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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du vendredi 22 septembre 2006

27e séance de la session extraordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

énergie

Suite de la discussion,
après déclaration d’urgence,
d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au secteur de l’énergie (nos 3201, 3278).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Hier soir, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles, s’arrêtant aux amendements nos 94186 à 94273 à l’article 6.

M. François Brottes. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour un rappel au règlement.

M. François Brottes. Monsieur le président, mesdames, messieurs, dans le cadre de l’article 6 du projet de loi, nous avons eu, au cours de la dernière séance, un débat franc, mais difficile pour le ministre et le rapporteur, sur le problème de l’avenir des concessions entre les collectivités territoriales et l’opérateur gazier. Nous avons compris que nous allions passer d’un monopole public à un monopole privé, qui sera éternel à en croire le rapporteur, et qui sera d’autant plus intéressant pour l’opérateur gazier nouvellement privatisé que ce sera un marché captif.

Par ailleurs, le nouvel opérateur auquel sera transférée la gestion des réseaux n’aura à subir ni impôt, ni taxation, ni préemption.

De plus – je parle sous votre contrôle, monsieur le rapporteur –, le tarif réglementé s’appliquera puisque cela relève de la mission qui est confiée à l’opérateur ayant la concession, ce que vous nous avez rappelé, monsieur le ministre.

Nous avons travaillé cette nuit pour étudier cette affaire. En effet, comme nous l’avons dit, Jean Gaubert, Christian Bataille et moi-même sommes extrêmement inquiets pour l’avenir des concessions portées par les collectivités locales. En fouillant un peu, nous avons trouvé un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 21 juillet 2005, dit arrêt Coname, qui met à mal votre argumentation. Par cet arrêt, la Cour a cassé le contrat de concession de son réseau passé par une ville italienne au motif qu’il n’y avait pas eu mise en concurrence. Et elle a précisé à cette occasion qu’il était impératif que les concessions soient mises en concurrence en cas de gestion publique. Cet arrêt, qui s’imposera à la France puisqu’il émane de la Cour de justice des Communautés européennes, va mettre à mal les concessions portées aujourd’hui par les autorités concédantes que sont les collectivités locales. Selon les informations dont nous disposons, Gazprom, qui fournit nos opérateurs en gaz, est dans les starting-blocks. Cette société attend que le monopole privé que vous allez instaurer soit cassé sur la base de l’arrêt Coname pour récupérer les concessions qui l’intéressent, et elle aura des armes pour se battre. En effet, elle maîtrise bien mieux que GDF et que Suez les coûts d’approvisionnement, puisqu’elle produit elle-même du gaz.

Je veux donc faire solennellement état de notre extrême inquiétude, au moment où va être privatisée la société gestionnaire des concessions. Au regard de ces éléments précis, il vous appartient, monsieur le ministre délégué à l’industrie, de confirmer vos propos. L’histoire et la justice retiendront les informations que vous verserez ainsi au débat. Nos inquiétudes sont tout à fait fondées.

Je me suis attaché à mesurer mon propos et à faire en sorte qu’il ne puisse être contesté.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. Monsieur Brottes, vous avez cité un arrêt concernant l’Italie, où il n’existe rien d’équivalent à la loi française de 1946. En Italie, il n’est prévu nulle part dans le dispositif législatif que l’on puisse donner le monopole de la concession à un distributeur. En France, c’est le contraire : la loi le prévoit. L’originalité française étant par ailleurs reconnue par l’Union européenne, nous ne sommes nullement susceptibles de nous voir appliquer la jurisprudence Coname.

M le président. La parole est à M. Jean Gaubert, pour un rappel au règlement.

M. Jean Gaubert. Je confirme ce que vient de dire François Brottes. Ce n’est pas de gaîté de cœur que nous évoquons ce dossier ce matin.

Monsieur le ministre, il est clair que l’arrêt Coname peut mettre à mal l’ensemble de notre système. Le problème qui se pose n’est même pas celui du public ou du privé : c’est celui du droit des concessions. La France a un droit monopolistique des concessions – vous venez de l’évoquer –…

M. le ministre délégué à l’industrie. Dans l’énergie !

M. Jean Gaubert. …dans l’énergie, en effet – nous ne le contestons pas. Mais l’Europe dit vouloir lutter contre les monopoles, surtout les monopoles publics d’ailleurs – elle s’accommode parfois plus facilement des monopoles privés –, et elle a sans doute l’intention de s’attaquer au monopole créé par la loi de 1946.

Je ne suis pas sûr que vous puissiez nous répondre ce matin, monsieur le ministre, mais nous sommes très inquiets.

Cet arrêt Coname fait froid dans le dos, car on ne voit pas comment l’Europe ne serait pas tentée, un jour, de le faire appliquer chez nous. Cela ne serait pas la première fois que des textes européens auraient la primauté sur des lois françaises, quand bien même celles-ci seraient antérieures, ce qui est le cas de la loi de 1946 !

Par ailleurs, les informations dont nous disposons confirment ce que nous vous disions hier soir : vous ouvrez volontairement une énorme brèche dans le système gazier français et Suez ne sera malheureusement pas le seul à s’y engouffrer ! De grands opérateurs propriétaires de gisements de gaz pourront faire des offres directement sur notre territoire, ce qui bouleversera complètement la situation.

L’un de mes collègues UMP me disait dernièrement que ce qui l’intéressait, c’était que le gaz soit moins cher. Outre le fait que je ne suis pas sûr que votre montage permette d’avoir du gaz moins cher, ce qui risque d’arriver, c’est que Gazprom, ou d’autres – nous parlons de Gazprom parce que c’est le groupe gazier le plus important au monde –, vienne faire des offres sur l’ensemble du territoire, sur les concessions, la distribution, et mettre en pièces ses acheteurs. Il ne s’agit pas d’une polémique politique. C’est une grave question d’avenir pour nos groupes.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l’industrie. Je suis très content que le groupe socialiste soulève ces questions fondamentales que nous avons dû nous poser au moment de préparer ce texte. Celui-ci crée justement le cadre législatif permettant les évolutions que nous jugeons nécessaires en France.

Notre situation originale n’est pas contestée par la Commission européenne, car l’exercice du monopole a sa contrepartie dans de grandes obligations de service public. Et si nous avons intégré la transposition de la directive dans ce texte, c’est pour continuer à appliquer le tarif réglementé, qui est une contrepartie importante à l’exercice du monopole.

Quant aux fournisseurs alternatifs, la France compte aujourd’hui quarante gaziers internationaux. Leur nombre est connu et, si tous ne sont pas actifs, ils sont du moins autorisés à le devenir.

Il faut pourtant distinguer la question de la fourniture de celle de la distribution. Vous avez cité Gazprom, à titre d’exemple, j’imagine. Ce groupe, le plus grand au niveau mondial, a affiché sa stratégie, qui consiste à se développer non seulement en amont, mais en aval. C’est pourquoi il s’intéresse au marché américain, où il souhaite délivrer du GNL produit par ses partenaires.

La présence de fournisseurs alternatifs ne doit donc pas nous surprendre, pas plus que leur intérêt pour l’aval. D’ailleurs, nous avons verrouillé les réseaux de manière spécifique et, dans le projet de loi, nous nous sommes montrés particulièrement attentifs au problème de la distribution.

Les questions que vous posez sont fondamentales, mais le texte y répond.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. L’excellente réponse apportée par le ministre me dispense d’une partie de mon intervention. Néanmoins, je tiens à répondre à une remarque que j’ai déjà entendue à plusieurs reprises dans la bouche de nos collègues du groupe socialiste.

Ceux-ci craignent que le dispositif que nous construisons n’offre un boulevard à Gazprom, qui inonderait le territoire national. Mais je rappelle que, depuis la directive de 1998, qui a ouvert notre territoire aux opérateurs, cette entreprise peut servir les clients français.

Qu’on ne nous répète donc pas que le projet de loi ouvre le territoire national à l’ours russe ! Il y a longtemps que c’est fait.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Très juste !

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Je comprends la gêne du rapporteur. Quant à l’intervention du ministre, elle ne nous a pas rassurés. Il est bon qu’il y ait couplage entre le marché captif que représentent les clients au tarif réglementé et la gestion du réseau.

Nous n’avons pas choisi l’exemple de Gazprom par hasard. Ce groupe peut proposer le gaz à un prix inférieur à celui de Gaz de France, puisqu’il est lui-même producteur. Il pourra par conséquent assumer la fourniture au tarif réglementé – qui l’intéressera d’autant plus qu’il s’agit d’un marché captif – une fois qu’il aura repris la main.

Dès lors, il aura intérêt au couplage. L’obligation de fournir au tarif réglementé et la concession seront pour lui une aubaine. Et, s’il est aujourd’hui à l’affût, dans le but de casser le monopole privé actuel, qui est légal, c’est parce qu’il pourra ainsi conquérir les secteurs rentables.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous nageons en pleine science-fiction économique !

M. François Brottes. J’aimerais que le rapporteur et le ministre nous assurent sans sourire que jamais le monopole légal privé ne sera cassé, et que le projet de loi le garantit. Qu’ils le fassent ! Nous leur donnons rendez-vous dans quelques mois.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l’industrie. Si Gazprom voulait vendre à vil prix en France, il ne pourrait le faire qu’au titre de la fourniture. En outre, si quelqu’un veut leur délivrer du gaz beaucoup moins cher, les consommateurs français seront ravis !

M. François Brottes. C’est toujours comme ça que ça commence , mais on sait ce qui arrive ensuite !

M. le ministre délégué à l’industrie. J’ajoute qu’un appel d’offres a été lancé par plusieurs grands industriels français, gros acheteurs de gaz, qui se sont plaints auprès de moi de ce qu’ils n’avaient pas obtenu de conditions particulièrement avantageuses du fournisseur auquel vous pensez. Ce que vous décrivez ne correspond donc pas à la réalité : ce ne sont que des suppositions.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. De la pure science-fiction !

M. le ministre délégué à l’industrie. Si les prix du gaz sont élevés, c’est le fait des vendeurs, et non parce qu’un opérateur prélève une rente au passage.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Venons-en au débat !

M. Daniel Paul. Il s’agit d’un débat de fond !

M. le président. Oui, monsieur Paul, mais le fait est que nous n’avons pas encore abordé l’examen des amendements.

M. Daniel Paul. La question qui nous occupe depuis le début de la séance est fondamentale. Elle touche directement à l’organisation du marché du gaz et concerne de près les usagers. La boîte de Pandore a été ouverte le jour où, tout en maintenant les contrats de long terme passés avec certains fournisseurs, on a livré les pays utilisateurs d’Europe occidentale à ce qu’il faut bien appeler le marché.

Il n’était pas nécessaire d’être devin pour comprendre que les entreprises productrices n’allaient pas rester inertes au moment où, par des contrats de long terme, on les intéressait à une politique rigoureuse en matière de tarification, alors que, à l’autre bout de la chaîne, la spéculation faisait augmenter le prix du gaz. Un tel système ne peut pas fonctionner.

Gazprom, premier groupe mondial du secteur, ou d’autres entreprises se sont dit qu’ils pouvaient tenter leur chance dans des pays où des fluctuations leur permettraient d’augmenter le prix du gaz, ce qu’ils feront d’autant plus facilement qu’ils auront la possibilité d’intervenir davantage dans nos pays.

La menace est réelle car, en matière de gaz, les prix et les tarifs ne comptent pas moins que l’approvisionnement à long terme, ainsi que la qualité et la sécurité des installations.

Nous avons évoqué hier les DNN et l’exemple du réseau de Strasbourg – nous aurions pu également citer celui de Bordeaux. Certains de nos collègues ont fait part de leurs craintes : si l’amendement tendant à ouvrir le capital de Gaz de Strasbourg avait été adopté, les vautours se seraient précipités.

En ouvrant le marché à la concurrence, puis en ouvrant le capital et, à partir de lundi, en décidant sans doute – malheureusement – de privatiser Gaz de France, vous nous faites entrer dans un monde dangereux, dont les gouvernements européens ne maîtrisent pas, à l’évidence, tous les tenants et les aboutissants.

Il faut prendre conscience que l’électricité  ou le gaz ne sont pas des biens comme les autres et revenir à une plus grande maîtrise de l’État. Nous avions dans ce domaine des accords et une stratégie. On ne peut s’en remettre à la main invisible du marché, qui n’agira qu’au seul bénéfice des principaux actionnaires, désormais en mesure d’imposer leur loi.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l’industrie. Certains députés doivent avoir hâte d’en venir à l’examen du texte, mais je crois devoir rappeler une évidence : Gaz de France ne produisant pas lui-même de gaz, il a nécessairement pour partenaires des producteurs.

Celui que nous consommons dans nos foyers vient pour 28% de Norvège, pour 21% de Gazprom et pour 20% de Sonatrach. Tels sont les partenaires avec lesquels Gaz de France aujourd’hui et, demain, j’espère, une entreprise plus importante encore, doivent discuter les prix, la quantité ou la durée des approvisionnements. La négociation est ancienne et nous avons besoin de nous y montrer forts. La France n’a pas d’autres fournisseurs à même de l’approvisionner en quantité et en qualité. Nous avons donc besoin d’être en relation avec ceux que j’ai cités.

Ce constat n’a rien d’original.

M. le président. Je vais redonner la parole est à M. Jean Gaubert.

Je la donnerai ensuite au président de la commission, et nous aurons ainsi épuisé les rappels au règlement…

M. Jean Gaubert. Il ne s’agit pas d’épuiser les rappels au règlement, monsieur le président. D’ailleurs, nous ne les multiplions pas par plaisir. M. Brottes l’a indiqué : nous poursuivons le débat d’hier soir à la lumière d’éléments nouveaux.

Monsieur le ministre, il faut considérer deux problèmes.

Le premier concerne la fourniture de gaz. Vous le savez aussi bien que nous : sur tout marché, quel qu’il soit, un nouveau fournisseur fait sa place en baissant les prix pour capter des clients, sachant qu’il pourra se rattraper ensuite. En l’espèce, qui pourra le faire mieux que le puissant groupe russe que nous évoquons ? Il n’aura même pas à vendre à perte, étant donné les marges qu’il réalise sur l’extraction du gaz.

Chacun sait que les cycles de concurrence vive sont suivis de la constitution de monopoles privés, qui feront payer très cher à terme les cadeaux consentis dans un premier temps. C’est une règle élémentaire du marché. De plus, si l’on peut encore maintenir certaines règles à l’intérieur de l’Hexagone, c’est plus difficile à l’intérieur de l’Union européenne et cela devient impossible face à un monopole extérieur à l’Union.

C’est pour cela que nous nous inquiétons. Si le prix baisse demain, dites-vous, qui s’en plaindra ? Mais que se passera-t-il s’il augmente considérablement après-demain ? Notre rôle d’hommes politiques n’est-il pas de prévoir le long terme ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Nous l’avons fait !

M. Jean Gaubert. Nous prenons le ministre pour quelqu’un d’honnête.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Il l’est !

M. Jean Gaubert. Il l’est resté tout à l’heure quand il s’est gardé, en évoquant la baisse des prix, de nous promettre que les opérateurs ne se rattraperaient jamais. Nous savons tous, en effet, qu’ils le feront un jour ou l’autre.

Se pose également la question des concessions. S’agissant du gaz, l’absence d’obligation de desserte de l’ensemble du territoire – qui existe encore pour l’électricité, avant que les libéraux ne trouvent un moyen de prouver que c’est sans importance – est un élément supplémentaire de fragilisation du concessionnaire unique de service public. Vous ouvrez la bagarre pour les concessions dans les années qui viennent. On arguera en effet qu’il ne peut y avoir de monopole public, d’une part parce qu’il n’y a pas d’obligation de desservir l’ensemble du territoire et, d’autre part, parce qu’il s’agit d’un groupe privé comme un autre.

Au-delà – et cela devrait tous nous inquiéter –, la réglementation européenne nous oblige à saucissonner nos groupes pendant que, à nos portes, les Américains et les Russes créent des mastodontes qui ne sont pas soumis à ces règles et qui pourront venir chez nous quand ils le voudront au nom de la sacro-sainte ouverture.

M. le ministre délégué à l’industrie. Il faudrait rester entre Français ?

M. Jean Gaubert. On ne peut pas ne pas se poser la question, monsieur le ministre. Ce saucissonnage imposé est extrêmement dangereux, non seulement pour l’indépendance énergétique de la France, mais aussi pour celle de l’Europe.

M. le président. La parole est à M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. À mon tour de faire un rappel au règlement, monsieur Gaubert : ce débat aurait dû avoir lieu dans le cadre de la discussion des amendements.

Vos propos m’étonnent. Je ne mets pas en doute votre conviction, mais nos analyses divergent totalement. Vous décrivez un scénario catastrophe.

M. François Brottes. Nous en reparlerons !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous avez le droit de penser que les choses peuvent se passer ainsi.

M. Daniel Paul. Elles se passeront ainsi !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Même traverser la rue est dangereux, monsieur Paul ! Tout est dangereux ! On ne peut pas traiter d’un problème aussi sérieux en laissant penser que nous allons vers la catastrophe. Si votre argumentation tend à démontrer que la fusion rendra la situation encore plus dangereuse pour l’approvisionnement de la France, vous avez tort.

M. Christian Bataille. C’est la privatisation qui le fera !

M. Daniel Paul et M. François Brottes. La privatisation et la fusion !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. La privatisation qui, éventuellement, ainsi que l’a dit M. Breton, conduira à la fusion.

Vous confondez les règles du marché avec les instruments qui permettent de s’y adapter. Ni la France ni l’Europe ne peuvent intervenir pour modifier les règles de la concurrence internationale,…

M. François Brottes. Ne nous fragilisons pas !

M. Christian Bataille. Il ne s’agit pas d’un bien comme les autres !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …mais on peut s’y adapter. Servons-nous précisément des directives et de la loi pour nous doter des instruments qui nous permettront de faire face à la concurrence et d’en tirer avantage. On peut parler de Gazprom mais, dans cette guerre de l’énergie, notre stratégie – et je pense que tout le monde la partage ici – n’est pas de se focaliser sur des oléoducs captifs que nos fournisseurs peuvent fermer dès demain matin, que l’on privatise ou non Gaz de France. Je ne crois pas que ce soit leur intérêt sur le plan économique, mais ils peuvent le faire : ils l’ont fait en Ukraine.

La fusion de GDF et de Suez nous permet de nous adapter aux règles mondiales de la concurrence et de préserver notre indépendance en matière de fourniture et de diversification des approvisionnements, en entrant dans une nouvelle ère, celle du gaz naturel liquide.

M. François Brottes. C’est anecdotique !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est ce que l’on disait du nucléaire il y a près de soixante ans, monsieur Brottes, et je rends hommage à la clairvoyance de Mendès France sur ce point. Outre les oléoducs, nous aurons, grâce à la fusion, l’une des premières flottes mondiales de méthaniers – qui, eux, permettent d’acheminer le gaz là où l’on en a besoin – et la première usine mondiale de liquéfaction de gaz.

M. François Brottes. Gazprom rachètera le tout !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Gazprom ou un autre groupe, monsieur Brottes : E.ON ou Enel peuvent également être intéressés. Certes, le pire peut toujours se produire,…

M. François Brottes. Il faut protéger l’intérêt national !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …mais il ne faut pas se défausser de nos responsabilités. Nous considérons qu’il est de notre responsabilité de nous doter des moyens d’affronter le pire, lequel ne manquera pas de se produire dans les dix ou quinze ans qui viennent si nous ne faisons rien.

Et que l’on arrête de nous expliquer que l’augmentation du volume d’activité du futur groupe, c’est marginal !

M. François Brottes. C’est marginal !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Est-il marginal de passer de 66 milliards de mètres cubes de gaz à 106 milliards ? Plus 60 % !

M. François Brottes. Il faut être lucide !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. On peut toujours nier, monsieur Brottes, mais les chiffres sont incontestables.

Cette orientation et le développement du GNL nous permettront de tenir bon dans ce contexte difficile. Certes, il y a des inquiétudes, mais il faut bien que l’on se prépare à y faire face. La fusion ne change rien aux règles du marché, mais elle permet de s’y adapter. Telle est notre conviction ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous allons maintenant poursuivre l’examen des amendements à l’article 6.

Article 6 (suite)

M. le président. Je suis saisi de quatre-vingt-huit amendements, nos 94186 à 94273, soit quatre séries de vingt-deux amendements identiques.

La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Ces amendements sont défendus.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Défavorable.

M. le président. Je vais appeler l’Assemblée à se prononcer sur les amendements nos 94186 à 94273.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de vingt-deux amendements identiques, nos 93372 à 93393.

La parole est à M. Michel Vaxès, pour les soutenir.

M. Michel Vaxès. Le Gouvernement et le président de la commission font preuve d’angélisme quant à l’avenir du secteur de l’énergie dans notre pays. Leur sérénité est déconcertante.

Nous avons tout lieu de craindre que, aux termes de votre projet de loi, notamment en raison des articles 6, 8, 9 et 12, la filialisation des gestionnaires de réseau ne débouche sur le démantèlement du service public de distribution. Compte tenu des incidences fâcheuses que vos réformes pourraient avoir sur les usagers et les salariés, en particulier si le gestionnaire de réseau est détenu par une entreprise privée, il nous paraît souhaitable de prendre certaines précautions. Et puisque vous êtes aussi sereins, vous accueillerez sans doute avec enthousiasme notre proposition, qui consiste à préciser que le conseil d’administration ou de surveillance dudit gestionnaire comporte au moins trois représentants de l’État et trois représentants des salariés, dans l’esprit de la loi de démocratisation du service public de 1983. Cette mesure permettrait que s’exerce un certain contrôle public sur le service de distribution, ce qui est la moindre des choses pour s’assurer du respect des missions de service public et pour peser, le cas échéant, sur les décisions relatives à l’investissement, à la qualité du service et à l’égalité de traitement des usagers.

Encore une fois, compte tenu de votre sérénité face aux conséquences de cette loi,…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Notre confiance !

M. Michel Vaxès. …il serait tout à fait incompréhensible que vous n’acceptiez pas le regard de l’État et des salariés sur les évolutions de notre secteur énergétique.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements en discussion ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La commission est défavorable à ces amendements. Outre qu’ils visent à installer l’État dans toutes les entreprises – ce qui est une démarche pour le moins curieuse –, ils fixeraient le nombre minimum des membres du conseil d’administration et de surveillance à six, alors que le code du commerce dispose que ce nombre doit être compris entre trois et dix-huit.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean Gaubert. L’alinéa 21 de l’article 6 masque mal que seule EDF sera concernée dans quelques mois. On nous a répondu hier soir que, tant que la fusion n’avait pas eu lieu, cette disposition était nécessaire, mais nous sommes dans une situation transitoire qui vise à donner des gages à certains pendant quelques semaines.

Je remarque par ailleurs l’étendue de la palette des appréciations dans la majorité. M. Breton nous explique que nous ne sommes pas là pour parler de la fusion de GDF avec Suez,…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est vous qui en parlez !

M. Jean Gaubert. …qu’il s’agit seulement de ramener la part de l’État dans le capital de Gaz de France à 34 %. Nous y reviendrons d’ailleurs lors de l’examen de l’article 10, car celui-ci est rédigé de telle manière que ces 34 % de Gaz de France pourraient ne représenter, après la fusion, que 17 % du total. En effet, le nouveau groupe ne s’appellera plus Gaz de France. M. Breton nous dit que ce n’est pas le sujet et que GDF nouera des alliances, peut-être avec Suez, mais peut-être aussi avec beaucoup d’autres.

M. Loos, quant à lui, s’est montré moins affirmatif en laissant entendre que l’opération se ferait avec Suez – ce que tout le monde sait déjà, au demeurant. En revanche, M. le président de la commission nous a dit très clairement ce matin que c’était bien cette fusion qui était actuellement en préparation. Il y a là une gamme d’appréciations qu’il conviendrait de réduire afin de donner un peu plus de cohérence aux affirmations de leurs auteurs.

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Je ne peux me satisfaire de la réponse de M. le rapporteur, qui aura d’ailleurs sans doute remarqué que, lorsque j’ai souligné la tranquillité du Gouvernement et de la présidence de la commission, je ne l’ai pas cité. Je le crois en effet beaucoup plus inquiet qu’il ne le prétend.

Alors que vous soutenez l’idée d’une évolution du marché du gaz vers un marché libre et non faussé au moyen de sa privatisation, monsieur le rapporteur, vous êtes beaucoup plus réticent lorsqu’il s’agit d’imaginer une évolution parallèle en termes de développement de la démocratie et du regard citoyen porté sur ce marché.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous exagérez, monsieur Vaxès !

M. Michel Vaxès. C’est pourtant la réponse que vous nous faites, monsieur le rapporteur ! Selon vous, certaines dispositions du code de commerce rendent ces évolutions impossibles – comme si ces textes ne pouvaient pas être modifiés !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Eh bien, faites-le donc !

M. Michel Vaxès. Vous envisagez une évolution du marché du gaz qui aura pour conséquence de faire disparaître le service public, mais refusez d’assortir celle-ci d’une évolution sur le plan démocratique. En réalité, vous craignez que le regard porté par les citoyens et par l’État sur le fonctionnement du service public de distribution ne puisse en révéler les dysfonctionnements – que, pour notre part, nous redoutons et dénonçons. À mon sens, monsieur le rapporteur, la motivation profonde de votre réponse n’est pas à chercher ailleurs.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements identiques nos 93372 à 93393.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de cent trente-deux amendements, nos 94274 à 94405, soit six séries de vingt-deux amendements identiques.

La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Par la première série d’amendements, nous proposons de compléter l’alinéa 21 de l’article 6 par la phrase suivante : « Les représentants de l’État ainsi désignés ne doivent pas détenir ou avoir détenu d’intérêt dans le secteur énergétique. »

Je commencerai par souligner, une fois de plus, que la filialisation constitue une nouvelle étape dans le démantèlement – la désintégration, selon moi – de cette entreprise. Depuis la loi d’août 2004, les réseaux de distribution d’EDF et de GDF ont déjà des comptes séparés de leurs maisons mères respectives, ainsi que des dirigeants répondant aux critères d’indépendance définis dans la directive. M. le rapporteur nous a expliqué à plusieurs reprises que l’évolution mise en œuvre en 2004 ne constituait qu’une étape et qu’il avait été décidé d’avancer progressivement.

Notre série d’amendements vise à assurer le respect du critère d’indépendance. La filialisation provoquera de facto la création d’une société séparée, avec son propre conseil d’administration et son propre capital. Si ce n’est plus la direction de GDF qui prend les décisions stratégiques, il nous paraît éminemment souhaitable que les représentants de l’État au sein de la société gestionnaire de réseau ne détiennent ou n’aient détenu aucun intérêt dans le secteur stratégique.

Pour en revenir au débat précédent, force est de reconnaître, monsieur Ollier – et ce n’est pas un reproche, mais simplement le constat de nos divergences –, que vous avez une foi inébranlable dans le marché.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Mais non !

M. Serge Poignant. Caricature !

M. Daniel Paul. Vous savez pourtant très bien que le moteur du marché, la fin ultime qu’il poursuit n’est pas la satisfaction des besoins des gens, mais le profit maximal que certains peuvent en tirer.

C’est tellement vrai que, lorsque les bénéfices deviennent, non pas inexistants, mais simplement insuffisants, un certain nombre d’entreprises n’hésitent pas à se retirer purement et simplement du marché. L’objectif d’un service public bien compris est tout autre, puisqu’il tend à satisfaire les besoins collectifs et individuels en ne prenant en compte que les coûts réels et en cherchant à les minimiser.

Par ailleurs, le président de la commission nous a vanté les mérites du GNL, le gaz naturel liquéfié. C’est très bien, le GNL, mais ce n’est pas vraiment nouveau.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je n’ai jamais dit que c’était nouveau !

M. Daniel Paul. GDF a développé une flotte construite pour partie à Saint-Nazaire, mais ne nous faisons pas d’illusions, monsieur Ollier : il est possible pour un pays mal intentionné de ne pas respecter ses engagements en coupant les vannes ; certes, les relations entre la Russie et la France ne sont pas les mêmes qu’entre la Russie et l’Ukraine, mais le risque existe.

Par ailleurs, les méthaniers qui remontent l’Atlantique à l’issue d’un long périple, leurs citernes contenant jusqu’à 150 000 mètres cubes de gaz naturel liquéfié, peuvent être orientés par satellite soit vers Boston, soit vers Zeebrugge, deux terminaux dont Suez est actuellement propriétaire – après fusion, il y en aura d’autres, notamment celui de Montoir. Mais les méthaniers peuvent virer à bâbord ou à tribord…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ils peuvent aussi aller tout droit !

M. Daniel Paul. Dans ce cas, ils feraient le tour de la terre, puisqu’il paraît qu’il n’y a plus de glace au pôle Nord – mais c’est un autre débat.

Ce que je veux dire, c’est que les méthaniers peuvent être réorientés durant leur parcours. C’est déjà le cas pour les pétroliers, qui changent de destinataire à plusieurs reprises entre le moment où ils ont appareillé au Moyen-Orient et celui où ils déchargent dans tel ou tel port, en fonction des prix du marché. C’est ainsi que va le monde, mené par le marché, auquel vous faites confiance. Pour notre part, nous préférerions que les choses se passent différemment.

Vous nous dites que des obligations vont être imposées, que le texte de loi que vous voulez faire voter sera assorti de garde-fous. Mais les taquets et les rivets que vous prévoyez constituent une protection bien illusoire face à de grosses entreprises internationales. Dans le domaine énergétique comme dans le domaine industriel, l’expérience nous a montré que, lorsque les intérêts financiers des grands groupes qui tiennent le marché sont en jeu, ceux-ci n’hésitent pas à couper les branches qu’ils jugent inutiles. En vous remettant entre les mains invisibles du marché, vous vous remettez entre les mains de gens auxquels on ne peut faire confiance. Nous souhaitons que, dans le domaine énergétique – et en particulier dans ce domaine, où il y va des intérêts majeurs de la nation –, la France conserve la maîtrise de ses intérêts…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. La France et l’Europe !

M. Daniel Paul. …et de ses approvisionnements. Le gaulliste que vous dites être, monsieur Ollier…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Que je suis !

M. Daniel Paul. …devrait être sensible à mon discours, que les gaullistes tenaient autrefois. À l’évidence, ils se sont laissés prendre au charme peu discret du marché.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements en discussion ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je voudrais tout d’abord répondre à l’apostrophe de M. Vaxès, qui voudrait voir réformer le code de commerce pour que celui-ci s’adapte aux amendements qu’il propose. Si chaque amendement nécessite une telle réforme, nous n’avons pas fini de siéger !

Pour ce qui est des amendements au sujet desquels Daniel Paul vient de prendre la parole – je n’ose dire qu’il les a défendus, car il a plutôt parlé d’autre chose –, qui traitent de l’éventualité d’un conflit d’intérêts suscité par la présence de représentants de l’État ayant exercé dans le domaine de l’énergie, je rappelle que les articles 432-12 et 432-13 du code pénal répondent parfaitement à cette préoccupation, au demeurant tout à fait légitime. Pour cette raison, mais aussi parce que les dispositions proposées ne sont assorties d’aucune limitation dans le temps, la commission a repoussé ces amendements.

M. Daniel Paul. Dommage, monsieur le rapporteur !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Aux dispositions du code pénal que vient d’évoquer M. le rapporteur, j’ajouterai l’article 31 de la loi du 6 février 1953, qui précise que tout représentant de l’État « ne doit pas avoir d’intérêts de nature à compromettre son indépendance ». Les amendements sont donc satisfaits.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Doublement !

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. L’État doit être indépendant des lobbies et avoir une vision d’ensemble de la politique énergétique du pays. Le débat traduit les inquiétudes suscitées par l’insécurité des approvisionnements en gaz, que votre projet renforcera encore. D’évidence, une entreprise publique adossée à l’État est en bien meilleure situation pour négocier avec Gazprom, entreprise quasi publique, elle-même adossée à l’État russe car, en matière énergétique, tout ne se réduit pas à des questions commerciales, et l’on ne peut feindre d’ignorer la dimension diplomatique des accords en matière de gaz.

Les mêmes incertitudes planent sur les approvisionnements en pétrole. L’hydroélectricité étant pratiquement au maximum de ses capacités en France, il reste le nucléaire, monsieur le ministre, mais cette solution ne doit pas dispenser l’État d’une réflexion – c’est son rôle, mais avez-vous l’intention de l’assumer, puisque vous voulez vous en remettre au marché – sur le retour du charbon, une énergie très répandue partout dans le monde mais que la France considère comme désuète pour des raisons culturelles, sans doute liées à l’arrêt de l’exploitation minière. C’est la première énergie en Chine, aux États-Unis et dans d’autres grands pays. La France ne pourra pas faire l’impasse sur cette énergie.

Le rapport que Claude Birraux et moi-même avons remis à l’Office des choix scientifiques et technologiques démontre qu’il existe aujourd’hui des technologies nouvelles, grâce auxquelles le charbon n’est plus le combustible poussiéreux et toxique du xixe siècle. Certes, il rejette encore du CO2, mais de nouvelles techniques d’exploitation, notamment celle de la vapeur supercritique, permettent de limiter les rejets dans l’atmosphère et de mieux séquestrer le CO2.

Je n’insisterai pas trop sur ce point. L’énergie la moins polluante est finalement l’énergie nucléaire. Mais il appartient à l’État d’étudier dans quelles conditions on pourrait organiser un retour au charbon puisque le gaz sera, apparemment, une énergie de moins en moins sûre. Ce retour permettrait précisément de s’adresser à d’autres pays fournisseurs et, donc, de ne pas dépendre de un, deux ou trois fournisseurs. Il faut absolument avoir cette réflexion.

Nous disposions d’outils publics dont nous nous sommes séparés. Ainsi, le secteur « études et prospectives » de Charbonnages de France n’existe plus aujourd’hui. L’entreprise se borne à gérer ce qui lui reste de son patrimoine immobilier.

Monsieur le ministre, de quels instruments de recherche disposez-vous ? On parle beaucoup d’énergies renouvelables – et il s’agit parfois d’énergies anecdotiques –, mais de quels moyens dispose l’État pour étudier des alternatives, voire thermiques, au gaz, qui risque de nous faire peut-être défaut demain ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l’industrie. Christian Bataille me donne l’occasion de faire un tour d’horizon sur la question charbonnière. Nos concitoyens ignorent souvent que nous importons 22 millions de tonnes de charbon par an, une moitié servant à la sidérurgie, où le charbon est indispensable – il n’y a pas d’acier sans charbon –, et l’autre moitié à fabriquer de l’électricité. Certes, la production électrique française est à 80 % nucléaire et à 6 % hydraulique. Mais elle est aussi issue du charbon pour 6 %. Ces 22 millions de tonnes, ce n’est pas rien. C’est cependant peu par rapport à l’époque où Charbonnages de France produisait 70 millions de tonnes et où le charbon était la première ressource énergétique de la vie quotidienne de nos concitoyens.

Aujourd’hui, et quelles que soient les techniques utilisées, le charbon est émetteur de gaz à effet de serre. En moyenne, l’émission, pour l’électricité, est de 0,95 tonne de CO2 par mégawattheure. C’est sans doute mieux que le lignite en Allemagne, encore que cela reste à vérifier… En tout état de cause, les meilleures techniques auxquelles faisait allusion Christian Bataille nous amènent à 0,8, soit le double des émissions dues au gaz, à savoir 0,4 tonne de CO2 par mégawattheure.

Cela étant, le captage de CO2 est possible. À cet égard, l’IFP est, depuis longtemps, très actif dans ce domaine. Je rappellerai qu’il a très bien choisi le lieu d’implantation de son site, puisqu’il s’agit de la commune du président de la commission. (Sourires.) L’Institut ne procède cependant pas à des expérimentations d’injonction de CO2 en couches profondes à Rueil. Il participe plutôt à celles qui s’effectuent au Danemark. L’IFP est en effet connu au plan international comme étant un des leaders dans cette technique, à laquelle il est tout à fait possible de recourir et qui ne constitue pas un prodige. Le problème est de parvenir à un coût économiquement intéressant.

S’agissant d’une production de charbon en France, la question est de savoir comment cette production peut absorber le coût du captage ou des quotas de CO2 qu’il faudra bien acheter pour tenir dans notre plan d’émission de gaz carbonique. En effet, nous ne devons pas dépasser le chiffre total que nous avons fourni à Bruxelles très récemment. Toute activité supplémentaire doit entrer dans l’enveloppe totale.

Voilà les informations que je voulais vous communiquer.

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean Gaubert. Nous le savons tous ici, la provenance des amendements définit parfois la position de la commission et du Gouvernement. Or cela peut être dommage. Je suis ainsi très surpris de l’opposition du rapporteur aux amendements défendus par Daniel Paul. Nous cherchons tous, en effet – je le croyais en tout cas – à obtenir le maximum de transparence et à éviter les conflits d’intérêts. C’est d’ailleurs la philosophie générale de l’Union européenne, même si cela peut paraître parfois contestable, l’intérêt de l’État, donc l’intérêt collectif, méritant, plus que jamais d’être pris en compte.

Je ne comprends pas qu’on puisse rejeter des amendements visant à faire en sorte que les administrateurs d’État nommés ne puissent pas être suspectés d’avoir quelque intérêt dans le secteur énergétique. Ces amendements sont en effet de nature à favoriser la transparence dans les entreprises nationales et s’inscrivent parfaitement dans la tendance actuelle. Ainsi, un arrêt du Conseil constitutionnel de juillet dernier vient de préciser, par exemple, que des parlementaires ne pouvaient pas diriger des sociétés commerciales, même associatives, en relation avec le secteur public. La volonté d’établir une distinction entre les missions des uns et des autres apparaît de plus en plus clairement. Et c’est une bonne chose, selon moi. Je m’étonne donc, sans y voir cependant la preuve de quoi que ce soit, que vous n’acceptiez pas ces amendements. Vous seriez bien inspirés de revoir votre position.

S’agissant de l’avenir, je reviendrai là aussi sur les propos de Daniel Paul. Il est clair que, depuis quelques jours, vous nous faites le coup du GNL. Chacun sait bien ce qu’il faut en penser, notamment en termes de satisfaction énergétique de notre pays. Comme il l’a dit très justement, dès lors qu’il sera possible de choisir le lieu du déchargement, en fonction d’un certain nombre d’intérêts financiers, il n’est pas sûr du tout que ce soit Montoir qui soit choisi, à moins que la France n’accepte de payer cher.

Un tel procédé ne date pas d’aujourd’hui. Je vais vous raconter en effet ce qui se passait il y a quelques années avec les poulets bretons.

M. le ministre délégué à l’industrie. Sur le charbon, j’étais au point. Mais je ne suis pas sûr de l’être sur le poulet breton ! (Sourires.)

M. Jean Gaubert. Monsieur le ministre, ce qui se fait dans un secteur peut être transposable dans un autre.

Les industriels bretons du poulet mettaient des poulets qui n’étaient pas encore vendus dans des bateaux, qui filaient vers les pays du Golfe.

M. le ministre délégué à l’industrie. En Arabie saoudite !

M. Jean Gaubert. Oui, essentiellement. Le système a fonctionné jusqu’au jour où les acheteurs se sont rendus compte qu’ils pouvaient en tirer un profit extraordinaire : il suffisait de s’approcher le plus possible de la date limite de consommation des poulets pour obtenir le meilleur prix. Mais il n’y a pas de date de péremption pour le gaz ! Le bateau pourra donc rester à l’entrée d’un port jusqu’à ce que l’acheteur accepte le prix souhaité par le vendeur. Nous nous retrouverons ainsi, peu ou prou, dans la même situation qu’avec les « feeder » de gaz en provenance de Russie ou d’ailleurs.

Nous n’avons pas forcément de solution. Mais vous, vous ne pouvez pas prétendre que le fait d’avoir du GNL, des bateaux et des terminaux réglera notre problème. C’est un peu moins mal, si j’ose dire. Ce n’est cependant pas une garantie.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Notre amendement visait à envisager les différents cas qui pouvaient poser problème. C’est la raison pour laquelle, selon nous, les représentants de l’État ne pouvaient, ou ne devaient pas, détenir ou avoir détenu d’intérêt dans le secteur énergétique, ainsi que dans le secteur électrique ou gazier, détenir ou avoir détenu d’action d’une entreprise œuvrant dans le secteur énergétique. Il s’agissait de couvrir le maximum de cas.

Je vais vous donner un exemple précis. Il y a quelques années, on m’avait proposé de faire partie du conseil d’administration du port du Havre. Mais le secrétaire général du Gouvernement avait appelé l’attention sur le fait que, étant parlementaire, je ne pouvais pas siéger au conseil d’administration du port du Havre, port autonome, et donc en quelque sorte propriété de l’État. La même vigilance doit aussi prévaloir pour les entreprises énergétiques. Au-delà de tous les textes que vous avez cités, il serait donc normal de veiller à ce que les représentants de l’État n’aient pas eu d’action qui les fragiliseraient au regard de décisions à prendre dans un secteur sensible.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous souhaitons apporter des réponses à nos collègues de l’opposition, même lorsque leurs questions n’ont pas de relation directe avec le débat.

M. Daniel Paul. Je suis complètement dans le sujet !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Oui, monsieur Paul, et sur le fond, nous sommes d’accord avec vos amendements.

M. Daniel Paul. Acceptez-les, alors !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Le rapporteur a été très clair : nous sommes d’accord sur l’objectif, mais vos amendements sont déjà satisfaits.

J’ai sous les yeux l’article 432-12 du code pénal : les cas que vous citez sont passibles de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Les articles 432-12 et 432-13 du code pénal règlent le problème. Dès lors, vos amendements peuvent être retirés. Je crois même que nous avions participé ensemble au débat dans l’hémicycle, voilà quelques années, car ces articles concernent aussi les élus locaux.

Je vais maintenant vous répondre sur le fond, monsieur Paul : non, je n’ai pas une foi inébranlable dans les marchés et je suis convaincu que l’État doit disposer de moyens d’intervention pour prévenir les excès des marchés. Je ne suis pas un libéral échevelé…

M. Daniel Paul. Pas encore échevelé !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous me qualifiez de gaulliste : j’accepte ce qualificatif qui m’honore. Je souhaite que l’État ait la possibilité d’intervenir. Ce qui nous différencie, c’est que vous voulez placer le curseur à 100 %.

M. François Brottes. Libéral malgré lui !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Tout à l’heure, dans sa réponse, le ministre a évoqué Charbonnages de France. Je voudrais risquer un parallèle, en espérant qu’il ne suscitera pas de polémiques.

À l’époque, le service public de l’énergie comprenait trois piliers – Charbonnages de France, GDF et EDF – qui servaient à satisfaire les besoins immédiats. Lorsque vous étiez au pouvoir, vous ne vous êtes pas opposés – nous non plus, et je n’accuse personne – aux fermetures regrettables mais inévitables des sites et à la fin de Charbonnages de France. Nous avons tous été obligés de nous adapter à une évolution inéluctable…

M. François Brottes. Je ne vois pas le rapport !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Il est pourtant direct : lorsqu’une situation évolue de manière radicale – comme, aujourd’hui, celle du marché mondial du gaz et de l’électricité –, on n’a d’autre choix que de s’adapter, en faisant en sorte de préserver au mieux ses intérêts. On le fait avec ses convictions, son imagination et sa sensibilité, mais sans oublier la réalité. Nous ne faisons pas autre chose en donnant à Gaz de France les moyens de devenir un champion européen du gaz…

M. Daniel Paul. Pour le privatiser !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques …et nous anticipons les problèmes qu’il ne manquera pas de rencontrer si nous ne faisons rien.

Je ne voudrais pas que Gaz de France rencontre au cours des prochaines décennies les mêmes problèmes que Charbonnages de France et que notre pays dépende de Gazprom pour tous ses approvisionnements. M. le ministre a indiqué que nous importions aujourd’hui 22 millions de tonnes de charbon par an ; pourtant, Charbonnages de France a cessé son activité.

Évitons de jeter la pierre pour des motifs purement idéologiques, monsieur Paul ! Je comprends votre argument, mais je ne le partage pas. J’admets que vous ne partagiez pas nos convictions, mais je n’accepte pas que vous ne teniez pas compte de la réalité.

J’en viens à la question des méthaniers errants…

M. Daniel Paul. Je n’ai pas parlé de méthaniers « errants » !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je les qualifie ainsi pour forcer le trait… Ce sont des méthaniers errants dans la mesure où ils attendent qu’on les sollicite pour vendre la ressource aux enchères. Cela ne concerne que les surplus de production, car les sociétés sont liées par des contrats de fourniture. Le gaz naturel liquide fait incontestablement l’objet de contrats, et ceux-ci doivent être respectés. Et quand les contrats sont respectés, ces méthaniers ne sont pas errants puisque personne ne peut les dérouter. Si un méthanier doit aller à Zeebrugge, il ira pour respecter son obligation de fourniture. Ne diffusez pas dans l’opinion des idées fausses !

Je considère que vos amendements sont satisfaits et je demande à leurs auteurs de les retirer. S’ils étaient maintenus, je demanderais à l’Assemblée de voter contre, avant de poursuivre le débat. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je vais appeler l’Assemblée à se prononcer sur les amendements nos 94274 à 94405.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de trente-deux amendements identiques, nos 137451 à 137482.

La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean Gaubert. Avant de défendre ces amendements, je voudrais faire quelques observations au président Ollier.

S’agissant des méthaniers errants, je voudrais demander respectueusement au président de notre commission s’il a jamais eu l’occasion de visiter une société de trading, quelle que soit la marchandise transportée – blé, café ou pétrole. Ce type d’entreprise spécule en permanence, en fonction de l’offre et de la demande.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Cela ne concerne que la ressource hors contrats !

M. Jean Gaubert. Vous savez bien que les contrats de fourniture sont mis à mal. Votre ami Novelli, il y a quelques jours, voulait même les faire sauter, mais son amendement a été opportunément retiré.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. À la demande de notre commission !

M. Jean Gaubert. Je vous en sais gré.

M. François Brottes. Le président Ollier a des moments de lucidité !

M. Jean Gaubert. Par ailleurs, lorsqu’on veut peser, il faut contrôler au moins un bout de la chaîne : s’agissant du gaz, il est exclu de contrôler la production ; dès lors, il est impératif de garder un peu de maîtrise sur la distribution et la fourniture. Si on laisse tomber l’aval, on ne dispose plus d’aucun levier. Chacun doit être conscient de cela. Votre choix est très préjudiciable, comme nous le vérifierons dans quelques années.

Nos amendements visent à faire entrer au moins deux représentants des collectivités territoriales dans le conseil d’administration des sociétés gestionnaires de réseaux de distribution. La loi de 1946 l’avait prévu pour GDF et EDF et nous sommes quelques-uns à avoir siégé dans ces instances. En 2005, un débat a eu lieu, ici même et au Sénat, pour savoir si l’on devait maintenir cette règle. Le Gouvernement a alors fait valoir qu’il y avait un risque de conflit d’intérêts si les responsables des collectivités étaient amenés à mettre en concurrence divers opérateurs tout en restant administrateurs de ces sociétés. Nous n’avons pas contesté cet argument, qui nous paraissait légitime. Les sénateurs, plus pugnaces, ont rétabli cette disposition, tout en lui donnant un caractère optionnel. Finalement, le Gouvernement a décidé de ne pas nommer d’administrateur représentant les collectivités territoriales dans le conseil d’administration de GDF et de EDF. Cette décision est cohérente, comme j’ai eu l’occasion de le dire devant les membres de la FNCCR, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies.

Mais il s’agit aujourd’hui des conseils d’administration des gestionnaires de réseaux, et le débat prend un autre sens, car les sociétés gestionnaires de réseaux n’ont évidemment pas vocation à vendre de l’énergie. Elles sont les partenaires obligés des collectivités et c’est au sein de leurs conseils d’administration que sont décidées les allocations financières, à savoir le poids et la destination des investissements, la sécurisation du réseau – par exemple, doit-on sécuriser un plateau montagnard ou construire des zones industrielles high tech aux portes des villes ? On voit bien que, compte tenu des problématiques abordées, la présence des collectivités territoriales est indispensable et qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts.

Je vous invite donc à voter ces amendements de bon sens, qui permettront aux concessionnaires obligés de peser sur les choix des gestionnaires de réseaux. Sinon, ceux-ci se tourneront naturellement vers les zones qui rapportent, au détriment de l’intérêt de nos concitoyens.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Notre souci de renforcer la présence des collectivités territoriales au sein des conseils d’administration des gestionnaires de réseaux va de pair avec celui de sécuriser autant que possible le dispositif des concessions.

Je reviens un instant sur l’arrêt Coname, l’opérateur italien qui a formé un recours contre la collectivité concédante. Si on n’a pas le contrôle par le haut, autrement dit celui de la société publique chargée de la distribution – contrôle que vous êtes en train d’abandonner –, il faut essayer de mettre en place des contrôles par le bas, et c’est l’objet de ces amendements.

Vous renforcez la fragilité du dispositif. Pour faire plaisir notamment à Jean Dionis du Séjour, vous utilisez à plusieurs reprises le mot « transparence ».

M. Jean Dionis du Séjour. Tout à fait !

M. François Brottes. Or l’arrêt Coname porte justement sur l’obligation de transparence. Pas de publication d’avis de marché, pas d’appel à la concurrence, passation directe et automatique d’un marché avec une nouvelle société privée qui se situe dans un autre périmètre d’action : il est clair qu’il s’agit d’une jurisprudence qui fragilise considérablement les concessions.

M. Breton, avec l’emphase qui lui est coutumière,…

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Merci !

M. François Brottes. …va sans doute nous dire : « Je suis certain que jamais, au grand jamais, ne seront remis en cause les monopoles privés liés à l’exercice des concessions de distribution de gaz. » S’il prononce cette phrase avec solennité, peut-être serons-nous rassurés. En tout cas, l’histoire retiendra – même si ni le rapporteur ni M. Loos ne l’ont dit en ces termes – que le Gouvernement est plein de certitudes. Cela ne nous empêchera pas de douter, mais au moins aurons-nous une référence dans le compte rendu des débats – même si c’est une digue de papiers ! – qui permettra à certains, demain, de plaider leur bonne foi.

Nous souhaitons donc, avec ces amendements, nous doter d’un dispositif de contrôle public par le bas, puisque les digues du contrôle public par le haut sont en train d’exploser avec le présent texte de loi.

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Monsieur le ministre à l’industrie, nous n’avons pas obtenu une réponse satisfaisante de votre part : nous souhaitons être rassurés sur le plan juridique, mais d’une manière un peu plus ferme.

Je voudrais attirer votre attention sur le rapport d’information de la Délégation pour l’Union européenne de notre assemblée relatif au financement des services d’intérêt général, présenté par M. Christian Philip et M. Bernard Derosier en 2005. Ce rapport pose toutes les questions de la compatibilité de notre législation avec les exigences posées par la Cour de justice et la Commission européennes sur le respect des règles de la concurrence, en particulier s’agissant des marchés publics. Il fait état de la décision, mentionnée par François Brottes, concernant l’attribution par une commune italienne d’une concession de gestion de service public de distribution de gaz. Dans cet arrêt, et c’est l’aspect important de notre débat, la Cour de justice est amenée à rappeler le droit primaire – comme d’ailleurs dans ses arrêts précédents. Il existe en effet, sur le plan européen, des règles fondamentales dont on ne peut s’exonérer, au premier rang desquelles figure la règle de la transparence.

Les arrêts successifs rendus concernant des modalités de concession de l’exploitation d’un service public énoncent que, dans tous les cas, même si la procédure du marché public n’est pas un passage obligé, le principe de la transparence s’applique, c’est-à-dire que la connaissance par toute autre entreprise susceptible d’exploiter ce service est un passage obligé, sauf à encourir l’annulation.

Monsieur le ministre, pouvez-vous prendre l’engagement qu’il n’y a aucun risque ? Nous ne voulons pas écarter ce débat qui n’est pas issu du fruit de notre imagination : nous avons été alertés par des initiatives qui pourraient être prises sur le plan juridique, y compris par Gazprom. Notre assemblée prendrait une sacrée responsabilité si, demain, des procédures étaient engagées, car il nous serait alors demandé comment nous avons pu ignorer à ce point l’état de la législation dans un domaine sur lequel les rapports sont nombreux ! Le rapport d’information sur le financement des services d’intérêt général de notre assemblée est le plus récent, et il rappelle des principes. Or le dispositif que vous nous proposez aujourd’hui va à l’encontre de ces principes.

Monsieur le ministre, nous souhaitons obtenir une réponse très précise de votre part : considérez-vous qu’il n’y a aucun risque de cette nature ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Deux sujets ont été évoqués.

M. François Brottes. C’est pour gagner du temps !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Monsieur Vidalies, je rappelle très clairement – cela a été redit hier et vient d’être répété par le ministre – que cette loi ne modifie en rien le monopole des concessions d’électricité et de gaz. EDF garde le monopole pour l’électricité, Gaz de France pour le gaz. Cette confirmation est solennelle : elle figurera au Journal officiel.

M. François Brottes. La privatisation change tout !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Le précédent que vous citez concernant l’Italie n’a strictement rien à voir : le contexte est tout à fait différent et ne peut en aucun cas être transposé. Notre organisation date de 1946 et repose sur des fondamentaux que l’Italie ne connaît pas.

M. François Brottes. Mais, précisément, vous modifiez la loi de 1946 !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. S’agissant des amendements en eux-mêmes, monsieur Gaubert, il ne faut pas mélanger les genres ! Je suis particulièrement surpris de vous entendre développer des thèses dont les prolongements pourraient en surprendre plus d’un !

En l’occurrence, la collectivité est la détentrice du droit de concéder, elle est donc l’autorité concédante. En aucun cas, cela ne la conduit à être actionnaire et à siéger dans un conseil d’administration. Vous affirmez qu’à partir du moment où un lien existe entre elle et une activité, elle doit figurer dans les organes de décision ! Selon vous, parce qu’elle signe, en tant qu’autorité concédante, un contrat avec un concessionnaire, elle devrait être juge et partie ! Mais alors allez jusqu’au bout de votre raisonnement : demandez à faire partie du conseil d’administration d’une entreprise que vous accueillez sur le territoire de votre commune !

M. Jean Gaubert. N’importe quoi !

M. François Brottes. Nous parlons de concession !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Monsieur Gaubert, vous vous êtes laissé aller sur ce thème de façon assez lyrique et je reprends exactement vos termes !

Il y a une ligne de partage très claire entre l’autorité concédante – une concession est détenue par une collectivité – et le concessionnaire qui, en vertu du contrat, exécute une mission que lui a confiée la collectivité. En aucun cas, on ne peut franchir cette frontière. Je m’étonne de la confusion des genres que vous voulez entretenir avec vos amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Le sujet est très spécifique, et je rejoins l’argumentation du rapporteur.

Nous nous demandons si vous ne souhaitez pas, à travers tous vos amendements, entretenir la confusion dans l’esprit de nos concitoyens. Pour notre part, nous essayons de dire qui fait quoi, qui est responsable de quoi, qui prend l’engagement de faire tel investissement et nous faisons en sorte de mettre de l’ordre dans les responsabilités. Lorsqu’une commune passe un contrat de concession avec un organisme, elle n’a pas à siéger au conseil d’administration de ce dernier ! En matière de répartition des responsabilités et de clarification des compétences, on ne peut pas faire plus simple !

Je m’étonne de votre insistance. Vous avez vous-même rappelé la constance du Gouvernement, qui n’a jamais souhaité que les collectivités locales aient des représentants dans les GRD. Je vous confirme donc la position du Gouvernement, même si elle me paraît d’une évidence absolue.

S’agissant de l’arrêt Coname, Jean-Claude Lenoir a également parfaitement répondu. Cet arrêt est fondé sur les traités européens, notamment le traité de Rome, qui s’appliquent dans la matière, mais pas dans la nôtre puisque notre loi de 1946, bien connue de la Commission européenne, continue de s’appliquer. Pensez-vous que les discussions qui ont eu lieu pour la préparation des directives sur l’électricité et sur le gaz se sont déroulées sans que cette question ne soit connue de la Commission ? Pensez-vous que ce que nous disons ici restera ignoré de la Commission ? En vertu de notre loi de 1946, l’arrêt Coname ne peut pas faire jurisprudence en France.

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean Gaubert. Décidément, nous avons du mal à nous comprendre !

Monsieur le ministre, vous venez de nous faire un dégagement sur le « qui fait quoi », important selon vous, mais, il y a dix minutes, vous avez fait le contraire en retoquant l’amendement défendu par Daniel Paul sur l’indépendance des administrateurs d’État ! Le « qui fait quoi », c’est bien cela ! Cet amendement visait à que les administrateurs d’État soient complètement indépendants, et donc ne puissent pas être taxés d’avoir des intérêts particuliers. Or vous répondez que ce n’est pas nécessaire. Quand il s’agit des collectivités territoriales, vous développez une argumentation contraire !

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, notre débat ne porte pas sur une société commerciale : il s’agit d’un concessionnaire obligé, il n’y a pas d’appel à la concurrence, et c’est tout notre débat ! Il ne peut donc pas y avoir conflit d’intérêt. Par contre, il y a des arbitrages, en particulier territoriaux, qui sont pris chez le gestionnaire de réseau, et s’ils sont pris par quelques fonctionnaires parisiens, le territoire a beaucoup à craindre ! Croyez-en ma très grande expérience dans ce domaine !

Ou alors, monsieur le ministre, plus grave : nos craintes sont totalement justifiées. Si vous pensez au vrai conflit d’intérêt, cela veut dire que vous imaginez que, dans quelques mois ou quelques années, il y aura effectivement mise en concurrence des concessions. Dans ce cas-là, effectivement, la présence d’élus territoriaux dans les gestionnaires de réseau pourrait virer au conflit d’intérêt.

Autant j’approuvais l’idée selon laquelle il ne peut pas y avoir de représentant des collectivités dans EDF, car les collectivités achètent et, éventuellement, mettent en concurrence, autant je ne comprends pas votre argument qui remet complètement en cause notre droit. Si votre argument tenait, cela voudrait dire qu’il y a des endroits où des conflits d’intérêt sont beaucoup plus importants. Voyez les SEM : les collectivités y sont bien présentes et participent à leurs propres appels d’offre !

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Sur l’application de la jurisprudence européenne, la question est simple, monsieur le ministre. Par rapport à un État de droit et une situation juridique de Gaz de France qui était connue, le fait que Gaz de France devienne majoritairement détenue par des capitaux privés n’aura-t-il juridiquement aucune incidence sur l’application du droit européen ? Vous ne pouvez pas ignorer cette question.

Les rapporteurs de notre assemblée ont considéré que « conformément à la jurisprudence de la CJCE, il est certain que, dans certaines circonstances, l’appel à la concurrence n’est pas obligatoire. C’est le cas lorsqu’une autorité publique a la possibilité d’accomplir les tâches d’intérêt public qui lui incombent par ses propres moyens, administratifs, techniques et autres, sans être obligée de faire appel à des entités externes n’appartenant pas à ses services. C’est aussi le cas lorsque l’autorité publique exerce sur le cocontractant, entité juridiquement distincte du pouvoir adjudicateur, un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services. » C’est donc cette situation, dans laquelle l’État était majoritaire, qui justifiait jusqu’à présent ce que vous considériez comme un ordre juridique établi. Cependant, le raisonnement des deux rapporteurs − appartenant l’un à la majorité, l’autre à l’opposition − fournit une autre analyse de la situation juridique : dès lors que l’opérateur devient majoritairement à capitaux privés, c’est le droit général de la concurrence qui doit s’appliquer. Vous n’éluderez pas cette difficulté, car c’est sur cette base que l’on s’apprête probablement, de l’extérieur, à attaquer la décision que nous prenons aujourd’hui.

M. François Brottes. Bien sûr ! On est mal !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie.

M. le ministre délégué à l’industrie. Nous avons étudié très attentivement ces questions depuis plusieurs mois, pour être sûrs d’agir à bon escient. M. Gaubert a tenu un raisonnement et m’a fait un procès d’intention. En ce qui concerne le raisonnement, il me semble que mon explication est parfaitement claire ; quant au procès d’intention, rien, dans les décisions que nous avons prises, ne permet de l’étayer.

M. Vidalies s’est interrogé sur l’éventuelle remise en question du monopole dès lors qu’il ne s’agit plus d’une société publique. Un avis du Conseil d’État, que nous avions demandé il y a quelques mois et que nous avons transmis aux organisations syndicales lorsque nous les avons reçues, Thierry Breton et moi-même, au cours du premier semestre, est clair et ferme : la Constitution et la loi de 1946 nous permettent de maintenir le monopole. L’avis du Conseil d’État nous donne donc toute la sécurité juridique qui me permet d’affirmer qu’il n’y a pas lieu, en France, d’être inquiet de la jurisprudence Coname.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 137451 à 137482.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 137553.

La parole est à M. Serge Poignant, pour le soutenir.

M. Serge Poignant. Je m’associe à cet amendement de M. Herth. Hier, vous avez bien voulu, monsieur le rapporteur et monsieur le ministre, accepter un amendement prévoyant une exemption fiscale sur le transfert des contrats des distributeurs non nationalisés − les DNN − de moins de 100 000 clients. Avec le présent amendement, je reviens aux DNN de plus de 100 000 clients et propose de ne pas les contraindre à devoir transférer dans la société commerciale les clients situés sur leur territoire et ayant fait jouer leur éligibilité, ce que permet la loi de 1946.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. J’ai déjà annoncé, hier matin, que j’émettrais un avis favorable à cet amendement. Notre collègue Poignant a bien exposé le problème et je ne peux que réitérer cet avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Favorable.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. La préoccupation exprimée par notre collègue Poignant est pertinente, mais, dans la mesure où l’on met en place un système dérogatoire, ne risque-t-on pas de fragiliser juridiquement le dispositif ? Un certain régime sera réservé aux entreprises nationales, voire internationales, et un autre s’appliquera aux DNN ayant une activité locale. Ceux-ci peuvent d’ailleurs, le cas échéant, devenir opérateurs sur d’autres territoires que celui qui, à l’origine, est le leur. Ils s’inscrivent dans un paysage concurrentiel où certains d’entre eux veulent faire jeu égal avec de plus grands opérateurs. Je ne vois pas en quoi vous pourrez imposer cette disposition dérogatoire à la directive. Pouvez-vous nous donner des garanties que vous appliquerez bien le droit européen actuellement en vigueur ?

Il y a là, aussi, une façon de faire sauter le seuil de 100 000 clients. Sans doute, nous ne sommes pas opposés au principe de révision du seuil. J’ai d’ailleurs indiqué que, au sommet européen du 25 novembre 2002, cette disposition était en débat, mais elle n’a pas été remise en cause. Vous avez trouvé là une façon de le faire qui me semble fragile, car les autres opérateurs qui, eux, sont contraints d’appliquer la disposition que vous voulez éviter aux DNN, pourraient porter le fer contre cette disposition dérogatoire. Avons-nous, à ce sujet, la moindre certitude ou ne sommes-nous pas, une fois de plus, sur le point d’adopter un amendement qui fera plaisir mais ne sera pas sécurisé ?

M. Alain Vidalies. C’est quand même un drôle de pataquès !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La limite des 100 000 clients n’est pas du tout la question abordée par cet amendement, qui ne concerne que la fourniture et apporte une réponse pragmatique à un vrai problème.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Nous parlons bien de l’amendement n° 137553 ?

M. le président. En effet.

M. François Brottes. Je lis bien, dans le texte de cet amendement : « La condition de transfert de l’ensemble des contrats de fourniture d’électricité ou de gaz des clients qui ont exercé leur droit à l’éligibilité, posée dans l’alinéa précédent, n’est pas applicable aux distributeurs non nationalisés desservant plus de 100 000 clients sur le territoire métropolitain. » Ce sont donc bien les opérateurs ayant franchi la barre des 100 000 clients qui sont visés. Le rapporteur dit que cela n’a rien à voir : participons-nous au même débat ? Peut-être mon analyse est-elle fausse, mais il n’est pas convenable de me dire que ce n’est pas le sujet.

M. le président. La parole est à M. Serge Poignant.

M. Serge Poignant. L’amendement concerne bien, en effet, les opérateurs de plus de 100 000 clients qui ont l’obligation de la séparation juridique : la loi d’avril 1946 offre la possibilité de transférer dans la société en cause les clients ayant fait jouer leur éligibilité.

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Le sujet mérite un éclaircissement de la part de M. le ministre. Nous ne faisons pas, semble-t-il, la même lecture de cet amendement. Je crois comprendre qu’il concerne les distributeurs non nationalisés de plus de 100 000 clients et qui créent une société commerciale. Les contrats de fourniture d’électricité des clients qui avaient fait jouer leur éligibilité sont transférés du DNN à la société commerciale. C’est ce transfert qui serait exonéré de taxes. Si ce n’est pas le cas, merci de nous apporter des explications, car cet amendement donne lieu à des lectures un peu confuses.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie.

M. le ministre délégué à l’industrie. Quoique je ne sois pas l’auteur de l’amendement, je voudrais dire comment je comprends le dispositif, pour qu’on n’aille pas chercher des problèmes là où il n’y en a pas. Aujourd’hui, la loi de 2000 veut que, lorsque les DNN sortent de leur zone de concession, ils doivent créer une société commerciale. Ils ont donc des clients dans leur zone d’origine et dans leur société commerciale. Il a d’abord été envisagé que les clients de la zone d’origine passent dans la société commerciale. L’amendement considère que ce n’est pas nécessaire, qu’il n’y a pas d’obligation à faire ce transfert de clientèle, et qu’il vaut mieux laisser aux DNN la plus grande simplicité de gestion de leur clientèle. C’est un amendement de bon sens, qui ne change rien à la règle des 100 000 : à ma connaissance, ce chiffre n’entre d’ailleurs en contradiction avec aucune directive européenne.

M. le président. La parole est à M. Serge Poignant.

M. Serge Poignant. Je voudrais répondre à notre collègue Dionis du Séjour qui, je crois, a confondu avec un autre amendement.

M. Jean Dionis du Séjour. En effet, j’ai confondu avec l’amendement n° 137543 !

M. Serge Poignant. Nous sommes donc bien d’accord. Le ministre a parfaitement expliqué qu’il s’agit simplement de donner aux DNN la possibilité de ne pas transférer dans la société commerciale les clients qui ont fait jouer leur éligibilité. Ce n’est rien d’autre que cela.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 137553.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 6, modifié par les amendements adoptés.

(L’article 6, ainsi modifié, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Monsieur le président, en vertu de l’article 58, alinéa 3 du règlement, je demande une suspension de séance technique.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures vingt-cinq, est reprise à onze heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous en venons aux amendements portant articles additionnels après l'article 6.

Après l'article 6

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 137561.

La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le soutenir.

M. Jean Dionis du Séjour. Si vous le permettez, monsieur le président, je défendrai en même temps l'amendement n° 137562. Les deux amendements traitent en effet du même problème, celui du statut des réseaux de transport du gaz naturel.

Ces réseaux représentent, ce qui n'est tout de même pas rien, 31 559 kilomètres de gazoducs, vingt-sept stations de compression et à peu près 280 millions d'euros d’investissement par an. Or, en 2001, lors de l'examen de la loi de finances rectificative de 2001, une décision bizarre a été prise les concernant.

Quelle était la situation avant 2001 ? Le régime qui s'appliquait en la matière était celui de la concession : l'État, qui avait la propriété des réseaux de transport, les concédait aux différents opérateurs – Gaz de France, mais aussi Gaz du Sud-Ouest, opérateur que nous connaissons bien en Aquitaine. Nous nous sommes donc, Charles de Courson et moi-même, penchés sur ce qui était survenu en 2001, à savoir le passage, avec l'adoption de l’article 81 de la loi de finances rectificative de 2001, d'un régime de concession à un régime de distribution, l'État étant ainsi habilité à vendre à GSO le réseau de transport que cette entreprise utilisait et à transférer à Gaz de France le réseau qui correspondait à ses activités.

Ce changement était habillé, comme souvent d'ailleurs en pareil cas, d'un procès en euro-compatibilité. L'Europe, disait-on, n'aime pas le régime de concession. Dans les débats de l'époque, que nous avons consultés, on mettait ainsi en cause la directive 98/30/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998.

Or, nous avons lu dans le détail cette directive – c'est une manie chez nous de tout bien étudier : elle ne remet absolument pas en cause ce régime de concession. Au contraire, dans son article 4, elle assimile les concessions, dont elle reconnaît ainsi la validité sans en exiger d'aucune façon la résiliation, à des autorisations de construction ou d'exploitation d'installation de gaz naturel.

Le vrai motif du changement était donc ailleurs : soulager un peu les finances publiques, grâce à l'opération avec GSO, et consolider le haut de bilan de Gaz de France.

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’au regard de l’histoire, et notamment de ce qui se passe aujourd’hui, cette initiative n’a pas été heureuse. En effet, en termes d’indépendance énergique et de maîtrise des leviers par l’État, ce sera l’objet de notre débat à l’article 10, notre position serait beaucoup plus solide si, aujourd’hui, le réseau de transport était, comme le réseau autoroutier par exemple, sous le régime de la concession.

En réunion de commission, nos collègues socialistes nous ont rétorqué, et ils le répéteront certainement, qu’à l’époque, GDF était une entreprise publique. Honnêtement, je pense que cette initiative a été, pour le moins, une grosse imprudence.

Maintenant, nous y sommes, et la question se pose de ce qu’il faut faire alors que la perspective est quand même la privatisation de Gaz de France. Dans cette perspective-là, et pour préserver notre indépendance énergétique et, surtout, pour que l’État demeure, sur le long terme, l’acteur de la politique énergétique de la France, je crois qu’il faut revenir au plus vite au régime de concession.

Tout cela, ça s’organise. Nous, nous demandons juste que le Gouvernement s’engage dans cette direction, en supprimant l’article 81 de la loi de finances rectificative pour 2001 – c’est l’objet de l’amendement n° 137561 – et en nous disant comment on pourrait revenir au régime de concession – c’est l’objet de l’amendement n° 137562. Cela est, à notre avis, très important et très faisable. Encore faut-il en avoir la volonté politique.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Comme le souligne notre collègue Jean Dionis du Séjour, cet amendement est très important, pour des raisons qui vont au-delà de l’amendement lui-même.

L’amendement n° 137561 de M. de Courson revient sur la disposition contenue dans la loi de finances rectificative pour 2001, c'est-à-dire, concrètement, l’acte par lequel le gouvernement de M. Jospin a privatisé le réseau de transport du Sud-Ouest. Cet amendement n’a aucune portée juridique.

M. Jean Dionis du Séjour. Il enclenche un processus.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Sa seule portée serait d’exprimer que vous voulez renationaliser le réseau de transport – ce que vous ne pouvez pas faire, car l’article 40 de la Constitution s’y opposerait.

M. Jean Dionis du Séjour. Ce n’est pas ce que nous demandons.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. En revanche, les auteurs de l’amendement ont raison de poser la question sur les motivations qui ont poussé le gouvernement socialiste à privatiser le réseau de transport. Ce n’est pas moi qui y répondrai, d’autres s’y emploieront.

Avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Le Gouvernement est également défavorable.

Un choix a été fait, sur lequel on peut se poser des questions en effet, mais revenir en arrière serait extrêmement coûteux parce que l’ensemble de ces réseaux valent peut-être plusieurs milliards. Ne serait-ce que de ce point de vue, la question est très difficile à régler.

Le choix qui a été fait ne pose pas de problème aujourd’hui. Les amendements qui nous sont proposés sont l’expression d’un autre choix mais ne sont pas la résolution d’un problème.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Ce n’est pas la première fois que nous avons ce débat. Avec beaucoup de malice, le rapporteur essaie de repasser à d’autres la patate chaude mais il faut que vous preniez vos responsabilités dans cette affaire.

Le choix stratégique du gouvernement précédent consistait à maintenir et à développer de grands opérateurs publics de l’énergie. C’est d’ailleurs toujours ce que nous souhaitons : le maintien et le développement d’un pôle public de l’énergie avec de grands opérateurs publics de l’énergie à vocation certes nationale d’abord mais – pourquoi pas ? – au-delà, dans l’univers impitoyable qu’est celui du monde de l’énergie.

Non seulement nous n’avons eu comme perspective, pour reprendre les termes utilisés par mes collègues tout à l’heure, la privatisation de Gaz de France, mais nous avons fait en sorte de muscler ce grand opérateur public de l’énergie en intégrant, dans ses actifs, les infrastructures de réseaux parce que notre approche est celle d’opérateur public intégré. Un opérateur public intégré doit pouvoir gérer le dispositif, de l’amont à l’aval. Et le réseau fait partie intégrante de cette approche.

Il n’y avait aucune malice de ce point de vue, notre initiative était cohérente par rapport à un projet de maintien et de développement de grands opérateurs publics. Derrière, c’est une autre majorité, qui a la privatisation chevillée au corps de façon tout à fait obsessionnelle, étage après étage, domaine après domaine, qui s’est saisie de cela pour brader la totalité du dispositif. Non seulement nous le déplorons et nous le condamnons, mais nous ne cesserons de nous y opposer et nous ferons en sorte que ce ne soit pas irréversible.

Pour autant, Jean Dionis du Séjour a raison de le dire, c’est faire preuve d’un grand culot, monsieur le ministre, de prétendre que nous ne risquons rien parce que la loi de 1946 nous protège alors que vous remettez en cause, que, en réalité, vous ébranlez les fondements mêmes de cette loi en privatisant Gaz de France. Nous ne pourrons plus faire référence à la loi de 1946 puisqu’il n’y aura plus d’opérateur public, de service public. Non seulement vous démantelez cette entreprise nationale, mais vous cassez également tout le dispositif juridique qui protégeait les missions de service public.

C’est un mauvais procès que nous fait le rapporteur. M. Dionis du Séjour, lui, fait une proposition cohérente avec d’autres qui seront faites plus tard en demandant que le réseau de transport soit public.

M. Jean Dionis du Séjour. Oui !

M. François Brottes. C’est une solution de repli par rapport à ce que nous préconisons et que nous avons mis en œuvre, c'est-à-dire deux grands opérateurs publics nationaux intégrés.

La réponse du rapporteur est, je dirai, malicieuse, pour ne pas être désagréable à son égard.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je vous reconnais bien là.

M. François Brottes. Mais, très honnêtement, elle n’est pas à la hauteur du mauvais traitement que vous êtes en train d’infliger au service public de l’énergie.

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le ministre, la polémique sur les responsabilités nous concerne peu.

M. Daniel Paul. Oh ! quand même !

M. Jean Dionis du Séjour. Non, vraiment. Je soulignais juste qu’à notre avis, l’opération lancée par le gouvernement en 2001 était pour le moins imprudente. J’observe simplement que, comme vous faisiez partie de la majorité d’alors, vous n’avez pas été très vigilant sur cette affaire-là non plus, monsieur Paul.

M. Daniel Paul. Relisez le compte rendu de nos débats de l’époque et vous verrez.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est une très bonne idée.

Ma question était d’ordre patrimonial. Monsieur le ministre, vous venez de nous dire que les choix n’avaient peut-être pas été les bons, mais que revenir en arrière coûterait cher et que vous n’aviez pas d’argent.

M. le ministre délégué à l’industrie. Cela coûterait des milliards.

M. Jean Dionis du Séjour. J’aimerais que vous nous disiez combien la vente du réseau à GSO a rapporté d’argent à l’État et quels revenus l’État pourrait tirer du droit de péage en cas de retour en arrière. On ne peut quand même pas piloter uniquement avec un montant d’endettement. La récupération d’un réseau qui toucherait des revenus de péage serait-elle une bonne affaire, sur le plan patrimonial ?

Voilà la question qu’il faut se poser. Vous ne pouvez pas, monsieur le ministre, sur une question aussi importante – si on veut progresser en matière d’indépendance énergétique, il faut que l’État récupère la propriété de ce réseau – ne pas répondre aussi sur l’aspect patrimonial.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie.

M. François Brottes. Répondez sans malice, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué à l’industrie. La question de M. Dionis du Séjour est vaste, et je suis conscient que ma réponse sur le coût élevé d’une telle mesure était très partielle. Mais je suis incapable de vous donner, au pied levé, le montant de la transaction de 2001.

Ce que je sais, en revanche, c’est que le dispositif prévu de l’action spécifique permettra de conserver le contrôle de l’ensemble des réseaux de transport. Nous voulons qu’en matière de réseaux de transport, l’État, et pas seulement l’opérateur Gaz de France, soit celui qui décide. Cela nous permettra d’exercer un contrôle ferme et strict. Je pense que je réponds ainsi à la question que vous posez.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est une réponse.

M. le ministre délégué à l’industrie. S’agissant du rapport financier du réseau de transport, je n’ai pas les chiffres sous la main.

M. Jean Dionis du Séjour. Je comprends, mais peut-être pourriez-vous répondre au Sénat par exemple.

M. le ministre délégué à l’industrie. Ces questions méritent d’être traitées dans la transparence, mais non possumus. (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Monsieur le ministre, vous évoquez un contrôle ferme et strict des infrastructures par le biais de l’action spécifique, autrement dit la golden share. Mais nous n’avons pas eu de réponse, ni de votre part ni de M. Breton, sur les précisions que vous auriez apportées au commissaire européen chargé du marché intérieur qui vous a écrit d’une part qu’il n’était pas très favorable au maintien de ce dispositif d’action spécifique – même s’il se dit prêt à accepter une dérogation compte tenu d’une disposition pour Distrigaz – d’autre part qu’il avait besoin de savoir dans le détail ce que la France veut protéger.

Certes, monsieur le ministre, vous vous voulez rassurant, et il n’y a aucune raison qu’on ne vous croie pas, puisque, comme dit Jean Gaubert, vous répondez toujours avec honnêteté, mais, précisément, avez-vous transmis au commissaire européen, qui vous le demandait, le nombre de kilomètres de réseau qui devaient être strictement protégés, si tant est que ce soit efficace, par l’action spécifique ?

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Je voudrais à mon tour saluer la qualité et l’honnêteté des réponses de François Loos durant tout ce débat.

En l’occurrence, il nous fait deux réponses : d’une part, il évoque l’action spécifique, dont nous parlerons amplement lundi, si tout se passe bien, à l’occasion de l’article 10 et nous avons les correspondances entre le commissaire Mc Grevy et vous-même ; d’autre part, il nous dit non possumus, je ne peux pas.

M. le ministre délégué à l’industrie. Je ne sais pas, à ce moment précis.

M. Jean Dionis du Séjour. M. Brottes vous a autorisé à dire que vous ne saviez pas, que vous ne pouviez pas. Donc vous êtes exonéré. Et je comprends très bien.

M. François Brottes. C’est vrai. Cela nous éclaire quand il ne sait pas.

M. Jean Dionis du Séjour. Toutefois, le débat va se poursuivre. Nous n’en sommes pas encore au vote final. Il y a encore l’examen par le Sénat, par la commission mixte paritaire… Le groupe UDF vous demandera combien la vente à GSO a rapporté à l’État et comment s’est passée la vente de l’État à GDF, même si nous avons quelques informations là-dessus, et quels seraient les revenus de l’État en matière de péage. Le rapport d’activité de GDF pour 2005 dont nous disposons montre que l’activité du transport a l’air de rapporter beaucoup.

M. Daniel Paul. Bien sûr ! C’est ce qui rapporte le plus.

M. Jean Dionis du Séjour. Que l’État récupère le transport ne serait donc pas, à notre avis, une mauvaise affaire pour l’État.

La question est de savoir quelle organisation nous voulons. En tout cas, ce n’est pas au niveau patrimonial de l’État que cette opération de retour vers le régime de concession doit être condamnée. Les orateurs du groupe UDF reviendront sur cette question au Sénat, monsieur le ministre, car cela nous semble une opération extrêmement importante.

Il faut avoir une vision cohérente jusqu’au bout et forte sur l’organisation que vous voulez et sur les garanties en matière de sécurité d’approvisionnement. Il nous semble que la maîtrise du transport par l’État dans un régime de concession serait souhaitable. D’ailleurs, nous en serions encore là s’il n’y avait pas eu ce mouvement pour le moins imprudent du gouvernement en 2001.

M. François Brottes. La privatisation, c’est donc du vol.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. C’est un débat intéressant, qui vise à préserver un élément essentiel de l’intégrité d’autrefois de GDF entre les mains de la puissance publique.

Permettez-moi de vous rappeler la réponse de M. Cirelli et M. Mestrallet, lors de leur audition à la commission des affaires économiques, quand je leur avais demandé, entre autres, s’il était envisagé, par le nouveau groupe ainsi créé, de conserver ou non les réseaux.

Je vous renvoie au compte rendu de la commission : si le nouveau groupe perdait le réseau de transport, ont répondu les deux dirigeants, la fusion ne présenterait plus aucun intérêt. On trouvera confirmation de ces propos en disséquant, comme vient de le faire M. Dionis du Séjour, les résultats de GDF : le réseau de transport est une pépite, et de surcroît un élément stratégique essentiel. Aussi la question de son retour dans le giron régalien se pose-t-elle : c’est un point à mes yeux très important que la reprise par l’État, sous des conditions qui restent à examiner, du réseau de transport.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 137561.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trente-trois amendements identiques, nos 232 à 264.

La parole est à M. François Brottes, pour les soutenir.

M. François Brottes. Je me contenterai, pour présenter cet amendement, de reprendre succinctement ce que j’ai dit avec un peu de passion et de solennité tout à l’heure : privatiser une grande entreprise publique nationale de l’énergie comme Gaz de France, c’est mettre à mal les principes fondateurs édictés par la Constitution et par la loi de 1946. Il est paradoxal de se référer sans cesse à cette loi alors que l’article 10 du projet de loi organise le démantèlement et le bradage d’une de nos principales structures d’intérêt public !

Ces amendements tendent donc à réaffirmer que c’est bien dans le cadre d’un monopole de la distribution publique d’électricité et de gaz que sont garanties les missions de service public définies à l’origine par la loi du 8 avril 1946 et confirmées jusqu’en 2005. Si la majorité les votait, elle renoncerait à la privatisation : c’est bien pourquoi nous ne nous faisons guère d’illusions quant au sort qui leur sera réservé.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Défavorable, car ces amendements sont satisfaits : en aucun cas la séparation juridique ne porte atteinte au monopole.

M. François Brottes. Nous en reparlerons !

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean Gaubert. C’est un peu court, monsieur le rapporteur ! Une fois ce texte adopté, il n’y aura plus de distribution publique du gaz, puisque c’est une société privée qui l’assurera. Vous ne pouvez dire que nos amendements sont satisfaits. Nous parlons, nous, de monopole de la distribution publique d’électricité et de gaz, alors que vous allez instaurer un monopole privé de la distribution de gaz.

Il vient un moment où il faut assumer ce que l’on veut faire. Défendez l’idée d’un monopole privé, mais ne dites pas que rien ne change, car c’est faux ! Les choses vont changer : les réseaux de gaz, qui étaient à l’origine propriété de la puissance publique et qui ont été ensuite transférés dans le patrimoine d’une entreprise publique, vont maintenant être donnés à un monopole privé.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements identiques nos 232 à 264.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de trente-trois amendements identiques, nos 6447 à 6479.

La parole est à M. Christian Bataille, pour les soutenir.

M. Christian Bataille. Par ces amendements, nous réaffirmons que la gestion des réseaux doit relever des entreprises publiques.

L’histoire, monsieur le ministre, est faite d’avancées et de reculs, et vos décisions nous plongent malheureusement dans une phase de recul. Jusqu’à présent, on observait un mouvement, que l’on croyait irrépressible, vers la cohérence et l’unité, qu’il s’agisse de nos réseaux de distribution d’électricité et de gaz ou de nos lignes ferroviaires. En d’autres termes, l’histoire avait un sens ascendant. Le temps n’est pas si éloigné où notre réseau était parcellisé en de multiples concessions privées. C’était le cas dans ma région, avec les Chemins de fer du Nord par exemple, ou pour la distribution d’électricité dans le Cambrésis.

L’unification des réseaux apporte plus de cohérence, mais aussi plus de sécurité. Il est donc important que les pouvoirs publics aient la maîtrise de toutes les infrastructures, dont les tuyaux de gaz. Les réseaux sont en effet fréquemment imbriqués : voirie, tuyaux, tout cela ne fait qu’un.

Et qu’en sera-t-il de l’entretien des réseaux ? Veut-on reproduire en France l’exemple américain ? Je sais que ce rappel agace les libéraux, mais il n’est pas excessif. Les États-Unis se sont voulus le laboratoire de la privatisation des services publics. Or ce que l’on y a vu dépasse l’entendement : non seulement des chaussées mal entretenues, des routes cabossées – c’était le lot courant –, mais aussi des ponts interdits à la circulation, des ponts qui s’écroulent !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Au moins, en Corée du Nord, les infrastructures tiennent !

M. Christian Bataille. Quelle garantie a-t-on que GDF-Suez apportera le même soin méticuleux que le service public à l’entretien de ces réseaux ? La modernisation se poursuivra-t-elle au même rythme ? Continuera-t-on de remplacer les réseaux peu sûrs en fonte grise ?

M. Jean-Pierre Gorges. C’est fait !

M. Christian Bataille. Ces préoccupations traduisent l’attachement de notre groupe à la maîtrise par les pouvoirs publics et par les capitaux publics des infrastructures et des réseaux de transport de gaz.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Elle a émis un avis défavorable. L’adoption de ces amendements obligerait l’État soit à racheter les actions détenues par les actionnaires minoritaires d’EDF – dont celles du personnel – et donc à renationaliser l’entreprise, soit à retirer à EDF la concession de la distribution d’électricité. Je doute que ce soit le but recherché par les auteurs !

Soulignons par ailleurs, à l’intention de M. Bataille, que la concession de la distribution ne se fait pas au seul profit des entreprises publiques, comme l’atteste le cas particulier des SICAE.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Défavorable, pour les mêmes raisons et pour celles que j’ai exposées précédemment.

Je veux indiquer à M. Bataille que j’ai décidé la suppression des fontes grises sur l’ensemble des réseaux français à échéance du 31 décembre 2007. Voilà une décision nécessaire, régalienne et on ne peut plus sécuritaire !

Je puis à présent donner à M. Dionis du Séjour les chiffres qu’il demandait.

M. Jean Dionis du Séjour. Non possumus ! disiez-vous…

M. le ministre délégué à l’industrie. Eh bien, maintenant, possum ! (Sourires.)

En 2001, la commission Houri, nommée par le gouvernement Jospin, a estimé la valeur des différents réseaux. Elle a évalué celui de GDF à 5,042 milliards d’euros, celui de Gaz du Sud-Ouest à 498 millions et celui d’Elf-Aquitaine à 22 millions. Le transfert aux opérateurs s’étant accompagné d’une décote correspondant à l’indemnité de résiliation anticipée des concessions, le solde pour l’État a été de 109 millions pour GDF, de 5 millions pour GSO et de 0,6 million pour Elf-Aquitaine. L’État a donc touché 114,6 millions pour une valeur estimée de plus de 5 milliards.

M. Jean Dionis du Séjour. Une mauvaise affaire, en somme !

M. le ministre délégué à l’industrie. La question des péages demeure ouverte. Je vous donnerai des précisions dès que j’en saurai davantage, ainsi que l’exige la transparence qui est de mise dans notre débat.

M. Jean Dionis du Séjour. Je vous remercie, monsieur le ministre. La question vous sera de nouveau posée au Sénat.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements identiques nos 6447 à 6479.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de trente-trois amendements identiques, nos 6480 à 6512.

La parole est à M. Bruno Le Roux, pour les soutenir.

M. Bruno Le Roux. Ce qu’énoncent ces amendements, nous le répétons régulièrement depuis quinze jours : « La gestion d’un réseau de distribution de gaz naturel doit être assurée par des entreprises ou des organismes à capitaux totalement publics. » Il y va, non seulement de l’intérêt de Gaz de France, mais de l’intérêt de la France. Au moment où se posent la question de la maîtrise des infrastructures, celle de l’investissement dans ces infrastructures et celle de la sécurité des approvisionnements, la gestion publique du réseau de distribution de gaz naturel est un minimum ! Cette proposition, on le sait, s’inscrit dans le cadre plus large que nous opposons au projet de loi, à savoir la constitution d’un pôle public de l’énergie, seul en mesure de relever les défis à venir.

À l’instigation de GDF, je me suis rendu aux États-Unis il y a quelques années pour étudier les questions énergétiques et pour me rendre compte des conséquences de la privatisation sur les réseaux de distribution. Je ne parviens pas à comprendre comment, en si peu de temps, on est passé de missions visant à faire constater les dérèglements, les problèmes de sécurité, les questions laissées sans réponse dans un cadre privé, à un projet qui tend à reproduire cette expérience en mettant à bas un système qui fonctionne bien.

Avec ces amendements, nous soulignons la gravité de ce qui se prépare pour notre pays.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Aujourd’hui, vous défendez la propriété publique des réseaux de distribution, alors que vous avez privatisé une partie du réseau de transport en 2001. Où est la cohérence ?

M. Bruno Le Roux. Ce n’est pas la même chose !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. À plusieurs reprises, vous avez affirmé que l’entreprise publique était une garantie de sécurité. Même si elle fait l’objet d’une recherche permanente – et le ministre a rappelé la décision qu’il avait prise de supprimer les fonds de crise d’ici à la fin de 2007 –, les quelques accidents que nous avons eus à déplorer ne viennent malheureusement pas appuyer votre démonstration.

Enfin, vous dites avoir participé à des déplacements aux États-Unis à l’invitation de Gaz de France. J’aimerais connaître le rapport qui y a fait suite parce que je découvre l’existence de telles initiatives en direction des parlementaires.

M. Bruno Le Roux. Eh oui !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean Gaubert. Je ne peux pas laisser M. le rapporteur dire que nous avons privatisé les réseaux : nous les avons transférés à une société publique, qui était à l’époque un service public.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Non !

M. Jean Gaubert. C’est vous qui, ensuite, en avez fait une SA.

M. le ministre délégué à l’industrie. Et Total ?

M. Jean Gaubert. Que je sache, nous parlons de Gaz de France. D’ailleurs, le transfert à Total ne me paraît pas avoir été une heureuse initiative.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. C’est vous qui l’avez prise !

M. Jean Gaubert. Je l’admets, mais c’est Gaz de France qui nous intéresse ici, et l’essentiel du transfert avait été fait à Gaz de France. À l’époque, c’était un service public, une société nationale. N’entretenez pas la confusion : c’est vous qui avez décidé d’en faire d’abord une SA puis de la privatiser.

S’agissant des décotes, il aurait été intéressant que M. le ministre nous en explique les mécanismes de calcul. Je crois savoir que, pour une partie, elles étaient liées aux investissements faits sur les réseaux par les entreprises concessionnaires. Gaz de France et les autres étant concessionnaires depuis très longtemps, ce sont elles qui ont construit les réseaux. On peut toujours discuter de la somme, mais le principe de ne pas les faire payer deux fois me semble relever de l’honnêteté intellectuelle, qui doit aussi s’exercer en droit des affaires. Sur ce sujet, il n’y a donc pas lieu d’entretenir une polémique.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je comprends la gêne de nos collègues socialistes puisque, en 2001, c’est le gouvernement socialiste qui a privatisé le réseau de transport de gaz du Sud-Ouest.

M. François Brottes. C’est petit !

M. Daniel Paul. Et c’est un mensonge !

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 6480 à 6512.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Mes chers collègues, je ne résiste pas au plaisir de saluer les invités tahitiens de notre collègue Michel Buillard, qui viennent d’arriver dans les tribunes : ia ora na ! (Mmes et MM. les députés et M. le ministre se lèvent et applaudissent.)

M. François Brottes. Cela nous change des propos du rapporteur !

M. le président. Je suis saisi de vingt-deux amendements identiques, nos 94516 à 94537.

La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Je souhaite vous donner lecture du point 2 de l’article 3 de la directive de 2003 sur l’électricité : « En tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité, en particulier de son article 86, les États membres peuvent imposer aux entreprises du secteur de l'électricité, dans l'intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d'approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de la fourniture, ainsi que la protection de l'environnement, y compris l'efficacité énergétique et la protection du climat. Ces obligations sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et contrôlables et garantissent aux entreprises d'électricité de l'Union européenne un égal accès aux consommateurs nationaux. En matière de sécurité d'approvisionnement et d'efficacité énergétique/gestion de la demande, ainsi que pour atteindre les objectifs environnementaux, comme indiqué dans le présent paragraphe, les États membres peuvent mettre en oeuvre une planification à long terme, en tenant compte du fait que des tiers pourraient vouloir accéder au réseau. »

Au moment où l’on modifie les règles du jeu, il convient de garder à l’esprit toute l’étendue de la notion de service public en matière d’électricité. Nous avons souligné tout au long du débat que vous avez vidé de leur substance les missions de service public des entreprises énergétiques puisque, par votre loi d’août 2004, vous avez procédé à leur contractualisation. C’est pourquoi nous tenons à réaffirmer dans la loi les objectifs de service public de l’énergie et les obligations qui incombent aux entreprises du secteur. La directive en laisse la faculté au législateur de chaque État membre et nous vous invitons à utiliser cette disposition, en particulier à l’intention de tout opérateur susceptible d’intervenir suite à l’ouverture du marché à la concurrence.

Vous l’avez compris, il s’agit là d’amendements de repli, car nous ne pensons pas que le cadre concurrentiel soit à même d’assurer les missions de service public, notamment en ce qui concerne la contribution des nouveaux entrants à l’effort de recherche.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Ces amendements visent à faire en sorte que les entreprises fassent le maximum d’effort de recherche, mais elles en font déjà beaucoup. EDF en particulier y a consacré 402 millions d’euros en 2005 et Total 676 millions d’euros. On ne peut pas dire que notre secteur énergétique est mal pourvu.

M. Daniel Paul. Et les entrants ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Ces entreprises participent également à de nombreux programmes de recherche dans les pôles de compétitivité, en liaison avec l’Agence nationale de la recherche. Le dispositif qui existe pour favoriser l’effort de recherche est donc important. À mon sens, laisser aux entreprises le choix des sujets scientifiques sur lesquels elles veulent travailler avec l’ANR est une bonne méthode d’incitation. En tout cas, elle me semble préférable à l’obligation que vous voulez instituer. Je suis donc défavorable aux amendements.

M. Daniel Paul. Et pour les nouveaux entrants ?

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 94516 à 94537.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 137562.

La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le soutenir.

M. Jean Dionis du Séjour. Je remercie le ministre d’avoir donné des chiffres sur la valeur des entreprises, qu’il complétera par les revenus de péage. Le débat est donc lancé, il se poursuivra au Sénat et éventuellement en commission mixte paritaire. Je retire donc mon amendement.

M. le président. L'amendement n° 137562 est retiré.

Article 7

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, inscrit sur l’article 7.

M. Jean Dionis du Séjour. L’article 7 est très important sur le plan social car il concerne les quelque 56 000 agents travaillant à EDF-Gaz de France distribution. C’est pourquoi je me permets d’insister. Nos propos sur cet article, qui peut paraître à première vue mécanique, seront attentivement écoutés ou lus. Nous devons donc preuve de beaucoup de responsabilité et de clarté.

Il y est confirmé que les deux entreprises spécialisées créées pour la gestion du réseau de distribution, de l’électricité, d’une part, et du gaz, d’autre part, s’engagent à faire un GIE commun pour mettre en synergie un certain nombre de prestations.

Cette synergie existe déjà actuellement et fait partie du vécu quotidien à la fois de nos concitoyens qui voient dans les rues les camionnettes bleues marquées EGD, et des agents d’Électricité de France et de Gaz de France.

M. Gaubert a fait observer que Suez a des équipes spécialisées pour le relevé des compteurs d’eau et que la synergie se fait plutôt pour relever le gaz avec l’eau qu’avec l’électricité. S’il y a fusion entre GDF et Suez, la nouvelle entité ne va-t-elle pas faire appel à ces équipes spécialisées pour effectuer le relevé des compteurs d’eau ? Il me paraît important d’essayer d’éclairer un peu la route. Que deviendront alors le GIE et ses 56 000 agents ? Nous orientons-nous vers un processus de dissociation progressif, lent, où toute l’attention nécessaire sera portée aux personnels ? Si tel est le cas, il faut le dire.

Dans son rapport d’activité pour 2005, Gaz de France indique, à la page 27, que, pour assurer la gestion directe en 2007, l’entreprise « va se doter de ressources en propre d’accueil clientèle, en adaptant notamment 32 sites d’accueil-gestion issus d’EDF-Gaz de France distribution ».

On voit bien que nous allons entrer, sous l’effet, d’une part, de la concurrence que se feront les deux fournisseurs d’électricité que seront Électricité de France et Gaz de France-Suez, et, d’autre part, de la synergie nouvelle qui existera entre Suez et Gaz de France, dans un processus de dissociation.

Dès lors, quel discours tient-on aux 56 000 agents d’EGD sur les évolutions de leur fiche de paie ou de leur environnement de travail, dans l’immédiat et à moyen terme ? Ils ont réellement besoin d’un discours de vérité.

Comme vous, j’ai reçu longuement les syndicalistes et l’encadrement, qui, je dois le dire, ont fait preuve de beaucoup de responsabilité. Ils constatent que la dissociation est déjà engagée sur le terrain et nous demandent donc de leur dire la vérité. L’encadrement de la direction départementale d’Électricité de France et celle d’EGD du Lot-et-Garonne ont fait remarquer que, s’il reste encore une synergie de management, dans les autres domaines – mis à part peut-être pour le relevé des compteurs où il existe encore une synergie, même si, comme Jean Gaubert nous l’a expliqué, la synergie entre les compteurs de gaz et d’électricité va être attaquée par celle sur celle entre les compteurs de gaz et d’eau – le processus de dissociation est en marche.

Au-delà de l’affirmation sympathique de l’article 7 et de la construction juridique un peu exotique du GIE – il est dénué de personnalité morale et n’est pas une filiale –, que va-t-il advenir du vécu commun auquel sont attachés 56 000 agents et énormément d’élus locaux ?

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Je demande une brève suspension de séance.

M. le président. La suspension de séance est de droit.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à douze heures trente-huit.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Compte tenu de l’heure et de quelques difficultés techniques pour réunir les documents utiles à la poursuite du débat, je souhaite, si cela est possible, que la séance soit levée.

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour
des prochaines séances

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 3201, relatif au secteur de l’énergie :

Rapport, n° 3278, de M. Jean-Claude Lenoir, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,

Avis, n° 3277, de M. Hervé Novelli, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures quarante.)