que j’ai déposé avec plusieurs de mes collègues.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La commission a émis un avis favorable. J’ai indiqué ce matin que j’étais favorable à une série d’amendements, dont celui-ci, concernant la définition des missions des distributeurs non nationalisés.

Votre amendement a d’autre part le grand mérite de bien préciser ce qui relève de la loi, tout en laissant des segments dans le domaine réglementaire, ce qui introduit une souplesse qui convient bien au DNN.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Favorable à cette souplesse.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 137552.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. J’en viens aux amendements identiques n°s 93196 à 93217.

La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. Par ces amendements, nous demandons des garanties supplémentaires sur la filialisation des gestionnaires de réseaux de distribution car les explications du ministre et du rapporteur ne nous ont pas convaincus.

Certains prétendent qu’avec le développement du marché de l’énergie, la mondialisation, la concurrence, nous sommes bien obligés de modifier les textes en vigueur, notamment pour transposer les directives européennes, et que depuis deux ans les choses ont changé. Mais, monsieur le ministre, d’autres changements ont eu lieu depuis deux ans : les Français ont rejeté les conséquences de cette Europe dont nous parlions, qui tourne le dos à l’Europe sociale telle que les Français la souhaitent.

J’ajoute qu’il n’y a aucune obligation communautaire de libéraliser la distribution du gaz ou de l’électricité, puisque les directives ne portent que sur la production et la commercialisation ou la fourniture de l’énergie. C’est donc bien de sa propre initiative que votre gouvernement brade Gaz de France et ouvre le marché aux opérateurs privés.

Notre amendement vise à assurer, en dépit d’un contexte aussi inquiétant et d’un marché livré aux opérateurs privés, une réelle égalité de traitement à nos concitoyens sur tout le territoire national.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.

J’appelle l’attention des auteurs de l’amendement sur les conséquences que son vote entraînerait : il faudrait assurer la desserte des régions les plus reculées – je rappelle que la desserte de l’ensemble du territoire n’est pas obligatoire (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains)

Mme Muguette Jacquaint. Et alors ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Il faut assumer les conséquences d’une obligation de desserte globale, même des régions les plus reculées.

Mme Muguette Jacquaint. Mais oui !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Même avis, d’autant que l’Assemblée a voté récemment la loi portant engagement national pour le logement, qui interdit déjà toute interruption de fourniture pendant les mois d’hiver.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. D’après nos chiffres, seules 1 500 communes, sur les 5 000 environ qui ont demandé leur raccordement au réseau – preuve que l’attrait du gaz est réel – devraient recevoir une réponse positive. Il y a donc de la marge avant qu’on approvisionne les régions, les villages ou les communes les plus reculés. On n’en est pas à viser la couverture de l’intégralité du territoire national.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. C’est pourtant ce que dit votre amendement !

M. Daniel Paul. C’est un objectif légitime. C’est vrai que satisfaire ces communes a un coût,…

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Ouessant, l’île de Sein…

M. Jacques Desallangre. Et les 40 % d’augmentation des profits des actionnaires ?

M. Daniel Paul.… mais l’égalité des citoyens est à ce prix. Peut-être posez-vous des limites à ce principe.

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Vous avez raison, monsieur le rapporteur : contrairement à EDF, Gaz de France n’est pas soumise à une obligation de desserte. Il n’en reste pas moins que depuis sa création, GDF a joué un véritable rôle d’aménagement du territoire, sans chercher nécessairement à rentabiliser au franc près les dessertes et les réseaux de raccordement. C’est précisément son statut d’entreprise publique, imprégnée de l’esprit de service public, qui a rendu cela possible.

Je doute fort que cet esprit survive à la privatisation de l’entreprise : une société privée, faisant passer la rentabilité avant toute autre considération, sera plus encline à améliorer les dessertes profitables et à délaisser les zones les plus excentrées.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 93196 à 93217.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’amendements identiques, nos 93218 à 93239.

La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. On n’a pas assez souligné à quel point l’article en débat était en cohérence avec l’objectif de ce projet de loi : ouvrir le marché de l'énergie à la concurrence.

Instaurant le principe de séparation juridique de la gestion des réseaux de transport, tant de l'électricité que du gaz, le Gouvernement a beau jeu d'affirmer qu'il ne fait que transcrire les deux directives européennes du 26 juin 2003 relatives aux règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et du gaz naturel, notamment en matière d'indépendance de gestion des réseaux de distribution. Chacun reconnaît l'air connu « c'est pas moi, c'est Bruxelles », cher aux gouvernements courageux qui n'assument pas leurs choix ultra-libéraux, régulièrement désavoués par notre peuple.

L'Europe est un alibi bien commode, mais qui ne trompe plus grand monde : aucune directive européenne ne vous a contraints, que je sache, à transformer EDF et GDF en sociétés anonymes et à ouvrir leur capital, ou ne vous enjoint aujourd'hui de privatiser GDF. De toute façon les directives européennes ne tombent pas du ciel : le gouvernement français y prend toute sa part. Avec ce projet, il fait une fois de plus le choix politique d'aller au-delà de ce qu'elles prévoient.

Nous vous l'avons dit et répété : nous préconisons pour notre part une renégociation des traités européens, notamment celui de Barcelone. Ne dit-on pas – autre air très connu dans cette enceinte – que l'impuissance publique n'est que le fruit de renoncements successifs ? On sait que le Gouvernement peut parfois aménager les dogmes libéraux, comme le prouve sa volonté de maintenir des tarifs régulés.

Nous vous demandons donc une fois encore de surseoir à votre projet. Les enjeux énergétiques, considérables du point de vue social, économique et écologique, méritent la renégociation que nous préconisons.

La volonté de préserver notre pays et l'Europe des dysfonctionnements qui, partout dans le monde, ont suivi la déréglementation, ainsi que le caractère prioritaire de la lutte contre l'effet de serre nécessitent de reposer la question énergétique à l'échelle européenne et de préférer les coopérations aux affrontements concurrentiels.

Rien n'est écrit, et c'est précisément ce qui rend ce projet si urgent du point de vue de la politique libérale du Gouvernement. Il s'agit d'aller le plus vite et le plus loin possible afin de rendre le processus de libéralisation irréversible. Le temps presse : partout la conscience progresse que l'énergie, au même titre que l'eau, l'éducation, la santé, les transports, le logement ou la culture, n’est pas une marchandise et doit à ce titre être préservée de la course aux profits. Les gâchis, voire les scandales financiers, liés à la libéralisation ou à la privatisation éclatent au grand jour, tant en France qu'à l'étranger, et je crains que Suez -GDF ne vienne grossir la liste.

C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles ce projet de loi est discuté selon la procédure d'urgence alors que toute une série de questions restent en suspens, dont la privatisation rampante de la distribution n'est pas la moindre.

Nous vous demandons donc d’accomplir enfin un acte de bonne volonté en supprimant les alinéas cinq à onze de cet article 6.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean Le Garrec.

M. Jean Le Garrec. L’amendement du groupe communiste est important, en ce qu’il démonte la logique du projet du Gouvernement. Je voudrais à ce propos vous adresser, monsieur le président Ollier, quelques remarques, en toute courtoisie, vous le savez.

Vous m’avez reproché, monsieur le président, de citer l’exemple de l’OPA de Mittal sur Arcelor. Il est vrai que, même si la sidérurgie est une activité spécifique, combien importante, elle ne concerne pas un bien premier comme l’est l’énergie. Mais le débat n’est pas là.

Il m’est arrivé de ne pas être d’accord avec le Gouvernement que je soutenais, de même qu’il y a ici des parlementaires de votre groupe qui sont en désaccord avec votre texte : ils le manifestent même assez clairement. En tant que gaulliste, vous pouvez tirer de précédents comme celui de Mittal la même leçon que moi : si on abandonne les outils de maîtrise des biens premiers, c’est la logique financière qui s’impose et qui est maîtresse du jeu. Cette logique est d’autant plus impitoyable quand elle est développée par des fonds de pension qui attendent des rendements proches de 20 %.

Nous sommes, en France, mais aussi en Europe, très en retard dans l’analyse du poids croissant d’un capitalisme purement financier. S’agissant de biens premiers – je tiens beaucoup à cette notion de biens premiers – il m’apparaît très important de préserver des moyens de résister à cette logique financière, afin de ne pas se retrouver livré pieds et poings liés à elle. C’est le problème que vous avez posé, une fois de plus, monsieur Paul, à travers votre amendement, comme l’a fait le groupe socialiste dans d’autres amendements.

Je voulais par cette remarque, monsieur Ollier, lever toute ambiguïté dans le débat qui nous oppose.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 93218 à 93239.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi des amendements identiques, nos 93526 à 93547.

La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre. Nos amendements visent à supprimer l’alinéa 5 de l’article. L'efficacité économique et technique du système énergétique français, dont l’intérêt social est évident, découle du choix fait, il y a bientôt soixante ans, d'une intégration maximale de l'ensemble des activités nécessaires au fonctionnement et aux investissements de service public.

Si, lors de la canicule de l’été 2003, qui a placé la production électrique dans une situation d’extrême tension, une deuxième catastrophe sanitaire a été évitée, c’est que les personnels d'EDF ont su mettre des réflexes professionnels issus de cinquante ans d'histoire commune entre ses différentes activités au service d’un objectif unique : celui de la sécurité du système électrique dans son ensemble. C’est cela l’esprit du service public : l’intérêt de l’entreprise se confond avec l’intérêt général.

La séparation juridique de l’activité de distribution, comme hier celle du transport, pour l'électricité comme pour le gaz, n'est pas une mesure mineure puisqu’elle conduit à renoncer à ce qui faisait précisément la force du service public. Elle est en ce sens contraire à l'intérêt national.

La désoptimisation technique et économique du système énergétique français est grosse de dangers. La directive européenne sur le marché de l'électricité impose dans son article 10 le respect de quatre critères au gestionnaire du réseau de distribution : son indépendance managériale vis-à-vis de l'entreprise intégrée ; des mesures protégeant l'indépendance des dirigeants de la filiale vis-à-vis de la maison mère ; des pouvoirs complets de décision de la filiale pour exploiter le réseau et investir ; enfin des règles strictes permettant à cette dernière d'assurer un accès non discriminatoire au réseau.

Ces quatre critères sont largement assurés par l’organisation actuelle d’EDF et GDF. Les attendus de la directive prévoient, au paragraphe 8, que la Commission pourra évaluer les mesures ayant des effets équivalents à la séparation juridique du transport élaborées par les États pour réaliser cet objectif.

De la même façon que le gouvernement français n’était pas tenu de séparer juridiquement les activités de transport des maisons mères, il pourrait proposer aujourd’hui à la Commission ces mesures aux effets équivalents sans procéder à la séparation juridique des activités de distribution.

Or il n’en est pas question, pour des motifs purement idéologiques qui ne répondent nullement à des objectifs d’intérêt général, mais qui les soumettent à la logique financière.

Les convictions qui fondent mon argumentation ne sont pas obsolètes, car votre prétendu modernisme choisit des solutions qui conduisent toujours au recul social. Vos solutions prétendument modernes sont tout simplement conservatrices – je le dis d’un ton apaisé, monsieur le président Ollier, et je m’accorde le droit de le dire parce que je n’ai voté aucune privatisation, aucune ouverture de capital. Accordez-moi donc au moins le mérite de la continuité dans la défense du service public, au risque que vous y ajoutiez le reproche de n’être pas moderne. Mais n’être pas moderne à la mode libérale est un reproche que je prendrai comme un compliment.

Le monde change, dites-vous, mais s’adapter au changement ne doit pas conduire à renier ses valeurs, dont le respect nous aide au contraire à nous adapter au changement quand celui-ci est synonyme de progrès.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. La commission est défavorable à cet amendement de suppression. Je ne reviendrai pas sur les arguments qui motivent cet avis : vous comprendrez, monsieur Desallangre, que nous ne répétions pas cent fois la même chose.

Je saisis cette occasion pour répondre à M. Le Garrec, qui m’a interpellé tout à l’heure, avec beaucoup de courtoisie, à propos des biens premiers. Je peux partager votre sentiment, monsieur Le Garrec, et je vous remercie d’avoir interpellé le gaulliste que je suis, qui va répondre au socialiste que vous êtes.

Pour ce qui concerne les biens premiers, peut-on réellement comparer la situation de Gaz de France à celle d’EDF ? C’est grâce aux gaullistes qu’EDF produit son électricité.

M. Daniel Paul. Oh !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Le général de Gaulle, en effet, a renforcé les initiatives prises avant lui par d’autres gouvernements…

M. Jacques Desallangre. C’est le Conseil national de la Résistance !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …et il existe sur différents bancs de notre assemblée un consensus – vous aussi, monsieur Bataille, menez ce combat – pour soutenir le programme nucléaire. Grâce à ce programme, nous avons une entreprise nationale dont nous avons tout lieu d’être fiers, qui produit de l’électricité et en vend même à l’étranger. Nous avons ouvert le capital de cette entreprise pour des raisons liées à l’investissement. Il n’est pas question que, dans ce contexte, ce bien premier qu’est l’électricité puisse être remis en cause. Cela ne se discute pas et ce n’est d’ailleurs pas là l’objet du débat, car il est ici question de Gaz de France.

Pour ce qui concerne cette entreprise, la question se pose selon une autre logique entrepreneuriale. Gaz de France, en effet, cherche des approvisionnements et doit investir. Elle doit, pour assurer la sécurité des approvisionnements de la France et de l’Europe, diversifier ses sources.

La France, monsieur Le Garrec, ne produit plus de gaz depuis les années 1960. Nous sommes donc confrontés au risque de rareté, ce qui justifie la nécessité d’assurer notre approvisionnement. Le seul moyen d’arriver sur le marché mondial, qui n’est pas un marché captif, et de disposer des investissements nécessaires à la conclusion de contrats permettant d’assurer l’approvisionnement est la fusion envisagée, qui crée, sur la base d’un vrai projet industriel, un « champion » susceptible d’atteindre cet objectif.

C’est parce que nous sommes confrontés à une situation économique, à des conditions d’approvisionnement et à un marché européen et mondial entièrement différents de ceux qui prévalent pour de l’électricité – à la différence de l’électricité, en effet, on peut stocker le gaz – que nous examinons les adaptations nécessaires. Ce n’est pas par idéologie. Si c’était le cas, si j’étais un idéologue, je m’opposerais à ce projet, qui me heurterait.

M. Daniel Paul. Quel aveu !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Or le gaulliste que je suis n’est nullement heurté. J’évoquais seulement l’hypothèse où je serais un idéologue ! L’idéologie, qui suscite constamment les mêmes réactions face à des situations qui évoluent, doit tout de même laisser un peu de place au pragmatisme, qui permet une meilleure efficacité dans l’intérêt national et, en l’occurrence, dans l’intérêt européen.

Je ne veux pas ouvrir un débat sur ce sujet mais, monsieur Le Garrec, j’ai conscience du problème que vous évoquez et je souscris à une grande partie de vos propos. Mais c’est peut-être parce que j’y souscris que je suis aujourd’hui favorable à ce projet.

M. le président. La parole est à M. Jean Le Garrec.

M. Jean Le Garrec. Monsieur le président Ollier, voici un vrai débat !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Revenez aux amendements !

M. Jean Le Garrec. Nous sommes ici au cœur du problème.

Permettez-moi tout d’abord une remarque : cessons de considérer le mot « idéologie » comme péjoratif. Dans ce mot, il y a celui d’« idée », et l’on sait depuis les Grecs qu’il n’y a pas de politique sans bataille d’idées.

M. Daniel Paul. Bien sûr !

M. Michel Vaxès. Nous y reviendrons tout à l’heure !

M. Jean Le Garrec. Je suis assez ferme sur ce point et je reprends à mon compte les enseignements de ce maître de la philosophie politique qu’était Cornélius Castoriadis.

Nous sommes, je le répète, au cœur du débat. De fait, le problème est celui de l’approvisionnement. Encore faudrait-il nous prouver, dans ce cas, que l’accord virtuel – car il reste à faire – ne résout pas ce problème. Si vous vous y attaquez vous avez intérêt à disposer de la force politique de l’État, du poids de votre réseau et de votre clientèle ; les chiffres cités par M. Paul, que je ne répéterai pas, sont à cet égard très éclairants. Il vous faudra aussi discuter d’accords avec ceux qui maîtrisent l’approvisionnement, et pourquoi pas avec Gazprom ?

Il s’agit donc là d’une autre manière d’aborder les problèmes. Je conviens avec vous que c’est bien d’approvisionnements qu’il est question, mais je ne pense pas que l’accord virtuel avec Suez aide en la matière : je crois même qu’il est contradictoire avec cette démarche. Le problème n’est de toute manière pas réglé et il conviendrait d’en discuter. L’architecture de ce texte, je l’ai déjà dit, ne tient compte ni des réalités géopolitiques, ni de la réalité des besoins, ni des systèmes de pression existants.

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean Gaubert. Monsieur le président Ollier, votre argumentation pourrait être acceptable – ce qui ne signifie pas pour autant que nous y souscririons – si vous recherchiez beaucoup plus largement un partenaire. Mais on ne peut toujours se dissimuler derrière un cache-sexe ! Le partenaire est déjà clairement désigné et, pour que le mariage ne se fasse pas, il faudrait une catastrophe – en pratique, que le partenaire lui-même se retire, puisque vous avez promis de mettre Gaz de France dans la corbeille.

Car enfin, nous sommes aussi soucieux que vous du rapport de force qui doit pouvoir s’instaurer entre les vendeurs et les acheteurs de gaz. Rien ne prouve cependant, et en tout cas pas les bruits qui courent quant aux concessions qui auraient été faites, que le groupe ainsi constitué serait un acheteur de gaz plus important qu’avant.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Si !

M. Jean Gaubert. Non, quasiment pas ! S’il faut abandonner une partie des positions en Belgique, il est clair qu’à quelques décimales près, la part du groupe ainsi constitué ne sera guère plus importante qu’auparavant. L’argument d’un gain de puissance ne saurait donc étayer votre projet.

De même, vous savez bien qu’en dénationalisant Gaz de France vous lui enlevez certains atouts, car les relations avec les producteurs de gaz sont aussi des relations avec États producteurs, en particulier pour les principaux d’entre eux. C’est le cas notamment pour la Russie où, si le système a changé, les dirigeants ont toujours autant d’intérêts qu’autrefois – sinon plus, car ce sont des intérêts personnels – dans ces installations. Je ne vous ferai pas l’injure de penser que vous ayez imaginé un seul instant qu’on pût aujourd’hui négocier avec Gazprom sans en discuter avec M. Poutine. Le même raisonnement vaut pour l’Algérie. Dans une telle situation, une société nationale est sans doute plus en mesure de discuter librement.

Les arguments que vous avancez pour faire croire qu’il s’agit d’un bon projet ne tiennent pas. Vous auriez au moins pu rechercher d’autres partenaires. En 2004, nous n’avions pas trop d’illusions, sur votre intention de conserver Gaz de France dans le domaine public, et nous ne nous en cachions pas. J’étais pourtant de ceux qui pensaient que vous rechercheriez plutôt un accord avec un autre acteur puissant du secteur gazier – certains évoquaient alors Total, d’autres cherchaient d’autres partenaires possibles. Nous n’aurions sans doute pas approuvé cette démarche, mais elle aurait au moins obéi à une certaine logique du grossissement face aux vendeurs. Dans votre projet, cette logique n’existe pas.

Il ne répond en fait qu’au coup de panique qui a saisi Suez : l’entreprise s’est adressée aux dirigeants de notre pays pour leur demander de la sauver en lui arrangeant un mariage. Voilà comment tout a commencé, et l’opération a d’ailleurs été présentée comme une contre-attaque à l’éventuelle OPA d’ENEL sur Suez. Il s’agit d’une alliance défensive de circonstance et personne n’est vraiment convaincu par votre argumentation.

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. Je reviendrai sur les raisons qui justifieraient la suppression de l’article 6.

Le réseau de distribution du gaz et de l’électricité est un élément essentiel de l’intégration et il détermine en partie le respect du principe d’égalité sur le territoire, comme j’ai eu l’occasion de le rappeler, grâce au mécanisme de péréquation interne entre les activités des entreprises considérées. C’est ainsi que l’usager du fin fond de la Creuse, par exemple, peut bénéficier de la même qualité de distribution que celui de la capitale.

La distribution est, de plus, une composante du prix final. Séparer juridiquement la distribution tout en la soumettant aux exigences du marché va évidemment pousser chacun des opérateurs du secteur à pousser la marge à lui, au risque d’ailleurs, comme nous l’avons rappelé, de léser le consommateur. Au distributeur qui, après le transporteur, veut augmenter ses marges, il suffira d’économiser sur les investissements d’équipement. Dans la Creuse encore, par exemple, il suffira de réduire les investissements sur l’entretien des réseaux – et tant pis pour les pannes éventuelles ! Cela aura donc nécessairement des conséquences sur l’aménagement du territoire et aggravera les inégalités que connaissent déjà nos concitoyens.

Voilà pourquoi nous avons déposé nos amendements de suppression de l’alinéa 5 de l’article 6.

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. J’apporte naturellement tout mon appui aux amendements présentés par ma collègue Muguette Jacquaint, mais je veux surtout réagir aux propos du président Ollier qui, avec constance, veut annexer au mouvement gaulliste, et à son seul bénéfice, le programme nucléaire français. Monsieur Ollier, je vous répète, avec la même constance, que le programme nucléaire a été décidé sous la IVe République,…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est ce que j’ai dit !

M. Christian Bataille. …par le gouvernement Mendès France. On pourrait même remonter…

M. Jean-Marie Geveaux. À Louis XIV !

M. Christian Bataille. …à la pile Zoé. Les gaullistes ont eu le grand mérite de développer ce programme,…

M. François Brottes. Il en restait encore !

M. Christian Bataille. …et leurs successeurs l’ont continué, ainsi que leurs alliés d’ailleurs : M. d’Ornano, qui a joué son rôle à son époque, n’appartenait pas au mouvement gaulliste. Je tiens également à ajouter que les gouvernements socialistes, d’abord sous la présidence de François Mitterrand, puis celui de Lionel Jospin, ont poursuivi l’effort en faveur de l’industrie nucléaire. Je vous ai même dit, monsieur Ollier, que j’étais prêt à faire avec vous le décompte, mais qu’à mon avis on avait dû inaugurer au moins autant de tranches nucléaires sous des gouvernements socialistes que sous des gouvernements gaullistes. Je ne suis pas sûr d’avoir raison, mais tout ça devrait s’équilibrer. Quand on veut faire de l’histoire, il ne faut pas caricaturer. L’effort d’équipement du parc nucléaire français est désormais un bien commun national. Il y a eu un consensus des gouvernements dans ce sens.

M. Jean-Marie Geveaux. D’accord.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Comme nous sommes dans un débat de fond et que les amendements communistes nous donnent l’occasion d’approfondir les questions de principe,…

Mme Muguette Jacquaint et M. Michel Vaxès. Merci de le reconnaître !

M. le ministre délégué à l’industrie. …je voudrais vous donner ma vision de ce qu’est une politique énergétique pour un pays responsable, qui veut assurer la sécurité d’approvisionnement en prix et en quantité, pour un avenir durable, à ses citoyens, à ses consommateurs et à son économie.

Dans la plupart des pays du monde, le sous-sol appartient à l’État, c’est-à-dire que c’est l’État qui décide quoi faire des richesses du sous-sol. C’est exactement le sens du code minier en France. Pour la petite histoire, je vous signale que la loi fondamentale qui est nécessaire en Russie pour faire fonctionner ce système est toujours en discussions au Parlement depuis plusieurs années ; mais, dans la plupart des pays qui ont une certaine ancienneté dans la gestion des matières premières, c’est l’État qui décide quel est le propriétaire du gisement ou dans quelles conditions on donne à quelqu’un l’autorisation d’exploiter et combien il doit payer à l’État et aux communautés locales. Ce sont ces questions qui enflamment certaines régions du Nigeria, qui créent des difficultés entre le pouvoir central et les peuples qui vivent au nord de la Russie. Il s’agit de savoir comment on assure une rente aux communautés diverses qui sont proches d’un gisement.

Ensuite vient le stade de la production. Celle-ci est assurée par de grandes compagnies comme Total, qui est une entreprise privée. Ce sont elles qui sont organisées pour financer les milliards d’investissements nécessaires pour mettre en exploitation un champ pétrolier ou un champ gazier. Très souvent, ces investissements sont si importants que les États sont très contents de pouvoir les confier à de grandes sociétés, qui, en général, demandent des contrats de concession à long terme et peuvent donc envisager des investissements selon une logique financière, c’est-à-dire avec une optimisation de l’exploitation sur une longue période de façon à ne pas tout écrémer au début pour disposer des quantités suffisantes pendant toute la durée de leur concession, vingt ans par exemple. C’est une logique financière à long terme.

Après, il faut bien sûr transporter la ressource extraite. Là encore, une certaine logique financière est nécessaire parce qu’il faut investir, acheter des bateaux. Aujourd’hui, il y a plusieurs types de bateaux, plus ou moins grands – mais on ne peut pas dépasser une certaine taille –, et les investissements dans ce domaine sont également d’ordre industriel. Ils peuvent être décidés par une compagnie privée. Ce sont des investissements à long terme.

Arrivée à destination, la ressource doit être rendue accessible à ses utilisateurs, par le biais d’infrastructures portuaires adaptées Celles-ci deviennent très importantes pour un pays. La Pologne doit se mordre les doigts de ne pas avoir construit d’infrastructures portuaires permettant d’accueillir du gaz liquéfié de Norvège comme elle avait envisagé de le faire. La France a procédé à ce genre d’investissements, et ces infrastructures sont propriété de Gaz de France ; il en va de même en Belgique, avec Suez. Dans le cas d’un investissement de cette ampleur, l’État intervient à divers titres. Néanmoins, la prise en compte de la logique économique est tout de même nécessaire parce que l’ensemble de ces investissements a un coût, a une rentabilité, et pour faire des investissements supplémentaires, il faut en général soit emprunter de l’argent, soit trouver un investisseur. Il y a donc une rémunération de ces investissements, ce qui est bien normal.

Derrière tout cela, il y a des réseaux. Nous en avons en France et nous souhaitons bien évidemment être complètement certains de leur avenir. C’est la raison pour laquelle, dans cette fusion, nous imaginons une action spécifique qui donne à l’État le droit de décider de tout ce qui peut advenir de ces réseaux. Les réseaux de distribution sont la propriété des communes, et nous souhaitons qu’elles conservent cette propriété et que les opérateurs qui ont la concession de la gestion de ces réseaux et de leur distribution soient obligés de convenir avec elles des décisions à prendre.

Par conséquent, opposer une logique publique pure à une logique financière pure, c’est idiot dans le domaine de l’énergie,…

Mme Muguette Jacquaint. Ça fait des étincelles !

M. le ministre délégué à l’industrie. …parce qu’il n’y a pas, dans ces différentes étapes, d’endroit où l’État n’a pas un rôle important à jouer, de même que l’investisseur financier. Chaque fois que le législateur peut clarifier les rôles, que la loi permet de dire qui est responsable de quoi, la loi fait bien. C’est ce que nous faisons. Ainsi, l’article 6 clarifie les rôles et permet aux responsables d’investir en connaissance de cause et avec les moyens appropriés. S’agissant de ces amendements, l’avis du Gouvernement est donc défavorable.

J’ai profité de ce débat de fond pour vous donner un éclairage général du problème.

M. Michel Vaxès. On vous donnera notre éclairage tout à l’heure !

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 93526 à 93547.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de vingt-deux amendements identiques, nos 93548 à 93569.

La parole est à M. Michel Vaxès, pour les soutenir.

M. Michel Vaxès. M. le ministre donne sa vision des choses. Je vais démontrer que l’on peut en avoir une autre, et, puisque le président Ollier nous y a invités, tenter d’élever le débat en abordant quelques considérations économiques, avant, dans la défense d’amendements ultérieurs, d’aborder les questions philosophiques.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Pas la peine, ce n’est pas le débat !

M. Michel Vaxès. Vous souhaitez élever le débat : élevons-le.

À l’heure actuelle, EDF et GDF sont des entreprises intégrées horizontalement et verticalement. Les intégrations horizontale et verticale vont de pair avec la théorie du monopole naturelle, selon laquelle il serait absurde de construire une deuxième infrastructure à côté d’une première non encore saturée. Cela vaut tout aussi bien pour les lignes électriques, les voies ferrées, que pour les infrastructures routières. C’est sur ces bases-là que la loi d’avril 1946, à laquelle tout le monde prétend être très attaché, a été votée, et que notre modèle a été bâti et continue à bien fonctionner depuis.

Mais depuis une vingtaine d’années, les économistes libéraux ont attaqué ce modèle. Son principal défaut est peut-être, à leurs yeux, de donner satisfaction à la population et aux entreprises. On sait que les économistes néo-classiques sont de savants théoriciens ; ils adorent les mathématiques, mais délaissent volontiers les sciences sociales. Permettez donc que je rappelle ce qu’un philosophe allemand – vous avez deviné son nom et son prénom –…

M. Jean-Marie Geveaux. Marx.

Mme Muguette Jacquaint. Voilà !

M. Michel Vaxès. Il y a bien longtemps, il mettait en garde les aînés de ces économistes néo-classiques et les invitait à ne pas confondre « les choses de la logique et la logique des choses ». Pour les économistes néo-classiques, la régulation ne peut pas compenser les effets néfastes des monopoles. La théorie des marchés contestables affirme que la manière de contraindre un monopole à se comporter dans l’intérêt du consommateur est de rendre son marché contestable. Sur le papier, un marché est contestable si l’entrée et la sortie des concurrents y sont libres. Dans les industries de réseaux, cela conduit à découper la chaîne en tronçons, avant et après le réseau, pour y injecter de la concurrence : c’est la désintégration verticale. Pour que la concurrence soit pure et parfaite, nous disent ces savants, il faut forcer les acteurs présents à faire de la place à leurs concurrents, par la vente forcée des actifs de production et des clientèles : c’est la désintégration horizontale. Le modèle théorique qui nous est proposé doit donc remplacer avantageusement les échanges au sein de l’entreprise intégrée par des marchés.

Le problème, c’est que ce nouveau modèle d’échanges supposé avoir tous les avantages est virtuel, tandis que le modèle fondé sur l’entreprise intégrée, lui, est bien réel, et a démontré depuis soixante ans son efficacité. L’histoire a montré que des gains importants sont obtenus par la maîtrise publique de la coordination de l’offre et de la demande d’électricité ou de gaz, et non par le libre jeu de la loi des marchés. L’histoire a également montré que la mutualisation dans un réseau intégré réduit le besoin en investissements. Enfin, l’histoire a montré que les choses sont plus difficiles à obtenir quand le régulateur est obsédé par la destruction de la chaîne, son découpage en parties indépendantes et l’annulation de tous les avantages de l’intégration verticale.

De surcroît, le découpage de la chaîne et la création des marchés augmentent considérablement le nombre de transactions quotidiennes, ce qui crée des problèmes majeurs de gestion. L’entreprise intégrée peut réduire des coûts importants de transaction, mais dans une chaîne d’entreprises sans finalité commune, les coûts de production peuvent devenir prohibitifs.

C’est pourquoi nous continuerons, pendant tout le débat, à mettre en évidence ces réalités, qui sont confortées d’ailleurs par ce qui s’est passé depuis quelques années dans plusieurs autres pays. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La commission et le Gouvernement émettent un avis défavorable sur les amendements en discussion.

La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Puisque la suppression de l’alinéa 6 entraînerait celle des alinéas qui suivent, je voudrais faire deux remarques.

D’abord, monsieur le ministre, vous nous avez fait un exposé sur la manière dont fonctionnait aujourd’hui le marché de l’énergie dans le monde. Je vous en remercie. Vous avez énoncé un certain nombre de vérités frappées au coin du bon sens, je me dois de le reconnaître. Cela étant, que vaut la loi française face à la loi de la jungle mondiale ? C’est tout de même ça le sujet. On peut prendre des dispositions ici qui, en tout état de cause, seront bafouées parce que le marché mondial fonctionne différemment de la manière dont nous concevons l’organisation de notre fonctionnement économique. Je pense que vous en convenez.

Le président Ollier s’emporte – une fois n’est pas coutume – lorsque j’évoque l’intérêt national. Mais nos critiques n’auraient certainement pas la même teneur s’il avait été décidé que l’État resterait majoritaire dans le capital de GDF. Le vrai problème pour notre pays est qu’il ne le sera plus et n’assumera donc plus son rôle protecteur dans une économie mondialisée. On peut débattre du projet industriel. Mais le débat change de nature dès lors que l’outil essentiel de ce projet disparaît, et que l’État ne détient plus, comme vous l’annoncez, que 33 % du capital de GDF – et combien du groupe résultant de la fusion ? Vous nous parlez de synergies financières à trouver. Mais force est de constater que les décisions de la Commission européenne réduiront le périmètre du chiffre d’affaires comme des activités liées au gaz.

Nous ne sommes donc pas rassurés par votre démonstration. En effet, l’heure est grave et le secteur difficile à appréhender, mais c’est précisément la raison pour laquelle il ne faut pas lâcher les quelques manettes à notre disposition, au premier rang desquelles la participation majoritaire de l’État dans le capital de nos entreprises publiques.

J’en viens aux amendements.

M. Pierre Micaux. Enfin !

M. François Brottes. L’alinéa 9 de l’article prévoit que le transfert à une autre entité n’emportera « aucune modification » des contrats de concession ni des « autorisations […], quelle que soit leur qualification juridique, et n’est de nature à justifier ni la résiliation, ni la modification de l’une quelconque de leurs clauses ». On conçoit en effet que le simple transfert d’une activité à une entité de même nature – c’est-à-dire publique – n’ait pas de conséquences. Mais la privatisation modifie radicalement la donne : le changement de statut du concessionnaire ne donnera-t-il pas le droit aux collectivités concédantes de lancer un nouvel appel d’offres ? Ce n’est donc pas tant le transfert en soi qui pose problème que le changement de statut de l’entreprise. Aussi, ma question est la suivante : quelles sont les conséquences des dispositions prévues aux alinéas liés au 6?

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Je remercie le ministre de son intervention par laquelle il reconnaît implicitement que, loin de faire de l’obstruction, nous alimentons le débat en défendant nos positions qui divergent totalement des vôtres, comme l’a montré Michel Vaxès.

Il convient en effet, monsieur le ministre, de distinguer entre la logique financière et celle du service public. Les entreprises publiques EDF et GDF ont montré depuis soixante ans ce qu’elles étaient capables de faire. Dans le pays ruiné de l’immédiat après-guerre, elles ont construit une industrie énergétique forte ; dans les années soixante et soixante-dix, elles ont mené à bien le programme nucléaire assurant l’indépendance énergétique de notre pays, et ce tout en veillant toujours aux tarifs. Le résultat est d’ailleurs que notre pays est aujourd’hui le champion européen en matière de tarifs, même si ces derniers ont augmenté : depuis l’origine, l’objectif a été de ne pas les renchérir par la distribution de dividendes.

Aujourd’hui, sous la pression libérale qui pousse à chercher toujours de nouveaux espaces où réaliser des profits, vous jetez tout cela aux orties ! La France cède, ou plutôt c’est vous qui cédez. Mais vous cédez avec difficulté, car le peuple français est attaché par une culture multiséculaire aux services publics, que l’on a pourtant dénigrés pour les casser.

Au moment où les défis économiques et écologiques à relever sont particulièrement difficiles, donner davantage de pouvoir au privé dans le secteur énergétique constitue une erreur lourde de conséquences. C’est d’ailleurs pourquoi nous souhaitons que ce débat soit à un moment sanctionné par un vote où chacun soit amené à se prononcer.

Certes, l’environnement est difficile, et l’Europe pousse à ces évolutions. Mais permettez-moi, monsieur le ministre, de paraphraser Sénèque : ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que l’on ne fait rien ; c’est parce qu’on ne fait rien qu’elles deviennent difficiles.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Voilà bien une sentence que l’on pourrait vous retourner !

M. Daniel Paul. Elle est plutôt édifiante sur les difficultés dans lesquelles vous enfoncez notre pays.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 93548 à 93569.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. J’appelle les amendements identiques nos 93570 à 93591, tendant à supprimer l’alinéa 7 de l’article.

Les défendez-vous, monsieur Paul ?

M. Daniel Paul. Je les ai déjà défendus dans mon intervention précédente.

Mme Muguette Jacquaint. On ne pourra pas nous accuser de nous répéter !

M. le président. La commission et le Gouvernement sont défavorables à ces amendements.

La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean Gaubert. Je ne voudrais pas que ma demande d’intervention vous conduise à précipiter les débats, monsieur le président.

M. le président. Les séries d’amendements identiques que nos collègues du groupe communiste ont déposées visent chacune à la suppression d’un alinéa de l’article : les orateurs peuvent ainsi développer leurs arguments de façon suivie, ce qu’ils ont fait, brièvement, pour la série que j’ai appelée. La commission et le Gouvernement ayant émis leur avis, je vous donne la parole pour leur répondre.

M. Jean Gaubert. Je voudrais revenir sur le problème des concessions. Il va bien falloir, en effet, que nous ayons ce débat. Le texte du projet de loi semble très clair, qui prévoit le simple transfert des droits. On est apparemment dans un schéma fort classique, que l’on applique par exemple lorsque une société de distribution d’eau change de nom – ce qu’elle peut faire tous les deux ans, j’en sais quelque chose en tant que maire ! Mais la situation est cette fois différente : attribuées par la loi à une entreprise publique, certes devenue société anonyme – ce qui ouvrait une brèche – mais dans laquelle l’État restait majoritaire, les concessions vont passer à une société privée. C’est là une première difficulté juridique.

Par ailleurs et surtout, le droit permettra-t-il aux collectivités de signer un nouveau contrat avec Suez pour la distribution du gaz ? Je crois plutôt qu’il les obligera à procéder à une mise en concurrence en bonne et due forme, comme elles le font pour les affermages ou les concessions d’eau. Une brèche, jusque là passée inaperçue – sans doute même des actionnaires de Suez –, est assurément ouverte : je souhaiterais une réponse claire sur ce point important.

M. François Brottes. C’est en effet un sujet majeur !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Le problème est différent pour l’eau et pour le gaz car les réseaux de distribution de gaz font l’objet d’un monopole légal. Au terme du contrat, les collectivités n’auront pas le choix. Elles ne pourront que souscrire un nouveau contrat avec l’entreprise détentrice du monopole légal. La comparaison avec les concessions d’eau n’a donc aucun fondement.

M. Jean Gaubert. Je ne suis pas sûr que vous ayez raison et souhaiterais une expertise sur ce sujet. J’avais bien compris que l’on cherchait à lutter contre les monopoles publics, mais il m’avait échappé que c’était pour avantager des monopoles privés – lesquels ne semblent, eux, poser de problème à personne ! Vous savez pourtant comme moi, monsieur le rapporteur, qu’il y aura sans doute dans les six ou sept ans à venir des offensives pour les démanteler à leur tour.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je ne suis pas de cet avis.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Cette question, soulevée avant même l’article 10, montre très clairement que le texte prépare une rente de situation à des actionnaires privés. Les contrats de concession, quelle que soit par ailleurs la valeur de l’entreprise, ont vocation à être définitifs – je vous vois acquiescer, monsieur le rapporteur, preuve que je ne trahis pas vos propos. Il est absolument inacceptable de bafouer ainsi les intérêts publics en offrant à des actionnaires privés – qui détiendront plus de 70 % du capital – un marché captif, et ce pour l’éternité. Imaginez-vous ce que cela représente ?

Jean Gaubert a raison – et c’est un expert en la matière – quand il dit qu’un tel système ne peut résister longtemps, et il y a fort à parier que certains des concurrents le trouveront extravagant. Que dira alors le Conseil de la concurrence, que deviendront ces concessions et face à quels choix seront placées les communes ?

C’est un sujet à propos duquel, monsieur le rapporteur, vous avez eu l’honnêteté, lors des débats en commission au mois de juillet, de nous indiquer que l’on nageait en eau trouble. Vous avez apparemment sorti la tête de l’eau et défendez à présent une position très ferme en affirmant que ces contrats sont éternels et que les actionnaires privés, quels qu’ils soient, continueront à bénéficier de ce marché captif, malgré le prix qui pourra en résulter pour les usagers et les collectivités. Nous sommes au cœur du sujet. Cela concerne toute les villes de France desservies par le gaz et tous nos concitoyens.

L’heure n’est sans doute pas venue, car j’imagine, monsieur le président que cette séance ne va pas s’éterniser…

M. le président. Tout dépend de vous, mon cher collègue.

M. François Brottes. Certes, mais un vrai débat s’impose sur une question aussi essentielle. La réponse du rapporteur est claire – je ne la mets pas en doute – mais elle est lourde de conséquences pour l’avenir et nécessite que l’on prenne le temps d’en discuter.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Compte tenu de l’intérêt du raccordement au réseau de distribution, plusieurs collectivités locales ont été amenées à mettre la main à la poche. De l’argent public a été investi dans ces réseaux. Que va-t-il advenir de cet argent ? Va-t-il, lui aussi, finir dans les poches des actionnaires privés de Gaz de Suez ou de je ne sais quel fonds de pension mongol, ouzbek ou kirghiz – car ils ne sont pas tous anglo-saxons ? C’est de la spoliation pure et simple !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie.

M. le ministre délégué à l’industrie. Cet après-midi est décidément fertile en débats de fond. J’ai toujours dit que les communes restaient propriétaires des réseaux de distribution et que le monopole continuait de fonctionner, en échange de quoi le contrat de service public s’appliquait avec ses contraintes au bénéficiaire de la concession. Cet équilibre, propre à notre pays, est maintenu.

M. François Brottes. On passe d’un monopole public à un monopole privé !

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 93570 à 93591, repoussés par la commission et le Gouvernement.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour
de LA prochaine séance

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 3201, relatif au secteur de l’énergie :

Rapport, n° 3278, de M. Jean-Claude Lenoir, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,

Avis, n° 3277, de M. Hervé Novelli, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)