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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 17 novembre 2005

65e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

Loi de finances pour 2006

DEUXIÈME PARTIE

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2006 (nos 2540, 2568).

Conseil et contrôle de l’État ;
Pouvoirs publics

M. le président. Nous abordons l’examen des crédits relatifs au conseil et au contrôle de l’État, et aux pouvoirs publics.

La parole est à M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué aux relations avec le Parlement, mes chers collègues, nous devons examiner ce matin les crédits de la mission « Pouvoirs publics » et de la mission « Conseil et contrôle de l’État », qui étaient jusqu’à présent quelque peu éparpillés dans le budget de l’État. La LOLF met en lumière des crédits qui auparavant restaient dans l’ombre, et nous nous en félicitons.

Encore faut-il que le rapporteur spécial ait en face de lui des interlocuteurs coopératifs ! Or, cela n’a pas toujours été le cas cette année. S’agissant des bénéficiaires des dotations de la mission « Pouvoirs publics », la présidence de la République n’a pas jugé bon de répondre, ni directement ni par l’intermédiaire du Gouvernement, aux questions qui lui avaient été adressées en votre nom à tous, mes chers collègues. Je le regrette, mais je pense que dans ce domaine, nous pourrons progresser.

Je regrette également qu’en fait de développement du montant des crédits des pouvoirs publics que nous étions en droit d’attendre, le « bleu » budgétaire présentant ces crédits se résume à deux tableaux quasi identiques qui n’atteignent même pas le faible niveau de précision que présentaient les chapitres de l’ancienne nomenclature. Cet élément est à verser au même dossier que les tous les autres points abordés dans mon rapport : laissons à la nouvelle architecture que constitue la LOLF le temps de faire ses preuves. Le rapporteur spécial que je suis sera particulièrement attentif, dans les semaines et les mois qui viennent, aux échanges avec la représentation nationale.

Je suggère donc que, dans la présentation du projet de loi de finances pour 2007, l’annexe bleue relative aux pouvoirs publics soit réellement explicative et comporte a minima les informations contenues dans les actuelles annexes jaunes, faute de quoi nous ne pourrons travailler correctement.

Pour le reste, les crédits des pouvoirs publics ne sont pas, par définition, appelés à faire l’objet de longs débats. Comme chacun sait, ils sont affranchis des contraintes de performance et exclus des modalités de régulation budgétaire infra-annuelle. Les sept dotations existantes concernent la Présidence de la République, les assemblées parlementaires – Assemblée nationale, Sénat et chaîne parlementaire –, le Conseil constitutionnel, la Haute Cour de justice et la Cour de justice de la République.

La commission des finances a adopté une observation exprimant son regret de n’avoir pas reçu de réponse à mes questions concernant la dotation « Présidence de la République ». Cette observation figure à la fin de mon rapport.

Quant à la dotation du Conseil constitutionnel, elle s’élèvera en 2006 à 5,31 millions d’euros, hors abondements exceptionnels, soit une diminution en volume. Si l’on inclut les abondements exceptionnels de 2005 et de 2006, la dotation apparaît en baisse. En 2005, un versement supplémentaire de 1,28 million d’euros avait été effectué pour le ravalement des façades de la rue Montpensier et une dotation de 630 000 euros avait été accordée pour les opérations liées au référendum du 29 mai. En 2006, seul un abondement exceptionnel de 424 000 euros est prévu afin de préparer l’élection présidentielle.

Je relève la modération des dépenses comme objectif du Conseil, modération s’observant aussi bien dans les recrutements que dans la rationalisation des rémunérations des personnels ou encore dans les moyens de fonctionnement.

La dotation de la Cour de justice de la République poursuit sa légère baisse depuis 2001, et chaque année le solde positif constaté en fin d’exercice est – il faut le noter – reversé au Trésor. La stabilité qui serait de mise en 2006 s’explique par la révision à la hausse du loyer des locaux de la Cour, poste qui représente 45 % des crédits demandés ! Ce coût qui doit nous conduire à réfléchir sur le choix d’une location avec option d’achat, solution qui serait plus économe des deniers publics.

J’en viens à la mission « Conseil et contrôle de l’État », que je qualifierai volontiers d’hybride budgétaire. Cette mission est composée de trois programmes : « Conseil d’État et autres juridictions administratives », « Cour des comptes et autres juridictions financières » et « Conseil économique et social ». Rattachés au Premier ministre, ces trois programmes devraient être exemptés de toute mise en réserve de crédits et bénéficier de modalités allégées de contrôle financier – ce que son statut garantissait déjà au Conseil économique et social. Mais ils demeurent, pour le reste, soumis au même régime que les autres programmes du budget général, notamment en termes de gestion par la performance.

Reconnaissons que, pour les programmes pilotés par le Conseil d’État et la Cour des comptes, un certain nombre de questions se posent : le caractère ministériel des programmes est virtuel, les plafonds d’autorisations d’emplois sont établis par programme et non par ministère, l’outil des budgets opérationnels de programme n’est pas utilisé à plein, et la gestion des détachements et des mises à disposition requiert des compétences que seuls possédaient les anciens ministères de rattachement. Cela dit, nous pouvons également faire le choix de laisser vivre cette mission particulière et d’évaluer les résultats qui en découleront avant d’en tirer les conséquences au cours du débat budgétaire de l’an prochain. C’est la position raisonnable qu’a adoptée votre rapporteur spécial sur tous ces sujets.

J’ajouterai que la création de cette mission ad hoc règle le problème de la mission « mono-programme » que devait constituer le Conseil économique et social et répond à une légitime préoccupation de la Cour des comptes, qui souhaitait voir réaffirmer son indépendance. C’est un autre revers qu’il faut prendre en compte.

Cependant, je ne peux occulter les difficultés que porte en elle la création de cette mission, dont la plus importante tient à la double fonction qu’occupent le Conseil d’État comme la Cour des comptes : une fonction d’assistance, de conseil et de contrôle vis-à-vis des pouvoirs publics, et une fonction « tête de réseau », l’un à la tête des juridictions administratives, l’autre à la tête des juridictions financières.

Je terminerai mon propos en décrivant à grands traits ce que seront les crédits de ces trois programmes en 2006 si nous les votons en la forme, comme le propose la commission des finances, suivant en cela mon appel à la sagesse.

Le Conseil d’État, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs bénéficieront en 2006 d’un budget de 246,28 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 238,41 millions d’euros en crédits de paiement. Les crédits de personnel augmenteront de 15 millions d’euros, en grande partie suite aux revalorisations communes à toute la fonction publique.

Il faut noter la forte augmentation du contentieux, la hausse la plus spectaculaire concernant le contentieux des étrangers, particulièrement celui des reconduites à la frontière, qui a augmenté de 50 % entre 2003 et 2004 et de 21 % entre septembre 2004 et septembre 2005. Dans ce contexte, le choix des objectifs et des indicateurs effectué par le Conseil d’État est centré sur l’amélioration des délais de jugement, conjuguée au souci de maintenir la qualité des décisions rendues, ce que je ne peux qu’approuver.

Le programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » bénéficiera, avec 171,4 millions d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement, de moyens en hausse. En contrepartie, la Cour aura plusieurs défis à relever, en particulier ceux de la préparation de la certification des comptes de l’État et de la sécurité sociale, et le développement de réelles compétences en matière de gestion des ressources humaines.

M. Alain Rodet. Vaste programme !

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. Ce dernier défi n’est pas le moindre lorsque l’on sait que les départs à la retraite d’ici à 2010 représenteront la moitié des effectifs de magistrats en activité, et cela à un moment où le nombre de recrutements à l’issue de l’ENA tend à diminuer.

Le Conseil économique et social devrait, quant à lui, recevoir une dotation de 35,5 millions d’euros, qui n’augmentera que sous l’effet de mesures automatiques relatives aux rémunérations et aux cotisations sociales.

Le Conseil économique et social, largement renouvelé en 2004, a placé la nouvelle mandature sous le signe d’une reconnaissance accrue en s’attachant à la rationalisation de ses travaux. Cet objectif de rationalisation l’a conduit à la création d’un comité stratégique auprès du bureau et d’un comité du rapport, pour faciliter l’émergence de grandes lignes de réflexion.

Vous connaissez mon attachement à cette institution qui permet d’associer les forces vives de la nation à l’élaboration de la politique économique et sociale du Gouvernement. Cependant, j’avais l’an passé, dans mon rapport, déploré son inscription dans une mission « mono-programme », la jugeant contraire à la lettre même de l’article 7 de la LOLF qui fait obligation à toute politique publique identifiée à une mission d’être ventilée en plusieurs programmes. S’il appartient désormais au Conseil économique et social d’identifier ses actions au sein de son programme, mes suggestions de l’an dernier valent toujours : représentation des activités économiques et sociales, fonctionnement de l’institution, politique de communication.

Quant à l’attitude plutôt réservée du Conseil à l’égard de la LOLF, en particulier en ce qui concerne le dispositif de mesure de la performance, on peut penser que les choses évolueront favorablement lorsque le Conseil aura pris pleinement conscience des avantages qu’il pourra en retirer pour lui-même. En un mot, cette année nous permettra d’approfondir notre réflexion et d’affiner notre pédagogie pour mettre en place de bonnes pratiques.

Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les remarques et réflexions que je souhaitais vous faire partager.

La commission des finances a adopté les crédits de la mission « Pouvoirs publics », contrairement à mon avis, et vous demande de les adopter à votre tour.

En ce qui concerne les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l’État », je m’en étais remis à sa sagesse. Elle vous demande également d’adopter ces crédits. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. René Dosière, premier orateur inscrit.

M. René Dosière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à féliciter le rapporteur spécial. Mon emploi du temps dans cette maison ne m’a pas permis de l’écouter, mais j’ai lu attentivement son rapport hier…

M. Alain Rodet. Excellent rapport !

M. René Dosière. …et je dois dire que, depuis que je siège dans cette assemblée, c’est la première fois que le rapporteur spécial sur les pouvoirs publics manifeste un intérêt aussi poussé pour les crédits concernés. Sans doute est-ce parce que nous avons maintenant une nouvelle procédure budgétaire. En tout cas, nous sommes passés du silence précédent à une analyse rigoureuse et qui n’est pas partisane. Certes, notre rapporteur spécial est très critique sur le chapitre de la Présidence de la République – mais comment ne pas l’être quand, après avoir envoyé une lettre et un questionnaire, on ne reçoit ni réponse, ni même accusé de réception, ce qui ne témoigne pas d’une très grande considération du Parlement ? Par contre, j’ai noté que le rapporteur spécial félicite le Conseil constitutionnel et son président pour la manière dont ils mettent en application la LOLF : là, au contraire, on fournit des renseignements très rapides. J’en suis d’autant plus heureux qu’il y a deux ans, j’avais souligné que le Conseil constitutionnel avait fait une présentation très sommaire de son budget. Depuis, des progrès considérables ont été réalisés.

Par conséquent, félicitons-nous de la qualité et de la précision du rapport de M. Bourguignon.

Le Conseil constitutionnel nous montre – mais aussi l’Assemblée nationale, qui a commencé cet exercice depuis beaucoup plus longtemps – que l’on peut parfaitement conjuguer autonomie financière et transparence. Mais tel n’est pas le cas du budget de la Présidence de la République. Reprenant les termes du rapporteur, je dirai qu’il n’est pas exagéré de parler de dissimulation et de mépris à l’égard de la représentation nationale. En effet, d’une part, aucune réponse n’est fournie au questionnaire du rapporteur spécial et, d’autre part, l’Assemblée a voté, il y a deux ans, une disposition imposant aux pouvoirs publics de fournir, à l’occasion de la présentation de leur budget, des précisions sur l’utilisation de leurs crédits. Or, depuis deux ans, la Présidence de la République fournit un document qui est, pour reprendre les termes du rapporteur, « d’une rare indigence », et dans lequel aucune explication ni aucun détail ne sont fournis.

Autrement dit, l’objectif de l’Assemblée de surmonter l’opacité du budget de la Présidence de la République n’est pas atteint. Voilà pourquoi je vous proposerai tout à l’heure des amendements visant à renforcer les dispositions législatives afin que l’Assemblée puisse disposer de renseignements plus précis.

Première observation : le budget de la Présidence de la République est un budget insincère. C’est même le moins sincère de tous les budgets qui nous sont présentés. On nous demande de voter 32 millions de crédits, mais cette somme ne représente qu’un tiers de la totalité des dépenses de la Présidence puisque les autres dépenses sont réparties, voire dissimulées, dans les budgets d’une dizaine de ministères. Il m’a fallu près de quatre ans d’investigations, de questions, de questions reposées et de rappels pour pouvoir obtenir un tableau d’ensemble de la part des divers ministères, permettant de dire qu’aujourd’hui la dépense de l’Élysée est de l’ordre de 85 millions d’euros, alors que le budget officiel que l’on nous demande de voter est de 32 millions. En additionnant les participations financières du ministère de la défense et du ministère des affaires étrangères, on est même au-delà du budget officiel de la Présidence.

Certes, cette manière de procéder n’est pas nouvelle : elle date de 1958 et s’est simplement aggravée au fil du temps. Mais elle est aujourd’hui en parfaite contradiction avec les objectifs de la LOLF, par laquelle nous souhaitons la transparence, la réunification. Or le budget de la Présidence de la République, c’est exactement le contraire.

Le Gouvernement, qui nous fait de grandes déclarations sur l’intérêt de la LOLF, serait bien inspiré de mettre en application les principes de cette loi.

Monsieur le ministre, bénéficierons-nous, en 2007, de la présentation d’un véritable budget de la Présidence de la République, d’un budget sincère, transparent, conforme aux principes de la LOLF ?

Deuxième observation : entre 1995 et 2004, la partie visible de ce budget a décuplé…

M. Guy Geoffroy. Oh ! la la !

M. René Dosière. …sans qu’aucune explication ne soit fournie. Sur cette partie du budget officiel, nous avons quelque difficulté à obtenir certaines précisions. Par exemple, lorsque je demande au Premier ministre combien de personnes sont directement engagées et payées par la Présidence de la République sur les 14 millions d’euros de crédits officiels de frais de personnel, je n’obtiens pas de réponse, tout du moins pas encore – mais je continuerai à le demander jusque ce que des réponses me soient apportées.

À travers les réponses des divers ministères, nous pouvons savoir que plus de 700 fonctionnaires continuent à être payés par leur administration d’origine et sont en poste à l’Élysée. Mais nous n’arrivons pas à savoir combien de personnes sont engagées directement par la Présidence de la République. C’est tout de même invraisemblable. Quel est le niveau des indemnités versées ? Nous ne le savons pas. Y a-t-il des emplois fictifs ? Cherche-t-on à cacher des emplois fictifs,…

M. Guy Geoffroy. Oh ! Il ne faut pas penser à mal !

M. René Dosière. …comme ce fut le cas dans le passé ?

Monsieur Geoffroy, c’est justement pour éviter le renouvellement de telles pratiques…

M. Guy Geoffroy. Voilà un repentir bien tardif !

M. René Dosière. Pas du tout ! Dans le passé, il était fort difficile d’avoir des informations sur le budget de la Présidence de la République car il n’augmentait pas ! C’est simplement à partir du moment où il a augmenté dans des proportions vertigineuses…

M. Guy Geoffroy. Oh ! la la !

M. René Dosière. …que le Parlement a pu se saisir de la question car il y avait là quelque chose d’anormal. Avant, ce budget ne bougeait pas, mais il n’était pas pour autant plus sincère ! J’ai cru comprendre que le Gouvernement avait une volonté réformatrice : voilà pourquoi je fais des propositions pour essayer de mettre fin au problème.

Dans cette affaire, mon souci principal est de maintenir, de préserver, voire de sauver l’autorité de la Présidence de la République.

M. Guy Geoffroy. Ah ! Quand même !

M. René Dosière. En effet, nos institutions sont menacées lorsqu’un très fort décalage existe entre les paroles et les actes. Il suffit de citer, comme le rapporteur l’a fait, le nombre de déclarations sur la « Présidence modeste » – alors que les crédits n’ont jamais autant augmenté ! –, sur la nécessité de « la transparence » – alors que c’est l’opacité la plus formelle ! Croyez-vous que nos concitoyens soient dupes d’un tel décalage entre les paroles et les actes ? La politique, c’est aussi l’éthique. Or, quand il n’y a plus d’éthique dans les institutions publiques – et qui plus est dans la plus importante d’entre elles –, le citoyen peut penser que la vie politique n’a pas d’intérêt et s’en détourner.

Voilà pourquoi j’insiste : nous devons pouvoir améliorer la présentation du budget de la Présidence de la République. Si nous y arrivons, cela sera naturellement valable pour les successeurs et évitera tous les procès, toutes les pratiques qui ont lieu dans le passé et que je n’ai, pas plus que vous, couvertes. Cela étant dit, sous la précédente Présidence de la République – c’est vrai que M. Geoffroy n’était pas là à l’époque –, je n’ai pas beaucoup entendu l’opposition critiquer, faire des propositions. Pas un mot, rien !

Si vous suivez mes propositions, notamment les amendements que je défendrai tout à l’heure, nous pourrons assurer la transparence.

J’ajoute qu’un exemple prouve que l’autonomie financière va de pair avec la transparence : l’Assemblée nationale. Tous les comptes de l’Assemblée sont publics et font l’objet d’une documentation précise. Cet effort date de plusieurs années et nous ne pouvons que nous réjouir que l’Assemblée n’ait rien à cacher.

C’est ainsi que nous ferons adhérer les citoyens à nos institutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de la mission « Pouvoirs publics » et de la mission « Conseil et contrôle de l’État » permet un éclairage très ciblé sur un certain sujet, ce qui est à la fois intéressant, mais un peu dommage. À la lecture de l’excellent rapport du rapporteur spécial, je n’ai pas manqué d’être saisi, comme beaucoup de mes collègues, d’une sorte de malaise par rapport au fractionnement de ce document : la première partie est très clairement un procès à charge contre le Chef de l’État, la seconde, très ouatée, très confortable et très consensuelle, traitant des autres questions.

Mon propos ne s’arrêtera pas à la question qui semble préoccuper de manière persistante notre collègue René Dosière. Je vais bien sûr l’évoquer, mais je voudrais également aborder les autres sujets.

Tout d’abord, la nouvelle présentation permise par la LOLF montre clairement que l’évolution des crédits attribués aux importantes missions dont nous parlons ce matin est tout à fait maîtrisée et que ce secteur si important de notre vie publique obéit, lui aussi, à la nécessité dans laquelle se trouve notre pays de limiter sa dépense, de maîtriser l’argent du contribuable au travers d’objectifs mieux définis.

Cela est valable aussi bien pour les assemblées parlementaires, dont la nôtre, que pour l’ensemble des autres fonctions évoquées au travers de ces budgets – Conseil d’État et tribunaux administratifs, Conseil économique et social, Conseil constitutionnel et tous autres services ou institutions dont nous parlons ce matin.

Ma première observation portera sur les crédits de nos assemblées.

Je voudrais saluer devant vous, monsieur le président, et devant le Gouvernement la qualité de l’effort accompli dans cette assemblée pour la tenir en permanence au niveau attendu par nos concitoyens – je veux parler de la qualité de nos débats, de la qualité et de l’organisation des services dus à la représentation nationale pour le plein exercice de ses fonctions –, dans une maîtrise tout à fait remarquable des crédits qui lui sont attribués. L’augmentation inférieure à 2 % des budgets de l’Assemblée nationale et du Sénat cette année traduit bien cette volonté. Cela méritait d’être salué au moment où nous constatons par ailleurs que, grâce à l’excellente gestion des années précédentes – et je rends hommage non seulement au ministre ici présent, mais également à l’ancien questeur qu’il a été et qui y a beaucoup contribué –, notre assemblée se trouve à la tête de volumes financiers importants qui constituent des réserves que nous pouvons utiliser année après année pour rénover notre institution et notamment améliorer les conditions de travail des parlementaires. Tout ce qui est engagé à l’heure actuelle sous votre égide, monsieur le président, et avec le concours actif de nos questeurs, va dans le sens d’une amélioration des conditions de travail des parlementaires de ce pays, tout à fait nécessaire.

Je voudrais souligner que nos collaborateurs ne sont pas oubliés, bien au contraire. En cette année 2006, grâce à cet effort, aux évolutions qui nous sont proposées, aux décisions prises par nos questeurs à la suite d’un nombre important de demandes de notre part, nous pourrons faire bénéficier ceux de nos collaborateurs qui en ont le niveau, les aptitudes et l’expérience d’un statut de cadre, fort attendu, qui pourra être financé même s’il représente une dépense très importante pour notre institution.

Ma deuxième observation portera sur une difficulté soulignée par le rapporteur spécial dans son rapport, évoquée en commission des finances, mais aussi par les commissaires aux lois dont je fais partie lors de l’examen des crédits de la mission « Justice ». Il y a un vrai problème. Je ne sais pas s’il pourra être réglé aujourd’hui par le vote de notre assemblée de l’amendement de M. Albertini. Dans le cas contraire, il faudra se pencher sur cette question car, incontestablement, si l’on peut comprendre que la mission de conseil qui est celle du Conseil d’État auprès du Gouvernement puisse, à certains égards, être rattachée au Premier ministre, on comprend moins facilement que la mission juridictionnelle du Conseil et encore plus la mission quasi exclusivement juridictionnelle des tribunaux administratifs soient retirées à l’examen, et à la complémentarité de l’analyse que nous devons en avoir, des crédits de la justice. Cette question devra être traitée de la manière la plus satisfaisante possible, dès cette année – pourquoi pas ? – ou, à défaut, dès l’année prochaine.

Je voudrais, pour conclure, consacrer quelques instants − mais point trop − au sujet qui me semble constituer la préoccupation unique, récurrente, persistante, de notre collègue René Dosière, et dont on trouve également un écho dans les propos écrits et oraux du rapporteur spécial de la commission des finances : le budget de la Présidence de la République. Jamais, nous dit-on, il n’a été aussi opaque. Jamais, dans l’histoire de notre pays, la Présidence de la République n’a été aussi avare d’informations sur son fonctionnement et sur les moyens qui lui sont attribués.

Je veux, très tranquillement, rétablir la vérité et rappeler que, si nous pouvons aujourd’hui en débattre, c’est grâce à Jacques Chirac qui, dès son arrivée à la tête de l’État en 1995, a souhaité mettre fin aux pratiques antérieures. C’est lui qui a demandé qu’une réforme soit mise en œuvre afin que tous les crédits − non seulement ceux des ministères, mais ceux de l’ensemble des institutions, notamment les entreprises publiques, qui, d’une manière ou d’une autre, concouraient au fonctionnement de la Présidence de la République − soient désormais mieux identifiés et puissent faire l’objet du contrôle et de l’analyse que vous appelez de vos vœux.

M. René Dosière. Il reste des zones d’ombre !

M. Guy Geoffroy. Vous n’avez pas le droit, monsieur Dosière, pas plus que vous, monsieur le rapporteur spécial, de jeter en pâture à l’opinion publique des déclarations selon lesquelles, sous la Présidence de Jacques Chirac, les crédits attribués au fonctionnement de l’Élysée auraient été multipliés par dix. C’est inexact, et vous le savez.

M. René Dosière. Pas du tout !

M. Guy Geoffroy. Comment pouvez-vous prétendre utiliser encore un argument aussi simpliste ? Serait-ce simplement pour frapper l’opinion publique ? Vous n’ignorez pourtant pas que certains crédits qui n’étaient pas comptabilisés au titre de la Présidence de la République l’ont été à partir de 1995,…

M. René Dosière. Pas du tout !

M. Guy Geoffroy. …ce qui explique que l’on soit alors passé du chiffre officiel de 4 millions, sous la Présidence que vous avez soutenue, à quelque 30 millions supplémentaires.

M. René Dosière. C’est inexact !

M. Guy Geoffroy. Nous expliquerez-vous un jour pourquoi vous avez attendu 2001 − année qui, comme par hasard, précédait une importante échéance politique − pour soulever cette question ?

M. René Dosière. Du point de vue électoral, cela n’a pas été très efficace !

M. Guy Geoffroy. C’était peu de temps après les turbulences liées à la question des fonds spéciaux, et alors que le Chef de l’État venait de demander que l’ensemble de ces fonds, ceux des ministères comme ceux de la Présidence de la République, soient clairement identifiés et rattachés, afin que l’on puisse les connaître, les évaluer, les analyser et, éventuellement, les critiquer. Je ne doute pas que vous ayez pris connaissance du communiqué de la Présidence de la République, publié le 19 novembre 2004 et relatif au budget de l’Élysée.

M. René Dosière. Il est incomplet et inexact ! Et pourquoi le rapporteur spécial n’a-t-il pas obtenu de réponses à son questionnaire ?

M. Guy Geoffroy. Ce communiqué rappelle, de manière limpide et très complète, les raisons qui ont conduit la Présidence de la République à souhaiter davantage de transparence et à affirmer sa volonté de voir ces crédits connus, appréciés, analysés, voire critiqués.

La discussion d’aujourd’hui me rappelle étrangement celle que nous avons eue ici même, le 4 octobre dernier, alors que, au moment de voter la loi de règlement pour 2004, vous repreniez cette antienne. M. Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, vous avait répondu − et M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement confirmera certainement la volonté du Gouvernement à cet égard − que, si l’on voulait aller plus loin, si l’on voulait se donner les moyens d’être mieux informé, il faudrait aller jusqu’au bout et le faire pour toutes les institutions en question, dans le respect de la Constitution et de la séparation des pouvoirs à laquelle, j’en suis persuadé, vous êtes tout aussi attaché que nous.

Il faudrait que votre soufflé retombe : il le fera certainement de lui-même.

M. René Dosière. Il suffit de garantir la transparence !

M. Guy Geoffroy. Cette transparence que vous appelez de vos vœux, nous n’avons pas attendu vos objurgations pour la promouvoir. Ce sont le Président de la République lui-même et la majorité actuelle qui ont permis que nous avancions sur ce chemin.

M. Alain Rodet. C’est un peu exagéré !

M. Guy Geoffroy. Pour toutes ces raisons, et pour celles qu’a évoquées, dans un cadre moins passionné, le rapporteur spécial, le groupe UMP votera sans hésitation le budget consacré à ces missions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement.

M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur spécial, mesdames et messieurs les députés, vous avez souhaité, à l’occasion de la mise en œuvre de la LOLF, examiner, dans le cadre d’une seule discussion, deux missions du projet de loi de finances pour 2006 : la mission « Pouvoirs publics » et la mission « Conseil et contrôle de l’État ».

Je me prête volontiers à cet exercice qui n’est pas sans logique, dès lors que ces deux missions ont en commun de regrouper des institutions tout à fait spécifiques. Elles ont un autre trait commun : elles regroupent, chacune pour ce qui la concerne, des crédits qui, dans la présentation antérieure à la LOLF, étaient dispersés au sein du budget de l’État.

Pour le reste, ces deux missions doivent être clairement distinguées.

La mission « Pouvoirs publics », qui regroupe la plupart des organes constitutionnels de la République, bénéficie à ce titre d’une dérogation au droit commun établi par la LOLF : ses dotations sont dispensées à la fois des contraintes de performances et de régulation budgétaire.

La mission « Conseil et contrôle de l’État » regroupe, à côté du programme « Conseil économique et social », les programmes « Conseil d’État » et « Cour des comptes », qui sont soumis au même régime que les autres programmes du budget général, notamment en termes de performances, mais qui seront exemptés de l’obligation de mise en réserve et bénéficieront de modalités allégées de contrôle financier.

J’évoquerai, d’abord, la mission « Pouvoirs publics », mais sans commenter les dotations des assemblées, du Conseil constitutionnel ou de la Cour de justice de la République, en raison du principe de séparation des pouvoirs et de l’autonomie qui est reconnue aux dotations de la mission « Pouvoirs publics ».

En revanche, en ce qui concerne la Présidence de la République, je ne peux pas ne pas réagir aux propos tenus non seulement par M. le rapporteur spécial, mais plus encore par M. Dosière : je déplore leur caractère exclusivement polémique et partisan.

M. René Dosière. Vous écoutez mal !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Tout ce qui est excessif est dérisoire.

Après M. Geoffroy, je voudrais d’abord rappeler que la Présidence de la République n’est pas un service de l’État comme les autres. Le Conseil Constitutionnel avait d’ailleurs indiqué, dans ses réserves d’interprétation concernant l’article 115 de la loi de finances pour 2002, que « ces dispositions ne sauraient être interprétées comme faisant obstacle à la règle selon laquelle les pouvoirs publics constitutionnels déterminent eux-mêmes les crédits nécessaires à leur fonctionnement », que « cette règle est inhérente au principe de leur autonomie financière qui garantit la séparation des pouvoirs ».

M. René Dosière. Ce n’est pas ce qui est en cause !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Cela étant, comme l’a rappelé Guy Geoffroy, Jean-François Copé indiquait, le 4 octobre dernier, lors du débat sur la loi portant règlement du budget 2004, qu’il est possible d’envisager une réflexion pour améliorer l’information du Parlement sur les budgets de l’ensemble des pouvoirs publics constitutionnels.

M. René Dosière. Allons-y !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Le rapporteur spécial n’y a pas fait allusion, mais je confirme que le Gouvernement est prêt à cette réflexion.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Je vous rappelle aussi que les questionnaires parlementaires doivent être adressés au Gouvernement, et non directement à la Présidence de la République.

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. Nous les avons bien adressés au Gouvernement !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Mais je voudrais répondre aussi, sur le fond, à quelques-unes de vos critiques.

Sur l’évolution du budget de la Présidence de la République depuis 1995, de nombreuses réponses ont déjà été données. Outre les éléments que vous rappelez vous-même, il y a des explications très concrètes qui ne sont pas de pures hypothèses.

Un souci de clarté et de transparence a conduit en effet à inscrire dans le budget de la Présidence des charges qui étaient autrefois assumées par divers organismes publics : il s’agit, par exemple, du paiement des télécommunications, de l’affranchissement du courrier, du remplacement des appelés du contingent par des contractuels civils, de dépenses de fonctionnement courant assurées précédemment par le ministère de la culture. Quelques dépenses supplémentaires ont également été prévues pour le fonctionnement du Conseil de sécurité intérieure ou pour des investissements de modernisation. Il y a donc eu incontestablement un effort de clarification qui n’avait pas été entrepris auparavant.

Il est exact que des moyens restent fournis à la Présidence par certains ministères…

M. René Dosière. Quels moyens ?

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. …conformément à une tradition constante depuis la IIIe République.

M. Guy Geoffroy. Cela s’est fait de tout temps !

M. René Dosière. La Présidence de la Ve n’a rien de commun avec celle de la IIIe !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. C’est le cas pour les déplacements du Chef de l’État ou pour les personnels. Il n’y a jamais eu de corps de fonctionnaires propres à l’Élysée. Les personnels de la Présidence sont, en grande majorité, des fonctionnaires mis à disposition par les différents ministères et payés par ceux-ci.

Je souhaite aussi rappeler que ce qui nous occupe aujourd’hui, c’est le projet de budget pour 2006. Il est marqué par une stabilité totale, la dotation augmentant de 1,77 %, ce qui est légèrement inférieur à l’évolution générale du budget de l’État en fonction de la hausse des prix.

Il est également marqué par un effort de bonne gestion qui doit naturellement s’appliquer aux services de l’Élysée, comme à tous les services de l’État. Il y a un effort particulier d’économie dans le fonctionnement, qui permet de financer des dépenses inéluctables d’équipement et de travaux sans majoration de la dotation, comme l’indique clairement le document budgétaire.

J’en viens à la mission « Conseil et contrôle de l’État ». Je présenterai d’abord le programme « Cour des comptes et autres juridictions financières », qui m’a été plus particulièrement rattaché, créé afin de permettre aux juridictions financières de remplir en totale indépendance le nouveau rôle qui leur est confié par la LOLF ; puis le programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives », qui a demandé son rattachement à la mission « Conseil et contrôle de l’État » dans le dessein de préserver son autonomie ; enfin le programme « Conseil économique et social ».

En ce qui concerne le programme « Cour des comptes et autres juridictions financières », l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 confie à la Cour des comptes deux nouvelles missions d’assistance au Parlement qu’elle doit remplir en veillant à rester équidistante entre le Parlement et le Gouvernement. Il s’agit, d’une part, du « dépôt d’un rapport conjoint au dépôt du projet de loi de règlement, relatif aux résultats de l’exécution de l’exercice antérieur et aux comptes associés, qui, en particulier, analyse par mission et par programme l’exécution des crédits » ; et, d’autre part, de « la certification de la régularité, de la sincérité et de la fidélité des comptes de l’État. Cette certification est annexée au projet de loi de règlement et accompagnée du compte rendu des vérifications opérées ».

Le nouveau statut conféré par la LOLF à la loi de règlement, qui devient un texte législatif de première importance, et la nouvelle mission de certification des comptes de l’État par la Cour des comptes appellent une totale indépendance pour que la Cour puisse jouer son rôle d’assistance du Parlement et du Gouvernement. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 25 juillet 2001 ; en relevant qu’« il appartiendra aux autorités compétentes de la Cour des comptes […] de faire en sorte que l’équilibre voulu par le Constituant ne soit pas faussé au détriment de l’un de ces deux pouvoirs ».

Le programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » s'inscrit ainsi dans une démarche stratégique engagée dès 2002 qui vise à améliorer la gestion publique, à affirmer l'identité professionnelle des juridictions financières et garantir la qualité de leurs travaux, à rendre l'institution plus transparente et plus compréhensible pour les contrôles et le public, et, enfin, à mieux intégrer l’action européenne et internationale.

L'indépendance budgétaire de la Cour des comptes se traduira aussi par des procédures allégées en matière d'exécution budgétaire de la dépense.

Concernant le contrôle financier, un projet d'arrêté, qui devrait être publié avant la fin du mois de novembre, prévoit, conformément à la réforme engagée dans le cadre du décret du 27 janvier 2005, un allégement substantiel des contrôles a priori.

Par ailleurs, la Cour des comptes bénéficiera d'une situation spécifique puisqu’elle ne sera plus affectée par les mises en réserve de crédits qui pourraient être décidées par le Gouvernement dans le cadre de l'exécution des lois de finances.

Le programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » présente, pour 2006, trois caractéristiques essentielles.

Il reflète, d’abord, le développement des nouvelles missions de ces juridictions, dont notamment la certification des comptes. Plus des trois quarts des moyens des juridictions financières sont en effet dévolus aux missions de contrôle, de conseil et d'expertise.

Ensuite, 88 % environ des moyens du programme sont consacrés au financement de dépenses de personnels.

Enfin, il retranscrit la totalité des moyens en personnels affectés aux juridictions financières. Pour la première fois, il prend en compte les 401 agents mis à disposition du ministère de l’économie et des finances et les cotisations employeurs au titre des personnels civils de l'État, pour 34,4 millions d’euros.

Parmi les principales mesures nouvelles, on relève, dans les crédits de personnels, environ 2 millions d'euros pour la revalorisation du point fonction publique et du GVT et 1 million à peu près de revalorisations diverses, et, dans les crédits de fonctionnement, moins de 1 million d'euros consacré, pour l'essentiel, à la préparation des cérémonies du bicentenaire de la Cour des comptes en 2007.

Le Conseil d'État et les autres juridictions administratives font l'objet d'un autre programme de la mission.

Le Conseil d'État a en effet demandé son rattachement à la mission commune « Conseil et contrôle de l'État » afin de préserver son indépendance, et cette présentation, monsieur Geoffroy, est tout à fait fondée.

L'application pure et simple, à structure constante, de la loi organique relative aux lois de finances aurait d’abord fait du Conseil d'État et des autres juridictions administratives un simple programme de la mission « Justice ». Or le Conseil d'État, sous l’autorité de son vice-président, a toujours eu la maîtrise de son budget.

Par ailleurs, il paraît naturel que le Conseil d'État participe à la mission « Conseil et contrôle de l'État ». En effet, il incarne parfaitement cette double mission consultative et juridictionnelle.

Dans la logique de la LOLF, il faut identifier la fonction particulière de contrôle de l'exécutif. Or, la justice administrative est totalement différente de la justice judiciaire. Elle conseille en même temps qu'elle contrôle le pouvoir exécutif. La justice judiciaire n'exerce quant à elle ni l'une ni l'autre de ces missions. Certes, le rôle consultatif des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel est pour l'instant relativement limité. Mais ils sont gérés par le Conseil d'État, ce qui justifie l'unité du programme.

Ce rattachement budgétaire ne modifiera en rien le contrôle qui doit s’exercer sur le Conseil d'État et les autres juridictions administratives, dont notamment le contrôle parlementaire. Il n'exonérera pas le Conseil d’État de la recherche de la performance qui lui incombe pour rendre le service qu'est en droit d'attendre le justiciable et pour utiliser au mieux, à cet effet, les moyens qui lui sont alloués.

La justice administrative est confrontée à une difficulté majeure : les délais de jugement. La loi d'orientation et de programmation a fixé comme objectif de ramener à un an, fin 2007, les délais de jugement devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, comme c'est déjà le cas devant le Conseil d'État.

Ce délai s’avère très difficile à tenir, compte tenu de l'explosion du contentieux. Le nombre des entrées a en effet connu en 2003 et en 2004 une hausse extrêmement importante devant les tribunaux administratifs, respectivement de 14 % et de 16 % en données nettes, tandis qu’il augmentait de 22 % en 2004 devant le Conseil d'État. Or, la loi d'orientation tablait sur une augmentation du contentieux de 5 % seulement.

Le Conseil d'État a donc dû revoir ses objectifs pour 2006 et 2007. Il s’agit, désormais, de parvenir à des délais moyens de jugement d'un an devant le Conseil d'État, d'un an et un mois devant les cours administratives d'appel, et d'un an et six mois devant les tribunaux administratifs.

Le Conseil d'État a, par ailleurs, fait d'importants efforts pour utiliser au mieux les deniers publics. Il a notamment conclu des contrats d'objectifs et de moyens avec les cours administratives d'appel, en 2002, qui ont permis d'obtenir des résultats spectaculaires : les délais de jugement ont été réduits d'environ un an entre le 31 décembre 2002 et le 31 décembre 2004, et le taux de sorties par rapport aux entrées a atteint 142 % en données brutes fin 2004.

De même, une politique de gains de productivité a été menée, avec des indicateurs de productivité, y compris pour les membres du Conseil d'État, et la modulation des primes des magistrats administratifs en fonction du mérite a été renforcée.

Le Conseil d'État mène une politique de maîtrise des frais de justice. Il s'est lancé dans l'expérimentation des téléprocédures, qui permet d'échanger les mémoires entre les juridictions et les parties par voie électronique. Un bilan économique de cette expérimentation en termes de coûts de fonctionnement va être dressé.

Le budget du Conseil d’État pour 2006 n'est pas aussi favorable qu'il le paraît au premier abord.

Les créations d'emploi sont très limitées, malgré la création d'un tribunal administratif à Nîmes, dont l'ouverture a été programmée pour le 1er septembre 2006.

La hausse des crédits de fonctionnement est destinée, pour une part, à faire face à l'augmentation des frais de justice, qui sont directement corrélés à l'évolution du contentieux. Ils correspondent, pour 90 %, à des frais d'affranchissement liés à l'instruction des affaires et à la notification des jugements.

Cette dotation, qui était déficitaire depuis des années – le déficit était, en 2004, de 3,2 millions d’euros sur cette ligne – doit, en application de la LOLF, devenir limitative. Le Conseil d'État a donc demandé et obtenu sa réévaluation au niveau de la consommation réelle pour 2004.

En ce qui concerne, enfin, le Conseil économique et social, les crédits atteignent, pour 2006, 35,501 millions d’euros. Cette progression s'explique uniquement par l'augmentation de la valeur du point de la fonction publique et par un abondement de crédits permettant le paiement des charges patronales pour pensions des personnels, qui relevaient jusqu'alors du budget des charges communes.

S’agissant des objectifs et des indicateurs de cette mission, le Gouvernement sera attentif aux observations du Parlement. Il convient toutefois de souligner la difficulté technique qui se pose pour définir les indicateurs de performance des activités de conseil.

Plusieurs objectifs et indicateurs ont néanmoins été dégagés en matière de pilotage de la performance, et le Premier ministre et moi-même serons attentifs à toute suggestion susceptible de les promouvoir et de les améliorer.

Telles sont, mesdames et messieurs les députés, les observations que je voulais présenter concernant les missions « Pouvoirs publics » et « Conseil et contrôle de l'État ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous passons à une question du groupe des député-e-s communistes et républicains.

La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Monsieur le ministre, la Cour des comptes est un organe juridictionnel de première importance, garant du bon usage des deniers publics. Son rôle de contrôle dans le cadre de la LOLF, relevant à la fois du commissaire aux comptes et de la société d'audit, lui confère une dimension nouvelle.

Ses rapports réguliers témoignent d'une relative prise de distance vis-à-vis de l'exécutif. Militant pour une indépendance renforcée de l'institution de la rue Cambon, son actuel premier président a obtenu du Gouvernement le principe d'autonomie financière. Que recouvre concrètement cette formule ? À cet égard, permettez-moi de vous rappeler cette recommandation émise par deux députés de votre majorité : « La Cour des comptes a une mission d'assistance au Parlement et la démocratie impose que le contrôleur soit parfois contrôlé. »

En ce sens, le projet de performance qui nous est présenté, ne répond pas à toutes nos interrogations. Quel est l'impact, par exemple, du maintien au-delà de la limite d'âge de soixante-cinq ans d'une catégorie de hauts fonctionnaires dont le coût moyen annuel pour l'État est de 133 976 euros ? Un rapport de la Cour elle-même sur les retraites des fonctionnaires, publié au moment de la réforme de M. Fillon, ne prônait-il pas la plus grande rigueur dans la gestion des pensions des agents de l'administration ?

Par ailleurs, la représentation nationale peut-elle obtenir un bilan détaillé du nombre de détachements et des mises en disponibilité de magistrats, ainsi que des précisions sur les fonctions occupées ? L'interrogation est d'autant plus légitime que la Cour des comptes, dans un autre rapport, s'est plu à recenser le nombre d'enseignants qui n'enseignent pas,…

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Vaxès.

M. Michel Vaxès. Je termine, monsieur le président.

…agrégeant des heures en équivalent temps plein pour faire apparaître, plutôt qu’un manque de postes, comme le dénoncent les syndicats, une prétendue mauvaise gestion des effectifs.

J’attends, monsieur le ministre, votre réponse, tout en vous remerciant, monsieur le président, de votre mansuétude.

M. le président. Une mansuétude qu’il ne faudrait pas trop mettre à l’épreuve, surtout après une longue séance de nuit !

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. S’agissant, monsieur le député, de l'autonomie financière de la Cour des comptes, la LOLF lui a confié, ainsi que je l’ai déjà indiqué à la tribune, deux nouvelles missions d'assistance au Parlement qu'elle doit remplir en veillant à rester à équidistance entre le Parlement et le Gouvernement, ainsi que le Conseil constitutionnel l’a réaffirmé dans sa décision du 25 juillet 2001.

Quant aux positions administratives des magistrats, personne ne contestera le fait que la Cour est une institution exemplaire en matière de transparence. Chaque année, elle joint à son rapport annuel un fascicule dont les tableaux détaillés retracent, pour l'ensemble des activités des juridictions financières, l'évolution des effectifs et leurs coûts, avec des indications précises sur les primes versées, ce qui, reconnaissez-le, est assez rare. Je citerai à cet égard quelques chiffres.

Environ 40 % des magistrats de la Cour des comptes et 20 % des magistrats des chambres régionales des comptes exercent des fonctions à l'extérieur des juridictions financières. Ils sont placés, en fonction de leur établissement d'accueil, dans la position administrative qui convient le mieux à leur situation, conformément au statut général de la fonction publique.

Plus précisément, les magistrats de la Cour et des chambres régionales des comptes se répartissent de la manière suivante : 478 magistrats sont en position d’activité dans les juridictions ; 171 magistrats sont en détachement, soit en administration centrale, soit dans un établissement public – cette position permet de développer une double carrière, pour une durée d’un à cinq ans renouvelables – ; 12 magistrats sont mis à disposition, la Cour continuant à les rémunérer – cette position est en général réservée aux fonctions exercées dans les cabinets ministériels – ; 60 magistrats sont en disponibilité pour convenances personnelles ou pour exercer des activités dans le secteur privé – cette position est limitée à douze ans et la carrière est interrompue, vous le savez, pendant cette période – ; enfin, 8 magistrats sont placés en position hors cadre pour exercer des fonctions dans le secteur public, leur carrière étant alors également interrompue – cette position peut être choisie car elle est parfois plus avantageuse que le détachement.

Conseil et contrôle de l’État

M. le président. J’appelle les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l’État » inscrits à l’état B.

État B

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 614.

La parole est à M. René Dosière, pour le soutenir.

M. René Dosière. En prévoyant de diminuer les crédits du Conseil d’État de 230 000 euros, cet amendement est en quelque sorte une application pratique de la LOLF. En effet, en réponse à l’une de mes questions écrites, le ministre de la justice m’a indiqué que des magistrats du Conseil d’État étaient mis à disposition de la Présidence de la République, pour la somme de 230 000 euros. Or la Présidence de la République dispose de son propre budget. Il me semble cohérent, dans le cadre de l’application de la LOLF, que cette dépense soit soustraite du budget du Conseil d’État pour figurer dans le budget de la Présidence de la République.

Malheureusement, je ne peux pas proposer le transfert d’une mission à une autre : je ne peux que demander une diminution du budget du Conseil d’État, en souhaitant que, ultérieurement, le Gouvernement fasse virer cette somme à la mission « Pouvoirs publics ».

Ma démarche s’inscrit tout à fait dans la logique défendue ici même par le ministre de l’éducation nationale lundi soir quand il indiquait qu’il allait, pour satisfaire aux nouvelles exigences de la LOLF, supprimer les mises à disposition de personnels dans des associations périscolaires pour les remplacer par une subvention versée aux associations.

Le procédé est nouveau. Auparavant, nous ne pouvions pas opérer de tels transferts. Maintenant, non seulement nous pouvons mais nous devons le faire. Vous évoquiez tout à l’heure, monsieur le ministre, la nécessité d’améliorer un peu les choses. Voilà une des voies qu’il faut explorer.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. La commission n’a pas examiné l’amendement.

Sur le fond, je n’y suis pas hostile, à titre personnel, car il est cohérent avec les développements de mon rapport sur les crédits de la Présidence de la République mais, sur la forme, il ne me satisfait pas totalement parce qu’il est partiel.

M. Guy Geoffroy. Partial surtout !

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. En outre, il donne, ou pourrait donner l’impression que l’on stigmatise le Conseil d’État alors que c’est plutôt la Présidence de la République qui, en l’espèce, manque à l’exigence de transparence.

M. Guy Geoffroy. Ben voyons !

M. Richard Cazenave. Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ? Que n’avez-vous demandé la même chose à Mitterrand ?

M. Mansour Kamardine. La Présidence n’est pas une association parapublique quand même !

M. Richard Cazenave. C’est un fantasme ! Quel manque de pudeur !

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. Et je sais bien, comme M. René Dosière, que nous n’avons pas, en tant que parlementaires, la faculté de transférer des crédits d’une mission à l’autre.

Bref, la question est ouverte.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Nous sommes là dans le cadre de l’idée fixe de M. Dosière. Le Gouvernement est naturellement défavorable à l’amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 614.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

(Les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État » sont adoptés.)

M. le président. Nous en venons à un amendement portant article additionnel après l’article 75.

Après l’article 75

M. le président. Pour soutenir cet amendement, n° 652, la parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Le Gouvernement propose d’adapter le dispositif de l’indemnité mensuelle de technicité, instituée par l’article 126 de la loi de finances pour 1990, à la nouvelle structure budgétaire liée à la LOLF et à l’autonomie nouvelle des juridictions financières.

Cette indemnité, qui est identique pour tous les agents du ministère de l’économie et des finances, bénéficiait également, jusqu’à présent, aux magistrats et aux personnels des juridictions financières au titre du rattachement de celles-ci au ministère des finances.

À la suite de l’autonomisation de la Cour des comptes et des juridictions financières par rapport au ministère de l’économie et des finances, il est indispensable de prévoir expressément que l’indemnité mensuelle de technicité, au demeurant modeste, continuera d’être versée aux magistrats et aux personnels des juridictions financières.

M. le président. L’avis de la commission des finances sera sans doute favorable…

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. La commission n’a pas examiné cet amendement, mais je tiens à dire publiquement que je sais gré au premier président, Philippe Séguin, d’avoir personnellement averti en amont le rapporteur du dépôt de cet amendement, qui aurait mérité, du fait de son importance, d’être étudié avant son arrivée en séance.

Cela étant, je ne vois pas de raison qui pourrait m’amener à émettre un avis défavorable.

M. le président. C’est bien ce qu’il me semblait !

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. Permettez-moi simplement de noter, sans malice, que cet amendement est rendu nécessaire par le fait que la Cour des comptes, qui elle-même souhaitait « s’émanciper » du ministère des finances, n’avait peut-être pas pleinement mesuré tout ce qui lui en coûterait. Donc, si je comprends parfaitement la volonté du Gouvernement exprimée par cet amendement, j’aurais aimé connaître le coût global que celui-ci représente.

M. le président. C’est vrai que l’émancipation a un coût.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Je transmettrai le chiffre exact à la commission. En tout état de cause, c’est epsilon.

M. le président. Un gros epsilon, alors !

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. Oui, un gros epsilon.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 652.

(L'amendement est adopté.)

Pouvoirs publics

M. le président. J’appelle les crédits de la mission « Pouvoirs publics » inscrits à l’état B.

État B

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, n°s 615 et 616.

Accepteriez-vous de les défendre en même temps, monsieur René Dosière ?

M. René Dosière. Volontiers, monsieur le président.

M. le président. Vous avez la parole.

M. René Dosière. L’amendement n° 615 prévoit une diminution des crédits du Conseil constitutionnel. Je me réjouis que le Conseil constitutionnel fasse la plus grande transparence sur son budget. Cela démontre, monsieur le ministre, que la transparence peut se conjuguer avec l’autonomie financière, et c’est ce que nous souhaitons.

Dans le même temps, le Conseil constitutionnel nous dit que ses dépenses ont augmenté notamment par suite d’un accroissement des rémunérations « du fait de l’arrivée d’un nouveau membre rémunéré à temps plein ». Compte tenu de la non-présence dudit membre lors des réunions du Conseil constitutionnel, il serait judicieux et de bonne gestion des deniers publics, me semble-t-il, que la somme afférente soit soustraite du montant du budget du Conseil.

J’ajoute que ceci permettrait au Conseil de mener une réflexion sur le statut et les rémunérations des membres du Conseil, en particulier les membres de droit – sur le point de savoir, par exemple, à quel moment ils peuvent bénéficier d’une rémunération et dans quelles conditions.

Mon second amendement, n° 616, vise à augmenter les crédits de la Présidence de la République, ce qui démontre, monsieur Geoffroy, que je n’ai pas du tout le souci de diminuer les pouvoirs du Président de la République, mais, au contraire, le souci de renforcer son autorité.

Je me suis en effet aperçu que le Président de la République était le seul personnage public dont la rémunération n’était pas fixée par la loi. L’un de ses prédécesseur avait décidé, et l’actuel Président a continué, de fixer lui-même sa rémunération. Or celle-ci est deux fois inférieure à celle d’un secrétaire d’État. Ce n’est pas très convenable.

M. Guy Geoffroy. Voilà qui est très émouvant !

M. René Dosière. Par conséquent, je souhaite que le Gouvernement prenne les dispositions pour augmenter la rémunération du Président de la République. Qui dit augmentation de la rémunération du Président de la République dit augmentation du budget de la Présidence. Je propose donc – dans le cadre d’une même mission, je peux en effet demander un tel transfert – que l’augmentation de la rémunération du Président de la République soit compensée par une diminution des crédits correspondant au traitement du membre de droit du Conseil constitutionnel qui ne siège pas à ce conseil.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les deux amendements en discussion ?

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. J’ai indiqué dans la présentation de mon travail de rapporteur spécial, mais mon collègue et ami René Dosière n’était pas encore arrivé, que nous pouvions nous laisser un an pour voir comment les choses qui ne sont pas tout à fait au point, ce qui est normal pour une première application de la loi, évolueraient.

Les deux amendements n’ont pas été examinés par la commission. À titre personnel, je partage, sur le fond, l’analyse de René Dosière.

S’agissant de l’amendement n° 615, je précise toutefois que, comme je l’ai écrit dans mon rapport, le Conseil constitutionnel nous a dûment informés, en toute transparence, de la situation évoquée par M. Dosière. Je pense qu’il peut y remédier lui-même. Et les questions, parfois un peu vives, que nous lui posons peuvent l’y aider. Une réduction des crédits pour l’an prochain risquerait de crisper les choses alors que l’affaire requiert, à mon avis, une bonne dose de diplomatie, comme je le soulignais en début de séance.

Sur l’amendement n° 616, je partage l’avis de M. Dosière : je trouve incongru de laisser le Président de la République fixer à lui-même son propre traitement, en puisant dans sa cassette en quelque sorte.

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Le Président de la République n’a pas de cassette !

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. Justement, l’image est mauvaise.

M. Guy Geoffroy. Alors, il ne faut pas l’utiliser !

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. Et elle le restera tant que ce problème ne sera pas réglé. Cela étant, je ne suis pas certain de vouloir afficher une augmentation de crédits de la Présidence spécifiquement consacrée au Chef de l’État. Sans compter que, là encore, je ne veux pas brusquer le Conseil constitutionnel en diminuant son budget.

Telle est la position personnelle, nuancée, du rapporteur spécial.

M. Richard Cazenave. C’est très émouvant !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Les digressions de M. Dosière sont aussi nébuleuses que contradictoires. Le Gouvernement ne peut être que défavorable à ses amendements.

M. René Dosière. Mon propos n’avait rien de nébuleux : tout le monde m’a compris.

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Je veux simplement exprimer toute l’émotion que nous éprouvons ici sur ces bancs en entendant le vibrant plaidoyer de nos collègues socialistes en faveur de la Présidence de la République. Mais ce plaidoyer serait bien plus crédible si M. Dosière, au lieu d’être aveuglé par sa volonté de nuire, était allé jusqu’au bout de sa logique et avait proposé d’inscrire en faveur de la Présidence de la République les 230 000 euros que tout à l’heure il voulait soustraire au budget du Conseil d’État, au motif que ces crédits correspondaient à des personnels mis à disposition de la Présidence. Il ne l’a pas fait. C’est un peu dommage.

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Monsieur Geoffroy, si je n’ai pas proposé d’inscrire ces 230 000 euros au budget de la Présidence de la République, c’est – je l’ai dit tout à l’heure, mais peut-être étiez-vous distrait – qu’un parlementaire ne peut pas, dans le cadre de la LOLF, transférer de crédits d’une mission à une autre. Seul le Gouvernement en a le pouvoir, et c’est donc ce que je lui ai suggéré de faire.

En revanche, nous pouvons, au sein d’une même mission ou d’un même programme, opérer des transferts.

Je suis tout à fait partisan de l’application de la LOLF aux crédits des pouvoirs publics.

M. Guy Geoffroy. Vous aurez un bon point !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 615.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Depuis quand le Président de la République fixe-t-il sa rémunération ?

M. René Dosière. J’ai posé la question au Premier ministre, qui m’a répondu que c’était « traditionnel ».

M. le président. Oui, sous la IIIe et la IVe République…

M. René Dosière. Mais sous la Ve République, le rôle du Président est légèrement différent de celui qu’il avait sous la IIIe République.

M. le président. Sous la IIIe République après 1914, car les lois constitutionnelles de 1875 donnent au Président de la République beaucoup de pouvoirs…

M. René Dosière. On ne sait pas, malgré tout, depuis quand le Président fixe lui-même ses crédits.

M. le président. Mais ce n’est pas une règle nouvelle, c’est ce que je voulais faire préciser. Elle est aussi ancienne que la République, puisque je crois même savoir, monsieur Dosière, que Louis-Napoléon Bonaparte, président de la IIe République…

M. René Dosière. C’est le Parlement qui fixait sa rémunération.

M. le président. Oui, mais sans entrer dans le détail...

M. René Dosière. Ce qui n’a pas manqué de susciter des conflits entre le Président et la représentation nationale !

M. le président. Certes, cela a créé quelques difficultés, mais pas longtemps, puisque dès 1851 il n’y eut plus de Président de la République.

Je mets aux voix l’amendement n° 616.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les crédits de la mission « Pouvoirs publics ».

(Les crédits de la mission « Pouvoirs publics » sont adoptés.)

M. le président. Nous en venons à un amendement portant article additionnel après l’article 80.

Après l’article 80

M. le président. Pour soutenir cet amendement, n° 601, la parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Il s’agit de la traduction de ce que j’ai souligné tout à l’heure.

L’Assemblée nationale a souhaité il y a deux ans qu’à l’occasion de la présentation des crédits des pouvoirs publics il y ait une annexe explicative, ce qu’on appelle un « jaune ». Or, nous constatons que, à la différence du Conseil constitutionnel, qui donne toutes les explications, et des assemblées parlementaires, qui en fournissent davantage encore, le seul pouvoir public à ne pas fournir d’explications détaillées, c’est la Présidence de la République. J’exprime donc le vœu que l’Assemblée nationale exprime son souhait d’une plus grande transparence, ce qui ne remet aucunement en cause l’autonomie financière dont dispose la Présidence de la République.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. La commission n’a pas examiné cet amendement.

Dans mon rapport général et dans mon intervention liminaire, j’ai émis le souhait qu’il y ait un « jaune » concernant cette mission. À titre personnel, je donne donc un avis favorable sur cet amendement, qui permettrait un minimum de transparence.

Je veux croire que la Présidence de la République ne restera pas sourde au souhait respectueusement formulé par la représentation nationale de disposer d’informations élémentaires sur l’utilisation des deniers publics par le Chef de l’État et ses services.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Avis défavorable. Je renvoie M. Dosière à la décision du Conseil constitutionnel du 27 décembre 2001. Cela me paraît largement suffisant.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 601.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Nous avons terminé l’examen des crédits relatifs au conseil et au contrôle de l’État et aux pouvoirs publics.

Je vais suspendre la séance pour quelques instants.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures cinquante, est reprise à onze heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Outre-mer

M. le président. Nous abordons l’examen des crédits relatifs à l’outre-mer.

La parole est à M. Alain Rodet, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

M. Alain Rodet, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’outre-mer, chers collègues, au moment où nous entamons l’examen des crédits de l’outre-mer pour 2006, nous revient en mémoire la tragédie qui, cet été, a frappé les Antilles. Le 16 août dernier, cent cinquante-deux de nos compatriotes martiniquais périssaient dans un accident d’avion survenu au Venezuela. L’hommage national rendu aux victimes de cette catastrophe aérienne, auquel nous nous sommes tous associés, témoigne de l’attachement de la France à l’égard de l’outre-mer.

Cette année, la présentation des crédits de l’outre-mer s’opère par le regroupement des fascicules des DOM et des TOM, et selon les règles introduites par la loi organique relative aux lois de finances. Cette dernière fait désormais apparaître la mission « Outre-mer » d’une façon globale. Qu’il nous soit permis ici de saluer et de remercier notre collègue Victor Brial, élu de Wallis-et-Futuna, qui, jusqu’à l’an dernier, rapportait les crédits des TOM et qui nous a fait profiter utilement de son expérience, notamment lors de l’examen des crédits en commission, le 25 octobre dernier. Cette nuit encore, il a pris la parole sur plusieurs dispositions fiscales intéressant l’outre-mer.

Le projet de loi de finances pour 2006 prévoit un budget de 1,898 milliard d’euros pour l’outre-mer, contre 1,706 milliard en 2005. Cependant, la lisibilité du budget reste imparfaite. En effet, la présentation des crédits en programmes, compte tenu de l’entrée en vigueur de la LOLF, rend difficiles certaines comparaisons, d’autant que le budget de l’outre-mer inclura en 2006 deux nouveaux types de dotation : 151 millions d’euros provenant du budget des charges communes au titre de l’aide à la reconversion de l’économie polynésienne et 57,27 millions d’euros provenant du budget de la santé au titre des prestations de sécurité sociale. En réalité, à périmètre constant, les dotations du budget de l’outre-mer s’établissent à 1,690 milliard d’euros, soit un repli en euros courants de 0,9 %.

Il convient bien entendu de rappeler que le budget du ministère ne retrace qu’une partie de l’effort financier de la nation pour l’outre-mer. Tous les ministères participent, dans leurs secteurs d’activités respectifs, à la mise en œuvre de la politique de l’État dans les départements et territoires ultramarins et, si l’on récapitule l’ensemble de cet effort financier, on peut évaluer la contribution globale de l’État à environ 11 milliards d’euros.

Géographiquement plus exposé et donc plus dépendant que les régions métropolitaines de l’environnement international, l’outre-mer a pu bénéficier partiellement de la bonne tenue du taux de croissance de l’économie mondiale, qui s’est affichée, en 2004 et en 2005, largement au-dessus de celui observé dans la zone euro. Pour autant, l’importance des besoins, la réalité des retards et des difficultés n’autorise aucune pause dans l’effort en direction des départements et territoires d’outre-mer.

La mission « Outre-mer » comporte désormais trois grands programmes : « Emploi outre-mer », « Conditions de vie outre-mer » et « Intégration et valorisation de l’outre-mer ».

Le programme « Emploi outre-mer » représente 1,109 milliard d’euros, soit 58 % des crédits de la mission. Les exonérations de cotisations sociales représentent plus de 700 millions d’euros et les contributions du FEDOM environ 400 millions. Encore que, en ce qui concerne ce fonds pour l’emploi dans les départements d’outre-mer, le système des changements de périmètre, des gels et des régulations ne nous permette pas toujours d’y voir aussi clair que nous le souhaiterions.

On peut néanmoins considérer que 12,3 millions d’euros sont affectés au projet « initiative jeune », que 19,6 millions correspondent aux frais du service militaire adapté – fonctionnement et transport – et que les dépenses d’équipement et d’infrastructure s’établissent à 8,9 millions d’euros. Par ailleurs, une dotation de 8,17 millions d’euros est prévue pour l’Agence nationale pour l’insertion et la promotion des travailleurs d’outre-mer, au titre de ses charges de service public. Actuellement, un peu plus de 203 000 salariés de l’outre-mer sont concernés par les exonérations de cotisations sociales, selon les dernières évaluations opérées par l’ACOSS, l’agence centrale des organismes de sécurité sociale.

Le contrat d’accès à l’emploi comprend deux volets, l’un pour le secteur marchand et l’autre pour le secteur non-marchand. Le premier représente un peu plus de 4 millions d’euros. Quant au second, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2006, il sera doté à hauteur de 28,16 millions d’euros et remplacera les CEC, les contrats emploi consolidé, et les CES, les contrats emploi-solidarité. Les contrats actuellement en cours qui se poursuivront en 2006 sont dotés respectivement de 29,76 millions d’euros et de 18,56 millions. Le soutien à l’emploi des jeunes diplômés sera financé à hauteur de 1,22 million d’euros et les dotations de l’allocation de retour à l’activité destinées aux bénéficiaires de minima sociaux atteindront 5,8 millions d’euros.

Les chantiers de développement local seront financés à hauteur de 7,98 millions d’euros. Les aides à la qualification professionnelle représenteront 7,15 millions pour le volet « mobilité » du projet « initiative jeune » et 6,1 millions d’euros pour le financement des programmes de formation professionnelle.

Le programme « Conditions de vie outre-mer » regroupe d’abord les crédits de paiement de l’action « Logement », pour 173 millions d’euros. Les rapporteurs pour avis reviendront sans doute sur cette question récurrente et difficile à traiter. L’exécution des crédits n’est pas complètement satisfaisante. Par ailleurs, les besoins dépassent très largement les dotations prévues et des problèmes délicats restent posés. En effet, la densité démographique rend difficile, dans certains territoires, l’établissement de programmes et la question foncière, pour laquelle des progrès devraient être enregistrés à l’avenir, se pose toujours.

Le programme prévoit ensuite 93,6 millions d’euros au titre de l’aménagement du territoire et 52,6 millions au titre de la continuité territoriale. Enfin, 16,8 millions d’euros devraient permettre de financer le passeport mobilité.

Deux dotations précédemment inscrites au budget de la santé figurent dans ce programme : une allocation aux personnes âgées pour Wallis-et-Futuna, à hauteur de 0,23 million d’euros, et des dispositifs de protection sociale pour la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie, Mayotte et Wallis-et-Futuna, à hauteur de 31,1 millions.

Le financement par l’État de la majoration du plafond de la CMU complémentaire représente 30,9 millions d’euros pour 2006. Les dotations des services de santé à certaines collectivités seront créditées à hauteur de 25,3 millions d’euros. Les activités culturelles, sociales et de jeunesse en faveur l’outre-mer seront dotées de 3 millions d’euros.

Le programme « Valorisation de l’outre-mer » regroupe principalement les dotations versées aux collectivités locales, qui représentent 75 % des crédits. Cette année encore se pose la question de la gestion du FIDOM, les comparaisons étant toujours difficiles à établir d’une année sur l’autre, tant les mesures de régulation qui l’affectent obscurcissent certaines comparaisons.

Pour Mayotte, un peu plus de 14 millions d’euros financeront divers équipements communaux, ainsi que la réforme de l’état civil. En Polynésie française, le fonds intercommunal de péréquation sera doté de 8,4 millions d’euros et la dotation globale de développement économique sera stable, s’établissant à 151 millions d’euros. Je signale enfin 5 millions représentant la subvention d’équilibre destinée à Wallis-et-Futuna et un peu plus de 5 millions d’euros pour la subvention de fonctionnement destinée aux Terres australes et antarctiques françaises.

En ce qui concerne la dépense fiscale outre-mer, la durée de validité du dispositif de défiscalisation a été portée de cinq à quinze ans, soit jusqu'au 31 décembre 2017. En outre, l'éligibilité des investissements à la défiscalisation est devenue la règle quasi générale.

S'agissant des concours communautaires, les quatre DOM sont éligibles à l'objectif 1 de la politique structurelle communautaire. La programmation des crédits au titre du DOCUP pour la période 2000-2006 représente un total de 7,28 milliards d'euros : la Réunion recevra 2,880 milliards d’euros, la Guadeloupe un peu moins de 2 milliards d’euros, la Martinique 1,680 milliard d’euros et la Guyane 730 millions d’euros.

Si la France doit consentir un effort en faveur de ses départements et territoires ultramarins, il paraît aujourd'hui indispensable de disposer d'une véritable politique d'évaluation de celui-ci. Certes, la tâche n'est pas aisée, car l'accumulation des textes législatifs – loi d'orientation, puis loi de programme –, les changements de périmètres successifs du budget lui-même et la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances rendent très difficile l'instauration d'un système de mesure pérenne pour veiller à la corrélation des objectifs et des moyens et apprécier ainsi la réelle efficacité des différents dispositifs retenus pour déployer les crédits sur le terrain. De la même façon, la multiplication des cibles et des procédures, notamment dans le domaine de l'emploi, alourdit singulièrement la gestion des actions, gênant bien souvent l'engagement des crédits.

Lors de l'examen du budget de l’outre-mer par la commission des finances le 25 octobre dernier, plusieurs députés ont souhaité que cet effort indispensable d'évaluation concerne en priorité les dispositions d'exonération des cotisations patronales de sécurité sociale. Une telle évaluation est cependant rendue malaisée par les articles 61 et 73 du projet de loi de finances.

À l’issue de la discussion, au cours de laquelle ont été abordées notamment les questions de l'emploi, du logement et du coût des transports aériens, votre rapporteur s'en est remis à la sagesse de la commission, laquelle a adopté ces crédits.

M. le président. La parole est à M. Joël Beaugendre, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Joël Beaugendre, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'année 2006 est celle de l'application pleine et entière de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, qui se traduit notamment par une refonte de la nomenclature budgétaire et par le passage d'une présentation des dépenses par nature et par fonction à une présentation par mission et par programme.

Ainsi, les crédits autrefois inscrits au budget du ministère de l'outre-mer font désormais l'objet d'une mission « Outre-mer », qui comporte trois programmes : « emploi outre-mer », « conditions de vie outre-mer », « intégration et valorisation de l’outre-mer ». Les crédits de cette mission s'élèvent à près d'1,9 milliards d'euros de crédits de paiement, contre 1,7 milliard en 2005.

Depuis quelques années, le ministère a été conforté dans son rôle d'acteur central du pilotage des politiques publiques outre-mer. L'an passé, 668 millions d'euros ont ainsi été transférés du ministère de l'emploi au ministère de l'outre-mer, afin de compenser les exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale. Cet effort se poursuit cette année, avec le transfert de 151 millions d'euros de crédits de paiement, inscrits jusque-là au budget des charges communes, consacrés à la dotation globale de développement économique de la Polynésie française et de 57 millions d'euros, gérés jusqu'alors par le ministère de la santé et destinés à financer diverses actions de santé et de protection sociale spécifiques à l'outre-mer.

Cependant, la mission ne retrace pas la totalité de l'effort budgétaire en faveur de l’outre-mer, qui, pour 2006, atteint tous ministères confondus 11 milliards d'euros, soit une hausse de 10 % par rapport à 2005. Afin d'en garantir la lisibilité, un document de politique transversale est établi, qui coordonne l'ensemble des politiques menées outre-mer, quel que soit le ministère sur le budget duquel ces crédits sont inscrits. Toutefois, monsieur le ministre, la qualité de ce document paraît très largement perfectible et je compte sur votre ministère, chef de file en la matière, pour nous remettre, l'an prochain, des éléments plus exhaustifs.

S'agissant de la mission « Outre-mer » au sens strict, les dépenses d'intervention et d'investissement représentent 88 % du total des crédits, ce qui atteste d'une mobilisation des moyens en faveur des politiques opérationnelles. Les priorités du ministère concernent essentiellement l'emploi et le logement.

Les crédits du programme « Emploi outre-mer » représentent près de 60 % du total des crédits de la mission. L'enjeu est de taille, dans la mesure où le taux de chômage ultramarin atteint des niveaux bien plus élevés qu'en métropole. De nombreux dispositifs contribuent à favoriser l'accès ou le retour à l'emploi des populations ultramarines, en particulier ceux prévus dans le cadre de la loi de programme pour l'outre-mer du 21 juillet 2003. Ces dispositifs produisent des résultats positifs puisque, fin juillet 2005, le taux global de chômage dans les départements d'outre-mer avait diminué de 3,2 % par rapport à l'année précédente, contre seulement 0,8 % en métropole.

La politique de l'emploi outre-mer repose en particulier sur deux orientations complémentaires. L'une consiste en une action structurelle sur le marché du travail, afin de créer des conditions favorables à la création d'emploi dans le secteur marchand ; l'autre repose sur une action conjoncturelle tendant à permettre l'accès ou le retour à l'emploi de publics prioritaires.

Ainsi, 687 millions d'euros seront consacrés aux mesures d'allégement du coût du travail et à celles destinées à favoriser le dialogue social, tandis que 421,6 millions d'euros financeront les mesures d'insertion et les aides directes à l'emploi, en particulier le service militaire adapté. Celui-ci permet aux jeunes ultramarins de recevoir une formation professionnelle dans un cadre militaire. Il s'adresse essentiellement aux jeunes en situation d'échec scolaire, dont la formation professionnelle doit souvent être accompagnée d’une action d’éducation et de resocialisation. Les résultats extrêmement positifs du SMA – le taux d'insertion des jeunes volontaires était proche de 70 % en 2004 – ont conduit le Gouvernement à annoncer son extension à la métropole. Dans le contexte de tensions que nous avons connu ces quinze derniers jours, cette extension revêt une dimension symbolique importante, dans la mesure où elle s'inspire des expériences innovantes et des réussites dont l’outre-mer peut faire bénéficier l'ensemble de la collectivité nationale.

M. François Baroin, ministre de l’outre-mer. Très bien !

M. Joël Beaugendre, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Le second axe prioritaire de l'action du ministère concerne le logement. Dans ce domaine, l'outre-mer est confrontée à des contraintes lourdes et spécifiques, dues à la rareté du foncier, à une croissance démographique quatre fois plus élevée qu'en métropole et au bas niveau du revenu moyen. Il importe pourtant d'offrir un logement décent et sûr aux populations ultramarines, en particulier aux catégories les plus modestes.

Depuis 1994, l'effort en matière de construction et d'amélioration de logements a permis de programmer chaque année la réalisation de 11 000 à 12 000 unités nouvelles ou réhabilitées dans les DOM et à Mayotte. L'effort budgétaire en faveur du logement est stabilisé en 2006, avec 173 millions d'euros de crédits de paiement.

Par ailleurs, j’attache une attention toute particulière aux mécanismes tendant à favoriser la mobilité des ultramarins, auxquels ce budget consacre 52,57 millions d'euros, parmi lesquels 31 millions d'euros financeront en particulier la dotation de continuité territoriale, créée par la loi de programme pour l'outre-mer. Elle consiste en un versement d'une dotation annuelle de l'État à chaque collectivité de l'outre-mer et permet à celles-ci d'accorder à leurs résidents une aide forfaitaire pour effectuer un voyage annuel aller et retour entre chacune d'entre elles et la métropole. Cette dotation sera financée à hauteur de 30 millions d'euros par une partie du produit de la taxe d'aviation civile acquittée par les compagnies aériennes.

La rapporteure pour avis des crédits du transport aérien s'est émue de cette situation dans son rapport, estimant qu’ « il s'agit de dépenses de solidarité nationale, qui ne doivent pas peser uniquement sur les compagnies aériennes ». J’estime au contraire que les tarifs pratiqués sur les vols à destination de l’outre-mer ne rendent pas illégitime une mise à contribution spécifique de ces compagnies.

Cette dotation de continuité territoriale est complétée par des mesures spécifiques destinées aux jeunes, c'est-à-dire le passeport mobilité, qui a concerné plus de 15 000 jeunes en 2004, assorti du passeport logement, dispositif expérimental d'accompagnement des bénéficiaires du passeport mobilité dans leur accès au logement.

Enfin, l’ensemble des compagnies aériennes assurant la desserte métropole-DOM sont soumises, ainsi que le permettent deux règlements communautaires de 1992, à des obligations de service public dont je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous dressiez un rapide état des lieux, en particulier s’agissant de leur dimension tarifaire.

Indépendamment de ces aspects strictement budgétaires, il me paraît essentiel d'attirer l'attention de notre assemblée sur plusieurs problèmes qui, certes, ne concernent pas uniquement l’outre-mer, mais qui s'y posent de manière singulière et appellent de ce fait des solutions spécifiques.

Je mentionnerai en premier lieu l'immigration clandestine. Les collectivités ultramarines constituent souvent des enclaves de prospérité relative dans un environnement immédiat marqué par de graves retards de développement, voire une situation politique durablement instable. Ils exercent donc une attraction puissante sur des populations pour lesquelles l'immigration constitue l'unique espoir de meilleures conditions de vie. Pour autant, les équilibres économiques et sociaux des collectivités ultramarines sont fragiles, et la source de déstabilisation que constitue une immigration massive et incontrôlée ne doit pas être mésestimée.

On ne peut, par ailleurs, rester insensible aux drames humains que génère cette immigration, exploitée par des réseaux criminels sans scrupule. Mayotte est tout particulièrement exposée aux conséquences de l'immigration clandestine…

M. Mansour Kamardine. C’est exact !

M. Joël Beaugendre, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. …et on estime à près de 30 % la part des étrangers en situation irrégulière dans la population mahoraise. C'est la raison pour laquelle on doit se féliciter de la création par la commission des lois d'une mission d'information sur cette question, qui doit permettre d'apprécier l'efficacité des dispositifs actuels et proposer des adaptations afin de faire face à cette situation exceptionnelle. J’ajoute que la Guadeloupe et la Guyane sont confrontées à des difficultés comparables. J'ai d'ailleurs déposé, avec Mme Gabrielle Louis-Carabin, une proposition de loi relative au renforcement du dispositif de contrôle des flux migratoires en Guadeloupe.

Les mesures techniques et opérationnelles présentées par le ministre de l’outre-mer au comité interministériel de contrôle de l'immigration du 27 juillet dernier, constituent des avancées, mais j'estime que, le moment venu, la possibilité d'appliquer ailleurs qu'à Mayotte les futures conclusions de la mission d'information de la commission des lois devra être examinée.

Le second sujet sur lequel nous devons nous montrer vigilants concerne les secteurs de la banane et du sucre, absolument vitaux pour l’économie de la Guadeloupe et de la Martinique. S’agissant de la réforme de l’OCM sucre, les avancées obtenues pour les DOM sont significatives, même si le montant cumulé des aides à l’écoulement et de la compensation pour baisse des prix laisse apparaître un manque à gagner de 20 millions d’euros par an à partir de 2009. La réforme de l’OCM banane, notamment les conditions du passage à un système uniquement tarifaire au 1er janvier 2006, soulève quant à elle de vives inquiétudes. Après le rejet d’une première proposition de tarif de la Commission européenne, un second arbitrage de l’OMC a été rendu le 27 octobre 2005 et a conclu que la seconde proposition de la Commission ne permettait pas de maintenir l’accès au marché pour les fournisseurs des pays latino-américains. Tout est donc à recommencer, alors que l’échéance approche.

Tant les professionnels que les élus redoutent que la Commission ne soit pas en mesure d’obtenir la fixation d’un tarif qui permette le maintien du niveau de production communautaire et celui des préférences accordées aux pays ACP.

Or, l’OCM banane a été contestée dès son entrée en vigueur, et les trois recours déposés devant l’OMC ont eu notamment pour effet d’augmenter le contingent des pays tiers – concrètement, les pays latino-américains – et, parallèlement, d’abaisser le niveau des droits de douane applicables. Toutes ces réformes ont entraîné une baisse des prix de marché et ont lourdement pénalisé les producteurs antillais, alors que ceux-ci sont engagés dans une démarche de valorisation de leur production et de développement de modes de cultures plus respectueux de l’environnement.

Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes pleinement mobilisé sur le sujet, ainsi que le M. le ministre de l’agriculture. Il ne faut pas relâcher la pression, et les élus ultramarins sont prêts à vous soutenir autant que vous le jugerez nécessaire.

Enfin, il est un dernier point qui doit être exposé ici, celui du régime fiscal spécifique destiné à soutenir l’emploi et l’investissement dans les DOM. Il s’agit des exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale applicables à certains secteurs, et des réductions d’impôt sur le revenu et d’impôt sur les sociétés appliquées aux contribuables qui investissent outre-mer, dispositions créées ou renforcées dans le cadre de la loi de programme pour l’outre-mer.

Vous n’ignorez pas, monsieur le ministre, l’émoi qu’a suscité la découverte, dans le projet de loi de finances, d’un article 73 plafonnant les exonérations de cotisations de sécurité sociale et d’un article 61 créant un plafond de réduction d’impôt sur le revenu, lequel incluait les réductions d’impôt accordées aux investisseurs précités.

Tant le niveau de chômage dans les DOM que les handicaps structurels de leur économie, notamment l’exiguïté et l’éloignement des marchés locaux, appellent des solutions spécifiques, durables et de grande ampleur.

C’est le message que les élus ultramarins ont cherché à transmettre, quelle que soit leur appartenance politique, ce qui atteste de l’importance des enjeux. On peut d’ailleurs s’étonner que les élus de l’opposition appellent solennellement à préserver un dispositif qu’ils qualifient d’essentiel, alors qu’ils s’étaient opposés non moins solennellement à son adoption en 2003.

Quoi qu’il en soit, le Gouvernement a entendu les élus et a présenté des amendements de suppression des dispositions litigieuses. L’Assemblée nationale a adopté hier soir celui se rapportant à l’article 61. Gageons que l’avis favorable émis par la commission des finances à l’adoption de l’amendement de suppression de l’article 73 convaincra la majorité de nos collègues lors du vote qui doit intervenir prochainement. Je ne vous cache pas la satisfaction que j’éprouve à constater que la sagesse va finalement l’emporter. J’ajoute qu’il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin et je souhaite que les élus soient largement associés à l’évaluation du dispositif de la loi de programme qui doit avoir lieu cette année. Le sous-amendement que j’ai déposé avec certains de mes collègues et qui a été adopté hier soir permettra aux parlementaires de participer aux travaux d’une commission chargée d’assister le Gouvernement dans l’évaluation des défiscalisations prévues par la loi de programme.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments positifs, j’invite notre assemblée, au nom de la commission des affaires économiques, à voter les crédits de la mission « Outre-mer ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Didier Quentin, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Didier Quentin, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la prise en compte des spécificités de l’outre-mer appelle un double effort des pouvoirs publics. Il s’agit d’abord d’un effort institutionnel, car les lois doivent être adaptées aux modes de vie et aux contraintes locales. Il s’agit aussi d’un effort budgétaire, car seule la solidarité nationale permet de surmonter les handicaps particuliers de ces espaces.

Le budget de l’outre-mer pour 2006 répond bien à cette aspiration à la solidarité avec nos compatriotes d’outre-mer en dotant les services de l’État des moyens nécessaires pour soutenir financièrement le développement économique et social des différentes collectivités. En tenant compte des changements de périmètre budgétaire dus cette année à la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances, les crédits de paiement apparaissent globalement stables, à environ 1,9 milliard d’euros, tandis que les autorisations d’engagement progressent de près de 12 %, pour atteindre 2,27 milliards d’euros.

La recherche d’une meilleure maîtrise de la dépense publique, facilitée par la logique plus dynamique de la LOLF, devrait notamment conduire l’an prochain à stabiliser à 13 800 euros le coût moyen de fonctionnement des services de l’État par agent. Cet objectif devrait être facilité par le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux, ainsi que par l’augmentation modérée – plus 1,8 % – de la valeur du point « fonction publique ».

Ces efforts ne remettront évidemment pas en cause le financement prioritaire des principaux instruments du développement ultramarin. Ainsi, alors que le programme « Emploi outre-mer » représente à lui seul près de 60 % du budget de la mission « Outre-mer », les crédits de paiement destinés aux mesures d’insertion et aux aides directes à l’emploi progressent de 2,7 % Surtout, ceux destinés à l’aménagement du territoire et à la continuité territoriale progressent respectivement de 12,2 % et 7,6 %, tandis que l’effort en faveur du logement est reconduit.

Cette mobilisation budgétaire devrait conforter des évolutions déjà encourageantes. Ainsi, votre rapporteur constate que le taux de chômage, même s’il s’élève encore à 22,8 % en moyenne dans les DOM et à Saint-Pierre-et-Miquelon, a diminué de 10,2 % en deux ans et demi. Une dynamique d’insertion par le travail est réellement engagée puisque, parmi les bénéficiaires de contrats aidés, la proportion de chômeurs de longue durée et de bénéficiaires du RMI n’a cessé d’augmenter depuis 2003.

Par ailleurs, l’augmentation de près de 10 % de la dotation de continuité territoriale, ainsi que la hausse de 53 % des crédits de paiement finançant le « passeport mobilité », devraient permettre d’amoindrir les effets économiques de l’éloignement entre la métropole et l’outre-mer. Il me semble que la démarche visant à fluidifier les échanges aériens serait encore confortée, pour une collectivité telle que Mayotte, par la mise en place d’une liaison directe avec la métropole – ce que les nouvelles infrastructures au sol permettent désormais.

S’agissant des questions de sécurité et de justice, l’étude des résultats obtenus depuis plusieurs années et des engagements pris pour l’avenir montre également que les efforts du Gouvernement pour faire respecter la loi outre-mer portent leurs fruits.

Certes, les résultats en matière d’insécurité ne sont pas encore à la hauteur des attentes, même si l’indice moyen de criminalité – 5,8 % – reste moins élevé qu’en métropole – 6,4 %. En revanche, ceux qui concernent la lutte contre l’immigration clandestine et le trafic de produits stupéfiants s’améliorent. Depuis 2002, le nombre de reconduites à la frontière augmente chaque année aux Antilles et à Mayotte ; de même, les saisies de cocaïne et de crack ont nettement progressé aux Antilles.

Comme l’a souligné notre collègue Joël Beaugendre, la maîtrise des flux migratoires demeure un enjeu crucial pour le destin de nos concitoyens d’outre-mer, car des collectivités comme la Guyane ou Mayotte, où les clandestins représentent près du tiers de la population, peuvent être gravement déstabilisées de ce fait ; sans parler de Saint-Martin, où les immigrés sont devenus nettement majoritaires : 12 000 Saint-Martinois pour plus de 20 000 Haïtiens. Je me félicite donc de la création – que vous aviez souhaitée, monsieur le ministre – d’une mission d’information pour étudier ce problème à Mayotte, mission dont j’ai eu l’honneur d’être désigné comme rapporteur.

Par ailleurs, le Gouvernement devra rester vigilant face aux problèmes de blanchiment d’argent, en particulier à Saint-Martin. Enfin, il conviendrait d’accélérer la mise en œuvre du programme de création de 1 600 places de prison outre-mer, prévu dans la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002. En effet, un taux d’occupation moyen supérieur à 130 %, et même à 150 % en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte, ne permet pas d’accueillir correctement les détenus, donc de préparer leur réinsertion.

À cet égard, nous avons entendu avec satisfaction le ministre de la justice annoncer devant la commission des lois la mise en chantier prochaine à la Réunion d’une nouvelle maison d’arrêt de 570 places, attendue depuis si longtemps…

Je voudrais enfin revenir, à l’occasion de l’examen de ce budget, sur l’évolution politique et institutionnelle des départements, régions et collectivités d’outre-mer.

Le nouvel encadrement constitutionnel adopté le 28 mars 2003 dans le cadre de la réforme de la décentralisation permet de prendre en compte plus souplement les aspirations, parfois différentes, des populations d’outre-mer. Mais il appelle aussi, pour des raisons juridiques, une modernisation de certains statuts, comme ceux de Mayotte, où l’effort de rattrapage et d’alignement progressif sur le droit commun métropolitain dans de nombreuses matières devrait permettre d’envisager la départementalisation annoncée pour l’horizon 2010.

M. Mansour Kamardine. Très bien !

M. Didier Quentin, rapporteur pour avis de la commission des lois. Les statuts de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Wallis-et-Futuna ou encore des Terres australes et antarctiques françaises, devront aussi évoluer.

M. Victor Brial. Très bien !

M. Didier Quentin, rapporteur pour avis de la commission des lois. À cet égard, je prends note de votre engagement, monsieur le ministre, de présenter l’an prochain au Parlement un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer.

Ce texte devrait aussi préciser les conditions selon lesquelles la loi nationale peut être localement modifiée à l’initiative des DOM, comme le permet depuis 2003 l’article 73 de la Constitution. Il s’agit là d’une souplesse intéressante. Le législateur national doit toutefois rester libre, en amont, d’accorder ou non les habilitations nécessaires. Il convient de veiller à ce qu’il ne soit jamais porté atteinte à une liberté publique ou à un droit constitutionnellement garanti.

La représentation nationale devra aussi, en aval, évaluer les résultats de l’application des dispositions dérogatoires à la loi nationale adoptées par les DOM.

Par ailleurs, le futur projet de loi pourrait procéder, comme l’ont clairement souhaité les populations consultées, à la création de deux nouvelles collectivités d’outre-mer, pour Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Dans cette hypothèse, il faudra veiller à maintenir une architecture institutionnelle suffisamment simple pour être efficace. Il conviendra aussi de préciser les modalités de la représentation parlementaire des populations des deux nouvelles collectivités. Enfin, en cas d’autonomie fiscale accrue, l’État devra en tout état de cause conserver les moyens de lutter contre le blanchiment d’argent dans ces zones particulièrement exposées.

Votre rapporteur ne juge en revanche pas nécessaire de procéder, à court terme, à une nouvelle modification des statuts de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française.

En effet, ces collectivités, toujours plus autonomes, sont autorisées, respectivement depuis 1999 et 2004, à voter des « lois du pays » dans de nombreuses matières relevant du domaine de la loi. Des compétences très étendues leur ont été attribuées, leur permettant même de conclure des accords internationaux Elles disposent donc déjà des moyens nécessaires pour orienter leur évolution politique. Leur évolution institutionnelle, qui ne fait pas l’objet, localement, d’un consensus politique, devrait donc actuellement être stabilisée.

Les modalités de définition du corps électoral calédonien – corps électoral fixe ou « glissant », comme le prévoit la loi organique du 19 mars 1999 – devraient quant à elles être clarifiées pour éviter tout malentendu.

En conclusion, le budget de l'outre-mer pour 2006 devrait offrir au Gouvernement les moyens d'aider davantage les populations ultramarines à retrouver le chemin de l'emploi, du développement économique et de l'équilibre territorial, et ainsi à valoriser tous leurs atouts.

Parallèlement, les services de l'État seront mobilisés pour garantir à nos compatriotes d'outre-mer une sécurité accrue, une immigration maîtrisée et une justice modernisée tandis que certains statuts juridiquement dépassés seront actualisés.

L'ensemble de ces considérations a conduit la commission des lois à émettre, le 26 octobre dernier, un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer » pour 2006. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, premier orateur inscrit.

M. Victorin Lurel. Je suis le premier artilleur. C’est à moi qu’il revient d’ouvrir le feu ou les hostilités. (Sourires.) Rassurez-vous, monsieur le ministre, mon intervention sera très modérée.

C’est votre premier budget, et c’est donc notre première confrontation. Nous avons tous accueilli votre nomination avec un préjugé favorable. Vous nous inspirez confiance, en effet.

M. Jean-Christophe Lagarde. Aïe ! (Sourires.)

M. le ministre de l’outre-mer. Cela commence mal ! (Sourires.)

M. Victorin Lurel. Nous n’hésitons pas à le dire après ce que nous avons subi. Pour le moment, votre républicanisme est inattaquable, même si vous en avez effrayé plus d’un avec vos déclarations sur le droit du sol. Mais, ce matin, en commission des lois, vous avez précisé le « périmètre » de vos déclarations.

Je dois dire ici, avec mes collègues de la Martinique, que tout l’outre-mer a apprécié, de plus, votre implication personnelle dans la gestion des conséquences du drame qui a touché 152 familles martiniquaises. Je rends, à cet égard, un hommage appuyé au Gouvernement, qui a fait un travail remarquable, et au Président de la République, qui s’est rendu sur place.

Monsieur le ministre, je l’avoue, je n’ai pas vraiment envie de parler de budget. Je préfère avoir une conversation avec vous. Je veux vous dire que l’outre-mer va mal, ce dont vous avez d’ailleurs pris conscience. Hier, des jeunes encagoulés ont ainsi dressé des barrages et tiré sur la police et les sapeurs-pompiers dans le quartier du Carénage, à Pointe-à-Pitre. Peut-être le phénomène des violences urbaines gagne-t-il par contagion l’outre-mer ? Cela rappelle aussi les événements du Chaudron, à la Réunion.

De même, de graves émeutes ont secoué Wallis-et- Futuna. L’État n’a pas pu encore remplir sa mission première : assurer de manière pérenne l’ordre public. Une réflexion, urgente selon moi, doit être engagée pour redéfinir les liens de ce territoire avec la métropole.

Des incidents violents ont également frappé la Nouvelle-Calédonie, comme le rappellera mon collègue Dosière, autour de la question essentielle du nickel. Il faudra préciser les ambitions de Falconbridge dans ses relations ou sa possible fusion avec Inco.

Bercy bloque les dossiers en défiscalisation, et la Guadeloupe en sait quelque chose. Nous comprenons, certes, la nécessité de préempter une part importante de l’enveloppe de défiscalisation pour le dossier de Koniambo. Mais les dossiers sont également bloqués, comme je l’ai dit à M. Copé, pour la réhabilitation et la rénovation hôtelière. Beaucoup reste précisément à faire en la matière. Nous défendons tous ici la loi Girardin. Et nous aimerions donc que ses conséquences soient plus tangibles.

S’agissant de l’immigration, que n’ai-je entendu lorsque j’ai pris l’initiative, avec mon collègue Jacques Gillot, président du conseil général de Guadeloupe, d’organiser un congrès des élus départementaux et régionaux sur cette thématique ! Nous nous sommes fait traiter de racistes. Et nous nous sommes fait aussi « allumer » par nos amis avocats, par la Ligue des droits de l’homme. On peut le comprendre. Cela a été traité sous l’optique républicaine.

Monsieur le ministre, nous attendons toujours, huit mois après vos déclarations, que des mesures effectives soient prises. Certes, le Conseil de contrôle de l’immigration a annoncé un certain nombre de dispositions. M. Sarkozy va très bientôt venir nous annoncer une augmentation du nombre de places du centre de rétention administrative, et c’est très bien. Mais nous demandions carrément la construction d’un deuxième centre, car nous sommes parfois obligés d’utiliser celui de la Martinique.

Nous avons également demandé, sans pour autant rester dans le seul registre répressif, de revoir la logistique. Mais on nous a répondu que les radars ne seraient pas adaptés à la géographie guadeloupéenne, ce dont je doute.

Monsieur le ministre, la région Guadeloupe a fait des propositions à l’État, mais celui-ci, et je le dis sans esprit polémique, est absent. L’inertie administrative est grande, et nous attendons de vous une nouvelle impulsion.

La flambée du prix du gaz à Saint-Pierre-et-Miquelon est dramatique pour les habitants, mais aucune aide exceptionnelle n’a été débloquée, même si, dès votre arrivée, vous avez octroyé une somme, insuffisante, d’un million.

La filière banane connaît, quant à elle, une situation dramatique. La Commission européenne s’apprête à proposer un tarif douanier de 180 euros par tonne de bananes importée. Mais cela est inacceptable, surtout après l’entrée en franchise de droits de 775 000 tonnes de bananes en provenance d’Afrique, cheval de Troie de multinationales américaines, prétendument latino-américaines. Comment ne pas s’inquiéter ?

Il convient également de s’attaquer à la crise du logement que nous connaissons tous, à un titre ou à un autre. Oui, nous attendons une ambition de l’État. Oui, l’outre-mer va mal et tous les acteurs se tournent vers les collectivités locales, qui sont exsangues. Ainsi, les communes de Guyane, pour la plupart, ne peuvent ni épargner, ni emprunter, ni donc investir. Sur les trente-quatre communes que compte la Guadeloupe, seize sont contrôlées par la chambre régionale des comptes. Le gros donneur d’ordre qu’est la région – j’en suis le président – souffre d’un héritage calamiteux, avec un déficit cumulé de 104 millions laissé par Mme Michaux-Chevry. Et que fait le Gouvernement ? Il prélève 49 millions dans le cadre de la réforme de l’octroi de mer présentée par votre prédécesseur ! On avait parlé alors – pardonnez l’outrance du propos – d’un hold-up dans les caisses de la région. La Réunion aura à souffrir des mêmes effets. En outre, il propose la réforme de la taxe professionnelle, qui « limite » le prélèvement à 3,5 % de la valeur ajoutée produite par les entreprises.

Monsieur le ministre, les impôts locaux, en Guadeloupe, rapportent environ 300 millions. Sur cette somme, 151 millions sont affectés aux trente-quatre communes, 102 au département, 9 à la région, 28 à l’État, 20 au fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle et 21 aux quatre chambres consulaires. Quatre millions seulement peuvent aller aux 40 000 entreprises et établissements de Guadeloupe. C’est peu ! Nous avons été obligés d’augmenter dramatiquement les impôts pour pouvoir absorber le lourd déficit laissé par mon prédécesseur, Mme Michaux-Chevry. J’ai donc demandé à l’État, à travers un amendement, une subvention d’équilibre de 40 millions sur deux ans. Selon La Tribune, l’État va récupérer en outre 1,67 million sur le travail des Guadeloupéens, et c’est inacceptable. Nous avons courageusement mené notre action, en regardant les Guadeloupéens droit dans les yeux. Nous leur avons expliqué que nous avions besoin d’eux et qu’ils devaient mettre la main à la poche.

L’outre-mer est en crise, et nous attendons de vous une ambition. En guise d’ambition, nous avons ce budget. Je n’ai guère envie de parler de chiffres et d’entrer dans l’ésotérisme budgétaire et arithmétique. Je vous remettrai un volumineux dossier à ce sujet. Néanmoins, et nonobstant la LOLF, il est tout de même possible d’établir des comparaisons, à périmètre constant, par rapport au budget précédent. La mission « Outre-mer » est en effet ce qu’était le budget de l’outre-mer. L’an dernier, les crédits de paiement s’élevaient à 1 710 millions d’euros. À périmètre constant, ils sont aujourd’hui de 1 692 millions. La baisse est donc de 20 millions ; elle est même nettement supérieure si l’on prend en compte l’inflation.

Je sais, monsieur le ministre, que vous avez fait jouer votre influence et votre poids politique – et vous en avez – et que vous avez tout fait pour maintenir autant que cela était possible, comme dirait le duc d’Orange, les crédits affectés à l’outre-mer. Mais vous n’avez pas pu.

En 2002, le dernier budget de la gauche pour l’outre-mer s’élevait à 1 600 millions. Aujourd’hui, toutes choses égales par ailleurs, il est de 1 200 millions. En quatre ans, ce budget a donc baissé de 600 millions d’euros. Les chiffres sont là, et c’est vérité, comme dirait l’Ancien Testament.

Pourquoi, de plus, cette différence abyssale de 200 millions entre les autorisations d’engagement et les crédits de paiement sur le programme « Emploi » ? Cela me laisse perplexe.

Malgré ma bonne volonté et les nouveaux rapports que vous avez institués avec les élus – c’est votre mérite et votre honneur –, je ne peux, en l’état, voter votre budget. J’attends mieux de vous car je sais que vous en êtes capable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Il était en effet nécessaire d’attendre votre conclusion ! (Sourires.)

La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. En raison de la LOLF, il est difficile de comparer ce budget avec celui de l’an dernier, de même que l’ensemble des efforts de la nation pour l’outre-mer qui s’inscrivent dans le cadre d’autres missions. Le 1,9 milliard dont il est question dans les trois programmes ne représente en effet qu’une infime partie des efforts consentis en faveur des départements et territoires d’outre-mer. Et 80 % de cette somme sont affectés au logement et à l’emploi, qui constituent les principales difficultés outre-mer.

À cet égard, même si le taux de chômage demeure extraordinairement élevé, à 22 %, la légère baisse de 3,2 % doit redonner espoir.

En dehors de ces crédits, l’effort national est réparti sur bien d’autres ministères : vous êtes le prototype du ministre interministériel !

Parmi l’actualité de cette nuit, se trouve notamment le problème des exonérations adoptées dans le cadre de la loi Girardin.

Il existe deux catégories d’exonérations. La première, c’est la défiscalisation, qui, dans le premier projet gouvernemental, était plafonnée pour l’outre-mer, comme partout ailleurs. Ce plafonnement a suscité contre lui l’union des élus de l’outre-mer, qui ont demandé au Gouvernement d’y renoncer, car, pour de nombreuses collectivités, la défiscalisation constitue un outil indispensable pour attirer les investisseurs et développer l’économie locale. Cependant, non sans raison, M. Copé, hier soir, a rappelé qu’il convenait d’évaluer l’impact réel des exonérations, qui, pour nécessaires qu’elles soient au développement de l’outre-mer, ne doivent pas encourager la construction de nouvelles générations de Clubs Méd, lesquels servent plus les intérêts des investisseurs qu’un réel développement économique local.

De toute façon, à un moment ou à un autre, la discussion sur le plafonnement sera inévitable. Le coût de la défiscalisation prévu à l’article 61 est excessif eu égard à la capacité d’exonération fiscale : 600 millions d’euros représentant une moyenne de 66 000 euros d’exonération fiscale par bénéficiaire – 6 400 personnes ! Le Gouvernement a été prudent de renoncer à se lancer, comme il avait envisagé de le faire dans un premier temps, dans un plafonnement à 8 000 euros, qui n’avait pas de sens, mais le déplafonnement absolu est lui aussi déraisonnable dans la mesure où il incite à des investissements visant non pas à favoriser un réel développement des collectivités d’outre-mer, mais à profiter de la défiscalisation elle-même. De tels investissements de défiscalisation ne servent, je le répète, que l’intérêt des investisseurs, et non celui des territoires de la République concernés.

Quitte à ce que la nation consente un effort de 800 millions d’euros – 600 millions d’euros à l’article 61 et 200 millions d’euros à l’article 73 –, nous aurions préféré le voir porter essentiellement sur l’article 73, relatif aux exonérations de charges sociales, car celles-ci favorisent le développement de l’emploi et peuvent s’assortir de contreparties en termes de niveau de salaires. Ces contreparties permettraient d’améliorer les conditions de vie de celles et ceux qui, outre-mer, trouvent un emploi par le biais de telles exonérations.

Le groupe UDF pense donc que l’effort à fournir doit être évalué et plafonné en ce qui concerne l’exonération fiscale – une moyenne de 66 000 euros par bénéficiaire, je le répète, cela n’est pas raisonnable – et que les exonérations de charges sociales doivent réellement bénéficier aux populations ultramarines aussi bien en termes de créations d’emplois que de niveau de rémunérations.

Monsieur le ministre, je souhaite également vous faire part de notre déception en ce qui concerne la continuité territoriale. Le Gouvernement précédent avait soumis à l’approbation de notre assemblée une mesure intéressante qui, me semble-t-il, avait été votée à l’unanimité. Or, le budget que vous nous présentez n’est pas à la hauteur des enjeux ultramarins.

M. Victorin Lurel. C’est exact !

M. Jean-Christophe Lagarde. Aujourd'hui, l’essentiel des 4 millions d’euros va au passeport mobilité, 900 000 euros étant réellement destinés à la mobilité. On nous avait pourtant annoncé que les crédits monteraient en puissance. Or, 30 millions d’euros en 2004, 31 millions en 2005 et 31,8 en 2006 : une telle évolution des crédits ne répond en rien à celle du prix des billets d’avion. L’effort de la nation en la matière faiblit. Dois-je de nouveau rappeler – cela agaçait votre prédécesseur, mais qu’importe ? – que cela n’a rien à voir avec ce que la nation accomplit pour la Corse ? Loin de moi l’idée de vouloir retirer quoi que ce soit aux Corses, mais il n’en est pas moins vrai que la Corse reçoit 174 millions d’euros pour 260 000 habitants ! Je le disais déjà il y a déjà trois ans : l’inégalité de traitement entre la population ultramarine et la population corse est scandaleuse. En trois ans, les crédits consacrés à la continuité territoriale pour l’outre-mer ont à peine progressé d’1,8 millions d’euros pour 2 millions d’habitants, alors que la Corse, au même titre, a bénéficié la seule année dernière de 6 millions d’euros !

M. Victorin Lurel et M. Louis-Joseph Manscour. C’est la stricte vérité !

M. Jean-Christophe Lagarde. Les ultramarins ont-ils moins besoin de voir leur famille que les Corses ? À moins qu’il ne faille, comme les Corses, poser des bombes pour obtenir de l’argent !

Chaque année, j’évoque également la situation des ultramarins vivant en métropole – ils sont environ 1 million – : contrairement aux habitants de l’outre-mer, ils ne peuvent jusqu’à présent bénéficier de la continuité territoriale, si bien qu’ils vivent souvent des situations dramatiques. L’État devrait s’intéresser enfin à leur sort, ce que je n’ai pas obtenu de votre prédécesseur. Comme M. Lurel, j’ai accueilli avec un préjugé favorable votre arrivée au ministère de l’outre-mer. Vous devriez vous occuper de ce dossier : on ne peut pas accepter que le million d’ultramarins vivant en métropole soit abandonné à son triste sort, alors même que les prix des billets d’avion ne font qu’augmenter, jusqu’à devenir scandaleux pour des destinations comme les Antilles.

M. Victorin Lurel. Scandaleux : c’est le mot !

M. Jean-Christophe Lagarde. De plus, monsieur le ministre, cette situation engendre des effets pervers. Le Président de la République a récemment déclaré vouloir en finir avec les discriminations qui minent la société. Or on assiste à de véritables discriminations à l’embauche dans la mesure où l’État, la fonction publique hospitalière et les collectivités locales se font racketter par le système des congés bonifiés. Aujourd'hui, cela coûte moins cher d’acheter un billet d’avion couplé avec des nuits d’hôtel que de permettre à un Antillais de rentrer voir sa famille ! Que doit-il faire ? Vivre à l’hôtel ? Il importe de remettre à plat cette question car l’injustice est flagrante. Tout ce qui nuit à la continuité territoriale nuit à la cohésion nationale !

J’ai trop peu de temps pour aborder tous les sujets relatifs à l’outre-mer. Les parlementaires élus dans les départements ou les territoires d’outre-mer ainsi que dans les collectivités territoriales le feront plus longuement que moi. Mais je tiens à évoquer deux ou trois sujets précis.

La Polynésie française a connu en 2004 et en 2005 un grand nombre de bouleversements. Je souhaite que la relation conflictuelle quasi-permanente que cette collectivité de la République a trop longtemps entretenue avec l’État s’apaise au profit d’une relation républicaine normale. Je sais, monsieur le ministre, que vous vous y employez. Cela dit, j’approuve le Gouvernement lorsqu’il n’entend pas se laisser déborder par les propos indépendantistes du président de cette collectivité, qui, ce faisant, a trahi son électorat ! En effet, alors même qu’il n’a cessé de répéter durant toute sa campagne qu’à aucun moment il ne soulèverait la question de l’indépendance – d’ailleurs il évite le sujet en Polynésie même –, voilà qu’il ne parle plus que de cela lorsqu’il est à l’étranger ! Le Gouvernement a eu raison de le rappeler à l’ordre, par la bouche du haut-commissaire de la République.

Mme Christiane Taubira. Il a le droit ! Il est élu ! Et les élus ne sont pas sous tutelle !

M. Jean-Christophe Lagarde. Non, madame Taubira, ce n’est pas son droit : quand on passe un contrat avec ses électeurs, on le respecte. Il est du devoir de la République française de rappeler que si on veut entretenir des rapports avec elle, on ne lui bave pas dessus dès qu’on est à l’étranger.

Mme Christiane Taubira. Respectez ses opinions comme nous respectons les vôtres !

Mme Huguette Bello. Tout à fait !

M. Jean-Christophe Lagarde. Je respecte les opinions de chacun, mais j’ai vu ce qui se passait en Polynésie au moment des élections ! M. Temaru n’a jamais pris quelque engagement que ce soit en faveur de l’indépendance. Au contraire, il a assuré que ce débat ne serait pas à l’ordre du jour, ajoutant qu’il était plutôt favorable à une évolution de type néo-calédonien.

Mme Christiane Taubira. Il n’a jamais nié être un indépendantiste !

M. Jean-Christophe Lagarde. Il a trahi ses électeurs,…

Mme Christiane Taubira. Vous n’avez pas à vous ériger en juge !

M. Jean-Christophe Lagarde. …et que cela ne vous dérange pas ne m’étonne pas.

Mme Béatrice Vernaudon. M. Lagarde a tout à fait raison !

Mme Christiane Taubira. La guerre coloniale est terminée !

M. le président. Je vous prie de laisser l’orateur continuer !

M. Jean-Christophe Lagarde. Je tiens à évoquer également le développement des communes en Polynésie,…

Mme Christiane Taubira. Vous êtes un paternaliste moyenâgeux !

M. Jean-Christophe Lagarde. ...lequel est aujourd'hui indispensable. Ce territoire a besoin, plus qu’aucun autre, de se décentraliser. À cette fin, les communes doivent devenir majeures en obtenant un statut identique ou quasi-identique à celui qu’elles connaissent en métropole. Il est également nécessaire que les municipalités soient élues à la proportionnelle afin de permettre le libre jeu de la majorité et de l’opposition et qu’elles disposent d’une fonction publique digne de ce nom, c'est-à-dire qui ne soit pas dépendante du gouvernement central du territoire, car cela soulève des difficultés. Le développement des communes entraînerait celui de la Polynésie dans son ensemble, laquelle est riche de potentialités. Nous devons former là-bas des cadres A et B.

En ce qui concerne la Guyane et la Réunion, l’UDF demeure très vigilante car elle est inquiète s’agissant de la loi relative aux parcs forestiers.

Enfin, pour la Nouvelle-Calédonie, je souhaite évoquer le projet de Koniambo. J’en ai déjà parlé en commission. La lettre d’engagement de l’État fait de la société Falconbridge l’attributaire du massif de Koniambo, situé au nord. Falconbridge faisant l’objet d’une offre publique d’achat de la part d’Inco, qui détient déjà les gisements du sud, nous redoutons non seulement la concentration du secteur mais plus encore peut-être qu’Inco ne fasse pas la preuve d’une réelle détermination à réaliser la mine de Koniambo dans les conditions prévues avec le gouvernement de la province nord – ce qui serait très grave pour la paix civile sur l’archipel.

En ce qui concerne, enfin, le corps électoral – M. le rapporteur a évoqué la question –, les choses nous paraissaient claires, dans la mesure où le Président de la République a toujours affirmé que ce qui était signé devait être respecté. À nos yeux, des changements politiques sur l’archipel ne doivent pas aboutir à une modification des accords de Nouméa.

Telles sont, monsieur le ministre, les observations que je souhaitais faire concernant les crédits de l’outre-mer.

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget de l'outre-mer pour 2006 s'élève à 1,9 milliard, contre 1,7 milliard l'an passé. Avec une hausse des crédits équivalente à l'inflation, ce budget est donc au mieux en stagnation, plus sûrement en baisse, comme l’a montré Victorin Lurel.

Nous le regrettons d'autant plus que le budget pour 2005 était déjà, à périmètre constant, en baisse de près de 8 % par rapport au précédent. L'effort financier global de l'État en direction de l'outre-mer s'élèverait à 11 milliards d'euros, soit 17 % de l'ensemble des moyens affectés à l'outre-mer, ce qui est tout de même bien peu, convenons-en, eu égard aux objectifs affichés par le Gouvernement pour ces départements.

L'une des premières ambitions de celui-ci est le soutien de l'emploi et de l'insertion professionnelle. C'est, en effet, une impérieuse nécessité, puisque près du quart de la population ultramarine est touchée par le chômage. C'est également une exigence absolue puisque les départements de la Réunion, de la Guadeloupe et de la Martinique figurent parmi les dix départements comptant le plus de RMIstes et que la proportion d'allocataires par rapport à la population totale y est nettement plus élevée qu'en France métropolitaine.

C'est pourquoi nous nous interrogeons sur la décision du Gouvernement de plafonner l'avantage fiscal accordé par la défiscalisation et de réduire les abattements de charges sociales consentis aux entreprises de moins de dix salariés dans les DOM. Ces dispositions remettent en cause l'engagement qu'avait pris le Gouvernement dans la loi-programme pour l'outre-mer, visant à mettre en place un cadre d'investissement et d'incitation à l'emploi pour quinze ans. Pourquoi tant de précipitation alors qu'un rapport sur l’impact socio-économique de la défiscalisation est attendu pour l’année prochaine ?

Les mesures de réduction du coût du travail et de défiscalisation ne seront jamais la panacée si elles n’entrent pas dans le cadre d’une véritable stratégie de développement. L'exonération des charges sociales patronales ne pourra emporter notre adhésion si elle ne s'accompagne pas, en contrepartie, de l’obligation de créer des emplois. C'est pourquoi nous sommes favorables à un réexamen de la défiscalisation en vue de réformer ses effets pervers, notamment lorsque, loin d’inciter à l’investissement dans la production et l’activité, elle s’inscrit dans une logique d'évasion fiscale et de recherche du profit rapide. Il faut également que les économies ainsi réalisées soient réinvesties pour le développement durable de ces territoires. Tel n’est pas l’objectif du Gouvernement, qui cherche, en l’occurrence, à faire des économies en vue de réduire son déficit, même si c’est, hélas, au détriment des ultramarins. Avant d’envisager tout correctif, nous avons besoin de connaître le bilan de la défiscalisation, notamment en termes de créations d'emplois.

Ce projet de budget viserait également à faire reculer l'exclusion et la précarité. Ambition louable lorsqu’on connaît la situation du « mal-logement » outre-mer. Les besoins sont énormes, tant au regard de la croissance démographique, de l'importance du parc insalubre, de l'ampleur de l'exclusion sociale, que de la rareté du foncier.

En juin 2004, le Conseil économique et social constatait que l'effort de l'État en matière de logement restait bien en deçà des besoins annuels de l’outre-mer. Pourtant, tout comme en 2002, 2003 et 2004, ce projet de budget se contente de reconduire l'effort de l’État en faveur du logement !

En outre, les charges qui pèsent sur les collectivités locales d'outre-mer, à la suite de la décentralisation, sont si importantes que ces collectivités ne pourront faire face à leurs besoins. C'est pourquoi l'Association des départements de France lançait un cri d'alarme le 29 septembre dernier, au vu des charges financières qui pèsent sur leurs budgets et de l'insuffisance des compensations financières apportées par l'État. L’association ajoutait : « Cette situation est encore plus préoccupante dans les départements d'outre-mer, où la situation économique et démographique entraîne un accroissement rapide des dépenses d'action sociale. » Malheureusement, ce projet de budget ne pourra venir en aide à ces collectivités de manière satisfaisante.

Le temps de parole dont je dispose ne me permet pas de détailler plus avant ce projet de budget, qui ne contribuera pas – c’est notre conviction – à améliorer la situation économique et sociale des régions ultramarines. C'est pourquoi nous voterons contre.

En conclusion, permettez, monsieur le ministre, que j'insiste sur la nécessité du respect de l'accord de Nouméa et de Matignon sur le corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Les déclarations récentes du secrétaire national de l’UMP chargé l’outre-mer, qui remettent en cause le gel du corps électoral, ont suscité une vive émotion en Nouvelle-Calédonie. C'est pourquoi il conviendrait de rassurer les Néo-Calédoniens en modifiant au plus vite notre Constitution. Il est temps de mettre en œuvre cet engagement du Président de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Alfred Almont.

M. Alfred Almont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage avec l’ensemble de mes collègues la conviction que la vie est un combat et que le succès vaut ce que coûte l’effort.

Il faut le souligner : le débat sur le projet de budget de l'outre-mer intervient cette année dans un contexte bien singulier qui voit le budget de l'État intégralement présenté et débattu dans le cadre de l’architecture nouvelle résultant de la LOLF.

Il s’agit à l'évidence d’un cadre budgétaire plus transparent et plus lisible dont l'objectif affiché est de rendre l'action publique plus efficace, d’un cadre budgétaire structuré en trente-quatre missions dont la mission « Outre-mer », elle-même se déclinant en trois programmes appelés à répondre aux enjeux majeurs de nos régions éloignées. Sans doute une occasion nouvelle se présente-t-elle d’évaluer plus justement priorités et résultats. C'est tant mieux !

Mais c'est aussi un contexte caractérisé par le poids des déficits publics qui conduit le Gouvernement à réduire sensiblement les dépenses de l'État.

Dès lors que la LOLF consacre un renforcement des pouvoirs du Parlement, les parlementaires d'outre-mer n'ont pas hésité à exercer la plus grande vigilance pour obtenir que, malgré les difficultés du moment, les engagements pris par le Gouvernement de tout mettre en œuvre pour favoriser l'expansion de nos régions en retard de développement soient respectés. Il s’agit de garantir 1'efficacité de la mission « Outre-mer ».

Ce choix du Gouvernement passait – faut-il le rappeler ? – par une politique de l'offre, donc de structuration de nos économies, plutôt que par une politique de la demande, alimentée par des transferts. Cette prise en compte, au niveau national, de la nécessité de compenser nos handicaps structurels pour rendre nos économies plus compétitives constituait pour nous une grande avancée.

Ce choix a conduit, il y a à peine deux ans, en juillet 2003, au vote de la loi de programme pour l’outre-mer qui reconnaissait la nécessité, notamment, de mettre en œuvre, pour nos régions, une incitation à l'investissement grâce à l'outil fiscal, mesure devant nous préparer à devenir de véritables acteurs de notre développement.

Cette loi de programme intervenait pour une période de quinze années car il fallait bien garantir aux investisseurs une stabilité dans le temps et permettre ainsi de mesurer progressivement les « effets retour » sur l'économie et l'emploi d’investissements longs à mettre en œuvre. Et, pourtant, certains soutiennent encore qu'il faut déjà, sous prétexte d'efficacité économique, de lisibilité, de justice fiscale, altérer certaines de ces dispositions – quel dommage !

J'ai noté à cet égard, lors de la présentation du budget de l’outre-mer, votre volonté de préserver ces dispositifs et de consacrer tous vos efforts à l'investissement et donc à l'emploi. Je m'en félicite car, sans dispositifs audacieux, l’outre-mer ne saurait seul prendre la voie du développement.

À cette bonne volonté, on peut ajouter la démarche d’un homme, vous, monsieur le ministre, qui, dans un passé récent, à l’occasion d’événements tragiques, a donné toute la mesure de son engagement pour les populations d’outre-mer et pour ses élus.

C'est pourquoi votre projet de budget pour 2006, débarrassé dès hypothèques qui avaient un temps semblé devoir l'affecter, se révèle positif dans son ensemble. Associé, en effet, aux grandes mesures contenues dans la loi de programme et dont il nous sera possible dès l'année prochaine d'évaluer les premiers effets, il s'efforce de répondre au défi du développement économique et social grâce aux moyens qu’il met en œuvre.

Et d'abord, il renforce sensiblement les moyens au service de l'emploi durable, même si de bons résultats apparaissent déjà. L'État, constitutionnellement en charge de l'emploi, manifeste ainsi sa volonté de prendre en compte notre très grande fragilité économique, pour faire en sorte qu'enfin nous cessions de compter trois fois plus de chômeurs que dans la métropole. Il faut d'ailleurs se réjouir que la mission « Outre-mer » du budget général fasse du ministère de l’outre-mer le véritable responsable de la gestion de la politique de l'emploi outre-mer. Je connais votre forte mobilisation pour faire en sorte de protéger les productions de notre agriculture – je pense au secteur de la banane –, menacées par les agressions extérieures.

Il me paraît cependant opportun que l'État, tenant compte de l'exigence de développer l'emploi, incite les grandes entreprises nationales à utiliser tous les dispositifs existants pour produire dans nos régions une partie de la valeur ajoutée des biens qui nous sont destinés.

Déjà, les exonérations partielles de charges patronales de sécurité sociale, prévues par la loi de programme, permettent aux petites entreprises de passer le cap de la prise en compte financière de rattrapage du SMIC en conséquence de l'institution des 35 heures, tout en contenant les prix du marché, cela dans l'intérêt du consommateur.

Vous avez par ailleurs bien compris qu'il est désormais nécessaire de renforcer les aides à l'emploi dans le secteur marchand, et nous nous en réjouissons.

Permettez-moi toutefois de préciser qu'il devient maintenant urgent d'organiser ce secteur, sévèrement affecté par le travail illégal. De nombreuses activités sont en effet menacées, phénomène amplifié par l'utilisation insuffisamment contrôlée de dispositifs pourtant devenus indispensables à la survie du secteur formel.

De même, les moyens financiers importants mis en œuvre par le Gouvernement doivent, de l'avis du plus grand nombre, viser prioritairement le maintien d'activités qui ont fait leurs preuves et dont le dynamisme et l'efficacité sont des gages de leurs capacités à contribuer au développement économique et social et, dès lors, à procurer plus d'emplois.

Pour toutes ces raisons, il me semble aujourd'hui indispensable, compte tenu, par ailleurs, de la volonté affichée par le Gouvernement de responsabiliser les acteurs publics, que soit mis en place, avec le concours des collectivités locales, un observatoire par région.

Je relève avec intérêt le renforcement des moyens mis à la disposition du SMA, le service militaire adapté, dont nous avons aujourd'hui la preuve qu'il est largement profitable à notre jeunesse en matière de formation et d'insertion.

Le projet de budget de l'outre-mer pour 2006 renforce l'accent mis sur l'accès au logement, la sécurité et la protection sociale. À cet effet, les crédits inscrits pour développer, rénover et sécuriser le parc de logements sociaux sont extrêmement forts.

Comment ne pas s'en réjouir dans le contexte financier actuel ? Il est vrai que, plus encore qu'en métropole, le logement social demeure en crise dans nos régions. Le nombre de logements sociaux demeure insuffisant par rapport à la demande et, par ailleurs, l'insalubrité et la vétusté de nombreux logements sont préoccupantes.

J'entends souligner, à cet égard, que la démarche nouvelle qui consiste à accompagner des politiques urbaines d'aménagement et de rénovation, ainsi que de résorption de l'habitat insalubre, est de nature à favoriser la remise en état d'immeubles bâtis malheureusement désaffectés par des héritiers préférant investir dans le neuf, rendu très attractif par sa défiscalisation, comme c'est le cas dans les centres villes. Une telle démarche a par ailleurs l'avantage de limiter la spéculation foncière, qui empêche actuellement nombre de nos compatriotes d'accéder à la propriété et au logement.

En vérité, votre projet de budget vise à combler le retard, et c'est bien pourquoi, monsieur le ministre, nous comptons fermement sur vous pour qu'aucune mesure d'annulation ne vienne – sous prétexte de précaution – affecter en cours d'exercice les crédits inscrits au budget de l'outre-mer au bénéfice de ces secteurs sensibles.

Vous savez à quel point le gel qui a affecté les crédits de paiement et autorisations de programmes sur la LBU en 2003 et 2004 a pu susciter notre angoisse et mettre à mal à la fois les opérateurs sociaux qui avaient pris des engagements et la population concernée.

Il y a donc lieu de préserver l'élan en mobilisant durablement les moyens nécessaires à la poursuite d'une politique énergique de réhabilitation et de construction dont nous sommes convaincus qu’elle est la condition d'un vrai développement.

Faut-il d'ailleurs souligner que le secteur industriel est étroitement lié au secteur du logement social ? Car, sans constructions nouvelles, il n'y aura plus de débouchés pour les matériaux produits sur place.

Nous apprécions vivement, monsieur le ministre, les dispositions arrêtées pour assurer le contrôle de l'immigration d'une manière générale et, en particulier, pour lutter contre l'immigration clandestine, dont nous savons le risque qu'elle fait peser sur la sécurité de nos concitoyens et de nos entreprises, ainsi que l'humiliation à laquelle sont exposées les personnes qui s'y adonnent.

De même, les engagements inscrits dans votre projet de budget pour consolider les dotations spécifiques à nos collectivités locales nous rassurent. Il importe en effet de tenir plus que jamais compte de leurs spécificités pour leur donner les moyens de renforcer leurs capacités financières, contribuant ainsi à l’investissement et leur procurant des ressources justes, correspondant à leurs charges, à leurs contraintes ainsi qu'à leurs besoins de financement, plus importants que ceux de nos collectivités métropolitaines.

Les engagements pris pour favoriser la continuité territoriale sont maintenus voire renforcés pour 2006. Il faut en effet continuer à agir pour éliminer progressivement le sentiment d’expatriation encore ressenti aujourd’hui d’un côté ou de l’autre de l’Océan. Néanmoins, il me paraît utile d'évoquer devant vous, monsieur le ministre, la question très sensible d'une véritable organisation du transport des personnes et des biens entre les DOM et la métropole, mais aussi entre les DOM.

Je note enfin avec intérêt les dispositions prévues pour favoriser l'intégration régionale à travers les actions de coopération ciblées que vous proposez.

Monsieur le ministre, les engagements que vous prenez pour l'outre-mer, au titre de l'exercice 2006, me donnent toutes les raisons de penser que nous allons, malgré tout, dans la bonne direction. C'est pourquoi je voterai ce projet de budget, qui mobilise une part substantielle de l’effort financier de l’État pour l’outre-mer et qui contribue incontestablement à mettre en place de bons outils de développement pour nos régions, qui en ont tant besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous ne serez pas surpris que je vous parle de la Nouvelle-Calédonie, puisque j’ai été le rapporteur de la loi organique portant sur son statut.

Je souhaite aborder trois questions, d’importance différente.

La première concerne le corps électoral, dont le rapporteur pour avis, M. Didier Quentin, disait qu’elle avait besoin d’être clarifiée. En effet, aussi longtemps que rien ne sera réglé en ce qui concerne la définition du corps électoral, les accords de Nouméa ne seront pas pleinement réalisés.

La position du groupe socialiste demeure d’une intangible fermeté. Elle s’attache au texte que l’Assemblée nationale et le Sénat, en 2000, avaient voté à la quasi-unanimité, texte revenant sur l’interprétation que le Conseil constitutionnel avait donnée du corps électoral.

Tel qu’il est défini par les accords de Nouméa, par la représentation nationale à sa quasi-unanimité, il s’agit d’un corps électoral restreint, ce qui ne pose pas de problème, mais aussi d’un corps électoral figé. C’est la seule interprétation possible que permettent les accords de Nouméa.

Or, il semblerait que, sur ce plan, l’opposition de l’époque, devenue aujourd’hui majorité, soit en train de modifier son point de vue, comme en fait foi une déclaration du secrétaire national de l’UMP pour l’outre-mer, M. Diefenbacher. Je pense donc qu’une clarification s’impose puisque, lors de son voyage en Nouvelle-Calédonie, le Président de la République avait pris des engagements précis sur ce point, en indiquant que la question serait réglée avant la fin de son mandat.

Lors d’un comité de signataires qui s’est tenu un peu plus tard, la ministre de l’outre-mer avait pris, elle aussi, des engagements précis. Par conséquent, je souhaite que vous précisiez votre position. J’ajoute que cette question me paraît fondamentale si l’on veut préserver la paix civile et le processus en cours en Nouvelle-Calédonie.

M. Pierre Frogier. Les socialistes sont mal placés pour dire cela !

M. René Dosière. Revenir sur cette disposition, comme certains le souhaitent, c’est prendre le risque de rouvrir la guerre civile en Nouvelle-Calédonie.

M. Pierre Frogier. C’est vous qui avez mis le feu à la Nouvelle-Calédonie !

M. René Dosière. Je me suis longuement exprimé sur ce point lors de la réforme constitutionnelle, et il faut que vous ayez bien conscience du problème.

Ma deuxième question concerne le problème de l’usine du Nord. Dans le cadre des accords de Bercy, puis de l’accord passé avec la société canadienne Falconbrige, il a été prévu que cette entreprise devait prendre une décision avant le 31 décembre 2005. Si ce délai n’est pas respecté, le périmètre minier reviendra à Eramet, qui l’avait mis à disposition à cette condition. Nous sommes le 17 novembre. Un investissement de ce type ne se décidant pas à la dernière minute, nous devrions être en mesure de savoir ce qu’il en est et ce que l’avenir nous réserve. N’attendons pas le dernier moment, monsieur le ministre. J’aimerais que le Gouvernement précise sa position, puisque vous avez récemment signé, avec votre collègue des finances, une lettre qui, paraît-il, laisserait entendre que le délai pourrait être prolongé de six mois – ce qui me semble juridiquement incertain et risque d’être source de contentieux.

La dernière question que je voudrais soulever, sans être de même portée que les deux précédentes, est néanmoins importante pour la province nord qui, dans le cadre du contrat de développement qu’elle a signé avec l’État pour la période 2000-2004, a préfinancé pour le compte de l’État des opérations que celui-ci n’était pas en mesure de payer immédiatement. L’État a donc une dette à l’égard de la province nord qui s’élève à 53,6 millions d’euros, soit 6 milliards de francs Pacifique. Pouvez-vous nous dire quand il régularisera cette dette ?

Telles sont les questions que je voulais vous poser au sujet de la Nouvelle-Calédonie, monsieur le ministre. J’espère que la majorité va enfin prendre des décisions pour ce territoire. Jusqu’à présent, elle s’est refusée à le faire : il faut bien reconnaître que c’est toujours la gauche qui a pris des initiatives, approuvées par l’opposition d’alors. Je souhaite que le consensus national se maintienne sur ce dossier, mais vous n’obtiendrez pas l’assentiment du groupe socialiste si vous revenez sur les accords de Nouméa.

M. Mansour Kamardine. C’est une menace ?

M. le président. La parole est à M. Bertho Audifax. (« Ah ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Christiane Taubira. Quel champion !

M. Bertho Audifax. Merci, madame Taubira. Venant de vous, ce compliment de vous me touche beaucoup. (Sourires.)

M. le président. Ne vous laissez pas déstabiliser, mon cher collègue.

M. Bertho Audifax. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget pour 2006 consacré à l’outre-mer se décline en trois axes principaux : soutenir l’emploi, lutter contre l’exclusion et la précarité, combler les retards structurels. Nous ne pouvons qu’approuver le choix de ces priorités, qui correspondent parfaitement aux difficultés majeures auxquelles nous devons faire face quotidiennement dans nos départements.

Je m’attacherai plus particulièrement aux deux premiers axes, l’emploi et le logement, qu’on ne peut dissocier si l’on veut constituer un socle stable sur lequel construire notre développement économique de manière durable.

L’emploi, à la Réunion comme ailleurs, doit être ramené à l’entreprise, au secteur marchand. Grâce à la loi de programme et aux mesures incitatives mises en place par le Gouvernement depuis 2002, l’emploi est particulièrement dynamique à la Réunion, puisqu’il s’y crée 4 900 emplois par an, avec une productivité du travail par salarié légèrement plus forte que celle mesurée en France métropolitaine : une étude récente montre que la valeur ajoutée par an s’élève à 49 000 euros pour un salarié réunionnais, contre 48 000 euros pour un salarié en métropole. Nous sommes donc loin du cliché « soleil et cocotiers » associé régulièrement à la douceur présumée du travail sous les tropiques, que symbolise l’expression : « Doucement le matin, pas trop vite l’après-midi ! ». (Sourires.) Nos salariés sont des travailleurs performants, nos entreprises sont productives et dynamiques.

Cependant, cela ne suffit pas.

Du fait de notre démographie, nous comptons 7 400 actifs de plus par an, ce qui nous laisse un déficit annuel de 2 500 emplois, soit 1,1 % de la population active. Certes, les mesures d’aide à la mobilité réduisent quelque peu ce déficit, mais force est de constater que, malgré la diminution significative du chômage, son taux – 33 % – reste encore très élevé. La situation des femmes est encore plus préoccupante puisque le taux de chômage féminin est de 50 %.

Dans ce contexte, il est évident que les mesures destinées à soutenir l’emploi sont indispensables. Sans les aides au secteur économique et sans la commande de formations, l’emploi se dégraderait rapidement. À ce propos, nous ne pouvons qu’être satisfaits de l’amendement de suppression de l’article 73. Cependant, que d’énergie gaspillée de part et d’autre, alors que les débats auraient dû plutôt porter sur la recherche de solutions supplémentaires à ce déficit de 2 500 emplois !

N’oublions jamais que les aides existent pour compenser les handicaps structurels et ne peuvent en aucun cas se transformer en « niches » dès que l’embellie apparaît. C’est parce que la situation s’améliore dans les DOM qu’il faut poursuivre sur cette voie, afin d’installer durablement le développement économique.

Dans cet objectif, je propose deux pistes pour réduire encore le déficit d’emplois.

Tout d’abord, il faut creuser l’idée des aides à l’export pour que les entreprises réunionnaises puissent s’ouvrir sur des marchés proches et porteurs. L’extension des marchés représente une bouffée d’oxygène non négligeable pour le secteur marchand ainsi qu’une augmentation des potentialités d’embauche.

Ensuite, il faut se pencher sérieusement sur le problème des jeunes qui quittent le dispositif scolaire sans qualification et qui se retrouvent au bord du chemin, dans des familles au chômage, sans aucune intégration possible dans les dispositifs existants. Ces jeunes doivent pouvoir être recensés à temps et intégrés dans des dispositifs adaptés. Les tristes événements que nous venons de vivre en métropole sont la douloureuse conséquence de la non prise en compte de ces populations. Il est encore temps d’y remédier outre-mer, avant que l’urgence ne nous y contraigne.

Ma deuxième préoccupation, que vous partagez également, monsieur le ministre, est le logement. Les besoins sont énormes, les réponses supplémentaires apportées à ce jour quasiment inexistantes. Je salue donc votre volonté d’y porter remède.

Des mesures pourraient être prises dans le cadre d’un engagement pluriannuel de l’État sur les crédits consacrés au logement, afin d’apporter une meilleure lisibilité sur le moyen terme. Parallèlement à cet engagement, des aménagements pourraient être consentis à plusieurs niveaux : la possibilité, de manière conjoncturelle, d’abonder en partie le manque de crédits sur les opérations de résorption de l’habitat insalubre par les crédits non utilisés de la LBU ; la révision des paramètres de financement du logement social – prix, prêts, subventions – ; l’instauration d’une fongibilité entre le FRAFU primaire et le FRAFU secondaire, afin d’éviter des situations ubuesques où le primaire est excédentaire et le secondaire rapidement consommé ; la déconnexion du FRAFU des programmes d’aménagement de quartiers, car ces PAQ, issus des assises du logement social de 2003, sont à ce jour bloqués : leurs études doivent être rapidement réalisées car ces programmes sont indispensables à la mixité sociale ; la restitution, en totale transparence, des résultats des évaluations opérées par les DDE et leurs différents partenaires sur le fonctionnement des FRAFU, ainsi que leur mise en adéquation avec les besoins réels des régions d’outre-mer.

Enfin, je ne peux pas ne pas évoquer le logement d’urgence, qui est le grand oublié des mesures applicables outre-mer. La colère gronde, de plus en plus forte, de plus en plus manifeste, face à la violence faite aux femmes au sein même du foyer conjugal, sans qu’elles aient la possibilité, alors qu’elles sont parfois martyrisées devant leurs enfants, de fuir ces violences et d’être logées à l’abri. L’instauration de l’APL foyer constituerait une mesure de justice sociale dans les départements d’outre-mer, une première réponse à l’enfer, aggravé par l’abus d’alcool et l’inactivité, que vivent des femmes victimes de leur conjoint, voire des mères victimes de leurs fils.

Pour conclure, monsieur le ministre, je tiens à remercier de tout cœur tous ceux qui, autour de vous et autour du ministre du budget, ont respecté par leur engagement la parole de l’État. Ils se reconnaîtront. On a dépensé beaucoup de salive à propos les articles 61 et 73. Les parlementaires de l’outre-mer ont été gênés, le mot est faible, par certaines paroles ou certains arguments. La nation française a besoin aujourd’hui plus que jamais de cohésion et de respect. Ce respect, cette cohésion ne concernent pas que l’Hexagone. Nous, Français d’outre-mer, nous ne les revendiquons pas, car nous n’avons pas à nous justifier. Nous vous disons simplement que nous y avons droit comme tous les citoyens français et comme tous les parlementaires de la nation.

M. Gérard Grignon. Très bien !

M. Bertho Audifax. Des politiques économiques territoriales exceptionnelles ont toujours existé : il en a été ainsi, il n’y a pas si longtemps, pour la Lorraine. Elles ont été approuvées hier, car elles ont été jugées nécessaires, elles le seront encore demain, et nous aurons certainement à en débattre dans les prochains mois.

Mes chers collègues, le respect par l’État des grandes politiques engagées permettra à nos citoyens de retrouver la foi en l’action politique et de se départir du doute dont ils font preuve depuis une vingtaine d’années. Nous devrions pouvoir y parvenir ensemble. L’approbation de ce projet de budget traduit notre confiance, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne. Je remarque que l’on n’applaudit pas quand un indépendantiste monte à la tribune… (« Mais si ! » et applaudissement sur divers bancs.)

Mme Christiane Taubira. N’en espérez pas tant…

M. Alfred Marie-Jeanne. Aujourd’hui, c’est un peu votre baptême du feu, monsieur le ministre. Pour autant, je ne m’apprête pas à sonner la charge uniquement, bien que ces temps d’austérité budgétaire s’y prêtent : 1,9 milliard d’euros à répartir entre une dizaine de pays est certainement insuffisant au regard des retards accumulés et des besoins nouveaux exprimés.

Mes interrogations dépassent ce simple cadre.

Ainsi, vous décrétez la mobilisation générale pour l’emploi, principalement dans le secteur marchand. Prenons le Gouvernement au mot, ce qui nous donnera l’occasion de lui rappeler que, selon une synthèse effectuée à partir d’une étude réalisée par l’INSEE, on prévoit qu’à l’horizon 2010 plus de 40 000 emplois seront libérés par les départs à la retraite ou créés par les métiers émergents. C’est pour la Martinique, petit pays dont le taux de chômage avoisine les 25 %, une opportunité à ne pas manquer.

Ceux qui réclament l’embauche sur place de gens qualifiés sont traités de racistes. Leurs accusateurs ont même écrit que c’était « le retour au droit des orangs-outans ». Ces déclarations vexatoires sont attentatoires à la dignité des grands singes, rang auquel nous sommes ramenés.

Mme Christiane Taubira. C’est purement et simplement du racisme !

M. Alfred Marie-Jeanne. Monsieur le ministre, vous avez parlé de logements sociaux à construire et d’habitat insalubre à résorber. Là encore, prenons le Gouvernement au mot, ce qui nous donnera l’occasion de lui rappeler que, des années durant, il a oublié que le logement est un besoin vital et un régulateur social : à familles mal loties, risques aggravés de déviances.

En Martinique, la LBU a diminué de plus de 40 % sur les trois dernières années. Le nombre de logements livrés a été divisé par quatre en cinq ans, passant de 1 100 en 1999 à 300 en 2004. De surcroît, l’État n’a pas tenu ses engagements. Les chantiers sont inachevés ou pas même commencés : ce sont 400 artisans et 2 500 salariés qui en pâtissent ! D’où la nécessité d’une programmation pluriannuelle à un niveau défini, pour éviter tous ces à-coups préjudiciables.

Vous faites de la défiscalisation des investissements un levier de votre action. Prenons, là encore, le Gouvernement au mot. C'est l'occasion de lui rappeler que la loi de programme pour l'outre-mer du 21 juillet 2003, votée pour quinze ans, a été validée par la Commission européenne en tant que régime d'aide spécifique à l'économie des régions ultrapériphériques. Mais, une fois de plus, les garanties ne sont pas garanties. Le Gouvernement souffle tour à tour le chaud et le froid, et brandit astucieusement des menaces, comme pour nous maintenir en haleine.

S’agissant de la pêche, grâce à l'aide à la motorisation des embarcations de moins de douze mètres, le nombre de marins-pêcheurs a sensiblement augmenté. Pour autant, cette pêche, qui n'est qu'artisanale, reste encore insuffisante pour satisfaire les besoins de la consommation courante. Et voilà qu’une directive européenne réclame le remboursement des aides accordées au motif que la puissance autorisée en kilowatts aurait été dépassée ! De surcroît, toute aide publique à ce secteur est désormais interdite. Dites-moi donc ce que ces torpilles démesurées sont censées couler !

Rappelons aussi que c'est la France qui a cédé par erreur l'île d'Aves au Venezuela. La Martinique a vu ainsi sa zone économique exclusive amputée d'un coup de 18 000 kilomètres carrés, soit seize fois et demie sa superficie, sans parler des pourparlers an ba fèv, c'est-à-dire en catimini, engagés avec la Barbade allant dans le même sens de notre dépossession. Ce modèle de coopération n’est pas celui que nous revendiquons, car il se pratique dans notre dos, sans notre agrément et à notre détriment.

Quant à la banane, son accès au marché européen relève de plus en plus du parcours du combattant.

Et que dire des hôpitaux, qui sont de plus en plus malades ? Leur situation risque d'empirer du fait du nouveau mode de calcul de leur budget. L'insuffisance de dotation budgétaire est estimée à environ 66 millions d'euros.

Enfin, un dernier mot sur les transferts de compétences mis en œuvre pour déplorer le rétrécissement des moyens et le chevauchement des domaines d'intervention des collectivités et des autres structures intercommunales. En réalité, la région monodépartementale est un système de systèmes construit volontairement pour voler en morceaux épars et antagonistes. On cherche par tous les moyens à nous dématérialiser et, en dernier ressort, c'est l'irresponsabilité qui gagne du terrain. Aux plus accommodants qui trouvent cela naturel, je réponds par la phrase de Bertolt Brecht : « Ne dites jamais “c'est naturel”, afin que rien ne passe pour immuable. »

À époque nouvelle, institutions nouvelles. Moins que jamais, la responsabilité que nous revendiquons n'est un luxe qui peut attendre indéfiniment l'arrivée hypothétique de la prospérité générale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Éric Jalton.

M. Éric Jalton. Monsieur le ministre, plusieurs collègues l’ont dit avant moi, à périmètre constant, votre budget est en baisse. Mais il est plus inadmissible encore qu’au moment où le Premier ministre proclame l’emploi comme priorité des priorités, il diminue, dans le budget de l’outre-mer, les aides directes à l’emploi et, dans la loi de programme pour l’outre-mer, les aides indirectes. Les parlementaires ultramarins, toutes tendances confondues, soutenus par les professionnels locaux, ont dû se rendre, tels les Bourgeois de Calais (Sourires), en pèlerinage à Matignon pour sauver les rares mesures positives de cette loi. Était-ce un stratagème pour obliger les parlementaires de l’opposition à défendre quelques aspects menacés de cette loi Girardin, comme a tenu à le faire remarquer le très honorable sénateur UMP, président de l’intergroupe des parlementaires d’outre-mer ? « Ceux qui étaient hier opposés à la loi de programme s’emploient à la défendre bec et ongles », a-t-il cru bon d’extrapoler.

La situation de l’emploi reste préoccupante en Guadeloupe. Le nombre de chômeurs et de RMIstes augmente très sensiblement, malgré les différentes mesures de défiscalisation et d’exonération de charges. Celles-ci ont simplement permis de contenir l’explosion du chômage, non de le réduire. Bon nombre de nos jeunes – ou moins jeunes –, diplômés ou pas, sont toujours contraints de migrer vers la métropole, dans un exil forcé, et cela depuis le BUMIDOM. Si cela contribue à faire baisser le nombre de demandeurs d’emplois inscrits à l’ANPE localement, cela ne réduit pas pour autant le taux de chômage. En effet, se substituent à ces Guadeloupéens migrants des concitoyens de la métropole ou des ressortissants de l’Union européenne, et surtout de plus en plus d’étrangers, caribéens ou non, en situation plus ou moins régulière.

La Guadeloupe ne manque pourtant pas d’entreprises prêtes à prendre des risques, à s’engager, à se battre pour créer des emplois. Alors, quand une loi destinée à les accompagner, même imparfaite ou incomplète, existe, veillons au moins à son application diligente et permanente. Je pense notamment à l’inertie de Bercy sur les dossiers de défiscalisation.

En matière de logement social, aucun effort supplémentaire n’est consenti. Dont acte. Est-il nécessaire de rappeler que le logement est, tant dans les banlieues métropolitaines qu’outre-mer, le premier critère d’insertion sociale, avant même l’emploi ?

S’agissant de la continuité territoriale, il faudrait qu’à terme toutes les personnes originaires de l’outre-mer se trouvant en métropole et dans l’Union européenne puissent bénéficier de ce dispositif. Non seulement ce ne serait que justice, mais cela contribuerait au développement de l’économie locale, ces populations ayant très à cœur de consommer des produits locaux lorsqu’elles reviennent au pays.

Malheureusement, les crédits budgétaires en matière de logement social et de continuité territoriale restent insuffisants au regard des besoins et compte tenu de l’inflation galopante en Guadeloupe et de l’augmentation du prix des billets d’avion.

L’acte II de la décentralisation est mal engagé en Guadeloupe, car nombre de collectivités ne sont pas prêtes à subir certains transferts de missions ou de compétences. Il semble que l’on ait mis la charrue avant les bœufs, transféré sans concertation, sans état des lieux et sans désendettement préalable des collectivités concernées. Cela n’est pas sans conséquence sur les services liés à la sécurité, notamment sanitaire, de nos concitoyens – lutte anti-vectorielle, santé et développement social, équipement – mais aussi à l’éducation, démantelée.

En matière agricole, il est urgent de mettre en place, en concertation avec les élus et les professionnels des filières agricoles de l’outre-mer, une loi d’orientation agricole spécifique à ces territoires éloignés de la République, permettant d’appréhender correctement leurs particularités, tant en matière de protection du foncier agricole que d’installation des jeunes agriculteurs, ou du suivi et de la transmission des exploitations agricoles, sans oublier les retraites agricoles et le droit de préemption des SAFER. Parallèlement, devront être élaborés des schémas de développement des productions et d’organisation des filières répondant en priorité au marché local.

Je n’insisterai pas sur la nécessité, vous l’avez déjà comprise, et le Premier ministre et le Président de la République également, de soutenir nos filières traditionnelles que sont la canne, le rhum et la banane au niveau européen et international. Il en va de l’avenir de centaines de planteurs, mais aussi de milliers d’ouvriers agricoles, dont la situation sociale doit aussi nous préoccuper.

Le foncier agricole est bradé, liquidé, laissé au plus offrant, avec parfois la complicité ou l’indifférence d’édiles locaux et de certains fonctionnaires de l’État. Cela doit cesser, et l’État doit prendre toutes ses responsabilités.

Sur le plan culturel, sous la pression, la direction de L’Artchipel-scène nationale de la Guadeloupe a été confiée à un étranger ayant une vague connaissance de la culture guadeloupéenne, après l’éviction d’une directrice qualifiée, qui avait fait ses preuves mais qui avait le tort d’avoir du caractère, des idées, des projets et d’aimer la culture de son pays. La culture en Guadeloupe mérite mieux que cela !

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Et où étaient les Guadeloupéens ce jour-là ?

M. Éric Jalton. Vous avez raison de souligner que les trois élus guadeloupéens étaient absents lors de la réunion.

En matière sanitaire, la Guadeloupe souffre cruellement d’un manque d’équipements pour l’accueil et la prise en charge des personnes âgées, handicapées et victimes d’addiction à la drogue et à l’alcool, ainsi que des malades mentaux. L’État reste sourd à nos appels. La mission d’information parlementaire sur le dossier sensible du chlordécone, que j’ai soutenue, ne préconise pas de suites juridiques à donner à cette affaire. Le Gouvernement se tait et la population, qui ne sait plus quoi manger, s’inquiète légitimement de ce silence pesant. Pourriez-vous en dire davantage, monsieur le ministre, que les deux arrêtés ministériels produits à ce jour sur la base des recommandations de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments ?

Dans le domaine du tourisme, si la Guadeloupe ne pourra jamais concurrencer d’autres pays de la Caraïbe, l’État doit néanmoins accompagner les efforts qualitatifs des professionnels en instaurant notamment une TVA à taux zéro, comme cela se fait en Guyane.

Depuis Frédéric Jalton, dont nous célébrerons bientôt le dixième anniversaire de sa disparition, mes prédécesseurs n’ont cessé d’interpeller les gouvernements successifs sur la nécessité d’implanter un commissariat de police aux Abymes, conurbation à fort taux d’insécurité. Depuis trente ans, celui-ci a été promis tour à tour au Raizet, à Boissard, puis à Lafont. Combien de crimes, de morts, de blessés, de vies gâchées par la drogue, les actes de délinquance ou de vandalisme faudra-t-il pour qu’il voie enfin le jour ?

Nous vous remercions, monsieur le ministre, d’avoir soutenu, notamment par votre présence, l’initiative généreuse de l’équipe de France de football, qui a organisé un match amical à Dillon, dans une Martinique endeuillée. Nous aimerions également pouvoir vous féliciter de l’accompagnement dont bénéficient nos sportifs émérites, et plus largement le sport outre-mer. Malheureusement, notre CREPS n’est pas aussi brillant que les performances que nos sportifs ultramarins offrent à la France lors des compétitions internationales.

Mme Christiane Taubira. Il n’y a pas qu’en sport. Nous sommes aussi brillants ailleurs !

M. Éric Jalton. La chaîne de télévision RFO, aujourd’hui rattachée à France Télévisions, n’est pas en mesure, malgré ses efforts, de retransmettre en direct une manifestation sportive ou culturelle digne de ce nom, excepté peut-être quelques arrivées du tour de Guadeloupe de cyclisme. Quant aux chaînes privées de proximité, telles que Canal 10, TV Éclair, A 1, Archipel 4, qui rendent un vrai service public, elles ne sont guère soutenues par les pouvoirs publics.

Monsieur le Premier ministre,…

M. le président. Pas encore ! (Sourires.)

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Cela viendra ! (Sourires.)

M. Éric Jalton. C’est peut-être un lapsus prémonitoire ! (Sourires.) Monsieur le ministre, donc, les ultramarins, quelle que soit leur couleur de peau, qu’ils soient chômeurs, ouvriers, cadres, chefs d’entreprise, artistes ou sportifs, sont régulièrement victimes de discriminations, individuelles ou collectives, dans une République qui prétend vouloir intégrer tous ses enfants. Les désordres actuels ne les épargnent pas, au contraire ! Ils vivent plus que jamais dans l’angoisse et la peur du lendemain. Pour ne rien arranger, un prétendu historien, qui remet en cause le caractère criminel et génocidaire de la traite négrière esclavagiste, est reçu en grande pompe au Sénat, où son ouvrage révisionniste est récompensé d’un prix ! Et que dire de ce journaliste vedette de la chaîne publique France 3, qui fait diffuser dans son émission un faux SMS évoquant l’odeur des « blacks » ! La justice a du mal à condamner les responsables. La direction de France 3 soutient l’animateur. Quant au ministre de la culture et de la communication, pourtant interpellé, il s’en prend aux protestataires et appuie implicitement l’animateur. Deux poids deux mesures ! Ce sont ces petits glissements tolérés qui mènent aux abysses du racisme et de la révolte. Prenons-y garde !

Monsieur le ministre, si je me réjouis que vous vous préoccupiez, comme les parlementaires ultramarins vous l’avaient suggéré, de l’immigration clandestine outre-mer, dramatique et tragique, je regrette que vous ayez rejeté notre demande d’inclure la Guadeloupe dans le champ d’investigation de la mission d’information parlementaire que vous avez judicieusement suscitée. Devrons-nous nous contenter de la visite du ministre de l’intérieur ? La Guadeloupe compte près de 450 000 habitants. Selon les services déconcentrés de l’État, 6 000 immigrés clandestins y ont débarqué en 2004, provoquant un véritable envahissement démographique. La représentation parlementaire aurait gagné à toucher du doigt la réalité que nous subissons pour mieux légiférer en la matière. Nous attendons, au-delà des promesses du ministre de l’intérieur, les moyens juridiques exceptionnels que vous avez annoncés il y a trois jours. Dois-je vous rappeler que votre prédécesseur s’était déjà engagé dans le même sens ?

Je conclurai par une question, que je pose à vous tous ici présents sans agressivité : par quel extraordinaire, par quel ostracisme, aucun ultramarin à ce jour n’a été nommé à la tête du ministère de l’outre-mer ? (Sourires.)

Par ailleurs, les différents ministères ont une fâcheuse tendance à s’en remettre systématiquement à celui de l’outre-mer dès lors qu’on les interpelle. Comme si l’outre-mer n’était pas vraiment leur affaire ! Devons-nous leur rappeler que l’outre-mer c’est aussi la France ? Que c’est aussi la République ?

Vous avez eu l’occasion, monsieur le ministre, de faire allusion à la passion du Premier ministre pour l’outre-mer. Celle-ci ne se retrouve guère dans son premier budget. Sans faire de mendicité, nous réclamons davantage et mieux. Les peuples ultramarins sont attachés à leur intégration dans la République française. Ils sont légitimement demandeurs de responsabilités locales, de justice et d’équité plutôt que de sollicitude, de paternalisme ou de charité. Ils méritent mieux que cela, vous le savez. (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Aussi, malgré la sympathie et la compassion que vous avez manifestées, monsieur le ministre, à l’occasion des événements tragiques qui ont endeuillé et meurtri le peuple martiniquais, et plus largement le pays tout entier, nous ne pourrons pas voter votre budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Gabrielle Louis-Carabin. C’est bien dommage !

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour
des prochaines séances

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2006, n° 2540 :

Rapport, n° 2568, de M. Gilles Carrez, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

Outre-mer (suite) :

Rapport spécial, n° 2568, annexe 20, de M. Alain Rodet, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

Avis, n° 2570, tome 4, de M. Joël Beaugendre, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

Avis, n° 2573, tome 5, de M. Didier Quentin, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

Action extérieure de l’État

Rapport spécial, n° 2568, annexe 1, de M. Jérôme Chartier, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

Avis, n° 2569, tome 1, de M. Patrick Bloche, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Avis, n° 2571, tome 1, de M. Richard Cazenave, au nom de la commission des affaires étrangères.

Avis, n° 2571, tome 2, de M. François Rochebloine, au nom de la commission des affaires étrangères.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures cinq.)