Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus intégraux (session extraordinaire 2005-2006)

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire
Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du lundi 25 septembre 2006

29e séance de la session extraordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE MAURICE LEROY,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

énergie

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au secteur de l’énergie (nos 3201, 3278).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Vendredi après-midi, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles, s’arrêtant à l’article 10.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour un rappel au règlement.

M. Daniel Paul. Monsieur le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, vous avez participé, hier soir, à un débat retransmis par une grande radio nationale, un grand journal et une grande chaîne de télévision.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Il a été remarquable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Daniel Paul. Au cours de cette émission, vous avez bien sûr été interrogé sur la privatisation de GDF et sa fusion avec Suez. On sait que le Gouvernement n’est pas très à l’aise sur ce dossier, ce qui peut se comprendre. Vous êtes confronté à l’opposition d’une majorité de la population comme le montrent toutes les enquêtes d’opinion depuis un mois et à celle de tous les syndicats de GDF et de Suez. En outre, la privatisation n’a pas été demandée par la Commission européenne, il s’agit d’une initiative française. En 2004, M. Sarkozy, alors ministre en charge du dossier, avait engagé sa parole et celle de l’État sur le maintien majoritaire de l’État dans le capital de GDF. Les prétextes à la privatisation et au projet de fusion qui suivra ont varié au fil des mois et en fonction des critiques émises. La lettre de griefs de la Commission européenne et la réponse commune de GDF et de Suez démontrent quelles graves conséquences auraient la privatisation et la fusion pour notre pays et ces deux entreprises : cession d’actifs, renoncement à d’importants projets d’investissement – comme à Antifer, près du Havre, où il est scandaleux, monsieur le ministre, que GDF n’ait pas répondu à l’appel d’offres de création d’un port méthanier –, réduction d’emplois, estimée à 20 000 par les syndicats. Pour compléter le tout, l’UMP se retrouve seule et divisée sur ce projet, aux côtés des opérateurs financiers et du MEDEF, on le sait, attirés par les profits espérés.

À ces éléments objectifs, connus de tous, vous avez voulu ajouter, hier soir, un argument supplémentaire : l’impossibilité d’une solution alternative à la privatisation-fusion sous la forme d’un rapprochement naturel d’EDF et de GDF. Vous avez invoqué le rapport contestable et contesté de la commission Roulet – commission à laquelle j’ai participé avec Christian Bataille, ici présent –, et avez laissé entendre qu’elle aurait conclu à l’impossibilité d’une telle fusion, car la Commission européenne aurait exigé de trop lourdes contreparties. Or vous savez parfaitement que rien n’a jamais été demandé sur ce point à la Commission européenne !

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Ce n’est pas sérieux !

M. Daniel Paul. Cela vous permet de nourrir à présent les fantasmes. Vous avez laissé entendre que l’analyse avait été partagée, que les conclusions avaient été unanimes.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Non !

M. Daniel Paul. Ce sont des mensonges, monsieur le ministre. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Faut-il que vous rencontriez des difficultés sur ce projet pour user de tels procédés ! Je n’ai pas partagé les conclusions de la commission Roulet et je n’ai pas été le seul. Mais la composition de cette commission était telle que les opposants ne pouvaient nourrir aucun espoir !

Je souhaite que notre débat ne soit pas biaisé par ces procédés. Nous avons, pour notre part, l’intention de défendre pied à pied et dignement nos arguments contre votre projet et de faire valoir une solution alternative qui permette, dans les conditions actuelles et conformément à ce que disaient nos prédécesseurs de 1946 sur tous ces bancs, de préserver l’énergie de la pression des intérêts privés. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour un rappel au règlement.

M. François Brottes. Nous commençons la vingt-huitième séance de travail sur ce texte. Certains évoquent le fait que d’aucuns, ici, auraient baissé les bras. Ce texte, je vous le rappelle, devait être voté vendredi dernier, le 22 septembre. Neuf articles ont été examinés en vingt-sept séances. Le débat qui, au demeurant, tout le monde l’a observé, est de grande qualité, nous a permis de démasquer tous les dangers de ce projet. Nous arrivons à présent, avec l’étude de cet article 10, au cœur du projet, à la disposition pour laquelle le Président de la République nous a convoqués en session extraordinaire. Cet article prévoit, en effet, en quelques mots de procéder à la privation de Gaz de France. Heureusement, en prenant le temps du débat – il n’y a d’ailleurs aucune raison que cela ne continue pas –, nous avons démasqué les dangers du projet. Ainsi, nous avons pu démontrer que le risque était grand pour les familles et les entreprises de voir les tarifs augmenter. Ce sera également bientôt, en vertu d’une certaine jurisprudence européenne, la fin des concessions portées par les collectivités locales en matière de distribution. Nous nous orientons, de plus, vers une fragilisation terrible – je ne trouve pas d’autres mots –, de l’indépendance nationale en matière énergétique, du fait de la concurrence frontale avec EDF, et aussi, comme vous l’avez vous-même avoué, monsieur Breton – je ne sais pas si c’était dans l’émission à laquelle faisait référence mon collègue Paul ou dans une autre –, et du caractère « opéable » du groupe ainsi fusionné. Gazprom et quelques autres sont aguets ; cette fragilisation est donc bien réelle.

Nous avons également pu suffisamment mesurer, d’où notre inquiétude, le démantèlement de Gaz de France, entreprise nationale de service public de l’énergie, alors que, six mois avant même que le Premier ministre décide d’en proposer la privatisation au Parlement, il était encore inscrit dans la loi de 2005 qu’elle était seule garante du bon exercice du service public de l’énergie, ce dont nous sommes d’ailleurs convaincus.

Nous examinons donc aujourd’hui le pire aspect de votre texte. En effet, cette privatisation de Gaz de France va s’effectuer sans que nous connaissions précisément les conditions de la Commission européenne. Nous allons le faire à l’aveugle. Vous demandez un chèque en blanc pour sceller les partenariats. Nous ne connaissons pas encore les partenaires et n’avons aucune idée de la façon dont cela se déroulera. Vous allez effectivement nous proposer une minorité de blocage de GDF, mais pas forcément de l’entité fusionnée que vous appelez de vos vœux. Vous allez procéder à cette décision de privatisation sans connaître exactement les exigences finales des actionnaires de Suez. La parité du « un pour un » semble extrêmement menacée.

Monsieur le président, la combativité du groupe socialiste reste intacte pour dénoncer pied à pied les méfaits et les dangers de ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Mesdames, messieurs les députés, nous allons débattre aujourd’hui de l’article 10.

Les débats ont été longs, c’est vrai, monsieur Brottes, plus longs que certains n’auraient pu l’espérer, mais ils ont été, malgré tout, républicains, comme nous l’avons rappelé à plusieurs reprises. Chacun a pu exprimer son opinion, même si beaucoup l’ont fait de manière répétitive, voire très répétitive.

Je ne voudrais pas que l’on commence l’examen de l’article 10, monsieur Paul, sans avoir au préalable relevé les mots que vous venez de prononcer, en particulier celui de mensonge. C’est inacceptable, je tiens à le dire haut et clair. Je voudrais donc rétablir la vérité concernant la fusion, solution tant espérée par certains, entre EDF et GDF. Quelle est-elle ?

M. Christian Bataille. On vous écoute !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous le savez pour y avoir participé, une commission multipartite et indépendante s’est réunie pendant de nombreuses semaines pour discuter de cette question. J’ai ici, monsieur le président de la commission des affaires économiques, le fameux rapport Roulet, qui, certes, n’engage peut-être pas tous les membres de la commission, mais prouve que la commission a fait son travail.

M. Christian Bataille. C’est un rapport interne !

M. François Brottes. Ce n’était pas l’objet de la commission !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je cite les conclusions claires de cette commission non partisane.

M. Christian Bataille. Nous ne les avons pas votées !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. « Dans la limite du champ qui est le sien, la commission a […] déconseillé le recours à certaines options, parmi lesquelles une fusion entre EDF et Gaz de France. » La raison invoquée est que : « Sur un plan industriel […] EDF et Gaz de France ne trouveraient pas nécessairement leur intérêt à ce mariage. » De plus, l’étude juridique très détaillée réalisée par le cabinet Bredin-Prat démontre que les cessions d’actifs minimales seraient de l’ordre de 15 % dans le secteur de l’énergie, y compris des centrales nucléaires,…

M. Christian Bataille. Vous n’avez rien demandé à la Commission !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …ce qui représente entre sept et dix centrales nucléaires.

M. Christian Bataille. Il ne s’agit que d’un rapport d’experts !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Que s’est-il passé depuis ? Entre-temps Électricité du Portugal et Gaz du Portugal ont souhaité fusionner. Cela a purement et simplement été interdit par la Commission européenne et cette décision a été validée par la Cour de justice des Communautés européennes de Luxembourg. J’ai également apporté cette décision ! Voilà le monde dans lequel nous sommes !

M. Christian Bataille. Ce n’est pas convaincant du tout ! Vous n’avez jamais posé la question à Bruxelles concernant GDF et EDF !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Si vous souhaitez démanteler le parc nucléaire français, alors vous pouvez espérer marier EDF et GDF. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ce n’est pas le souhait du Gouvernement ni de la majorité.

Nous voulons préserver EDF ainsi que l’intégrité du parc nucléaire français !

Monsieur le président de la commission des affaires économiques, je vous remets dont ces trois rapports très précis concernant l’impossibilité du mariage d’EDF et de GDF. J’invite ceux qui le voudront à les consulter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Bataille. Cela ne prouve rien ! Nous voulons connaître l’avis de Bruxelles !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Le voici !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. J’apprécie beaucoup, monsieur le ministre, la manière dont vous avez développé vos arguments, qui sont, du reste, ceux que nous avançons depuis près de trois semaines jour et nuit dans cet hémicycle. Et il est vrai qu’aux mêmes questions, nous ne pouvons faire que les mêmes réponses.

Cela dit, l’ensemble des documents que vous venez de donner au président de la commission que je suis interpellent également le rapporteur. Tous n’étaient encore à notre disposition, Nous devons les lire en détail et nous pénétrer de l’ensemble des arguments qui y sont développés.

Pour ce faire, monsieur le président, je vous demande une suspension de séance d’environ une demi-heure.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures quinze, est reprise à quinze heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Merci, monsieur le président, de nous avoir accordé cette suspension de séance qui nous a permis de prendre connaissance de documents extrêmement importants. Nous devions disposer de tous les éléments pour répondre à la question que vient de poser M. Paul, et que certains d’entre vous posent depuis plusieurs semaines déjà.

Je ne voudrais pas que nous abordions cet article 10 avec des idées préconçues et en proposant des solutions impossibles. Le fait de répéter cent fois, mesdames et messieurs les députés, que vous souhaiteriez une fusion EDF et Gaz de France ne la rend pas possible pour autant.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Très bien.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Et dites-vous bien que si cela avait été possible, je suis de ceux qui auraient été favorables à cette solution…

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Moi aussi.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Il ne doit donc y avoir ni soupçons, ni arrière-pensées, ni quiproquo. Nous avons aussi le souci d’être en phase avec les Français. Nous sommes attachés, autant, si ce n’est plus, que certains ici au service public. Je ne souhaite pas que nous entamions la discussion sur ce fameux article 10 sur la base d’un malentendu.

Monsieur Paul, c’est vous qui avez ouvert le débat. La question étant posée, il faut lui apporter une réponse. Je souhaite que le rapporteur le fasse de manière détaillée, avant que nous n’entendions les orateurs inscrits sur l’article.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. À l’ouverture de cette quatrième semaine de débats, je vois avec intérêt que certains de nos collègues nous ont rejoints pour examiner ce qui a été présenté comme l’article phare de ce projet de loi. Néanmoins, je me permets de rappeler – et je le fais, avec sans doute l’appui, même tacite, de ceux qui participent à nos débats depuis l’origine – que nous avons déjà abordé la question de l’organisation générale de notre système électrique et gazier, de même que celle des conditions de maintien des tarifs. Bref, autant de questions centrales dans un débat qui a été ouvert voilà déjà plusieurs mois.

La question que M. Paul a posée a déjà été soulevée.

M. Daniel Paul. Et nous y reviendrons !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Mais le retentissement qui lui est donné m’oblige à répondre d’une façon aussi précise….

M. Julien Dray. Que longue !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. …que nécessaire.

J’essaierai, cher collègue, d’être compendieux.

Je veux d’abord rappeler les conditions dans lesquelles la question se posait au plan européen. Une opération de concentration relève de l’appréciation des services de la Commission Européenne lorsqu’elle a une dimension communautaire, c’est-à-dire lorsque le chiffre d’affaires total réalisé au plan mondial par l’ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 5 milliards d’euros, et que le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans la communauté par au moins deux entreprises concernées représente un montant supérieur à 250 millions d’euros.

M. Julien Dray. Vous avez un problème avec vos notes !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Cher collègue, vous n’êtes pas souvent présent dans l’hémicycle, mais quand vous êtes là, vous voulez que ça se sache et que le Journal officiel en témoigne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Comme vous l’avez relevé, messieurs les ministres et monsieur le président de la commission, une fusion entre EDF et Gaz de France aurait donc une dimension communautaire.

M. Julien Dray. Vous parlez sans savoir !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Cela n’était pas vrai il y a moins de dix ans, avant l’internationalisation particulièrement soutenue des activités d’EDF.

M. Julien Dray. Il est fatigué !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je voudrais aussi vous répondre à propos de la commission Roulet. Je fais appel à la mémoire de ceux d’entre nous qui, comme moi-même, faisaient partie de cette commission, tels que Christian Bataille, François-Michel Gonnot, Daniel Paul. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Christian Bataille. Nous n’avons rien voté !

M. le président. Ménagez-vous, monsieur Bataille ! Vous interviendrez sur l’article.

M. Christian Bataille. Mais il est en train de mentir ! C’est scandaleux !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Le rapport de la commission conclut que « si la Commission européenne mène une analyse de cet ordre, elle pourrait être amenée à demander des contreparties importantes aux deux entreprises, à tous les niveaux de la chaîne de la valeur énergétique, notamment sous forme de cessions de capacités de production. » (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Christian Bataille. Cette commission travaillait sur ordre !

M. Daniel Paul. Un rapport contesté et contestable !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. « L’étude de Bredin-Prat table sur des cessions d’actifs minimales de l’ordre de 15 % pour chacun des acteurs, nécessairement au profit d’un acquéreur susceptible de jouer un rôle de concurrent de la nouvelle entité, donc sans doute un seul acteur, d’origine étrangère ». (Mêmes mouvements.)

Le rapport indique ensuite que « sur un plan industriel d’ailleurs, EDF et Gaz de France ne trouveraient pas nécessairement leur intérêt à ce mariage ». (Mêmes mouvements.)

M. Christian Bataille. Lenoir et Breton sont des menteurs !

M. le président. Vous n’avez pas la parole, monsieur Bataille.

M. Christian Bataille. C’est honteux de dire des choses pareilles !

M. le président. Ce n’est pas une attitude correcte, monsieur Bataille.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Le rapport continue : « les présidents des deux sociétés redoutent que la Commission européenne…

M. Christian Bataille. Vous manipulez la vérité !

M. le président. Si vous continuez, monsieur Bataille, je suspends la séance ! (« Allez-y ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Ce n’est pas correct.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur.… n’impose des cessions encore plus amples que celle qu’anticipe le cabinet Bredin-Prat, analyse partagée par certains membres de la commission. »

M. Daniel Paul. Pas nous !

M. Christian Bataille. C’est le rapport de la droite, un point, c’est tout !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La conclusion des travaux de la commission Roulet est la suivante (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) :

M. Daniel Paul. C’est votre avis ! C’est votre rapport !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. …« dans la limite du champ qui est le sien, la commission a reconnu la pertinence de quelques projets prioritaires et déconseillé le recours à certaines options, parmi lesquelles une fusion entre EDF et Gaz de France. (« Et alors ? » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Écoutez ça, monsieur Bataille !

M. Julien Dray. Ici, ce n’est pas un conseil d’administration !

M. Christian Bataille. Nous n’avons jamais voté ça ! Ce n’est pas un rapport impartial ! C’est votre rapport !

M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Le rapport ajoute que « sur ce point, la commission a été sensible aux risques juridiques qui entoureraient une fusion, et surtout à l’absence d’intérêt stratégique de cette opération pour chacun des deux groupes. Une fusion avec Gaz de France comporterait un risque de lourdes contreparties, et ne répondrait pas aux objectifs de la politique gazière européenne d’EDF, principalement en raison de l’absence de complémentarité géographique entre les deux opérateurs. » (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

J’ajoute que la Cour de justice des Communautés européennes, saisie par les autorités portugaises d’un projet d’acquisition de Gaz du Portugal…

M. Daniel Paul. On n’est pas au Portugal !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur.… par Energias du Portugal, EDP, et l’entreprise italienne ENI a fait connaître dans son arrêt toutes les raisons pour lesquelles elle s’y opposait, et qui figurent dans le document que voici, que vient de me remettre le ministre.

Ce document déclare la concentration par laquelle EDP et ENI Portugal entendent acquérir le contrôle conjoint de Gaz de Portugal incompatible avec le marché commun.

Deux remarques s’imposent…

M. le président. Merci de conclure.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Premièrement, la situation d’EDF et Gaz de France est très voisine de celle du gazier et de l’électricien nationaux du Portugal. Deuxièmement, pour satisfaire les exigences de Bruxelles, EDP et Gaz du Portugal ont dû, sous le contrôle des autorités portugaises, accorder des contreparties dont l’importance a largement dépassé toutes les hypothèses qui ont été formulées dans le cas qui nous occupe.

Ces deux exemples viennent conforter notre refus d’une fusion entre EDF et Gaz de France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Rappels au règlement.

M. le président. La parole est à Mme Ségolène Royal, pour un rappel au règlement.

Mme Ségolène Royal. Je voudrais, avant de développer mon rappel au règlement, saluer tout le travail accompli par le groupe socialiste, en particulier par Jean-Marc Ayrault, son président, et François Brottes.

Je ne reviendrai pas sur la remise en cause du grand principe qui impose qu’on respecte la parole gouvernementale, en l’occurrence celle de maintenir la participation de l’État dans le capital de Gaz de France à hauteur de 70 %. Ce manquement à la parole donnée pose un grave problème démocratique.

M. Alain Gest. Et les 130 000 amendements, ça ne pose pas de problème à la démocratie ?

Mme Ségolène Royal. C’est ainsi qu’on affaiblit la démocratie et la confiance des citoyens dans la parole de l’État.

M. Bruno Le Roux. Très bien !

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Parole d’orfèvre !

Mme Ségolène Royal. La réforme qu’on nous propose est une mauvaise réforme, contraire à l’intérêt de la France, pour trois raisons, qui sont autant de menaces.

C’est d’abord le pouvoir d’achat des Français qui est menacé : on sait que cette réforme aura pour première conséquence une hausse du prix du gaz, qui a déjà augmenté de 30 % en dix-huit ans. Privatiser, c’est céder au marché le pouvoir de fixer les prix, ce qui entraînera forcément une dégradation du pouvoir d’achat. (« C’est faux ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) C’est d’autant plus inquiétant que plus les revenus sont bas, plus la part du budget familial consacrée à la facture énergétique est importante.

C’est ensuite l’autonomie énergétique de la France qui est menacée par cette réforme. (« N’importe quoi ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Tous les Français le comprennent, et aucun de vos subtils arguments ne les convaincra du contraire : rien n’empêchera un actionnaire privé de prendre le contrôle de Gaz de France privatisé.

M. Richard Cazenave. C’est faux !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ce n’est pas un rappel au règlement !

Mme Ségolène Royal. C’est enfin l’avenir lui-même qui est menacé : cette réforme compromet la préparation de l’« après-pétrole », qui suppose au contraire qu’on fasse émerger un pôle public national de l’énergie, en favorisant le rapprochement entre Gaz de France et Électricité de France. C’est ce que proposent les socialistes.

En effet la loi de marché, qui s’imposera avec la privatisation, ne permet pas les investissements et la préparation à long terme nécessaires si on veut pouvoir affronter les lourds problèmes écologiques et de santé publique, et les graves tensions géostratégiques que va provoquer le doublement, d’ici à 2050, de la consommation d’énergie.

Mme Chantal Brunel. Ça n’a rien à voir avec un rappel au règlement !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Ce sont des banalités !

Mme Ségolène Royal. La France ne respecte déjà pas le protocole de Kyoto, qu’elle a pourtant signé. (« N’importe quoi ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. Ah bon !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est nouveau !

Mme Ségolène Royal. Seul un État puissant, capable d’investir massivement dans l’innovation et la recherche permettra à la France, non seulement de respecter ses engagements au regard du protocole de Kyoto, mais également de préparer l’« après-pétrole », en développant massivement les énergies renouvelables.

Vous pouvez, monsieur le ministre de l’économie, mettre fin à ces trois menaces : il vous suffit de retirer votre projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Peu convaincant !

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour un rappel au règlement.

M. Daniel Paul. Les conclusions du rapport Bredin-Prat que vous venez de nous lire, monsieur le rapporteur, nous avaient été imposées par la commission Roulet.

Je rappelle que cette commission s’est réunie à l’initiative de M. Sarkozy, à l’époque ministre en charge du dossier. Cette commission était majoritairement composée de représentants d’EDF ou proches d’EDF. Même si les cinq grandes organisations syndicales étaient également représentées, la position de Christian Bataille, le représentant du groupe socialiste et celui du groupe communiste, moi-même, étaient largement minoritaires.

M. Christian Bataille. Nous n’étions que des témoins !

M. Daniel Paul. Nous étions en effet des témoins.

Je répète que le rapport en question est contestable, et qu’il a été contesté. Preuve en est ces quelques lignes tirées du rapport remis au Conseil supérieur consultatif des comités mixtes à la production d’EDF et de GDF, dont les auteurs sont au moins aussi éminents que le cabinet Bredin-Prat : « Étant toutefois acquis qu’EDF-GDF réalise actuellement plus des deux tiers de leur chiffre d’affaires en France, au sens des articles 1er et 5 du règlement de la Communauté économique européenne du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, la procédure prévue par ce règlement ne serait pas applicable à une fusion des deux entreprises publiques. N’étant pas de dimension communautaire, l’opération échapperait à un contrôle des autorités communautaires de la concurrence, lesquelles ne pourrait par conséquent soumettre la fusion à aucune contrepartie […] En définitive, la fusion d’EDF et de GDF, si elle était toutefois soumise au contrôle de la Commission européenne en matière de concentration devrait assurément s’accompagner d’ajustements correctifs dans certains États membres, où les deux entreprises sont présentes sur les mêmes marchés, et de certaines cessions d’actifs en France. Ces mesures devraient être déterminées préalablement, en conformité avec la stratégie industrielle de l’entreprise fusionnée, qui ne pourrait être une simple addition des stratégies actuelles d’EDF et de GDF. En revanche, l’opération ne donnerait manifestement pas lieu, de la part des autorités communautaires de la concurrence, à l’exigence des contreparties disproportionnées et incompatibles avec la viabilité de l’entreprise fusionnée, dont il est fait état dans les deux études communiquées au conseil supérieur des CMP, voire à une interdiction pure et simple. »

L’étude démontre enfin la possibilité d’une fusion au regard du droit français de la concurrence : dans la mesure où la fusion d’EDF et de GDF ne pourrait être réalisée que par une loi, les règles nationales de la concurrence, qui ne sont pas de niveau supra-législatif, ne pourraient faire échec à une telle opération ou en modifier les termes. Je reviendrai sur cet aspect de la question, car nous sommes là au cœur du débat de l’article 10.

Mais je voudrais pour l’heure condamner à nouveau les propos que vous avez tenus hier soir, monsieur le ministre. ils trahissent la gêne qui est la vôtre face à cette privatisation en vue d’une fusion.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Pas du tout ! Au contraire !

M. Daniel Paul. Comme vous êtes gêné pour toutes les raisons que nous avons déjà exposées, vous cherchez à faire croire qu’il n’y a point de salut hors de votre proposition. C’est le premier mensonge.

Deuxième mensonge : vous cherchez à faire croire qu’il y a eu consensus de cette fameuse commission Roulet…

M. Christian Bataille. Mensonge !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je ne l’ai jamais prétendu !

M. Daniel Paul. Si, monsieur le ministre, vous l’avez dit hier soir, et ce matin tous les commentateurs l’ont relevé. Vous vous êtes livré à un amalgame, laissant entendre que les membres de la commission Roulet qui n’appartenaient pas à la majorité avaient finalement apporté leur accord aux solutions préconisées par cette commission. Or cette commission travaillait sur ordre, afin de faire avaliser par EDF et GDF le plan que vous mettez en œuvre aujourd’hui.

Je voulais, par le biais de ce rappel au règlement, condamner le mensonge que vous avez proféré hier soir, afin que l’examen de l’article 10 ne s’engage pas sur les bases que vous avez voulu jeter hier soir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour un rappel au règlement.

M. François Brottes. Ce rappel au règlement se fonde sur l’article 58, alinéa 3.

Chacun aura compris que la majorité avait bien besoin d’une longue suspension de séance pour que ceux qui, dans ses rangs, contestent le bien-fondé des conclusions du rapport Roulet essaient de convaincre du contraire.

J’ai beaucoup d’estime pour M. Roulet, qui est un grand commis de l’État et que par ailleurs je connais personnellement, car il habite dans la circonscription dont je suis l’élu. (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Mes propos ne le mettent nullement en cause car, dans ce débat, il agissait sur ordre.

Monsieur le ministre, en nous présentant avec votre emphase coutumière des conclusions qui vous arrangent – des conclusions partielles,…

M. Daniel Paul. Partiales !

M. François Brottes. …si ce n’est partiales – vous avez confondu, me semble-t-il, la commission Roulet avec la commission « Roulés dans la farine » ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Cette image prête peut-être à sourire, mais je l’utilise à dessein !

M. Pierre Lellouche. Quel esprit !

M. Arnaud Montebourg. Le calembour est justifié !

M. François Brottes. Votre attitude à propos d’EDF et GDF revient à expliquer à un boulanger-pâtissier qu’on va envoyer son pâtissier dans une autre entreprise et qu’il doit désormais se débrouiller tout seul.

M. Jean-Marc Ayrault. Il est dans le pétrin !

M. François Brottes. La question posée à la commission Roulet était de savoir comment le boulanger-EDF – si j’ose dire – pourra s’en sortir tout seul sur le marché du gaz, de quels fonds propres il aura besoin et combien doit valoir son action pour qu’il puisse mobiliser des investissements suffisants, sachant que vous avez décidé de le séparer de son pâtissier-Gaz de France.

M. Guy Geoffroy. Ce sont les socialistes qui sont dans le pétrin !

M. François Brottes. En réalité, la commission Roulet n’a analysé que le projet industriel et financier d’EDF. La question de l’alliance entre EDF et GDF n’a été envisagée que dans le cadre de la stratégie gazière et en prenant pour seule hypothèse celle d’une fusion totale, qui n’est pourtant pas la seule approche possible pour envisager une telle alliance – que nous sommes, je le rappelle, un certain nombre à défendre sur tous les bancs de notre assemblée.

Nous dénonçons cette façon de présenter les choses. D’autres formes juridiques existent. On peut aussi envisager d’autres approches – par métier, en distinguant par exemple le stockage, le transport et la distribution, ou par marché, en distinguant le gaz et l’énergie ou le marché national et international – pour que l’entité EDF-GDF puisse voir le jour dans une perspective dynamique et positive, afin d’assurer le maintien d’une stratégie maîtrisée au plan national et de garantir le service public de l’énergie.

En tout état de cause, votre manière de vous débarrasser de la question a consisté à conseiller au boulanger de faire du pain brioché. Ce n’est ni sérieux, ni convenable.

Pour permettre au ministre, au président de la commission et au rapporteur de revenir à un débat honnête, je demande une suspension de séance sur le fondement de l’article 58, alinéa 1.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je rappelle que trois éléments ont été portés à la connaissance du Parlement, qui ont déjà été abondamment évoqués et peuvent être consultés sur le site Internet du ministère.

Il s’agit, en premier lieu, des conclusions de la commission Roulet

M. Christian Bataille. Vous voulez dire : le rapport de M. Roulet !

M. Daniel Paul. Le rapport EDF !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur Bataille, soyons honnêtes ! Cette commission, que nous avons voulue transpartisane, a été réunie dans l’intérêt de la nation.

M. Christian Bataille. Nous n’avons jamais voté les conclusions !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Personne n’a contesté les conclusions de cette commission en vitupérant comme vous le faites aujourd’hui.

Le deuxième élément que j’ai tenu à produire pour éclairer les parlementaires est une analyse juridique du cabinet Bredin-Prat,…

M. Arnaud Montebourg. Payée par qui ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …qui démontre avec précision qu’une fusion impliquerait des contreparties représentant au moins 15 % de cessions, soit entre cinq et dix centrales nucléaires. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Tout à fait !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Le troisième élément que je soumets à la réflexion des parlementaires, pour être encore plus précis, est un arrêt de la Cour européenne de justice confortant la décision de la Commission européenne d’interdire purement et simplement la fusion entre Gaz du Portugal et Électricité du Portugal,…

M. François Brottes. Ce n’est pas le même sujet !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …alors même que les contreparties proposées étaient nettement supérieures au chiffre de 15 % de cessions évoqué par le rapport Bredin-Prat. C’est là, je le reconnais, un élément nouveau, apparu après l’élaboration de ce rapport et les travaux de la commission Roulet. Enfin, en ce qui concerne le rapport,…

M. Arnaud Montebourg. Par qui sont payés ces avocats ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Puisque vous voulez parler d’avocats, monsieur Montebourg,…

M. Arnaud Montebourg. Nous sommes à l’Assemblée nationale !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …un mot du cabinet Levy Gosselin, qu’évoquait M. Paul.

M. Daniel Paul. Nous recherchons l’intérêt général !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous avez cité, monsieur Paul, les conclusions de ce cabinet – qui a, si je ne me trompe, travaillé pour une organisation syndicale que vous connaissez bien –, selon lesquelles la Commission européenne ne serait pas compétente en matière d’analyse des concentrations entre Gaz de France et EDF.

Permettez-moi de vous communiquer une information nouvelle à cet égard : vous qui avez lu avec beaucoup d’attention la lettre de griefs de la Commission,…

M. Daniel Paul. Du moins ce qu’on a bien voulu nous en montrer !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. … vous souvenez certainement qu’elle commence par l’affirmation que la Commission est compétente pour se saisir de la question, car plus d’un tiers du chiffre d’affaires de Gaz de France est réalisé hors du territoire national.

M. Daniel Paul. Examinons cela !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. La compétence de la Commission européenne pour se prononcer sur la fusion entre EDF et GDF est donc légitimement fondée.

M. Arnaud Montebourg. Qu’en pense le cabinet Sarkozy et associés ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Avec cette déclaration de la Commission, monsieur Paul, la messe est dite.

M. Arnaud Montebourg. Nous sommes à l’Assemblée nationale !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je regrette donc de devoir vous le dire, mais tous les faits juridiques vous donnent tort.

M. Christian Bataille. Nous ne sommes pas un cabinet juridique ! Nous sommes l’Assemblée nationale.

M. Bruno Le Roux. Vous jouez le marché contre la France !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Voilà les précisions juridiques que je souhaitais apporter, sans esprit polémique, pour répondre à l’interpellation de M. Paul et pour la clarté des débats. J’espère maintenant que l’examen de l’article 10 pourra s’engager sans tarder. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Article 10

M. le président. Vingt et un orateurs sont inscrits sur l’article 10, chacun disposant de cinq minutes.

La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a de l’électricité dans l’air ; nous, à l’UDF, on va faire dans la mesure et, si j’ose dire, dans la force tranquille. (Exclamations sur divers bancs.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Il faut oser !

M. Gilles Cocquempot. Très bonne référence !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous voilà maintenant arrivés à l'article 10 : le projet gouvernemental nous propose de réduire la participation minimale de l'État dans le capital de GDF de 70 % à 34 %. Il s'agit donc de décider de la privatisation de GDF. Comment en sommes-nous arrivés là, alors que, par deux fois, en août 2004, dans la loi sur le service public dans l’électricité, et en juillet 2005, dans la loi portant sur les orientations énergétiques, nous avons inscrit dans le marbre l’importance stratégique du caractère public de GDF ?

La réponse tient en un seul mot : Suez. C'est parce qu'il y a eu, au début de l'année 2006, l'OPA hostile d'ENEL sur Suez que le Gouvernement, stimulé par le management de Suez, a décidé d'accélérer l'étude puis la mise en œuvre du rapprochement entre Suez et Gaz de France, aboutissant au projet de loi qui nous est soumis. C'est pour cette raison, monsieur le ministre de l’économie, que l’UDF ne vous suit pas lorsque vous tendez à organiser le débat sur la privatisation de GDF en dehors du contexte du projet de fusion GDF-Suez ; cela nous semble vide de sens. Les 34 %, c'est la fusion Suez-GDF ; la privatisation de GDF, c'est la fusion GDF-Suez. Au début de ce débat sur l’article 10, il vaut mieux en prendre acte, et l'UDF vous propose de nous poser ensemble une première question : le jeu en vaut-il la chandelle ?

Commençons par le jeu : on nous explique qu’il s’agit de créer un grand groupe industriel, un géant, un champion de l’environnement et de l’énergie. Pourquoi pas ? Disons même que cela sonne vrai si l’on regarde les chiffres. Par contre, nous émettons des doutes sur l'intérêt de faire cohabiter dans le même groupe un pôle énergie et un pôle environnement. Ce modèle économique, celui des utilités urbaines, date des années 1980, et nous n’avons plus trouvé grand monde pour le défendre sur le fond. En réalité, la ligne force de votre projet n’est pas industrielle : c’est la protection du capital de Suez, qui est vulnérable car il est émietté et flottant à plus de 70 %. Vous avez trouvé pour cela une solution : la fusion avec une entreprise dans laquelle l'État détient une participation importante – 80 %. Mais la capitalisation boursière de chacune des deux entreprises – 43,2 milliards d’euros pour Suez et 29,3 milliards pour GDF en février 2006 – va obliger l’État à réduire sa participation dans le nouveau groupe autour de 30 %. Notez bien que ce n’est pas 34 %, mais bien autour de 30 % au terme du mécanisme de fusion lorsqu’on fait une règle de trois. Voilà pour le jeu : il y a certes la constitution d’un champion, mais sur un modèle économique très contestable où l’on additionne deux secteurs de plus en plus divergents : l’environnement d’un côté, et l’énergie de l’autre. À terme, la cession du pôle environnement est probable.

Regardons maintenant la chandelle : la privatisation de GDF, prix de la protection de l’intégralité du capital de Suez. Quel est l’intérêt de GDF dans cette fusion ? Et le prix à payer en vaut-il la peine ? Il y trouvera un intérêt industriel, avec le renforcement du pôle gaz et l’alliance avec l’électricien qu’est Suez via Electrabel. Mais si c’est l’objectif, on pourrait envisager des fusions entre GDF et le seul pôle énergétique de Suez, c’est-à-dire avec ses trois filiales majeures que sont Electrabel, Fluxys et Distrigaz. Des voix s’élèvent, notamment celle d’Eric Knight, pour dire, avec raison, qu’il existe des solutions alternatives : réduire la participation de l’État dans GDF à environ 51%, avec attribution aux actionnaires de Suez des métiers de l’environnement par le biais de Suez Énergies Services, puis lancement par GDF d’une offre public d’échange sur les seules activités énergie restantes. Les solutions alternatives existent donc, qui pourraient satisfaire tant les actionnaires que les objectifs stratégiques de GDF, et surtout l’intérêt national. Pourquoi ne sont-elles pas envisagées ici ? D’autant qu’en l’état actuel des choses, nous le savons tous parce que nous avons reçu de nombreuses publications, la fusion est loin d’être faite : une fois franchi l’obstacle de l’Assemblée nationale, restera celui de la Commission européenne et celui des assemblées générales des deux partenaires. Et si elle échouait, que deviendrait GDF avec une participation publique ramenée à 34 % ?

Nous considérons que la privatisation de GDF est aujourd’hui, dans le secteur de l’énergie, une faute vis-à-vis de l’intérêt national. Monsieur le ministre de l’économie, l’UDF n’est pas contre la privatisation en soi. Nous avons soutenu celle de France Télécom. Mais une telle décision doit être le fruit d’une évaluation secteur par secteur, et celui de l’énergie a sa spécificité : il convient de réfléchir et d'agir dans ce secteur sur le long terme. Les investissements dans l’énergie, hautement capitalistiques, exigent le long terme ; les contrats d'approvisionnement, pour l'essentiel des contrats de longue durée, exigent une action, notamment diplomatique, à long terme ; et surtout l'impact environnemental – émission de gaz à effet de serre – exige une gouvernance à long terme. L’UDF n’arrêtera pas d’insister sur l’importance de la mise en œuvre de cette gouvernance. Et pour nous, le long terme, c'est l'État. Il est le seul acteur à ne pas être guidé à court terme par la recherche d’une rémunération élevée de ses actionnaires.

Dans un tel contexte, nous considérons que la privatisation de GDF est une faute : une faute car nous sommes, dans le secteur énergétique, non devant une crise mais devant une révolution ; une faute car l’importance du gaz ira croissante – 20 % de l’énergie consommée aujourd’hui en Europe, 40 % annoncés pour 2030 –, et que c’est donc une énergie stratégique ; une faute car, nous l’avons dit, c’est la responsabilité de l’État de rapprocher énergie et environnement puisque les trois quarts des émissions de gaz à effet de serre viennent de l’énergie, pour tenir, par notre politique de l’énergie, nos engagements à long terme en matière d’environnement.

Pour conclure, après sa première question : le jeu en vaut-il la chandelle ?, le groupe UDF voudrait en poser une seconde, et je me tourne plus spécialement vers nos collègues du groupe UMP : aujourd’hui, l’opinion publique, la totalité des syndicats – à l’exception du MEDEF, c’est vrai –, trois groupes parlementaires sur quatre, plusieurs députés UMP – dix, vingt, trente ? – se sont prononcés contre la privatisation de GDF ; permettez à un collègue qui a fait l’essentiel de ses combats politiques à vos côtés de vous demander : et si tous ceux qui sont contre la privatisation de GDF, qui sont nombreux, qui sont différents les uns des autres, avaient raison ? Je souhaite que le doute des honnêtes hommes, ceux qui doutent d’avoir, et eux seuls, la vérité, s’emparent de vous, que l’on mette tout sur la table à l’occasion de ce débat. Envisageons toutes les alternatives possibles, et que l’on se détermine en conscience au terme d’un long et fécond débat.

M. Arnaud Montebourg. Honnêtes hommes de l’UMP, levez-vous !

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Nous avons un peu de mal à mesurer l’envergure de l’enjeu, compte tenu des déclarations faites en début de séance par M. le ministre et par M. le président de la commission, de réponses qui n’en sont pas, d’arguments dont je considère qu’ils ne sont pas honnêtes – je le dis autrement que mon collègue Daniel Paul –, et que la question de savoir si EDF-GDF peut, dans une alliance intelligente et intelligible, continuer à garantir l’intérêt stratégique national en matière d’énergie n’a pas été posée à la commission Roulet. Je tiens à dire avec gravité que si aujourd’hui, sur tous ces bancs, il y a des députés qui considèrent que vous faites une faute, monsieur le ministre, en privatisant Gaz de France, c’est parce que nous avons des arguments.

J’en connaissais, lorsque M. Proriol était à la place de M. Lenoir, comme rapporteur du texte sur la régulation postale, qui me critiquaient parce que j’expliquais que la manière dont vous mettiez en place la banque postale nous amenait directement à banaliser le livret A, et qu’en tout état de cause celui-ci n’existerait plus demain. Que ne m’a-t-on pas dit sur les bancs de la majorité ? J’ai dit la même chose sur le prix unique du timbre. On n’en est pas encore tout à fait là, mais pour le livret A, sa disparition est annoncée pour bientôt. Et c’est à cause de la manière dont vous avez transposé la directive que nous en sommes arrivés là.

De même, sur ce texte de privatisation de Gaz de France, après la trahison de M. Sarkozy, incapable de tenir ses engagements (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), et j’ai toujours l’enregistrement à votre disposition. Si vous en doutez puisque je vous rappelle que c’était dans l’hémicycle, vous enchaînez par un amalgame insupportable entre transposition d’une directive européenne et privatisation, comme pour faire croire que c’est l’Europe qui oblige à privatiser.

Mme Élisabeth Guigou. Alors que c’est faux !

M. François Brottes. Il faut le redire : la Commission européenne a sans cesse indiqué que le statut des entreprises de services d’intérêt économique général relevait des États et qu’en tout état de cause les directives ne prenaient pas parti sur la manière dont ces statuts devaient être organisés.

Mme Élisabeth Guigou. Exactement !

M. François Brottes. Ce faux-semblant, cette manière de maquiller le sujet, n’est absolument pas convenable. C’est la raison pour laquelle il faut que nous prenions tout notre temps sur cet article 10, pour bien montrer que l’essentiel de la loi que vous voulez faire voter porte bien sur une privatisation que vous vous devez d’assumer et que vous nous proposez dans des conditions qui sont totalement inacceptables et incorrectes.

Je ne développerai pas la totalité de l’argumentation puisque nous serons un certain nombre à y revenir, mais je veux citer les points sur lesquels il y a véritablement malhonnêteté dans les arguments en faveur du projet de loi.

Non, monsieur le ministre, vous n’avez pas étudié toutes les possibilités d’alliance entre EDF et GDF. Ce n’est pas la commande qui avait été passée à la commission Roulet. Par contre, vous auriez été bien inspiré si vous vous étiez engagé, de façon volontaire – au moins aurait-on pu mesurer votre honnêteté dans cette démarche –, à confier à un ou plusieurs cabinets une réflexion portant sur une alliance, qui ne s’appellerait pas d’ailleurs forcément une fusion. Nous y reviendrons dans ce débat pour faire la démonstration que d’autres choix sont possibles. François-Michel Gonnot et d’autres de ses collègues partagent ce point de vue.

Vous n’avez pas non plus posé au Conseil d’État la question qui convenait concernant la constitutionnalité de votre privatisation.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Si !

M. François Brottes. Eh non, monsieur Novelli. C’est comme pour la commission Roulet : on ne lui pose pas la bonne question, comme ça, on est sûr d’avoir une réponse qui convient. Monsieur le ministre, vous avez demandé au Conseil d’État si GDF constitue un monopole de fait ou un service public national, mais sans distinguer entre ses infrastructures et ses activités commerciales.

L’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 précise que « tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » Je répète : « Tout bien, toute entreprise », et non « tout bien et toute entreprise ». Si vous aviez distingué les choses, sans escamoter le domaine des infrastructures, la réponse du Conseil d’État, vous le savez fort bien, ne vous aurait pas autorisé à vous engager dans ce funeste projet.

Autre argument au nom duquel nous dénonçons votre texte : la méthode utilisée. Vous cherchez à camoufler l’importance réelle des contreparties en publiant des communiqués de synthèse des propositions faites à la Commission européenne, laquelle ne rendra son avis définitif qu’à la fin du mois de novembre. On parle de 20 000 suppressions d’emplois et de la restitution de 21 % des approvisionnements en gaz. Il est donc évident que les périmètres actuels ne seront pas conservés, contrairement à vos engagements. Alors qu’il nous faudrait des éléments chiffrés, nous n’avons rien d’autre que votre profession de foi – on conçoit donc que vous vous arc-boutiez sur elle.

Vous demandez un chèque en blanc à la représentation nationale. Ainsi, nous ignorons également quel sera le rapport entre les actions de GDF et celles de Suez. Nous ne le saurons qu’à la fin du film ! N’est-il pas incroyable de nous demander de payer notre place – ou plutôt de le demander au peuple français, puisque c’est à lui qu’appartient GDF, et que les actionnaires de Suez feront leurs choux gras sur son dos –, sans nous permettre d’assister à la projection jusqu’à la fin ?

Je ne reviendrai pas sur les tarifs, le démantèlement ou les concessions de service public qui vont être cassées : j’ai cité sur ce point des exemples de la jurisprudence de la Cour européenne de justice. Ce sont autant de problèmes que vous, monsieur le ministre de l’économie et des finances, avec le Premier ministre, camouflez dans votre volonté de laisser passer l’orage et de faire voter ce texte au plus vite. Tout ce qui compte à vos yeux, c’est de passer à autre chose, et d’avoir les mains libres, afin de faire ce que vous voulez de GDF, dans le dos des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Strauss-Kahn.

M. Dominique Strauss-Kahn. Étant déjà intervenu sur ce texte lors de la discussion générale, je n’aurais guère de raisons de le faire à nouveau si, depuis, les débats avaient permis d’avancer un peu. Ce n’est malheureusement pas le cas, et la plupart des questions que nous avions posées sont restées sans réponses.

Il a ainsi été demandé au ministre de l’économie ce qu’allaient devenir les contrats de concession signés par les collectivités territoriales : une chose est en effet d’admettre le fait établi de la concurrence dans le domaine des réseaux énergétiques, une autre est de permettre le rachat d’un fichier de 11 millions de clients par un nouvel opérateur. La vraie question est donc de savoir si ces contrats et les concessions accordés seront renégociés, c’est-à-dire si chacun est libre de décider de rester dans le nouvel ensemble ou non. Aucune réponse n’a été apportée à cette question pourtant fondamentale, le fichier de GDF étant bien le don le plus formidable qui puisse être fait à un concurrent d’EDF.

Autre question essentielle restée sans réponse : les nouveaux risques d’OPA. Entreprise publique, GDF n’y était évidemment pas exposée jusqu’à présent, contrairement à Suez, qui n’intéressait finalement pas grand monde. Or le nouvel ensemble est un véritable joyau en matière énergétique…

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Merci de l’admettre !

M. Dominique Strauss-Kahn. …qui va sans doute attirer les prédateurs en masse. On m’objectera l’action spécifique. Mais celle-ci ne garantit en rien l’entrée d’un actionnaire minoritaire à 34 % du capital, synonyme de minorité de blocage. Les événements récents dans l’aéronautique ne suffisent-ils pas à vous ouvrir les yeux sur la capacité qu’auront de grands conglomérats étrangers – notamment russes – à s’introduire, parfois en position dominante, dans des structures industrielles européennes ? À moins d’imaginer une parade juridique dont le Gouvernement ne nous aurait pas encore fait part, la seule solution pour empêcher un grand gazier russe – Gazprom, pour ne pas le citer – d’acquérir jusqu’à 34 % du capital est de conserver une part publique suffisante. Sans cela, nous mettons notre appareil gazier à la merci d’une interférence extérieure.

Troisième problème : comme l’a rappelé François Brottes, vous nous faites délibérer dans la méconnaissance de certaines données comme les taux de conversion, mais aussi les contreparties à la fusion que la Commission européenne est susceptible d’exiger. Ceux qui, sur les bancs de la majorité, sont favorables à la fusion – nous savons qu’ils ne le sont pas tous – le sont-ils vraiment par principe et idéologie, aveuglément, et quelles que soient les contreparties ? Ou bien admettront-ils, en conscience, qu’il faut bien attendre de connaître celles-ci pour se prononcer ? Comment demander à l’Assemblée nationale de prendre position alors que nous ne connaissons pas les termes de l’accord qui, le cas échéant, sera imposé par la Commission européenne ?

À toutes ces questions, le Gouvernement n’a pas répondu, et je crains fort qu’il ne le fasse jamais. Cela n’aurait peut-être pas suffi à justifier que je sollicite à nouveau votre attention, mes chers collègues, mais il y a un élément nouveau : la rencontre de ce week-end entre M. le Président de la République française et M. Poutine. Celle-ci a bien montré ce que sera le marché de l’énergie des vingt-cinq ans à venir : un marché où le rôle essentiel n’est pas tenu par les entreprises privées – et dans lequel notre sécurité d’approvisionnement ne dépend donc pas de leur taille –, mais par les puissances politiques, c’est-à-dire, pour ce qui nous concerne, par le Président de la République française et celui, par exemple, de la Russie.

M. François Brottes. Tout à fait, c’est évident !

M. Dominique Strauss-Kahn. La majorité, quoi qu’elle pense par ailleurs de l’opération industrielle en jeu, est-elle disposée à ce que le prochain Président de la République ait les mains liées dans les futures négociations avec notre partenaire russe, faute d’opérateur sur lequel s’appuyer ? Le marché de l’énergie n’est plus le même qu’il y a cinq ou dix ans. Les composantes géopolitiques sont devenues majeures, pour le pétrole comme pour le gaz, et l’on ne peut ainsi démunir le pouvoir politique français de sa capacité de négocier avec ses grands partenaires.

Ce projet est donc funeste pour les Français, en termes de tarifs et de service public, et pour la France, car il met en cause sa capacité à défendre sa place sur le marché énergétique et à assurer sa sécurité d’approvisionnement. C’est à cela, mes chers collègues, que je vous demande de réfléchir à nouveau. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Soisson.

M. Jean-Pierre Soisson. Je me félicite de voir intervenir les ténors du Parti socialiste, à la quatrième semaine du débat ! Ce ne sont plus les sous-officiers, mais les généraux qui mènent désormais le combat, et leurs interventions appellent des réponses.

Mme Royal a dû nous quitter, juste après son rappel au règlement. J’aurais voulu qu’elle puisse entendre, elle qui n’a pas participé au reste de nos débats, ce qu’a pourtant maintes fois répété M. Breton : les tarifs du gaz et de l’électricité ne sont en rien liés à la structure du capital des entreprises, et en l’occurrence de GDF. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Très bien !

M. Arnaud Montebourg. C’est contesté, vous le savez !

M. Jean-Pierre Soisson. J’aurais aussi aimé qu’elle m’entende lui répondre que la structure actuelle de Gaz de France ne permet pas de faire des investissements à long terme : ce sont au contraire l’ouverture du capital et la négociation de nouvelles alliances qui le permettront. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Pierre Soisson. Quant à M. Strauss-Kahn, je lui rappelle que le président de la commission des affaires économiques a convié le 20 septembre dernier tous les députés à une réunion exceptionnelle – à laquelle j’ai pu moi-même participer, le président ayant bien voulu m’accepter –, afin de débattre avec M. Breton des propositions faites par Gaz de France et Suez, ainsi que de leurs engagements, en réponse aux griefs de la Commission européenne. Nous avons débattu trois heures, mais peu de socialistes étaient présents – et pas un ténor : vous n’avez donc pas pu prendre connaissance des réponses fournies par GDF.

Nous savons désormais que les contreparties en termes de cessions d’actifs seront très limitées en France et n’entraînent aucun démantèlement : ce sont surtout les activités de Suez en Belgique qui seront touchées. Nous avons longuement débattu, et nous croyons savoir que la Commission reçoit favorablement les propositions des deux entreprises : forte d’une meilleure connaissance de la situation et de la position de Bruxelles, l’Assemblée peut donc désormais s’engager.

J’étais réservé sur ce projet de loi il y a quelques semaines ou quelques mois.

M. Daniel Paul. Et la grâce vous a touché !

M. Jean-Pierre Soisson. Mais l’évolution du dossier…

M. François Brottes. Dites plutôt le pourrissement !

M. Jean-Pierre Soisson. …est telle que, je le répète, nous pouvons aujourd’hui délibérer, étant mieux informés des positions de la Commission européenne.

Enfin, je me félicite de la présence dans cet hémicycle de M. Fabius, qui s’est exprimé à plusieurs reprises sur les évolutions du capital de GDF. Preuve que je me suis toujours intéressé à ses propos, j’ai apporté quelques archives personnelles. Ainsi, en avril 2001, M. Fabius a défendu sur RTL la nécessité d’une réforme de Gaz de France pour, je cite, « permettre de l’intégrer à un autre gazier ou un autre producteur de gaz ». M. Fabius persiste et signe en novembre 2001, lors d’un colloque organisé par le journal La Tribune, avec un propos qu’il a souvent répété depuis : « Une entreprise investie de missions de service public peut, sans tabou, » – j’insiste sur ce terme – « nouer des partenariats industriels qui se traduisent par une alliance capitalistique. C’est dans ce cadre qu’avec pour objectif un projet industriel et social ambitieux, nous serons ouverts pour faire évoluer le moment venu le statut de Gaz de France ». Il semble que pour M. Fabius, le moment ne soit pas venu. Mais de grâce, relisez vos propres déclarations avant de nous accuser de changer d’avis !

M. Guy Geoffroy. Ce serait opportun, en effet !

M. Jean-Pierre Soisson. Vous avez évolué au moins autant que nous sur ce dossier, et c’est pourquoi je vous invite aujourd’hui à joindre vos suffrages aux nôtres.

Le moment est venu de prendre une décision industrielle majeure pour le pays, et de le faire en liaison avec la Commission, dans le cadre de la construction d’une Europe de l’énergie.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Très bien !

M. Jean-Pierre Soisson. À cela, vous ne pouvez pas rester indifférents et vous arc-bouter sur des positions du passé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Je voudrais m’élever en préambule contre l’usage que vous faites, monsieur le ministre, du rapport Roulet, issu des travaux de la commission du même nom, réunie à l’initiative, je le rappelle, de M. Sarkozy, votre prédécesseur à Bercy, et dont la fonction principale était de justifier l’abandon du statut d’établissement public par EDF et sa transformation en société anonyme. C’est ce déverrouillage qui a rendu possibles toutes les évolutions auxquelles nous risquons d’assister désormais et qui iront dans le sens d’une réduction de la participation de l’État dans le capital.

Daniel Paul a rappelé que les représentants de l’opposition étaient forts minoritaires dans cette commission, composée pour l’essentiel de parlementaires de la majorité, d’experts – ou prétendus tels – nommés par Bercy et de hauts fonctionnaires du ministère des finances. Or, quand, dans une commission, le rapporteur présente un rapport, cela ne signifie pas que tous les membres adhèrent à ses conclusions ; en l’occurrence, jamais nous n’avons voté un tel rapport. Le rapport de M. Roulet lui appartient, et il est scandaleux, voire malhonnête, de l’utiliser comme vous le faites, sachant par ailleurs qu’il commence à dater.

Pour revenir à l’article 10 qui nous préoccupe aujourd’hui, il est clair que, ni à EDF ni à GDF, l’État ne sera plus le décideur. C’est sans appel pour Gaz de France, puisque la part de l’État dans le capital sera juste supérieure au tiers, mais c’est également vrai pour EDF où l’État ne détient plus que 70 % du capital. Dans les deux cas, c’est l’actionnaire privé qui pilotera l’entreprise, au gré de ses intérêts et dans le souci de sa rémunération.

Certes, la situation d’EDF reste infiniment préférable, puisque l’État y demeure majoritaire et peut encore donner ses directives, mais beaucoup pensent qu’à terme les deux entreprises connaîtront un sort identique. Nous avons d’ailleurs vu un coin du voile se lever la semaine dernière avec l’amendement de M. Novelli et le sous-amendement de M. Giscard d’Estaing.

M. Daniel Paul. Du pur libéralisme !

M. Christian Bataille. Le rapporteur et le Gouvernement les ont certes fermement rejetés, mais pour combien de temps ? On peut, sans jouer les Cassandre, prophétiser en effet que, une fois que l’on aura « fait son affaire » à Gaz de France, ce sera probablement au tour d’EDF, qui, d’ailleurs, risque d’ores et déjà de se voir affaiblie par votre projet de fusion qui conduit à lui créer un concurrent direct.

M. Daniel Paul. Ce sont des fossoyeurs !

M. Christian Bataille. Or on ne donne pas à EDF les moyens de résister, comme elle aurait pu le faire, par exemple, dans le cadre d’un partenariat avec un gazier – c’est le sens de la fusion que nous proposions entre EDF et GDF.

Monsieur le ministre, quand nous aurons examiné l’article 10 les choses seront claires : Gaz de France, qui était un instrument de la politique industrielle, ne sera plus entre les mains de l’État ; ce qui faisait partie du patrimoine de la nation ne lui appartiendra plus.

Il nous restera à défendre EDF, et nous n’allons pas nous gêner pour vous interroger au cours du débat sur l’avenir que vous lui réservez et la manière dont vous entendez donner à cette grande entreprise les moyens de se défendre sur le marché. Qu’on ne nous fasse pas, en effet, le coup de l’affaiblissement prévisible d’EDF pour justifier ensuite l’appel à des actionnaires privés !

Mais il n’appartient qu’à vous, monsieur le ministre, de nous convaincre, au contraire, que l’État veut conserver sa marge d’initiative à l’intérieur d’EDF après l’avoir perdue à GDF. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Fabius.

M. Laurent Fabius. Dans cette intervention nécessairement courte, je commencerai par préciser les deux motifs principaux pour lesquels ce projet gouvernemental nous paraît mauvais.

En premier lieu – et cela ne peut être sérieusement contesté, me semble-t-il – si Gaz de France est privatisé, dans le contexte actuel du marché de l’énergie, les prix augmenteront davantage – sans doute pas à court terme, mais à moyen terme – que si l’entreprise restait publique.

J’entends bien que votre projet prévoit pour le futur telle ou telle disposition de protection : je n’y crois pas.

M. Franck Gilard. Voici le grand bourgeois démagogue !

M. Laurent Fabius. Je pense au contraire que nous sommes bien dans la logique de la privatisation et qu’à partir du moment où la gestion de l’entreprise sera essentiellement guidée par la maximisation des résultats, les prix augmenteront. Je ne dis pas qu’ils n’augmenteront pas si GDF reste public (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.), on ne peut pas en effet aller contre une évolution générale, mais la hausse des prix sera plus forte si l’entreprise est privatisée. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je ne vois pas pourquoi il en irait différemment en France que partout ailleurs !

M. Jean-Pierre Soisson. Les tarifs resteront fixés par l’État !

M. Laurent Fabius. En second lieu, nous assistons actuellement dans presque tous les pays du monde à une reprise en main par les gouvernements et les États du « marché » de l’énergie, sur lequel il s’agit de réaffirmer le rôle des instruments de la puissance publique face à l’évolution préoccupante du secteur.

M. Franck Gilard. En Russie.

M. Laurent Fabius. C’est en effet spectaculaire en Russie, même si le contexte est différent. Et l’on voudrait que la France soit le seul pays au monde qui, au lieu de reprendre la main en matière énergétique, la laisse au secteur privé ? Ça n’a pas de sens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Arnaud Montebourg. C’est de la folie !

M. Laurent Fabius. Si certains avaient l’intention de m’objecter que mes propos sont des propos d’opposition, dictés par l’idéologie, je les renvoie à un article bref et percutant, que vous avez certainement lu et qui émane de deux de nos collègues de l’UMP, M. Daubresse et M. Paillé, que je félicite pour leur clairvoyance et la qualité de leur plume. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Dans ce texte, qui s’intitule « Six raisons de dire non à la privatisation de GDF », les auteurs – reste à savoir quel sera leur vote – recensent les arguments contre la fusion. Je les cite : premièrement, le respect des engagements solennels pris à travers la loi du 9 août 2004 de ne pas abaisser la participation de l’État au-dessous de la barre des 70 % du capital ; deuxièmement, l’indépendance énergétique de notre pays ; troisièmement, le souci des tarifs appliqués à nos concitoyens ; quatrièmement, la situation des personnels de gaz de France, en grande partie communs à EDF ; cinquièmement, le fait que la fusion ne mette pas Suez à l’abri du démantèlement ; sixièmement, les conséquences indirectes de l’opération sur EDF. En un quart de page, tout est dit ! Et ce ne sont pas de dangereux socialistes – ce qui, dans l’esprit de certains d’entre vous est d’ailleurs un pléonasme – qui s’expriment, mais des personnes qui connaissent leur sujet et s’efforcent d’être honnêtes.

Je voudrais également tenter de prendre la défense de M. Chirac et de M. Sarkozy en rappelant quelles prises de position étaient les leurs il y a deux ans. Le Président de la République lui-même avait jugé bon, en mai, de prendre la plume pour rassurer les syndicats et leur promettre que la part de l’État dans le capital d’EDF et de GDF ne descendrait pas en dessous des 70 %. Quel motif puissant a convaincu depuis ces deux très hautes autorités de changer d’opinion ? J’ai beau avoir suivi les débats,…

Plusieurs députés UMP. De loin !

M. Laurent Fabius. Mais attentivement !

…les explications des ministres ne m’ont pas convaincu.

Je voudrais enfin porter témoignage de ce qui m’est arrivé, il y a un an.

M. Franck Gilard. Une panne de moto !

M. Laurent Fabius. J’ai reçu, à sa demande, le président d’EDF – un homme remarquable – venu m’expliquer que le rapprochement avec une grande entreprise gazière était nécessaire au développement de son entreprise. Par le plus grand des hasards, la semaine suivante, le président de GDF – homme également remarquable – venait à son tour, et sans manifestement s’être concerté avec mon précédent visiteur, m’expliquer que, pour développer son entreprise, il lui fallait se rapprocher d’un grand électricien. Comme j’aime à rendre service et travailler dans le sens de l’intérêt national, j’ai eu envie de leur communiquer leurs numéros de téléphone respectifs. (Sourires.)

Qu’on ne vienne pas me dire alors qu’un rapprochement entre EDF et GDF n’est pas possible. Ce n’est pas en tout cas ce qui ressort de la jurisprudence, laquelle ne statue pas sur l’ensemble des résultats énergétiques, mais énergie par énergie. Il est donc simple de comprendre, même sans être spécialiste, qu’à partir du moment où EDF produit de l’électricité et GDF du gaz un rapprochement entre ces deux entreprises ne modifiera pas substantiellement les périmètres considérés énergie par énergie.

Il n’est pas plus exact de dire que les autorités européennes interdiraient nécessairement ce rapprochement ni que celui-ci exigerait d’importants sacrifices, comme vous le prétendez. Ils ne seront pas plus grands, en tout cas, que ceux qui, à coup sûr, vont devoir être consentis si cette opération qui ne nous protège de rien voit le jour.

Notre solution est donc bien de rapprocher EDF et GDF.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Il fallait le faire !

M. Laurent Fabius. Raisonnons pourtant un instant par l’absurde et imaginons, comme vous le faites, que la solution consiste à rapprocher Gaz de France et Suez. Pourquoi dans ce cas ne pas faire l’opération inverse ?

M. Franck Gilard. Répondez donc !

M. Laurent Fabius. Pourquoi Gaz de France ne lancerait-il pas une offre publique sur Suez ? Le fait que la nouvelle entité soit publique n’est pas un argument, pas plus que l’endettement. Car Gaz de France est une société bien gérée, dont l’endettement est très faible, alors que l’endettement actuel de Suez dépasse les 30 milliards d’euros !

M. Jean Gaubert. Gaz de France, c’est la cagnotte !

M. Laurent Fabius. L'idéologie n’est donc pas nécessairement du côté où on l’imagine, même si j’ai écouté comme il le mérite M. Soisson, toujours expert lorsqu’il s’agit de rappeler la continuité nécessaire d’une ligne politique. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

La France a des atouts puissants dans le domaine énergétique : EDF, qui est le premier électricien du monde, le CEA, Areva, Total, qui est une grande compagnie pétrolière privée, et Gaz de France. Bref, nous avons une panoplie sans équivalent dans le monde ! Au lieu de vous appuyer sur cet ensemble pour bâtir une politique énergétique française et européenne, vous l’affaiblissez en privatisant Gaz de France. Pour nous, il n’en est pas question ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le président, chers collègues, Jean-Pierre Soisson nous a dit il y a un instant qu’il avait changé d’avis. Il avait pourtant de sérieux doutes quant à cette opération de privatisation de Gaz de France. Mais à présent, il est pour. Pour ma part, plus ce débat avance, plus il me renforce dans mon opposition !

Nous n’avons reçu aucune réponse satisfaisante aux questions que nous avons posées, de façon répétée, sur les garanties que la représentation nationale est en droit de demander, s’agissant de l’augmentation des prix – qui sera accentuée par la privatisation – et de la maîtrise des investissements dans un secteur de plus en plus crucial pour la politique de notre pays. Nous n’avons obtenu aucune garantie sur les dégâts collatéraux considérables qui risquent de toucher l’entreprise nationale EDF. Nous avons le sentiment d’un véritable gâchis.

La privatisation destinée à ouvrir la voie à la fusion ne garantira en rien le futur groupe contre les OPA. Nous l’avons dit et redit tout au long de ce débat, mais vos réponses n’ont pas réussi à apaiser nos craintes. S’agissant de la politique énergétique de la France, nous n’avons reçu aucune garantie. Alors que – Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius l’ont souligné – la politique énergétique sera de plus en plus une affaire d’État, vous choisissez de priver celui-ci de ses moyens d’intervention ! Ce n’est pas en mariant deux distributeurs que vous arriverez à résoudre le problème, majeur, de l’accès à la production de gaz.

Vous ne nous avez pas répondu sur la possibilité de nouer des alliances, avec la Russie, par exemple.

M. Franck Gilard. Vendons donc Gaz de France à Gazprom !

Mme Élisabeth Guigou. La rencontre récente de M. Poutine avec M. Chirac et avec Mme Merkel montre bien que la politique au plus haut niveau sera de plus en plus impliquée dans les questions énergétiques.

Pourquoi n’avoir pas parlé des liens que nous pourrions nouer avec un pays producteur qui nous est plus proche que la Russie, l’Algérie ? Notre diplomatie doit aussi se montrer plus offensive dans certains pays africains, à l’image de la diplomatie britannique, devenue extrêmement présente en Algérie – ce qui devrait nous inquiéter. La Chine est, elle aussi, de plus en plus présente tant en Afrique noire qu’en en Algérie. Dans cette grande redistribution des cartes, qui vise au contrôle de l’énergie, nous n’utilisons pas tous nos atouts.

M. Richard Cazenave. N’importe quoi !

Mme Élisabeth Guigou. À aucun moment, ce projet n’a été l’occasion de s’interroger sur l’apport de la France à une véritable politique européenne de l’énergie, condition de l’indépendance de notre continent.

C’est un véritable gâchis. Vous avez manqué l’occasion de débattre de ce qui sera probablement l’un des défis majeurs que notre pays aura à relever durant les prochaines décennies. J’en veux pour preuve votre désinvolture à l’égard de ce débat (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire)

M. Richard Cazenave. Nous siégeons depuis trois semaines !

M. Franck Gilard. Comment osez-vous dire cela, on ne vus a jamais vue !

Mme Élisabeth Guigou. …et l’absence de réponse à nos questions.

Alors que nous le lui avions demandé à plusieurs reprises, nous n’avons eu à aucun moment le plaisir et l’honneur de voir M. Sarkozy venir s’expliquer sur le non-respect de la promesse qu’il avait faite devant la représentation nationale lorsqu’il était à votre place, monsieur le ministre de l’économie et des finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Il a honte !

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Franck Gilard. Danton va parler !

M. Éric Raoult. Non, Saint-Just !

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes dans un débat sur les principes. Quelle place la nation accorde-t-elle aux outils pour l’exercice de sa volonté, et quelle place les marchés prendront-ils face aux besoins de la nation ?

Les gaullistes devraient se montrer sensibles à un débat nation-marché, si tant est que l’esprit gaulliste souffle encore sur les bancs qui nous font face ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Franck Gilard. Arrêtez votre cinéma !

M. Arnaud Montebourg. Si nous y réfléchissons ensemble – cela n’est pas interdit ! –, est-il intelligent, utile, profitable, de transmettre aux forces incontrôlées et déchaînées du marché les outils qui nous permettent de maîtriser le destin de la France – excusez du peu –, son approvisionnement énergétique, le prix de l’énergie et l’égalité d’accès à l’énergie, tant pour les ménages que pour les entreprises ? Tel est l’enjeu du débat.

M. Franck Gilard. Vous n’y avez jamais assisté !

M. Richard Cazenave. Quelle fatuité !

M. Éric Raoult. C’est pompeux !

M. Arnaud Montebourg. Votre mandat ne vous autorise pas à porter une telle atteinte au patrimoine national. Vous n’avez jamais indiqué aux électeurs qui vous ont donné la majorité dans cette assemblée les raisons pour lesquelles vous voulez privatiser Gaz de France. D’ailleurs, les arguments que vous avez exposés ces dernières semaines …

M. Franck Gilard. Comment les avez-vous entendus ?

M. Arnaud Montebourg. …ne résistent pas à l’analyse : nous restons dans l’incertitude, car vous êtes bien en peine de justifier les contreparties de cette opération de « défaisance » industrielle et de chirurgie financière.

M. Franck Gilard. Muscadin !

M. Arnaud Montebourg. De surcroît, vous n’avez pas clarifié votre position devant l’opinion publique.

Plusieurs orateurs ont demandé publiquement, dans cet hémicycle et au-delà, que la question de la privatisation de l’un des fleurons de notre industrie énergétique soit posée aux Français, dans le cadre du débat politique qui va s’ouvrir. Nous sommes à sept mois d’une échéance électorale, mais vous ne voulez pas permettre aux Français de nouer le contrat de législature sur la question de nos outils énergétiques nationaux.

Plusieurs expériences de libéralisation ont eu lieu dans le monde, et ce qui s’est passé en Californie est l’exemple même des conséquences néfastes résultant de la privatisation d’opérateurs énergétiques.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Cela n’a rien à voir !

M. Arnaud Montebourg. Il y a quinze ans, Démocrates et Républicains californiens décidaient à l’unanimité de privatiser le secteur de l’énergie. Suite à l’explosion des prix que cela a provoqué et à l’incapacité des opérateurs privés à procéder aux investissements nécessaires, il a été décidé de renationaliser.

M. Richard Cazenave. Vous n’y connaissez rien !

M. Arnaud Montebourg. Nous avons besoin des instruments politiques de maîtrise de l’énergie. Tel est le débat que nous proposons à la représentation nationale et à l’opinion publique.

Il y a peu, a eu lieu un débat sur le patriotisme économique. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) J’ai le sentiment que les patriotes ne se trouvent pas là où on le dit : Pechiney est parti, ainsi qu’Arcelor, les Russes sont à l’intérieur d’EADS…

M. Franck Gilard. À hauteur de 5 % seulement !

M. Arnaud Montebourg. …et c’est maintenant le tour de GDF.

Si nous faisons le bilan de votre patriotisme, vous êtes plutôt le parti de l’affaiblissement industriel de la France. Nous avons perdu la maîtrise de l’aluminium, de l’acier, de l’aéronautique, du gaz et bientôt peut-être de l’électricité. Vous en rendrez compte devant la nation. Nous avons donc le devoir de résister, et de dénoncer ce que vous faites pour en informer l’opinion publique. Monsieur le ministre, souvenez-vous de ce que vous avez dit à plusieurs reprises, en mentant à la représentation nationale, sur l’affaire Arcelor ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Franck Gilard. Quand on a été formé par Dumas, on se tait !

M. Arnaud Montebourg. Mais il y a aussi l’affaiblissement diplomatique. J’en veux pour preuve une certaine poignée de main dans un bureau à Washington. Le ridicule, conjugué à l’incapacité et à l’impuissance, est un bien triste spectacle ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nous nous battrons jusqu’au bout pour que vous retiriez ce texte ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Franck Gilard. Démagogue et muscadin !

M. Richard Cazenave. Tant de modestie nous confond !

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. Monsieur le président, mes chers collègues, avec l’article 10, nous sommes au cœur du débat sur la privatisation de Gaz de France.

Cet article privatise Gaz de France et organise sa disparition. Nous l’avons rappelé, aucune directive communautaire ne l’exige, et vous nous proposez ce texte à partir d’un scénario indigne aux yeux de ceux qui défendent ici les intérêts de la France et des Français : d’abord, une rumeur d’OPA, ensuite, l’annonce d’une fusion-disparition, enfin, le dévoiement de la parole d’État.

Cela m’amène, monsieur le ministre, à vous poser plusieurs questions.

Le résultat de cet article sera la disparition de l’opérateur historique et la dilution de la part de l’État dans un secteur stratégique. Si nous sommes nombreux aujourd’hui, c’est pour vous contraindre à dire la vérité, la vraie, pas celle énoncée par M. Sarkozy en 2004 ! Quelle conception de l’intérêt général vous conduit-elle à décider de la disparition d’une entreprise publique qui marche bien, pour demain en fragiliser une seconde, EDF ? Car, les Français doivent le savoir, ce n’est pas une entreprise seulement, mais tout le secteur public de l’énergie de notre pays, que vous démantelez. En trois semaines, vous n’avez pas réussi à nous expliquer le parti pris qui guide cette décision contraire aux intérêts de la France : est-il d’ordre idéologique ou industriel ?

Quelle conception de l’intérêt des Français vous amène-t-elle à laisser au marché le contrôle des évolutions tarifaires ? Ce texte est dangereux pour notre pays et pour les consommateurs. J’ai observé attentivement les déclarations des différents acteurs de ce dossier : M. Mestrallet, mais aussi plusieurs dirigeants de sociétés du CAC 40. Ils ne parlent que des augmentations tarifaires nécessaires pour donner satisfaction aux actionnaires. Il n’y a rien dans leurs propos sur les enjeux stratégiques du secteur de l’énergie dans les prochaines décennies.

C’est normal, pourriez-vous me répondre : ce n’est pas dans les conseils d’administration des sociétés du CAC 40 que s’élabore la stratégie de la France en matière énergétique. D’où ma dernière interrogation : s’agissant d’un problème – celui de l’approvisionnement énergétique – qui figure parmi les plus importants auxquels nous serons confrontés au XXIe siècle, et qui conditionnera non seulement l’indépendance de notre pays, mais aussi son rayonnement politique et sa place dans le débat mondial, comment pouvez-vous accepter la substitution au gouvernement de la France d’un conseil d’administration politiquement irresponsable devant les Français ? Ce n’est pas parce que l’on choisit parfois de nommer l’un de ces patrons du CAC 40 au gouvernement que leurs décisions sont dictées par le bon sens, ni surtout qu’elles servent les intérêts de la France et des Français. Arnaud Montebourg vient d’ailleurs de montrer comment les choix effectués, à une certaine époque, par ceux qui conduisent la politique économique ont laissé des traces douloureuses, pour les salariés des entreprises concernées comme pour nos intérêts nationaux.

Je terminerai sur une note plus morale. À de nombreuses reprises, dans cet hémicycle, ont été rappelés des propos de M. Sarkozy qui – nous l’avons montré aux Français – s’apparentent clairement à un mensonge, selon la définition donnée par le dictionnaire de l’Académie française : un « discours avancé contre la vérité avec dessein de tromper ». Mais quel type de mensonge ? Est-ce un mensonge innocent, c'est-à-dire « un mensonge sans conséquence, qui ne peut nuire à personne » ? Non, à l’évidence, puisque le mensonge auquel s’est livré M. Sarkozy porte atteinte aux intérêts de la France. Le dictionnaire évoque cependant un autre type de mensonge, le mensonge pieux, « fait dans l’intention d’être utile ou agréable à quelqu’un ». Nous y sommes ! Car derrière ce discours trompeur prononcé devant l'Assemblée nationale se trouve une volonté de sacrifier la maîtrise publique de l’énergie pour le seul profit de quelques-uns. Ce qui est en jeu, c’est l’intérêt des Français – la seule chose qui guide notre action dans cet hémicycle. C’est pourquoi nous continuerons à nous battre contre ce texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Enfin quelqu’un de sérieux !

M. Jean Gaubert. Vous me gênez, monsieur le président de la commission. Attendez la fin de mon intervention…

Avec l’article 10, nous abordons le cœur du débat. Privatiser Gaz de France, ce n’est pas seulement renier les promesses faites par M. Sarkozy lorsqu’il était ministre d’État, ministre de l’économie et des finances, mais aussi – et c’est sans doute plus grave, s’agissant d’une institution aussi respectée – revenir sur la position du Conseil constitutionnel, qui rappelait le lien indissoluble entre service public national et entreprise publique. Vous rompez aujourd’hui un équilibre que la Constitution de 1946 consacrait déjà.

Je souhaite pour ma part me concentrer sur les aspects pratiques du projet et m’interroger : pourquoi privatiser ? Pour être plus efficace, répondez-vous. Pourtant, certains opérateurs se plaignent de ne pas pouvoir entrer sur le marché parce que les prix sont trop bas. La Commission européenne elle-même juge les tarifs trop peu élevés et estime qu’ils constituent une entrave à la concurrence. Mais qui peut donc s’en plaindre si la concurrence a pour corollaire l’augmentation des tarifs ? Serez-vous les complices d’une démarche tendant à les faire augmenter pour qu’un plus grand nombre d’entreprises puisse s’engraisser sur le dos des consommateurs ?

Vous invoquez également comme prétexte la nécessité de créer un groupe plus fort. Non, c’est faux ! Des concessions dont nous ne connaissons pas encore l’ampleur devront être faites, et pas seulement en Belgique. Dès lors, le périmètre du nouvel ensemble sera à peine supérieur à celui que nous connaissons.

Enfin, l’objectif serait de conforter GDF. Au début, pourtant, il était d’abord de sauver Suez de la prétendue OPA d’ENEL. Le Premier ministre n’a en effet donné sa bénédiction au projet que pour éviter que Suez ne tombe sous la coupe des Italiens. Notons au passage qu’un tel discours est de nature à affecter nos relations avec l’un de nos partenaires au sein de l’Union européenne. Quoi qu’il en soit, le but était moins de contrer une OPA que de profiter de la cagnotte constituée par GDF pour sauver une entreprise qui n’a pas été gérée comme elle aurait dû l’être, comme en atteste son niveau d’endettement. On nous rebat les oreilles de la mauvaise gestion des entreprises publiques, mais en l’occurrence, c’est bien une entreprise publique qui va servir de tirelire au groupe Suez !

Venons-en aux conséquences de votre projet. La première est l’abandon, par la puissance publique, de toute maîtrise, de toute possibilité d’intervention sur la distribution du gaz. Je l’ai dit la semaine dernière : si vous ne maîtrisez pas la fourniture – c’est le cas de la France, qui ne dispose plus de réserves –, maîtrisez au moins la distribution ! Pourtant, vous vous y refusez.

Plus grave, la privatisation entraîne la déstabilisation de l’ensemble du droit des concessions. Sur ce sujet, les arguments que nous avancions la semaine dernière apparaissent pleinement justifiés par les décisions du Conseil constitutionnel. Ils appellent des réponses précises. À droit constant, les concessions de distribution de gaz devront être soumises à appel d’offres. N’importe qui sera donc en mesure de faire des propositions.

Comme l’a souligné Dominique Strauss-Kahn, le nouveau groupe sera peut-être moins « opéable » par un groupe industriel moyen, mais deviendra plus intéressant pour des industriels puissants – songeons à ce qui vient d’arriver à EADS –, notamment ceux qui maîtrisent déjà le cycle de production et voudraient contrôler l’ensemble de la filière. On n’aura alors aucun moyen de s’opposer aux prises de participation croissantes, ou aux alliances nouées avec des opérateurs privés déjà actionnaires de GDF ou de Suez, et qui n’ont que faire de la notion de patriotisme économique.

Dès lors, on peut se demander à qui nous paierons nos factures dans dix ans.

M. Daniel Paul. Nul ne le sait !

M. Jean Gaubert. À un service public ? Certainement pas. Au groupe issu de la fusion entre GDF et Suez ? Je suis prêt à parier que non. Le plus probable est que nous les paierons à un groupe étranger déjà maître de la production de gaz, et qui aura pris le contrôle de la distribution sur notre territoire. Voilà pour l’indépendance nationale !

M. Arnaud Montebourg. Eh oui ! Les tenants du projet vont faire le jeu du parti de l’étranger !

M. Jean Gaubert. De nombreux points restent à régler, sur lesquels nous n’avons pas cessé de vous alerter. Vous nous accusez de nous répéter. Mais si nous obtenions des réponses à nos questions précises, nous n’aurions pas besoin de les réitérer ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.) M. le ministre peut nous tenir de longs discours : quand il a terminé, nous savons à peine ce qu’il a voulu nous dire !

Certains estiment à 5 milliards d’euros le coût des échanges d’actions : vrai ou faux ? Quel sera le coût, pour Gaz de France, de la prise en charge de l’endettement de Suez ? Quelle part prendrons-nous au démantèlement des centrales nucléaires en Belgique ? Ces questions méritent des réponses, non les manœuvres de diversion auxquelles nous assistons depuis le début !

C’est l’image de notre pays qui est en jeu, …

M. Alain Gest. C’est vous qui dites cela ?

M. Jean Gaubert. …un pays qui se voudrait exemplaire en matière de construction européenne, mais qui stigmatise un de ses voisins pour mener à bien une opération purement nationale ! Il n’y a jamais eu d’OPA de la part d’ENEL, seulement une vague rumeur. Le groupe italien a servi de repoussoir pour faire passer un montage élaboré à l’avance.

M. François Brottes. C’est une dérive xénophobe !

M. Jean Gaubert. Et il en est de même avec la Belgique. Que dirions-nous si le gouvernement belge jouait au Monopoly avec des intérêts français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Arnaud Montebourg. Ah, la voix du parti de l’étranger !

M. Pierre Lellouche. Monsieur le dindon Montebourg, laissez-moi parler, et essayez de vous abstenir de vos effets de manches pendant cinq minutes, car vous ne m’impressionnez pas !

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, je vous demande de m’inscrire pour un fait personnel, en fin de séance.

M. Pierre Lellouche. Essayons de nous mettre à la place du citoyen français qui suit ce débat depuis le mois de juin – ou, mieux, depuis février dernier. À peine rentré de vacances, il découvre, à la une des journaux, le président de l'Assemblée nationale noyé sous 140 000 amendements.

M. Daniel Paul. C’est faux ! Il y a eu manipulation !

M. Pierre Lellouche. Cette tentative d’obstruction a échoué : l’opposition, sur ce point, a perdu la bataille, victime d’un effet boomerang. C’est alors que M. Ayrault, si j’ai bien compris, a conclu un accord avec le président de l’Assemblée nationale,…

M. François Brottes. Vous avez mal compris !

M. Pierre Lellouche. …tendant, pour éviter le recours au 49-3, à ce que la majorité se compte en pro- et anti-Sarkozy.

M. Christian Bataille. Vous faites de la basse politique !

M. Pierre Lellouche. Enfin, que dire du spectacle de cet après-midi : l’hémicycle transformé en arène pour les éléphants du parti socialiste ? Nous avons vu défiler cinq présidentiables socialistes sur sept : Mme Royal, M. Fabius, M. Lang, M. Hollande, M. Strauss-Kahn… M. Jospin et Mme Aubry n’étaient absents que parce qu’ils ont perdu leur mandat de député !

M. Guy Geoffroy. Et tous sont déjà partis pour les Quatre-Colonnes !

M. Pierre Lellouche. L’intention est claire : tirer au canon sur M. Sarkozy. M. Montebourg a même fait allusion à un voyage de M. le ministre d’État aux États-Unis qui n’avait pourtant rien à voir avec le débat sur l’énergie ! Peu importe, il s’agit de taper sur Sarkozy et de voir si la majorité se divise.

M. le ministre délégué et M. le président de la commission le savent bien : je fais partie des députés UMP – et leur nombre n’est pas négligeable – à qui ce projet inspire de vraies réserves. Mais je ne vous ferai pas le plaisir, mesdames et messieurs de l’opposition, de tomber dans le piège grossier que vous essayez de nous tendre, avec l’aide de certains, à sept mois de l’élection présidentielle.

Je m’en tiendrai donc à la solidarité gouvernementale. Mais, comme je suis aussi un honnête homme et un élu de la nation, j’ai le devoir d’indiquer mes réserves à l’égard du projet de loi, ou plutôt de les répéter, car elles n’ont pas varié depuis quatre mois.

Elles ne tiennent pas à l’effet qu’une fusion pourrait avoir sur les prix. Contrairement à ce que prétendent tant M. Mestrallet ou M. Cirelli que les adversaires de la fusion – je pense notamment à nos collègues socialistes, que nous venons d’entendre –, la structure capitalistique de l’entreprise n’a aucune incidence sur le prix de l’énergie, lequel est indexé sur les cours du pétrole. C’est ainsi, et les prix continueront malheureusement d’augmenter.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est exact !

Mme Chantal Brunel. En effet.

M. Pierre Lellouche. Quant à savoir si la fusion est utile à Suez, cela ne fait aucun doute et, si j’étais actionnaire de cette entreprise, je serais favorable à ce projet. D’ailleurs, dans une interview accordée à L’Expansion, qui paraîtra demain, Albert Frère indique même qu’il envisage d’augmenter sa participation au capital.

M. François Brottes. Bien entendu !

M. Pierre Lellouche. Il va acquérir un fichier de quatorze millions de clients apporté par Gaz de France. Voilà le sens que la fusion a pour Suez.

Mon problème, en tant qu’élu de la nation et détenteur de Gaz de France, est de savoir quel sens a le fait d’adosser aujourd’hui Gaz de France à un partenaire qui n’a pas de gaz. À mes yeux, cela n’en a aucun. Malgré toute l’amitié et le respect que j’éprouve pour cette belle entreprise qu’est Suez, il me semble que Gaz de France n’est pas un bon fiancé pour elle.

Deuxièmement, même avec le fameux golden share, qui fixe la participation régalienne à 34 %,…

M. Christian Bataille. À 30 % !

M. Pierre Lellouche. …cette fusion protégera-t-elle le groupe d’une OPA hostile ?

M. François Brottes. Bien sûr que non !

M. Pierre Lellouche. La réponse est non. Je vous renvoie aux propos de M. Miller, le patron de Gazprom. D’ailleurs, j’avais indiqué dans cet hémicycle, il y a quatre mois, que le danger principal qui guettait Gaz de France était celui d’une OPA politique du néocapitalisme russe, qui joue aujourd’hui des règles du capitalisme comme Brejnev utilisait jadis les euromissiles. Entre-temps, les Russes sont entrés dans le capital d’EADS. Demain, ils interviendront dans la distribution du gaz en France, comme ils essaient de le faire partout en Europe. Est-il raisonnable que la France l’accepte et à quelles conditions ? Telles sont les questions que je me pose.

Ainsi, la franchise m’oblige à émettre sur ce texte des réserves de fond. Il y a sûrement d’autres scénarios possibles. Sans remettre en cause la propriété publique des réseaux de distribution – les tuyaux –, on pouvait parfaitement imaginer des investissements croisés tant en amont, avec des partenaires disposant de réserves gazières, Total, par exemple, qu’en aval, avec d’autres distributeurs, Suez, Enel ou autres. Ces solutions sont ouvertes. Aucune n’est exclue.

C’est pourquoi je dis avec beaucoup d’amitié à M. Breton et à mon ami Patrick Ollier que, sur ces différents points, j’ai des désaccords. Toutefois, pour des raisons politiques dont nous avons parlé tout l’après-midi et qui ont été exposées durant ces dernières semaines, je ne tomberai évidemment pas dans le piège politique où l’opposition veut nous entraîner. C’est pourquoi, comme beaucoup de mes collègues qui émettent des réserves sur ce texte, je ferai…

M. François Brottes. Le grand écart !

M. Arnaud Montebourg. Vous ferez une bêtise – pour la France, bien sûr, pas pour vous !

M. Pierre Lellouche. Non, monsieur Montebourg ! Nous allons vous battre à l’élection présidentielle.

M. Arnaud Montebourg. Vraiment ?

M. Pierre Lellouche. Ensuite, nous mènerons la politique énergétique dont la France a besoin. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Geneviève Gaillard.

Mme Geneviève Gaillard. Non, monsieur Lellouche, vous ne feriez pas une bêtise en refusant de voter ce texte. On voit bien, en effet, que, depuis que nous avons commencé cette bataille, il y a maintenant plus de deux semaines, nous avons presque gagné. (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Vous-même, monsieur Lellouche, nous vous avons pratiquement convaincu, puisque vous émettez de nombreuses réserves sur la privatisation de Gaz de France. Quant à vos collègues ici présents, ils ne trouvent rien à répondre, non plus que les ministres, aux interrogations que nous formulons sur la privatisation.

Oui, voilà deux semaines et demie que nous ne cessons de vous rappeler ses dangers et les risques qu’elle ferait courir tant à notre pays, en matière d’indépendance énergétique, qu’aux consommateurs et aux électeurs que sont les Français.

Nous avons presque gagné la bataille, parce que tout le monde comprend aujourd’hui, nous le voyons sur le terrain, que les arguments de la majorité ne sont pas bons. Revenir sur ce que nos anciens ont voulu faire de ce bien singulier qu’est l’énergie n’est pas la solution. Et laisser au marché le soin de régler ce secteur est, comme l’ont indiqué plusieurs de mes collègues, une faute du Gouvernement.

Nous savons que l’État a un rôle fondamental à jouer pour réguler, investir et maintenir des infrastructures en état. Nous l’avons dit : le service public, c’est la compétence, c’est la transparence et c’est la justice.

M. Alain Gest. Ah bon ?

Mme Geneviève Gaillard. Demain, la privatisation, qui donnera aux forces du marché et au pouvoir de l’argent la possibilité de s’emparer d’un secteur aussi important risque d’apporter des désagréments non seulement à vous, messieurs les ministres, mesdames, messieurs de la majorité, mais aussi, malheureusement, à tous les Français, à l’heure où tous les gouvernements de tous les pays tentent de réintégrer le secteur de l’énergie dans leur giron et de le gérer.

Absence d’indépendance, concurrence exacerbée avec d’autres entreprises, tarifs administrés opaques, non-réversibilité, tous les ingrédients sont réunis pour faire que ce service public de l’énergie – qui n’en sera plus un –apporte demain bien des désagréments aux Français.

Ce projet est mauvais. Il doit être retiré. Nous continuerons de vous démontrer que d’autres voies méritent d’être explorées pour nous éviter d’entrer dans la spirale de l’incertitude et de la dérégulation.

Vous l’avez compris, je tenais, comme mes collègues du groupe socialiste, à réaffirmer mon opposition au projet de loi et à l’adoption de l’article 10.

Rappel au règlement

M. Arnaud Montebourg. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg, pour un rappel au règlement.

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, pour éviter tout fait personnel et rester dans les conditions d’un débat courtois,…

M. Gabriel Biancheri. Il ne fallait pas provoquer !

M. Arnaud Montebourg. …je préfère que nous nous en tenions aux arguments de fond, et les nôtres sont extrêmement sérieux.

M. Gabriel Biancheri. Bien sûr que non !

M. Arnaud Montebourg. Dans ce contexte, je regrette d’avoir utilisé – ce qui m’a valu de la part de M. Lellouche, dont je regrette qu’il ait quitté l’hémicycle, le qualificatif de « dindon » –,…

M. Gabriel Biancheri. C’est plutôt gentil !

M. Arnaud Montebourg. …une expression de M. Chirac, tirée de l’appel de Cochin dans lequel il évoquait « le parti de l’étranger. »

Par cette allusion à un champ sémantique familier à nos collègues de la majorité, je voulais signifier que la question de l’indépendance nationale et des outils dont dispose la nation par rapport à des marchés actuellement en convulsion et risquant de provoquer des conséquences que nous ne maîtriserons pas devrait amener les responsables politiques, quelle que soit leur sensibilité, à prendre des décisions conformes à leur conviction, même si elles sont contraires aux intérêts proclamés de leur groupe.

À cet égard, je remercie M. Lellouche de sa franchise, malgré le nom d’oiseau dont il m’a affublé. Je regrette seulement qu’il ne tire de son opinion aucune conséquence pour son vote. Nous n’avons pas besoin, je crois, que la politique énergétique de la France soit ainsi réglée à la faveur d’un débat préélectoral non maîtrisé, tandis que les réactions éventuelles de la Commission européenne sont encore dans un flou absolu.

Il faut d’abord retourner devant les électeurs. Il semble d’ailleurs que M. Lellouche en ait particulièrement envie.

M. Gabriel Biancheri. Tout cela n’a aucun sens !

Reprise de la discussion

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Messieurs les ministres, en décidant la fusion de Gaz de France et de Suez, et donc la privatisation de GDF, préalable à cette fusion, le Gouvernement ne se contente pas de renier l’engagement pris en 2004 de maintenir la participation de l’État dans GDF au-dessus de 70 %. Il confirme, si besoin était, l’orientation majeure de votre politique, qui consiste à privilégier les intérêts des grands groupes privés au détriment de l’intérêt général, parce que vous estimez que ceux-ci sont de nature à protéger celui-là.

Cette décision n’est pas seulement lourde de conséquences en ce qu’elle se traduira par la perte du contrôle public sur un service essentiel. Elle est également contraire au souhait d’une grande majorité de nos concitoyens car, je l’ai rappelé, 81 % d’entre eux sont défavorables à la privatisation.

Ils pensent en effet que vendre GDF et, demain sans doute, EDF revient à non seulement les spolier de ces deux entreprises qui, en tant qu’entreprises nationales, leur appartiennent, mais, en plus, à leur faire payer par des augmentations de tarif la note des profits nécessaires à la Bourse.

Vous prétendez que les hausses n’ont rien à voir avec le statut de l’entreprise, cherchant sans doute ainsi à cacher les conséquences qu’ont les exigences des actionnaires tant sur les prix que sur les conditions de travail des salariés.

Malgré la réalité des échecs de la libéralisation et de la privatisation en Europe et ailleurs, vous continuez dans la voie de la démolition du modèle social français. Nous avons demandé, sans que cette demande rencontre le moindre écho de votre part, que soit réalisé un bilan de tout ce qui s’est passé en Europe en matière de politique énergétique et de déréglementation de ce secteur. Mais vous avez toujours refusé de l’effectuer, c’est-à-dire que vous engagez l’avenir d’une entreprise publique sans avoir examiné les conséquences d’une telle décision.

En réalité, votre opiniâtreté à poursuivre ce projet coûte que coûte, loin d’être une preuve de courage politique, soulève bien des interrogations. Comment démêler l’écheveau et faire la part de l’entêtement idéologique ? Quelle est la part des cadeaux accordés à quelques banquiers et assureurs ?

Tant de raisons, en effet, militent contre cette fusion et cette privatisation, et si peu de gains sont à en attendre, que votre acharnement ne peut qu’inspirer des soupçons. Mais votre attitude est avant tout incompréhensible.

Elle est non seulement contradictoire avec les engagements pris ici même par M. Sarkozy, il y a un peu plus de deux ans, mais également en porte-à-faux avec les déclarations du chef de l’État, qui a affirmé à plusieurs reprises vouloir se démarquer du libéralisme destructeur.

Dans ce contexte, on peut légitimement se demander ce qui vous motive. Vous ne pouvez même pas arguer ici des besoins des finances publiques, comme vous le faites si souvent, pour tenter de justifier l’intérêt de privatiser GDF.

Vous ne pouvez ignorer que de nombreuses voix se sont élevées, sur tous les bancs de cette assemblée, pour vous demander de renoncer à tout aventurisme sur un secteur aussi stratégique pour l’avenir de notre pays. Avec d’autres, nous n’avons eu de cesse depuis le début de ce débat de tenter de vous ramener à la raison, car c’est au fond de cela qu’il s’agit.

Vous savez que l’opposition à ce projet est majoritaire dans le pays et peut-être même dans cette enceinte – nous le saurions si le vote était secret –, bien que vous ayez tenté de faire taire les voix discordantes au sein de votre majorité. Ne venez donc pas nous dire que nous faisons de l’idéologie. Les seuls idéologues ici, malheureusement, c’est vous !

Et votre foi libérale vous entraîne très loin. Car l’article que vous vous apprêtez à faire voter ne se contente pas de privatiser une entreprise publique. Il vise, et c’est plus grave encore, à opérer le déclassement d’un service public national.

Il appartiendra au Conseil constitutionnel d’apprécier si l’article 10 est contraire aux stipulations de l’article 9 du préambule de 1946, mais vous ne pouvez faire mine d’ignorer les conséquences très lourdes de votre décision.

Ces conséquences sont d’abord juridiques. Jamais, par le passé, le déclassement d’un service public national comme GDF n’avait été à l’ordre du jour des privatisations, avec toutes les conséquences qu’il aura sur les actifs de transport ou de stockage souterrain, tous deux au cœur du service public du gaz, ou sur la distribution publique de gaz, activité où GDF sera demain mis en concurrence. Rien, en effet, ne justifiera plus, si cette entreprise nationale devient privée, qu’elle conserve le monopole de la distribution. C’est donc tout l’édifice patiemment mis en place, pour ainsi dire tricoté à l’échelle du pays par toutes les collectivités locales, que vous fragilisez par ce texte.

Votre projet a également des conséquences économiques, sociales et politiques. L’expérience des privatisations passées le montre : pour doper leurs dividendes, les actionnaires du nouvel ensemble issu de la fusion imposeront demain des exigences accrues de rentabilité financière, incompatibles avec les missions et les principes du service public. Chacun sait qu'usagers et territoires ne seront plus traités sur un pied d'égalité et que, à GDF comme à Suez, les impératifs de sécurité seront sacrifiés sur l'autel des profits, qu’il s’agisse du gaz ou du nucléaire.

Source de vie et de développement, l'énergie est un enjeu majeur de portée planétaire. Elle ne peut être traitée comme une marchandise, car sa gestion obéit à des exigences éminemment politiques et non purement commerciales.

Vous pouvez donc compter sur notre détermination, messieurs les ministres. Nous reviendrons sur les choix que vous imposez aujourd'hui à notre pays, au mépris de l'intérêt national et de la volonté majoritaire. Ne croyez surtout pas que l’histoire de GDF s’arrêtera au vote qui aura lieu dans quelques jours, ou dans quelques semaines ! Notre sens de l’honneur politique nous conduira à revenir sur cette décision, par fidélité à nos engagements et aux intérêts du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Je concentrerai mon intervention sur l’article 10 – point nodal du débat – sur le rôle et la place du Parlement, notamment de l’Assemblée nationale.

Le 15 juin 2004, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’économie et des finances, prenait officiellement, dans cette enceinte, l’engagement solennel qu’EDF et GDF « ne [seraient] pas privatisées », « en raison de leur caractère déterminant pour les intérêts de la France et de la sécurité de nos approvisionnements ». Il affirmait de surcroît que le Président de la République lui-même avait déclaré lors du conseil des ministres qu’il ne pouvait être question d’une telle privatisation. En janvier dernier, il déclarait encore que la part de l’État dans le capital de Gaz de France ne descendrait pas en dessous de 70 %.

Deux ans après le 15 juin 2004, le Gouvernement, seul maître de l'ordre du jour du Parlement, convoque une session extraordinaire de plusieurs semaines pour faire passer en extrême urgence son projet de privatisation de Gaz de France et de fusion avec Suez. Comme dans les républiques bananières, pour le Gouvernement, les promesses n’engagent que ceux qui les croient.

Ainsi, des représentants du peuple démocratiquement élus, en l'occurrence la majorité UMP, se déjugent en s'apprêtant à voter pour le projet de fusion-privatisation, après avoir approuvé Nicolas Sarkozy voilà quelques mois. En acceptant le rôle d’une majorité godillot, l’UMP fait du Parlement une simple chambre d'enregistrement et nous condamne à regarder passer les trains. Pourtant, 73 % des Français se déclarent inquiets de l'évolution des prix de l'énergie et 94 % des salariés de l'entreprise ont voté contre la privatisation, que seules 9 % des personnes sondées soutiennent. La majorité légale reste-t-elle légitime lorsqu'elle décide de rester sourde à cette inquiétude ? Comment ignorer le coût que ce fossé grandissant entre gouvernants et gouvernés a pour la démocratie ? Où est la démocratie, du reste, lorsque la majorité s'oppose au référendum que nous demandons sur un sujet qui concerne l'avenir énergétique de la France et le droit de tous à l'accès à l'énergie au moindre coût ? Un sujet dont l'importance stratégique ne saurait être sous-estimée car, répétons-le, en perdant le contrôle des activités stratégiques de transport, de distribution et de stockage du gaz et des terminaux méthaniers, l'État ne pourra plus définir la politique énergétique de la France…

M. Daniel Paul. Très juste !

M. Jacques Brunhes. …alors que les énergies fossiles se font de plus en plus rares et de plus en plus chères, que la planète se réchauffe et que les prix augmentent.

Le consommateur subira une hausse des tarifs destinée à augmenter la rentabilité financière au profit des actionnaires de la nouvelle entreprise. Chacun sait, en effet, que la bonne gouvernance des entreprises, tellement à la mode, consiste essentiellement à rechercher la création de la plus grande valeur possible au profit de l’actionnaire, dont l’intérêt prime sur tout le reste, notamment sur l’intérêt social de l’entreprise et sur l’intérêt national. Les salariés de GDF et de Suez feront les frais de la suppression d'emplois liée à la restructuration et aux doublons, sans parler des retombées sur EDF, dont la privatisation deviendra le seul horizon.

En outre, nous devons débattre de ce projet vital à l'aveugle, comme l’ont dit certains journalistes. En effet, la représentation nationale n'a pas eu le droit de prendre connaissance du texte intégral de la lettre dite de « griefs » de la Commission européenne sur le projet de fusion de GDF et de Suez. Nous pouvons seulement consulter, dans le bureau du président de la commission des affaires économiques, un document de 195 pages, dont 133 étaient censurées. Où est la démocratie lorsque la majorité refuse à l'opposition l'accès à un document non expurgé essentiel pour éclairer les enjeux du dossier ? Où est la démocratie quand on ignore les conclusions de la Commission européenne sur les propositions de fusion de GDF et de Suez ? On nous demande de signer un chèque en blanc.

Quelle que soit notre opposition sur le fond, nous devrions tous condamner une telle méthode, mes chers collègues. Celle-ci est d’autant plus inacceptable que le Parlement est déjà bridé par le corsetage du droit d’initiative parlementaire – article 48 de la Constitution –, par la définition limitative du domaine de la loi – article 34 – et par les mécanismes dits du « parlementarisme rationalisé », prévus notamment aux articles 38, 40, 44 et 49-3, qui ont tant contribué à l’abaissement du rôle du Parlement. Dès lors, le seul moyen pour l’opposition de s’exprimer dans un débat de cette importance est de déposer des amendements. Laisser croire que ceux qui exercent ce droit sont responsables de l’échec du débat relève d’une inversion des responsabilités.

Où que nous siégeons, nous ne devrions pas accepter de telles méthodes de travail. N’acceptons jamais que la démocratie soit confisquée et le Parlement humilié ! Pour l’honneur du Parlement, il faut retirer ce texte et ouvrir un débat sincère.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Il faut plutôt retirer vos amendements !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Montchamp.

Mme Marie-Anne Montchamp. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’article 10 est bien au cœur de ce projet de loi, puisqu’il construit en trois points le socle de la politique énergétique de notre pays pour les années qui viennent. Il est donc tout à fait légitime d’y consacrer du temps, mais à condition que nous débattions vraiment de ces trois points.

Il s’agit tout d’abord de donner à Gaz de France une marge de manœuvre accrue, dans un contexte international où les concentrations se multiplient. Face à E. ON – 56 milliards d’euros – ou à RWE – 42 milliards d’euros –, GDF, avec ses 22,4 milliards d’euros, semble sous-capitalisé pour investir comme elle le doit dans la diversification des sources d’approvisionnement et dans la recherche et le développement, qui doit se concentrer sur la liquéfaction, afin de garantir son indépendance en matière de transports. Tel est l’enjeu de ce texte, et je ne l’ai pas toujours perçu dans les échanges qui ont précédé. Les considérations politiques abordées sont certes importantes, mais elles nous engageront dans les semaines qui viennent, pas nécessairement ce soir.

Il s’agit ensuite de transformer une action de l’État en une action spécifique. Cette disposition de l’article 10 vise à sécuriser le dispositif que nous sommes en train de construire.

M. François Brottes. C’est illusoire !

Mme Marie-Anne Montchamp. Permettez-moi de me référer – aussi étrange que cela puisse paraître – aux propos d’Henri Emmanuelli, qui a longuement tenté de nous démontrer que l’actionnaire de Suez pourrait être réticent face à la fusion, en raison même de ces points particuliers. Cela signifie que, dans les rangs de l’opposition, on a parfaitement anticipé la qualité de la protection qu’apportait la golden share.

M. Gabriel Biancheri. C’est vrai !

Mme Marie-Anne Montchamp. Le troisième point a trait à la gouvernance de la future entreprise, puisque des commissaires du Gouvernement pourront être désignés pour siéger au sein des instances dirigeantes de GDF et de ses filiales.

Dès lors, chercher à susciter la peur chez nos compatriotes en voulant leur faire croire que les lois antérieures ne s’appliqueront plus et que les contrats de service public seront caducs – ce qui est faux –, c’est une mauvaise pratique.

M. Daniel Paul. Nous nous souviendrons de vos paroles, madame !

Mme Marie-Anne Montchamp. Brandir la menace d’une hausse des tarifs, comme l’a fait tout à l’heure un ténor de l’opposition, en omettant de dire que la structure des prix du gaz est indexée sur les tarifs pétroliers, c’est tenter de créer l’amalgame, dans l’esprit de nos compatriotes, entre notre volonté de créer une entreprise énergétique offensive et des risques inhérents à une économie mondialisée et complexe. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

La majorité, elle, a fait le choix de la responsabilité. Nous avons ainsi voté, à l’article 3, le tarif de solidarité pour le gaz naturel,…

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur et M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

Mme Marie-Anne Montchamp. …à l’article 4, le libre choix des tarifs réglementés pour l’électricité et pour le gaz après le 1er juillet 2007.

M. Daniel Paul. On verra combien de temps cela durera !

Mme Marie-Anne Montchamp. Bref, nous avons cherché à répondre à la fois à un enjeu économique de grande ampleur et aux inquiétudes que ces questions peuvent légitimement susciter chez nos compatriotes.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. François Brottes. C’est du maquillage ! Du marketing !

Mme Marie-Anne Montchamp. Nous avons respecté la belle entreprise qu’est Gaz de France,…

M. François Brottes. Vous la démantelez !

Mme Marie-Anne Montchamp. …qui a besoin de trouver de nouvelles marges de manœuvre capitalistiques que l’État ne peut pas lui donner.

M. François Brottes. Il y a 40 milliards d’euros disponibles !

Mme Marie-Anne Montchamp. Même si l’État consent un effort sans précédent pour assainir et restructurer sa dette, il n’a pas la possibilité de mener pour d’autres entreprises l’action qu’il doit impérativement conduire pour EDF compte tenu de sa spécificité, dans un secteur qui doit être libéré.

Nous devons également respecter les salariés et la culture de ces métiers…

M. Daniel Paul. Précisément !

M. François Brottes. Avec 20 000 suppressions d’emplois ?

Mme Marie-Anne Montchamp. …auxquels nous donnons, avec ce texte, un avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Claude Gatignol.

M. Claude Gatignol. Mon propos aura pour but de rappeler certains impératifs relatifs à l’énergie.

S’il est un domaine où le Gouvernement et, par voie de conséquence, le Parlement, se voient assigner un mandat impératif, c’est celui de l’approvisionnement en énergie.

Le paysage énergétique de la France est contrasté. Pour l’électricité, nous avons la chance de disposer de cette extraordinaire capacité de production que représente notre parc nucléaire, que nous allons encore développer, notamment – et j’en suis heureux – avec le nouvel EPR de Flamanville. Pour le gaz, en revanche, c’est bien simple : on ne produit rien, on importe tout.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est vrai !

M. Claude Gatignol. Notre action doit tenir compte de cette spécificité.

Le débat sur l’énergie a déjà eu lieu en 2003, en 2004 et en 2005. Aujourd’hui, nous abordons le deuxième volet de la loi sur l’énergie. Nos concitoyens – peut-être nos collègues de l’opposition ne rencontrent-ils pas les mêmes que nous ? – ont compris que, pour faire face aux difficultés d’approvisionnement et de coût, il nous faut des entreprises solides, dynamiques, souples et capables de réagir rapidement. C’est notre rôle de leur en donner les moyens. Alors qu’il s’agit d’une simple question de bon sens, je ne comprends pas pourquoi certains cherchent à nous enfermer dans un monde virtuel fait de supputations et de peurs irraisonnées.

Je vous invite, au contraire, à envisager avec sagesse et responsabilité cette évolution de Gaz de France. Ce texte en fera un interlocuteur de qualité, capable de conclure des contrats diversifiés et sur le plus long terme possible, afin d’offrir les garanties maximales en termes d’approvisionnement et de prix. Il permettra d’aboutir à une entreprise dotée des compétences techniques nécessaires – celles que nous reconnaissons au personnel de Gaz de France –, consistant notamment à savoir gérer des équipements spécialisés de transport et de stockage de grandes quantités de produits liquides ou gazeux. Dès lors qu’il s’agit d’énergie, cela implique évidemment d’énormes investissements. La nouvelle entreprise devra être capable d’investir massivement dans le gaz liquéfié, les sites de production ou encore les nouvelles offres de services multiples – car comme vous le savez, mes chers collègues, on ne peut plus se contenter d’être simplement livreur d’une énergie.

Le statu quo est la pire des solutions, et l’avenir de Gaz de France ne peut passer que par son rayonnement international. Une date est à retenir, celle du 1er juillet 2007.

M. François Brottes. C’est vous qui l’avez choisie !

M. Claude Gatignol. Au-delà, sa base locale ne peut que se rétrécir. Il y a donc bien un impératif, cette fois en termes de moyens, auquel l’Europe n’est donc pas étrangère. Est-ce en laissant l’État conserver une place prépondérante dans le capital de l’entreprise que nous lui permettrons de disposer de ces moyens ? Certainement pas ! Cela aurait pour effet de limiter les ambitions de l’entreprise Gaz de France – le souvenir de la réforme de France Télécom, qui a coûté 70 milliards au contribuable, est là pour nous le rappeler.

L’évolution utile de cette entreprise en bonne santé qu’est Gaz de France consisterait en une fusion avec une autre entreprise ayant le même profil et la même culture – celle des entreprises électriques et gazières. Il se trouve qu’une entreprise répondant à ces critères et ayant elle-même commencé à poser des jalons représente l’opportunité d’une véritable synergie : je veux parler de Suez.

Comment se fera cette fusion ? Non pas en mobilisant du cash, c’est-à-dire en puisant dans les réserves financières, mais en échangeant des actions, ce qui préserve toutes les capacités de développement ultérieur. On peut être opposé à cette solution par conviction politique, mais aussi par jeu politique – comme c’est, me semble-t-il, plutôt le cas actuellement. Quant à nous, notre motivation réside dans la défense du consommateur et la valorisation des compétences de nos entreprises ; nous pensons qu’il n’y a aucune raison de redouter la fusion de GDF et de Suez.

Certes, il y a des étapes à franchir, et des réserves ont pu être émises à juste titre, mais cessons de susciter de fausses peurs ! Pour apprécier à sa juste valeur le projet de fusion entre Gaz de France et Suez, il faut se placer dans une optique d’avenir, celle de l’Europe de l’énergie, actuellement en cours de construction – ce qui ne va pas sans quelques difficultés –, qui crée peu à peu un grand marché concurrentiel s’inscrivant dans une perspective de développement durable.

Il n’y a rien à craindre, mais au contraire tout à espérer. C’est un champion qui va se créer à l’issue de la fusion : premier fournisseur de gaz naturel en Europe ;…

M. François Brottes. C’est déjà le cas pour GDF !

M. Claude Gatignol. …premier réseau de transport et de distribution de gaz en Europe ; cinquième producteur d’électricité ; leader mondial dans le secteur du gaz naturel liquéfié ; leader européen des services à l’énergie. Est-ce cela que l’opposition refuse ?

On nous ressort de vieilles lunes, notamment l’idée d’une fusion EDF-GDF. Je me souviens pourtant d’un rapport pas si ancien d’une députée de l’opposition qui la considérait vouée à l’échec… Consacrons-nous plutôt à ce véritable projet industriel visant à la constitution, dans les meilleures conditions, d’une entreprise qui doit courir vite, et donnons-lui des chaussures de course ! C’est ce que nous voulons pour Gaz de France. Que l’État soit fort dans les domaines qui lui reviennent, mais qu’il n’intervienne pas là où il serait un frein à la stratégie d’entreprise. C’est à cela que visent les propositions de la commission telles que la participation publique à hauteur de 33,3 % au moins et le caractère spécifique de certaines actions.

Regardons l’avenir : dans l’Europe de l’énergie, tâchons d’imaginer et de défendre l’image d’une France qui gagne. L’article 10 concourt à la régulation d’un nouveau marché, à l’émergence d’un nouveau service public de l’énergie, plus efficace et plus équitable. Nous voterons cet article qui porte un véritable projet industriel. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je voudrais tout d’abord remercier sincèrement les députés de la majorité et de l’opposition qui sont encore dans l’hémicycle, ceux-là mêmes avec qui nous dialoguons depuis trois semaines.

M. Jean Dionis du Séjour. Nous sommes sensibles à cette attention !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Les déclarations de certains députés du groupe socialiste m’ont donné, tout à l’heure, le sentiment d’assister à un spectacle surréaliste, une sorte de valse des éléphants.

M. Jean Gaubert. M. Sarkozy, lui, ne sera jamais venu !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je vais essayer de répondre à M. Fabius, à M. Strauss-Kahn et à Mme Royal, mais ma tâche serait plus simple s’ils n’avaient pas quitté la séance dès la fin de leur intervention…

M. Guy Geoffroy. Mme Royal, c’est un TGV !

M. François Brottes. Et M. Lellouche, alors ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ma remarque vaut pour tous les bancs de l’hémicycle. Cela étant, je ne peux laisser passer sans réagir les affirmations de personnalités aussi éminentes, sinon écoutées, du moins entendues par une partie des Français.

M. François Brottes. La vérité dérange !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Que ressort-il des propos de M. Fabius et de M. Strauss-Kahn ? Que si l’on privatise, les prix vont augmenter.

M. François Brottes. Entre autres !

M. Jean Gaubert. C’est ce que disent les entreprises !

M. François Brottes. Les prix vont augmenter plus !

M. Guy Geoffroy. Billevesées !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Il ne s’agit pas des prix, mais des tarifs, comme j’ai essayé de l’expliquer à M. Fabius.

Quant à M. Strauss-Kahn, je m’étonne, compte tenu de sa compétence en matière d’économie, qu’il puisse établir un lien entre le capital et les tarifs.

Je veux répondre à ces deux arguments car je crains que les Français, à force d’entendre marteler ces contrevérités depuis trois semaines, n’en viennent à les percevoir comme des vérités, ce qui fausserait gravement le débat. Pourquoi faire semblant d’ignorer le mécanisme de décision des tarifs ? Uniquement pour faire peur aux Français. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Guy Geoffroy. C’est inacceptable !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. On ne peut laisser croire aux Français que la privatisation se traduira automatiquement par une augmentation.

M. François Brottes. C’est pourtant vrai et je vous le démontrerai ! Il faut bien distribuer des dividendes !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Et France Télécom ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Dans ce cas, monsieur Brottes, expliquez-moi pourquoi, en 2000, alors que l’État détenait 100 % du capital de Gaz de France, M. Jospin a décidé d’augmenter les tarifs du gaz de 34 % ? (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Tout est dit ! Expliquez-vous, maintenant !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est bien la preuve qu’il n’y a pas de relation de cause à effet…

M. François Brottes. Quand le coût de l’approvisionnement augmente, il est normal que le prix du gaz augmente aussi ! Mais vous ajoutez à cette augmentation les dividendes des actionnaires !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Monsieur Brottes, je ne vous interromps pas quand vous parlez !

M. François Brottes. Il faut bien que je vous explique !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Cela fait déjà trois semaines que vous m’expliquez, et vous aurez encore largement le temps d’essayer de me convaincre.

Quoi qu’il en soit, c’est à M. Strauss-Kahn et M. Fabius que je m’adresse et non à vous, monsieur Brottes. S’ils tiennent ces propos, disais-je, c’est pour faire peur aux Français.

M. Christian Bataille. La concurrence ne fait pas baisser les prix !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je n’ose imaginer ne serait-ce qu’une seconde que la campagne présidentielle puisse interférer dans le débat. Ce serait grave !

Mme Guigou considère, quant à elle, que les questions posées depuis trois semaines sont restées sans réponse.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Elle n’est jamais là !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Mais, c’est la seule fois que je l’ai vue dans l’hémicycle depuis trois semaines !

M. François Brottes. C’est faux ! Mensonge !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est la seconde fois, en effet ! En tout état de cause, monsieur Brottes, si Mme Guigou nous avait posé des questions au cours de ces trois semaines, nous lui aurions apporté les mêmes réponses qu’à vous, car nous avons de la constance dans nos arguments.

M. François Brottes. Nous aussi !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous sommes conscients de défendre la vérité et un texte utile aux consommateurs. On ne peut pas s’en servir comme d’un épouvantail pour essayer de faire passer de fausses informations dans la population.

M. Montebourg,…

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Mais où est-il ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …qui n’est plus là non plus, nous dit, quant à lui, que nous n’avons pas mandat pour faire ce que nous faisons.

Mme Geneviève Gaillard. C’est vrai !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Mais qu’a-t-il donc fait entre 1997 et 2002, alors qu’il était déjà député et qu’il soutenait M. Jospin ? Que je sache, le programme de M. Jospin ne faisait pas état de décisions en matière de privatisations. Rappelons-les faits : 1997, ouverture du capital de France-Télécom ;…

M. François Brottes. Ce n’est pas une privatisation !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …1998, privatisation du CIC, (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), ouverture du capital de Thomson Multimédia, privatisation du GAN, de la CNP,…

M. François Brottes. Ces sociétés n’avaient pas de mission de service public !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …de la Société marseillaise de crédit et de RMC ; 1999, privatisation du Crédit lyonnais, d’Aérospatiale-Matra – secteur sensible s’il en est –, ouverture du capital d’Air France et poursuite de celle de France Télécom – M. Breton en sait quelque chose ; 2000, poursuite de l’ouverture du capital de Thomson Multimédia et ouverture de celui d’EADS ; 2001, banque Hervet ;…

M. Guy Geoffroy. Arrêtez, monsieur le président, cela leur fait trop mal !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …2002, les Autoroutes du sud de la France et le réseau de transport de gaz du sud-ouest. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Eh oui, mes chers collègues, ils ont privatisé ce réseau ! Quant à Arcelor, auquel M. Montebourg a fait allusion, mais qui a donc vendu les parts que l’État détenait dans cette entreprise ? Le gouvernement de M. Jospin, que M. Montebourg a soutenu. Voici les chiffres : il y a eu 31 milliards d’euros de privatisations sous le gouvernement de M. Jospin, contre 13 milliards avec M. Chirac.

M. François Brottes. Tout le service public passe à la trappe avec vous !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Alors, je vous en prie, ne nous donnez pas de leçon sur les privatisations ! La démonstration que je viens de faire montre en effet l’inanité de vos arguments. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Voilà ce que je voulais dire, sans aucune passion mais avec beaucoup de…

M. François Brottes. Mauvaise foi !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …fermeté pour bien faire comprendre que, dans ce débat, il n’y a pas de place pour la politique politicienne. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. François Brottes. C’est un maître qui parle !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Monsieur Brottes, je suis comme vous un montagnard qui essaie de gravir pas à pas les pentes difficiles, y compris s’agissant de ce texte.

M. François Brottes. Je le sais !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Merci de le reconnaître ! Nous faisons en sorte d’avoir un débat sérieux. Nous avons tourné ensemble de nombreuses pages depuis le 7 septembre.

Monsieur Paul, monsieur Bataille, nous mettons tout en œuvre pour entrer dans le débat. Nous vous apportons toutes les réponses que vous souhaitez. Je comprends que vous ne soyez pas d’accord avec ces dernières. Mais, de grâce, ne faites pas comme ceux qui sont intervenus tout à l’heure ! Ne faites pas semblant de croire que le débat est occulté ! Ne faites pas semblant de dire que le Gouvernement et la majorité ne répondent pas, argument par argument, à vos affirmations et à toutes les questions que vous posez !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Très bien !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Certes, nous ne sommes pas d’accord et nous ne partageons pas votre vision des choses. Mais c’est la règle du jeu dans un débat démocratique : l’opposition défend ses convictions, la majorité aussi, et avec autant de conviction, et, ensuite, on vote.

Je souhaiterais donc qu’on en arrive au vote. Il faut pour cela entrer rapidement dans l’examen de l’article 10 car il est urgent de démontrer que la majorité est unanime,…

M. Christian Bataille. Elle n’est pas unanime !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …, presque unanime car il y a quelques voix discordantes, je vous l’accorde, et, en tout cas, cohérente et soudée derrière le Gouvernement pour voter l’article 10 dès que nous aurons terminé ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Après l’excellente intervention du président Ollier, je veux à mon tour rendre hommage à la majorité, qui est présente depuis le début de cette discussion. Alors que nous entrons dans la quatrième semaine de débat, je veux dire merci à la majorité d’être là et de soutenir ce projet, si important pour la France et les Français.

Une fois n’est pas coutume, je voudrais aussi rendre hommage à une petite poignée de députés de l’opposition. Ce que vous faites, mesdames et messieurs, vous honore : vous êtes fidèlement et loyalement présents tous les jours sur vos bancs. M. Soisson a dit que vous étiez des sous-officiers : je crois qu’on peut dire que vous êtes des officiers. (Exclamations et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Permettez-moi de citer quelques noms. Je pense notamment à M. Paul, à M. Brunhes, à M. Gaubert, à M. Bataille, à M. Brottes, M. Dionis du Séjour.

M. François Brottes. C’est une distribution de bons points ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. On peut leur rendre hommage, surtout après ce qu’on a vu et entendu cet après-midi (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), et même si nous ne partageons pas leur vision des choses.

Il est vrai qu’on s’attendait aujourd’hui à une sorte de Lens bis. En tout cas, c’était annoncé comme cela. De fait, un certain nombre de candidats à l’investiture socialiste sont venus s’exprimer. Et chacun a pu constater, du reste, que l’un d’entre eux s’est très nettement détaché des autres. Mais je garderai son nom pour moi. (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Yves Durand. Dites-nous pour qui vous allez voter, monsieur le ministre !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Le débat va maintenant pouvoir reprendre son cours plus sereinement, plus loyalement. Je ne vais pas revenir ici sur les arguments développés cet après-midi, de façon un peu rapide et caricaturale – vous connaissez visiblement le sujet bien mieux que d’autres. Nous ne sommes pas d’accord. Nous pensons, quant à nous, qu’il faut donner à Gaz de France les moyens d’aller de l’avant et de nouer une alliance en faisant en sorte que l’État puisse préserver la minorité de blocage et disposer d’actions spécifiques. Mesdames et messieurs, entrons dans le vif du sujet ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Rappels au règlement

M. Daniel Paul. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour un rappel au règlement.

M. Daniel Paul. Monsieur le ministre, je n’apprécie pas trop cette distribution de bons points. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Il est clair que nous ne partageons pas du tout les mêmes valeurs.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est le moins qu’on puisse dire !

M. Daniel Paul. Nous nous opposons sur le fond.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est vrai !

M. Daniel Paul. Nous sommes ici pour combattre un projet que nous estimons néfaste aux intérêts du pays et des consommateurs, particuliers ou entreprises. Et tout ce que nous disons depuis plusieurs mois montre précisément combien ce texte est néfaste. Au-delà des effets de manche et de tribune, nous allons donc continuer, ce soir, demain et après demain, à démontrer le caractère nocif de votre texte. Nous le faisons à notre façon et nous n’avons que faire des bons points que vous prétendez octroyer ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Monsieur le président, je demande une suspension de séance avant de commencer l’examen des articles.

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour un rappel au règlement.

M. François Brottes. Monsieur le président, je tiens à exprimer une protestation solennelle au nom du groupe socialiste. Je ne conteste pas au ministre le droit de se faire commentateur de ce débat. Mais lorsque le président de l’Assemblée nationale, pour illustrer notre discussion sur l’énergie, installe sur le site intranet de l’Assemblée nationale la photo sur laquelle il pose avec des piles de papier blanc autour de lui, il caricature le débat. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Non, c’est son droit !

M. Christian Bataille. C’est tout à fait déplacé !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. C’est la réalité !

M. François Brottes. Cette photo, en effet, n’a pas été prise dans le cadre de nos travaux, ici ou en commission : c’est une mise en scène qui vise à caricaturer le rôle de l’opposition. Il est donc tout à fait inconvenable qu’elle figure sur le site intranet.

Nous souhaitons donc que nos travaux soient suspendus jusqu’à ce que cette photo soit retirée du site. Je vous le demande très solennellement, monsieur le président. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Assumez vos 137 000 amendements !

M. le président. Monsieur Brottes, je transmettrai vos observations au président de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré.

La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour un rappel au règlement.

M. Jean Dionis du Séjour. J’accepte volontiers les compliments de M. le président de la commission des affaires économiques et de M. le ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) C’est toujours bon à prendre ! D’ailleurs, j’ai envie de retourner ses compliments à M. le ministre. Je le trouve en effet de plus en plus à l’aise à l’Assemblée nationale. Si cela continue, il fera un parlementaire très honorable.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Merci !

M. Christian Bataille. Il pourrait être dans le Gouvernement Fabius…

M. Jean Dionis du Séjour. Mais je ne sais s’il sera dans la majorité ou dans l’opposition.

Cela étant, monsieur le ministre, et pour reprendre les termes de M. Mestrallet, vous avez choisi de constituer un « champion » dans les domaines de l’environnement et de l’énergie . Ce choix est-il pertinent ? Existe-t-il un modèle économique avec des synergies fortes entre environnement et énergie ?

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Oui !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous ne le pensons pas, quant à nous. Y a-t-il d’autres voies ? Une fusion entre Gaz de France et Fluxys, Distrigaz et Electrabel, opérateurs qui se cantonnent au secteur de l’énergie, ne constituerait-elle pas une meilleure solution ? Il faut véritablement entrer dans ce débat, sinon la discussion va dégénérer. Il faut examiner les différentes voies. Vous avez sans doute des convictions fortes en la matière, et nous avons les nôtres.

Je comprends très bien, chers collègues de l’UMP, qu’on puisse s’exprimer en conscience. Mais j’ai été surpris par la sortie de Pierre Lellouche car nous avons le droit de mettre toutes les voies sur la table : la vôtre, monsieur le ministre, et les autres. Et, au bout du compte, nous aurons à nous prononcer librement et en conscience. Nous sommes là pour cela. Le débat doit être à la hauteur de l’enjeu.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

Monsieur Brottes, j’ai consulté le site intranet des députés et j’ai vu qu’y figurait, effectivement, la photographie dont vous parlez et qui a été largement diffusée dans la presse, nationale ou régionale.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Et étrangère !

M. le président. J’ai demandé qu’elle en soit retirée, ce qui est en cours de réalisation.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour un rappel au règlement.

M. François Brottes. Je vous remercie, monsieur le président. Je rappelle que cette photographie ne correspondait pas du tout à la réalité, puisque les piles d’amendements, hautes de deux mètres, n’auraient guère dû dépasser en réalité que deux centimètres. On voit bien qu’il s’agissait d’une caricature. Nous ne pouvions accepter plus longtemps cette mise en scène ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Si je demande la parole pour un nouveau rappel au règlement, c’est pour interpeller M. Breton.

La semaine dernière, monsieur le ministre, vous affirmiez que nous nous en étions bien tirés par rapport à Bruxelles.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je ne l’ai pas dit comme cela !

M. François Brottes. Vous estimiez qu’en somme, les concessions que doit faire Gaz de France n’étaient pas si terribles que cela. Toutefois, les syndicats de salariés mettent en avant une autre analyse selon laquelle 21 % d’approvisionnements de gaz seraient sacrifiés et plusieurs dizaines de milliers d’emplois supprimés. Le Gouvernement a démenti, je vous en donne acte. Un échange a eu lieu, aujourd’hui même, sur ce dossier entre M. le Premier ministre et M. Barroso, à l’issue duquel ce dernier a déclaré qu’il affichait un optimisme prudent sur la possibilité de résoudre les problèmes de concurrence posés par une fusion entre Gaz de France et Suez, évoquant des « remèdes » qui iraient « dans la bonne direction ».

Je ne sais pas si cet optimisme prudent anticipe la réaction des concurrents – deuxième phase de la consultation – ni si les remèdes sont ceux que nous avons évoqués la semaine dernière, ici même et en commission, et dont certains pourraient effectivement aller dans la bonne direction. Je pense pour ma part que M. Barroso songe à de nouveaux remèdes. Il faut que vous nous disiez, monsieur le ministre, après cet échange dont vous avez certainement été informé, quel est l’état d’esprit de M. Barroso.

Au-delà des arguments qui nous opposent, je sais bien que c’est un chèque en blanc que vous nous demandez, mais nous aimerions tout de même que vous nous fassiez un bilan d’étape.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je vous propose d’entrer d’abord dans le détail des amendements.

M. François Brottes. Non, votre réponse est importante !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Soit, je vais vous répondre.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur Brottes, comme le président Ayrault, invité par le président de la commission, vous avez eu connaissance, dans la plus grande transparence, de l’ensemble des éléments contenus dans les réponses des deux entreprises à la Commission européenne, et je vous confirme que les négociations portent uniquement sur ces éléments.

Vous évoquez d’autre part l’analyse réalisée par un cabinet, le cabinet Secafi-Alpha, à la demande du comité d’entreprise de Gaz de France. Cette analyse, au demeurant parfaitement objective, comportait en annexe une note d’un analyste financier de la banque ING disant que, si Gaz de France et Suez faisaient 10 % de suppressions d’emploi en plus, cela pourrait créer des synergies supplémentaires. Nous avons beaucoup entendu parler de ce qui n’est qu’une simple note, qui n’engage que la banque d’affaires ING et ne correspond pas du tout à l’analyse du cabinet Alpha ! Cet analyste est le seul à avoir envisagé des suppressions d’emplois supérieures à celles sur lesquelles les entreprises se sont engagées.

Il est important de noter que les deux entreprises ont réagi immédiatement en indiquant qu’il n’était nullement dans leur intention de procéder à de telles suppressions d’emplois. Elles ont au contraire indiqué que cette fusion – qui, rappelons-le, n’est pas l’objet de cet article 10 – serait créatrice d’emplois. L’une d’elles s’est même engagée à 1 000 créations nettes par an. Je tiens donc à vous rassurer, en vous rappelant les démentis des deux entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert, pour un rappel au règlement.

M. Jean Gaubert. Nous ne pouvons nous satisfaire de votre réponse, monsieur le ministre. Vous dites, parlant de la note d’un analyste financier, qu’il n’est pas question de suppressions d’emplois « supérieures à celles sur lesquelles les entreprises se sont déjà engagées », mais peut-être s’agit-il d’un lapsus…

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. En effet. Je vous remercie de me corriger.

M. Jean Gaubert. Il est très important pour nous de le savoir. La question va se poser, car il y aura de toute évidence des doublons dans les services communs. Il serait plus honnête de réfléchir à la façon de régler ce problème.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis de la commission de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Ce n’est pas le rôle du ministre !

M. Jean Gaubert. Le ministre sait beaucoup de choses ! N’importe quel industriel sait qu’une fusion entraîne des doublons et que l’un des moyens de gagner en efficacité, c’est de supprimer des emplois. Cela se produira, ce n’est pas la peine de le nier.

Par ailleurs, je suis sûr que M. de Villepin et M. Barroso s’aiment beaucoup, mais je ne pense pas qu’ils se soient rencontrés ce matin pour parler de la pluie et du beau temps.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Beaucoup de sujets ont été évoqués.

M. Jean Gaubert. À propos de la fusion Suez-GDF, M. Barroso a dit que les « remèdes » proposés allaient dans le bon sens. S’il y a des « remèdes », cela signifie qu’il y a un malade. Il faudrait nous dire quel est ce malade. Et si ces remèdes vont dans le bon sens, cela veut dire que nous ne sommes pas encore arrivés au bout du chemin !

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour un rappel au règlement.

M. Daniel Paul. Monsieur le ministre, je ne connais pas de privatisation qui ne se soit soldée par des suppressions d’emplois, souvent massives. Que l’on s’appelle Renault, France Télécom, Gaz de France, quand on est privatisé, c’est une autre logique qui se met en place : il faut augmenter la rentabilité. Il ne faut pas se voiler la face : la menace sera mise à exécution, avec les conséquences que l’on sait. Voilà pour ma première remarque.

Deuxième remarque : il est un peu fort de café d’engager une discussion sur la privatisation de GDF et la fusion GDF-Suez, alors que nous ne connaissons ni la décision que prendra la Commission européenne, ni ce qui adviendra de la demande exprimée par le Gouvernement belge depuis déjà quelques jours et réitérée aujourd’hui même, ni les exigences – les prétentions, comme je les appelais la semaine dernière – des actionnaires de Suez. Ces derniers auront la voie libre puisque, une fois Gaz de France privatisée, il n’y a aucune raison qu’ils ne fassent pas valoir leurs prétentions quant à la valeur de l’action de leur entreprise.

Reprise de la discussion

M. le président. Nous allons aborder maintenant l’examen des amendements à l’article 10.

Je suis d’abord saisi d’une série d’amendements identiques, n° 95550 à 95571, de suppression de l’article.

La parole est à M. Daniel Paul, pour les soutenir.

M. Daniel Paul. Ces amendements visent en effet à supprimer l’article 10.

Nous ne nions pas que la question de l’avenir de Gaz de France dans le paysage énergétique soit pertinente ; nous ne l’avons jamais nié. Les problèmes du secteur énergétique, liés à la raréfaction des énergies fossiles, aux incertitudes du secteur liées au contexte géopolitique de certains pays producteurs et à la déréglementation des différentes activités de production et de fourniture, sont réels. Toutefois, la réponse apportée, au lieu de venir résoudre ces problèmes, ne fait qu’alimenter la machine de « guerre » qui semble se mettre en route dans le domaine énergétique – vous reconnaîtrez là, monsieur le ministre, vos propres mots, prononcés ici même il y a quelques jours. Or cette « guerre énergétique », vous allez largement contribuer à la favoriser en livrant à la concurrence et aux capitaux privés des entreprises publiques qui avaient su faire preuve de leur efficacité. Vous avez préféré suivre aveuglément le dogme libéral, sans vous soucier de la capacité de ce marché à assurer une répartition équitable des ressources, un prix modéré pour les consommateurs, des relations stables avec les producteurs, une continuité d’approvisionnement et des installations gazières et électriques sécurisées.

Monsieur le ministre, il faudra nous expliquer en quoi des entreprises privées seront mieux à même de négocier avec Gazprom que le gouvernement français, en quoi des entreprises soumises aux pressions de leurs actionnaires investiront plus dans la maintenance et la sécurité du réseau de transport qu’une entreprise publique, en quoi des entreprises privées assureront une meilleure gestion à long terme des ressources. En quoi, par exemple, sert-on l’intérêt du pays lorsque l’entreprise publique Gaz de France n’est pas candidate sur le projet de terminal gazier du port d’Antifer ? Pour ce projet, qui pourrait être le premier terminal gazier de gaz naturel liquéfié de notre pays, l’appel d’offres ne s’est fait que sur la base de candidatures d’entreprises privées, de marchands de gaz ! L’opérateur public, lui, était totalement absent ! Le marché a été remporté par un marchand de gaz, Poweo, qui aura ainsi ses premières installations sur le territoire national. Cela est totalement scandaleux !

Permettez-moi, en outre, de douter des intérêts économiques du pays dans l’absorption de Gaz de France par Suez, doté d’un chiffre d’affaires quasiment équivalent au double de celui de GDF. Je repose donc la question : en quoi l’entreprise privée Suez, majoritaire dans le capital du nouveau groupe, serait-elle garante des intérêts économiques de notre pays en matière énergétique ?

Les exemples de plusieurs grands groupes français qui n’hésitent pas à avoir recours à des plans sociaux ou à des délocalisations ne militent pas pour une réponse positive. Faut-il rappeler le comportement du groupe EADS, issu de la fusion d’un groupe public aérospatial et d’un groupe privé, Matra, dans une affaire qui a défrayé la chronique il y a quelques semaines ? Est-ce un signe des temps que notre pays supprime un groupe public pour confier à un groupe privé ses intérêts gaziers ?

Vous vous contentez de mettre en avant des slogans sur la sécurité d’approvisionnement et la baisse des prix, mais ces arguments, souvent imprécis, ne tiendront sans doute pas longtemps – je le dis également à l’intention de notre collègue UMP qui est intervenue tout à l’heure – tant la pression des exigences des actionnaires sera forte.

Nous pensons, pour notre part, que les missions de service public sont difficilement compatibles avec les caractéristiques d’un marché privatisé et concurrentiel. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de l’article 10.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements en discussion ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Il s’agit de la première série des 35 000 amendements portant sur l’article 10. Il serait évidemment tentant de l’adopter pour précipiter les autres à la trappe ! Mais plusieurs orateurs du groupe socialiste ayant, à l’occasion de leur bref passage parmi nous, déclaré vouloir se battre jusqu’au bout, nous allons leur en donner l’occasion et, ainsi, voir leur pugnacité. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. Nous avons longuement expliqué pourquoi nous tenions à mettre en place ce dispositif : en absorbant Suez par un échange d’actions, Gaz de France sera deux fois plus grand et deux fois plus efficace dans l’amont gazier. Cet article clé répond au problème de sécurité d’approvisionnement de la France.

Je suis donc défavorable à ces amendements, mais prêt à répondre dans le détail sur ceux qui suivront.

M. le président. Sur le vote des amendements identiques nos 95550 à 95571, je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Le groupe socialiste s’associe à cette demande de suppression de l’article 10 organisant la privatisation de Gaz de France.

Cette privatisation affaiblirait incontestablement nos capacités nationales. Mais après tout, nous sommes à l’heure de l’Europe. Pouvons-nous alors avoir encore une vision nationale du dossier énergétique ? Certains de nos collègues la trouveront étroite ; je pense, pour ma part, que nous devons conserver prioritairement une vision nationale du dossier énergétique car, en la matière, l’Europe n’est qu’un simple lieu de coordination et il n’y a pas, certains le constatent avec regret, de politique européenne de l’énergie. Il n’y a pas de politique constructive, pas de politique européenne de garantie de l’approvisionnement énergétique, l’Europe n’étant d’accord que sur l’objectif de libéralisation du marché, qui, d’ailleurs, tend désormais à occuper tout le champ politique. Or certains États membres ont des intérêts totalement divergents.

L’Italie n’a pas de politique depuis des décennies, elle va au fil de l’eau, elle n’est pas courageuse. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) N’ayant construit aucune politique réelle et s’étant livrée au marché, elle est aujourd’hui très dépendante en matière énergétique.

L’Allemagne est aujourd’hui dépendante de sa politique charbonnière, du charbon et du lignite, avec les inconvénients que l’on sait en termes de rejets de CO2 dans l’atmosphère et d’effet de serre.

La Grande-Bretagne s’est appuyée sur son stock de gaz et de pétrole de la Mer du Nord, bientôt épuisé.

La France, elle, obéit à d’autres paramètres et a besoin d’outils nationaux. Elle a besoin de préserver et de conforter EDF. Elle a également besoin de conserver la maîtrise de Gaz de France et d’y rester majoritaire. Car si nous perdons la maîtrise de Gaz de France, nous perdons les leviers d’une politique nationale que rien ne viendra remplacer, étant donné l’absence de politique européenne.

Voilà pourquoi cet article est nocif.

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le ministre, vous nous avez répondu qu’il fallait voter l’article 10 pour constituer un géant de l’énergie. C’est vrai, mais c’est une réponse partielle, et vous devez maintenant entrer dans la discussion ! Suez n’est pas uniquement un géant de l’énergie : c’est un géant de l’énergie et de l’environnement. Vous avez donc fait le choix de constituer un géant de l’énergie et de l’environnement, mais est-ce le bon ?

Ayons une logique strictement énergétique : les deux branches énergie de Suez que j’évoquais tout à l’heure, c’est 14,2 milliards + 5,9 milliards d’euros. Les cessions d’infrastructures qui se profilent nous mènent vers un pôle énergétique qui ne serait pas de 65 milliards d’euros, mais de 45 milliards d’euros. Pourquoi alors ne vous orientez-vous pas plutôt vers une fusion entre Gaz de France et le pôle énergie de Suez, ensemble dans lequel l’État resterait majoritaire ? Vous ne pourrez pas toujours éviter le débat. Expliquez-nous votre choix.

Si vous ne nous apportez pas les explications, nous voterons contre l’article.

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix les amendements identiques nos 95550 à 95571.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est ouvert.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

Je suis saisi d’une série d’amendements identiques, nos 95572 à 95593.

La parole est à M. Jacques Brunhes, pour les soutenir.

M. François Brottes. Je reprendrai ensuite l’amendement de Daniel Paul !

M. le président. Monsieur Brottes, je voudrais dissiper toute confusion, pour éviter les menaces de suspension de séance.

M. François Brottes. Moi ? Jamais !

M. le président. Vous ne pouvez pas reprendre l’amendement de M. Paul, car, à la différence des vôtres, il est signé de M. Daniel Paul et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains.

Vous avez la parole, monsieur Brunhes.

M. Jacques Brunhes. L’alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946, auquel fait explicitement référence le Préambule de la Constitution de 1958, énonce clairement : « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »

Qui pourrait nier aujourd’hui, monsieur le ministre, que l’exploitation de notre secteur énergétique relève d’un service public national, ne serait-ce que parce qu’il doit garantir notre indépendance énergétique ? Qui pourrait nier que son organisation tend naturellement vers une situation de monopole, du fait du coût extrêmement élevé des infrastructures, installations nucléaires, réseaux de transport de gaz ou terminaux méthaniers pour le secteur du gaz ?

C’est donc en accord avec le Préambule de notre Constitution que la forme juridique d’établissement public à caractère industriel et commercial a été créée par la loi n° 46-628 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz du 8 avril 1946, introduisant dans notre droit un type de propriété des entreprises publiques sans capital social ni actions : l’État ne dispose pas de la propriété du capital de l’EPIC, qui est inaliénable et indivisible. Ainsi, EDF et GDF, propriété de la collectivité et de la nation elle-même, assurent un service public national.

En adéquation avec ces principes constitutionnels, l’article 16 de la loi du 8 avril 1946 précitée dispose : « Le solde net des biens, droits et obligations transférés aux établissements publics prévus par la présente loi constitue le capital de l’établissement. Ce capital appartient à la Nation. Il est inaliénable et, en cas de pertes d’exploitation, il doit être reconstitué sur les résultats des exercices ultérieurs. »

Dans les faits, ces entreprises sont la propriété de la collectivité, car ce sont les usagers, par l’intermédiaire d’un prélèvement sur les tarifs, qui ont financé leur nationalisation et leur développement économique. C’est grâce aux usagers qu’ont pu être assurés, entre autres, l’indemnisation des anciens actionnaires à la suite de la nationalisation de 1946, sous la forme d’une obligation indemnitaire d’une durée de cinquante ans, ainsi que le financement des investissements nécessaires pour remplir les missions de services publics : réseaux, stockage, terminaux méthaniers, programme nucléaire, grands barrages hydrauliques, recherche.

Dans le cas d’EDF, il faut bien avoir à l’esprit que l’apport de l’État en tant que tel a pris, depuis 1946, la forme de prêts rémunérés transformés en dotations en capital à hauteur de 7,7 milliards d’euros, mais aussi d’une contrepartie, obtenue en 1997 à la suite de la perte de son droit de concession du réseau de transport d’électricité, soit 8,4 milliards d’euros. L’apport de l’État au capital de GDF, quant à lui, a pris, depuis 1946, la forme de dotations en capital d’un montant de l’ordre de 900 millions d’euros. On peut constater que les engagements financiers de l’État sont faibles, notamment en ce qui concerne Gaz de France.

Au vu de ces éléments, l’ouverture du capital de GDF constitue donc une spoliation de la collectivité, car elle permet à des intérêts privés de s’approprier un capital qui ne leur appartient pas.

Votre article 10 dispose de manière extrêmement limpide de la privatisation de GDF. Vous opérez donc une transformation radicale en abaissant à un tiers la part de l’État dans le capital de l’entreprise.

Pour conclure, je me reporterai encore à la Constitution, et plus précisément à son Préambule, qui se réfère à l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

Or rien ne justifie aujourd’hui un tel transfert de droit de propriété. A contrario, le respect des obligations de service public, qui relève de la nécessité publique même, exige que Gaz de France demeure la propriété de la collectivité nationale. C’est pourquoi nous pensons que votre projet de loi est constitutionnellement irrecevable.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Monsieur Brunhes, c’est au Conseil constitutionnel qu’il appartient d’apprécier la constitutionnalité des lois, et non pas au législateur lui-même. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. La commission des finances s’est saisie pour avis des articles 10, 11 et 12. Elle a adopté l’article 10 à l’issue de deux discussions assez longues ayant porté, l’une, sur le caractère de service public national ou de monopole de fait, et l’autre sur le niveau optimal de la participation de l’État dans le capital de la nouvelle entité qui résulterait d’une fusion.

Vous avez fait une longue digression, monsieur Brunhes, pour expliquer que Gaz de France était soit une entreprise exerçant un monopole de fait, soit un service public national.

M. Daniel Paul. C’est vrai !

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Je suis désolé de vous rappeler l’avis du Conseil d’État du 11 mai 2006.

M. François Brottes. Le Conseil d’État ne répond pas à la question !

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Il a indiqué de manière très claire qu’« il ne résulte d’aucun principe ni d’aucune règle de valeur constitutionnelle que le service public du gaz doive être érigé en service public national ». C’est un avis qui n’est pas discutable puisqu’il émane de la première juridiction administrative.

Dans le même avis du 11 mai 2006, le Conseil d’État estime que, en raison de diverses évolutions, liées notamment à l’ouverture progressive du marché du gaz, Gaz de France a perdu tel ou tel monopole et qu’il n’est donc ni un monopole de fait ni un service public national. Il résulte que rien ne fait obstacle à ce que ses activités de service public soient assurées par une entreprise privatisée.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements en discussion ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Je m’apprêtais à dire ce que vient d’expliquer le rapporteur pour avis de la commission des finances, que je remercie de son intervention.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. J’ignore si la coutume autorise à lire en séance une analyse faite par quelqu’un d’autre, mais, comme je trouve très pertinente celle qu’une organisation syndicale, la CGC, nous a adressée et que nous ne sommes probablement pas les seuls à avoir reçue, je vais me permettre de l’exposer ici. Je rappelle que la CGC est opposée à la privatisation de Gaz de France.

La loi du 9 août 2004 a permis la transformation de l’EPIC Gaz de France en société anonyme et ouvert la voie à l’ouverture de son capital, mais n’a en aucun cas remis en cause le statut de service public national de GDF, car elle a confirmé le contrôle de la puissance publique française via une participation de l’État majoritaire à hauteur de 70 % minimum. C’est ainsi que, dans les commentaires de la décision du Conseil constitutionnel, relative à cette loi du 9 août, publiée dans le numéro 17 des Cahiers du Conseil constitutionnel, il est précisé que le législateur avait pu légalement « transférer à la société Gaz de France SA les missions de service public national du gaz antérieurement dévolues à l’EPIC Gaz de France, confirmant ainsi la qualité de service public national de GDF », car il avait prévu son appartenance au secteur public.

Dans le numéro des Cahiers du Conseil constitutionnel en question, relatif à la décision du 5 août 2004 − rappelez-vous qui était à l’origine de cette décision −, il est explicitement précisé : « Aux termes du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : “Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité.” […] En transférant aux sociétés nouvellement créées les missions de service public antérieurement dévolues aux personnes morales de droit public Électricité de France et Gaz de France dans les conditions prévues par les lois susvisées du 8 avril 1946, du 10 février 2000 et du 3 janvier 2003, le législateur a confirmé leur qualité de services publics nationaux. Il devait donc, conformément au neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, conserver ces sociétés dans le secteur public. Mais c’est ce qu’il a fait en imposant que leur capital soit détenu majoritairement par l’État. L’appartenance d’une société au secteur public résulte en effet de ce que la majorité de son capital et des droits de vote appartienne à l’État, à d’autres collectivités publiques ou à d’autres sociétés du secteur public […]. Or, l’article 24 de la loi déférée dispose expressément que l’État détient plus de 70 % du capital social de EDF et GDF. Seule une loi ultérieure pourrait décider de revenir sur cette participation majoritaire. » Dès lors, si Gaz de France, par le biais de la fusion avec Suez, devait être privatisée, elle ne relèverait certes plus du secteur public. Il serait alors nécessaire de déclasser GDF SA de son statut de service public national.

C’est une question qui ne s’est jamais posée et qui n’a donc pas été tranchée, car GDF SA est toujours à majorité publique. Les conséquences de ce déclassement n’ont jamais été abordées ni par le Gouvernement ni par le Parlement. Les services publics à caractère constitutionnel touchant aux fonctions de souveraineté de l’État − police, armée, justice, etc. − sont les seules à n’être en aucun cas transférables au privé, mais le déclassement d’un service public national comme GDF n’a jusqu’ici jamais été à l’ordre du jour des privatisations, car les entreprises qui ont été privatisées étaient certes des entreprises publiques, mais en aucun cas des services publics nationaux.

La suite devrait vous intéresser, monsieur le ministre : seule la privatisation de France Télécom aurait pu permettre d’ouvrir ce débat, mais les fortes évolutions technologiques dans le secteur des télécommunications ont réduit le champ d’application de la notion de service public national des télécoms. La concurrence de la téléphonie mobile a restreint la notion de service public et de monopole de la téléphonie fixe. Dès lors, la loi de privatisation de France Télécom n’ayant jamais été déférée devant le Conseil constitutionnel, le débat sur le déclassement d’un service public national n’a jamais eu lieu en France.

Nous estimons que ce débat devrait avoir lieu à propos de GDF et c’est la raison d’être de nos amendements.

M. le président. J’informe l’Assemblée que, sur le vote des amendements identiques nos 95572 à 95593, je suis saisi, par le groupe des député-e-s communistes et républicains, d’une demande scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. En dépit des affirmations de M. Novelli, le débat a été mal posé. Je rappelle d’ailleurs au rapporteur et au président de la commission que la CNR n’est toujours pas une entreprise privée : son capital est à majorité publique.

M. Daniel Paul. De très peu – à 50,1 % –, mais c’est vrai !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Dont acte !

M. François Brottes. Pour en revenir à notre débat, la question a, en revanche, été très bien posée au Conseil d’État, c’est-à-dire d’une manière qui a permis d’obtenir la réponse souhaitée !

À la question : « GDF constitue-t-il un monopole de fait ? », le Conseil d’État a, certes, répondu non, mais il n’a pas distingué entre l’exploitation du réseau, qui est plutôt de nature monopolistique, et son utilisation par les « commercialisateurs », autrement dit les fournisseurs, qui sont en compétition auprès des entreprises depuis l’ouverture du secteur à la concurrence. En tant que fournisseur, Gaz de France n’a plus de monopole. Toute la question est donc de savoir si la gestion du réseau – sa construction, son entretien, son exploitation, la perception des péages – est une activité monopolistique.

Pour ce qui est du grand réseau d’alimentation et de distribution public, sa nature de monopole naturel sur un territoire est évidente dans le domaine de l’électricité – je pense, bien sûr, à RTE pour le réseau haute tension. Dans ces conditions, on voit mal pourquoi elle ne le serait pas dans celui du gaz.

Si, à la question qui lui était posée – celle de savoir si GDF était un monopole de fait –, le Conseil d’État a répondu, à juste raison, par la négative, c’est donc parce que l’on a confondu les deux aspects de la question. On ne lui a pas demandé en effet si l’exploitation du grand réseau gazier sur un territoire donné présentait ou non, à l’échelle nationale, les caractéristiques d’un monopole naturel, donc d’un monopole de fait. Une question mal posée ne pouvait que recevoir une réponse ambiguë puisqu’il faut bien dissocier – mon collègue Daniel Paul vient de le démontrer – l’aspect infrastructure de l’aspect services.

La seule solution ne pourra qu’être celle du déclassement du grand réseau, puisque l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 stipule que « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » En effet, quatre conséquences découlent de cet alinéa : tout bien dont l’exploitation a le caractère d’un monopole de fait doit être propriété de la collectivité, de même que tout bien dont l’exploitation a le caractère d’un service public national, ainsi que toute entreprise dont l’exploitation a également le caractère d’un service public national ou d’un monopole de fait.

La question de la propriété collective ne se pose pas forcément pour toutes les activités de Gaz de France, mais au moins pour ce qui concerne les infrastructures.

Si, comme vous êtes en train de le faire, on veut abandonner le statut public, encore ne faut-il pas avoir le monopole de fait de toutes les concessions de distribution publique sur le territoire où l’on opère et ne pas posséder à soi seul le grand réseau gazier. Le déclassement s’impose donc si vous voulez que soit abandonné le statut public national de l’entreprise qui gère les infrastructures.

M. Daniel Paul. Eh oui !

M. François Brottes. Je pèse mes mots car, je le dis en passant au rapporteur, nous ne sommes pas là pour jouer. Aussi ne devrait-il pas se contenter de ses réponses de tout à l’heure – Jean Gaubert y reviendra certainement.

Si la loi est adoptée, GDF privatisée pourra, au même titre que les entreprises de distribution d’eau, être concessionnaire de réseaux de distribution publique de gaz, mais à condition de ne pas avoir le monopole de fait de toutes les concessions de son territoire. Le caractère devenu privé dudit concessionnaire implique, en effet, une mise en concurrence. Or celle-ci n’aura pas lieu puisque vous prévoyez la transmission directe à titre gratuit – « gratos », comme l’on dit chez moi – d’un monopole public à un monopole privé qui bénéficiera ainsi – ce qui est tout de même incroyable ! – d’un marché captif et pérenne, et cela en contradiction avec le préambule de 1946.

La question, monsieur Novelli, aurait donc pu être posée de façon un peu moins perfide.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Je n’y suis pour rien !

M. François Brottes. Certes, mais vous vous délectez de la réponse, ce que je comprends.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Elle est fort bonne !

M. François Brottes. Si l’on avait en effet posé la question en dissociant l’aspect infrastructure de l’aspect services, la réponse aurait été tout autre.

M. le rapporteur pourra toujours nous dire que nous pouvons déposer un recours devant le Conseil constitutionnel, seul habilité à trancher.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Ce ne sont pas tout à fait mes propos.

M. François Brottes. Je ne crois pas les trahir en indiquant que, selon vous, nous sommes là pour faire la loi, non pour analyser la constitutionnalité des textes que nous votons.

Avec l’adoption de ce texte, vous allez déduire, monsieur le ministre, que vous avez l’autorisation de privatiser.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Oui.

M. François Brottes. Toutefois, comme vous êtes habile à la manœuvre, vous serez suffisamment malin pour ne pas privatiser GDF pendant le délai de recours devant le Conseil constitutionnel. Ce n’est qu’une fois la décision rendue que, ayant les mains libres sinon blanches, vous ferez ce que vous voudrez de cette entreprise. Le scénario de la fusée à plusieurs étages est bien conçu !

Vous êtes en train de trahir non seulement la Constitution, mais également vos engagements envers les collectivités locales, parce que leurs concessions, qui pourront être attaquées par n’importe qui, seront cassées : on ne peut pas passer impunément d’un monopole public à un monopole privé sans faire appel à la concurrence !

Voilà ce à quoi nous allons aboutir en votant, dans les conditions actuelles du débat, la privatisation de Gaz de France.

M. Daniel Paul. Il y a de l’eau dans le gaz !

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean Gaubert. J’avais tout à l’heure envie de répondre « Chiche ! » à M. le rapporteur qui évoquait la possibilité de voter la première série d’amendements afin de pouvoir passer à autre chose. S’il pensait en effet que nous avions raison, il ne fallait pas qu’il s’en prive : nos autres amendements n’ont été déposés que parce nous avions cru qu’il faudrait plus de temps pour convaincre !

Pour parler plus sérieusement, notre débat, monsieur le rapporteur, n’est pas un jeu. Votre façon de répondre est d’autant plus singulière que si nous débattons, certes, depuis près de trois semaines, c’est au cœur même du projet de loi que nous arrivons avec cette irréversibilité qui nous est proposée. Nous ne le répéterons jamais assez : si ce forfait est commis, personne ne pourra revenir en arrière. Pire – personne malheureusement ne pourra me contredire –, cette entreprise, qui aura été privatisée, sera forcément opéable par des très grands groupes. Tout nous aura alors échappé.

Mme Geneviève Gaillard. Absolument !

M. Jean Gaubert. Tel est le résultat auquel vous allez parvenir, monsieur le rapporteur, et il serait bon que vous y réfléchissiez.

J’ajoute – point sur lequel vous restez, il est vrai, discret – que la propriété publique des entreprises n’a jamais été remise en cause par Bruxelles. Il ne faudrait pas confondre cette question – sans parler de celle de la propriété publique des réseaux – avec celle de la libéralisation du marché de l’énergie. Permettez-moi de vous renvoyer à certaines déclarations sur ce point, notamment aux propos tenus voilà deux ans environ dans l’enceinte même de notre Assemblée par M. Monti, alors commissaire européen en charge de la concurrence.

Assumez donc votre choix plutôt que de nous expliquer que la faute en revient à d’autres ! Ce choix, en fin de compte, quel est-il ? Il s’agit de profiter de la cagnotte de Gaz de France pour payer les dettes de Suez.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Vous n’avez rien compris !

M. François Brottes. C’est un détournement d’argent public !

M. Jean Gaubert. Monsieur le rapporteur, nous attendons encore bien des réponses précises de votre part comme de celle du Gouvernement.

Premièrement, combien coûtera aux Français, mais d’abord à Gaz de France, la parité des actions ? On parle de un à dix euros par action. Pour ne s’en tenir qu’à une parité médiane, cela fera six milliards d’euros ! N’est-il pas normal que nos concitoyens sachent ce que l’on fait de leur argent ?

M. François Brottes. On le dilapide !

M. Jean Gaubert. Deuxièmement, comment partagerez-vous, non pas la dote, mais la dette de Suez, qui s’élève à 32 milliards environ ? La moitié reviendra aux actionnaires de Gaz de France, donc à l’État, ce qui est tout de même extraordinaire !

M. François Brottes. Merci Breton !

M. Jean Gaubert. En cas de difficulté du groupe, il devra même en payer plus de la moitié, voire la totalité, car il lui faudra bien être solidaire.

Troisièmement – autre question à laquelle on ne veut pas nous répondre –, quels risques court-on à partager les coûts du démantèlement du nucléaire en Belgique ?

Voilà trois semaines, monsieur le ministre, que vous ne nous répondez pas à ces trois questions ou que vous nous répondez à côté.

M. le ministre délégué à l’industrie. Nous vous avons déjà répondu ! Et ce n’est pas le sujet des amendements !

M. Jean Gaubert. Ces amendements sont l’occasion de vous poser à nouveau ces questions. Bien sûr, nous aurions pu déposer encore plus d’amendements, mais nous avions cru comprendre qu’il y en avait déjà trop !

S’agissant, enfin, du monopole de transport – nous reviendrons à l’article 11 sur le curieux montage financier prévu à cet égard –, il existe une solution qui vous permettrait de vous conformer à la décision du Conseil Constitutionnel que François Brottes a rappelée.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Il s’agit plutôt de la jurisprudence du Conseil d’État !

M. Jean Gaubert. Et de celle du Conseil constitutionnel, dans sa décision relative à la notion d’entreprise publique.

Cette solution, c’est de laisser le réseau de transport en dehors de l’opération, ainsi que M. le rapporteur, notamment, l’a proposé. Il est vrai que cela a fait long feu, car la fusion aurait alors perdu tout intérêt pour Suez !

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. À cette heure avancée de l’après-midi, mon intervention sera laconique.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Très bonne idée !

M. Christian Bataille. J’aurai l’occasion de revenir sur le sujet.

Le texte des amendements déposés par M. Daniel Paul et ses collègues contiennent, parmi d’autres termes, ceux de « Constitution de 1946 ». Rappelons, même si cela ne fait pas plaisir à nos collègues qui se réclament de l’héritage gaulliste,...

M. François Brottes. Ils ne sont pas nombreux !

M. Christian Bataille. ...que la Constitution de 1946 a rassemblé non seulement la gauche – les socialistes et les communistes –, les centristes, alors représentés par le MRP,...

M. Jean Dionis du Séjour. C’est exact !

M. Christian Bataille. …mais aussi les gaullistes.

La Constitution de 1946 est ainsi le produit d’un consensus national...

M. François Brottes. Autres temps, autres mœurs !

M. Christian Bataille. ...auquel seuls les héritiers de la collaboration ne participèrent pas. Ce consensus a survécu à tous les régimes, sous la IVe République comme sous la Ve République puisque le général de Gaulle, revenu au pouvoir, a conservé le préambule de la Constitution de 1946. Le principe d’une forme nationale de production d’énergie en matière électrique et gazière a, depuis, toujours prévalu.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. N’oubliez pas le charbon !

M. Christian Bataille. Or voilà qu’aujourd’hui, soixante ans après, l’esprit du préambule de la Constitution de 1946 est battu en brèche.

M. François Brottes. Cassé !

M. Christian Bataille. Je tenais à faire ce rappel historique afin de vous inviter, mes chers collègues, à mesurer à la fois le chemin parcouru et la portée de nos actes législatifs. Ce préambule de la Constitution, dont nous sommes les héritiers, nous en sommes tous comptables. Pour notre part, nous continuerons à le défendre tant sa valeur et sa portée ne doivent pas être remises en cause.

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Cela fait deux fois que je pose la même question de fond mais on ne m’a toujours pas répondu. Je vais donc la réitérer à l’occasion de tous les amendements : que signifie le seuil de 34% ? Quelle est la marge de manœuvre ?

D’un côté, Gaz de France, c’est 983 millions d’actions. Avec un cours de bourse à 25 euros, la capitalisation boursière se monte à 25,4 milliards d’euros. De l’autre côté, Suez, c’est 1 271 millions d’actions. Avec un cours de bourse à 30,62 euros, capitalisation boursière s’élève à 38,9 milliards d’euros. Au cours du jour, Suez représente à peu près à 60,49 % du total et GDF 39,51 %. L’État détenant 80,2 % de GDF, la part de l’État oscillera, au final, entre 31,69 %, 32 % ou 33 %, suivant les jours. Le chiffre de 34 % correspond donc à une fusion totale.

C’est votre choix, il faut l’assumer et accepter le débat car d’autres options sont possibles. N’aurait-on pas pu envisager par exemple une fusion qui se limiterait à Gaz de France et aux trois filiales énergétiques de Suez ? Cela aurait garanti le maintien d’un capital public à Gaz de France. Monsieur le ministre, répondez sur ce point capital. Sinon nous aurons un débat bloqué.

Vous avez utilisé comme ligne force la protection de l’intégralité du capital de Suez. C’est un choix. Justifiez-le. Vous avez annoncé la constitution d’un groupe environnement plus énergie. C’est un choix primordial, discutable selon nous. Défendez votre option, monsieur le ministre, pour que nous puissions débattre avec vous.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Monsieur le ministre, à l’évidence, vous n’aimez pas, mais vous n’êtes pas tout seul, qu’on dise que Suez ferait une bonne affaire si vous alliez jusqu’au bout.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Ce n’est pas sûr.

M. Daniel Paul. Mes collègues ont développé certains aspects de cette bonne affaire. Je voudrais pour ma part revenir sur une question qui n’a toujours pas obtenu de réponse : oui ou non, Suez profitera-t-elle, dans le cas d’une fusion GDF-Suez, d’un bénéfice fiscal de plus de 3 milliards d’euros.

Par ailleurs, Gaz de France est implantée dans des milliers de collectivités locales. Comment expliquera-t-on que l’entreprise est privatisée mais que les réseaux de transport et de distribution ne sont pas mis en concurrence ? Les contentieux risquent d’être multiples. Dans le port du Havre par exemple, on nous a expliqué qu’il n’était pas possible que certaines entreprises privées continuent à occuper des positions ad vitam aeternam sur les quais sans appel d’offres : ainsi, s’agissant du remorquage, un contentieux existe entre Les Abeilles et une autre entreprise privée qui souhaite s’implanter. Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut qu’il puisse y avoir, dans des conditions d’égalité bien évidemment, des appels d’offres, même dans un secteur aussi important pour la sécurité. Ce n’est pas rien le remorquage : il entre dans le port du Havre des porte-conteneurs qui transportent jusqu’à 10 000 boites comme on dit, des pétroliers chargés de 200 000 ou 300 000 tonnes de pétrole, des chimiquiers. Et GDF, elle, ne serait soumis à aucun appel d’offres ? Il faudra bien que vous vous expliquiez sur ce point.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. le ministre délégué à l’industrie. Je suis très heureux d’avoir à répondre à autant de questions intéressantes.

D’abord, s’agissant de la question soulevée par les amendements et sur laquelle les rapporteurs ont déjà fait un exposé précis, nous avons saisi le Conseil d’État parce que nous voulions apporter à une question qui se posait réellement une réponse constitutionnellement valable et susceptible de donner aux projets inscrits dans la loi toute la force juridique nécessaire pour leur mise en œuvre.

M. François Brottes. La question était mal posée !

M. le ministre délégué à l’industrie. Le Conseil d’État nous a renvoyés à la situation européenne. Or les directives européennes parlent de « libéralisation » et d’« ouverture des marchés ». Les neuf premiers articles du projet de loi portent donc sur les conditions de la transposition.

Mme Geneviève Gaillard. Cela n’a rien à voir !

M. le ministre délégué à l’industrie. Cette transposition était nécessaire pour être en conformité avec les directives européennes, mais nous l’avons fait « à la française », en inscrivant toutes les obligations de service public que nous voulons que les opérateurs respectent quels que soient leur capital et leur statut. Ainsi, l’article 1er transpose, mais en maintenant le tarif pour les entreprises qui s’installent et pour les particuliers. Autrement dit, en même temps que nous transposons, c'est-à-dire que nous permettons l’ouverture, nous faisons en sorte que ce à quoi nous tenons, en l’occurrence le tarif, puisse continuer à s’exercer en France.

Dès lors, le monopole n’existe plus.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Eh oui !

M. le ministre délégué à l’industrie. Il n’existe plus ni pour la distribution ni pour l’activité de fourniture. Mais le monopole continue d’exister pour la concession que donne une commune, en application de la loi de 1946.

M. François Brottes. C’est très fragile.

M. Daniel Paul. Il faudrait l’expliquer.

M. le ministre délégué à l’industrie. Nous n’avons donc aucun problème de constitutionnalité, et ces amendements n’ont pas lieu d’être.

Évidemment, il faut tirer toutes les conséquences du fait que l’activité concession des collectivités à l’opérateur, soit local, soit Gaz de France, continue de s’exercer, comme la loi de 1946 nous y autorise. L’arrêt Coname a été évoqué la semaine dernière, mais je vous ai dit que cet arrêt ne ferait pas jurisprudence en France, du fait de cette loi de 1946.

M. François Brottes. On verra !

M. le ministre délégué à l’industrie. Ensuite, plusieurs questions ont été posées sur Suez. Pourrait-il y avoir une OPA sur le groupe fusionné Gaz de France-Suez ? Imaginons que la fusion Gaz de France-Suez soit réalisée, grâce à l’article 10, l’entreprise aura un actionnaire minoritaire mais possédant une minorité de blocage et, de plus, des actions spécifiques pour certaines opérations. Une OPA, dont le but est d’acheter l’ensemble du capital d’une société, serait impossible. Il faudrait que l’État veuille vendre, et, pour cela, il faudrait voter une autre loi pour autoriser la vente. Cette idée d’OPA sur l’opérateur fusionné n’a pas de sens. Si c’est avec Suez que la fusion s’opère, Gaz de France devra procéder à une augmentation de capital et à une offre publique d’échange pour pouvoir acquérir les actions de Suez en échange d’actions de Gaz de France – c’est le mécanisme prévu par la loi. Mais évidemment, on se souvient qu’Air France a commencé à négocier avec un groupe pour ensuite conclure avec un autre.

Quant au calcul auquel s’est livré M. Dionis du Séjour, il n’y a pas lieu de le faire à partir des cours de la bourse puisque le principe du pourcentage de participation de l’État résulte de notre volonté de conserver une minorité de blocage de façon à empêcher que toute une série de décisions puissent être prises sans l’autorisation de l’État et, avec les actions spécifiques, sans l’autorisation totale de l’État.

M. Jean Dionis du Séjour. La coïncidence est troublante !

M. le ministre délégué à l’industrie. Je le répète, notre intention est très claire, et le texte également : il n’est pas question que l’État perde son autorité dans ce domaine. Ce n’est pas la peine de se lancer dans d’autres calculs, c’est celui-là le bon.

Par ailleurs, M. Gaubert a parlé de la dette de Suez. À ma connaissance, celle-ci serait de 13 milliards d’euros, d’après ce que je sais, et non de 32 milliards comme il l’a dit.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Ah !

M. le ministre délégué à l’industrie. Cela dit, je n’ai pas à disserter sur les comptes de Suez ou sur la valeur de Suez. Vous élaborez des scénarios, mais ce sera aux actionnaires de Gaz de France,…

M. François Brottes. Vous en êtes.

M. le ministre délégué à l’industrie. …donc à l’État aujourd’hui, et aux actionnaires de Suez d’étudier le problème de près lorsque la loi sera votée. Tant que ce n’est pas fait, on peut spéculer, on peut imaginer.

M. Daniel Paul. On a le droit de savoir.

M. le ministre délégué à l’industrie. On peut lancer n’importe quel chiffre et imaginer n’importe quel scénario, mais cela n’a pas de sens tant que la loi n’est pas votée.

M. François Brottes. C’est le règne de l’opacité !

M. le ministre délégué à l’industrie. Je n’entrerai pas dans le débat qui consiste à dire Suez vaut tant, Gaz de France vaut tant. Ce n’est pas la question aujourd’hui.

M. François Brottes. Vous voulez qu’on vous signe un chèque en blanc !

M. le ministre délégué à l’industrie. Aujourd’hui, la question est de donner à Gaz de France la possibilité de grandir pour être un opérateur plus important. C’est cette question-là qui doit être débattue.

Cela ne m’empêche pas de répondre, d’expliquer que la dette serait de 32 milliards et non pas de 13 milliards, que la valeur d’une entreprise s’évalue en fonction de ce qu’elle vaut moins ce qu’elle doit.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Bien sûr !

M. le ministre délégué à l’industrie. Et vous pouvez être sûr que tous les analystes financiers qui vont se pencher sur la question aboutiront à quelque chose d’intelligent.

M. Hervé Novelli, rapporteur pour avis. Évidemment !

M. le ministre délégué à l’industrie. Quant au démantèlement des centrales nucléaires, là encore, ce n’est pas la question du jour.

M. François Brottes. En Belgique, si !

M. le ministre délégué à l’industrie. Je veux bien néanmoins vous faire part de notre réflexion.

J’ai fait voter au printemps une loi sur les déchets nucléaires en France, et nous avons mis en place un dispositif que Christian Bataille et d’autres connaissent très bien. En Belgique, des systèmes équivalents aux nôtres existent dans la législation et dans la comptabilité. Ce n’est peut-être pas exactement pareil, mais, du point de vue financier, cela doit revenir à peu près au même. Vous avez parfaitement le droit de vous interroger sur ces questions, mais elles ne sont pas d’ordre législatif en France – contrairement peut-être à la Belgique. En tout cas, ce que je sais, c’est que cela est pris en compte dans l’évaluation d’une entreprise parce que ce sont des provisions, des charges et des dépenses à prévoir.

Enfin, M. Paul m’a interrogé, une nouvelle fois, sur le « bénéfice fiscal » de Suez. Comme je l’ai déjà dit, en France, il existe le secret fiscal. Suez tirerait un bénéfice fiscal, avec ou sans Gaz de France, et le lien de Suez avec le fisc est, par nature, secret, avec ou sans Gaz de France.

M. Daniel Paul. Donc pas de réponse.

M. le ministre délégué à l’industrie. Je pense avoir fait à peu près le tour des questions, mais je suppose que je n’ai pas fini ma soirée. (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le ministre, vous nous dites en substance que si vous avez choisi une participation de 34 % c’est par hasard, car ce seuil qui assure la minorité de blocage vous a séduit. Avec tout le respect que je vous dois, permettez-moi de ne pas vous croire ! C’est une bien troublante coïncidence que cela corresponde exactement à la part qui sera celle de l’État s’il y a fusion totale entre Suez et GDF ! En fait, c’est bien parce que vous aviez ce projet de fusion en tête que vous vous êtes arrêté à ce pourcentage. Et après tout, pourquoi pas ? Dans son rapport d’activité pour 2005, Suez annonce que « la fusion avec Gaz de France aboutira à la formation d’un leader mondial dans les secteurs de l’énergie et de l’environnement. » Nous vous demandons aujourd’hui de comparer ce projet à un autre, qui serait centré exclusivement sur l’énergie et permettrait à l’État de conserver 51 % du capital.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. le ministre délégué à l’industrie. Il n’y a là aucun hasard, monsieur le député ! Nous avons clairement décidé de maintenir une autorité forte de l’État dans le nouveau dispositif. Et ce faisant, nous ne démantelons pas, alors que, hormis la fusion EDF-GDF dont Thierry Breton a longuement parlé tout à l’heure,…

M. Daniel Paul. Nous allons y revenir !

M. le ministre délégué à l’industrie. …toutes les solutions que vous imaginez, tous les découpages que vous faites, ce Monopoly auquel vous vous livrez, sont bien des démantèlements.

Ce n’est pas le moment de faire du charcutage ! Nous voulons des entreprises fortes et capables d’agir au plus vite !

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix les amendements identiques nos 95572 à 95593.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est ouvert.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

L’Assemblée nationale n’a pas adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 3201, relatif au secteur de l’énergie :

Rapport, n° 3278, de M. Jean-Claude Lenoir, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire ;

Avis, n° 3277, de M. Hervé Novelli, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)