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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Troisième séance du mardi 18 octobre 2005

23e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. MAURICE LEROY,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

Loi de finances pour 2006

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2006 (nos 2540, 2568).

Exception d’irrecevabilité

M. le président. J’ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Jean-Claude Sandrier, pour une durée qui ne pourra excéder une heure trente.

M. Jean-Claude Sandrier. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, mes chers collègues, le projet de loi de finances qui nous a été présenté pour 2006 recèle, à notre sens, quatre raisons majeures qui justifient son irrecevabilité.

Tout d’abord, il représente un véritable déni de l’expression démocratique de nos concitoyens. C’est le respect même du suffrage universel, tel qu’il s’est exprimé le 29 mai dernier, qui est en cause. La souveraineté populaire décrite à l’article III de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen exigerait d’autres choix.

Le deuxième principe constitutionnel bafoué réside dans le non-respect de l’article XIII de cette même Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Permettez-moi de la citer : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés. » Cet article, rédigé par les pères de notre République, affirme non seulement le principe de la contribution, mais surtout celui du respect de la faculté contributive. Dois-je rappeler à ce propos la décision du Conseil constitutionnel du 30 décembre 1981 relative à l’impôt sur les grandes fortunes, qui a affirmé le principe de la progressivité de l’impôt, que vous vous attachez à limiter, monsieur le ministre, si ce n’est à éliminer ? Ce faisant, non seulement vous favorisez les plus riches mais vous accroissez aussi le poids des impôts les plus injustes que sont la TVA et la TIPP.

Le troisième principe constitutionnel dont le projet de loi de finances pour 2006 s’affranchit allègrement, c’est celui de la libre administration des collectivités locales, prévu par l’article 34 de la Constitution de 1958. J’y reviendrai.

Enfin, la quatrième raison majeure qui motive l’exception d’irrecevabilité que j’ai l’honneur de défendre au nom du groupe des député-e-s communistes et républicains tient au manque de sincérité patent des hypothèses économiques retenues et à la présentation de chiffres erronés, qui ont pour effet de faire discuter la représentation nationale sur un faux budget.

Voilà les quatre principes sur lesquels je reviendrai au cours de mon propos et qui justifient le vote de cette motion d’irrecevabilité à l’égard du projet de loi de finances pour 2006.

Bien entendu, le projet de loi de finances qui nous est présenté ne saurait être examiné en dehors du bilan de l’action du Gouvernement après trois ans et demi d’exercice du pouvoir. Car, hormis un petit jeu de chaises musicales et un changement d’homme à sa tête – à M. Raffarin, M. de Villepin et M. Sarkozy ont succédé M. de Villepin, M. Sarkozy et M. Breton –, ce gouvernement de droite n’a pas modifié d’un iota ses priorités, ses objectifs ni ses moyens.

C’est la raison pour laquelle l’échec de cette majorité de droite depuis 2002 porte en lui l’échec de demain. Et cet échec est retentissant car vous n’avez atteint, monsieur le ministre, aucun des objectifs que vous vous étiez vous-même fixés.

Grâce à la baisse de l’impôt sur le revenu, à celle des cotisations sociales patronales et à l’accroissement des cadeaux fiscaux, vous prétendiez réduire le chômage – or il y a 230 000 chômeurs de plus depuis 2002 –, retrouver la croissance – elle se traîne autour de 1,5 % – et diminuer la dette – elle a augmenté de 10 %.

En revanche, vous avez obtenu des résultats que vous n’aviez pas annoncés. En effet, le nombre de RMIstes a augmenté de 10 % et le nombre de familles surendettées de 14 %. Celui des personnes assujetties à la CMU a augmenté dans les mêmes proportions. Les progrès du CAC 40 sont bien connus : on a enregistré des profits à hauteur de 28 milliards d’euros en 2003 et de 57 milliards en 2004. Et l’on évalue à 75 milliards ceux de 2005. Les patrons du CAC 40 ont augmenté leurs salaires de 10 % en un an, sans parler des golden parachutes, des golden hello et autres petits plaisirs. Et vous allez encore leur faire de nouveaux cadeaux en allégeant leur impôt de solidarité !

Sans doute M. Breton a-t-il bien fait de rappeler récemment que son indemnité de ministre ne s’élevait qu’à 10 000 euros. Mais on ne sait s’il entend par cet aveu valoriser son engagement politique ou dévaloriser ses choix politiques, lesquels continuent d’engraisser des actionnaires qui réalisent des profits exorbitants et ses ex-collègues du CAC 40 qui touchent un jackpot permanent.

Cela dit, la réduction statistique du nombre de chômeurs ou les pressions visant à faire accepter n’importe quel travail n’importe où et à n’importe quel prix ne trompent personne. Hewlett-Packard, Flextronics, MBDA, Nestlé : la liste est longue des entreprises qui annoncent des plans de licenciements et de suppressions d’emplois.

Mes propos ne semblent pas vous intéresser beaucoup, monsieur le ministre, ni vous, monsieur le rapporteur général. Je n’ignore pas qu’il est difficile d’écouter un orateur durant une heure et demie et je ne veux surtout pas vous obliger à écouter des propos fastidieux pendant aussi longtemps. Je me mets à votre place ! (Sourires.) Mais vous pourriez au moins vous tourner de temps en temps vers moi et tendre un peu l’oreille. Il n’y a pas, dans les propos que je tiens, que des choses inintéressantes, même pour vous.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Mais nous vous écoutons, monsieur Sandrier !

M. Jean-Claude Sandrier. Vous vouliez libérer le travail. En fait, vous avez libéré les licenciements, voilà la réalité. Alors, comme une rengaine, c’est avec solennité que l’on entend le Premier ministre lancer à la nation que cette année, la priorité, c’est l’emploi ! Quelle nouvelle révolutionnaire ! Le problème, c’est que, en 1995, le Président de la République jurait déjà devant les Français que l’emploi n’était pas une priorité, mais « la » priorité. On sait ce qu’il en est advenu. C’est un échec politique, un échec économique et un échec social.

Pourquoi devrions-nous croire aujourd’hui une promesse déjà faite il y a dix ans ? C’est une question à laquelle vous me répondrez, j’espère, monsieur le ministre. Certes, vous pouvez prétendre que M. Breton et vous-mêmes êtes les meilleurs. Si c’est vrai, nous verrons des choses intéressantes. (Sourires.)

Mais, les mêmes causes produisant les mêmes effets, je parie, malheureusement pour nos concitoyens, que leur situation ne s’améliorera pas. En revanche, les gagnants, nous les connaissons. C’est ce qui a fait dire à l’économiste Serge Halimi : « Depuis vingt ans, perpétrée par les maîtres du monde, l’agression a été permanente autant qu’unilatérale : ils ont voulu prendre leur revanche sur les deux siècles de conquêtes sociales et démocratiques qu’inaugura la Révolution française. »

Votre obsession de donner des cadeaux aux plus riches, qui aboutit à une perte de 50 milliards d’euros de recettes de l’impôt sur le revenu à l’horizon de 2007, et votre volonté d’écraser la dépense publique ont beau être enveloppées dans les meilleures intentions du monde, elles ne trompent personne.

Permettez-moi à ce titre de relever un propos que je trouve inadmissible dans le document qui présente les grandes orientations du Gouvernement. Il est écrit qu’il faut en finir avec « les réflexes dépassés comme l’addiction à la dépense publique ». Bien entendu, je me suis penché sur la définition exacte du mot « addiction », que je vous livre. Selon le Robert, il s’agit d’une « conduite de dépendance qui a de graves conséquences sur la santé » et, selon le Larousse, d’une « conduite qui vise à avoir un comportement répétitif plus ou moins incoercible et nuisible à la santé », l’exemple le plus souvent cité étant celui de la drogue. Quelle preuve de l’aversion – peut-être faudrait-il d’ailleurs utiliser un autre mot – du Gouvernement à l’égard de la dépense publique et sociale !

Vous auriez pu parler de l’addiction, catastrophique pour notre économie, des actionnaires réclamant un rendement de leurs actions de 15 à 20 % et de l’addiction des responsables politiques qui font tout pour leur permettre d’y parvenir ! Ces addictions-là sont infiniment plus pernicieuses pour la santé de notre économie et de la France que celle qui établit un peu d’égalité et de solidarité entre les Français.

On voit ce qu’il advient dans le monde lorsque l’on s’en prend aux services publics et aux dépenses de solidarité.

Je tiens justement, dès maintenant, à évoquer EDF, cette grande entreprise nationale que vous voulez privatiser. Ce serait une faute lourde à la fois pour la maîtrise de la politique énergétique et pour la sécurité nucléaire, mais aussi pour la solidarité indispensable à un vrai droit à l’énergie. Là encore, sur ce sujet, n’agitez pas le miroir aux alouettes !

Dans les pays qui ont abandonné la maîtrise publique de l’énergie, qui ont déréglementé, la concurrence reste largement un mythe, comme il était écrit dans le Wall Street Journal dans son édition du 1er mars dernier, qui faisait référence à une étude menée dans dix-huit États d’Amérique. Cette concurrence et cette déréglementation devaient faire baisser les prix, assurer l’approvisionnement. Rien de tout cela n’a eu lieu et, même aux États-Unis, on revient sur cette politique irresponsable.

On voit d’ailleurs ce qui se passe pour GDF après l’ouverture du capital : une augmentation des prix de 4 % en juillet et on en demande une autre de 13 %.

Privatiser EDF serait irresponsable, et nous combattrons ce projet avec détermination.

Au-delà de ce bilan de trois ans qui disqualifie le budget que vous présentez devant nous, je voudrais ajouter qu’il nous apparaît très dangereux pour la démocratie de refuser d’entendre les Français.

Par trois fois, lors de consultations électorales, les choix néolibéraux que vous vous appliquez à mettre en œuvre ont été rejetés. Élections régionales en mars 2004, élections européennes en juin 2004 et, surtout, référendum du 29 mai sur le projet de constitution européenne, le verdict populaire a, à chacun de ces scrutins, été sans appel.

Je rappelle que l’institut CSA a mis clairement en évidence le message du 29 mai en soulignant que la victoire du non avait manifesté un malaise social profond et une exigence sociale. J’y insiste, car ce sont vos orientations qui préfèrent les fonds de pension à la répartition, qui accordent des avantages fiscaux aux plus aisés au détriment des services publics, qui sacrifient des pans entiers de biens de la nation aux marchés financiers, qui ont été refusées.

Ne pas intégrer cette réalité du suffrage universel en suivant à la lettre les prescriptions du titre III du projet de constitution européenne qui a cristallisé le rejet rend ce budget irrecevable. C’est bien de cela qu’il s’agit : le Gouvernement renouvelle avec encore plus de force son allégeance à une politique monétaire unique, à un pacte de stabilité destructeur pour la croissance, à une économie écrasée par une guerre économique inacceptable.

Le choix qui est fait de comprimer la dépense publique, avec la perspective terrible de passer du maintien en volume du budget à un maintien en valeur dès l’année 2007 indique bien le recul des politiques d’égalité et de solidarité, deux notions qui font pourtant partie des valeurs fondamentales de la République.

Oui, c’est le pacte républicain qui est fragilisé.

Le suffrage universel est bafoué, mais, lorsque nous lisons, comme en septembre, que 76 % des Français sont pessimistes pour l’avenir, cela doit vous alerter. Quand nous assistons à des mobilisations d’ampleur, comme celle du 4 octobre dernier, soutenue par près de trois Français sur quatre, cela doit être pris en considération car, au fond, ce qu’ont dit les Français le 29 mai dernier, c’est que cette construction économique et sociale ultra-libérale les laisse sur le bord du chemin.

M. Jean-Marc Roubaud. Nous y voilà !

M. Daniel Paul. Mais c’est vrai !

M. Jean-Marc Roubaud. Et vous, qu’est-ce que vous avez fait ?

M. Jean-Claude Sandrier. Nos concitoyens en ont ras le bol. Ils le disent comme cela. Ils n’y arrivent plus. Au 15 du mois, l’argent manque dans de nombreux ménages. Il va bien falloir, à moins de prendre des risques politiques graves, entendre les Français.

M. Jean-Marc Roubaud. Démago !

M. Gilbert Biessy. Vous ne seriez pas un peu autistes ?

M. Jean-Marc Roubaud. Pas du tout ! Réalistes !

M. Jean-Claude Sandrier. Et je tiens ici à les faire entendre, à les faire entendre au Gouvernement, qui a vraiment du mal à décrypter leur message, comme le Président de la République avait eu du mal en mai dernier à comprendre le message d’inquiétude des jeunes qui le questionnaient.

Oui, cette inquiétude et ce ras-le-bol doivent résonner ici, sinon nous manquerions à tous nos devoirs, et je vais vous citer un certain nombre d’exemples, sans doute très démagogiques, comme dirait notre collègue.

Le premier exemple est celui d’une femme âgée de cinquante-cinq ans qui vit à Vierzon dans le Cher et qui a dû subir en 1990 des soins à la suite d’un cancer. Elle avait alors été soignée au CHU de Tours, prise en charge à 100 % par l’assurance maladie. Cette femme, aux revenus très modestes, a toujours fait l’effort de payer une mutuelle complémentaire. Depuis 1990, elle est suivie par le service qui l’a opérée au CHU de Tours. En 2002, la CPAM ne l’a plus autorisée à être prise en charge à 100 %, lui assurant que cela ne changerait rien. Or cette femme m’a sollicité parce qu’elle doit passer un examen de scintigraphie au CHU, examen qui a lieu tous les cinq ans, et que son transport VSL est à sa charge. Elle est désespérée, et je la comprends, devant tant d’ingratitude et de mépris.

Le deuxième exemple est celui d’un couple de jeunes ayant vingt et un et vingt-trois ans. Lui, sans qualification, a travaillé dans le bâtiment avec un contrat à durée déterminée et à temps partiel et surtout avec un salaire versé pour partie sous le manteau. Refusant ce système, il a demandé à son employeur d’avoir un CDI à temps complet. Il a été congédié à l’issue de son CDD. Sans activité pendant trois mois, il est actuellement en formation dans une autre entreprise du bâtiment. Ayant cotisé à temps partiel, il a eu des allocations très minimes. Les deux conjoints ayant moins de vingt-cinq ans, ils n’ont pas droit au RMI. Au total, ce couple de jeunes, qui devait payer son loyer, ses charges, sa nourriture, l’assurance voiture, etc., a contracté des dettes auprès d’amis pour pouvoir rester dans son logement. À vingt et un et vingt-trois ans, avant d’avoir un emploi stable, voilà qu’ils commencent à s’endetter, non pas pour s’équiper, mais pour survivre !

M. Jean-Marc Roubaud. Je n’y crois pas !

M. Jean-Claude Sandrier. Il faut y croire parce que c’est vrai !

M. Gilbert Biessy. C’est le résultat de votre politique !

M. Jean-Marc Roubaud. Quel est le rapport avec le débat budgétaire à l’Assemblée nationale ?

M. Jean-Claude Sandrier. On est en plein dedans. Vous, vous ne parlez que de l’impôt de solidarité sur la fortune pour exonérer ceux qui ont des fortunes, mais la solidarité, vous l’oubliez totalement. Je suis donc obligé de vous la rappeler.

M. Gilbert Biessy. C’est la réalité du quotidien !

M. Jean-Marc Roubaud. On voit le résultat des 35 heures !

M. le président. M. Sandrier a seul la parole !

M. Jean-Claude Sandrier. J’aime bien être interrompu ainsi parce que cela permet d’éclaircir le débat.

Troisième exemple, celui de cette dame de Bourges qui n’a que 420 euros de revenus. Un seul spécialiste en France, à Reims, peut lui faire une opération extrêmement délicate aux oreilles. On lui remboursera l’opération – encore que, d’ici là, elle devra peut-être s’acquitter de 18 euros –, et son trajet aller-retour depuis Bourges, mais, pour le rendez-vous préalable chez ce spécialiste, elle ne peut avoir aucun remboursement.

Quatrième exemple, une mère de famille, seule, avec deux enfants, ne peut envoyer son fils en classe de neige.

M. Jean-Marc Roubaud. Ni aux Antilles !

M. Jean-Claude Sandrier. Vous rendez-vous compte de ce que vous dites ?

M. Jean-Marc Roubaud. Assez pleuré ! C’est de la démagogie !

M. Jean-Claude Sandrier. Non, ce n’est pas de la démagogie, c’est la réalité et vous ne voulez pas la voir ! C’est ça qui est triste et c’est pourquoi vous proposez un budget comme celui-ci !

M. Jean-Marc Roubaud. On ne peut pas payer les RMIstes et envoyer les enfants des femmes de ménage en classe de neige !

M. Jean-Claude Sandrier. Pourtant elle travaille, mais à temps partiel – c’est ce que vous voulez multiplier. Son salaire, ses prestations sociales et un complément RMI lui font 570 euros par mois. Ses dépenses obligatoires sont de 325 euros. L’assistante sociale fait appel au Secours populaire et au Secours catholique.

Une étudiante française qui n’a pas de famille en métropole, qui percevra peut-être une bourse en novembre, on l’espère, se retrouve sans ressources. Ses camarades lui donnent de la nourriture. Il est là aussi fait appel au Secours populaire et au Secours catholique.

Une dame enceinte à Bourges a fini son CES. Il lui est versé 271,51 euros – allocation de retour à l’emploi. Ses dépenses incompressibles sont de 384 euros. Une demande de RMI est en cours d’instruction, ainsi qu’une demande d’aide auprès du Secours populaire et du Secours catholique.

Un couple avec un enfant de sept mois. La dame travaille. Elle perçoit 450 euros par mois, l’AJE est destinée aux besoins du bébé. Le mari est en arrêt maladie pour trois mois. Ils ont un découvert de 361 euros. Ses indemnités journalières viennent d’être versées : 200 euros pour le mois. Les recettes de ce couple sont de 820 euros, les dépenses incompressibles de 980 euros. Là encore, demande d’aide au Secours populaire et au Secours catholique.

Et puis aussi l’exemple de cette femme qui a fait plusieurs centaines de kilomètres pour accepter un CDI de treize heures par semaine et qui doit être disponible à tout moment. C’est bien le retour d’une forme d’esclavage. Travailleur pauvre et esclave !

Ou encore cet homme qui a trouvé un CDI payé au-dessous du SMIC, qui ne trouve pas à se loger car les loyers sont trop chers.

M. Jean-Marc Roubaud. C’est le bilan des années Jospin !

M. Jean-Claude Sandrier. Enfin, ce cadre informatique qui a postulé à 3 000 postes a été obligé de vendre des piscines. Il demande s’il doit accepter n’importe quel travail, n’importe où, à n’importe prix.

Je pourrais malheureusement continuer, mais je voudrais faire deux remarques.

La première, c’est que, même en travaillant, des gens n’y arrivent pas, et conduire des gens à accepter n’importe quoi pour faire baisser les statistiques du chômage ne résoudra pas le problème de la misère. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Il y a même des chances pour que, comme en Grande Bretagne et aux États-Unis, eux qui ont inventé les travailleurs pauvres et que vous voulez imiter, cette pauvreté s’accroisse.

La seconde remarque, c’est l’incapacité grandissante des aides publiques, même si j’ai entendu qu’elles avaient augmenté,…

M. Jean-Marc Roubaud. Vive la CGT !

M. Jean-Claude Sandrier. …à faire face à ces situations de détresse qui font que l’État et les collectivités se retournent de plus en plus vers les associations caritatives, qui commencent à souffrir sérieusement. Quand celles-ci ne pourront plus, que se passera-t-il ?

Je le dis ici dans cette enceinte où doivent retentir ces voix, des millions de nos concitoyens n’en peuvent plus…

M. Jean-Marc Roubaud. C’est nous qui n’en pouvons plus ! Quel démago ! C’est un scandale !

M. Jean-Claude Sandrier. …et la situation s’aggrave pour beaucoup, contrairement à certaines statistiques…

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. C’est de la caricature de misérabilisme, dont vous faites votre fonds de commerce !

M. Jean-Claude Sandrier. Je comprends que vous soyez gênés ! Ce que je suis en train de vous dire, c’est la réalité de la France aujourd’hui, et vous ne voulez pas la voir.

M. Jean-Marc Roubaud. Mettez-les tous au travail !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. M. Sandrier fait de la caricature ! S’il y a un pays où l’on peut se faire soigner gratuitement, c’est bien la France !

M. Jean-Claude Sandrier. Vous ne voulez pas voir cette réalité. Pourtant, elle existe.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Il nous décrit l’Union soviétique !

M. Jean-Marc Roubaud. Il nous décrit le bilan du gouvernement Jospin !

Mme Béatrice Pavy. Tout ça, c’est le résultat d’une politique menée pendant un certain nombre d’années !

M. le président. Mes chers collègues, seul M. Sandrier a la parole ! Je vous prie donc de l’écouter.

M. Jean-Claude Sandrier. Je les sens vraiment très mal à l’aise.

M. Jean-Marc Roubaud. Quand il y a un problème comme ça, je fais un chèque !

M. Jean-Claude Sandrier. Parce que vous avez les moyens !

Cela fait dire à un sociologue auteur du livre Formes élémentaires de la pauvreté : « les chiffres donnent l’impression d’un recul, mais de nombreuses formes de précarité se développent avec des mécanismes d’intégration beaucoup plus défaillants que dans le passé ». C’est ce que je viens de vous expliquer.

Dans mon département, le Cher, le nombre d’allocataires du RMI a augmenté en un an de 10 %, le nombre de ménages surendettés de 12 % et le directeur de la caisse primaire d’assurance maladie prévoit une augmentation du nombre des bénéficiaires de la couverture maladie universelle de 14 %. Quant aux œuvres caritatives, en un an, l’aide alimentaire a augmenté de 26 % pour le Secours populaire et le Secours catholique, l’aide financière de 14 %, l’aide vestimentaire de 28 %. Et votre préoccupation essentielle aujourd’hui, c’est d’alléger l’impôt sur la fortune pour les riches. C’est de la provocation !

M. Gilbert Biessy. Absolument !

M. Jean-Claude Sandrier. Vos choix budgétaires en faveur des classes riches sont non seulement totalement inefficaces sur l’emploi et la croissance, mais ils creusent aussi les inégalités, accroissent les frustrations et brisent les solidarités. Vous faites marcher la France à reculons !

Ce n’est pas nous qui noircissons le tableau, c’est le tableau qui est noir. Vous n’entendez pas le ras-le-bol de la majorité de nos concitoyens et cette surdité entretenue porte en elle les germes d’une volonté populaire comme celle qui s’est exprimée le 29 mai, mais aussi d’une dérive potentielle vers des chemins que nous ne voulons pas revoir ! Or la réponse qu’apporte le budget pour 2006, monsieur le ministre, témoigne d’un entêtement coupable.

Ce budget va naturellement satisfaire une petite caste, tout en contribuant, dans le même temps à « déconstruire » la France. Outre le carcan de Maastricht, la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances va également amplifier non la rationalité, mais le rationnement de la dépense publique.

Derrière les nobles intentions affichées – transparence, lutte contre la bureaucratie, efficacité de la dépense – se dissimule en effet le principe de la fongibilité asymétrique des crédits, qui vise avant tout à diminuer l’emploi et à attaquer le statut de la fonction publique.

Le Gouvernement n’a nullement la volonté de prendre prioritairement en compte les besoins : il poursuit une logique qui, à terme, pousse à l’externalisation de certaines actions publiques.

C’est donc un budget très contraint qui nous est présenté, d’autant plus qu’il repose sur des hypothèses économiques ni sincères, ni réalistes. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Outre le numéro de « méthode Coué » dont nous gratifie quasi quotidiennement M. le ministre de l’économie et de finances, les chiffres avancés sur la croissance à venir ou sur le pouvoir d’achat laissent plus que songeur.

Pour 2005, même si vous criez haut et fort que le taux de 2 % est encore atteignable, l’INSEE l’a révisé à 1,5 % et le FMI à 1 % ! Concernant 2006, la fixation du taux de croissance à 2,25 %, si elle permet d’afficher un déficit de 3 % du PIB, est complètement déconnectée de la réalité et des prévisions des instituts, qu’ils soient nationaux ou internationaux. Le FMI n’envisage ainsi que 1,8 % pour la France, comme la plupart des économistes de notre pays. L’erreur potentielle contenue dans ce budget est de 20 %. C’est donc un budget d’affichage établit dans le brouillard le plus complet que vous nous présentez.

Quant à votre aplomb sur le pouvoir d’achat, il ne manque pas non plus d’étonner. Allez plutôt dans la rue interroger nos concitoyens, monsieur le ministre !

M. Jean-Marc Roubaud. Il y va !

M. Jean-Claude Sandrier. Ils vous diront ce qu’ils pensent de leur pouvoir d’achat. Ils vous expliqueront pourquoi, contrairement à ce que vous répétez tous les jours, non seulement il n’a pas augmenté, mais diminué !

Si la croissance ne s’est pas complètement effondrée, on le doit, bien évidemment, à une bonne tenue de la consommation, qui n’est pas due au relèvement du pouvoir d’achat des salaires, retraites et pensions – même s’il a y eu un effet rattrapage du SMIC –, mais surtout à une diminution de l’épargne, c’est-à-dire à deux éléments dont les conséquences positives ne sont pas pérennes.

La baisse du taux du livret A et les mesures d’exonération sur les successions ont certes poussé les couches moyennes et modestes à consommer. Mais il s’agit d’un effet d’aubaine. En réalité, la dégradation du pouvoir d’achat est sensible. Comme l’explique Robert Rochefort, directeur du CREDOC, en trois ans le pouvoir d’achat des couches moyennes et modestes a reculé de 1 % à 3 %. La cause principale de cette baisse est la hausse du prix des services, qui pèse notamment sur les chômeurs, les allocataires du RMI, les « petits retraités », les salariés ayant moins d’un SMIC et demi.

À ce titre, en compulsant les documents Indices et Services de l’INSEE, on peut remarquer qu’en cinq ans, le prix du carburant a progressé de 50 %, le prix de l’assurance santé a augmenté de 18,6 % et celui du logement de 16 %. Et ne parlons pas de la hausse du gaz de 4 % en juillet – et peut-être bientôt de 13 % – ni des assurances pour la maison ou du timbre-poste !

Ces dépenses incompressibles ont plombé le pouvoir d’achat des plus modestes. Il est totalement fantaisiste de faire croire que le pouvoir d’achat progresse ! Et l’opération médiatique « suivez mon caddie » ne trompe personne : dans les dépenses des Français il n’y a pas que de la nourriture !

Mais surtout, la France est devenue un pays de bas salaires.

M. Maurice Giro. Ce sont les 35 heures qui les ont tirés vers le bas !

M. Jean-Claude Sandrier. Si l’on retient comme indicateur de bas salaires le seuil de 1,3 SMIC, pris en compte dans les dispositifs gouvernementaux pour exonérer les employeurs de cotisations sociales, la proportion de salariés à bas salaires dépasse désormais 30 %, contre 25 % en 1984 et 23,5 % en 1992 !

C’est bien une nouvelle confirmation que la modernité du libéral-capitalisme se résume à une marche arrière.

Pendant ce temps-là, à l’autre bout de la chaîne répétons-le, les profits et revenus explosent. En 2004, les profits des groupes qui forment le CAC 40 ont progressé de plus de 50 % et ils vont atteindre 75 milliards d’euros – un record !

Des profits records, une croissance en berne, où passe l’argent ? Cherchez l’erreur ! On voudrait nous faire pleurer sur le sort des capitalistes les plus aisés, mais il faut savoir que la faiblesse de l’imposition sur les revenus du patrimoine en France a sans doute peu d’équivalent dans la zone OCDE.

Une étude de la direction générale des impôts a établi qu’entre 1996 et 1998 seulement 25 000 contribuables français – toutes raisons confondues – avaient quitté le territoire.

En 1998, 325 contribuables seulement déclarant plus de un million de francs au titre de l’impôt sur le revenu sont partis à l’étranger, soit 0,3 % des contribuables ayant un tel revenu. Sur la même période, seules 350 personnes assujetties à l’ISF sont parties à l’étranger. Vous parlez d’une catastrophe surtout lorsque l’on sait que ces départs sont compensés par des arrivées et procèdent, pour l’essentiel, de la mobilité professionnelle habituelle de certaines catégories d’actifs, notamment les cadres supérieurs. À force de répéter que l’on ne vit pas si mal en France, les plus riches en sont les premiers convaincus !

Autre argument que vous ne cessez d’opposer aux Français pour justifier l’attaque contre la solidarité, le choix du capital contre le travail : la mondialisation. « On n’y peut rien, c’est la mondialisation » est la base de votre discours de laisser-faire et de renoncement.

Mais quelle est donc cette maladie contre laquelle il n’y aurait même pas à espérer, contrairement à la grippe aviaire, un traitement adéquat ? Les médecins censés soigner cette maladie sont bien particuliers, ils s’appellent G8, FMI, Banque mondiale ; ils se rencontrent régulièrement à Davos, avec un millier de dirigeants des plus grandes entreprises mondiales, pour veiller à ce que le virus qui la propage soit bien activé par le mot d’ordre « Capitalistes de tous les pays, unissez-vous »… pour empocher profits et dividendes. Et tant pis pour celles et ceux qui dans tous les pays sont soumis au régime sec et sont pressurés !

La mondialisation, maladie intéressante, présente cette particularité d’enrichir beaucoup un petit nombre tout en faisant très peur à un grand nombre auquel on demande de se serrer la ceinture.

En fait, nous sommes face au choix purement idéologique et politique de s’enfermer dans une économie financière. Comme le dit l’économiste Vincent Drezet dans son ouvrage Vivent les impôts : « Dans un tel modèle, les pays sont réduits à l’état de super-VRP mettant sur le marché de la localisation des produits d’appel : statuts fiscaux dérogatoires, zones franches, aides publiques et autres mesures incitatives. C’est l’accomplissement de la société de marché. »

Et alors, que se passe-t-il ? Une explosion des transactions financières ; une guerre entre firmes multinationales au détriment des salariés – comme chez Hewlett-Packard – ; une remise en cause de l’emploi et des acquis sociaux, comme à la SNCM où les salariés sont directement mis en concurrence avec des employés sous-payés de sociétés n’ayant pas de contraintes de service public. Bref, les services publics français sont liquidés par le développement d’une concurrence déloyale, qui tue des emplois et des acquis sociaux tandis que d’autres s’en mettent plein les poches !

À cette mondialisation destructrice, nous opposons une autre mondialisation basée sur les coopérations et le partage des coûts. En effet, la mondialisation actuelle n’est pas une fatalité tombée du ciel, elle est identifiable. Elle porte un nom : la mondialisation capitaliste, guerre économique mondialisée sur l’autel de laquelle il faudrait tout sacrifier, en copiant le modèle anglo-saxon.

Permettez-moi de dénoncer le double mensonge qui sous-tend cette affirmation et vos décisions.

Regardons d’abord la Grande-Bretagne : ses résultats sont largement plus contrastés que ce qui est annoncé. La croissance s’est considérablement ralentie et le nombre de travailleurs pauvres y a encore progressé. Selon une étude récente 22 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Quel modèle ! Quant au chômage, une fois ajouté le million de personnes sorties artificiellement des statistiques pour inaptitude au travail, le taux est le même que chez nous. C’est un échec si patent que l’État anglais a changé son fusil d’épaule et relancé l’investissement public, notamment pour les services de réseaux. Et il l’a fait sans la contrainte du pacte de stabilité.

Quant aux États-Unis, second modèle si souvent invoqué, les images de l’incurie de l’État fédéral pour répondre au drame du cyclone Katrina, incurie qui vient s’ajouter à celle moins tragique des pannes géantes d’approvisionnement en électricité, devraient suffire à disqualifier ce type de modèle. L’État aujourd’hui aux États-Unis c’est l’armée, la police et la justice. Et à la Nouvelle-Orléans, en guise de premiers secours, sont arrivés des hommes avec des armes.

Oui, il est temps que les peuples se demandent dans quel le monde ils veulent vivre !

Votre obsession de baisse des dépenses publiques est inefficace et dangereuse. Voilà ce qu’en pense un Prix Nobel américain, ancien conseiller de Bill Clinton, Joseph Stiglitz : « Les Conservateurs » – c’est de vous qu’il s’agit – « préconisaient sans cesse de “rétrécir” l’État : moins de dépenses, moins de fonctionnaires, moins de réglementations... Le mieux était donc de laisser faire les marchés. » Et il ajoute, ce qui devrait vous faire réfléchir : « Négliger à ce point les investissements du secteur public finit par nuire aux profits du secteur privé. »

Enfin, s’agissant des marchés, il a ces propos frappés au coin du bon sens : « On sait depuis longtemps que les marchés ne fonctionnent pas toujours très bien, » – et c’est un euphémisme – « ils ne sont pas non plus capables de s’autoréguler. » Je pense qu’en quelques phrases cet homme a tout dit.

Par ailleurs, cette obsession dangereuse et inefficace de baisse de la dépense publique repose sur des tromperies ! Le discours sur le taux de prélèvements obligatoires est erroné et la conclusion qu’il faut baisser les impôts progressifs l’est plus encore !

Vous osez, monsieur le ministre, nous livrer des tableaux comparatifs de taux de prélèvements obligatoires entre les pays de l’Union européenne, les États-Unis et le Japon, mais sans jamais donner leur structure. Or, aux États-Unis, chacun sait que l’assurance maladie et l’assurance vieillesse n’entrent pas dans les prélèvements obligatoires puisqu’il s’agit de fonds de pensions et d’assurances privées.

Car comme le dit l’économiste Liêm Hoang-Ngoc dans son récent ouvrage Refermons la parenthèse libérale

Mme Béatrice Pavy. Qui ça ?

M. Jean-Claude Sandrier. Un éminent professeur à l’université Paris I.

M. Gilbert Biessy. Vous devriez le connaître !

M. Robert Lamy. Et vous, vous le connaissez ?

M. Jean-Claude Sandrier. Absolument ! Nous connaissons tous les économistes, même les vôtres. Mais vous, apparemment, vous ne connaissez pas les nôtres.

Voici ce qu’il écrit : « Si le taux de prélèvements obligatoires brut avoisine les 45 %, le taux de prélèvement net après redistribution n’est plus que de 17 %. Ce taux est remarquablement stable depuis vingt ans, ce qui signifie, entre autres, que la part consacrée à la protection sociale est devenue relativement incompressible [...] Contrairement aux présupposés libéraux, les prélèvements fiscaux et sociaux ne sont pas improductifs puisque les entreprises publiques produisent de la valeur ajoutée et que les rémunérations et commandes du secteur public alimentent les débouchés des autres secteurs. [...] Enfin, il n’existe pas de corrélation entre les taux de prélèvements obligatoires et les performances macro-économiques des différents pays. S’ils devaient indiquer quelque chose, les taux de prélèvements obligatoires bruts et nets ne sont rien d’autre qu’un choix de société plus ou moins solidaire. »

Nous dénonçons cette volonté, purement idéologique, de diminuer les prélèvements obligatoires pour répondre aux injonctions de la Banque centrale européenne et des grands groupes multinationaux qui visent à asseoir encore plus largement la domination de la sphère financière.

Ce freinage de la dépense publique se fait au détriment des ménages les plus modestes. L’augmentation considérable du prix des carburants, des dépenses de logement, des taux d’imposition des collectivités locales du fait des transferts non compensés, pèse sur le budget des ménages.

Et cessez de faire accroire que 52 % de ménages non assujettis à l’IRPP ne paieraient pas d’impôts ! Ils n’échappent pas en effet aux impôts indirects, les plus injustes qui soient. Au regard de leurs revenus, le prélèvement est bien supérieur à celui qui pèse sur les classes les plus aisées, qui savent jouer et jouir de la forêt des niches fiscales.

Comble des combles, non seulement ces 52 % de ménages français paient les impôts les plus injustes, mais ils ne sont pas concernés par la baisse de l’impôt sur le revenu dont vous vous vantez.

Dans l’étude qu’il a consacrée en 2003 à la fiscalité dérogatoire, le Conseil des impôts relève que les 10 % des ménages les plus aisés ont bénéficié de 85,9 % des réductions d’impôts, tandis que les 10 % des ménages les moins aisés n’ont bénéficié d’aucune réduction ! C’est bien le principe même de la progressivité, pourtant consacré par notre Constitution, qui est remis en cause. La progressivité, qui est pourtant le fondement même de l’impôt sur le revenu, est contournée par ceux qui en ont les moyens alors qu’elle s’impose aux autres, notamment aux salariés, qui constituent la majorité des foyers assujettis au barème progressif de l’impôt sur le revenu.

À vous qui invoquez le modèle anglo-saxon, je rappellerai les propos tenus dans L’Expansion par Thomas Piketty – vous connaissez peut-être ce spécialiste de la fiscalité et des revenus – : « Au moins quand Ronald Reagan a mené sa grande réforme fiscale en 1986, il a baissé très fortement les taux, mais il a réintégré les intérêts financiers et les plus-values qui étaient exonérés jusque-là. Et pas avec un prélèvement libératoire, comme chez nous, mais au barème normal ». M. Reagan et Mme Thatcher n’auraient jamais imaginé qu’un jour certains de leurs élèves dépasseraient leurs maîtres ! Hélas ! c’est chez nous que cela est arrivé ! En effet la déconstruction fiscale qui se dessine pour 2007, avec la réduction du nombre des tranches de sept à quatre et la diminution des taux, n’a aucune contrepartie en termes d’élargissement de l’assiette.

Certes, vous tentez de justifier un tel choix par l’accroissement de la prime pour l’emploi. Mais son montant total, 500 millions d’euros, rapporté au nombre de bénéficiaires, à savoir 8,8 millions ménages, suffit à relativiser la réalité de votre engagement en faveur des plus modestes, puisque cela représente en moyenne moins de soixante euros.

D’autant que d’autres bénéficient à une échelle beaucoup plus importante des largesses du Gouvernement et de la majorité du Parlement. J’ai rappelé tout à l’heure qu’en chiffres cumulés, la baisse des taux marginaux de l’IRPP sera à l’origine d’un manque à gagner budgétaire de 50 milliards d’euros en 2007 : ce sont autant de milliards d’euros qui manqueront à l’État pour assumer ses missions.

Mais vous promettez à ces privilégiés des cadeaux encore plus grands. En effet, ce sont toujours les mêmes qui vont bénéficier du barème annoncé pour 2007, mais aussi du bouclier fiscal que constitue le plafond de 60 % !

L’impatience de nos collègues de la majorité à vider l’impôt sur la fortune de sa substance procède de la même logique. Comme l’a souligné Henri Sterdinyak, économiste à l’OFCE, « les classes moyennes n’auront que les miettes d’un festin réservé aux riches ». Voilà qui résume la philosophie de votre budget.

À ce propos, permettez-moi de citer à nouveau le prix Nobel Joseph Stiglitz – et ce n’est pas un communiste ! – qui écrit en 2001, dans le chapitre intitulé « La politique et le pouvoir » de son livre Quand le capitalisme perd la tête, « il est clair que la réduction d’impôts » – il parle des États-Unis – « n’était qu’une tentative des riches pour garder une plus grande partie de leur fortune ».

Les 3,5 milliards d’euros, qui iront gonfler d’abord le patrimoine mobilier des plus grandes fortunes, représentent, à quelques décimales près, la réduction de la dépense publique actée dans le pacte de stabilité. Le parallèle est saisissant entre, d’un côté, la réduction des services publics, donc de la solidarité, et de l’autre de hauts revenus qui vont continuer à s’engraisser !

Je veux souligner que cette baisse des impôts progressifs, que ce soit l’impôt sur le revenu ou l’impôt de solidarité sur la fortune, grâce à la règle des 60 %, va très peu bénéficier aux cadres et aux classes moyennes en général. C’est un leurre que vous agitez, destiné à faire accepter l’inacceptable.

Tartufferie suprême, M. le rapporteur général propose qu’on exonère de l’ISF à hauteur de 75 % les actions de l’entreprise détenues par ses salariés et ses dirigeants.

M. Philippe Rouault. Excellente proposition !

M. Jean-Claude Sandrier. Je serais tenté de vous dire, cher rapporteur général, vous que j’apprécie par ailleurs, que vous vous moquez de nous ! Connaissez-vous beaucoup de salariés assujettis à l’impôt sur la fortune et susceptibles de bénéficier de cette exonération, en dehors de quelques grands patrons ?

Seuls quelques grands patrons vont effectivement bénéficier de cette exonération, par exemple M. Fourtou, président-directeur général de Vivendi, qui dispose d’actions de son entreprise pour une valeur de 10 millions d’euros ; ou bien M. Desmarets, qui dispose de 12 millions d’euros de titres, ou encore M. Thierry, avec ses 3,1 millions. À quoi s’ajoutent leurs autres rémunérations, salaires, stock-options, parachutes en or.

M. Mariton, avec lequel je suis rarement d’accord, a eu pour une fois une pensée très juste et très sage : il faut, a-t-il dit, savoir résister à la tentation d’en faire trop. Trop c’est trop, en effet.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. On ne peut qu’être d’accord avec vous !

M. Jean-Claude Sandrier. À trop vouloir en faire, vous risquez de vous perdre, vous et les vôtres. Il s’agit là effectivement d’une politique de rupture, mais ce n’est pas celle que les Français attendent.

Quant à la prime pour l’emploi, c’est une incitation à ne pas prendre de mesures générales en faveur des salaires. Elle constitue une forme d’assistanat aux entreprises. Cela revient à utiliser de l’argent public pour suppléer la carence du privé. Sa mensualisation est un dispositif dangereux car elle diminue encore le caractère exceptionnel que cette prime doit conserver par principe. Vous qui dites refuser les politiques publiques d’assistanat, vous l’instituez en fait pour le privé, et ceci sans garantie de résultats.

Décidément, vous faites une fois encore, à travers ce budget, notamment les innovations fiscales qui concernent les ménages, des choix socialement injustes et économiquement inefficaces. En effet, l’augmentation des revenus les plus élevés ne se traduit nullement par un soutien actif à la consommation, mais par un accroissement de l’épargne, voire une « sortie » nette pour l’économie nationale par des investissements directs à l’étranger.

L’obsession de réduire la progressivité de l’impôt se retrouve dans les mesures fiscales que vous souhaitez mettre en œuvre en direction des entreprises. Vous confirmez et accentuez une politique qui a échoué !

Charges excessives, impôts sur les entreprises trop lourds, rigidités du code du travail : les documents du Gouvernement égrènent la longue litanie des poncifs.

Je voudrais d’abord insister sur un point de sémantique : il ne s’agit pas de charges, mais de cotisations sociales. La différence est de taille ! Quant à l’argument du coût du travail et de la nécessité de sa réduction, il ne tient pas. En effet, depuis deux décennies que l’on multiplie les baisses de cotisations et les exonérations ciblées, avec une accélération durant ces trois dernières années, on n’a observé aucun effet sur l’emploi. Telle est la réalité !

La Cour des comptes a elle-même souligné que les cotisations sociales ont baissé de 41,5 % entre 2000 et 2004, baisse financée par le budget de l’État, « sans maîtrise par l’administration, et dont l’impact sur la réduction du chômage est incertain ». C’est là encore un euphémisme !

Quel constat d’échec ! Mais qu’à cela ne tienne : vous amplifiez encore la baisse des cotisations sociales, qui atteindra 18,9 milliards d’euro, qui, bien que débudgétisée par un artifice comptable, sera prise en charge par le budget de l’État. Il est vrai que, sans cette manipulation, le critère du traité de Maastricht qui impose un déficit public inférieur à 3 %, n’aurait pas été respecté.

De plus, ces exonérations, qui touchent d’abord les bas salaires, sont des incitations à embaucher à des rémunérations plus que modérées. Leur effet sur la consommation est donc faible. C’est tellement vrai que le coût unitaire de la main-d’œuvre en France a connu une progression minime ces quinze dernières années.

La revue Alternatives économiques a publié cet été des tableaux éclairants, qui comparent la variation de ce coût unitaire de main-d’œuvre entre 1990 et 2004. S’il a progressé de 20 à 25 % en France et en Allemagne, il a progressé de plus de 30 % aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Espagne et en Italie.

L’argument du coût du travail est un faux nez qui vous sert à faire pression à la fois sur les salaires et les prestations sociales pour rendre disponible des réserves pour les marchés financiers.

Car ce qui pèse sur les comptes des entreprises, ce ne sont pas les dépenses salariales et sociales, mais le poids des coûts financiers. Or, personne ne parle des charges financières : à croire que cela n’existe pas ou constitue un sujet tabou !

Les comptes de la nation révèlent pourtant que, sur les 460 milliards d’euros de ressources nouvelles des entreprises non financières, 51 % sont engloutis par la sphère financière, à savoir les intérêts bancaires, les distributions de dividendes et les placements financiers. Ce n’est pas le coût du travail qui tue la croissance et accroît les inégalités : c’est bien une rémunération excessive du capital.

Un rapport du Commissariat général du Plan, réalisé en octobre 2002 sous la direction de Dominique Plihon, et intitulé « Rentabilité et risque dans le nouveau régime de croissance », précise que l’entreprise type satisfait la condition d’une rentabilité financière de 13 % et de rentabilité économique de 10 %, ce qui nécessite un taux de croissance des profits de 7 % par an.

Un tel taux de profit ne peut pas être maintenu longtemps sans provoquer des tensions sur le partage des revenus puisque les taux de croissance de la production sont inférieurs à 2 %. Là encore, ce constat n’est pas dû à un communiste. C’est exactement un cancer : la rémunération du capital ronge de plus en plus la richesse produite par le travail. Cela entraîne inexorablement une pression accrue sur les salaires et les cotisations sociales. Ce rapport du Commissariat général du Plan prouve de manière implacable que des taux de rémunération des dividendes à deux chiffres sont ruineux pour l’économie, et pour nos concitoyens.

Ce choix du capital contre le travail se retrouve dans le partage de la valeur ajoutée qui, en deux décennies, s’est largement infléchi en faveur du capital. Les salaires, qui représentaient 72 % de la richesse il y a vingt ans, en représentent aujourd’hui moins de 64 %. Vous continuez pourtant de manifester la volonté de diminuer sans cesse l’impôt sur les sociétés, au prétexte qu’il découragerait l’emploi et l’activité.

Contrairement à toutes vos affirmations, vous n’avez pas fait le choix du travail : vous n’avez pas choisi de revaloriser le travail, vous avez choisi de servir le capital.

Là encore, monsieur le ministre, je vous invite à regarder du côté des modèles que vous ne cessez de nous opposer. Il n’y a pas de distorsion fiscale, et donc de manque de compétitivité – comme vous aimez à le dire – des entreprises françaises.

Selon la Commission européenne, pour la période 1999-2001 – sans doute le calcul devrait-il être refait aujourd’hui –, le taux moyen d’imposition des entreprises en France n’aurait été que de 13,6 %, soit très proche de celui de l’Allemagne, qui était de 13 % et légèrement en dessous de celui du Royaume-Uni, qui s’élevait à 13,8 %.

Car comme l’a démontré le 22e rapport du Conseil des impôts pour l’an dernier, si la fiscalité française présente un taux nominal d’impôt sur les sociétés élevé, celui-ci est largement compensé par une assiette très étroite, avec notamment la déductibilité des intérêts d’emprunts relatifs à l’acquisition de participations, sans parler des niches telles que le bénéfice mondial consolidé. En outre, pour le seul impôt sur les sociétés, les apparences sont parfois trompeuses, car la part de cet impôt rapportée au PIB est de 5,9 % en France, contre 8,9 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. Ces calculs sont ceux de bons économistes – et qui, de surcroît, ne sont pas communistes !

Enfin, la baisse de la taxe professionnelle par la mise en œuvre d’un plafonnement général sur la valeur ajoutée continue d’ignorer la nécessité de revoir l’assiette de cette taxe.

Au total, avec de nouvelles exonérations de cotisations sociales, la fin de la surtaxe Juppé sur l’IS et de nouvelles dispositions sur la taxe professionnelle, le Gouvernement fait encore des cadeaux aux entreprises sans exiger de contrepartie en emplois.

M. Alain Bocquet. Absolument !

M. Jean-Claude Sandrier. Cette politique a échoué et, malheureusement, elle échouera encore.

Pis encore, vous accompagnez cette déresponsabilisation fiscale des entreprises, cet assistanat, de la mise en œuvre du contrat « nouvelles embauches », qui est une sorte de cheval de Troie de la précarité dans notre code du travail. Bas salaires, précarité, pression accrue sur les travailleurs : nous sommes en plein archaïsme ! L’emphase et le lyrisme pour défendre ce qui n’est en réalité qu’un retour en arrière ne trompent personne et les forces sociales rejettent d’ailleurs unanimement ce type de contrat.

Avec des recettes en berne et des moins-values fiscales consacrées uniquement à soutenir les marchés financiers, vous avez sapé les fondamentaux de notre modèle socio-économique.

La course à la privatisation des autoroutes est éclairante : c’est à la fois une fuite en avant budgétaire consistant à récupérer un peu d’argent frais alors qu’en conservant ses participations l’État serait gagnant en un peu plus de dix ans, une position idéologique – car les grands groupes vont prospérer – et, surtout, une politique à courte vue.

Mais au total, ce qui est préoccupant, c’est la conjonction d’un déficit budgétaire élevé et d’un déficit commercial. Ce double déficit a malheureusement pour effet d’exacerber la chute de la croissance car, d’un côté, le Gouvernement, enferré dans le carcan de Maastricht, comprime la dépense publique et, de l’autre, les groupes multinationaux poursuivent leur recherche du profit maximum en délocalisant à l’étranger.

La responsabilité du Gouvernement est grande car, en diminuant les recettes et en abaissant dépenses et investissements publics, il a contribué à déprimer l’activité.

À côté d’un déficit budgétaire affiché de 46,8 milliards d’euros, le solde commercial connaît une dégradation structurelle. Cette dégradation qui progresse fait écho aux délocalisations et investissements à l’étranger des groupes français, tandis que sont écrasées les capacités humaines en France.

Le chiffre des investissements directs à l’étranger nets, c’est-à-dire des sorties nettes de capitaux entre 1994 et 2004, l’illustre bien : 370 milliards d’euros, dont une grande partie va vers les États-Unis et une autre part vers des pays de notre zone d’influence où le coût du travail est faible et la fiscalité de capital quasi nulle.

Le Gouvernement a la responsabilité de faire valoir à ses partenaires l’enjeu de la fiscalité en Europe. Est-il acceptable, en effet, que des pays comme le Luxembourg ou l’Irlande, membres de l’Union européenne, puissent faire jouer le dumping fiscal, qui a des conséquences gravissimes en termes d’emplois et d’activité ?

Cette déresponsabilisation des groupes, encouragée par votre politique fiscale et budgétaire, risque de mettre à mal les prévisions d’investissement très optimistes que vous retenez. Dois-je vous rappeler que depuis le début de la législature, le chiffre de progression des investissements que vous avez retenu n’a jamais été atteint ?

En fait, votre politique a pour triple effet de casser la croissance, de maintenir les déficits et de détruire les solidarités.

M. Alain Bocquet. Tout à fait !

M. Jean-Claude Sandrier. Vous affirmez le contraire, mais la réalité est là pour vous démentir !

Je m’arrêterai un instant sur les questions ayant trait aux collectivités territoriales, tant il est vrai que vous tentez de reporter l’impopularité fiscale et que votre loi du 13 août 2004, dite de liberté et de responsabilité locales, apparaît comme la liberté d’augmenter les impôts et la responsabilité de supprimer des services à la population.

Votre budget pour 2006 continue de réduire l’autonomie fiscale et l’autonomie financière des collectivités locales. La réforme engagée de la taxe professionnelle, avec le plafonnement général à 3,5 % de la valeur ajoutée, aura des conséquences négatives sur les services locaux rendus aux populations.

Certes, tout dépassement du plafond sera compensé en 2006, pris en charge par l’État et versé aux collectivités territoriales, ce qui représente 1,4 milliard d’euros de compensation. Mais, si les collectivités locales décident de relever leur taux de taxe professionnelle, elles supporteront directement les frais de plafonnement, ce qui constitue une puissante contre-incitation !

C’est le principe même de libre administration des collectivités territoriales, inscrit à l’article 34 de notre Constitution, qui est ainsi bafoué.

Et puis, comment ne pas évoquer le marché de dupes que vous avez imposé aux collectivités avec la loi du 13 août 2004, ainsi qu’avec la réforme constitutionnelle de compensation à l’euro près prévue à l’article 72-2 de notre Constitution ? Je pourrais, certes, insister sur les conditions des transferts, en citant par exemple des crédits routiers transférés bien en deçà des besoins et des réalités – nous aurons l’occasion d’y revenir.

Mais je m’appuierai plutôt sur ce qui existe déjà : le transfert du RMI aux départements, effectif depuis le 1er janvier 2004. Les crédits transférés par une fraction de TIPP pour assumer la charge du RMI n’ont pas suivi l’évolution du nombre d’allocataires que votre politique n’a cessé de faire gonfler !

Le contentieux porte sur des dépenses 2004 qui n’ont pas été compensées, malgré les promesses du gouvernement Raffarin. L’Assemblée des départements de France a consolidé les déficits constatés du fait de cette moindre compensation pour quatre-vingt-dix-neuf départements : le total s’élève à 463 millions d’euros et le même écart est d’ores et déjà constaté pour les sept premiers mois de l’année 2005. Heureusement, des départements ont pris l’initiative d’émettre des titres de recettes à l’égard de l’État, permettant ainsi de saisir la juridiction administrative pour faire respecter la Constitution. Force est de constater votre volonté de reporter sur les collectivités locales des charges non financées.

Si l’on ajoute à cela la casse des services publics de proximité, tels que La Poste, les trésoreries ou les agences EDF, qui vous est directement imputable, les élus locaux sont pris dans un étau.

Cette situation des collectivités locales est dommageable à double titre : elle risque d’accroître la pression fiscale locale, qui est l’une des plus injuste, et elle peut générer une régression de l’investissement public, si essentiel au développement local.

L’affichage d’une dotation globale de fonctionnement progressant moins, en valeur, que le PIB montre cette volonté de peser sur tous les facteurs dynamiques pour favoriser la seule sphère financière.

C’est également ce qui ressort de vos principales priorités de dépenses.

L’affichage d’une priorité donnée à l’emploi pèse bien peu face à cette véritable machine de guerre contre l’emploi public et contre la maîtrise publique d’un certain nombre d’actions. D’ailleurs, votre budget pour 2006 prévoit déjà dans les plafonds autorisés d’emploi une perte sèche de plus de 5 000 postes et, dans votre majorité, certains demandent même d’aller jusqu’à 30 000 suppressions de postes par an.

M. Alain Bocquet. Licencieur !

M. Jean-Claude Sandrier. C’est l’équivalent d’un grand plan social. Si cela se produisait dans le privé, il ne fait aucun doute que vous feriez appel au patriotisme économique.

M. Alain Bocquet. Absolument !

M. Jean-Claude Sandrier. C’est dans ce contexte que vous affichez trois grandes priorités : l’emploi, préparer la France aux défis de l’avenir et restaurer l’État régalien.

En réalité, seule cette dernière priorité semble être mise en œuvre, avec le financement des lois de programmation sur la sécurité, la justice et la défense, qui n’empêchent d’ailleurs nullement de laisser des postes vacants dans les commissariats et les gendarmeries, ou de porter des coups à notre industrie de défense.

La concentration de moyens sur ces secteurs ne doit pas nous étonner. Comme le dit, en effet, l’économiste Serge Halimi : « Les partisans du moins d’État citent sans cesse le modèle américain. On les comprend. Là-bas, le libéralisme ressemble à sa caricature : ce que l’État-providence perd de chair, l’État-censeur, l’État-prêcheur, l’État-garnisons, l’État-prisons le gagne aussitôt en graisse. Moins d’État, c’est l’État ailleurs que là où il pourrait remédier à l’injustice, et partout où il peut faire régner l’ordre. »

M. Alain Bocquet. Très bien !

M. Jean-Claude Sandrier. C’est une version moderne de ces paroles célèbres de Victor Hugo que je pourrais paraphraser ainsi : « Quand on ferme une école, on ouvre une prison. »

M. Alain Bocquet. Absolument !

M. Jean-Claude Sandrier. Oui, tel est le credo de ce budget pour 2006, car vos deux autres priorités sont loin d’être assurées.

Pour l’emploi, j’ai montré – et l’expérience nous le confirme – pourquoi la baisse des cotisations sociales, le recours aux emplois aidés et la casse du code du travail n’étaient pas susceptibles de changer la situation. Malgré vos doutes, malgré même votre conscience que cela n’améliore en rien la situation de l’emploi, vous persistez.

Or ce sont là les seuls moyens que présente la mission travail-emploi, dans ses cinq programmes: 880 millions d’euros d’exonération de cotisations sociales patronales en plus, financement des contrats d’avenir, des contrats d’insertion, des contrats d’insertion RMA, et j’en passe.

En fait, la seule perspective est d’abaisser le coût du travail, ce qui a échoué jusqu’alors – et pour cause : comment pourrait-on, en réduisant les capacités humaines et les dépenses destinées aux Hommes, qui sont la source des richesses, créer croissance, richesses et emplois ? Vous vous attelez à une mission impossible !

M. Alain Bocquet. Eh oui !

M. Hervé Novelli. Eh non !

M. Jean-Claude Sandrier. L’autre priorité que vous affichez est la recherche, par l’intermédiaire de la Mission interministérielle recherche et enseignement supérieur, qui dépend de sept ministères et recouvre treize programmes, pour un montant de 20,69 milliards d’euro. Au total, à périmètre constant, ce sont un milliard d’euros supplémentaires et 3 000 postes créés, vous l’avez rappelé, qui seraient affectés à cette mission. On est loin du compte !

D’abord, pour que la France tienne l’engagement pris au sommet de Lisbonne en matière de recherche, il faudrait consacrer, d’ici cinq ans, 15 milliards d’euros supplémentaires à cette Mission, au lieu d’un milliard que vous débloquez.

Examinons ensuite l’affectation de ces nouvelles ressources : ce milliard d’euros est réparti en trois parts presque égales : 389 millions d’euros pour le renforcement des organismes publics de recherche et des universités – ce qui est peu eu égard au retard cumulé –, 340 millions consacrés au crédit d’impôt recherche des entreprises et 280 millions pour l’Agence nationale de la recherche.

À côté de cela, des moyens spécifiques pour les pôles de compétitivité pourraient être comptabilisés au titre de la recherche. Il apparaît que des emplois promis aux chercheurs à l’issue de leur mouvement de 2004 iraient vers ces pôles de compétitivité.

Au bout du compte, si la recherche est affichée comme une priorité, la réponse est bien timide.

Dans le même ordre d’idées, il est difficile de dire que les moyens de l’Éducation nationale augmentent alors que 2 000 emplois vont y être supprimés et que, dans le département dont je suis élu, alors que la limite tolérée en ZEP était de 21 ou 22 élèves au maximum par classe, on trouve aujourd’hui dans les ZEP des classes de 25, 26, voire 27 élèves. Est-ce cela, le progrès ?

Il faut encore évoquer toutes ces missions qui ne sont pas affichées comme priorités et qui, en toute logique, vont connaître des restrictions budgétaires, certaines pour la deuxième ou la troisième année consécutive : l’équipement et le transport, l’écologie et le développement durable, l’agriculture, les anciens combattants – avec une baisse de 0,3 % en euros constants –, l’aménagement du territoire, les dotations aux collectivités locales, la santé, la culture, le sport, la jeunesse et la vie associative.

Partout, vous affaiblissez ces services au public et les investissements publics, avec pour conséquence une moindre solidarité et des inégalités qui se creusent.

Face à cette conduite de la politique budgétaire qui a échoué et enfonce la France dans la crise, nous avons le devoir de formuler des propositions qui marquent une véritable rupture. Le débat n’est pas, en effet, entre un libéralisme pur et dur que vous incarnez, monsieur le ministre, et un libéralisme doux qui introduirait du « social » à dose homéopathique sans changer le fonctionnement pervers du système. Ces deux options ont échoué, comme a échoué, je vous l’accorde, le collectivisme.

M. Hervé Novelli. Très bien !

M. Jean-Claude Sandrier. Tout le monde est donc placé devant ses responsabilités…

M. Alain Bocquet. Voilà !

M. Jean-Claude Sandrier. …pour inventer un autre possible en intégrant les messages du suffrage universel, et notamment celui du 29 mai dernier.

Alors, au nom du groupe des député-e-s communistes et républicains, je veux être concret et constructif, et je pense à toutes celles et ceux qui, à gauche, souhaitent une transformation de notre société où solidarité et coopération remplaceront cette guerre économique prédatrice, je pense à toutes celles et ceux qui veulent que la gauche assume pleinement sa responsabilité, qui est de dire que changer les choses c’est inverser l’ordre des priorités, affirmer que l’être humain doit être prioritaire par rapport au rendement des dividendes des actionnaires, avoir le courage de dire clairement – contrairement à ce qu’a déclaré le ministre cet après-midi – que l’indépendance totale de l’économie par rapport au politique est irresponsable ! C’est à la gauche de le dire et d’agir en ce sens. En tout cas, c’est le message que portent les communistes.

Le premier enjeu qui doit guider celles et ceux dont je viens de parler, c’est bien entendu la réversibilité. Proposer d’autres choix passe d’abord par revenir sur des dispositions destructrices de notre pacte social. Je pense aux mesures prises en matière de sécurité sociale, de retraites ; je pense également à toutes les privatisations en cours ou envisagées ; je pense enfin à toutes ces mesures de casse du code du travail, particulièrement le CNE. Une gauche qui ne s’engagerait pas sur la réversibilité des mesures de recul social prises par la droite n’aurait aucune légitimité à prétendre vouloir changer quoi que ce soit demain dans notre pays !

M. Alain Bocquet. C’est bien vrai !

M. Jean-Claude Sandrier. Les objectifs que nous devons poursuivre, c’est d’abord, comme le demandent les Français, la réduction de l’exclusion et des inégalités par un véritable soutien à la croissance.

Pour cela, nous faisons trois séries de propositions.

La première série de propositions vise à valoriser le travail et la formation plutôt que le capital.

II s’agit d’abord de poser au niveau européen et des institutions financières et bancaires internationales les enjeux de réorientation des politiques monétaires et budgétaires. Dans ce cadre, nous préconisons l’ouverture de discussions en vue de créer une taxe sur les investissements directs à l’étranger et sur les différentiels sociaux. Nous préconisons également la mise en œuvre de la taxe Tobin sur les transactions financières afin de soutenir le développement et la coopération plutôt que la guerre économique. On sait que le produit de cette taxe, avec un taux de 0,1 %, suffirait à éradiquer la faim dans le monde, à soigner et à éduquer les plus pauvres. C’est la CNUCED qui l’affirme.

Concernant le budget de l’État, les crédits de 7,4 milliards d’euros prévus dans le programme « accès et retour à l’emploi », qui concourent à généraliser l’emploi précaire, devraient être réorientés dans un programme de conversion progressif des emplois précaires en emplois stables par un effort de formation.

Nous proposons de réorienter les 18,9 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales patronales, sorties du budget et financées directement par affectations d’impôts, pour abonder un Fonds national pour l’emploi et la formation décentralisée en région. Ce Fonds national prendrait en charge une partie des intérêts payés aux banques par les entreprises pour les crédits finançant leurs investissements. Plus ces investissements programmeraient de créations d’emplois et de mises en formation, et plus la bonification serait intéressante. Il s’agit à la fois de commencer à s’affranchir d’une politique monétaire de la Banque centrale européenne très défavorable au crédit et poussant les investissements vers les marchés financiers, et d’imposer une contrepartie en termes de création d’emplois et de valeur ajoutée. Ce Fonds national viendrait en priorité en aide aux petites et moyennes entreprises. Comme cela a été avancé, nous proposons de créer un malus sur les licenciements, avec une taxe spéciale qui pourrait abonder ce Fonds national d’emploi et de formation.

Nous affichons notre refus d’une véritable spoliation des richesses par les actionnaires, en plafonnant les dividendes versés.

La revalorisation des salaires, traitements et retraites est aujourd’hui la condition d’une croissance économique pérenne permettant de créer des emplois.

Enfin, la création d’un grand pôle financier public doit débuter par la transformation du Haut conseil du secteur financier public, qui regroupe la Caisse des dépôts et consignations, les caisses d’épargne, le Crédit Foncier, la Banque de France, La Banque de développement des PME, en véritable conseil de surveillance.

Notre deuxième grande série de propositions a trait directement aux recettes fiscales, avec comme objectif de desserrer la contrainte budgétaire et de modifier la répartition des prélèvements.

La part de l’impôt progressif ménages, qui va tomber à 18 % du total des recettes du budget général, doit être ramenée à 30 %, comme en Allemagne, en Grande-Bretagne – la moyenne de l’Union Européenne se situe entre 25 % et 30 % –, en redonnant une véritable progressivité, tant au niveau des taux – augmentation des plus hautes tranches – que du nombre de tranches – nous présenterons un amendement en ce sens –, que nous proposons de fixer à neuf.

M. Alain Bocquet. Très bien !

M. Jean-Claude Sandrier. L’introduction progressive de tous les revenus financiers et immobiliers dans l’assiette de l’impôt sur le revenu est également un de nos objectifs. Pour cela, nous proposons d’augmenter le taux des prélèvements libératoires. L’impôt sur le revenu deviendrait alors un impôt juste et efficace.

Pour ce qui concerne l’impôt de solidarité sur la fortune, nous préconisons d’en élargir l’assiette par l’intégration, notamment, des biens professionnels, et d’en augmenter le taux en multipliant par deux le taux des deux premières tranches et par quatre le taux des tranches suivantes.

M. Bernard Schreiner. Quel beau discours !

M. Jean-Claude Sandrier. Cela permettrait d’ailleurs de prendre en compte la situation des quelques personnes au patrimoine important et aux revenus plus modestes. Nous proposons également de supprimer le bouclier fiscal des 60 % – qui va devenir un bunker fiscal, si l’on a bien compris. Avec ces mesures, le rendement de l’impôt de solidarité sur la fortune serait ainsi un peu plus que symbolique. Nous proposons d’affecter les recettes supplémentaires prioritairement à la recherche contre le cancer, aux structures pour personnes âgées et à l’investissement public. Et concernant cet ISF, je pense que votre majorité se grandirait à arrêter cette danse du scalp (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) autour de cet impôt, car elle démontre sa préoccupation essentielle pour le F de Fortune plutôt que pour le S de Solidarité. (Mêmes mouvements.)

Au moment où tant de gens sont dans des difficultés terribles – je l’ai rappelé tout à l’heure, et apparemment ça fait mal, c’est bien –,…

M. Bernard Accoyer. C’est du sadisme ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Sandrier. …il y a une véritable indécence à venir au secours de ces malheureux riches pour lesquels le fameux bouclier fiscal ne suffirait pas, et pourtant 15 000 ménages vont voir leur impôt sur la fortune baisser de 250 millions d’euros, soit douze fois le soi-disant déficit des trains Corail de la SNCF, 80 000 ménages vont avoir une exonération de 400 millions d’euro, soit pratiquement la moitié de l’endettement des hôpitaux ! Alors, comme cela ne suffit pas, il paraît que des députés UMP demandent un geste de plus en faveur des détenteurs d’actions – apparemment c’est en bonne voie. Je dirai que c’est tout de même insulter la misère de millions de Français (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), et en plus pour aucun résultat en matière de croissance, d’emploi et de réduction des inégalités.

Pour ce qui concerne l’impôt sur les sociétés, une double exigence devrait en guider la réforme : le soutien aux petites entreprises et à celles dont l’activité ne permet pas de dégager une forte valeur ajoutée tout en utilisant une main-d’œuvre importante ; la nécessité d’inciter l’ensemble des entreprises à investir dans les femmes et les hommes en soumettant cet impôt à un barème progressif et en modulant ses taux de type bonus/malus selon l’origine des bénéfices et leur affectation – investissement dans la production, formation, recherche ou, ce qui n’est pas la même chose, placements et dividendes. Dans l’immédiat, le rétablissement de la taxe sur l’impôt sur les sociétés rapporterait 500 millions d’euros au budget.

La baisse de la taxe intérieure sur les produits pétroliers est une exigence de justice sociale, fiscale, et même de simple morale. Les profits insolents affichés par les grands groupes de ce secteur pétrolier doivent être ponctionnés. Ces deux mesures permettraient une baisse immédiate de 10 % à 20 % du prix des carburants, mais aussi de dégager des moyens budgétaires pour le développement de modes de transports alternatifs à la route et pour la recherche. À elle seule, la taxation des profits du groupe Total pourrait rapporter 3 milliards d’euros.

Quant à la taxe sur la valeur ajoutée, qui représente presque la moitié du total des recettes du budget général, nous préconisons un certain nombre de baisses ciblées, pour aller vers le taux réduit, notamment pour tout ce qui concerne la création d’infrastructures ayant pour objet la santé ou le handicap. Ces baisses seraient permises par l’augmentation du rendement de l’impôt sur le revenu.

Concernant la taxe professionnelle, nous réaffirmons l’exigence de la rendre plus juste et plus efficace pour les collectivités territoriales. L’élargissement de l’assiette est une nécessité. La mise à contribution des actifs financiers des banques, des entreprises, des assurances, de la grande distribution aurait un double avantage. D’une part, du fait du volume concerné – 3 500 milliards d’euros d’actifs financiers en 2004 –, cela permettrait d’accroître les ressources des collectivités locales par le biais d’un fonds de péréquation. D’autre part, la taxation de ces actifs financiers dissuaderait les investissements financiers du type fusion/acquisition, qui jouent contre l’emploi, ce qui permettrait de responsabiliser socialement et territorialement les entreprises. L’État cesserait de compenser les exonérations.

Ces diverses mesures fiscales permettraient de retrouver des marges budgétaires susceptibles de financer un certain nombre de grands programmes.

Notre troisième grande série de propositions vise à faire de l’investissement public un moteur de la croissance.

Outre la recherche, la formation, l’éducation qui exigent une mobilisation accrue, nous proposons l’engagement de l’État dans deux domaines majeurs : la création d’un grand service public décentralisé pour les services liés à l’environnement – l’eau, l’assainissement, les déchets –, avec une aide particulière aux collectivités pour les aider à subventionner, jusqu’à hauteur de 80 %, leurs travaux d’assainissement ; une véritable mobilisation autour de la question du logement, en accroissant les dispositifs de soutien à l’investissement dans le logement social, en prenant une mesure de blocage des loyers, en redonnant aux 200 000 personnes l’APL qu’on leur a supprimée, en intervenant sur la question de la charge foncière. Pour financer en partie ces mesures, les dispositifs de défiscalisation qui évaporent les ressources seraient supprimés.

La non-privatisation des autoroutes, en garantissant sur le long terme quelque 1,5 milliard d’euros par an pour le budget de l’État, permettrait sur la durée un effort d’investissements routiers et un effort pour le transfert sur le rail.

M. Bernard Accoyer. C’est faux !

M. Jean-Claude Sandrier. Je veux simplement noter qu’une taxation exceptionnelle sur les profits des sociétés du CAC 40 hors Total apporterait, sans préjudice aucun pour ces sociétés, 1 milliard d’euros au budget de l’État. De même, une taxation minime, à 0,05 %, des actifs financiers, apporterait 17,5 milliards d’euros supplémentaires au budget de l’État.

Nous avons souhaité montrer qu’entre un collectivisme passé et un libéralisme qui, social ou non, fait prédominer l’intérêt financier de quelques-uns sur les êtres humains, il y a un chemin passant par une construction budgétaire ayant comme objectif la réduction des inégalités par la croissance et le respect de nos principes d’égalité et de solidarité.

Ne pas écouter l’expression démocratique du peuple manifestée plusieurs fois dans les urnes et dans la rue, faire fi des réalités économiques en utilisant la méthode Coué du « ça va aller » et en vous appuyant sur des chiffres erronés, servir les plus riches en pensant que ce sont eux qui valorisent et respectent le travail, les servir en tentant de porter un coup fatal à la progressivité de l’impôt qu’Adolphe Thiers fustigeait déjà en parlant de « l’impôt des partageux », ces seules raisons suffisent à justifier l’irrecevabilité de ce budget. Car, en fait de modernité, vous nous ramenez pas loin d’un siècle et demi en arrière. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Accoyer. C’est la révolution de 1917 ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Sandrier. Monsieur le ministre, vous me permettrez de penser que la conception de M. Thiers, déjà pas très moderne au XIXe siècle, est devenue en ce début de XXIe siècle un vrai archaïsme. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Accoyer. Le progrès pour vous, c’est le goulag !

M. Jean-Claude Sandrier. Enfin, pour vous épargner les traditionnels poncifs à notre égard, monsieur le ministre, je veux anticiper votre début de réponse en vous disant : la différence entre vous et nous, c’est que l’on peut sans doute reprocher aux communistes… (Mêmes mouvements.)

M. Louis Guédon. De ne pas avoir dénoncé le goulag, sûrement ! Ni les crimes du stalinisme, ni les crimes du léninisme, d’ailleurs !

M. le président. Chers collègues, je vous prie de laisser M. Sandrier s’acheminer vers la conclusion.

M. Jean-Claude Sandrier. Il me reste deux phrases à vous dire, chers collègues, laissez-moi terminer ! Vous avez fait le plus dur !

M. Hervé Novelli. On est au goulag de Vierzon !

M. Bernard Accoyer. Ça, c’est vrai !

M. Jean-Claude Sandrier. Je disais que la différence entre vous et nous, monsieur le ministre, c’est que l’on peut sans doute reprocher aux communistes d’avoir emprunté, un temps, un chemin dévoyé…

M. Hervé Novelli. Ça, c’est sûr !

M. Jean-Claude Sandrier. …– mais ça fait très longtemps déjà –, tandis que vous, le reproche que l’on peut vous faire, c’est d’être vraiment d’un autre temps !

Voter cette motion d’irrecevabilité, ce serait vraiment rendre service à l’immense majorité des Français et à la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État.

M. Gilbert Biessy. Il ne peut pas répondre, il n’a rien entendu, monsieur le président !

M. le président. Monsieur Biessy, vous n’avez pas la parole, c’est au ministre de s’exprimer.

M. Gilbert Biessy. Il va faire un discours préparé à l’avance, il n’y a pas de débat ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, je me permets de vous dire que votre remarque est d’autant plus infondée que vous-même, bien qu’appartenant au même groupe que M. Sandrier, vous avez passé votre soirée à lire le journal. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je trouve donc particulièrement désobligeant que vous fassiez ce type de remarque à un ministre qui, très sagement sur son banc, a entendu une heure et demie d’idéologie…

M. Gilbert Biessy. Ça, c’est de la vraie idéologie !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. …alors même que, très gentiment, sans vouloir froisser personne, j’avais fait observer que ce serait formidable si, un jour, l’idéologie et l’économie pouvaient divorcer. C’est vous dire combien le chemin qui nous sépare est vraiment long.

J’ai le sentiment en vous écoutant que nous n’avons aucun point d’accord. Une exception d’irrecevabilité vise à démontrer que le projet de loi est entaché de vices constitutionnels. Inutile de vous dire, monsieur Sandrier, que je ne le pense pas un instant, et que je vais inviter l’Assemblée nationale à repousser votre demande. En tout état de cause, j’ai surtout entendu un réquisitoire politique, souvent violent, et d’une démagogie sans nom ! Dieu sait que l’on entend beaucoup de choses à cette tribune ; mais on peut indiscutablement vous décerner la palme d’or de la caricature ! (« Bravo ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire – Murmures sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Vous plaidez pour un modèle économique qui, si l’on se réfère à l’histoire contemporaine, n’a vraiment pas brillé par ses succès !

M. Bernard Accoyer. C’est le moins qu’on puisse dire !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous appelez de vos vœux – c’est une différence majeure entre nous – une société totalement étatisée, où la liberté d’entreprise est bridée, et les citoyens maintenus dans un régime d’assistance. (« C’est ridicule ! Vous n’avez rien écouté! » sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous n’avons pas le même modèle économique et social. (« Ça, c’est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Voilà d’ailleurs qui ne surprendra personne. Je défends…

M. Alain Bocquet. Le MEDEF !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. … d’autres idées, que je crois pour le moins aussi respectables que les vôtres, mais qui, en tout cas, n’ont rien à voir ! Nous pensons qu’il est nécessaire de créer de la valeur avant d’en distribuer.

M. Jean-Claude Sandrier. En créer sur le dos des hommes, certes !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous citiez Victor Hugo. Permettez-moi de revenir à La Fontaine, et à la fable « La laitière et le pot au lait » : il est bien gentil de promettre, encore faut-il savoir ce sur quoi l’on peut s’asseoir pour créer de la valeur ! En la matière, vous pensez à distribuer avant d’avoir créé !

Il est nécessaire de libérer les initiatives. Rien n’est pire que ces décisions étatiques, qui bloquent la volonté d’entreprendre.

M. Jean-Claude Sandrier. Vous ne m’avez pas écouté !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Nous avons enfin, monsieur Sandrier, un regard très différent sur le travail. Je n’ai pour ma part jamais pensé, avec Karl Marx – que vous avez dû lire, j’imagine ! – que le travail était une aliénation (« Marx n’a jamais écrit ça ! » sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), mais plutôt une formidable émancipation. Dans un pays moderne, libre et démocratique, c’est le travail qui crée l’énergie, la richesse et la volonté collective, et permet de construire un modèle où personne n’est laissé pour compte.

M. Gilbert Biessy. Et quand on a 2,5 millions de chômeurs ?

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Votre peinture de la société française, monsieur Sandrier, est terriblement misérabiliste, et elle m’a choqué. Personne dans cet hémicycle n’a le monopole de la connaissance du terrain. Dans ma ville de Meaux, je tiens des permanences, je reçois des gens qui souffrent. Comme vous, j’imagine, je sais leur tendre une main fraternelle et solidaire. Pour autant, rien n’est pire qu’un discours qui leur laisserait penser que nous sommes dans une société d’assistanat…

M. Jean-Claude Sandrier. Une société de fric, nuance !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. …plutôt que de responsabilité. Voilà une autre différence majeure entre nous.

Votre tableau caricatural s’est limité à ce qui va très mal. Notre pays a bien des défis à relever et des difficultés à surmonter, mais, au risque de vous surprendre, il est magnifique. La France est un des rares pays au monde où chaque citoyen, quelle que soit sa situation, peut bénéficier de soins gratuits (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), où ses enfants peuvent être éduqués, au nom de la République, dans des conditions remarquables.

M. Jean-Claude Sandrier. Vous n’avez pas entendu toute mon intervention !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Voilà les vertus du modèle français,…

M. Gilbert Biessy. Que vous êtes en train de démolir !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. … vertus absentes du modèle soviétique, et même américain. Je déplore que vous n’ayez pas songé à le dire. Nous avons naturellement beaucoup de désaccords, mais, sur ce point, notre chance commune est de vivre dans un pays où la solidarité nationale permet de financer un service public d’une telle qualité. Plutôt que de stigmatiser, mieux vaudrait donc, de temps à autre, réfléchir ensemble aux moyens de préserver ce modèle.

M. Jean-Claude Sandrier. Faites donc des propositions !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Si nous ne faisons rien, si nous ne mettons pas en œuvre les réformes qui s’imposent – et qui, j’en conviens, exigent beaucoup de courage politique –, il ne nous restera bientôt que nos yeux pour pleurer. Rien n’est écrit, en revanche, si nous assumons dès à présent nos responsabilités. C’est pourquoi nous avons réformé les retraites et la sécurité sociale, modernisé le système de la dépendance, et nous avons aujourd’hui le courage de réformer notre fiscalité.

M. Jean-Claude Sandrier. Tout pour le fric !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Dans tous ces domaines, il y a des rendez-vous à honorer.

Vous avez tout à l’heure évoqué le cas d’une dame vivant avec 420 euros par mois, et qui, pour se faire soigner, devait se déplacer à l’autre bout du pays. Malgré sa difficulté, elle a la chance de se faire soigner, grâce à la solidarité nationale, dans les meilleurs conditions. Dans le système britannique, il est parfois nécessaire d’attendre des semaines avant de se faire opérer, et aux États-Unis, il faut s’en remettre au système privé.

M. Jean-Claude Sandrier. Notre système est en recul ! Vous le faites régresser !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Porter nos regards au-delà de nos frontières nous permet souvent de revenir sur terre. Ayons conscience de notre chance ! Si nous considérons toujours le verre à moitié vide, nous entretiendrons un climat de morosité, alors même que, si nous voulons bien nous retrousser les manches, nous avons une chance fantastique d’imaginer un nouveau modèle de fraternité.

Il y a donc énormément de différences entre nous, monsieur Sandrier. Cela faisait quelque temps que je n’avais entendu un discours du groupe communiste : rien de nouveau sous le soleil ! Ce sont toujours les mêmes litanies…

M. Jean-Claude Sandrier. C’est une bonne nouvelle !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Voilà exposées quelques raisons, parmi beaucoup d’autres, monsieur Sandrier, pour lesquelles je propose que l’on repousse cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Monsieur Sandrier, nous vous aimons bien, à la commission des finances ! Et nous croyons en votre sincérité. Mais, en vous écoutant, je pensais à cette phrase de Soljenitsyne : « Crois les yeux, pas les oreilles ! » Ouvrez les yeux sur le monde. Les peuples qui réussissent sont ceux qui concilient une double exigence d’efficacité et de justice. Lorsque vous évoquez la réforme fiscale, vous n’abordez qu’un seul élément de l’ensemble. Or, nous devons trouver la synthèse entre notre activité économique, l’attractivité de nos entreprises à l’étranger et le besoin de justice. La caricature que vous avez faite est une insulte à l’intelligence de nos compatriotes. Malgré l’amitié qui nous lie, je dois vous dire que nous attendons autre chose des partis de l’opposition. Il est légitime que vous jouiez votre rôle de contre-pouvoir ; mais l’excès où vous êtes tombé ne rend service à personne. Les peuples qui réussissent font toujours confiance à l’initiative et à l’esprit de responsabilité des citoyens. Vous l’oubliez trop souvent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans les explications de vote sur l’exception d’irrecevabilité, la parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour le groupe socialiste. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Mallié. Un grand moment de repos !

M. Augustin Bonrepaux. Le groupe socialiste soutiendra cette exception d’irrecevabilité.

Il le fera d’abord parce que la LOLF est conçue pour améliorer la sincérité du budget : elle ne doit pas devenir un prétexte pour réduire les dépenses. Or, votre budget est fondé sur une prévision de croissance irréaliste de 2,5 %. Nous savons d’ores et déjà qu’il y aura des gels et des suppressions de crédits. Aborder un budget dans ces conditions n’est certes pas une garantie de sincérité !

Par ailleurs, ce budget n’est équilibré que par des recettes de circonstances : il n’y a plus de soulte EDF ; mais il reste celle de La Poste, celle de la Banque de France, et des recettes de fond de tiroir. Et le prélèvement que vous effectuez sur la vente du patrimoine de Réseau ferré de France est un scandale ! Quand on connaît l’endettement de RFF, que l’on sait que cette entreprise n’est plus en mesure d’entretenir le réseau ferré, que 1 000 kilomètres de voies sont fermées à la circulation… Vous accélérez la vente pour dévaloriser le patrimoine et, au passage, empocher 350 millions !

La seconde raison concerne la réforme fiscale. Vous allez accorder 2 000 euros à 10 000 privilégiés, et 4,73 euros à 8,8 millions de Français parmi les plus modestes ! Est-ce là votre conception de l’égalité fiscale ? (« Bravo ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Est-ce l’égalité définie dans la Constitution ?

M. Bernard Accoyer. C’est de la désinformation !

M. Augustin Bonrepaux. Enfin, après avoir fait voter une révision constitutionnelle sur l’autonomie des collectivités locales, vous avez chargé la barque avec la décentralisation ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Pousset. Vous parlez pour vous !

M. Bernard Accoyer. Plus c’est gros, plus ça passe !

M. Augustin Bonrepaux. Commencez par rembourser les 460 millions d’euros que vous devez aux départements, et indiquez-nous comment vous entendez compenser le milliard d’euros qu’ils devront débourser cette année pour financer le RMI ! Nous pourrons alors juger, monsieur le ministre, si cette compensation s’est bien faite à l’euro près !

M. Bernard Accoyer. Vous oubliez le financement des 35 heures !

M. Augustin Bonrepaux. Plus important encore : vous nous avez expliqué que vous alliez garantir l’autonomie des collectivités locales. Or, dans votre projet de loi, vous prévoyez de geler 20 % de l’impôt foncier, privant ainsi les communes rurales de l’une de leurs principales ressources.

M. Jean-Jacques Descamps. C’est ce que vous avez fait avec la taxe d’habitation !

M. Augustin Bonrepaux. Ce manque à gagner ne sera compensé que pour 2005. Les communes n’auront plus, à l’avenir, le pouvoir d’autonomie dont elles disposaient en la matière. Quant au plafonnement de la taxe professionnelle, mes chers collègues, vous en reparlerez bientôt dans vos régions, départements, communes et groupements de communes !

M. Gilbert Biessy. Tout à fait !

M. Augustin Bonrepaux. Vous n’imaginez pas les conséquences de cette mesure.

D’abord, les effets seront différents selon les régions, selon que l’on sera pauvre ou que l’on sera riche, selon que l’on sera dans une zone industrielle plafonnée par rapport à la valeur ajoutée, ou selon que l’on sera dans une agglomération des Hauts-de-Seine ou dans le Nord, le Pas-de-Calais…

M. Richard Mallié. Et l’Ariège !

M. Augustin Bonrepaux. …ou dans les zones textiles qui sont en difficulté, justement, et dont les bases d’imposition vont forcément se réduire chaque année. Et vous allez les empêcher de trouver des ressources…

M. Jean-Jacques Descamps. Et vous, vous allez augmenter les impôts !

M. Augustin Bonrepaux. …quand, par ailleurs, vous réduisez les dotations – M. le ministre ne vient-il pas de nous expliquer que le bouclier fiscal serait financé par un prélèvement sur la DGF ? – et quand vous réduisez ou supprimez la dotation globale d’équipement pour les départements, alors qu’ils auront toujours davantage de charges. Car il est facile de promettre aux sapeurs-pompiers de financer leurs retraites, ou aux handicapés qu’ils décideront eux-mêmes des allocations qu’on leur donnera, quand on sait que ce seront les départements qui paieront !

Il faudra bien, mes chers collègues de la majorité, que vous expliquiez tout cela dans vos départements !

M. Jean-Jacques Descamps. Et vous, le financement des 35 heures, l’aviez-vous prévu ?

M. Richard Mallié. En 1981, qui a procédé aux nationalisations ?

M. Augustin Bonrepaux. En tout cas, cela portera atteinte à l’autonomie des collectivités locales. C’est pourquoi cette exception d’irrecevabilité est particulièrement justifiée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Pour le groupe des député-e-s communistes et républicains, la parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Décidément, mes chers collègues de la majorité, vous n’aimez pas qu’on illustre votre politique par ses conséquences ! Il est vrai que ce sont des réalités douloureuses. Mais puisque vous vous faites les défenseurs zélés des plus favorisés, permettez-nous de rester fidèles aux salariés et aux victimes de la précarité. Après tout, cette répartition des rôles entre vous et nous est assez naturelle !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. C’est faux !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. C’est grotesque !

M. Daniel Paul. Ce sont des réalités difficiles à contester et les responsables d’ATD Quart Monde l’ont rappelé hier…

M. Gilbert Biessy. On vous montrera bientôt si c’est faux !

M. Hervé Novelli. Ne rêvez pas !

M. le président. Seul M. Paul a la parole, n’est-ce pas, monsieur Biessy !

M. Hervé Novelli. Ce sont les collègues de son propre groupe qui l’interrompent !

M. Louis Giscard d’Estaing. Ils ne le laissent pas parler !

M. Daniel Paul. Les responsables d’ATD Quart Monde l’ont rappelé hier : dans notre pays – riche, effectivement, monsieur le ministre – les inégalités se creusent et la pauvreté s’étend, gagnant le monde du travail.

M. Jean-Jacques Descamps. C’est Victor Hugo !

M. Hervé Novelli. Zola plutôt !

M. Daniel Paul. Non, c’est aujourd’hui, dans notre pays, que l’on constate ces réalités pesantes !

Votre objectif est de répartir autrement les richesses produites.

Oui, monsieur le ministre, notre pays est riche ; mais vous voulez moins pour les salaires et les dépenses publiques, et plus pour la rémunération du capital qui, au cours des vingt dernières années, a déjà gagné dix points de PIB !

Ce sont des réalités gênantes, ce qui vous pousse à souhaiter que l’on sépare l’économie de la politique, alors que, de plus en plus, la satisfaction des groupes tient lieu, pour vous, de politique industrielle.

Vous estimez que, dans notre pays, la dépense publique est contreproductive, qu’il faudrait la réduire, de même que les impôts ! Comme si l’amélioration du pouvoir d’achat des plus nantis servait en quoi que ce soit les salariés ! C’est une politique de classe, que vous accompagnez d’une offensive idéologique sans précédent contre le secteur public et contre l’ensemble des outils de solidarité – je pense au système des retraites et de la protection sociale – en vantant les vertus supposées du marché, en tout cas celles que vous lui trouvez.

Au nom de la rentabilité du capital, vous attaquez les fondements de notre société. Si j’osais, monsieur le ministre, je dirais que vous êtes effectivement pour la liberté, mais pour celle des capitaux, qui pèse si lourd sur les salariés et sur les territoires. Vous allez contre l’égalité, en mettant en avant, en permanence, les lois du marché, et contre la fraternité, en cassant les solidarités que notre peuple a su se donner. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Vous aggravez la précarité, vous vendez le patrimoine.

M. Gilbert Biessy. Les bijoux de famille !

M. Daniel Paul. Notre collègue, Augustin Bonrepaux, vient d’évoquer RFF. Je rappellerai comment vous procédez avec EDF.

M. Jean-Jacques Descamps. Et la CCAS ?

M. Hervé Novelli. Un pour cent des recettes d’EDF pour la CGT !

M. Daniel Paul. J’ai fait partie, monsieur le ministre, de la commission Roulet, au cours de laquelle on nous avait annoncé – déjà ! – que l’État, de toute façon, prélèverait chaque année la somme qui lui revenait sur les bénéfices d’EDF.

M. Jean-Jacques Descamps et M. Hervé Novelli. Parlez-nous du racket de la CGT !

M. Daniel Paul. Prélever sur les bénéfices d’EDF vous permet d’affirmer que cette entreprise publique n’a pas suffisamment de fonds propres et de la livrer à l’offensive du privé, dans les semaines qui viennent. Et tout cela, sans autre résultat qu’une aggravation de la précarité et une soumission toujours plus grande à la domination des grands groupes.

Votre objectif, monsieur le ministre, n’est pas de supprimer la précarité ! Je ne suis pas d’accord avec ceux qui affirment que vous êtes en train d’échouer. Bien au contraire, vous êtes en passe d’atteindre l’objectif qui vous a été assigné, à savoir intégrer notre pays, ce pays riche effectivement, dans la mondialisation !

Comptez sur nous pour rassembler ceux qui s’y opposent.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Paul.

M. Daniel Paul. Comptez sur nous pour proposer une rupture, non pas celle que vous préconisez, qui est libérale, mais une rupture portant d’autres choix qui mettent l’homme au cœur des préoccupations.

Oui, votre budget est irrecevable car il menace la cohésion même de notre pays. C’est pourquoi nous appelons à voter l’exception d’irrecevabilité, excellemment présentée par Jean-Claude Sandrier. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. J’indique d’ores et déjà que, sur le vote de l’exception d’irrecevabilité, je suis saisi par le groupe des député-e-s communistes et républicains d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Pour le groupe UMP, la parole est à M. Hervé Novelli, dernier orateur inscrit dans les explications de vote sur l’exception d’irrecevabilité.

M. Hervé Novelli. Monsieur le président, mes chers collègues, il y a quelque paradoxe à discuter d’une exception d’irrecevabilité sur une loi dont M. le ministre nous a expliqué à quelles règles constitutionnelles elle répondait. Je n’insisterai pas sur le caractère surréaliste de cette procédure, s’agissant d’un projet de loi de finances dont, précisément, le dépôt est imposé par la Constitution.

Je me montrerai aussi indulgent, monsieur Sandrier, pour tout ce qui était hors sujet dans votre propos. C’est du budget de la France que nous devions commencer à discuter, et non de tout ce que vous avez voulu y voir et qui n’y figure pas !

Paradoxalement, je voudrais vous féliciter pour avoir formulé avec sincérité votre autocritique : vous avez condamné le collectivisme ! C’est suffisamment nouveau de la part du parti communiste pour qu’on vous en donne acte ! (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Vous avez trente ans de retard !

M. Daniel Paul. Il faut lire les journaux ! Voulez-vous que l’on vous abonne à L’Humanité ?

M. Hervé Novelli. Pour le reste, rien de nouveau sous le soleil communiste ! La solution…

M. Maxime Gremetz. C’est la révolution !

M. Hervé Novelli. …consiste, pour paraphraser une exclamation célèbre à « sauter comme des cabris sur des chaises en criant : taxer, taxer, taxer ! » (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Non ! Travail, travail, travail !

M. Hervé Novelli. Dès qu’apparaît un problème, on taxe ! Au moindre souci, il faut taxer ! Mais ça ne marche pas, ça n’a jamais marché ! Lorsque l’on taxe la richesse, lorsque l’on décourage les gens qui la possèdent, on aboutit à l’effet inverse de celui souhaité : la richesse s’évanouit ! En pensant que c’est la solution de nos problèmes, vous commettez une très grande erreur.

M. Maxime Gremetz. Mieux vaut taxer le peuple : il est plus nombreux !

M. Richard Mallié. M. Gremetz ne peut pas comprendre ça !

M. Hervé Novelli. Nous avons besoin de continuer ce débat, parce que le budget de 2006 apporte un certain nombre d’innovations…

M. Maxime Gremetz. Quelles innovations ?

M. Hervé Novelli. …dont il faut donner acte au Gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

D’abord, il engage une réforme fiscale. C’est important, car il n’y en a pas eu depuis des années dans notre pays. Cette réforme fiscale se traduira par un amoindrissement de la pression fiscale moyenne.

M. Daniel Paul. Moyenne !

M. Gilbert Biessy. Pour qui ?

M. Hervé Novelli. C’est une bonne chose.

Ce projet de budget vise aussi à contenir la dépense publique. Or il existe un lien quasi mécanique entre le niveau de la dépense publique et celui du chômage dans tous les pays de l’Union européenne, vous ne pouvez pas le nier, mes chers collègues ! Le projet de budget va donc dans le bon sens.

Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, je souhaite que mes collègues repoussent l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix l’exception d’irrecevabilité de M. Bocquet.

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M. le président. Le scrutin est ouvert.

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M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin sur l’exception d’irrecevabilité :

L’Assemblée nationale n’a pas adopté.

La suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2006 est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour
deS prochaines séanceS

M. le président. Mercredi 19 octobre 2005, première séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2006 (n° 2540) :

Rapport, n° 2568, de M. Gilles Carrez, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.)