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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 17 novembre 2005

66e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LUC WARSMANN,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Loi de finances pour 2006

Deuxième partie

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2006 (nos 2540, 2568).

outre-mer (suite)

M. le président. Nous poursuivons l’examen des crédits relatifs à l’outre-mer.

Ce matin, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits.

La parole est à M. Louis-Joseph Manscour.

M. Louis-Joseph Manscour. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’outre-mer, mes chers collègues, Aimé Césaire, le grand poète martiniquais, disait, parlant de l’abbé Grégoire, qu’il était difficile de le camper, tant il était multiple. Je ne sais, monsieur le ministre, si vous êtes multiple. Sans doute… (Sourires.) Mais dans cette « multiplicité », je retiendrai l’homme de cœur que vous êtes, et il me serait difficile de commencer mon propos sans vous remercier à nouveau, très sincèrement, devant la représentation nationale et devant les Martiniquais qui suivent, nombreux je l’espère, nos débats à la télévision, pour cette marque de solidarité, je dirai même d’affection, que vous nous avez témoignée tout au long des dernières semaines.

Mais nous voilà contraints de revenir à l’actualité, qui est aujourd’hui l’examen du quatrième projet de budget de l’outre-mer élaboré par la majorité actuelle, un budget appelé désormais mission « Outre-mer ». Je m’appliquerai, en toute objectivité, sans vaines polémiques certes, mais sans concessions, à vous livrer mes appréciations.

Lors de votre audition à l’Assemblée nationale, le 26 octobre dernier, vous déclariez que votre projet de budget reprenait clairement la feuille de route et les engagements du chef de l’État. Il convient alors d’examiner l’adéquation entre les crédits que vous nous proposez de voter et ces engagements, exprimés notamment le 6 avril 2002 en Martinique.

Quelle était cette feuille de route pour l’outre-mer ? Il s’agissait de créer une véritable égalité économique entre l’outre-mer et la métropole, pour remplacer « une logique d’assistance par une logique de croissance et d’activité ». Dans cette perspective, plusieurs objectifs ont été fixés : le soutien à l’emploi, la lutte contre la précarité et l’exclusion, le rattrapage du retard structurel des collectivités d’outre-mer. Je m’en suis réjoui.

Dans le domaine de l’emploi, malgré une diminution du chômage, la situation reste préoccupante. La seule Martinique enregistre un taux de chômage de 24 % et le tableau de l’emploi outre-mer se noircit, lorsque l’on prend en compte la menace qui pèse sur les secteurs du tourisme, de la santé, mais aussi de l’agriculture. Rappelons-le, en effet, chaque jour, deux exploitations agricoles disparaissent à la Martinique. Des milliers d’emplois ont été supprimés, dont 800 pour la seule année 2004, principalement dans le secteur de la banane.

Face à cette situation bien difficile, comment expliquer que les crédits de paiement prévus pour l’emploi outre-mer baissent de près de 5 % entre 2005 et 2006, ce qui correspond à une perte brute de 56 millions d’euros.

Ces crédits vont inévitablement manquer dans les caisses du FEDOM, si bien que tous les contrats aidés – contrats d’accompagnement dans l’emploi, CES, CEC, projet initiative jeune, et j’en passe – seront insuffisamment abondés l’an prochain. Sans doute justifierez-vous la baisse du FEDOM par la sous-consommation de ses crédits. Ne vaudrait-il pas mieux les réaffecter à d’autres mesures en faveur de l’outre-mer – je pense au logement –, afin de répondre aux attentes de nos compatriotes en grande difficulté ?

Bien entendu, monsieur le ministre, les crédits inscrits dans votre budget ne sont pas les seuls que l’État consacre à l’emploi dans les DOM. D’autres départements ministériels interviennent en la matière, mais les chiffres n’en sont pas plus rassurants pour autant, puisque les crédits de la mission «Travail et emploi » affectés directement aux DOM n’augmentent pas d’un euro. J’ai bien peur, dès lors, que le Gouvernement ait du mal à financer les fameux contrats d’avenir qui ne viendront malheureusement pas compenser la suppression de nos emplois-jeunes.

M. Victorin Lurel. Exact !

M. Louis-Joseph Manscour. À la vérité, je suis intimement convaincu que les actions et les crédits annoncés dans la mission « Outre-mer » pour 2006 ne permettront pas de tenir les engagements du Président de la République en matière d’emploi. La lutte contre la précarité et l’exclusion outre-mer s’en trouvera d’autant plus difficile à mener et, plus encore, à remporter.

Les personnes en situation de précarité sont de plus en plus nombreuses dans les DOM-TOM. La Martinique compte à elle seule plus de 30 000 titulaires du RMI, plus de 9 000 chômeurs de longue durée, et le nombre de demandeurs d’emploi de moins de trente ans y est en constante progression. Les besoins primordiaux de ces personnes se concentrent, bien évidemment, sur l’emploi, mais également sur la protection sociale et le logement. Sur ces points-là non plus, monsieur le ministre, votre mission « Outre-mer » ne satisfera pas les besoins.

En effet, les crédits prévus pour le logement, et visant notamment à l’amélioration de l’habitat, à la résorption de l’insalubrité et à la construction de logements sociaux, ne progressent pas du tout. Au vu de l’inflation, de l’augmentation du coût de la construction, de la croissance démographique, qui est quatre fois supérieure à celle de la métropole, et de votre décision, fort louable au demeurant, d’ouvrir des fonds au titre des normes antisismiques, je ne peux m’expliquer la stagnation des crédits du logement. Surtout lorsque l’on sait que, dans la seule Martinique, 1 200 logements sociaux seulement – logements locatifs sociaux, logements locatifs très sociaux et logements intermédiaires confondus – sont construits chaque année, alors qu’il en faudrait plus de 5 000.

À tous ces éléments s’ajoutent les gels successifs de la ligne budgétaire unique. Tous les parlementaires de la Martinique ont d’ailleurs saisi le Premier ministre à ce sujet, dénonçant la dette de la LBU, qui ne cesse de s’amplifier et qui s’élève à ce jour à 106 millions d’euros, compte tenu des subventions déjà octroyées.

En matière de protection sanitaire et sociale, les crédits accusent une diminution de 4 %. En outre, il me semble que ces crédits ne prennent pas suffisamment en compte les difficultés rencontrées par les personnes âgées, pas plus d’ailleurs que les particularismes sanitaires de l’outre-mer liés notamment à l’alcoolisme, à la toxicomanie, au sida et aux méfaits des pesticides révélés par la mission parlementaire sur le chlordécone, à laquelle j’ai participé.

De plus, le monde hospitalier traverse une crise sérieuse à la Martinique, qui se traduit par l’instauration d’une santé « à deux vitesses ». Elle est due à la réforme de la T2A, la tarification à l’activité, à des problèmes de trésorerie, ainsi qu’à un sous-effectif chronique tant en emplois permanents qu’en personnels remplaçants.

Ce constat, déjà bien sombre, est aggravé, selon moi, par le manque de perspectives offertes aux jeunes. Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, le système scolaire est enrayé par des suppressions de postes d’enseignants. Ensuite, il est inadapté à la forte pression démographique que connaissent nos départements, à un grave retard de scolarisation et à un taux d’illettrisme encore trop prononcé par rapport à celui constaté en métropole. En outre, les jeunes domiens ont encore beaucoup de mal à suivre, comme le voudrait l’égalité républicaine vis-à-vis de leurs compatriotes de métropole, la formation professionnelle ou universitaire qu’ils ont choisie. Et les passeports mobilité et logement ne sont pas suffisamment crédités pour rétablir cette égalité.

M. Victorin Lurel. Ça ne marche pas, en effet !

M. Louis-Joseph Manscour. La situation difficile que je viens de dépeindre nécessiterait des moyens plus importants de la part de l’État, mais aussi de plus grandes marges de manœuvre et d’action pour les collectivités territoriales d’outre-mer. Or, vous le savez, monsieur le ministre, les caisses de nos collectivités sont quasiment vides, notamment celles des communes. La décentralisation mise en place par votre gouvernement n’a consisté, en fait, qu’en un vaste transfert de charges, de dettes, voire de déficits. Après le transfert des TOS, la réforme de la taxe professionnelle, prévue dans le projet de loi de finances pour 2006, aura de très lourdes conséquences sur les budgets de toutes les collectivités territoriales d’outre-mer.

Au vu des crises endémiques qui touchent l’emploi, le logement, la protection sociale, l’agriculture, l’enseignement, la santé et les finances des collectivités locales, et face aux baisses de crédits et aux financements insuffisants de votre mission « Outre-mer », je doute fort que la feuille de route dressée par le Président de la République en 2002 puisse être respectée avant la fin de son mandat. C’est la raison pour laquelle il me sera difficile de voter (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) – pour ne pas dire que je ne le voterai pas ! – pour ce budget de l’outre-mer.

Au moment où l’on commence à reconnaître, à juste titre, les échecs de l’État dans certains quartiers défavorisés, et où l’on prend des mesures d’urgence pour y remédier, il convient de ne pas oublier les départements lointains de la République Française qui, eux aussi, sont défavorisés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Buillard.

M. Michel Buillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget que la République consacre à la Polynésie française est, cette année encore, particulièrement important. Ces crédits nous sont indispensables tant pour notre développement économique et social que pour le bon fonctionnement des services et missions de l’État en Polynésie.

Merci donc à l’État, merci à la France, pour ce soutien que seule l’autonomie au sein de la République garantit.

À l’occasion de l’examen de votre budget, je souhaite, monsieur le ministre, appeler votre attention sur trois dossiers particulièrement sensibles en Polynésie, même s’ils ne concernent pas directement votre ministère, car ils constituent de bons indicateurs de la bonne santé de l’économie et de la démocratie dans notre archipel.

J’évoquerai d’abord la situation des étudiants, avant de parler de la sécurité publique, puis de la situation économique et sociale du territoire.

L’université de la Polynésie française et ses étudiants connaissent une situation préoccupante, qui mérite une attention particulière. Sa dotation globale de fonctionnement est nettement insuffisante. Entre 2000 et 2005, ses moyens financiers ont diminué de 15 000 euros, alors qu’elle enregistrait une augmentation de ses effectifs de 54 %, un accroissement de ses surfaces bâties de 17 % et qu’elle offrait de nouvelles formations.

Aujourd’hui, les conditions de travail des étudiants ne sont plus satisfaisantes. Des programmes de formation doivent être supprimés, ce qui aura des incidences directes sur le développement économique et social de la Polynésie.

Je vous demande donc votre soutien, monsieur le ministre, pour obtenir un redressement rapide de la situation financière de notre université. Je souhaite également que l’on envisage, en partenariat avec le pays, la création d’une nouvelle résidence universitaire et d’une maison de l’étudiant.

Je sais, monsieur le ministre, votre attachement à la lutte contre les discriminations, notamment celles dont pâtissent les ultramarins. Or nos étudiants polynésiens qui viennent faire leurs études en métropole sont malheureusement victimes de multiples discriminations.

Discrimination dans l’accès au logement, d’abord, puisque l’on exige que la caution bancaire soit une personne vivant en métropole. J’entends déposer une proposition de loi à ce sujet.

Discrimination ensuite du fait du manque de logements. Pour pallier cette insuffisance, j’appelle de tous mes vœux la mise en place rapide du « passeport-logement » visant à réserver en métropole un quota de logements aux étudiants d’outre-mer. Je ne doute pas que cette mesure aura autant de succès que le « passeport-mobilité ».

La sécurité publique constitue aujourd’hui une autre préoccupation majeure. Depuis un an, l’insécurité s’est particulièrement aggravée en Polynésie. Des délits de nature raciste font malheureusement leur apparition. Le mépris affiché du président de la Polynésie française pour les lois de la République, pour notre statut d’autonomie en particulier, qu’il qualifie de « bout de papier » devant les chefs d’État et de territoire du Pacifique réunis dans le cadre du Forum, participe au délitement de l’État de droit dans notre collectivité.

Améliorer la sécurité publique, c’est reconstruire la maison d’arrêt, tellement surpeuplée que les magistrats hésitent à prononcer certaines condamnations. C’est aussi doter la police et la gendarmerie de nouveaux moyens humains et matériels.

Enfin, monsieur le ministre, j’appelle votre attention sur le projet Te Autaeaeraa – ce qui signifie « la solidarité » – du gouvernement de la Polynésie française.

Le climat social et économique de la Polynésie est à la morosité. Même l’actuel ministre des finances du gouvernement indépendantiste reconnaît que les investisseurs n’ont pas repris confiance et que les acteurs économiques n’ont plus de visibilité à moyen terme, notamment dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Nous assistons à une flambée des prix. Les services territoriaux fonctionnent au ralenti, tel celui des affaires sociales, essentiel à la cohésion sociale dans notre pays. Et pour combler les déficits sociaux engendrés par la crise économique, le gouvernement indépendantiste envisage d’accroître la fiscalité et les prélèvements pesant sur les acteurs économiques.

Ce projet fiscal a l’ambition de doubler, voire tripler pour tous les travailleurs, la CSG locale. Il a aussi pour objectif de désaffilier de la sécurité sociale les fonctionnaires d’État exerçant en Polynésie, pour leur imposer une affiliation à la caisse de prévoyance sociale du territoire. Ce projet a été élaboré sans concertation avec les principaux intéressés, qui entrevoient, par cette « territorialisation » des fonctionnaires d’État, l’amorce d’un processus éventuel de « largage de l’État », les premiers pas vers un processus de séparatisme. Par-delà les inquiétudes des fonctionnaires d’État, la population polynésienne pressent bien que c’est son avenir à elle, au sein de la République, qui est en jeu. Aussi vous serais-je particulièrement reconnaissant, monsieur le ministre, de bien vouloir me confirmer que l’État n’entend pas abandonner ses fonctionnaires d’État en Polynésie française, ni la République ses enfants polynésiens.

Vous pouvez compter sur mon fidèle soutien au Président de la République, au Gouvernement et à vous-même, monsieur le ministre. Je voterai ce projet de budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savions que l’outre-mer n’était plus une priorité. Nous sommes assurés qu’il est désormais une source constante d’économies. Dernier épisode en date, l’offensive contre la défiscalisation et les exonérations de charges sociales, soutenue au mépris de la loi qui prévoit pourtant une évaluation de ce dispositif en 2006.

Cette version actualisée d’une gestion comptable de l’outre-mer explique en grande partie les réductions successives de son budget après 2002 et les incertitudes qui accompagnent sa mise en œuvre.

Certes, grâce à une croissance soutenue, la création d’emplois dans le secteur marchand a augmenté à la Réunion. Elle demeure toutefois insuffisante pour influer sensiblement sur le taux de chômage, d’autant que, dans l’économie solidaire, le nombre de contrats aidés a constamment diminué depuis 2002, en dépit des effets d’annonce. Les crédits prévus dans ce budget laissent présager que la tendance ne sera pas inversée en 2006.

Aussi, me faut-il répéter une fois de plus que le chômage chronique de la Réunion, qui touche toujours près d’un actif sur trois et plus d’un jeune sur deux, exige d’intervenir simultanément sur les deux volets – marchand et solidaire – de l’emploi. Telle est la condition sine qua non pour agir de manière significative et durable sur l’emploi.

Pouvez-vous me dire à cet égard, monsieur le ministre, si des aménagements sont prévus pour que les contrats d’avenir, dont seulement quelques centaines ont été signés, deviennent plus attractifs aux yeux des collectivités et des associations, comme à ceux des bénéficiaires ?

J’aimerais savoir également quelles sont les prévisions chiffrées pour ce qui concerne les nouveaux contrats d’accompagnement dans l’emploi – les CAE non marchands – qui doivent remplacer les CES et les CEC.

L’expérience que nous avons accumulée depuis plusieurs décennies montre clairement que les solutions pour l’emploi – marchand et solidaire – déploient une plus grande efficacité lorsqu’elles ont été élaborées de façon spécifique, tel le SMA, ou adaptées à notre contexte, tels les emplois-jeunes, et non pas quand elles font l’objet d’une application mécanique, comme dans le cas du CIVIS ou du RMA.

Le deuxième programme de la mission « Outre-mer » concerne principalement le logement. De difficile, la situation est devenue catastrophique, au point que d’aucuns peuvent affirmer que le logement social constitue le premier problème de la Réunion. La situation a été décrite et analysée avec précision. Les besoins présents et futurs sont chiffrés. Les points de blocage sont identifiés. Une charte de l’habitat a été adoptée par tous les acteurs concernés. Mais 25 000 demandeurs de logements sociaux constatent, jour après jour, que la situation s’est encore dégradée depuis le dernier budget.

Le désengagement financier de l’État a entraîné une chute importante du nombre de logements sociaux construits. C’est avec raison, monsieur le ministre, que vous avez déclaré que « la crédibilité de l’État passe par le respect de la parole donnée » et qu’à ce titre, « l’État doit solder ses comptes ».

Vous conviendrez également que le secteur du logement ne peut plus supporter de nouvelles diminutions budgétaires ni des variations injustifiées en cours d’exercice. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons une programmation pluriannuelle des crédits en faveur du logement, comme cela a été fait dans le cadre de la loi de cohésion sociale. Les montants ainsi programmés devront mieux tenir compte et des retards à combler, et des demandes liées à l’évolution démographique.

Les insuffisances de l’emploi et du logement, auxquelles il faudrait ajouter la baisse continue du pouvoir d’achat, que subissent surtout les plus modestes, ne sont pas sans nombreuses conséquences, notamment sur le secteur éducatif. Si ce domaine connaît de grands progrès quantitatifs et qualitatifs, on ne peut toutefois passer sous silence les difficultés qui y subsistent, par exemple l’illettrisme persistant des jeunes et les trop nombreuses sorties du secteur éducatif sans qualification. Nous sommes particulièrement sensibles à tout ce qui peut améliorer le système éducatif et aussi, bien sûr, à tout ce qui peut lui nuire. C’est pourquoi nous tenons à rappeler que le transfert des TOS sans rattrapage préalable a été refusé par tous et nous attirons l’attention du Gouvernement sur l’impasse où sont enfermés les non-titulaires, pour qui la loi n’a rien prévu.

Dans ce contexte de morosité, la Réunion doit encore affronter d’importantes échéances internationales.

D’abord, la réforme de l’OCM sucre, qui entraînera notamment une diminution significative du prix du sucre.

M. Jean-Claude Lefort. Absolument !

Mme Huguette Bello. Nous comptons sur le gouvernement français pour une compensation intégrale des pertes, quelle que soit la baisse du prix du sucre. C’est seulement cette compensation intégrale qui pourra freiner l’abandon de la culture de la canne par un nombre important de petits et moyens planteurs.

Dans le même esprit, toujours pour limiter les conséquences sociales de l’OCM sucre, nous réitérons notre demande d’une expertise destinée à chiffrer la valeur et la répartition de toutes les richesses produites à partir de la canne. Cette démarche ne pourra que faciliter les décisions qui devront être prises à Bruxelles, à Paris ou à la Réunion, notamment lors de la renégociation, en 2006, de la convention entre l’État, les industriels et les planteurs. Elle devrait permettre aussi d’imaginer, avec plus de sérénité, de nouvelles pistes de diversification, comme la production de biocarburants. Cette démarche est également la solution pour favoriser le maintien à long terme de la culture de la canne, qui a façonné les paysages, la société et l’imaginaire réunionnais.

Mais les cultures traditionnelles ne sont pas les seules à devoir affronter la mondialisation, qui n’épargne ni les périphéries des villes ni celles des continents. Le sommet de l’OMC, en décembre prochain à Hong Kong, risque également de déboucher sur la libéralisation des services, premier secteur d’activité et d’emploi de la Réunion.

M. Jean-Claude Lefort. Eh oui !

Mme Huguette Bello. L’examen de ce budget coïncide, hélas, avec des événements graves. Puisse cette pénible expérience des violences urbaines, fruit de la désespérance de toute une partie de la jeunesse, nous apprendre le prix que les intéressés et la société tout entière sont prêts à payer pour solder l’imprévoyance et l’aveuglement ! Puisse-t-elle jeter une lumière crue sur nos responsabilités à l’instant du vote de ce budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Taubira.

Mme Christiane Taubira. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, si les annonces d’augmentations de crédits, d’année en année, suffisaient à régler les problèmes de l’outre-mer, nos territoires seraient aujourd’hui des terres de nababs ! Il est vrai qu’ils le sont pour certains…

L’exercice est bien huilé : chaque ministre nous annonce l’augmentation de son budget et l’opposition parvient toujours, de bonne ou de mauvaise foi, à démontrer, à périmètre constant, que les crédits ont baissé. Pour l’outre-mer, depuis plusieurs années, les priorités sont l’emploi et le logement.

Pour ce qui concerne l’emploi, les indicateurs sont impitoyables, même si, de-ci de-là, on peut trouver des filières dans lesquelles il y a création d’emplois et où l’on se gargarise d’un taux de création supérieur à la moyenne nationale. Le taux de chômage, lui aussi, demeure de deux à quatre fois supérieur à la moyenne nationale.

Le programme 138 de la mission « Outre-mer » consacré à l’emploi et qui intègre les crédits du FEDOM et du SMA, ne fera pas de miracle si ne sont pas mises en place des stratégies de développement et des politiques de coopération qui s’appuient, au moins pour la Guyane, sur la formation des femmes et des hommes et sur les ressources naturelles, y compris les nécessaires arbitrages à effectuer quant à l’exploitation des ressources minières et à l’exploration des hydrocarbures. En ce domaine, la France n’a aucune raison de s’affranchir de la convention de Carthagène dont elle est signataire.

Quant au logement, qui relève du programme 123, et qui inclut l’ancienne ligne budgétaire unique, la hausse de 5,91 %, en supposant qu’elle soit avérée, ne résoudra rien si la construction de logements ne se met pas enfin au diapason des besoins. On risque de voir se renouveler la combinaison, infernale et fatale pour la démocratie, de quatre injustices : la construction de masures et de palaces luxueux sur des terrains privés ou à risques ; la démolition sans pitié de constructions, masures ou palaces, où des enfants se croyaient innocemment à l’abri ; l’augmentation concomitante de la pression sur la demande de logement, en raison de la priorité donnée aux familles ainsi jetées à la rue, qui aggrave les délais d’attente pour celles qui se sont conformées aux règles et aux procédures ; l’impunité, enfin, pour ceux qui, dans les services de l’État ou des collectivités, sont chargés du contrôle de l’espace urbain et ont donc leur part de responsabilité dans ce désordre généralisé, par laxisme, complicité ou même duplicité.

Monsieur le ministre, l’entropie crée une ambiance létale pour le civisme et la solidarité. Nous n’en sortirons ni à coup de slogans, ni en jouant à colin-maillard, ni par des coups de menton. Le plan Guyane – dont le contenu demeure encore très mystérieux, du moins en ce qui me concerne – ne fera pas de miracle, quelle que soit l’intensité de vos efforts.

Je pourrais me livrer à un exercice convenu et vous réciter la litanie des secteurs sinistrés, en commençant par les services publics : l’éducation, avec les milliers d’enfants non scolarisés ou déscolarisés ; la santé, avec une démographie médicale en dérade, ses plateaux techniques sous-équipés, son gouffre financier, ses catastrophes – de la coqueluche à la maladie de Chagas –, ses injustices avec les traitements antipaludéens, ses anachronismes avec la tuberculose. Je pourrais poursuivre en évoquant le logement, dont je viens de parler, le transport, l’enclavement du territoire. Je pourrais insister sur le secteur marchand, qui crie au secours quand on étrangle ses efforts pour créer des emplois qualifiés. Je pourrais m’étendre sur les tremblements du secteur agricole, sur les soubresauts du secteur industriel. Je pourrais vous dire combien les narcotrafics et toutes les activités interlopes sont dévastateurs pour la démocratie, car ils nourrissent l’insécurité et fauchent une jeunesse fragile.

M. Jean-Claude Lefort. Hélas !

Mme Christiane Taubira. Mais je ne me complais jamais dans le tableau misérabiliste de nos sociétés, par ailleurs tellement stoïques et ingénieuses. Et j’ai trois bonnes raisons d’abréger mon propos, monsieur le président, et d’aller à l’essentiel, puisque vos petits clignotants m’y invitent.

La première, c’est que le temps est chiche, comme le rappelle notre président.

La deuxième, c’est que vous avez effectué plusieurs voyages outre-mer, monsieur le ministre, et que je vous sais attentif aux personnes, aux paysages, aux situations. Vous savez donc la grande dissemblance qui nous caractérise, mais aussi nos profondes convergences. Vous connaissez notre dispersion géographique sur la moitié de la planète, notre diversité sociologique, nos fortes singularités culturelles, nos disparités économiques, qu’il s’agisse des pesanteurs de l’économie de rente qui affectent certains territoires ou des fabuleux potentiels terrestre, minier et spatial de l’immense Guyane. Quant aux nuances institutionnelles, qui vont de la souveraineté partagée jusqu’à la plus stricte identité législative, en passant par toute une variété de statuts, elles démontrent simplement que la France n’est plus un État central unitaire et que, si elle sait respirer au rythme des cultures, elle saura aussi invalider les crispations issues de la peur de l’autre. La mission « Outre-mer » prétend embrasser tout cela dans un même débat et dans un même budget. C’est à la fois sa grandeur et sa limite.

La dernière raison que j’ai d’aller très vite, c’est que l’essentiel n’est pas dans les lignes de crédits. Il est dans la capacité à appréhender et à comprendre les blocages et les potentialités. La mondialisation a changé la donne. Nous ne sommes plus au temps de ce que Bertrand Badie appelle la « grammaire de la distance » qui assurait « la primauté du gouvernant sur le gouverné ». Le politique, c’est-à-dire la puissance d’agir, n’est plus enfermé dans la conception territoriale de Max Weber. Aujourd’hui, il doit apprendre à se mouvoir non plus seulement dans des territoires, mais dans des espaces de plus en plus multiples, mobiles et élastiques. Même nos affirmations identitaires s’inscrivent dans des stratégies qui servent aussi à produire de l’altérité. Autrement dit, la nécessité pour l’État n’est plus seulement d’exercer sa souveraineté, mais également d’être de plus en plus capable de maîtriser ses responsabilités, c’est-à-dire les conséquences de ses actes. C’est ce qui doit inspirer les politiques publiques internes, mais également les politiques de gestion migratoire, qui ne doivent plus se limiter à la répression, mais s’inscrire au cœur des relations étrangères et de la diplomatie.

M. Jean-Claude Lefort. Très bien !

Mme Christiane Taubira. Outre-mer, nous sommes au cœur du monde. Et parce que nous pratiquons le monde, par notre diversité sociologique, caribéenne, sud-américaine, australe, pacifique, par nos histoires composites et tumultueuses, par notre grande diversité culturelle, nous savons qu’il n’y a pas de salut dans la camisole de la peur. Nous sommes au cœur du monde et nous le pratiquons ; nous savons donc que, pour combattre les effets néfastes de la mondialisation, Édouard Glissant a raison de nous dire qu’il n’y a que « la poétique de la mondialité ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Huguette Bello. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Gérard Grignon.

M. Gérard Grignon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelle que soit l’importance des crédits dont nous pouvons débattre dans cet hémicycle, quelle que soit la manière de les présenter, ils n’offrent d’intérêt que si, sur le terrain, ils se traduisent en dispositions et en réalisations concrètes, visibles et vécues par la majorité de nos populations, et si les responsables politiques et les acteurs économiques peuvent s’en servir pour conduire une politique de développement à long terme, au lieu de gérer au coup par coup et au jour le jour, des actions d’assistance et de survie qui dégradent les mentalités et découragent les élus.

L’outre-mer a donc besoin d’une politique globale de développement portant sur le long terme. Cela signifie que doivent cesser les coups de poignards dans le dos qui lui sont portés à chaque examen de la loi de finances, lorsque sont supprimés les quelques outils de développement dont il dispose, et ce sans qu’une véritable politique globale de développement économique et social soit mise en place, sans même que soient respectées et prises en compte les dispositions arrêtées ici même par notre assemblée, sous différents gouvernements, au cours des vingt dernières années : loi Pons, loi Perben, lois Queyranne et Paul, loi Girardin, etc. Sans une vision globale de la situation de l’outre-mer, il serait irresponsable, irréaliste et mortel pour nos collectivités ultramarines de mettre fin à certaines dispositions en vigueur, qu’il s’agisse de la défiscalisation des investissements, des exonérations de charges sociales, des primes à la création d’emplois, des salaires de la fonction publique ou des retraites.

Tout cela concerne bien évidemment Saint-Pierre-et-Miquelon, où vous avez pu constater lors d’une récente visite, monsieur le ministre, que les collectivités locales font face à une situation budgétaire particulièrement difficile.

En fait, l’archipel ne s’est jamais remis du lamentable échec de la France lors de l’arbitrage frontalier de New York et de l’arrêt quasi-total de son unique activité productrice : la pêche.

Dans ce contexte économique sinistré, j’avais déjà affirmé en 1994 que la part laissée à la collectivité territoriale dans le financement du nouvel aéroport était beaucoup trop importante et allait plonger l’archipel dans une situation d’endettement à long terme dont il pourrait difficilement s’extraire. Il me paraissait alors évident, malgré les efforts importants demandés à la population et la politique de rigueur menée de 1994 à 2000, que les recettes budgétaires émanant de seulement 2 200 foyers fiscaux trouveraient vite leur limite.

C’est pourquoi je considère que l’avenir de l’archipel passe par la mise en place d’une convention de développement économique, social et culturel engageant l’État et la collectivité territoriale sur le long terme et intégrant la prise en charge de l’annuité de la dette consécutive à l’échec de la France à New York en 1992.

Vous avez vous-même constaté le décalage souvent important entre les engagements du Gouvernement ou les autorisations de programme et la délégation des crédits de paiement. Je souhaiterais donc que vous fassiez le point sur la réalité des interventions de l’État dans l’archipel ces deux dernières années par rapport aux engagements pris.

Je suis ainsi intervenu à plusieurs reprises en faveur de l’attribution d’une subvention d’équilibre à la commune de Saint-Pierre. Vous en avez accepté le principe, mais je souhaiterais que vous précisiez les dispositions que vous venez d’arrêter afin de permettre au budget communal de faire face à ses difficultés.

Par ailleurs, les choses n’avancent pas dans certains domaines, en particulier dans le secteur social. Je citerai trois exemples.

En 2000, j’ai fait adopter un amendement à la loi d’orientation sur l’outre-mer pour assurer la coordination des régimes de protection sociale de métropole et de Saint-Pierre-et-Miquelon. Cinq ans après, le décret n’est pas sorti. De ce fait, les Saint-Pierrais et Miquelonnais sont parfois considérés comme des étrangers vis-à-vis du régime général et ils ne peuvent, comme tous nos concitoyens, posséder la carte Vitale.

La commission d’action sociale de la caisse locale n’est pas en mesure d’accomplir efficacement son travail car elle réclame en vain depuis cinq ans la modification de l’arrêté interministériel qui fixe sa composition conformément au droit commun.

Dans l’archipel, les prestations familiales datent d’un arrêté de 1966 et la plupart des prestations actuelles servies en métropole – allocation de rentrée scolaire ou allocation parentale d’éducation, par exemple – n’existent pas localement. Après quatre ans d’interventions, nous sommes parvenus à obtenir le principe de l’extension de ces dispositions par la voie d’une ordonnance devant prendre effet le 1er août dernier et sur laquelle le conseil général, consulté, a émis un avis favorable. Mais rien n’est encore appliqué, et le décret est bloqué faute de l’accord de Bercy sur la nécessaire adaptation du plafond retenu au contexte local, afin que les prestations servies touchent le même pourcentage de familles qu’en métropole.

Nous réclamons depuis quatre ans la modification de la loi de juillet 1987 instituant un système d’assurance vieillesse, et plus particulièrement l’indexation des retraites sur l’indice local relatif à l’augmentation du coût de la vie et non pas sur le taux général d’inflation, comme en métropole. Le système actuel est injuste, inéquitable et de plus totalement inefficace. Nous réclamons ensuite une modification du calcul des pensions afin de l’établir sur les vingt-cinq meilleures années, comme en métropole, et non pas sur l’ensemble de la carrière.

Ces demandes de simple justice sociale demeurent vaines et désespérément sans réponse. Or la plupart des retraités du secteur privé et de l’ENIM sont au minimum vieillesse. Des femmes seules, âgées pour la plupart, ne perçoivent que 720 euros par mois, alors que remplir une cuve de fioul domestique – dont le prix vient d’augmenter brutalement de 30 % – coûte 576 euros, sans que cela suffise, compte tenu du climat qui est le nôtre, à passer le mois, surtout en janvier et février. En ajoutant simplement à cette seule dépense les 100 euros mensuels de l’indispensable mutuelle, les personnes âgées sont réduites à un bien triste choix : se chauffer ou se nourrir.

C’est pourquoi je vous ai demandé, dans ces circonstances exceptionnelles et en complément des actions pouvant être engagées localement, de débloquer une enveloppe budgétaire dans le cadre des aides à l’habitat afin de permettre aux personnes âgées et aux personnes à faibles ressources de passer le cap de l’hiver dans des conditions dignes.

Je voudrais terminer en évoquant très brièvement trois dossiers importants.

Le premier est celui de la desserte maritime de l’archipel, compétence de l’État dans le cadre de la continuité territoriale. De mission en mission, de rapport de spécialistes en rapport de spécialistes, ce secteur a connu, au cours des douze dernières années, deux ou trois plans de restructuration, le dépôt de bilan de quatre ou cinq sociétés maritimes, sept navires différents et autant de subventions dont les montants sont constamment remis en cause. La population est en permanence prise en otage et victime de cette errance : augmentation des coûts du fret, irrégularités des approvisionnements, arrêt de la desserte. Vous l’avez constaté sur place, monsieur le ministre, et vous avez décidé le 15 septembre d’une nouvelle mission, arrivée fort tardivement. À nouveau, le navire est à quai.

Ne pensez-vous pas que le contrôle sévère de l'État doit s'exercer plus régulièrement et que l'État doit s’impliquer davantage dans ce domaine ? Quelles sont les conclusions de la mission récente ? Toute la transparence doit être faite sur la gestion d'Alliance SA, et le coût réel de la desserte dans le cadre de la continuité territoriale doit être objectivement établi et rendu public. En tout cas, il devient impératif et urgent que cette desserte soit remise en route dans les meilleurs délais, surtout à cette période de l'année, dans des conditions de régularité, d'efficacité et de stabilité dans le temps. Et là aussi, il ne faut plus tarder, les consommateurs et les commerçants étant exaspérés. L'archipel, sans desserte depuis plus de douze jours, est aujourd'hui presque totalement privé de produits frais. De nombreux conteneurs sont bloqués à Halifax à l'approche des fêtes de Noël. L'absence d'approvisionnement en produits pharmaceutiques pose problème. C’est dès demain que cette desserte doit reprendre.

Enfin, monsieur le ministre, il est nécessaire d'anticiper sur la préparation de l'échéance 2007, qui verra la renégociation des accords de pêche franco-canadiens de 1994. Il y va de l'avenir de l'ensemble des activités pêche dans l'archipel, qu’il s’agisse du maintien de l'emploi à Interpêche ou des pêcheurs artisans.

Je termine, monsieur le président.

M. le président. S’il vous plaît.

M. Jean-Claude Lefort. Prenez votre temps, c’est intéressant !

M. Victorin Lurel. C’est un bon discours d’opposant !

M. le président. Ne divertissez pas l’orateur. Poursuivez, mon cher collègue.

M. Gérard Grignon. Vous savez que, si la France tient à maintenir sa présence dans cette partie du monde riche en gisements d'hydrocarbures offshore, elle doit, conformément à l'article 76 de la convention de Montego Bay sur le droit de la mer, demander l'extension de sa juridiction au-delà des 200 milles marins jusqu'aux limites du plateau continental.

M. Jean-Claude Lefort. Tout à fait !

M. Gérard Grignon. Pour ce faire, un dossier doit être déposé devant la commission compétente de l'ONU avant mai 2009. Or deux ans sont nécessaires pour établir un tel dossier et rien n'est encore programmé. La France, déjà triste en 1992 à New York, a-t-elle définitivement décidé de disparaître noyée le long des côtes de Terre-Neuve ? Le Canada a étendu son influence à 370 milles marins au large de ses côtes, alors que le droit international maritime offre à notre pays une chance inespérée, mais unique et limitée dans le temps, dans le cadre du droit international.

Je souhaite, monsieur le ministre, connaître vos intentions sur ce dossier fondamental pour Saint-Pierre-et-Miquelon et pour le maintien de la présence française et européenne dans cette partie du monde. J’attends des réponses concrètes sur l’ensemble des sujets que je viens d’exposer. Je vous en remercie, par avance et vous fais entièrement confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lefort. C’est très beau !

Mme Christiane Taubira. Et même attendrissant !

M. Victorin Lurel. Quand même, il a réservé sa position !

M. Alfred Marie-Jeanne. Il s’émancipe !

M. le président. La parole est à M. Mansour Kamardine.

M. Mansour Kamardine. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, les efforts entrepris en faveur de Mayotte sont considérables. J’aurais aimé vous en parler cet après-midi, mais le temps qui m’est imparti ne le permettra pas. Permettez-moi de vous exprimer, monsieur le ministre, la reconnaissance des Mahoraises et des Mahorais.

Voilà trois semaines que la France s'est brutalement réveillée ébouriffée par ce qu'il est désormais communément admis d'appeler la « crise des banlieues ». Chacun y va de ses analyses et de ses propositions de solutions. Pour ma part, je vois deux explications principales que je voudrais soumettre à la sagacité de notre jugement commun.

C’est d'abord une crise de la République. Depuis plusieurs décennies, la France est entrée dans une surenchère législative et réglementaire. Chaque majorité, quand ce n'est pas chaque gouvernement, veut sa propre loi. Nous avons pris le parti de légiférer sur tout ce qui bouge, y compris sur l'éducation familiale et l'exercice de l'autorité parentale. Avec la Convention internationale des droits de l'enfant, nous avons nié aux parents le droit naturel de façonner à leur guise leur éducation. Ils ne peuvent plus, sans risquer les foudres de la justice, réprimander leurs enfants, qu’à Mayotte nous appelons depuis ces dernières années « les enfants du procureur de la République ».

Mme Christiane Taubira. Il faut donc les fouetter ?

M. Mansour Kamardine. Je comprends donc que l’on puisse s'interroger sur la responsabilité de parents auxquels l'État a interdit de dispenser l'éducation qu'ils avaient reçue de leurs propres parents. Mais l’urgence est d’organiser la nouvelle éducation familiale et républicaine souhaitée par tous, afin qu'ils puissent la transmettre aux enfants.

Ensuite, la crise réside dans la tromperie sur « la marchandise » commune qu’est la République. Nous avons tous appris que la République n'est une question ni de couleur ni de race, mais d'égalité. Or cette crise a révélé, après plus de deux siècles de République, que l'égalité reste à construire. C'est le principal enseignement à tirer de cette crise des banlieues. Des solutions exorbitantes du droit commun sont proposées et acceptées par tous pour y résorber le chômage – deux fois plus élevé que la moyenne nationale – ou encore pour repenser l'urbanisation, et c'est normal. Mais le même traitement exorbitant du droit commun pour réduire le chômage outre-mer, où il plastronne à près de quatre fois la moyenne nationale, rencontre les plus vives réticences. C'est le second enseignement que je tire de nos débats sur le projet de loi de finances pour 2006, et notamment sur le vote, cette nuit, de l'article 61. Certains y voient des niches sans chiens. (Sourires.)

M. Jean-Claude Lefort. Non : il y a plein de chiens dans les niches !

M. Mansour Kamardine. Au sein de cette assemblée, y compris dans les rangs de l'UMP – ce que je regrette avec d'autres –, l'égalité ne recouvre pas la même chose selon que l’on vit outre-mer ou en métropole.

Mme Christiane Taubira. Tiens donc !

M. Mansour Kamardine. Pour ceux-là, l’outre-mer coûte cher à la France. Je leur dirai : souffrez, chers collègues, d'apprendre que l'outre-mer ne coûte pas plus à la France que telle ou telle région de métropole,…

Mme Christiane Taubira. Il lui rapporte !

M. Mansour Kamardine. …car l’outre-mer, c'est aussi la France.

M. Gérard Grignon. Très bien !

M. Mansour Kamardine. Il participe au rayonnement de la France et notre pays ne serait pas une grande puissance mondiale présente sur tous les continents sans ses départements et ses collectivités d'outre-mer.

M. Jean-Claude Lefort. Bien sûr !

M. Mansour Kamardine. Souffrez que, dans cet esprit, nous vous parlions de la nécessaire égalité entre les enfants de la République quelle que soit la latitude sous laquelle ils se trouvent : en Europe, dans le Pacifique, dans l'Atlantique ou dans l'océan Indien.

Souffrez que je vous dise que nous ne sommes pas là pour mendier, mais pour naturellement réclamer la solidarité de l'État, à défaut de l'égalité. Ce débat auquel j'ai fait allusion a opposé deux républiques : celle des calculs et des comptables, même s'il en faut dans la vie publique, et celle du rêve et de l'espoir que votre projet de budget incarne, monsieur le ministre.

Mme Christiane Taubira. Quel bonheur !

M. Mansour Kamardine. C'est donc sans surprise que je le voterai, car il répond au besoin de développement durable dans ces lointaines contrées de la France.

Ce budget poursuit un triple objectif de soutien à l'emploi, de lutte contre la précarité et l'exclusion, de rattrapage du retard structurel de nos collectivités. Je ne m'attarderai pas davantage sur son contenu, que les orateurs précédents ont d'ores et déjà rappelé. En revanche, je voudrais, monsieur le ministre, vous faire partager l'ambition que je nourris pour Mayotte.

Nous devons, d'ici à la fin de la présente législature, rendre irréversible la marche vers la départementalisation. C'est pourquoi je dois vous faire part de mon impatience s'agissant du projet de loi portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, qui tarde à venir en débat. Ce projet, comme vous le savez, doit constituer la dernière rampe de lancement de cette départementalisation réclamée localement depuis bientôt cinquante ans.

Le principe d’identité législative sur la quasi-totalité de notre arsenal législatif et réglementaire, que le projet doit consacrer, devra être parallèlement accompagné par des efforts de remise à niveau économique et social. Cela suppose de repenser les moyens budgétaires attribués aux communes mahoraises, à la base de l'amélioration du cadre de vie de nos concitoyens, par le renforcement du fonds de péréquation et du fonds de rattrapage. De même, il est urgent que le processus d'intégration dans la fonction publique soit redynamisé, car il ne peut y avoir de politique de développement durable sans une véritable fonction publique digne de ce nom. Au plan social, le moment est venu que le Gouvernement tire les conséquences du rapport Larger-Rousset de l'IGAS, daté du mois de mars 2004.

Nous devons également très vite reconsidérer la politique de l'habitat et de la ville. Il est temps de constituer une nouvelle société d'économie mixte aux côtés de la SIM afin de résorber l'habitat insalubre et d’offrir aux populations locales un meilleur cadre de vie.

Au plan économique, nous déplorons le retard pris dans la réalisation des études techniques de la piste aéroportuaire et de l'aérogare de Pamandzi, l'un des poumons de notre désenclavement et de notre développement. La lutte contre la fracture numérique est non seulement un élément du développement économique, mais aussi de l’égalité des chances.

Enfin, l'avenir de Mayotte s'inscrit en Europe. C'est le sens que nous donnons à notre candidature aux régions ultrapériphériques.

En un mot, monsieur le ministre, Mayotte aspire à la dignité et ne veut rien quémander. Elle veut offrir à chacun des enfants de la République qui y résident la possibilité de construire leur avenir par le travail.

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. le président. Il vous faut conclure, mon cher collègue.

M. Mansour Kamardine. Sur toutes ces questions, je serais heureux de connaître avec précision la position du Gouvernement. La jeunesse mahoraise sera en particulier attentive à vos réponses relatives à l’emploi et à l’attribution des bourses.

Permettez-moi de remercier la représentation nationale d'avoir bien voulu se saisir, à la demande du Gouvernement, de la question de l'immigration clandestine, qui sape tous les efforts de développement entrepris localement par le Gouvernement. Comme vous le savez, la mission d'information se rendra sur place du 12 au 16 décembre prochain pour s'enquérir de la réalité du phénomène migratoire et de ses conséquences dans l'île. Qu'il me soit d'ores et déjà permis de souhaiter la bienvenue à tous nos collègues sur ce territoire qui, depuis 1841, porte très haut les couleurs de la France. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Accoyer. Excellent !

M. le président. La parole est à Mme Gabrielle Louis-Carabin.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, chacun s'accordera à dire que l'emploi – priorité affichée de la mission « Outre-mer » – est essentiel pour remédier à une situation économique inquiétante et à un malaise profond.

M. Victorin Lurel. Aïe !

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Le développe-ment économique de nos régions est très important. Mais, cette année, le projet de loi de finances pour 2006, qui veut instituer plus d'équité et de justice fiscale, a tenté d'ébranler la pérennité des outils essentiels au développement durable des régions d'outre-mer. Défiscalisation et exonérations de charges sociales ont été montrées du doigt comme des avantages indus, des niches fiscales à supprimer à tout prix, ce dans un esprit de bonne gouvernance budgétaire, de maîtrise de la dépense fiscale. Monsieur le ministre, vous l'aviez très bien exprimé au Premier ministre, le 27 octobre à Matignon : il n’est pas question ici de niche fiscale, mais de rattrapage et de développement structurel.

Permettez-moi de vous rappeler, chers collègues, que la loi Girardin votée en 2003, pour une durée de quinze ans, prévoit dans ses articles 5 et 28 une évaluation triennale. Il est vrai que l'État ne saurait être une machine à distribuer des moyens et, comme l'affirme souvent le président de la commission des finances, nous devons avoir à l’esprit les contraintes budgétaires. Mais il existe une réalité à laquelle l'outre-mer n'échappe pas : celle du chômage endémique, des handicaps structurels et de son développement économique.

J’ai entendu, lors de la discussion de la loi de programme pour l’outre-mer en 2003, qu’une dépense fiscale devait toujours être motivée par l’exigence de créer des richesses, des emplois. J’ai aussi entendu vanter la logique de résultat de la LOLF version 2006. Et j’ai entendu qualifier l’emploi de priorité absolue pour le Gouvernement dans le cadre de cette réforme budgétaire.

Eh bien, nous y sommes : la dynamique de la loi de programme et de la mission « Outre-mer » vise à créer des richesses et des emplois, à améliorer le progrès social, à rompre avec l’assistanat, à privilégier l’initiative privée et le secteur marchand. Par conséquent, les politiques menées outre-mer sont bien dans l’esprit de la LOLF et la loi de programme pour l’outre-mer, contrairement à ce que j’ai entendu ces dernières semaines, obéit bien à une logique de résultat.

L’outre-mer est pris en exemple : le service militaire adapté, dont le taux d’insertion professionnelle est de 94 % en Guadeloupe, a été récemment étendu à l’ensemble du territoire national.

Monsieur le ministre, j’attends de vous que vous confortiez pleinement le rôle d’acteur central du ministère de l’outre-mer dans le pilotage des politiques publiques ultramarines, comme cela a été le cas l’an dernier avec le transfert de 668 millions d’euros du ministère de l’emploi au ministère de l’outre-mer. J’attends de vous que vous confortiez le pacte de confiance que vous avez engagé avec les élus de l’outre-mer, dans l’intérêt de nos compatriotes.

Plus que jamais, une politique cohérente et durable doit être renforcée. Elle ferait ainsi barrage à toute tentative de déstabilisation qui, à terme, risque de rendre illisible la politique de l’emploi outre-mer.

Il importe donc, pour plus d’efficacité, de développer une logique d’évaluation des dispositifs incitatifs existants car, avant de déstabiliser, d’amoindrir des dispositifs qui fonctionnent, il faut en mesurer l’impact. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Une action qui tienne compte des réalités du terrain, conformément à la logique de la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, doit être privilégiée. La Constitution conforte l’adaptation des lois et règlements en tenant compte des spécificités et des contraintes particulières des départements et régions d’outre-mer. Elle confirme que l’égalité ne vaut qu’à situation identique.

À l’occasion de l’examen de la mission « Outre-mer », je souhaiterais que vous apportiez plus de précisions sur l’effort budgétaire global en faveur du développement économique de nos régions. De plus, la question du logement dans nos départements étant cruciale, pouvez-vous nous indiquer les principaux axes de la politique du Gouvernement en matière de logement social ? Le taux de consommation de la ligne budgétaire unique s’est-il amélioré ? Qu’en est-il de l’évolution statutaire de Saint-Martin et Saint-Barthélemy ?

M. Victorin Lurel. Bonne question !

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Je profite de cette occasion pour appeler votre attention sur le projet de modernisation de l’outil industriel de Gardel, unité sucrière de ma circonscription. Il importe que l’État : vous, monsieur le ministre, et que la région : vous, monsieur le président Lurel, mettent à disposition les crédits nécessaires pour une mobilisation des fonds européens,…

M. Bernard Accoyer. Très bien !

Mme Gabrielle Louis-Carabin. …car ces investissements sont plus que jamais essentiels à la sauvegarde des emplois face à la menace d’une modification de l’OCM sucre.

Je tiens à faire entendre la voix des agriculteurs qui, pour la troisième année consécutive, n’ont pu tirer bénéfice de la récolte de leurs cannes restées sur pied en raison des pluies diluviennes et de l’absence d’un centre de transfert dans le Nord Grande-Terre. Il importe donc d’accompagner leur démarche de modernisation pour la prochaine récolte et les récoltes à venir.

J’appelle enfin votre attention sur l’immigration clandestine, sur la drogue, qui déstabilise notre société – comment lutter contre ces fléaux ? –, sur la recrudescence du sida en Guadeloupe. Quels moyens seront mis en œuvre pour enrayer plus efficacement l’épidémie ?

Au début de notre mandat en 2001 (Exclamations)… En 2001, j’étais maire, c’est vrai. C’est en 2002 que je suis devenue députée…

M. Mansour Kamardine. Et vous serez ministre en 2007 !

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Vous me faites rire !

Quand je suis arrivée à l’Assemblée nationale, on discutait du budget de l’outre-mer la nuit. L’année dernière, nous avons commencé l’après-midi et, cette année, nous avons commencé le matin. Je remercie le président de l’Assemblée nationale, M. Debré (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire)… Il faut le dire quand c’est bien ! Vous aussi, vous appréciez, monsieur Lurel, puisque vous étiez toujours en train de protester…

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Allez, Lurel !

M. Victorin Lurel. Bravo ! (M. Lurel applaudit.)

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Je remercie également les élus de l’UMP qui sont présents sur ces bancs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je transmettrai vos remerciements au président Debré et au ministre chargé des relations avec le Parlement.

La parole est à Mme Juliana Rimane.

Mme Juliana Rimane. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le soutien à l’emploi et à l’insertion professionnelle, l’amélioration des conditions de vie des populations et l’intégration et la valorisation des régions ultramarines sont les trois priorités fixées dans la mission « Outre-mer » ; elles correspondent aux attentes de tous nos concitoyens.

Le budget que nous examinons témoigne de l’engagement du Président de la République et de son gouvernement en faveur du développement économique, social et culturel des collectivités d’outre-mer.

Cependant, l’effort consenti, certes encourageant, reste encore insuffisant pour faire face aux difficultés auxquelles est confronté mon département, la Guyane. D’une part, la globalisation des crédits pour l’ensemble de l’outre-mer et, d’autre part, le mode de répartition des dotations, fondé uniquement sur des critères de population, ne permettent pas de prendre pleinement en considération les spécificités et les besoins de ce département, d’autant que le nombre d’habitants retenu, 175 400, est loin de correspondre à la réalité. Toutes les études avancent un chiffre supérieur, de 30 à 80 %.

La LBU est ainsi répartie entre les collectivités d’outre-mer en fonction du nombre d’habitants. Or les crédits affectés à la Guyane ne représentent que 10 % de l’enveloppe totale, alors même qu’elle accuse un retard en matière de logements et de réhabilitation de l’habitat insalubre nettement plus important que dans les autres DOM.

Les collectivités locales sont aussi lourdement pénalisées par la répartition des dotations au prorata de la population.

Une étude récente commandée par la préfecture indique que la situation générale de la Guyane, déjà très critique, s’aggravera en raison de la pression démographique croissante et des retards observés dans tous les domaines. Le PIB par habitant, qui était en 1999 de 63,5 % du PIB par habitant européen, n’en représentait plus que 57,3 % en 2002, soit une baisse de 6 %. C’est la seule région ultrapériphérique dont le PIB par habitant baisse de façon aussi significative.

Au vu de cette étude particulièrement alarmante, le Gouvernement a pris très heureusement la décision d’élaborer et de mettre en place dès 2006 un plan spécifique de solidarité nationale pour la Guyane. Je me réjouis naturellement de cet engagement mais, ici et là, des voix s’élèvent pour regretter que les acteurs locaux ne soient pas davantage associés aux travaux préparatoires et informés de l’état d’avancement de ce dossier.

Il est vrai que la Guyane possède des atouts considérables, liés à la jeunesse de sa population, à sa situation géographique, à l’étendue de son territoire et à la richesse de la biodiversité de son patrimoine, mais ses atouts sont affaiblis par de nombreux handicaps, qui tiennent à l’éloignement de la métropole, à l’enclavement de certaines régions, à la pression démographique et à la faiblesse du système économique.

Néanmoins, ces handicaps pourraient être atténués si, enfin, on consentait à les inscrire dans une approche plus audacieuse et, surtout, plus ambitieuse. Pour cela, il est essentiel de mettre en place les moyens favorisant le développement économique.

Dans ce cadre, la formation des jeunes est une priorité. En dépit d’un effort considérable des collectivités pour la construction d’établissements scolaires, ceux-ci sont encore en nombre insuffisant. Dans ces conditions, l’égalité des chances est loin d’être une réalité pour tous les enfants en Guyane. Ainsi, un grand nombre d’élèves ne sont plus scolarisés à l’issue de la classe de troisième faute de filières adaptées et de places dans les lycées d’enseignement général. Le manque d’internats est aussi un facteur d’abandon de l’école de manière précoce. De nombreux jeunes se retrouvent donc dépourvus de qualification et sans perspective d’avenir. Dans ce domaine, le soutien renforcé de l’État et de l’Europe aux collectivités locales est une nécessité.

La réalisation des infrastructures et des équipements de base sur l’ensemble du territoire est une exigence économique et sociale majeure. Est-il acceptable aujourd’hui que toute une partie de la population ne puisse disposer ni d’eau potable courante, ni d’électricité, ni de téléphone, et que des familles, pour avoir l’électricité, soient obligées d’acheter un groupe électrogène et de débourser entre 300 et 400 euros par mois pour l’approvisionner en carburant ? Est-il acceptable que cette même population éprouve les plus grandes difficultés à se déplacer, à se former, à se soigner et à trouver un emploi ? Là aussi, un engagement fort de l’État est indispensable compte tenu de la faiblesse des possibilités financières des collectivités locales.

L’amélioration de la qualité de vie des populations repose sur l’aménagement du cadre de vie : logement, santé, culture, sport, loisirs... Ainsi, je vous ai fait part de la nécessité de créer une zone franche sanitaire sur la totalité du territoire guyanais afin d’y attirer et d’y maintenir les professionnels de santé. En effet, la démographie de ces professions est entre trois et cinq fois inférieure aux moyennes nationales.

Enfin, la maîtrise drastique de l’immigration est une condition sine qua non pour favoriser le développement de la Guyane.

M. Bernard Accoyer. Très bien !

Mme Juliana Rimane. Dois-je vous rappeler qu’au moins 30 % des personnes vivant en Guyane sont d’origine étrangère, sans compter plusieurs dizaines de milliers de clandestins ?

À cette pression de l’immigration clandestine s’ajoute une insécurité grandissante qui exaspère la population. La semaine dernière encore, des familles et des commerçants se sont fait agresser à Kourou. Le taux de criminalité est l’un des plus élevés de France, l’orpaillage clandestin perdure en dépit des efforts, les prisons sont surpeuplées, les occupations illégales de terrains ou de logements augmentent considérablement, les trafics de toutes sortes de marchandises licites ou non se développent.

Des efforts ont été consentis ces dernières années en matière législative et les moyens des forces de l’ordre ont été renforcés, mais l’expérience montre que ces politiques sont incapables de juguler efficacement le phénomène, compte tenu de la situation géographique de la Guyane et du niveau de vie des pays voisins. C’est pourquoi, comme vous, je pense qu’il faudrait réfléchir à des mesures plus adaptées et novatrices. Dans ce cadre, la mise en place d’une commission chargée d’apprécier les conditions d’immigration et de proposer des solutions, que j’ai préconisée, serait de nature à enrichir le débat. Nous attendons aussi les conclusions de la commission d’enquête mise en place par le Sénat.

S’il est essentiel de créer les conditions permettant un développement durable, il est tout aussi capital de valoriser les potentialités locales et de dynamiser l’économie par la structuration des filières agricoles et de pêche, le soutien de l’industrie du bois, l’assainissement du secteur aurifère, la stimulation de l’offre bancaire et l’encouragement de la vocation de la Guyane à devenir un pôle d’excellence dans le domaine de l’écotourisme, de l’environnement et des sciences. De ce point de vue, la sélection de la candidature de mon département à un pôle d’excellence rurale aurait valeur de symbole.

Depuis 2002, je demande un traitement particulier du dossier guyanais en rupture avec une politique de gestion sans vision d’avenir et sans cohérence. Cela demande non seulement des moyens financiers adéquats, mais aussi une volonté politique forte d’accompagnement du développement économique. Le plan Guyane suscite de grandes espérances ; souhaitons qu’il soit à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. André Thien Ah Koon.

M. André Thien Ah Koon. Monsieur le ministre, vous savez où se trouve la Réunion : aux confins sud de l’océan Indien. Derrière nous, il y a 4 millions de kilomètres carrés de mers, les plus poissonneuses du monde. Elles sont gardées par la marine nationale française et, depuis ces dix dernières années, nous avons coulé une vingtaine de bateaux pirates. C’est dire l’importance de ces espaces marins pour l’humanité, pour la France. Vous êtes d’accord, mon cher collègue de Mayotte ?

M. Mansour Kamardine. Absolument !

M. André Thien Ah Koon. Nous venons donc ici avec le sentiment de contribuer à la grandeur de la France. Quatre millions de kilomètres carrés de mer, ce n’est pas rien. Nous avons 750 000 habitants, 1 % de la population française. Certains sont en difficulté. La France est un grand pays, et c’est un grand défi pour les services de l’État, pour vous-même, monsieur le ministre : comment la France ne serait-elle pas capable de résoudre un problème qui concerne 2 % de la population française, je parle pour l’outre-mer globalement ?

Entourée de cinq pays francophones, dont Madagascar, la Réunion joue un rôle éminent dans l’océan Indien. Si la France s’en désintéresse, des pays étrangers, à pas feutrés, pourraient prendre sa place. Vous voyez de qui je parle ? Le Moyen-Orient, le pétrole, la guerre…

J’invite mes collègues de métropole qui ne connaissent pas l’outre-mer, à bien mesurer la dimension de la France dans le monde. Il ne faut pas s’arrêter à des querelles. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Claude Lefort. Il ne faut pas non plus nous exclure !

M. André Thien Ah Koon. Ah bon ? Qui a rogné progressivement la loi de programme ? La gauche ! Année après année, elle est venue avec ses ciseaux, si bien qu’aujourd’hui il n’en reste plus rien ! Ayez un peu de pudeur, après ce que vous avez fait ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lefort. Ce n’est pas acceptable !

M. André Thien Ah Koon. C’est parfaitement vrai ! Voyez, vous dis-je, ce que vous avez fait de la loi de programme ! S’il y a 40 % de chômeurs à la Réunion, c’est en grande partie de votre faute !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Bien sûr !

M. André Thien Ah Koon. En dépit d’un contexte budgétaire très difficile pour tous les Français, je vous félicite, monsieur le ministre, pour la qualité du travail accompli par vous-même et votre équipe. Soyez fier. Nous savons que nous pouvons avoir confiance en vous. Vous êtes jeune, intelligent et vous avez l’énergie et la détermination nécessaires pour mener à bien ces projets.

Mme Christiane Taubira. N’en jetez plus !

M. André Thien Ah Koon. Les retards structurels que nous connaissons sont dus à notre histoire : nous avons subi l’esclavage, le colonialisme. Ce n’est qu’en 1946 que nous avons accédé à la départementalisation. Ce sont Michel Debré et le général de Gaulle qui nous ont sortis de la misère quand ils se sont rendu compte qu’à la Réunion, des blancs originaires de Bretagne ou de La Rochelle, portant des noms français, marchaient pieds nus. Ce n’est pas la gauche qui nous a aidés !

Mme Huguette Bello. La départementalisation, c’est la gauche !

M. André Thien Ah Koon. Alors, n’essayez pas de vous approprier le travail de Michel Debré !

M. Alain Rodet, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Debré, vous l’avez viré en 1988 !

M. André Thien Ah Koon. Le problème de l’outre-mer, rapporté à ceux de l’ensemble du territoire national, est un petit problème. Seul 1 % de la population française vit à la Réunion, qui est entourée de 4 millions de kilomètres carrés de mer et de 30 millions de francophones. Nous sommes en lutte avec d’autres grands pays dans l’océan Indien. Aujourd’hui, c’est un grand État d’outre-Atlantique, demain, ce sera l’Asie et après-demain, l’Inde.

Nous devons affirmer notre présence dans l’océan Indien, au nom de la France et de l’Europe ; nous devons être un bastion avancé, une vitrine de nos capacités technologiques, et pour cela il ne faut pas avoir d’états d’âme.

Chers collègues de l’UDF,…

Mme Béatrice Vernaudon. Où sont-ils ?

M. André Thien Ah Koon. … nous ne sommes pas là pour payer les différends familiaux. Réglez vos problèmes ailleurs ! S’apitoyer sur notre sort est une injure à notre passé. Faites attention lorsque vous demandez l’équité fiscale. N’oublions pas qu’il faut aussi payer le passé. Ce pays, qui est devenu depuis 1946 un département français, resterait à la traîne ? Cela n’est pas possible ! Nous devons avoir le sentiment que l’action du Président de la République pour l’outre-mer est stratégique, humaine et socialement défendable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lefort. Ce n’est donc pas le cas actuellement.

M. André Thien Ah Koon. Outre-mer, s’il n’y avait pas eu Michel Debré et maintenant Jacques Chirac, ce n’est certainement pas sur vous que nous aurions pu compter. Vous étiez prêts à nous donner l’autonomie et l’indépendance, ne l’oubliez pas !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Eh oui !

Mme Huguette Bello. Et alors ?

M. Mansour Kamardine. N’appuyez pas trop là où ça fait mal !

M. André Thien Ah Koon. Vous auriez largué l’outre-mer, si nous vous avions laissés faire.

M. Victorin Lurel. C’est excessif !

Mme Christiane Taubira. La saveur d’une leçon de morale s’apprécie en fonction de celui qui la donne !

M. André Thien Ah Koon. N’ayez pas peur, monsieur le ministre, de la situation de l’outre-mer. Nous avons des atouts. Que la Réunion connaisse un taux de chômage de 40 %, ce n’est pas grave puisque, compte tenu du vieillissement de la population, la métropole compte de moins en moins d’actifs, ce qui représentera autant d’emplois pour les Français de l’outre-mer ! (« Astucieux ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

On entend parler de migration choisie : il n’y a pas à choisir une migration. Nous sommes des Français. La continuité territoriale mise en place par le Gouvernement permettra à la France continentale d’accueillir nos jeunes, qui sont bien formés. Ainsi le problème de l’outre-mer est susceptible d’être résolu facilement. Il ne faut pas avoir peur d’aider l’outre-mer, parce que grâce à la loi de programme mise en place Mme Girardin, nous avançons.

La dimension mondiale de la France passe notamment par la présence française dans le Pacifique et l’océan Indien. Il faut que la qualité de nos plateaux techniques s’améliore, que l’enseignement universitaire continue de se développer. Je souhaite que nous soyons le pays référent de la France et de l’Europe dans l’océan Indien. Pour cela, nous avons besoin de vous, monsieur le ministre.

Par ailleurs, j’y reviens, que nos collègues de l’UDF…

M. Jean-Claude Lefort. Il n’y en a pas un seul !

M. André Thien Ah Koon. … s’abstiennent de faire trop de zèle, car ils nous ont fait perdre des cantons et des voix en s’attaquant aux fonctionnaires, à leurs salaires, à leurs retraites ! Il est utile de le rappeler à l’UDF, qui le fait peut-être exprès, pour arranger ses affaires. C’est vrai qu’il y a toujours des trublions dans une famille, qu’il faut les accepter parce que ce sont des frères, mais certains rappels à l’ordre sont parfois nécessaires.

M. Victorin Lurel. Pourquoi n’entrez-vous pas à l’UMP ? Vous êtes seulement apparenté !

Mme Christiane Taubira. C’est pour cela qu’il fait autant de zèle !

M. André Thien Ah Koon. Je remercie le président de notre groupe, Bernard Accoyer,…

M. Jean-Claude Lefort. Il n’est pas là non plus !

M. André Thien Ah Koon.… d’avoir pris en main nos problèmes (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et aussi M. le ministre, parce que c’est grâce à lui que les choses avancent. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous êtes jaloux, parce que nous avons un bon ministre !

Permettez-moi quelques mots sur l’éducation nationale. Comment travaille-t-on dans notre pays ? 80 % des lycéens ont le baccalauréat mais l’université, dès la première année, fout à la porte 80 % de ces mêmes jeunes !

Mme Christiane Taubira. Quel langage !

M. André Thien Ah Koon. C’est une question importante. Ce ne sont pas les Réunionnais qui sont bêtes. Il y a un problème ! Il faut surveiller cette question.

Par ailleurs, comment préserver une bonne formation des prix dans nos îles si on laisse se développer les monopoles ? Dans tous les domaines commerciaux, pas un jour ne se passe sans que les accapareurs ne rachètent les petits. Et s’il y a un jour une grève dans un groupe, on ne pourra plus nourrir la population. Nous deviendrons alors les victimes d’un chantage, que ce soit dans le domaine de l’énergie, des carburants ou des produits stratégiques – le ciment, par exemple, qui coûte 400 francs la tonne en métropole, est vendu 1 000 francs la tonne à la Réunion ! Voilà pourquoi, monsieur le ministre, il faudra bien envisager une loi anti-monopole pour que les autochtones aient aussi leur part ! Nous ne sommes pas là pour servir un système colonial comme au temps de Colbert et de la Compagnie des Indes. Il est grand temps d’y mettre de l’ordre.

La question des visas doit être étudiée très sérieusement. Un sous-préfet ne serait-il pas capable de délivrer un visa pour la France ? Il semble que non puisqu’à la Réunion, pour obtenir un visa, il faut s’adresser au préfet. Dès lors qu’un maire a certifié que la demande d’invitation formulée par une famille française est valable, le sous-préfet devrait pouvoir délivrer un visa immédiatement.

M. René André. C’est très important.

M. le président. Mon cher collègue, il faut conclure.

M. André Thien Ah Koon. Il y a un problème, monsieur le ministre, à moins que l’on ne veuille plus voir les étrangers chez nous mais, dans ce cas, il ne faut pas chercher à développer le tourisme !

Mme Christiane Taubira. Clientélisme !

M. André Thien Ah Koon. Selon les dernières statistiques, il y aurait 25 % de touristes en moins en France.

M. le président. Mon cher collègue, il va falloir conclure.

M. André Thien Ah Koon. Monsieur le président, je vous remercie de me laisser la parole, j’en fais bon usage ! (Rires.)

Monsieur le ministre, un sous-préfet doit être capable de délivrer un visa, selon une procédure à définir. Notre système est dépassé. Nous ne voulons plus que les Asiatiques passent par l’Allemagne ou l’Italie pour entrer en France !

M. René André. Absolument !

M. André Thien Ah Koon. Il faut changer notre politique !

M. Jean-Claude Lefort. Ça, au moins, c’est exact !

M. André Thien Ah Koon. Enfin, qu’en est-il de la situation des personnes âgées bénéficiaires du Fonds national de solidarité ?

M. le président. Il faut vraiment conclure !

M. André Thien Ah Koon. Je termine, monsieur le président.

Pourquoi impose-t-on aux héritiers des personnes allocataires de la couverture vieillesse un remboursement sur succession ? Ces dernières en viennent ainsi à refuser le Fonds national de solidarité. Alors qu’un Rmiste touche 2 500 francs par mois, une personne âgée de soixante-dix ans ne touchera que 1 500 francs par mois. Il faut mettre un terme à cette situation.

Quant à l’assurance maladie, on met en cause les pharmaciens, les médecins et les malades alors que la plus grande partie des dépenses – 70 % – est à mettre sur le compte de l’hôpital public.

Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir fait preuve à mon égard de tant de mansuétude.

Mes chers collègues, soyons fiers de ce que nous faisons outre-mer. Vive la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Béatrice Vernaudon. Je vais vous parler, monsieur le ministre, de la Polynésie française, que vous ne connaissez pas encore mais où vous êtes attendu impatiemment, avant la fin de l’année, pour sceller le pacte de confiance que vous avez su proposer à l’ensemble de l’outre-mer, ce dont je vous remercie au nom des Polynésiens.

Depuis la loi organique de février 2004, la Polynésie est devenue, au sein de la République, un pays d’outre-mer qui se gouverne librement et démocratiquement. Son autonomie est garantie par l’article 74 de la Constitution.

Depuis l’adoption de ce statut, sans équivalent dans l’ensemble français, et depuis les événements qui ont suivi, la Polynésie est entrée dans une ère de réorganisation politique et sociale et de transformation des mentalités. Ces évolutions ne se font pas sans inquiétudes, du fait d’une croissance ralentie par un changement de priorités économiques et un contexte international affecté par la hausse du prix du pétrole,

De surcroît, les déclarations du président du pays en faveur d’une pleine souveraineté de la Polynésie contrarient une large majorité de la population, qui reste attachée à son maintien dans la République.

Toutefois, le projet de développement durable de ce nouveau pays d’outre-mer, dont la nouvelle majorité issue des urnes est porteuse, représente un défi que la population souhaite relever, dans un partenariat renouvelé avec l’État. C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous nous reconnaissons dans le pacte de confiance que vous proposez d'établir avec les élus des différentes collectivités d'outre-mer autour d'objectifs partagés, pour leur redonner les moyens d'agir concrètement en faveur du bien-être des populations.

Dans cet esprit, j'aborderai deux dossiers qui me paraissent essentiels pour l'avenir de la Polynésie : d’abord l'impérieuse nécessité d'un nouveau dispositif contractuel entre l'État et la Polynésie, puis la réforme communale, dont le chantier est déjà bien avancé.

Les versements de l'État à la Polynésie française en 2004 ont été évalués à 1 261 millions d'euros : 33 % sont consacrés à l'éducation, à l'enseignement supérieur et à la recherche ; 16 % aux activités de défense nationale ; 14 % aux pensions versées aux retraités relevant de l'État ; 12 % aux missions de la compétence de l'État ; 25 % sont répartis entre le pays et les communes.

En termes de transferts en faveur du pays, la dotation la plus importante est la dotation globale de développement économique, la DGDE, qui, dans le cadre de la LOLF, se trouve inscrite à votre budget à compter de 2006. D'un montant de 166 millions d'euros en 2005, elle est portée à 180 millions d'euros pour 2006, du fait d'un avenant datant de 2003 qui couvre le rattrapage des sommes dues au titre des années 1996 à 2002.

Bien que moins importante en valeur relative, la deuxième convention relative aux actions de solidarité et de santé publique représente un dispositif capital pour notre système de protection sociale généralisée instauré en 1995, grâce à la conjugaison des solidarités nationale et locale. Cette convention, issue de la loi d'orientation pour le développement économique et social de la Polynésie française, nous a permis de bénéficier pendant dix ans d'une dotation annuelle de 33,6 millions d'euros, grâce à laquelle a pu être instauré un système de protection sociale généralisée extrêmement généreux assurant l’égalité d'accès aux soins, la généralisation des prestations familiales et l'amélioration très sensible du minimum vieillesse et des allocations en faveur des personnes handicapées ou en difficulté sociale.

Faute de reconduction de cette convention au-delà de 2003, la dotation correspondant aux actions de solidarité et de santé publique a été réduite de près de 12 millions d'euros en 2004. En 2005, et pour les mêmes raisons, cette dotation est réduite de près de 6 millions d'euros, 8 millions restant pour l'instant gelés au titre des crédits de santé. Qu'en est-il vraiment, monsieur le ministre ? Pouvons-nous compter sur votre intervention en fin d'année pour débloquer ces 8 millions d’euros de crédits de solidarité au titre de 2005 ?

Je me dois de rappeler qu'en 2004 et 2005, la Polynésie a dû compenser 13 millions d'euros au titre du régime de solidarité, qu'elle finançait déjà à près de 85 %, et des actions de formation des personnels sociaux et infirmiers, qu'elle finance désormais à 100 %.

Enfin, si les communes se réjouissent que la part des recettes fiscales attribuées par le pays passe de 15 à 17 %, cet effort représente une somme de 15 millions d'euros par an à prélever sur le budget du pays et fait passer la dotation de 110 à 125 millions d'euros, avec un rattrapage consenti depuis 2003.

Pourtant, le plus pénalisant pour notre développement est la non-reconduction du contrat de développement dans les conditions qu’ont obtenues d'autres collectivités d'outre-mer. Comme vous le savez, monsieur le ministre, ces contrats de développement ont permis de financer pendant dix ans des investissements aussi essentiels que les constructions scolaires, le logement social, l'adduction d'eau potable, les équipements sanitaires dans les îles, les aides aux entrepreneurs individuels, les dotations au développement de filières pour le secteur primaire, la prévention des risques naturels, et tant d'autres programmes indispensables. Ces financements ne peuvent pas être reportés sur la DGDE, dont les crédits sont consacrés depuis 1996 aux gros investissements structurants.

Ainsi, le budget du pays bénéficiait depuis 1996 de deux sources de financement en provenance de l'État : la DGDE, à hauteur de 150 millions d'euros par an ; les conventions et le contrat de développement encadrés par la loi d'orientation pour 80 millions d'euros par an.

Pour faire image, faute de base législative, l'État a fermé le robinet alimentant la deuxième source de financement, privant la Polynésie de 35 % de ces transferts !

Vous conviendrez qu'il est temps de remettre l'ouvrage sur le métier et de sceller ensemble le pacte de confiance que vous proposez, offrant pour dix nouvelles années un cadre juridique et financier clair, basé sur des constats et des objectifs de développement partagés.

C'est dans cette perspective que le nouveau gouvernement de Polynésie élabore en ce moment un nouveau projet de loi d'orientation et de programme, qu'il souhaite vous présenter sur place, afin que vous puissiez recueillir, selon les règles de l'impartialité républicaine, les avis de toutes les composantes politiques et sociales sur ce nouveau projet de développement de la société polynésienne au sein de la République.

Comme vous le savez, la réforme communale est un chantier très attendu et très prometteur pour la Polynésie. Faisant suite à l'ordonnance de janvier 2005, le décret relatif au statut de la fonction publique communale est en cours d'élaboration. Les maires vous savent gré d'avoir pris en considération leurs demandes dans le cadre de la ratification de cette ordonnance. Quand vous les rencontrerez la semaine prochaine, ils vous diront comment ils envisagent la complémentarité entre leur organisation actuelle et le futur centre de gestion et de formation.

Début 2006, vous prendrez une autre ordonnance pour adapter à la Polynésie le code général des collectivités territoriales : les communes polynésiennes seront ainsi les dernières de la République à s'émanciper et à mettre en œuvre la décentralisation.

Pour s'administrer librement et exercer pleinement leurs attributions, les communes devront faire des efforts afin de mettre à niveau les compétences de leurs agents et de ceux qu'elles devront recruter. Ce n'est pas au maire qui préside depuis dix ans aux destinées de la ville de Troyes que j'apprendrai que les formations initiale et continue des agents municipaux sont indispensables à la bonne gestion de la cité.

Mais cela à un coût, et ce coût est d'autant plus élevé qu'il faut rattraper les années perdues. Le rétablissement en 2004 de la participation de l'État au fonds intercommunal de péréquation, l'augmentation de la DGF en 2005, l'augmentation conséquente du FIP territorial devraient desserrer l'étau qui les étouffe, sans leur permettre pour autant de retrouver enfin toutes leurs forces.

Dès lors, il faut absolument contractualiser ces relations, pour que le pays et l'État aident les communes à exercer durablement et équitablement leurs nouvelles compétences en matière d'eau potable, de traitement des déchets et d’assainissement. Ces missions sont à la base de la sauvegarde d'un environnement si fragile, indispensable au développement économique et social de notre pays.

Quelles nouvelles ressources propres allons-nous donner aux communes ? Quel type d'autonomie financière pouvons-nous leur garantir ? Peut-il être fait appel rapidement à d'autres sources de financement, à travers l'Agence française de développement, la Caisse des dépôts et consignations ou des dispositifs de défiscalisation ?

Monsieur le ministre, l'élaboration du pacte de confiance que la Polynésie appelle de ses vœux et qui prendra forme à travers le projet de loi en cours d'élaboration représente une occasion unique pour l'État et le pays de conjuguer leurs efforts en faveur des communes. Un volet relatif à l'accompagnement de la décentralisation et à l'aide aux communes doit figurer en bonne place dans le projet qui vous sera soumis pour le compte de l'État.

Dans un pays aussi dispersé que le nôtre, et dans un contexte culturel où le communautaire soude de façon remarquable, et depuis des siècles une société pluriculturelle et multi-ethnique, les communes sont appelées à prendre une place essentielle dans la sauvegarde de notre identité. Favoriser les initiatives locales, la démocratie participative, la citoyenneté, l'amélioration du cadre et des conditions de vie quotidienne est au cœur des enjeux de la réussite de notre réforme communale. C'est pourquoi je suis persuadée que le rétablissement de relations de confiance entre la Polynésie et l'État, associé au déploiement des initiatives locales à travers l'action communale, va s'ajouter à la beauté de notre cadre et à la richesse de notre culture pour faire rayonner la Polynésie et la France dans l'ensemble de l'Océanie.

Monsieur le ministre, j'ai eu l'occasion de vous dire tout le bien que je pensais des dispositifs mis en place pour l'outre-mer, tels que la continuité territoriale, le passeport mobilité ou le service militaire adapté, tous destinés à répondre aux attentes de notre jeunesse, qui représente plus de 50 % de la population. Je souhaite que nous continuions, avec votre ministère et l'ensemble des élus ultramarins, à construire un avenir pour cette jeunesse.

Nous avons pu apprécier votre énergie, votre sens du dialogue et de la mesure, votre présence dans les moments douloureux et votre détermination lorsqu'il s'agit de défendre des dispositifs importants pour nos collectivités. Ce sont autant de qualités auxquelles les Polynésiens sont sensibles, comme vous pourrez le constater sur place prochainement.

C'est pourquoi, sans attendre la signature du pacte que notre nouveau pays d'outre-mer appelle de ses vœux, je tenais à vous manifester publiquement, ainsi qu’à toute votre équipe, la sympathie des Polynésiens, en votant en toute confiance votre budget. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. René-Paul Victoria.

M. René-Paul Victoria. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule à ce débat sur le budget de l’outre-mer, je voudrais insister, tout particulièrement à l'intention de mes collègues de métropole, sur un point qui me paraît fondamental : l'effort de l'État pour l’outre-mer est bien loin d'être ce tonneau des Danaïdes que l'on évoque parfois avec facilité et sous de faux prétextes.

M. René André. Très bien !

M. René-Paul Victoria. Il suffit, pour s'en convaincre, d'étudier les tendances économiques et sociales constatées ces dernières années dans nos entités territoriales. Depuis la loi de programme pour l'outre-mer, nous commençons à inverser la spirale infernale du chômage structurel qui faisait peser de lourdes hypothèques sur l’avenir de notre territoire. Ainsi, en l'espace de quatre ans, selon les indications de l’INSEE, nous sommes passés d'un taux de chômage de 36,5 % en 2000 à 31,9 % en 2005, soit une baisse de 4,6 %.

Mme Huguette Bello. C’est encore beaucoup trop !

M. René-Paul Victoria. De même, nous enregistrons une légère baisse du nombre des Rmistes, de l'ordre de 0,5 % d'après les statistiques de la caisse d’allocations familiales de la Réunion.

Ces résultats ne sont pas dus seulement au traitement social du chômage, mais aussi au dynamisme de nos entreprises. Dans le secteur du BTP, par exemple, plus de 2 000 emplois ont été créés entre 2004 et 2005, alors que ses effectifs salariés n'avaient cessé de diminuer au cours de la précédente décennie.

Le programme « Emploi » du budget de l'outre-mer est donc positif. Mais la prudence reste de mise, monsieur le ministre, puisque le taux de chômage est très nettement supérieur à la moyenne nationale. C'est pourquoi je serai particulièrement vigilant à propos de ce chapitre de votre budget : la mise en place des nouvelles mesures pour l'emploi ne doit pas augmenter la contribution des collectivités locales, qui sont déjà pour beaucoup en difficulté. Il en est de même pour les associations, qui n'ont plus de moyens et qui frappent aux portes des mairies.

Dans cette nécessaire mutation, votre prédécesseur s'était engagé à ce qu’aucun jeune ne reste sur le bord du chemin de l'insertion.

Mme Huguette Bello. Quelle réussite !

M. René-Paul Victoria. Je souhaite que le même état d'esprit vous anime dans la gestion du programme « Emploi outre-mer ». Je sais que je peux compter sur votre engagement.

La question du logement, et surtout du logement social, est aussi une grande préoccupation de nos territoires. Certes, vous avez annoncé, lors de votre récente visite à la Réunion, un dégel conséquent des crédits de la ligne budgétaire unique, qui permettra aux crédits de paiement d'atteindre pour notre département le seuil de 70 millions d'euros cette année, soit une hausse de 15 % par rapport à 2004. Je tiens cependant à vous signaler que les gels et dégels successifs de la LBU entraînent systématiquement un ralentissement des investissements, une perte d'énergie, et entretiennent un climat de méfiance vis-à-vis du Gouvernement. Je vous demande donc de ne plus accepter cette procédure qui n'apporte rien au débat et à l’offre de logements.

De plus, nous sommes inquiets devant la stagnation annoncée de cette même LBU à hauteur de 173 millions d'euros de crédits de paiement.

Par ailleurs, nous sommes en face de plusieurs contraintes. D'abord, la demande de logements reste élevée à l'échelle de l'île : pour la seule commune de Saint-Denis, 4 000 dossiers sont encore en instance. Ensuite, la hausse du cours du pétrole a contribué à la hausse du coût de construction : avec un volume financier identique, nous ne pouvons que construire moins de logements sociaux.

Je souligne, par parenthèse, que la flambée des cours du pétrole pénalise des milliers de familles réunionnaises, surtout les plus modestes, qui ont vu le prix du gaz augmenter encore.

Au-delà du réel problème du foncier, toutes les communes de notre île se heurtent à l’écueil de l’assainissement, indissociable de l’aménagement. Si la plupart de nos communes sont aujourd’hui reliées à un réseau couplé à une station d’épuration, il n’en reste pas moins que ces infrastructures ne touchent qu’un nombre limité d’habitants, résidant pour l’essentiel dans des zones à forte urbanisation. La normalisation de la situation exige des moyens financiers importants. Pour l’assainissement collectif seul, les investissements sont évalués à plus de 200 millions d’euros pour les prochaines années. Le Fonds régional d’aménagement foncier et urbain mobilise déjà, dans le cadre du contrat de plan État-région, des moyens importants, mais ils sont nettement insuffisants et je souhaite que nous puissions ouvrir une discussion à ce sujet.

Le troisième point sur lequel je souhaite insister concerne la continuité territoriale. C’est à l’initiative de notre majorité qu’a été mis en place ce dispositif clé pour la mobilité des hommes. Je rappelle à ceux qui ont dénigré cette mesure que le passeport de mobilité a permis à bon nombre de jeunes d’accéder à l’insertion et à la formation sur le sol national.

Quant à son financement prévisionnel dans le budget 2006, il est nettement insuffisant au regard des enjeux et de la demande de mobilité de nos compatriotes d’outre-mer. Il n’est pas tolérable que des Martiniquais, des Réunionnais, des Guadeloupéens, des Guyanais ou d’autres ressortissants de l’outre-mer doivent débourser des sommes importantes pour un billet d’avion entre leur île et la métropole. Pour des familles de quatre à cinq personnes, ce qui est courant chez nous, cette dépense est insupportable malgré une prise en charge partielle sur les crédits actuels de la continuité territoriale. Le développement économique, social et humain de l’outre-mer ne doit pas être bridé par le coût exorbitant des liaisons aériennes. C’est là un aspect essentiel du principe de l’égalité des chances. Je souhaite donc, monsieur le ministre, que nous puissions, là encore, travailler à la recherche d’une solution acceptable.

La notion de continuité territoriale doit être aussi étendue aux intrants indispensables à toute forme de production locale, au coût des télécommunications et à 1’audiovisuel. Dans ce dernier domaine, il nous faudra poser tous ensemble la question du rôle de RFO dans le développement de nos territoires.

J’évoquerai, en quatrième lieu, la santé. L’épisode médiatisé du premier cas supposé de grippe aviaire sur notre île, heureusement démenti par les analyses, aura néanmoins été un signal d’alerte. Nos territoires, situés principalement en zone tropicale, sont à la confluence de nombreux échanges humains, d’où une aggravation des risques.

À la Réunion même, nous sommes confrontés, comme je l’ai rappelé hier, à une épidémie de Chikungunya, dont l’éradication suppose encore des moyens importants. Nous attendons, par ailleurs, un renforcement des moyens de la veille épidémiologique assurée à la Réunion dans le cadre de la coopération régionale, notamment dans le domaine de la recherche.

En prévision d’une stabilisation démographique qui tarde à se concrétiser et qui portera la population de l’île, d’ici quelques années, à près d’un million d’habitants, je souhaite aussi que l’effort de l’État porte sur une amélioration de la démographie médicale. En effet, la densité des professionnels de santé sur l’île est inférieure à la moyenne métropolitaine : de 19 % pour les généralistes et 37 % pour les spécialistes.

Je ne saurais conclure sans mentionner la création prochaine du parc national des Hauts, qui doit être un nouvel outil du développement de l’île. Je forme le vœu que l’ONF, qui gère aujourd’hui la quasi-totalité de la surface du futur parc, continue d’assurer la gestion de cet espace. Avec votre soutien, monsieur le ministre, j’espère arriver à trouver la forme juridique la mieux adaptée : conventionnelle ou législative.

Il faut encore évoquer la nécessité de la défiscalisation. Une étude comparée de la productivité de la main-d’œuvre et du capital entre la Réunion et une région métropolitaine démontre que les salariés réunionnais dégagent en moyenne une valeur ajoutée de 49 000 euros, soit légèrement plus que leurs homologues métropolitains. En revanche, en l’absence de défiscalisation, la rentabilité des capitaux est légèrement inférieure à la Réunion – en retrait de 9 000 euros pour 100 000 euros investis. Le système de défiscalisation tend à faire disparaître cet écart.

Enfin, je renouvelle le souhait, que j’avais exprimé l’année dernière dans cet hémicycle, d’accueillir à la Réunion une délégation de mes collègues métropolitains, qui pourraient ainsi toucher du doigt la réalité de notre île.

M. René Dosière. On va venir !

M. René-Paul Victoria. Le 19 mars prochain, la Guadeloupe, la Guyane, …

Mme Christiane Taubira. Présente !

M. René-Paul Victoria. …la Martinique et la Réunion célébreront le 60e anniversaire de la départementalisation. Je vous ai déjà demandé, monsieur le ministre, de prendre à cette occasion une initiative pour l’outre-mer, et j’ai demandé ce matin au président Debré de faire de même au nom de l’Assemblée nationale : peut-être pourrons-nous ainsi faire mieux connaître et mieux aimer l’outre-mer. Michel Debré disait : « Créole un jour, créole toujours. » C’est cette invitation que je voudrais faire partager à l’ensemble de la communauté nationale.

M. Didier Quentin, rapporteur pour avis de la commission des lois. Très bien !

M. René-Paul Victoria. Je tiens donc à remercier les collègues nationaux qui nous ont fait l’amabilité d’être présents pour ce débat, et je demande aux députés de l’outre-mer de les applaudir très chaleureusement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Voilà donc, monsieur le ministre, les points sur lesquels je voulais insister, tout en vous assurant de mon soutien à votre budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Frogier, dernier orateur inscrit.

M. Pierre Frogier. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, chaque année, à l’occasion du débat budgétaire, j’ai l’honneur de m’exprimer devant vous à cette tribune, au nom de la Nouvelle-Calédonie. Chaque année, nous mesurons tout ce que la France nous apporte, dans un contexte national et international pourtant de plus en plus difficile. Chaque année, nous vous demandons de répondre à nos nouvelles attentes. Chaque année, nous vous sollicitons pour le maximum, et parfois plus encore. Je tiens donc à vous exprimer, monsieur le ministre, toute la gratitude de la Nouvelle-Calédonie et je veux affirmer, au-delà des chiffres, des besoins et des moyens, l’attachement profond, passionnel, de la Nouvelle-Calédonie à la France.

M. Mansour Kamardine. Bravo ! Ce sont des mots qui font plaisir !

M. Pierre Frogier. La Calédonie ne s’est jamais laissée aller à tendre la main. Si elle demande ce que la France peut faire pour elle, elle s’interroge aussi sur ce qu’elle-même peut faire pour la France. Jamais elle n’est indifférente aux situations graves que traverse notre pays, jamais elle n’est étrangère aux blessures de la France. Jamais son soutien n’est compté lorsqu’il y va de l’intérêt national.

M. René Dosière. Même sur le chemin des Dames !

M. Pierre Frogier. Jamais la distance n’altère la fierté de la Nouvelle-Calédonie de participer à la grandeur de la France et à son rayonnement dans la région Pacifique.

M. Mansour Kamardine. Très bien !

M. Pierre Frogier. La Nouvelle-Calédonie jouit d’un sous-sol extraordinairement riche, renfermant des réserves de nickel qui peuvent faire de la France le premier producteur au monde de ce minerai. Pour les décennies qui viennent, notre développement se fonde sur la construction de deux gigantesques unités métallurgiques au sud et au nord de la Grande Terre. Après une suspension de près de deux ans, INCO a repris à Goro la construction de son usine de nickel et de cobalt. Grâce à un procédé hydrométallurgique innovant et unique au monde, elle pourra traiter nos énormes réserves de latérites pauvres.

Mais notre inquiétude porte sur le projet du Nord. Lié indissolublement à la mise en œuvre de l’accord de Nouméa, il risque de se trouver d’ici quelques semaines dans une impasse totale. D’une part, en effet, l’offre publique d’achat d’INCO sur Falconbridge ouvre jusqu’au 23 décembre une période de grande incertitude. D’autre part, l’accord de Bercy arrive à son terme le 31 décembre.

Monsieur le ministre, mon sentiment est que cette nouvelle donne offre au Gouvernement l’opportunité d’engager et de poursuivre une autre stratégie. Plutôt que de se prêter à quelque surenchère que ce soit, convenons que seule l’application stricte des dispositions de l’accord de Bercy permettra de sortir de cette impasse. Et si le gisement de Koniambo devait retourner à la SLN, société française implantée depuis plus d’un siècle en Nouvelle-Calédonie, l’opérateur français pourrait s’engager à poursuivre le projet sur des bases économiques et financières saines tout en accordant aux collectivités publiques locales une part importante du capital.

Il est essentiel que le Gouvernement reprenne aujourd’hui l’initiative sur ce dossier stratégique tant pour la France que pour la Nouvelle-Calédonie, afin de permettre enfin la réalisation dans des conditions optimales d’une usine dans la province Nord, conformément aux engagements répétés de l’État, confirmés à plusieurs reprises par le Président de la République.

La défiscalisation constitue un puissant levier pour le développement économique de l’outre-mer. Elle est même indispensable à la réalisation des grands projets qui assureront la croissance de la Nouvelle-Calédonie et la diversification de son économie. Je tiens à vous remercier de vous être engagé de façon aussi forte et déterminée pour que, dans ce domaine comme dans d’autres, les engagements de l’État soient respectés.

J’en profite aussi pour saluer l’aboutissement de l’important dossier des retraites et des validations de service des personnels de l’enseignement privé, résultat heureux d’une démarche engagée il y a trois ans.

L’un des axes essentiels de la politique menée en Nouvelle-Calédonie est le rééquilibrage entre les trois provinces nées des accords de Matignon. Ce rééquilibrage est légitime et nécessaire, nous en sommes tous convaincus, et c’est pourquoi nous en avons accepté le principe et la donne institutionnelle.

Cet effort supporté par le contribuable du Sud au profit des provinces Nord et des îles est aussi très largement financé par l’État. Seize ans après la mise en place des provinces, nous nous interrogeons sur l’utilisation et sur le montant de ces moyens financiers. Ont-ils effectivement contribué au bien-être des populations du Nord et des îles, dans l’esprit des accords de Matignon et de Nouméa ? La question est importante. Peut-être pourrions-nous demander à la Cour des comptes, dont la compétence et l’impartialité sont reconnues, d’évaluer les effets de ce rééquilibrage pour être certains que les efforts consentis ne sont pas vains.

Pour terminer, je tiens à répondre à notre collègue René Dosière, que je remercie de nous avoir rejoints dans cet hémicycle, à propos des déclarations qu’il a faites ce matin sur le corps électoral. Je rappelle qu’après la signature de l’accord de Nouméa, le 5 mai 1998, il était indispensable de modifier la Constitution de notre pays pour autoriser le législateur à déroger à certains principes constitutionnels, en l’autorisant notamment à restreindre le corps électoral.

M. René Dosière. Nous l’avons fait !

M. Pierre Frogier. Le rapport de la commission des lois, présidée alors par Mme Tasca et réunie le 9 juin 1998, précise clairement que « pour les élections aux assemblées de province et au congrès, pourront participer au vote, outre les électeurs inscrits sur les listes électorales en 1998 et résidant sur le territoire depuis le 6 novembre 1988, ceux qui rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l’élection ». C’est bien ce que prévoit l’accord de Nouméa que nous avons signé – tant le FLNKS que le Rassemblement – le 5 mai 1998. Tout le reste n’a été que surenchère du FLNKS après la signature de l’accord, relayé dans cette enceinte par la majorité socialiste de l’époque.

M. René Dosière. Pas du tout ! C’est le statut qui a précisé les choses !

M. Pierre Frogier. Je remercie donc Didier Quentin qui, dans son rapport, invite notre assemblée à clarifier la question.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, nous attendons le plaisir de votre visite et comptons sur votre vigilance et votre soutien. Je voterai bien sûr votre budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’outre-mer.

M. François Baroin, ministre de l’outre-mer. Monsieur le président Warsmann, je vous prie tout d’abord de bien vouloir vous faire mon interprète auprès du président de l’Assemblée nationale afin de lui exprimer la reconnaissance du Gouvernement pour avoir accepté de maintenir l’examen de ces crédits à l’heure et au jour prévus afin de tenir compte des contraintes de l’éloignement. Les députés ultramarins, dont certains ont parcouru plus de 22 000 kilomètres pour nous rejoindre, sont certainement sensibles au fait que le président de l’Assemblée ait tenu, tout comme le président du groupe de l’UMP, à ce que nous puissions avoir ce débat de qualité.

Je voudrais féliciter les rapporteurs, MM. Rodet, Beaugendre et Quentin, pour la qualité et la pertinence de leur analyse ; leurs réflexions ont permis, au cours de la préparation budgétaire, d’orienter et d’enrichir la qualité de notre présentation et d’éclairer, au titre de la commission des finances, de la commission des lois et de la commission des affaires économiques, la représentation nationale sur les enjeux du débat budgétaire qui nous rassemble aujourd’hui.

Il m’est difficile d’engager ce débat sans évoquer le drame qui a cruellement endeuillé la Martinique, bien sûr, mais aussi, à travers elle, et vous l’avez tous souligné – je croise du regard le président Marie-Jeanne, M. Almont et chacune et chacun d’entre vous –, l’outre-mer dans sa globalité. Cette catastrophe a été une immense épreuve pour tous. Monsieur Manscour, vous avez, à deux reprises, eu la délicatesse de le souligner à l’occasion d’une question d’actualité, et l’ensemble des parlementaires de la Martinique vous ont relayé. Je crois que chacun a pris sa part du deuil. À travers cette immense épreuve, on a pu constater que, lorsqu’il y a des temps difficiles, des moments cruels ou des souffrances collectives, l’État est là pour assumer sa part de solidarité, tout comme les collectivités locales et les associations, ou encore la solidarité tout simplement humaine qui s’est s’exprimée. Un État à visage humain apporte aussi un élément de réponse à ce que l’outre-mer est en droit d’attendre de la solidarité nationale.

M. Mansour Kamardine. Très bien !

M. le ministre de l’outre-mer. Je m’efforcerai de répondre à vos questions le plus précisément possible. Peut-être pas à toutes, et je m’en excuse auprès des uns et des autres, mais tous les problèmes ont été soulevés dans cette discussion et beaucoup de solutions ont été apportées, même si des points restent en suspens. C’est pourquoi je crois qu’il faut d’abord revenir à quelques idées simples et les mettre en perspective.

La première idée simple, je l’ai proposée en arrivant au ministère de l’outre-mer : c’est un pacte de confiance entre l’État et les collectivités territoriales. Je suis élu local moi-même et aujourd’hui, devant vous, je représente l’État. Mais comme je ne suis pas schizophrène – en tout cas on ne me l’a pas signalé et je ne me vis pas comme tel –, je n’aurai pas de double langage. Je sais trop bien que lorsque l’on est responsable d’une collectivité territoriale, on en définit la politique, on lui donne ses objectifs – quelle que soit sa sensibilité – et puisque nous sommes dans une logique de décentralisation appliquée, on négocie dans le cadre d’un partenariat qui doit être respecté. À cet égard, la meilleure et la plus grande des exigences pour l’État, pour se faire respecter et aussi pour se faire entendre, c’est de tenir sa parole et ses engagements. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Louis-Joseph Manscour. C’est bien !

M. le ministre de l’outre-mer. C’est le seul, le grand et le plus important message de ce budget pour 2006 : l’État respectera sa parole, l’État respectera ses engagements, que ce soit dans l’action ponctuelle pour 2006 ou dans l’action inscrite dans la durée telle que la représentation nationale l’a voulue autour de la définition de la loi de programme.

M. Jean-Claude Lefort. Vous n’êtes pas l’État, vous êtes le Gouvernement !

M. le ministre de l’outre-mer. La deuxième idée simple, c’est que nous avons un immense travail collectif à engager autour d’une meilleure compréhension de la réalité quotidienne de l’outre-mer. Je pense que cette exigence pour le Gouvernement et pour mon ministère vient de ce que plus on est éloigné de la métropole, plus la politique de proximité doit être adaptée à la réalité du quotidien. Qui sait que lorsqu’on parle de chômage, le travail des élus locaux, de toutes celles et de tous ceux qui sont en responsabilité dans ces territoires, consiste à traiter un nombre de personnes proportionnellement deux à trois fois plus important qu’en métropole ? Qui sait que lorsqu’on parle de logement social, il s’agit aussi bien de l’insalubrité de l’habitat que des normes complexes de construction, de la régularisation des occupations sans droit ni titre, ou encore de la difficulté de maîtriser le plan et le coefficient d’occupation des sols ?

Lorsque nous avons ouvert le débat sur l’immigration clandestine, que j’ai voulu, que j’ai imposé et que j’assume pleinement…

M. Victorin Lurel. Il y en a aussi en Guadeloupe !

M. le ministre de l’outre-mer. …nous avons replacé dans le débat national une réalité du quotidien que vous vivez, vous, tous les jours depuis de nombreuses années.

M. Mansour Kamardine. Tout à fait !

M. le ministre de l’outre-mer. Nous l’avons fait avec maîtrise, dans le souci de respecter la représentation nationale puisque c’est vous qui aurez le dernier mot sur les choix engagés. Mais, quand même ! lorsqu’on sait que sur les 30 000 reconduites à la frontière opérées chaque année au niveau national, une sur deux concerne l’outre-mer et une sur quatre Mayotte, comment pourrait-on ne pas en tenir compte ?

Dès lors, on ne peut pas parler de niches fiscales pour l’outre-mer, car il s’agit tout simplement de réalisme et d’une exigence de proximité. On ne traite pas des quartiers et des collectivités locales de la même façon quand y habitent deux fois et demie plus de chômeurs que la moyenne nationale ; on ne traite pas des villes et des départements de la même façon quand on est dans une logique d’insularité confrontée aux complexités de la continuité territoriale ; bref, on ne traite pas les politiques de développement économique dans ces territoires sans prévoir un accompagnement fiscal. D’ailleurs, la défiscalisation ultramarine a inspiré pour une large part les zones franches des banlieues. Et qui oserait aujourd’hui parler de « niches fiscales » à propos des banlieues ? Alors qui peut oser en parler à propos de l’outre-mer ?

C’est ma deuxième idée simple, mon second message, car l’outre-mer, avant d’être un éloignement conçu comme tel – à voir avec des jumelles pour ceux qui ne le connaissent pas –, c’est d’abord l’exigence d’une politique de proximité, d’une adaptation des politiques publiques à des contraintes de gestion sociale. Il y a, pour nous tous, une ardente obligation de réussir dans l’ensemble des domaines de l’action publique : logement, développement économique, construction d’écoles, de lycées et de collèges, santé, aménagement du territoire, développement des infrastructures, continuité territoriale. C’est tout cela que nous devons réussir ensemble. Voilà à quoi l’État s’engage. Les rapporteurs l’ont relevé et souligné ; je veux ici, devant vous, le dire à mon tour.

M. Mansour Kamardine. Merci !

M. le ministre de l’outre-mer. Après avoir rappelé ces idées simples, j’en viens aux crédits de la mission.

Vous noterez que, s’il y a 2,27 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 1,9 milliard en crédits de paiement, il faut aussi retenir le chiffre de 11 milliards d’euros, qui représente l’effort global de l’État à destination de l’outre-mer. Car si la LOLF permet une globalisation plus importante du ministère de l’outre-mer dans ses affectations budgétaires, il faut aussi tenir compte de toutes les actions interministérielles. Ce chiffre de 11 milliards, cet effort de la nation sur le plan budgétaire, est l’expression de la solidarité nationale qui lie les Français d’outre-mer à leurs concitoyens de métropole.

Je veux dire à l’ensemble de la représentation nationale, toutes sensibilités confondues, que, dans l’esprit du pacte de confiance et du respect de la parole donnée, je me réjouis de la mobilisation qui a été la vôtre à la lumière des incertitudes ou des interrogations qui ont pu être nourries ici ou là concernant la présentation budgétaire initiale. Je me félicite que la commission des finances ait accepté de préserver l’un des mécanismes essentiels de la loi de programme pour l’outre-mer de 2003, à savoir le mécanisme de défiscalisation des investissements qu’elle avait renforcé et pérennisé pour quinze ans.

Le Gouvernement a engagé une réforme de modernisation et de rationalisation de l’impôt sur le revenu. Le ministère de l’outre-mer naturellement y adhère tout en cherchant à la rendre compatible avec les objectifs de la loi de programme. C’était la difficulté de l’exercice. Il fallait lever les ambiguïtés. Cela a été fait cette nuit et c’est à l’honneur de la représentation nationale. C’est d’ailleurs tout le mérite d’un débat parlementaire : il y a des propositions puis des interrogations, et c’est au terme du processus que les ambiguïtés sont levées. En l’occurrence, la qualité du travail fourni par le Parlement a permis d’aller plus loin et de dissiper les incertitudes.

La loi de programme a aussi prévu une évaluation triennale de ses impacts socio-économiques et de ceux des exonérations de charges patronales. Il a été jugé sage, à quelques mois seulement de cette évaluation, d’en attendre les conclusions. Celles-ci pourront conduire à des adaptations du dispositif et à son insertion optimale dans la politique fiscale du Gouvernement.

D’une manière générale, il serait de bonne méthode de prévoir une évaluation régulière de l’ensemble des politiques publiques. Pour en avoir discuté avec beaucoup d’entre vous lors de mes déplacements, je vois bien que l’on doit, par exemple, faire un point régulier sur la politique du logement social, qui a pris un retard considérable outre-mer. En l’absence d’une maîtrise pleine et entière du foncier, la spéculation s’est nourrie de l’effet d’aubaine suscité par les éventuels avantages fiscaux.

Cette situation justifie pleinement une politique coordonnée de la part de l’État et des collectivités territoriales en vue d’assurer la maîtrise du foncier et pour libérer les terres nécessaires à la construction de logements sociaux. En ce sens, le pacte de confiance est indispensable pour permettre l’application rigoureuse du plan d’occupation des sols en conformité avec toutes les lois de solidarité et de renouvellement urbain. Ces lois ont pour objet d’assurer l’équilibre et le partage dans la répartition de l’habitat et donc de corriger les effets d’aubaine ou d’opportunité.

Voilà comment la loi de programme nous permettra d’inscrire notre action dans la durée. Voilà comment une responsabilité partagée entre l’État et les collectivités nous permettra d’aller plus loin pour mener à bien une politique de rattrapage économique et de développement durable. Voilà comment nous procéderons régulièrement aux remises à niveau nécessaires au terme des évaluations. Tous ceux qui sont intervenus sur ce point ont formulé des observations pertinentes.

Les programmes de la mission « Outre-mer » sont au nombre de trois, vous le savez. Ils permettent de fixer clairement les objectifs de la politique que je souhaite mener avec l’équipe qui me fait l’honneur de m’accompagner et en liaison très directe avec les élus.

M. Rodet s’est livré dans son rapport à un examen minutieux et pertinent de la série d’indicateurs qui permettra de mesurer l’efficacité de chaque action ; il regrette l’absence de certains, mais il salue la pertinence d’autres, et je tenais à le souligner. Par exemple, l’action « Abaissement du coût du travail et dialogue social » sera dotée d’un indicateur de performances qui correspond au calcul du taux de croissance de l’emploi salarié dans les secteurs exonérés de cotisations sociales rapporté au taux de croissance de l’emploi salarié outre-mer. C’est un élément de référence utile et qui semble adéquat. Naturellement, nous serons attentifs à toutes les remarques pour effectuer les adaptations nécessaires et nous essaierons, l’année prochaine, d’améliorer ces outils que nous donne la LOLF.

Les objectifs que s’est fixés le ministère de l’outre-mer dans le projet de loi de finances pour 2006 reprennent clairement– j’espère ne fâcher personne en l’affirmant – la feuille de route et les engagements du Président de la République. Ils sont orientés dans trois directions : le soutien de l’emploi, la lutte contre la précarité et l’exclusion, le rattrapage du retard structurel des collectivités d’outre-mer. S’agissant de la déclinaison la plus parfaite, la plus sincère et la plus fidèle des engagements du Président de la République, nous restons strictement dans les lignes de l’épure, n’en déplaise à certains, et je me tourne vers vous, monsieur Lurel.

J’ai tout de suite senti que votre discours tournerait mal puisque vous commenciez par tenir des propos aimables à mon endroit. (Sourires.)

M. Pierre-Louis Fagniez. Ça, c’est mauvais signe !

M. le ministre de l’outre-mer. Étant, comme vous, un responsable politique, je me suis dit que ce début annonçait tous les dangers et filait un mauvais coton.

M. Victorin Lurel. Je n’étais pas si aimable que ça !

M. le ministre de l’outre-mer. Mais j’ai été rassuré à la fin de votre intervention, car j’ai trouvé que vous aviez été un formidable avocat de la loi de programme, déclinaison de la feuille de route du Président de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je me réjouis que, enfin, quelques années après le grand débat de 2002 et après la grande discussion à laquelle a donné lieu ici même la loi de programme présentée par Brigitte Girardin, vous ayez été l’un des porte-parole les plus actifs de la pérennité de ce dispositif. Comme quoi un avocat peut fort bien assurer la défense, et au final épouser la cause. Je vous en remercie, monsieur Lurel. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

S’agissant de la priorité en matière d’emploi, l’objectif est indiscutablement d’améliorer les résultats actuels. L’évolution est meilleure qu’en métropole mais, comme chacun le sait, les chiffres du chômage demeurent en moyenne deux fois et demie supérieurs à la moyenne nationale. Cela étant, au lieu de parler de l’outre-mer dans sa globalité, nous devrions parler des outre-mer car il y a autant de spécificités que de territoires, autant d’identités que de collectivités, autant de problèmes à gérer que d’emplacements sur la carte du monde.

Seule l’adaptation aux identités spécifiques et à la réalité du quotidien, très différente à Papeete, Saint-Denis et Fort-de-France, ou dans toute autre capitale de nos territoires, permettra une application plus pragmatique, donc plus efficiente de nos politiques publiques.

Le taux de chômage outre-mer atteint aujourd’hui 22,9 %, contre 30 % en 2002. Malgré une baisse de plus de sept points, cette situation reste inacceptable. Ses conséquences sociales et économiques permettent de mesurer la difficulté des politiques publiques menées par les collectivités territoriales ou par l’État, qui doivent de surcroît faire face au dynamisme démographique : dans certaines régions, plus de 50 % de la population a moins de 25 ans. En outre, sur certains territoires – Juliana Rimane l’a souligné à propos de la Guyane –, plusieurs milliers d’enfants ne sont pas scolarisés : il faudra donc créer des écoles, des collèges, des postes d’instituteurs et de professeurs. Nos politiques publiques ne doivent pas oublier que le chômage est au cœur des malaises sociaux ; aussi la lutte en faveur de l’emploi, dans le secteur marchand ou non marchand, est-elle une priorité de l’action de coordination de mon ministère.

Je regrette, madame Bello, de n’avoir pas complètement réussi à répondre à vos interrogations lors de mon récent déplacement à la Réunion. Il n’y aura pas de chute de charge par rapport aux emplois aidés antérieurs, qu’il s’agisse des CES ou des CEC. Je rappelle d’ailleurs qu’un moratoire avait permis à l’outre-mer, et notamment à la Réunion, de bénéficier de ces contrats jusqu’à la fin de l’exercice 2005. Il n’y aura pas non plus de quotas. L’État accompagnera les propositions locales qui lui seront soumises et il veillera à l’application intégrale des dispositifs Borloo prévus par le volet emploi du plan de cohésion sociale.

Beaucoup d’entre vous avaient formulé des demandes en ce sens ; nous nous sommes battus pour obtenir ces mesures qui supposent des crédits. Mais il est normal qu’un effort soit consenti en faveur de ces contrats d’accompagnement social : compte tenu du taux de chômage et du nombre de Rmistes et d’allocataires des minima sociaux, la perspective d’un « grand soir » qui mettrait fin aux emplois aidés dans le secteur non marchand est inenvisageable.

M. Louis-Joseph Manscour. Très bien !

M. le ministre de l’outre-mer. Cette politique ne pourra donc pas s’interrompre du jour au lendemain. Cependant, l’objectif est bien, grâce à ces nouveaux dispositifs de cohésion sociale, de transférer progressivement des emplois aidés vers les emplois durables du secteur marchand, créateur de richesses : l’entreprise qui investit, prend des risques, a besoin de collaborateurs de qualité, quel que soit leur niveau de formation initial.

À de nombreuses reprises, vous avez aussi attiré l’attention du ministère sur la nécessité de mettre en place des dispositifs d’accompagnement efficaces. Outre les emplois aidés, il existe le service militaire adapté, grande fierté pour l’outre-mer, évoqué par M. Almont et par beaucoup d’autres. Dans son discours de politique générale, le Premier ministre lui-même en a envisagé la déclinaison en métropole : sur ce point comme sur beaucoup d’autres, l’outre-mer peut être un modèle de référence.

Cela a notamment été le cas pour la création des zones franches dans les quartiers difficiles, inspirées de la défiscalisation pratiquée outre-mer, et pour la décentralisation, qui a décliné le modèle ultramarin pour mettre en place l’acte un, puis l’acte deux du transfert des compétences. Cette forme d’école de la deuxième chance qu’est le SMA, formidable moyen d’intégration qui devrait permettre en 2006 à 3 000 jeunes ultramarins qui n’avaient pas les qualifications requises de retrouver le monde du travail, est un exemple pour le service civil que le Président de la République, avec pertinence et conviction, veut proposer en métropole. Dans cet esprit, un effort sera consenti dans le budget de 2006 pour la mise aux normes des infrastructures du SMA, et nous accompagnerons autant que possible les propositions relatives à sa déclinaison.

La lutte contre l’exclusion et la précarité passe aussi par la baisse du chômage. Mais, comme je l’ai dit, cette action serait vaine si elle ne tenait pas compte des spécificités de l’outre-mer : la démographie est un paramètre important ; les spécificités géographiques des territoires doivent aussi être prises en compte. Il n’est pas inutile de rappeler à la représentation nationale que certains espaces ultramarins peuvent être menacés par des éléments naturels, cyclones ou séismes, notamment en Guadeloupe et en Martinique. Nous devions donc intégrer cette dimension dans les politiques de construction et aussi de protection et d’aménagement du territoire, en particulier au niveau des plans d’occupation des sols. L’État doit faire preuve d’une efficacité particulière dans la définition des normes de construction et d’entretien des logements : une ligne budgétaire a été consacrée à cet aspect et nous nous efforcerons de mieux coordonner les politiques de construction.

Monsieur Beaugendre, vous avez rappelé dans votre rapport que 270 millions d’euros en autorisations d’engagement et 173 millions en crédits de paiement – montant égal à celui inscrit dans la loi de finances de 2005 – étaient inscrits au titre du programme « Conditions de vie outre-mer ». Ces crédits permettront de mettre en place trois actions principales : accroître l’offre de logements sociaux neufs et améliorer le parc de logements existant ; accompagner les politiques urbaines, d’aménagement et de rénovation ; améliorer la sécurité du parc social antillais vis-à-vis du risque sismique. Ce qui s’est produit en Guadeloupe doit être une leçon pour nous tous.

Vous avez évoqué, monsieur Almont, monsieur Victoria et madame Bello, les difficultés induites par le gel de la ligne budgétaire unique. Attentif à vos préoccupations, le Premier ministre a dégelé l’intégralité des crédits bloqués sur sa ligne, soit 40 millions d’euros. Pour l’exercice 2005, on ne peut pas dire non plus que l’État n’ait pas respecté sa parole. Comme le disait Sacha Guitry, « il faut toujours dire du bien de soi, parce que cela se répète et l’on ne sait plus qui a commencé ». Sachez donc que le ministère de l’outre-mer aura été le seul à obtenir l’intégralité des crédits votés dans la loi de finances pour 2005 !

Vous m’avez interrogé, monsieur Buillard, sur l’absence de dispositif d’aide personnelle au logement en Polynésie, mais ce sujet ressortit à la compétence du pays. Les étudiants bénéficient néanmoins des mêmes aides financières que leurs homologues métropolitains. Il appartient donc au pays de déterminer quelles aides complémentaires il entend mettre en place pour pallier les difficultés liées au logement des étudiants. Peut-être cela fait-il partie de la réflexion en cours dans la définition du projet de développement. Le Gouvernement, cela va sans dire, pourra apporter l’appui technique nécessaire à la mise en place de dispositifs adaptés.

La lutte contre la précarité et l’exclusion fait partie des priorités de ce budget. La lutte contre l’immigration clandestine, qui touche plusieurs de nos collectivités, est également l’un des enjeux budgétaires pour l’année prochaine, notamment par le biais des moyens matériels à accorder aux agents de l’État chargés du contrôle des frontières.

De surcroît, comme l’ont rappelé M. Kamardine, Mme Rimane et Mme Louis-Carabin, l’immigration clandestine pourrait être lourde de conséquences dans les trois territoires qu’ils représentent. Le débat qui s’est engagé sur la base des chiffres que j’ai donnés tout à l’heure doit surtout reposer sur des considérations humaines : il n’est pas acceptable pour la France que des femmes, des hommes ou des enfants risquent leur vie pour traverser des fleuves, le Maroni ou l’Oyapock en Guyane, ou plusieurs kilomètres de mers incertaines avec l’angoisse que l’on imagine. Lorsque les passeurs, ces escrocs et voyous qui se font payer pour ce trafic humain, entendent approcher les policiers français, ils n’hésitent pas à jeter leurs passagers par-dessus bord ! Il est malheureusement fréquent de retrouver les corps sur les côtes françaises.

Sur cette question humaine plus que juridique, je veux dire avec force que le Parlement aura le dernier mot. Nous aurons peut-être l’occasion de reparler, lors des questions, de la mission « Mayotte » qui s’est mise en place ce matin. La commission d’enquête du Sénat se met aussi au travail : elle examinera la situation de l’immigration clandestine dans son intégralité et consacrera la moitié de son temps à l’outre-mer. Il nous incombera ensuite de définir les dispositions législatives, qui devront associer trois aspects : répression – elle est nécessaire –, action diplomatique vigoureuse et aide au développement.

Cependant, l’accentuation de la pression migratoire dans certains territoires appelle des réponses rapides. Des instructions précises ont ainsi été données aux préfets, notamment en Guadeloupe. Je me tourne vers Mme Louis-Carabin et M. Beaugendre, auteurs d’une proposition de loi sur le sujet. D’autres demandes avaient naguère été formulées ; elles rejoignent finalement les dernières propositions : il faut lutter, sans faiblesse mais avec discernement et dans le respect de la personne humaine, contre l’augmentation de l’immigration clandestine. Il faut aussi y mettre les moyens.

L’objectif de 2000 reconduites d’étrangers en situation irrégulière a été fixé pour 2006, contre 1200 en 2004. Le point le plus préoccupant est la tendance moyenne de 2 % d’augmentation de cette immigration, pour les trois dernières années, en Guyane, en Guadeloupe et à Mayotte.

Des moyens militaires et administratifs – douanes, police des frontières et gendarmerie maritime – sont mobilisés dans les zones maritimes de passage ; le dispositif à terre sera également amélioré par l’augmentation de la capacité des centres de rétention administrative et, à compter du 1er janvier 2006, par l’installation d’une antenne permanente de l’OFPRA en Guadeloupe pour accélérer le traitement des demandes d’asile politique, qui sont en forte augmentation.

Au sein du conseil interministériel de contrôle de l’immigration, des dispositions législatives sont envisagées pour permettre des contrôles d’identité et des interpellations dans la zone littorale. Il s’agit en quelque sorte d’étendre à la Guadeloupe et à Mayotte le modèle guyanais qui, malgré le nombre des reconduites à la frontière : plus de 5500 l’an passé, prouve son efficacité. La question se pose pour la Martinique. Les missions parlementaires auront à cœur d’interroger les parlementaires concernés sur l’évolution de la situation dans leurs territoires. Enfin, un accord de réadmission est négocié avec le gouvernement de Roseau pour supprimer le passage des Haïtiens par la Dominique.

Les événements qui se sont déroulés dans la nuit du 15 au 16 novembre à Pointe-à-Pitre, où des policiers ont intercepté une dizaine d’individus encagoulés qui incendiaient un véhicule, ont aussi été évoqués. Ce n’est pas la première fois que de tels incidents se produisent, mais leur lien avec les événements de métropole n’est pas établi. Restons prudents dans l’analyse, et confiants en ceux qui ont pour mission d’assurer l’ordre public. Il incombera à l’autorité judiciaire d’apporter d’éventuels éléments de réponse : gardons-nous de tout jugement personnel, qui pourrait avoir des conséquences politiques.

Quoi qu’il en soit, la ville de Pointe-à-Pitre est concernée par un important projet de rénovation urbaine, retenu par l’ANRU parmi les dossiers prioritaires.

Monsieur Kamardine, l’inspection des affaires sociales, dépêchée à Mayotte en 2004, a préconisé une action volontariste de l’État en matière de prestations familiales. Une allocation de restauration scolaire a ainsi été instaurée le 5 août 2005. Par ailleurs, un amendement gouvernemental au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 vise à supprimer le plafonnement à trois enfants pour le versement des prestations familiales, ce qui s’inscrit dans la continuité des actions menées depuis l’année 2000.

Monsieur Grignon, vous m’avez interrogé, entre autres sujets, sur la protection sociale à Saint-Pierre-et-Miquelon. Je vous rassure : le décret relatif à la coordination des régimes de sécurité sociale en vigueur à Saint-Pierre-et-Miquelon avec ceux de métropole et des départements d’outre-mer, valable pour l’ensemble des risques et des personnes assurées à ces régimes, devrait être publié sans tarder, après consultation des caisses nationales concernées et de la caisse de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Par ailleurs, l’ordonnance relative aux prestations familiales à Saint-Pierre-et-Miquelon, rédigée en collaboration avec le ministre chargé de la famille, dans un souci d’harmonisation avec le régime existant en métropole, et incluant certaines prestations nouvelles comme la PAJE – la prestation d’accueil du jeune enfant – devrait, ainsi que son décret d’application, entrer en vigueur au début de l’année 2006. Ce délai était nécessaire pour que le Conseil d’État procède à l’examen de l’ordonnance et pour nous permettre de régler certaines difficultés techniques, comme la détermination d’un plafond de ressources qui tienne compte du coût de la vie dans l’archipel. Cela répond à une préoccupation très importante, à Saint-Pierre-et-Miquelon comme dans l’ensemble de l’outre-mer, notamment du fait de l’évolution du prix des carburants.

Le décret de 1982 organisant les conditions de mise en œuvre de l’action sociale de la caisse de prévoyance sera modifié : le projet, élaboré par le ministère concerné, doit être examiné par le Conseil d’État.

S’agissant de la modification du calcul des pensions, une mesure d’ordre législatif doit rendre applicable à Saint-Pierre-et-Miquelon les dispositions existant en métropole et relatives au départ anticipé à la retraite des personnes ayant eu une longue carrière. Le calcul des droits à pension nécessite, quant à lui, la modification d’un décret de 1989. Ce dossier complexe fera l’objet d’une analyse comparée de deux méthodes de calcul.

Je vous ferai parvenir des éléments de réponse concernant l’indexation des retraites sur un indice local.

Enfin, monsieur le député, vous m’avez interpellé avec beaucoup d’insistance lors de mon passage dans l’archipel sur la nécessité d’apporter un complément d’aide aux collectivités en difficulté. J’ai décidé, sur votre proposition, de réserver une enveloppe de 200 000 euros. Cette somme parviendra au début du mois de janvier prochain au préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon et une commission sera mise en place afin d’évaluer les autres besoins.

Pour traduire sur le plan budgétaire la réalité de l’isolement de l’outre-mer et les retards structurels des collectivités, les crédits consacrés à l’aménagement du territoire au sein du programme « Conditions de vie » s’élèvent à 94 millions d’euros, soit une augmentation de plus de 12 %. Certes, il est difficile d’établir des éléments pertinents de comparaison entre ce qui se passait dans les lois de finances antérieures et ce qui se passe depuis la LOLF, et toute interprétation serait abusive. Néanmoins, l’augmentation des crédits du programme « Conditions de vie » représente un effort substantiel par rapport à l’année dernière.

Ces moyens nouveaux permettront d’engager de nouvelles politiques contractuelles, notamment avec les collectivités de Nouvelle-Calédonie, et constitueront pour les départements d’outre-mer la contrepartie nationale nécessaire à l’obtention des fonds européens.

Madame Rimane, vous m’avez interrogé sur le plan spécifique de solidarité nationale pour la Guyane. J’ai bien entendu votre message et je comprends la volonté des élus locaux d’y être mieux associés. La responsabilité de mener les discussions appartient au préfet, et je sais que celui-ci n’a pas ménagé sa peine pour recenser les projets et établir les contacts, mais je ne manquerai pas de lui demander d’être plus encore à l’écoute des élus locaux. La maquette du plan spécifique est prête et fera l’objet d’arbitrages interministériels dès le début du mois de décembre. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas eu de communication de part et d’autre. Je vois sourire Mme Taubira, qui m’a elle aussi sollicité sur ce point : je vous ferai part des éléments de réponse que nous aurons sur la partie triennale de l’application de ce plan afin que nous puissions en discuter ensemble et définir notre action. À ce stade, vous annoncer un chiffre n’aurait pas de sens : ce qui compte, c’est de définir une politique, fixer des objectifs prioritaires et affecter des moyens suffisants. C’est ce que nous avons fait en 2006 et j’espère qu’il en sera de même pour les deux années qui viennent.

Madame Taubira, je salue la qualité de votre verbe et la mélodie de vos propos. Je trouve heureux que ces débats budgétaires soient émaillés de références culturelles. Il est vrai que l’outre-mer, avec sa dimension plus humaine, échappe au caractère très technique de ces débats. J’ai apprécié votre référence à la « poétique de la mondialité » d’Édouard Glissant, mais vous auriez pu aussi vous inspirer d’Aimé Césaire ou de Léon-Gontran Damas. Je vous fais remarquer, mesdames, messieurs les députés, la grande valeur des personnages de la sphère culturelle de l’outre-mer, dans un autre domaine que celui, plus facile, de nos exploits sportifs dont, au demeurant, nous sommes fiers. Les grands personnages qui incarnent l’identité ultramarine, quel que soit le territoire dont ils sont issus, ne sont pas assez reconnus. Ils devraient pourtant nous inspirer.

Je suis heureux d’entendre parler d’Édouard Glissant dans cet hémicycle et d’écouter votre propos, madame,…

M. René Dosière. Nous aussi !

M. le ministre de l’outre-mer. …mais vous n’avez évoqué aucun sujet concret. Malheureusement, une fois encore, en dépit de la qualité de cette musique, nous n’avons eu que des postures de principe, des contestations à l’égard de ce qui est malgré tout l’expression de notre intérêt pour l’outre-mer, à savoir l’affectation de moyens à des politiques de proximité qui répondent à des besoins quotidiens.

M. René Dosière. Vous êtes sévère !

M. le ministre de l’outre-mer. La continuité territoriale constitue l’une de nos priorités. Il est prévu dans ce budget de lui consacrer 53 millions d’euros. Comme un certain nombre de vos collègues, monsieur Lagarde, vous vous interrogez sur cette dotation récente, qui n’a pas encore été mise en place par le conseil général de Guyane et qui a été approuvée en juin 2005 par la Commission européenne pour la Réunion.

Nous n’avons pas le recul indispensable pour juger ce dispositif. Attendons que son évaluation soit mise en place pour nous interroger sur son efficacité. Mais je voudrais vous dire une chose : s’agissant de continuité territoriale, il est déplacé de se tourner en permanence vers l’État, sachant que les régions ont obtenu une compétence partagée dans l’attribution des fonds. Dans un souci de respect des compétences mutuelles, l’État se garde bien de porter un jugement sur la définition des critères retenus par les conseils régionaux. Or, à la lumière de l’exercice 2005, il apparaît qu’une partie des crédits, n’ayant pas été attribuée, n’a pas été dépensée !

M. Victorin Lurel. Nous, nous avons un déficit !

M. le ministre de l’outre-mer. Chez vous, il y a un déficit, tandis que chez d’autres la somme n’a pas été attribuée ! Les réalités peuvent être diverses outre-mer. Il serait en effet intéressant que nous examinions ensemble les critères. Bien qu’il ne soit pas demandeur, peut-être souhaiteriez-vous vous tourner vers l’État pour demander une définition objective des critères, territoire par territoire ? Je pense qu’une évaluation précise serait utile, car nous ne pouvons accepter que les efforts soient toujours consentis par les mêmes, comme l’a fait remarquer à plusieurs reprises Mme Vernaudon. S’il est vrai que les personnes originaires de l’outre-mer mais vivant en métropole ressentent les insuffisances de la continuité territoriale comme une injustice, il est tout aussi vrai que certains crédits ne sont pas consommés. Nous devons donc nous interroger sur la définition des critères : sont-ils trop ou pas assez élevés ? Il me semble injuste que des crédits ne puissent répondre à des besoins. Sur ce point, l’État et les collectivités territoriales doivent assumer leurs responsabilités.

S’agissant des relations avec l’Union européenne, nous nous situons dans la continuité pour aborder les négociations. Le ministère de l’agriculture pilotant les négociations sur les OCM banane et sucre, il m’est difficile de vous apporter des éléments de réponse, même si le ministère de l’outre-mer y est pleinement associé. Dans ces deux négociations, nous avons demandé une relance de la discussion, mais nous attendons l’arbitrage sur le litige entre l’Union européenne et l’OMC. Quel sera le jugement de l’OMC vis-à-vis de l’Union européenne ? Ensuite, quelle sera la position de l’Union européenne sur l’application du principe de subsidiarité ? En d’autres termes, quelle sera la part de l’État et le montant des compensations ? Sur tous ces points, nous sommes dans l’incertitude.

Je voudrais m’attarder un instant sur la situation en Nouvelle-Calédonie, dont M. Dosière a fait le thème central de son intervention. Pierre Frogier, quant à lui, nous a fait part avec beaucoup de détermination de ses convictions sur ces sujets d’actualité.

La ligne du ministère de l’outre-mer est simple : sur l’application de la loi-programme comme sur la définition des priorités, l’État tiendra ses engagements, dans le respect de la parole donnée. La recherche du consensus, qui est notre mode de fonctionnement, nous impose de ne pas demander l’impossible. La responsabilité de l’État est de tenir ses engagements, tous ses engagements, rien que ses engagements !

S’agissant du rééquilibrage économique, qui est une nécessité – je parle sous le contrôle des parlementaires, notamment de Pierre Frogier –, il est incontestable que l’OPA canadienne, certes amicale, a créé un immense géant mondial du nickel. Le ministère des finances, qui pilote l’application des accords de Bercy, suit ce dossier avec beaucoup d’attention et au jour le jour. C’est dans cet esprit que Thierry Breton et moi-même avons rappelé dans un courrier l’effort non négligeable de l’État en matière de défiscalisation et la remarquable coopération – que je tiens à saluer devant la représentation nationale – notamment en matière de transmission d’informations, entre le président Néaoutyine et les services de l’État, qu’il s’agisse du ministère de l’outre-mer ou du ministère des finances.

Les accords de Bercy, qui nous lient, comportent des contraintes juridiques auxquelles nous devons être attentifs, dans le respect du calendrier. Il est important que l’État délivre un message sincère – c’est le cas –, dans le respect strict des accords de Bercy et avec la volonté de répondre à l’objectif initial. Cet objectif était à la fois de parvenir à un accord sur le rééquilibrage économique, de favoriser le développement de la province du Nord et de répondre au souhait du président Néaoutyine d’être pleinement associé ; c’est également le cas. Voilà où nous en sommes. Il serait prématuré d’anticiper l’évolution économique de ce dossier important, qui porte sur des accords tout aussi importants, à l’échelle de la Nouvelle-Calédonie comme pour le destin commun de l’État et de l’outre-mer.

Restons dans le Pacifique en évoquant la dotation globale de développement économique versée à la Polynésie française. Antérieurement financée au budget des charges communes, cette dotation sera désormais inscrite à mon budget. C’est un signe fort du Gouvernement, qui accentue ainsi le rôle de pilotage de mon ministère, mais également un signe fort pour les coordinations et les coopérations régionales.

Là aussi, Mme Vernaudon et M. Buillard l’ont dit avec beaucoup de bonheur, il existe une attente forte à l’égard de l’État. Celui-ci y répondra de façon adaptée dans ses missions d’accompagnement, dans le cadre des politiques publiques pour les Polynésiens. Le souci du ministère est de répondre aux besoins du quotidien de la population dans les domaines de la santé, de l’éducation, du développement des infrastructures. Il y a, sur le plan institutionnel, toute latitude pour être soi-même dans le cadre de la République : les accords de coopération régionale, le développement, l’accompagnement. Cela fait partie de nos missions.

L’État rappellera autant de fois que cela sera nécessaire sa place ; elle est importante et elle est demandée par les Polynésiens. L’État l’a d’ailleurs fait récemment lorsque Mme le Haut commissaire est intervenue à la suite, il faut bien le dire, de déclarations qui n’allaient pas dans le sens de la mission et de la représentation d’un président de collectivité territoriale. Pour le reste, cela passe par le respect mutuel, la responsabilité et l’exigence d’efficacité de nos actions partagées.

Tels sont, mesdames, messieurs les députés, les quelques éléments de réflexion que je souhaitais vous livrer en réponse à cette discussion.

J’aurais évidemment pu aller plus loin en répondant à M. Thien Ah Koon sur tous les points qu’il a abordés. Je retiendrai son attachement à la France, aux vertus républicaines, et la vaillance avec laquelle il a défendu les intérêts de la Réunion. J’aurais également pu développer, de manière encore plus soulignée, comme je l’envisageais, des éléments de réponse territoire par territoire, à la suite de nos nombreux échanges.

Je tiens simplement à vous dire que ce pacte de confiance ne peut pas uniquement être le fruit d’un changement de ministre. Les ministres passent, mais les relations entre l’État et les collectivités d’outre-mer restent.

M. Victorin Lurel. Quel aveu !

M. le ministre de l’outre-mer. C’est une immense fierté et un grand honneur d’exercer la responsabilité qui est la mienne. Si le ministère de l’outre-mer a, de par la Constitution, des responsabilités d’élaboration ou de coordination de l’action gouvernementale à l’égard de l’outre-mer, il doit y avoir une exigence partagée de mieux nous faire entendre, de mieux nous faire comprendre. Et à la lumière de ce qui s’est passé ces dernières semaines, je pense qu’il y a une action d’explication, de communication, de partage, de défense, et une exigence de décliner le modèle ultramarin en métropole. Je n’oublie pas toutes les valeurs qui vous rassemblent et vous unissent, et que ce sont celles, parfois, qui nous manquent et nous font défaut. Je n’oublie pas non plus qu’à travers de simples lignes budgétaires, on peut aussi adresser un message à celles et ceux qui vous ont fait confiance, quelles que soient vos sensibilités politiques, et qui attendent de l’État qu’il soit respectueux, mais aussi qu’il soit là et bien là – lorsqu’il l’estime nécessaire – pour des missions républicaines. Cela fait aussi partie des valeurs qui nous unissent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Avant les questions, je propose de suspendre la séance quelques instants.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous en arrivons aux questions.

Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Éric Jalton.

M. Éric Jalton. Monsieur le ministre, les îles du sud de l’archipel de la Guadeloupe, appelées ainsi par opposition géographique aux îles du nord du même archipel, regroupent les six communes des îles de Marie-Galante, La Désirade et Les Saintes – Les Saintes étant composées de Terre de haut et Terre de bas. Ces îles du sud, que mes collègues Lurel et Louis-Carabin et moi-même connaissons très bien, connaissent des difficultés, des retards de développement et d’accès à la citoyenneté, liés notamment à leur double, voire à leur triple insularité.

Certes, tout le continent guadeloupéen − la Grande-Terre et la Basse-Terre − connaît de telles difficultés, mais elles sont aggravées et se doublent de problèmes particuliers dans le cas de Marie-Galante : dépeuplement massif constaté ces trente dernières années, trafic de drogue, immigration clandestine, absence d’équipements publics de première nécessité, coût exorbitant du fret non compensé par des aides publiques pour les socioprofessionnels de la pêche, de l’industrie sucrière, du commerce ou de l’artisanat.

Pourtant, les socioprofessionnels, les élus et les associations relèvent le défi et refusent la fatalité. La CCI est très dynamique, la communauté de communes exemplaire et porteuse de projets structurants, l’office du tourisme se bat pour accéder au DOCUP − en vain, compte tenu de la précarité de sa trésorerie −, et les trois communes de Marie-Galante ne sont pas en reste. Quant à l’unité sucrière de Grande-Anse, elle mérite sans doute une véritable modernisation afin de pérenniser une activité cruciale pour l’économie de l’île.

Après ce préambule, j’en viens à ma question proprement dite. Consciente de l’insuffisance et de l’inefficacité des dispositifs de la loi-programme pour l’outre-mer dans le cas des territoires doublement insulaires de l’archipel guadeloupéen − Marie-Galante, la Désirade et les Saintes −, Mme Brigitte Girardin s’est exprimée en ces termes le vendredi 4 juin 2004, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à l’octroi de mer : « Certains d’entre vous, en particulier les députés de la Guadeloupe Éric Jalton et Joël Beaugendre, ont évoqué le cas des îles du sud qui souffrent pour ainsi dire d’une double insularité. Je suis déterminée à mettre en place des solutions d’accompagnement et une stratégie de développement pour ces îles, mais ce n’est pas uniquement dans le cadre de ce projet de loi que nous pourrons le faire. Au-delà des dispositifs généraux, des mesures spécifiques et ciblées devront être décidées pour compenser leurs handicaps. »

Le dernier remaniement ministériel n’a sans doute pas permis à Mme Girardin, toujours membre du Gouvernement, de tenir ses engagements. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous assurer que ces engagements, pris devant la représentation nationale − qui, dois-je vous le rappeler, n’a pas changé depuis − seront honorés pendant votre séjour au ministère de l’outre-mer.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’outre-mer. Monsieur le député, ce n’est pas un « séjour » que j’accomplis au ministère, mais c’est une responsabilité qui m’impose, précisément, de tenir les engagements pris par mon prédécesseur. Ceux de Mme Girardin seront donc tenus.

Depuis longtemps, la double insularité spécifique de l’archipel de la Guadeloupe retient toute l’attention des services du ministère, tant à la Direction des affaires politiques, administratives et financières qu’à la Direction des affaires économiques, sociales et culturelles. C’est dans cet esprit qu’une dotation complémentaire au titre du Fonds régional pour le développement et l’emploi, le FRDE, a été mise en place au profit des communes insulaires du sud.

Par ailleurs, vous avez attiré à de nombreuses reprises l’attention du ministère sur le problème d’adduction en eau de Marie-Galante : il fait actuellement l’objet d’une étude technique et l’on peut espérer qu’une solution satisfaisante sera trouvée dans les meilleurs délais. Cela dit, l’État ne peut pas tout : ce projet ne sera viable que si la communauté de communes adopte un objectif de mutualisation et met en place, pour une meilleure péréquation, la taxe professionnelle unique, en alignant à un taux moyen les différentes taxes professionnelles actuellement perçues par les trois communes.

M. le président. La parole est à M. Louis-Joseph Manscour.

M. Louis-Joseph Manscour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où nous délibérons sur les crédits de la mission « Outre-mer », les syndicats des personnels de santé, le Syndicat national des cadres hospitaliers, l’Union hospitalière, administrateurs et directeurs des hôpitaux confondus, les syndicats de médecins, les élus, maires ou parlementaires, sont dans la rue pour manifester leur inquiétude quant à l’avenir de l’hôpital public. En effet, c’est du jamais vu. Le secteur hospitalier de la Martinique n’a de cesse de dénoncer l’inadaptation de la réforme du financement des hôpitaux et de la tarification à l’activité, la TAA, dont l’objectif est de se rapprocher de la logique de fonctionnement des cliniques privées, qui, elles, ont un but lucratif.

Vous imaginez bien les difficultés auxquelles sont confrontés les établissements hospitaliers de la Martinique et de tout de l’outre-mer. L’éloignement de la métropole génère de tels coûts de fonctionnement que certains services de soins ne sont pas rentables, bien qu’ils soient indispensables à la population. Le contexte social, auquel s’ajoutent les coûts de surstockage des médicaments, handicape considérablement les hôpitaux. Et je ne parle pas des nombreux ressortissants étrangers insolvables qui viennent des pays voisins se faire soigner chez nous et qui contribuent à la multiplication des créances irrécouvrables. Pour la seule Martinique, elles se montent à 25 millions d’euros. Si l’on y ajoute 12 millions de moins-values dues à l’application de la TAA et 22 millions de déficit de fonctionnement des hôpitaux, ce sont près de 60 millions d’euros qui manquent dans les caisses des hôpitaux martiniquais.

Monsieur le ministre, à la page 42 du « bleu » budgétaire, consacrée à l’action n° 4, « Sanitaire et sociale », je lis que vous reconnaissez que le contexte socio-économique de l’outre-mer est difficile et que des moyens seront donnés pour pallier les difficultés que rencontrent les services. Pouvons-nous compter sur vous, qui êtes coordonnateur de l’action de l’État outre-mer, pour rechercher avec nous les solutions satisfaisantes afin que les hôpitaux d’outre-mer, et singulièrement ceux de Martinique, remplissent convenablement leur mission de service public de santé ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’outre-mer. Monsieur le député, vous appelez mon attention sur la situation financière et sociale des hôpitaux de Martinique, mais, par esprit de solidarité, vous élargissez la question à la problématique de santé publique outre-mer.

Une grève tournante sévit en effet depuis plusieurs jours en Martinique. Élu de cette île, vous savez mieux que quiconque que c’est une intersyndicale très élargie qui a appelé à la grève, car elle craint que la situation financière des hôpitaux ne leur permette pas de terminer l’année et de payer les salaires du mois de décembre. Les grévistes font référence à une insuffisante prise en compte des difficultés structurelles des hôpitaux et de la compensation des surcoûts qu’ils supportent. De même, ils considèrent que la réforme de la tarification des hôpitaux est de nature à aggraver une situation financière déjà fragile.

À ma demande, le nouveau directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation a, dès son arrivée, créé un groupe de travail regroupant tous les acteurs concernés par cette situation. Je souhaite que les parlementaires puissent être associés à la réflexion de ce groupe de travail, qui doit notamment faire la distinction entre les mesures d’extrême urgence et les réformes de fond. Sur la base de ses conclusions, qui sont attendues pour demain, je vous ferai connaître la politique qui sera suivie dans ce dossier sensible et important. Nous pouvons cependant déjà imaginer certaines de ses orientations et je puis vous dire que nous prendrons l’attache du ministère de la santé pour voir, avec mon collègue Xavier Bertrand, de quelle manière nous pourrons débloquer les crédits nécessaires.

Je précise que la dimension hospitalière fait l’objet de toutes les attentions du ministère dans son rôle de coordination. Ainsi, j’ai récemment obtenu du ministère de la santé le déblocage de l’affectation pour l’hôpital du François. Vous savez qu’un risque de glissement de terrain avait été signalé sur le site, ce qui imposait de nombreuses contraintes. Nous avons donc, là aussi, apporté les réponses attendues.

M. le président. La parole est à M. Christophe Payet.

M. Christophe Payet. Monsieur le ministre, au cours des semaines qui ont précédé la discussion du budget de l’outre-mer, le débat, à la Réunion, s’est focalisé sur la sauvegarde des mesures contenues dans la loi de programmation concernant le dispositif de défiscalisation et celui de l’exonération des charges sociales patronales.

Tous les parlementaires des départements d’outre-mer, dépassant leurs clivages politiques, se sont mobilisés pour défendre ce dispositif qui participe au développement économique et à la croissance de l’emploi dans nos régions.

Mais l’outre-mer a un autre sujet d’inquiétude : la réforme de l’OCM sucre risque de déstabiliser l’économie réunionnaise en provoquant une catastrophe sociale pour des milliers de petits planteurs de canne. À quelques jours de la réunion du Conseil européen des ministres de l’agriculture, le 22 novembre prochain, pouvez-vous nous apporter quelques informations à ce sujet, même si vous l’avez déjà évoqué il y a quelques instants dans votre intervention ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’outre-mer. Monsieur le député, en effet, je vous ai apporté tout à l’heure quelques éléments d’information sur la position française dans la négociation en cours. J’ajouterai cependant que l’OCM sucre et l’OCM banane font également partie intégrante de la structure économique et industrielle des départements d’outre-mer, et qu’elles peuvent avoir d’importantes conséquences sur l’emploi. Le Gouvernement reste donc extrêmement vigilant et continuera de prendre des initiatives pour préserver au mieux les intérêts des deux filières.

Du point de vue de la méthode, les ministères de l’agriculture et de l’outre-mer travaillent main dans la main avec les professionnels, qui sont les mieux à même de mettre en perspective d’éventuelles évolutions dans les directions souhaitées. Cela veut dire que les mémorandums défendus par la France sont préparés et rédigés en concertation avec les professionnels des filières. Sur cette base, un pacte de confiance s’est très rapidement mis en place : nous échangeons nos informations et nos analyses sur l’évolution des négociations.

En ce qui concerne l’OCM sucre, il s’agit d’atténuer l’impact de la réforme et de rechercher les moyens de compenser les pertes de revenus à partir de 2009. Tel est l’enjeu du débat.

Dans le cadre du contentieux sur la banane avec l’Organisation mondiale du commerce, l’Union européenne doit mettre en place au 1er janvier 2006 un régime d’importation unique tarifaire : la proximité de l’échéance constitue un élément d’interrogation supplémentaire. La Commission avait prévu un tarif à 230 euros la tonne, et un autre à 187 euros la tonne : les arbitres de l’OMC ont rejeté ces deux propositions. La France reste donc très vigilante sur le niveau de protection du marché communautaire, tout en rappelant qu’il est urgent de mettre en œuvre la réforme de l’aide compensatoire en faveur des producteurs communautaires sur la base du mémorandum des États membres producteurs, qui a été remis à la Commission le 20 septembre dernier.

M. le président. Nous passons au groupe des député-e-s communistes et républicains.

La parole est à M. Jean-Claude Lefort.

M. Jean-Claude Lefort. Le problème de l'immigration à Mayotte pose des questions lourdes de sens et appelle donc des réponses. Le 17 septembre dernier, monsieur le ministre, vous évoquiez dans la presse une remise en cause du droit du sol à Mayotte, ce dont se félicitèrent aussitôt bruyamment d'aucuns parmi les moins fréquentables des hommes politiques français.

À des situations distinctes sur les plans juridique, politique et humain – demandeurs d'asile, travailleurs irréguliers, ou encore parents déposant des revendications contestables de nationalité – vous répondez, parmi d'autres solutions, par la réforme de l'accès à la nationalité, ce qui change toute la réflexion en la matière.

La question de l’immigration irrégulière ne saurait pourtant être résolue par la remise en cause des règles d'acquisition de la nationalité française et de l'exercice du droit d'asile, ou encore par le moyen d’une paternité déclarée fictive.

Personne ne nie les difficultés que rencontre Mayotte, mais y répondre par une possible remise en cause du droit du sol ne peut que créer une vive et légitime émotion.

En revanche, la lutte contre l'immigration clandestine passe par la lutte contre les passeurs et autres employeurs mahorais.

M. Mansour Kamardine. Les passeurs ne sont pas mahorais ! Vous parlez de choses que vous ne connaissez pas !

M. Jean-Claude Lefort. Nos lois en la matière ne sauraient être efficaces à Mayotte, qui est de la taille de l'île d'Oléron ?... On ne peut le croire.

Proclamer son attachement à la France tout en exigeant de déroger à ses lois sur un sujet aussi majeur, voilà un paradoxe qui n'est pas mince pour quiconque considère que la République est une et indivisible.

Alors que l’histoire particulière de la zone a abouti à des ramifications familiales et à des relations nombreuses entre Comoriens et Mahorais, qui ne pourront disparaître, quoi que l'on fasse, on ne peut dresser un mur entre eux, à moins de flirter avec un nationalisme malsain.

Les problèmes de Mayotte ne peuvent non plus se comprendre si l’on refuse de voir que la République islamique des Comores est exsangue, du fait de la gestion désastreuse, pour ne pas dire plus, de son président actuel. Or, à quelques semaines du scrutin présidentiel, voilà que M. Sarkozy expulse des milliers de personnes de Mayotte vers Anjouan, alors que c'est de cette île même que devrait être issu le prochain président des Comores. Veut-on que se développe un climat anti-français dans cette région ? Tout cela est dangereux, de même que la menace du Président Azari de ne pas tenir les élections présidentielles à Anjouan au mépris de la Constitution comorienne adoptée démocratiquement. Si cela devait s’avérer exact, cela ne pourrait qu’accentuer la déstabilisation de la région avec toutes ses conséquences sur Mayotte.

Monsieur le ministre, vous dites n’avoir évoqué qu’une hypothèse, ce qui est la sagesse même, dans l’attente, pour trancher, du résultat des travaux de la mission mise en place sur ce sujet par notre assemblée. Tout républicain ne peut que souhaiter qu’elle parvienne à des conclusions claires et rigoureuses, en même temps qu'humaines, d'autant que notre Constitution, en son article 73, exclut expressément pour les territoires ultramarins toute dérogation en matière de nationalité, de libertés publiques, de justice et d'ordre public.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’outre-mer. Monsieur Lefort, les questions d’accès à la nationalité française à Mayotte relèvent non de l’article 73 de la Constitution mais de l’article 74 – je le rappelle pour que cela figure au Journal officiel.

J’ai voulu, comme vous, lancer le débat sur l’immigration clandestine dans un esprit de responsabilité. J’y reviendrai en abordant, d’abord, la question de la méthode.

Ce débat, je ne suis ni le premier ni le seul, je le répète, à l’avoir voulu. L’ensemble des parlementaires ultramarins, confrontés au quotidien à une situation de plus en plus tendue en la matière, ont, depuis de nombreuses années, essayé de faire entendre leur voix. À cet égard, le rôle d’un ministre est aussi de relayer tout débat sur une politique si celle-ci lui apparaît nécessiter des inflexions. C’est dans cet état d’esprit que j’ai pris l’opinion publique à témoin sur un sujet important et sur la base d’arguments constitutionnels solides.

L’article 74 permet de nombreuses adaptations : je parle sous le contrôle de M. Kamardine, ancien bâtonnier du barreau de Mayotte, avocat et juriste de formation. Affirmer qu’il n’y a pas d’adaptation possible de notre droit pour l’outre-mer, c’est méconnaître gravement notre loi fondamentale et nier, tout simplement, les avancées de ces dernières années, dont la loi de programme elle-même, qui permet des dérogations au droit commun en matière notamment de défiscalisation et de continuité territoriale.

M. Victorin Lurel. Ça ne se situe pas sur le même plan !

M. le ministre de l’outre-mer. Je vous le concède bien volontiers, monsieur le député, mais laissez-moi terminer ma démonstration.

Monsieur Lefort, je parle rarement au hasard et, en général, je m’efforce d’être sérieux. À cet égard, la base constitutionnelle de mon argumentation est solide.

Outre que la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel depuis 1993 permet de tenir compte de certaines spécificités, permettez-moi de vous rappeler que, lorsque vous étiez aux affaires, Mme Guigou, qui était garde des sceaux, avait déjà, en 1998, restreint par ordonnance les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte.

M. Victorin Lurel. N’était-ce pas plutôt M. Méhaignerie en 1993 ?

M. le ministre de l’outre-mer. De même, la polygamie – sujet ô combien d’actualité ! – n’est strictement interdite à Mayotte que depuis le 1er janvier de cette année seulement.

Bref, on ne peut dire que les politiques publiques ne peuvent déroger au droit commun selon les spécificités des territoires. En revanche, dire comme moi que le débat auprès de la représentation nationale est souhaitable, revient à le lancer et non à le trancher. L’interview auquel vous avez fait allusion étant parue par écrit, vous avez tout loisir d’imaginer la genèse de l’affaire, depuis son point de départ jusqu’aux conclusions de la représentation parlementaire. L’ensemble est maîtrisé.

La mission parlementaire à Mayotte doit pleinement prendre la mesure de la réalité : il y aurait, pour 160 000 habitants environ, car l’état-civil est incertain, 60 000 clandestins, chiffre également sujet à caution. Ce qui n’est pas contestable, en revanche, c’est le nombre de naissances, soit près de 8 000, à la désormais célèbre maternité de Mamoudzou, la plus active de France.

Il nous faut porter sur cette question un regard humain. Tel doit être le point de départ de notre réflexion.

Je suis pleinement conscient que des mesures répressives ne suffiront pas à enrayer le flux et qu’il nous faudra également renforcer notre aide au développement en faveur de tous ces gens qui viennent chez nous parce que, Mayotte, donc la France, représente une forme d’eldorado avec son rapport de 1 à 5 en termes de richesse par habitant, ce qui en fait un véritable produit d’appel. Or il n’est plus possible que Mayotte continue à laisser le travail clandestin se développer et à offrir une vie de clandestinité aux femmes qui accouchent dans cette maternité.

Ce débat, il nous faut donc l’aborder sereinement et en pleine responsabilité. Voilà pourquoi j’ai souhaité que cette mission se rende à Mayotte sous l’autorité de la commission des lois, avec, pour objectif, d’imaginer des solutions compatibles avec notre Constitution.

Si nous l’avons modifiée en 2003, c’est justement pour permettre une adaptation de nos principes suprêmes afin de donner aux populations concernées tout moyen utile de maintenir leur cohésion sociale.

Je le dis avec beaucoup de gravité : si nous n’agissons pas à Mayotte, la cohésion sociale et, partant, l’attachement à la France y seront durablement menacés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous en venons au groupe de l’UMP.

La parole est à M. Mansour Kamardine, pour une première question.

M. Mansour Kamardine. Je veux d’abord, au nom de la représentation nationale, adresser des vœux de prompt rétablissement à notre collègue Edmond-Mariette qui, souffrant, doit en ce moment penser à nous et à ce débat. Je lui souhaite d’être à nouveau parmi nous très rapidement et je prie M. Alfred Almont de lui transmettre nos vœux. Sa voix nous manque aujourd’hui dans ce débat.

Mme Christiane Taubira. Je pense également à lui mais cette intervention est-elle nécessaire ?

M. Mansour Kamardine. Monsieur Lefort, je vous remercie de l’intérêt que vous portez à la question de l’immigration clandestine à Mayotte. Comme l’a dit en conclusion M. le ministre, si rien n’est fait, ce sont les fondements mêmes de la société mahoraise qui seront ébranlés.

Mon cœur, comme le vôtre, bat à gauche et il est gros comme une patate. Il est au service de tous, mais encore faut-il que la cause soit bonne. Les « droits-de-l’hommistes » s’expriment souvent sur des sujets qu’ils ne connaissent pas. S’il n’y a rien de plus beau dans la vie que d’accueillir les autres, seraient-ils capables, comme nous, de recevoir chez eux, même pour une semaine, trois ou quatre clandestins ?

L’immigration clandestine a un coût que les contribuables français supportent souvent en rechignant. Je comprends que nous devons tendre la main aux autres, et c’est ce que nous faisons par le biais de la coopération régionale. Mais, pour ceux qui ne le sauraient pas, je rappelle que Mayotte, grande de 374 kilomètres carrés, a la densité la plus élevée de France avec 450 habitants au kilomètre carré. Aucune autre région française n’est aussi surpeuplée.

Nous avons été au-delà de ce qu’il était possible de faire et comprenez, dans ces conditions, que nous ne puissions plus accueillir.

Aujourd’hui, les communes de Mamoudzou et de Koungou comptent plus de clandestins que de Français. Ainsi irait la vie ? Mais aucun parlementaire n’accepterait une telle situation ! Il faut prendre des mesures, sachant que les chiffres qui ont été cités proviennent de l’INSEE et que s’ils sont objectifs, ils sont surtout insupportables.

M. Victorin Lurel. Ce qui est insupportable, monsieur le président, c’est que notre collègue puisse intervenir alors qu’il n’était pas inscrit !

M. le président. Venez-en à votre question, monsieur Kamardine.

M. Mansour Kamardine. Monsieur le président, je poserai en même temps, si vous le voulez bien, mes deux questions (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) ce qui me permettra de respecter le temps qui m’est imparti.

Mes chers collègues, juger dans cet hémicycle de la responsabilité de chefs d’État étrangers, en l’occurrence le président Azari, était pour le moins malvenu. Ce n’est pas à nous qu’il appartient d’en juger mais aux Comoriens eux-mêmes.

Monsieur le ministre, je vous poserai donc deux questions. La première a trait à l’emploi. À Mayotte, 40 % de la population active est sans emploi : je dis souvent que l’emploi y est l’exception et le chômage la règle. Il faut inverser la tendance. En outre, la population est jeune puisque 60 % des habitants ont moins de vingt ans. Il faut donc créer les conditions de l’emploi. Ce serait de bonne politique.

En métropole, l’alternance politique est la règle depuis vingt ans car les Français changent de majorité lorsque le taux de chômage franchit la barre symbolique des 10 %. À Mayotte, ce taux est quatre fois supérieur ! C’est insupportable. L’État est-il prêt à aider Mayotte, qui souhaite du travail plutôt que de l’assistanat, ainsi qu’elle l’a démontré pendant très longtemps avant que le RMI n’y soit finalement étendu ? L’État va-t-il l’accompagner dans sa volonté de travailler et de réussir son avenir en retrouvant la dignité par le travail ?

Ma seconde question a trait au régime des bourses applicable à Mayotte.

Si nous voulons que la population se développe, si nous voulons que l’égalité des chances soit assurée, il faut aider cette population. Le SMIC est à 647 euros, le taux de chômage est élevé, le droit de la sécurité sociale est en cours d’adaptation, et le régime des bourses, qui a été institué en 1987, n’a pas bougé depuis vingt ans alors que les conditions économiques et sociales ont énormément évolué.

Monsieur le ministre, la jeunesse mahoraise nous regarde ce soir. Pouvez-vous dire clairement si vous êtes prêt à accepter ma proposition d’amendement qui vise à étendre à Mayotte les dispositions du code de l’éducation, notamment les articles L.531-1 à L.531-5, qui permettraient d’engager un processus de rattrapage en particulier en matière de bourses ?

M. Gérard Grignon. Très bien !

M. le président. Pour que les choses soient très claires, je précise que le groupe UMP, qui n’a pas utilisé tout son temps de parole, avait fait savoir à la présidence en début de séance qu’il souhaitait inscrire un orateur pour poser deux questions.

M. Victorin Lurel. Moi aussi, je demande la parole.

M. le président. Je viens de faire vérifier, monsieur Lurel : le groupe socialiste a consommé l’intégralité de son temps de parole. Il ne peut pas y avoir de malentendu, c’est très normalement que le service de la séance a inscrit M. Kamardine.

Mme Huguette Bello. L’UMP a, elle aussi, bien consommé aujourd’hui.

M. Victorin Lurel. Ce n’est pas acceptable, monsieur le président.

M. le président. C’est le règlement de notre assemblée. Je ne vous permets pas de dire ça !

M. Victorin Lurel. Je ferai un rappel au règlement tout à l’heure.

M. le président. Comme vous voudrez. Pour ma part, j’applique le règlement et la parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’outre-mer. Monsieur Kamardine, vous me posez deux questions, la première sur l’application de la loi-programme pour l’outre-mer en matière d’alignement du régime d’exonération des charges sociales sur les départements d’outre-mer, la seconde sur l’extension partielle du code de l’éducation en matière de bourses nationales.

En ce qui concerne le premier point, je suis favorable pour ma part à l’introduction à Mayotte d’un régime d’exonération de charges sociales analogue à celui en vigueur dans les départements d’outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il faudrait cependant, si vous en êtes d’accord, examiner l’impact d’une telle réforme sur l’organisation de la protection sociale à Mayotte. Il me semble donc prématuré de légiférer en ce sens par la voie d’un amendement parlementaire. Mais, sur le principe, je suis prêt à m’engager dans cette voie.

En ce qui concerne le second point, je vous ferai, là aussi, une réponse de principe mais qui est en même temps un engagement politique pris devant la représentation nationale : je suis prêt à engager une réflexion avec mon collègue de l’éducation nationale sur la façon dont nous pourrions mettre en place, dans un délai raisonnable, les conditions d’extension du régime des bourses à Mayotte. Nous devons, là aussi, travailler de manière rigoureuse, car il y a un impact financier à la clé. Je vous propose de nous laisser du temps pour réfléchir à la mise en œuvre de ce dispositif, réflexion à laquelle vous pourriez être associé, de façon à déboucher sur un texte qui serait examiné par le Parlement et définir l’enveloppe budgétaire qui accompagnerait votre souhait.

M. Mansour Kamardine. Merci, monsieur le ministre.

M. le président. Nous en revenons au groupe socialiste.

La parole est à Mme Christiane Taubira, pour deux minutes.

Mme Christiane Taubira. Avant de poser ma question, je voudrais, monsieur le président, revenir à l’intervention de M. le ministre, bien sûr dans le temps qui m’est imparti, même si j’ai constaté une relative élasticité dans la tolérance quant aux temps de parole.

M. Victorin Lurel. Eh oui !

M. le président. Madame la députée, vous êtes en deuxième position pour les dépassements de temps de parole depuis le début de cette séance.

Mme Christiane Taubira. Si je suis seulement la deuxième, c’est qu’il y a un premier. J’ai donc de la marge.

Je ne vous mets pas en cause, monsieur le président, parce que j’ai bénéficié moi-même d’une belle tolérance, mais d’autres ont fait mieux et je pense qu’il y a beaucoup d’ex aequo pour la première place.

M. le président. Non.

Mme Christiane Taubira. Monsieur le ministre, votre intervention m’a un peu surprise car, jusqu’à présent, je trouvais que vous aviez réussi à peu près non pas à vous hisser au-dessus des clivages partisans – vous avez tout à fait le droit, au demeurant, d’assumer votre couleur politique – mais à résister aux tentations de la mesquinerie qui conduit à porter un jugement de valeur sur l’intervention d’un parlementaire. (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Didier Quentin, rapporteur pour avis. Les mots sont excessifs !

Mme Christiane Taubira. C’est exactement ce que le ministre a fait tout à l’heure.

Lorsque je parle de la nécessité non pas seulement d’inscrire des logements sociaux mais de les construire, lorsque je dénonce l’injustice des différences de standing, des destructions de logements, des modalités d’attribution des logements sociaux, lorsque j’exhorte la France à se soumettre aux exigences environnementales de la convention de Carthagène, qu’elle a signée et ratifiée, pour ses opérations d’exploration pétrolière en Guyane, lorsque je parle de la coqueluche, de la tuberculose, de la maladie de Chagas, du paludisme et que le ministre n’entend que la « musique des mots », quelle efficacité peut-on attendre de la part de ce Gouvernement ?

Lorsque je dis qu’en matière d’immigration clandestine, il faut sortir de la stricte logique de la répression et inscrire cette question dans le cadre des relations internationales et de la diplomatie, en vue de conclure des accords de coopération avec le Brésil, le Surinam, Haïti ou le Guyana, j’aborde des problèmes de fond.

Vous avez entendu Glissant, et il est vrai que j’ai cité de lui une demi-phrase, mais d’autres personnes m’ont entendue parler, dans mon intervention, des enfants déscolarisés. J’ajoute, peut-être le savez-vous, qu’une centaine de jugements de placement d’adolescents ne sont pas exécutés faute de places. Ces adolescents qui subissent la maltraitance sont ainsi contraints de rester dans des milieux périlleux pour eux.

Si vous n’entendez que de la musique dans tout ça, si vous entendez par ailleurs des choses que je ne dis pas, puisque je n’ai pas cité Césaire et Damas aujourd’hui – à moins que vous ne régliez des comptes pour des interventions passées –, cela signifie tout simplement que nous n’étions pas branchés sur la même fréquence. Il est certain que je ne manie pas la brosse à reluire. Je ne l’ai jamais fait, c’est une question de tempérament et de sens de la dignité. Il ne faut pas compter sur moi non plus pour geindre. Je sais bien que c’est gênant, que je suis hors normes, mais j’entends le demeurer.

Je vous pose une question sur la maladie de Chagas, qui est une affection parasitaire endémique en Amérique du Sud et en Amérique centrale. Cette affection, qui touche environ 20 millions de personnes, vient d’un protozoaire, le Trypanosoma cruzi. Après le Brésil, d’où le nom de Chagas, l’institut Pasteur a, en 1939, identifié, pour la France, l’agent infectieux. Cette maladie peut incuber pendant une vingtaine d’années avant de se manifester, mais il existe aussi une forme aiguë, qui provoque des myocardites ou des méningo-encéphalites.

Alors qu’au Brésil, en Bolivie, au Chili, en Argentine, un dépistage systématique est organisé au cours de la collecte du sang, tel n’est pas le cas en Guyane, laquelle se trouve pourtant pour quelque temps encore en Amérique du Sud – même si certains déplorent cet éloignement –, la dérive des continents étant à peu près terminée.

J’ai saisi par écrit le ministre de la santé à trois reprises mais je n’ai pas obtenu de réponse. J’ai donc saisi le président de l’EFS, l’Établissement français de la santé, avec qui j’ai eu une séance de travail il y a deux semaines.

J’appelle votre attention, monsieur le ministre, sur la nécessité d’utiliser des tests. Depuis quelques semaines, selon le président de l’EFS, il est fait usage de tests de dépistage, mais pas de manière systématique, alors qu’on sait que l’infection post-transfusionnelle a touché 5 ‰ des donneurs de sang et que l’IRD, organisme de recherche français, a été primé en juin 2002, en Bolivie, pour la mise en place d’un kit de sérodiagnostic, qui n’est pas utilisé en Guyane, et que l’Union européenne, par une directive datant de février 2005, autorise l’usage de tests non homologués à condition que leur fiabilité soit prouvée, ce qui est le cas des tests brésiliens ou boliviens mis au point en partenariat avec la France.

Envisagez-vous d’imposer le test de dépistage pour la maladie de Chagas, sachant que des personnes contaminées, qui circulent entre la Guyane et les Antilles, entre la Guyane et la France, peuvent la transmettre ? Prévoyez-vous de mettre en place une sérothèque, indispensable pour la traçabilité des dons et le suivi des donneurs ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’outre-mer. Madame la députée, je pourrais revenir sur les notes complémentaires que vous avez apportées à votre première partition, mais cela risquerait de nous entraîner dans un opéra un peu trop copieux. Il n’y a de ma part aucune attaque personnelle. Vous êtes une responsable politique, moi aussi. Vous avez une certaine expérience, moi aussi. Le débat veut que, lorsque vous dites des choses, vous devez vous attendre à recevoir quelques éléments de réponse, tout cela devant se dérouler dans un climat de respect mutuel, sentiment qui m’anime à votre égard, même si nous ne partageons pas les mêmes options politiques, ce qui nous sépare dans nos actions respectives.

La maladie de Chagas pose un grave problème de santé publique, vous avez raison, notamment en Amérique latine. Elle entraîne notamment des troubles cardiaques et digestifs irréversibles. Malheureusement, la Guyane est aussi une zone d’endémie chagassienne, même si le nombre de cas identifiés à ce jour y demeure faible.

Le dépistage de cette maladie est extrêmement difficile, notamment parce que sa séroprévalence est encore mal connue. Il y a un très gros point d’interrogation en ce domaine.

Dans ce contexte, trois mesures ont été prises :

D’abord, un arrêté du préfet de Guyane a été signé qui a interrompu jusqu’à nouvel ordre tout prélèvement sanguin dans cette région afin d’éviter toute contamination.

Ensuite, pour l’avenir, trois tests pour le diagnostic de cette maladie ont d’ores et déjà été retenus et sont en cours d’évaluation. Je vous donnerai les informations lorsque nous connaîtrons le calendrier précis.

Enfin, la pharmacie du centre hospitalier de Cayenne a été autorisée par l’Agence française de sécurité sanitaire à détenir et à dispenser le seul médicament efficace connu à l’heure actuel.

Voilà les quelques éléments d’information que je peux vous donner sur cet important dossier, sur lequel nous devons engager une mobilisation collective.

M. le président. La parole est à M. Éric Jalton.

M. Éric Jalton. Monsieur le ministre, les élèves directeurs d’hôpital originaires d’outre-mer rencontrent des difficultés quant à leur affectation outre-mer. En effet, la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins s’oppose farouchement à ce qu’ils puissent se porter candidats aux postes de directeur d’hôpital des établissements hospitaliers des DOM-TOM. Il leur a été expliqué que cette décision découlait du fait que le ministère de l’outre-mer ne pouvait donner son avis sur des ouvertures de postes dans ces départements avant le 16 décembre 2005, date de la décision définitive d’affectation.

Cette situation est d’autant plus préoccupante que ces jeunes directeurs d’hôpital sont autorisés à démarcher les établissements où les postes sont vacants depuis longtemps ou jugés difficiles.

Est-ce à dire que les hôpitaux de Guadeloupe, Martinique, Guyane ou des territoires d’outre-mer souffrent d’une exclusion qui les pénaliserait dans leur faculté de recruter des élèves directeurs pour leur administration ?

Faut-il considérer que les situations personnelles et familiales ne doivent pas être prises en compte pour les ressortissants d’outre-mer, obligés d’effectuer leur mobilité dès leur première affectation ?

Je vous saurais gré, monsieur le ministre, de bien vouloir m’éclairer d’une part, sur les bases légales des conditions d’accès aux postes de directeur d’hôpital outre-mer, d’autre part, sur les raisons qui inciteraient votre ministère à priver nos hôpitaux de la possibilité de recruter des élèves directeurs originaires d’outre-mer sur des postes pourtant vacants. Ne peut-on permettre aux ultra-marins de travailler dans leur région d’origine ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’outre-mer. Monsieur le député, je comprends votre souci, légitime, de voir revenir dans leur région d’origine, notamment outre-mer, de jeunes cadres de direction issus de l’École nationale de la santé publique de Rennes. Néanmoins, il est difficile d’envisager un fléchage outre-mer, dès la sortie de l’école, des jeunes cadre de direction originaires de Guadeloupe. En effet, une affectation dictée par la seule origine géographique de l’élève directeur d’hôpital constituerait, vous en conviendrez, une entorse au principe d’égalité républicaine affirmé dans les concours nationaux, où la règle du mérite individuel est la seule en vigueur.

En revanche, je note que, dans la suite du déroulement de leur carrière, il est tout à fait possible, c’est le cas aujourd’hui et je m’en réjouis, que des cadres de l’administration hospitalière originaires de l’outre-mer reviennent servir dans leur collectivité d’origine. Ces éléments ne correspondent pas uniquement à une posture, ils sont le fait d’une politique globale d’équité.

Je suis bien conscient que cette réponse ne peut pas vous satisfaire totalement mais c’est celle que je me dois de vous faire au nom du ministère de l’outre-mer.

M. le président. La parole est à M. Christophe Payet.

M. Christophe Payet. Monsieur le ministre, j’ai eu l’occasion d’appeler votre attention sur la situation des personnes âgées ou handicapées qui ne peuvent pas bénéficier de la couverture maladie universelle complémentaire parce que leur revenu est légèrement supérieur au plafond, du fait de la prise en compte de leurs allocations ou du forfait logement.

Leurs ressources leur permettant tout juste de subvenir à leurs besoins, ces retraités ou handicapés ne peuvent plus accéder aux soins dans de bonnes conditions en raison du coût trop élevé des frais médicaux et des mutuelles.

Nous avons proposé que ne soit plus prise en compte dans le calcul du revenu de ces personnes l’allocation logement, pour les locataires, et le forfait logement, pour les propriétaires. Quelle suite entendez-vous réserver à cette demande ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’outre-mer. Monsieur le député, comme vous le savez, le Gouvernement a accompli, en relevant sensiblement le plafond de ressources pour l’éligibilité à la CMU-C, un effort considérable de solidarité nationale à l’égard de nos compatriotes d’outre-mer. Vous comprendrez que dans la situation délicate où se trouvent actuellement les finances publiques, cet effort ne puisse être indéfiniment accru, tout au moins dans l’immédiat. J’ajoute qu’une aide à la mutualisation permet à ceux qui se trouvent au-dessus du plafond de ressources d’avoir accès par ailleurs à une couverture maladie complémentaire de qualité.

M. le président. La parole est à Mme Christiane Taubira.

Mme Christiane Taubira. Je suis désolée de continuer ma partition, d’autant que je n’ai aucune vocation pour l’opéra, aucune culture suffisante pour cela, monsieur le ministre. J’opterais plutôt pour le tambour coupé foulé ou roulé et le kaséko, mais je vous l’épargnerai.

Je souhaite maintenant vous interroger sur l’indemnité d’éloignement et les congés bonifiés. Les agents de la fonction publique territoriale, de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique d’État originaires de l’outre-mer et qui exercent en France ont droit à une indemnité d’éloignement que l’État a refusé de payer pendant de très nombreuses années.

Cette indemnité est basée sur un décret de 1978, une circulaire de 1980 et quelques jurisprudences. Le Conseil d’État, saisi par des ressortissants d’outre-mer, a décidé en 2002, avec l’arrêt Petit, de donner raison à ces agents, qui avaient effectivement droit à cette indemnité d’éloignement.

Le ministre de la santé a pris en 2003 une circulaire selon laquelle la prescription quadriennale prévue par la loi de décembre 1968 autorise l’État à s’affranchir de cette obligation de verser l’indemnité d’éloignement. Selon cette même loi de décembre 1968 et en vertu d’un décret de 1978, le Premier ministre peut lever cette prescription quadriennale et mettre un terme à ce feuilleton judiciaire qui contraint des agents aux revenus souvent modestes à payer un avocat pour obtenir ce que la loi leur reconnaît. Il y a là une vraie rupture d’égalité dans le traitement de l’État à l’égard de ses agents.

Le décret de 1953 qui instaure une indemnité d’éloignement pour les fonctionnaires originaires de France et qui vont servir outre-mer n’a jamais donné lieu, lui, à la moindre protestation, parce qu’il n’existe pas un seul fonctionnaire venant de France et servant outre-mer qui se soit vu refuser par l’État le versement de son indemnité d’éloignement. En revanche, il y a en France des milliers de fonctionnaires qui viennent d’outre-mer et qui ne perçoivent pas cette indemnité d’éloignement, alors qu’ils y ont droit depuis 1986.

Je demande donc que l’État prenne ses responsabilités au lieu de faire jouer la prescription quadriennale, sous prétexte que la fonction publique aurait dû verser cette indemnité, qu’elle ne l’a pas fait pendant des années et qu’elle y est aujourd’hui contrainte du fait d’une décision de justice,

Ma deuxième question concerne les congés bonifiés et le traitement que vous envisagez de réserver à ce dispositif. Vous savez que, depuis deux ans au moins, il est constamment remis sur la table. On conteste sa pertinence et on menace de le supprimer au prétexte que cet avantage acquis par des fonctionnaires originaires d’outre-mer pénaliserait l’emploi. Je voudrais savoir ce que vous entendez faire, compte tenu du fait que, là aussi, des textes de loi réglementent les conditions dans lesquelles le congé bonifié est dû et doit être consenti à ces agents qui exercent en France.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’outre-mer. Madame la députée, par bonne éducation, je vous laisserai le dernier mot sur notre enchantement musical.

M. Hervé de Charette. C’est beau, l’opéra !

Mme Christiane Taubira. Sans aucun doute, mais ce n’est pas le lieu.

M. le ministre de l’outre-mer. Vous m’interrogez sur deux points : le problème des indemnités d’éloignement et les congés bonifiés.

Les indemnités d’éloignement constituent un sujet global et complexe qui ne dépend pas directement du ministère de l’outre-mer. C’est une question interministérielle, qui pose des problèmes d’engagements mais également des problèmes d’équité. C’est la raison pour laquelle, dans la mesure où je ne peux pas, à ce stade, vous fournir plus d’éléments de réponse, nous allons étudier le dossier afin de vous apporter des éléments actualisés sur ce sujet, véritable serpent de mer.

Les congés bonifiés, eux, sont une question qui relève de la fonction publique. Des groupes de travail ont été mis en place, qui ne dépendent pas non plus directement du ministère de l’outre-mer. Il serait donc utile, me semble-t-il de solliciter à leur propos mon collègue chargé de la fonction publique. En revanche, il n’y a actuellement dans mon ministère aucun projet de modification ou d’adaptation du dispositif, même si le sujet fait couler beaucoup d’encre dans d’éminentes commissions parlementaires.

Je souhaiterais enfin revenir à un point que j’ai omis en répondant tout à l’heure aux honorables parlementaires inscrits sur le budget. M. Grignon a évoqué l’octroi d’une subvention exceptionnelle d’équilibre de l’ordre de 600 000 euros à Saint-Pierre-et-Miquelon. Je tiens à en donner ici l’engagement, pour que ce soit inscrit au Journal officiel.

M. le président. Nous avons terminé les questions.

Mission « Outre-mer »

M. le président. J’appelle les crédits de la mission « Outre-mer », inscrits à l’état B.

État B

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 653.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’outre-mer. Monsieur le président, cet amendement est une conséquence de la suppression de l’article 73. Il découle des engagements pris pour répondre aux préoccupations légitimes de continuité de la loi de programmation, sur la question notamment de la réforme des exonérations de charges sociales. La suppression de l’article 73 permettra de maintenir intégralement le dispositif des exonérations de charges sociales applicable outre-mer tel qu’il est prévu par la loi de programmation. Les engagements pris par le Gouvernement seront donc tenus et la loi de programmation votée par la représentation nationale respectée.

Cette suppression nécessite d’abonder la mission « Outre-mer » de crédits supplémentaires, et l’amendement proposé par le Gouvernement opère un abondement net de 95 millions d’euros, qui seront affectés au programme 138 « Emploi outre-mer ». (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Daniel Garrigue, suppléant M. Alain Rodet, rapporteur spécial de la commission des finances. La commission ne s’est pas prononcée sur cet amendement mais elle émettrait sans nul doute un avis favorable, puisqu’il est la conséquence de l’amendement de suppression qu’elle a adopté à l’article 73. Il s’agit d’anticiper sur le vote qui supprimera l’article 73, mais tout ceci sera clarifié en fin de discussion de la loi de finances.

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Permettez-moi de revenir un instant, monsieur le ministre, sur la façon dont vous vous êtes exprimé à l’égard de Christiane Taubira. Un bon mot, une belle phrase peut vous aliéner un parlementaire. Jusqu’ici, nos débats s’étaient déroulés dans une très bonne ambiance et un respect mutuel. Alors, même si vous avez évoqué la musique, une belle chose en soi et qui pourrait nous réunir, mieux vaut éviter de faire des phrases un peu faciles, qui peuvent déclencher le courroux d’un parlementaire distingué.

M. Mansour Kamardine. Vous êtes jaloux !

M. Victorin Lurel. En second lieu, monsieur le président, j’aurais pu faire un rappel au règlement concernant certains collègues qui se sont exprimés au moins quatre minutes, alors qu’ils n’étaient pas inscrits. Nous avons des règles et le président est là pour les appliquer.

Sur l’amendement du Gouvernement, enfin, il est question de l’article 73, mais l’article 73 n’est pas encore supprimé, que je sache !

M. Daniel Garrigue, suppléant M. Alain Rodet, rapporteur spécial. Nous anticipons.

M. Victorin Lurel. Vous anticipez ? C’est une drôle de façon de légiférer ! Je m’étonne que l’on nous fasse voter par anticipation, en préemptant en quelque sorte le vote ultérieur des parlementaires. Aussi, il me semble que le Gouvernement devrait retirer son amendement. Vous pensez sans doute contrôler votre majorité, mais nous sommes dans un État de droit !

Permettez-moi également, puisque j’ai deux minutes, de signaler que je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce que le ministre a pu dire sur l’immigration. Nous avons organisé en Guadeloupe un congrès des élus départementaux et régionaux sur ce sujet. Votre prédécesseur nous a menacés de nous déférer au tribunal, nous nous sommes fait maltraiter par les racistes, mal voir par les avocats et par toutes celles et tous ceux qui défendent les droits de l’homme. Je partage souvent leur point de vue mais, en l’occurrence, le principe de réalité consiste à regarder la réalité en face et à mettre en œuvre des mesures pragmatiques.

Vous semblez, monsieur le ministre, vous être limité au cas de Mayotte, sans qu’il soit même sûr que votre action puisse se concevoir dans le cadre de l’article 74 de la Constitution. En tant que membre de la mission parlementaire, j’y serai attentif.

Pour ce qui nous concerne, mon homologue Jacques Gillot, président du conseil général et sénateur, et moi-même, en ma qualité de président de région, attendons depuis huit mois les mesures que nous avons réclamées.

On m’annonce la visite prochaine de M. Sarkozy qui augmentera le nombre de places de notre centre de rétention administrative. C’est très bien, nous l’avons demandé. Nous avons même demandé la construction d’un nouveau CRA, pour lequel la région a proposé un partenariat intelligent avec l’État. Nous avons encore demandé que soit instaurée dans la zone de solidarité prioritaire une politique de codéveloppement et que soient mis en place un plan régional d’intégration des populations immigrées ainsi qu’un plan départemental d’accueil : c’est une compétence de l’État depuis 1990.

Nous avons réclamé l’augmentation du nombre d’officiers de police judiciaire – il en manque vingt – et le renforcement de la logistique : nous n’avons que deux vedettes poussives, l’une à Saint-Barthélemy, l’autre à Fort-de-France, alors que ce sont les côtes de la Guadeloupe qui sont envahies, même si je n’aime pas la connotation giscardienne du mot « envahissement ».

Eh bien, qu’avons-nous eu en réponse ? Rien. Silence sur toute la ligne. Telle la sœur Anne du conte de Perrault, nous scrutons l’horizon mais ne voyons rien venir.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur suppléant.

M. Daniel Garrigue, suppléant M. Alain Rodet, rapporteur spécial. Je souhaite répondre à M. Lurel que nous votons effectivement ces crédits par anticipation sur la suppression de l’article 73. Cependant, si l’Assemblée nationale se ravisait et décidait de maintenir l’article 73, ces crédits deviendraient sans objet. Ce n’est pas la première fois qu’on se trouve devant ce genre de situation. Il s’agit d’une gymnastique habituelle et, quand on arrivera au terme de la loi de finances, tout sera parfaitement équilibré. La loi de finances, c’est un tout. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’outre-mer. Concernant la suppression de l’article 73, je n’ai rien à ajouter au propos de M. Garrigue.

Sur la question de l’immigration, la grande différence entre vous et moi, monsieur Lurel, c’est que je ne détiens pas la vérité, en particulier sur ce sujet. Ma seule vérité était qu’il fallait un débat ; vous nous l’avez d’ailleurs vous-même demandé, allant jusqu’à prendre des positions dures et assez courageuses compte tenu de votre appartenance politique.

Cela étant, que peut-on faire de mieux et de plus transparent que de solliciter une mission et de confier aux parlementaires le soin de définir le véhicule législatif et les mesures adaptées ? Peut-on être plus ouvert, plus responsable et plus respectueux du pacte républicain ?

M. Bernard Accoyer. Très bien ! Si on ne le faisait pas, vous nous le reprocheriez !

M. le ministre de l’outre-mer. Nous nous sommes entretenus, le ministre d’État en charge de l’intérieur et moi-même, sur l’évolution préoccupante de la situation en Guadeloupe et sur les moyens de lutter contre l’immigration illégale. C’est dans cet esprit, me semble-t-il, que le ministre d’État se rendra en Guadeloupe, pour apporter des éléments de réponse et rassurer les populations. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Mansour Kamardine.

M. Mansour Kamardine. Je suis surpris qu’on s’étonne de la visite du ministre d’État en Guadeloupe. J’aurais bien aimé qu’il vienne aussi à Mayotte. Par ailleurs, je voudrais réagir aux propos que je viens d’entendre. Cela fait plus de quinze jours que la représentation nationale, et notamment sa partie ultramarine, se mobilise pour défendre une loi de programmation qui commence seulement à produire ses effets. Or voici qu’au moment où le Gouvernement nous entend et où des mesures sont prises, certains se permettent de les critiquer.

Je souhaite donc, monsieur le ministre, exprimer au nom de cette partie-ci de l’hémicycle, notre gratitude au Gouvernement pour sa qualité d’écoute, qui a permis de consolider la loi de programmation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Éric Jalton.

M. Éric Jalton. Je comprends fort bien que, n’étant en poste au ministère de l’outre-mer que depuis quelques mois, le ministre n’ait pas eu le temps de s’imprégner des problèmes de l’immigration clandestine outre-mer et qu’il n’en maîtrise pas parfaitement les tenants et les aboutissants.

Mais nous, élus locaux, cela fait des années, voire des décennies, en tout cas en ce qui concerne Victorin Lurel et moi-même,…

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Vous n’êtes pas les seuls !

M. Éric Jalton. …ainsi d’ailleurs que Mme Louis-Carabin, que nous nous sommes imprégnés de ces problèmes, parce que nous les vivons, comme je l’ai dit dans mon intervention.

Je comprends donc fort bien l’humilité de M. le ministre et je la respecte d’ailleurs, car elle est tout à son honneur. Mais nous n’avons pas à l’imiter, puisque nous connaissons ces problèmes. D’ailleurs, au moyen d’une commission d’enquête, dont j’avais réclamé la création au sein du Parlement, et d’une mission d’information, dont j’avais souhaité qu’elle soit étendue à la Guadeloupe mais qui a été cantonnée à Mayotte, nous voulions éclairer la représentation nationale sur des vérités qu’elle ne connaît pas, mais qu’elle aurait pu connaître aussi bien que nous, qui sommes informés depuis belle lurette.

En ce qui concerne le problème des directeurs d’hôpitaux, je comprends votre réponse, monsieur le ministre, qui s’inscrit dans le cadre général du fonctionnement de l’État. Mais, tout au long de ce débat, on a invoqué notre spécificité. Et voilà qu’on nous parle à présent d’égalité de traitement ! On ne peut pas jouer tantôt la carte de l’égalité, tantôt celle de la spécificité. Ce reproche a d’ailleurs été adressé à nos collègues communistes.

Pour ma part, je regrette votre attitude. Ce n’est pas ainsi que nous réglerons le problème de la fuite des cerveaux vers la métropole. Pour avancer, la Guadeloupe a besoin de tous ses enfants, notamment de ses élites intellectuelles et professionnelles. L’État devrait pouvoir favoriser certaines affectations, même si ce principe n’a pas à être inscrit dans la loi. Il faut que les Guadeloupéens continuent à bénéficier du concours de leurs élites à des postes de direction et de responsabilité locale.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 653.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 499 et 500, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.

La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. L’amendement n° 499 propose un transfert de crédits de 22 millions d’euros en faveur du département et des communes de la Guadeloupe.

Vous connaissez parfaitement la question, monsieur le ministre. Elle a été abondamment évoquée par votre prédécesseur, Mme Girardin, ainsi que par un autre ministre, M. Devedjian. En sa qualité de ministre délégué aux libertés locales, celui-ci était en effet venu en Guadeloupe pour les assises des libertés locales. Il y avait pris, au nom de l’État, le même engagement formel que Mme Girardin. Celle-ci l’a d’ailleurs réitéré devant les commissions des lois et des affaires économiques, qui tenaient séance conjointement.

J’ai écouté attentivement vos propos, monsieur le ministre. Vous avez répété que l’État tiendrait parole et que ses engagements, confirmés par les rapports de deux commissions, seraient respectés. Un représentant de la République l’a également assuré chez moi, en Guadeloupe, à propos de ce sujet assez grave qu’est le rebasage de la DGF. Lors de l’introduction de la CMU, quand l’État a arrêté le curseur sur l’antépénultième année de présentation des comptes administratifs, c’est-à-dire 1997, il s’est engagé à rebaser la DGF sur les années 2000, 2001 et 2002.

Quelle ne fut pas notre surprise de constater que, malgré cet engagement, les notifications des préfets – pour ne pas citer votre actuel directeur de cabinet, monsieur le ministre –, effectuaient un rebasage de la DGF seulement sur 2003 et 2004 ! Autant dire qu’il manque trois années, c’est-à-dire 22 millions pour le département de la Guadeloupe et 20 millions pour les communes. Nous rappelons donc l’État au respect de sa parole, principe auquel M. le ministre vient de déclarer sa fidélité.

Je rappelle également que la situation des collectivités en Guadeloupe ou en Guyane est grave, comme partout, d’ailleurs. Certes, on peut toujours l’imputer au comportement de l’exécutif local. Il est vrai qu’il y a parfois du laxisme et qu’il faut savoir balayer devant sa porte. Mais les écarts de structures méritent d’être pris en compte.

Pour sa part, l’État n’hésite pas à demander, dans la réforme du FRDE, le fonds régional pour le développement de l’emploi, onze années de rétroactivité, par une loi un peu curieuse, qui, il est vrai, n’a pas été déférée. Il pourrait donc très facilement réclamer jusqu’à 49 millions d’euros au conseil régional, par ailleurs déficitaire d’une somme de 104 millions, lourd héritage de mon prédécesseur. En outre, il n’hésite pas à prévoir un bouclier fiscal et à plafonner la taxe professionnelle à 3,5 % de la valeur ajoutée. La Tribune vient de publier que de telles décisions pourraient conduire la région de la Guadeloupe à reverser à l’État 1,670 million, alors même que je me vois obligé de lui demander une subvention. Tel est d’ailleurs l’objet de l’amendement n° 500. J’ai hérité de 104 millions de déficit cumulé. Oui, cette somme a été absorbée par les Guadeloupéens. Dans un discours que je voulais sinon courageux, du moins exempt de démagogie, je leur ai demandé de réfléchir à ce qu’ils pouvaient faire pour leur pays au lieu de se laisser aller aux exigences, aux réclamations, voire aux vociférations.

On ne peut plus faire appel à l’emprunt. Après des économies drastiques, il ne reste donc plus d’autres solutions que l’impôt ou une subvention d’équilibre de l’État. À quoi bon se cacher derrière son petit doigt ? Dans le code général des collectivités territoriales, les subventions d’équilibre sont réservées aux communes. Mais, étant donné qu’il nous faut 40 millions de subventions d’équilibre pour tirer la Guadeloupe de sa panne financière et économique, nous demandons 20 millions dans le cadre de la loi de finances pour 2006 et 20 millions dans la loi de finances initiale pour 2007.

Dans un souci de partenariat intelligent, l’État devrait comprendre qu’il faut absolument nous aider à sortir de cette crise. D’autant que, à un moment donné, il a laissé faire, de sorte qu’il est coresponsable de la situation actuelle, comme la préfecture de Guadeloupe l’a elle-même vérifié, au vu du contrôle de la chambre régionale des comptes.

Aujourd’hui, nous ne pouvons pas donner un volume d’ordres suffisant. Vous le savez, le chômage recommence à augmenter outre-mer, en particulier dans les départements français d’Amérique. C’est pourquoi nous défendons tous la loi Girardin, nonobstant les critiques de quelques parlementaires zélés et dévoués, que je peux d’ailleurs comprendre, même si j’ai entendu hier soir des propos inacceptables.

Aujourd’hui, la loi Girardin ne peut vivre que si le Gouvernement accepte de débloquer les agréments qui attendent dans ses tiroirs. Trois ou quatre dossiers sont bloqués au ministère des finances. Je pense non seulement à Koniambo, mais aussi à la réhabilitation ou à la rénovation des hôtels. Je défends donc l’accord de Bercy, mais le ministère doit penser aux agréments.

Ainsi, les amendements nos 499 et 500 tendent à soulager les finances du département et des communes, et celles du conseil régional. En effet, la majorité que j’ai l’honneur de conduire n’est pas responsable de la situation désastreuse, voire calamiteuse des finances publiques guadeloupéennes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Daniel Garrigue, suppléant M. Alain Rodet, rapporteur spécial. La commission ne les a pas examinés mais, à titre personnel, j’émets un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Pour l’amendement n° 499, le législateur de la loi de finances pour 2002 a expressément exclu de l’assiette servant de base au prélèvement de la DGD pour le financement de la CMU les dépenses relatives au règlement des litiges par voie contentieuse ou transactionnelle portant sur les dépenses d’aide médicale pour les exercices antérieurs à 1997.

Par ailleurs, en ce qui concerne le gage proposé, je précise que la différence de 25 millions entre les crédits de paiement reconstitués pour 2005 et le montant demandé pour 2006 s’explique en grande partie par des changements de périmètre dus à la présentation du budget imposée par la LOLF. Je pense par exemple à la mise en place outre-mer du compte d’affectation spéciale des pensions à hauteur de 13 millions.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 499.

J’émets le même avis sur l’amendement n° 500. Certes, la région Guadeloupe connaît une situation financière difficile et le déficit du budget primitif voté en 2005 représente 12,5 % des recettes réelles de fonctionnement, soit 34 millions. Mais la région possède des marges de manœuvre pour résorber ce déficit et la chambre régionale des comptes a maintenu comme objectif le rétablissement de l’équilibre budgétaire au 31 décembre 2006. Quant au gage de 25 millions que vous suggérez, ma réponse est la même que sur l’amendement précédent. Même motif, même décision : avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 499.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 500.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les crédits de la mission « Outre-mer », modifiés par l’amendement n° 653.

(Les crédits de la mission « Outre-mer », ainsi modifiés, sont adoptés.)

M. le président. Nous avons terminé l’examen des crédits relatifs à l’outre-mer.

Action extérieure de l’État

M. le président. Nous abordons l’examen des crédits relatifs à l’action extérieure de l’État.

La parole est à M. le rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

M. Jérôme Chartier, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mes chers collègues, au préalable, je souhaite assurer l’ensemble des fonctionnaires du Quai d’Orsay du soutien total du rapporteur spécial. Le Figaro vient en effet de publier l’acte de contrition d’un diplomate, qui ne doit en aucun cas rejaillir sur l’ensemble des fonctionnaires, remarquables, de ce ministère.

Les crédits inscrits pour la mission « Action extérieure de l’État » s’élèvent à 2 359,13 millions d’euros en crédits de paiement et 2 401,19 millions d’euros en autorisations d’engagement. À structure constante, c’est-à-dire en tenant compte de la modification de la comptabilisation des dépenses de personnel, de l’inscription des cotisations de retraite et de l’expérimentation des loyers budgétaires, les crédits de la mission diminuent de 2,13 %, ce qui reflète l’ampleur des efforts d’économies réalisés par le ministère.

La réduction des effectifs se poursuit : 76 emplois devraient être supprimés, ce qui se traduit par une économie de 4,56 millions d’euros. La création de dix emplois d’experts auprès des institutions de l’Union européenne est prévue. Par ailleurs, l’amélioration des perspectives de carrière des agents, limitée à la fusion des corps de catégorie C, devrait entraîner une dépense supplémentaire assez faible, de 0,94 million d’euros. À structure constante, les dépenses de personnel devraient donc diminuer de 1,82 %.

Les économies réalisées par le ministère et l’ensemble du réseau sur les dépenses de fonctionnement courant devraient notamment permettre de dégager les moyens nécessaires à la modernisation du dispositif informatique, laquelle devrait ainsi bénéficier de 4,18 millions d’euros supplémentaires

La réduction brutale, de plus de 50 %, des crédits de paiement destinés aux dépenses d’investissement immobilier s’inscrit dans la volonté du ministère de moderniser la gestion de son patrimoine : 12,46 millions d’euros sont ainsi prévus en crédits de paiement et 31,91 millions d’euros en autorisations d’engagement. Ces crédits devraient être complétés, d’une part, par le rattachement de fonds de concours et, d’autre part, par les produits de cession immobilière à l’étranger. La volonté de dynamiser la politique immobilière du ministère se traduit également dans la participation à l’expérimentation relative aux loyers budgétaires, à hauteur de 11,58 millions d’euros, ainsi que dans le développement des partenariats entre le public et le privé.

Les contributions aux organisations internationales autres que les organisations européennes sont reconduites en 2006 à hauteur de 485,96 millions d’euros, de même que les crédits destinés à la coopération militaire et de défense, pour 112,51 millions d’euros, les subventions à l’audiovisuel extérieur, pour 141 millions d’euros, et les crédits en faveur de la sécurité et de l’accompagnement social des Français à l’étranger, pour 22,43 millions d’euros.

Deux dotations sont en progression significative, celles de l’OFPRA et de l’Assemblée des Français à l’étranger. Après avoir plus que doublé entre 2002 et 2005, les crédits destinés à l’OFPRA devraient en effet progresser de 5,72 % en 2006, pour atteindre 49 millions d’euros. Quant à la dotation en faveur de l’Assemblée des Français de l’étranger, elle devrait passer de 1,63 million d’euros à 1,82 million d’euros.

Comme à l’accoutumée, je présenterai brièvement trois aspects sur lesquels mes travaux ont porté plus particulièrement cette année : l’action menée par les services du Quai d’Orsay en matière de redéploiement du réseau, le bilan d’une mission conduite au Canada dans le cadre des nouvelles responsabilités confiées par la LOLF au rapporteur spécial et, enfin, la gestion immobilière du Quai d’Orsay, qui a fait l’objet d’un long rapport de la Cour des Comptes.

En 2005, la France possède 156 ambassades, ce qui fait de ce réseau marqué par l’histoire l’un des plus denses au monde. Outre 126 ambassades dotées de sections consulaires, la France dispose de 98 consulats généraux et consulats de plein exercice, de 4 antennes consulaires, de 4 chancelleries détachées et de 507 agences consulaires constituées d’un consul honoraire. S’y ajoutent trois bureaux de liaison et deux antennes diplomatiques, en Sierra-Leone et au Malawi, la première en colocation avec les Britanniques, la seconde avec les Allemands. À ce propos, il convient de souligner que, dans le cadre de la coopération avec l’Allemagne, il est envisagé de construire des locaux diplomatiques ou consulaires communs. Plusieurs projets sont actuellement à l’étude, dont la construction d’une maison franco-allemande à Maputo, au Mozambique.

S’ajoutent enfin au réseau diplomatique bilatéral 17 représentations et 4 délégations permanentes auprès d’organisations internationales multilatérales. Six ambassadeurs sont chargés de questions multilatérales ou globales, comme la lutte contre la criminalité organisée ou l’environnement. Le regroupement des services administratifs à l’étranger a par ailleurs favorisé la constitution de postes mixtes entre le ministère des affaires étrangères, d’une part, et ceux de la culture et de la communication et de l’économie, d’autre part.

Cet ensemble fait du réseau diplomatique et consulaire français le deuxième après celui des États-Unis. La France est présente presque partout dans le monde, pour des raisons politiques et pour le service de nos communautés à l’étranger. Elle ne possède pas d’ambassade dans une trentaine d’États seulement.

Au cours des dix dernières années et à partir d’implantations diverses s’expliquant par des liens historiques particuliers, l’évolution de la carte diplomatique des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de l’Italie a conduit ces pays, ainsi que la France, à renforcer leur présence dans les États issus de l’ancienne Union soviétique et de l’ancienne Yougoslavie. La présence de nos principaux partenaires occidentaux en Eurasie et en Extrême-Orient est néanmoins nettement plus développée que la nôtre. Le réseau français continue en 2005 à se distinguer par sa densité dans les pays du Maghreb et dans les pays d’Afrique francophone, où les autres pays sont peu implantés.

Enfin, l’accroissement des réseaux diplomatiques a souvent eu pour corollaire, chez nos partenaires, la diminution du réseau consulaire ou sa stabilisation, en particulier en Europe, ainsi que la recherche de formes allégées de représentation. Si la France a réalisé un effort indéniable ces dernières années pour réduire le nombre de consulats, notamment en Europe, il convient toutefois d’accélérer la démarche et de poursuivre le redéploiement de notre réseau en fonction des enjeux diplomatiques du futur. Il conviendrait également de revoir en profondeur le format retenu pour les consulats d’influence, dont l’ampleur doit être fortement réduite en termes de moyens humains et matériels.

L’entrée en vigueur de la loi organique représente une étape importante pour les parlementaires, qui voient leurs pouvoirs accrus en matière d’amendements, ainsi que, pour la commission des finances et les commissions saisies pour avis, en matière d’avis et d’information sur certaines mesures de gestion, comme les ouvertures et les annulations de crédits.

La mission du rapporteur spécial est également renouvelée. Ses pouvoirs en matière de contrôle sur pièces et sur place ont été réaffirmés par l’article 57 de la loi organique et acquièrent désormais une nouvelle dimension avec l’adoption d’une démarche de performance par l’administration. À ce titre, je me suis rendu au Canada du 4 au 7 octobre 2005, afin d’étudier dans quelle mesure les équipes s’étaient déjà approprié cette démarche prônée par la loi organique. J’ai notamment souhaité, en examinant en détail les budgets de l’ensemble des services de l’ambassade de France à Ottawa, du consulat général à Montréal et du consulat général à Québec, mettre en évidence les gisements d’économies possibles.

Je tiens tout d’abord à saluer le travail mené par l’ambassadeur, dont le plan d’action témoigne d’une réflexion approfondie sur les missions et les objectifs de notre représentation au Canada. Ma mission me conduit à faire deux constats.

Tout d’abord, l’appropriation de la démarche de performance, globalement satisfaisante, demeure inégale selon les services. J’ai notamment observé deux pratiques : soit le gestionnaire procède à une reconduction automatique des engagements de l’année précédente, soit il réexamine chaque année en détail les crédits accordés aux diverses manifestations et associations. Cette dernière pratique, vertueuse, conduit à une justification systématique de l’utilisation des crédits. Elle se traduit généralement par la reconduction de seulement la moitié des engagements de l’année précédente. Cette démarche, qui s’appuie sur la fixation d’objectifs et l’analyse de leur réalisation, s’inscrit bien sûr parfaitement dans la logique de la LOLF. Il est donc impératif qu’elle soit développée par l’ensemble des gestionnaires.

Autre constat, plus concret et moins anecdotique qu’il n’y paraît : à la lumière des performances extraordinaires obtenues par les services consulaires au Canada, j’estime qu’il conviendrait de rechercher un juste équilibre entre les objectifs d’amélioration de la qualité du service rendu à l’usager et l’efficience de ces services. Ainsi, il n’est pas justifié que la qualité du service rendu aux Français résidant à l’étranger soit bien meilleure que celle assurée en France, au prix d’un coût naturellement plus élevé. Par exemple, le délai de délivrance d’un passeport est de seulement une à deux semaines au consulat général de Montréal, alors qu’il est au minimum de trois semaines en France. Deux personnes y sont actuellement chargées de l’état civil. Un alignement de la durée de délivrance des titres sur le délai moyen observé en métropole permettrait de dégager du temps qui pourrait être consacré à d’autres tâches, ce qui serait source d’économies.

Bref, cette démarche de contrôle sur pièces et sur place est bénéfique. Elle est utile lorsqu’elle est pratiquée dans un esprit serein et dénué de toute recherche de censure, de la part des uns et des autres. Elle permet surtout d’observer que, faute de remettre en cause les habitudes, des marges de manœuvre se créent et alourdissent à terme le coût du service rendu. Il est du devoir du parlementaire d’attirer l’attention du ministre sur ces gisements d’économies. Encore faut-il qu’il puisse y consacrer le temps suffisant, ce qui n’est malheureusement pas possible pour tous nos collègues.

J’en viens à la gestion par le ministère des affaires étrangères de son patrimoine immobilier.

Compte tenu de l’intérêt porté par le Gouvernement à l’amélioration de la gestion du patrimoine immobilier de l’État – intérêt partagé par la commission des finances –, j’ai poursuivi le travail engagé l’année dernière sur le patrimoine du ministère des affaires étrangères et le patrimoine immobilier de l’État à l’étranger considéré dans son ensemble. J’ai dû constater que le ministère n’a toujours qu’une connaissance approximative de son patrimoine et ne mène pas encore une véritable réflexion stratégique sur son évolution et son entretien. Il a toutefois engagé un vaste champ de réformes qui doivent lui permettre d’assurer une gestion plus efficace de son patrimoine. La brutale réduction des crédits de paiement destinés aux dépenses de construction et d’entretien prévue dans le projet de loi de finances pour 2006 constitue d’ailleurs une contrainte forte pour obliger le ministère à dynamiser sa gestion immobilière.

À titre d’exemple, il me paraît peu opportun que des locaux situés à proximité de l’Assemblée nationale, qui accueillent le Haut Conseil de coopération internationale, abritent en réalité, sur 350 mètres carrés, un tiers de surface d’archives, un tiers de bureaux vides et un tiers seulement de bureaux occupés par les fonctionnaires mis à la disposition du HCCI. À titre indicatif, la valeur de cession de cet hôtel particulier se situe entre 5,5 et 6,5 millions d’euros. Alors que les ventes réalisées en 2004 ont représenté 10,74 millions d’euros, le ministère prévoit de mener à bien des opérations de cession pour 21,8 millions d’euros. Ce montant, qui s’inscrit en deçà de l’objectif triennal de ventes à hauteur de 90 millions d’euros fixé par le ministère, ne sera vraisemblablement atteint que pour moitié.

Bref, la dynamisation de la politique immobilière du ministère suppose le développement d’une véritable réflexion stratégique, assise sur une connaissance précise du patrimoine, et la mise en place de nouveaux outils et de nouvelles procédures. Des efforts importants ont été engagés par le ministère pour remédier à cette situation inacceptable. Ils doivent être salués, mais il convient de les accentuer.

Je ne peux conclure sans mettre en relief l’important travail de modernisation de sa gestion dans lequel le ministère s’est engagé de manière résolue. La réforme, dont les grandes lignes vont désormais être inscrites dans un contrat conclu avec la direction du budget, se traduit par une réduction des effectifs,…

M. Jacques Myard. Inadmissible !

M. Jérôme Chartier, rapporteur spécial. … la priorité accordée à la mise en place d’un système informatique performant et la dynamisation de sa politique immobilière. S’inscrivant dans la logique de modernisation de la gestion voulue par la loi organique relative aux lois de finances, trois projets de modification de l’organisation du ministère sont par ailleurs à l’étude. Le premier prévoit la restructuration de la direction générale de l’administration, qui devrait se traduire par la suppression de quatre sous-directions et de quarante-deux bureaux, ainsi que par la création d’un service des affaires juridiques interne.

La réforme de la direction de la coopération internationale et du développement devrait par ailleurs aboutir à la création d’une direction des politiques du développement et d’un service des moyens et du réseau commun à l’ensemble des directions, ainsi qu’au rattachement de la délégation à l’extérieur des collectivités locales et de la mission d’appui à la coopération non gouvernementale.

Enfin, il est prévu de moderniser la direction des Français à l’étranger et des étrangers en France en créant trois pôles, en regroupant le traitement des affaires civiles et judiciaires au sein d’un même service, en prenant en compte la dimension européenne de l’action consulaire et en créant une mission de gestion financière et administrative.

Je tenais à saluer l’ensemble de ce travail accompli avec détermination et, terminant sur cette note de satisfaction, je vous informe, mes chers collègues, que votre commission des finances a décidé d’adopter les crédits de la mission « Action extérieure de l’État ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce premier budget au format LOLF n’est pas une surprise pour nous car, organisé autour de trois programmes, il correspond à l’esquisse que nous avions faite l’an dernier. Ceux-ci sont d’ailleurs conformes à l’esprit de la loi organique et répondent donc à notre attente. Toutefois, nous regrettons de ne pas avoir obtenu la création d’une mission interministérielle qui aurait permis une mise en cohérence plus efficace et plus performante des moyens extérieurs de l’État. Aussi souhaitons-nous que soit relancé le Comité interministériel des moyens extérieurs de l’État – le CIMEE –, qui permettra, par un autre biais, d’obtenir des résultats en matière de complémentarité de nos outils extérieurs.

M. Hervé de Charette. Bravo !

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis. Néanmoins, nous vous félicitons, monsieur le ministre, pour les efforts de modernisation du ministère des affaires étrangères. Ceux-ci se traduisent notamment par une diminution des coûts de structures – qui sont passés, en six ans, de 33 % à moins de 25 % du budget –, par des investissements en hausse de 9 millions d’euros dans des systèmes performants de communication et d’information – et il convient de saluer cet effort de modernisation dans un contexte quelque peu difficile –, par la poursuite de la rationalisation du réseau consulaire et culturel et par une gestion plus dynamique et innovante de l’immobilier. Ces quelques exemples montrent que le ministère est en marche.

Ces efforts permettront, cette année encore, de préserver la capacité opérationnelle de notre réseau, malgré les sacrifices qu’il faut consentir par ailleurs. Toutefois, le ministère des affaires étrangères n’est pas récompensé pour la vertu dont il fait preuve dans ses économies de gestion. En effet, la baisse des effectifs se poursuit et le bilan de l’opération concernant la facturation des frais de visas est, à cet égard, un exemple à méditer. Du reste, conformément à la demande du Président de la République dans sa lettre du 10 mars 2004 au Premier ministre, vous êtes en discussion avec le ministère de l’économie et des finances afin de conclure un contrat pluriannuel qui permettrait d’assurer une certaine prévisibilité, selon moi indispensable, et de réutiliser les moyens économisés par le ministère au sein de son réseau, ce qui mettrait fin à la baisse des effectifs.

Face aux nombreux défis qui se présentent sur la scène internationale, à la diversité des dangers et des enjeux, notre réseau est un atout et il ne serait pas raisonnable de poursuivre longtemps la décrue de nos moyens.

Ces remarques faites, nous constatons que la plupart des dotations budgétaires pour 2006 sont reconduites au niveau de 2005, les réductions de crédits étant concentrées sur les dépenses de fonctionnement des services. Je ne vais pas entrer dans le détail et je vous invite à vous référer au rapport ; il est possible de comparer les chiffres du budget 2006 à ceux de 2005, dans la mesure où nous avions traduit le budget de l’année dernière au format LOLF à cette fin.

Les dotations prévues nous permettront, comme l’an dernier, de faire face à nos missions. Cependant, trois dotations doivent impérativement être abondées. Premièrement, la dotation aux OMP, les opérations de maintien de la paix. Les 136 millions d’euros de crédits du budget 2005 ont été reconduits pour 2006. Malheureusement, cette somme était déjà insuffisante en 2005 – comme nous l’avions signalé dans notre rapport – et il va manquer 92 millions d’euros, qui devront être abondés dans le rectificatif 2005. En 2006, les besoins seront encore plus importants, du fait d’une OMP supplémentaire au Soudan, déjà votée au Conseil de sécurité, et du renforcement à venir des opérations de maintien de la paix au Congo. Le budget devrait donc s’établir non pas à 136 millions d’euros, mais plutôt aux alentours de 300 millions d’euros. Il est évident que cela ne pourra pas se faire par redéploiement des crédits existants. J’insiste sur ce point : une loi de finances rectificative sera nécessaire.

Le contrat avec Bercy devra d’ailleurs impérativement viser au rebasage de ces crédits en 2007. On ne peut pas continuer ainsi, à voter, année après année, une loi de finances initiale qui ne tient pas compte de l’ensemble des dépenses quasiment certaines de l’année en cours.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. En ce qui concerne la coopération militaire et de défense, le ministère des affaires étrangères a accumulé au fil des ans une dette d’environ 10 millions d’euros envers le ministère de la défense. J’estime qu’il conviendrait de résorber cette dette à l’occasion de la prochaine loi de finances rectificative, si l’on ne veut pas amputer cette action dans le programme de 2006.

Troisièmement, il nous faudra faire face aux besoins induits par la mise en place des visas biométriques. La Cour des comptes avait déjà souligné le déficit de personnel des services des visas. Ce déficit va s’aggraver avec la mise en place de la biométrie puisque, d’une part, du personnel supplémentaire sera nécessaire du fait de l’obligation de comparution de la totalité des demandeurs de visas – nous n’en recevons actuellement que 40 % –, et que, d’autre part, il va falloir des moyens techniques nouveaux et des adaptations de locaux. Tout ceci représente un coût de l’ordre de 140 millions d’euros sur trois ans, dont une dépense de 27,7 millions d’euros pour la première année. On ne pourra pas se passer d’une dotation fléchée qui doit, à mon avis, résulter de la discussion avec Bercy et du retour sur les frais de visa ; d’autant plus, monsieur le ministre, que vous êtes en train de négocier à Bruxelles une augmentation de la facturation des frais de visa de 35 à 60 euros, qui dégagerait les marges nécessaires.

M. Jacques Myard. Négocier à Bruxelles pour cela ! Où est la souveraineté de la France ?

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. J’insiste pour que cette occasion ne soit pas ratée et que l’on ne recommence pas ce qui s’est passé une première fois, où sur 79 millions de facturation de frais, seuls 2,9 millions sont retournés au service des visas en 2005. Nous avons donc besoin d’un contrat clair avec Bercy pour 2006…

M. Jacques Myard. Un contrat avec Bercy ! On marche sur la tête !

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. …et des moyens budgétaires sur trois ans pour nous permettre de faire face à la mise en place de la biométrie.

Il faut parfois savoir augmenter les moyens d’une politique publique pour renforcer son efficacité et c’est précisément ce qui s’est passé dans le cadre de la réforme du droit d’asile. Cette réforme s’est accompagnée d’une forte augmentation des crédits accordés à l’OFPRA et à la CRR, qui sont passés progressivement de 23 millions d’euros en 2002 à 49 millions d’euros pour 2006. Grâce aux recrutements qu’ont permis ces augmentations de budget, les stocks de dossiers en attente ont considérablement diminué. Le délai d’étude des dossiers par l’OFPRA est passé de 320 jours en 2002 à 101 jours en 2005, l’objectif étant de 60 jours en 2006. La CRR a, quant à elle, pour objectif de passer du délai actuel de 284 jours à celui de 120 jours. La réduction du délai de traitement des demandes n’a évidemment que des avantages. Elle permet aux demandeurs d’asile d’être plus vite rassurés sur leur avenir et de mener rapidement une vie normale ; elle génère des économies pour les finances publiques, la prise en charge des demandeurs étant moins longue ; elle facilite la reconduite à la frontière des déboutés ; enfin, limitant l’intérêt des demandes manifestement infondées, elle en diminue sensiblement le nombre, les longs délais profitant à une filière d’immigration détournée.

Il ne faut pas s’émouvoir outre mesure de la baisse de deux millions de la subvention accordée à l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger, qui ne devrait pas entraîner de difficultés de gestion. Le montant de cette subvention s’élève à 323 millions d’euros pour 2006. L’AEFE a en outre dégagé des excédents de sept millions en 2005 et son fonds de roulement avoisine 40 millions. Je suis donc confiant pour 2006. Toutefois, il ne faudrait pas que cette réduction de moyens se répète chaque année.

Par ailleurs, nous proposerons un amendement, voté en commission, visant à ce que l’AEFE passe du programme « Français à l’étranger et étrangers en France » au programme « Rayonnement culturel et scientifique », car il nous paraît important de montrer notre volonté de favoriser le développement de l’enseignement du français à l’étranger, notamment à destination de populations disposant d’une solvabilité suffisante pour payer des études.

Enfin, monsieur le ministre, nos débats en commission ont fait ressortir un souhait unanime, celui de clarifier la situation de l’audiovisuel extérieur. Dans ce domaine, la LOLF a plutôt compliqué les choses avec la création de quatre missions, si l’on ajoute la mission « Médias » auprès du Premier ministre : la mission « Action extérieure » avec RFI, TV5 et RMC Moyen-Orient notamment, la mission « Aide publique au développement » avec CFI, la mission « Médias » pour la chaîne française d’information en création, et la mission « Redevance » pour RFI, Arte France et Euronews. La mise en cohérence de ce système devrait d’ailleurs être demandée au Premier ministre plutôt qu’au ministre des affaires étrangères, mais il est naturel que cette exigence soit d’abord formulée par les membres de la commission des affaires étrangères, plus sensibles que d’autres à l’efficacité de nos moyens extérieurs en matière audiovisuelle.

M. Hervé de Charette. Très bien !

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. En réponse à la demande du président de la commission des affaires étrangères, le Premier ministre aurait apparemment donné quelques informations, dont il nous sera peut-être fait part tout à l’heure.

Nous sommes conscients, monsieur le ministre, que notre diplomatie doit faire face à des défis divers et souvent très importants, et que l’heure n’est pas à la réduction des besoins de notre présence et de notre action dans le monde. Bien au contraire, nous nous trouvons dans une phase où la présence française dans le monde est plus que jamais nécessaire, qu’il s’agisse de défendre les intérêts des Français auprès des grandes instances internationales, notamment sur des questions touchant à leur vie quotidienne – je pense notamment aux discussions actuellement en cours à l’OMC –, ou des questions de sécurité telle la prolifération nucléaire en Iran, sur lesquelles la France est particulièrement impliquée. Notre pays a remporté récemment de remarquables succès en matière de diplomatie. Je citerai par exemple la Charte de la diversité à l’Unesco – une réussite éclatante –, ou encore les dernières résolutions de l’ONU sur le Moyen-Orient, autant d’occasions lors desquelles vous avez su démontrer l’influence de la diplomatie française.

M. Jacques Myard. On a surtout porté les valises des Américains !

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Oui à la modernisation, mais faisons en sorte, avec Bercy, que les moyens de notre diplomatie ne diminuent pas dans l’avenir.

M. Jacques Myard. On s’en fout, du contrat avec Bercy ! L’Assemblée n’est-elle pas souveraine ?

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Ces moyens doivent être recyclés pour répondre aux nouveaux besoins en matière diplomatique que vont créer les pays émergents et les menaces émergentes, et pour nous permettre d’être présents sur les lieux où va se jouer notre avenir.

M. Jacques Myard. Qui vote le budget, Bercy ou l’Assemblée ?

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Ce budget nous donne les moyens de l’action,…

M. Jacques Myard. De l’inaction, plutôt !

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. …sous réserve des remarques que j’ai faites au sujet des OMP, de la biométrie, et de tous les points sur lesquels nous devrons rester vigilants en cours d’année pour que ce soient bien des moyens complémentaires qui viennent abonder ce budget, et non des redéploiements.

Sous ces réserves, la commission a approuvé les crédits de la mission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, pour le rayonnement culturel et scientifique.

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, pour le rayonnement culturel et scientifique. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, je souhaite tout d’abord exprimer mon insatisfaction de voir la « diplomatie culturelle » de la France perdre toute cohérence en raison d’une répartition artificielle des crédits sur plusieurs programmes budgétaires.

Avec le nouveau découpage, le réseau culturel et scientifique implanté dans les pays développés ou en transition relève en effet du programme « Rayonnement culturel et scientifique », tandis que le réseau culturel implanté dans les pays bénéficiaires de l’aide publique au développement relève du programme « Solidarité à l’égard des pays en voie de développement ».

D’autres incohérences méritent d’être soulignées. Ainsi, les crédits relatifs à la francophonie relèvent, pour ce qui concerne leur aspect multilatéral, de la mission interministérielle « Aide publique au développement » et représentent les deux tiers des moyens d’action de la francophonie institutionnelle. Cette traduction budgétaire signifie-t-elle que la promotion de la langue française doive désormais se limiter aux seuls pays en voie de développement ?

Il est également regrettable que les crédits de l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger – l’AEFE – relèvent désormais du programme « Français à l’étranger et étrangers en France ».

Il convient en effet de rappeler que, pour l’année scolaire 2004-2005, ce réseau d’établissements a accueilli 160 000 élèves, dont 90 000 sont étrangers, ce qui prouve bien que l’AEFE a un rôle déterminant dans la diffusion de la culture et de la langue françaises auprès des élèves étrangers, qui représentent 56 % de l’ensemble des élèves, donc la majorité.

M. Hervé de Charette. Très bien !

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis pour le rayonnement culturel et scientifique. Aussi, je me félicite que la commission des affaires étrangères ait adopté l’amendement proposé par François Rochebloine qui prévoit de transférer les crédits de l’AEFE vers le programme « Rayonnement culturel et scientifique ».

Un autre paradoxe doit être relevé quant aux crédits affectés à l’audiovisuel extérieur : les crédits consacrés à TV5 et à RFI, même s’ils concernent des actions menées à destination des pays en voie de développement, sont regroupés dans le programme « Rayonnement culturel et scientifique » car ils ne sont pas reconnus par l’OCDE comme de l’aide publique au développement.

En revanche, les crédits affectés à la chaîne d’information internationale CII font partie de la mission « Médias », qui est elle-même rattachée aux services du Premier ministre.

Cet éclatement des moyens consacrés à l’audiovisuel extérieur n’incitera pas à une mutualisation des apports des différents opérateurs intervenant à l’international et risque même de créer une concurrence bien inutile entre les opérateurs financés sur des fonds publics et visant les mêmes publics.

Pour que les moyens de notre audiovisuel extérieur atteignent une taille critique et que la politique menée soit cohérente, je soutiendrai donc l’amendement adopté par la commission des affaires étrangères qui vise à créer au sein de la mission « Action extérieure de l’État » un programme spécifique dévolu à l’audiovisuel extérieur.

Même si les comparaisons d’un exercice budgétaire à l’autre sont difficiles en raison des nouvelles normes de la LOLF et du changement de périmètre de notre avis budgétaire, quelques chiffres incontestables soulignent le désengagement de l’État en matière de coopération culturelle, linguistique et scientifique.

Avec 334 millions d’euros de crédits de paiement et 1 371 emplois autorisés, le programme « Rayonnement culturel et scientifique » ne représente que 14 % des crédits de la mission « Action extérieure de l’État », dont il est, de fait, le parent pauvre.

Les crédits destinés à la promotion de la langue et de la culture française sont en baisse de 4,6 % par rapport à l’année dernière, hors dépenses de personnel.

Les établissements culturels verront leurs crédits d’intervention baisser de 10 % pour l’organisation de manifestations culturelles.

Enfin, les crédits prévus au titre des échanges scientifiques techniques et universitaires connaîtront, eux, une baisse de 8 %.

Alors que la France a été la cheville ouvrière de la convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle, adoptée le 20 octobre 2005, lors de la 33e conférence générale de l’UNESCO, nous pouvions espérer que notre diplomatie culturelle aurait les moyens de ses ambitions. Or nous n’avons pas trouvé la traduction budgétaire des très nombreux discours officiels en faveur de la francophonie et de la diversité culturelle.

Je souhaiterais appeler tout particulièrement l’attention de notre assemblée sur deux questions préoccupantes : les bourses et l’audiovisuel extérieur.

Les dépenses relatives aux bourses devraient atteindre cette année un montant de 20,5 millions d’euros pour un effectif de 4 950 bénéficiaires. Pour 2006, est-il exact, monsieur le ministre, que vous prévoyez une diminution de 10 % du nombre des bourses accordées, les restrictions devant porter principalement sur les bourses linguistiques et les bourses de stages pédagogiques ?

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères. Mais non !

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis pour le rayonnement culturel et scientifique. Je suis d’autant plus perplexe sur votre politique en matière de bourses que vos services, dans le cadre des réponses au questionnaire budgétaire, nous ont envoyé une note qui annonce des chiffres très différents de ceux indiqués dans le bleu budgétaire.

Très précisément, comment pensez-vous traduire concrètement la priorité que vous exprimez pourtant dans le bleu budgétaire en faveur des nouveaux partenaires au sein de l’Union européenne et des pays dits « du voisinage proche » c’est-à-dire la Russie et l’Ukraine ?

S’agissant de l’audiovisuel extérieur, la reconduction à l’identique des crédits consacrés aux opérateurs audiovisuels intervenant à l’étranger se traduira en fait par une baisse des moyens accordés aux opérateurs de l’ordre de 1,4 % par rapport aux subventions accordées dans le cadre de la loi de finances initiale de 2005, en raison de la revalorisation des salaires des personnels de ces opérateurs.

Le décalage est considérable entre l’objectif affiché de faire de RFI ainsi que de TV5 des vecteurs essentiels de la francophonie ainsi que des promoteurs de la diversité culturelle, et les crédits qui leur sont accordés dans le cadre de ce projet de budget.

Compte tenu du changement de périmètre de cet avis budgétaire par rapport à celui que j’avais présenté l’année dernière sur les crédits des relations culturelles, internationales et de la francophonie, j’ai choisi d’aborder cette année la question de la présence culturelle française en Pologne, pays le plus peuplé d’Europe centrale et avec lequel la France entretient traditionnellement de très étroites relations.

L’entrée dans l’Union européenne de la Pologne est une opportunité pour la France de moderniser sa coopération culturelle avec ce pays pour y intégrer notamment une dimension multilatérale dans le cadre de programmes communautaires de coopération culturelle et scientifique dont l’objectif est de faire émerger une véritable culture européenne respectueuse de la diversité linguistique.

Un déplacement en Pologne du 2 au 4 octobre dernier, m’a ainsi convaincu de la nécessité de s’appuyer sur l’intégration européenne de la Pologne pour y relancer la promotion de la langue et de la culture française.

Si la Pologne n’est pas un pays francophone au sens traditionnel du terme, la langue française dispose cependant d’atouts indéniables dans ce pays : 6 % des Polonais de 15 à 60 ans déclarent connaître le français, soit 1,5 million de personnes. Plus encourageant encore, ils sont 26 % à juger utile de connaître le français à l’heure de l’intégration européenne de la Pologne.

M. Jacques Myard. Il faut leur envoyer Trichet. Il leur parlera anglais !

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis pour le rayonnement culturel et scientifique. Le français semble donc être perçu comme un outil utile de diversification linguistique pour faciliter les négociations dans le cadre communautaire.

L’apprentissage du français, monsieur Myard, devrait progresser à la faveur de l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne. Dans les lycées d’enseignement général, la progression du français est notable, les effectifs passant de 94 000 élèves en 2003-2004 à 100 210 en 2004-2005, soit 13,4 % des lycéens. Certes, c’est moins que l’anglais et l’allemand mais plus, pour la première fois, que le russe. Cette évolution paraît liée à la conjonction de deux facteurs : l’obligation instaurée en 1999 en Pologne d’apprendre deux langues à ce niveau d’enseignement et, surtout, l’entrée de ce pays dans l’Union européenne.

La France possède plusieurs atouts en Pologne : une francophilie très ancienne et une implication forte lors de la campagne de pré-adhésion de la Pologne à l’Union européenne. La France a en effet formé de multiples fonctionnaires en français, notamment pour les préparer aux négociations à Bruxelles, qui se déroulent parfois sans interprétariat.

Il est indispensable de poursuivre cet effort de coopération technique pour permettre à la France de faire connaître ses valeurs de bonne gouvernance démocratique et pour valoriser les échanges de fonctionnaires entre pays fondateurs de l’Union européenne et nouveaux entrants. Ces échanges peuvent être une occasion unique pour la France de faire un travail pédagogique vis-à-vis de nos nouveaux partenaires européens et plaider le bien-fondé de certaines spécificités françaises, comme la notion de service public ou, pourquoi pas, la laïcité.

De fait, je me félicite du dynamisme montré par la France pour affirmer notre présence culturelle dans ce pays et pour œuvrer à la diffusion de la langue française. L’effort budgétaire consenti se doit d’être consolidé dans les prochaines années sans que les financements prévus puissent être remis en cause par des décisions tardives de gel ou d’annulation de crédits aux effets destructeurs.

Je souhaite donc que la présence culturelle française puisse avoir une réelle lisibilité à moyen terme pour permettre un partenariat fructueux avec les acteurs polonais.

Les acquis de la présence française en Pologne sont cependant fragiles. À tout moment, de longs efforts de coopération peuvent être remis en cause par des déclarations de responsables politiques français qui ne mesurent pas bien l’impact que peut avoir une petite phrase, ou un bon mot, à l’extérieur de nos frontières.

Les Polonais sont aujourd’hui encore profondément marqués par les propos du Président de la République – « Je crois qu’ils ont manqué une bonne occasion de se taire » – tenus le 17 février 2003, en réponse à la déclaration des pays d’Europe orientale du groupe de Vilnius du 5 février précédent, lesquels se disaient prêts à contribuer à une coalition internationale sur le dossier irakien.

Pour que cette déclaration n’apparaisse pas comme partisane, qu’il soit clair, mes chers collègues, que le président du groupe d’amitié France-Croatie que je suis au sein de notre assemblée pourrait tout aussi bien témoigner de l’incompréhension, aujourd’hui encore, des Croates à l’égard de la position française, jugée trop complaisante vis-à-vis de l’agressive Serbie, au début du conflit des Balkans, voilà une quinzaine d’années.

Mais j’en reviens à la Pologne et à l’Europe orientale. La déclaration du chef de l’État que j’ai rappelée a été perçue comme l’expression d’une arrogance française alors que la réaction de solidarité atlantiste de ces pays, sans que je veuille en aucun cas la justifier, s’expliquait en grande partie par l’héritage de l’histoire.

M. Jacques Myard. Et la CIA !

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis pour le rayonnement culturel et scientifique. De même, lors de la campagne pour la ratification du traité constitutionnel européen dans notre pays et à l’occasion de la polémique suscitée par le projet de directive européenne dite Bolkestein, les Polonais ont eu le sentiment que les Français les accusaient d’être responsables d’une remise en cause de leur modèle économique et social. La stigmatisation du « plombier polonais » s’est finalement retournée contre la France, la Pologne ayant réagi avec humour en en faisant un argument de promotion de son tourisme.

Tous nos interlocuteurs en Pologne, qu’ils soient Français ou Polonais, ont souligné cependant que ce protectionnisme social et économique avait eu un effet néfaste sur l’image de la France en Pologne. Comment la France peut-elle se faire le chantre de la diversité culturelle et, par ailleurs, tenir des propos discriminants à l’égard de ses nouveaux partenaires européens ?

Pour contrebalancer cette image négative de la France, je souhaite que notre pays adresse quelques signes forts d’ouverture vis-à-vis de la Pologne et des autres pays de l’Europe orientale : la France pourrait ainsi organiser une saison de la France en Pologne sur le modèle si réussi de Nova Polska, la saison polonaise en France que nous venons de connaître. Cette manifestation pourrait prendre appui sur le réseau très dense des partenariats déjà noués par les collectivités locales françaises avec leurs homologues polonaises.

Dans le domaine de la recherche et de la coopération inter-universitaire, il est urgent de renforcer les partenariats dans le cadre du Triangle de Weimar car l’Allemagne, la Pologne et la France sont trois nations clés dans l’Union européenne pour susciter l’émergence d’une solidarité européenne qui aille au-delà des interdépendances économiques et qui se fonde sur un projet global et partagé. L’échange de chercheurs, d’étudiants et de scientifiques est, à ce titre, un premier pas essentiel au brassage des cultures nationales.

Je terminerai en informant notre assemblée que, contrairement aux conclusions de votre rapporteur pour avis, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a donné un avis favorable aux crédits du programme « Rayonnement culturel et scientifique ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour le rayonnement culturel et scientifique.

M. François Rochebloine, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour le rayonnement culturel et scientifique. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en raison de l’entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances, l’avis budgétaire de la commission des affaires étrangères traditionnellement consacré aux crédits de la francophonie et des relations culturelles extérieures est désormais consacré au programme relatif au rayonnement culturel et scientifique. Ce programme, avec 334,1 millions d’euros, représente 15 % des crédits de la mission « Action extérieure de l’État ».

Compte tenu de la nouvelle maquette budgétaire, il n’est pas possible d’opérer une comparaison détaillée avec les crédits de l’an dernier. Globalement, ces crédits souffrent de la baisse globale du budget du ministère des affaires étrangères, baisse préoccupante pour l’influence de notre pays et pour l’efficacité de l’action diplomatique française.

Je souhaiterais tout d’abord faire part de ma perplexité au sujet du nouveau découpage budgétaire. Selon moi, trois points posent problème.

Il s’agit tout d’abord de la distinction entre les pays bénéficiaires de l’aide publique au développement et les autres. L’action extérieure dans le domaine culturel et scientifique relève en effet, désormais, soit de la mission « Action extérieure de l’État », soit de la mission « Aide publique au développement ». Cette division se conçoit en matière de coopération, mais elle n’est pas très pertinente en matière d’action culturelle et scientifique. Elle risque de créer des rigidités nouvelles et de freiner la réforme du réseau culturel, dont il est question depuis de très nombreuses années.

Il s’agit ensuite du rattachement budgétaire de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger au programme « Français à l’étranger et étrangers en France ». Ce rattachement ne tient pas compte des missions de l’Agence, qui accueille une majorité d’élèves étrangers et qui s’inscrit dans une démarche de rayonnement culturel et scientifique.

Il s’agit enfin de l’éclatement de l’audiovisuel extérieur, qui relève désormais de trois tutelles, Matignon, le Quai d’Orsay et la Culture, et de quatre missions différentes : la mission « Action extérieure de l’État » pour TV5 et RFI, la mission « Aide publique au développement » pour CFI, la mission « Médias » pour la future chaîne d’information internationale et la redevance pour le financement complémentaire de RFI.

En matière d’action culturelle et scientifique extérieure, les crédits inscrits dans le programme « Rayonnement culturel et scientifique » sont en baisse de 546 000 euros. Cette nouvelle baisse est préoccupante, d’autant qu’elle n’est accompagnée d’aucune réflexion sur la nécessité de réformer notre réseau, dont la densité contraste avec le manque de plus en plus criant de ses moyens financiers et humains.

M. Jacques Myard. Eh oui !

M. François Rochebloine, rapporteur pour avis. Il convient d’y mettre un terme.

Je souhaiterais également mettre l’accent sur la nécessité de soutenir davantage la création française à l’étranger. Le Premier ministre a récemment annoncé son intention d’ouvrir un « Centre européen de la création contemporaine » implanté dans l’île Séguin, ce dont je me réjouis.

Ma conviction est qu’un tel projet doit s’inscrire dans une logique de réseau international et qu’il convient parallèlement de créer des structures de soutien aux artistes français dans les villes les plus emblématiques de la création contemporaine et du marché de l’art : je pense notamment à New York, Londres et Berlin. Il y a là un enjeu majeur pour notre politique d’influence et je souhaiterais, monsieur le ministre, que le Gouvernement s’engage sur ce point.

J’en viens maintenant à l’enseignement et à la recherche. Les crédits de l’AEFE sont une nouvelle fois en baisse puisqu’ils passent de 324,7 millions d’euros pour le présent exercice à 323 millions d’euros pour l’an prochain. L’argument du Gouvernement en la matière est connu : la situation financière de l’Agence est saine et son fonds de roulement important, cela a été rappelé par notre collègue Richard Cazenave.

C’est vrai et cela s’explique, pour une part importante, par la baisse du nombre des personnels expatriés et par la hausse continue des frais de scolarité. Il y a à cela également des raisons conjoncturelles, comme l’effet de change ou la fermeture de certains établissements en raison de troubles politiques. Au lieu d’une réduction systématique des crédits, il serait préférable, me semble-t-il, que l’Agence bénéficie d’un retour sur ses efforts financiers : il est bien normal de récompenser la vertu !

L’effort financier de l’État en faveur de l’Agence est d’autant plus nécessaire que le ministère des affaires étrangères lui transfère la charge de l’entretien des bâtiments des établissements en gestion directe. Ce transfert n’a donné lieu à aucune compensation financière, alors même que l’état de vétusté de certains lycées, comme celui de Vienne, en Autriche, nécessite des travaux lourds et urgents de sécurité, j’ai déjà eu l’occasion de l’évoquer avec vous, monsieur le ministre.

Il me semble également que l’Agence devrait bénéficier de marges financières pour mener une politique d’exonération totale ou partielle des frais de scolarité pour des élèves étrangers méritants n’ayant pas les moyens de les régler. Un tel système serait complémentaire des bourses Major à destination des élèves étrangers du réseau de l’AEFE qui poursuivent leurs études en France. Il permettrait de renforcer le rôle du réseau dans le recrutement d’étudiants étrangers d’excellent niveau.

Je souhaite que les pouvoirs publics lancent une réflexion en la matière, car l’attractivité de notre enseignement supérieur pourrait ainsi être améliorée. Avec 211 000 étudiants étrangers accueillis en 2004-2005, la France se trouve en quatrième position, après les États-Unis, le Royaume Uni et l’Allemagne. Il convient d’améliorer la situation et j’ai la conviction que l’AEFE et les lycées bilingues, comportant des filières francophones, constituent un atout aujourd’hui très largement sous-exploité faute de volonté et de moyens suffisants.

J’en viens maintenant à l’audiovisuel extérieur. Le présent budget marque le recul du rôle du Quai d’Orsay dans la définition des orientations stratégiques de ce secteur, puisque la nouvelle chaîne d’information internationale lui échappe en étant rattachée directement aux services du Premier ministre.

Les moyens attribués par le ministère à TV 5 sont en recul, en euros constants, puisqu’ils sont reconduits à l’identique à 62,7 millions d’euros. C’est un incontestable désaveu de l’engagement de la France en faveur d’une chaîne internationale francophone, présente, grâce à vingt ans de travail et d’investissements, dans deux cents pays et sur tous les continents. Une telle situation obligera TV 5 Monde non seulement à renoncer à tout projet de développement, mais à démanteler des pans entiers de son activité actuelle qui ne pourront jamais être reconstruits, compte tenu de la concurrence internationale, qui est sans merci.

M. Hervé de Charette. Tout à fait !

M. François Rochebloine, rapporteur pour avis. Il en est de même pour RFI, dont les moyens attribués par le ministère sont également en recul en euros constants, puisque reconduits à l’identique, soit 72,13 millions d’euros. La part du budget de RFI financée par la redevance augmente, puisqu’elle sera de 55,86 millions d’euros en 2006, soit près de 44 % de son budget total.

Je souhaiterais faire part de ma préoccupation face à cette situation. Je rappelle que la Cour des comptes, dans son rapport au Président de la République pour 2002, avait insisté sur la dispersion des moyens consacrés au secteur audiovisuel extérieur et sur l’absence de pilotage stratégique en la matière.

C’est forte de ce constat que la mission d’information parlementaire consacrée à la CII avait proposé, dans son rapport remis en mai 2003 – déjà deux ans, monsieur le ministre –, et approuvé à l’unanimité des groupes parlementaires, de créer un groupe public permettant de mutualiser l’ensemble des moyens répartis entre les différents opérateurs publics. La création de la nouvelle chaîne aurait dû constituer, me semble-t-il, une occasion de rationaliser le secteur audiovisuel extérieur, sur le modèle de ce qui existe au Royaume Uni avec la BBC ou en Allemagne avec Deutsche Welle.

Au lieu de cela, l’exécutif a préféré confier, sans appel d’offres ni marché public, la future chaîne à une société anonyme, détenue à parité par TF 1 et France Télévisions. Celle-ci sera intégralement subventionnée par l’État, à hauteur de 65 millions d’euros. Ce choix est éminemment contestable.

Certes, le Gouvernement a pris soin de s’assurer auprès de la Commission européenne de la compatibilité du montage retenu avec le droit communautaire. L’avis de la Commission, rendu le 7 juin 2005, est très clair : la subvention attribuée par l’État à la nouvelle société « crée ou menace de créer une distorsion de concurrence » et constitue une aide d’État. Une telle situation est compatible avec le droit communautaire à une seule condition : la nouvelle société doit exercer une mission de service public, au sens français du terme. Il convient d’en tirer toutes les conséquences.

Or le Gouvernement, après avoir longuement tergiversé, se refuse à le faire en maintenant l’improbable attelage – si vous m’autorisez cette expression – TF 1-France Télévisions.

De deux choses l’une, soit la chaîne est privée tout en exerçant une mission de service public, auquel cas une procédure d’appel d’offres est nécessaire ; soit la chaîne est publique, auquel cas l’État doit être directement ou indirectement majoritaire dans le capital de la nouvelle société.

Les déclarations récentes du Gouvernement qui assurent à France Télévisions un rôle moteur dans la nouvelle chaîne, alors même que le groupe public n’en aura pas la majorité, relèvent de la méthode Coué. Il s’agit en réalité de justifier l’injustifiable : une chaîne financée à 100 % par le contribuable, mais dans laquelle un opérateur privé choisi par le fait du prince, détiendrait la moitié des parts.

Certes, le Gouvernement a fait une concession en acceptant le principe de diffusion de la nouvelle chaîne en France. Il est vrai qu’entre-temps LCI avait perdu son quasi-monopole, puisque sa concurrente ITV s’est vu attribuer par le CSA une autorisation de diffusion en clair sur la TNT. Mais il n’est pas acquis que la CII soit visible gratuitement par le plus grand nombre, les pouvoirs publics n’ayant pas pris d’engagement ferme quant à la diffusion de la future chaîne sur la TNT. Faute d’une telle diffusion, les Français qui souhaiteront voir la nouvelle chaîne devront payer deux fois, par leurs impôts et par leur abonnement, ce qui est inacceptable, vous en conviendrez, je pense, monsieur le ministre.

Vous aurez beau jeu de me répondre que ce dossier ne dépend pas de vous mais du Premier ministre. L’affaire est cependant suffisamment importante pour que le Gouvernement clarifie sa position sur ce point : il est inadmissible d’engager 65 millions d’euros dans un projet aussi mal ficelé et, à l’évidence, à ce point taillé sur mesure pour satisfaire les intérêts du premier groupe audiovisuel privé de notre pays !

M. Jean-Claude Lefort. Très bien !

M. François Rochebloine, rapporteur pour avis. Cette affaire est d’autant plus grave que la future chaîne est censée contribuer au rayonnement de la France à l’étranger.

Soixante-cinq millions d’euros, en complément de l’argent public destiné à financer France Télévisions, l’AFP, Euronews, Arte France, TV 5, la Chaîne parlementaire, CFI, RFI et Radio France, c’est beaucoup ! La même somme pour financer un opérateur ni public ni privé, qui de ce fait ne peut fonctionner en synergie avec les opérateurs existants et devra payer au prix du marché toutes les prestations, c’est à l’évidence insuffisant. Au lieu d’additionner les forces, le montage retenu les divise !

Mes chers collègues, la situation de l’audiovisuel extérieur est préoccupante et je regrette que le Gouvernement n’ait pas jugé utile de légiférer sur ce point. La CII sera ainsi le seul opérateur du service public audiovisuel dont le statut et le cahier des charges n’auront pas été définis par le législateur. Une telle situation est regrettable. Elle jette un doute sur l’indépendance de la future chaîne, il faut le dire. Cette situation est aggravée par le fait que le CSA n’exercera qu’un contrôle minimal sur elle et qu’il n’en nommera pas le président, ce que nous a confirmé M. Baudis, le président du CSA.

Enfin, faute de mutualisation des moyens entre la nouvelle chaîne et les opérateurs existants, je crains que celle-ci ne se développe au détriment des autres. La CII ne doit pas être financée en réduisant les moyens de TV 5, de RFI ou de CFI. Elle ne doit pas être diffusée au prix du retrait des fréquences attribuées à TV 5. Je serai pour ma part particulièrement vigilant sur ce point.

Sous réserve de ces observations, j’indique que la commission des affaires étrangères a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l’État » et qu’elle a adopté les deux amendements que nous avons déposés, dont un à l’unanimité.

M. le président. La suite de la discussion budgétaire est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2006, n° 2540 :

Rapport, n° 2568, de M. Gilles Carrez, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

Action extérieure de l’État (suite)

Rapport spécial, n° 2568, annexe I, de M. Jérôme Chartier, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

Avis, n° 2569, tome 1, de M. Patrick Bloche, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Avis, n° 2571, tome 1, de M. Richard Cazenave, au nom de la commission des affaires étrangères.

Avis, n° 2571, tome 2, de M. François Rochebloine, au nom de la commission des affaires étrangères.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures dix.)