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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mercredi 19 octobre 2005

25e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE MME PAULETTE GUINCHARD,
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt-deux heures.)

Loi de finances pour 2006

Suite de la discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2006 (n°s 2540, 2568).

Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, mes chers collègues, le projet de loi de finances qui nous est soumis se situe fondamentalement dans la continuité de ceux des années précédentes – jusque-là, je pense ne pas vous surprendre – à ceci près qu’il est en quelque sorte bisannuel et qu’il franchit une nouvelle étape dans la destruction programmée de l’impôt progressif.

Les martingales fiscales de M. de Villepin ont le même objectif que celui poursuivi au fil des années précédentes : réduire l’impôt des plus fortunés au nom de la baisse des prélèvements obligatoires, réduction affichée comme la condition absolue et incontournable de la croissance économique. Malheureusement, l’expérience prouve que la baisse des impôts progressifs est aussi injuste qu’inefficace.

On peut d’ailleurs observer que la pensée unique sur ce sujet est de plus en plus souvent contestée, comme le montre, par exemple, une interview de M. Éric Heyer, directeur adjoint au département analyse et prévision de l’OFCE, qui déclare, dans Le Monde du 4 octobre 2005, à propos des baisses de l’impôt sur le revenu : « Elles donnent un surcroît de pouvoir d’achat au consommateur, mais donner 100 euros à un ménage modeste ou à un ménage fortuné n’a pas le même impact sur la croissance. La propension marginale à consommer fait que le premier en dépensera la quasi-totalité et dynamisera l’activité, alors que le second en épargnera une partie. »

« Prenons l’exemple des réformes annoncées d’ici à 2007. D’un côté, l’augmentation de la prime pour l’emploi pèsera 1 milliard d’euros ; de l’autre, les réductions d’impôts pour les plus riches se monteront à 3,5 milliards. Par ailleurs, ces réductions d’impôts profiteront un peu aux revenus mensuels compris entre 1500 et 2500 euros, puis entre 5000 et 7500 euros, mais à partir de 11 200 euros, le gain devient de plus en plus important. Or, faire de tels cadeaux aux plus riches n’est pas efficace en termes de consommation, donc de croissance ». Ce n’est pas moi qui le dis, mais un expert de l’OFCE !

Interrogé sur le niveau des prélèvements fiscaux, en France, M. Heyer déclare : « Certains prétendent que ces prélèvements nuisent à l’attractivité de la France. Je n’y crois pas. Notre pays se classe, selon les années, au deuxième ou au troisième rang mondial pour le montant des investissements directs étrangers…

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. C’est complètement faux !

M. Jean-Pierre Brard. et ce, avec ou sans les 35 heures ». Et Éric Heyer ajoute : « Il fait bon vivre en France » – mais nous le savions déjà ! (Sourires.)

Il poursuit ainsi : « En revanche, baisser l’impôt sur le revenu en maintenant un taux de prélèvement constant envoie un signal dangereux : l’équité n’y trouve pas son compte, car l’impôt sur le revenu est le seul qui soit progressif et redistributif. L’abaisser, c’est par exemple faire porter le fardeau de l’assurance-maladie et des retraites sur la CSG et les cotisations salariales qui pèsent de la même façon sur les riches et les pauvres.

« Il aurait été préférable de mettre dans le même panier l’impôt sur le revenu et la CSG et de leur affecter une progressivité identique. Toutes les formes de revenus auraient été concernées et il aurait été possible de baisser les taux d’imposition, puisque l’assiette fiscale aurait été plus large. Dommage qu’on ait raté l’occasion. »

Le travers ainsi dénoncé par cet analyste est confirmé par un récent rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques intitulé « Statistiques des recettes publiques ». Ce document fait, en effet, apparaître que l’impôt sur le revenu, qui, au milieu des années 80, représentait jusqu’à 30 % des recettes fiscales des pays membres, a vu sa part significativement réduite, à 25 % actuellement. Dans le même temps, les cotisations sociales payées par les salariés et par les employeurs représentent aujourd’hui, dans les pays de l’OCDE, le premier poste de recettes publiques avec 26 % du total.

J’en viens aux comparaisons entre pays, monsieur le ministre. Puisque vous avez dit que vous prendriez les bons exemples à l’étranger, je vais vous montrer que nous sommes le bon exemple ! Les comparaisons entre pays font apparaître que les impôts sur les revenus et les bénéfices atteignent 17,1 % en Finlande, 11 % aux États-unis, 13,4 % en Grande-Bretagne, contre 10,2 % en France. Notons au passage que, d’après ce rapport, la France présente un niveau global de prélèvements de 43,7 % du PIB, et qu’elle est ainsi devancée par la Suède avec 50,7 %, le Danemark – dont nous sommes officiellement entichés – avec 49,6 %, la Belgique avec 45,6 % et la Finlande avec 44,3 %.

Ledit rapport donne au phénomène l’explication suivante : « La part croissante de ces cotisations dans le total des recettes semble être directement liée à la pression à la hausse sur le montant total des prestations résultant de l’aggravation du chômage, du vieillissement des populations et de l’augmentation des dépenses publiques dans le cadre des programmes de soins de santé. »

Cette explication, si elle n’est pas totalement fausse, est beaucoup trop courte. Elle occulte, en effet, la volonté politique mise en œuvre depuis plus de deux décennies par les gouvernements libéraux et parfois par des membres sociaux-libéraux de gouvernements de gauche, à savoir réduire le poids de l’impôt direct progressif au mépris de la justice fiscale.

Cette volonté existe toujours, mais elle se heurte depuis quelques mois à une résistance nouvelle de la part des peuples. Mes chers collègues, j’ai l’impression, pour m’exprimer familièrement, que le jeton n’est pas encore tombé chez vous ! Dans Les Échos du 12 octobre, M. Stéphane Dupont, sous le titre « Le Grand Soir fiscal ne fait plus recette en Europe » écrit notamment : « Et si Dominique de Villepin avait enfourché le mauvais cheval de bataille ? En promettant de simplifier et de réduire l’impôt sur le revenu, en 2007, le Premier ministre pensait, apparemment, avoir trouvé l’arme électorale fatale. Il pourrait bien déchanter. […]

« En Pologne, il y a dix jours, les libéraux de la Plate-Forme civique ont été devancés par les conservateurs de Droit et Justice lors des élections législatives, pour s’être posés en champions de la flat tax, l’impôt à taux unique. […]

« Une semaine auparavant, les Unions chrétiennes avaient connu une semblable mésaventure en Allemagne. […]

« Partie des pays Baltes, la déferlante flat tax, a, à l’évidence, connu un sérieux coup d’arrêt, le mois dernier, après avoir submergé la Russie, la Serbie, l’Ukraine, la Slovaquie, la Géorgie et la Roumanie ces dernières années. Et il est possible qu’elle tombe sur un nouvel écueil en République tchèque l’an prochain. […]

« Car, plus généralement, c’est le principe même des baisses d’impôts qui semble passé de mode sur le Vieux Continent. […]

« Moins crédules que ne le pensent souvent les hommes politiques, les électeurs européens, dans leur majorité, ne veulent plus de baisses d’impôts à crédit, de lourdes traites sur l’avenir et de réformes profitant d’abord et avant tout aux privilégiés. […]

« Il n’y a, en fait, plus que Rome et Paris, parmi les “grandes capitales”, à faire miroiter, aujourd’hui, de généreuses remises d’impôts aux contribuables ».

La compagnie de M. Berlusconi dans cette circonstance, vous le reconnaîtrez avec moi, n’est ni rassurante, ni flatteuse. Je vois que vous souriez, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général. Pour vous connaître, nous savons que d’habitude vous choisissez mieux vos relations. (Sourires.)

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Nous vous écoutons, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Il n’est pas inutile, à propos de la situation dans l’Union européenne, de souligner que cette opposition croissante et légitime des opinions au dogme des réductions d’impôts a pour effet de figer une situation dans laquelle les écarts d’imposition entre États sont très importants, ce qui constitue un poison redoutable pour l’avenir de la construction européenne, en nourrissant une concurrence fiscale exacerbée.

En 2004, indique le Centre d’études prospectives et d’informations internationales – le CEPII –, les taux d’imposition nominaux maximaux sur les sociétés étaient de plus de 35 % en Allemagne, en France et en Italie, contre seulement 19 % en Pologne et en Slovaquie, 15 % en Lettonie et en Lituanie, voire 0 % – pour les bénéfices réinvestis – en Estonie.

L’enjeu de cette nouvelle concurrence fiscale est d’attirer les entreprises, pour les pays à faible fiscalité, ou de ne pas les laisser partir, pour les autres, tout en assurant un financement des dépenses publiques. Ainsi « la concurrence pourrait se traduire par une déformation de la structure [de ces dépenses] en faveur des entreprises et au détriment des ménages », souligne l’étude du CEPII.

Dans notre pays aussi, l’état d’esprit des contribuables évolue. Ils comprennent beaucoup mieux comment vous siphonnez leurs portefeuilles tandis qu’ils sont distraits par vos miroirs aux alouettes. Le personnel politique de notre pays progresse beaucoup dans la maîtrise du vocabulaire, puisque vous donnez de nouveaux sens aux mots, comme on vide les coquillages de leur mollusque d’origine pour y mettre ce que le cuisinier a préparé.

M. Yves Jego. Voilà un homme qui s’y connaît en mollusques !

M. Jean-Pierre Brard. Je ne voulais pas être désagréable, mais il est vrai que, à force de voir certains d’entre vous, je commence à bien les connaître – idéologiquement parlant, bien sûr.

Les chiffres de l’évolution des prélèvements fiscaux et sociaux durant les trois dernières années, telles qu’analysées par le Collectif économiste pour l’action politique, sont sans ambiguïté – mais vous ne citez jamais ces chiffres et les gens que vous tondez ne savent pas à quel point ils le sont. Entre 2002 et 2005, la baisse des prélèvements aura été de 9 milliards d’euros mais la hausse aura été de 10,6 milliards d’euros. Bien entendu, la première bénéficie aux privilégiés, la seconde est supportée par les plus modestes.

Les baisses de prélèvements obligatoires bénéficiant aux ménages concernent essentiellement la fiscalité de l’État. Les principales mesures ont porté sur l’impôt sur le revenu, qui a été allégé de quelque 5,9 milliards d’euros, en particulier avec la baisse des taux et les mesures d’allégement, notamment pour l’emploi à domicile. Le gonflement des dépenses de prime pour l’emploi a composé le second poste d’allégement, à hauteur de 2,1 milliards d’euros. Enfin, les baisses de diverses taxations sur le patrimoine – droits de succession et donations, ISF – se sont élevées à 1 milliard d’euros.

L’ensemble de ces baisses ont été toutefois entièrement compensées par les mesures nouvelles de hausse des prélèvements sociaux et de la fiscalité locale. En effet, les augmentations de prélèvements fiscaux et sociaux sur les ménages se sont élevées au total à 10,6 milliards d’euros. Celles des prélèvements sociaux – hausse du taux de l’UNEDIC, réforme de l’assurance-maladie, loi vieillissement et solidarité, loi relative au service public de l’électricité et du gaz – représenteraient au total 5,7 milliards d’euros. Quant à celles qui sont intervenues sur le taux de la fiscalité locale – quatre taxes et taxe sur les ordures ménagères –, elles seraient au minimum de 3,6 milliards entre 2002 et 2005. S’y ajoute enfin un relèvement de la fiscalité sur le tabac et les produits pétroliers.

La synthèse de ces différentes décisions montre l’absence de réduction des prélèvements. Elle traduit, en revanche, une politique économique qui vise à transférer une part importante des prélèvements progressifs vers des prélèvements non progressifs. Le même mécanisme se profile pour les années 2006 et 2007, avec les baisses d’impôts liées à la révision du barème – pour 3,5 milliards – et au « bouclier fiscal », pour 400 millions, alors que les cotisations des salariés pour le régime de retraite du privé seront augmentées de 666 millions d’euros par an dès janvier 2006.

Ainsi, d’après le rapport économique, social et financier, les prélèvements sont passés de 43,4 % du produit intérieur brut en 2004 à 43,9 % en 2005 et ils s’établiront, en 2006, à 44 %. Les propos que M. Breton a tenus hier n’étaient donc que calembredaines : il faut toute son imagination pour citer les chiffres qu’il nous a fournis.

Le taux des prélèvements d’État devrait baisser de 17 % à 15,9 %, mais celui des collectivités territoriales devrait progresser de 5,6 % à 5,8 % et celui des administrations de sécurité sociale de 20,9 % à 22,1 % – soit une augmentation de 3,21 milliards d’euros –, confirmant ainsi le mécanisme de transfert décrit par le rapport de l’OCDE et par le Collectif économiste pour l’action politique. Il faut rappeler que, dans le même temps, les prélèvements assis sur la consommation, comme la taxe sur la valeur ajoutée ou la taxe intérieure sur les produits pétroliers, frappent indistinctement tous les contribuables de la même manière, quels que soient leurs revenus.

Ces prélèvements de plus en plus injustes sont-ils économiquement efficaces, comme on voudrait nous le faire croire ? La réponse est à l’évidence négative. Le point de conjoncture d’automne de l’INSEE confirme la prévision d’une progression du produit intérieur brut de 1,5 % cette année. La création d’emplois aidés, tout particulièrement dans le secteur non marchand, à laquelle vous avez dû vous résoudre au vu du fiasco de vos recettes libérales, devrait alimenter la consommation des ménages et compenser au plan statistique, mais non au niveau de chaque ménage, l’amputation du pouvoir d’achat qui résulte de la hausse du prix des produits pétroliers.

Cet après-midi, j’ai entendu dire que le pouvoir d’achat augmentait. Mais vous êtes victimes d’hallucinations, mes chers collègues ! À preuve, ce graphique (M. Brard montre le graphique) publié dans Capital – le bien nommé – qui décrit très bien l’évolution du pouvoir d’achat. En 2001, c’est-à-dire du temps du gouvernement de la gauche plurielle, celui-ci a augmenté de 2,1 % ; en 2003, il a baissé de 0,8 % et en 2004, il a augmenté de 0,1 %. Voilà la réalité ! Et encore, ce ne sont que des moyennes, dont vous savez bien qu’elles sont toujours défavorables aux plus modestes.

Évidemment, la hausse du prix des produits pétroliers ne pénalise pas tout le monde. Elle représente, au contraire, une source de profits supplémentaires pour les compagnies pétrolières. On assiste, en effet, simultanément à une hausse douloureuse des prix pour les consommateurs et à une explosion des profits, ce qui a contraint M. Breton à réagir et à essayer de faire croire qu’il allait mettre à contribution les grandes compagnies pétrolières. Ainsi, dans le Parisien, à une lectrice qui lui demandait si, en matière d’énergies nouvelles, le Gouvernement subissait la pression des lobbies pétroliers, M. Breton a répondu – ça ne s’invente pas : « Quand j’ai convoqué les pétroliers, ils sont venus et ont fait ce que je souhaitais, notamment en s’engageant à augmenter les capacités de raffinage et à investir dans les énergies alternatives. » Plus loin, il indique à propos de l’augmentation du prix à la pompe : « C’est très simple : si le pétrole baisse, le prix baisse. Ce n’était pas le cas auparavant. »

Or savez-vous, monsieur le rapporteur général – vous qui passez de temps en temps par là – quel est, ces jours-ci, le prix du litre d’essence octane 98 affiché par la station-service de la porte de Vincennes ? Je vous le donne en mille : 1,449 euro. Voilà comment M. Breton fait baisser le prix du pétrole ! On finit par se demander ce qu’il souhaitait vraiment que fassent les pétroliers, car ce que les consommateurs ont constaté, c’est que les prix ont augmenté davantage encore !

Aussi, je doute, monsieur Copé – vous qui représentez ici M. Breton –, de l’autorité du ministre de l’économie et des finances. Je me perds en conjectures. Est-ce que, par hasard, M. Breton n’arriverait pas à se faire écouter des pétroliers parce qu’il n’est pas assez ferme avec eux ? Et s’il n’est pas assez ferme avec eux, n’est-ce pas parce qu’il les fréquente trop et que, à force de trop les fréquenter, il finit par ne plus savoir résister à leurs arguments ?

M. Hervé Novelli. Je n’en crois rien !

M. Jean-Pierre Brard. Je vois que, au fond de vous-même, vous adhérez à mon point de vue, monsieur Novelli. (Sourires.) Au reste, vous avez de bonnes raisons de comprendre ce que je dis, car vous savez que tous ces gens-là, comme vous, d’ailleurs – mais vous, vous êtes un vrai idéologue – baignent dans le bain libéral.

M. Hervé Novelli. Il y avait longtemps !

M. Jean-Pierre Brard. Ça dure depuis trop longtemps, voulez-vous dire. (Sourires.) Évidemment, nous n’avons pas la même vision des choses.

M. Hervé Novelli. C’est certain !

M. Jean-Pierre Brard. En fait, M. Breton n’a pas voulu faire de peine aux pétroliers parce qu’on ne pénalise pas les siens – au sens de l’appartenance de classe, comme on disait il y a un certain temps –, c’est-à-dire les nantis, les privilégiés, les pansus et les ventrus,…

M. Hervé Novelli. Il y en a aussi à gauche !

M. Jean-Pierre Brard. … qui se nourrissent du travail des autres et qui conçoivent le partage comme il se faisait avant 1789, lorsque – rappelez-vous cette fameuse caricature – le Tiers État portait le clergé et l’aristocratie.

En effet, M. Breton a autorisé Total à utiliser le « bénéfice mondial consolidé », statut fiscal qui permet à l’entreprise de payer ses impôts dans le pays où elle réalise ses activités et, surtout, de faire remonter ses pertes. En outre, les subtilités de la ventilation comptable des bénéfices au sein du groupe Total entre les nombreuses filiales et la holding devraient intéresser Bercy.

Tout ce spectacle médiatique pour des résultats absolument nuls ! Sauf pour les Français, qui ont subi des prélèvements supplémentaires.

D’une manière générale, les profits et les dividendes sont à la fête cette année. Citons quelques chiffres de sociétés du CAC 40, puisque c’est là que vos valeurs sont cotées, mes chers collègues. Les résultats du premier semestre 2005 sont révélateurs du bonheur d’être actionnaire dans la France d’aujourd’hui. Le profit de Total, par exemple, a augmenté de 44 %.

M. Hervé Novelli. Ce n’est pas leur faute !

M. Jean-Pierre Brard. Non, bien sûr ! C’est tombé du ciel, comme les cailles rôties la veille de Noël.

Je ne parle pas de France Télécom. D’ailleurs, qui en était le président, avant M. Breton ?

M. Hervé Novelli. Le bon Bon! (Rires.)

M. Jean-Pierre Brard. Qu’est-il devenu, ce président qui nous a coûté des dizaines de milliards d’euros ? Est-il en prison ? Non, il coule des jours tranquilles, sans avoir à répondre de sa gestion. Et pendant ce temps-là, vous augmentez la prime pour l’emploi de cinq euros par mois. Voilà la réalité.

Je continue la lecture de ce palmarès des plus édifiants. BNP Paribas : plus 27 % – une performance somme toute assez médiocre par rapport aux autres ; AXA : plus 31 % ; Société Générale : plus 30 % ; Renault : plus 54 % ; Arcelor : plus 124 % ; Crédit Agricole : plus 31 % ; Suez : plus 13 % ; Vivendi Universal – qui nous a un peu coûté – plus 49 %. Tout cela se chiffre en milliards d’euros.

Matignon aurait, selon les gazettes, donné son feu vert à un projet d’amendement de l’UMP ayant pour objet, d’après Les Échos du 13 octobre – on en a d’ailleurs eu confirmation tout à l’heure à la commission des finances –, « d’exonérer largement dirigeants et salariés actionnaires de leur entreprise ». Déjà rédigé, l’amendement exclut, dès 2006, de l’assiette de l’ISF, à concurrence de 75 %, – je parle sous votre contrôle, monsieur Novelli, puisque nous savons désormais que vous êtes l’auteur de cet amendement.

M. Hervé Novelli. Je n’en suis pas le seul signataire !

M. Jean-Pierre Brard. En effet, pour commettre un forfait, il vaut mieux être plusieurs (Sourires.)

L’amendement, disais-je, exclut de l’assiette de l’ISF, à concurrence de 75 %, les parts et actions nominatives d’une société lorsque leur propriétaire exerce son activité principale dans cette société comme salarié ou mandataire social. Ce beau cadeau vient s’ajouter au mécanisme du bouclier fiscal dont la mise en place s’accompagne d’une vraie manipulation, puisque M. Copé prétend qu’il va bénéficier aux couches moyennes. Comme chacun le sait, dans les champs scientifiques, il faut toujours définir l’objet de son étude. Or, M. Copé se garde bien de définir ce qu’il appelle les « couches moyennes ».

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Et modestes !

M. Jean-Pierre Brard. Voilà qui est nouveau !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Pas du tout ! Simplement, vous devez avoir une oreille sélective, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. C’est d’autant plus imprévu que les intéressés eux-mêmes n’avaient pas remarqué votre délicate affection à leur égard. Si l’on se réfère au précepte « Qui aime bien, châtie bien », avec tout ce que vous leur avez pris depuis trois ans et demi, vous devez les aimer beaucoup. De leur côté, monsieur le ministre, ils commencent à trouver la potion un peu amère.

J’en reviens à vos fameuses – quoique non définies – couches moyennes. La réduction de l’ISF résultant de la mise en place du bouclier fiscal profiterait à 93 000 ménages, mais si l’on en croit les indiscrétions publiées par le Canard Enchaîné – dont on sait à quel point elles sont fiables, puisque souvent rédigées par les auteurs mêmes des textes – la réforme profitera également à 14 000 contribuables soumis à l’ISF…

Mme la présidente. Il faut songer à conclure, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. C’est dommage car j’avais encore beaucoup de choses à dire, madame la présidente.

Pour ces 14 000 contribuables, la réduction d’impôt s’élèvera en moyenne à 18 000 euros par foyer, c’est-à-dire bien plus que le revenu annuel d’un smicard.

Depuis que Mme Parisot est arrivée à la tête du MEDEF, la roture a remplacé l’aristocratie. Hélas, ses premières déclarations nous feraient presque regretter son prédécesseur, le baron Ernest Antoine Seillière de La Borde, qui a longtemps été votre mentor, mesdames et messieurs de la majorité. Ainsi, à l’issue d’une recherche minutieuse, Mme Parisot pense avoir déniché la cause du désenchantement. Je vous le donne en mille : c’est le code du travail, qui bloque le marché du travail !

Vous dites toujours, monsieur le ministre, qu’il faut que nous soyons plus productifs. Il vous a été démontré cet après-midi à cette tribune que les Français le sont déjà beaucoup. Le problème, c’est que vous ne récompensez pas équitablement la peine que les uns et les autres se donnent.

Ceux qui dégustent un « foie de canard sous la cendre au vin de pêche », suivi de « l’œuf de poule au caviar », puis du « bouillon de homard à la citronnelle », de la « rissole feuilletée de goûteuse volaille à la dauphine », de la « dentelle de chou en jus de truffe » et, pour finir « le flan brûlé retour des îles rafraîchi d’un métis d’abricots », ont-ils été particulièrement productifs ? Certes non, ils se sont simplement enrichis du travail des autres, de ceux que vous réduisez chez nous à une vie difficile – et à l’extérieur, à bien pire encore.

Je voudrais vous montrer cette affiche du CCFD, Comité catholique contre la faim et pour le développement, qui a pour légende : « Tu mangeras quand tu seras compétitif ». Ce slogan résume bien votre politique.

M. Hervé Mariton. Allons !

M. Jean-Pierre Brard. À l’inverse, nous condamnons cette façon de voir les choses et nous nous battons pour que s’instaurent d’autres rapports sociaux.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. J’en ai terminé, madame la présidente. Je constate que M. Mariton reste coi, ne supportant pas, sans doute, qu’on lui montre ce sein dont il fait semblant de s’outrager, alors qu’il regarde par le trou de la serrure (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au travers du projet de loi de finances pour 2006, le Gouvernement affiche sa volonté de poursuivre le redressement des finances publiques, d’engager une réforme fiscale trop longtemps différée et d’affecter prioritairement les crédits au soutien à l’emploi et à l’activité économique, d’une part, et aux missions régaliennes de l’État, d’autre part.

Je souscris bien volontiers à ces orientations qui, j’en suis convaincu, correspondent à l’attente du plus grand nombre de nos concitoyens.

Ce budget est également le premier à être examiné dans le cadre de la loi organique sur les lois de finances du 1er août 2001 dans le format d’une maquette budgétaire organisée en missions, programmes et actions, et accompagnée de projets annuels de performance comportant objectifs et indicateurs.

Le Parlement, monsieur le ministre, vous le savez, met beaucoup d’espoir dans ce nouveau dispositif qui doit permettre de mieux appréhender l’efficacité de la dépense publique en apportant aussi plus de transparence dans l’affectation des ressources au financement des actions de l’État.

En ouvrant un droit d’amendement au sein de chaque mission, le législateur organique a par ailleurs souhaité traduire cette capacité d’évaluation de l’efficacité de la dépense par une possibilité de réaffectation des ressources par le Parlement entre programmes d’une même mission. Nous entendons utiliser cette innovation dès cette année, de façon responsable, pour proposer des améliorations à l’affectation des ressources.

En ce qui concerne la maquette budgétaire, si celle-ci, dans le cadre du dialogue entre le Gouvernement et la commission des finances, a enregistré de véritables améliorations nous permettant d’émettre une satisfaction d’ensemble, force est de constater que sur quelques points, importants pour nous, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Il s’agit notamment de la mission Défense dont le programme « Équipement des forces », avec 10,5 milliards d’euros d’autorisations d’engagement et 10,6 milliards d’euros de crédits de paiement, atteint un montant de crédits fongibles inégalé correspondant à une quarantaine des anciens programmes suivis au niveau de l’article. Tout en comprenant le souhait du ministère d’une gestion active des autorisations d’engagement, nous avons manifesté le souhait de distinguer dans ce périmètre deux programmes, l’un dédié à l’armement nucléaire, l’autre à l’armement conventionnel.

Nous avions également souhaité que le programme « Préparation et emploi des forces », doté de 21,6 milliards d’euros, puisse identifier clairement, au regard des enjeux, les actions de recrutement et de formation des personnels, ce qui n’est pas le cas dans les actions actuelles.

Tout en saluant les efforts déjà accomplis par le ministère dans la construction des objectifs et indicateurs, je souhaite redire l’importance que j’attache à cette architecture qui permettrait, grâce à ces deux programmes nouveaux, une meilleure lisibilité par le Parlement de la politique de défense et de suivi des crédits, également rendue nécessaire par l’importance des crédits de report présentés dans le présent projet de loi de finances, sans limite de durée et dans une ampleur de 1,5 à 3 milliards d’euros, sans commune mesure avec la règle arrêtée par la LOLF de 3 %, les dérogations à cette règle ne pouvant à mon sens, être admise au niveau et aux conditions prévues par l’article 57. Je proposerai des amendements en ce sens.

De la même manière, il conviendrait de pouvoir isoler au sein de la mission Développement et régulation économique, un programme spécifique « Développement des entreprises à l’étranger », en créant un programme nouveau à partir du programme « Développement des entreprises ». Cela permettait notamment un suivi plus fin du travail d’accompagnement à l’exportation, dont les enjeux sont considérables, et d’assurer une cohérence entre les mesures prises en faveur des exportations dans le projet de loi de finances et l’organisation de la maquette budgétaire.

Je souhaite par ailleurs saluer, ainsi que je l’ai fait lors du débat d’orientation budgétaire, les progrès très nets enregistrés dans la construction des indicateurs et dans la définition des objectifs, puisque nous disposons maintenant de l’ensemble des projets annuels de performance.

Il reviendra à chacun des rapporteurs spéciaux de la commission des finances et aux rapporteurs pour avis de faire part de leurs appréciations à ce sujet, puisque nous ne disposons pas sur cette partie de capacité d’amendements. Je peux cependant déjà constater qu’un certain nombre d’objectifs restent sans indicateur – 2 sur 629, ce qui est certes peu, mais il conviendrait quand même d’y remédier – et surtout que certains indicateurs demeurent relativement faibles, soit non documentés – 166, soit 13 % –, soit sans valeur par rapport au projet de loi de finances – 26 % –, soit sans valeur cible : 24 %. Il y a donc encore quelques progrès à faire dans ce domaine.

En matière d’indicateurs faibles par rapport à leur intérêt ou insuffisamment fiables dans leur construction, je citerai par exemple l’indicateur sur la recherche universitaire, lié aux publications puisque, faute d’une règle correcte d’identification et d’imputation des résultats de la recherche, la ventilation des publications et brevets n’offre que peu de crédibilité, ce qui pénalise d’ailleurs les universités françaises dans le désormais fameux classement de Shanghai. Le Comité national d’évaluation et plus récemment la Cour des comptes, dans le rapport rendu il y a quelques jours sur la gestion de la recherche dans les universités, soulignent ce point.

D’une manière générale, la commission des finances, après la discussion des missions et programmes en deuxième partie, sera amenée à effectuer un recensement des indicateurs discutables ou perfectibles. Nous souhaitons, monsieur le ministre, que, dans le même esprit constructif qui a prévalu jusqu’à ce jour et compte tenu de la mission de certification des indicateurs dévolue au Comité interministériel d’audit des programmes, nous puissions fixer pour le débat d’orientation budgétaire 2007, les améliorations souhaitables.

Quittant le champ de la mise en œuvre de la loi organique mais restant dans l’esprit de celle-ci, je voudrais, monsieur le ministre, faire quelques observations sur certains points de la première partie de la loi de finances, qui, s’ils n’ôtent rien à mon soutien à ce projet, me gênent un peu dans la mesure où ils ne me paraissent pas répondre tout à fait à notre volonté de sincérité et d’évaluation des politiques à coût complet.

Le premier a trait au dispositif d’allégement de charges et au transfert au budget de la sécurité sociale d’une partie des recettes liées à ces allégements de charges patronales – il s’agit de l’article 41 du projet de loi.

Je n’approuve pas cette mesure car, d’une part, elle aboutit à sortir du budget de l’État une partie de cette politique, alors même que nous nous étions félicités, avec la réintégration du FOREC, de la globalisation des politiques publiques en la matière et, d’autre part, elle rendra plus difficile l’évaluation de l’efficacité de cette politique sur laquelle, comme beaucoup d’entre nous, au regard de son coût – 18,9 milliards d’euros en 2006, en accroissement de 1,76 milliard par rapport à 2005 –, je nourris les plus grandes interrogations.

De plus, indirectement, cette modification aboutit à masquer une partie du coût des 35 heures et de leurs conséquences, à savoir la nécessaire réunification des SMIC.

M. Hervé Mariton. Tout à fait !

M. Michel Bouvard. L’esprit de la loi organique est bien l’évaluation d’une politique publique à coût complet. Dès lors, comment ne pas considérer que celle-ci serait plus facile en maintenant au budget de l’État, l’ensemble des moyens financiers qui lui sont consacrés ? Au minimum le transfert à la sécurité sociale devrait-il s’accompagner d’une révision du barème permettant de stabiliser cette dépense et de simplifier la lecture par les entreprises du taux des cotisations réellement acquittées.

Mais nous n’échapperons pas, et c’est le sens de l’amendement que nous avons déposé avec plusieurs collègues, à une mesure sincère de l’utilité de ces allégements dans la politique de soutien à l’emploi. Il est temps de constater que ce dispositif, en même temps qu’il peut décourager des entreprises de relever les bas salaires et nuire ainsi au pouvoir d’achat, n’est peut-être pas le plus efficace pour créer de l’emploi en France au regard de ce que pourraient produire des investissements civils ou un soutien accru à la recherche pour de moindres montants.

La cohérence doit aussi s’exprimer, monsieur le ministre, dans la clarification du dossier sensible du financement des infrastructures de transport. Je ne reviendrai pas ici sur l’intervention que j’ai faite lors du récent débat sur la privatisation des autoroutes au cours duquel j’ai eu l’occasion de m’exprimer sur la forme comme sur le fond.

Je crois par contre indispensable que la discussion de la loi de finances pour 2006 permette de préciser une fois pour toutes le périmètre des actions de l’AFITF. En effet, si les choses sont dorénavant claires pour les recettes – et je salue le progrès fait dans l’affectation d’une part supplémentaire du produit des cessions de l’État dans les autoroutes, puisque cette affectation a été portée de 1 à 4 milliards d’euros comme nous l’avions souhaité avec le ministre de l’aménagement du territoire –, cette même clarté est loin d’être atteinte pour les dépenses de l’AFITF.

Quelles seront-elles, au-delà des opérations d’infrastructures nouvelles ayant fait l’objet du CIADT de décembre 2003 ?

Quelle part des contrats de Plan l’AFITF devra-t-elle assumer ? Et que recouvrent ces travaux de sécurité mentionnés dans l’exposé des motifs de l’article 34 qui crée un compte d’affectation spéciale destiné à recevoir le produit des amendes des radars ? Je doute d’ailleurs de l’utilité de ce compte à la différence de celui sur la gestion du patrimoine immobilier de l’État qui répond pleinement à notre demande.

Il est temps, en matière de financement des infrastructures, de rompre véritablement avec trente ans de pratiques où le budget des transports constituait une variable d’ajustement.

M. Yves Deniaud. Eh oui !

M. Michel Bouvard. Les dispositifs nouveaux, qui se succédaient, devenaient des outils de débudgétisation et ne permettaient pas d’inscrire une politique dans la durée. Cela finissait toujours, d’ailleurs, par se traduire par la suppression des dispositifs en question. Ainsi, malheureusement, le gouvernement Jospin a enterré le FITTVN, que nous avions créé en 1995 et qui était fort utile pour faire du plurimodal.

Monsieur le ministre, achevant cette intervention, je veux dire ma conviction profonde – et je sais que vous la partagez – que la réforme de l’État est incontournable quand le budget est consacré à 45 % aux dépenses de rémunération des fonctionnaires actifs et retraités et pour 15 % à la dette avant même d’avoir engagé la moindre dépense de fonctionnement ni le moindre investissement.

Si cette réforme de l’État n’est pas lancée au cours de cet exercice, la réforme fiscale que vous proposez en deuxième partie de la loi de finances, et que nous soutenons, restera une réforme financée à crédit, ce qui n’est plus possible dans la situation de nos finances publiques.

Il importe donc de ne pas accroître la dette, mais aussi de réduire progressivement les dépenses de personnels en procédant aux externalisations nécessaires, grâce notamment, comme le recommande la Cour des comptes, à une mise en œuvre réelle des SMR – je veux saluer ici les audits que vous avez lancés –, ainsi qu’à la rationalisation des structures de l’État. L’exemple de la redevance audiovisuelle démontre que l’on peut réduire l’emploi public sans nuire à la qualité du service apporté à la population. Et la suppression de la deuxième part de la vignette le prouvera tout autant.

Parce que l’emploi public est un enjeu central et parce que les plafonds d’emploi public permettent aujourd’hui une appréciation enfin réelle des effectifs rémunérés par l’État – 2 338 584 pour ce projet de loi de finances, à rapprocher des 2 180 240 emplois budgétaires à temps plein autorisés par la loi de finances pour 2003 tels que récapitulés dans les verts budgétaires –, il nous faut maintenant identifier les moyens nécessaires à chaque ministère.

Vous avez accepté, monsieur le ministre, lors de votre venue devant la commission des finances, que puisse être reclassé l’article 55, et je vous en remercie, permettant là aussi au Parlement de pouvoir exercer pour la première fois son droit d’amendement sur ces plafonds. Il faudra le faire avec discernement et avec la volonté de tirer les enseignements d’une évolution démographique qui a fait passer de 2 090 272 à 2 180 240 le nombre d’emplois budgétaires entre 1991 et 2003. Ce sont ainsi 90 000 postes supplémentaires qui ont été pourvus en équivalent temps plein.

Monsieur le ministre, comme mes collègues du groupe de l’UMP, je soutiens ce budget parce que je veux y voir un budget de transition, transition vers plus de transparence et d’évaluation de la qualité de nos dépenses, mais aussi transition vers une plus grande maîtrise de la dépense. Ce qui était hier encore une recommandation, notamment de la Cour des comptes, dans un contexte de concurrence est devenu aujourd’hui une exigence pour notre pays si l’État veut continuer à remplir sa mission de solidarité entre les Français et de préparation de l’avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Pajon.

M. Michel Pajon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion de cette nouvelle loi de finances va montrer de bout en bout combien le budget que l’on nous prépare est dangereux et, à bien des égards, mensonger. Espérons qu’au moins cette fois-ci, dès qu’il sera pris en défaut, le Gouvernement fera preuve de responsabilité et n’invoquera pas, comme à son habitude, les conséquences des 35 heures ou le bilan de la législature précédente !

La majorité UMP est maintenant au pouvoir depuis plus de trois ans. II serait donc grand temps qu’elle assume ses choix. Or il devient chaque jour de plus en plus évident que la stratégie budgétaire qu’elle poursuit est avant tout idéologique et je crois que c’est la raison pour laquelle elle a échoué et que, probablement, elle échouera.

Je passerai très vite sur les hypothèses utopiques à partir desquelles est construit ce budget. Mes collègues en ont déjà parlé, et on aura tout le loisir d’observer le creusement alarmant du déficit budgétaire dans les prochains mois. Comme l’année dernière, le taux de croissance retenu de 2,25 % apparaît davantage comme une variable d’ajustement surréaliste que comme une estimation raisonnable de l’évolution de la conjoncture. Mais cette année s’ajoute à cela une prévision de l’inflation qui ne prend pas en compte la hausse préoccupante du prix du pétrole. Nous avons donc toutes les raisons d’être inquiets.

Ce projet de loi de finances est idéologique pour trois raisons. D’abord parce qu’il est au service d’une clientèle. Tout, dans ce projet, semble en effet aller dans le sens des contribuables les plus favorisés. Le Gouvernement nous promettait une ambitieuse réforme fiscale. M. le ministre de l’économie affirmait même sur LCI, le 14 septembre dernier : « C’est la première fois que l’on fait une réforme aussi profonde ». De quoi parlait-il donc ?

Pas de la TVA que tout le monde paie, quels que soient ses revenus. Pas de la fiscalité des entreprises, qui constitue une véritable usine à gaz tant les régimes dérogatoires constituent la règle. Il parlait de l’impôt sur le revenu. Un impôt qui ne concerne que la moitié des foyers fiscaux. Un impôt qui ne représente déjà que 7,6 % du PIB, c’est-à-dire moins que la moyenne européenne, moins que les 26 % du Danemark, que les 10 % du Royaume-Uni, ou que les 9 % de l’Allemagne.

Il est donc faux de dire que l’impôt sur le revenu est, en France, un impôt confiscatoire. C’est le seul impôt, avec l’ISF, à être juste puisqu’il est progressif. Sous prétexte de chercher à simplifier le système, le Gouvernement affaiblit la progressivité de l’impôt sur le revenu et touche par conséquent à la redistribution générale de l’échafaudage fiscal.

Pire : parmi les 50 % de ménages visés par cette « réforme profonde », ce sont les tranches les plus hautes qui percevront le plus d’avantages. En valeur absolue, un célibataire gagnant 1 300 euros par mois bénéficiera d’une ristourne annuelle « royale » de 60 euros. Celui qui en gagne 20 000, pourra économiser 10 000 euros.

Parallèlement, la prime pour l’emploi versée aux salariés modestes est revalorisée en moyenne de 4,70 euros. Monsieur le ministre, les classes moyennes, qui sont censées être au cœur de vos préoccupations, ont intérêt à appartenir au moins à la classe moyenne supérieure !

J’ajoute que la mesure phare de ce projet, le très médiatisé « bouclier fiscal », qui empêchera tout contribuable d’être taxé à plus de 60 % de ses revenus, coûtera 400 millions d’euros et ne concernera que 126 000 foyers fiscaux.

Monsieur le ministre, croyez-vous sincèrement que c’est en vous donnant comme priorité de baisser les impôts des plus riches de nos concitoyens que vous favoriserez la relance de la consommation des ménages ? Pensez-vous indispensable de prendre aujourd’hui des mesures qui amputent les recettes de l’État et favorisent mécaniquement l’épargne ? Cela vous semble-t-il cohérent alors que, déjà, avec plus de 15 %, le taux d’épargne des Français est l’un des plus élevés au monde ?

Ce projet de loi de finances est également idéologique parce qu’il travestit la réalité. Alors qu’il conduit une politique catégorielle apte à flatter son électorat, le Gouvernement adopte une posture électoraliste en affichant fièrement un budget stable. Je n’insisterai pas sur les tours de passe-passe qui vous permettent de transformer miraculeusement des baisses de charges habituellement comptabilisées comme des dépenses en moindres recettes. Je voudrais surtout souligner combien il est facile de baisser les impôts, quand on fait supporter de plus en plus de charges aux collectivités locales.

La réforme de la taxe professionnelle est, à cet égard, un bon exemple. Du fait d’un singulier mode de calcul du plafonnement, certaines entreprises sont aujourd’hui imposées de manière excessive et se voient taxées à près de 10 % de leur valeur ajoutée. Quelle bonne idée, alors, de plafonner réellement cette taxe à hauteur de 3,5 % ! L’État s’engage, en plus, à reverser le manque à gagner aux collectivités. Cela semble presque parfait. Mais, mes chers collègues, ceux d’entre nous qui sont maires ou présidents de conseils généraux savent très bien que les compensations intégrales par l’État « à l’euro près » des allégements de charges ne sont que des promesses en l’air…

M. François Rochebloine. À qui la faute ?

M. Michel Pajon. …qui ne trompent que ceux qui les croient.

Nous nous souvenons tous de la suppression de la part salariale dans le calcul de la taxe professionnelle, manque à gagner que l’État devait rembourser à travers une dotation de compensation, la DCTP. Malheureusement, les collectivités territoriales y ont perdu parce que la DCTP est devenue l’éternelle sacrifiée des enveloppes de dotations de l’État. Demain, ce sera la même chose. Et ce d’autant plus que les compensations seront calculées une fois pour toutes sur les taux de 2004 sans réactualisation. On estime au moins à 450 millions d’euros le coût pour les collectivités de cette nouvelle mesure. L’Assemblée des départements de France parle même de plus de 470 millions.

À l’inverse, l’État, lui, ne se gêne pas, par exemple, pour ponctionner les finances locales – toujours au même niveau depuis 2003 – afin de compenser la réduction de ses recettes dues à l’assujettissement de France Télécom aux impôts directs locaux, et ce alors même que les bases d’imposition imputables à l’opérateur ont été depuis modifiées à la baisse. Aujourd’hui, France Télécom verse moins aux collectivités, mais celles-ci donnent toujours autant à l’État ! Pour ma commune de Noisy-le-Grand, c’est un manque à gagner de 500 000 euros qui va directement dans les poches de l’État. Monsieur le ministre, il est trop facile de donner, après cela, des leçons d’orthodoxie budgétaire !

Il faut ajouter qu’en ne cessant de couper dans divers crédits – je pense notamment aux gels des subventions à de nombreuses associations agissant sur le terrain –, le Gouvernement contraint les communes et les départements à pallier les désengagements de l’État par une hausse des prélèvements. Cela est d’autant plus injuste que, vous le savez, monsieur le ministre, la fiscalité locale touche beaucoup plus de contribuables que l’impôt sur le revenu, qui, lui, baisse. Tout se tient !

Dans ce contexte, le Gouvernement aura beau jeu de montrer du doigt la hausse de la fiscalité locale dont il ne serait pas responsable.

M. Marc Laffineur. C’est vrai ! Regardez ce qui se passe dans les régions dirigées par la gauche ! La gauche, c’est l’impôt !

M. Michel Pajon. Monsieur le ministre, sachez que les collectivités locales ne veulent plus être les dindons de votre farce budgétaire.

M. Hervé Mariton. Erreur maintes fois répétée ne devient pas vérité !

M. Michel Pajon. Enfin, ce projet de loi de finances est idéologique parce qu’il est dogmatique. Il applique mécaniquement des recettes libérales éculées, …

M. Marc Laffineur. Ça y est, le gros mot est prononcé !

M. Augustin Bonrepaux. M. Pajon a raison !

M. Michel Pajon. …non seulement sans se soucier des situations concrètes vécues par les salariés – on en n’attendait pas moins de l’UMP –, mais surtout sans prendre en compte les réalités économiques.

Ce budget, censé illustrer la « bataille pour l’emploi » lancée par le Premier ministre, s’appuie sur un amalgame systématique entre emploi et coût du travail, si bien que les allégements de charges deviennent l’arme absolue pour lutter contre le chômage. J’ai déjà donné l’exemple de la réforme de la taxe professionnelle, mais je pourrais aussi parler de la suppression de la « surtaxe Juppé », qui suit une même logique : si la France va mal, si le chômage est si élevé, c’est que les entreprises sont trop taxées.

Or, le taux moyen d’imposition sur les sociétés atteint en France 13,6 %...

M. François Rochebloine. Merci aux 35 heures !

M. Michel Pajon. …contre 13,8 %. au Royaume-Uni ! Et quand on sait que les taux de productivité moyens des salariés sont plus élevés en France qu’en Allemagne, en Italie ou au Japon, on se demande bien pourquoi le Gouvernement n’a comme leitmotiv que le discours creux sur la « libération des énergies ». Pour lui, ces énergies porteuses de croissance seraient corsetées par le droit du travail, les protections sociales et les taxes. Ces raisonnements sommaires sont tout simplement démentis par la réalité.

Le sacrifice des dépenses publiques n’aura d’autre conséquence en matière d’emploi que les habituels et éphémères effets d’aubaine. Mais le plus inquiétant, c’est qu’il compromettra à terme la croissance, l’État se coupant littéralement les bras en s’interdisant toute politique de relance.

Monsieur le ministre, l’expression « pouvoir d’achat » est quasiment absente de ce projet de budget, alors que c’est une des préoccupations majeures de nos concitoyens, comme ils vous l’ont dit dans la rue le 4 octobre dernier, et que ce devrait être le maître-mot d’une politique de croissance. Or, les mesures que vous nous proposez sont soit d’une grande timidité au regard des enjeux, soit inopérantes.

La réforme de la fiscalité sur les donations, en multipliant les abattements sur les transmissions, serait favorable au pouvoir d’achat. Encore faut-il avoir un patrimoine à transmettre ! Qui, une fois de plus, profitera entièrement de cette réforme, sinon les contribuables qui épargnent ? Il est étrange, alors que, dans le cadre de ce budget, l’État est censé « se serrer la ceinture », que les marges de manœuvre sont réduites, de sacrifier des millions d’euros, en contradiction avec le plus élémentaire bon sens macroéconomique.

Monsieur le ministre, le Gouvernement s’entête une fois encore dans le dogme absolu du moins d’impôts, moins de charges, moins de taxes, sans que jamais une étude officielle ait été commandée sur le bilan des allégements abondamment mis en place par les lois de finances successives !

M. François Rochebloine. Vous voulez tuer les entreprises !

M. Michel Pajon. La représentation nationale et tous les Français seraient pourtant curieux de connaître l’impact sur l’emploi et la croissance de toutes les mesures prises ces trois dernières années pour amaigrir l’État.

M. François Rochebloine. Il ne connaît vraiment pas l’entreprise !

Mme la présidente. Il est vraiment temps de conclure, monsieur Pajon.

M. Michel Pajon. Je termine, madame la présidente.

Pour prendre ces mesures budgétivores dont personne ne peut prouver l’utilité, on rogne les crédits destinés aux services publics, qui sont pourtant l’un de nos plus grands atouts économiques !

M. Hervé Mariton. Quelle synthèse remarquable des âneries socialistes !

M. Michel Pajon. Contrairement à ce que l’on peut entendre, défendre les services publics, ce n’est pas défendre des structures archaïques, habitées par des employés parasitaires bardés de privilèges,…

M. Hervé Mariton. Quelle logorrhée !

M. Michel Pajon.… c’est défendre une vision cohérente et équilibrée de l’économie de marché. Brader le patrimoine public en le privatisant, supprimer 2 500 postes dans l’éducation nationale, proposer des budgets en trompe-l’œil à la santé ou aux transports, c’est hypothéquer l’avenir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Monsieur Pajon, vous avez largement dépassé votre temps de parole !

La parole est à M. Nicolas Perruchot.

M. Nicolas Perruchot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reprendrai pas les propos de mon collègue Charles de Courson, qui vous a expliqué, avec brio, en quoi le caractère fondamentalement insincère de ce projet de loi de finances pour 2006 ne peut nous satisfaire.

M. Marc Laffineur. Cela commence très mal !

M. Nicolas Perruchot. L’engagement de maintenir notre déficit public sous la barre des 3 % du PIB, le bouclier fiscal, la multiplication des cadeaux fiscaux, alors que la France est confrontée à un taux d’endettement sans précédent, sont des mesures que nous ne pouvons pas accepter sans réagir et que je qualifierai de mensongères. (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Marc Laffineur. N’est-ce pas un peu fort ?

M. Gérard Bapt. Non, c’est juste !

M. Nicolas Perruchot. Elles masquent, aux yeux de nos concitoyens, la gravité de l’état des caisses de notre pays, et donc les solutions qui s’imposent pour engager la réforme en profondeur de nos finances publiques que nous attendons. Il est regrettable que, cette année encore, le Gouvernement n’ait ni l’audace, ni le courage d’expliquer aux Français ce qu’implique une telle réforme. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Dumont. Quel manque d’audace, en effet !

M. Nicolas Perruchot. Il y a un gouffre entre le diagnostic établi et les solutions proposées !

Ainsi, pour le Gouvernement, la lutte contre le chômage est un impératif absolu. Il reconnaît qu’il n’existe plus de marge de manœuvre sur le plan budgétaire, et M. le ministre de l’économie a affirmé haut et fort, le 21 juin dernier, que la France vit au-dessus de ses moyens.

Mais alors expliquez-moi en quoi les mesures annoncées dans le projet de loi de finances pour 2006 vont pouvoir remédier à une situation aussi alarmante !

Je vous rappelle que la dette publique dépasse désormais 1 160 milliards d’euros, que ni le déficit, ni la dette ne sont maîtrisés. Quand prendrons-nous conscience de la gravité de la situation ?

Nous devons de toute urgence engager une réforme en profondeur, et ce ne sont pas les mesures qui sacrifient l’avenir au présent sous le prétexte de contribuer au désendettement et au financement d’investissements porteurs, comme c’est le cas avec la privatisation des sociétés d’autoroutes, qui vont apporter de vraies solutions. Au lieu des 11 milliards d’euros attendus de cette cession immédiate, on aurait pu espérer 40 milliards d’euros de recettes sur le long terme !

M. Marc Laffineur. N’importe quoi !

M. François Rochebloine. C’est pourtant la vérité !

M. Nicolas Perruchot. Là encore, on préfère des mesures de court terme, à effet immédiat, à la préservation de ressources pérennes pour l’État.

Je voudrais en second lieu évoquer les problèmes posés par le plafonnement des niches dans le secteur de l’immobilier. L’article 156-1-3 du code général des impôts, partie intégrante du dispositif connu sous le nom de « loi Malraux », permet aux propriétaires d’imputer sans limitation sur leur revenu les dépenses de réhabilitation des immeubles d’habitation situés dans le périmètre défini par cette loi.

M. Hervé Mariton. C’est l’audace dans la réforme !

M. Nicolas Perruchot. Monsieur Mariton, que faites-vous de la défense du patrimoine ?

L’objectif de ce dispositif est de favoriser la restauration de quartiers situés au centre des villes et présentant un intérêt historique et architectural et d’y fixer les habitants en leur offrant des lieux d’habitation rénovés. Or, le projet de loi de finances soumet à un plafonnement l’avantage fiscal résultant des travaux payés à partir de 2006. Si cette mesure était adoptée,…

M. Marc Laffineur. Rassurez-vous, elle le sera !

M. Nicolas Perruchot.… elle mettrait fin aux opérations de restauration à grande échelle, car les investisseurs préféreraient acquérir, à un prix moindre et sans risques techniques et financiers, des logements neufs souvent situés à la périphérie des villes. Les centres villes connaîtraient alors à nouveau la situation d’insalubrité et d’abandon que le dispositif Malraux avait pour objet d’empêcher.

M. François Rochebloine. Absolument !

M. Nicolas Perruchot. Le nouveau dispositif s’appliquerait à toutes les opérations pour lesquelles l’autorisation spéciale de travaux serait obtenue après le 1er janvier prochain. Cette date très proche, avec ses effets rétroactifs, pénaliserait les projets en cours et compromettrait leur réalisation.

Dans l’intérêt de tous, il est souhaitable que les règles actuelles d’imputation soient maintenues sans plafonnement, ou avec un plafonnement spécifique, à l’instar de celui prévu pour les investissements outre-mer. Nos centres villes ne méritent-ils pas autant que ces territoires ?

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Nicolas Perruchot. Si le Gouvernement tient vraiment à décourager la réhabilitation des centres urbains anciens, il convient au moins de reporter d’un an les opérations concernées par le nouveau dispositif, de sorte que la réforme n’affecte pas les dossiers en cours.

Voilà, monsieur le ministre, une piste importante. Je n’évoquerai pas ce soir la réforme du travail, car Charles de Courson l’a déjà fait, mais je souhaite m’attarder sur la réforme de l’État et la nécessité de le rendre plus sobre et plus efficace.

La LOLF doit permettre de mesurer l’efficacité de la dépense publique et de faciliter les redéploiements d’une mission à l’autre, dans le cadre d’une réduction du volume global des dépenses publiques. J’ai bon espoir que cette réforme aura des effets salutaires pour l’efficacité de l’action publique.

Le premier objectif doit être d’assainir les finances publiques et de promouvoir une véritable culture de l’efficacité budgétaire. Mais pour cela, il faut mettre en œuvre une gestion par objectifs, qui implique de réduire les dépenses et le nombre de fonctionnaires et de donner davantage de souplesse et de mobilité à l’administration pour la rendre plus efficace.

Mais ces mesures sont loin d’être mises en place : le déficit du budget de l’État est en hausse et le chiffre de 5 500 fonctionnaires partant à la retraite sans être remplacés est très insuffisant, vous le savez bien, monsieur le ministre !

Enfin, mes chers collègues, je voudrais pour conclure insister sur notre responsabilité, vis-à-vis non seulement des citoyens français mais aussi de nos voisins européens. Une vraie coordination des politiques budgétaires nationales et des réformes fiscales en Europe est indispensable, et ce afin de mieux gérer l’équilibre d’ensemble avec la politique monétaire unique et le dialogue avec la Banque centrale. Ce sont des enjeux déterminant pour les prochaines années. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Gérard Bapt. Très bien !

M. Jean-Louis Dumont. Ce fut un plaisir à entendre.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laffineur.

M. Marc Laffineur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que le gouvernement de mobilisation pour l’emploi de Dominique de Villepin est en place depuis un peu plus de quatre mois, la baisse du chômage pour le cinquième mois consécutif est un signe manifeste que les mesures lancées par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et poursuivies par l’actuel gouvernement portent leurs fruits. Le projet de loi de finances pour 2006 entend amplifier ces efforts.

Ce projet de budget reprend à son compte les principales préoccupations de notre majorité depuis 2002 – revalorisation du travail, réduction des déficits, rétablissement de l’État dans ses prérogatives régaliennes – tout en proposant de nouveaux chantiers pour l’avenir.

Le budget pour 2006 est avant tout tourné vers l’emploi et la hausse du pouvoir d’achat. Toutes les marges de manœuvre disponibles, soit 4 milliards d’euros supplémentaires, sont mobilisées en faveur de la bataille de l’emploi. Le chômage de masse n’est ni une fatalité, ni un mal spécifiquement français. Si nous nous en donnons les moyens, nous pouvons sortir de la spirale infernale du chômage, des délocalisations et du sous-emploi.

Mais pour mettre en valeur nos atouts, il convient de revaloriser le travail. Le travail ne doit pas être perçu comme une aliénation, mais au contraire comme une source d’épanouissement, de liberté, d’accomplissement personnel. En accord avec cette philosophie, nous devons récompenser le travail par rapport à l’inactivité.

C’est le sens des mesures de la loi de programmation pour la cohésion sociale et des contrats aidés, du plan développement des services à la personne, mesures qui doivent prendre toute leur ampleur l’année prochaine. La politique d’allégement de charges sur les bas salaires répond à cette logique, ainsi que l’augmentation de 50 % en deux ans et la mensualisation de la prime pour l’emploi, ou encore le crédit d’impôt de 1 500 euros destiné à encourager la mobilité géographique des chômeurs et des titulaires de minima sociaux.

Néanmoins, nous devons nous interroger sur la pertinence et l’efficacité de cette politique d’allégement de charges que nous pratiquons depuis dix ans. Si sa philosophie initiale était d’abaisser le coût du travail et d’augmenter les salaires, force est de constater que les 35 heures ont dénaturé cet objectif. Au contraire, les 35 heures n’ont fait que renchérir le coût du travail tout en aboutissant à la création de cinq SMIC différents. Si les allégements successifs entrepris par notre majorité ont permis de réunifier le SMIC et de l’augmenter, ceux réalisés avant 2002 n’ont que très légèrement gommé la hausse du coût du travail due aux 35 heures.

Mais créer de l’emploi nécessite d’investir dans les dépenses d’avenir, celles susceptibles de créer les emplois de demain, d’où la priorité donnée à la recherche et à l’innovation. La recherche et l’enseignement supérieur bénéficient d’un milliard d’euros de crédits supplémentaires et de 3 000 emplois nouveaux et le crédit d’impôt recherche pour les entreprises est élargi.

La politique de renouveau industriel initiée par les pôles de compétitivité sera poursuivie avec les pôles d’excellence ruraux. De nouvelles structures indépendantes, comme l’Agence nationale de la recherche, l’agence pour l’innovation industrielle, dotée de 2 milliards d’euros, l’agence de financement des infrastructures de transport en France, l’AFITF, également dotée de 2 milliards d’euros, consolideront notre avantage comparatif en matière d’infrastructures. Il s’agit de réponses adaptées qui permettront de maintenir la compétitivité et l’attractivité de notre territoire dans la compétition internationale.

Toutes ces mesures vont dans le bon sens et répondent à l’objectif fixé par la stratégie de Lisbonne : consacrer 3 % de notre PIB à la recherche et au développement afin de faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus compétitive au monde en 2010.

Il ne suffit pas de créer des emplois, il faut encore les maintenir chez nous, ce qui suppose de conserver notre attractivité. Cela passe notamment par la refonte en profondeur de notre système fiscal pour plus de justice, plus de simplicité, plus de compétitivité. En effet, dans la compétition économique mondiale et au sein même de l’Union européenne, la politique fiscale est un instrument prépondérant d’attractivité des territoires. Or, depuis trop longtemps, nos taux dissuadent les investissements étrangers, comme ceux de nos compatriotes.

Ces trois principes se déclinent à travers deux réformes : celle de l’imposition des personnes – impôt sur le revenu et prime pour l’emploi – et celle de l’imposition locale des entreprises, à travers la taxe professionnelle.

Plus de justice, car la réforme de l’impôt sur le revenu, couplée à l’augmentation massive de la prime pour l’emploi, va profiter dans 80 % des cas aux classes moyennes et aux revenus modestes, ceux qui gagnent entre 1 000 et 3 500 euros par mois, tandis que les gains sont strictement limités pour les hauts revenus par le plafonnement des niches fiscales à 8 000 euros, plus 750 euros par enfant. L’objectif, là encore, est de récompenser les efforts des Français qui travaillent par rapport à ceux qui tirent leurs ressources de l’assistance.

Plus de simplicité, puisque désormais nous aurons un impôt plus lisible – cinq tranches au lieu de sept –, des taux abaissés et qui ne comportent plus deux chiffres après la virgule, et l’intégration dans le barème de l’abattement de 20 %.

Plus de compétitivité, car ce projet de budget instaure un plafonnement fiscal garantissant que nul contribuable ne pourra désormais payer plus de 60 % de ses revenus en impôts directs, ce qui nous situe dans la moyenne des pays européens qui ont un impôt sur le patrimoine et un taux marginal d’impôt sur le revenu de 40 %, comme au Royaume-Uni et comme le demandait Didier Migaud il y a quelques années.

Pour ce qui est de la réforme de la taxe professionnelle, les entreprises obtiennent l'assurance qu'elles ne seront plus taxées au-delà de 3,5 % de leur valeur ajoutée, tout en voyant les dégrèvements pour investissements nouveaux être prorogés, ce qui profitera à 200 000 d’entre elles. Associées à la suppression de la deuxième partie de la surtaxe sur l'impôt sur les sociétés, ces deux mesures concourent à établir un environnement favorable tant pour la compétitivité de nos entreprises que pour l'attractivité de notre territoire et l'implantation d'entreprises étrangères.

N'oublions pas de mentionner que ce budget, à l'instar des trois budgets précédents votés par notre majorité, s'appuie sur des préoccupations écologiques de plus en plus fondamentales. L'augmentation brutale et durable du prix du pétrole depuis le premier semestre est un élément supplémentaire qui nous oblige à envisager sérieusement l'ère de l'après-pétrole, non seulement parce que le renchérissement des cours pénalise de nombreux Français, mais aussi parce que nous devons, en adéquation avec le respect des accords de Kyoto, réduire nos gaz à effet de serre et développer les énergies renouvelables. La croissance exponentielle de la Chine et de l'Inde a pour conséquence une production insuffisante de pétrole, tandis que les réserves s'amenuisent.

L'accélération du plan en faveur des biocarburants, le crédit d'impôt pour l'acquisition de véhicules propres, la création d'une taxe additionnelle à la carte grise pour les véhicules les plus polluants sont autant de mesures destinées à anticiper la pénurie de pétrole tout en incitant les constructeurs automobiles à développer des véhicules fonctionnant avec des sources d'énergie alternatives.

Une autre mesure attire particulièrement mon attention, celle en faveur des équipements de chauffage domestique utilisant une énergie renouvelable, à commencer par le bois de chauffage. Il s'agit en effet de la source d'énergie renouvelable la plus disponible et la plus diffusée auprès des Français, même si nous pouvons regretter qu'elle soit sous-utilisée.

En attendant que ces sources d'énergie alternatives arrivent à maturité, l'aide à la cuve de 75 euros permettra aux foyers les plus modestes de faire face à l'augmentation pérenne du prix du pétrole. Plus tôt nous nous attellerons à ce chantier de la fiscalité écologique, plus tôt nous intégrerons la dimension du développement durable dans l'économie de marché, mieux nous serons compétitifs dans l'économie de demain.

Face à ces priorités immédiates que sont l'emploi et le pouvoir d'achat des Français, le budget pour 2006 n'oublie pas pour autant de réaffirmer avec force la poursuite de la restauration de l'autorité de l'État dans ses prérogatives régaliennes. Les trois lois de programmation pour la défense, la sécurité intérieure et la justice seront pleinement respectées.

Mais l'autorité de l'État passe aussi par le rayonnement de la France sur la scène internationale et la diffusion de son message pour une mondialisation plus équitable. Aussi, conformément à l'objectif de Monterrey, qui est d'affecter 0,5 % du revenu national brut au développement d'ici à 2007, le montant de l'aide publique au développement atteindra 3 milliards d'euros, en augmentation de 9 %, soit 0,47 % du RNB. Néanmoins, la distribution de cette aide devrait s'accompagner de contreparties, comme la nécessité d'engager des réformes structurelles qui profitent à l'ensemble de la population.

Enfin, le budget pour 2006 est un budget responsable qui entend maîtriser et juguler les égarements financiers des deux dernières décennies, afin de respecter nos engagements européens et de laisser à nos enfants et nos petits-enfants un pays financièrement sain. Vous ne l'avez que trop répété, monsieur le ministre, ainsi que le ministre de l’économie, la France vit au-dessus de ses moyens. C'est pourquoi, pour la quatrième année consécutive, les dépenses de l'État ne progresseront pas plus vite que l'inflation…

Mme la présidente. Monsieur Laffineur, je vous invite à conclure.

M. Marc Laffineur. Madame la présidente, tout à l’heure, vous avez laissé un orateur du groupe socialiste dépasser son temps de parole de cinq minutes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Je peux vous assurer, monsieur Laffineur que je fais respecter scrupuleusement les temps de parole. Maintenant, vous devez conclure.

M. Marc Laffineur. C’est pourquoi, disais-je pour la quatrième année consécutive, les dépenses de l’État ne progresseront pas plus vite que l’inflation, tandis que le déficit du budget de l'État sera stabilisé en valeur à 46,8 milliards d'euros. S'il en avait été de même entre 1997 et 2002, notre déficit serait maintenant inférieur à 2 % du produit intérieur brut. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gérard Bapt. Parlez-nous plutôt du bilan de M. Juppé !

M. Marc Laffineur. Cette stabilité cache en réalité un effort de redressement accru, du fait de la forte augmentation des prélèvements au profit de l'Union européenne et des collectivités territoriales.

Monsieur le ministre, je voudrais vous remercier de votre coopération avec le groupe de l’UMP et la commission des finances dans le cadre des travaux préparatoires à l’élaboration de ce projet de budget.

Ce budget, qui permet à la fois de développer l'emploi, d'augmenter le pouvoir d'achat, d'aider les pays en développement, de mieux prendre en compte l'environnement, est un budget d'équilibre et de consolidation que nous voterons avec plaisir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je qualifierai ce budget de sage, de sérieux et de solide.

M. Gérard Bapt. Ça commence mal !

M. Jean-Louis Dumont. Le plus beau, c’est qu’il y croit !

M. Philippe Auberger. Un budget sage, d’abord.

En effet, il est fondé sur une hypothèse de croissance en progrès de 25 % par rapport à celle que nous observons actuellement, avec une marge d’erreur d’un demi point. D’ailleurs, comme l’a très justement expliqué le ministre de l’économie hier, cette marge d’erreur a souvent été largement dépassée.

L’hypothèse de croissance est en amélioration par rapport à celle de 2005, ce qui est justifié puisque, actuellement, les indicateurs sont mieux orientés. Le principal facteur d’incertitude – et nous n’avons aucune maîtrise sur lui – réside dans l’évolution de la conjoncture en Allemagne, en Italie et en Grande-Bretagne.

Un budget sérieux, ensuite.

En effet, il propose un déficit maîtrisé – 46,8 milliards d’euros – et stable par rapport à l’exécution prévue en 2005. Certes, on aurait pu espérer que le déficit diminue encore plus, mais, en tout cas, cela nous permet de respecter globalement les critères de Maastricht en ayant un déficit public ne dépassant pas 2,9 % du PIB.

Ce budget est également sérieux car il poursuit l’effort de stabilisation des dépenses ; cela a été rappelé, mais il faut le répéter. Pour la quatrième année consécutive, les dépenses n’augmentent pas plus en volume en euros constants, et, par ailleurs, nous nous préparons progressivement à stabiliser ces dépenses en valeur, ce qui serait encore un progrès très sensible, stabilisation que j’appelais de mes vœux il y a déjà plusieurs années.

Un budget solide, enfin.

En effet, il propose une réforme fiscale d’ampleur : réforme de la taxe professionnelle, laquelle était attendue depuis des années ; réforme de l’impôt sur le revenu, comme nous l’avions proposée voilà dix ans et qui avait été interrompue par les socialistes en 1997 – le barème est simplifié et la réforme est équilibrée selon les différentes tranches ; plafonnement de l’ensemble des impôts directs ; plafonnement des différentes niches fiscales – ces dernières profitant surtout aux hauts revenus, cette mesure est très équitable et sociale.

Néanmoins, nous aurions aimé aller plus loin dans plusieurs domaines.

Ainsi, nous regrettons que les effectifs de la fonction publique restent pratiquement stables, à 5 000 emplois près. Il y a là un paradoxe : la population en âge de travailler commence à baisser, alors que le nombre de fonctionnaires ne diminue pas corrélativement et que l’amélioration des services publics n’est pas évidente. Nous ne pourrons pas continuer sur cette lancée et il faudra envisager, monsieur le ministre, une évolution de la fonction publique qui soit corrélative à celle de la population en âge de travailler.

En outre, la règle du service fait, comme l’a rappelé la Cour des comptes dans son rapport sur les postes à l’éducation nationale, n’est malheureusement pas strictement appliquée. En effet, un nombre non négligeable d’enseignants – la Cour des comptes les a recensés à plus de 5 000 – ne sont pas devant des élèves et attendent chez eux d’être appelés pour venir enseigner. Il serait donc normal de remédier à cette situation qui n’est pas convenable car, pendant que des fonctionnaires assurent un travail régulièrement et sont payés pour cela, un certain nombre d’autres sont payés sans service fait.

Par ailleurs, les allégements des charges sociales payées par les employeurs continuent à progresser, alors que l’efficacité de cette mesure n’est pas à la hauteur. Deux milliards d’euros supplémentaires y seront consacrés, alors même que la Cour des comptes a souligné que l’efficacité des allégements n’a pas été démontrée.

M. Michel Bouvard. Très juste !

M. Philippe Auberger. Une telle mesure ne fait pas véritablement baisser le chômage…

M. Michel Bouvard. Tout à fait !

M. Philippe Auberger....puisque, alors que le volume des allégements a été multiplié par quatre en dix ans, le niveau de chômage est resté pratiquement stable. De plus, une très forte proportion de salariés est touchée par cette mesure d’allégement qui concernent tous les salariés rémunérés jusqu’à 1,6 SMIC, soit à peu près la moitié des salariés du secteur privé.

Autre anomalie : la prime pour l’emploi est plafonnée à 1,4 SMIC, alors que les allégements de charges pour les employeurs vont jusqu’à 1,6 SMIC. On ne voit pas très bien pourquoi il n’y a pas de cohérence entre les deux dispositifs.

On se demande si un tel dispositif ne conduit pas à favoriser les bas salaires par rapport aux autres. Je crois qu’il faut avant tout favoriser la suppression des trappes à inactivité, c’est-à-dire remettre les gens au travail,…

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Tout à fait d’accord !

M. Philippe Auberger. …plutôt que d’accorder indéfiniment certains avantages.

Ainsi, ces 2 milliards d’euros d’allégements auraient peut-être pu être mieux dépensés en servant à ramener le déficit au niveau inscrit dans la loi de finances initiale pour 2005, c’est-à-dire en le diminuant d’environ 1,5 milliard, le surplus servant, lui, à accélérer la revalorisation de la prime pour l’emploi.

S’agissant de cette dernière, elle correspond effectivement à un encouragement sérieux à la reprise de l’emploi. Mais il faudrait aller plus loin. La mensualisation a été une bonne chose, mais pour que la prime soit vraiment incitative, il faudrait qu’elle figure sur la feuille de paie, c’est-à-dire comme je l’ai déjà répété plusieurs fois à cette tribune, qu’elle soit liquidée et payée par les URSSAF et non par les services fiscaux.

M. Michel Bouvard. Très bien !

M. Philippe Auberger. Le virement, même mensuellement, n’est pas aussi efficace que l’inscription sur la feuille de paie.

Mme Martine Billard. Mais la feuille de paie retrace un salaire, pas les versements de l’État !

M. Philippe Auberger. Enfin, ce projet de loi de finances ne comporte malheureusement aucune disposition favorable à l’épargne en actions. Or il y a là un véritable problème. Ainsi, nos collègues Godfrain et Cornut-Gentille ont noté dans leur rapport que très peu d’entreprises ont procédé à des augmentations de capital réservées aux salariés, comme cela est possible, notamment depuis l’amendement que nous avions adopté à l’initiative de notre collègue Édouard Balladur.

Par ailleurs, la modification du régime d’imposition des dividendes – même si elle n’est pas inutile par certains côtés – et l’assouplissement du régime des plus-values risquent de priver d’intérêt les plans d’épargne en actions, le fameux PEA.

D’autres régimes particuliers − tels le Madelin, les Fonds communs de placement dans l’innovation, et les Fonds d’investissement de proximité, qui n’ont été lancés que très récemment sur le marché − vont voir leur intérêt diminué en raison du plafonnement des niches fiscales.

Dans ces conditions, monsieur le ministre, alors que la Bourse connaît une certaine embellie et que les besoins en capitaux propres des entreprises sont importants, il paraît urgent de mettre en place la mission qui devait être confiée à M. René Lasserre et de réaliser un examen d’ensemble de la fiscalité et de la rémunération de l’épargne à risque.

En conclusion, je dirai que ce budget est bon, puisqu’il assure la maîtrise des dépenses publiques et du déficit, respecte les critères de Maastricht selon lesquels le déficit annuel d’un pays ne doit pas dépasser 3 % de son PIB, et applique, pour la première année, cette LOLF que nous avons votée avec enthousiasme en 2001, même si nous aurions aimé qu’elle aille un peu plus loin. Mais, surtout − et c’est cette raison qui nous amènera à voter de façon massive pour ce budget −…

M. Paul Giacobbi. Nous voilà soulagés !

M. Jean-Louis Idiart. Nous avions des doutes !

M. Philippe Auberger. …il repose sur un ensemble de valeurs qui sont et doivent rester les nôtres…

M. Jean-Louis Dumont. Les valeurs de la pensée unique !

M. Philippe Auberger. …et qui visent à récompenser l’initiative, le travail, l’effort, dans une stricte équité.

M. Jean-Louis Dumont. C’est bien ce qui est inquiétant !

M. Philippe Auberger. C’est ainsi que nous favoriserons une croissance sociale et heureuse. Et c’est pourquoi nous voterons ce budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Louis Dumont. J’en vois qui n’applaudissent pas !

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Giacobbi.

M. Paul Giacobbi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la plupart des pays, un budget est un instrument de prévision reposant sur la sincérité, un document de comptabilité fidèle aux normes et aux bonnes pratiques en vigueur, et un outil de politique économique. Or tous les observateurs relèvent que la prévision sur laquelle est fondé le projet de loi de finances pour 2006 est erronée, que certains éléments du traitement comptable sont contestables et que les marges de manœuvre sont si faibles qu’il est exclu que le budget ait une influence significative sur la conjoncture économique.

M. Jean-Louis Idiart. C’est vrai !

M. Paul Giacobbi. Si nous nous en tenions là, nous serions, à l’évidence, dans un débat récurrent, dans l’éternel retour des finances publiques à la française. Mais il faut reconnaître à ce budget une remarquable originalité. En fait, la prévision n’est pas erronée mais volontairement faussée. L’équilibre général au sens de Maastricht repose, entre autres, sur un non-sens comptable, et vous prétendez faire du « volontarisme budgétaire » alors que vous êtes incapable d’expliquer comment les mesures que vous prenez auront un effet sur la croissance.

La prévision de conjoncture est volontairement fausse comme l’était celle du budget 2005. À ce propos, M. Breton a indiqué, notamment devant notre commission des finances, que, alors, la prévision était au départ de 2,5 % du PIB, mais que, le prix du baril de pétrole ayant entre-temps presque doublé, il avait fallu réduire d’un point l’hypothèse initiale pour la ramener à 1,5 %. Or, à pareille époque l’an dernier, votre gouvernement ne pouvait ignorer que le prix du pétrole augmenterait dans des proportions considérables. Lors de la discussion budgétaire, et alors que je ne suis pas du tout un spécialiste des questions pétrolières, je faisais remarquer, en rappelant quelques éléments objectifs sur l’évolution générale des cours des matières premières, notamment ceux du cuivre et de l’acier dopés par les demandes chinoises et indiennes, que l’hypothèse réaliste, médiane, du cours moyen en 2005 était de 50 dollars le baril, alors que votre prévision était de 38. Et j’indiquais que, de ce fait, la croissance tomberait d’un point, à 1,5 %. Nous y sommes : il n’était pas besoin d’être très clairvoyant ou très doué pour le prévoir. M. Bussereau l’avait d’ailleurs reconnu, dans un mouvement de sincérité : « Si le pétrole reste scotché à 50 dollars, disait-il, nous perdrons un point de croissance. » Aujourd’hui, ni l’INSEE, ni le FMI, ni les instituts privés n’approuvent votre projection à 2,25 % de croissance et le consensus s’établit autour de 1,5 % ou 1,7 %, selon le sénateur Marini, qui considère cette hypothèse comme médiane et non pas pessimiste.

Vous tentez d’expliquer l’inexplicable et, pour justifier vos hypothèses, vous évoquez, par exemple en commission des finances, l’impact attendu de la politique économique du Gouvernement, notamment du plan de cohésion sociale, qui stimulera la consommation. C’est sans doute ce que vous appelez le volontarisme budgétaire qui, avec le patriotisme économique, constitue l’une de ces inénarrables manifestations de l’insensibilité au ridicule de ce Gouvernement. Le Premier ministre nous a dit qu’il fallait du courage pour se fixer un objectif de 2,25 % de croissance en 2005. Je crains qu’il ne confonde, une fois de plus, le courage et le culot. Il est quand même désolant que, après des siècles de développement de la science économique, un gouvernement évolué en soit encore à évoquer avec une telle désinvolture un effet supposé de la politique qu’il met en place, alors même qu’il s’est bien gardé de faire analyser ou de faire expertiser cet effet, pour la bonne et simple raison que, à l’évidence, on ne peut pas attendre grand-chose desdites mesures en termes de croissance.

Le PIB français représente environ 1 700 milliards d’euros en 2005 : à supposer que les crédits soient effectivement distribués au cours de l’exercice et intégralement convertis en une consommation intérieure qui ne serait satisfaite que par une augmentation de la production, les 4 milliards d’euros du plan de cohésion sociale n’entraîneraient pas même une progression d’un quart de point de la croissance. Monsieur le ministre, l’explication est un peu courte et ne résiste pas à un calcul sommaire. Où sont les modèles économétriques qui vous ont permis de justifier vos hypothèses de croissance ? Pouvez-vous au moins nous présenter une analyse économique pertinente, raisonnable, du niveau de la deuxième année de licence, de ce que vous appelez l’« effet stimulant » de vos mesures ?

Cette désinvolture vis-à-vis de l’analyse économique n’est pas nouvelle sous cette mandature. Je me souviens que, en 2003, l’un de vos nombreux prédécesseurs, M. Francis Mer, nous expliquait que la réduction d’impôt sur le revenu allait se transformer en consommation de manière pratiquement automatique et que cela « stimulerait la croissance ». En jeune parlementaire naïf, j’avais demandé au ministre de me fournir le modèle macroéconomique qui justifiait ces analyses et permettait de les quantifier. On m’avait courtoisement répondu en me transmettant un modèle qui ne prévoyait absolument pas de test de la réduction de l’impôt sur le revenu. Aujourd’hui comme hier, la vague justification volontariste n’est étayée par aucune analyse sérieuse et vous ne pouvez pas prétendre que votre budget est un outil économique au service de la croissance.

Troisième originalité de ce magnifique budget, certains traitements comptables remettent en cause le sens même de l’exercice budgétaire. À cet égard, l’affaire de la soulte est significative, même si elle ne concerne pas directement le budget de l’État. Une fois de plus, on prétend que le versement d’une soulte est une recette sans contrepartie, alors même que, corrélativement, le régime général devrait passer une provision équivalente et probablement supérieure puisqu’il sera désormais engagé à payer les retraites des personnels considérés. Le compte général de l’administration des finances pour 2004 précise d’ailleurs que les engagements correspondant aux retraites des fonctionnaires employés par la Poste figurent au hors bilan de l’établissement. Ainsi, la dette est hors bilan, et la recette figure, elle, au bilan des comptes publics de la France. À cette occasion, vous réinventez une fois de plus une comptabilité en partie simple dans laquelle on compte ce qui rentre dans la caisse sans rattacher à l’exercice les engagements qui sont la contrepartie de la recette.

En ce qui concerne les fonctionnaires de l’État, la LOLF nous offre enfin un compte relativement clair : le compte d’affectation spécial « pensions » qui permet effectivement, comme le dit le commentaire, de poser les fondements d’une gestion du principal régime de retraite des agents de l’État. Tout vient à point à qui sait attendre, puisque notre commission des finances avait déjà réclamé ce compte spécial au moment de l’institution d’un régime unifié de retraite des agents de l’État : c’était en 1853, sous le Second Empire.

S’il a fallu un siècle et demi pour obtenir une présentation claire de l’équilibre financier des pensions, je crains qu’il ne nous faille encore longtemps avant d’obtenir que l’évaluation de la charge des retraites figure au bilan de l’État. En effet, dans le fascicule de présentation, on nous dit que « le compte d’affectation spécial doit permettre d’identifier l’ensemble des flux budgétaires afférents aux engagements viagers sans que ces engagements soient nécessairement retracés directement en tant que tels dans le bilan de l’État ». Même après réforme − encore celle-ci n’a-t-elle eu qu’une incidence limitée −, lesdits engagements représentent la bagatelle de 900 milliards d’euros. Je comprends que l’on ne veuille pas faire figurer un chiffre de cette importance. Il serait cependant utile de disposer d’un tableau prévisionnel de l’évolution de ce compte dans les prochaines années.

Je sais bien que, pour nombre de raisons, votre horizon prévisionnel se borne à l’exercice 2007, mais, dans la mesure où il s’agit de l’élément le plus important pour nos finances publiques à moyen terme, vous devriez tout de même faire cet effort.

Au moment où la LOLF dote notre budget d’un cadre certes imparfait par rapport aux pays, grands ou petits, qui ont opéré l’aggiornamento de leur comptabilité publique, mais néanmoins novateur, au moment même où cette révolution se met en marche, on nous refait le coup de la soulte. Cet artifice comptable est destiné à faire croire que nous respectons une obligation européenne, alors que nous restons dans le vague à propos du risque le plus fondamental qui pèse, à terme, sur le budget de l’État.

Une prévision volontairement fausse, un volontarisme budgétaire qui se limite à de l’incantation, une désinvolture comptable qui confine au mieux à l’inconscience, au pire à l’artifice : tel est votre budget. Vous citez volontiers les pays qui ont fait leur révolution comptable ; malgré la LOLF, le moins que l’on puisse dire, c’est que votre budget 2006 ne nous rapprochera pas des modèles que vous prétendez nous donner, mais nous en éloignera. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Deniaud.

M. Yves Deniaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi de finances pour 2006 présente, je crois, deux vertus qui ont, paraît-il, le don d’agacer : la lucidité et la constance.

M. Didier Migaud. La constance, oui, mais quant à la lucidité…

M. Yves Deniaud. La lucidité me paraît résider paradoxalement dans l’appréciation de la croissance de 2006 qui fait pourtant se récrier − on vient de l’entendre − les tenants du défaitisme. Il me paraît en effet justifié de rompre avec cette sinistrose à partir de faits et pas seulement d’incantations.

Avons-nous, en 2005, une décroissance comme celle qui nous fut léguée en 1993 − moins 1 % − ou même simplement la croissance faible, de l’ordre de 0,5 %, de 2003 ? Pas du tout, nous aurons entre 1,5 % et 2 %…

M. Paul Giacobbi. Ce sera 1,5 !

M. Yves Deniaud. …ce qui veut dire que, sans le choc du pétrole, qui coûte à peu près 0,7 %, nous serions aux 2,5 % sur lesquels le budget 2005 avait été bâti. Un nouveau choc pétrolier paraît écarté, les forages du Golfe du Mexique vont reprendre, les menaces de conflit dans d’autres zones productrices s’atténuent…

M. Paul Giacobbi. Et la Chine va indexer sa croissance !

M. Yves Deniaud. …et le prix du baril pourrait même être plutôt inférieur aux 60 dollars de votre prévision. Surtout, dans notre pays, les signes positifs se multiplient, quoique certains puissent en dire. Le plus important est que, pour le cinquième mois consécutif, le chômage baisse : on n’avait pas vu cela depuis cinq ans.

M. Paul Giacobbi. « Tout va très bien, madame la marquise ! »

M. Yves Deniaud. Certes, il reste à un niveau très élevé, et nous avons beaucoup à faire encore pour l’abaisser significativement, mais le retournement de tendance que nous espérions depuis longtemps est un changement décisif.

L’effet sur la confiance des ménages est indéniable, et mesurable, et on peut raisonnablement escompter que le déclic de la réduction du chômage gagne assez rapidement le secteur marchand et les emplois non aidés, après être né dans les contrats aidés et le plan pour les emplois dans les services à la personne, grâce notamment à une efficacité accrue des services de l’emploi que nous avons tous pu constater.

De plus, le budget pour 2006 a été élaboré, comme le soulignait justement Gilles Carrez, à partir de mesures stimulantes pour la croissance.

Mme Martine Billard.Cela ne veut rien dire !

M. Paul Giacobbi. Nous aimerions que l’on quantifie ces « stimuli » !

M. Yves Deniaud. Je pense aux contrats nouvelles embauches, qui, ne vous en déplaise, sont un succès, nous le constatons chaque jour sur le terrain, notamment dans les très petites entreprises, comme les contrats de professionnalisation et les contrats d’apprentissage. Je pense également au dégrèvement de taxe professionnelle sur les nouveaux investissements et au financement, enfin regonflé et assuré, des infrastructures de transport grâce à la création de l’AFITF et au volume considérable de sa dotation en capital comme de ses ressources pérennes.

Permettez-moi d’insister sur ce dernier point, monsieur le ministre. D’abord, pour dire ma satisfaction de voir à nouveau ce secteur crucial pour la vitalité économique de notre pays recevoir enfin un financement à la mesure de son importance. On parle beaucoup d’attractivité. Or les études internationales comparatives, et on peut le vérifier quand on se rend à l’étranger, donnent à la France deux atouts principaux – la productivité de sa main d’œuvre et la qualité de ses infrastructures de transports – et deux mauvais points – sa surfiscalité et sa complexité administrative.

M. Michel Bouvard. Eh oui !

M. Yves Deniaud. Lorsqu’on a de l’avance dans un certain domaine, on la cultive. Or nous avions cessé de faire depuis bien des années, en réduisant les dotations et en faisant de ces crédits d’investissement la cible favorite du gel budgétaire, aux conséquences désastreuses, des tergiversations politiques et des errements administratifs.

M. Michel Bouvard. Parfaitement exact !

M. Yves Deniaud. Un exemple : l’autoroute Rouen-Alençon, dont la construction fut décidée au printemps 1987 par Pierre Méhaignerie, alors ministre de l’équipement, sera inaugurée par le Premier ministre après-demain seulement.

M. Michel Bouvard. Eh oui !

Mme Catherine Génisson. Eh bien, vous avez de la chance !

M. Yves Deniaud. Dix-huit ans pour réaliser une grande infrastructure de transport !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Heureusement qu’il est arrivé, notre Premier ministre !

M. Jean-Louis Idiart. Venez chez nous, vous serez édifié !

M. Yves Deniaud. Après les félicitations, une supplique, monsieur le ministre : veillez à assurer la pérennité du dispositif mis en place et donc la préservation de son alimentation financière.

M. Michel Bouvard. Il ne faut pas que les socialistes reviennent au pouvoir. Sinon ils supprimeront tout ça.

M. Yves Deniaud. Nous sommes un certain nombre ici à avoir été témoins de l’éclosion, du rabotage et finalement de l’étranglement du FITTVN, ainsi que M. Bouvard le rappelait tout à l’heure.

M. Michel Bouvard. Il a été tué par Jospin !

M. Louis Giscard d'Estaing. Oui, mis à mort par Jospin. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Deniaud. Nous avons constaté le retardement, la prolongation, et finalement l’inachèvement des contrats de plan.

Le Gouvernement manifeste, à juste titre, sa satisfaction de voir les différentes lois de programmation que nous avons votées impeccablement exécutées.

Nous serions fiers de pouvoir terminer notre mandat…

M. Jean-Louis Idiart. Cela approche !

M. Yves Deniaud. …en ayant rattrapé les retards initiaux des contrats de plan et réalisé les infrastructures de transport prévues.

Mme Catherine Génisson. Rattraper les contrats de plan ? Cela se saurait !

M. Yves Deniaud. Vous n’avez certainement pas donné l’exemple !

En tout cas, l’application visible des mesures d’offre du budget 2006 nous permet d’être confiants dans votre hypothèse de croissance de 2 % à 2,5 %, d’autant plus que vous persévérez, monsieur le ministre, dans la ligne vertueuse tracée dès le début de la législature de la lutte contre les deux maux majeurs de la France que j’évoquais tout à l’heure, la surfiscalité et la complexité administrative, l’un nourrissant l’autre.

Nous ne saluerons jamais assez la performance que représente déjà la limitation stricte au niveau de l’inflation de l’accroissement des dépenses, alors que vous nous annoncez un effet supplémentaire pour 2007 d’une augmentation zéro en euros courants. Non seulement nous acceptons l’augure avec enthousiasme mais nous serons à vos côtés pour atteindre cet objectif, rendu encore plus difficile parce qu’il se conjuguera avec la réforme de l’impôt sur le revenu que nous discuterons dans quelques semaines mais dont nous approuvons de grand cœur le principe de simplification et d’allégement.

Pour atteindre ce but, il faut enfin que la réforme de l’État naisse après et grâce à la réforme budgétaire, que la vraie mesure de l’efficacité de la dépense publique facilite les redéploiements d’une mission publique à une autre et l’allégement de l’ensemble.

Nous sommes convaincus de votre détermination mais vous connaissez les obstacles à franchir, les réticences, et même les résistances que vous devrez affronter. Vous aurez besoin, pour les surmonter, du soutien du Parlement, en tout cas de la majorité, et c’est dans cet esprit positif qu’un certain nombre d’amendements ont été adoptés par notre commission des finances et que des suggestions sont avancées. Permettez-moi de donner quelques exemples.

Si nous avons voté contre la création d’une société de valorisation des biens immobiliers de RFF…

M. Michel Bouvard. Alors, là, oui !

M. Yves Deniaud. …c’est parce que nous refusons l’idée que tout problème doit être résolu par la création d’une structure.

M. Michel Bouvard. Très bien !

M. Louis Giscard d’Estaing. Exactement !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je répondrai à ça !

M. Yves Deniaud. En l’occurrence, il relève des missions de RFF de gérer son patrimoine et de céder celui qui est réalisable. Il est scandaleux que la séparation des actifs entre RFF et la SNCF ne soit pas achevée un an après la date butoir fixée par le Gouvernement.

M. Michel Bouvard. Et dix ans après la création de RFF !

M. Jean-Louis Idiart. C’est pour ça que M. Loos est amer.

M. Yves Deniaud. Nous avions pris acte dans les auditions de la MEC de 2004. Il serait scandaleux que RFF ne puisse pas assumer la part immobilière de sa mission.

Plus généralement, nous pensons qu’il est temps d’arrêter de créer des conseils de ceci ou des hautes autorités de cela, avec locaux, collaborateurs…

Mme Martine Billard. Vos copains !

M. Yves Deniaud. …et frais de fonctionnement, alors que l’on mène par ailleurs, et à juste titre, une politique courageuse de diminution du train de vie de l’État.

Si nous avons voté deux amendements pour obliger l’État à vendre des terrains, c’est parce que les travaux de la mission d’évaluation et de contrôle des dépenses publiques nous ont convaincus de l’urgence d’accélérer la réforme de la gestion immobilière de l’État, que vous avez justement engagée, monsieur le ministre.

Nous avons manifesté aussi notre souhait d’aller plus loin dans la limitation des dépenses à hauteur de 500 millions d’euros et dans la diminution des effectifs parce que nous pensons que, sans cette précaution, gravir la marche dont le Gouvernement a fixé la hauteur pour 2007 en termes de limitation des dépenses et de baisse des recettes serait trop difficile.

Enfin, nous souhaitons qu’on applique aux charges sociales le même principe de clarté et de simplicité que celui qui appliqué à l’impôt sur le revenu par ce qu’on appelle la barémisation, c’est-à-dire en intégrant les allégements dans les taux.

Je crois que l’on ne mesure pas assez l’impact psychologique, à l’intérieur de notre pays pour les employeurs, surtout les plus petits, comme à l’extérieur pour les investisseurs potentiels, que peut avoir l’affichage des taux réels de cotisation, qui sont bien inférieurs à ce qu’on présente aujourd’hui pour les activités de main d’œuvre en particulier.

Je sais, monsieur le ministre, que vous comprenez nos intentions puisque nous partageons le même désir de rétablir les finances de la France et de lui redonner une économie compétitive dans le monde, créatrice d’emplois, capable de financer une vraie solidarité active et pas une assistance passive.

Ce budget est la traduction de cette volonté, et c’est pour cela que nous voulons, avec vous et dans le meilleur esprit, le perfectionner pour le faire réussir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Descamps.

M. Jean-Jacques Descamps. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Thierry Breton, le ministre de l’économie, a affirmé que la France vivait « au-dessus de ses moyens ». Je crois qu’il a parfaitement raison et qu’il faut l’expliquer d’abord aux Français quand on parle du budget.

M. Michel Bouvard. Tout à fait !

Mme Martine Billard. Les Français apprécieront. C’est odieux !

M. Jean-Jacques Descamps. L’État, de nombreuses collectivités locales, les institutions sociales vivent à crédit ou en déficit permanent. Beaucoup d’associations et de collectivités ne vivent que de subventions publiques. Le taux de chômage reste élevé, malgré l’argent public important consacré aux contrats aidés, aux allégements de charge, à la prime pour l’emploi, etc.

Une bonne moitié des Français se sont installés dans la sécurité de leur emploi, la complexité de leur administration ou l’impunité de leurs professions et ne veulent pas trop qu’on bouscule leurs habitudes.

Cette situation se traduit par de plus en plus de dépenses publiques et sociales et par une augmentation régulière de la dette du pays en valeur absolue, avec des déficits annuels peut-être stabilisés mais des déficits tout de même.

Le modèle Français semble désespérément en panne. Il n’a pas le moral et voit passer chez les autres, avec un peu d’inquiétude, le train d’une croissance plus forte et d’une hausse des emplois qualifiés. Ce qui n’arrange rien, la France s’inquiète de l’arrivée de nouveaux concurrents que l’on a accueillis souvent à bras ouverts lorsqu’ils sont entrés dans l’Europe ou qui sont émergents à l’autre bout du monde. Pour autant, la France ne veut pas se remettre en cause. L’honneur de notre famille politique, c’est de la convaincre de le faire.

Courageusement, c’est vrai, monsieur le ministre, vous avez cherché à construire un budget qui préfigure ce que la Gouvernement veut faire pour réparer ce modèle français le plus rapidement possible. Mais ce budget reste encore à mes yeux, vous le savez, le résultat d’un compromis entre les nécessités d’une réforme ambitieuse, tournée vers l’avenir, l’ouverture sur le monde, l’encouragement de l’offre de travail, et les pesanteurs d’une pensée conservatrice, de culture étatique et keynésienne, marquée par les erreurs des vingt ou vingt-cinq ans que nous venons de vivre, comme les trente-cinq heures.

M. Paul Giacobbi. C’est la première fois que j’entends dire que Keynes était conservateur !

M. Jean-Jacques Descamps. Vous nous proposez des mesures qui vont dans le bon sens.

D’abord, il semble que, sous votre contrôle, l’administration accepte de jouer à fond le jeu de la LOLF pour essayer, enfin, de chercher des économies substantielles dans son fonctionnement. Mais une entreprise dans une telle difficulté se fixerait des objectifs chiffrés plus ambitieux pour réussir son redressement. Vos objectifs relèvent plus, pour le moment, d’intentions que d’un engagement suffisant.

Vous affichez la stabilité des dépenses totales en volume, grâce, il faut bien le dire, à quelques artifices trouvés par Bercy. Mais, vous le savez, ce n’est pas suffisant, et je suis de ceux qui pensent qu’il aurait fallu faire mieux.

Certes, vous renforcez très justement les crédits de la recherche et des investissements en matière d’infrastructures et vous respectez les promesses en faveur des fonctions régaliennes de l’Etat.

M. Jean-Louis Idiart. Ah ! on va se régaler.

M. Jean-Jacques Descamps. Mais le budget reste fortement déficitaire.

Votre priorité, avez-vous dit, c’est l’emploi. Le contrat nouvelles embauches, les maisons de l’emploi pour rendre les acteurs plus efficaces dans la lutte contre le chômage, les simplifications en matière de relations entre État et entreprises, sont de bonnes initiatives, peu onéreuses. Les pôles de compétitivité sont également une bonne idée.

En revanche, je suis plutôt sceptique sur les très importantes aides financières à l’emploi, compte tenu de leurs effets pervers. Il faudra ouvrir un grand débat pour savoir ce qu’il faudra privilégier dans l’avenir pour obtenir enfin des résultats. Je pense pour ma part que toutes ces mesures, allégements de charges, prime pour l’emploi, etc. aboutissent à soutenir artificiellement l’emploi car, avec des déficits et des effets d’aubaine, elles permettent de créer des emplois aidés, améliorent le pouvoir d’achat des bas salaires, mais elles n’ont pas d’effets importants sur l’offre d’emplois réellement productifs de richesses.

Je suis personnellement partisan d’une plus grande rupture pour relancer une véritable offre d’emplois chez les entrepreneurs et l’envie de travailler chez les salariés.

Il faut tailler dans l’amoncellement des aides, des primes, des allègements, des avantages sociaux divers, revenir à des idées simples et de bon sens.

M. Paul Giacobbi. Simplistes !

M. Jean-Jacques Descamps. Le revenu minimum, c’est évident, le droit au logement pour les plus démunis, c’est évident. Mais également le retour à une plus grande liberté des horaires et des salaires de ceux qui veulent travailler ou entreprendre, avec quelques limites simples inspirées du droit européen, ainsi que le retour à la vérité des prix et des cotisations sociales dont je pense qu’il faut mieux les barémiser que de continuer à les alléger.

Trop de Français, trop de nos hauts fonctionnaires, et tous nos collègues à gauche de cet hémicycle, sont, consciemment eux ou inconsciemment pour d’autres, encore convaincus que l’État est le meilleur vecteur d’emplois, de croissance, de justice sociale. C’est faux. L’État n’est là que pour réguler.

M. Jean-Louis Idiart. C’est déjà pas mal !

M. Jean-Jacques Descamps. L’État n’est là que pour rétablir l’égalité des chances, mutualiser les risques éventuels, préparer l’avenir.

M. Jean-Louis Idiart. Eh oui !

M. Didier Migaud. Mission fort mal remplie ces temps-ci !

M. Augustin Bonrepaux. En a-t-il les moyens ?

M. Jean-Louis Idiart. Non, il ne les a pas !

M. Jean-Jacques Descamps. Mais ce sont les entrepreneurs au sens le plus large, les entreprises, les associations, les collectivités locales, qui doivent soutenir la croissance au quotidien. Je ne suis pas sûr qu’ils aient encore besoin d’autant d’allégements de charges, de subventions et, leurs salariés, de prime pour l’emploi, même si c’est toujours bon à prendre. En revanche, je sais qu’ils ont besoin de souplesse, de liberté et de confiance dans ceux qui les dirigent.

M. Hervé Novelli. C’est vrai !

M. Jean-Jacques Descamps. À vrai dire, une bonne augmentation de salaires vaut mieux qu’une prime de l’État. Un code du travail et des inspecteurs du travail respectueux de la liberté d’entreprendre valent mieux qu’un allégement des charges. Une bonne hiérarchie des salaires est plus stimulante que la trappe à bas salaires qu’on a créée progressivement.

M. Hervé Novelli. C’est vrai !

M. Jean-Jacques Descamps. Bien sûr, il faut des règles du jeu. Mais pas pour contraindre, simplement pour faire respecter la liberté des uns et des autres.

Il faut aussi cela pour payer des impôts, mais sans qu’ils soient dissuasifs. Vous nous proposez de plafonner les impôts à 60 % du revenu. Dans notre système fiscal actuel, c’est une innovation utile, mais notre système fiscal est-il judicieux tel qu’il est ?

Vous apportez une première réponse avec la réforme des barèmes de l’impôt sur le revenu, mais êtes-vous allés jusqu’au bout de votre logique ? Un système où l’argent gagné est taxé plusieurs fois par l’impôt sur le revenu, l’impôt sur le patrimoine, les successions, les plus-values, les taxes foncières locales, etc. est-il un bon système ? Lorsque l’ISF, acquitté sur un patrimoine déjà ponctionné par l'impôt, devient confiscatoire, lorsque les tranches maximales de l’impôt sur le revenu découragent l’effort, lorsque la CSG n'est pas intégrée à la base, peut-on réellement parler d’un bon système ? Vous voulez intégrer les impôts locaux dans le calcul du plafonnement : en tant qu’élu local, je pense que ce n’est pas opportun. Dans ma commune et ma communauté de communes, je n’ai pas touché aux impôts depuis dix ans.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Donc, vous ne serez pas concerné !

M. Jean-Jacques Descamps. Je ne vois pas pourquoi je devrais donner de l’argent à tel ou tel de mes contribuables, détenteur d’une grande fortune et de plusieurs résidences secondaires en dehors de ma commune, au prétexte qu’il paie beaucoup d’impôts et que ses revenus sont faibles ! Je suis donc en désaccord avec votre proposition.

M. Augustin Bonrepaux. Votez contre, avec nous !

M. Jean-Jacques Descamps. Au lieu de plafonner les niches fiscales, il aurait mieux valu que vous vous prononciez sur l’intérêt de chacune d’elles. Ont-elles encore toutes un intérêt collectif ? Pourquoi l'outre-mer est-il à part ? Est-ce une niche plus respectable que les autres ? La niche Malraux n'est-elle pas aussi honorable ? Ces niches n'existent que parce que la fiscalité ou les charges afférentes sont anormalement élevées dans les domaines concernés et y freinent les initiatives bénéfiques pour la collectivité. Supprimez les niches inutiles ou baissez les impôts là où ils freinent l’initiative, au lieu de plafonner globalement les efforts des contribuables. Mieux vaut repenser chacune de ces niches et choisir les plus utiles plutôt que de les plafonner. Je déposerai donc un amendement en ce sens.

Monsieur le ministre, vous me trouverez sans doute exigeant,…

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. J’ai l’habitude !

M. Jean-Jacques Descamps. …mais je me fais le porte-parole de nombreux Français, et je crois exprimer quelques vérités de bon sens. Vous me traiterez peut-être d’ultralibéral, ce qui me laisse serein quand je vois ce que font beaucoup de nos voisins européens, à gauche, pour certains, de leur échiquier politique. Certaines vérités doivent être dites, et je prends mes responsabilités. Je voterai votre budget, mais je le ferai d’autant plus volontiers que vous aurez accepté quelques-uns des amendements qui ont été évoqués en commission des finances et qui donneront des signes encourageants à ceux qui veulent vraiment que la France change d'état d'esprit.

M. Jean-Louis Idiart. C’est ça, les grognards : ça grogne, mais ça vote !

M. Jean-Jacques Descamps. La gauche française qui démolit ce budget avec des arguments dépassés et abandonnés depuis longtemps par ses homologues européens, en particulier par ceux qui ont vu tomber le rideau de fer, est bien amnésique. Mieux vaut vous aider d’abord à démonter ses critiques avant de répondre à mes impatiences. C’est la raison pour laquelle je voterai avec sérénité votre budget. J’espère cependant que, d’ici à 2007, le vrai débat en matière de politique économique, sociale et fiscale sera abordé. Nous n’y échapperons pas : il faudra faire le choix ou non d’un vrai changement de cap et d’habitudes, dont la France a besoin si elle veut que son avenir soit assuré. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Claeys.

M. Alain Claeys. Monsieur le ministre, vous avez dit tout à l’heure, dans votre réponse à notre collègue Didier Migaud, que les désaccords entre le Gouvernement et le groupe socialiste sont majeurs.

Je le confirmerai en n’abordant qu’un seul sujet, celui des relations entre l’État et les collectivités locales depuis trois ans et demi. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et celui de Dominique de Villepin sont en train de tuer aujourd’hui l’idée même de décentralisation. Depuis trois ans et demi, vous auriez dû passer à une nouvelle étape de la décentralisation pour adapter celle-ci aux réalités nouvelles, pour répondre aux aspirations de nos concitoyens, à leur demande de proximité et de solidarité. Cela n’a pas été votre choix. Vous avez fait des collectivités locales une variable d’ajustement de votre politique et un enjeu politicien.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Non !

M. Alain Claeys. Nous l’avons vu avec les conseils régionaux, nous le verrons demain s’agissant de l’intercommunalité.

Vous avez procédé en deux temps : d’abord, par un transfert massif de compétences, sans les compensations suffisantes. Je pourrais prendre une multitude d’exemples, et les routes nationales nous en donnerons la preuve tangible dans les mois et années qui viennent. Les collectivités locales n’ont aucune visibilité financière à moyen terme et subissent des retards, qui pour certaines politiques sont de l’ordre de deux à cinq ans, dans l'exécution des contrats de plan. De nombreux élus, quelles que soient leurs opinions, peuvent constater chaque jour le désengagement de l'État de ses compétences propres ou partagées dans tous les services déconcentrés. Ce désengagement menace la solidarité nationale sur nos territoires. Quant aux recettes transférées, elles sont peu dynamiques, en décalage avec l’évolution rapide des dépenses.

Tel a été le premier temps de votre politique. Le second temps a consisté, devant les difficultés rencontrées par les collectivités, à faire le procès à charge de leur gestion et de l’augmentation des impôts locaux. Voilà ce que vous avez fait depuis trois ans et demi. Autrement dit, vous avez commencé par asphyxier les collectivités locales pour mettre ensuite en cause les élus locaux et leur gestion.

En 2004, et pour la première fois depuis 1995, les collectivités locales sont en déficit. Elles le seront en 2005 et en 2006. Le Gouvernement, qui présente la stabilisation du déficit en 2006 comme un exploit, ose accuser les collectivités d'être responsables de la dérive des comptes publics. De quoi parle-t-on, monsieur le ministre ? En 2006 le déficit du budget de l'État s’élève à 2,8 ou 2,9 % du PIB, grâce à une recette exceptionnelle ; le déficit des collectivités, lui, n’est que de 0,1 % !

Nous sommes face à un véritable racket. Depuis trois ans et demi, votre obstination idéologique à baisser l’impôt des plus favorisés et les cotisations sociales sans contrepartie sur l'emploi a conduit à la réduction des moyens d'action de l'État. Les Français subissent de plein fouet les effets de votre politique. Ils manifestent leur mécontentement et leur colère. Et les collectivités locales font aussi les frais de cette politique.

Il n'y a pas, d'un coté, l'État vertueux et, de l'autre, les collectivités dispendieuses. Il n'y a pas, d'un côté, l'État qui mènerait avec courage des réformes importantes tout en baissant les impôts et, de l'autre, les collectivités locales qui céderaient à la facilité, dépenseraient sans compter et augmenteraient leurs impôts.

Vous avez fait le choix de diaboliser les élus locaux pour mieux masquer vos échecs.

M. Augustin Bonrepaux. C’est vrai, et c’est un mauvais choix !

M. Alain Claeys. Le projet de loi de finances pour 2006 s'inscrit totalement dans ce cadre. Je prendrai deux exemples.

Le premier concerne la compensation aux départements du financement du RMI. L'an dernier, sous la pression des conseils généraux, une compensation de 450 millions d'euros au titre de l'année 2004 a été accordée par le gouvernement pour faire face au surcoût de financement.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous pourriez nous en féliciter, mais ce n’est même pas porté à notre crédit.

M. Alain Claeys. Ce versement restera exceptionnel. De plus, il ne sera versé qu'en 2006. Pour 2005, le besoin de financement des départements sera deux fois supérieur. Or rien n'est prévu, alors que le nombre d'allocataires du RMI, en augmentation de 200 000 depuis 2002, montre à quel point les besoins vont croissants.

Ma question est simple, monsieur le ministre : que comptez-vous faire pour 2005 ? Jugez-vous, oui ou non, cette compensation utile pour assurer la solidarité sur l’ensemble du territoire ?

Mon second exemple concerne la réforme de la taxe professionnelle. Vous décidez de la plafonner en fonction de la valeur ajoutée, après avoir achevé la suppression de la part salaire initiée sous la législature précédente. Ce plafonnement n'est pas autofinancé par le relèvement en proportion de la cotisation minimale au titre de la taxe professionnelle. Si vous voulez réformer la taxe professionnelle, il faut parvenir à un meilleur équilibre entre les entreprises qui en paient trop et voient leurs investissements pénalisés et celles qui en paient une faible part.

Vous préférez, là encore, mener cette réforme sur le dos des collectivités locales. Vous préférez en profiter pour remettre un peu plus en cause leur autonomie financière. Les hausses de taux décidées en 2005, dans l'hypothèse où elles conduiraient les entreprises à payer plus que 3,5 % de leur valeur ajoutée, ne seront pas prises en charge par l'État. Ce sera aux collectivités locales d’assumer le coût de ce manque à gagner dû au plafonnement. Une fois de plus, les contribuables locaux devront en faire les frais.

La polémique que vous avez ouverte, monsieur le ministre, entre l’État et les collectivités locales est plus qu’une erreur, c’est une faute.

M. Jean-Louis Idiart. C’est la preuve qu’il ne croit pas à la décentralisation !

M. Alain Claeys. A un moment où nos territoires et nos concitoyens ont besoin de solidarité, de cohérence dans les actions entre l’État et les collectivités locales, il est malvenu de faire aux élus des procès en mauvaise gestion, alors qu’on utilise les collectivités locales pour financer ce qu’on n’est pas capable de financer au niveau de l’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Selon vous, monsieur le ministre, ce budget est « responsable, sincère et transparent » et « la prévision des recettes publiques est fiable et transparente ». Faut-il que vous en doutiez pour avoir besoin de tant l'affirmer ! Vous misez sur un taux de croissance entre 2 et 2,5 %, alors que l'INSEE, quant à lui, ne prévoit pas plus de 1,5 %.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous brisez mes espoirs !

Mme Martine Billard. Et comment croire le rapporteur général quand il parle de hausse du prix du pétrole paroxystique en 2005 ? Certes le budget 2005 s’est trouvé pris en défaut par un cours du baril prévu à 39,3 dollars et finalement établi à 58 dollars. Vous auriez dû croire à l’époque ce que disait Yves Cochet ; votre budget en eût été plus crédible. D’ailleurs, pour 2006, le rapporteur général n'avoue-t-il pas lui-même qu'une hypothèse à 65 dollars le baril serait plus probable que le cours retenu de 60 dollars ? Mais, visiblement, vous n’acceptez toujours pas de reconnaître que la crise pétrolière est durable et refusez d’en tirer les conséquences, que ce soit en termes budgétaires ou en termes d'orientation économique.

Toute croissance ne créé pas d’emplois. En outre, la qualité des emplois créés est tout aussi importante que leur nombre. La multiplication des emplois précaires – CNE, RMA et autres contrats aidés – fait peut-être baisser les chiffres du chômage, mais pas ceux de la pauvreté. La question n’est pas de « remettre la France au travail », mais de créer les fameux « emplois durables » que vous nous promettez depuis trois ans, mais dont on ne voit toujours pas la couleur.

S’agissant des allégements de cotisations patronales, l’efficacité et le coût de tels dispositifs pour la relance de l’emploi et la hausse des salaires sont maintenant critiqués sur tous les bancs. Pourtant, l’opposition en parle depuis trois ans. Il faut noter qu’en dix ans, l’augmentation des cotisations sur les salaires bruts a été de 55 %, beaucoup plus que celle sur la part patronale, qui n’a été que de 29 %. La « trappe à bas salaire » s’élargit : la proportion des bas salaires – 1,3 SMIC – dépasse désormais 30 %.

Ce projet de loi de finances est chargé d’entériner toutes les niches fiscales que la majorité n’a cessé de créer au cours de l’année écoulée. A croire qu’un ministre ne peut s’exprimer devant une catégorie professionnelle sans annoncer une nouvelle niche fiscale ! On nous en a d’ailleurs encore promis une lors d’une convention qui s’est tenue près d’ici. Avant même que ce texte ne soit examiné, ce ne sont pas moins de 3,9 milliards d’allégements d’impôts qui ont déjà été adoptés pour 2006. Cela finit par poser problème : hors de la niche fiscale, n’y a-t-il point de politique publique ? En quoi la LOLF peut-elle améliorer l’initiative parlementaire si, comme le dit le rapporteur, sur une marge de 4 à 5 milliards, près de 4 milliards sont déjà affectés à des baisses d’impôts ?

Cette majorité empile les avantages fiscaux au bénéfice des ménages les plus aisés : baisse de la progressivité de l’IRPP, déductions fiscales pour emplois à domicile réservées aux plus aisés, franchises de droits lors des transmissions de patrimoine, réductions du champ d’application de l’ISF que l’on vide peu à peu de sa substance, etc. Le conseil des impôts a souligné que 10 % des ménages les plus aisés ont bénéficié de 85,9 % des réductions d’impôts. Votre prochaine réforme, avec la réduction du nombre de tranches d’imposition et le « bouclier fiscal à 60 % des revenus », va encore favoriser les plus hauts revenus, contrairement à ce que vous essayez de faire croire. En vérité, le patrimoine s’est rarement aussi bien porté et les grandes fortunes ont rarement été autant épargnées.

Vous démantelez chaque année un peu plus les dispositifs de solidarité nationale, et ce projet de budget ne fait pas exception : restrictions à l’aide médicale d’État, restriction à la CMU complémentaire – vous intégrez les aides au logement dans le décompte des revenus –, restrictions à l’ASS pour les chômeurs de longue durée, introduction, via le PLFSS, d’une imposition sur les indemnités de licenciement en cas de plan social. Les crédits transférés aux départements pour assumer la charge du RMI sont insuffisants pour faire face à l’envolée du nombre d’allocataires. Votre réforme basant le financement du RMI sur la TIPP prend déjà l’eau, les revenus procurés par la TIPP baissant, et vous ne pourrez pas dire que c’était imprévisible, car je me rappelle très bien avoir fait la remarque à l’époque.

Alors que la crise du logement est patente, le budget est en régression et le financement va surtout aux logements intermédiaires ou aux logements non sociaux : 300 millions pour le dispositif de Robien, mais seulement 60 millions pour les PLA-I, au point d’ailleurs que l’on nous annonce déjà un nouveau dispositif Borloo.

Quant aux grandes missions de l’État pour orienter les choix économiques et stratégiques du pays, elles sont oubliées. Vous bradez les autoroutes, êtes prêts à sabrer encore dans les services publics – EDF – dans une vision à courte vue, pour essayer de colmater votre budget déséquilibré par vos largesses fiscales électoralistes.

Vous créez une mission interministérielle sur l’effet de serre, mais n’en tirez aucune conséquence sur les choix de développement, notamment sur la réduction indispensable du transport routier, la priorité au fret ferroviaire et fluvial et aux transports collectifs. Vous ne franchissez pas le pas vers un vrai plan de réduction de l’intensité énergétique du secteur résidentiel qui stagne depuis vingt ans. Ce secteur serait pourtant générateur de milliers d’emplois. Quant aux crédits de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie – ADEME –, ils font une fois encore les frais du manque de marge de manœuvre gouvernementale. Il y a urgence à réduire les pollutions, développer les énergies renouvelables et lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, mais apparemment vous n’en avez pas conscience.

Certes, le président de l’UMP, Don Quichotte de la rupture, s’engage aujourd’hui à résoudre les problèmes écologiques de la France en une génération, et ce grâce à la mise en place d’un comité national pour l’environnement. Avec ça, nous sommes sauvés !

Voilà un bien mauvais budget, mauvais pour le présent et pour notre avenir, mauvais pour notre société et pour l’environnement. Les députés Verts voteront contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Novelli.

M. Hervé Novelli. Monsieur le ministre, le projet de budget que vous nous présentez pour l’année 2006 est imaginatif.

M. Didier Migaud. Ça, c’est la première fois qu’on l’entend !

M. Hervé Novelli. A périmètre inchangé de l’État, il évite une dégradation trop sensible des comptes publics. En effet, le déficit prévisionnel s’accentue de manière très modérée à 46,8 milliards d’euros. Quant à l’endettement de notre pays, il s’élèvera à 66 % du PIB.

Il est vrai, monsieur le ministre, que vous avez utilisé toutes les marges de manœuvre pour contenir la montée de la dépense publique. Il convient de saluer cet effort.

Mieux, vous mettez en place, pour l’année 2007, une réforme fiscale qui vise à simplifier l’imposition sur le revenu, avec une baisse de l’imposition moyenne des Français. Cette réforme est une avancée spectaculaire qui nous permettra, j’en suis persuadé, d’aller plus loin dans l’avenir.

Dans ce cadre, je souhaite que vous étudiiez la perspective d’une fusion entre l’impôt sur le revenu des personnes physiques et la contribution sociale généralisée.

Première tranche de l’impôt sur le revenu, la CSG acquittée par tous les Français doterait l’impôt sur le revenu du caractère exhaustif qui lui manque, puisqu’un Français sur deux ne le paye pas.

Élément d’une responsabilisation plus forte, dotant le barème de l’impôt sur le revenu de la proportionnalité qui lui manque, je suis persuadé que cette nouvelle étape enclencherait une prise de conscience de nos concitoyens, et donc un processus vertueux de modération des dépenses collectives.

Plus encore, vous affichez votre volonté de cantonner la pression fiscale en vous dotant du bouclier limitant à 60 % la taxation, pour chaque contribuable, de l’IRPP, de l’ISF, et des impôts locaux. Ce faisant, vous reconnaissez, et vous avez raison – qui pourrait dire le contraire ici, notamment à droite ? –, qu’une pression fiscale excessive est nocive pour l’économie et démotivante pour l’individu.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. C’est exact !

M. Hervé Novelli. C’est une ligne de clivage très importante entre la gauche et nous, entre ceux qui veulent taxer et ceux qui veulent libérer. En conséquence, monsieur le ministre, je ne peux que créditer favorablement toutes ces actions et toutes ces propositions.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. C’est, en quelque sorte, la prime à l’imagination !

M. Hervé Novelli. Mais la question qui va nous être posée collectivement dans les temps qui viennent se résume à cette simple phrase : comment enclencher un cercle vertueux qui, à partir de l’obtention d’une baisse de la dépense publique, diminuera nos déficits, réduira notre endettement et permettra de diminuer notre fiscalité ? C’est une question simple, mais fondamentale.

M. Jean-Louis Idiart. C’est ça les libéraux ! Ils sont insatiables !

M. Hervé Novelli. Je souhaite ici vous proposer des pistes, qui sont autant de réponses possibles. La première d’entre elle consiste, bien sûr, à traquer les dépenses inutiles.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Et Dieu sait s’il y en a !

M. Hervé Novelli. Je prendrai un seul exemple : l’efficacité et donc l’utilité de la politique d’allégement des charges sociales patronales menée depuis maintenant une décennie de manière massive dans notre pays avec des résultats très mitigés.

On connaît le raisonnement qui a présidé à la mise en place de cette politique : le niveau élevé du coût salarial, notamment autour du SMIC, et donc le frein à la création d’emplois qui en résulterait. Ainsi, depuis les premières mesures prises depuis 1994, en passant par les lois Aubry des années 2000 liant ces abattements à la réduction du temps de travail à 35 heures, et enfin l’allégement jusqu’à 1,6 % du SMIC actuellement en vigueur, c’est près de 20 milliards d’euros en 2005 qui seront mobilisés au titre de cette mesure. Si l’on rapproche ce montant du niveau toujours élevé du chômage dans notre pays – près de 10 % –, force est de constater que cette politique massive n’a pas produit les effets escomptés.

M. Michel Bouvard. Tout à fait !

M. Hervé Novelli. Mais, monsieur le ministre, nous aurons ce débat au cours de la discussion et je proposerai un amendement avec d’autres collègues pour tirer les conséquences de cette politique peu efficace.

Cette traque de la dépense inutile devrait être facilitée par la mise en œuvre, dès 2006, de la loi organique portant organisation des lois de finances. Beaucoup fondent des espoirs sur cette application pour arriver enfin au cercle vertueux que je décrivais tout à l’heure. Le degré de réussite des programme, la mise en place de critères de performance, la capacité nouvelle qui nous est donnée de diminuer certains programmes ou d’en augmenter d’autres fondent certains espoir. Puissent ceux-ci ne pas être déçus !

Je voudrais, monsieur le ministre, attirer votre attention sur une limite qui sera immanquablement posée à notre action et nous empêchera de tirer toutes les conséquences de l’application de la LOLF. Je veux parler du code général de la fonction publique et des rigidités excessives dont il fourmille.

Près de la moitié du budget de l’État est constituée des salaires et pensions des fonctionnaires. Le redéploiement des effectifs qu’appellera immanquablement l’application rationnelle de la LOLF se heurtera à cette rigidité. Il faut en tirer les conséquences au plus vite.

Autre piste, certainement la plus importante et la plus féconde, mais qui n’a pas encore été, ou très peu, défrichée : la réflexion sur le périmètre d’un État moderne.

M. Jean-Louis Idiart. Ah ! C’est beau !

M. Hervé Novelli. Quelles sont aujourd’hui les fonctions que l’État doit assurer ? Quelles sont celles qui ne sont plus de mise aujourd’hui ? Cette réflexion est encore balbutiante, monsieur le ministre. Le périmètre de compétence de l’État reste, en 2005, dans une configuration identique à celle du périmètre de l’État au sortir de la guerre. Est-ce bien raisonnable ? Est-ce bien responsable ?

Je suis persuadé que nos concitoyens comprendraient que l’on ne peut prétendre sanctuariser le périmètre de l’État au moment où les entreprises, les individus sont contraints d’évoluer et de s’adapter à un univers concurrentiel et mondialisé.

Cette réforme de l’État, toujours présente dans l’organisation ministérielle et toujours absente dans les résultats de sa politique, doit enfin être mise en oeuvre autour de quelque principes clairs :

Identifier les contours d’un État moderne et ses fonctions ;

Tirer les conséquences de cette définition autour de quelques principes simples – redonner au secteur privé toutes les activités publiques aujourd’hui exercées dans le champ concurrentiel ;

Introduire la concurrence dans des organisations aujourd’hui trop centralisées comme l’éducation nationale, par exemple,…

M. Jean-Jacques Descamps. Très bien !

M. Hervé Novelli. …en conférant un statut d’autonomie à l’ensemble des universités de notre pays, créer des agences qui accompliront, à la place de ministères obsolètes, des activités dans des conditions meilleures et à moindre coût.

Vous nous avez proposé, monsieur le ministre, de nous inspirer des expériences qui marchent.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Oui !

M. Hervé Novelli. Vous voulez le meilleur de ce qui se fait pour notre pays.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Oui !

M. Hervé Novelli. Alors, il faut changer de braquet. Notre État modernisé, allégé, recentré sur ses missions prioritaires sera d’autant plus respecté qu’il sera efficace. Qui ne voit aujourd’hui que notre puissance publique s’amoindrit du fait d’une vocation tentaculaire qui n’est plus de mise. Nous ouvrirons ce chantier majeur pour l’avenir de notre pays lors des échéances de 2007. Pour l’heure, je voterai votre projet de budget, car il n’interdit pas cet avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Louis Idiart. Cela va libérer les députés vers les circonscriptions !

M. Jean-Pierre Balligand. Quelle chute !

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. Le budget que vous nous proposez, monsieur le ministre, va dans le bon sens, mais il ne résout bien évidemment pas tous les problèmes. Je pense notamment au bouclier fiscal, sur lequel je reviendrai tout à l’heure.

Ce budget est bon parce que, pour la quatrième année consécutive, les dépenses de l’État n’augmenteront pas plus vite que l’inflation.

M. Didier Migaud. Ce n’est pas vrai !

M. Dominique Tian. Il est intéressant que ce résultat soit obtenu en maintenant certaines priorités, notamment la recherche, la sécurité, la justice et l’enseignement.

D’autre part, en 2006, notre endettement va être stabilisé pour la première fois. Il faut cependant noter que le ratio d’endettement public s’élève à 66 % du produit intérieur brut et que le taux de prélèvement obligatoire représente 44 % du PIB : c’est clairement ce que M. Thierry Breton appelle « vivre au-dessus de ses moyens ». Le ralentissement des dépenses publiques doit être salué comme un acte courageux.

Cependant, loin de remettre en cause la création d’emplois, priorité absolue du Premier ministre, cette politique l’encourage au contraire. 4,5 milliards y seront consacrés. L’année 2005 a déjà été marquée par une baisse du chômage, qui descend au-dessous de la barre des 10 %. Quant au contrat nouvelles embauches, il a connu dès son lancement un grand succès, avec déjà plus de 100 000 contrats signés.

Ce budget est bon parce qu’il pérennise la politique de baisse des charges sociales pour les entreprises. 1,8 milliard d’euros lui sera consacré cette année et 2 milliards d’euros serviront au dégrèvement de la taxe professionnelle.

Enfin, ce budget n’ampute pas le pouvoir d’achat des Français, bien au contraire. Il faut rappeler notamment l’augmentation importante du SMIC, la baisse de l’impôt sur le revenu, mais aussi les différentes incitations financières au retour à l’emploi : revalorisation de la prime pour l’emploi, crédit d’impôt de 1 000 euros pour les jeunes qui acceptent de travailler dans les secteurs connaissant des difficultés de recrutement et prime de 1 000 euros pour les titulaires de minima sociaux qui recommencent à travailler.

En somme, il s’agit d’un budget responsable et stratégique.

Mais ce budget est aussi celui de la réforme fiscale. Le plafonnement fiscal est une excellente mesure, grâce à laquelle nul ne pourra être taxé au-delà de 60 % de ses revenus, ce qui représente un niveau proprement confiscatoire.

Cependant, quelques problèmes restent en suspens. D’abord, le dépassement du plafond du fait des impôts locaux risque d’être un sujet de conflit avec les collectivités locales et en tout cas une source de grande complexité. Les sommes en cause étant probablement marginales – on parle de 50 millions d’euros –, je pense qu’il serait sans doute utile que l’État prenne ce dépassement à sa charge.

D’autre part, le bouclier fiscal est pratiquement sans effet pour les personnes payant l’ISF au titre de leur résidence principale, notamment les petits contribuables à l’ISF, soit près de 300 000 personnes. Leur problème n’est pas résolu et, chaque année, des dizaines de milliers de nouveaux contribuables se verront obligés, du simple fait de l’augmentation des prix de l’immobilier, de payer un impôt sur un bien qui ne leur rapporte rien et qu’ils ont acquis avec des revenus déjà très largement fiscalisés. Ce qu’on appelle le « syndrome de l’île de Ré » touche en vérité des milliers propriétaires fonciers dans toute la France. Ces personnes au revenu modeste seront toujours contraintes de payer l’ISF, non du fait de la taxation de leurs revenus, mais simplement parce qu’elles possèdent un terrain qui a pris de la valeur. Je regrette de n’avoir pas convaincu le Gouvernement sur ce point.

Cependant, une mesure extrêmement intéressante pour l’emploi et la compétitivité de notre pays est l’adoption par la commission des finances, sans doute en accord avec le Gouvernement, d’un amendement visant à exonérer de l’ISF 75 % de la valeur des actions nominatives détenues par des salariés, anciens salariés ou actionnaires minoritaires, à la condition qu’ils conservent leurs actions pendant six ans. C’est la fin d’un tabou sur l’ISF.

L’annonce du plafonnement des niches fiscales, quant à lui, inquiète beaucoup de nos concitoyens, certaines d’entre elles étant très utiles. Je rappelle en particulier que la loi Malraux a permis d’améliorer considérablement les secteurs sauvegardés en embellissant le patrimoine architectural de nos villes.

M. Hervé Novelli. Très juste !

M. Dominique Tian. Cela dit, votre budget est bon, monsieur le ministre, et je le voterai avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Balligand.

M. Jean-Pierre Balligand. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes entrés sans le savoir dans l’ère du « tout-virtuel » !

Nous savions déjà que le Gouvernement ne prenait pas en considération la réalité quotidienne des Français.

M. Didier Migaud. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Balligand. Il suffisait, pour s’en convaincre, d’écouter votre présentation de la loi de finances, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. À présent, c’est moi qui vous écoute, monsieur Balligand !

M. Jean-Pierre Balligand. Vous ignorez que nos concitoyens sont soumis à une précarité croissante du travail, au chômage de longue durée et à des fins de mois, voire désormais à des débuts de mois difficiles. Leur pouvoir d’achat stagne et même dégringole, une fois qu’ils ont payé leur loyer, rempli le réservoir de leur véhicule et payé leurs prêts.

M. Didier Migaud. Eh oui !

M. Jean-Pierre Balligand. À présent, le virtuel se conjugue aussi au plus haut niveau de l’État, dès l’élaboration des lois de finances.

Bien entendu, je ne parle pas de la nouvelle présentation budgétaire qui nous est soumise cette année. Au contraire, je regrette sincèrement que la surenchère du Gouvernement dans le camouflage comptable et la suspicion d’insincérité qu’il suscite – reproche que le groupe UMP a dû souvent entendre dans la bouche des députés socialistes depuis juin 2002 – trouvent leur apogée au moment où se concrétise la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001.

M. Didier Migaud. C’est en effet profondément regrettable !

M. Jean-Pierre Balligand. Notre collègue Didier Migaud, père incontesté de la LOLF, méritait de voir son œuvre plus loyalement servie que par le budget injuste et contourné dont nous amorçons la discussion.

Le Gouvernement fait porter l’essentiel de sa communication sur des mesures qui, comme la refonte du barème de l’impôt sur le revenu, s’appliqueront et devront être financées en 2007. Il est proprement incroyable que l’on en soit réduit à parler cette année, comme je le lis ici et là, d’un « budget d’attente » ! Attente de quoi ? des prochaines élections présidentielles ? Au reste, ne croyez pas que j’aie hâte de voir ces mesures entrer en vigueur. Je m’inquiète au contraire de voir qu’une réforme inique de l’impôt sur le revenu, qui en remet fondamentalement en cause la progressivité, sera surtout désastreuse pour les recettes de vos successeurs.

M. Didier Migaud. Très juste !

M. Jean-Pierre Balligand. Le fait est, monsieur le ministre, que vous promettez pour demain des mesures que vous n’avez déjà pas les moyens de financer aujourd’hui.

M. Didier Migaud. Très juste !

M. Jean-Pierre Balligand. L’un dans l’autre – impôt sur le revenu, taxe professionnelle, prime pour l’emploi –, « les recettes de l’année 2007 sont déjà préemptées dès aujourd’hui à hauteur de 5 milliards d’euros ». Ce n’est pas moi qui le dis, mais M. Gilles Carrez, dont je vous rappelle à toutes fins utiles qu’il est aussi rapporteur général du budget et député UMP.

Autre virtualité flagrante dans ce projet de loi de finances pour 2006 : le taux de croissance.

Depuis juin 2002, les gouvernements ont pris la très mauvaise habitude de ne jamais se fier – par principe – au consensus des économistes et de surestimer systématiquement la croissance à venir.

M. Michel Bouvard. Cela se faisait déjà avant 2002 ! (Sourires.)

M. Hervé Novelli. M. Fabius l’a fait avant nous !

M. Jean-Pierre Balligand. Quoi qu’il en soit, c’est le cas depuis juin 2002. La présente livraison ne déroge pas à la règle, à croire que les occupants de Bercy ne vivent pas sur la même planète que le reste des Français. En tablant une nouvelle fois sur 2,25 % de croissance l’an prochain, ce n’est même plus un pari sur l’avenir que vous faites, mais un véritable pari sur la comète ! Je lis ici et là que le ministre de l’économie « y croit »,…

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Il a raison !

M. Jean-Pierre Balligand. …voire que certains parlementaires éminents « croisent les doigts ». Ce n’est pas avec ce genre d’insouciance que l’on gouverne en responsabilité.

Je suis d’accord pour dire qu’on peut favoriser et amplifier la croissance. Encore faut-il partir d’un constat objectif. Or l’objectivité commande de dire que ce projet de loi de finances pour 2006 a été construit sur une hypothèse gonflée artificiellement d’au moins un demi-point de PIB,…

M. Didier Migaud. En effet !

M. Jean-Pierre Balligand. …sans que pour autant les fondamentaux budgétaires de notre pays s’en trouvent améliorés de quelque manière que ce soit. Sous la glaciation apparente des déficits publics se profile une nouvelle fois le creusement abyssal de la dette.

Il faut dire que les lois de finances ont tendance à ressembler de plus en plus à un savant exercice de maquillage comptable. En la matière, vous êtes un expert, monsieur le ministre !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. M. Strauss-Kahn avait fait mieux !

M. Jean-Pierre Balligand. Ici encore, nous sommes davantage dans la fiction que dans la réalité. Et le Gouvernement y va particulièrement fort cette année !

La plupart des médias, plus éclairés que de coutume – peut-être, cette fois, la ficelle était-elle vraiment trop grosse – ont pointé ces « astuces comptables » et ces « petites combines » foisonnantes, déployées dans l’unique but d’améliorer autant que faire se peut l’affichage budgétaire.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Ce sont des arguments auxquels on recourt quand on n’a aucune critique à faire !

M. Jean-Pierre Balligand. Ces reproches émanent de la presse économique, monsieur le ministre ! Je ne fais que les citer.

L’an dernier, l’un de vos nombreux prédécesseurs au ministère des finances, Nicolas Sarkozy, avait usé comme artifice budgétaire d’une soulte inespérée de 7,7 milliards d’euros versée par EDF.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Elle n’était pas versée à l’État !

M. Jean-Pierre Balligand. J’ai cru comprendre que certains membres de la majorité se mordaient aujourd’hui les doigts de ne pas mieux avoir rentabilisé cette manne en son temps.

Cette année, en l’absence de cagnotte ou de cassette providentielles, la situation s’annonçait a priori plus cruelle pour les finances publiques. Qu’à cela ne tienne ! Les experts de Bercy ont réussi coûte que coûte à dénicher des marges de manœuvre apparentes, qui sont autant de mystifications.

Premier tour de passe-passe : la débudgétisation des dégrèvements de cotisations sociales patronales sur les bas salaires.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Et le FOREC ?

M. Jean-Pierre Balligand. En tout, 18,9 milliards d’euros d’allégements, qui avaient toujours été comptabilisés comme une charge pour le budget de l’État, ont été miraculeusement transformés en moindre recette pour la sécurité sociale. Un escamotage de presque 19 milliards d’euros, soit près de 6,5 % des dépenses de l’État, il fallait le faire !

Hélas pour vous, dans les tours de magie, il y a toujours un « truc ». En l’occurrence, il s’agit de l’alourdissement simultané des comptes sociaux, qui n’en avaient vraiment pas besoin. C’est pourquoi vous avez décidé dans un second temps de transférer à la sécurité sociale le produit de la taxe sur les salaires, contribution obligatoire versée par les entreprises des secteurs bancaire, assuranciel, associatif et sanitaire, dont votre prédécesseur, M. Alain Lambert, demandait la suppression dans un rapport sénatorial de 2001. Ici encore, j’ai le sentiment que les remous viendront naturellement de votre propre camp.

Deuxième manipulation comptable : la sollicitation tous azimuts des recettes non fiscales. Cette vieille technique retrouve avec vous, pour ainsi dire, une nouvelle jeunesse ! La presse bruit depuis quelques mois de rumeurs, pour la plupart confirmées, de prélèvements exceptionnels de l’État sur telle ou telle institution.

M. Jean-Louis Dumont. C’est du siphonnage !

M. Jean-Pierre Balligand. Pour EDF, on parle de deux milliards d’euros, inscrits sous la forme d’une provision pour soulte, alors que le ministre de l’économie et des finances nous a expliqué hier, lors de la séance de questions au Gouvernement, que cette entreprise ne disposait pas des fonds propres suffisants pour faire face à ses dettes.

M. Didier Migaud. Exact !

M. Jean-Pierre Balligand. Les sociétés autoroutières seraient ponctionnées de 950 millions d’euros, juste avant d’être vendues dans des conditions que j’ai publiquement dénoncées à cette tribune, il y a quelques jours. Ce serait aussi le cas de La Poste, de la RATP, de RFF, de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, de la Banque de France, qui a démenti depuis, et même de la Caisse des dépôts et consignations ! La tendance est en tout cas au grappillage, et pas de petits grains !

Une de ces manœuvres les plus contestables et les plus polémiques consiste dans le détournement de 1,4 milliard d’euros du Fonds de garantie créé pour favoriser l’accession sociale à la propriété et garantir les prêts à taux zéro.

M. Jean-Louis Dumont. Très juste !

M. Didier Migaud. C’est scandaleux !

M. Jean-Pierre Balligand. Non seulement ses crédits ont été versés à hauteur de 60 % par des établissements bancaires par définition totalement étrangers au budget de l’État, mais ces sommes initialement affectées à une cause sociale majeure iront grossir anonymement les financements de vos divers dérapages budgétaires !

M. Didier Migaud. Ce n’est pas beau !

M. Jean-Louis Dumont. Oui, ces sommes vont au budget général, alors qu’elles étaient destinées au logement social !

M. Jean-Pierre Balligand. Cette initiative unilatérale, dénoncée comme telle par les banques - la Fédération bancaire française, qui ne passe pas pour dangereusement contestataire, a évoqué dans la presse un « hold-up du gouvernement sur les prêts sociaux, » - est contestable sur la forme et scandaleuse sur le fond.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Balligand.

M. Jean-Louis Dumont. Non, madame la présidente, vous ne pouvez arrêter notre collègue !

M. Jean-Pierre Balligand. Dans ces conditions, la stabilisation toute théorique du déficit budgétaire que vous affichez apparaît telle qu’en elle-même : une indigne opération de tuyauterie dont les autorités bruxelloises n’auront aucun mal à déjouer l’artifice quand il s’agira d’établir le montant véritable du déficit budgétaire de la France au regard des critères de Maastricht !

M. Didier Migaud. Très juste !

M. Jean-Pierre Balligand. Je ne parle même pas ici du contenu de vos réformes. Votre budget est « un budget de droite », comme l’assurait récemment le ministre des de l’économie et des finances, de plus en plus politique et de moins en moins homme d’affaires.

M. Jean-Louis Dumont. Et toujours aussi méprisant pour le Parlement !

M. Jean-Pierre Balligand. J’escompte que la majorité UMP assume publiquement son budget, vu le très haut degré de démagogie et d’injustice fiscale qu’il atteint cette année.

Ma critique va au-delà, elle porte sur la méthode.

Mme la présidente. Monsieur Balligand, s’il vous plaît !

M. Jean-Pierre Balligand. Je termine, madame la présidente.

La loi de finances est un passage obligé de notre système démocratique. Elle devrait être un exercice de vérité effectué par le Gouvernement devant le Parlement. Or, depuis quelques années, ce n’est plus le cas, cette vérité ne nous est plus révélée.

Je vous le dis franchement : en remettant sans cesse en question vos engagements, en enjolivant à n’importe quel prix votre présentation budgétaire, vous allez au-devant d’une véritable crise de confiance, II ne faut pas être grand clerc pour constater que le rapporteur général du budget ou le président de la commission des finances témoignent de plus en plus fréquemment et ouvertement leur déception et leur défiance.

M. Didier Migaud. Et leur grande gêne !

M. Jean-Pierre Balligand. Il faut dire qu’entre les engagements solennels non tenus – je pense au financement des infrastructures de transport – et les gels massifs de crédits votés – 4 milliards d’euros effacés purement et simplement en 2005 ! –,…

Mme la présidente. Monsieur Balligand, c’est la troisième fois que je vous rappelle à l’ordre !

M. Jean-Pierre Balligand. …le Parlement, majorité comprise, commence à être sérieusement échaudé par vos promesses. Avant même d’avoir voté la loi de finances pour 2006, nous apprenons déjà par voie de presse que 4, 1 milliards d’euros de crédits pourraient être mis en réserve dès le début de l’année prochaine ! Cela n’est pas sérieux.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Mais c’est la transparence !

M. Michel Bouvard. Ce sont les 2 % du bleu budgétaire !

M. Jean-Pierre Balligand. Faites attention, monsieur le ministre : vos artifices frôlent la mauvaise foi. Ce n’est pas ainsi que l’on pourra sérieusement engager les responsabilités du Parlement devant la nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Didier Migaud. Tout cela risque de mal finir !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Edmond-Mariette.

M. Philippe Edmond-Mariette. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ouvrant le débat hier après-midi, le Gouvernement a présenté son projet de budget comme étant "responsable, sincère et transparent". Hélas, j’aurais bien voulu partager cet optimisme, mais je ne connais rien à la magie financière. Ce que je sais en revanche, c’est que nous hypothéquons l’avenir de nos enfants.

Nous en sommes tous d’accord et pour éradiquer le mal il faut faire naître la croissance. À cet égard, une réforme fiscale de grande envergure est nécessaire.

Vos propositions, je le crains, sont précipitées après les conclusions du rapport du Conseil d’analyse économique. Sous prétexte d’assainir le budget de l’État, on assiste à des surenchères où l’on prétend tout justifier pour obtenir des recettes plus prospères. Vous entendez vous livrer à la chasse aux « niches » et une fois encore, une fois de trop, monsieur le ministre, l’outre-mer est évoqué !

Ce budget est une construction virtuelle. Pour vous le démontrer, charité bien ordonnée commençant par soi-même, j’ai choisi de ne traiter qu’un aspect du projet de loi de finances : il s’agit des articles 61 et 73, relatifs aux régions ultra-marines. Une fois pour toutes, je veux tordre le cou aux idées reçues trop souvent répétées et hélas tenues pour vraies.

Monsieur le ministre, pourquoi le Parlement a-t-il adopté en juin 2003 la loi de programme pour l’outre-mer ? D’abord, pour respecter un engagement du Président de la République ; ensuite, pour tenir compte de la fragilité des économies insulaires, connue de tous, avec ses handicaps et ses surcoûts ; enfin, pour construire sur le long terme, avec une perspective de quinze ans. Votre collègue Brigitte Girardin n’affirmait-elle pas le soir du vote : « inclus dans la loi de programme et non dans une loi de finances, le nouveau dispositif n’est pas susceptible d’être remis en cause chaque année à l’occasion de l’examen du budget de l’État. » ?

Pourquoi alors aujourd’hui, moins de deux ans après, une atteinte aussi grave est-elle portée à une construction née de la concertation avec votre gouvernement, l’ensemble des élus et des acteurs socioprofessionnels de nos régions ?

J’affirme ici que les dispositifs que constituent l’exonération des charges sociales et la défiscalisation sont des instruments justifiés et même, en l’état, insuffisants pour le développement économique et social. Je m’inscris en faux contre la confusion sémantique entretenue par beaucoup de personnes quand elles appellent à tort ces instruments « niches fiscales ».

En effet, la loi de programme votée en 2003 est un dispositif totalement neutre pour les finances de la nation. Elle ne peut en aucun cas être assimilée à une niche fiscale, profitant à des contribuables désireux de mener une stratégie d’optimisation fiscale. En intégrant les effets de retour sur l’hexagone, le dispositif de défiscalisation génère autant de prélèvements obligatoires que de dépenses fiscales. Dès lors, les mesures adoptées ont permis outre-mer reprise de croissance et création d’emplois.

Vous affirmez que la réforme a pour but premier l’emploi, mais avec les articles 61 et 73, vous compromettez le recul du chômage dans nos régions, qui y atteint entre 25 % et 30 % alors que dans l’Hexagone, il semble déjà insupportable à 10 %.

Monsieur le ministre, vous parlez de bouclier fiscal mais pour les exclus sociaux outre-mer, c’est un luxe qu’ils ne peuvent s’offrir : n’ayant rien à protéger, ils n’ont pas besoin de bouclier.

Comment la France peut-elle rester crédible à Bruxelles, quand après avoir sollicité pour ses quatre DOM un double avis de la Commission afin de valider et d’appliquer la loi de programme pour l’outre-mer, à la fin de l’année 2003, elle détruit tout deux ans plus tard ?

J’appelle solennellement le Gouvernement à placer hors du champ de la réforme fiscale la loi de programme votée pour quinze ans et à mettre en place l’instrument d’évaluation triennal qu’elle a prévu.

Le 27 janvier 1848, Alexis de Tocqueville déclarait devant la Chambre des députés : « On a parlé de changement dans la législation, mais je ne suis pas assez insensé, messieurs, pour ne pas voir que ce ne sont pas les lois elles-mêmes qui sont en définitive le détail des affaires ! Non, ce n’est pas le mécanisme des lois qui produit les grands événements. Ce qui fait les grands événements, c’est l’esprit même du gouvernement. Gardez les lois si vous voulez, quoique je pense que vous auriez tort de le faire. Gardez-les ! Mais, de grâce, changez l’esprit du Gouvernement, car, je vous le répète, cet esprit-là vous conduit à l’abyme ».

Monsieur le ministre, l’outre-mer ne peut continuer à souffrir et accepter une perpétuelle discrimination ! Nous avons besoin de davantage de solidarité nationale et d’une véritable égalité de traitement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bertho Audifax. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Tron.

M. Georges Tron. Monsieur le ministre, je suis heureux que vous alliiez dans vos fonctions, budget et réforme de l’État, car je suis convaincu qu’il est illusoire de vouloir rétablir l’équilibre des finances publiques sans engager une réforme de l’État, qui dépasse l’objectif de la stabilisation en volume des dépenses publiques, fût-il réalisé pour la quatrième consécutive. L’enjeu est bien celui-là : un point de dépenses en moins, c’est trois milliards d’euros de marges supplémentaires.

La réforme de l’État est donc au cœur du sujet et je consacrerai quelques remarques générales à ces thèmes qui, comme vous le savez, me sont chers car ils touchent à la fois à la stabilisation de nos comptes et à l’entreprise de modernisation de l’État, qui tente de mettre notre pays au niveau de ceux qui nous entourent.

L’objectif de stabilisation des dépenses exclut de facto aujourd’hui les dépenses de rémunérations et de pensions. Or ce que l’on appelle les dépenses induites, liées au personnel de la fonction publique en activité ou en retraite, ont représenté, en 2004, 127 milliards d’euros, soit 44 % des dépenses du budget général, avec une augmentation de 2,1 % par rapport à 2003. Les dépenses de rémunération correspondent à 53 % de ce total, les pensions civiles et militaires à 27 %. Ce sont justement ces dernières qui accusent la plus forte hausse avec plus de 6 % en un an. Depuis 1995, le nombre de pensionnés a augmenté de 21 % du seul fait des pensionnés civils, puisque la population des retraités militaires est à peu près stable. Le nombre total des pensionnés a augmenté de 3 % entre le 31 décembre 2003 et le 31 décembre 2004. Cela signifie tout simplement que, quels que soient les efforts entrepris, l’augmentation des dépenses de pensions est irréversible, du seul fait de la démographie.

Cela conduit inéluctablement à devoir contrebalancer cette évolution par une politique appropriée en matière d’embauche, au risque d’être privé à court terme de toute marge de manœuvre budgétaire.

Cet après-midi, lors des questions au Gouvernement, je vous interrogeais sur les audits que vous avez lancés. Permettez-moi d’y revenir. La première vague d’audits relatifs à la modernisation de l’État me paraissait devoir s’intéresser à tous les sujets, mais j’ai cru noter qu’aucun n’était consacré à la gestion des ressources humaines. Je vous ai demandé si c’était provisoire. Vous m’avez rassuré sur ce point, et j’en prends bonne note. Il me paraîtrait en effet inconcevable que ces audits ne puissent pas porter sur la question la plus essentielle qui soit, la gestion des ressources humaines et des effectifs.

À cet égard, nous disposons de bons instruments, qui ont été mis en place il y a cinq ans sous le gouvernement de Lionel Jospin : il s’agit des plans de gestion prévisionnelle des emplois propres à chaque ministère. Dans ce domaine, il y a une continuité de pensée entre les uns et les autres. Je le disais hier, je le répète aujourd’hui : la réforme de l’État n’est l’apanage ni de la droite, ni de la gauche, c’est une nécessité à laquelle nous devons tous nous plier.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Exactement !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Il n’y a aucune ambiguïté sur ce point.

M. Georges Tron. Je m’en réjouis d’autant plus que cette question fait l’unanimité sur nos bancs.

Deuxième point important : les effectifs de la fonction publique. L’idée souvent avancée d’une réduction du nombre des postes ouverts à concours dans les dix prochaines années, compte tenu des départs à la retraite, n’a de sens que si on l’aborde avec nuance.

M. Richard Mallié. Très juste !

M. Georges Tron. D’abord, comme l’a très bien montré le rapporteur général, cela ne règle pas la question générale de nos déficits. Avec le remplacement d’un départ à la retraite sur deux, on ne peut escompter qu’un milliard d’euros d’économies annuelles. On le voit, ce n’est pas une panacée sur le plan financier. Cette proposition relève davantage de la réforme de l’État.

En second lieu, toutes les réformes que nous avons élaborées dans ce domaine, c’est-à-dire le remplacement d’un fonctionnaire sur deux, visent en réalité à restituer, sous la forme d’un bonus de rémunération, entre 40 et 60 % – 50 % étant le chiffre le plus souvent avancé – des économies ainsi réalisées. Cela veut dire par définition que le milliard par année devient, en termes d’économies budgétaires, 500 millions, somme restituée aux fonctionnaires. Il faut donc bien avoir à l’esprit le fait que tout ne va pas à la réduction du déficit ou de l’endettement.

En troisième lieu, il me paraît clair que tout cet édifice ne saurait concerner de façon homogène tous les ministères ni tous les services. Des priorités ont été dégagées par le Gouvernement dans le domaine des fonctions régaliennes en particulier. En tant que rapporteur du budget de la fonction publique et de la réforme de l’État, j’aurai l’occasion, d’ici à quelques jours, de soumettre à votre attention une sorte de mode d’emploi qui permettrait de faire le distinguo entre les emplois qui relèvent de ce qu’on appelle communément le back office et ceux du front office. Si le service à l’usager doit être maintenu, on peut toutefois réaliser des économies dans les fonctions supports, c’est-à-dire celles qui sont en back office.

En dernier lieu, si la LOLF permet une meilleure connaissance de l’emploi public puisque les plafonds d’emplois concernent tous les agents effectivement rémunérés par l’État, y compris pour des besoins occasionnels, il est étonnant, voire choquant de constater que les opérateurs et principalement les établissements publics « utilisent » – pardonnez-moi d’employer ce mot – 230 000 emplois qui ne figurent dans aucun des documents annexés au projet de loi de finances et dont on n’a aucune comptabilisation précise.

Entre 1982 et 2003, les effectifs de la fonction publique d’État ont crû approximativement de 14 %, tandis que ceux des établissements publics augmentaient de 36 %. Malgré la LOLF, et je suis sûr que M. Migaud et M. Carrez seront sensibles à cette remarque, nous n’avons aucun moyen de savoir quel est l’effectif exact de ces établissements publics, s’il augmente et de quelle manière il rentre dans le cadre de la LOLF.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. On n’a pas les chiffres, en effet !

M. Jean-Louis Dumont. La gestion des ressources humaines demande des compétences !

M. Georges Tron. Monsieur Migaud, il serait peut-être bon que nous nous penchions sur ce sujet, car la situation me paraît anachronique.

Si je n’ignore pas la règle de l’annualité budgétaire, il me semble utile, toujours dans le domaine de la fonction publique, de demander au Gouvernement de s’engager à ce que les crédits de personnels qui sont votés pour 2006 soient maintenus puis diminués les années suivantes et ce dès maintenant. Rien n’empêcherait en effet, mes chers collègues, un détournement de la LOLF et il faudrait rendre obligatoire la comptabilisation des postes ouverts au cours l’année n, c'est-à-dire en 2005, les années n + 1, n + 2 et n + 3. Il me paraît utile de préciser dès cette année quelles sont vos intentions en la matière.

Un mot maintenant sur l’immobilier d’État, sujet cher à la commission des finances et en particulier au rapporteur de la MEC que j’ai été.

M. Jean-Louis Dumont. Le rapporteur général en fait longuement état dans son rapport.

M. Georges Tron. D’abord, toutes les études qui ont été réalisées sur le sujet, avant même celle du rapporteur de la MEC, indiquent que l’apport pour l’État sur dix ans peut être grosso modo de 5 milliards d’euros, ce qui n’est pas négligeable. Les études ont démontré également que si le programme de cession était bien mené par l’État, on pourrait réaliser environ 50 % d’économies sur les frais d’entretien du patrimoine de l’État. Pour nos comptes publics, il n’est pas négligeable de considérer qu’une économie de 1,5 milliard d’euros par an pourrait être réalisée sur la base d’une meilleure gestion.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Très bien !

M. Georges Tron. Ensuite, le rapporteur de la MEC avait démontré que le dispositif actuel est choquant.

Mme la présidente. Monsieur Tron, s’il vous plaît !

M. Georges Tron. J’ai terminé, madame la présidente !

Le TGPE nous permet de comprendre que 30 000 bâtiments environ sont recensés pour l’État. On en compte autant qui sont des bâtiments publics appartenant au patrimoine de l’État, mais qui sont cantonnés dans celui des établissements publics. Il me semblerait normal d’avoir une appréciation sur la gestion de ces bâtiments et de connaître leur destination.

M. Jean-Louis Dumont. Il serait temps !

M. Georges Tron. Là encore, un milliard d’économies peut être réalisé.

M. Yves Deniaud. Absolument !

M. Georges Tron. Dès lors que nous aurons une vraie volonté de réformer le mode actuel de gestion de l’État qui, sur bien des points, et notamment dans le domaine de l’immobilier, paraît anachronique, l’État réalisera des économies.

Mme la présidente. Merci, monsieur Tron !

M. Georges Tron. Madame la présidente, je conclurai en citant un seul chiffre : quand on se livre à des calculs sur le mode de ceux réalisés par le rapporteur général, on s’aperçoit que 5 milliards d’économies pourraient être réalisés sur dix ans dans le domaine de la fonction publique. S’agissant de l’immobilier, ce sont à nouveau 5 milliards d’économies qui pourraient être faits. Au total, on aboutirait à 10 milliards sur les dix ans qui viennent. Honnêtement, je crois que cela en vaut la peine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Mallié.

M. Richard Mallié. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « La résistance au changement n’est que le refus de la croissance ». Cette citation de l’allemand Alexander Ruperti nous rappelle combien l’innovation, la recherche de nouveaux stimulants économiques, est nécessaire à la prospérité. On ne crée pas de la croissance en se reposant sur les acquis, mais bien en faisant de la novation le chef d’orchestre de sa politique économique.

Avec le budget 2006 que vous nous soumettez, monsieur le ministre, vous montrez à notre pays que votre gouvernement a fait pleinement sien cet adage. Ce projet de loi de finances est en effet celui de la réforme.

Et tout d’abord par la forme qu’il présente.

En mettant en application pour la première fois cette année la LOLF, c’est toute l’architecture du budget de notre pays qui est revisitée. Exit les chapitres, paragraphes et articles ; bienvenue aux missions, programmes et actions.

En faisant le choix de la démarche de la performance et de celui de la transparence, la LOLF est, n’ayons pas peur des mots, une véritable révolution qui réconciliera nos finances avec le monde contemporain, marqué par le sceau de l’efficacité et de la performance.

M. Dominique Tian. Très bien !

M. Richard Mallié. Le présent projet de loi de finances est également celui de la réforme par son contenu.

La remise à plat du système de l’impôt sur le revenu était attendue de longue date par nos concitoyens – évidemment ceux qui payent l’impôt – bien souvent perdus dans les méandres d’un univers fiscal jugé hostile. La réduction du nombre de tranches, engrangeant plus de simplicité et de lisibilité, est donc la bienvenue.

Toutefois, si je salue le courage du Gouvernement sur bon nombre d’initiatives, je ne peux m’empêcher d’émettre quelques inquiétudes et quelques regrets concernant certaines des mesures proposées.

Tout d’abord, j’aimerais revenir sur la question de l’impôt sur le revenu. Si j’accueille favorablement la réduction du nombre de tranches d’imposition, la suppression de l’exonération de 20 % jusqu’alors accordée aux travailleurs indépendants membres d’un CGA ou d’une AGA, me rend plus sceptique et, monsieur le ministre, je m’étais permis de vous alerter, il y a quelques semaines, sur les effets pervers que risquait d’engendrer une telle disposition. Des mesures de correction ont été prévues. Ainsi, les professionnels n’adhérant pas à de telles structures auront l’obligation de déclarer leurs revenus qui seront assortis d’un coefficient de 1,25. Mais la correction proposée m’inquiète pour deux raisons.

La première est d’ordre juridique. Ce 1,25 revient en effet à imposer un quart de revenus fictifs. C’est non seulement une entorse au principe fiscal qui veut que l’on ne paie d’impôt que sur des revenus disponibles, mais c’est aussi contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui pose, dans son article 13, le principe de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Or la différence de traitement me semble ici flagrante.

La seconde concerne les effets pervers que risque d’engendrer ce principe de correction.

Soyons clairs, monsieur le ministre, chacun sait que le risque est bien évidemment que la fraude gangrène un peu plus nos concitoyens et que, pour annuler le surplus fiscal engendré par ce coefficient de 1,25, la déclaration des revenus soit encore plus minorée.

La pénalisation qui en résultera sera donc double : les membres d’AGA ou de CGA continueront à supporter les contraintes de leur adhésion sans en tirer aucun avantage par rapport à leurs collègues non membres, tandis que l’État se verra amputé d’une part de recette fiscale qui lui est pourtant due.

Ma dernière remarque concernera la mise en place de la LOLF. S’il me semble que nous avons fait le bon choix en engageant ce grand nettoyage budgétaire, je m’interroge sur la mise en place concrète du dispositif. Étant rapporteur spécial du budget sur la sécurité sanitaire, au fil des auditions menées depuis trois semaines je n’ai pu que constater le débordement de nos administrations face à une réforme dont les uns et les autres ne maîtrisent pas encore les tenants et les aboutissants. Je ne vous cacherai pas que mon travail de rapporteur a notamment été considérablement handicapé par le retard pris dans la transmission des réponses aux questionnaires budgétaires.

Si l’on peut pour cette année plaider l’indulgence et considérer qu’une telle réforme ne peut être rondement menée dès sa première application, il est essentiel que tout soit mis en oeuvre pour que, l’an prochain, le travail de chacun puisse être mené avec toute la sérénité et la rigueur que réclament ces questions. En ce qui me concerne, sachez que je mènerai ma mission telle qu’elle est définie et que j’irai vérifier sur place et sur pièces l’exécution de cette mission.

La présentation du projet de loi de finances n’est jamais un exercice facile pour un gouvernement, et bien d’autres y ont laissé des plumes avant vous, monsieur le ministre.

Si le projet de loi de finances pour 2006 demeurera clairement pour moi celui de la réforme, il n’est en fait que la parfaite continuation de la politique engagée par le Gouvernement et la majorité depuis 2002, celle du refus du statu quo et du choix de l’action. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour des prochaines séances

Mme la présidente. Aujourd’hui, jeudi 20 octobre, à neuf heures trente, première séance publique :

Suite de la discussion générale et discussion des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2006 (n° 2540) :

Rapport, n° 2568, de M. Gilles Carrez, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 20 octobre 2005, à une heure dix.)