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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Troisième séance du mardi 20 décembre 2005

107e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE MME PAULETTE GUINCHARD,
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Paul, pour un rappel au règlement.

M. Christian Paul. Madame la présidente, monsieur le ministre de la culture et de la communication, mes chers collègues, mon intervention concerne l’organisation de nos travaux.

Cet après-midi, à quelques heures de l’ouverture du débat sur le droit d’auteur dans la société de l’information, les lobbies ont pris possession de l’Assemblée nationale. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) En effet, à quelques mètres de notre hémicycle, une opération de promotion commerciale était organisée, à votre initiative, monsieur le ministre, par des plateformes de vente de musique en ligne.

M. Richard Cazenave. Il n’a vraiment rien à dire !

M. Christian Paul. Chacun des parlementaires qui le souhaitait se voyait ainsi remettre une carte prépayée d’une valeur de 9,99 euros pour télécharger une dizaine de morceaux de musique.

M. Patrick Bloche. Nous avons vu cela de nos yeux !

M. Christian Paul. Il était bon, je crois, d’informer l’Assemblée nationale de cette choquante maladresse, et de redire que nous ne travaillons pas sous influence, fût-ce celle de puissants intérêts économiques par ailleurs tout à fait légitimes. Nous souhaitons que le débat qui va s’ouvrir soit marqué par la recherche de l’intérêt général.

Le président de l’Assemblée nationale a mis bon ordre à cela…

Mme Christine Boutin. Il a bien fait !

M. Christian Paul. …après l’intervention du groupe socialiste. C’est donc dans la sérénité que la discussion peut s’engager. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

DROIT D’AUTEUR
dans la société de l’information

Discussion, après déclaration d’urgence,
d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (nos 1206, 2349).

La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, notre rendez-vous d’aujourd’hui, nous le savons tous, est très attendu. Je n’hésite pas à le dire : ce débat est historique. Lorsque nous l’aurons mené à son terme, une dynamique positive et, je l’espère, une vraie réconciliation, en faveur de l’accès à la connaissance, de la création et du rayonnement des œuvres sera pour longtemps lancée.

internet est un espace de liberté et de découverte. Ce texte préserve cette liberté et rend possible une offre nouvelle de diffusion des œuvres artistiques et des idées. Ce texte garantit autant les droits des consommateurs et des internautes que les droits des créateurs. Il tourne le dos aussi bien au manichéisme, à l’obscurantisme, qu’à la démagogie facile. Entre la jungle, la dérégulation ultralibérale, et la geôle comme seul facteur et seul vecteur de prise de conscience et de responsabilité, entre l’anarchie et la tyrannie, entre l’univers virtuel sans entraves et les contraintes des procédures, nous aurons ouvert une troisième voie, observée et attendue comme telle par nos partenaires de l’Union européenne. Mesdames, messieurs les députés, je suis extrêmement fier…

M. Patrick Bloche. Il n’y a pas de quoi !

M. le ministre de la culture et de la communication. …de débattre avec vous de ce projet de loi et de cette offre nouvelle. Seuls les esprits chagrins pourront regretter que des offres nouvelles soient mises à la disposition des uns et des autres, partout dans le pays, et même à l’Assemblée nationale.

M. Christian Paul. On va vous en montrer d’autres !

M. le ministre de la culture et de la communication. Oui, il y a un espace intelligent et humaniste entre l’anarchie et la tyrannie,…

M. Patrick Bloche. C’est ce que disait M. Aillagon !

M. le ministre de la culture et de la communication. …entre l’univers virtuel sans entraves et les contraintes des procédures : celui que nous délimitons dans ce projet. C’est le cas lorsque la liberté de soi va de pair avec le respect de l’autre. C’est le cas de l’espace que je vous invite à ouvrir avec ce texte.

Trois valeurs inspirent notre projet de loi.

La première est l’accès du plus grand nombre à la culture. Dans un monde qui devient numérique, le consommateur doit pouvoir accéder librement à une offre riche et diversifiée. Il doit pouvoir continuer à faire des copies à titre privé. L’existence de la copie privée sera garantie par ce texte. Je suis heureux de corriger ici, devant vous, ce premier exemple de désinformation rampante. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Ce sera la mission d’une nouvelle autorité administrative indépendante, le Collège des médiateurs. Il ne s’agit pas de verrouiller ni de cadenasser, mais de créer les conditions pour que le consommateur puisse profiter de sa liberté sur internet afin d’accéder à une offre culturelle riche et diversifiée.

Car la deuxième valeur fondamentale, c’est la diversité culturelle. C’est une valeur de tous les temps, qui a franchi un nouveau cap en entrant dans le droit international le 20 octobre dernier, grâce à une initiative lancée par le Président de la République française et ayant débouché sur l’adoption, à la quasi-unanimité de la communauté internationale, de la convention de l’UNESCO. Mais cette diversité culturelle suppose d’être concrètement garantie pour n’être pas un leurre, aussi séduisant soit-il.

Troisième élément, le droit d’auteur est fondé sur une valeur qui demeure plus que jamais actuelle dans une société qui doit affronter les défis de l’avenir : celle de la création, celle qui s’enrichit et se nourrit sans cesse de nouvelles œuvres, qui rencontre de nouveaux publics, grâce à la démocratisation de la culture, laquelle est sans doute l’un des plus grands acquis du dernier demi-siècle, grâce à l’essor des industries culturelles. L’avènement de la société de l’information et de l’ère numérique a accentué cette évolution, qui est d’autant plus positive que la vitalité et la liberté des créations de l’esprit sont protégées, dans toute leur diversité.

Le projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, que, au nom du Gouvernement, je soumets aujourd’hui à la représentation nationale, est issu d’un long cheminement. Au-delà de la diversité des points de vue, nécessaire dans une grande démocratie, je souhaiterais que personne n’oublie que ce texte s’enracine dans une longue histoire : de l’âge classique à la Révolution, c’est la conquête progressive, à travers les siècles, d’un droit qui est d’abord une liberté, l’affranchissement d’une tutelle tantôt bienveillante, tantôt pesante, qui plaçait les auteurs à la merci des puissants, auxquels ils devaient attacher leur subsistance et l’exercice de leurs talents, s’ils étaient eux-mêmes dépourvus de fortune. Ainsi, Scarron implorait le roi :

« De toutes vos vertus, si Votre Majesté

M’en voulait donner une

Celle que je requiers, Sire, c’est Charité,

Qui vous est si commune ;

Elle croîtrait en vous en s’étendant sur moi,

Car telle est sa nature.

Faites en donc l’épreuve, ô magnanime roi,

Sur votre créature… »

Autres temps, autre comportement : cette évolution est un bienfait.

À soixante-treize ans, La Fontaine dédie ainsi au jeune duc de Bourgogne, qui n’a que douze ans, le dernier livre de ses Fables : « Il faut que je me contente de travailler sous vos ordres. L’envie de vous plaire me tiendra lieu d’une imagination que les ans ont affaiblie. »

C’est une véritable émancipation, née de l’esprit des Lumières, du combat de Beaumarchais, de la fougue du romantisme, faite de reculs et d’avancées successives. C’est la faillite de Balzac, narrée dans Illusions perdues, face à l’introduction des nouvelles technologies de l’époque dans l’imprimerie, qui entraînera l’avènement d’une nouvelle économie du livre et de la presse au XIXe siècle.

C’est l’énergie de Hugo, dénonçant devant un congrès qui ouvre la voie à la reconnaissance internationale du droit d’auteur ce « sophisme singulier qui serait puéril s’il n’était perfide : la pensée appartient à tous, donc elle ne peut être propriété, donc la propriété littéraire n’existe pas. »

M. Christian Paul. Très beau texte !

M. le ministre de la culture et de la communication. Oui, les soubassements de l’édifice législatif, dont le rapport de votre commission des lois décrit si clairement la genèse, sont profonds.

Pourquoi y a-t-il urgence à légiférer ? Vous rappelez dans votre excellent rapport, monsieur le rapporteur, que l’urgence est d’abord juridique. En effet, ce texte a pour origine une directive européenne,...

M. Patrick Bloche. C’est un prétexte !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...dont vous rappelez la longue élaboration, entre 1997 et 2001, et qui aurait dû être transposée avant le 22 décembre 2002.

M. François Brottes. Et alors ?

M. le ministre de la culture et de la communication. La France n’est pas la seule à ne pas l’avoir fait mais il était grand temps qu’elle le fasse. Il ne vous a pas échappé que le projet de loi a été déposé sur le bureau de votre assemblée par mon prédécesseur. En cette matière comme en d’autres, je me suis attaché à tenir les engagements de la France et, surtout, à appliquer une méthode : la concertation...

M. Patrick Bloche. Laquelle ?

M. le ministre de la culture et de la communication.... et le dialogue.

M. Christian Paul. Personne n’y croit !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ce texte a été soumis à la concertation au sein du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, qui l’a longuement et mûrement examiné. J’ai écouté et entendu les professionnels...

M. Didier Mathus. Les lobbies ! Les puissants !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...qui souhaitent saisir les chances mais redoutent les menaces liées aux nouvelles technologies numériques, et veulent en conséquence faire respecter les règles nécessaires au code de la route sur les nouvelles autoroutes de l’accès aux œuvres, aux savoirs, aux produits culturels. J’ai écouté et entendu les auteurs attachés au respect de leurs droits. J’ai écouté et entendu nos concitoyens de toutes les générations, internautes, consommateurs et amateurs des formidables libertés et des découvertes nouvelles offertes par l’internet.

Mais liberté ne veut pas dire gratuité. C’est pourquoi l’urgence de ce texte est aussi culturelle et politique, et il était nécessaire que la représentation nationale en soit saisie.

Dès mon arrivée rue de Valois, j’ai présenté, au conseil des ministres du 19 mai 2004, un plan d’action, avec trois lignes directrices principales.

Tout d’abord, développer une approche globale pour répondre à ce défi, parce qu’il n’existe malheureusement pas de solution miracle et unique.

Ensuite, créer un équilibre, notamment entre le développement d’un maximum de nouvelles offres légales attractives pour développer l’accès à la culture, et la lutte contre la contrefaçon numérique.

Enfin, ouvrir le dialogue et engager la concertation, décloisonner le monde de la culture et l’univers des nouvelles technologies, les créateurs, les industriels et les consommateurs.

À tous les donneurs de leçons qui n’ont rien fait, je demande, puisqu’il était si facile de réunir les professionnels de l’internet, les créateurs de musique ou de cinéma et les représentants de la diffusion radiophonique ou télévisuelle, pourquoi cela n’a pas été fait auparavant ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Bloche. Ce n’est pas gentil pour Aillagon !

M. le ministre de la culture et de la communication. Après le vote de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, il était urgent de renouer les fils du dialogue, de sortir de la caricature, du cliché, de l’anathème, de l’excommunication.

Je souhaite à cet égard que notre débat permette, dans le respect des convictions des uns et des autres, une clarification des enjeux afin que nos concitoyens comprennent quelles valeurs nous défendons, afin d’éviter que les idées fausses continuent de circuler.

Le dialogue a abouti à la signature d’une charte « musique et internet » le 28 juillet 2004 à l’Olympia, pour sensibiliser les internautes, notamment les jeunes, mettre en place des messages de prévention et développer une offre légale et attractive de musique en ligne.

Parce que l’éducation joue évidemment un rôle primordial, le Gouvernement a tenu à sensibiliser en particulier les collégiens à la civilité de l’internet, et confié au forum des droits sur l’internet la réalisation d’un guide pédagogique sur le téléchargement. François Loos et moi-même allons lancer au mois de janvier prochain une campagne de prévention afin de sensibiliser les citoyens aux dommages liés à la contrefaçon numérique.

Les fournisseurs d’accès à internet ont, depuis la signature de cette charte, et pour répondre également à la demande faite par votre assemblée lors du vote de la loi sur la confiance dans l’économie numérique, largement moralisé leur publicité et développé la sensibilisation de leurs abonnés, avec l’appui de la filière musicale, qui a préparé plusieurs vidéos de sensibilisation.

En ce qui concerne l’offre légale, les producteurs de disques se sont engagés dans une vigoureuse action de numérisation de leurs catalogues. Le Gouvernement a mis en place un baromètre de l’offre musicale en ligne au sein de l’Observatoire de la musique, qui publie régulièrement les chiffres de la disponibilité des titres de musique sur les plates-formes en ligne. Ce baromètre a ainsi montré que l’offre française, y compris les catalogues internationaux habituellement distribués en France, était passée de 300 000 titres fin 2004 à plus de 700 000 titres fin 2005.

Mesdames, messieurs les députés, soyez fiers du travail juridique que vous allez accomplir, des normes que vous allez édicter et qui permettront d’enrichir les catalogues. Nous ne sommes ni des censeurs ni des castrateurs. Grâce à la protection des œuvres et des auteurs, vous allez accroître de manière considérable l’offre garantie aux plus jeunes de nos concitoyens, mais aussi aux aînés, car ne soyons pas caricaturaux sur ce point : ...

M. Didier Mathus. Vous l’êtes un peu !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...nombre de personnes âgées sont aujourd’hui des internautes patentés.

M. Didier Mathus. Absolument.

M. le ministre de la culture et de la communication. La sécurité juridique que nous allons offrir n’est pas, je le répète, castratrice. Au contraire, je suis fier de l’offre élargie qu’elle permettra, et je souhaite que tout le monde, du moins ceux qui auront non pas le courage, mais la lucidité et l’intelligence de soutenir ce projet de loi, le soient également.

M. Patrick Bloche. Merci pour les autres !

M. le ministre de la culture et de la communication. Une campagne de promotion du téléchargement légal a été lancée avec le concours de quatorze artistes en janvier 2005, avec le soutien du ministère, pour faire savoir que la musique est disponible sur des sites et des portails qui respectent les droits des créateurs et des producteurs.

Le Gouvernement a, dans le cadre des orientations de la charte, confié à Antoine Brugidou et Gilles Kahn une mission d’expertise des technologies de filtrage, afin d’aboutir à une offre volontaire d’outils de protection contre la contrefaçon, proposée aux abonnés à internet. Leur rapport, remis le 10 mars, recommande d’expérimenter des outils de protection sur le poste de l’abonné, ainsi que des outils d’observation. Les partenaires travaillent en ce sens.

M. Didier Mathus. C’est la Corée du Nord !

M. le ministre de la culture et de la communication. Parallèlement à ce dialogue entre les professionnels de la musique et de l’internet, j’ai moi-même engagé le dialogue entre les professionnels du cinéma, de la télévision et de l’internet. La concertation que j’ai menée...

M. Christian Paul. Personne ne croit cela !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...avec beaucoup de tranquillité mais aussi de persévérance et d’énergie, a abouti cet après-midi à la signature d’un accord sur le cinéma à la demande. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Cet accord est capital car il permettra à l’offre légale en matière de cinéma de se développer, sans déstabiliser la filière cinématographique.

Mesdames, messieurs de la majorité présidentielle, soyez fiers qu’en l’espace de quelques semaines nous mettions les nouvelles technologies à la disposition de chacun, notamment la TNT, ...

M. Didier Mathus. Grâce à la gauche !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...qui a rendu accessibles depuis quinze jours dix-huit chaînes gratuites, ...

M. Christian Paul. Pas dans la Nièvre !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...même s’il existe encore dans certaines aires géographiques des zones d’ombre qu’une prochaine programmation devrait éliminer.

Grâce à l’intelligence des partenaires, que je remercie – fournisseurs d’accès à internet, milieux du cinéma, monde de la diffusion et de la télévision – nous avons conclu un accord qui est le contraire d’une réduction voire d’un abandon de l’ambition de départ : faire en sorte que la technologie soit au rendez-vous de la diversité culturelle.

M. Bernard Accoyer. Excellent !

M. Christian Paul. Il conviendrait de décoder pour M. Accoyer !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ce dialogue avait aussi pour objectif de proposer une alternative aux poursuites judicaires.

M. Christian Paul. Aux représailles massives, plutôt !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il a débouché sur une proposition d’architecture pour une réponse graduée, dont vous soulignez à juste titre, monsieur le rapporteur, la nécessité : l’idée est de commencer par envoyer des messages d’avertissement, avant de prononcer une sanction adaptée.

Là aussi, ras-le-bol de la caricature !

M. Christian Paul. Et de l’hypocrisie !

M. le ministre de la culture et de la communication. le Gouvernement et la majorité ont pour objectif de faire en sorte que ceux qui découvrent l’accès à la culture et à l’information grâce à internet soient responsabilisés, car les sanctions pénales et judiciaires ne sont pas la priorité les concernant.

M. Patrick Bloche. C’est dans le projet de loi !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ce que nous ne voulons pas,...

M. Patrick Bloche. Liberticide !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...c’est un monde où ceux qui gagnent de l’argent au détriment des internautes ne soient pas pénalisés, et que ces derniers le soient.

Mesdames, messieurs les députés, loin de l’autosatisfaction – beaucoup d’eau devra couler sous les ponts de Paris et de Tours ! –, la réponse graduée que nous proposons tend, ce qui n’est pas facile, à concilier, comme dans chacun des pays de l’Union européenne et dans de nombreux États dans le monde, l’accès des internautes à la création sous toutes ses formes et le respect des auteurs. On ne peut, je le dis avec gravité, dénoncer, d’un côté, le projet de loi, considérant que la gratuité est la panacée (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. Didier Mathus. Personne ne dit cela !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...et que les artistes n’ont pas à être rémunérés,...

M. Patrick Bloche. Mensonge !

M. Christian Paul. Mystification !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...et exiger, d’un autre côté, une grande attention du Gouvernement envers la situation des artistes et des techniciens.

M. Patrick Bloche. Nous voulons que les auteurs soient rémunérés ! Vous le savez très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. J’ai souhaité également que s’engage un dialogue entre les titulaires de droits et le ministère de l’éducation nationale, afin d’autoriser certains usages pédagogiques des œuvres protégées.

J’ai ainsi signé, dès le 14 janvier 2005, une déclaration commune avec le ministre de l’éducation nationale.

M. Dominique Richard. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. Cette déclaration a permis les négociations qui sont en train d’aboutir entre l’éducation nationale et les ayants droit de la musique, du livre, de la presse écrite, des arts plastiques et de l’audiovisuel, afin de permettre un accès à la connaissance, y compris par des modes numériques, sans léser excessivement les détenteurs de droits.

En ce qui concerne les bibliothèques, une mission de concertation entre les bibliothécaires et les éditeurs a été confiée à François Stasse, qui a remis son rapport en juin dernier, formulant plusieurs propositions dont certaines sont très innovantes. Sur ces bases, le ministère a engagé une concertation qui doit se poursuivre.

M. Patrick Bloche. Adoptez plutôt nos amendements !

M. le ministre de la culture et de la communication. L’ensemble de ces actions visent un seul but : développer le maximum de nouvelles offres et de nouveaux usages, dans un cadre respectueux des droits des créateurs.

M. Christian Paul. Quel dogmatisme !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il s’agit bien ici de réhabiliter la démarche contractuelle...

M. Christian Paul. Avec le code pénal ?

M. le ministre de la culture et de la communication. ...et de faire du droit d’auteur un droit qui ouvre des possibilités nouvelles, plus qu’il n’interdit. Néanmoins, il est nécessaire de mettre en place aujourd’hui un cadre juridique propice à l’émergence de ces nouvelles offres et d’orienter vers elles les consommateurs. C’est l’objet principal de ce projet de loi.

Il ne faut pas envisager le droit d’auteur seulement sous son angle technique, celui d’un cadre juridique complexe, du code de la propriété intellectuelle et d’une jurisprudence importante. Il s’agit d’une réglementation qui régit et accompagne aujourd’hui notre vie quotidienne, la vie de tous ceux qui lisent, surfent sur internet, écoutent la radio, regardent la télévision et goûtent chaque jour aux produits de la consommation culturelle.

M. Christian Paul. C’est l’effet 35 heures !

M. le ministre de la culture et de la communication. Nombreux sont nos concitoyens qui s’interrogent aujourd’hui, je le sais, sur ce qu’ils ont le droit de faire, nombreux sont ceux qui succombent aux sirènes qui leur promettent un accès illimité à la culture gratuite. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Richard Cazenave. Quand on parle de démagogie, les voilà qui s’agitent !

M. le ministre de la culture et de la communication. Notre débat aura donc une grande valeur pédagogique. Il tâchera de faire justice de la démagogie, ...

M. Christian Paul. Dans quel monde vivez-vous ?

M. le ministre de la culture et de la communication. ...du leurre de la gratuité...

M. Didier Mathus. Personne ne la défend !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...et des fausses bonnes idées, de déjouer les craintes infondées et de construire des réponses adaptées à l’évolution rapide des techniques. Car l’urgence est aussi technologique. Cette accélération doit permettre aux créateurs de vivre de leur propre travail.

Chacun peut comprendre que le travail des créateurs doit être rémunéré...

M. Patrick Bloche. Absolument !

M. le ministre de la culture et de la communication. ...et ne peut pas être durablement gratuit, et qu’il est juste que ceux qui bénéficient de ce travail le rémunèrent.

La gratuité totale de la culture sur internet est un leurre.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est vrai.

M. le ministre de la culture et de la communication. La rémunération des créateurs est non seulement légitime mais également nécessaire pour préserver le renouvellement de la création et de la diversité culturelle.

M. Christian Paul. Quel truisme !

M. Patrick Bloche. Vous enfoncez des portes ouvertes !

M. le ministre de la culture et de la communication. J’espère que ce principe est soutenu par chacun.

Mme Christine Boutin. Nous sommes tous d’accord !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ne pas rémunérer la création ou la rémunérer forfaitairement, c’est l’assécher, c’est favoriser la concentration en décourageant la prise de risque. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

La gratuité est un leurre difficile et délicat parce que dans la dialectique du rêve, du sentiment, de l’accessibilité infinie au marché mondial, c’est un rêve que chacun peut légitimement avoir. Et en disant cela, je pense avec émotion – ce n’est pas un mot fin – à tous les jeunes créateurs, à tous les premiers talents, quel que soit leur domaine d’expression artistique, où qu’ils se situent dans le monde, et qui se disent que, pour eux, internet est une chance qui leur offre la capacité d’avoir un rayonnement mondial.

M. Patrick Bloche. Comme les annexes VIII et X sont une chance !

M. le ministre de la culture et de la communication. Qu’on ne se méprenne pas : nul doute qu’internet peut être une chance formidable, en particulier pour les jeunes talents. Encore faut-il ne pas y être noyé, mais repéré, détecté, reconnu. Le risque de concentration autour de quelques artistes reconnus et de quelques œuvres reste réel et peut même s’amplifier. Une juste distinction doit s’opérer entre la promotion et la découverte librement consentie des talents et le pillage subi de leur œuvre.

M. Christian Paul. Quelle caricature !

M. le ministre de la culture et de la communication. Qu’on ne s’y trompe pas d’ailleurs : internet ne détournera pas le public, et c’est heureux, de la magie du spectacle vivant, du livre, du cinéma en salle. Il peut et doit mieux les faire connaître à tous les publics, en particulier aux plus jeunes de nos concitoyens. Cela passe aussi à l’évidence par l’amplification des actions d’éducation à l’image. La perspective d’une diffusion immédiatement mondiale crée parfois de faux espoirs, voire des illusions dangereuses. Le rêve, pour un jeune artiste, est évidemment la rencontre avec le public, avec son public.

L’urgence est donc aussi économique. C’est le modèle économique de la création qui est en jeu. C’est la prise de risque et l’investissement, tant financier que personnel, sans lequel il n’y a pas de création, c’est-à-dire pas de diversité culturelle et pas d’emplois dans ce secteur qui est un vivier d’activités. L’urgence est donc aussi sociale.

Pour répondre à ces urgences, le texte que je vous présente aujourd’hui est un texte d’équilibre. La propriété littéraire et artistique ne couvre pas les idées mais leur expression. Elle n’a qu’une durée limitée dans le temps et peut faire l’objet d’exceptions, notamment pour l’usage privé, qui reste garanti. Car la révolution numérique ouvre des perspectives extraordinaires de développement de nouvelles pratiques, de nouveaux chemins d’accès à la culture. L’innovation dans ce domaine est permanente et les nouvelles offres foisonnent. Je pense à la télévision numérique terrestre, entrée dans un million de foyers, au câble numérique, à l’ADSL, aux nouveaux services audiovisuels, aux premières expérimentations de vidéo à la demande.

Je pense aussi à l’accélération voulue et mise en œuvre par le Gouvernement de la couverture de l’internet à haut débit. Il est clair que le développement de la mobilité dans tous les domaines crée des chances nouvelles d’accès à la culture pour tous, bien au-delà des usines de rêve qu’imaginait Malraux lorsqu’il créa le ministère de la culture.

Je pense enfin au développement de nouvelles offres de téléchargement de musique qui ont explosé à partir de l’été 2004. Ce sont ainsi plus d’une vingtaine de plateformes légales qui sont désormais accessibles.

M. Didier Mathus. Elles ont déjà fait leur promotion, ce n’est pas la peine de continuer !

M. le ministre de la culture et de la communication. Elles offrent au public un catalogue allant de 700 000 à plus de 1,5 million de titres, dans des conditions attractives.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est trop cher !

M. le ministre de la culture et de la communication. En effet, le prix d’un titre est fixé à 0,99 euro contre 4,10 euros en moyenne pour un single deux titres et à 9,99 euros contre 13,60 euros en moyenne pour un album.

M. Patrick Bloche. Merci pour le VRP de service !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ces offres rencontrent un véritable succès puisque le nombre de téléchargements a augmenté de 260 % entre le premier semestre 2004 et 2005 sur les quatre principaux marchés mondiaux.

M. Didier Mathus. C’est normal : il n’y en avait pas avant !

M. le ministre de la culture et de la communication. Des offres innovantes se développent, de nouveaux modèles économiques se créent. Ces offres nouvelles ne cessent de s’enrichir et de se diversifier. De nouvelles plateformes pour le cinéma et l’audiovisuel se mettent actuellement en place.

Sur ces sujets, je veux récuser toute idée de forfaitisation de la rémunération des créateurs. Il s’agit, vous l’aurez compris, je pense, de la licence globale, ou de la licence légale. C’est une fausse bonne idée, qui consiste pour le consommateur à renchérir, quelle que soit sa consommation effective, le coût de son abonnement. Elle appauvrit le créateur à son corps défendant, en le rémunérant sans tenir compte de l’exploitation et du succès de son œuvre.

M. Jean Dionis du Séjour. Eh oui !

M. le ministre de la culture et de la communication. Si certains distributeurs veulent créer des offres forfaitaires, c’est à eux d’assumer les risques de cette forfaitisation, en aucun cas aux créateurs, comme vous en avez d’ailleurs et justement décidé en 2001, à propos des formules d’accès au cinéma permettant des entrées multiples.

J’ai souhaité avec mon collègue chargé du travail que s’engage un dialogue entre les artistes interprètes et les éditeurs de phonogrammes, afin que la rémunération des œuvres et de toutes leurs utilisations puisse être garantie par un accord collectif.

M. Didier Mathus. 5% !

M. le ministre de la culture et de la communication. L’émergence des nouvelles offres légales dans un contexte régulé est au cœur de notre projet de loi.

Ce texte a pour objet d’apporter des réponses à ce paradoxe : jamais l’accès à la culture n’aura été aussi facile et aussi large, et jamais la création n’aura été aussi menacée. C’est dire qu’il s’agit non seulement de nos capacités de rêver et d’inventer des espaces imaginaires en interrogeant le réel, mais aussi de nos emplois, de notre rayonnement, du message que nous adressons au monde, de notre attitude collective face à l’avenir.

La grande différence entre l’univers analogique et l’univers numérique, c’est qu’il est possible de fabriquer un très grand nombre d’ originaux. Il fallait trouver les réponses adéquates permettant de préserver l’exception pour copie privée sans alimenter pour autant la contrefaçon, qui n’est rien d’autre que du vol.

L’efficacité des nouveaux systèmes d’échanges de fichiers est formidable. Quand ces systèmes sont les vecteurs de la contrefaçon, leur efficacité est redoutable.

M. Didier Mathus. Comme dirait Pascal Nègre !

M. le ministre de la culture et de la communication. Utilisant généralement les technologies « pair-à-pair », ils permettent d’accéder à de nombreuses œuvres, dans une qualité souvent identique à l’original. L’illusion de la gratuité conduit désormais une partie des consommateurs à considérer que toute offre payante est trop chère, elle oblige les industries culturelles à s’engager dans une spirale de baisse des prix qui leur permet de limiter la baisse des ventes en volume, au prix de la baisse de leur chiffre d’affaires, c’est-à-dire in fine des ressources dont elles disposent pour investir dans la création et les nouveaux talents. Un cercle vicieux pourrait s’engager, ce manque de création nouvelle risquant d’entraîner une désaffection du public. Nul doute que le marché régulera progressivement un certain nombre de chiffres aujourd’hui constatés.

Il s’agit de créer les conditions économiques permettant au marché de déterminer un prix attractif pour le consommateur et suffisant pour le créateur. Tel est le rôle régulateur du législateur.

Oui, il était urgent d’agir. Et de légiférer.

Ce projet poursuit quatre objectifs principaux. Il mettra d’abord en place un certain nombre d’exceptions nouvelles. Il régulera et protégera les mesures techniques de protection, qui permettent aux titulaires de droits de mettre en ligne en toute confiance leurs œuvres dans le cadre de nouvelles offres. Il apportera, grâce aux amendements que le Gouvernement a déposés, de nouveaux dispositifs permettant d’inciter les consommateurs et les éditeurs de logiciels pair à pair à rentrer dans la légalité. Enfin, il réhabilite le statut d’auteur des agents publics et apporte une amélioration au contrôle des statuts des sociétés de perception et de répartition des droits par le ministère de la culture et de la communication.

La directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information avait d’abord pour objet de créer une seule exception obligatoire, visant à permettre les copies techniques nécessaires à la transmission des œuvres sur les réseaux de communication. Elle avait pour objet non d’harmoniser toutes les exceptions en Europe, puisque celles-ci n’étaient que facultatives, mais d’harmoniser les contours des exceptions qui existaient déjà dans les différents pays.

Le Gouvernement a souhaité maintenir l’équilibre existant en droit français, sans créer d’exceptions supplémentaires. Il a cependant voulu une mesure en faveur des personnes handicapées dont l’intégration et l’égalité des droits et des chances sont une priorité du Gouvernement et l’un des trois grands chantiers du quinquennat. Une exception a ainsi été prévue, pour permettre à des organismes agréés, comme des associations ou des bibliothèques, de produire des transcriptions dans des formats adaptés comme le braille, ou même de transmettre sur les réseaux des œuvres numérisées, pour les rendre accessibles sur des terminaux électroniques adaptés.

Le Gouvernement a également souhaité moderniser le dépôt légal. Le dépôt légal, c’est la conservation de notre mémoire collective, c’est un témoignage pour les générations futures mais c’est aussi une ressource extraordinaire pour nos chercheurs et nos historiens.

Le projet de loi crée ainsi le dépôt légal de la toile. internet devient en effet un espace majeur d’information et d’échange, mais ce patrimoine est mouvant et éphémère. Le projet met donc en place une nouvelle forme de dépôt légal, qui se fera sur internet par la collecte des sites. De nombreuses expérimentations ont déjà été menées par l’Institut national de l’audiovisuel et la Bibliothèque nationale de France, qui sont désormais prêts.

Ce projet modernise également le dépôt légal pour permettre la numérisation des œuvres déposées et leur consultation sur un réseau local. Cela permettra d’alléger considérablement les tâches de manipulation et de faciliter l’accès des chercheurs à ce patrimoine inestimable.

En ce qui concerne les mesures techniques de protection, il convient de dissiper quelques malentendus pour éviter la caricature et traiter comme il se doit ce problème important.

Ce projet ne crée pas les mesures techniques qui existent notamment depuis vingt ans sur les cassettes vidéo et depuis dix ans sur les DVD. Ces mesures techniques ne sont pas des mesures de verrouillage des œuvres et de la copie. En intégrant aujourd’hui des systèmes de gestion des droits, elles permettent au contraire l’émergence de nouvelles offres et de nouveaux modèles économiques.

Entre ceux qui souhaitent la disparition de la copie privée et ceux qui veulent la dévoyer dans une copie sans limite, je veux maintenir un équilibre, pour conserver une vraie copie privée et sa légitime contrepartie qu’est la rémunération pour copie privée.

M. Jean Dionis du Séjour. Absolument ! C’est très centriste !

M. Patrice Martin-Lalande. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. Dans ce texte, la copie privée est préservée, elle est tout simplement adaptée à l’univers numérique, qui permet de fabriquer un très grand nombre d’originaux. J’espère que ce rappel sera entendu partout.

M. Patrick Bloche. Il faut changer le projet de loi, alors !

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est la raison fondamentale pour laquelle le projet de loi instaure un Collège de médiateurs, autorité administrative indépendante spécialisée, chargée de réguler les mesures techniques et de mesurer leur conformité avec les exceptions légales. Cette régulation doit permettre à tous de continuer à bénéficier de l’exception pour copie privée.

Ce Collège des médiateurs constitue une garantie formidable pour les consommateurs puisqu’il pourra être saisi par eux ou leurs associations de tout litige concernant une mesure technique qui serait excessivement confiscatoire du bénéfice de l’exception pour copie privée, dont je rappelle qu’elle concerne le cercle de famille. Quiconque dans notre pays, grâce à internet, aura aimé une musique, un film, pourra dans son univers proche continuer à le transmettre. C’est garanti par le projet de loi.

M. Patrick Bloche. C’est faux !

M. Didier Mathus. C’est le contraire !

M. le ministre de la culture et de la communication. Je le répète, même si cela vous dérange, c’est une garantie.

M. Didier Mathus. Ne dites pas de bêtises, vous vendez le net à Microsoft !

M. le ministre de la culture et de la communication. Afin d’éviter que certains spécialistes du piratage puissent contourner les mesures techniques, le projet de loi crée une sanction contre le contournement, qui ne vise pas les consommateurs de bonne foi. Là aussi, il ne faut pas tout confondre et faire naître artificiellement de fausses peurs : le consommateur qui, en téléchargeant une œuvre, découvre, grâce à la réponse graduée, qu’en fait il ne respecte pas la loi, sera informé, il sera prévenu. Ceux que nous avons comme objectif, le cas échéant, de sanctionner, ce ne sont pas les consommateurs de bonne foi. Alors, qu’on arrête de dire que ce projet de loi organise la sanction pénale pour les jeunes internautes. C’est de la désinformation.

M. Didier Mathus. Non !

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est le contraire même de l’esprit de ce projet de loi.

M. Didier Mathus. Changez de projet de loi, alors.

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est pour cela que nous avons inventé cette nouvelle solution.

M. Patrick Bloche. Vous voulez nous envoyer en tôle, c’est ça !

M. le ministre de la culture et de la communication. Surtout, ce texte crée une sanction contre la fourniture de moyens destinés à faciliter le contournement, afin d’éviter la création de ce genre d’activités, qui créent des profits en incitant leurs clients à enfreindre la loi.

Ces dispositions n’ont pas pour autant, méfions-nous des amalgames, pour objet de créer un dispositif d’agrément des logiciels de lecture ou de remettre en cause des exceptions existantes, comme la décompilation, qui bénéficie notamment aux logiciels libres.

En ce qui concerne le logiciel libre, je veux apporter de la clarté là où d’autres se complaisent dans les confusions et les raccourcis abusifs. Un certain nombre d’entre vous se sont exprimés avec beaucoup d’authenticité sur cette question, je souhaite leur répondre.

Je veux que le projet de loi permette d’éviter les monopoles indus. C’est pourquoi je déposerai, au nom du Gouvernement, un amendement qui permettra d’assurer le respect du droit de la concurrence aux fournisseurs des mesures techniques de protection. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Le projet contient d’ailleurs une disposition particulièrement novatrice, destinée à faciliter là aussi une valeur à laquelle beaucoup d’entre vous sont attachés, l’interopérabilité.

M. Dominique Richard. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il favorisera l’accès à des licences croisées qui permettront de rendre compatibles les plateformes d’offre en ligne et les lecteurs.

Notre projet est un projet d’ouverture. Ce n’est d’aucune manière un projet de cloisonnement, et nous veillerons, ligne par ligne, article par article, à faire en sorte que juridiquement ce soit possible.

Cette disposition – soyons-en fiers – va au-delà de la directive européenne. Elle permet d’éviter le cloisonnement de l’offre, qui serait un non-sens industriel. C’est un point fondamental pour les consommateurs que nous sommes tous, et cette interopérabilité est par ailleurs indispensable au marché.

Ces mesures techniques sont également utiles pour limiter la contrefaçon « à la source », mais elles ne sont cependant pas suffisantes. En effet, il se trouvera toujours un spécialiste ou une équipe assez compétents pour contourner les mesures techniques, obtenir un exemplaire non protégé de l’œuvre et le diffuser à grande vitesse sur les nouveaux réseaux à haut débit, notamment sur des systèmes pair à pair. Or ces systèmes touchent de plus en plus le grand public, et il est donc indispensable de mettre en place des moyens d’action et de prévention efficaces à l’égard de ceux au sein du grand public qui échangent des œuvres de façon illicite sur des systèmes pair à pair. C’est l’objectif du mécanisme de réponse graduée.

M. Didier Mathus. Tous en taule !

M. le ministre de la culture et de la communication. Vous auriez aimé que ce gouvernement et cette majorité en restent à l’alternative entre la dérégulation ultralibérale, le marché, d’un côté, et la sanction pénale et la prison, de l’autre ! Mais, si vous ne votez pas ce texte, vous ne voterez pas pour une solution qui apparaît comme novatrice aujourd’hui, au sein de l’Union européenne.

M. Patrick Bloche. Acceptez nos amendements, c’est ça l’innovation !

M. le ministre de la culture et de la communication. De ce point de vue, la majorité présidentielle pourra être particulièrement fière d’avoir été novatrice et d’avoir trouvé une solution d’équilibre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Bloche. Vous êtes à la solde des majors !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le Gouvernement a souhaité insérer par amendement dans ce projet de loi ce dispositif de réponse graduée.

M. Patrick Bloche. Avec des amendements déposés au dernier moment ! C’est honteux !

M. Christian Paul. Vous appelez ça de la concertation ? Les lobbies avaient les amendements avant le Parlement !

M. Pascal Terrasse. Vous bafouez le Parlement !

M. le ministre de la culture et de la communication. L’objectif premier de ces amendements est la prévention, l’information, donc la responsabilisation. Ils respectent pleinement les libertés individuelles et présentent le maximum de garanties au regard des droits de la défense des internautes. En effet, les internautes recevront préalablement une mise en demeure, par courrier électronique ou par lettre recommandée, qui devra les inciter à cesser les actes de contrefaçon ou à éliminer les éventuels virus permettant à un fraudeur d’utiliser leur matériel. Ce n’est que s’ils ne tiennent pas compte de ces mises en demeure, qu’ils seront, après une procédure contradictoire écrite, passibles d’une sanction financière, dont le prononcé sera à l’appréciation du Collège des médiateurs.

II est également nécessaire – et c’est une garantie – de préciser que les dispositifs de recherche d’infractions resteront soumis à l’autorisation de la CNIL, qui veille à leur proportionnalité pour éviter une surveillance trop large par rapport à la finalité du traitement.

M. Patrick Bloche. Votre objectif est de contourner la CNIL !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ce dispositif permet d’atteindre un équilibre entre la dépénalisation de la contrefaçon numérique et la création de nouveaux mécanismes répressifs. En effet, il préserve les capacités d’action en justice des titulaires de droits pour les cas graves, tout en mettant un place un dispositif équilibré, donnant toute sa place à une prévention personnalisée. Toutes les garanties quant à la confidentialité des informations nominatives ont été prises à cet égard, en liaison étroite avec la chancellerie et la Commission nationale pour l’informatique et les libertés.

Il doit par ailleurs être complété par une action en amont, notamment à l’égard des éditeurs de logiciels d’échanges illicites d’œuvres protégées. Il s’agit d’abord de lutter contre l’incitation à la contrefaçon, car certains éditeurs de ces logiciels font bien souvent des profits en promettant l’accès gratuit à la culture et trompent leurs utilisateurs, qui risquent, eux, d’être la cible de poursuites judiciaires. Cette incitation à la contrefaçon va également à l’encontre de tous les efforts de sensibilisation réalisés par le Gouvernement et les professionnels. Là encore, il faut éviter la caricature : en aucun cas il ne s’agit de condamner la technologie pair à pair, qui ouvre des perspectives très importantes pour la culture. Au contraire, il s’agit plutôt de favoriser l’émergence d’offres légales utilisant cette technologie, comme cela commence à être le cas outre-Atlantique.

Il faut aussi, bien sûr, responsabiliser les éditeurs de logiciels lorsqu’il est manifeste que ceux-ci sont massivement utilisés pour l’échange illicite d’œuvres protégées, pour qu’ils mettent en place les mesures utiles, conformes à l’état de l’art, permettant d’éviter ces usages illicites. Ces mesures pourront notamment être des mesures d’identification des œuvres concernées, mais il ne s’agit en aucun cas pour la loi d’imposer une technologie particulière.

Ce projet de loi nous offre enfin l’occasion de transposer, également dans l’urgence, une autre directive européenne touchant au droit d’auteur, la directive relative au droit de suite. Nous avons en effet jusqu’au 31 décembre 2005 pour ce faire, et vous savez ce qu’il en est de l’encombrement de l’ordre du jour du Parlement.

Le droit de suite est un pourcentage versé aux artistes plasticiens et à leurs héritiers lors de chacune des reventes successives de leurs œuvres sur le marché. En France, ce droit, qui existe depuis 1920, est de 3 % mais n’est, dans les faits, appliqué qu’aux ventes publiques aux enchères.

Une majorité de pays de l’Union européenne, dont l’Allemagne, l’Espagne ou la Pologne, appliquent aussi un droit de suite. Parmi les exceptions, il y a celle, notable, du Royaume-Uni, place largement dominante sur le marché de l’art contemporain.

La directive européenne du 27 septembre 2001 harmonise le droit de suite et les taux applicables à l’ensemble des pays de l’Union. C’est une bonne chose, compte tenu de la concurrence que se livrent Paris et Londres sur le marché européen. L’harmonisation évite les délocalisations, ce qui, pour le rayonnement artistique de notre propre pays, est évidemment une très bonne chose. C’est la raison pour laquelle je la pense nécessaire.

Cette directive permettra de ce point de vue à nos professionnels de travailler dans des conditions de concurrence égales par rapport à Londres et au reste du marché intérieur, quand elle aura été mise en œuvre dans tous les États membres.

La directive instaure une dégressivité des taux applicables en fonction du montant de la vente. En outre, et c’est très important, elle plafonne à 12 500 euros le droit susceptible d’être versé pour une œuvre. Ces deux dispositions devraient lever une des causes majeures de délocalisation des ventes vers les places dépourvues de droit de suite, notamment New York.

Je sais que les professionnels restent cependant inquiets des conséquences de la transposition de cette directive. C’est le cas des galeries, qui, de fait, ne se voyaient pas appliquer de droit de suite jusqu’à présent, mais qui, depuis plusieurs années, cotisent en contrepartie au régime de sécurité sociale des artistes. C’est aussi le cas des sociétés de ventes volontaires, qui, par application des taux prévus par la directive européenne, vont voir le droit de suite augmenter de l’ordre d’un quart.

C’est pourquoi, comme me l’a demandé le Premier ministre lors de son discours prononcé à la FIAC, le Gouvernement fera en sorte que le décret d’application pris en Conseil d’État permette une transposition aussi proche que possible des conditions dont bénéficieront les Britanniques. Il n’y aura donc pas une ligne de cette transposition qui pourra contribuer à un exode du marché de l’art de Paris vers Londres. Le rétablissement de l’égalité est une chose très importante pour nos artistes.

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ainsi, le futur décret devra fixer les conditions dans lesquelles les galeries françaises pourront bénéficier du même délai d’adaptation que les galeries britanniques. En effet, les États membres qui n’appliquaient pas le droit de suite ont obtenu de pouvoir, par dérogation, dispenser les ventes d’œuvres d’artistes décédés de tout droit de suite jusqu’en 2010, voire 2012. C’est l’option que semble devoir prendre le Royaume-Uni. Or, je l’ai rappelé, la France applique un droit de suite depuis 1920, mais pas aux ventes des galeries. Le risque est donc de créer artificiellement pendant 4 à 6 ans une dégradation des termes de la concurrence au détriment des galeries françaises, vis-à-vis de leurs homologues, notamment britanniques. Le Gouvernement sera donc vigilant sur ce point.

Le même décret fixera le seuil de prix de vente à partir duquel les ventes sont soumises au droit de suite, seuil que les représentants des artistes souhaitent aussi proche que possible du seuil actuel, très bas – 15 euros –, et que les professionnels souhaitent aussi proche que possible du maximum prévu par la directive – 3 000 euros. Mon intention est de fixer ce seuil à 1 000 euros, afin de mettre la France au même niveau que nos plus proches concurrents, la Belgique et le Royaume-Uni. Le relèvement de ce seuil à 1 000 euros aura pour effet d’alléger considérablement les formalités administratives qui pèsent actuellement sur les galeries et les sociétés de vente. Je souhaite ainsi que le temps gagné pour les intermédiaires du marché compense l’accroissement du droit de suite qu’entraîne la directive. Je souhaite aussi que ce seuil plus élevé permette également de ne pas dissuader les intermédiaires de vendre des œuvres dont le coût unitaire est limité. De fait, le temps passé sur les formalités nécessaires au droit de suite coûte parfois plus cher que le montant du droit de suite lui-même ! Cela nuit à l’évidence à la fluidité du marché et aux intérêts des artistes comme des professionnels.

Permettez-moi enfin d’attirer votre attention sur un rendez-vous important. La directive prévoit que la Commission européenne présentera avant le 1er janvier 2009 un rapport sur l’application et les effets de la directive, notamment du point de vue de la compétitivité du marché européen. Ce rendez-vous sera l’occasion de s’interroger de nouveau sur l’opportunité en termes économiques de ce droit qui est et reste, je tiens à le rappeler, un droit d’auteur.

C’est parce que le droit de suite est un droit d’auteur que la France a été à l’origine de cette directive. Et c’est parce que la France est attachée au droit d’auteur que le Gouvernement sera attentif à ce que tous les États membres transposent cette directive dans les délais convenus.

Je tiens enfin à rendre hommage au travail remarquable de votre commission, tant sur le droit d’auteur et les droits voisins que sur le droit de suite, pour lequel elle a dû travailler dans l’extrême urgence.

Dans l’ensemble, ce projet de loi n’a d’autre objectif que de concilier la pérennité de la création et l’accès le plus large à la culture, qui est à la fois l’un des grands acquis et l’un des plus grands défis de notre temps. Il nous revient de faire en sorte que, dans notre société numérique, les technologies faites pour le progrès des hommes permettent également d’assurer le développement durable et la diversité des œuvres de l’esprit, qui sont aussi essentielles à son avenir que ceux de son environnement naturel. C’est là une des missions les plus nobles du législateur. Puissiez-vous faire en sorte que, comme l’a déclaré récemment l’historien Roger Chartier, le droit d’auteur ne soit pas qu’une parenthèse dans notre histoire. Tel sera, mesdames, messieurs les députés, le sens ultime de votre vote sur le projet de loi que j’ai l’honneur de vous soumettre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le texte qui nous est proposé aujourd’hui est un texte modeste : la transposition – tardive, d’ailleurs – d’une directive européenne. En effet, cette directive sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information date du 22 mai 2001, et la France a déjà été condamnée pour manquement une première fois, le 27 janvier 2005, par la Cour de Justice des Communautés européennes, puis à nouveau, en juillet dernier. C’est pourquoi il y a lieu de se réjouir que l’urgence ait été déclarée.

A la transposition de cette directive ont été ajoutées quelques mesures concernant le droit des auteurs membres de la fonction publique, le fonctionnement des sociétés de perception et de répartition des droits d’auteurs et de droits voisins, le dépôt légal et, bien sûr, des dispositions propres aux collectivités d’outre-mer.

Mais la modestie du texte ne doit pas cacher qu’il se situe au confluent de deux réalités considérables. La première, c’est la révolution numérique, Pour une fois, le terme de révolution n’est pas usurpé. Marshall Mac Luhan dans son ouvrage essentiel, La Galaxie Gutenberg, avait souligné l’importance du passage de la communication par l’écrit, par le livre, grâce à l’imprimerie, à la communication dans cette nouvelle galaxie des mass media. A la découverte personnelle et volontaire des textes et des auteurs se substituait la soumission au flux d’images et de sons véhiculés par la voie hertzienne.

Or nous vivons, depuis vingt ans surtout, une autre révolution. Nous quittons la galaxie Mac Luhan pour ce que certains pourraient appeler la galaxie Bill Gates.

M. Christian Paul. On pourrait choisir d’autres parrainages !

M. Christian Vanneste, rapporteur. C’est un univers marqué par trois phénomènes essentiels : les frontières sont plus abolies encore, les modes de communication fusionnent, tandis que leurs outils se rejoignent. Les sons, les images et les textes passent par une même voie. Le téléphone, la télévision et l’ordinateur convergent. La compression numérique permet une conservation, une duplication quasi parfaites des œuvres reproduites, sans commune mesure avec ce qui prévalait dans l’analogique. La fibre optique et la largeur des bandes augmentent de manière vertigineuse la rapidité et la quantité des informations transportées.

M. Jean Lassalle. Très bien expliqué !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Cette révolution en recèle une autre beaucoup plus importante encore. Le monde des mass media conduisait à la « foule solitaire » dont parle David Riesmann, cette foule anonyme, massifiée, pétrie par le message unique des grandes chaînes de télévision nationales, reçu passivement et sans véritable choix. La communication informatique et numérique constitue au contraire un véritable retour vers la liberté de choix, la convivialité d’un dialogue, dépourvus l’un et l’autre de limites.

C’est un monde plus individualiste, ou plutôt plus personnaliste, où l’intelligence active n’est plus uniquement du côté de l’émetteur. Elle est à la périphérie, chez tous les internautes, stimulée sans cesse par l’interactivité et vivifiée par de nouvelles formes d’échanges à travers des réseaux communautaires : on pourrait citer l’exemple des blogs. On trouve dans cette évolution la popularité du peer to peer, ou pair à pair.

Cette révolution rencontre à la manière d’un défi une tradition, elle aussi considérable, celle qui a consacré dans notre pays depuis plus de deux siècles le droit d’auteur. En effet, le nombre des échanges de fichiers, l’effacement des frontières et des distances, la quantité des conservations et des reproductions, la liberté d’initiative et de choix créent un vaste espace où de nombreuses œuvres peuvent être découvertes ou représentées en toute bonne conscience, alors que leurs auteurs n’auront été ni justement rémunérés ni même consultés. Une liberté quelque peu anarchique conduit au risque de piratage et celui-ci à la disparition de la création.

Selon les syndicats de producteurs de phonogrammes, en l’espace de quatre ans le marché de la musique aura perdu 409 millions d’euros : moins 31 %. Cette forte baisse n’est pas sans conséquences sur la création musicale et sur l’emploi. Ainsi, les effectifs des maisons de disques ont chuté de 22 % entre 2001 et 2004. La production musicale, pour sa part, s’est fortement ralentie : entre 2001 et 2004, le nombre d’albums commercialisés a chuté de 23 %, dont 20 % – je le souligne – pour les premiers albums de jeunes artistes francophones, au cœur de notre préoccupation d’aujourd’hui.

M. Dominique Richard. Tout à fait !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Entre 1999 et 2003, on est passé de deux milliards de fichiers musicaux échangés sur internet à 150 milliards. Dans le même temps, le marché des phonogrammes tombait de 38,7 milliards à 29 milliards. Le risque pour la filière du cinéma est plus considérable encore : seize millions d’internautes disposant d’un accès à domicile avaient déjà téléchargé des films gratuitement sur internet. En raison du très bon équipement en haut débit des internautes français – 8,4 millions d’internautes haut débit à la fin juin 2005 – la menace est particulièrement inquiétante pour le cinéma français, pour notre exception culturelle et pour la diversité culturelle.

M. Dominique Richard. Évidemment !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Une étude du CNC parue en mai 2004 concluait que 21 % des téléchargeurs avaient réduit leur fréquentation des salles de cinéma. Or le téléchargement illicite d’un fichier américain, avant sa sortie en France, prive le cinéma français d’une part de son financement par la taxe sur les prix des places dans les salles de cinéma, il ne faut pas l’oublier. Actuellement, le cinéma français est financé grâce à la chronologie des médias : projection en salle, puis édition des DVD, puis télévision payante, et enfin les chaînes hertziennes gratuites. C’est l’ensemble qui est fragilisé par le piratage internet.

Or le défi que le monde numérique lance à la création contient sa réponse. Le numérique, c’est aussi la possibilité de coder, de filtrer, de limiter le nombre de copies, en un mot de protéger les droits de tous ceux sans lesquels la création disparaîtrait.

M. Frédéric Dutoit. Tout est dit !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Le numérique, c’est même aujourd’hui la possibilité de gérer ces droits de manière équitable et précise de telle sorte que le lien entre l’utilisateur et le créateur soit à la fois personnalisé et juste. Cette possibilité est au cœur de la directive et donc du projet de loi.

C’est pourquoi, avant de préciser les points principaux de celui-ci, j’insisterai sur l’idée principale qui a présidé à mon rapport et aux amendements qu’au nom de la commission des lois j’aurai l’honneur de vous proposer : celle de l’équilibre pour que soit préservée et vivifiée la création culturelle. Dans cet objectif, il faut que les auteurs et les interprètes soient justement rémunérés, que les risques économiques courus par les entreprises, et donc l’ensemble des emplois de l’industrie culturelle, soient limités, et qu’enfin les consommateurs, les utilisateurs, trouvent un juste équilibre entre leur liberté et la pérennité de la source de ce qu’ils aiment, entre leur sécurité d’utilisateur et la préservation des intérêts sans lesquels la filière culturelle n’existerait plus, entre la mise en œuvre des dispositifs de protection des ayants droit et la transparence qui doit régner dans la démocratie numérique.

Le titre Ier du projet de loi correspond à la transposition de la directive européenne. Son premier chapitre détermine les exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins. Les articles 1 à 3 ont un objet analogue qui vise à intégrer dans le code de la propriété intellectuelle pour les auteurs, les titulaires de droits voisins et ceux de droits sur les bases de données deux exceptions. La première, obligatoire, se circonscrit aux aspects transitoires techniques. La seconde est la seule retenue parmi celles qui étaient proposées à titre optionnel par la directive : il s’agit de l’exception pour les personnes handicapées. Là aussi, je souligne ce choix dont nous pouvons être fiers et qui figure effectivement parmi les trois chantiers du Président Chirac.

De manière transversale est inscrit dans notre droit le principe du test en trois étapes afin d’encadrer la mise en œuvre des exceptions à l’application des droits, et ce en référence à l’article de la convention de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle – l’OMPI – du 20 décembre 1996. Les exceptions ne doivent concerner que des cas spéciaux. Elles ne doivent pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou du droit protégé et ne doivent pas porter préjudice de manière injustifiée aux intérêts légitimes des propriétaires de droits. Voilà ce que nous intégrons dans la loi. Le nombre des exceptions est limité au minimum pour obéir à la règle du test en trois étapes et tenir compte de la fragilité économique des filières qui pourraient être touchées par l’élargissement des exceptions. En raison de la nécessité de maintenir notamment la place de la langue française et des éditions françaises dans les domaines scolaire et universitaire, et de la très grande diversité des situations, il a été jugé préférable de laisser à la convention le soin d’épouser la variété du terrain.

Le deuxième chapitre conforte le principe de la copie privée, c’est-à-dire la possibilité pour un utilisateur d’effectuer une copie d’usage strictement domestique, sans remise aux titulaires de droits. Dans le même souci de protéger les intérêts du consommateur, la commission a adopté un amendement tendant à améliorer la transparence des travaux de la commission pour copie privée.

Le troisième chapitre, clef de voûte du texte, porte sur les mesures techniques de protection et d’information. L’article 7, en particulier, apparaît comme le cœur du dispositif puisqu’il introduit dans le droit français l’autorisation et la protection des mesures techniques qui permettent de contrôler l’accès aux œuvres sous forme numérique et aux autres objets de droits voisins. Protection des auteurs à l’égard des excès de mesures techniques de protection, celles-ci doivent être connues et voulues par les titulaires de droits. Protection des mesures techniques contre le piratage et leur contournement qui deviennent des délits, de contrefaçon notamment, lorsqu’il s’agit des droits d’auteur. Protection enfin du consommateur qui doit être informé des limites d’utilisation et de copie et se voir garantir autant que faire se peut la compatibilité des formats et des matériels et leur interopérabilité. Protection des bénéficiaires de l’exception pour les personnes handicapées et réaffirmation du droit à la copie privée, vous l’avez à juste titre souligné à plusieurs reprises, monsieur le ministre. Un Collège des médiateurs est créé afin de permettre le plus tôt possible de trouver un juste équilibre entre la protection des ayants droit et le souci légitime d’utilisation des consommateurs. La saisine du collège sera très large, ouverte à toute personne bénéficiaire des deux exceptions protégées et à toute personne morale agréée pour représenter en justice les consommateurs individuels. La commission a adopté un amendement visant à permettre la saisine a priori afin de limiter les contentieux trop tardifs et un autre fixant à deux mois le délai pour que le collège statue.

D’une manière générale, la commission a retenu les amendements qui confortaient la transparence des informations et la sécurité des utilisateurs. Elle a conforté la copie privée et clairement rejeté la tentation de la licence légale, taxation désuète dans le but de développer une gestion collective des droits, absurde dans un espace mondialisé et plus absurde encore dans le temps du peer to peer, de la communication personnalisée qui a succédé aux mass media. Une très large majorité des professions de la culture souhaitait la clarté de ce droit. Il s’agit aujourd’hui de légaliser le peer to peer, en décourageant non seulement le piratage, mais aussi ceux, éditeurs de logiciels ou fournisseurs d’accès, qui le facilitent ou le stimulent. Pour cela, à côté d’elles, et avant les sanctions, doivent être mises en œuvre deux démarches alternatives : la réponse graduée, pédagogique avant que d’être répressive, et l’offre de serveurs légaux. Je me réjouis que le cinéma rejoigne aujourd’hui la musique. Bravo, monsieur le ministre ! Cette demande avait été annoncée par la charte de juillet 2004. Elle devrait être confortée aujourd’hui par la loi afin notamment de respecter les observations légitimes de la CNIL.

Les autres titres du texte revêtent une importance plus modeste.

Le titre II vise à étendre la conception personnaliste et libérale du droit d’auteur à la française aux agents publics. Il vise à reconnaître un droit d’auteur aux agents publics, tout en l’assortissant de garanties propres à assurer la continuité du service public. L’article 16 intègre les agents publics dans le principe fondateur du droit de la propriété intellectuelle, par un régime analogue à celui applicable aux salariés de droit privé. L’article 18 permet un intéressement des fonctionnaires auteurs.

Le titre III a pour objet d’améliorer le contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits, Cette amélioration repose sur deux piliers. D’abord, elle renforce le rôle du ministre de la culture en allongeant le délai de saisine du TGI par le ministre pour s’opposer à la création d’une société, et en élargissant les motifs de demande de sanction à l’autorité judiciaire. Ensuite, elle instaure une harmonisation des règles comptables des SPRD en application des conclusions de la commission permanente de contrôle de décembre 2002.

Le titre IV touche au dépôt légal. Il vise avant tout à étendre le principe de la conservation patrimoniale, qui s’inscrit dans notre tradition, à la communication au public par voie électronique. L’INA se chargera des 5 000 sites internet liés à la radio et à la télévision, la BNF, se consacrera, quant à elle, au dépôt légal des 200 000 autres sites retenus non relatifs aux médias et dont la taille moyenne, il faut bien le reconnaître, est en général beaucoup plus limitée. Les organismes dépositaires légaux, BNF pour l’écrit, le son, les CD-ROM et le multimédia, l’INA pour l’audiovisuel, le CNC, pour la vidéo et le cinéma, ne sont pas affranchis du droit de la propriété intellectuelle, qui encadre donc la consultation. Là encore, c’est l’équilibre qui prévaut entre la préservation des droits exclusifs de communication et de reproduction et l’intérêt général qui conduit à ouvrir la consultation aux chercheurs dans les meilleures conditions et à reproduire les œuvres pour mieux les conserver, mais avec des garanties sérieuses quant à cette utilisation.

Enfin, le titre V compte deux articles. L’article 28 porte sur l’application du texte dans les collectivités territoriales d’outre-mer. L’article 29 met en place des mesures transitoires dont la principale tend à instituer un délai de trois ans à compter de la promulgation de la loi pour que les personnes soumises à ce nouveau dépôt légal s’y conforment.

Ce texte modeste sur un grand sujet recèle une ambition forte qui est de constituer une nouvelle étape du combat séculaire dans notre pays…

M. Christian Paul. C’est historique !

M. Christian Vanneste, rapporteur.…pour affirmer la suprématie et la pérennité de la richesse intellectuelle, de la création d’une part, et de la protection de la propriété intellectuelle, d’autre part, sans lesquelles cette richesse viendrait à disparaître. « La plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable et la plus personnelle des propriétés est l’ouvrage fruit de la pensée. » Loin de remettre en cause cette célèbre formule de Le Chapelier, la technique d’aujourd’hui permet de la rendre plus vivante que jamais. Marier la liberté de la création avec celle de l’accès de tous à la culture, telle est l’ambition du texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, et je vous en félicite. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Exception d’irrecevabilité

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une exception d’irrecevabilité, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec tout le respect que je dois à M. le ministre, les grands mots empilés et les citations ne peuvent faire office d’arguments.

M. François Brottes. Très bien !

M. Frédéric Dutoit. M’étant moi-même déclaré publiquement favorable au retrait du texte que nous examinons aujourd’hui, je ne pouvais que venir défendre devant vous la présente motion.

J’aurais évidemment préféré ne pas avoir à opposer cette exception d’irrecevabilité et à en soutenir l’opportunité. Toutefois, si je me fais peu d’illusions sur son issue, je nourris des craintes quant à l’adoption d’un texte qui aura des conséquences graves sur la vie quotidienne de millions de citoyens et d’utilisateurs de données numériques, des conséquences sociales, technologiques, économiques et géostratégiques qui auraient dû appeler ses rédacteurs à plus de prudence et le Gouvernement à plus de circonspection. Au contraire, le texte qui nous est présenté a fait l’objet d’une déclaration d’urgence, au prétexte de satisfaire un calendrier européen de transposition du droit. L’argument paraît assez fragile lorsque l’on sait que la Commission européenne travaille déjà à la modification de la directive en question sur des points tout à fait essentiels comme la notion de rémunération juste ou les problèmes liés à la libre circulation des informations essentielles et à l’interopérabilité.

Par ailleurs, il faut bien constater que nous ne disposons pas à ce jour de l’étude d’impact prévue pourtant expressément par la circulaire du 27 septembre 2004 relative à la procédure de transposition en droit interne des directives et décisions cadres négociées dans le cadre des institutions européennes.

J’ajouterai que la nécessité de transposer une directive n’exonère pas le Gouvernement de s’être insuffisamment soucié de l’organisation d’un débat assez large pour permettre de prendre concrètement la mesure des enjeux très divers que soulèvent l’avènement de la société de l’information et le développement des technologies de traitement et de communication qui lui sont afférentes, un débat qui aurait pu et dû associer un plus large public, et tenir surtout davantage compte que cela n’a été le cas du point de vue des partisans d’une refonte plus radicale de notre droit, vu la révolution des usages culturels à laquelle nous assistons.

Nous aurions pu, à la lumière de ces constatations, attendre du Gouvernement qu’il retire son texte pour privilégier la recherche plus scrupuleuse des voies et moyens susceptibles de mieux encadrer et protéger les droits d’auteur dans le cadre de l’essor des échanges numériques en ligne.

Nous aurions pu également nous attendre à ce qu’il prête une oreille moins sélectivement attentive à la cohorte de ceux qui réclamaient la mise en place d’un arsenal de mesures coercitives.

Cela n’a pas été le cas, et nous le regrettons, car le texte qui nous est soumis apparaît dès lors très en retrait des enjeux et des attentes de nos concitoyens, mais également en décalage complet avec les réalités nouvelles auxquelles nous confronte notamment le développement de l’internet.

internet nous offre un outil capable de répondre par sa propre complexité à celle des défis modernes. Comment s’en servir pour faire progresser la gouvernance locale et mondiale vers une société faite pour et par les hommes ? Tout est là. L’information, matériau brut, n’a pas plus de valeur qu’une pierre sans sculpteur.

Si l’on a assez de discernement pour trier des informations et les articuler, on produit du savoir. La nouveauté tient en deux constats. D’une part, depuis quelques décennies, le progrès des techniques de communication a rendu massive et rapide la circulation des personnes, des biens, des informations, des idées et des nuisances. internet accélère encore les flux. D’autre part, nous sommes devenus si puissants que les conséquences de nos actions belliqueuses et civiles se font sentir à grande distance dans le temps et l’espace, et sont donc difficiles à discerner.

Depuis 2001, plus d’un demi-milliard de personnes sont interconnectées par internet, à leur domicile, au travail, dans la rue. Une intensification si massive et si brusque des communications instantanées crée une rupture qualitative. Bientôt, un milliard de personnes différentes pourront interagir.

Nous ne pouvons plus penser le monde que comme un système solidaire où le sort de chaque région dépend de celui des autres et l’influence. C’est la définition d’un système complexe.

À l’ère des réseaux numériques, nous devons garder à l’esprit deux caractéristiques des systèmes complexes et des réseaux : leurs propriétés globales peuvent être totalement différentes de la somme des propriétés des parties qui les composent, et elles peuvent évoluer brusquement, de façon difficile à prévoir, sous l’influence d’un événement déclencheur parfois en apparence insignifiant.

L’instabilité symbolisée par l’effet papillon a une conséquence très heureuse qui fonde notre responsabilité individuelle.

Si l’influence de chaque citoyen se réduisait à un divisé par le nombre de membres de son groupe, chacun ne pèserait rien. Il pourrait se sentir incapable de changer quoi que ce soit, donc irresponsable. Il n’est rien. Il suffit, dans un groupe, qu’une personne prenne à un certain moment une initiative pour déclencher une réaction en chaîne, positive ou négative.

Internet étend la sphère de contacts possibles à la planète et cela oblige à tenir compte bien plus que par le passé d’une loi qui décrit la valeur des réseaux. Plus nous pouvons joindre de personnes, plus nous avons de chances de rencontrer celle avec laquelle nous pourrons opérer un échange utile. internet est l’outil démocratique du partage.

Le document numérique provoque une révolution du fait qu’il peut être dupliqué à l’infini sans perte, pour un coût infime, et que celui qui le reçoit se trouve libre d’en faire ce qu’il veut.

Lorsqu’on lit un livre sur papier ou que l’on regarde une image imprimée, on ne peut pas modifier, dupliquer ces documents, ajouter une phrase, varier les couleurs. Le numérique le permet, aux réserves juridiques près, bien entendu.

Le coût quasi nul de la reproduction des fichiers étend l’impact pratique de l’une des caractéristiques essentielles de l’économie de l’immatériel, la possibilité de donner un bien sans s’en priver pour autant.

Une idée transmise dans une conversation ne s’use pas et sa diffusion ne coûte que le temps de la conversation. La même idée imprimée sur un support matériel, papier ou autre, ne se répand pas sans frais de fabrication et d’expédition du support. Le problème n’existe plus si le support est immatériel ou aussi peu coûteux qu’une mémoire numérique.

Donner un fichier numérique ne me retire rien, sauf si la valeur du contenu tient à sa diffusion faible ou contrôlée, s’il s’agit par exemple d’un tuyau sur la prochaine course hippique.

Je puis, sans rien retirer à personne, puiser ce que je veux sur internet, dont on a dit qu’il était la plus grande bibliothèque du monde. C’est surtout ma bibliothèque personnalisée. Je puis, de chez moi, en allant aux sources les plus diverses, organiser selon ma logique l’information correspondant à mes centres d’intérêt.

Toutes les sources ne sont pas fiables, certes, tous les livres et tous les experts non plus. Le problème est dans le discernement des utilisateurs.

Radio, télévision et téléphone ont rendu immédiate la communication à distance mais, de ces médias, les deux premiers imposent une relation à sens unique, entre un émetteur central et des récepteurs passifs. Le téléphone permet de converser mais à deux personnes seulement. internet se distingue de tous les autres médias par les possibilités qu’il ouvre de communications riches en contenus, interactives, entre un grand nombre de personnes à la fois.

Avec internet, chacun intervient sur un plan d’égalité, peut être récepteur et émetteur, pour un investissement de plus en plus réduit. Cela facilite l’expression des différences individuelles ou régionales et devrait renforcer les cultures locales, le multilinguisme, d’où une créativité qu’une monoculture mondiale stériliserait.

Le numérique fournit un outil à l’exercice du libre arbitre individuel, à l’expression de soi et à l’entretien de relations avec les autres.

L’une des questions les plus critiques reste celle de la sécurité numérique. Elle a deux faces antagonistes : d’un côté, assurer l’honnêteté des transactions numériques en vérifiant l’identité des parties et en sécurisant les flux d’argent, dans l’intérêt des acheteurs et des vendeurs ; de l’autre, préserver la vie privée des particuliers.

La puissance de traitement de l’information peut aussi servir à violer notre intimité et à nous espionner où que nous soyons. À vouloir trop garantir la sécurité, on risque de sacrifier la liberté individuelle et d’instaurer l’ère de Big Brother. C’est une contradiction souvent apparue depuis le 11 septembre 2001, avec les demandes de contrôle des services spéciaux américains.

La menace de Big Brother restera permanente, tout comme le risque de l’écrasement des différences locales, laminées par l’effet de masse d’une offre mondiale plus ou moins médiocre, véhiculée par des séries télévisées, des jeux élaborés pour atteindre le plus grand nombre.

De l’imprimerie à internet, les dangers de chaque nouvelle technique de communication ont été dénoncés par ceux qui ont craint qu’elle ne serve les pires causes. Chaque progrès de la communication a fini par profiter plus à la liberté qu’à ceux qui voulaient l’étouffer.

Les deux faces du numérique suscitent des tendances antagonistes, les unes porteuses de développement humain, les autres opprimantes. Ma conviction est que nous pouvons favoriser les premières contre les secondes et qu’une fois de plus la communication démontrera sa vertu profonde.

L’essentiel du travail producteur de valeur est de plus en plus fondé sur la mise en œuvre des compétences et de la créativité. Pour mobiliser cette dernière qui, à la différence de l’effort physique, ne s’obtient pas par la contrainte, il faut convaincre ou séduire.

Conséquence révolutionnaire : le respect des différences et de la liberté devient une condition d’efficacité. Aucune personne, aucune organisation n’est plus capable de maîtriser à elle seule, dans des conditions économiques viables, toutes les connaissances nécessaires pour résoudre quelque problème un peu important. L’efficacité d’une organisation est donc fondée sur la qualité et l’intensité des synergies suscitées entre talents complémentaires et volontés convergentes.

Nous sommes arrivés au point où il est devenu moins urgent de mobiliser notre intelligence pour obtenir un surcroît de puissance que de libérer notre raison pour que notre actuelle puissance ne soit pas utilisée sans discernement. Le monde a besoin de libérer son bon sens. Le facteur décisif n’est donc plus le niveau de culture mais celui de la culture démocratique et humaniste, du respect de l’État de droit et des libertés essentielles.

Les réseaux de communication non hiérarchisée d’internet apportent un outil précieux pour établir de la communication, donner l’alerte, interpeller l’opinion mondiale, créer une transparence là où des options politiques ou des intérêts particuliers veulent imposer l’obscurité.

Des standards sont nécessaires au bon fonctionnement des réseaux mais, dans la logique d’internet, les solutions d’avenir se doivent d’être ouvertes, partagées, tout comme les infrastructures routières n’ont pas été réservées aux véhicules d’une seule marque. Cela milite pour des logiciels dits libres.

Dans tous les domaines, les citoyens souhaiteront des outils pour mieux choisir, mieux comprendre, se sentir plus forts face aux institutions. Si on veut les y aider, il convient d’appuyer le développement des moteurs de recherche, des agents dits intelligents, ces automates logiciels capables de réaliser pour nous des tâches de recherche et de traitement des informations, de simplifier les opérations.

Le législateur devrait veiller, naturellement, à ce que les critères utilisés par les dispositifs de recherche ne soient pas biaisés au profit de certains acteurs.

Le pouvoir des personnes dans la société et les entreprises dépendra aussi de la diffusion des technologies d’échange et de collaboration entre pairs, le fameux peer to peer. La cohabitation, dans une organisation, d’un système centralisé hiérarchique et de systèmes de collaboration transversaux de pair à pair pour des groupes spontanés est sans doute le moyen produisant le plus de valeur pour tous.

Les projets numériques peuvent être sélectionnés en fonction de leur propension à renforcer les proximités physiques locales et à créer des proximités virtuelles, même aux antipodes. Ils doivent intensifier les désirs de coopération, relier les acteurs locaux, mutualiser les ressources. Les techniques d’échange de pair à pair, exploitées par exemple pour échanger livres et fiches de lecture, peuvent servir à construire du lien social, à animer des communautés culturelles, citoyennes ou professionnelles.

La définition des nouveaux systèmes informatiques est l’occasion de poser des options fondamentales : le système informatique pérennisera-t-il la pyramide hiérarchique stalinienne ou favorisera-t-il initiatives locales, collaborations informelles, alliances, expériences, réactivité ? Est-il centré sur le contrôle ou sur l’écoute du citoyen ? Les tâches sont-elles rigidifiées ou plus fluides ? Je suis du côté de l’initiative locale, de l’écoute du citoyen et de la fluidité ; et vous, monsieur le ministre ?

Votre tentative malheureuse est vouée à l’échec ou à une rapide obsolescence, mais elle est surtout dangereuse au regard des libertés publiques, et c’est le point qui justifie à nos yeux d’opposer l’irrecevabilité au présent texte,

Quelles seront en effet, pour en venir au fond, les conséquences les plus immédiates du projet de loi que vous nous présentez ?

Il aura d’abord et notamment pour effet de légitimer les dispositifs techniques de contrôle d’usage et de traçage, les fameuses mesures techniques, installés par les éditeurs et les producteurs sur les supports numériques, dans les logiciels, les matériels électroniques et les fichiers multimédias. Cela aura même pour conséquence de supprimer de facto le droit à la copie privée et de restreindre de façon drastique l’utilisation dans un cadre familial ou tout autre cadre licite.

Cela aura aussi pour conséquence d’imposer aux utilisateurs le coût des mesures techniques empêchant la copie privée. Ils continueront toutefois, contre toute logique, d’acquitter la redevance pour copie privée payée sur les supports numériques.

Ces mesures conduiront en outre à pénaliser la diffusion d’informations techniques permettant de comprendre le fonctionnement des mesures techniques tout comme l’utilisation, le développement et la diffusion de logiciels libres.

Graver ses propres compilations à partir d’un CD, extraire son morceau favori pour l’écouter sur son ordinateur, transférer son contenu vers un baladeur MP3, prêter un CD à un ami, lire un DVD avec le logiciel de son choix, programmer, améliorer, utiliser ou diffuser un logiciel libre permettant la lecture d’une œuvre numérisée, autant de pratiques très répandues et parfaitement légales que le Gouvernement se propose ni plus ni moins aujourd’hui de prohiber.

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est faux !

M. Frédéric Dutoit. Ne tournons pas en effet autour du pot : votre projet de loi est avant tout un texte de prohibition de fait…

M. le ministre de la culture et de la communication. Oh !

M. Frédéric Dutoit. …de pratiques culturelles non seulement légales mais encore, je le répète, légitimes.

Vous nous dites que votre texte est équilibré, mais vous faites reposer cet équilibre, ainsi que le soulignait d’ailleurs M. le rapporteur, sur les intérêts individuels des ayants droit, des consommateurs et des industriels, d’une part, et sur, dites-vous, l’intérêt général, dans la double perspective du développement des services sur internet et du financement de la création artistique et culturelle. L’équilibre recherché est ainsi, avant toute chose, un équilibre contractuel d’inspiration purement marchande. Le privilège accordé dans vos propos au terme de consommateur par rapport à celui d’usager ou de citoyen trahit la philosophie qui est la vôtre et que nous ne partageons évidemment pas.

Vous oubliez un peu vite que l’équilibre du droit d’auteur français actuel repose aussi – et peut-être surtout – sur la protection des droits fondamentaux et des libertés publiques, et que notre droit veut en conséquence, une fois l’œuvre divulguée, que l’auteur ne puisse interdire au public certains actes, comme la lecture, la copie privée, la courte citation, le détournement parodique…

À cet équilibre protecteur des droits et libertés, votre projet de loi ne propose que de substituer la loi du marché et d’introduire, à la place d’une forme de présomption d’innocence, une « présomption d’utilisation déloyale » qui jouera aux dépens du public et au seul bénéfice des éditeurs et producteurs.

Le projet de loi prévoit ainsi que les auteurs, éditeurs et producteurs pourront utiliser des mesures techniques pour interdire, aux utilisateurs ne pouvant justifier a priori d’une licence d’utilisation, l’accès à une œuvre et, plus largement, pour contrôler l’usage qui en est fait, transformant ainsi le droit de lire en un droit exclusif, car sans accès, pas un droit de lecture. Indirectement, le projet de loi créera aussi une obligation d’achat de logiciels et de matériels de lecture récents, équipés de dispositifs de contrôle et de traçage.

Cela aggravera du reste la fracture numérique car seuls les utilisateurs ayant les moyens de se payer une licence d’utilisation et le matériel ou l’équipement adéquats – eux-mêmes en constante évolution et imposés par une poignée de multinationales – pourront accéder à une copie d’une œuvre numérisée.

Si ce processus est mené à son terme, la liberté de stocker et d’utiliser de l’information pour son usage privé sera excessivement restreinte. Des usages culturels légitimes seront rendus impossibles, avec des effets équivalents en termes de liberté d’expression, de pensée, d’opinion, de droit à l’information, et des risques majeurs pour la protection de la vie privée et des données personnelles. Demain, tout accès à de l’information protégée par un droit d’auteur pourrait être tracé, à des fins avancées de contrôle d’usage et de facturation à l’acte, sans que l’utilisateur puisse s’y opposer.

On pourrait penser que je me livre là à de la politique fiction, que tout cela relève d’un cauchemar orwellien, mais l’ensemble de ces effets est pourtant bel et bien contenu en germe dans votre projet de loi. Sinon, comment expliquer que votre projet de loi prévoie jusqu’à trois ans de prison et 300 000 euros d’amende pour le simple fait de lire un DVD avec un logiciel non autorisé par l’éditeur du DVD ?

Vous nous dites agir au nom de la nécessité de garantir une juste rémunération à la création pour en assurer la vitalité et la diversité, au bénéfice du public. Mais vous vous fondez là encore sur des grilles d’analyse erronées. Personne ne défend aujourd’hui l’idée que la culture devrait être gratuite et qu’il faudrait condamner le droit d’auteur aux gémonies.

Tous les sondages effectués auprès des internautes le montrent : une grande majorité d’entre eux ne sont pas hostiles à payer pour la musique et les films qu’ils téléchargent et 83 % se disent d’ailleurs prêts à payer une redevance à cet effet sur leurs abonnements à internet.

M. Christian Paul. Il faut transmettre ces sondages au ministre !

M. Frédéric Dutoit. Je ne résiste pas au plaisir de vous lire le témoignage d’un internaute, Laurent B. dix-neuf ans, étudiant en sciences politiques, que certains d’entre vous ont certainement dû recevoir.

« Je télécharge sur internet des séries diffusées au Japon et aux États-Unis qui n’ont pas de circuits de distribution en France, qui ne sont pas licenciées en France. C’est une façon de ne pas être trop repérable mais aussi parce que ce sont des séries que l’on ne peut pas voir autrement que sur internet. Même si c’est illégal, c’est aussi une manière de ne pas se laisser dicter nos goûts par rapport à la rentabilité du marché, de ne pas attendre qu’une société de production décide d’acheter telle ou telle série et de la diffuser parce qu’elle sera soi-disant rentable. On se retrouve entre internautes, sur un logiciel qui permet de dialoguer et d’échanger ce que nous avons, en musique et en films. C’est une petite communauté de gens en général responsables, et qui sont conscients que tout a un prix. Il n’est pas question du tout-gratuit. Tout le monde préfère acheter des originaux, mais à vingt ou vingt-cinq euros le CD et trente euros le DVD, le prix rebute. Pour ma part, je n’achète pas moins de CD qu’avant le téléchargement. J’en achète un par mois mais je télécharge plus, ce qui me permet de connaître plus de choses. Bien sûr, beaucoup de gens sont conscients que le tout-gratuit pourrait être un danger pour les artistes les moins connus. Mais, finalement, peu d’artistes se plaignent du piratage sur internet. L’Américain Prince avait même mis en téléchargement l’intégralité de son CD, ce qui ne l’a pas empêché d’en vendre quand même. Sa musique s’est sans doute plus largement diffusée. »

M. le ministre de la culture et de la communication. Il est libre de le faire !

M. Frédéric Dutoit. « Et que dire de la commercialisation du lecteur MP3, qui permet de télécharger plusieurs centaines de chansons ! Qui peut imaginer que les internautes se contentent de télécharger des chansons sans droit d’auteur ! C’est absurde. De l’argent est perdu d’un côté pour être récupéré de l’autre. »

Du reste, la plupart d’entre eux continuent à acheter des disques à un niveau presque équivalent et des DVD en nombre sans cesse croissant. Ils n’ont guère le profil de délinquants ou de semi-délinquants, de pirates ou de contrebandiers, dont vous vous plaisez à nourrir le fantasme. Si vous voulez que nous vous suivions sur cet étrange terrain, commencez par démontrer que les échanges de pair à pair – le fameux peer to peer – peuvent par exemple être tenus pour responsables de la crise traversée par l’industrie culturelle ces dernières années.

De nombreuses études indépendantes, réalisées aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Japon affirment le contraire ; elles ont apporté la preuve que ces échanges sont sans conséquence directe ou indirecte sur le volume des ventes de disques ou des fichiers musicaux. Une étude française conduite par la FNAC a également conclu à l’impact très limité des téléchargements illégaux sur la consommation de musique en France.

Certaines études, dont une étude japonaise, ont même témoigné d’un impact bénéfique des échanges de pair à pair sur la vente de disques, en soulignant notamment que l’utilisation des réseaux constitue un levier de promotion de la musique. Et, de fait, nul ne peut nier certaines réalités socio-économiques touchant ce type d’échange. Les utilisateurs qui s’y livrent massivement sont le plus souvent des consommateurs assidus, qui achètent par ailleurs des disques et des DVD, ou encore des personnes qui ne disposent pas des moyens financiers d’acheter les disques qu’ils téléchargent ; le manque à gagner devient alors très théorique. Nous avons encore le cas de ceux qui téléchargent des contenus qu’ils ne sont en aucun cas prêts à acheter, ou de ceux qui papillonnent à la découverte de nouveaux auteurs…

Je ne verse pas dans l’angélisme, rassurez-vous, j’entends simplement souligner l’extrême diversité des motivations et des cas de figure qui se présentent à travers le développement du phénomène du téléchargement dit illégal de contenus culturels. Le préalable indispensable serait de disposer d’études précises, plutôt que de légiférer à partir de l’a priori que les échanges de pair à pair ont vocation à constituer des manœuvres frauduleuses, passibles du délit de contrefaçon et qui nuisent gravement à l’économie culturelle.

La vérité est que le débat, tel qu’il est conduit aujourd’hui en France, est tronqué et empreint d’une certaine hypocrisie.

M. Dominique Richard. C’est vrai !

M. Frédéric Dutoit. Le développement d’internet représente un marché considérable qui aiguise tous les appétits, ceux des maisons de disques, des éditeurs, des distributeurs mais aussi, c’est vrai, de certains qui « surfent » sur la vague du tout-gratuit et misent sur le développement de nouveaux modes de consommation gratuits, contre lesquels la loi dont nous discutons sera d’ailleurs inopérante.

Cette gratuité favorise le développement de comportements manifestement frauduleux, tels que la contrefaçon et le commerce illicite d’œuvres protégées. Il convient de les condamner avec la plus grande fermeté et d’engager les moyens de police nécessaires. Mais, de grâce, ne confondons pas tout ! Car dans ce vaste marché de dupes qui se joue aujourd’hui et auquel prennent part toutes sortes d’acteurs, les seuls vrais perdants sont et seront les auteurs. La guerre commerciale qui a débuté depuis quelques années, l’affrontement des modèles commerciaux auquel donne lieu le développement de la fameuse société de l’information, se fera nécessairement à leur détriment, tout autant, voire davantage, que la fraude ou le contournement.

Il serait particulièrement illusoire de penser que le développement des systèmes de gestion des droits numériques et de tous les systèmes de surveillance technique des usages individuels aura demain pour effet de permettre une rémunération plus équitable des auteurs.

L’évidence est en effet que le coût de vérification des usages croît proportionnellement au nombre de titres surveillés alors que les sommes collectées sont décroissantes. Les fameuses « mesures techniques » favoriseront donc, comme c’est déjà le cas, des stratégies de concentration accrue de l’effort commercial sur un petit nombre de titres. En outre, est-il besoin de le souligner, les coûts engendrés par ces mesures de gestion et de surveillance ne pourront être assumés que par les seules têtes de pont de l’industrie éditoriale, musicale ou non, favorisant là encore la concentration, qui représente la première des nuisances dès lors que l’on évoque les enjeux de diversité culturelle.

Dire, dans ce contexte, que le projet de loi qui nous est présenté est de nature à favoriser cette dernière relève de la mauvaise foi ou de l’aveuglement, et je m’étonne que certains syndicats ou associations représentant les auteurs aient vu, dans la mise en place des mesures techniques, dans le contrôle accru des usages et la sanction sévère de tout contrevenant la planche de salut de la défense de leurs droits.

Je comprends néanmoins leurs réserves à l’égard de la solution alternative souvent proposée, celle de la licence légale, qui repose sur l’idée de mutualiser le financement social de la création. L’idée de créer un financement additionnel de la création musicale par la mise en place de redevances sur les abonnements à haut débit, comme il en existe déjà sur les supports numériques vierges, consacrerait un droit d’usage garanti par la loi, autorisant le partage de fichiers d’œuvres sur les réseaux.

Mais il reste des points importants à éclaircir : cette redevance devrait-elle être acquittée par tous les abonnés au haut débit ou seulement par ceux qui souhaitent échanger des fichiers d’œuvres ? Comment assurer que tous les créateurs musicaux bénéficient bien de la redistribution des sommes collectées ? Cette solution se heurterait, à n’en pas douter, à d’importantes difficultés mais elle s’impose malgré tout comme la voie la plus crédible, et surtout infiniment plus favorable à l’immense majorité des créateurs, que le déploiement des mesures techniques.

Le partage légalisé des fichiers offrirait véritablement les conditions d’une plus grande diversité culturelle, mais également, et c’est bien évidemment l’essentiel, une meilleure garantie des libertés et des arbitrages fondamentaux. Liberté d’utiliser l’information pour créer et partager. Arbitrages fondamentaux entre le développement culturel et humain et les intérêts des lobbies des médias centralisés qui nous montrent chaque jour qu’ils ne reculeront devant rien pour défendre leur modèle, quels que soient les dommages collatéraux de cette défense.

La vraie question qui nous est posée, c’est d’avoir le courage de savoir dire non aux lobbies, d’où qu’ils viennent, et de ne pas déguiser ou encore confondre leurs intérêts avec l’intérêt général, comme s’y emploie malheureusement votre projet de loi.

Qu’il me soit permis, à titre de nouvelle illustration des failles de votre projet, de l’unilatéralisme de son approche, de sa complaisance à l’égard de certains lobbies, de me faire à présent le relais des inquiétudes légitimes exprimées par les bibliothécaires, les universitaires, tout comme par les associations d’élus des collectivités locales, telles que l’AMF ou la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture. Je veux bien sûr évoquer la revendication, portée par ces élus et les défenseurs du service public de la culture, de l’aménagement d’un régime d’exception que votre projet de loi leur refuse pour mieux privilégier le recours systématique au contrat.

Vous savez que ce recours mettrait chaque établissement, chaque bibliothèque, chaque centre de recherche ou de documentation à la merci d’un rapport de force qui leur sera forcément défavorable lors de la négociation des prix et des usages.

Mais loin d’en faire cas, la philosophie de votre projet de loi conduit en réalité à faire de nos bibliothèques,de nos médiathèques, de nos archives, de nos centres de documentation, les simples locataires d’un droit à l’information. En dehors même de la question des coûts supplémentaires que cette logique de marchandisation de la culture fera peser sur nos collectivités et nos services publics, votre texte organise un véritable bond en arrière.

M. Dominique Richard. Il faut oser dire cela !

M. Frédéric Dutoit. Nous voici revenus au XIXe siècle, à l’époque où les éditeurs craignaient déjà à tort de subir un préjudice financier du fait de la multiplication des bibliothèques publiques.

M. Dominique Richard. Vous ne croyez même pas à ce que vous dites !

M. Frédéric Dutoit. Ces droits fondamentaux de la société à l’accès, au partage et à la diffusion de la culture, des savoirs et de l’information, sans lesquels la liberté demeure un vain mot, voilà que vous voulez les soumettre à la loi du marché, en faisant des concessions inacceptables à ceux qui veulent profiter du développement du numérique pour les remettre en cause alors qu’ils sont consubstantiels à la conception que nous nous faisons de la République.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, sans m’attarder plus qu’il n’est nécessaire sur les différents points que je viens d’évoquer, je voudrais en conclusion insister sur le fait que ce projet de loi nous place à la croisée des chemins, devant deux options fondamentales pour l’avenir : soit nous reconnaissons que la recherche et l’éducation sont des activités essentielles, dont l’épanouissement ne peut être entravé par l’invocation peu étayée d’un risque pour les profits des éditeurs et des distributeurs, et nous privilégions alors du même mouvement l’exercice des libertés publiques plutôt qu’une conception étriquée et réactionnaire du droit du contrat ; soit, à l’inverse, nous nous engageons dans la voie que le Gouvernement nous propose. Cette dernière signifie aussi la consécration d’une marchandisation à outrance de la culture qui, sous le couvert d’une simple adaptation du droit aux enjeux de l’économie numérique, institue un contrôle privatif des actes de chacun pour les besoins d’un modèle commercial particulier et organise, sous le prétexte de protéger les droits d’auteur, la main mise des grands groupes sur l’ensemble des activités culturelles.

Ce qui s’est passé tout à l’heure à l’Assemblée le prouve, et je m’associe à la protestation élevée par mes amis et collègues socialistes contre la démonstration de l’usage de portables par des salariés de groupes privés, que vous avez organisée au sein de l’Assemblée nationale. De telles manifestations sont attentatoires à la dignité, la sérénité et l’indépendance du débat parlementaire. Il ne s’agit de rien d’autre que de pressions caractérisées, comme en témoigne le fait que ces ordinateurs affichaient les sites des magnats de la musique en ligne. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Paul. Les marchands du temple !

M. Patrick Bloche. Avec les badges du ministère de la culture ! C’est une honte !

M. Didier Mathus. Ça ne s’est jamais vu !

M. Frédéric Dutoit. Une telle démonstration des mesures techniques qu’on veut imposer par la loi n’est absolument pas neutre. Elle ne dit rien des possibilités extraordinaires ouvertes par les logiciels libres ; elle ne dit rien non plus des atouts considérables du peer to peer pour la démocratie, les libertés, le développement des connaissances et l’accès à la culture.

Pour ma part, mes chers collègues, mon choix est fait, et je vous invite à adopter l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la culture et de la communication. Bien que j’aie écouté vos propos avec la plus grande attention, monsieur le député, je n’y ai pas trouvé la moindre preuve du caractère inconstitutionnel de ce projet de loi. La liberté d’expression règne dans cet hémicycle (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Patrick Bloche. Encore heureux !

M. le ministre de la culture et de la communication. …et je comprends que vous ayez voulu vous exprimer. Je vous rappelle simplement qu’une exception d’irrecevabilité vise normalement à dénoncer le caractère anticonstitutionnel d’un texte. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Patrick Bloche. Vous avez la mémoire courte ! Vous ne vous souvenez plus des exceptions d’irrecevabilité que vous avez défendues comme opposant !

M. le ministre de la culture et de la communication. Libre à vous de contester toute forme de respect de nos traditions juridiques !

M. André Chassaigne. Est-ce à vous de nous faire la leçon, alors que vous imposez à notre assemblée les VRP des groupes privés ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Le projet de loi qui vous est présenté n’est en aucune façon liberticide. Son objectif est tout simplement de rendre possible une offre légale nouvelle en instaurant un dispositif de sécurité juridique qui garantisse la rémunération des œuvres.

M. Christian Paul. À n’importe quel prix !

M. le ministre de la culture et de la communication. J’ai été choqué par le terme de « marchandisation » que vous avez employé à de nombreuses reprises.

M. Patrick Bloche. Le terme vous choque, pas la chose !

M. Christian Paul. Cachez ce terme que je ne saurais voir !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il est particulièrement nécessaire de distinguer la légitime rémunération du travail des artistes, que, je pense, vous ne contestez pas, d’une marchandisation qui ferait des œuvres de l’esprit et des biens culturels des marchandises comme les autres.

J’aurais aimé qu’au moins vous acceptiez de vous associer à la victoire extraordinaire sur le plan international que nous avons remportée à l’UNESCO.

M. Frédéric Dutoit. Je l’ai fait lors de la discussion budgétaire, monsieur le ministre.

M. le ministre de la culture et de la communication. Nous avons précisément obtenu que les biens culturels et les œuvres de l’esprit ne soient pas considérés comme des marchandises comme les autres.

M. Patrick Bloche. Ce n’est qu’un engagement et nous voulons des actes, pas seulement des discours !

M. le ministre de la culture et de la communication. Les uns et les autres, nous avons à cœur que la question des biens culturels ne soit pas abandonnée aux lois draconiennes du marché. Aujourd’hui, veiller à la diversité, c’est s’opposer à l’uniformisation imposée par une forme de domination mondiale que nous condamnons tous à juste titre.

M. Laurent Wauquiez. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. La concurrence est bénéfique parce que, précisément, elle est synonyme de diversité. Je veux, moi, que les artistes, les talents, quels qu’ils soient, puissent rayonner largement. Mais je m’oppose à une vision romantique et fausse qui fait d’un marché mondial une rencontre sympathique entre internautes du monde entier. C’est aux artistes, et à eux seuls, qu’il revient de décider de diffuser librement leurs œuvres. C’est à eux seuls de dire s’ils veulent ou s’ils refusent que leur travail soit juridiquement protégé et rémunéré.

M. Patrick Bloche. C’est aussi ce que nous voulons !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il reste toujours loisible à un artiste de disposer de son propre site où il diffuse librement et gratuitement son œuvre : rien dans ce texte ne s’y oppose.

Outre la diversité culturelle et la rémunération de l’artiste, ce texte a pour objectif que chacun soit reconnu et détecté. Si j’ai insisté sur ce point, c’est que je ne veux pas nourrir de rêves sans rapport avec la réalité : l’ouverture n’est pas synonyme de rencontre immédiate avec le public. Là encore, la diversité est mon mot d’ordre.

Je ne peux pas vous laisser dire que ce projet de loi est dangereux pour les libertés individuelles. J’aurais aimé qu’au moins vous saluiez la novation juridique que constitue la réponse graduée. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Christian Paul. Ce sont plutôt des représailles massives qu’une réponse graduée !

M. Patrick Bloche. Où est l’amendement du Gouvernement ?

M. Didier Mathus. Il n’a pas été distribué !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le caractère original de cette solution a été reconnu par l’unanimité des États membres de l’Union européenne, et sa mise en œuvre est attendue avec intérêt dans le monde entier.

Je comprends et je respecte la liberté d’expression, mais vous ne m’avez en aucun cas convaincu du caractère anticonstitutionnel de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Frédéric Dutoit. Je n’espérais pas vous en convaincre !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Madame la présidente, l’intervention de M. Dutoit appelle de ma part quelques remarques.

Vous avez, cher collègue, commencé votre exposé en criant au loup et continué en accumulant archaïsmes doctrinaux, sauts qualitatifs et « effets papillon ». Vous avez même invoqué Orwell ! Tout cela avait un côté assez pathétique et freudien. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. André Chassaigne. Vous vous êtes montré freudien en d’autres circonstances.

M. Christian Paul. La psychiatrisation des opposants, c’est cela la liberté ?...

M. Christian Vanneste, rapporteur. Cela révèle votre curieuse propension à parler de certaines choses.

M. Patrick Bloche. Nous en avons autant à votre compte !

M. Frédéric Dutoit. Alors, d’après vous, on désirerait ce qu’on critiquerait ?

M. Christian Paul. Intéressant !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Je vous rappelle que Big Brother est une image de Staline !

M. Patrick Bloche. Apparemment, c’est votre maître !

M. André Chassaigne. On n’assène pas ses leçons de morale à autrui quand on est à genoux devant les intérêts !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Le marché, c’est précisément la liberté. Il n’y a de liberté que dans les pays qui ont choisi à la fois la démocratie et le marché : ce sont les deux piliers de la liberté.

M. Christian Paul. Vous oubliez le colonialisme, troisième pilier de la liberté !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Même si ce sont des projections inconscientes, vos références renvoient à un système totalitaire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Toute votre préoccupation relève du fantasme.

M. André Chassaigne. Traquer l’inconscient de ceux qui osent s’opposer, ce n’est pas du tout totalitaire…

M. Christian Vanneste, rapporteur. Eh bien, ce fantasme n’atteint pas la Constitution.

M. Frédéric Dutoit. Les vôtres la salissent.

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Didier Mathus, pour le groupe socialiste.

M. Didier Mathus. Nous allons voter l’exception d’irrecevabilité présentée par nos collègues communistes, en raison notamment des conditions extrêmement singulières dans lesquelles nous sommes saisis de ce projet de loi. Le Gouvernement a soudainement déclaré l’urgence, après trois ans de non-débat, d’absence de dialogue, hormis avec le lobby des industriels de la culture qui, semble-t-il, a été le seul à avoir l’oreille du ministère de la culture.

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est faux !

M. Didier Mathus. Ce n’est pas nous, monsieur le ministre, qui avons distribué des badges de votre ministère aux représentants dans ces locaux de Virgin ou de la FNAC. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Bloche. C’est un fait !

M. Didier Mathus. C’est la pure et simple réalité.

L’examen de ce projet de loi se déroule donc dans des conditions particulièrement étranges et biaisées. Si vous l’adoptez, mes chers collègues, vous transcrirez dans notre droit l’interprétation la plus répressive en Europe de la directive de 2001. (« Absolument ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) À l’égard des internautes, ce projet a retenu toutes les options les plus répressives, et toutes les options les plus complaisantes en faveur du lobby des industries de la culture. Telle est la réalité de votre texte, monsieur le ministre.

Vous nous opposez ce que vous appelez « la réponse graduée », espèce juridique inconnue portée par un amendement surgi à vingt heures du brouillard du ministère de la culture !

M. Patrick Bloche. Où est l’amendement ?

M. Christian Paul. On veut l’amendement !

M. Didier Mathus. C’est cela, votre conception du débat parlementaire ?

La vérité, c’est que vous êtes soumis à la pression des industriels de l’entertainment , pour reprendre un terme américain, qui ont argué d’une prétendue crise de l’industrie du disque pour imposer une telle transcription de la directive. Cette crise n’est qu’un prétexte : sachez, mes chers collègues, que les ventes de disques ont augmenté de 16,5% au premier trimestre 2005 ; que cette année les bénéfices de Vivendi sont de 754 millions d’euros ; que ceux revendiqués par Sony-BMG s’élèvent à 21 millions de dollars.

M. Christian Paul. C’est ça, l’exception culturelle !

M. Didier Mathus. Telles sont les malheureuses PME dans le besoin qui ont manifestement besoin du soutien massif du ministère de la culture pour faire face aux hordes des télénautes !

De tels faits posent des questions qui ne sont pas tout à fait étrangères à la Constitution. Jamais, de mémoire de parlementaire, on n’aura légiféré sous la pression aussi directe et insistante des lobbies, monsieur le ministre !

Pour toutes ces raisons, nous nous associons au vœu de nos collègues communistes. La position que nous défendrons tout au long de ces débats est simple et claire : la recherche d’un équilibre entre le souci de faire contribuer l’évolution technologique au bien-être collectif, en donnant une sécurité juridique aux huit millions de personnes qui téléchargent dans ce pays, et la rémunération de l’acte de création.

Pour résoudre cette équation, nous proposerons une panoplie de solutions, telles que des dispositifs provisoires ou la possibilité d’opter pour des dispositifs forfaitaires. Ces solutions visent à enrayer la surenchère pénale sans issue dans laquelle ce projet de loi nous engage. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Richard, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Dominique Richard. Je n’aurai besoin que de quelques mots, madame la présidente. Vous avez voulu, monsieur Dutoit, entamer le débat avant l’heure, mais chacun a pu débusquer l’artifice. Ce n’est pas l’objet d’une motion d’irrecevabilité que de traiter ainsi des questions de fond avant l’heure, qui viendra cette nuit ou demain. En tout état de cause, vous n’avez à aucun moment apporté le début du commencement d’une preuve de l’irrecevabilité de ce texte au regard de la Constitution, ce qui était pourtant l’objectif affiché de cette motion. C’est la raison pour laquelle le groupe de l’UMP votera contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Pierre-Christophe Baguet. Disons-le franchement : les motifs de l’exception d’irrecevabilité défendue par Frédéric Dutoit ne nous apparaissent pas évidents : la transposition d’une directive européenne, même si elle est fort tardive, il faut le rappeler, ne peut être considérée comme irrecevable.

La question pourrait éventuellement se poser pour une autre motion de procédure, mais pas pour celle-ci. Il est particulièrement choquant, en effet, que la commission des affaires culturelles, familiales et sociales n’ait même pas été saisie pour avis. De même, le fait que le Gouvernement déclare l’urgence sur ce texte après quatre ans d’attente suscite quelques interrogations, tout comme la date choisie pour son examen.

Toutefois, compte tenu des enjeux, le groupe UDF juge nécessaire de débattre et nous ferons demain dans la discussion générale, par la voix de M. Dionis du Séjour, des propositions qui, nous l’espérons, seront entendues. Nous ne voterons donc pas l’exception d’irrecevabilité.

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. André Chassaigne. Si la réponse du ministre est un peu facile et rapide, pour ne pas dire cavalière, celle du rapporteur est – je pèse mes mots – scandaleuse : taxer Frédéric Dutoit de « stalinisme » !

M. Christian Paul. Quand on le connaît !

M. André Chassaigne. Ce n’est surtout pas à vous, monsieur le rapporteur, de donner des leçons de morale et de parler de stalinisme !

M. Christian Paul. Il réécrit l’histoire !

M. André Chassaigne. Quant au fond, monsieur le ministre, vous contestez l’irrecevabilité. Mais quand deux principes fondamentaux de notre République, la liberté et l’égalité, sont mis en cause, il me semble qu’on peut bien parler d’irrecevabilité.

Avez-vous nié que ce projet de loi assurera le contrôle des réseaux numériques, et donc de la diffusion des richesses informationnelles ?

Avez-vous nié qu’il autorisera les intermédiaires à dire le droit, chaque acte sur les réseaux devant être connu, contrôlé et autorisé ou interdit ? Cette atteinte à la liberté n’est-elle pas anticonstitutionnelle ?

Avez-vous nié qu’il y aurait privatisation de la connaissance, avec l’extinction de la notion de prêt et la généralisation de la vente forcée ? N’est-ce pas là une atteinte à ce principe fondamental de notre République qu’est l’égalité ?

Avez-vous nié que ce projet de loi a en réalité pour objectif de servir, de privilégier, d’enrichir les multinationales propriétaires des logiciels et de pérenniser la domination de quelques grands monopoles ? Vous feignez de protéger le droit d’auteur, mais c’est une tromperie , car il s’agit essentiellement, pour ne pas dire uniquement, de protéger le propriétaire. C’est très emblématique de ce qu’il faut bien appeler, même si cela vous choque, le capitalisme, ou plus prosaïquement la recherche du grisbi, ce capitalisme qui veut maîtriser, s’approprier toute l’information.

Lorsque vous mettez en cause Frédéric Dutoit à propos de la convention UNESCO sur la diversité culturelle, votre argument est fallacieux, car notre collègue s’est félicité très clairement, lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2006, que la France ait joué un rôle déterminant pour l’adoption de cette convention.

Ce qui est aujourd’hui à l’ordre du jour, en contradiction avec les idées mêmes que vous avez défendues, c’est le grignotage du patrimoine informationnel de l’humanité. Cela seul serait une raison de voter l’exception d’irrecevabilité.

M. Christian Paul. C’est du cannibalisme !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’exception d’irrecevabilité.

(Lexception dirrecevabilité nest pas adoptée.)

Question préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés, il est vrai qu’en 2005, sept millions de Français, huit millions peut-être, ont téléchargé de la musique sur l’internet et que plus de trois millions ont téléchargé des films. On les appelle – ou plutôt vous les appelez – des « pirates ». Mais est-ce bien sûr ?

La plupart d’entre eux l’ont fait en échangeant des fichiers numériques à des fins non commerciales, dans le cadre de l’abonnement qu’ils ont légalement contracté avec un fournisseur d’accès. Ces Français ne sont pas différents de centaines de millions d’êtres humains qui chaque jour échangent, partagent et copient des œuvres culturelles. Ces pratiques sont massives, irréversibles. Elles modifient, bouleversent même, depuis près de dix ans la diffusion de la culture, les modes d’accès à la musique, aux images et aux textes.

J’ai ici deux baladeurs numériques. Les plus puissants de ces appareils, dont le coût est accessible, permettent de charger, de stocker et d’écouter près de 60 000 morceaux de musique, soit l’équivalent de 3 000 CD. Désormais, la musique s’échange, elle est nomade et accessible au plus grand nombre avec une simplicité inégalée. Ces pratiques sont l’un des fruits de la révolution numérique qui transforme l’économie tout entière, pour le meilleur et pour le pire.

Dans le domaine culturel, heureusement, le pire n’est pas toujours sûr. Au coût et à la rareté de l’œuvre sur un support physique se substitue l’abondance, puisque la reproduction est sans limite et pour un coût presque nul. Cette grande transformation ne laisse pas indemnes, il est vrai, les métiers de producteur et d’éditeur. Plus profondément encore, elle renouvelle les conditions de la création elle-même, car elle redéfinit la place des auteurs et des interprètes, mais aussi du public. La révolution numérique déplace les lignes, elle redistribue les rôles et la valeur et, dans la création contemporaine, elle modifie les frontières traditionnelles entre le public et les créateurs.

Monsieur le ministre, vous avez tout à l’heure présenté ce débat comme historique, et le groupe socialiste a envie de vous prendre au mot – mais pour vous dire que de ces changements naissent aujourd’hui des espoirs. La légalisation des échanges culturels non commerciaux sur l’internet n’est pas une utopie : elle est pour demain. Ne brisons pas ces espoirs par ignorance ou par dogmatisme.

Devant cette mutation, nos règles et notre droit, en France comme en Europe, apparaissent d’un autre âge. Nos principes sont solides, à commencer par le droit d’auteur, mais nos techniques juridiques, pour être efficaces, doivent se remettre en question.

La culture, vous le savez, ne s’invente pas au Parlement. Et quand arrive le temps d’écrire la loi, comme nous en avons l’exemple ce soir, il est souvent trop tard ou trop tôt. Sur ces questions, monsieur le ministre, vous avez rendez-vous avec le Parlement depuis longtemps. Et pourtant, ce rendez-vous que vous honorez tardivement, il aurait été sage de l’annuler. Plus de cent mille internautes vous ont interpellé en ce sens, vous demandant de renoncer à ce texte qu’ils perçoivent à juste titre comme une menace. Comme beaucoup d’entre nous, ils jugent déraisonnable de placer ce débat sous le signe de l’urgence qui, dans un domaine aussi sensible, sera mauvaise conseillère.

Vous objecterez, car c’est de rigueur, le temps passé à la concertation. Mais, dans une démocratie, quand il privilégie un seul point de vue et néglige tous les autres, le dialogue est truqué. Vous-même et votre prédécesseur, Jean-Jacques Aillagon, avez sur ces sujets une pensée, une conviction, mais trop exclusives.

M. Frédéric Dutoit. Mais ça, ce n’est pas du stalinisme !

M. Christian Paul. Devant l’âpreté de cette controverse, qui d’ailleurs ne se joue pas seulement en France, mais aussi en Europe et à l’échelle planétaire, il fallait organiser une confrontation sincère, et non un simulacre. Vous n’en avez pas la volonté – en tout cas pas la force.

Ce projet de loi est devenu le drapeau d’une croisade répressive que vous menez avec constance.

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est de la désinformation !

M. Christian Paul. Nous la jugeons moyenâgeuse, injuste et inefficace.

M. Jean Dionis du Séjour. Tout en nuance !

M. Christian Paul. C’est pourquoi je vous demande, au nom du groupe socialiste, de l’interrompre. La manière la plus rapide d’y parvenir serait, pour notre assemblée, de voter cette question préalable. À défaut, ce serait de modifier sur des points essentiels un texte dangereux, inadapté et lacunaire.

M. André Chassaigne. Le ministre commence à réfléchir…

M. Christian Paul. Il est de mon devoir, de notre devoir car Frédéric Dutoit l’a très bien fait avant moi, d’alerter le Parlement. Il ne s’agit ni d’un sujet mineur ni d’un texte anodin. En dépit de son apparence très technique, voire hermétique, ce projet de loi, ses motifs et ses contenus sont en effet au cœur de l’avenir de la propriété littéraire et artistique dans la société de l’information.

Faut-il, inspirés par la nostalgie d’un hypothétique âge d’or aujourd’hui révolu, durcir à l’excès le droit d’auteur ou, au contraire, le repenser et lui redonner sa légitimité en l’adaptant à la réalité des pratiques d’aujourd’hui ? Faut-il imaginer pour les artistes, les créateurs et les interprètes de nouvelles formes de rémunération auxquelles ils n’ont pas droit aujourd’hui ou bâtir, au contraire, des lignes Maginot techniques ou juridiques pour préserver – en vain, selon nous – l’ordre ancien ?

À l’évidence, il ne s’agit pas simplement de défendre ou de redéfinir les droits en présence. Nous sommes devant un choix majeur de politique culturelle. Ce qui est en jeu pour les décennies à venir, c’est l’accès libre à la culture. Dans notre histoire, chaque avancée vers l’accès libre à la culture est une victoire de la démocratie.

Avant d’entrer plus avant dans l’examen de ce texte et de ses dangers bien réels, je voudrais vous faire partager ma conviction. À l’occasion de la transposition de cette directive, le Parlement est en effet invité à choisir entre deux visions, deux voies désormais bien distinctes tant il est vrai que, depuis plusieurs années, le débat se déroule en dehors de lui : une voie répressive et une voie progressive.

La première voie, celle de la répression, s’illustre par les poursuites engagées, en Amérique puis en France, contre les internautes pour des faits de téléchargement et de mise à disposition de musiques ou de films. Ce sont les perquisitions à l’heure du laitier, la saisie des disques durs, les sanctions pour l’exemple. J’y vois comme une prise d’otages.

Nous avons été nombreux, au parti socialiste et sur d’autres bancs de l’Assemblée, à demander un moratoire sur ces poursuites, pour donner à la société française le temps de mieux appréhender, collectivement, la complexité de cette question. Ce moratoire n’a pas été accordé.

Assumant ces poursuites engagées en particulier par les producteurs de disques, vous dites combattre la « piraterie ». Cette notion n’est pas reconnue en droit, sinon peut-être en droit maritime !

Je sais ce qu’est la contrefaçon. Elle relève de trafics à but lucratif, parfois de réseaux criminels organisés. Elle constitue un danger pour le public comme pour les créateurs, et elle doit être réprimée sans états d’âme.

J’ignore, en revanche, ce qu’est la « piraterie » au sens où vous l’entendez et, jusqu’à la fin de nos débats, je m’abstiendrai d’utiliser trop souvent ce terme, pour ne pas risquer de qualifier de « pirates » vos enfants et vos petits-enfants, et donc d’en faire des délinquants passibles de lourdes peines.

M. Frédéric Dutoit et M. Jean Dionis du Séjour. Pas mal !

M. Christian Paul. Vous dites combattre de tels actes d’échange. Pourtant, la quasi-totalité de la jurisprudence française récente considère que le téléchargement de morceaux de musique ou de films ne constitue ni un crime ni un délit, mais au contraire un acte légal de copie privée, à usage strictement privé et sans but commercial.

Vous réclamant déjà de la voie répressive – car vous faites preuve, monsieur le ministre, de beaucoup de constance –vous aviez déclaré, peu de temps après votre arrivée rue de Valois, dans Le Monde du 19 juin 2004 : « La piraterie sur internet, crime contre l’esprit ». Dix-huit mois plus tard, permettez-moi de craindre, au moment où vous présentez ce texte devant la représentation nationale, que le verrouillage de l’internet soit une offense à notre intelligence collective. Hier, dans le même journal, vous refusiez, et je peux le comprendre, d’arbitrer « entre la jungle et la taule ». Mais en vous lisant, en vous écoutant tout à l’heure, en relisant votre texte,…

M. le ministre de la culture et de la communication. J’ai dénoncé l’un et l’autre, c’était clair !

M. Christian Paul. …on pouvait penser que vous aviez plutôt choisi le centre éducatif fermé.

M. Jean Leonetti. C’est vous qui êtes fermé, monsieur Paul !

M. Christian Paul. Non, cher collègue, je récuse ce manichéisme : il ne s’agit pas de choisir entre le non-droit et le verrouillage. Car il existe une seconde voie possible, une voie de réforme progressive. C’est la poursuite d’une histoire longue et tumultueuse, mais positive. À chaque étape de notre histoire depuis deux siècles, il a fallu rechercher un équilibre entre les droits des auteurs, des ayants droit et du public.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est vrai !

M. Christian Paul. Depuis le déploiement de l’internet, cette seconde approche, celle que nous défendons, a souvent été caricaturée. Encore ce soir, avec excès, sans vergogne, vous la décrivez comme le mythe de la gratuité totale, alors que nous n’avons jamais défendu la gratuité, encore moins la gratuité totale.

M. le ministre de la culture et de la communication. Je ne parlais pas de vous ! Ne vous croyez pas le centre du monde !

M. Christian Paul. Vous présentez nos positions comme des fables libertaires ou comme une philosophie de pacotille. Pour ma part, je prends au sérieux les bouleversements qui s’opèrent sous nos yeux et je crois à la recherche de solutions pratiques pour permettre de dégager des ressources nouvelles, de financer des rémunérations compensatoires et des aides à la création.

M. André Chassaigne. Il faut de la concertation !

M. Christian Paul. Qui affaiblit le droit d’auteur, au risque de le tuer ? Ceux qui envisagent des adaptations aux nouveaux usages culturels, ou les majors de la musique quand elles mènent cette croisade répressive et régressive en s’arc-boutant sur des pratiques obsolètes ? Qui risque de tuer le droit d’auteur ? Ceux qui veulent démocratiser la création, permettre à tous les artistes de diffuser et de vivre de leurs oeuvres grâce aux technologies d’aujourd’hui, ou ceux qui fabriquent, salarient, puis vendent, comme un produit de supermarché, de jeunes artistes en prime time ?

M. Frédéric Dutoit. Très bonne question !

M. Christian Paul. Qui est réaliste et raisonnable ? Ceux qui proposent des remparts de papiers, ou ceux qui proposent d’inventer de nouveaux modèles culturels et économiques adaptés au monde qui vient ?

M. Frédéric Dutoit. Il faut être audacieux !

M. Christian Paul. Il est vrai que dans l’approche que nous proposons, que nous opposons avec parfois un peu de passion à la vôtre, il y a à la fois de la raison et de l’idéal.

Oui, il y a de la raison car nous refusons l’idée de gratuité totale, que d’ailleurs personne ne défend sérieusement dans ce débat. Il ne faut donc pas travestir notre position. Il n’y a pas de création sans ressources pour les créateurs.

Mais, dans notre position, il y a aussi de l’idéal, car nous pensons possible que les technologies et les réseaux numériques permettent une avancée considérable, à la mesure peut-être de celle que fut l’invention du livre imprimé à la fin du XVe siècle. Sans ignorer Beaumarchais, nous n’entendons pas mépriser l’idéal de Condorcet, celui de la culture ouverte au plus grand nombre. Et nous n’entendons pas oublier l’appel de Victor Hugo – nous avons lu, monsieur le ministre, les mêmes textes, mais nous n’en faisons pas le même usage –, qui proclamait en 1878 : « Constatons la propriété littéraire, mais en même temps fondons le domaine public. »

M. Frédéric Dutoit. Bien sûr !

M. Christian Paul. C’est donc à la lumière de cette histoire et de ces principes que nous devons évoquer les dangers que recèle ce texte.

Ce projet de loi est d’abord dangereux par son inspiration. Il ne recherche pas l’équilibre entre des droits légitimes qu’il convient de concilier. Il cède à la panique, celle qui a saisi nombre d’acteurs économiques, parmi les plus puissants, mais aussi des artistes, devant les conséquences, apparentes du moins, des évolutions que nous observons.

Le marché du disque, c’est vrai, a connu des soubresauts ces dernières années. Personne ne le méconnaît. Cette crise a de multiples causes, et la preuve reste à faire, même après vous avoir écouté, que le téléchargement en est la principale. Certes, depuis le début du XXIe siècle, une chute des ventes de disques a été régulièrement constatée. Mais au-delà de ces analyses trop simples, pour ne pas dire simplistes, qui l’imputent entièrement ou très majoritairement aux échanges peer to peer, d’autres facteurs peuvent largement expliquer cette crise : c’est la fin d’un cycle de ce produit qu’est le disque. Nous savons bien, puisque nous en sommes, que les consommateurs ont aujourd’hui reconstitué pour l’essentiel leur collection de disques au format CD. Il y a également la crise économique, qui est bien là : le pouvoir d’achat des ménages est en baisse. C’est une dure réalité que personne ne peut ignorer au moment du choix d’un achat. Il y aussi l’essor des nouvelles technologies de communication, avec les téléphones portables, les ordinateurs, l’accès à internet, qui opèrent une nouvelle ponction sur le budget des ménages et plus particulièrement sur celui des adolescents. Il y a enfin cette concentration de l’offre, en particulier dans le domaine de la musique, autour de quelques artistes, selon les règles d’un marketing qui tue la diversité culturelle.

M. Dominique Richard. Justement, d’où la loi !

M. Christian Paul. L’étude universitaire la plus récente qu’il nous a été donné de connaître, menée en relation avec une association de consommateurs et financée par le ministère de la recherche – ce qui doit a priori garantir sa qualité, voire son indépendance –, est très catégorique : même s’il y a bien sûr parfois des exceptions, elle considère que l’intensité des usages peer to peer n’a globalement aucun effet sur l’achat de CD et de DVD.

Il y a aussi, et nous ne la méconnaissons pas non plus, la fragilité structurelle du cinéma. Mais, monsieur le ministre, si vous voulez soutenir le développement des ventes en ligne, en particulier celle de la vidéo à la demande, vous avez le loisir d’abaisser à 5,5 % la TVA sur ces produits culturels, comme vous le demande le cinéma français. Si vous le faisiez, ce ne seraient pas des discours à l’UNESCO, mais des actes – Patrick Bloche vous le disait tout à l’heure.

À chaque révolution dans les technologies de diffusion et de reproduction, après des affrontements musclés – y compris dans cet hémicycle –, on a trouvé un nouvel équilibre.

À l’époque des pianos mécaniques, monsieur le ministre, les ayants droit de Verdi attaquaient l’un des inventeurs, et les grands compositeurs s’opposaient aux boîtes à musique. Mais le législateur, quelques années après, rendait légale la fabrication d’appareils de reproduction de musique et, quelques décennies plus tard naissait l’industrie du disque, que ce choix avait rendu possible. Puis il y eut la radio : la musique devenait gratuite pour l’auditeur, la qualité du son était meilleure. Vives protestations alors des producteurs de disques, dont les ventes ne repartiront, c’est vrai, notamment après la guerre, qu’au prix d’un certain nombre d’innovations : le 45 tours, le 33 tours et la haute fidélité.

Et le magnétoscope ? Là on s’en rappelle, on y était, et aux premières loges : on a cru à la mise à mort du cinéma. Jack Valenti, le lobbyiste du cinéma américain, déclarait alors – ce qu’on pourrait entendre aujourd’hui à propos du peer to peer – que « le magnétoscope est au cinéma ce que l’étrangleur de Boston est aux femmes seules chez elles ». Deux ans plus tard, contre Hollywood, la Cour suprême des États-unis légalisait le magnétoscope. Et le cinéma est toujours là.

Puis il y a eu le baladeur numérique : le premier modèle fut attaqué en 1998 par les maisons de disques. Il est aujourd’hui dans des millions de poches. Ensuite, quand les logiciels d’échange de musique de pair à pair sont apparus, Napster puis Kazaa en tête, les mêmes entamèrent une nouvelle croisade.

La démonstration que nous devrons accepter, maintenant ou plus tard, est évidente : il y a place pour la cohabitation, pendant longtemps, pour les canaux de diffusion de la culture. La cohabitation des modèles de diffusion dans le domaine musical – disques, plateformes de vente en ligne et échanges non commerciaux sur des réseaux peer to peer – est possible et souhaitable.

Ce texte, dangereux par son inspiration, l’est aussi par son contenu même. Vous faites le choix de sanctuariser par le droit les mesures techniques de protection, donc la gestion numérique des droits. J’y vois trois conséquences, qui sont autant de risques.

D’abord, il y a un risque pour la copie privée. Vous allez bien sûr le démentir, mais nous en débattrons pied à pied dans les jours qui viennent. Nous pensons que les dispositifs anti-copie que ce texte défend et veut généraliser – implicitement ou explicitement – vont inéluctablement réduire, puis supprimer la copie privée.

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est faux ! C’est scandaleux de dire cela !

M. Christian Paul. Ce n’est peut-être pas consciemment votre objectif, du moins je l’espère, mais c’est le but avoué de beaucoup des grands acteurs de ce domaine. Dans le même mouvement, en même temps que l’on réduira, puis supprimera, la copie privée, on tarira la rémunération pour copie privée que perçoivent aujourd’hui, à juste titre, les artistes.

Ensuite, il y a un risque pour les libertés. Depuis le début de cette législature, nous sommes confrontés à une redoutable récidive : c’est la tentation du filtrage, du fichage et, osons le dire, du flicage de l’internet.

M. Patrick Bloche. Absolument !

M. Christian Paul. En 2004, trois textes – en trois mois ! – sont allés dans ce sens. La loi Perben 2 a durci les sanctions contre la contrefaçon, en particulier pour dissuader l’échange de fichiers musicaux sur internet. La loi dite de « confiance »…

M. Patrick Bloche. Quelle confiance !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il y a aussi de la barbarie sur internet !

M. Christian Paul. La loi dite « de confiance dans l’économie numérique » a cédé à la tentation – nocturne, on s’en souvient ! – de mettre en œuvre le filtrage des contenus et de renforcer à l’excès la responsabilité civile et pénale des fournisseurs d’accès. Beaucoup de ceux qui sont ici ce soir étaient déjà présents cette nuit-là. Ils seront d’ailleurs ici demain aussi, tout au long de la nuit.

M. Patrick Bloche. Et jeudi, et vendredi, et samedi !

M. Pierre-Christophe Baguet. Toujours les mêmes ? (Sourires.)

M. Christian Paul. Même le Conseil constitutionnel a émis d’expresses réserves sur la nature de ces mesures.

Troisième exemple de cette récidive : la loi réformant la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Cette loi, débattue non pas la nuit mais dans la chaleur de l’été 2004, a prévu la possibilité pour les sociétés de gestion de droits de constituer des fichiers d’internautes en infraction.

M. Patrick Bloche. Scandaleux !

M. Frédéric Dutoit. C’est la même logique !

M. Christian Paul. Là, le Conseil constitutionnel n’a pas réagi. Mais la CNIL elle-même, au nom des libertés qu’elle garantit, a refusé en 2005 les modalités techniques qui lui étaient proposées pour détecter automatiquement les infractions au code de la propriété intellectuelle. Quel désaveu ! Et ce n’était pas volé ! Avec la protection légale donnée aux DRM, à ces mesures techniques de gestion des droits numériques, le risque pour la vie privée se confirme. C’est un véritable contrôle de l’usage des œuvres et, potentiellement, le traçage des préférences littéraires et artistiques, puis de tous nos échanges en ligne qui nous attend.

M. André Chassaigne et Mme Marylise Lebranchu. Très juste !

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est faux !

M. André Chassaigne. Non, c’est la vérité !

M. Christian Paul. Après les risques pour la copie privée et pour les libertés, il y a enfin un troisième risque, monsieur le ministre, celui qui pèse sur l’interopérabilité, c’est-à-dire sur la capacité de deux systèmes d’information à communiquer entre eux, par exemple la possibilité de lire un CD ou un DVD sur le lecteur de son choix. Le contre-exemple nous a d’ailleurs été fourni cet après-midi, à votre corps défendant, par les plateformes en ligne qui étaient en démonstration à quelques mètres de cet hémicycle, parce qu’avec le baladeur que j’ai ici, je ne peux rien télécharger sur ces plateformes.

Au moment ou les députés discutent de ce projet de loi, de très nombreux Français achètent des baladeurs pour Noël. Il va s’en vendre peut-être des dizaines de milliers, et parmi eux, beaucoup comme celui dont je viens de parler. Mais les Français qui les achètent, et nous les députés qui discutons de ce texte, savons-nous que ce projet de loi transforme potentiellement les acheteurs de baladeurs en délinquants ?

M. Patrick Bloche. Nous, on le sait !

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est lamentable ! C’est minable !

M. Christian Paul. Je ne voudrais pas vous infliger un voyage au bout de l’enfer numérique, mais tout de même, monsieur le ministre, prenons quelques exemples dans la vie quotidienne parce que chacun peut les comprendre, qu’il soit de bonne ou de mauvaise foi, qu’il soit passionné ou indifférent à ces questions.

Les mesures techniques qui sont d’ores et déjà installées sur les CD par les producteurs de disques ne sont pas lisibles sur les baladeurs de la même marque. Si j’achète tout a fait légalement un titre sur les plateformes payantes qui, à votre initiative, étaient en démonstration à l’Assemblée nationale cet après-midi, et que je transfère ce titre sur ce baladeur-là, je ne pourrai pas l’écouter. Les formats et les mesures techniques de protection de ces plateformes, fournies par Microsoft – pour ne pas le nommer – sont en effet incompatibles avec les formats que mon baladeur, lui, sait lire. Après avoir acheté ce titre – même si, en faisant distribuer des enveloppes prépayées, vous avez donné cet après-midi aux parlementaires une leçon de gratuité – je vais devoir, pour l’écouter sur mon baladeur, contourner les mesures techniques installées par la maison de disques. Ce faisant, je m’expose aux peines prévues par la loi.

M. Patrick Bloche. Absolument ! Trois ans de prison !

M. Christian Paul. Jusqu’à trois ans de prison, en effet, et 300 000 euros d’amende.

M. Patrick Bloche. La taule pour Paul ! (Sourires.)

M. Christian Paul. Poursuivons ce « voyage au bout de l’enfer ».

M. le ministre de la culture et de la communication. Ce que vous dites est lamentable, minable !

M. Christian Paul. Monsieur le ministre, vous vouliez donner à ce rendez-vous législatif un caractère historique ; pour la troisième fois en moins de dix minutes, votre parole vous échappe !

M. le ministre de la culture et de la communication. Absolument pas !

M. Christian Paul. En guise de remède, les vendeurs du plus grand distributeur français et européen de disques et de livres, lequel diffuse aussi de la musique sur sa plateforme en ligne, avec des fichiers protégés par le format et les mesures de protection de Microsoft que ce baladeur ne peut pas lire, recommandent aujourd’hui à leurs clients de graver sur un CD vierge le titre qu’ils ont acheté sur cette plateforme de musique en ligne pour pouvoir le lire dans ce format, alors que celui-ci n’est pas compatible !

Mme Marylise Lebranchu. Exact !

M. Christian Paul. En fait, le vendeur recommande de contourner la mesure technique de protection.

M. Patrick Bloche. Absolument !

M. Christian Paul. N’est-ce pas « lamentable », monsieur le ministre ? Si la loi est votée en l’état et que ce distributeur continue de recommander à ses clients de contourner la mesure technique que vous allez sanctuariser par la loi, il les expose aux peines prévues par la loi !

Avec ce baladeur, la seule option légale qui m’est ouverte, si je veux acheter de la musique en ligne, c’est de me rendre sur une grande plateforme internationale, celle d’Apple. Le but de ce projet de loi est-il de conforter le monopole d’Apple, qui contrôle aujourd’hui le plus grand parc mondial de baladeurs numériques ?

M. André Chassaigne. C’est évident !

M. Christian Paul. Je peux aussi acheter un autre baladeur, qui sache lire les formats Microsoft, pour pouvoir lire les titres que j’achète sur les plateformes qui ne sont pas celles d’Apple.

M. Patrick Bloche. On a le choix entre Microsoft et Apple !

Mme Marylise Lebranchu. C’est la liberté !

M. Christian Paul. Le but de ce projet de loi – cette question n’est pas hors de propos : elle correspond à l’expérience de milliers de Français – est-il de renforcer le monopole de Microsoft sur les systèmes d’exploitation ?

C’est d’ailleurs pour avoir lié système d’exploitation et format de diffusion de la musique et des films que Microsoft a été condamné pour abus de position dominante par la Commission européenne.

M. Jean Dionis du Séjour. Je ne vois pas le rapport !

M. André Chassaigne. C’est à ce niveau qu’il y a piraterie !

M. Christian Paul. Certes, si j’ai un baladeur, je peux lire de la musique en format MP3. Mais aucune des grandes plateformes de musique en ligne commerciales ne propose à la vente des titres en format MP3.

M. Patrick Bloche. Attention aux cadeaux de Noël !

M. Christian Paul. J’ai voulu, mes chers collègues, vous proposer ce voyage dans l’univers numérique, pour que nous prenions ensemble la mesure de ce que représente d’ores et déjà, avant même le vote de la loi – et ce sera pire encore si vous l’adoptez – le risque en matière d’interopérabilité, notion qui peut être définie comme l’ensemble des conditions nécessaires pour pouvoir rendre deux systèmes quelconques compatibles.

Il faut en effet, monsieur le rapporteur, savoir s’affranchir de la technique. Mais quand on légifère sur elle, mieux vaut ne pas l’oublier totalement. L’interopérabilité, en pratique, c’est la possibilité pour un consommateur de copier un morceau de musique d’un CD vers son baladeur ; c’est la capacité d’utiliser n’importe quel baladeur pour stocker la musique achetée sur n’importe quel site. Nous en sommes loin et nous en serons plus loin encore si cette loi est adoptée. C’est, en résumé, une simplicité d’utilisation pour le consommateur, simplicité nécessaire, monsieur le ministre, à la réussite des systèmes de vente en ligne que vous défendez à juste titre.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est dans le projet de loi : article 7, alinéa 3 !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le projet de loi va même renforcer cette possibilité.

M. Christian Paul. L’absence d’interopérabilité, c’est en revanche l’obligation d’utiliser un baladeur donné pour écouter une musique donnée ; c’est l’obligation de racheter toutes les œuvres lorsque l’on change de baladeur. Pour prendre une image, c’est l’obligation d’acheter les lunettes d’un certain opticien pour pouvoir lire les livres de certains éditeurs.

L’interopérabilité, c’est également la possibilité pour tout industriel de développer un système compatible. C’est la capacité pour lui de créer, d’entrer en compétition, de proposer ses produits sur le marché. Votre gouvernement déclare se préoccuper d’intelligence économique. Mais aujourd’hui, la plupart des fournisseurs de mesures techniques sont américains ou japonais. Vous devez préserver un cadre favorable à notre industrie dans cette véritable guerre économique, où les seuls gagnants de cette pénalisation du contournement des mesures techniques de protection seront ces grands groupes extra-européens.

Parmi les industriels français et européens, remarquons ceux qui développent du logiciel libre. Vous les avez certes mentionnés. Mais savez-vous que le premier éditeur mondial de distribution de systèmes Linux destinés aux particuliers est une société française, dynamique et créatrice d’emplois ? Si l’on empêche le contournement à des fins d’interopérabilité, on empêchera cette société – et ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres – d’intégrer dans son offre des logiciels libres pour la lecture des DVD. Les seuls gagnants seront encore Apple et Microsoft.

Préserver le logiciel libre n’est d’ailleurs pas dans le seul intérêt de ses développeurs et de ses utilisateurs. Le logiciel libre est en effet devenu un socle, un bien commun informationnel indispensable au développement et au fonctionnement de nouveaux systèmes d’information. Son existence est dans l’intérêt de tous les acteurs innovants des industries de l’informatique et de l’électronique : vous devez le reconnaître.

L’interopérabilité nous permet, en résumé, d’utiliser les systèmes de notre choix pour accéder aux contenus. Elle nous permet de ne pas nous voir imposer l’utilisation de certains logiciels ou matériels, dont les détails de fonctionnement ne nous sont pas connus. C’est un point particulièrement important dès qu’il s’agit de gérer des informations sensibles. Comment pourrait-on par exemple imaginer que des systèmes utilisés par la défense nationale ou pour stocker les plans d’une invention révolutionnaire aient des brèches de sécurité exploitables par une puissance hostile ou étrangère ? Lorsque ces questions sont évoquées, vous criez souvent à la théorie du complot. Je voudrais seulement vous rappeler que certains logiciels d’IBM ou des systèmes d’exploitation de Microsoft ont été épinglés sur ce point par les juridictions. Plus récemment, votre gouvernement a interdit, à juste titre, l’utilisation d’un logiciel de téléphonie internet dans la recherche publique. C’est à cette réalité et à cet enjeu stratégique que nous sommes aujourd’hui confrontés.

L’interopérabilité, enfin, c’est la république dans le numérique. C’est offrir à chacun une capacité de communication universelle, contre les baronnies et le clanisme informationnels. C’est la langue commune qu’il nous faut sans cesse préserver parce qu’elle est la condition de la liberté et de l’égalité.

Je déplore que certains amendements, issus d’une partie de votre majorité, viennent durcir ces risques répressifs. L’un d’entre eux, qui circule curieusement dans les couloirs de notre assemblée sous le nom d’amendement « Vivendi Universal » – je me demande bien pourquoi – vise à pénaliser le développement de tout logiciel n’intégrant pas de système de contrôle des actes de son utilisateur. Disons-le tout net : cet amendement est une arme anti-logiciel libre. Son adoption serait en totale contradiction avec la politique que la France prétend poursuivre en particulier dans les administrations publiques. C’est pourquoi nous le combattrons énergiquement.

M. Richard Cazenave. Vous soutiendrez donc l’amendement sur l’interopérabilité ?

M. Christian Paul. J’aimerais surtout voir les amendements du Gouvernement ! Vous nous avez parlé tout à l’heure, monsieur le ministre, de la « riposte graduée ». Depuis que vous êtes installé rue de Valois, j’ai plutôt vu des représailles massives contre les internautes ! Nous attendons cette « riposte graduée » avec curiosité. Il doit s’agir d’un objet juridique intéressant. Mais, à moins que Mme la présidente ne me contredise, cet amendement n’a pas été déposé.

M. le ministre de la culture et de la communication. Mais si !

Mme Muriel Marland-Militello. Il l’a été !

M. Christian Paul. Vous l’avez donc, ma chère collègue ? Ce n’est pas notre cas !

M. Patrick Bloche. Il n’a pas été distribué ! Nous ne l’avons pas !

M. Christian Paul. J’en ai eu connaissance ce matin, sur un plateau de radio, par un représentant de l’une des professions concernées. Faut-il aller à la radio, monsieur le ministre, pour connaître les amendements du Gouvernement ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Cet amendement a été déposé !

M. Christian Paul. Je ne doute pas que vous répariez immédiatement cet oubli, afin que les députés de l’opposition, nombreux malgré l’heure tardive, reçoivent ces amendements.

M. Jean Dionis du Séjour. Et l’UDF ?

M. Patrick Bloche. Vous faites bien partie de l’opposition ? … (Sourires.)

M. Christian Paul. Ce texte vient à contretemps. II arrive trop tard, monsieur le ministre. C’est un projet terriblement daté. II veut transposer une directive européenne de 2001, qui résulte elle-même du traité de l’OMPI de 1996, quand les premiers logiciels peer to peer apparaissaient à peine. On me dit même que la Commission européenne réfléchit ces temps-ci à une modification de cette directive. Nous allons donc la transposer en droit français au moment même où Bruxelles s’apprête à en faire une nouvelle rédaction !

Je crois hélas que ce texte arrive aussi trop tôt. Prisonnier du dogme de la « chasse au pirate », vous n’avez pas procédé aux concertations nécessaires, ni à l’étude précise des alternatives possibles, contrairement à ce que fit Jack Lang en 1985, à l’occasion de la dernière grande loi consacrée au droit d’auteur et aux droits voisins.

Écrire une nouvelle règle du jeu réclamait dialogue et créativité. On a laissé s’installer une confrontation brutale. Je crois, monsieur le ministre, que le Gouvernement a mal travaillé sur ce texte. Les certitudes paresseuses des uns se sont additionnées aux tabous irréductibles des autres pour refuser toute avancée. On a même refusé la mission d’information parlementaire que j’avais demandée il y a un an avec Patrick Bloche, Didier Mathus et le groupe socialiste.

M. Patrick Bloche. Absolument !

M. Christian Paul. Vous pouvez, madame la présidente, en faire part au président de l’Assemblée nationale. Nous aurions pu pendant un an affronter les vrais problèmes, au lieu de laisser le rapporteur tout seul. Il est vrai qu’il a déjà remis sa copie depuis près d’un an et demi…

M. André Chassaigne. Ça ne les intéresse pas ! Il n’ont pas besoin de cela pour servir leur soupe !

Mme la présidente. Monsieur Chassaigne, n’interrompez pas M. Paul.

M. Christian Paul. Veillons à ne pas infliger à l’internet des péages, des verrous, des clôtures qui, au demeurant, céderont plus vite que vous ne l’imaginez. Car ce texte qui vient à contretemps est aussi inefficace. Que penser de la politique du tout répressif ou, pour être politiquement correct, de la « riposte graduée » proposée aujourd’hui ? L’exemple des États-Unis est à cet égard fort instructif. Ce pays a transposé dès 1998 le traité OMPI de 1996 en adoptant le fameux Digital Millenium Copyright Act qui, à l’instar de votre texte, interdit le contournement des mesures techniques de protection. Cette législation a d’ailleurs posé, et pose encore, de nombreux problèmes. Elle a notamment été invoquée pour empêcher la concurrence ou la recherche scientifique, en cryptographie par exemple. Cette contre-offensive législative réactionnaire a été doublée en France d’une véritable croisade de certains acteurs économiques contre les utilisateurs de systèmes d’échange, les assignant par centaines en justice, en rançonnant véritablement certains d’entre eux pour n’avoir échangé que quelques dizaines de morceaux. Force est de constater aujourd’hui l’échec complet de cette politique aux États-Unis. Un article du Wall Street Journal – publication qui ne passe pas pour être éditée par des adversaires du capitalisme mondialisé – daté du 16 décembre dernier nous apprend en effet que les ventes de disques y ont chuté de 40 %. Et ce après des années de politique répressive !

M. Jean Dionis du Séjour. Il s’agit de l’achat de musique en ligne !

M. Christian Paul. Pourtant, aux États-Unis, contrairement à la France, il existe une offre dite légale. On ferait mieux d’ailleurs de parler d’offre commerciale tant la légalité de certains sites de vente en ligne reste sujette à caution, notamment en ce qui concerne les reversements aux auteurs et aux artistes. Mais ces sites existent. Les consommateurs américains ont la possibilité d’y trouver leurs morceaux préférés et de les télécharger sur leurs baladeurs.

Monsieur le ministre, en marchant dans les pas des Américains, vous vous apprêtez à conduire notre industrie culturelle vers les mêmes difficultés, tout en empêchant l’émergence de nouvelles manières de créer et d’accéder à la culture. Vous auriez pu emboîter le pas au gouvernement Jospin qui avait su, lui, avec la redevance sur copie privée, trouver une solution garantissant de nouveaux revenus aux créateurs.

Enfin, ce texte apparaît tragiquement lacunaire – nous y reviendrons, si le débat s’engage, dans nos amendements – car il fait l’impasse sur quelques questions essentielles, qu’il traite de manière superficielle ou qu’il ne traite pas du tout. Pour les bibliothèques, par exemple, il n’affirme pas une véritable exception. Pour l’enseignement et la recherche, il faudra renforcer, en effet, les utilisations pédagogiques et le droit de citation des images, des sons et des textes. Et pour les personnes en situation de handicap, je considère que ce qui est proposé est totalement insuffisant. Pour les non-voyants, en particulier, notre responsabilité – je le dis avec gravité, monsieur le ministre – est immense. S’il fallait hiérarchiser les enjeux, celui qui concerne les non-voyants, et plus généralement les personnes en situation de handicap, figure pour moi au premier rang. Le dépôt légal de fichiers numériques ouverts permettrait de reproduire les livres en braille à des coûts non prohibitifs, ou de permettre leur découverte à l’aide de logiciels de reconnaissance vocale.

Nous aurons aussi l’occasion de revenir sur ce point, pourvu que la discussion s’engage. Car, mes chers collègues, toutes ces raisons – et même une seule d’entre elles – justifieraient que nous n’allions pas jusqu’à l’examen de ce projet de loi. Mais parce que je pressens votre obstination, je voudrais achever mon propos en vous disant que, si nous engageons le débat, nous devons prendre au préalable toute la mesure du passage à la civilisation numérique.

Le durcissement des lois sur la propriété intellectuelle s’est généralisé, même si la résistance à cette tentation s’est heureusement manifestée de façon éclatante au Parlement européen, en juillet dernier, lorsque la directive favorable aux brevets de logiciels a été écartée. Nous devons, vous devez écouter les voix qui s’élèvent pour proposer des solutions nouvelles, pragmatiques, respectueuses des droits en présence, dans un esprit de responsabilité.

Ces solutions existent, mais elles ne sont pas, hélas, dans votre texte. La méthode que nous proposons est au fond assez proche de celle utilisée il y a dix ans pour la photocopie. Nous aurions aimé que vous suiviez cette inspiration. Permettez-moi, du reste, de vous lire cette citation, où il suffit de remplacer photocopie par échange de fichiers numériques : « Il s’agit en fait d’un projet de loi simple. Il vient compléter un dispositif qui existe déjà, mais qui n’est pas respecté, alors que les sanctions pénales sont prévues pour réprimer le “ photocopillage ”. » Remplacez ce dernier mot par « peer to peer » et poursuivons : « Ce projet de loi vise, tout simplement, à faire disparaître ce délit. La prolifération des photocopies s’explique par des raisons techniques et culturelles – simplicité, développement du parc des appareils de reproduction, plus large diffusion des œuvres protégées. Les effets négatifs de la photocopie, vous en connaissez l’importance. […] Quant aux responsables, ce sont les utilisateurs, nous tous qui photocopions à tour de bras. » Remplacez « photocopions » par « piratons » et achevons : « Qui n’est pas aujourd’hui contrefacteur et justiciable comme tel des tribunaux correctionnels ? Il convient d’assurer un équilibre entre, d’une part, la nécessité de ne pas dessaisir les auteurs et, d’autre part, le souci de faciliter aux usagers le respect de leurs obligations légales en leur garantissant une parfaite sécurité juridique. »

M. André Chassaigne. Pas mal ! Qui est l’auteur ?

M. Christian Paul. Si je vous ai imposé cette trop longue citation, c’est qu’elle n’émane pas d’un apôtre zélé du photocopillage ou du piratage, mais de Jacques Toubon (« Ah ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), ministre de la culture défendant, en 1994, une loi visant à adapter notre droit à cette nouvelle technique qu’était alors la photocopie.

Vous auriez pu, monsieur le ministre, agir de même, et des solutions auraient été trouvées parce qu’en 2005 des solutions réalistes sont accessibles. C’est la défense de la copie privée et la création d’une licence globale. Sur ces deux fondements, le législateur peut élaborer dès maintenant, pour la musique, une réponse concrète et un nouveau système de rémunération des artistes. C’est la position que défendra demain le groupe socialiste dans le débat d’amendements.

Le téléchargement est d’ores et déjà considéré, dans nombre de cas, comme un acte de copie privée. C’est le droit positif. La rémunération pour copie privée existe et nous devons simplement l’adapter. La mise à disposition peut donner lieu à une gestion collective des droits. On n’a pas répugné, il y a dix ans, à y recourir, dans un contexte plus ancien, celui de la reprographie.

Les internautes sont disposés à s’acquitter de quelques euros par mois pour accéder à la musique du monde. Toutes les études d’opinion l’attestent : ils plébiscitent la solution que nous défendons, et qui a le soutien sans équivoque des organisations de consommateurs, des associations familiales et de nombreuses sociétés de gestion des droits des artistes. J’ajoute, et nous le démontrerons s’il le faut, que cette proposition ne heurte pas, comme certains feignent de le croire, les engagements internationaux de la France. Ce choix n’impose aucune limite ou exception aux droits exclusifs. Il est une adaptation technique aux réalités des échanges numériques, pour le téléchargement comme pour la mise à disposition des œuvres.

Monsieur le ministre, si l’Assemblée nationale choisit, malgré cette question préalable, d’engager le débat, nous vous demanderons d’agir pour la légalisation de l’échange des œuvres musicales sur internet et pour la légalisation du peer to peer. C’est un nouveau contrat culturel que nous proposerons pour la France, pour l’accès plus libre à la culture et le soutien à la création. Mais, vous l’aurez compris, ce texte, en l’état, est à nos yeux un acte inacceptable de répression et de régression. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la culture et de la communication. Dans une démocratie parlementaire comme la nôtre, on a le droit – et c’est une bonne chose, surtout quand on est dans l’opposition, même si, sur un tel sujet, on devrait pouvoir s’unir – d’être contre un projet, mais je trouve dommage de le caricaturer.

Ce projet vient-il trop tard ? Au contraire, nous sommes des pionniers ! Et le démontre l’amendement déposé par le Gouvernement ce matin, à onze heures, qui est maintenant disponible au service de la séance ou à la commission et qui est en cours de diffusion, avant de venir en discussion dans l’hémicycle.

M. Dominique Richard. Il est déjà en ligne.

M. le ministre de la culture et de la communication. Sur ce sujet, nous avons bien l’image de pionniers.

Quant à dire à ceux qui nous écoutent, et à tous ceux qui vont nous lire, que je mènerais une croisade répressive, c’est honteux !

M. François Loncle. C’est pourtant le cas !

M. le ministre de la culture et de la communication. Mais il est vrai qu’il existe plusieurs courants au parti socialiste…

M. Patrick Bloche. Ce n’est pas très sérieux et un peu politicien !

M. le ministre de la culture et de la communication. …et j’ai lu certaines interventions, et non des moindres, expliquant que la licence légale n’était plus une solution adaptée pour rémunérer les artistes.

En caricaturant le texte, vous voulez entretenir la confusion chez nos concitoyens. Ainsi, vous prétendez que nous voudrions porter atteinte à la copie privée.

M. François Loncle. Parlons-en, justement !

M. le ministre de la culture et de la communication. Telle est peut-être l’intention de la Commission européenne dans ses futures orientations, mais ce n’est pas ce que souhaite le Gouvernement, je l’affirme formellement. Prétendre le contraire est caricatural. La loi prévoit la copie privée, la simple possibilité de transmettre sa passion ! C’est un scandale de prétendre que nous allons pénaliser les consommateurs de bonne foi, puisque le projet prévoit l’inverse ! C’est un scandale aussi de dire que moi-même et les parlementaires qui auront la fierté de voter ce texte ne voulons pas arbitrer entre la jungle et la geôle, puisque nous proposons une troisième voie !

Prétendre que nous ne nous préoccupons pas du respect de la vie privée, de l’encadrement des mesures techniques, de l’interopérabilité, du développement et du respect des logiciels libres, de la concurrence – pour éviter tout monopole international –, c’est aussi de la désinformation puisque nous avons prévu des dispositifs très précis à cet égard.

Si vous aviez été sincère, monsieur Paul, vous auriez au moins rendu hommage à la concertation authentique que nous avons menée. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Patrick Bloche. Laquelle ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Elle n’avait jamais eu lieu auparavant ! Pensez-vous que l’accord du monde de la musique et du cinéma est le fruit du hasard ? Qui a réuni les professionnels de l’internet, les diffuseurs, les radios et les télévisions ?

M. Patrick Bloche. Vous n’avez fait que votre travail !

M. Laurent Wauquiez. Du bon travail !

M. le ministre de la culture et de la communication. Qui a rendu possible une offre légale nouvelle, si ce n’est cette majorité, cette équipe qui a mené les travaux de concertation ?

Non, décidément non, je ne mène pas une croisade répressive ! La voie d’avenir, pour moi, est celle dans laquelle nous nous sommes engagés. C’est d’abord avoir le courage de rappeler en quoi le droit d’auteur, la propriété intellectuelle, la rémunération du travail des artistes sont des valeurs essentielles. C’est aussi entreprendre une action de pédagogie et d’information à l’endroit des plus jeunes de nos concitoyens, notamment dans les collèges, non pas en privilégiant la répression mais en informant sur les enjeux. Car on ne peut pas prétendre défendre les artistes et les techniciens, leurs rémunérations et leurs conditions de travail, sans dénoncer le leurre, sympathique peut-être mais irréaliste, de la gratuité.

M. Christian Paul. Vous êtes pathétique !

M. le ministre de la culture et de la communication. La voie d’avenir, la troisième voie, c’est la promotion de l’offre légale nouvelle et la réponse graduée pour faire en sorte que la diversité culturelle soit une réalité. Vous pouvez toujours dire que ce sont là de beaux discours, mais si nous réussissons à faire reconnaître par la Commission européenne tous les dispositifs français de soutien à la création culturelle et artistique, si nous sortons de cette période où aucun gouvernement n’a eu le courage de la transparence vis-à-vis de ladite Commission, c’est en fonction d’un principe du droit international, celui de la diversité culturelle. Aujourd’hui, il trouve sa traduction dans l’audience que nous avons au sein des institutions européennes.

M. Christian Paul. On l’a vu à Londres !

M. François Loncle. En réalité, vous n’avez plus aucune audience !

M. le ministre de la culture et de la communication. Vous pouvez continuer à nous caricaturer, mais le débat montrera que nous veillons au respect de tous les équilibres et que nous savons défendre les grands principes et les valeurs essentielles.

J’aurais aimé, monsieur Paul, que vous soyez moins caricatural parce que nous avons à relever, ensemble, un défi, celui de la technologie. Il faut en faire une chance ; il faut qu’elle soit l’occasion de promouvoir la diversité. Vous usez comme vous l’entendez de votre liberté, mais moi, j’ai le devoir de vous répliquer afin qu’en dehors de cet hémicycle, ne se répandent pas de fausses informations, car jouer sur les peurs et les fantasmes est trop facile ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Patrick Bloche. Pitoyable !

M. Christian Paul. Pathétique !

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Franchement, monsieur le ministre, je me demande comment nous allons arriver à la fin du débat qui nous réunit autour de ce projet de loi. Nous n’en sommes qu’à la deuxième motion de procédure et la façon dont vous avez répondu à l’intervention de Christian Paul qui, patiemment, dans le respect des propositions du Gouvernement et au-delà de nos désaccords, ne vous a ni insulté, ni caricaturé, ni agressé.

M. le ministre de la culture et de la communication. Dire que je mène une croisade répressive, c’est m’insulter !

M. François Loncle. Allons ! Tenez-vous, laissez parler l’opposition !

M. Patrick Bloche. Il a simplement exprimé la position du groupe socialiste. Or vous avez qualifié ses propos de lamentables, minables, caricaturaux…Est-ce la parole que l’on attend d’un ministre ? Respectez donc la liberté d’expression au sein de cet hémicycle ! Avant d’être ministre, vous avez été assez longtemps parlementaire. Parce que nous sommes dans l’opposition, nous serions de mauvaise foi ? Vous nous faites un mauvais procès pour mieux tenter d’oublier que votre majorité est très divisée sur ce texte. La proposition de loi de M. Suguenot et d’une cinquantaine de députés de l’UMP va plutôt dans notre direction. Alors, de quel côté sont la caricature, la confusion et la désinformation ?

Alors que les débats relatifs à la propriété intellectuelle se déroulent toujours dans un climat passionnel dans notre pays, comment se fait-il que vous ne puissiez admettre une solution équilibrée permettant d’une part de servir l’intérêt des auteurs grâce à de nouveaux modèles de rémunération, d’autre part celui des internautes qui pourraient acquérir un droit optionnel à télécharger et à échanger des fichiers ? Nous sommes pour notre part véritablement soucieux de l’intérêt général, lequel commande de respecter les créateurs tout en favorisant l’accès à la culture du plus grand nombre et en refusant la pression des lobbies que vous aviez conviés dans la salle des conférences ! (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Christian Paul a évoqué les cadeaux que nombre de Français ont achetés pour les fêtes de fin d’année, baladeurs MP3 ou iPod qui permettent de télécharger et de stocker de la musique.

M. Laurent Wauquiez. Pas de publicité ! Seriez-vous à la solde de quelque grand groupe ? (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Bloche. Si nous défendons l’interopérabilité pour tous ces équipements, c’est parce que leurs utilisateurs risquent d’être passibles de 300 000 euros d’amende ou de trois ans de prison pour avoir contourné les mesures techniques de protection ! N’est-ce pas ce qui est écrit dans le rapport de M. Vanneste et dans votre projet de loi ?

Nous devons adopter la question préalable, car ce texte, que nous avons tant attendu, vient trop tôt ou trop tard. La solution que vous préconisez, monsieur le ministre, ne fera pas de la France un pays pionnier en ce domaine. Encore faudrait-il que nous la connaissions, car les amendements n’ont pas été distribués…

M. Laurent Wauquiez. Ils sont là ! Il suffit d’aller les chercher !

M. Patrick Bloche. …et celui du Gouvernement sur la « riposte graduée », que vous avez placée au cœur de votre intervention, n’a pas encore été porté à la connaissance des parlementaires. Vous avez dit vous-même ne l’avoir déposé sur le bureau de notre assemblée que ce matin. Face aux multiples pétitions et articles de presse, vous avez trouvé la formule de la « riposte graduée ». Monsieur le ministre, est-ce ainsi que vous comptez légiférer ? Ce n’est pas sérieux !

Pour toutes ces raisons, nous devons voter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Pierre-Christophe Baguet, qui a plus d’expérience que moi, m’a expliqué qu’une question préalable est une motion de procédure visant à démontrer qu’il n’y a pas lieu de débattre. À l’évidence, nous ne sommes pas dans ce cas de figure !

En tant qu’ancien rapporteur de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, je puis témoigner que la situation de départ semble assez analogue : même sous-estimation initiale de l’enjeu politique du texte, même passion, mêmes craintes, mêmes discours apocalyptiques émanant peu ou prou des mêmes bancs. L’intervention de Christian Paul y fait d’ailleurs écho. Cela étant, la loi pour la confiance dans l’économie numérique est appliquée, sans drame, depuis juillet 2004, et si tel n’était pas le cas, cela se saurait.

De même, on sait que la directive 2001/29/CE, que le présent texte tend à transposer en droit français, est déjà appliquée dans la majorité des pays européens. S’il y avait eu rupture entre logiciels libres et logiciels propriétaires, entre producteurs et consommateurs de culture dans de grandes démocraties comme les nôtres, pensez-vous vraiment que nous ne l’aurions pas su ? Mettons donc un peu de mesure dans nos appréciations et dans nos propos.

Ce texte présente une proposition cohérente …

M. Pascal Terrasse. Il est nul !

M. Jean Dionis du Séjour. Libre à vous de le penser ! Mais prenez garde de ne pas tomber dans le travers que vous avez reproché au ministre !

Ce texte favorise l’émergence de plateformes légales. J’estime pour ma part que c’est une voie d’avenir. Certes, ce modèle comporte encore bien des défauts : les prix sont trop chers et les répertoires étriqués, mais l’achat en ligne progresse, que ce soit dans le domaine de la culture ou d’autres biens et services.

Compte tenu des critiques faites par ses principaux détracteurs, l’on pouvait espérer une contre-proposition mirifique. Or vous ne nous proposez que la licence légale, laquelle consisterait en une taxe additionnelle de 6,99 euros à l’abonnement à l’internet, soit 33 % d’augmentation de la cotisation ! Vous parlez d’une proposition fracassante et novatrice ! Vous devrez l’expliquer au bon peuple internaute de France ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) En outre, le paiement de la taxe serait optionnel. Soit, mais où sont les bataillons de fonctionnaires chargés d’assurer le contrôle d’une telle mesure ? C’est de la foutaise ! (Vives exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Pascal Terrasse. Vous préférez jeter les gens en prison ?

M. Laurent Wauquiez. Ne l’attaquez pas ! Il va voter avec vous ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Monsieur Dionis du Séjour, cessez de « chercher » vos collègues du groupe socialiste ! Adressez-vous à l’ensemble de l’Assemblée pour achever votre explication de vote !

M. Jean Dionis du Séjour. Et que proposez-vous pour reverser ce qui est dû aux ayants droit ? Une bonne vieille caisse de répartition…

M. Patrick Bloche. C’est faux !

M. Jean Dionis du Séjour. …avec des reversements nécessairement approximatifs, puisqu’ils sont déconnectés de l’achat en ligne.

M. Jean Leonetti. C’est scandaleux !

M. Jean Dionis du Séjour. La fébrilité du groupe socialiste montre bien qu’il y a lieu de débattre ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. M. Dionis du Séjour a seul la parole. Laissez-le conclure !

M. Pierre-Christophe Baguet. L’UDF est bâillonnée ! (Sourires.)

M. Patrick Bloche. On nous provoque, madame la présidente !

M. Jean Dionis du Séjour. L’intervention de Christian Paul était très intéressante à bien des égards et nous aidera à structurer le débat sur le fond mais, s’agissant des baladeurs, je l’invite à lire plus attentivement le troisième alinéa de l’article de code introduit à l’article 7 : « Les licences de développement des mesures techniques de protection sont accordées aux fabricants de systèmes techniques ou aux exploitants de services qui veulent mettre en œuvre l’interopérabilité… ».

M. Christian Paul. Dans ce cas, retirez votre amendement !

M. Jean Dionis du Séjour. L’initiative est bonne, mais il faut encore améliorer le texte (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) et nous proposons d’en débattre sereinement.

Mme la présidente. Monsieur Dionis du Séjour, vous avez dépassé votre temps de parole. J’ai demandé au groupe socialiste de faire silence pour vous laisser conclure. Ayez maintenant la correction de le faire !

M. Jean Dionis du Séjour. J’ai fini, madame la présidente.

En déclarant l’urgence, monsieur le ministre, vous n’avez pas fait le bon choix. De même, la date retenue pour examiner ce texte n’est pas la plus opportune. Mais nous devons débattre maintenant et ne pas attendre les calendes grecques. Le groupe UDF ne votera donc pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Puis-je vous informer, monsieur le rapporteur, que les staliniens sont, comme les dinosaures, des monstres du passé ?

M. Jean Leonetti. Vous ne manquez pas de les réveiller régulièrement !

M. Frédéric Dutoit. Et puis-je vous rappeler que, sur de tels sujets, nous devons légiférer en pensant à nos enfants plutôt qu’au passé ?

Bien entendu, le groupe communiste votera des quatre mains la question préalable…

M. Bernard Carayon. Bigre ! Vous votez aussi avec les pieds ? …

M. Laurent Wauquiez. Ou bien serait-ce un concerto ?

M. Frédéric Dutoit. Tout juste : nous sommes deux ! (Sourires.)

M. Bernard Carayon. Alors, le compte est bon !

M. Jean Leonetti. J’ai d’ailleurs toujours pensé que vous étiez binaires ! (Sourires.)

M. Frédéric Dutoit. C’est normal en informatique !

Nous voterons la question préalable car nous partageons le sentiment de nos collègues socialistes : ce texte n’est pas à la hauteur de l’enjeu, à l’heure ou l’internet modifie les rapports que l’humanité entretient avec elle-même. Cette fantastique avancée doit-elle donner lieu à un encadrement du marché ? Ou bien devons-nous accorder une liberté totale à ceux qui souhaitent échanger ?

Je suggère que ce débat soit l’occasion d’oser une réforme globale du droit, de façon à rémunérer justement le travail des auteurs, interprètes et créateurs, en tenant compte, bien sûr, des nouveaux modes de consommation, auxquels doivent correspondre de nouvelles logiques de rémunération. Si c’est dans cette voie que vous nous proposez d’aller, monsieur le ministre, nous pourrons nous retrouver. Mais pour le moment, votre texte est plutôt tourné vers le passé que vers l’avenir. C’est pourquoi nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le ministre de la culture et de la communication. Cela avait pourtant bien commencé…

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Richard.

M. Dominique Richard. Je voudrais d’abord rétablir certains faits. M. Paul s’est exprimé tel une vierge outragée sur la question de la réponse graduée. Mais ce débat, il le sait bien, est sur la table depuis des mois.

M. Daniel Paul. Sur la vôtre, peut-être !

M. Dominique Richard. Dans la presse, en particulier, on en discute depuis longtemps. Et ce matin, le président du groupe socialiste, comme ceux des autres groupes, a reçu un dossier du ministère de la culture dont une fiche développe précisément la philosophie de la réponse graduée.

M. Patrick Bloche. Ce matin ! Quelle improvisation !

M. Pierre Cohen. Quel amateurisme !

M. Dominique Richard. Si l’information ne circule pas au sein du groupe socialiste, ce n’est pas de notre fait.

Quant à l’amendement lui-même, son texte est en ligne, et il est tout à fait possible de se le procurer auprès du service de la séance.

Plus sérieusement, nous aurons tout loisir, demain, de répondre sur le fond aux questions que M. Paul, comme d’autres, se pose à juste titre, mais ce n’est pas l’objet d’une question préalable. Nous devons, en particulier, nous interroger sur l’interopérabilité, afin qu’en aucun cas l’œuvre ne soit prise en otage.

M. Didier Mathus. Alors votez la question préalable !

M. Dominique Richard. Mais ne faisons pas le débat avant le débat.

Que signifie l’adoption d’une question préalable ? Qu’il n’y a pas lieu de délibérer. M ais comment pourrions-nous affirmer cela alors que notre pays a déjà été condamné deux fois pour son retard dans la transposition de la directive européenne et que, s’il persiste, la troisième condamnation sera assortie de lourdes amendes, dont le contribuable français devra prendre la charge ? Pour toutes ces raisons, il convient de rejeter cette motion.

Mme la présidente. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n’est pas adoptée.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour des prochaines séances

Mme la présidente. Aujourd’hui, mercredi 21 décembre, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 1206, relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information :

Rapport, n° 2349, de M. Christian Vanneste, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 21 décembre 2005, à zéro heure quarante-cinq.)