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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 1er décembre 2005

86e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. YVES BUR,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

Diversité sociale dans les
classes préparatoires
aux grandes Écoles

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues visant à permettre la diversité sociale dans la composition des classes préparatoires aux grandes écoles et autres établissements sélectionnant leur entrée (n°s 2688, 2708).

La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Manuel Valls, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué aux relations avec le Parlement, mes chers collègues, après un automne qui a vu les quartiers populaires touchés de plein fouet par la violence, manifestation terrible de l’état de notre contrat social, nouvelle marque du désenchantement qui affecte la France, nous devons tirer avec lucidité les conséquences de cette crise.

Nous ne pouvons pas y voir un sous-événement, un accident de parcours à oublier le plus vite possible. Non, c’est bien la preuve que la ségrégation sociale, territoriale et ethnique qui mine notre pays et notre pacte républicain depuis plus de trente ans va en s’approfondissant. L’ascenseur social est bloqué et l’école est au cœur du problème.

L’école était le grand projet de la République française. Elle le reste, mais elle est aussi, maintenant, l’outil de la stagnation sociale, de la reproduction – pour ne pas dire du clonage – des inégalités, du déterminisme social.

Considérons les faits, rappelés par M. Gilles de Robien lors d’un discours prononcé à Amiens le 21 octobre dernier : « Seuls 30 % des enfants d’ouvriers accèdent à l’enseignement supérieur, contre près de 80 % pour les enfants de cadres. Et dans les classes préparatoires aux grandes écoles, les étudiants issus de milieux modestes représentent à peine 15 % des effectifs. Ce sont des chiffres inquiétants ». La construction statistique française ne permet pas de dresser un bilan pour les chômeurs ou les précaires, mais il est certain que, si elle le permettait, les éléments recueillis laisseraient apparaître une situation encore plus dramatique.

L’ampleur de ces inégalités est un véritable mal français ; elles révèlent un système malthusien et sclérosé.

Notre démarche, chers collègues, à travers cette proposition de loi, s’appuie bien évidemment sur l’expérience réussie des conventions ZEP initiées par Richard Descoings à Sciences Po. Celles-ci préparent à l’entrée en première année de l’Institut d’études politiques des lycéens issus d’établissements réputés difficiles. Et ça marche : la préparation induit des dynamiques pédagogiques qui tirent les élèves vers le haut.

Les élèves concernés réussissent aussi bien que ceux entrés par la voie classique. Écoutez le témoignage de Nadia Tounée, ex-lycéenne aux Ulis, aujourd’hui en deuxième année à Sciences Po : « Dès la seconde, une professeur m’en avait parlé », confie-t-elle. « Je ne connaissais pas Sciences Po. L’idée a fait son chemin. Il suffit de travailler et d’être motivé. L’an prochain, j’envisage de partir aux États-Unis. Je suis fière d’en être arrivée là. Ce n’est pas parce qu’on vient des quartiers difficiles qu’on doit rester en bas de l’échelle. Sciences Po contribue à cela. C’est un grand pas. À force, cela permettra d’avoir une image plus réaliste de la France. Mais d’autres écoles doivent s’y mettre ».

En effet, les établissements conventionnés avec des grandes écoles – qu’il s’agisse de l’IEP de Paris ou de l’ESSEC, via le programme « Pourquoi pas moi » mis en place dans le Val d’Oise – sont seulement une quarantaine, alors que notre pays compte 1 500 lycées au plan national. Introduire de la diversité à dose homéopathique dans les grandes écoles tout en continuant à tenir une grande majorité à l’écart de ces procédures spécifiques d’accès risque de créer de la discrimination dans la discrimination. Que dire aux élèves dont les établissements ne sont pas éligibles aux conventions ZEP ou sont éloignés des grandes écoles pratiquant le système de tutorat initié par l’ESSEC ? Ces initiatives, louables, s’apparentent davantage à des opérations de sauvetage des meilleurs élèves de quelques lycées qu’à une réelle et vaste politique de l’égalité des chances.

M. Bruno Le Roux. Très bien !

M. Manuel Valls, rapporteur En cherchant à appliquer à l’ensemble du territoire une recette qui marche, nous voulons donner un moteur à la nécessaire ambition éducative qui doit animer tout gouvernement de la République.

Ainsi, avec cette proposition de loi, nous nous inscrivons dans une démarche universelle et pragmatique. Les meilleurs élèves de chaque lycée, quel que soit leur lieu de résidence – Pointe-à-Pitre, Limoges, Mulhouse, Aubervilliers – seront mécaniquement orientés en classes préparatoires, vers les IEP ou Dauphine en fonction de leurs résultats au baccalauréat. Les conditions pratiques de cette orientation seront ensuite précisées en prenant en compte les vœux des élèves et la situation géographique, de façon à garantir la mixité dans les différentes filières.

Contrairement à ce qu’écrit M. Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, dans un article récent paru dans Le Figaro, il ne s’agit pas de « réserver dans les classes préparatoires aux grandes écoles quelques places aux meilleurs élèves des ZEP, …

M. Bruno Le Roux. Pas du tout !

M. Manuel Valls, rapporteur …mais de déclencher, en appliquant une règle égale pour tous et en se fondant sur le mérite plutôt que sur la compassion, un véritable brassage de population.

Offrir cette chance aux meilleurs 6 % de chaque lycée, voilà un horizon motivant dès l’année scolaire 2006-2007. Les premiers bénéficiaires du dispositif seront des exemples dont s’inspireront les générations qui les suivront. Savoir que, dans son quartier, sa commune, son village, un jeune a intégré une grande école suscite des vocations. Il s’agit de faire émerger, à relativement court terme, dans la haute fonction publique, parmi les cadres dirigeants des entreprises, les scientifiques, les journalistes, les magistrats, des diplômés issus de tous les milieux et de tous les quartiers, et ce en vertu de leur seul mérite.

Dans l’article 4, nous insistons sur l’importance de créer un système de bourses complémentaires pour les bénéficiaires du dispositif. Ceux des élèves qui seront retenus et qui étaient déjà boursiers recevraient donc un complément afin de faire face aux exigences des prépas en termes de logement, de matériel et d’investissement.

Par ailleurs, et parce que notre démarche s’inscrit résolument dans le souci de l’efficacité, nous souhaitons qu’une évaluation annuelle soit réalisée pour juger de la pertinence du dispositif et réfléchir à son évolution.

Certains pourraient décider d’envoyer leurs enfants dans les établissements dans lesquels il serait le plus facile d’accéder au sésame de la prépa. Très bien ! Voilà une chance de favoriser dans nos établissements la mixité sociale, autre voie privilégiée pour régénérer l’égalité des chances.

On pourrait aussi reprocher à cette proposition de loi d’altérer la sélection au seul mérite, d’entraîner un nivellement par le bas. Je ne le crois pas. D’abord, 50 % des places seraient encore attribuées selon le mode traditionnel, lequel, je le rappelle, date du XVIIe siècle. Ensuite, il est plus méritoire d’obtenir une mention assez bien en ayant suivi sa scolarité aux Tarterêts à Corbeil-Essonnes ou à Gap qu’une mention bien au lycée Henri IV : les résultats des conventions ZEP à l’IEP de Paris le démontrent. C’est pourquoi nous proposons, à l’article 5, l’accompagnement dès la seconde, lancé avec succès par le lycée Robert Doisneau de Corbeil-Essonnes, dernier signataire d’une convention avec Sciences Po.

Voici ce que dit Mme Ghislaine Hudson, proviseure du lycée de Dammarie-lès-Lys, questionnée sur l’ouverture des élites : « Le problème de la « masse » c’est que quand elle se trouve en situation d’échec social, elle n’a pas d’espérance. Elle va mesurer son avenir à l’échelle de ce qu’elle connaît. Chaque fois que l’on sort de sa difficulté territoriale et sociale un jeune de banlieue, on donne un espoir à tous ceux qui sont derrière. Mais en France, on a peur du risque. »

Je tiens à attirer votre attention sur le fait que de tels mécanismes existent dans plusieurs États américains : la Floride, la Californie, le Texas. (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Tiens ! Vous les citez en exemple, maintenant !

M. Manuel Valls, rapporteur Ils visent à contrer les effets pervers de l’affirmative action et à promouvoir la justice sociale et territoriale lors de l’entrée dans l’enseignement supérieur. La discrimination positive sur bases ethniques ou religieuses est en effet inefficace dans la durée.

Comme le démontre Patrick Weil dans son livre La République et sa diversité, l’introduction en France de cette forme d’automaticité serait le meilleur service à rendre à l’ascenseur social. La frustration dont souffre notre pays, la perception d’un plafond ne se limite pas aux quartiers populaires, mais étreint aussi la France rurale, périurbaine, ultramarine, ainsi que de nombreuses catégories de la classe moyenne.

Orienter d’office dans des voies d’excellence, gommer les effets d’une information asymétrique, montrer que les ambitions sont légitimes et l’effort récompensé, voilà une chance pour ce pays, embourbé dans la crise de sens et dans le doute.

Bien sûr, nous ne renonçons pas, bien au contraire, à réformer l’école, de la maternelle à l’université, à promouvoir une réelle égalité des chances, à mettre le paquet sur les ZEP, à insister sur le soutien individualisé pour lutter en profondeur contre les lacunes et les retards, à valoriser le travail des enseignants.

Néanmoins plutôt que de demander le « dépôt de bilan » des ZEP ou de procéder à un saupoudrage des moyens – ce que le Gouvernement s’apprête aujourd’hui à annoncer –, c’est à un effort considérable qu’il faut consentir. Une étude de Thomas Piketty montre en effet que l’État ne dépense que 7 % de plus dans les ZEP. Or, si elles n’existaient pas, la situation serait encore plus dramatique. Je vous renvoie sur ce sujet à l’intervention prononcée par le président de notre groupe, Jean-Marc Ayrault, dans le cadre de la discussion de la loi Fillon, le 15 février 2005.

Nous ne renonçons pas non plus à faire de l’université française une voie d’excellence. Face au chômage de masse, aux mutations créées par la mondialisation, une révolution éducative doit être conduite dans ce pays. Et ce n’est pas qu’une question de moyens.

Notre démarche doit être pragmatique : ouvrir les classes préparatoires et les grandes écoles aujourd’hui, c’est réactiver l’ascenseur social et diversifier les élites de demain.

Face à la crise de notre pacte républicain, certains prônent le saupoudrage, se glorifient eux-mêmes ou louent leur propre bilan – notamment la loi Fillon, si critiquée –, mais sans rompre avec ce qui engendre la sclérose dont souffre la société française. Le groupe socialiste, lui, a décidé de faire le choix du volontarisme. Vous la rejetterez sans doute, mais cette proposition de loi est un acte de gouvernement, d’un gouvernement à venir. (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

La problématique est claire : la République doit s’ouvrir, tendre la main et regarder lucidement ses zones d’ombre, sans quoi le communautarisme, le repli, le rejet, les extrémismes politiques, religieux et sociaux ravageront ce qui reste de notre pacte républicain.

M. Jean-Marc Ayrault. Très juste !

M. Manuel Valls, rapporteur Il y a urgence. Regardons autour de nous : ici même, dans ce palais, une armée d’agents d’entretien, presque tous de couleur, vient chaque jour depuis la banlieue pour nettoyer les bureaux de députés presque tous blancs. Que proposons-nous à leurs enfants ? Combien de temps un tel contraste entre l’obscurité du matin et la lumière de la journée pourra-t-il être toléré ?

Combien de familles dans nos villes, nos campagnes, croient-elles que leurs enfants connaîtront le même sort, voire un sort moins bon que le leur ? La Troisième République avait réussi à créer, grâce à l’école, la République de tous les possibles. Le progrès doit redevenir une idée française, une conviction ancrée dans ce pays. Le culte du diplôme et de la réussite scolaire, si spécifique à la France et actuellement facteur d’exclusion, pourrait ainsi être utilisé pour surmonter les blocages et bousculer les préjugés de notre société.

Avec cette proposition de loi, la représentation nationale peut se donner les moyens d’apporter un message d’espoir. Il s’agit non pas de tomber dans les errements d’un égalitarisme déconnecté du réel et inefficace, mais bien de renouer avec l’essence de l’égalité : chacun doit avoir sa chance.

Justice pour les territoires, justice pour les lycées, récompense d’efforts trop souvent ignorés et trop peu valorisés : cette loi peut doper la République à un moment où la crise sociale menace son essence même. Alors ensemble, faisons le pari de l’action ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Je serai très bref.

Jeudi 24 novembre, j’ai proposé de ne pas engager la discussion des articles, de suspendre les travaux de la commission et de ne pas présenter de conclusion sur le texte de cette proposition de loi.

M. Bruno Le Roux. Comme à l’habitude !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Cette position n’empêche ni la discussion en séance publique ni la publication d’un rapport relatant les travaux de la commission au cours desquels chacun a eu tout le loisir de s’exprimer.

Je formulerai cependant quelques remarques.

Sur la forme – sans doute le contexte des dernières semaines peut-il l’expliquer –, le texte de cette proposition de loi a été communiqué trop tardivement : la veille de son examen en commission.

M. Jean-Marc Ayrault. Oh !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Eh oui, monsieur Ayrault !

De surcroît, aucun membre du groupe socialiste n’est venu la soutenir en commission, à l’exception de son rapporteur.

M. Guy Geoffroy. Eh oui !

M. Manuel Valls, rapporteur. Ce n’est déjà pas si mal !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Je tenais donc à souligner la très grande improvisation de cette initiative qui, à elle seule, justifie la décision prise par mes collègues de la commission des affaires culturelles. Cela n’enlève toutefois rien à la qualité de vos propos en commission et dans cet hémicycle, monsieur Valls. Nous retrouvons votre expérience indiscutable de terrain et j’ai été très sensible à votre allusion aux personnes qui viennent des banlieues pour nettoyer les bureaux de l’Assemblée nationale. Avouez toutefois que cette mesure, isolée, perd la signification qu’elle aurait si elle était inscrite dans un texte poursuivant le même objectif, mais à visée beaucoup plus large.

Sur le fond, comment ouvrir la voie des études et de l’excellence à ceux qui ne sont pas des « héritiers » ? Cette question nous préoccupe tous. L’école est-elle encore un ascenseur social ? Peut-être, mais les figures emblématiques à l’origine de ce mouvement semblent se faire de plus en plus rares. Serait-ce seulement dû à l’inégalité des chances qu’il conviendrait de réduire par des mesures techniques ? La question mérite d’être débattue, mais il est d’ores et déjà évident qu’il s’agit également d’un phénomène profond remettant en cause une certaine vision de l’école et de ses missions.

L’adéquation parfaite entre l’éducation et les besoins de la société a toujours été un rêve. Dans le monde complexe et chaotique que nous connaissons, certains se disent même que c’est une chimère. Le redressement est-il possible ? J’en suis convaincu. L’opinion l’attend et de nombreux enseignants sont prêts à y consacrer tous leurs efforts et leur enthousiasme. Cependant, les crispations corporatistes des uns et le désarroi des autres, l’immensité de l’effort à accomplir, la complexité du système actuel nous demandent à tous, pour être surmontés, une volonté et un courage qui doivent dépasser les clivages politiques.

Je regrette, à cet égard, que les socialistes n’aient pas voté la loi d’orientation sur l’école…

M. Guy Geoffroy. Il fallait commencer par là !

M. Bruno Le Roux. Elle n’était pas bonne ! La preuve, vous la revoyez de fond en comble aujourd’hui !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. …qui nous a permis de multiplier les bourses au mérite, d’instaurer les programmes personnalisés de réussite éducative et d’autres mesures qui, avec celle que vous proposez aujourd’hui, auraient pu former un très bel ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Rappel au règlement

M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Marc Ayrault. Je tiens à réagir aux propos du président de la commission.

Vous dites que vous avez demandé à la commission de ne pas rendre de conclusions, mais vous les donnez vous-même ! Il faudrait savoir s’il y a ou non des conclusions ! Nous venons donc d’être prévenus que le débat s’arrêtera, une fois de plus par la volonté de la majorité, après la discussion générale.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Là où il s’est arrêté en commission !

M. Jean-Marc Ayrault. Mon observation portera sur notre règlement, monsieur le président, car je laisserai le soin à mes collègues d’aborder le fond de cette proposition dans la discussion générale.

Monsieur le président de la commission, vous nous reprochez de ne pas faire le tour, à travers cette proposition de loi, de toutes les questions éducatives. Le rapporteur, Manuel Valls, l’a clairement précisé : cette proposition de loi est présentée dans le cadre des niches parlementaires prévues par notre règlement, ce qui ne nous laisse que quelques heures pour débattre. Il est donc bien évident que nous ne pouvons pas déposer une proposition de loi complète sur la société de la connaissance ou sur la réforme de notre système éducatif pour l’école de la réussite. Nous avons, ainsi, respectant en cela notre règlement, délibérément décidé de nous concentrer sur un seul dossier et de le traiter en toute responsabilité.

Ne nous faites pas non plus le procès de l’improvisation et du dépôt tardif de cette proposition. Le groupe UMP a procédé, voici quelques semaines, exactement de la même façon et vous n’avez pas, pour autant, tenu les mêmes propos. Au moment où le Premier ministre va tenir une conférence de presse sur la réussite éducative, au moment où une polémique au sein de la majorité remet en cause les ZEP après les déclarations du président de l’UMP, ministre de l’intérieur, la désinvolture avec laquelle vous traitez cette proposition sur laquelle nous avons travaillé pendant plusieurs semaines en concertation avec les professionnels, les organisations syndicales et des experts – notamment Patrick Weil auquel Manuel Valls a fait allusion – me déçoit profondément.

Ne traitez pas nos propositions à la légère. Elles sont utiles et permettent de faire avancer concrètement une cause que vous prétendez défendre. Pourtant, vous vous apprêtez à répondre non. Quel mépris ! Une fois de plus, votre façon de traiter l’opposition dans cet hémicycle est choquante. Je tenais à le dénoncer ici.

On nous reproche aussi de ne pas avoir voté la loi Fillon du 15 février 2005. Nous avions des points de désaccord, mais nous ne nous sommes pas contentés de critiquer le projet de loi ; nous avons formulé des propositions que vous avez balayées d’un revers de main. Arrêtons, alors, de dire que les socialistes se contentent de critiquer.

Je retiens, enfin, de la conclusion de Manuel Valls qu’il est grand temps de changer de majorité et toutes nos propositions sont autant d’actes de gouvernement.

Discussion générale

M. le président. La parole est à Mme Elisabeth Guigou, premier orateur inscrit dans la discussion générale.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le président, mes chers collègues, nous venons de vivre une très grave crise. Elle ne ressemble à aucune autre, car elle n'a pas d’organisation, pas de visage, pas de nom ; elle n’affiche aucune revendication explicite, aucun mot d'ordre. Elle a été à la fois une explosion de violence et de désespoir, une crise d'identité et de sens. C'est une crise du mal-vivre ensemble.

Les violences sont inacceptables, inexcusables et elles doivent être sévèrement punies ; encore faut-il s’interroger sur le sens des peines infligées à ces centaines de jeunes, car, s’agissant de mineurs, des peines pédagogiques me semblent préférables aux relégations dans des prisons surpeuplées ; mais tel n’est pas notre sujet d’aujourd’hui.

S’il faut punir les violences par des mesures policières et judiciaires, nous savons qu’il n’en va pas de même de la désespérance et il y a urgence à agir dans la durée, si nous voulons éviter les rechutes.

La proposition de loi que vient de présenter en notre nom Manuel Valls doit s’inscrire dans un effort massif et multiforme pour faire disparaître les ghettos de pauvreté et pour que chaque jeune de notre pays sache qu’il peut, comme les autres, accéder à l’emploi, au logement et, bien sûr, au savoir.

Pour combattre ces ghettos, nous devons agir sur toutes les inégalités. Dans le domaine de l’emploi, nous ne réussirons que par un accompagnement personnalisé des jeunes issus de nos quartiers populaires ; 40 à 50 % d’entre eux sont, en effet, au chômage. Quant au logement, nous savons que la ségrégation à l’école résulte largement de l’urbanisme. Ainsi que Jean-Marc Ayrault vient de le rappeler, nous avons des propositions que nous ne cesserons de répéter jusqu’à ce que nous soyons en mesure de les appliquer lorsque nous serons revenus aux responsabilités.

Il faut respecter l’article 55 de la loi SRU qui impose la construction d’au moins 20 % de logements sociaux dans chaque ville, car nous en sommes loin. Même dans un département aussi pauvre que la Seine-Saint-Denis, six communes comptent moins de 10 % de logements sociaux, comme celle du Raincy dont le maire, M. Raoult, est un ancien ministre à la ville, qui ne totalise que 3,5 % de logements sociaux, alors que les communes voisines approchent de 50 % ! C’est un comble.

M. Jean-Marc Roubaud. Cela fait une moyenne !

Mme Élisabeth Guigou. C’est aussi la juxtaposition de cette pauvreté et de ces richesses qui conduit à l’explosion.

Nous devons combattre les discriminations avec acharnement pas simplement par des mots, mais aussi par des actes.

Pour promouvoir l’égalité de tous, il nous faudra investir massivement dans les quartiers populaires et organiser enfin une péréquation entre territoires riches et pauvres. La Seine-Saint-Denis est, ainsi, mitoyenne des Hauts-de-Seine, département le plus riche de France, dont le budget excède celui de beaucoup d’États européens. L’État a un rôle à jouer. Il ne doit pas se contenter de transférer des responsabilités, par le biais de la décentralisation organisée à contre-courant, et de faire supporter aux communes et aux départements des charges nouvelles sans compensations. En Seine-Saint-Denis, les résultats de la décentralisation actuelle sont absolument dramatiques.

M. Jean-Marc Roubaud. C’est faux !

Mme Élisabeth Guigou. L’assemblée départementale a exigé une compensation pour les transferts de compétences réalisés par la loi du 13 août 2004.

Dans ce contexte, la question de l’école est absolument centrale, car l’échec à l’école est celui de toute une vie. Le désespoir vient davantage de l’échec scolaire que du chômage. On peut toujours, en effet, espérer trouver du travail, mais on considère que toute sa vie est gâchée, lorsqu’on n’a pas réussi à l’école. C’est pourquoi de plus en plus de jeunes ne croient plus à l’école, parce qu’ils pensent qu’elle n’est pas faite pour eux. Ils considèrent que, même s’ils possèdent des diplômes, ils n’arriveront pas à faire leur chemin dans la vie et à trouver un travail. Ainsi, nombreux sont ceux qui réussissent au collège et au lycée et qui n’osent pas viser plus haut parce que, depuis leur enfance, ils ont eu le sentiment d’être relégués et de ne pas avoir, comme les autres, accès aux voies de l’excellence.

Alors, oui, il faut aider les élèves ; oui, il faut aider les ZEP et non pas les faire disparaître, comme le ministre de l’intérieur, président de l’UMP, l’a réclamé hier.

M. Jean-Marc Roubaud. Arrêtez !

Mme Élisabeth Guigou. Si elles n’ont pas réussi aussi bien qu’on aurait pu l’espérer, c’est bien entendu parce qu’on ne leur a pas donné les moyens qui ne cessent de diminuer depuis trois ans. Le gouvernement Jospin avait mis en œuvre un plan de sauvetage et de rattrapage pour la Seine-Saint-Denis. Il est abandonné aujourd’hui. Nous savons parfaitement que les classements des ZEP donnent simplement droit à 10 % de ressources supplémentaires. C’est ce qu’il faut changer.

Manuel Valls a cité avec raison Thomas Piketty, chercheur extrêmement sérieux, qui a démontré que nous pourrions obtenir de bien meilleurs résultats en réduisant le nombre d’élèves à moins de quinze ou à quinze par classe en ZEP. Cela nécessiterait une loi de programmation.

Les mesures que nous préconisons s’inspirent des conventions ZEP de Sciences Po. Quand Sciences Po a décidé de les créer, beaucoup ont pensé que cela ne marcherait pas, que les jeunes n’atteindraient pas le niveau et que l’impact de cette mesure était trop limité. J’ai vu les résultats à Bondy : il y a trois ans, le lycée en ZEP Jean- Renoir a été le premier à signer, de sa propre initiative – et non par le choix du recteur – une convention avec Sciences Po. Avec l’appui de l’initiateur Philippe Destelle, l’équipe pédagogique s’est mobilisée pour permettre aux élèves, grâce à un travail supplémentaire, de préparer le concours d’entrée à Sciences Po – car c’est un concours –dans les meilleures conditions possibles. Il y a deux ans, deux filles ont été reçues, dont l’une, Angèle Maugué, était SDF au début de l’année scolaire, parce que mise à la porte de chez elle. Elle a pu être logée grâce à des assistantes sociales et à des professeurs qui l’ont hébergée. Elle a ainsi obtenu le concours de Sciences Po et elle poursuit sa scolarité avec succès.

Cette année, il y a eu cinq reçus, c’est-à-dire plus que deux fois plus. Maintenant, ce n’est pas seulement l’atelier Sciences Po, mais le lycée, un quartier, une ville entière qui sont fiers et qui se disent que c’est possible.

La proposition de loi que vient de présenter en notre nom Manuel Valls participe de cet esprit. Que les meilleurs élèves de chaque lycée de France aient accès aux classes préparatoires, constituerait non seulement un geste symbolique fort mais aussi une mesure concrète efficace.

Il y aura bien sûr des objections à ce projet.

On va dire qu’un tel dispositif réduira mécaniquement l’importance de certains grands lycées parisiens dans le système des classes préparatoires. Oui, et tant mieux. En plus, ne dramatisons pas : l’objectif fixé est de 6 % et les effectifs des classes préparatoires représentent environ 10 % des bacheliers. Cela laisse une marge pour certains grands lycées qui monopolisent le recrutement des classes préparatoires aux grandes écoles pour les élèves des familles les plus favorisées.

On va dire que cela va se traduire par des phénomènes de contournement de la carte scolaire et que des parents privilégiés choisiront de mettre leurs enfants dans des lycées moins prestigieux pour leur permettre d’accéder plus facilement aux classes préparatoires. Tant mieux, cela favorisera la mixité sociale.

Voilà pourquoi, avec notre président de groupe, Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls et d’autres collègues, notamment de Seine-Saint-Denis, comme Bruno Le Roux et François Asensi, je soutiens cette proposition de loi qui va favoriser la mixité sociale à l’école. Ce point est crucial, et il me semble qu’il faudra aussi, à terme, réfléchir à d’autres dispositifs de mixité : internats, révision de la carte scolaire, système de bus scolaires, comme aux États-Unis, et, bien sûr, service civique obligatoire pour l’ensemble des enfants de France, filles ou garçons.

Évidemment, cette proposition ne couvre pas l’ensemble des voies d’action que j’ai évoquées pour l’école, mais elle en est une clef essentielle. Nous avons intérêt à rester inventifs et créatifs et à nous donner les moyens nécessaires si nous voulons éviter les rechutes. C’est en appliquant ce type de mesures, incluses dans des programmes plus vastes, que nous préserverons les valeurs de notre République : liberté pour chacune et chacun de choisir sa voie, égalité d’accès aux voies de l’excellence pour toutes les filles et fils de France, et fraternité pour aider ces jeunes qui en veulent et qui s’en sortent très bien à avoir autant de chances que les enfants des milieux favorisés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Morin.

M. Hervé Morin. « Jamais nos grandes écoles n’ont aussi peu scolarisé d’enfants issus des milieux modestes, qu’ils s’appellent Dupont, Durand ou Belarbi. Seulement 5 % des élèves de classes préparatoires sont fils d’ouvriers : ils sont huit fois moins nombreux que les fils de cadres. Cette ghettoïsation gangrène notre société et fait autant de ravage que le chômage de masse [...] Des solutions pourraient être rapidement trouvées, sans quotas, sans référence ethnique : il s’agirait par exemple de généraliser le système ESSEC qui permet d’accompagner les meilleurs élèves volontaires des lycées de ZEP pendant trois ans afin qu’ils puissent accéder aux classes préparatoires [...] ; il s’agirait également de donner aux meilleurs élèves de tous les lycées, qu’ils soient parisiens ou provinciaux, le droit d’accéder aux meilleures classes préparatoires. »

Voilà, monsieur Valls, ce que prononçait le porte-parole de notre groupe à cette même tribune, le 5 juillet dernier, lors du vote sur la motion de censure déposée contre le Gouvernement. Je suis heureux que l’UDF inspire d’autres groupes parlementaires.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Hervé Morin. Cela fait bien longtemps que les universitaires s’intéressant à la question et nos meilleurs chercheurs nous alertent sur la ghettoïsation de la société française, et cela bien avant la crise des banlieues. Patrick Weil défend par exemple, depuis quelques années, la proposition qui nous est soumise ce matin.

Nous sommes convaincus, à l’UDF, que notre pays a besoin d’une politique volontariste permettant de recréer les conditions d’accès de tous les jeunes à l’école et à l’emploi. L’égalité des chances, la promotion sociale, la relance de l’ascenseur social sont des formules dont nous nous repaissons en permanence dans nos discours électoraux, sans que rien ne change depuis des années.

Pourtant, ce sujet est fondamental pour redonner confiance dans l’avenir. Les oubliés de l’égalité des chances sont de plus en plus nombreux, et ce ne sont pas uniquement des Français issus de l’immigration. Les zones rurales sont aussi durement touchées. Nombre de nos compatriotes ne participent plus à un destin collectif qui fait que demain sera meilleur qu’hier, puisque, même dans les rares périodes de croissance, elle ne les atteint plus.

Éric Maurin, dans son ouvrage sur la ghettoïsation de la société française, l’a très bien montré. À la fracture sociale s’ajoute désormais la fracture spatiale et territoriale. À origine sociale donnée, un jeune de vingt ans a une probabilité d’autant plus grande à entrer sans qualification sur le marché du travail qu’il habite et vit dans un voisinage où la proportion des jeunes sans qualification sur le marché du travail est importante.

À l’inverse, les expériences menées, notamment en Angleterre et, surtout, aux États-Unis dans le cadre des politiques d’affirmative action, démontrent à quel point, avec une politique déterminée, on peut ouvrir socialement les universités et en modifier profondément le recrutement. En Floride, par exemple, grâce à une politique qui permet aux meilleurs élèves de tous les lycées d’entrer à l’université d’État, 40 % des étudiants sont désormais issus des minorités. Mieux encore, au Texas, État qui véhicule pourtant chez nous une image assez floue, les promotions universitaires n’ont jamais fait autant de place à la diversité et, aux États-Unis, le critère est statistiquement quantifiable : moins de 60 % des étudiants texans sont blancs.

Ce constat du blocage de la société française que, je crois, nous partageons sur tous les bancs, doit nous amener à repenser en profondeur les politiques sociales qui ont été menées depuis vingt ans : les politiques de la ville et du logement, fondées sur le développement des logements sociaux et les aides personnalisées au logement, n’ont pas réussi à faire progresser la mixité.

M. François Rochebloine. C’est vrai !

M. Jean-Marc Roubaud. Voilà !

M. Hervé Morin. De même, les politiques ciblées en faveur des zones d’éducation prioritaires ou les zones franches ont échoué. C’est que ces efforts n’ont visé que les conséquences visibles de la ségrégation, non ses causes, qui sont des mécanismes précoces d’enfermement des individus dans des destins écrits d’avance.

Les travaux du sociologue Éric Maurin l’ont bien montré, en particulier à partir des exemples étrangers : les politiques sur les territoires sont bien moins efficaces que les politiques centrées sur les personnes. Il faut donc diriger les actions vers les individus, en appliquant résolument un principe : donner davantage aux enfants et aux adolescents qui sont les plus dépourvus de ressources familiales.

Pour nous, l’école doit se donner de nouveaux objectifs : lutter contre les ségrégations créées en dehors d’elle-même et ne pas accroître ces ségrégations par son propre fonctionnement. À nous de lui en donner les moyens. Pour atteindre le premier objectif, il faut favoriser la mixité sociale, en constituant des classes hétérogènes, socialement, c’est-à-dire composées d’élèves de milieux différents, et scolairement, avec des élèves de niveaux scolaires différents. Pour atteindre le second, il faut garantir que l’offre éducative – options, enseignants, chefs d’établissement, cadre physique – ne soit pas de moindre qualité dans les quartiers sensibles ou pour les élèves défavorisés.

La proposition que nous étudions ce matin va dans le bon sens elle reprend d’ailleurs ce que déclarait le Président de la République il y a moins de quinze jours.

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. Hervé Morin. Elle donnera en effet à tous les meilleurs élèves de tous les lycées, du plus grand lycée parisien au lycée d’une petite ville de province, le droit d’accéder aux meilleures classes préparatoires. Aujourd’hui, le taux de jeunes allant en classes préparatoires va de 80 % dans certains lycées à 0 %. On sait trop aujourd’hui que le mode de sélection élimine les meilleurs élèves des lycées dont la réputation n’a pas dépassé la frontière de leur département. Il n’y a aucune raison que les lycéens de Stains ou du Gers ne puissent pas accéder à Louis-le-Grand. Le sentiment de relégation en seconde division ne touche pas que les ZEP ; il touche aussi la province et l’outre-mer.

D’autres mesures pourraient être mises en œuvre, des mesures extrêmement fortes aux effets immédiatement sensibles, et peu coûteuses, au moment où nos marges de manœuvre budgétaires sont extrêmement limitées. Si l’on étendait le système ESSEC, qui permet l’accompagnement des meilleurs élèves volontaires de lycées de ZEP pendant trois ans, à 5 % d’une classe d’âge sur tout le territoire, il n’en coûterait que 240 millions d’euros.

Il faut ainsi prévoir un tutorat, pour assurer à ces jeunes un accompagnement personnalisé, et un encadrement des familles. À l’image de ce que fait l’ESSEC, ce tutorat pourrait prendre la forme d’un suivi individualisé par des élèves de grandes écoles, mais il pourrait aussi y avoir des enseignements complémentaires dispensés le mercredi ou le samedi par des enseignants ou des étudiants de classes préparatoires ou de grandes écoles.

Il faudrait aussi revoir les modes de sélection et les épreuves des concours, qui font une large place à la culture générale et à la connaissance parfaite d’une langue étrangère, car ils sont facteurs de reproduction sociale.

Les enfants issus de milieux sociaux modestes qui s’orientent vers les grandes écoles doivent assimiler non seulement comme les autres les connaissances et les programmes, mais aussi les codes sociaux dont sont déjà dotés les élèves issus de milieux que l’éducation familiale a favorisés. Il suffit de se souvenir des épreuves à l’entrée de Sciences Po ou de l’ENA pour s’en convaincre : être un enfant du sérail est un sacré avantage pour réussir.

À travers l’ouverture des grandes écoles aux jeunes issus de tous les milieux sociaux, c’est aussi la diversification et la respiration du recrutement des futures élites qui sont traitées. En France, plus probablement que nulle part ailleurs, c’est le diplôme, la certification formelle qui conditionne l’éventuel passage à l’élite, qu’elle soit politique, administrative ou économique. Dès lors, les modalités des concours deviennent déterminantes, comme d’ailleurs le décloisonnement entre les filières universitaires et les grandes écoles.

Bourdieu avait une très jolie formule pour décrire la pérennité d’un ordre social si bien établi en France, où les grandes écoles et leur mode de recrutement ont joué un rôle qui n’existe nulle part ailleurs à l’étranger. Il parlait du concours « acte de clôture qui instaure entre le dernier élu et le premier exclu la discontinuité d’une frontière sociale ».

Il faut aussi repenser la sectorisation des établissements publics. Beaucoup de familles accepteraient moins difficilement le maintien de la sectorisation si elles avaient la certitude que leur enfant aura toutes les chances de vivre une scolarité de qualité identique, sur le plan tant de l’acquisition des connaissances que des conditions de vie scolaire, quel que soit l’établissement.

Certains collèges et lycées sont aujourd’hui enfermés dans un environnement de ségrégation tel que même une discrimination positive accrue ou des mesures dérogatoires ne permettraient sans doute pas d’obtenir de bons résultats. C’est pourquoi il ne faudrait pas hésiter à fermer certains établissements et à répartir les élèves dans les autres établissements d’une ville. À l’avenir, il faudrait s’interdire de construire de nouveaux établissements au sein d’espaces caractérisés par une absence totale de mixité sociale.

L’État doit également différencier davantage les politiques selon les établissements, car des politiques égales appliquées à des situations inégales renforcent les inégalités.

On peut également envisager de recentrer la politique d’éducation prioritaire sur les élèves et les établissements les plus en difficulté.

Les moyens financiers accompagnant les classements en ZEP sont tellement éparpillés – ils touchent un élève sur cinq aujourd’hui – que leurs effets demeurent imperceptibles…

M. Jean-Marc Roubaud. C’est vrai !

M. Hervé Morin. …– seulement deux élèves en moins par classe –, et qu’ils sont presque dominés par les effets de stigmatisation, puisque les familles de classes moyennes et supérieures quittent ces quartiers, phénomène que le saupoudrage tend d’ailleurs à multiplier.

C’est pourquoi il faudrait diminuer nettement le nombre de zones et d’enfants aidés, pour approfondir et accroître l’effort sur les zones où se concentrent réellement les difficultés, faire évoluer le statut de ZEP, pour le rendre plus temporaire et révisable, et conditionner l’obtention du statut de ZEP et l’octroi de ressources temporaires, mais importantes, à la formulation de projets évaluables, de sorte que le label ZEP ne soit plus stigmatisant mais soit au contraire un signe de dynamisme.

Enfin, le système de bourses gagnerait également à être repensé.

Pour nous, la discrimination positive ne doit pas être ethnique ou raciale ; elle doit être socio-économique. Elle ne doit pas être fondée sur la couleur de la peau ou la consonance de votre nom, comme le proposent certains. Une telle discrimination ne sera jamais acceptée dans notre pays parce que nos compatriotes ne la comprendraient pas. La discrimination positive doit concerner toutes celles et tous ceux qui concentrent toutes les inégalités : revenus, destin, naissance, formation. Elle doit s’adresser à tous les Français pour redonner un sens à l’égalité des chances. En clair, il faut donner plus à ceux à qui la vie a donné moins de chances pour leur permettre de réussir. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française, et sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. François Asensi.

M. François Asensi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les violences urbaines qu’a connues notre pays récemment, pour inacceptables qu’elles soient, témoignent du mal-être d’une jeunesse à l’avenir incertain, de jeunes qui n’ont pour beaucoup d’entre eux que la précarité sociale et économique comme horizon. C’est avant tout une véritable crise sociale qui est à la base de ces violences.

Toutefois les banlieues ne sont que l’épicentre, le révélateur d’une crise profonde de notre société : ce n’est pas seulement la jeunesse et l’école qui sont en perte de repères ; ce sont les valeurs de notre pacte républicain qui sont progressivement mises à mal. Elles sont peu à peu privées de sens par un libéralisme économique qui exclut et qui organise la concurrence de chacun contre tous.

Est-ce cela la République, héritière de l’humanisme des Lumières, de la Révolution française et du projet de société porté par celles et ceux qui ont vaincu la barbarie nazie il y a soixante ans ?

Il est plus que temps aujourd’hui de faire preuve de radicalité dans l’action politique et d’exiger l’application de toute la Constitution française, qui comprend, je le rappelle, le magnifique Préambule de la Constitution de 1946. Ledit Préambule n’affirme-t-il pas que « Chacun a […] droit d’obtenir un emploi. », que « Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. », que « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture » ?

Ne contestons pas les réussites de notre système : alors qu’en 1948, moins de 3 % d’une classe d’âge obtenait le bac, en 2005, 63 % d’une génération obtient ce diplôme. Notre système éducatif s’est indéniablement démocratisé depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, à travers les luttes de celles et ceux qui voulaient une société plus juste, donnant à chacun les chances de réussir.

Saluons ici les conquêtes de la Libération et du Conseil national de la résistance. Dans ces avancées, il faut rendre un hommage tout particulier au rapport Langevin-Wallon. Ce projet ambitieux, malheureusement vite enterré, n’a cessé d’irriguer toutes les réformes progressistes en matière d’éducation. Il préconisait cet idéal pleinement actuel de la promotion « d’une élite véritable, non de naissance mais de mérite et constamment renouvelé par les apports populaires ».

Il est cependant indéniable, nous le constatons aujourd’hui, que l’école de la réussite est en panne et ne joue plus son rôle de redistributeur des cartes sociales, car la République est sortie de ses rails.

La fracture sociale, thème cher au Président de la République, est une réalité ; elle ne s’est pas résorbée, bien au contraire. Dans notre pays, par exemple, la proportion d’ouvriers sous contrats précaires est aujourd’hui sept fois plus forte que celle des cadres, alors que ce rapport n’était que de un à quatre vingt ans plus tôt. Et ce n’est pas le contrat nouvelles embauches qui changera la donne.

Avec la précarisation du travail, vient celle du logement et c’est ainsi que s’enclenche le mécanisme qui mène à la relégation sociale et à la fracture territoriale.

Malgré les efforts menés par les équipes éducatives et pédagogiques, notamment dans les ZEP, l’école n’a pu être maintenue à l’abri de cette crise et notre système éducatif corrige de moins en moins les effets des fractures sociales, territoriales et culturelles. La crise de l’école n’est que le prolongement de la crise de la société. Elle produit ce que j’appelle la sélection absolue qui exclut définitivement les jeunes de la société. Jamais, depuis 1945, nous n’avons connu une telle situation.

L’échec scolaire en primaire et au collège est quatre à cinq fois plus fréquent chez les ouvriers que chez les cadres. Alors qu’ils représentent 31 % des élèves de sixième, les enfants d’ouvriers ne sont plus que 18,2 % des admis aux baccalauréats et 6 % en classes préparatoires. En revanche, 42 % des élèves de ces classes sont des enfants de cadres. Ainsi, une majorité des enfants de cadres finira cadres ; inversement, la majorité des enfants d’ouvriers finira ouvriers ou employés. C’est ce que Bourdieu appelait à juste titre la reproduction sociale des élites. Trop souvent, comme il le dénonçait : « l’école transforme alors ceux qui héritent en ceux qui méritent ».

Lorsque l’égalité des chances est bafouée, le mérite scolaire masque alors une véritable sélection sociale. Pour les jeunes déjà victimes de toutes les discriminations notre système éducatif n’arrive pas à compenser les acquis familiaux, c’est-à-dire le capital culturel, des étudiants issus des classes les plus favorisées. Ces logiques vont jusqu’à agir sur les enseignants en banlieue qui intériorisent parfois, malgré eux, la sursélection des classes préparatoires aux grandes écoles.

Le diplôme ne peut pas tout. À l’heure actuelle, pour tous les niveaux de formation allant du BEPC au bac, les taux de chômage sont environ deux fois plus élevés dans les zones urbaines sensibles qu’au niveau national. En 2003, le taux de chômage des diplômés du supérieur était de 11,7 % pour ceux habitant en ZUS pour une moyenne nationale de 7,6 %. Il existe donc bien d’autres discriminations, liées aux origines sociales et territoriales, tout aussi intolérables.

C’est pourquoi il importe de lutter contre toutes les formes de discrimination afin que, conformément à ses principes, tous les enfants de la République se voient donner les mêmes chances de réussir.

Aujourd’hui, notre société et les chefs d’entreprise dans leur ensemble n’offrent pas les mêmes chances à un jeune qui vient de Neuilly qu’à un jeune issu du quartier des Beaudottes à Sevran, comme le met en évidence le débat sur l’anonymat du curriculum vitae. Notre société est pourtant diverse, multicolore : c’est une chance et une richesse pour notre pays.

Cette proposition de loi qui nous est présentée, malgré ses limites évidentes, est un premier pas vers davantage de mixité sociale ; une mixité sociale qu’il faut encourager dans nos écoles, mais aussi dans nos quartiers et sur les territoires.

S’il convient de favoriser l’accès de toutes et tous aux classes préparatoires et aux grandes écoles, il ne s’agit pas pour autant d’accepter une bipolarisation du système éducatif, avec d’un côté une élite, de l’autre des élèves auxquels ce gouvernement propose un apprentissage dès l’âge de quatorze ans. Les 72 000 élèves que comptent aujourd’hui les classes préparatoires sont à mettre en parallèle avec les 60 000 élèves, dont 6 000 pour la seule académie de Créteil, qui quittent le système éducatif sans aucune qualification.

Notre priorité doit rester la lutte contre l’échec scolaire. Plus que jamais, dans le système éducatif français, coexistent, pour reprendre les termes utilisés par Jean-Hervé Lorenzi et Jean-Jacques Payan dans L’Université maltraitée, la noblesse, le clergé et le tiers état : la noblesse, ce sont les grandes écoles d’ingénieurs et de commerce, les écoles normales supérieures et l’ENA ; le clergé, les établissements à statut particulier comme Sciences Po, l’université de technologie de Compiègne et des écoles dites « de province » ; le tiers état, c’est le reste.

Pour un étudiant de classe préparatoire aux grandes écoles, la collectivité dépense 13 200 euros par an. Pour un étudiant d’université, c’est deux fois moins. En termes de dépense moyenne par étudiant sur toute la durée de la scolarité, la France se situe nettement derrière l’Italie et l’Allemagne avec, pour reprendre les chiffres de l’OCDE, respectivement 39 200 dollars contre 44 300 dollars et 52 900 dollars. C’est dire que les pouvoirs publics doivent faire de l’éducation et de l’école l’une de leurs priorités.

À la suite des violences urbaines, des promesses ont été faites mais quels moyens budgétaires supplémentaires seront-ils réellement débloqués ? On ne se joue pas ainsi des difficultés ; les responsabilités sont grandes et il faudra bien trouver les moyens d’une autre politique.

Le groupe communiste, malgré les imperfections de ce texte, approuve la volonté de diversifier socialement les voies d’accès aux écoles les plus prestigieuses de notre République.

Il n’en reste pas moins que, au-delà de la transformation démocratique de notre système éducatif, se pose la question de la refondation de la société française. En effet, l’école ne saurait à elle seule résoudre le problème des inégalités sociales. C’est pourquoi le peuple et les forces progressistes doivent porter un autre modèle de société et renouer avec les principes d’égalité, au cœur de nos valeurs constitutionnelles et pourtant bafoués aujourd’hui par de multiples discriminations.

Tout ce qui peut contribuer à plus de diversité sociale au sommet de la pyramide scolaire recevra notre soutien, mais n’abandonnons pas pour autant l’université et l’enseignement secondaire car ouvrir les classes préparatoires à un plus large recrutement n’aura de sens que si l’égalité des chances est assurée tout au long du parcours scolaire.

En ouvrant vraiment l’école, toute l’école à la diversité sociale, non seulement nous enrichirons nos élites, mais nous rapprocherons nos banlieues de la vie démocratique de nos cités, En effet, toutes les études, tous les chiffres montrent un lien frappant, incontestable entre le diplôme et le niveau de participation à la vie politique. N’oublions jamais cet enseignement du plan Langevin-Wallon : « La formation du travailleur ne doit en aucun cas nuire à la formation de l’homme ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures vingt-cinq, est reprise à dix heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il n’est probablement pas inutile de discuter la proposition de loi présentée aujourd’hui par nos collègues socialistes sur cette question si importante de la réussite scolaire. L’esprit qui anime le groupe UMP, mes chers collègues socialistes, n’est pas de nier qu’il s’agit d’une véritable question.

M. François Loncle. C’est le moins qu’on puisse dire !

M. Guy Geoffroy. Il s’agit d’amener à la réussite tous les élèves, y compris ceux qui ont aujourd’hui le plus de difficulté à y parvenir, mais aussi ceux qui, n’ayant pas particulièrement de difficultés, ont le droit d’aller le plus loin possible et de faire valoir leur forme d’excellence. Permettre à chacun d’aller le plus loin possible dans son parcours de réussite, et offrir en permanence au pays la possibilité de disposer des meilleures élites, sont des objectifs sur lesquels la représentation nationale, solidaire, peut et doit être totalement d’accord. C’est pourquoi toute initiative visant à faire accéder le plus grand nombre aux classes d’excellence ne peut que susciter l’intérêt au niveau de la réflexion et, probablement, au niveau de la réalisation.

Le groupe UMP craint cependant que le moyen choisi par nos collègues et, au-delà du moyen, l’expression de cette volonté, telle qu’elle apparaît dans la proposition de loi, ne soient pas à même de permettre à notre pays et à nos enfants d’atteindre l’objectif que nous partageons tous. Je voudrais, au travers de cet exposé, qui se veut très modeste, tenant compte, lui aussi, d’une réalité de terrain que tous les élus ici présents partagent, indiquer les raisons qui nous poussent à dire aujourd’hui, sans violence, sans animosité, mais avec un esprit d’ouverture sur les discussions pour l’avenir, que la méthode choisie et la proposition qui nous est présentée ne sont pas les bonnes, et qu’il faudra probablement reprendre ce débat et lui donner des perspectives dans un autre cadre, et d’une autre manière.

Sans vouloir la caricaturer, je souligne d’abord que cette proposition de loi s’inscrit dans une logique de pourcentages, c’est-à-dire dans une logique systématique. Comment ne pas l’appeler, d’une certaine manière, une logique de quotas ? Je crois bien connaître ces questions, car mon expérience a été bâtie non pas dans des quartiers et dans des établissements scolaires favorisés, mais, bien au contraire, là où les questions se posent, là où il faut, de manière permanente, avec le cœur et la volonté, travailler tous ensemble pour faire réussir les élèves qui, sur le papier, apparaissent le plus en difficulté et en déficit de capacité à réussir.

Vous avez évoqué, cher collègue rapporteur, un lycée que je connais bien.

M. Jean-Marc Ayrault. Puis-je vous poser une question, monsieur Geoffroy ?

M. Guy Geoffroy. Je vous en prie, c’est tout à fait naturel. Nous sommes ici dans le cadre d’un débat, et je l’accepte volontiers.

M. Jean-Marc Ayrault. Vous n’ignorez pas que les places sont en nombre limité dans les concours de la fonction publique. Pensez-vous qu’il s’agit d’un système de quotas ? Je ne cherche pas à polémiquer, mais au contraire à vous permettre de nous éclairer davantage.

M. Guy Geoffroy. Je connais bien, disais-je, l’un des lycées auxquels il a été fait allusion ; je les connais même tous. En effet j’ai passé les premières années de ma carrière, de 1967 à 1976, au lycée technique d’État de Corbeil-Essonnes, qui porte depuis le joli nom de Robert Doisneau ; et j’ai passé les dernières années de ma carrière de chef d’établissement dans un lycée classé en zone violence, dans une ville proche d’ici, où l’on connaît très bien la difficulté à donner cette confiance tout à fait nécessaire aux élèves, aux enseignants et aux familles, pour que chacun se sente capable de sa réussite. C’est en vertu de cette expérience bien modeste, mais assez diversifiée, que je vais formuler quelques remarques sur le texte proposé.

Ma première remarque portera sur les objectifs chiffrés ; elle me permettra d’esquisser l’amorce d’une réponse à l’interpellation du président Ayrault.

En ce qui concerne les pourcentages et les objectifs, veillons à ne pas mentir, à ne pas faire rêver, à ne pas trahir. Lorsque la loi d’orientation sur l’éducation de 1989 a été mise en place, personne, et c’est fort heureux, n’a contesté son ambition de permettre à 80 % d’une tranche d’âge d’atteindre le niveau du baccalauréat. On a assez rapidement pensé d’ailleurs que la loi avait pour objectif que 80 % des enfants aient le baccalauréat, ce qui n’était pas le cas.

En revanche on a très rapidement oublié de dire la vérité des choses, qui était que cet objectif ne pouvait pas être atteint sans intégrer à ces 80 % le volume émergent, et qui devait être important, d’élèves qui deviendraient titulaires des nouveaux baccalauréats professionnels. Sans les baccalauréats professionnels, il n’y aurait jamais pu y avoir un objectif fixé à 80 % d’une tranche d’âge obtenant ce niveau du baccalauréat.

L’administration de l’éducation nationale, sous l’impulsion de ses ministres successifs, a fait exactement l’inverse. Nous l’avons vécu, nous, chefs d’établissement, enseignants, parents d’élèves, et nos enfants l’ont vécu. Qu’a fait l’éducation nationale de ce beau projet des 80 %, intégrant par la même occasion la dignité de l’enseignement professionnel ? Elle a imprimé une volonté forte, immédiate et par trop artificielle de faire en sorte que le nombre d’élèves passant de troisième en seconde générale, et de seconde générale en première augmentât de manière considérable, et cela en très peu d’années. On a créé l’illusion, sans avoir rien changé par ailleurs, qu’un nombre plus élevé d’enfants pourrait passer en classe de seconde, sans risquer de rencontrer des difficultés et d’échouer ; et on a fait valoir à un nombre plus important d’élèves de seconde déjà en difficulté qu’ils avaient leur place en première. Sachant qu’à la fin de la classe de première il n’y a pas de redoublement possible, ils allaient de manière déterminée et dans la plus grande hypocrisie générale, à l’échec garanti au baccalauréat.

Combien de ces élèves auraient-ils pu, et dans le passé avaient-ils pu, accéder, d’une manière plus naturelle, plus ordinaire, aux filières professionnelles, gages de réussite et d’excellence ? Combien d’élèves auraient-ils pu tranquillement obtenir un baccalauréat professionnel dans de bonnes conditions, ou par le biais des classes d’adaptation aller vers l’enseignement technologique, et devenir, comme c’était souvent le cas, les meilleures élèves des terminales de cette filière ? Combien de ces élèves ont-ils été, parce que l’éducation nationale a fait l’inverse de ce qu’elle avait dit, envoyés, malgré eux et parce qu’on les avait fait rêver, vers les difficultés et l’échec ?

Je le souligne d’une manière très grave : l’objectif des 80 % n’a jamais été atteint ; pourtant nous voulons le maintenir, et c’est bien. Il a été approché parce que nous l’avons forcé, puis il a reculé parce que les parents, les élèves, les enseignants, les chefs d’établissement ont tous reconnu qu’il fallait arrêter cette marche forcée et qu’il convenait de faire en sorte qu’à chaque élève corresponde sa place, sa réussite ; que, par le biais des nombreuses passerelles et des nombreuses possibilités de passer d’un cap à l’autre, ils puissent revenir, si nécessaire, dans un certain circuit de réussite. Il faut en effet que les élèves puissent enfin dessiner tranquillement, et dans la progression permanente, un véritable parcours de réussite.

Or ce que vous nous proposez, correspond à une nouvelle marche forcée. Je ne crois pas que cette marche forcée, dont je ne doute pas un seul instant qu’elle vise à être utile aux élèves, les serve réellement.

C’est pourquoi nous croyons, dans la majorité, nous qui avons préparé, accompagné, soutenu et voté la grande loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, qu’il faut envisager les choses d’une manière plus globale, que s’il y a une lorgnette pour regarder la situation, ce n’est certainement pas par le petit bout, comme vous nous le proposez, qu’il convient d’examiner la question.

Je balaierai rapidement les articles de votre proposition de loi, pour en souligner à la fois les difficultés de mise en œuvre, les insuffisances, parce qu’il y en a ; pour montrer, car c’est la conclusion à laquelle la commission est arrivée, que, malgré tous les efforts qu’on aurait pu faire, ses articles ne sont pas susceptibles d’amendements permettant que nous arrivions à un résultat plus conforme à l’intérêt de nos enfants.

L’article 1er indique : « Le recrutement dans les classes préparatoires aux grandes écoles et dans les premières années des établissements sélectionnant à l’entrée s’effectue parmi les élèves de tous les lycées… ». C’est évident, sinon cela signifierait – et je crois qu’il ne faut pas le laisser dire – que à l’heure actuelle, en France, aucun élève excellent de lycées situés en zone difficile ne serait admis dans les classes préparatoires aux grandes élèves. C’est faux : il y en a, mais cela ne se sait pas, peut-être parce que certains ne veulent pas l’admettre.

S’il y en a, c’est le fruit de ce travail de confiance : confiance faite par une famille à un établissement, même si sa réputation n’est pas des meilleures ; confiance faite par l’élève à l’équipe d’enseignants ; confiance faite par l’enseignant à l’élève ; et confiance de tous dans la capacité de l’établissement à conduire cet élève vers le meilleur niveau possible, donc vers une admission envisageable dans une grande école après la classe préparatoire.

Puisque tel est le cas, pourquoi prétendre que cela n’existe pas ? Pourquoi le laisser croire à tous les enseignants, si exemplaires, de tous les établissements que l’on veut justement promouvoir ? Comment ignorer le travail réalisé et les réussites déjà obtenues ?

Cet article pose une deuxième question, qui montre l’incertitude et le caractère hâtif, malheureusement, de la rédaction de cette proposition. Il parle en effet de « tous les lycées » .

Faites-vous ainsi référence aux lycées généraux ? Je le suppose.

Faites-vous référence aux lycées technologiques ? Peut-être car il existe des classes préparatoires aux grandes écoles de séries technologiques.

Faites-vous référence aux lycées professionnels ? Je n’en ai pas la certitude. Si c’était le cas, il faudrait que vous nous expliquiez dans quelles conditions afin que nous puissions comprendre, ainsi que les élèves et les familles, comment ces élèves auraient une perspective crédible, compte tenu de leur scolarité actuelle, d’accéder à l’ensemble de ces établissements.

L’article 2, qui fixe des objectifs chiffrés, est contestable car, comme le montrera l’analyse des articles suivant, il ne mènerait qu’à de profondes injustices et pourrait déboucher sur des inégalités, en donnant le sentiment que tout est possible alors que ces promesses ne seront peut-être pas tenues. Voulons-nous, en fixant ces pourcentages, que l’on peut appeler des quotas – car je crains qu’ils le deviennent –, créer de nouvelles frustrations ? Voulons-nous faire croire que le législateur a essayé, en suivant une idée généreuse, de faire le bien de tous malgré eux, alors que le résultat sera probablement de nouveaux malheurs pour les élèves que nous aurions fait rêver et auxquels nous aurions menti ?

L’article 3 appelle des commentaires plus sérieux encore. La sélection que vous proposez serait en effet systématique et se ferait exclusivement sur la base des résultats au baccalauréat. Cela pose un véritable problème, car la préparation à l’entrée à l’université, dans les classes d’IUT et dans les grandes écoles ou la réflexion de l’élève sur son projet, son parcours et ses capacités à réussir – tant intellectuellement que par son sens de l’effort –, n’apparaissent pas au lendemain des résultats du baccalauréat. C’est une émergence lente, progressive, régulière, accompagnée par les parents, par le système éducatif tout entier et par ces quelques enseignants qui ont repéré l’élève capable de faire partie des élites.

Or vous ne dites rien de ce travail patient, dont la mise en œuvre n’attend pas la classe de terminale. Le dossier de l’élève, que vous n’évoquez pas, ne se réduit pas aux documents qui le composent. En font aussi partie l’investissement mental, psychologique et intellectuel qui le sous-tend, fruit de cette préparation que l’établissement doit aider l’élève à suivre.

L’article 3 exprime ainsi toute la faiblesse de votre dispositif.

Un deuxième argument n’aura pas échappé aux observateurs : sur la base d’un chiffre fixé par décret chaque année par le ministre, on établirait, entre le 15 juillet et le 15 août – voire jusqu’au 31 août –, la liste de ceux qui seraient admis dans ces classes. Il faudrait dire à ces élèves que, parce qu’ils ont obtenu une mention « bien » ou « très bien », ils font partie de ce pourcentage magique que vous fixez à 6 % – et qui se situerait sans doute, si votre proposition était adoptée, entre 5 % et 6 % par an – et qu’ils rejoindront, parfois dès les premiers jours de septembre, ces classes dites « d’excellence », qui pratiquent une sélection. Notons au passage que la notion même d’« établissements sélectionnant à l’entrée » qui figure dans l’article 1er n’est juridiquement pas très sûre, non plus que la liste exhaustive de ces établissements. Ce n’est pas raisonnable et c’est insuffisant. Votre proposition de loi pèche bien par son insuffisance.

Que les bénéficiaires aient droit à une bourse, c’est la moindre des choses. Je renvoie cependant les auteurs de la proposition de loi à leur attitude envers l’action de la majorité et du Gouvernement en matière de bourses attribuées selon le mérite de l’élève. Oubliant que les bourses au mérite avaient été créées par un ministre socialiste, les députés socialistes ont vivement critiqué notre volonté d’augmenter dans des proportions inédites le nombre de ces bourses dans le cadre de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école. On ne peut alors que s’interroger sur la résurgence dans votre discours de l’acceptation du mérite et des bourses qui l’accompagnent. Vous ne pouviez certes pas faire autrement, mais il y a là une contradiction.

Le dispositif d’accompagnement et de soutien gratuit que vous proposez est, lui aussi, la moindre des choses.

À ce propos, je tiens pour conclure à inscrire notre réflexion dans un cadre plus vaste. On ne devient pas un excellent élève le jour où l’on obtient le baccalauréat, mais parce qu’on a des capacités à l’être et parce que l’ensemble du dispositif scolaire et social qui nous accompagne nous a permis de le révéler. Cela n’est possible que si nous laissons se constituer un vivier d’excellents élèves, au sens académique du terme, car c’est la seule forme d’excellence dont il soit question aujourd’hui. Il nous faut pour cela attaquer à la racine tous les maux qui font que notre école, malgré les moyens immenses et sans cesse augmentés qui lui sont donnés, ne fournit pas les résultats que l’on pourrait en attendre.

Nous pourrons atteindre l’objectif que vous proposez et que nous poursuivons tous, sans avoir besoin de quotas, lorsque nous aurons remédié, dès le cours préparatoire et le cycle II de l’école primaire, aux défaillances qui se traduisent par un pourcentage catastrophique d’élèves entrant dans l’enseignement secondaire sans maîtriser les apprentissages fondamentaux.

Les auteurs de la proposition de loi ont oublié de soutenir vigoureusement notre volonté novatrice de prévoir pour chaque élève, quand il le faut – et parfois très tôt – un soutien personnalisé. Alors que vous n’avez pas voulu des programmes personnalisés de réussite éducative, vous voudriez aujourd’hui trouver de très bons élèves à l’arrivée.

Vous n’avez pas voulu non plus mettre en place le socle commun des acquis indispensables. Or il s’agit non pas d’un potentiel réduit de connaissances et de compétences, mais de la base que nous devons impérativement assurer à tous les élèves pour que chacun puisse, à partir de là, faire valoir sa propre excellence et aller au bout de son parcours. Le vivier ainsi constitué nous fournira, sans qu’il soit besoin de pourcentage préétabli ou de quotas, les gros bataillons des élites que nous souhaitons.

Vous avez également refusé, au nom du dogme du collège unique, la diversification pourtant nécessaire de l’ensemble des enseignements et des accompagnements des élèves au niveau du collège.

Vous avez enfin émis les plus extrêmes réserves devant la nécessité de faire en sorte que, au niveau du lycée, toutes les voies de réussite étant assurées de la même dignité, on puisse proposer aux élèves des parcours diversifiés leur permettant d’atteindre l’excellence et la réussite.

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si l’objectif qui nous est proposé aujourd’hui est utile, la formulation de la proposition de loi dont nous débattons est malheureusement déconnectée des discours et des pratiques antérieurs de ses auteurs.

L’UMP souhaite – et j’espère que tel est aussi le cas du Gouvernement –, en nous appuyant fortement sur la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, donner à tous les enfants de France les moyens de leur réussite. S’ils ont ces moyens, ils réussiront tous là où ils doivent réussir et nous aurons constitué, sans quotas ni artifices, les gros bataillons de ceux qui, avec l’aide et l’accompagnement de leurs familles, de leurs enseignants et du système éducatif tout entier, intégreront naturellement, à partir de tous les établissements de France – en métropole ou en outre-mer – les classes d’excellence qui font que la République est encore en mesure de produire les élites que la nation mérite. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre collègue Guy Geoffroy est un spécialiste de la question, au risque précisément de s’enfermer dans l’expertise et de proposer un traitement individuel – pour ne pas dire individualiste – de la proposition qui nous est présentée aujourd’hui et de ne pas traiter le problème collectif tel qu’il est envisagé. Or, face à un système qui présente une véritable inertie, ce que vous suggérez n’est pas incompatible avec ce que nous proposons.

Une idée hante la France : la diversité. Si je puis pasticher un penseur célèbre, j’ajoute qu’un spectre hante la République : l’endogamie. Entre les deux : l’école, qui se cherche et a du mal à se trouver. Pour tout dire, elle ne s’est pas trouvée du tout, du moins depuis quelques longues décennies.

Malgré toutes les thérapeutiques et tous les soins qui lui sont prodigués, elle connaît une longue agonie – je pèse mes mots –, comme si elle avait épuisé son énergie interne, sinon vitale, après avoir accompli la mission historique que les pères fondateurs lui avaient assignée : l’émancipation de tous les obscurantismes et la libération des esprits, l’éducation du peuple et l’instruction de la nation. Si les esprits sont aujourd’hui moins prisonniers des mythes et des idéologies, la société ne s’est pas pour autant libérée des déterminismes et des mécanismes d’autorégulation. Le peuple ne se reconnaît plus assez en son école.

En pastichant Jean-Paul II, que l’on n’a pourtant pas coutume de citer dans un temple laïque, on pourrait demander : « École, qu’as-tu fait de ta mission ? Qu’as-tu de ta vocation ? Et toi, État, que lui as-tu donné pour accomplir cette mission ? »

L’école peine en effet de plus en plus à jouer son rôle de promotion sociale, à corriger les inégalités sociales et à produire les élites diversifiées dont la nation a besoin. Le constat, pour connu qu’il soit, est accablant. Le système scolaire et universitaire français est l’un des plus sélectifs et ségrégatifs au monde : 30 % des fils ou filles d’ouvriers y accèdent, contre 80 % des enfants de cadres et de catégories socioprofessionnelles supérieures. Cette sélectivité confine au système mandarinal lorsqu’il s’agit de l’accès aux grandes écoles. Ainsi les enfants d’ouvriers et d’employés ne représentaient que 5,5 % des candidats à l’IEP de Paris et 24 % des admis en classe préparatoire.

Dans une étude sur le recrutement de l’élite scolaire, Claude Thélot a montré, que si, entre 1950 et 1990, les inégalités sociales ont été légèrement réduites à l’entrée à l’École polytechnique, elles ont plutôt augmenté pour le recrutement de l’École normale supérieure et de l’ENA. En tout état de cause, une chose est claire, et le rapport la souligne fortement : le mode de sélection des grandes écoles est aujourd’hui tel que les enfants des classes moyennes, populaires, provinciales et colorées en sont de plus en plus exclus.

Cette ségrégation et cette relégation sont ressenties non seulement par les habitants des ZEP ou des REP, mais également en banlieue et en province, et très fortement, outre-mer. Dans les sociétés de plantation postesclavagistes où la terre était symbole de richesse, l’école est prisée car, comme l’exprimait l’écrivain Bertène Juminer, qui a été recteur, l’école est la terre de ceux qui n’ont pas de terre. Or, en soixante ans d’existence de l’ENA, la Guadeloupe n’a produit qu’une dizaine d’énarques.

En plus de deux siècles de Polytechnique, elle n’a produit qu’une vingtaine d’X, une poignée d’ingénieurs des Mines ! Les phénomènes de reproduction et d’héritiers décrits par Bourdieu et par Chambourdon perdurent plus que jamais, doublés d’une coupure entre l’élite parisienne – et celle des grandes villes – et le reste du pays. En deux mots, les grandes écoles et les instituts d’études politiques sont réservés à ce que l’on peut appeler, sans exagération aucune, une caste, une aristocratie originaire des mêmes milieux et des mêmes lieux, et produisant une véritable «  priviligentsia ». Celle-ci compose une sorte de noblesse d’État ou un patriciat qui peuple les états-majors des grandes entreprises. La formation des élites françaises souffre donc d’un excès d’endogamie et d’une trop grande consanguinité sociale.

Quant à ces maux s’ajoute celui du décalage entre la composition socio-ethnique de la population – expression à ne pas prononcer, mais réalité bien concrète – et les diplômés qui sortent des grandes écoles et des établissements assimilés, c’est en années-lumière qu’il conviendrait de mesurer les distances. L’école de la République tend un miroir particulièrement déformant à la société, créant ainsi au sein des minorités une image de soi dévalorisante et un complexe d’infériorité.

Le diplôme ou la qualification étant le sésame suprême lorsqu’il s’agit pour ces concitoyens d’accéder à un emploi, on se heurte aux discriminations ethniques, ouvertes ou insidieuses, par racisme direct ou indirect, particulièrement pour ce qui est des cadres supérieurs du secteur privé. C’est ainsi que seuls 11 % des jeunes d’origine algérienne âgés de vingt-cinq à trente-trois ans et diplômés de l’enseignement supérieur étaient cadres en 1990, contre 46 % des Français de naissance. En revanche, dans une belle étude sur la mobilité sociale dans l’immigration, Emmanuelle Santelli nous apprend que lorsqu’il s’agit d’exercer une profession indépendante, telle que commerçant, artisan ou chef d’entreprise, les jeunes d’origine algérienne réussissent aussi bien que les jeunes d’origine française.

Par ailleurs, il est également avéré que la réussite des enfants d’immigrés est comparable à celle des enfants de deux parents nés en France lorsqu’il s’agit de travailler dans la fonction publique – nonobstant ce qu’on a pu entendre sur les quotas. Il est vrai qu’il y a des places réservées et un nombre limité de postes à pourvoir. Chers collègues, il est intéressant de noter que dans les disciplines où n’existent pas de grandes écoles, là où le monopole de la formation est assuré par l’université ouverte à tous les bacheliers sans distinction et sans procédure de sélection à l’entrée, les enfants d’immigrés ou de l’outre-mer réussissent aussi bien que les autres. Les réussites sont d’ailleurs spectaculaires en droit, en médecine ou dans les professions paramédicales. Ces formations se caractérisent par l’autorecrutement, et, une fois diplômés, les lauréats peuvent fonder leur propre cabinet d’avocat, de médecin ou de dentiste, et le développer selon leur talent. Ici, l’ascenseur social joue pleinement.

Il est donc évident que c’est l’addition de la sélection sociale à l’entrée des grandes écoles et de certains établissements – instituts d’études politiques, universités sélectionnant à l’entrée telle que Dauphine – et du mode de recrutement des cadres du privé qui provoque ces effets fâcheux en termes de reproduction endogamique et de discrimination à l’embauche. La seule manière d’y obvier est d’assurer à tous une plus grande égalité des chances dans le recrutement des grandes écoles et de lutter contre les discriminations ethniques et raciales là où elles se produisent, c’est-à-dire principalement dans l’entreprise privée. Le projet qui est soumis à votre agrément permettrait de régler les deux problèmes par un seul dispositif pour un coût social acceptable. Il faut aller plus loin que les conventions d’éducation prioritaire de Sciences Po – quatre lycées en Guadeloupe en bénéficient – et que les conventions de l'ESSEC avec les lycées de Cergy.

Le système universel, ouvert à tous les lycées publics de la métropole et de l’outre-mer qui est ici proposé, permettrait à un pourcentage des meilleurs élèves de ces lycées d’intégrer automatiquement les classes préparatoires des grandes écoles et des établissements assimilés, ou la première année des universités sélectionnant à l’entrée. Aujourd’hui, chez moi, en Guadeloupe, il n’y a pas plus d’une cinquantaine d’élèves admis en classe préparatoire, pour un effectif de 25 000 élèves. L’adoption de notre projet multiplierait leur nombre par quatre ou cinq et serait de nature à faire vivre concrètement l’égalité républicaine. Un tel vote favoriserait la circulation des élites et la mobilité intergénérationnelle. Ce système a été mis en application au Texas – on l’a dit –, en Floride et en Californie, précisément pour vaincre ce que Guy Geoffroy a dénoncé, c’est-à-dire les difficultés et les effets pervers de l’affirmative action aux Etats-Unis, qui est fondée sur les quotas et la préférence raciale. Nous sommes persuadés que, pour vaincre l’inertie du système, il faut être audacieux tout en respectant les fondamentaux de la République et les promesses de la Déclaration des droits l’homme qui dispose que les distinctions sont faites sur la seule base des vertus et des talents.

La combinaison d’une meilleure territorialisation des recrutements et de la loi des grands nombres donnera immanquablement une élite dont la composition sociale, socio-démographique et socio-ethnique sera plus en congruence avec le caractère multicolore de la société française.

Je vous invite donc, chers collègues, à l’audace. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, dernier orateur inscrit.

M. Bruno Le Roux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite commencer mon propos par deux exemples concrets. Le premier est celui dont parlait M. Lurel : les conventions prioritaires d’éducation qui ont été signées entre sciences-po et trente-trois lycées de zones difficiles, lesquels n’avaient pas ou peu d’élèves qui, auparavant, rentraient dans cette filière. J’en ai deux sur ma circonscription : le lycée Jacques-Feyder et le lycée Auguste-Blanqui. Ces vingt dernières années, c’était quelques élèves de chacun de ces établissements qui intégraient sciences-po. Quelques élèves en vingt ans… Depuis trois ans, c’est vingt élèves qui ont pu, par ce dispositif, y entrer.

Il y a des enseignements à en tirer qui sont absolument flagrants.

D’abord, ces élèves ont montré qu'ils étaient capables de réussir leur scolarité aussi bien que les autres. Il y a eu un effet d’entraînement à l’intérieur de ces lycées qui a été absolument formidable : mobilisation des équipes éducatives et des associations qui développent la solidarité dans la lutte contre l’échec scolaire. On a bien vu que la réussite de certains s’accompagnait d’une montée de la solidarité à l’égard de tous ceux qui étaient en situation d’échec scolaire. Il y a des exemples formidables de réintégration scolaire, même chez ceux qui ne sont pas entrés à Sciences Po, des exemples d’entraide et un nouveau climat de solidarité. J’essaye d’être en relation constante avec les deux proviseurs et d’intervenir dans la formation, dans le moteur de réussite qui fonctionne dans ces établissements.

Qu’on ne se trompe pas, ce n’est pas d’une dévalorisation de l’entrée à Sciences Po dont il est question, mais bien, là où il y a nécessité à introduire un moteur de réussite supplémentaire, d’aider des élèves qui, malgré leurs capacités, normalement n’auraient jamais accédé aux grandes écoles. Et pourquoi n’y entreraient-ils pas ? D’abord, parce que, quand on est dans ces lycées, on n’a tout simplement pas l’idée d’accéder aux grandes écoles. Le dispositif qui nous est proposé aujourd’hui a au moins cette grande vertu que, demain, chaque élève, où que soit son lycée, saura qu'il existe cette possibilité. Il pourra se renseigner sur ce que sont les grandes écoles, décider si c’est la voie qu’il veut privilégier et s’en donner les moyens. L’information est donc primordiale dans ces établissements.

Le second enseignement que je tire de ces conventions, c’est que, à côté de cette information indispensable, il y a nécessité à faire en sorte que les élèves sachent évaluer la prise de risque. Pour beaucoup d’élèves qui sont dans ces lycées, c’est une prise de risque que d’aller dans les grandes écoles, avec la probabilité de ne pas forcément réussir au bout du compte. Il y a véritablement un risque associé à l’entrée dans une grande école. On n’est pas dans des familles où l’échec est permis car il faut réussir à tout prix à travailler et à gagner sa vie. De ce point de vue, des expériences menées dans ces lycées visent à établir des liaisons avec les universités – je pense en particulier, dans ma circonscription, à ce qui se monte entre SupMéca et les lycées, ainsi qu’à l’institut Galilée à Villetaneuse, reconnu pour son savoir-faire – pour que les élèves qui ne réussiront pas dans ces classes préparatoires puissent tout de même emprunter la voie universitaire grâce la validation des acquis.

Cette proposition de loi donne à ces actions menées de façon parcellaire un cadre d’une cohérence redoutable qui favorise l’égalité républicaine en ce sens que chaque élève disposerait, sur tout le territoire, de l’information nécessaire pour accéder aux grandes écoles, et pourrait espérer y entrer selon le critère du mérite. Cela lui permettrait ensuite, selon ses capacités, de réussir une scolarité tout à fait normale et identique à celles des autres élèves de ces grandes écoles.

L’opération que je souhaite évoquer a un lien avec ce dont je viens de parler. J’ai mené, il y a quelques jours, une opération qui s’appelle « Nos quartiers ont des talents ». Constatant que, dans ma circonscription, il y avait en même temps l’arrivée de grandes entreprises, dans la plaine Saint-Denis notamment, et un taux de chômage très fort chez les jeunes, je me suis dit qu’il fallait mettre en relation les jeunes diplômés et ces entreprises. En l’espace d’un mois et demi – nous avions fixé la barre à bac plus quatre –, 200 jeunes diplômés recherchant depuis plus de six mois un emploi et issus du territoire de la circonscription ont rencontré les chefs d’entreprise, et ils leur ont dit que leur CV n’était pas regardé, que leur formation, quoique de qualité, n’était même pas évaluée et qu’il y avait des discriminations terribles.

De ces deux exemples, je tire deux premières conclusions.

D’abord, au cœur de nos quartiers existe une grande aspiration à la réussite par les études et par l’acquisition des meilleures formations.

La seconde conclusion, c’est que nous avons des territoires et des jeunes qui sont confrontés d’abord à toutes les inégalités, ensuite à toutes les discriminations.

De ce point de vue, cette proposition de loi est très concrète dans ses conséquences et très symbolique par le signal d’égalité républicaine qu’elle envoie à tout notre pays. Ces dernières semaines ont montré l’impuissance du Gouvernement à trouver une sortie positive à la crise que connaît la France. Même si j’attends avec impatience les mesures éducatives que devrait annoncer le Premier ministre ce matin, j’ai peur, là encore, d’un saupoudrage car la crise est une véritable crise sociale. Elle est la crise d’identité d’un pays. C’est la crise de la France.

Face à une demande forte, et je le dis ici, légitime, d’ordre public et de sécurité, il nous faut montrer la complexité de ce débat, et, dans le même temps, apporter l’espoir par des propositions concrètes.

M. Guy Geoffroy. Pas un espoir fallacieux !

M. Bruno Le Roux. C’est le sens de notre proposition de loi, qui répond à la demande d’égalité républicaine et qui s’articule autour de l’idée d’un pacte républicain.

Autant, monsieur Geoffroy, j’ai été choqué par la déclaration du président de la commission des affaires sociales nous annonçant, dès l’ouverture de ce débat, qu’il n’y aurait pas de discussion des articles, autant j’ai été rassuré par vos propos,…

M. Jean-Marc Roubaud. Ah, tout de même !

M. Bruno Le Roux. …qui montrent que nous pouvons avoir un débat de qualité, article par article. J’ai pris votre intervention comme la manifestation de la volonté du groupe UMP d’aller jusqu’au bout du débat sur une proposition de loi d’une grande importance. Vous avez au moins donné le signe que nous devons aller au-delà de la discussion générale et, sur un problème de cette importance, débattre article par article de cette proposition. Je vous en félicite et vous en remercie au nom du groupe socialiste. C’est d’ailleurs le seul point de votre intervention avec lequel je suis d’accord. (Rires.)

M. Jean-Marc Roubaud. Ça partait bien, mais…

M. Bruno Le Roux. Désormais, mes chers collègues, les projecteurs sont braqués sur ces territoires qui concentrent toutes les inégalités : taux d'échec scolaire, problèmes de santé publique, logements indécents – Elisabeth Guigou en a parlé –, taux de chômage bien entendu beaucoup plus fort qu'ailleurs, discriminations.

M. Guy Geoffroy. On a l’impression que les socialistes n’ont jamais été au gouvernement !

M. Bruno Le Roux. Alors, prenons les problèmes un par un. Regardons ce qui génère ces inégalités et démolissons-les une à une avec des outils concrets et évaluables. Commençons dès aujourd'hui ce travail en traitant de la question des inégalités face à l'éducation.

Si nous présentons cette proposition de loi, c’est qu’aujourd’hui, un trop grand nombre d’enfants des classes moyennes et populaires sont exclus des grandes écoles. Il s’agit dorénavant de mettre tous les lycées de France sur un pied d’égalité et de faire ainsi respecter un principe essentiel de notre République.

En adoptant ce texte inspiré par les inégalités et les discriminations que nous observons tous les jours, nous enverrions un signe fort. Pourquoi attendre que le Gouvernement se charge de la question ? Cette proposition de loi est cohérente et, bien qu’elle doive s’inscrire dans une politique beaucoup plus large de lutte contre l’échec scolaire, elle se suffit à elle-même pour l’objectif fixé.

Le Parlement aurait grand intérêt à bâtir, éventuellement en accord avec le Gouvernement, une loi qui, tirant les leçons de ce que nous observons quotidiennement dans nos circonscriptions, serait éminemment républicaine, excluant toute stigmatisation, tout zonage, toute discrimination et s’appliquant à tous les lycées de notre territoire.

M. Jean-Marc Roubaud. Ça, ce serait bien !

M. Bruno Le Roux. Cela n’est pas incompatible avec un système d’excellence.

Envoyons ce signe fort à tous les lycéens de notre pays.

M. Victorin Lurel. Tout à fait !

M. Bruno Le Roux. Offrons aux sénateurs, au Parlement dans son ensemble, à tous les groupes la possibilité d’améliorer ce texte par une discussion approfondie au cours des prochaines semaines. Nous enverrions ainsi un signal fort à tous les lycéens de France.

L’expérience menée à Sciences Po a rappelé trois idées simples.

En premier lieu, l’intelligence et la curiosité, la rigueur et l’intensité du travail, la volonté de réussir ne sont l’apanage d’aucune catégorie socio-économique ou socioculturelle.

M. Guy Geoffroy. Ça, c’est vrai !

M. Bruno Le Roux. Elles ne sont pas davantage liées à un mode de vie sur un territoire donné.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Bruno Le Roux. Comme l’a rappelé Richard Descoings dans la présentation de ses conventions d’éducation prioritaires, il est moralement injuste mais aussi socialement dangereux et économiquement absurde de priver la nation, ses entreprises, ses associations ou ses administrations publiques de talents intellectuels et de personnalités fortes et riches par simple paresse dans les recrutements, par dédain social ou par racisme.

Richard Desoings a enfin rappelé que les établissements d’enseignement supérieur en général, et notamment ceux qui prétendent contribuer à la formation des futures élites professionnelles, ont une responsabilité majeure vis-à-vis de la société, qu’il s’agisse de sa cohésion ou de sa prospérité : ils doivent veiller à attirer, accueillir et intégrer tous les talents, d’où qu’ils viennent et quelle que soit la diversité de leur expression.

Oui, mes chers collègues : cette proposition de loi permet bien d’envisager sur tout le territoire de notre République la voie de l’excellence dans un cadre totalement républicain. Nous devons aujourd’hui envoyer ce signe à nos concitoyens et aux collégiens qui s’apprêtent à entrer au lycée.

De telles mesures, toutefois, doivent être complétées par d’autres : comme je peux le constater dans ma circonscription, elles doivent être associées à un véritable plan de lutte contre l’échec scolaire.

M. Guy Geoffroy. Il y a la loi d’orientation !

M. Bruno Le Roux. Il faut aussi mieux organiser l’accompagnement de la réussite scolaire. Je suis particulièrement choqué de voir des entreprises cotées en bourse, comme Acadomia, faire commerce, à des tarifs prohibitifs, de l’envie de réussir, au détriment du lien social et de la solidarité associative dans les quartiers. Menons une réflexion sur les moyens d’aider les entreprises d’économie sociale et les associations qui, dans les quartiers, œuvrent au soutien des élèves en difficulté. Nous devons conjuguer l’excellence et le souci d’offrir à chacun une qualification.

Qualification et accès à l’emploi pour tous ; réussite dans les voies d’excellence pour ceux qui, dans les quartiers, en manifestent l’envie : voilà les piliers de notre République. Raison de plus pour que votre discussion soit menée jusqu’à son terme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement.

M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, la présente proposition de loi qui nous est présentée aborde, chacun en convient, un sujet grave : un sujet qui touche à l’épicentre des problèmes que connaît notre société. Il s’agit tout simplement de la promotion sociale par l’excellence scolaire. Et en l’espèce, de l’accession des élèves issus de ZEP aux classes préparatoires aux grandes écoles.

Que la situation soit aujourd’hui mauvaise, nous en sommes tous d’accord. Répétons sans faux-semblant ce qui a été dit sur l’ensemble des bancs de cette assemblée : la promotion sociale par l’école est en panne dans notre pays. Nous ne pouvons nous satisfaire de constater que les enfants de cadres ont six fois plus de chances d’intégrer une classe préparatoire que les enfants d’ouvriers.

J’ajouterai même deux chiffres, qui décrivent les conséquences ultimes de cette situation : alors que, dans les années cinquante, une promotion de l’ENA, de l’École Polytechnique ou de l’École normale supérieure comprenait environ 25 % d’élèves issus de milieux populaires, elle n’en compte moins de 5 % aujourd’hui.

Voilà pourquoi notre devoir est de redonner un sens à l’« égalité des chances », formule qui aujourd’hui ne correspond plus à la réalité. Voilà qui doit aussi nous faire réfléchir aux résultats des réformes appliquées à notre système scolaire depuis plusieurs décennies.

Face à de tels chiffres, nous devons nous interroger sur les meilleurs moyens d’améliorer la situation.

Or le Gouvernement ne pense pas que la proposition réponde au problème. Décider qu’un pourcentage donné des bacheliers des lycées – fixé par le ministre – aura automatiquement un droit d’accès aux classes préparatoires nous semble en effet mal adapté à la nature spécifique du problème que nous affrontons.

Pour bien me faire comprendre, je veux repartir des faits.

Les classes préparatoires aux grandes écoles – tout comme les établissements sélectifs – recrutent leurs élèves sur la base des performances scolaires. Celles-ci sont évaluées non seulement à partir des résultats au baccalauréat, mais aussi, et en premier lieu, à partir du dossier scolaire. Il est en effet bien clair que les résultats au baccalauréat ne suffisent pas à juger en profondeur des capacités d’un élève à suivre une scolarité en classe préparatoire.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Je dirai même que les résultats du baccalauréat ne sont pas décisifs dans ce processus de recrutement. Recruter sur la seule base du baccalauréat, ce serait faire briller le miroir aux alouettes et conduire les élèves à la noyade !

On peut par ailleurs douter de la pertinence d’une survalorisation de l’examen final, qui ferait du baccalauréat un concours d’accès. On sait bien que les qualités nécessaires à la réussite dans l’enseignement supérieur, et particulièrement en classe préparatoire, sont d’abord la motivation des élèves et leurs capacités à s’investir totalement dans un travail scolaire très intense.

J’ajoute qu’il faut être réaliste : dans certains lycées, le pourcentage de 6 % ne garantirait pas un recrutement des seuls excellents élèves. Nous ne pouvons pas prendre le risque de conduire des élèves à l’échec assuré et de faire perdre leur caractère d’excellence aux classes préparatoires.

Je souligne enfin le caractère imprécis et flou de la proposition : quelles sont les filières concernées ? L’ensemble des filières recrutant au niveau du bac par sélection – IUT, STS, formations de santé, secteur social, etc. – ou seulement les classes préparant aux filières dites d’excellence ? De même, monsieur le président du groupe socialiste, la proposition ne peut pas valoir pour l’ensemble des séries du baccalauréat.

Je signale par ailleurs, même si ma réponse porte d’abord sur le fond, que cette mesure n’est pas d’ordre législatif : il n’y a en effet pas de définition législative des « établissements sélectionnant à l’entrée », comme le suppose l’article 1er de votre proposition.

Cela étant dit, je crois, monsieur le rapporteur, que cette proposition de loi a le mérite de soulever un vrai problème. Un problème que le Gouvernement est totalement déterminé à traiter, comme l’a souligné M. Geoffroy.

Mais pour ce faire, il faut s’attaquer aux causes profondes qui font que les lycéens de ZEP accèdent difficilement aux classes préparatoires. Fixer un pourcentage, un quota, ce n’est pas régler le problème, c’est améliorer un chiffre. C’est améliorer la situation en soufflant sur le thermomètre ! Cela revient à dire que puisqu’il est difficile d’entrer en « prépa », il suffit de créer un « droit à la prépa ». C’est une manière d’éviter le vrai problème de fond.

Conjurer l’échec en décrétant le droit à la réussite, ce serait faire une politique de mots, à la surface des choses : une politique qui conduirait à des désillusions très graves.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Je voudrais donc vous dire comment le Gouvernement voit les choses et comment il compte s’attaquer au problème.

La véritable question à poser, monsieur le rapporteur, est la suivante : pourquoi constatons-nous une sous-représentation massive des lycéens de ZEP dans les classes préparatoires ?

M. Jean-Marc Roubaud. Parce que les ZEP ont échoué !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. La réponse est simple : les classes préparatoires et plus généralement l’ensemble des filières sélectives trouvent parmi les lycéens de ZEP moins d’élèves – au vu de leurs performances – capables d’affronter dans de bonnes conditions une scolarité en classes préparatoires.

Cette vérité est douloureuse, mais c’est la vérité. Et l’on ne peut reprocher aux « prépas » de faire leur métier de « prépas ». La solution n’est donc pas de remettre en cause le critère d’excellence qui guide le recrutement. La vraie question, le vrai défi, c’est de faire accéder les jeunes de ZEP au niveau d’excellence requis. Dans ces conditions, on traite le vrai problème de fond.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Que l’entrée en classe préparatoire aux grandes écoles constitue une barrière, c’est indéniable. Voilà justement ce qui fait leur qualité et leur intérêt, mais c’est précisément pour cela qu’il est grave que les élèves de ZEP n’y accèdent pas. Pour rendre l’accès plus large, il ne faut pas supprimer la barrière, mais permettre aux élèves de ZEP de la franchir. Voilà la voie à suivre. Voilà le défi que le Gouvernement relève.

En d’autres termes, le problème se situe en amont. C’est bien à ce niveau que le Gouvernement est décidé à agir. Nous allons proposer de donner des moyens supplémentaires aux bons élèves de lycée, pour qu’ils puissent se hisser au niveau requis.

M. Jean-Marc Ayrault. Ah bon !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Tel est, comme vous le savez, monsieur le président Ayrault, 1’esprit des mesures que nous préparons.

Il ne s’agit pas de faire des concessions sur l’excellence, ni des exceptions aux règles communes : on l’a rappelé, c’est là, d’une certaine manière, l’esprit des politiques de « quotas ». Il s’agit au contraire de porter le plus grand nombre de jeunes possible au niveau de l’excellence, quitte à mettre en place pour cela des moyens particuliers.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. L’équité républicaine, mesdames et messieurs les députés, ne consiste pas à abaisser les barrières pour établir une égalité purement apparente.

M. Jean-Marc Roubaud. Bravo !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Elle consiste à donner plus à ceux qui ont moins, pour leur permettre de franchir la barrière comme les autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Vote sur le passage à la discussion des articles

M. le président. La commission des affaires culturelles, familiales et sociales n’ayant pas présenté de conclusions, l’Assemblée, conformément à l’article 94 alinéa 3 du règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.

Conformément aux dispositions du même article du règlement, si l’Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Manuel Valls, rapporteur. Je me félicite de la qualité de notre discussion. Nous partageons tous, me semble-t-il, le même constat : celui de l’aggravation des inégalités et de cette ségrégation, territoriale, sociale et ethnique, dont l’école, malheureusement, est l’un des reflets.

La proposition de loi que le groupe socialiste défend n’est pas uniquement liée aux événements que notre pays vient de connaître car cette ségrégation, nous le savons bien, fait des ravages depuis de nombreuses années. Si nous considérons qu’elle s’est aggravée au cours des quatre dernières, nous n’en pensons pas moins qu’elle est le résultat de trente ans de différentes politiques publiques, qui n’ont pas été capables de la freiner. Les différentes interventions de ce matin l’ont démontré.

Dans un journal, qui ne nous veut pas que du mal, à nous Français, El Pais, deux articles impressionnants essayaient, récemment, de faire la démonstration de ce que le journaliste appelait, sans exagération, « l’apartheid social français », à partir notamment de ce qui vient de se passer dans nos quartiers mais, d’une manière plus générale, de l’analyse de notre système scolaire qui reproduit les inégalités. Et c’est encore plus vrai au niveau des grandes écoles.

Évidemment, notre proposition s’inscrit dans une vision plus large et la réflexion sur les zones d’éducation prioritaires, sur la sectorisation, la carte scolaire, le soutien aux élèves par le biais de bourses, le travail qui doit être fait dès le plus jeune âge ne sont pas inutiles, bien sûr. Je suis maire d’Évry et, comme beaucoup de mes collègues, sur tous les bancs, j’ai adhéré aux dispositifs de « réussite éducative », prévus dans la loi de cohésion sociale, qui faisaient suite à ceux mis en place par le gouvernement précédent pour promouvoir la « veille éducative ». Car entre ces politiques de la ville ou ces politiques éducatives, il y a souvent une continuité d’action, au-delà des discours tenus dans cet hémicycle.

Mais convenons que ce sont souvent des mesures qui viennent après-coup – M. Morin le disait – pour essayer de traiter les problèmes.

M. Guy Geoffroy. Pas du tout ! La veille éducative est prévue, précisément, pour agir en amont !

M. Manuel Valls, rapporteur. Certes, ces deux dispositifs visaient à le faire très en amont, mais c’est tout notre système éducatif qu’il faut revoir. Je ne suis pas sûr que la loi Fillon permette de régler les problèmes.

M. Guy Geoffroy. Mais si !

M. Manuel Valls, rapporteur. En tout cas, cela ne nous empêche pas d’être d’accord, je le répète, sur le constat, mais aussi sur la conclusion à en tirer : qu’il faut prendre le mal à la racine.

M. le ministre lui-même a reconnu que la question que nous soulevions était une vraie question. Le débat porte, bien sûr, sur la méthode et les propositions. La nôtre ne s’inscrit pas dans une logique de pourcentages ou de quotas.

M. Guy Geoffroy. C’est pourtant ce qui est écrit !

M. Manuel Valls, rapporteur. Au contraire, il s’agit d’obéir à un principe à la fois universel et pragmatique, avec des effets qui seraient, qui plus est, immédiats non seulement en ce que l’accession en classe préparatoire aux grandes écoles s’en trouverait facilitée, mais aussi, et surtout, en ce que cela modifierait très rapidement la vision que les parents ont de la sectorisation ou de la carte scolaire.

Il ne faut, bien sûr, pas mentir car la situation est difficile, mais il faut donner un peu d’espérance. Ne sont pas concernés seulement les élèves de ces zones dites sensibles,…

M. Hervé Morin. Cela vaut aussi pour la province !

M. Manuel Valls, rapporteur. …car toutes les régions métropolitaines et d’outre-mer sont concernées. Dans des lycées de la banlieue parisienne, de différentes régions ou d’outre-mer, il y a des élèves – les différents témoignages l’ont montré ce matin – qui ne savent même pas qu’un jour ils pourraient accéder à une grande école. Ce qui est en cause, ce n’est pas seulement le manque d’information ou la difficulté du travail des enseignants, c’est tout un système : l’ascenseur social est complètement bloqué !

C’est parce que, sur tous les bancs, nous pensons que la situation est difficile, que la ségrégation fait des ravages, qu’elle mine notre pacte républicain, qu’il ne faut pas que nous nous en tenions à des discours généraux, au rappel à des lois plus globales ou d’orientation. Nous devons, aujourd’hui, mettre en œuvre des dispositifs concrets.

C’est un mal bien français que de se référer aux valeurs et aux principes, même s’ils sont en contradiction avec la réalité que nos compatriotes vivent !

M. Hervé Morin. Tout à fait !

M. Manuel Valls, rapporteur. Si nous voulons réellement donner du sens à l’égalité des chances, alors, nous avons besoin, au-delà d’une vision globale, de dispositifs pratiques. Et de ce point de vue, je vous donne mon sentiment : il faut tout essayer ! Certes, il convient de se donner du temps pour évaluer les différentes expérimentations. Mais regardons le sort qui a été réservé aux travaux pratiques encadrés : alors qu’on a mis quatre ans à les installer, on les a supprimés sans véritable évaluation.

M. Guy Geoffroy. C’est faux ! Ils sont évalués en première et ils comptent pour le bac ! Et ils continueront !

M. Manuel Valls, rapporteur. Je prends un autre exemple.

Dans les cours préparatoires des écoles de ma commune, on a mis en place des classes dédoublées pour les matières fondamentales. Elles ont été supprimées, elles aussi, avant même toute véritable évaluation, alors qu’elles commençaient à donner des résultats, j’en ai moi-même fait le constat avec les enseignants.

Il faut multiplier les initiatives comme celles des conventions passées avec Sciences Po, ou les parrainages dans les écoles de commerce, telle l’ESSEC. Patrick Weil, auteur déjà cité, suggère aussi de s’inspirer de l’expérience menée au Texas et en Californie.

M. Guy Geoffroy. Le Dieu américain !

M. Manuel Valls, rapporteur. Vous voyez que le groupe socialiste a l’esprit large !

M. Guy Geoffroy. L’inspiration américaine du PS !

M. Jean-Marc Roubaud. C’est nouveau !

M. Manuel Valls, rapporteur. Je me faisais traiter, l’autre jour, en commission des affaires culturelles, de « stalinien », parce que je proposais la généralisation d’une mesure, alors qu’il s’agit précisément de tourner le dos à la discrimination positive sur des bases ethniques, qui était au cœur de l’action aux États-Unis,…

M. Hervé Morin. Elle ne comportait pas que de mauvaises choses !

M. Manuel Valls, rapporteur. …et a eu en son temps, soulignons-le, des résultats remarquables, et qu’il s’agit de se fonder sur des critères territoriaux et sociaux. Et nous aurions d’autant plus intérêt à le faire en France que, contrairement à celui des États américains, notre système scolaire est unique, et l’on peut penser que l’enseignement qui est dispensé, notamment dans les matières fondamentales, permettra de donner à ces pourcentages toute leur efficacité.

Surtout, et c’est là que réside notre principale divergence de vues, il faut briser cet état de fait – c’est ce qui est le plus choquant et justifie le plus notre proposition – qui veut que certains lycées n’envoient aucun élève en classe préparatoire, quand d’autres établissements y envoient jusqu’à 88 % des leurs ! Ce déterminisme est insupportable. Aucune loi d’orientation, aucun discours, à l’occasion d’une conférence de presse ou à la tribune de cette assemblée, ne permettront de casser ce déterminisme. Car les élites de ce pays se reproduisent. Et si nous considérons tous, aujourd’hui, qu’elles réussissent, alors, nous n’avons rien compris de l’état dans lequel se trouve la France. Les élites n’en sont plus le reflet et c’est la raison de la crise d’identité, de doute et de sens, dont nous souffrons.

M. Jean-Marc Roubaud. Non, c’est parce que vous avez été mauvais !

M. Guy Geoffroy. Ni Jospin, ni Allègre, ni Lang n’y avait pensé !

M. Manuel Valls, rapporteur. Monsieur Geoffroy, si nous en sommes là, s’il y a eu le 21 avril, si la Constitution européenne a été rejetée, si nos banlieues ont flambé, s’il y a une crise de sens, c’est que nous avons tous échoué sur la question fondamentale du pacte républicain. Et vous ne me ferez pas croire que c’est la loi Fillon, dont personne ne parle, qui va remédier à tout ça !

M. Guy Geoffroy. Mais si !

M. Manuel Valls, rapporteur. À preuve, tous les ministres se sont empressés de déclarer qu’il faut la corriger, d’en appeler à une nouvelle loi sur l’égalité des chances et à plus de moyens dans les zones d’éducation prioritaires…

M. Guy Geoffroy. Plus de moyens pour ce qui a échoué ?

M. Manuel Valls, rapporteur. …alors que, dans le même temps, le président de l’UMP nous expliquait qu’il fallait les supprimer. Cela veut bien dire que cette loi ne répond pas à la crise de sens que connaît notre système éducatif. Et il ne sert à rien de s’envoyer à la figure, les uns aux autres, nos échecs, car c’est le pays et la République qui sont en situation d’échec !

Il faut aller au-delà de la discussion générale, M. Geoffroy, lui-même, a d’ailleurs commencé de le faire. Il importe maintenant d’enrichir cette discussion en débattant des articles. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Nous en arrivons aux explications de vote.

La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Marc Ayrault. Je souhaite que l’Assemblée accepte d’entrer dans la discussion des articles et je rejoins Bruno Le Roux : puisque M. Geoffroy a critiqué certains d’entre eux, il s’est situé d’ores et déjà dans une logique d’amendements, car nous ne considérons pas, pour notre part, que notre texte est « à prendre ou à laisser ».

Nous sommes dans le cadre d’une initiative parlementaire, et nous ne pouvons donc traiter que d’un aspect limité d’un problème global, comme vient de le rappeler Manuel Valls. L’ensemble du diagnostic et la liste de nos propositions concrètes, nous les avons exposés longuement – j’étais moi-même intervenu dans ce débat – le 15 février 2005, à l’occasion de l’examen du projet de loi d’orientation sur l’école, dit projet de loi Fillon.

À l’évidence, nous devons reconnaître que, même si notre système éducatif a permis de grandes avancées et de grandes réussites, aujourd’hui, il ne répond plus aux demandes de la société. Les inégalités s’aggravent et l’ascenseur social est en panne. Et l’école est au cœur des réponses à apporter à nos concitoyens, dans cette crise de confiance en la République, qui ne se manifeste pas seulement à travers les événements des banlieues mais qui s’exprime depuis de nombreuses années. On voit bien que les fossés se creusent et que les pratiques d’évitement conduisent à la ghettoïsation de certaines écoles et de certains collèges. C’est une réalité qui continue de s’étendre, de nombreux chercheurs l’ont d’ailleurs diagnostiquée et ont préconisé toute une série de solutions.

Le Gouvernement lui-même avait lancé un processus de concertation à travers la commission Thélot,…

M. Guy Geoffroy. À laquelle vous n’avez pas participé !

M. Jean-Marc Ayrault. …qui a confirmé ce diagnostic et formulé des préconisations qui, malheureusement, pour la plupart, n’ont pas été reprises.

Je n’en donnerai qu’un exemple, parce qu’on le retrouve dans l’actualité.

Le ministre de l’intérieur, subitement transformé en ministre de l’éducation nationale (Exclamations sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire),

M. Jean-Marc Roubaud. Ça vous gêne quand on a des idées !

M. Jean-Marc Ayrault. …la veille de la déclaration du Premier ministre, a fait le procès des zones d’éducation prioritaires et il a même demandé qu’elles déposent leur bilan.

M. Jean-Marc Roubaud. Puisqu’elles ont échoué, il faut en tirer les conséquences !

M. Manuel Valls, rapporteur. Ce n’est pas ce qu’a dit le ministre de l’éducation nationale, monsieur Roubaud !

M. Jean-Marc Ayrault. Ces propos ont blessé des hommes et des femmes qui, chaque jour, dans des situations extrêmement difficiles, se battent pour la réussite des enfants.

M. Jean-Marc Roubaud. Ils échouent de plus en plus !

M. Jean-Marc Ayrault. Ils obtiennent des résultats ! Arrêtez de les insulter, qu’il s’agisse des professeurs ou des autres personnels du service public de l’éducation, des parents d’élèves ou des associations œuvrant dans le domaine périscolaire, ou encore des collectivités locales engagées dans des contrats éducatifs locaux ou, à présent, dans les contrats de réussite éducative que le projet de loi de cohésion sociale a institués.

M. Jean-Marc Roubaud. Emmanuel Valls lui-même a reconnu leur échec !

M. Jean-Marc Ayrault. Prenons garde aux effets de propos aussi brutaux et définitifs que ceux du ministre de l’intérieur.

M. Jean-Marc Roubaud. Vous cautionnez l’échec !

M. Jean-Marc Ayrault. Nous ne prétendons pas que les ZEP aient toutes les qualités et n’aient aucun défaut ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Toutefois les remettre en cause serait une faute politique grave. Vous auriez dû écouter nos propositions lors du débat sur la loi d’orientation relative à l’école, qui ne faisaient que reprendre ce que préconisait la commission Thélot : pas plus de quinze élèves par classe dans les zones d’éducation prioritaires ; éviter le saupoudrage inefficace de crédits ; donner une formation spécifique au traitement de situations difficiles aux professeurs, infirmières, assistantes sociales et psychologues scolaires ;…

M. Jean-Marc Roubaud. C’est bien la tentation à laquelle il faut résister !

M. Jean-Marc Ayrault…. encourager les actions, par une augmentation de crédits ciblés, et non des suppléments de bouts de crédits. Nous proposions 25 % de crédits supplémentaires pour les écoles situées en zone d’éducation prioritaire.

M. Jean-Marc Roubaud. Augmentation des crédits, encore ! Et pour l’échec !

M. Jean-Marc Ayrault. Oui, si l’on faisait tout cela, le découragement, d’un côté, le dénigrement, de l’autre, pourraient disparaître, la situation pourrait profondément changer.

De grâce, ne cassez pas ce qui a commencé à faire reculer les inégalités, même si c’est loin d’être parfait, j’en conviens !

Je suis étonné par vos propos, monsieur le ministre, car vous êtes suffisamment conscient de la gravité de la situation pour ne pas vous contenter d’un discours aussi conformiste et conservateur. À vous entendre, il ne faudrait rien changer…

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Au contraire !

M. Jean-Marc Ayrault.…il ne faudrait faire preuve d’aucune audace pour innover et expérimenter. Vous avez même été jusqu’à caricaturer nos propositions, mais Manuel Valls vous a répondu que nous ne proposions pas un système de quotas.

M. Guy Geoffroy. Que sont donc les pourcentages ?

M. Jean-Marc Ayrault. Le Texas a précisément abandonné le système des quotas ethniques, qui s’est révélé être un échec. Nous avons tenu compte de cette expérience et nous sommes inspirés des travaux du chercheur Patrick Weill pour élaborer notre proposition de loi : nous sommes pour l’expérimentation dans tous les lycées de France et d’outre-mer, comme le préconisent Richard Descoings mais aussi des enseignants qui se sont engagés dans un projet de lycée expérimental. C’est une audace qu’il faut encourager, en utilisant çà et là les meilleures méthodes pédagogiques, celles qui ont fait leurs preuves, car ce n’est pas en tentant de faire bouger la machine tout entière, de manière uniforme, que nous obtiendrons des résultats, mais en encourageant l’initiative de ceux qui veulent faire changer les choses.

M. Jean-Marc Roubaud. Vous avez pourtant fait preuve d’immobilisme !

M. Jean-Marc Ayrault. Je ne comprends pas l’attitude de la majorité. Pour reprendre l’expression de Philippe Mérieux, il est urgent de mettre fin à la « dérive des continents scolaires », et notre proposition va en ce sens.

Pour finir, je vais vous lire le témoignage d’une jeune fille de banlieue : « Il est temps de sortir de cette image de quartiers défavorisés avec des jeunes sûrs, d’entrée de jeu, d’être éliminés de toute course à la réussite. »

M. Maurice Giro. La carte scolaire !

M. Jean-Marc Ayrault. « J’ai souffert de cette image, je ne savais même pas que Sciences Po existait, et j’imaginais encore moins qu’un jour, ce serait mon école. Cela me semblait totalement inaccessible. Je me mettais moi-même des barrières dans la tête. Je me disais que, venant de Seine-Saint-Denis, je ne pourrais jamais accéder à ce type d’institution. Je craignais que mon lycée n’ait un niveau moins élevé. J’ai toujours eu de bons résultats scolaires parce que j’ai toujours travaillé sérieusement. Puis, ce fut le déclic. Même si je n’avais pas été reçue à Sciences Po, j’étais acceptée dans une prépa littéraire. Mon travail avait payé. Tout à coup, je me trouvais sur un pied d’égalité avec les autres, récompensée de mon investissement. »

Notre proposition vise à ce que ces efforts, qui se font dans tous les lycées de France et d’outre-mer, encouragés par des enseignants dévoués, à condition que l’on donne les moyens financiers et les bourses à ceux qui en ont le plus besoin, aboutissent. L’expression d’« ascenseur social » doit se traduire dans les faits, le mot de « République », qui est inscrit sur les murs de chaque école et la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » doivent ne pas être que des mots, mais devenir une réalité.

Nous nous attaquons directement au problème, pas à pas, aujourd’hui à travers cette proposition de loi, et je souhaite que l’Assemblée nationale vote le passage à la discussion des articles. Vous montrerez ainsi, mesdames et messieurs de la majorité, que vous ne faites pas seulement des discours, mais que vous acceptez le dialogue, non seulement avec nous, mais avec toutes celles et ceux que nous représentons et qui attendent un peu d’espoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Morin, pour le groupe UDF.

M. Hervé Morin. Que cette proposition de loi ne soit pas parfaite, j’en conviens, mais il est toujours possible de discuter de tel ou tel élément, de se demander s’il faut prendre en compte les résultats au bac ou l’ensemble du dossier scolaire. En tout cas personne ne peut se satisfaire de la situation actuelle.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Absolument !

M. Hervé Morin. J’ai cru entendre le Président de la République et le Premier ministre expliquer récemment que, sur cette question, nous devions abandonner les schémas qui échouent depuis vingt ou trente ans, parce que nous conservons les mêmes modèles auxquels nous apportons des modifications, sans en changer le fond.

M. Jean-Marc Roubaud. En effet ! Bravo !

M. Hervé Morin. Il faut donc améliorer le système et le transformer, et cela va bien au-delà de la seule proposition de loi du groupe socialiste. Pour autant il ne s’agit pas de transformer la République en une république de quotas où l’on imposerait des pourcentages à chaque lycée, et notre démarche ne doit pas s’adresser aux seules zones d’éducation prioritaires, mais à tous les lycées de France où l’on a le sentiment de ne pas avoir le même horizon qu’à Louis-Le-Grand.

M. Maurice Giro. C’est faux ! Il y a d’excellents lycées en province !

M. Hervé Morin. Vous dites, monsieur le ministre, que ce serait une concession à l’excellence, parce que les élèves de ces lycées n’ont pas le même niveau que ceux des grands lycées parisiens.

M. Maurice Giro. Il n’y a que les Parisiens pour y croire !

M. Hervé Morin.…ou des grandes villes de province. Les universités américaines sont considérées comme les meilleures du monde alors qu’elles accueillent 40 % à 50 % de jeunes issus des minorités. Leur niveau a-t-il pour autant dégringolé ? Au contraire, puisque nos meilleurs étudiants y partent souvent pour y suivre un enseignement…

Pour avancer, il faut se fixer un objectif ambitieux, un nouvel horizon. Il ne suffit pas de décider un quota de 5 % ou 6 %, il faut ensuite mettre en œuvre des politiques d’accompagnement éducatif et familial. Les Américains nous ont en effet montré qu’il ne suffisait pas de s’occuper de l’enfant, mais qu’il fallait aussi tenir compte de sa famille et de son cadre de vie.

Pourquoi ne s’inspire-t-on pas en France des expériences qui ont réussi à l’étranger ? Les Anglais ont, dans certaines villes, mis en œuvre un dispositif qui fonctionne et les Américains ont instauré un système éducatif remettant en cause la politique précédemment menée de discrimination positive.

M. Jean-Marc Roubaud. Ils disposent de crédits plus importants !

M. Hervé Morin. Pour notre part, nous conservons un système éducatif qui n’assure plus l’égalité des chances entre les jeunes de notre pays.

J’ai envie, quant à moi, que les choses bougent. Ce nouvel horizon, Jean-Marc Ayrault l’a parfaitement illustré en citant l’exemple de cette jeune étudiante qui a réussi à Sciences Po. Je suis allé dans un lycée en zone d’éducation prioritaire et je suis allé voir Richard Descoings. Ancien élève de Sciences Po, je peux vous assurer que la physionomie de cet établissement a changé depuis les années quatre-vingts : ce ne sont pas les mêmes enfants. Ces jeunes, qui n’avaient jamais imaginé pouvoir intégrer une école leur permettant d’appartenir à l’élite administrative ou politique, retournent ensuite dans leur lycée d’origine pour expliquer à leurs camarades : « J’ai passé les plus grands concours de la République et j’ai réussi, alors que cela me semblait impossible. Et je suis aussi bon que les enfants issus du milieu de la haute fonction publique et qui vivent dans le VIIe arrondissement de Paris. » Voilà qui permet de faire avancer les choses !

Comme le disait le Premier ministre il y a quinze jours, il faut, sur un tel sujet, sortir des politiques d’affrontement : bloc contre bloc, camp contre camp. Quand le groupe socialiste était majoritaire, jamais une proposition de l’UMP ou de l’UDF n’a trouvé grâce à ses yeux : il l’estimait systématiquement mauvaise.

M. Jean-Marc Roubaud. Alors qu’ils n’en faisaient aucune !

M. Hervé Morin. C’est ce que vous faites aujourd’hui avec cette proposition, qui pourrait être l’une des vôtres. Ce texte peut être amélioré ici, aujourd’hui, ou au Sénat. Le groupe UDF souhaite donc pouvoir passer à la discussion des articles afin d’aboutir, dans les mois qui viennent, à un projet grâce auquel un môme pourra avoir les mêmes chances qu’un autre, qu’il soit issu des milieux les plus défavorisés ou des plus aisés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe UMP.

M. Guy Geoffroy. Si j’ai fait référence à quelques articles de cette proposition de loi, c’était certes pour en montrer les insuffisances, mais également parce que j’espérais obtenir des réponses. Cela n’a pas été le cas, ce qui démontre vos incertitudes sur le critère que constitue le bac et sur le devenir des élèves de lycées professionnels, par exemple. Ce texte n’est qu’une déclaration de principe et tel n’est pas le meilleur moyen d’avancer.

M. Jean-Marc Ayrault. Passons à la discussion des articles !

M. Guy Geoffroy. Par ailleurs, le président Ayrault a mentionné les travaux préparatoires de la commission Thélot. J’estime qu’il n’est guère convenable de la citer, alors que le groupe socialiste avait décidé, avec le plus grand mépris (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) de ne pas y participer, estimant à l’époque qu’elle ne mènerait à rien. Or il n’en a rien été. Cela suffit à prouver que votre proposition n’est qu’une déclaration de principe et que vous tenez surtout à exploiter politiquement des événements récents.

L’idée était généreuse et méritait mieux que l’enlisement que vous avez d’une certaine façon préparé. Le groupe UMP ne souhaite pas que l’on passe à la discussion des articles, car si la question doit être traitée, la méthode utilisée n’est pas conforme à l’intérêt de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. René Dosière. Hypocrite !

M. le président. La parole est à M. François Asensi, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. François Asensi. Sur tous les bancs, nous partageons le même diagnostic : l’école n’assume plus les missions fondamentales que lui assigne la République, c’est-à-dire la promotion de tous les enfants de la République et la sélection des meilleurs. L’école n’offre plus l’égalité des chances à tous les enfants de France. Les élites se reproduisent et on assiste par ailleurs à une sélection féroce et absolue. Jamais depuis 1945, un tel mur n’avait été édifié entre les classes sociales, au point que certains ne parviennent jamais à accéder aux études et aux responsabilités.

L’école joue un rôle fondamental pour promouvoir l’individu et former les citoyens, mais elle n’est plus un outil de libération puisque c’est l’ensemble de la société qui va mal. Il y aura dans notre pays d’autres révoltes et d’autres explosions sociales tant les injustices sont flagrantes.

Que chacun prenne ses responsabilités ! J’ai entendu parler du 21 avril, du référendum du 29 mai et des événements récents, mais c’est toute une population qui a le sentiment d’être laissée pour compte. Il faut se mettre au travail. J’espère que la gauche proposera un véritable projet de transformation sociale en 2007 au lieu de se contenter de mesures d’accompagnement du libéralisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Je mets aux voix le passage à la discussion des articles de la proposition de loi.

(L’Assemblée ayant décidé de ne pas passer à la discussion des articles, la proposition de loi n’est pas adoptée.)

Ordre du jour
des prochaines séances

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 2347, relatif aux parcs nationaux et aux parcs naturels marins :

Rapport, n° 2687, de M. Jean-Pierre Giran, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures.)