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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 22 décembre 2005

111e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. YVES BUR,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

sécurité et développement
des transports

Transmission et discussion du texte de la commission mixte paritaire

M. le président. M. le président de l’Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

« Paris, le 22 décembre 2005.

« Monsieur le président,

« Conformément à l’article 45, alinéa 3, de la Constitution, j’ai l’honneur de vous demander de soumettre à l’Assemblée nationale, pour approbation, le texte proposé par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la sécurité et au développement des transports.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l’assurance de ma haute considération. »

En conséquence, l’ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire (n° 2764).

La parole est à M. le rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Dominique Le Mèner, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué aux relations avec le Parlement, mes chers collègues, nous voilà au terme de près de trois mois de travail sur un projet de loi d’une vaste portée puisqu’il concerne l’ensemble de nos modes de transport. Organisé autour de trois volets qui sont au cœur des préoccupations importantes de nos concitoyens – la sécurité des transports, leur développement et les règles sociales qui s’appliquent aux acteurs des transports –, il a été considérablement enrichi au cours de la navette parlementaire. Le projet de loi initial comportait dix-huit articles ; le texte que je rapporte aujourd’hui en compte cinquante-six, soit plus du triple.

La commission mixte paritaire s’est réunie mardi et je salue l’excellente coopération entre nos deux assemblées.

Sans revenir sur le détail des mesures, que vous connaissez, mes chers collègues, pour les avoir examinées au fil de nos débats, je souhaiterais mettre l’accent sur quelques réformes particulièrement importantes.

En ce qui concerne le ferroviaire, le Parlement a d’abord approuvé les modalités choisies par le Gouvernement pour la création d’une autorité de sécurité ferroviaire, imposée par la directive sur la sécurité ferroviaire du 29 avril 2004. Il nous semble que la formule de l’établissement public de l’État garantit l’indépendance et la souplesse de fonctionnement nécessaires tout en assurant le maintien d’un fort contrôle de l’État. Dans cette perspective, nous avons précisé la composition du conseil d’administration et permis une perception plus équitable des redevances qui doivent contribuer au financement de cet établissement. Aucun désengagement de l’État n’est donc à craindre en la matière. L’État continue évidemment à édicter la réglementation.

A également été adopté un amendement permettant l’autosaisine du Bureau enquête-accident dans les cas d’accidents ferroviaires, alors que seul le ministre peut saisir cet organisme actuellement. Cette mesure complète la transposition de la directive 2004/49/CE en offrant de nouvelles garanties de sécurité.

En ce qui concerne le développement économique du transport ferroviaire, la commission mixte paritaire a également approuvé l’ouverture à la concurrence du transport intérieur de marchandises, ainsi que la possibilité offerte à Réseau ferré de France de recourir aux délégations de service public et aux contrats de partenariat. Grâce à ces outils, d’ambitieux projets vont pouvoir être lancés rapidement, comme la ligne à grande vitesse Rhin-Rhône, le contournement Nîmes-Montpellier, ou encore la ligne à grande vitesse Aquitaine.

RFF pourra par ailleurs confier des mandats de maîtrise d’ouvrage à des tiers, par exemple des collectivités locales, et confier de tels mandats à la SNCF dans des conditions exorbitantes du droit commun, en particulier afin de faciliter les opérations d’entretien et de renouvellement.

En tout état de cause, le projet de loi que je vous propose d’adopter garantit de manière explicite et sans équivoque la sécurité de l’exploitation ferroviaire dans le cadre de ces évolutions nécessaires.

J’en viens maintenant à la sécurité aérienne. Vous allez voter l’introduction dans notre droit de la faculté, pour l’autorité administrative, de mener les contrôles de sécurité dits « SAFA » dans des conditions techniquement et juridiquement indiscutables. C’est un élément important, d’autant que ces contrôles portent sur les avions de pays tiers. Plusieurs des préconisations énoncées en 2004 par la mission d’information sur la sécurité du transport aérien de voyageurs ont été reprises, renforçant le rôle du BEA et complétant les mesures prévues par le projet de loi concernant les modalités des comptes rendus d’accidents, d’incidents et d’événements de l’aviation civile.

A également été adopté un amendement ratifiant l’ordonnance de juillet 2005 sur la sûreté des vols et la sécurité de l’exploitation des aérodromes, avec deux modifications renforçant les contrôles dans les aéroports et accroissant les pouvoirs du préfet en la matière.

S’agissant du développement des aéroports, nous avons voulu en permettre la valorisation économique grâce à un amendement sur les commerces, tout en poursuivant la recherche d’une politique équilibrée de lutte contre les nuisances sonores.

Par ailleurs, la CMP a confirmé l’adoption de diverses dispositions précisant les conditions du transfert des compétences en matière de transport, qu’il s’agisse du transfert de compétences entre deux échelons locaux ou entre l’État et une collectivité locale.

Dans le premier cas, je mentionnerai l’affirmation du principe de compensation intégrale des charges consacrées par le département au transport scolaire lorsque cette responsabilité est transférée à l’autorité compétente pour l’organisation des transports urbains.

Dans le second cas, j’évoquerai la possibilité pour les collectivités gestionnaires à titre expérimental d’une partie du domaine fluvial de percevoir la redevance sur les prises d’eau ainsi que les péages de navigation. Je note également le changement des règles de vote au sein du conseil d’administration du Syndicat des transports d’Île-de-France, inspiré par le principe constitutionnel en vertu duquel aucune collectivité ne peut exercer de tutelle sur une autre.

Dans cet article 12 ter, la CMP a supprimé les dispositions en vertu desquelles l’actuel conseil d’administration restait en fonction jusqu’à l’installation d’un nouveau conseil composé conformément aux dispositions de la loi relative aux libertés et responsabilités locales. Elle a en effet estimé que la région Île-de-France devait assumer pleinement la responsabilité du blocage actuel du STIF, qui résulte de l’absence de désignation par cette collectivité de ses représentants au conseil d’administration.

Concernant les transports terrestres et la sécurité routière, la commission a approuvé la désignation d’un agent de sécurité chargé, pour chaque tunnel de plus de cinq cents mètres, de coordonner les mesures de sauvegarde.

La CMP, tout en précisant que cela visait les professionnels, a approuvé la volonté du Gouvernement de mettre un terme aux « débridages », « kitages » et autres « gonflages » des deux-roues et quadricycles à moteur, qui peuvent mettre en danger la vie de leurs jeunes conducteurs et celle des autres usagers de la route, sans compter les nuisances que ces manipulations entraînent.

Elle vous invite également à adopter les mesures prévues pour faciliter l’immobilisation des véhicules et la mise en fourrière prévues par le code de la route, ainsi que le renforcement de la coopération entre les autorités de l’Union dans la lutte contre la violence routière.

Recherchant une approche équilibrée, la CMP a aussi adopté un article additionnel, voté par notre assemblée, sécurisant le dispositif du « permis à un euro par jour ».

Par ailleurs, la CMP a confirmé la suppression de l’article 14, qui prévoyait d’attribuer une priorité d’accès à la ressource radioélectrique, sans appel aux candidatures, en faveur des personnes morales chargées d’une mission de service public d’information routière. Faute d’encadrement suffisant, cet article paraissait en effet susceptible de bouleverser l’équilibre qui résulte de la loi de 1986 en matière d’attribution de fréquences.

Afin de soutenir le secteur du transport routier de marchandises, qui traverse une grave crise dont les effets sur l’emploi ont commencé à se faire sentir, vous allez voter des dispositions qui permettront aux transporteurs de répercuter les variations des prix du carburant sur le prix facturé au donneur d’ordre. Les délais de paiement, anormalement longs dans ce secteur, seront encadrés. La CMP a en revanche supprimé l’article 15 bis A, qui consacrait la possibilité, pour un transporteur sous-traitant, d’obtenir du donneur d’ordre, en cas de défaut du commissionnaire, le paiement du transport réalisé même si le donneur d’ordre avait interdit au commissionnaire le recours à la sous-traitance. La réflexion nous a paru, à ce stade, inaboutie, et le dispositif potentiellement générateur d’effets pervers pour les transporteurs eux-mêmes.

La CMP a en revanche maintenu le renforcement des obligations de formation des conducteurs de poids lourds et la suppression de l’obligation de consacrer la moitié de la taxe finançant le développement de la formation dans le domaine du transport aux moins de vingt-six ans.

Elle a également maintenu, dans une nouvelle rédaction, l’article qui permet le recours, à titre expérimental, à une taxe sur les poids lourds dans la région Alsace. Cette expérimentation paraît en effet adaptée et proportionnée à la spécificité et à la gravité des problèmes que connaît cette région, en particulier les reports de trafic occasionnés par la création d’une taxe sur les poids lourds en Allemagne.

M. Antoine Herth. Merci de l’avoir précisé, monsieur le rapporteur, et merci à notre président de séance, Yves Bur, grâce à qui cette mesure a été adoptée !

M. Michel Raison. Aura-t-on seulement le droit de fumer dans les camions ? (Sourires.)

M. Dominique Le Mèner, rapporteur. En outre, nous vous proposons d’adopter l’extension du champ d’application de la loi d’orientation des transports intérieurs aux entreprises utilisant des deux-roues pour effectuer du transport léger de marchandises. La CMP a en effet rétabli l’article en cause qui, compte tenu de l’important changement que cette extension représente et de la nécessité pour les professionnels de s’y adapter, n’entrera en vigueur qu’un an après la promulgation de la loi. Quant à l’extension de la compétence de l’inspection du travail des transports aux véhicules à deux roues, introduite par notre assemblée, elle a été maintenue par la CMP.

Enfin, l’article 17, qui aménage des dérogations aux obligations relatives au temps de pause en faveur du secteur ambulancier et de celui des entreprises de transport routier de voyageurs assurant un service sur des lignes de moins de cinquante kilomètres, a été étendu aux entreprises du transport de fonds et de valeurs, afin de garantir de manière satisfaisante la sécurité des convoyeurs de fonds.

En matière de sécurité maritime et fluviale, la commission mixte paritaire a adopté conforme une réforme réglementant la formation à la conduite des bateaux de plaisance à moteur en mer et en eaux intérieures. Il est temps que cette réforme, très attendue par les professionnels et les plaisanciers et qui a fait l’objet d’une large concertation depuis deux ans, entre progressivement en vigueur. Elle fixe les conditions d’agrément des établissements d’enseignement de la conduite, définit la qualification exigée pour le formateur et assure ainsi une meilleure protection des candidats. Des sanctions pénales sont définies et des mesures transitoires prévues. Ce dispositif s’ajoute à la réforme du statut d’Equasis, un système d’information sur l’état des navires, prévue par le projet de loi initial.

S’agissant du développement du réseau et du transport fluvial, la CMP a confirmé l’ensemble des dispositions, fort nombreuses, contenues dans ce texte, qu’il s’agisse du recours par Voies navigables de France aux délégations de service public et aux contrats de partenariat en matière fluviale, ou bien du mécanisme de répercussion des variations des prix du carburant.

S’agissant du transport maritime, le texte a été notablement enrichi au cours de chacune des lectures par nos deux assemblées, afin de mettre notre droit en conformité avec les conventions maritimes de l’Organisation internationale du travail en matière d’inspection du travail maritime, de services de santé au travail, d’organismes de placement des marins et de rapatriement.

En outre, afin de garantir la sécurité et de tenir compte des spécificités propres à certains types d’activités maritimes, plusieurs mesures, introduites par notre assemblée, ont été confirmées par la commission mixte paritaire, qu’il s’agisse de l’application des normes sociales essentielles de notre droit aux personnels étrangers employés à bord de navires offrant des prestations de lamanage, c’est-à-dire d’amarrage, ou bien encore de la possibilité de prévoir une inscription obligatoire au premier registre des navires affectés à des lignes régulières internationales de voyageurs. Je pense également à la possibilité d’adapter l’organisation du travail par la négociation collective dans certaines activités qui présentent des contraintes particulières, comme le remorquage, soumis aux fluctuations de la marée ou dont le trafic, peu important, ne permet pas de fixer avec précision les périodes de travail des marins.

Compte tenu des attentes fortes que ce texte suscite dans le secteur des transports, ainsi que des obligations qui nous incombent en matière de mise en conformité de notre droit avec les engagements internationaux que notre pays a souscrits, la commission mixte paritaire a adopté ce projet de loi, dont elle a estimé qu’il satisfait pleinement aux ambitions qu’il affiche en matière de sécurité et de développement du secteur du transport. Je vous invite, mes chers collègues, à faire de même.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement.

M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Dominique Perben, empêché par une obligation de dernière minute. Le projet de loi relatif à la sécurité et au développement des transports, que vous avez adopté en première lecture le 14 décembre dernier, est de nouveau à l'ordre du jour de votre assemblée après avoir été examiné en commission mixte paritaire. Ce texte, qui couvre l'ensemble des domaines du transport, met le droit national en conformité avec certains engagements communautaires et internationaux souscrits par la France. Il comporte, en outre, d'importantes dispositions relatives aux transports et à leur développement.

Parmi les mesures proposées, plusieurs ont une portée particulièrement significative. Dans le domaine de la sécurité des transports, tout d’abord, un établissement public de sécurité ferroviaire est créé, dont les tâches seront essentiellement techniques : instruction des dossiers et contrôle de la réglementation. Bien entendu, l'État conservera la responsabilité de la sécurité des transports ferroviaires, notamment en édictant la réglementation. Dans le domaine aérien, les contrôles SAFA sont introduits dans notre droit et obligation est faite aux personnes publiques et privées qui exercent leurs fonctions dans l'aviation civile de rendre compte de tout accident ou incident dont elles auraient connaissance. Des sanctions adaptées visent à mettre un terme au débridage des deux roues et des quadricycles à moteur. Dans le domaine maritime, le texte prévoit d’importantes dispositions relatives à la sécurité avec la possibilité de créer des GIP, structures juridiques adaptées aux missions internationales de service public, et – sur proposition de votre assemblée – une réglementation de l'enseignement de la conduite des bateaux de plaisance à moteur, qui était très attendue.

En matière de développement, l'ouverture à la concurrence de l'ensemble du marché du fret ferroviaire constitue la transposition des dispositions dites du deuxième paquet ferroviaire et le recours au partenariat public-privé vise à favoriser la réalisation d'infrastructures ferroviaires et fluviales. Cette évolution s'inscrit dans la politique d’investissement dynamique et moderne, définie par le Gouvernement pour servir l'emploi et la croissance. Elle se fera dans le respect des principes actuels de gestion du réseau ferré national et des compétences de la SNCF en matière de gestion du trafic et des circulations et de fonctionnement et d'entretien des installations de sécurité. Sont également précisées les modalités de pilotage par l'État de la mise en œuvre de la liaison d'intérêt national Charles-de-Gaulle express, ainsi que des dispositions en faveur du transport routier de marchandises et du transport fluvial, aujourd'hui confrontés à un contexte économique difficile, notamment à la suite de la forte hausse du prix du carburant.

Dans ce chapitre relatif aux transports routiers, un article instituant – à titre expérimental – en Alsace une taxe sur les véhicules utilitaires de plus de douze tonnes utilisant certaines voies a été introduit, malgré les réserves du Gouvernement. Ce dispositif va être notifié, comme le prévoit la directive du 17 juin 1999, à la Commission européenne.

M. Antoine Herth. Merci !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Dominique Perben connaît l'impatience des Alsaciens,…

M. Antoine Herth. C’est vrai !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. …confrontés à une circulation très intense de poids lourds, et la comprend parfaitement.

M. Antoine Herth. Merci !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Toutefois, il tient à souligner les difficultés juridiques qui se posent et la complexité du dossier, qui ne manqueront pas de ressurgir au moment de la rédaction du décret en Conseil d'État nécessaire à sa mise en œuvre. La préparation de ce décret sera effectuée, ainsi qu’il en a pris l’engagement, en concertation avec tous les partenaires concernés.

Dans le domaine social, le texte comporte différentes mesures applicables au transport routier et au transport maritime, notamment pour les gens de mer, avec la mise en œuvre des conventions maritimes de l'Organisation internationale du travail.

Dominique Perben remercie tous les députés qui ont pris part de manière constructive aux débats. Ces remerciements s’adressent, bien entendu, tout particulièrement aux rapporteurs de la commission des affaires économiques, M. Le Mèner, et de la commission des finances, M. Mariton, dont le travail de fond particulièrement important et intéressant a permis d’améliorer et d’enrichir le texte en première lecture. Ils vont également aux présidents de ces deux commissions M. Ollier et M. Méhaignerie, qui ont suivi de très près les travaux, ainsi qu'aux membres de la commission mixte paritaire. Cette dernière a travaillé sur ce texte techniquement complexe dans des délais très restreints et je me félicite tout particulièrement de la réussite de ses travaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est proposé arbore un titre mensonger.

M. Dominique Le Mèner, rapporteur. Ça commence bien !

M. André Chassaigne. Loin de promouvoir la sécurité et le développement des transports, il s'inscrit dans le processus d'ouverture à la concurrence des activités humaines et économiques, entrepris depuis deux décennies par les institutions européennes et leurs compères libéraux dans les États membres, alors que le processus n'a fait la preuve ni de son efficacité ni de sa pertinence. Comment assurer la sécurité dans les secteurs aérien et ferroviaire quand la concurrence incite à rogner sans cesse sur les dépenses de main-d'oeuvre, de formation et d'entretien du matériel ? Les professionnels du secteur aérien ont pourtant averti des conséquences dangereuses de la sous-traitance pour leur sécurité et celle des passagers ! Je vous renvoie, monsieur le ministre, à l’excellent rapport de la mission sur la sécurité des transports aériens de voyageurs, présidée par notre collègue Odile Saugues. Les observations qui y figurent sont édifiantes !

Mme Odile Saugues. J’aimerais qu’il en soit tenu compte !

M. André Chassaigne. En Grande-Bretagne, les dramatiques accidents ferroviaires et la suppression des licences de certaines compagnies d'exploitation auraient dû vous alerter sur la difficulté de concilier les investissements nécessaires à la sécurité des voyageurs et les retours sur investissements élevés exigés par les compagnies privées qui se livrent une rude concurrence.

Mais ce n'est pas tout. La sécurité des voyageurs est aussi en jeu quand vous vous refusez à prendre des mesures volontaristes en faveur du rail pour rééquilibrer la part des différents modes de transport. La forte présence des camions sur les routes nuit à la sécurité routière, comme l'ont montré les incendies de tunnels occasionnés par des poids lourds ou les terribles accidents qui se multiplient sur la Route Centre Europe Atlantique dans sa traversée du nord du Massif central.

Mme Odile Saugues. Exact !

M. André Chassaigne. Le trafic des poids lourds nuit aussi à la qualité de l'air que nous respirons et que respireront les générations futures : il représente 94 % des émissions de gaz carbonique imputables aux transports !

Malheureusement, il semble qu'il vous soit difficile de ne pas céder aux sirènes du patronat routier. Pourtant, des solutions existent pour augmenter fortement la part du rail, comme en témoignent les décisions de certains de nos voisins : interdiction des fermetures de lignes ferroviaires, restriction de la circulation des poids lourds dans certaines zones, instauration d’une taxation à l'essieu, accord entre partenaires économiques et politiques pour promouvoir les entreprises optant pour le fret, annulation de la dette de RFF. Ce sont autant de mesures qui permettraient de répondre réellement à la sécurité dans les transports et au développement de modes peu polluants.

Mme Odile Saugues. Eh oui !

M. André Chassaigne. Votre texte rate également son deuxième objectif alors que, là aussi, l'enjeu est de taille, à la fois économique, écologique et social. Les transports, au cœur de la vie quotidienne de tous, de l'aménagement du territoire, des échanges économiques et des défis écologiques, méritent un réel rééquilibrage entre les différents modes, ainsi que des subventions aux infrastructures et au trafic. Pour cela, il aurait fallu faire le choix d'investissements différents.

Ainsi en France, la voie fluviale est sous-utilisée alors qu'elle consomme cinq fois moins que le transport routier et que notre pays est pourvu de plusieurs axes structurants. Le réseau de fret ferroviaire se rétrécit, le secteur subit des fermetures de gares, des suppressions de trains et souffre d’une pénurie de matériel et d’infrastructures en mauvais état, mis en évidence par un audit indépendant. Presque 80 % des marchandises circulent encore par la route. C’est dire la dynamique de progrès qu’il faudrait enclencher ! En dépit de la bonne santé de certains projets tels que la liaison entre Perpignan et Luxembourg, que M. Perben s’était plu à rappeler, la situation est alarmante.

Or vos seules réponses sont l'ouverture à la concurrence du fret, qui n'a pourtant engendré aucune augmentation de trafic chez nos voisins et qui conduit la SNCF à délaisser toute une série de lignes jugées secondaires, et le recours à des partenariats public-privé pour financer les infrastructures ferroviaires et l'exploitation de certaines lignes, ainsi que les voies fluviales, non en complément d'investissements publics, mais dans un contexte de désengagement de l'État et de mise en concurrence des territoires. La création d’un pôle public financier aurait évité de soumettre les projets à des taux de retour sur investissement extrêmement courts et à des taux de rendement élevés, alignés sur les taux des marchés financiers. Elle aurait aussi permis d'inscrire les subventions dans une logique de long terme, pas seulement sur des projets précis.

Vous persistez et signez dans la voie de la concurrence et du prétendu libre marché, dans le droit fil d'autres textes votés ici, en amalgamant dans une même entreprise de dérégulation les activités de l'énergie, des télécommunications, du rail et des postes. Vous les désignez sous la même dénomination floue de « services de réseau » pour mieux les livrer à la concurrence et à la privatisation des activités potentiellement très juteuses pour les marchés financiers, en faisant fi des réels enjeux de sécurité et de développement créés par la dérégulation du secteur. Nulle trace d'un engagement des pouvoirs publics pour ces enjeux ! Nulle réponse aux défis écologiques, sociaux et d'aménagement du territoire !

Nous n'avions donc que d’excellentes raisons de nous opposer à ce texte et vous nous en avez donné de nouvelles en acceptant la semaine dernière l’amendement de M. Devedjian sur le Syndicat des transports d'Île-de-France. Cet amendement vise à bloquer le développement des transports publics en Île-de-France.

M. Dominique Le Mèner, rapporteur. Au contraire !

M. André Chassaigne. En introduisant la règle des deux tiers au sein du conseil d'administration du STIF, tout développement sérieux de l'offre de transport, toute politique tarifaire sociale deviendra impossible à mettre en œuvre sans l'aval du président de l'UMP, dont on connaît la volonté de ne pas développer les services publics.

Votre conception de la démocratie, consistant à changer les règles du jeu en fonction des intérêts conjoncturels de l’UMP, ne cessera de nous étonner.

Rousseau avait développé la notion d’intérêt général, sur laquelle s’est longtemps enracinée la République. MM. Devedjian et Sarkozy développent la notion d’intérêt de l’UMP.

M. Dominique Le Mèner, rapporteur. Oh !

M. André Chassaigne. Je n’ose penser – et cette inquiétude n’est pas individuelle – au régime qui sous-tend ce nouveau concept politique.

Nous voterons contre ce texte.

M. le président. La parole est à M. Michel Raison.

M. Michel Raison. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un peu « duraille », pour reprendre l’expression d’un collègue : si les routes n’étaient pas plus encombrées que cet hémicycle, nous n’aurions pas à légiférer sur les transports… (Sourires.)

M. Dominique Le Mèner, rapporteur. Il fallait oser !

M. Michel Raison. Ceci n’est pas un scoop : je souhaite, monsieur le ministre, vous apporter d’emblée le total soutien du groupe UMP à ce texte qui contient des mesures de portée significative pour le secteur des transports.

Il ne s’agit pas, comme l’ont laissé entendre nos collègues de l’opposition, d’une compilation de dispositions diverses, mais bel et bien d’un ensemble cohérent et structuré, abordant tous les modes de transport selon leurs trois dimensions essentielles : la sécurité, le développement économique et les garanties sociales.

Je rappelle également que ce projet de loi nous permet de transposer un certain nombre de directives et donc de mettre notre droit en conformité avec nos engagements communautaires et internationaux en matière de transports.

Ne négligeons pas ce que ces textes peuvent nous apporter en termes de sécurité à l’échelle européenne ou internationale. J’ai d’ailleurs le souvenir d’avoir participé à un colloque organisé par un ministre des transports qui parlait beaucoup mais agissait peu – M. Gayssot – sur le problème du transport ferroviaire de fret.

M. André Chassaigne. Cela est outrageant et ne correspond pas au bilan de cet excellent ministre des transports !

M. Michel Raison. Il disait certainement un certain nombre de choses intéressantes,… mais il ne faisait que de les dire.

Mme Odile Saugues. C’est petit !

M. Michel Raison. Il avait souligné que le gros problème du transport de fret ferroviaire était la non-harmonisation entre les différents pays de l’Europe. Eh bien, cette harmonisation, que ce soit de la protection sociale, de la cohérence des projets d’infrastructures ou du développement de nos entreprises, ce texte peut nous l’apporter. En effet, nous n’évoluons pas dans un pays isolé. L’accélération des échanges économiques ou commerciaux, comme les menaces potentielles que représente le terrorisme à grande échelle, nous imposent, en matière de transports plus que dans tout autre domaine, d’agir de manière cohérente et concertée avec l’ensemble de nos partenaires.

M. André Chassaigne. Vous oubliez les intérêts financiers !

M. Michel Raison. À ce stade de la discussion, je me contenterai, monsieur le ministre, de souligner les principaux points de ce texte qui nous paraissent déterminants pour l’avenir du secteur et qui justifient notre approbation – ils sont au nombre de cinq.

Le premier point est le renforcement des exigences de sécurité, tous modes confondus.

Je pense, dans le domaine ferroviaire, à la mise en place, au 1er janvier 2006, de l’Établissement public de sécurité ferroviaire qui veillera au respect des règles relatives à la sécurité sur le réseau ferré national. Nous demanderons simplement, au nom de notre groupe, qu’il ne devienne pas une machine trop lourde.

Je pense également, dans le domaine aérien, à l’intégration dans notre droit du programme SAFA, qui nous permettra de renforcer les contrôles techniques en inspectant au sol les avions des pays tiers atterrissant dans nos aéroports. Je pense aussi aux dispositions qui rendent obligatoire la déclaration des événements susceptibles d’avoir des conséquences sur la sécurité aérienne.

Les attentes de nos concitoyens en ce domaine sont fortes et légitimes. Les catastrophes aériennes intervenues, hélas, au cours de l’été 2005, comme d’autres précédemment, ont frappé les esprits et endeuillé bien des familles.

Ces mesures vont dans le bon sens. Elles sont indispensables pour l’amélioration de la sécurité des passagers, tout comme la création d’une liste noire des compagnies aériennes commune à tous les pays de l’Union, sur laquelle le ministre des transports est parvenu, le 5 décembre dernier, avec ses collègues européens, à un accord, ce qui mérite d’être salué.

Mme Odile Saugues. Il a été pris sous la pression, il faut bien le dire !

M. Michel Raison. Nous poursuivons aussi, à travers ce texte, le chantier ouvert en 2002 par le Président de la République pour améliorer la sécurité routière. Je citerai à nouveau M. Gayssot : pendant cinq ans, il a promis de diminuer de moitié le nombre de morts sur la route. Mais il n’a fait que le dire…

M. Georges Colombier. Il n’a rien fait !

M. Michel Raison. …parce qu’il était impopulaire de resserrer les boulons.

Le Gouvernement l’a fait.

M. Gabriel Biancheri. Eh oui !

M. Michel Raison. Ce projet comporte des mesures nouvelles, comme l’aggravation des sanctions en cas de « débridage » des deux-roues et des « quads », ou l’immobilisation d’un véhicule en cas de grand excès de vitesse. Les résultats de la politique volontariste que nous menons en matière de sécurité routière depuis trois ans sont connus et incontestables, mais nous devons encore faire mieux. Nous ne pouvons nous satisfaire de la situation actuelle.

Nous apportons à nos concitoyens des garanties supplémentaires pour continuer de lutter contre les drames de la route quasi quotidiens que relate la presse locale.

Le deuxième aspect du projet de loi qui mérite notre attention est l’ouverture à la concurrence du marché du fret ferroviaire.

M. André Chassaigne. Ça, ça vous passionne !

M. Michel Raison. Oui, ça me passionne tellement que je ne me priverai pas du plaisir de vous rappeler que le premier paquet ferroviaire, composé de trois directives prévoyant l’ouverture à la concurrence du réseau transeuropéen de fret, a été transposé par décret en 2001. Peut-être pourriez-vous préciser, monsieur Chassaigne, qui était alors ministre des transports ?... Certes là où M. Gayssot a beaucoup parlé, il n’a rien fait, et lorsqu’il a fait, il n’en a pas beaucoup parlé.

M. Dominique Le Mèner, rapporteur. Belle formule !

M. Michel Raison. De cette décision il ne s’est pas beaucoup vanté au Parti communiste.

Le deuxième paquet que nous achevons de transposer aujourd’hui n’est donc que la poursuite d’une démarche de modernisation des chemins de fer engagée par la gauche elle-même,

Il en est d’ailleurs de même pour La Poste.

M. Gabriel Biancheri. Exactement !

M. Michel Raison. On ne rappelle pas suffisamment que la libéralisation de La Poste a également été votée en 2001 par la gauche,…

M. Gabriel Biancheri. Eh oui !

M. Michel Raison. …, ce qu’on ne lui reproche pas d’ailleurs.

À travers la libéralisation du fret, c’est bien de modernisation qu’il s’agit.

Alors que les députés siégeant du côté gauche de cet hémicycle, adoptent une frilosité quelque peu sclérosante…

M. Gabriel Biancheri. Fossilisante !

M. Michel Raison. …qui relève sans doute plus d’une posture idéologique que de convictions réelles – à moins que cela ne tienne à la crainte de perdre des voix aux élections –,…

Mme Odile Saugues. C’est un souci qui existe également de votre côté !

M. Michel Raison. …je tiens à rappeler que cette ouverture est, aux yeux de nombreux spécialistes de la question, une condition nécessaire pour relancer le fret ferroviaire en France – et Dieu sait s’il en a besoin ! –, un remède à la dégradation continue des parts de marché du transport ferroviaire de marchandises et, enfin, une chance de développement pour la SNCF elle-même qui pourra, en contrepartie, conquérir des marchés dans d’autres pays de l’Union européenne, à l’image d’EDF et de France Télécom,…

M. André Chassaigne. On peut toujours croire au Père Noël !

Mme Odile Saugues. C’est la saison !

M. Michel Raison. …à moins que la SNCF ne s’y adapte pas.

En ce domaine, il faut avoir conscience que le marché pertinent n’est pas le marché national, mais le marché européen, en particulier pour le fret ferroviaire qui concerne plus les longues distances que les courtes. Nous devons avoir le courage de dire clairement que les résistances rencontrées sont, à terme, suicidaires pour le fret et pour l’entreprise elle-même. Puisque, cher André Chassaigne, vous êtes plus proche que nous de ceux qui les organisent, je vous demanderai de leur faire la commission.

Troisième point important : le développement des transports passe aussi par la possibilité de recourir aux partenariats public-privé pour la réalisation de nouvelles infrastructures ferroviaires. Le projet de loi en donne la possibilité. C’est ce qui se fait d’ailleurs déjà dans le domaine routier. Je charge, à ce propos, M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement de transmettre mes remerciements au ministre des transports pour avoir obtenu le cofinancement public avec une autoroute dans mon département et dans celui de Luc Chatel.

Nous soutenons, monsieur le ministre, votre démarche en la matière, comme nous saluons l’initiative de nos collègues sénateurs qui ont étendu cette possibilité à la réalisation d’infrastructures fluviales.

Ce nouveau mode de financement permettra de remédier aux contraintes budgétaires de l’État et de mobiliser de nouvelles ressources, sans pour autant modifier les conditions d’exploitation du réseau existant. Nous pourrons gagner du temps. Des projets importants vont ainsi pouvoir être lancés. Je pense en particulier aux liaisons à grande vitesse Rhin-Rhône, qui concerne principalement les Francs-comtois et une partie de l’Alsace, ou Sud-Est-Atlantique. Je pense également à l’autoroute ferroviaire alpine, ou encore à la liaison express Paris-Roissy Charles de Gaulle, intégrée dans ce projet de loi par voie d’amendement la semaine dernière.

Quatrièmement, s’agissant du développement économique des transports, il me semble indispensable d’évoquer les mesures contenues dans le projet de loi en faveur du transport routier.

Il ne faut pas opposer les secteurs de transports entre eux mais force est de constater que le transport routier est important pour l’activité économique de notre pays puisqu’il compte 400 000 actifs et 80 % de PME. Nous côtoyons régulièrement les chefs d’entreprise de ce secteur dans nos circonscriptions et nous connaissons leurs difficultés. Le Gouvernement aussi puisque le texte y apporte une partie des réponses grâce à la mise en place d’un mécanisme de répercussion de la hausse du coût du gazole sur le prix facturé aux chargeurs.

D’autres dispositions mériteraient d’être soulignées, comme l’encadrement des délais de paiement ou l’amélioration de la transparence dans la relation contractuelle entre le donneur d’ordre et l’entreprise de transport. Elles s’ajoutent à la série des mesures structurelles que le Gouvernement a prises depuis un an pour améliorer la compétitivité du transport routier de marchandises, comme le remboursement déplafonné et accéléré de la TIPP, les mesures législatives pour limiter la durée du cabotage transfrontalier – et j’y ai personnellement contribué en déposant un amendement –, la transposition des directives sur le temps de travail, la revalorisation du dégrèvement de la taxe professionnelle et, enfin, la réflexion en cours sur la question des charges sociales.

Cinquième et dernier point : votre texte contient, monsieur le ministre, des dispositions sociales importantes pour les transporteurs terrestres et maritimes.

Elles permettront, à n’en pas douter, de renforcer les garanties offertes à ces professions dont la pénibilité est reconnue. Je pense, en particulier, à l’amélioration de la protection des femmes marins et à la mise en œuvre des conventions de l’OIT sur l’inspection du travail maritime et le respect des normes sociales et des droits des équipages.

Au terme de l’examen de ce texte, nous nous félicitons que la CMP soit parvenue à un accord, en particulier sur les dispositions supprimées ou les mesures nouvelles adoptées par notre assemblée.

Pour conclure, monsieur le ministre, je souligne le fait que ce projet de loi intervient à la fois dans un contexte de concurrence accrue entre tous les modes de transports, d’attentes fortes du secteur en matière de développement économique, et de réelle sensibilité de nos concitoyens, d’une part, à la question de la sécurité dans les transports et, d’autre part, aux notions environnementales qui concernent le transport.

Non, il n’y avait pas de suspense, monsieur le ministre : le groupe UMP votera bien ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. André Chassaigne. C’est très étonnant !

M. le président. La parole est à Mme Odile Saugues, dernier orateur inscrit.

Mme Odile Saugues. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, étudié en urgence à la veille des fêtes de fin d’année par notre assemblée, semblait tellement composite et anodin, hormis quelques grands points, dont je vais souligner l’importance, que j’avais pu, dans un premier élan, le qualifier de « vide-poche législatif ».

Il a été bien plus que cela puisque, dans la fadeur d’une séance de nuit, il s’est révélé être porteur de règlements de comptes, et la commission mixte paritaire n’a pas eu la sagesse de biffer dans sa totalité le mauvais coup porté au STIF.

En effet, arrivant à une heure du matin, le mercredi 14 décembre, l’amendement de M. Devedjian, devenu article 12 ter, a fait l’effet d’un coup de tonnerre en région Île-de-France, remettant en cause par son point II la décentralisation. La CMP l’a d’ailleurs supprimé. Il prive le président du STIF de toute marge de manœuvre, en le mettant sous la tutelle des autres collectivités concernant la maîtrise des dépenses, et, par voie de conséquence, paralyse l’organisation des transports en Île-de-France.

En effet, cette mesure obligera les élus du conseil d’administration du STIF à faire peser sur l’usager l’essentiel du financement des mesures d’amélioration du transport public en Île-de-France, à l’inverse de la politique tarifaire souhaitée et en contradiction avec les intentions affirmées haut et fort par MM. Karoutchi, Copé, Devedjian et Jego.

Ce projet comporte pourtant quelques mesures sociales intéressantes concernant le droit du travail dans la marine et la situation des femmes enceintes, ainsi que diverses mesures touchant aux transports, dont le transport sanitaire. Sur ce point, je rappellerai que les personnels souhaitent une compensation aux modifications de temps de travail apportées par le texte.

L’adoption de mesures concernant la sécurité dans le transport aérien est très positive. L’introduction dans notre droit de la faculté pour l’autorité administrative de mener les contrôles de sécurité dits SAFA, que je considère comme tardive, est malgré tout une mesure indispensable au niveau européen. Quant à l’article 7, qui vise à favoriser le reporting et sa confidentialité, en application de la directive 2003-42/CE du Parlement européen et du Conseil, il ne peut que recueillir mon assentiment puisqu’il correspond aux préconisations nos 23 et 25 faites par la mission d’information sur la sécurité dans le transport aérien de voyageurs.

Je remercie M. le rapporteur d’avoir fait rectifier par la commission mixte paritaire le libellé, précédemment, amputé par M. Perben, en réaffirmant que sont concernés « les accidents, incidents et événements ».

Enfin, la disposition qui prévoit l’information du public sur les mesures correctrices mises en place par la DGAC me permet d’espérer que la culture de la sécurité aérienne va pouvoir passer par une information et une transparence absolument indispensables, afin que le transport aérien reste un moyen de transport sûr.

Toujours parmi les points positifs, je citerai la suppression, à l’unanimité, par notre assemblée de l’article 14, contre l’avis du Gouvernement. Cette position très sage a été confirmée par la CMP. C’est redonner au CSA le droit qui est le sien d’organiser l’équilibre du paysage radiophonique.

J’en arrive aux mesures phares de ce texte qui ont très largement suscité notre opposition au cours du débat dans notre assemblée et qui n’ont pas été remises en question par la commission mixte paritaire.

Pour ce qui concerne la création de l’établissement public de sécurité ferroviaire, notre position de principe est claire : l’État doit rester le garant de la sécurité ferroviaire.

Vous détournez l’esprit de la directive 2004-49/CE relative à la sécurité des chemins de fer communautaires, car celle-ci permet le choix du ministre des transports, garant de la sécurité, à l’image de la DGAC qui effectue un travail remarquable.

J’aborde maintenant une mesure qui inquiète, fort justement, les personnels de la SNCF et les tenants du service public que nous sommes. Je veux parler de la possibilité d’un recours par RFF au partenariat public privé pour « la construction, l’entretien et l’exploitation de tout ou partie de l’infrastructure, à l’exclusion de la gestion du trafic et des circulations ainsi que du fonctionnement et de l’entretien des installations de sécurité ». J’insiste sur ce point pour M. le ministre des transports qui a mal lu le texte la première fois.

C’est pour le groupe socialiste la porte ouverte à une politique, que je qualifierai de « politique à l’anglaise », ou plutôt de « politique à la Margaret Thatcher », que nous condamnons pour des raisons de sécurité évidentes. Par ailleurs, nous restons persuadés que c’est à l’État que reviendra la partie la plus dégradée des infrastructures, le privé n’étant intéressé que par la partie la plus rentable.

M. André Chassaigne. Bien sûr !

Mme Odile Saugues. En ce qui concerne le deuxième paquet ferroviaire qui entérine l’avancée de la date d’ouverture du fret à la concurrence, fruit d’un marchandage avec la Commission européenne, nous ne pouvons que prendre acte de cette ouverture. Les conditions qui ont précédé cette annonce contraignant la SNCF à un plan de restructuration du fret – je reste persuadée que, même si des remises en question étaient nécessaires, celui-ci est brutal – nous conduisent à affirmer notre désaccord.

Je redis notre demande forte, relayée d’ailleurs par des députés de votre propre camp, mesdames, messieurs de la majorité, d’une étude d’impact. Celle-ci permettrait de tirer des enseignements de la première phase d’ouverture, due à l’application des directives européennes. En effet, il ne paraît pas être de bonne politique d’appliquer, sans bilan aucun, les directives successives.

Comment pouvons-nous dire aux Français que ces aménagements sont pour eux des progrès alors que votre gouvernement ne se soucie pas de faire le point avant d’aller plus loin ?

Je ne peux que regretter qu’aucun des amendements du groupe socialiste allant dans le sens d’une réflexion réelle sur notre politique de transport n’ait été retenu par le Gouvernement.

Le libéralisme qui guide les actes de la politique du Gouvernement en matière de transport pousse le désengagement de l’État concernant la sûreté et la sécurité aérienne à confier l’exercice des missions essentielles de ce dernier à des tiers. C’est l’esprit de l’article 7 ter, qui ratifie l’ordonnance du 28 juillet 2005 relative à la sûreté des vols et à la sécurité de l’exploitation des aérodromes et qui méconnaît le principe constitutionnel interdisant de confier à des tiers la responsabilité de tâches indissociables des missions de souveraineté de l’État.

Je ne passerai pas sous silence l’application que vous faites du modèle du système aéroportuaire aux ports non autonomes. Nous sommes opposés à ce transfert qui ouvre la voie à la privatisation des ports.

Pour terminer, je dirai que ce texte regroupe un ensemble de mesures, dont quelques-unes sont positives. Mais il est marqué, surtout pour le ferroviaire, de l’empreinte libérale et il n’est pas porteur d’une véritable réflexion sur les transports.

C’est une politique du coup par coup, sans imagination. J’en veux pour preuve l’article 15 quater qui concerne l’Alsace et qui accorde pour une durée de cinq ans, à titre expérimental, la faculté de prélever une taxe sur les véhicules utilitaires, afin d’éliminer des nuisances fortes causées par la taxation de ces véhicules en Allemagne.

Si l’on peut comprendre les difficultés auxquelles sont confrontés les Alsaciens, il est bien évident que, sans la définition d’une politique équilibrée de transport au niveau européen ainsi qu’entre les différents modes, on n’améliorera pas la situation. Là aussi, un bilan sera nécessaire afin de ne pas faire fausse route et de ne pas repousser le problème géographiquement.

En conclusion, je dirai mon regret de voir qu’en matière de transports, la politique du Gouvernement se limite à une transposition sous la contrainte des directives européennes, transcrites souvent avec retard, sans le souffle qui permettrait un véritable aménagement du territoire et un service public de qualité dont la sécurité resterait le maître mot et l’État le garant.

Pour toutes ces raisons, mon groupe ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Sur le texte de la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.

Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

(L’ensemble du projet de loi est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

DROIT D’AUTEUR
dans la société de l’information

Suite de la discussion,
après déclaration d’urgence, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (nos 1206, 2349).

À la demande du Gouvernement, la discussion des amendements restant à examiner à l’article 1er, des amendements portant articles additionnels après l’article 1er et avant l’article 2 ainsi que de l’article 2 est réservée.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Bernard Accoyer, pour un rappel au règlement.

M. Bernard Accoyer. Je veux saluer la décision du Gouvernement de réserver la discussion d’un certain nombre d’articles, car l’examen de ce projet de loi nous a conduits à rouvrir le débat sur la licence globale. Outre qu’il faudrait vérifier que celle-ci correspond bien au contenu de la directive européenne de 2001 que nous avons à transposer, il nous faut manifestement approfondir notre réflexion sur ce sujet, et ce d’autant plus que le monde de la création, du spectacle, des auteurs-compositeurs et interprètes nous adresse un grand nombre de messages dont nous devons tenir compte, car il convient en priorité de sauvegarder les droits consubstantiels au rayonnement culturel de notre pays.

Par ailleurs, je vous demande, monsieur le ministre de la culture et de la communication, de bien vouloir réserver un certain nombre d’amendements qui ont un rapport avec le vote de la nuit dernière sur la licence globale. Et je pense que nous pouvons ainsi avancer vers le meilleur équilibre possible entre la priorité dont je viens de parler et les attentes légitimes des internautes.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Bloche. L’adoption, hier soir, de deux amendements identiques, dont l’un émanait du groupe socialiste, a pour conséquence d’inscrire dans un cadre légal le téléchargement et l’échange de fichiers tout en permettant que les auteurs, les producteurs, les interprètes, bref, tous les titulaires des droits d’auteur et droits voisins soient rémunérés.

J’ai cru comprendre de ce que disait le président Accoyer que le message clair délivré hier par l’Assemblée nationale a été entendu, et que notre souci de légiférer hors de toute influence – et Dieu sait si les lobbies sont nombreux compte tenu des intérêts économiques et financiers en jeu –...

M. Laurent Wauquiez. Créatifs surtout !

M. Patrick Bloche. …a été compris.

Au-delà de nos clivages habituels, nous avons fait le choix de l’intérêt général, c’est-à-dire le choix de la liberté, mais aussi de la responsabilité en rassemblant la collectivité nationale. Nous avons oeuvré dans l’intérêt du public en lui permettant d’accéder aux contenus de la culture, de la connaissance et du savoir tout en tenant compte des intérêts des auteurs et de tous ceux qui appartiennent au monde de la création. Nous pouvons même affirmer que l’Assemblée nationale a émis hier un vote très important, historique même !

Le président Accoyer propose de rouvrir le débat et d’approfondir la réflexion. Et pour cause : le vote des deux amendements identiques d’hier bouleverse l’économie du projet en créant une licence globale contractuelle, mais aussi optionnelle comme le prévoient d’autres amendements que nous avons déposés.

À cette occasion, je voudrais lancer un message clair en direction du monde de la création. Je ne voudrais pas que ce dernier fasse l’objet d’une manipulation qui consisterait à dire que les parlementaires ont fait le choix de la gratuité contre ses intérêts. Dire cela serait mentir, car avec l’exception pour copie privée telle que le prévoit notre code de la propriété intellectuelle, il y a à la clé une rémunération des auteurs.

M. Christian Paul. Absolument !

M. Patrick Bloche. C’est en prélevant une part de l’abonnement perçu par les fournisseurs d’accès à Internet que nous pourrons mobiliser des centaines de millions d’euros au bénéfice des acteurs culturels de notre pays. Nous avons dit aussi, et je tiens à le rappeler, que seule l’industrie musicale est concernée et que nous avons laissé de côté l’industrie du cinéma.

Je tenais à rappeler les aspects les plus saillants de notre débat d’hier soir. Il reste que le groupe socialiste se trouve plus que jamais justifié dans sa démarche et qu’il a eu raison de dire que le Gouvernement n’était pas prêt. D’ailleurs le dépôt tardif de nombreux amendements dont certains, à nos yeux, d’une gravité extrême pour nos libertés publiques – je pense notamment aux amendements sur la riposte graduée – en témoigne. Nous considérons désormais que le Gouvernement doit revoir sa copie. Dois-je rappeler qu’il y a un an, à l’initiative de Jean-Marc Ayrault, de Christian Paul, de Didier Mathus et de moi-même, nous avions demandé la création d’une mission d’information qui nous a été refusée ? Dans la même optique nous avons défendu une question préalable et une motion de renvoi en commission.

M. Christian Paul. Nous aurions évité le pire en adoptant la motion de renvoi en commission !

M. Patrick Bloche. À ce stade, la raison devrait donc l’emporter. Nous devrions arrêter là la discussion de ce projet de loi. Car je vois bien ce qui se prépare en réservant des amendements et des articles, bref, tout ce qui fâche autour de la licence globale contractuelle. Légiférer dans ces conditions, de plus un 22 décembre, n’est pas de bonne méthode !

Si nous voulons retrouver de la sérénité et, surtout, de la cohérence, si nous voulons légiférer au nom de l’intérêt général afin qu’au terme du débat, ce projet de loi ait un sens, nous devons suspendre nos travaux le temps de trouver les équilibres nécessaires.

M. Christian Paul. Très bien !

M. Patrick Bloche. Le chemin a été tracé par le vote d’hier soir. Empruntons-le ensemble afin d’unir dans une même démarche les intérêts des internautes et des plus jeunes de nos concitoyens et bien sûr les intérêts des auteurs et artistes-interprètes de notre pays. À cet égard, je rappelle que deux sociétés de gestion collective, l’ADEMI et la SPEDIMAN qui défendent les intérêts des artistes-interprètes, soutiennent notre démarche.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour un rappel au règlement.

M. Frédéric Dutoit. Nous sommes à la croisée des chemins sur une question de société – Mme Boutin l’a rappelé – qui déterminera l’avenir des auteurs et de leurs droits, mais aussi celui des usagers de l’Internet. Au nom du groupe communiste qui, je le rappelle, a voté les amendements d’hier soir, je voudrais, moi aussi, déplorer les conditions dans lesquelles nous travaillons. Elles sont inacceptables. Non seulement le Gouvernement a déclaré l’urgence sur un texte dont l’examen a été retardé pendant deux ans, mais en plus il dépose des amendements de dernière minute très importants que nous n’avons pas pu examiner. Si nous considérons qu’il s’agit réellement d’une question de société, les conditions ne sont pas réunies pour débattre en toute sérénité.

Et voici qu’il demande la réserve de la discussion d’un certain nombre d’articles. Quand allons-nous les examiner ? Allons-nous discuter de questions fondamentales pour l’avenir de notre société en pleine nuit ou demain matin entre sept heures et huit heures ?

M. Richard Cazenave. Mais non !

M. Frédéric Dutoit. Allons-nous achever ce débat fondamental sur la licence globale, ouvert par une majorité de l’Assemblée nationale, demain matin, vendredi 23 décembre ? Ce n’est pas sérieux !

Je demande donc au Gouvernement de bien mesurer sa responsabilité. Les médias traditionnels, mais aussi ceux de l’Internet suivent nos débats. Monsieur le ministre, si vous voulez vraiment trouver un point d’équilibre et rassembler le peuple français sur ce débat fondamental qui concerne l’avenir, ce n’est pas ainsi que vous devez vous y prendre. Vous êtes en train de creuser le fossé entre ceux qui souhaitent une avancée significative dans le cadre de la démocratie et ceux qui restent figés sur des conceptions anciennes.

Je m’associe à mon ami Patrick Bloche pour dire ici solennellement que, pour le groupe communiste, il ne s’agit en rien de remettre en cause les droits d’auteur et les droits voisins. Nous proposons, et c’est un immense chantier, de réfléchir aux manières de préserver, de garantir, voire de développer ces droits dans la société du XXIe siècle que nous sommes en train de construire. La différence est de taille et je suis convaincu que les artistes et les interprètes seront dans leur ensemble à nos côtés.

M. le président. La parole est à M. Dionis du Séjour, pour un rappel au règlement.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, le débat est mal parti.

Mme Martine Billard. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous pouvons en faire le constat sereinement. Encore une fois, nous sommes face à une demi-mesure : comme les amendements qui font débat ont été réservés, nous allons reprendre la discussion avec ceux qui sont censés ne pas faire débat, mais cela ne nous empêchera d’être confrontés à d’autres difficultés. Que gagnerons-nous à voter l’article 3 ou 4 aujourd’hui ? Le Gouvernement a pris la décision de réserver des articles, avec raison sans doute, étant donné les enjeux, mais transformer le débat en gruyère n’est pas heureux. Nous aurions donc vraiment intérêt à arrêter nos discussions pour donner du temps au Gouvernement.

S’agissant de la licence globale, il faut bien distinguer deux questions.

La licence globale optionnelle est, je le répète, une supercherie intellectuelle !

Mme Christine Boutin. Arrêtez !

M. Jean Dionis du Séjour. Je maintiens le mot et je peux refaire la démonstration.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Ah non !

M. le président. N’oubliez pas qu’il s’agit d’un rappel au règlement !

M. Jean Dionis du Séjour. En revanche, nous sommes prêts à avoir un débat sur la licence globale obligatoire.

Pour l’heure, nous souhaitons que le ministre donne son avis sur une éventuelle suspension de nos travaux afin que nous puissions le reprendre en suivant l’ordre des articles.

M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je ne suis pas surpris par ce débat et par la passion qu’il soulève.

L’objectif du Gouvernement est tout simplement de trouver des pistes nouvelles, de sortir d’affrontements anciens, de faire en sorte qu’Internet, qui est une chance, une liberté, un espace de découverte et de création, soit accessible au plus grand nombre, mais qu’une règle du jeu soit définie. Or celle-ci pour les internautes de notre pays, quelle que soit leur génération, ne doit pas être la régulation par la sanction pénale.

Nous voulons trouver une troisième voie. Nous sommes en train de la bâtir en essayant de faire en sorte que les internautes puissent disposer d’un espace de rayonnement, de créativité et de découverte et que les artistes, les auteurs, les techniciens, toutes celles et ceux qui participent à la chaîne de la création culturelle et artistique puissent être rémunérés, et justement rémunérés, pour leur travail et pour leurs œuvres.

M. Laurent Wauquiez. Très juste !

Mme Christine Boutin, Mme Martine Billard et M. Frédéric Dutoit. Nous sommes d’accord !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ce point d’équilibre est exactement ce que nous proposons dans ce projet de loi. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Nous voulons être concrets. Nous ne nous satisfaisons pas de ce qui existe car ne rien faire, c’est prendre le risque d’une domination mondiale par quelques-uns.

M. Christian Paul. C’est juste !

M. le ministre de la culture et de la communication. Je suis particulièrement fier d’avoir, sous l’autorité du Président de la République, conduit la négociation qui a mené, à l’UNESCO, au vote en faveur de la diversité culturelle.

M. Frédéric Dutoit. Félicitations !

M. le ministre de la culture et de la communication. Je suis un européen convaincu...

M. Frédéric Dutoit. Moi aussi !

M. le ministre de la culture et de la communication. …et je souhaite tout simplement que cette troisième voie que nous sommes en train de définir soit une voie de réconciliation. Les internautes sont troublés et un certain nombre d’idées fausses leur ont été données, je le dis sans provocation. Ils croient que l’esprit de notre projet porte atteinte à leurs intérêts.

M. Frédéric Dutoit. Ils l’ont lu, tout simplement !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ils croient que nous allons supprimer la copie privée : c’est faux !

Ils croient qu’ils vont risquer la sanction pénale et la prison : c’est faux ! Nous voulons instaurer une réponse graduée.

M. Christian Paul. Une « riposte » graduée plutôt !

M. le ministre de la culture et de la communication. Monsieur Paul, « riposte » est un terme belliqueux. Attention à la sémantique !

M. Christian Paul. Prévoir 1 500 euros d’amende, c’est très belliqueux !

M. le ministre de la culture et de la communication. La réponse graduée, c’est l’information, la responsabilité, l’éducation pouvant, bien sûr, déboucher sur une sanction.

Cette troisième voie est une solution concrète, alors que la diversité culturelle peut n’être qu’un slogan virtuel. Qui a passé des dizaines et des dizaines d’heures à mettre autour d’une table le monde des fournisseurs d’accès à Internet, le monde de la musique, le monde de la radio et de la télévision ? Qui a passé des dizaines et des dizaines d’heures à mettre autour d’une table le monde du cinéma, le monde de la télévision, le monde des acteurs et des artistes, et le monde d’Internet ? Je suis étonné que personne ne signale ces avancées, qui constituent une nouvelle fantastique pour les internautes, pour ceux qui sont passionnés de découvertes. Mais je ne parle pas de mes amis de la majorité présidentielle…

M. Christian Paul. Certains ont compris pourtant !

M. le ministre de la culture et de la communication. …car ils ont à cœur de diffuser ce genre de nouvelles, qui n’ont rien de virtuelles, car elles reposent sur des décisions et des accords signés.

Ce débat est riche. Je m’attendais à beaucoup de difficultés car il y a de fausses bonnes idées.

M. Christian Paul. Des résistances !

M. le ministre de la culture et de la communication. À un moment, je me suis moi-même posé la question des avantages de la licence globale, et je le dis à l’intention de mes amis de la majorité présidentielle, qui ont été les tenants d’un certain amendement. Je me suis dit que nous avions peut-être là les moyens de faire en sorte que les internautes disposent d’une offre riche et diversifiée, française, européenne, et même mondiale, car il ne faut que l’Europe soit une cloison, une offre mondiale dans laquelle l’expression française et européenne soit forte. Je me suis dit que cela constituait peut-être, au fond, un juste équilibre entre la défense des intérêts des internautes et la nécessité de rémunérer les auteurs, les artistes et les techniciens. Malheureusement, je ne crois pas que cela soit un bon point d’équilibre. Ce système fait courir un risque considérable à la rémunération de la création.

Mme Christine Boutin. Mais non ! Pourquoi ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Il n’est pas opérationnel et ne permet pas de procéder à une juste répartition des droits pour les auteurs.

Je ne suis pas agressif : je sais que le débat existe et que certains éprouvent un besoin de clarification. J’ai mes convictions, je les défends sans passion mais avec force, au nom du Gouvernement. Je constate qu’il y a des contradictions, et c’est très bien. Des sociétés, des associations, des artistes s’expriment. Mais le Gouvernement n’a pas d’états d’âme, il a pris une décision et il s’y tient car il estime qu’il a choisi une voie juste. J’ai écouté les propos des uns et des autres. Je ne souhaite pas d’affrontements brutaux à ce sujet, car j’ai la volonté de réconcilier et de rassembler. Je suis prêt à travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept pour convaincre tous les internautes aujourd’hui troublés que la voie proposée par le Gouvernement et la majorité présidentielle est une voie d’équilibre entre les intérêts des internautes et ceux des créateurs.

C’est la raison pour laquelle j’estime sage d’avoir, au nom du Gouvernement, réservé le vote de l’article 1er car le temps que nous allons consacrer à convaincre, au-delà de cet hémicycle, sera celui de la réconciliation, que j’appelle de mes vœux.

Le projet du Gouvernement n’est pas dirigé contre les internautes ou contre les artistes. Il entend faire en sorte qu’il y ait une mobilisation et une synergie dont vous serez tous fiers. J’espère très simplement que nous serons nombreux à travailler à cette réconciliation. Ce sujet peut nous rassembler, à l’inverse d’autres sujets sur lesquels il est normal qu’il y ait des débats frontaux et partisans. Nous voulons que les artistes et les créateurs soient individuellement rémunérés de manière juste, que l’emploi soit garanti dans un certain nombre d’entreprises, que la création française et européenne soit vivante, que les internautes ne soient plus traqués par des perquisitions mais soient informés et responsabilisés à propos de cette magnifique valeur qu’est la propriété intellectuelle.

M. Christian Paul. Vous êtes en progrès, monsieur le ministre !

M. le ministre de la culture et de la communication. Espérons que nous parviendrons à une harmonie sur ces questions car cette harmonie a un nom, c’est l’humanisme du XXIsiècle. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard, pour un rappel au réglement.

Mme Martine Billard. Monsieur le ministre, vous dites que des idées fausses ont été données aux internautes. Cela donne l’impression que les 131 000 personnes qui ont déjà signé la pétition demandant le report du projet de loi ont été manipulées.

M. le ministre de la culture et de la communication. Mais non !

Mme Martine Billard. Or elles savent très bien ce qu’elles ont signé et elles ont bien compris les risques que comportait le texte en l’état.

Vous parlez du risque d’une domination mondiale de quelques-uns. Nous pouvons tous nous retrouver sur la nécessité de le prendre en compte mais nous divergeons sur la façon de le combattre. Lorsque vous voulez imposer des mesures de protection systématiques, le risque est de renforcer le monopole de quelques multinationales dont la plus fameuse est Microsoft et de fragiliser les personnes qui travaillent avec le logiciel libre ou qui désirent passer d’un format à l’autre sans être obligées de changer leurs habitudes parce qu’une multinationale le leur imposera.

Monsieur le ministre, votre prédécesseur avait été confronté à un débat analogue à propos du droit de prêt dans les bibliothèques. Certains y voyaient un droit exclusif : des écrivains réclamaient ainsi que la rémunération soit calculée pour chaque auteur, à chaque exemplaire prêté. Mais M. Aillagon a fait le choix de la rémunération collective afin d’encourager la diversité des fonds et donc la diversité éditoriale. Ce choix était le bon et le projet de loi du Gouvernement a été voté à l’unanimité. Nous proposons, avec la licence globale, de faire le même choix aujourd’hui : des droits collectifs qui permettent de rémunérer les auteurs sans rechercher individuellement les éventuels fraudeurs.

Je rappelle que la plaquette que vous avez fait distribuer dans l’ensemble des établissements scolaires, intitulée « Adopte la net attitude » et cofinancée par Vivendi Universal, anticipe le vote de cette loi puisqu’elle présente des dispositions qui n’ont pas encore été adoptées par le Parlement.

M. Christian Paul. Et qui ne le seront pas !

Mme Martine Billard. Effectivement, parce que nous nous battrons. Et on peut remarquer qu’il n’y a jamais eu, sur Internet, autant de sites faisant référence à cette loi.

M. Christian Paul. C’est prodigieux !

Mme Martine Billard. Vous nous dites que certains musiciens protestent, mais je vous rappelle que 13 482 artistes-interprètes ont signé la pétition de la SPEDIDAM. On ne peut pas opposer internautes et musiciens car il y a aussi une division entre artistes.

Monsieur le ministre, la seule solution consiste donc à suspendre le débat.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

Mme Martine Billard. De toute façon, vous n’arriverez pas à faire voter ce texte de loi d’ici à minuit et, en tout état de cause, nous serons obligés de le reprendre dans trois semaines.

M. Frédéric Dutoit et M. Christian Paul. Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour. Mettez-nous en vacances, monsieur le président !

M. le président. La parole est à M. Laurent Wauquiez, pour un rappel au règlement.

M. Laurent Wauquiez. Madame Billard, messieurs Bloche et Dutoit, je pense que vous commettez une double erreur. D’abord, vous continuez à vous enferrer en opposant deux systèmes. Mais, plus grave encore, vous opposez le droit des artistes à l’accès à Internet.

M. Christian Paul. C’est du chinois !

M. Christophe Caresche. De la mauvaise foi !

M. Laurent Wauquiez. Il faut éviter une solution d’eau tiède. Pour ce faire, il faut prendre pour socle les droits des artistes et la protection de la création sans lesquels le téléchargement et même Internet sont impossibles.

En même temps, il faut faire en sorte que l’accès à Internet soit le plus ouvert et le plus facile possible pour les internautes. On peut, par exemple, prévoir de baisser les prix de l’accès à Internet. De même, la réponse graduée propose un parcours clair et évite un enfermement immédiat de l’internaute qui aura procédé à du téléchargement. Voilà les solutions dont nous avons besoin ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Bloche. Monsieur le ministre, vous avez été amené à justifier vos choix, et c’est votre droit, même si nous pensons que vous vous entêtez à tort. Car je vous rappelle que l’Assemblée nationale en a fait un autre hier soir, et vous ne pouvez l’ignorer. D’ailleurs, le président Accoyer a rappelé que l’Assemblée nationale n’est pas une chambre d’enregistrement...

M. Frédéric Dutoit. Normalement !

M. Patrick Bloche. …et nous ne pouvons qu’être d’accord avec lui. Les parlementaires ont le droit de savoir dans quelles conditions ils délibèrent, quelle est l’organisation des travaux et ce qu’ils vont faire aujourd’hui.

En l’occurrence, vous parlez de réconciliation, de rassemblement, mais vous ne donnez aucun signe d’ouverture, le président Bur ayant annoncé que vous demandiez la réserve de plusieurs articles. On nous a distribué un document indiquant que la discussion reprenait à l’amendement n° 83 après l’article 4. Comme nous en étions hier soir à l’article 1er, vous réservez donc les quatre premiers articles.

M. Christophe Caresche. C’est un naufrage !

M. Patrick Bloche. Le Gouvernement demandera-t-il aussi la réserve de l’amendement n° 225 à l’article 9, qui concerne la riposte graduée ?

M. le ministre de la culture et de la communication. La réponse graduée !

M. Patrick Bloche. Demandera-t-il encore la réserve de l’amendement n° 228 rectifié après l’article 14, qui est le cœur même de la riposte graduée ?

Nous pensions que vous auriez pu donner les réponses que sont en droit d’attendre les parlementaires, surtout compte tenu de ce qui s’est passé ici hier. Et je pense que Mme Boutin ne me contredira pas.

Monsieur le président, pour l’heure, comme nous sommes incapables de savoir ce qui a été zappé, certes à la demande du président du groupe UMP, mais surtout du Gouvernement, je vous demande, au nom du groupe socialiste, une suspension de séance d’une demi-heure, afin que nous puissions faire le point sur la discussion.

M. le président. Monsieur Bloche, si vous le permettez, je vais d’abord donner la parole à M. Cazenave et à M. Bayrou qui me l’ont demandée. Puis je suspendrai la séance pour cinq minutes.

M. Christian Paul. Non, une demi-heure !

M. le président. La parole est à M. Richard Cazenave, pour un rappel au règlement.

M. Richard Cazenave. Je remercie le ministre de ne pas demander de seconde délibération. Je me souviens d’un temps où, un projet ayant été majoritairement rejeté, le gouvernement socialiste de l’époque avait immédiatement demandé une seconde délibération.

M. Jean Le Garrec. Il avait parfaitement le droit de le faire !

M. Richard Cazenave. Tout à fait !

Le ministre vous a dit tout à l’heure…

M. Christian Paul. Le ministre a-t-il dit qu’il n’y aurait pas de seconde délibération ?

M. Richard Cazenave. Ne faites pas semblant de ne pas entendre ! En fait, vous n’écoutez pas ce qu’on vous dit. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Le ministre n’a pas demandé de seconde délibération et il nous a expliqué, comme le président du groupe UMP, qu’il souhaitait que la discussion se poursuive sur la question de la licence globale…

Plusieurs députés du groupe socialiste. Optionnelle !

M. Richard Cazenave. …optionnelle ou pas, afin que nous ne tranchions pas dans l’urgence. Il faut en effet un peu de temps pour réfléchir aux conséquences, aux modalités, à la compatibilité juridique de cette mesure avec le droit international et européen.

M. Christian Paul. Il faut étudier avant de trancher !

M. Richard Cazenave. Plutôt que de demander une seconde délibération, le ministre laisse le débat se dérouler. Mais il faut également le faire avancer. Tout à l’heure, vous avez mélangé les questions du logiciel libre, de la licence globale et de la réponse graduée sans expliquer pourquoi certains s’opposent à ce projet. Pour notre part, nous avons proposé des amendements, que le ministre a pris en compte, visant à résoudre le problème de l’interopérabilité qui a été au cœur de bien des interventions. Voilà pourquoi il faut faire avancer le débat là où c’est possible, par exemple sur la dépénalisation et la réponse graduée.

M. le président. La parole est à M. François Bayrou, pour un rappel au règlement.

M. François Bayrou. Malgré ma sympathie génétique pour M. Cazenave – nous sommes cousins lointains et originaires du même village…

M. le président. Vous réglerez vos affaires de famille ailleurs !

M. François Bayrou. …je n’aurai aucune indulgence familiale à son égard.

M. le ministre de la culture et de la communication. J’ai, moi aussi, du sang béarnais !

M. François Bayrou. Oui, mais le vôtre est aristocratique tandis que le nôtre est plébéien ! Et c’est la raison pour laquelle nous siégeons sur ces bancs. (Rires sur divers bancs.)

M. le président. Monsieur Bayrou, venez-en à votre rappel au règlement !

M. François Bayrou. L’article 101 de notre règlement précise qu’on ne peut demander une seconde délibération qu’à la fin des débats, juste avant les explications de vote. Il n’y a donc aucune bienveillance particulière de la part du Gouvernement à ne pas le faire maintenant. Nous pourrions en effet poursuivre les débats si le ministre indiquait qu’il ne demandera pas de seconde délibération. Nous aurions alors un socle qui nous permettrait d’examiner la loi dans sa cohérence et sa logique. Je le dis d’autant plus volontiers que nous n’avons pas voté l’amendement en question que nous trouvons irréaliste à bien des égards.

Tout cela illustre à quel point la demande de renvoi en commission était fondée. L’abondance des amendements déposés en séance par le Gouvernement témoigne d’une certaine improvisation…

M. le ministre de la culture et de la communication. Oh !

M. François Bayrou. …et la brièveté de la réunion de la commission des lois hier soir – vingt-cinq minutes pour un amendement de sept pages – montre qu’on est très loin de la sérénité indispensable au débat.

Elle est indispensable parce que le Gouvernement a commis ce qui, à mes yeux, constitue une faute lourde en déclarant l’urgence. Un tel texte ne peut pas être examiné dans ces conditions !

Mme Martine Billard. Absolument !

M. François Bayrou. La conclusion qui s’impose sur de nombreux bancs est qu’il faut suspendre la délibération et prendre le temps nécessaire pour que chacun prenne la mesure des conséquences de son vote, des modifications que pourrait apporter une seconde délibération éventuelle, et des risques techniques, industriels inhérents au texte. Le débat ne doit pas être expédié à la va-vite quelques heures avant l’interruption des travaux de l’Assemblée.

Pour que le Gouvernement réfléchisse, je demande aussi une suspension de séance. Il faut que nous fassions le point pour arriver à une décision raisonnable et sage. Sinon, nous irons d’atermoiements en atermoiements.

M. le président. Avant de suspendre la séance, je donne la parole à M. Jean Le Garrec, pour un rappel au règlement.

M. Jean Le Garrec. Il s’agit uniquement de procédure puisque les arguments de fond ont été échangés. J’ai écouté avec beaucoup d’attention entre autres M. Patrick Bloche dont l’intervention était parfaitement claire.

Monsieur Cazenave, expliquer qu’il est urgent d’attendre à propos d’un amendement à un texte pour lequel le Gouvernement a demandé l’urgence est un exercice dialectique très périlleux. La dialectique peut casser des briques, mais pas le règlement. (Rires.) Je suis désolé de devoir vous le dire, votre explication ne tient absolument pas la route.

Par ailleurs, tout gouvernement a le droit de demander une deuxième délibération, et tous s’en sont servi, notamment pour éclairer le débat, mais ce n’est pas le chemin que nous prenons. Nous connaissons le règlement, et nous savons bien que l’alternative est la suivante : ou bien vous voulez éclairer le débat, monsieur le ministre, mais telle ne semble pas être votre intention, ou bien vous voulez faire revenir l’Assemblée sur son vote. Si c’est le cas, il faut le dire.

Enfin, étant donné le nombre d’amendements qui restent à examiner, nous ne pouvons pas, même avec la diligence, la rigueur et la compétence de notre président, terminer avant dimanche !

Mme Christine Boutin. Et la messe de minuit ? (Exclamations et rires.)

M. Jean Le Garrec. Vous comprenez bien, monsieur le président, que je ne peux pas prendre la responsabilité d’empêcher Mme Boutin d’aller à la messe de minuit ! Je suis déjà un grand pécheur et je ne voudrais pas pécher davantage ! (Sourires.)

Pour toutes ces raisons, il faut suspendre le débat. Vous ne pouvez pas vous en sortir autrement, monsieur le ministre, la raison, l’arithmétique et la rigueur l’exigent. Prenez cette décision, c’est la bonne ! La réflexion est indispensable.


Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue pour dix minutes.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l’examen du projet de loi.

Rappels au règlement

M. Christian Paul. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour un rappel au règlement.

M. le ministre de la culture et de la communication. Encore !

M. Christian Paul. Oui, monsieur le ministre, encore un, et toujours sur l’organisation de nos travaux.

M. Xavier de Roux. Pauvre règlement !

M. Christian Paul. Chacun ici a pu le constater, nous avons beaucoup de mal à accepter l’ambiance d’amateurisme dans laquelle nos travaux se déroulent.

J’en donnerai une illustration : vous avez demandé à l’Assemblée nationale de réserver quatre articles qui, placés au début du texte, en constituent la clef de voûte. Je comprends très mal que nos collègues de l’UMP se soient prêtés à cette facilité que, certes, la procédure permet, mais qui nous paraît intellectuellement et politiquement inacceptable.

Les quatre premiers articles, qui traitent des exceptions, sont, je le répète, la clef de voûte du projet de loi. Nous comprenons d’autant moins votre tactique parlementaire que certaines des questions abordées par ces articles soulèvent un débat très important entre ceux qui, parmi nous, veulent réduire la copie privée, voire la supprimer dans les faits, même si ce n’est pas l’intention affichée, et ceux, dont nous sommes, qui considèrent que l’exception pour copie privée fonde un accès plus large, plus facile et plus simple aux œuvres musicales notamment.

Mais ces quatre premiers articles comportent d’autres aspects importants que nous ne pouvons pas passer sous silence.

Ainsi, hier, nous avons longuement discuté d’un amendement de Mme Martine Billard à l’article 1er, qui concerne l’exception pour handicap. Vous le savez, nous tenons fermement, à l’occasion de ce débat, à faire progresser cette cause. Nous considérons que le texte initial n’est pas satisfaisant sur ce point et que l’amendement de M. Vanneste ne permettra pas d’atteindre réellement l’objectif. Il faut donc de nouveau travailler sur l’article 1er. Or, alors que nous avons commencé à le faire grâce au débat sur l’amendement de Mme Billard, voilà que vous le réservez avant même que les amendements du groupe socialiste portant sur cette question soient discutés !

C’est pourquoi, comme nous craignons de ne pas pouvoir sérieusement progresser dans le climat d’incohérence législative qui s’est installé depuis la reprise de nos travaux, je tiens, monsieur le ministre, à vous dire de façon très solennelle au nom du groupe socialiste, mais je sais que beaucoup de nos collègues de la majorité nous rejoignent sur ce point, que ce texte n’est pas bon et qu’il faut l’abandonner et le remettre sur le métier afin d’en rédiger une nouvelle mouture !

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est la transposition de la directive !

M. Christian Paul. Cette directive, monsieur le ministre, vous laissait des marges de manœuvre vous permettant de faire preuve de créativité et d’imagination. Il vous donnait l’occasion, notamment pour l’exception culturelle française, de délivrer un message à l’Europe. Ce n’est pas le choix que vous avez fait. C’est votre droit. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Cazenave. C’est tout le contraire !

M. Dominique Richard. C’est de la désinformation !

M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de laisser M. Christian Paul terminer son rappel au règlement.

M. Christian Paul. Nous pensons donc, je le répète, qu’il faut abandonner ce texte et, comme nous l’avons demandé dès décembre 2004, créer conjointement avec le Sénat une mission d’information parlementaire afin de réaliser le travail qui n’a pas été fait.

Mais si, comme je le crains malheureusement, le Gouvernement s’entête et persiste dans cette mauvaise voie, qui n’est pas une bonne méthode d’écrire la loi, il conviendrait au moins d’interrompre nos travaux là où ils en sont arrivés, afin de permettre à chacun de se ressaisir et de redonner une vraie dignité à la suite de l’examen par la représentation nationale du projet de loi.

M. le président. Monsieur Paul, il vous faut conclure !

M. Christian Paul. Si vous tenez absolument à poursuivre l’examen de ce texte en janvier prochain, nous serons au rendez-vous. Mais, de grâce, pas ce soir, ni surtout de cette façon !

M. le président. La parole est à M. Xavier de Roux.

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur Paul, il y a entre nous une discorde de fond sur le cœur du dispositif, c'est-à-dire sur la portée et la protection du droit d’auteur. Tout est là !

M. Christian Paul. Vous arrivez dans le débat !

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission. Je l’ai parfaitement suivi !

Pour le reste, nous avons un guide clair, la transposition de la directive : nous ne pouvons guère nous écarter du chemin ainsi tracé. Les quatre premiers articles, qui sont fondamentaux, ont été réservés. Vous avez une conception, nous en avons une autre : c’est ainsi. On peut plus ou moins protéger le droit des auteurs, des interprètes et des artistes, ou les traiter de manière plus collective – ce que vous souhaitez – : le débat est pour l’instant réservé.

Si vous regardez le texte, vous constaterez que nous pouvons parfaitement aborder les articles suivants et revenir plus tard sur le cœur de la discussion. Il est maintenant urgent de reprendre la discussion, alors que vous tentez de l’embourber du fait que le texte ne vous plaît pas. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Je comprends tout à fait que notre collègue souhaite faire prévaloir ce point de vue : il est dans son rôle. Nous avons néanmoins à l’article 20 des amendements qui touchent à la licence globale…

M. le président. Monsieur Paul, je vous prie d’être bref.

M. Christian Paul. …puisqu’ils concernent la mise à disposition des fichiers sur Internet – notion qui vous est certainement familière, mon cher collègue. Ainsi, alors que les quatre premiers articles qui ont trait à la copie privée ont été retirés, voilà qu’à l’article 20 la licence globale rentre dans le débat, en quelque sorte par la fenêtre, autant en raison de nos amendements que de ceux, assez proches, présentés par des députés de l’UMP ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nous examinerons donc les amendements à l’article 20 sans avoir réellement débattu des premiers articles du texte !

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission. On verra bien !

M. le président. Monsieur Paul, l’Assemblée est suffisamment éclairée ! Nous allons en rester là. D’ici à ce que nous arrivions à l’article 20, nous aurons l’occasion de revenir sur le sujet !

Reprise de la discussion

M. le président. Nous reprenons l’examen du projet de loi.

Articles 3 et 4

Les articles 3 et 4 ne faisant l’objet d’aucun amendement, je vais les mettre successivement aux voix.

(Les articles 3 et 4, successivement mis aux voix, sont adoptés.)

Rappels au règlement

M. Frédéric Dutoit. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour un rappel au règlement.

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission. Pauvre règlement !

M. Christian Paul. Pauvre Assemblée nationale !

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, nous ne pouvons pas travailler de cette façon !

M. le président. Nous ne pouvons pas non plus passer l’après-midi à des rappels au règlement ! Le Gouvernement, qui a l’initiative de l’organisation de nos travaux, souhaite que nous les poursuivions. J’organise donc la poursuite des débats.

M. Frédéric Dutoit. Dans ces conditions, monsieur le président, je ne me contenterai pas d’un rappel au règlement, et je demanderai une suspension de séance. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je ne suis pas non plus censé suivre chacun sur ses demandes de suspension de séance !

M. Frédéric Dutoit. Je suis encore assez novice en matière de procédure, puisque je ne suis élu que depuis 2002, mais je crois comprendre que M. le ministre a réservé des articles afin de pouvoir faire procéder, comme l’article 101 du règlement de notre assemblée l’y autorise, à une seconde délibération en fin de discussion…,

M. Richard Cazenave. Il a dit tout le contraire !

M. Laurent Wauquiez. Vous êtes vraiment un novice !

M. Frédéric Dutoit. …c'est-à-dire, dans le meilleur des cas, dans la nuit, en catimini.

M. Laurent Wauquiez. Mais non !

M. Richard Cazenave. Nous n’avons pas cessé de dire le contraire, mais il est sourd !

M. Frédéric Dutoit. Ce serait ignorer totalement le vote émis hier par notre assemblée et créer les pires conditions qui soient pour ce débat parlementaire qui porte sur une loi fondamentale.

Pour toutes ces raisons, monsieur le président, je demande une suspension de séance d’une demi-heure afin de réunir mon groupe.

M. Richard Cazenave. Il est tout seul !

M. Gabriel Biancheri. Il est où le groupe ?

M. Frédéric Dutoit. Il s’agit de voir comment nous pouvons travailler correctement. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Dominique Richard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Dominique Richard, pour un rappel au règlement.

M. Dominique Richard. Je voudrais, au nom du groupe UMP, condamner avec la plus grande fermeté l’attitude d’obstruction caractérisée de l’opposition, qui ne veut pas que la discussion sur le projet de loi avance. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Patrick Bloche. Comment osez-vous prétendre cela alors que l’Assemblée vient d’adopter deux articles n’importe comment ? Voyez comme on nous traite !

M. Christophe Caresche. C’est honteux !

M. Dominique Richard. L’opposition ne veut pas qu’on avance !

M. Christophe Caresche. Vous allez en avoir, de l’obstruction !

M. Frédéric Dutoit. Dois-je rappeler, monsieur le président, que la suspension de séance est de droit ?

M. Patrick Bloche. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Bloche. M. Accoyer a demandé, dans une mise en scène habituelle en ces lieux, que soient réservés les amendements jusqu’à l’article 2. Or, quand on nous a distribué les amendements en discussion, j’ai constaté qu’on commençait après l’article 4.

Mme Martine Billard. Absolument !

M. Patrick Bloche. Sans vouloir mettre en cause M. le président de séance, qui n’a fait que remplir son rôle, je n’imaginais alors pas un seul instant qu’on allait faire voter la représentation nationale à la va-vite, à la hussarde, sur l’article 3 et sur l’article 4 ! Et cela continue !

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission. Oh !

M. le président. Monsieur Bloche, écoutez !

M. Patrick Bloche. Nous aurions pu avoir un débat sur les articles 3 et 4, avoir le droit de nous inscrire sur chacun de ces articles…

M. le président. Monsieur Bloche, permettez-moi de vous interrompre deux minutes !

M. Patrick Bloche. Oui, monsieur le président, mais sachez bien que je ne vous mets pas en cause !

M. le président. Il est d’usage, quand un article n’a ni inscrits, ni amendements, de le faire voter sans discussion.

M. Dominique Richard. Eh oui !

M. le président. C’est ce que nous faisons dans tous les débats ; je n’ai donc rien fait que de très normal.

De plus, je vous avais annoncé que le Gouvernement réservait l’article 1er, les articles additionnels après l’article 1er et avant l’article 2 ainsi que l’article 2. Je m’y suis tenu et j’ai ensuite mis aux voix les articles 3 et 4.

Nous en sommes maintenant à l’article additionnel après l’article 4. Ce point clarifié, continuons le débat.

M. Patrick Bloche. Vous n’avez pas à vous justifier, monsieur le président, j’insiste sur le fait que je ne vous fais aucun reproche ; ce n’est pas dans mes habitudes et, du reste, vous ne faites en l’occurrence qu’appliquer le règlement de l’Assemblée nationale.

M. le président. Tout à fait.

M. Patrick Bloche. Je demande simplement que nous débattions et légiférions dans la clarté.

M. Dominique Richard. Eh bien, allons-y !

M. Patrick Bloche. Je considère que la clarté n’est pas à l’ordre du jour de nos travaux, et j’aurais aimé que M. le rapporteur ou bien M. le ministre, par correction pour la représentation nationale, nous dise clairement ce dont nous devons débattre aujourd’hui, sachant que nous avons jusqu’à minuit pour le faire et qu’il faut, visiblement, occuper le temps.

M. Dominique Richard. C’est un aveu !

M. Patrick Bloche. Nous demandons simplement le respect minimum dû à ce que nous représentons ici : la légitimité du suffrage universel.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

Rappels au règlement

M. Frédéric Dutoit. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour un rappel au règlement.

Je vous prie, monsieur Dutoit, d’en venir directement à la question qui vous préoccupe.

M. Frédéric Dutoit. Comme j’ai le don d’ubiquité, et avec Internet, c’est plus facile, je tiens à informer mes chers collègues que le président du groupe UMP de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer, a affirmé tout à l’heure aux journalistes qu’il n’était pas question pour lui de revenir sur le vote d’hier, à l’issue duquel les députés, contre l’avis du Gouvernement, ont adopté les deux amendements que nous jugeons essentiels.

M. Accoyer a ainsi confirmé lui-même qu’il était nécessaire « d’approfondir le débat, de laisser le temps nécessaire, d’écouter les nombreuses expressions, en particulier celles d’artistes et des créateurs, d’en tenir compte et à notre allure, et, le moment venu, de pouvoir choisir et de voter le meilleur texte possible ». J’y vois, peut-être malgré son auteur, un plaidoyer pour la suspension de nos travaux.

Or, M. le ministre vient de nous dire qu’il était résolu à revenir sur le vote des deux amendements d’hier.

M. Richard Cazenave. On s’est expliqué sur cette question !

M. Frédéric Dutoit. Il n’entend donc aucunement le message de sa propre majorité. Monsieur le ministre, vous êtes devant le Parlement et non dans une réunion ministérielle, votre attitude est donc proprement incompréhensible.

Je me permets, en outre, de rappeler qu’en vertu du troisième alinéa de l’article 101 du règlement de notre assemblée, les textes qui doivent faire l’objet d’une seconde délibération sont renvoyés à la commission et font l’objet d’un nouveau rapport.

Or, comme M. le ministre affirme qu’il sera procédé à une nouvelle délibération, nous nous interrogeons, une fois encore, sur l’organisation de nos débats et nous demandons que M. le ministre daigne formuler des réponses aux questions que nous posons depuis tout à l’heure, pour savoir dans quelles conditions nous allons poursuivre cette discussion.

M. le président. Monsieur Dutoit, je vous rappelle qu’une nouvelle délibération sur un article s’annonce à la fin de l’examen du texte. Pour le moment, nous n’en sommes pas là.

Nous pourrions donc, mes chers collègues, entamer l’examen des articles additionnels qui ne provoquent pas un débat majeur, même s’ils exigent naturellement des échanges et des explications. En cours de discussion, nous pourrons peut-être trouver une solution pour sortir de cette impasse. La soirée ne doit pas être consacrée aux rappels au règlement et aux suspensions de séance. Lorsque nous en viendrons à des articles et à des amendements essentiels, soit nous prendrons le temps de les examiner, soit le ministre nous indiquera comment il entend poursuivre ce débat.

La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Je serai bref, mais il faut néanmoins respecter le travail du Parlement.

Nous sommes en train de vivre une sorte d’emballement…

M. le président. Ce n’est pas tout à fait le cas ! (Rires.)

M. Christian Paul. Si !

M. le président. Cela dépend du sens que vous donnez au mot « emballement ».

M. Jean Dionis du Séjour. Parlons plutôt d’enlisement !

Mme Muriel Marland-Militello. On fait du sur place !

M. Christian Paul. Je vais vous donner un exemple très précis.

Nous venons de voter en un temps record l’article 3 de ce texte. C’est pourquoi j’ai parlé d’emballement. Tout comme Patrick Bloche, je ne vous reproche rien. C’était votre droit, monsieur le président.

M. Laurent Wauquiez. Il suffisait de vous inscrire sur l’article !

M. Christian Paul. Vous avez demandé la réserve des deux premiers articles et de dizaines d’amendements. De ce fait, nous avons économisé des heures de débat. Souffrez que nous n’ayons pas pris toutes les dispositions pour inscrire nos orateurs sur les articles 3 et 4 ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Cazenave. Quelle mauvaise foi !

M. Christian Paul. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je vous demande, au nom du groupe socialiste – vous en avez la possibilité –, de faire procéder, le moment venu, à une seconde délibération sur l’article 3. Très sollicités, les députés de la majorité qui l’ont voté ne se sont sans doute pas aperçus – preuve de l’improvisation de nos travaux – de son importance. Cet article introduit, en effet, le test en trois étapes en droit français, concernant la protection juridique des bases de données. D’inspiration anglo-saxonne, comme d’autres, ce dispositif a certainement sa place dans les instruments internationaux, mais pas dans une loi de la République française.

Je souhaiterais donc, monsieur le ministre, connaître votre point de vue. Une seconde délibération sur ce point serait sans doute un geste utile.

M. le président. Il était possible de s’inscrire sur cet article, monsieur Paul. À cause de la réserve des articles 1er et 2 et des amendements portant articles additionnels après l’article 2, votre groupe n’a peut-être pas eu le temps matériel de nous le signaler. (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Néanmoins aucun amendement n’avait été déposé à l’article 3. Par conséquent, l’intervention du groupe socialiste aurait été de pure forme pour alerter ou informer l’Assemblée et n’aurait certainement rien changé au contenu de cet article.

La parole est à M. Laurent Wauquiez.

M. Laurent Wauquiez. Il faudrait que chacun sur ces bancs prenne ses responsabilités !

M. Christophe Caresche. Oh oui !

M. Patrick Bloche. Nous ne faisons que cela !

M. Laurent Wauquiez. Vous prétendez que nous avons le temps de débattre de ce sujet, mais quelle est la situation qui fait que nous devrions essayer d’avancer sur les points sur lesquels nous pouvons le faire ensemble ? Premièrement, il y a la directive européenne et le fait que la France est aujourd’hui condamnée pour non-transposition.

Deuxièmement, vous devriez écouter les artistes avec un peu plus d’attention, mesdames, messieurs. Ils nous disent aujourd’hui que leur travail et leur création sont compromis et qu’ils ont besoin d’un cadre pour continuer à exercer leurs activités.

M. Xavier de Roux. Absolument !

M. Laurent Wauquiez. En effet, Maxime Le Forestier, Johnny Hallyday, Francis Cabrel, Pascal Obispo, Rachid Taha, Alain Souchon sont tous intervenus pour nous le demander.

M. Christian Paul. J’ai 14 000 signatures ! Je peux vous les lire !

M. Christophe Caresche. L’impréparation est la cause de tout cela !

M. Laurent Wauquiez. Troisièmement, en raison du manque de clarté du cadre législatif, les internautes peuvent, parce qu’ils ont téléchargé, se retrouver emprisonnés du jour au lendemain.

Enfin, quatrièmement, tous les emplois liés à l’industrie du logiciel libre en France sont compromis si nous n’avançons pas.

Au-delà des points de désaccord, nous pouvons avancer sur une série de sujets. Vous prenez vos responsabilités en disant que l’on peut encore attendre aujourd’hui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Martine Billard. Pourquoi s’est-il abstenu hier lors du vote ? Ce n’est pas cohérent !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Je me contenterai d’apporter une précision qui semble échapper à beaucoup, en tout cas à M. Paul.

Le titre Ier de ce texte transpose une directive européenne. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous débattons aujourd’hui. Ce que M. Paul a désigné comme une conception anglo-saxonne en est précisément l’un des éléments. Il est donc tout à fait logique d’intégrer à notre loi ce fameux test en trois étapes, puisque l’alinéa 5 de l’article 5 du chapitre II de la directive indique très clairement : « Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux…

M. Christian Paul. Bien sûr !

M. Patrick Bloche. Chaque pays choisit ses exceptions !

M. Christian Vanneste, rapporteur. …qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. » Il ne s’agit pas là d’un choix d’exception, mais d’un test qui encadre les exceptions. Ou vous n’avez pas lu le texte, ou vous ne l’avez pas compris.

M. Xavier de Roux. Ils ne l’ont pas lu !

M. Patrick Bloche. C’est de la provocation !

M. Christian Vanneste, rapporteur. En tout état de cause, ce texte transpose une directive européenne. Il est donc tout à fait légitime que nous intégrions cet élément dans la loi française !

M. Xavier de Roux. Bien sûr !

M. Gabriel Biancheri. Exactement !

M. le président. Mes chers collègues, pour avancer un peu, je vous propose d’examiner les amendements portant articles additionnels après l’article 4, l’article 5, les amendements portant articles additionnels après l’article 5 et enfin l’article 6, ce qui fait une quarantaine d’amendements. L’article 7 pouvant donner lieu à des débats importants nous ferons alors le point avant de l’aborder.

M. Pierre-Louis Fagniez. Avançons !

M. le président. Le Gouvernement nous demande de poursuivre le débat. On peut passer la soirée à s’invectiver, à aller de rappel en règlement en suspension de séance, mais cela ne donnera pas une image très positive de notre assemblée. Or je souhaite que nous puissions donner une bonne image à tous ceux qui nous regardent à la télévision et sur internet.

M. Gabriel Biancheri. C’est pitoyable !

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Monsieur le président, je n’abuserai pas du temps de parole que vous voulez bien m’accorder. Il ne s’agit pas d’invectives, mais d’un débat juridique, peut-être même un peu trop technique pour les dizaines de milliers d’internautes qui nous regardent. En effet, les chiffres qui m’ont été communiqués cet après-midi révèlent que nos séances d’hier soir et de mardi soir ont battu tous les records de fréquentation du site de l’Assemblée nationale. Nous expérimentons une démocratie en direct grâce à internet. Ce grand outil de diffusion de la culture permet également à nos concitoyens de se trouver parmi nous dans cet hémicycle.

Monsieur Vanneste, je n’ai pas lancé d’invective, mais j’ai voulu faire une très modeste démonstration. Je ne remettais pas en cause le test en trois étapes.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Ah !

M. Xavier de Roux. Nous avions mal compris, alors !

M. Christian Paul. J’ai même consacré quelques minutes, hier soir, à essayer de vous démontrer que nos amendements sur l’extension de copie privée au téléchargement respectaient ce test ; je me suis, pour cela, appuyé sur des études universitaires que je crois incontestables.

Nous pensons – c’est pourquoi nous débattons sur ce point – que nos propositions sont conformes aux engagements internationaux de la France. Nous considérons toutefois que ce test, qui a sa place dans des traités internationaux, n’a rien à faire en droit français. Nous disposons de la marge de manœuvre qui convient pour les exceptions. Nous ne sommes pas obligés de recopier les traités internationaux.

M. le président. Nous devons clore ce débat.

Si vous en êtes d’accord, nous allons entamer sereinement le débat sur le fond. Les personnes qui suivent actuellement nos discussions en direct doivent avoir droit à autre chose qu’à de la procédure. C’est le rôle du Parlement de débattre et de légiférer. Je vous laisserai vous exprimer sur le fond aussi longtemps que vous le jugerez nécessaire. Débattons sereinement, mais, de grâce, débattons !

Reprise de la discussion

M. le président. Nous reprenons la discussion en abordant une série d’amendements portant articles additionnels après l’article 4.

Après l’article 4

M. le président. J’appelle d’abord trois amendements, nos 83, 171 et 173, pouvant être soumis à une discussion commune. Les amendements nos 171 et 173 sont identiques.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 83.

M. Patrick Bloche. Nous jouerons le jeu, monsieur le président et nous répondrons à votre appel. Notre esprit n’est absolument pas de gagner du temps ou de faire de l’obstruction parlementaire. Nous voulions, préalablement, savoir ce que nous faisions ici et où nous allions. Le cadre que vous nous proposez nous convient. Vous nous avez promis de faire le point à brève échéance. Nous espérons que ce sera le cas.

Ces sujets sont loin d’être secondaires. Nous ne réglons pas du détail.

L’amendement n° 83 portant article additionnel après l’article 4 concerne la webradio. Elle est certainement l’avenir de la radio, une chance pour la diversité culturelle et la manière la plus efficace dans le temps de lutter contre la concentration de l’offre musicale autour de quelques radios, comme nous le vivons actuellement avec la diffusion hertzienne et la rareté de ses fréquences. Nous voulons assurer au public un accès licite à la musique diffusée par ces webradios.

Quand nous parlons de diversité culturelle, monsieur le rapporteur, monsieur Wauquiez, nous nous soucions de tous les artistes, notamment de ceux qui n’ont pas actuellement accès aux radios hertziennes et qui auront cette possibilité fantastique d’être diffusés grâce au développement des webradios.

Or, aujourd’hui, la webradio est handicapée en France par un cadre juridique incertain. Vous ne pourrez pas, monsieur le ministre, nous répondre – et j’anticipe sans doute quelque peu – que tout sera réglé par la voie contractuelle. En l’occurrence, cette piste a déjà été exploitée et abandonnée, suite au différend entre artistes et producteurs sur l’exercice des droits numériques. Il faut sortir de cette insécurité juridique pour les artistes, mais aussi – et je réponds à M. Wauquiez – parce qu’il y a à la clé plusieurs centaines d’emplois potentiels.

De nombreux portails et sites web souhaitent développer des webradios publiques et privées mais leurs projets sont bloqués depuis plus de deux ans. Tout un secteur est donc actuellement en panne. Pourtant, l’écoute de la radio en ligne progresse, et ce d’autant plus que nous connaissons l’essor du haut débit. De fait, il faut réformer le code de la propriété intellectuelle, car ce dernier ne nous semble pas conforme aux traités internationaux et directives communautaires.

Ainsi, l’article 1er de la directive cadre du « paquet télécoms » a créé un cadre harmonisé pour la réglementation des services de communication électronique, des réseaux de communication électronique et des ressources et des services associés. Or l’actuel article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle restreint le champ d’application de la licence légale selon un critère technique, licence légale qui, comme vous le savez, s’applique à la radio.

Afin de prendre en compte les évolutions technologiques favorisant la convergence, d’assurer des conditions de concurrence loyale, ce à quoi Bruxelles nous invite régulièrement, et de faire cesser la discrimination dont sont victimes les webradios, il est urgent de redéfinir le champ de la licence légale en fonction du mode d’accès aux œuvres.

Notre amendement prévoit enfin qu’un décret précisera utilement les limites de cette diffusion afin de ne pas offrir la possibilité technique d’écouter et/ou de télécharger un phonogramme au moment choisi individuellement, notamment au travers de moteurs de recherche, afin de ne pas offrir la possibilité technique de modifier ou d’individualiser le programme radio, de ne pas masquer l’URL du programme radio, de ne pas restreindre la programmation à un artiste ou groupe ou à un auteur, sous réserve d’opérations ponctuelles événementielles, promotionnelles ou d’actualité, et afin, de manière générale, de proscrire toute exploitation illicite manifeste.

C’est donc vraiment un cadre pensé, mûri, à la fois législatif et réglementaire, que nous vous proposons d’adopter, alors que nous vivons une situation de blocage depuis deux ans, pour permettre le développement de la webradio pour les artistes et au nom de la diversité culturelle, pour créer des centaines d’emplois potentiels et, enfin, pour se mettre en conformité avec les traités internationaux et les directives européennes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Vanneste, rapporteur. Cet amendement exclut des droits voisins des artistes et des producteurs la diffusion des phonogrammes sur internet, par exemple dans le cadre des webradios, c’est-à-dire des radios sur internet. Or les webradios fonctionnent très différemment de la radiodiffusion classique. Leur étendre la licence légale ouvrirait une brèche très grande dans la protection des œuvres sur internet alors même que nous voulons étendre la lutte contre les téléchargements illicites. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Paul. C’est fini !

M. Christian Vanneste, rapporteur. En effet, les internautes disposent d’outils informatiques leur permettant, en connaissant les programmes des webradios à l’avance, de récupérer gratuitement tous les titres d’œuvres musicales qui les intéressent, comme ils le font aujourd’hui avec les sites de peer to peer. Certaines webradios permettent même à l’internaute de construire le programme lui-même selon un mécanisme interactif sans doute très intéressant mais peu respectueux du droit d’auteur s’il a pour effet de contourner quasiment toute rémunération et, aujourd’hui même, de nombreux artistes viennent d’exprimer leur inquiétude. M. Wauquiez a donné leurs noms tout à l’heure.

Une mission de médiation avait été confiée il y a quelques années à un membre du Conseil d’État, M. Raphaël Hadas-Lebel, laquelle avait conclu à l’impossibilité d’un consensus sur cette question. La situation n’a pas évolué. Il n’y a donc pas lieu d’accepter cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Dominique Richard, pour soutenir l’amendement n° 171.

M. Dominique Richard. Selon la loi de 1985, certaines utilisations de la musique enregistrée sur des phonogrammes du commerce peuvent être effectuées par les chaînes de télévision sans autorisation préalable des titulaires de droits, à la condition de leur verser une rémunération équitable. En pratique, ces phonogrammes sont associés à l’image : bandes-annonces, génériques et illustrations sonores d’émissions.

Or la Cour de cassation fait une application littérale du code de la propriété intellectuelle qui ne vise que la radiodiffusion du phonogramme. Elle ne fait pas de différence entre l’utilisation des phonogrammes pour sonoriser les émissions et leur utilisation lorsque la chaîne ne fait que diffuser un programme produit en externe et déjà sonorisé par des phonogrammes.

En conséquence les ayants droit réclament cumulativement la rémunération équitable et le respect du droit exclusif, l’accès aux phonogrammes du commerce est alourdi ce qui favorise la signature d’accords avec les grands catalogues, au détriment de la diversité culturelle, et, en plus, cela est en contradiction avec trois accords internationaux : la convention de Rome de 1961, la directive de 1992 sur les droits voisins et le traité OMPI.

L’amendement a donc pour objet de faciliter l’utilisation de ces œuvres dès lors que les chaînes s’acquittent d’une rémunération équitable auprès des ayants droit, tout en permettant d’accroître la sécurité juridique, de favoriser l’exploitation des programmes audiovisuels français et de distinguer deux cas différents : l’utilisation du phonogramme pour sonoriser une émission produite par ou pour la chaîne et la diffusion de programmes produits par des tiers non spécifiquement pour la chaîne, qui reste couverte par le droit exclusif.

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour défendre l’amendement n° 173.

M. Jean Dionis du Séjour. On est dans le cadre de la négociation entre producteurs et grandes entreprises de communication audiovisuelle. L’idée est que l’on négocie globalement, plutôt qu’émission par émission, une rémunération équitable à la vue des programmes. Nous n’y voyons pour notre part aucun inconvénient. Il y a une vraie logique à forfaitiser et à arriver à un accord de rémunération équitable, une société de gestion collective, la SPRE, étant chargée d’en collecter le montant auprès des exploitants. Comme on a une grille de programmes, c’est tout à fait faisable.

M. Frédéric Dutoit. C’est une licence globale !

M. Jean Dionis du Séjour. Pas du tout, et je vais vous en faire la démonstration immédiate.

M. le président. Ne vous laissez pas interrompre !

M. Jean Dionis du Séjour. Avec l’amendement n° 83, c’est tout à fait différent puisqu’on ne sait pas quels utilisateurs il y a au bout de la webradio. C’est un sous-produit de la licence globale. Nous avons émis des réserves sur la licence globale, nous les réaffirmons.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 171 et 173 ?

M. Christian Vanneste, rapporteur. Les chaînes de télévision et les producteurs sont appelés à négocier ensemble des droits qui ne sont plus nécessairement forfaitaires et ne découlent plus directement de la loi mais résultent d’une négociation contractuelle.

On peut parfaitement comprendre que les opérateurs de télévision souhaitent revenir aux mécanismes simplifiés de relations contractuelles qu’ils connaissent depuis vingt ans. Dans cette perspective, ils ont déjà satisfaction puisque les sociétés de gestion collective des droits des producteurs de phonogrammes ont accepté de gérer collectivement l’exploitation des phonogrammes dans le secteur des télévisions en définissant un mandat qui permet de couvrir le maximum de programmes télévisuels.

Des négociations sont ainsi engagées depuis plus d’un an avec les chaînes hertziennes analogiques de manière à aboutir à un accord qui, au moins sur le plan opérationnel, ne perturbe en rien le fonctionnement des chaînes.

Cette gestion collective volontaire conduira à un traitement strictement égalitaire de tous les producteurs, qu’ils soient majors ou indépendants. Il n’y a donc aucune raison d’aboutir à une discrimination à l’égard des indépendants. En conséquence, il est préférable d’en rester à la voie contractuelle qui est en cours. C’est la raison pour laquelle la commission n’est pas favorable à ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les trois amendements ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Quand on entend parler de webradios, on a peut-être le souvenir un peu nostalgique du foisonnement des radios libres il y a un certain nombre d’années. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Christian Paul. Grâce à qui ? Encore une fois !

M. le ministre de la culture et de la communication. En effet on ne peut que constater le foisonnement actuel et l’aspect multiforme de ces webradios, dont les programmations sont évidemment très différentes. C’est une grande chance, car une telle diversité est une très bonne chose.

Se pose donc la question de savoir si on doit les figer dans un cadre unique. Disons tout simplement que ce n’est pas le « simulcast » de la radio.

La justification originelle de l’absence de droits exclusifs réside dans la conception de la radiodiffusion comme un marché secondaire d’exploitation des phonogrammes. Or les techniques numériques de radiodiffusion bouleversent la hiérarchie entre marché primaire et marché secondaire. Des services proposent ainsi une programmation dédiée à un artiste ou à un auteur déterminé et exclusivement constituée de phonogrammes publiés à des fins de commerce. Le maintien d’un droit exclusif paraît nécessaire pour réguler ce nouveau marché. Une démarche contractuelle est tout à fait envisageable, ainsi qu’en témoigne la signature en mars 2004 d’un accord entre la SESAM et AOL pour permettre à cette dernière société de diffuser des œuvres en streaming. C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable à l’amendement n° 83.

Les amendements nos 171 et 173…

M. Jean Dionis du Séjour. …sont meilleurs ! (Sourires.)

M. le ministre de la culture et de la communication. …posent des questions légitimes, comme chaque amendement d’ailleurs. Je suis en tout cas très sensible à la question que vous soulevez.

La Cour de cassation, par trois récents arrêts, a considéré que le régime de licence légale de l’article L. 214-1 du code ne pouvait recevoir application lorsqu’un phonogramme du commerce a été incorporé dans un vidéogramme exploité par voie de télédiffusion.

Ces amendements permettraient aux radiodiffuseurs d’utiliser librement leurs archives constituées sous forme de bases de données pour des exploitations commerciales ultérieures sans que les producteurs soient réellement en mesure d’identifier les enregistrements utilisés, donc de maîtriser la diffusion des phonogrammes.

C’est la raison pour laquelle des conventions doivent être conclues entre les titulaires de droits et les radiodiffuseurs. Je ne puis que les inviter à engager au plus vite les négociations. Je prends devant vous l’engagement de tout faire pour qu’elles s’ouvrent, comme j’en ai eu l’occasion à de très nombreuses reprises.

M. Dominique Richard. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. Je ne vais pas éternellement rappeler ce que nous avons initié et réussi pour la diffusion de la musique et du cinéma sur internet. Jamais deux sans trois : j’espère que la négociation permettra d’aboutir. Ce n’est pas une manœuvre dilatoire.

Cela dit, je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée.

M. Jean Dionis du Séjour. Merci !

M. le président. Sur le vote de l’amendement n° 83, je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à Mme Christine Boutin.

Mme Christine Boutin. Monsieur le président, je vous ai demandé la parole parce que je voulais réagir à certaines interventions qui ont lieu depuis plusieurs heures dans cet hémicycle.

Quand on fait de la politique, mes chers collègues, on apprend un certain nombre de valeurs. La solidarité en est une très importante pour moi, même si, parfois, c’est difficile.

Je vous demande simplement de ne plus faire appel à un certain nombre de stars pour appuyer vos positions. Je vais vous faire une confidence, je suis fan de Johnny Halliday (« Ah ! »sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe socialiste)…

M. Jean Dionis du Séjour. Et moi de Francis Cabrel !

Mme Christine Boutin. …et je ne peux imaginer qu’il ne soit pas favorable à la licence globale optionnelle.

M. Patrick Bloche. Absolument !

M. Christian Paul. On l’a trompé !

Mme Christine Boutin. Puisqu’on le met à toutes les sauces, je le mets au défi et je l’appelle à venir nous dire ce qu’il en pense. Je suis prête à lui en expliquer les avantages et à lui montrer que ses droits ne seront pas étranglés.

Naturellement quand on s’appelle Johnny Hallyday on a un écho, mais si l’on s’appelle François Berdou ou Sébastien Poitevin ce n’est pas pareil. Eh bien moi, je défends justement ceux dont on ne parle jamais !

M. Patrick Bloche. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est une interpellation à laquelle je ne peux pas ne pas répondre.

Mme Christine Boutin. Très bien !

M. le ministre de la culture et de la communication. L’intégralité de ce projet de loi vise à faire en sorte que l’ensemble de la création soit soutenue et que toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, aient les moyens d’épauler les jeunes talents.

Mme Christine Boutin. Alors ne parlez pas seulement de Johnny Hallyday !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ce qui m’importe c’est que toutes les entreprises, grâce aux moyens que rapporte la diffusion d’artistes très connus au rayonnement mondial, soutiennent les jeunes talents, ceux qui commencent, ceux pour lesquels c’est la vraie galère.

M. Gabriel Biancheri. Exactement !

M. le ministre de la culture et de la communication. Il faut avoir le courage de leur dire que, bien sûr, ils peuvent rêver d’entrer sur le marché mondial grâce à internet mais que, sans un lieu de diffusion – un café-théâtre, une salle de spectacle ou un festival qui vous accueille –, il n’y aura pas de rencontre avec le public.

Je ne peux pas laisser attaquer, par facilité, des artistes puissants et reconnus, au talent mondial.

Mme Christine Boutin. C’est vous qui les citez ! Arrêtez !

M. le ministre de la culture et de la communication. Je souhaite simplement que chaque entreprise ait les moyens de diffuser de nouveaux talents.

Pour sortir de l’anonymat, pour avoir un public, il faut qu’une entreprise vous aide. N’opposons donc pas les artistes en fonction de leur notoriété.

Mme Christine Boutin. Je suis d’accord !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ceux qui ont réussi doivent épauler les jeunes, sorte de compagnonnage ou de parrainage. C’est cela qui permet à la chaîne de la création de se perpétuer. C’est l’esprit même de notre projet.

M. Patrick Bloche. Des artistes sont pour la licence optionnelle globale !

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Oui, monsieur le ministre, des artistes par milliers, certains de renommée mondiale, d’autres moins connus, sont favorables à la solution que nous proposons.

Mme Christine Boutin. Que l’Assemblée nationale propose ! Pas vous uniquement !

M. Christian Paul. En effet et vous vous êtes exprimée avec tant de vigueur et d’enthousiasme en faveur de cette proposition qu’elle a été votée par l’Assemblée nationale. Les victoires ont toujours une très large maternité ou paternité. Nous nous associons au-delà des clivages politiques habituels.

Nous avons à nos côtés un puissant mouvement d’opinion et ceux des artistes qui se sont prononcés en faveur de cette proposition savent que les systèmes de gestion collective apportent, aujourd’hui et depuis des années, des financements importants pour la création – pendant que les budgets du ministère de la culture, paupérisés comme ils sont…

M. le ministre de la culture et de la communication. Oh !

M. Christian Paul. …ne permettent plus à vos directions régionales d’aider les festivals, les fêtes musicales ou les cafés musique. Je tiens à votre disposition une liste très longue de ces désengagements. Ils conduisent les élus et les associations à demander le soutien de ces sociétés de gestion collective. Ainsi, une partie des rémunérations, issues de la copie privée ou d’autres formes de financement, vient soutenir la création et la diffusion de la culture, du spectacle vivant et de la musique.

Je reviens sur la question des webradios.

Dans l’histoire de la radio, il y aura eu quelques grands moments de débat. Avant la seconde guerre mondiale, on disait que la radio allait tuer la musique.

M. le ministre de la culture et de la communication. Je ne dis pas cela !

M. Christian Paul. En effet, mais on l’a dit alors et aujourd’hui certains disent que les webradios vont tuer la musique.

M. Xavier de Roux. Personne ne dit cela, voyons !

M. Christian Paul. Mais les éditeurs de musique ont montré leurs capacités d’innovation et inventés de nouveaux produits : 45 tours, 33 tours, haute fidélité…

Puis il y a eu un autre moment important dans l’histoire de la radio et nous savons qui était aux avant-postes du combat pour les radios libres en 1981 et comment on est passé d’un monopole à une situation qui a permis l’épanouissement de nombreuses radios dans un climat de liberté.

Un mouvement analogue pourrait se produire avec les webradios, si elles pouvaient se développer dans un climat de sécurité juridique dont elles ne bénéficient pas. Aujourd’hui, en France, les webradios sont en panne. Or elles constituent un élément important de la diffusion culturelle, de la musique bien sûr mais pas seulement. Peut-être le benjamin de l’Assemblée nationale, M. Wauquiez, est-il utilisateur de webradios et pourrait-il apporter son témoignage à ceux ne sont pas des utilisateurs aussi réguliers.

M. Serge Blisko. Nous écoutons encore la TSF !

M. Laurent Wauquiez. Pas de propos générationnels ! (Sourires.)

M. Christian Paul. Je voulais simplement rendre hommage au benjamin de l’Assemblée nationale que nous sommes heureux d’accueillir dans ce débat.

Par cet amendement, nous voulons étendre aux webradios un système qui a fait ses preuves et qui apporte chaque année au financement de la création, aux artistes et aux musiciens, des sommes non négligeables. Il y a aujourd’hui, sinon une convergence, du moins une certaine neutralité de la technique. Les webradios sont utilisées quotidiennement par des millions de Français de tous âges. Elles sont devenues leurs radios.

Faut-il brider ces moyens de diffusion et d’expression ou faut-il leur appliquer un système qui marche, celui de la licence légale ? Ce n’est pas une transgression du droit d’auteur que nous proposons, mais simplement une adaptation de notre droit et cela n’est pas contraire aux engagements internationaux de la France – je tiens à le répéter parce que c’est un pont aux ânes que nous allons entendre dans ce débat – puisque la législation internationale indique clairement qu’un droit de rémunération au titre des droits voisins existe dans le cadre des services en ligne, mais que le droit exclusif ne s’applique que lorsque l’œuvre est mise à la disposition du public à la demande. Avec les webradios, nous sommes bien dans une émission en continu, n’est-ce pas monsieur Wauquiez ?

M. Laurent Wauquiez. Tout à fait, monsieur Paul.

M. le président. La parole est à M. Dominique Richard.

M. Dominique Richard. Pour expliquer pourquoi le groupe UMP appelle à voter cet amendement, je vais laisser parler les artistes, en commençant par Johnny Hallyday, madame Boutin.

Mme Christine Boutin. Cela recommence !

M. Dominique Richard. « Légaliser le téléchargement de la musique presque gratuitement, c’est tuer notre travail », dit-il.

Pour Francis Cabrel « cet amendement est la négation de la valeur de la culture ».

« Je suis pour l’exception pour la copie privée, mais contre le pillage de mon travail pour deux kopecks », dit Joey Starr.

Mme Christine Boutin. J’en ai assez ! C’est honteux !

M. Dominique Richard. « Je suis certain que la licence globale crée une usine à gaz », ajoute Jean-Louis Aubert.

Pour Rachid Taha, « cet amendement […] favorise le piratage ».

M. Jean Dionis du Séjour. Supercherie !

M. Dominique Richard. Et Catherine Lara : « Je tiens à rappeler à Mmes et MM. les députés, que nous ne sommes plus au Moyen âge, que les artistes ne sont plus des troubadours et que nous ne faisons pas l’aumône. »

Mme Christine Boutin. Ça suffit !

M. Patrick Bloche. Manipulation !

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur Richard vos arguments sont vraiment petits ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Xavier de Roux. Cela vous gêne !

M. Frédéric Dutoit. Mme Boutin a entièrement raison. Mon ami Alain Fédel interprète, musicien, que vous ne connaissez peut-être pas même s’il est de très grand talent, m’a déclaré que la licence globale pouvait peut-être lui permettre de vivre de ses œuvres. Avec ce genre d’arguments nous n’irons pas très loin.

Je m’associe à l’amendement n° 83 de mes amis du groupe socialiste et je suis en accord avec leurs arguments.

Monsieur le ministre, vous avez dit que vous ne vouliez pas opposer et diviser : là-dessus nous sommes tous d’accord. Néanmoins ce que vous avez dit, ainsi que M. Vanneste, rapporteur de la commission des lois est significatif, au-delà des clivages droite-gauche, de l’incompréhension de la nature même d’internet.

Mme Christine Boutin. Absolument !

M. Frédéric Dutoit. Cela n’a rien à voir ni avec la radio traditionnelle, ni avec la télévision avec ses émetteurs institutionnels, privés et ses récepteurs, car ce n’est pas seulement un moyen de diffusion. Internet est un moyen technique d’échange entre les hommes.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Nous sommes d’accord et c’est bien pourquoi nous défendons cette position !

M. Frédéric Dutoit. Internet sera le grand moyen technique du XXIe siècle et, j’espère, des siècles futurs.

M. le président. Il faut conclure, monsieur Dutoit !

M. Frédéric Dutoit. Bien entendu, les artistes, les auteurs ont besoin d’autres moyens de diffusion et d’autres lieux d’expression artistique tels festivals, concerts, musées. Ces lieux d’expression de l’art et de la culture sont essentiels à préserver et à développer, mais en quoi internet les concurrencerait-il ? En rien ! Bien au contraire, le fait d’échanger des opinions, des œuvres via internet va faire naître un besoin nouveau de connaissance, une volonté de découvrir de nouveaux artistes ou d’autres moyens d’art et de culture.

Monsieur le ministre, ne mélangeons pas internet, lieu essentiel d’échanges entre tous les individus, qui fait appel à leur intelligence et à leur raison, avec un abrutissement passif.

M. Patrick Bloche. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Je voudrais apporter un petit peu de sérénité dans ce débat, qui semble s’orienter à nouveau vers le concept de licence légale optionnelle. Les partisans de cette solution doivent admettre qu’on puisse ne pas être de leur avis. Je répète que le caractère optionnel est une supercherie, et je m’engage à le démontrer de la façon la plus rigoureuse. Si on peut débattre du reste, qui relève de choix politiques respectables, le caractère optionnel de cette licence légale est une supercherie, qui ne mérite que d’être dénoncée.

Notre amendement est très différent de celui de nos collègues du groupe socialiste. Alors que ce dernier a trait à la webradio, le nôtre concerne les chaînes ou les radios hertziennes, qui diffusent sur tout un territoire de manière non sélective.

Le groupe UDF est opposé à l’amendement n° 83 par souci de cohérence avec notre position sur la licence légale. Notre amendement, en revanche, n’est qu’une mise à jour de notre droit et je remercie le ministre d’avoir laissé à la sagesse de l’Assemblée le soin de trancher.

S’il faut respecter les auteurs et les ayants droit, ils doivent savoir faire preuve de générosité vis-à-vis des handicapés et de modernité dans certaines négociations dans lesquelles ils ne doivent pas rester sur des positions figées.

C’est pourquoi je vous invite à voter notre amendement.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. On vit de grands moments dans cet hémicycle ! Je n’aurais jamais pensé entendre un porte-parole de l’UMP nous donner Joey Starr en exemple.

M. Dominique Richard. Voilà !

Mme Martine Billard. Tout arrive, et pourvu que ça dure !

M. le ministre de la culture et de la communication. C’est cela la démocratie !

Mme Martine Billard. Fort bien, monsieur le ministre. Permettez cependant que je me souvienne des attaques violentes dont ce chanteur a fait l’objet de la part de certains milieux politiques. Apparemment quand on veut instrumentaliser certaines personnes, on est prêt à oublier le passé. Mais après tout c’est positif d’oublier le passé.

Cela dit, nous assistons en ce moment à un combat d’arrière-garde.

M. Christian Vanneste, rapporteur. C’est le vôtre qui est d’arrière-garde ! Mais vous êtes habituée !

Mme Martine Billard. Non, c’est bien le vôtre !

M. Patrick Bloche. Il est vrai que vous êtes furieusement d’avant-garde, monsieur le rapporteur !

Mme Martine Billard. J’ai l’impression de revivre le débat sur les radios libres lequel avait été lancé à la fin des années soixante-dix par de petits réseaux associatifs animés par le désir de faire une radio différente des grands medias existants.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Cela n’a rien à voir !

Mme Martine Billard. L’amendement de nos collègues socialistes, que je voterai au nom des Verts, vise à prendre en compte ce qu’est réellement l’internet aujourd’hui. Vous pourrez poser tous les verrous que vous voulez…

M. le ministre de la culture et de la communication. Nous ne posons pas de verrous !

Mme Martine Billard. …la réalité forcera tous ces blocages et finira par s’imposer à vous.

Internet est un splendide outil pour s’exprimer hors des sentiers battus des grands medias et des majors. Les internautes veulent autre chose que la « Star Ac ». Si des musiciens se regroupent en sociétés pour assurer eux-mêmes la diffusion de leurs œuvres, c’est bien faute d’être reconnus à leur juste valeur par les majors.

Internet permet précisément à des artistes qui ont fait ce choix de diffuser leurs œuvres sans passer par ces grandes sociétés ; c’est tout l’intérêt des webradios. Il faut instituer une rémunération collective des droits, de façon à ce que l’ensemble des artistes en bénéficie, et pas uniquement ceux qui sont diffusés par les majors. Ils sont nombreux, en effet, les artistes talentueux qui subissent une censure de fait, pour la simple raison qu’ils déplaisent aux majors ou qu’ils critiquent le système médiatique dominant.

M. le ministre de la culture et de la communication. Il faut arrêter les caricatures !

Mme Martine Billard. Pour toutes ces raisons l’amendement sur les webradios est très intéressant.

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix l'amendement n° 83.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est ouvert.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 171 et 173.

(Ces amendements sont adoptés.)

M. le président. Les amendements nos 170 et 169 n’étant pas défendus, la parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 21 rectifié.

M. Christian Vanneste, rapporteur. La directive européenne prévoit la possibilité pour les États d’introduire une exception aux droits de reproduction et de communication pour « une utilisation à des fins de sécurité publique ou pour assurer le bon déroulement de procédures administratives, parlementaires ou judiciaires. »

Ce dispositif existe déjà partiellement dans le droit français pour les procédures administratives ou judiciaires, mais non pour les procédures parlementaires.

Le présent amendement propose donc de compléter notre loi sur ce point.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 21 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

Article 5

M. le président. Sur l’article 5, je suis saisi d'un amendement n° 22 de la commission qui est rédactionnel.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Tout à fait !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 22.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 5, modifié par l'amendement n° 22.

(L'article 5, ainsi modifié, est adopté.)

M. le président. À la demande du Gouvernement, la discussion des amendements portant article additionnel après l’article 5 est réservée.

La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Je vous demande, monsieur le président, une suspension de séance, par respect pour les pauvres parlementaires que nous sommes, qui sautons d’un article à un autre en découvrant des réserves demandées au dernier moment. Il ne s’agit vraiment pas de vous gêner dans votre rôle, ni de bloquer le fonctionnement de notre institution, mais vous comprendrez la légitimité de ma demande.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Avant l’article 6

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendement portant articles additionnels avant l’article 6.

La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l’amendement n° 26.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Les amendements nos 26 et 27 de la commission des lois – M. Bloche ayant d’ailleurs déposé un amendement identique à ce dernier – ont été adoptés à l’initiative du groupe socialiste. Ils répondent à la demande de ceux des auteurs et des artistes qui ne souhaitent pas que leurs maisons de disques puissent leur imposer des protections anticopie sur leurs œuvres, même si cela permet d’améliorer leurs ventes en limitant les possibilités de copie, ou qui, du moins, veulent qu’elles ne puissent pas le faire sans qu’ils en soient informés. Nous tenons beaucoup, en effet, à l’information des artistes, qui est pour eux une protection.

L’amendement n° 26 concerne les contrats des auteurs ; l’amendement n° 27 vise ceux des artistes interprètes.

Ces deux amendements pouvaient toutefois poser un redoutable problème car ils supposent que les contrats mentionnent dès l’origine le recours à des mesures techniques, ce qui aurait pour effet de les généraliser, alors que tel n’est pas l’objectif recherché, ou que les contrats soient systématiquement révisés pour y insérer, au moment de la distribution, les mesures techniques de protection éventuellement utilisées. Or, au moment où le contrat est signé, les producteurs ne connaissent pas toujours ces mesures, qui dépendent d’ailleurs parfois des distributeurs et non des producteurs.

En outre, si le producteur français a généralement connaissance des caractéristiques techniques des mesures mises en place par l’éditeur phonographique ou l’éditeur vidéographique pour la commercialisation en France, il ne disposera pas, dans la plupart des cas, d’informations sur celles qui peuvent être mises en place par les distributeurs à l’étranger et, plus généralement, sur celles qui ne sont pas mises en place à son initiative, ce qui sera fréquemment le cas dans pour les exploitations en ligne, lesquelles font précisément l’objet de ce texte.

C'est pourquoi, après une consultation des professionnels, il vous est proposé un amendement nouveau, n° 246 rectifié, destiné à se substituer aux deux amendements nos 26 et 27, initialement adoptés par la commission mais qu’elle préfère retirer.

Sans changer la finalité consistant à informer les auteurs et les artistes des mesures techniques utilisées pour protéger leurs œuvres, le nouvel amendement propose de recentrer le dispositif sur une obligation de mention dans le contrat de la faculté d'utiliser des mesures de protection, qui seront détaillées hors du contrat. Le point le plus important, c’est que ces dispositions s'appliqueraient aux contrats conclus à compter de l’entrée en vigueur de la loi, évitant ainsi une rétroactivité qui serait difficilement gérable.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Les amendements nos 26 et 27 ont pour origine des propositions du groupe socialiste, que nous avions d’ailleurs présentées lors de la première réunion de la commission des lois, dès le mois de mai.

La directive prévoit qu’une protection juridique doit être assurée aux mesures « appliquées volontairement par les titulaires de droits », sans faire parmi ces derniers d’exception ou de distinction. Il importe donc que ces mesures techniques ne puissent être mises en œuvre à l’insu ou contre les volontés des auteurs en tant que titulaires primaires des droits.

En l’occurrence, à travers ces amendements, nous exprimons notre souci de préserver les droits des artistes et notre volonté que leurs volontés ne soient pas contrariées, d’autant que les mesures techniques de protection peuvent comporter non seulement une limitation du nombre de copies, mais également des obstacles, volontaires ou non, à l’accès aux œuvres. Je signale qu’une mesure imposant le visionnage d’une publicité au milieu d’une œuvre est aussi techniquement envisageable.

Il est donc essentiel que les auteurs se trouvent placés au cœur de certains choix, notamment ceux que de telles mesures peuvent entraîner et qui sont susceptibles de porter atteinte à leur droit d’auteur lequel, je le rappelle, est à la fois un droit moral – permettant d’autoriser la diffusion de l’œuvre – et évidemment un droit patrimonial leur assurant une rémunération. Nous avons donc considéré que l’existence de telles mesures et leurs caractéristiques essentielles devaient être mentionnées dans le contrat emportant cession de leurs droits.

Cet après-midi, je découvre en même temps que vous l’amendement n° 246 rectifié de M. le rapporteur, déposé en vertu de l’article 99 de notre règlement. Je n’ai donc pas eu le temps de mener une expertise suffisante pour former mon jugement sur cet amendement. C’est pourquoi je souhaite le maintien des amendements nos 26 et 27 initialement présentés par le groupe socialiste.

M. le président. Ces amendements sont donc maintenus.

Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements en discussion ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Avis favorable à l’amendement n° 246 rectifié et donc défavorable aux amendements nos 26 et 27.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Je voudrais obtenir quelques éclaircissements parce que l’exposé sommaire de l’amendement n° 246 rectifié précise que « le dispositif est donc recentré sur une obligation d’information a posteriori. » Cela veut-il dire que l’obligation d’informer a posteriori ne vaudrait que pour les contrats déjà existants, ou s’agit-il d’une obligation générale pour tous les contrats ?

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Madame Billard, l’amendement n° 246 rectifié vise à régler un problème de chronologie. Il s’agit d’éviter la rétroactivité et de laisser la place, pour l’avenir, à de nouvelles mesures qui seraient introduites dans les contrats. C’est donc pour libérer et le passé et l’avenir.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. J’essaie, comme Mme billard, de comprendre l’exposé sommaire de l’amendement n° 246 rectifié que M. le rapporteur souhaite substituer aux nôtres.

Le problème n’est pas la rétroactivité, car nous ne saurions en établir une, mais une phrase qui me laisse perplexe : « Pour éviter une obligation de renégociation de tous les contrats en cours, ces dispositions s’appliqueront seulement aux contrats postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi. » Pourquoi les contrats déjà existants ne pourraient-ils pas bénéficier d’un avenant prenant en compte ces dispositions qui assurent les droits des auteurs ?

Mme Martine Billard. Eh oui !

M. Christian Vanneste, rapporteur. Rien ne l’empêche.

M. Patrick Bloche. Dans ces conditions, monsieur le rapporteur, il faut que vous révisiez votre exposé sommaire, qui doit être en corrélation avec les dispositions proposées par votre amendement. Je vous demande une précision sur ce point.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christian Vanneste, rapporteur. La renégociation n’est pas obligatoire ; c’est une éventualité.

M. le président. Je considère que L’Assemblée est suffisamment éclairée.

M. Patrick Bloche. La lumière est faible !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 26.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 246 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, les amendements identiques nos 27 et 84 tombent.

J’en viens à l’amendement n° 109 rectifié.

La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le présenter.

M. Jean Dionis du Séjour. Nous allons entrer, avec les mesures techniques de protection, dans une ère nouvelle, où cohabiteront des ventes en ligne protégées et le régime de la copie privée, les CD, les baladeurs MP3, etc. Il est bien évident que nous sommes dans une phase de transition et que des personnes qui vont acheter en ligne une œuvre à laquelle sont associées des possibilités de copie quantifiées ne voudront pas payer aussi la taxe pour copie privée sur les supports vierges. C’est donc un amendement de bon sens.

La commission de la copie privée, dans laquelle tous les acteurs sont représentés – les consommateurs, les industriels, les producteurs – aura à travailler sur les bouleversements que ne manqueront pas d’amener, dans les modes de diffusion des œuvres culturelles, la montée en puissance de la vente en ligne et des mesures techniques de protection.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Christian Vanneste, rapporteur. Cet amendement sera satisfait par l’amendement n° 23 que la commission a présenté après l’article 5 et qui est d’ailleurs plus précis. Il prévoit en effet que la rémunération tient compte non de l’application des mesures techniques, mais de leur incidence éventuelle sur les usages des consommateurs, notamment en termes de copie. Il est ainsi plus efficace.

L’avis de la commission est donc défavorable à votre amendement, monsieur Dionis du Séjour, même si nous sommes d’accord dans l’esprit.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de la culture et de la communication. Les objectifs de l’amendement n° 109 rectifié seront satisfaits par votre amendement n° 175, monsieur Dionis du Séjour, et par l’amendement n° 23 de la commission. Du fait de cette redondance, j’émets un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, nous retombons dans les difficultés d’organisation de notre débat car si l’on avait déjà examiné l’amendement n° 23, ce serait plus aisé !

Je prends acte de ce que vient de me dire le rapporteur, à savoir qu’il posera le problème de la transition et de l’entrée dans une nouvelle période, celle de la montée en puissance de l’achat en ligne avec des mesures techniques de protection, où de plus en plus de consommateurs auront acheté exactement ce qu’ils veulent en termes de nombre de copies et de délais pour les faire. Ces mêmes consommateurs seront en droit de ne pas être imposées deux fois.

Je fais confiance à M. le rapporteur et je retire mon amendement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), …

M. Christian Paul. C’est un peu imprudent !

M. Jean Dionis du Séjour. …mais je serai extrêmement actif…

M. Christian Paul. Nous aussi !

M. Jean Dionis du Séjour. …lors de l’examen de l’amendement n° 23 après l’article 5.

M. le président. L’amendement n° 109 rectifié est retiré.

M. Frédéric Dutoit. Bon courage !

M. Jean Dionis du Séjour. Je n’ai pas peur ! (Sourires.)

Article 6

M. le président. Nous en arrivons à l’examen de l’article 6 sur lequel je n’ai ni inscrit ni amendement.

M. Patrick Bloche. C’est un article purement rédactionnel, monsieur le président !

M. le président. Je suis prudent ! (Sourires.)

J’avais d’ailleurs raison puisque M. Dutoit demande la parole.

M. Frédéric Dutoit. J’appelle l’attention de notre assemblée sur le caractère quelque peu surréaliste de notre discussion : M. Dionis du Séjour vient de faire la démonstration concrète de la complexification de ce projet de loi…

M. Richard Cazenave. Mais non !

M. Frédéric Dutoit. …qui vise à imposer des mesures techniques de protection dans le cadre du téléchargement et de son utilisation ultérieure.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est la directive européenne !

M. Frédéric Dutoit. J’entends bien, monsieur Dionis du Séjour, mais il faudra s’acquitter des droits pour télécharger, par exemple, un morceau de musique, et cela donnera droit à combien de téléchargements ? Un, deux, trois et pourquoi pas plus ? Quand l’utilisateur voudra transcrire ce fichier sur un disque, il ne va tout de même pas payer deux fois puisqu’il aura déjà acquitté une taxe. Votre argument est donc tout à fait légitime.

M. Jean Dionis du Séjour. Merci !

M. Frédéric Dutoit. Mais vous rendez-vous compte de la situation vers laquelle nous allons, car cette fameuse commission n’aura aucune chance de régler tous les litiges qui vont voir le jour.

En l’occurrence il s’agit du transfert d’un fichier copié sur internet vers un support, mais quand il s’agira de traiter les litiges pour le téléchargement d’un fichier musical qui pourra être copié une, deux, trois fois et pas quatre – et pourquoi pas quatre ou cinq, d’ailleurs ? – comment fera-t-on ?

J’attire donc l’attention de l’Assemblée sur le fait que ce projet de loi sera inapplicable !

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Je veux répondre à M. Dutoit.

Les mesures techniques de protection sont imposées par la directive. De deux choses l’une : ou on la transpose, ou on ne la transpose pas. Dans le premier cas, on ne peut éviter les mesures techniques de protection. Nous réfléchirons à leur impact et aux points sur lesquels il convient d’être vigilant, mais, en tout état de cause, nous transposons la directive.

Deuxièmement, nous entrons dans une période de transition. Comment expliquerez-vous à celui qui aura acheté un droit de copie qu’il faut payer à nouveau ? La bonne instance pour arbitrer dans ce genre de situation me semble être la commission pour la copie privée. Pour ne rien vous cacher, j’ai interrogé ses membres. Ils m’ont confirmé qu’elle était l’instance idoine. Tout le monde y est en effet représenté : les consommateurs, les producteurs et les fabricants.

M. Frédéric Dutoit. Il en faudra, du personnel !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous reviendrons sur cette question avec M. Vanneste lors de l’examen de l’amendement n° 23 rectifié de la commission des lois.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. L’article 6 est un article de forme, mais il introduit l’article 7.

M. Jean Dionis du Séjour. Il est donc diabolique !

Mme Martine Billard. En effet ! Puisque je voterai contre l’article 7, il est cohérent que je me prononce contre le 6, qui l’introduit.

La transposition de la directive ouvre la voie aux mesures techniques de protection, mais elle n’oblige pas à les mettre en place. Vous avez parlé d’un « impôt » à propos de la redevance sur la copie privée. Une redevance n’est pas un impôt, la nuance est importante ! Cette redevance sur la copie privée suppose une gestion collective, favorable à la richesse de la production culturelle. Elle constitue ainsi une aide à la diversité culturelle. Or, discrètement mais sûrement, vous êtes en train de nous en proposer la suppression.

M. le ministre de la culture et de la communication et M. Jean Dionis du Séjour. Mais non !

Mme Martine Billard. Je ne parle pas de vous, monsieur le ministre, mais de M. Dionis du Séjour au nom de l’UDF. Nous verrons plus tard, lorsque nous discuterons du fameux amendement de la commission, quelle sera votre position.

L’un des amendements déposés vise à imposer les mesures techniques de protection : le but est donc bien d’assécher la redevance sur la copie privée et je ne prétends pas que c’est votre cas, monsieur le ministre !

M. le ministre de la culture et de la communication. Quand vous jugez que « c’est mal », cela ne vient pas forcément du Gouvernement !

Mme Martine Billard. Pas toujours ! Nous verrons quelle sera la position du Gouvernement, mais en tout cas, certains souhaitent bel et bien supprimer cette redevance – c’est-à-dire le système de gestion collective des droits, garant de la diversité culturelle – au profit de droits totalement individuels, qui rendraient beaucoup plus difficile la percée de jeunes auteurs.

M. le président. Je mets aux voix l'article 6.

(L'article 6 est adopté.)

M. le président. Avant de lever la séance, je vais donner la parole à M. Bloche, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Bloche. Je retire ma demande, monsieur le président, puisqu’il s’agissait précisément de solliciter la levée de cette séance.

M. le président. Vous voyez, j’anticipais !

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. A vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 1206, relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information :

Rapport, n° 2349, de M. Christian Vanneste, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)