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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 28 février 2006

152e séance de la session ordinaire 2005-2006

Question préalable de M. Jean-Marc Ayrault : MM. François Hollande, le président, le président et rapporteur de la commission des affaires culturelles.

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe socialiste.

opa hostiles

M. le président. La parole est à M. Éric Besson.

M. Éric Besson. Monsieur le Premier ministre, depuis quelques semaines, vous brandissez l'étendard du patriotisme économique, mais vos actes sont en contradiction avec vos discours.

Concrètement, dans l'affaire de l'OPA hostile de Mittal sur Arcelor, qui a raison ? Est-ce M. Loos, qui prétend que le Gouvernement y est opposé, ou M. Breton, qui explique que le Gouvernement n'est « ni pour ni contre » ? Ce même M. Breton qui convoque le P-DG de Mittal et exige des explications, tout en reconnaissant qu'au bout du compte il ne pourra rien faire.

Sur les OPA hostiles, qui a raison ? Est-ce M. Breton lorsqu'il propose au Sénat un amendement sur les bons de souscriptions pour permettre à nos entreprises de se défendre contre les OPA hostiles, ou M. Breton lorsqu'il va plus loin que la directive européenne en privant les dirigeants de nos grands groupes des moyens réels de se défendre contre ces OPA hostiles et qui explique que la seule vérité qui vaille est celle des actionnaires ?

Dans le dossier Suez-Gaz de France, qui dit vrai ? Est-ce l'ancien ministre de l'économie et des finances, M. Sarkozy, qui assurait haut et fort, ici même, que la participation de l'État à 70 % dans GDF ne serait pas négociable, ou l'ancien ministre de l'industrie, M. Devedjian, très lié à M. Sarkozy, qui explique aujourd'hui dans la presse que GDF, ce ne sont que des tuyaux ?

Toujours dans le dossier Suez-Gaz de France, qui a raison ? Est-ce le Premier ministre qui, sur la foi d'une rumeur – une rumeur seulement –, invoque l'urgence et, à ce titre, annonce sans en référer à qui que ce soit, ni aux partenaires sociaux ni au Parlement, l'absorption de Gaz de France par Suez, ou le ministre de l'économie et des finances, qui dit tranquillement que la rumeur d'OPA hostile n'a rien à voir avec la fusion proposée et que tout cela était en préparation depuis des mois ?

II faut que cesse ce double discours, ce grand écart permanent entre les mots et les actes. La démocratie a besoin de transparence. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Marsaudon. Ça vous va bien !

M. Éric Besson. La gestion de l'économie a besoin d'une politique cohérente et compréhensible par tous les acteurs.

En matière d'OPA hostiles, quelles sont donc, monsieur le Premier ministre, vos convictions ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)

M. Gérard Bapt. Il n’en a pas !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je veux d’abord, de retour de La Réunion, vous dire toute la satisfaction qui est la mienne de voir l’ensemble de la communauté nationale rassemblée autour des Réunionnaises et des Réunionnais pour leur apporter un juste concours dans cette épreuve. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Il est important que chacun se mobilise sur le terrain.

M. Jean-Claude Lefort. Il était temps !

M. Jérôme Lambert. Ce n’est pas vraiment la question !

M. le Premier ministre. Je le sais, mais c’est important. Le parti communiste est du reste extrêmement présent sur le terrain, de même que les représentants centristes et de l’UMP. Nous avons en revanche regretté quelque peu l’absence des socialistes. ((Rires et exclamations puis huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. Pitoyable polémique ! Politicien !

M. le Premier ministre. Le sujet que vous avez évoqué, en le survolant...

M. Jean Glavany. Lamentable !

M. le président. S’il vous plaît !

M. le Premier ministre. …est complexe et important. Je crois, monsieur Besson, qu’il faut revenir à la réalité, cette réalité que vous n’avez fait que dépeindre à grands traits, je dirais même « à la louche ».

M. Jean Glavany. Plus politicien que ça, tu meurs !

Mme Martine David. C’est affligeant !

M. le Premier ministre. Que s’est-il passé depuis un an ?

Il faut rappeler d’abord que la donne énergétique a changé. Le prix du pétrole a atteint un niveau sans précédent. La crise du gaz entre la Russie et l’Ukraine a montré que l’énergie était désormais un enjeu stratégique majeur. Partout, émergent de nouveaux géants de l’énergie : en Espagne, en Russie, aux États-Unis. Les positions acquises hier sont aujourd’hui fragilisées.

Dans ce contexte, nous devons relever sans attendre le défi de la sécurité des approvisionnements énergétiques de l’Europe et de la France. À cette fin, le Gouvernement veut apporter trois réponses.

Première réponse : nous avons besoin de grands groupes puissants, parce que c’est un élément déterminant pour la maîtrise des sources d’énergie.

Deuxième réponse : nous devons être à la pointe de la recherche et de l’innovation technologique. C’est pourquoi le projet EPR a été engagé.

M. Yves Cochet. Très mauvais choix !

M. le Premier ministre. C’est pourquoi aussi nous avons lancé la quatrième génération des réacteurs nucléaires, comme l’a demandé le Président de la République.

M. Jean Le Garrec. Cela n’a rien à voir !

M. le Premier ministre. C’est encore pourquoi nous allons développer les énergies renouvelables. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Roman. Répondez à la question !

M. le Premier ministre. Il est important de rappeler certaines choses qui sont totalement ignorées par celui qui a posé la question. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Troisième réponse : nous devons prendre des initiatives internationales pour faire face collectivement à ces enjeux. Nous avons déposé à la Commission européenne, au mois de janvier, un mémorandum sur l’énergie qui vise à améliorer la concertation et la prospective sur les besoins énergétiques de l’Europe tout entière.

Mme Martine David. C’est du baratin tout ça !

M. le Premier ministre. Vous le voyez, face à une situation qui a radicalement changé, nous avons fait les choix qui préparent l’avenir, et je me situe au-delà de la polémique de votre question.

Mme Martine David. Ah non !

M. le Premier ministre. Nous avons besoin de nous engager dans l’après pétrole. C’est ce qui intéresse l’ensemble de nos compatriotes.

Dans ce contexte, je reviens à la question. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) Gaz de France et Suez nous ont proposé un projet industriel de rapprochement des deux entreprises. Avec Thierry Breton, nous avons donné notre accord à cette opération et nous l’avons fait pour trois raisons.

Premièrement, parce qu’elle permet, et vous y êtes tous sensibles, de créer un champion international de l’énergie de plus de 60 milliards d’euros de chiffre d’affaires et employant 200 000 personnes dans le monde.

Deuxièmement, parce que l’État consolide sa maîtrise de la filière énergétique en devenant le premier actionnaire de ce nouvel ensemble. Il exercera un co-contrôle de ce champion industriel et restera garant des questions stratégiques liées aux missions de service public et à la sécurité des approvisionnements.

Troisièmement, parce qu’il s’agit d’une fusion entre égaux, porteuse, pour chacun, de développement, donc créatrice d’emplois et d’investissements.

En termes de méthode, une négociation approfondie aura lieu avec tous les partenaires qui sont parties prenantes : le gouvernement belge, les partenaires sociaux et les salariés.

M. Maxime Gremetz. Après, comme toujours !

M. le Premier ministre. Le Gouvernement entend apporter aux salariés des entreprises concernées toutes les garanties sociales légitimes. Le statut des personnels des industries électriques et gazières sera intégralement préservé, y compris naturellement pour les nouveaux salariés.

M. Maxime Gremetz. Ce n’est pas vrai.

M. le Premier ministre. L’activité de distribution commune entre EDF et Gaz de France sera également intégralement préservée, et je sais que cela préoccupe les partenaires sociaux.

Les tarifs continueront d’être régulés par l’État et toutes les obligations de service public seront maintenues, notamment l’interdiction des coupures de gaz pendant l’hiver pour les personnes en difficulté.

M. Maxime Gremetz. Vive les privatisations !

M. le Premier ministre. Le Gouvernement sera particulièrement attentif à la représentation des personnels dans les instances paritaires et dans les organes dirigeants de l’entreprise. Il veillera également aux conditions de mise en œuvre de l’actionnariat des salariés.

Vous le voyez, cette opération est une bonne illustration concrète de ce que j’entends par « patriotisme économique » : le rassemblement de nos forces au niveau français mais aussi au niveau européen. Il est important d’apporter des réponses à une France qui change dans un monde qui bouge, plutôt que de mener des combats du passé, comme vous le faites, monsieur Besson. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

décès du gendarme Raphaël Clin

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Philippe Folliot. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

C’est une intense émotion qu’a suscitée la mort du gendarme Raphaël Clin sur l’île de Saint-Martin. Au nom du groupe UDF, mais également, je pense, au nom de toute la représentation nationale, je ne peux que m’incliner devant l’immense douleur de la famille dans de si tragiques circonstances.

Le métier de gendarme est difficile et dangereux. Cinq d’entre eux sont décédés en service en 2005 et déjà deux, dont Raphaël Clin, vont voir leur nom se rajouter à la trop longue liste de ceux inscrits au Livre d’or de la gendarmerie.

Rapporteur pour avis du budget pour la gendarmerie, j’ai régulièrement l’occasion d’aller à leur rencontre sur le terrain et d’apprécier leur dévouement, leur dynamisme et leur professionnalisme.

Reprenant le communiqué du ministère de la défense, les médias se sont fait l’écho de comportements scandaleux et haineux par gestes et paroles prononcées sur les lieux de l’accident ou à l’hôpital à l’endroit de la victime alors que celle-ci, grièvement blessée, était dans l’attente de secours et de soins.

Monsieur le ministre, quels éléments nouveaux pouvez-vous apporter à la représentation nationale pour l’éclairer sur ces faits ? Quelles suites, y compris judiciaires, le Gouvernement veut-il donner à cette affaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française, sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Monsieur le député, le gendarme Clin est le troisième militaire de la gendarmerie mort en service depuis le début de l’année. Je tiens d’abord à rendre hommage à tous les gendarmes de France pour la qualité de leur travail et l’abnégation dont chacun d’eux fait preuve. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

Quand ce drame est intervenu, avec le ministre de la défense, Mme Alliot-Marie, nous avons envoyé l’un des plus hauts responsables de la gendarmerie pour rencontrer les gendarmes de la brigade de Marigot et prendre toutes les dispositions de solidarité envers la famille du gendarme Clin. Je me rendrai moi-même la semaine prochaine aux Antilles, et je rencontrerai la famille du gendarme Clin et ses collègues de la brigade de Marigot.

À la minute où je vous parle, deux enquêtes sont engagées.

La première a pour objet de faire un point très précis sur les circonstances du drame. Je vous rappelle que, pour l’instant, l’incrimination retenue est celle d’homicide involontaire. Ce n’est pas un commentaire que je fais ; c’est une information que je donne. Nous devons attendre que la justice fasse le point pour savoir très exactement dans quelles circonstances le gendarme Clin est mort. Nous le devons à la famille.

Une seconde enquête est engagée pour savoir si, en plus du drame, des injures racistes ont été proférées. Les médias se sont fait l’écho d’un certain nombre de propos. Je n’ai pas voulu “sur réagir”, une enquête étant en cours. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

C’est une affaire suffisamment sérieuse pour que chacun s’abstienne de commentaires politiciens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mme Martine David. Appliquez ça à vous-même !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Après la manifestation à la mémoire du jeune Ilan, les tensions sont telles que nous ne devons nous prononcer que si nous sommes certains. Une enquête est donc en cours ; elle dira s’il y a eu ou non des comportements et des propos racistes. En attendant, nous ne pouvons que rester très vigilants.

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Si des propos racistes ont été prononcés, il y aura des sanctions, et les auteurs seront poursuivis.

M. Maxime Gremetz. Des racailles !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Dans l’attente, la seule chose que nous avons à faire, ce que nous avons fait avec Mme Alliot-Marie, c’est de renforcer les effectifs, d’assurer la famille du gendarme Clin de notre solidarité – si elle a besoin de quoi que soit que nous puissions faire, nous le ferons pour la soulager dans cette immense douleur – et de dire aux gendarmes de la brigade de Marigot qu’ils ne sont pas seuls, qu’ils ont l’ensemble de la représentation nationale, de la République et du Gouvernement derrière eux.

J’ajoute enfin que l’auteur de l’accident tragique ne pourra être entendu que la semaine prochaine puisque lui-même a été blessé.

Par ailleurs, s’agissant de l’affaire de racisme, les services sont en train d’exploiter une photographie. Peut-être l’un des individus présents sur la photographie a-t-il été identifié.

Je ne peux pas vous en dire plus ; nous devons mener l’enquête jusqu’au bout. Le devoir de vérité, nous ne le devons pas simplement à la famille du gendarme ; nous le devons également à la représentation nationale et au pays tout entier. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

fusion de gdf et de suez

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Daniel Paul. Monsieur le Premier ministre, les promesses n 'avaient pas manqué à l'ouverture du capital d'EDF et de GDF.

M. Jean-Pierre Balligand. C’est vrai !

M. Daniel Paul. Je cite : « Nous garantissons que l'État ne descendra pas au-dessous de 70 % ». Cette participation de l'État constitue une véritable muraille de Chine. »

M. Maxime Gremetz. Oh ! là ! là !

M. Daniel Paul. Voilà des phrases ministérielles fortes, émanant d'un gouvernement auquel vous participiez, mais dix-huit mois auront suffi pour que la parole de l'État soit bafouée.

M. Maxime Gremetz. Et que la muraille s’écroule !

M. Daniel Paul. Alors que les enjeux énergétiques justifient une forte implication de l'État, la fusion d’EDF et de GDF, une véritable politique européenne de l'énergie et non la mainmise d’intérêts privés sur ce secteur vital, vous confirmez aujourd'hui ce que nous dénoncions il y a dix-huit mois, en livrant GDF aux marchés financiers et en exacerbant la concurrence entre EDF et GDF.

Votre « patriotisme économique » ne doit pas faire illusion : les perdants seront les usagers avec des hausses de tarifs – déjà plus 9 % en six mois –, les salariés, dont les emplois sont menacés, et notre pays, qui perdra la maîtrise de GDF, en attendant que vienne le tour d’EDF. Les seuls gagnants seront les actionnaires. Cela est déjà commencé.

Vous agitez comme un hochet la présence de l'État à 34 % dans le capital du nouveau groupe. Pourtant vous connaissez les limites de cette présence et votre ministre des finances est aujourd’hui bien placé pour savoir ce que cela a donné à France Télécom.

En agissant ainsi, vous bradez les intérêts de notre pays, à qui vous avez caché vos véritables intentions, et celles que vous affichez aujourd’hui ne tromperont personne.

Après les ordonnances, après le CPE, après l’augmentation du chômage annoncée ce matin, vous voulez imposer une nouvelle fuite en avant à notre pays, le livrant de plus en plus à la jungle financière. D'autres solutions existent pour faire face aux enjeux actuels, en protégeant nos approvisionnements, en fusionnant EDF et GDF, et en développant une coopération européenne sur l'énergie.

M. le président. Monsieur Paul…

M. Daniel Paul. On peut aussi préserver Suez par un développement des partenariats publics.

Êtes-vous prêt à donner la priorité aux intérêts du pays et non à ceux de la finance ? Êtes-vous prêt à un bilan de l’ouverture à la concurrence dans le secteur énergétique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le député, vous soulevez une question sérieuse sur laquelle le Gouvernement se penche depuis plusieurs mois. Je vais vous rappeler quelques éléments qu’il convient d’avoir en mémoire à l’instant où nous en discutons devant la représentation nationale.

En 2004, l’Assemblée nationale a autorisé, en votant la loi du 9 août, le changement de statut des entreprises EDF et GDF, pour leur donner plus de souplesse. Tout le monde pressentait en effet sur les bancs de cet hémicycle que le marché de l’énergie allait devenir un marché crucial et qu’il fallait, tout en préservant l’intérêt national, donner à nos entreprises la possibilité d’avancer et de nouer des alliances pour se consolider dans un monde qui évolue de plus en plus vite.

En 2005, à la demande des entreprises et pour leur permettre d’aller de l’avant, de nouer des partenariats, nous avons décidé d’ouvrir leur capital afin de leur donner la souplesse et les ressources nécessaires. (« Ah ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

En toute sincérité (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste), personne n’anticipait une telle accélération de la consolidation dans le secteur de l’énergie au deuxième semestre 2005. Nous avons vécu l’an dernier – et cela continue aujourd’hui – l’une des crises les plus graves du secteur de l’énergie, avec un prix du baril qui a doublé en moins de douze mois. L’ensemble des pays de la planète est aujourd’hui focalisé sur cette question et les acteurs européens sont tous, les uns après les autres, en train de nouer des alliances, car, aujourd’hui, dans un monde où l’énergie fossile devient de plus en plus rare, atteindre la taille critique est primordial.

M. Maxime Gremetz. Les requins !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Face à cette réalité, mesdames et messieurs les députés, GDF et Suez ont décidé d’elles-mêmes de discuter. Il est exact que leurs représentants sont venus me voir avant Noël, pour m’informer de leur désir de nouer un partenariat. Nous les avons bien sûr encouragés dans la mesures où ces partenariats industriels ont un sens pour la protection de leurs intérêts.

Suez et GDF ont accéléré leur concertation dès janvier, tandis que, contre toute attente, le monde a bougé plus vite autour de nous. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) De ce fait, le Premier ministre a autorisé les deux entreprises à rendre public leur projet et leur a donné neuf mois pour le mener à bien. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Baisse du chômage

M. le président. La parole est à M. Ghislain Bray, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Ghislain Bray. Monsieur le Premier ministre, l’emploi est au cœur des responsabilités et des priorités du Gouvernement et de notre majorité. La politique menée par le Gouvernement dans le cadre de la bataille pour l’emploi, notamment celui des jeunes, a commencé a porté ses fruits. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) En effet, depuis neuf mois, le chômage baisse. (Protestations sur les mêmes bancs.) Ces résultats démontrent que la politique active que vous menez en faveur de l’emploi a des effets structurels sur le chômage et que toutes les mesures prises concourent à sa décrue. Or : le nombre de demandeurs d’emploi a légèrement remonté en France en janvier 2006, après les neuf mois consécutifs de recul, le taux de chômage retrouvant son niveau de la fin novembre : 9,6 % de la population active.

Les économistes s’accordent pourtant à estimer que la courbe statistique du chômage devrait poursuivre son évolution à la baisse, même si ce recul ponctuel devrait rester limité en l’absence de croissance forte.

Pouvez-vous donc, monsieur le Premier ministre, nous confirmer cette tendance (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicain.) et nous faire part de votre analyse, quant à sa signification ? Doit-on s’attendre, dans les prochains mois, à voir le chômage augmenter de nouveau ou pouvons-nous espérer voir se poursuivre la baisse des neuf derniers mois ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur le député, après neuf mois de baisse…

M. Alain Néri. Cela va mieux !

M. le Premier ministre. …le nombre de chômeurs a augmenté au mois de janvier.

M. Alain Néri. Donc tout va bien !

M. le Premier ministre. Ce chiffre est décevant.

Je me suis engagé à venir évaluer chaque mois devant la représentation nationale les résultats de notre action, et je serai fidèle à l’engagement que j’ai pris. Le Gouvernement est au rendez-vous. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

En dix mois, le taux de chômage est passé de 10,2 % à 9,6 %, et 160 000 demandeurs d’emploi on retrouvé un emploi depuis le mois de mars.

M. Augustin Bonrepaux. Et le RMI ?

M. le Premier ministre. Néanmoins, à l’évidence, la situation est difficile, vous le savez. Elle est difficile sur tous les fronts : sur le front sanitaire avec la grippe aviaire et le chikungunya, sur le front économique et sur le front international.

Il n’y a, dans ces conditions, qu’une réaction à avoir, et je vous invite sur tous ces bancs – à gauche notamment, où je sens une certaine nervosité – à faire preuve de sang-froid et de maîtrise. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Quant à notre détermination, elle sort renforcée de la situation actuelle.

Il faut se mobiliser auprès de chaque demandeur d’emploi, grâce notamment aux entretiens mensuels de l’ANPE, qui ont démarré au mois de janvier, et aux premiers guichets uniques qui regroupent l’ANPE et les ASSEDIC. Il faut se mobiliser aussi aux côtés des jeunes, en particulier auprès des moins qualifiés : 145 000 d’entre eux sont accompagnés individuellement par les missions locales ; dans les zones urbaines sensibles, des milliers de jeunes désormais inscrits à l’ANPE sont reçus tous les mois.

Je suis convaincu que le contrat première embauche, comme le CNE, donneront des résultats et permettront d’aider les jeunes qui font face aux plus grandes difficultés sur le marché de l’emploi.

M. Maxime Gremetz. Ce sont des effets d’aubaine !

M. le Premier ministre. Enfin, il est essentiel de se mobiliser pour faciliter l’embauche, accroître la compétitivité et relancer la croissance. L’investissement des entreprises est reparti au second semestre de 2005, et les projets pour 2006 sont plus nombreux. Toute la politique industrielle du Gouvernement est mobilisée pour les conforter et leur permettre de dynamiser la croissance.

Effort financier important pour la recherche et l’innovation, dégrèvement de taxe professionnelle sur les investissements nouveaux, investissements supplémentaires dans l’énergie et les infrastructures : vous le voyez, le Gouvernement est mobilisé sur tous les fronts, et je serai là pour vous en rendre compte, mois après mois. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Détection précoce des troubles
du comportement

M. le président. La parole est à M. Hugues Martin, pour le groupe UMP.

M. Hugues Martin. Monsieur le ministre de l’intérieur, vous avez annoncé vouloir mettre en place un système de détection précoce des enfants présentant des troubles de conduite (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), pouvant les amener à être de futurs délinquants. L’institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, a rendu un rapport dont les conclusions vont dans le même sens.

Nous sommes, en tant qu’élus, contraints de constater l’impuissance des structures sociales et éducatives à réagir sur le terrain pour prendre en charge le plus tôt possible les enfants qui, dès leur plus jeune âge, montrent les signes d’un comportement agressif ou dangereux. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Aussi, pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, comment vous entendez renforcer les moyens de réaction à un problème qui laisse désarmés les parents, les élus et les responsables associatifs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Monsieur le député, il y a deux points sur lesquels tout le monde peut être d’accord.

M. Maxime Gremetz. C’est vous qui le dites !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Le premier, c’est que, comme tous les scientifiques et tous les médecins le disent, plus tôt on intervient, plus on a de chances d’éviter le drame d’un enfant qui évolue vers la délinquance. Intervenir le plus tôt possible est une condition nécessaire pour être efficace.

Ce point n’est contesté par personne, pas plus que le second : le système actuel est parfaitement inefficace et laisse des jeunes souffrir sans que personne ne s’en occupe.

M. Maxime Gremetz. Après la racaille et les voyous, c’est au tour des enfants !

M. François Grosdidier. Il aurait fallu s’occuper de M. Gremetz dès la maternelle !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Nous voulons donc mettre en place un système qui permettre de tendre la main à des jeunes qui se sentent aujourd’hui abandonnés, parce que ni la famille, ni l’école, ni la PMI, ni la santé scolaire ne les aident. Qui peut bien refuser l’idée que l’État tende la main à des gosses qui n’ont pas eu la chance d’être encadrés et suivis ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Ce que nous voulons, c’est que les enseignants, les médecins scolaires, les PMI et les assistantes sociales, puissent détecter les problèmes comportementaux d’un certain nombre de jeunes avant qu’il ne soit trop tard. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Ma conclusion sera simple : face à toute action, il y a toujours ceux qui protestent sans rien faire (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et ceux qui veulent faire quelque chose parce qu’ils ne se satisfont pas d’une réalité qui plonge dans la misère des enfants abandonnés par notre société. Nous devons à la République d’agir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Décès du gendarme Raphaël Clin

M. le président. La parole est à M. Philippe Briand, pour le groupe UMP.

M. Philippe Briand. Ma question qui s’adresse au ministre de l’intérieur, rejoint celle que mon collègue Philippe Folliot a posée tout à l’heure.

Notre pays, dans son ensemble, et tous les parlementaires présents dans cet hémicycle ont été profondément marqués ces derniers jours par le drame du jeune Ilan et par celui qui a frappé le major Raphaël Clin.

Je tiens donc, avant toute chose, à rendre un hommage particulier aux militaires de la gendarmerie qui assurent avec beaucoup de maîtrise leur mission sur l’ensemble du territoire national. Je suis persuadé que, tous ici, nous voulons leur rendre cet hommage.

Je veux aussi dire à Mme Clin – je sais, monsieur le ministre, que vous devez la rencontrer prochainement –, à son enfant de quatre ans et à toute sa famille la solidarité de notre assemblée. Nous partageons profondément sa peine et nous avons été très marqués par son témoignage courageux à la télévision, il y a quelques jours.

J’aurai donc quelques questions simples.

Est-il vrai que le major Clin était bien en service commandé ? Est-il vrai qu’il aurait été délibérément heurté par une moto qui participait à une course organisée par un rassemblement sauvage de motocyclistes ? Est-il vrai que les secours n’ont pas pu être appelés immédiatement, ce qui constitue un cas de non-assistance à personne en danger ? Est-il vrai enfin que cette tragique disparition a été l’occasion de provocations haineuses de la part de certains ?

La représentation nationale et l’ensemble des Français attendent des réponses à ces questions, pour que plus aucun doute ne subsiste et que nous puissions, à l’unisson, nous battre contre toutes les formes de racisme en France, pour que nos gendarmes soient respectés sur l’ensemble du territoire. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur divers bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Monsieur le député, si ma collègue Michèle Alliot-Marie le permet, je vais essayer de répondre en son nom et le plus précisément possible à vos cinq questions.

Le gendarme Clin est-il mort en service ? La réponse est oui.

A-t-il été délibérément renversé par une moto ? En l’état actuel de la procédure, tel ne semble pas être le cas, puisque les poursuites ont été engagées pour homicide involontaire, pas pour homicide volontaire.

Y a-t-il eu non-assistance à personne en danger ? La réponse, c’est que les secours sont arrivés à temps.

Des dérapages verbaux se sont-ils produits pendant et après les faits ? Certains éléments sérieux le laissent penser, et une procédure pour injures racistes a été ouverte, même s’il convient de ne pas assimiler toute la population de Saint-Martin au comportement de certains individus, qui d’ailleurs n’avaient sans doute pas toute leur raison au moment des faits, pour des raisons liées à l’alcool ou à la drogue.

Enfin, des condamnations seront-elles prononcées, et dans quel délai ? Si des dérapages verbaux ont eu lieu, il y aura des condamnations quand l’exploitation de certains documents photographiques aura permis de retrouver les auteurs des injures.

En tout état de cause, je puis vous assurer que nous sommes tous mobilisés pour que toute la vérité soit portée à votre connaissance. Et il ne sera pas dit que d’éventuelles injures racistes seront moins sévèrement punies à Saint-Martin qu’à Paris. Et il ne sera pas dit que, lorsqu’il s’agit d’un gendarme, de tels agissements sont moins sévèrement punis que lorsqu’il s’agit de toute autre personne de la communauté nationale.

M. Jean-Paul Charié. Très bien !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Chacun a le droit d’être respecté, les gendarmes au premier chef. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur de nombreux bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

gaz de france

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour le groupe socialiste.

M. François Brottes. Monsieur le Premier ministre, votre ignorance de la présence d’une importante délégation socialiste sur l’île de La Réunion, plusieurs jours avant votre déplacement, n’a d’égal, malheureusement, que l’outrance et l’arrogance de votre réponse à mon collègue Eric Besson, au début de cette séance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Ma question s’adresse à M. Nicolas Sarkozy, qui est à l’origine de la privatisation d’EDF et de GDF.

Souvenez-vous, monsieur le ministre d’État que, lorsque vous étiez ministre de l’économie et des finances, en 2004, nous avions annoncé que votre loi sur le changement de statut marquait le début de la fin de nos grandes entreprises du service public de l’énergie,…

M. Guy Teissier. C’est Jospin qui l’a voulu !

M. François Brottes. …que les Français allaient le payer cher et que les salariés de ces entreprises allaient le regretter. A l’époque, et cela n’est pas si loin, vous aviez affirmé avec fougue et fermeté, comme d’habitude, que force resterait à la loi et que l’engagement de votre majorité serait respecté.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Si le jeu des acteurs a été improvisé, le scénario était cousu de fil blanc. Pour faire diversion, vous avez nommé à la tête d’EDF le patron de GDF, et à la tête de cette dernière un PDG de transition, dépourvu de projet industriel, mais chargé de la mise en bourse et de la vente de l’entreprise publique. Puis, vous avez attendu une fenêtre de tir pour trahir solennellement, sur le perron de Matignon, l’engagement pris devant le Parlement, avant de saisir l’alibi d’une OPA hostile sur Suez pour précipiter, au titre du « patriotisme, économique » – c’est un comble ! –, la dénationalisation de Gaz de France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Pour parfaire la situation, vous allez jusqu’à faire croire que c’est GDF qui absorbera Suez, alors que Suez pèse deux fois plus que Gaz de France. Pour que le gâchis soit complet et alors que d’autres choix, comme la fusion, étaient possibles, vous engagez une guerre fratricide – et l’on n’a pas tout vu ! – entre EDF et GDF, qui va coûter cher en emplois et dégrader le service public sans enrayer l’augmentation des tarifs : plus de 30 % en un an pour le gaz.

M. Georges Tron. Baratin !

M. François Brottes. Pour que le flou soit total, vous annoncez une opération aujourd’hui parfaitement illégale, à quelques mois de l’ouverture du marché de l’énergie pour tous les particuliers et de l’extinction du contrat de service public de GDF. Le mépris du Parlement devient décidément une habitude de ce gouvernement.

Monsieur le ministre d’État, vous nous garantissiez en 2004 que la part publique du capital de Gaz de France ne descendrait pas en dessous de 70 %, alors que M. Breton nous parle aujourd’hui de 30 ou 40 %. Comment pouvez-vous vous sentir solidaire de la trahison et du mensonge ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le député Brottes, où en sommes-nous ? (Huées et claquements de pupitres sur les bancs du groupe socialiste.)

Depuis lundi, à la demande du Premier ministre, nous avons engagé des consultations. (Bruits sur les bancs du groupe socialiste.) Celles-ci concernent le projet industriel qui vise à créer l’un des leaders mondiaux de l’énergie : le numéro 2 mondial de l’énergie. (« Baratin ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Si cette opération aboutit, la France aura donc à sa disposition deux des trois plus grands groupes mondiaux de l’énergie. (Protestations continues sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. La question !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Rassurez-vous, ce projet sera construit en concert avec tous ceux qui y ont un intérêt, les collectivités locales comme les organisations syndicales, au terme d’une large consultation que j’ai ouverte hier matin, à la demande du Premier ministre.

Je vais vous apporter des éléments qui vont certainement vous rassurer.

À aucun moment, nous n’entendons enfreindre la loi : ce projet sera en effet présenté devant le Parlement dans les semaines qui viennent, et c’est vous qui déciderez s’il en vaut la peine. Si vous le votez, la loi sera changée conformément à ce qu’il convient de faire et à ce que vous souhaiterez faire. Si vous ne voulez pas de ce projet, il ne sera pas voté. La loi sera donc parfaitement respectée. Je tenais à vous rassurer sur ce point. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Je vous en prie !

grippe aviaire

M. le président. La parole est à Jean-Michel Bertrand, pour le groupe UMP.

M. Jean-Michel Bertrand. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche, et je souhaite y associer tous mes collègues du département de l’Ain.

L’apparition du virus H5 N1 dans le département de l’Ain sur plusieurs oiseaux sauvages, ainsi que dans une exploitation de dindes, premier et seul cas enregistré en Europe, suscite une vive inquiétude chez nos concitoyens et chez les acteurs de la filière avicole.

En effet, la France, premier producteur de volailles en Europe, enregistre une baisse de la consommation allant jusqu’à 30 %, ce qui provoque des mesures de chômage partiel et des licenciements. De plus, certains pays commencent à placer nos produits sous embargo. Le Gouvernement est très impliqué et les habitants, comme les professionnels, ont été très sensibles à vos deux déplacements, ainsi qu’à celui du Premier ministre, jeudi dernier.

Nous souhaiterions que vous nous informiez de l’avancement de l’enquête visant à déterminer les causes de la contamination de l’élevage de Versailleux. Ces explications sont nécessaires pour justifier les mesures de confinement qui inquiètent profondément les éleveurs de volailles, notamment ceux bénéficiant d’un label ou d’une appellation d’origine contrôlée.

S’agissant de la volaille de Bresse, la seule au monde à faire l’objet d’une AOC, c’est tout simplement sa survie qui est aujourd’hui menacée, avec toutes les conséquences économiques et sociales dramatiques qui pourraient s’ensuivre. Le confinement total des volailles de Bresse ne peut être qu’une mesure temporaire. En effet, l’une des caractéristiques de cette AOC impose que les volailles trouvent en plein air leur complément alimentaire. Monsieur le ministre, la vaccination des volailles de Bresse pourrait-elle donc être autorisée ?

Outre les 63 millions d’euros annoncés, pouvez-vous nous indiquer quelles mesures réglementaires et financières le Gouvernement envisage de prendre pour venir en aide à la filière avicole en général, à la volaille de Bresse en particulier, et à l’ensemble des activités touchées par les mesures de protection actuelles ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche.

M. Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture et de la pêche. Monsieur le député, avec vos collègues du département de l’Ain vous avez suivi cette affaire depuis le début. Deux canards et quinze cygnes ont effectivement été contaminés par le virus H5 N1, de même que l’exploitation de M. et Mme Clair, dans la commune de Versailleux, où nous avons dû euthanasier 11 000 dindes. Cela est dû à des causes que nous ne connaissons pas pour l’instant. L’étude épidémiologique en cours devra expliquer comment, malgré le confinement, la mise en place de pédiluves et de mesures de précaution, cet élevage connu pour son sérieux a pu être atteint par le virus H5 N1. Nous n’avons pas encore la réponse, mais nous la cherchons, car cet élevage est le seul à avoir été touché dans notre pays.

S’agissant des poulets de Bresse, il est vrai que leur spécificité est de vivre à l’extérieur et que leur confinement pose des problèmes aux éleveurs. Comme l’a indiqué le Premier ministre en se rendant sur place, nous pouvons envisager une vaccination. Nous pouvons aussi – j’ai des appuis en ce sens – obtenir une dérogation de l’INAO et des autorités européennes pour que les poulets de Bresse puissent être élevés dans d’autres conditions sans perdre leur label, qui fait leur spécificité et montre leur qualité.

S’agissant des mesures, le Premier ministre avait déjà annoncé en temps utile 11 millions d’euros d’aides pour la filière. Il y a ajouté 52 millions. Nous avons donc maintenant 63 millions qui financeront une campagne de promotion, ainsi que des aides aux entreprises avicoles, pour 20 millions d’euros, et à la filière en aval, pour 30 millions d’euros. Le Premier ministre a également indiqué que, si ces mesures ne suffisaient pas, s’il fallait aider mieux la filière avicole, naturellement la solidarité nationale s’exercerait.

Nous sommes actuellement préoccupés par l’embargo qu’ont mis sur nos produits une vingtaine de pays avec lesquels nous avons signé des accords sanitaires. Cela représente environ 12 % du volume de nos exportations, ce qui est important. Nous tentons donc de les convaincre par la voie diplomatique de reconsidérer cette mesure ou, à tout le moins, de nous laisser exporter une partie de nos volailles. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

épidémie de chiKungunya

M. le président. La parole est à M. Bertho Audifax, pour le groupe UMP.

M. Bertho Audifax. Monsieur le Premier ministre, votre présence à La Réunion a affirmé solennellement la solidarité totale de la nation avec une population durement éprouvée par la maladie du chikungunya. Je veux témoigner ici, devant la représentation nationale, que vous avez su rappeler la vérité sur le déroulement de cette épidémie et trouver les mots justes pour rassurer les Réunionnais.

Quant à nos collègues socialistes, l’importance…

M. Maxime Gremetz. L’important, c’est la rose !

M. Bertho Audifax. …de leur délégation à La Réunion valait plus par la qualité que par la quantité : une extension d’une journée à La Réunion des vacances mauriciennes de M. Le Guen (Rires et applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste) et la présence présidentielle de M. Strauss-Kahn ! (Mêmes mouvements.)

Avec les ministres de la santé, de l’outre-mer et du tourisme, vous nous avez présenté un plan d’action global et vous avez décliné les moyens qui sont et seront déployés sur les plans sanitaire, social et économique, sans oublier la recherche médicale.

Je me fais ici l’avocat d’une demande particulière, la prise en charge de la totalité des jours d’arrêt maladie en cas de rechute, car la répétition des trois jours de carence au niveau des indemnités de la sécurité sociale pénalise fortement le pouvoir d’achat des salariés. Pourriez-vous indiquer à la représentation nationale comment vous entendez fédérer toutes les énergies pour l’utilisation immédiate des moyens à La Réunion, éviter tout retard de nature à entraver notre action et assurer un juste contrôle de l’utilisation de l’effort de la nation ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et des solidarités.

M. Maxime Gremetz. Élevez un peu le débat !

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités. Monsieur Audifax, M. le Premier ministre, en se rendant à La Réunion, a voulu adresser un double message aux Réunionnais : d’abord, un message de solidarité dans l’épreuve qu’ils traversent, face à leur douleur et aux inquiétudes des familles ; ensuite, un message de transparence, transparence sur notre action et sur la réalité de cette épidémie.

L’action, unanimement réclamée sur l’île de La Réunion, passe d’abord par la prévention, qui suppose de continuer la démoustication et de mettre des produits anti-moustiques à la disposition des personnes les plus fragiles et les plus démunies. Nous avions commencé à agir en ce sens, mais le Premier ministre a souhaité que nous intensifiions notre action.

La deuxième priorité concerne la prise en charge des malades. Les équipes hospitalières se sont dévouées depuis le début de l’épidémie, ainsi que les professionnels libéraux, mais il faut aussi veiller à ce que celles et ceux qui sont touchés par le chikungunya ne soient pas doublement pénalisés. C’est pourquoi j’ai rencontré hier matin la présidente de l’association des victimes du chikungunya.

Par ailleurs, comme vous nous aviez déjà interpellés à ce sujet, j’ai transmis votre question à M. le Premier ministre. Celui-ci a souhaité que, en cas de rechute, le délai de carence de trois jours ne soit plus appliqué une seconde fois.

M. Bertho Audifax. Très bien !

M. le ministre de la santé et des solidarités. Il importe en effet de prendre en compte la réalité de cette maladie. Ne connaissant pas les raisons qui font apparaître, disparaître ou réapparaître les symptômes, nous ne pouvons éviter que les Réunionnaises et les Réunionnais qui travaillent soient pénalisés. Voilà pourquoi le Premier ministre a souhaité que cette maladie soit intégralement prise en charge par l’assurance maladie, à laquelle j’ai donné des instructions en ce sens. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Il reste un troisième niveau d’action : la recherche. Pour apporter les réponses aux questions que se posent les Réunionnaises et les Réunionnais, il faut travailler aujourd’hui sur de nouveaux traitements thérapeutiques. Depuis ce week-end, des chercheurs, notamment l’équipe dirigée par le professeur Flahaut, ont transmis à tous les laboratoires pharmaceutiques français l’ensemble des molécules qui, même si elles n’étaient pas destinées à l’origine au traitement de cette maladie, peuvent permettre de progresser sur la voie d’un traitement.

Ainsi, nous travaillons à la fois sur la prévention, sur la prise en charge et sur la recherche. Le Premier ministre a souhaité la plus grande transparence dans le suivi de ces actions. François Baroin se rendra à nouveau au mois de mars à La Réunion. J’y retournerai moi-même en avril.

Nous sommes déterminés à ignorer toute polémique (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.), puisque la seule chose qui compte, pour les Réunionnaises et les Réunionnais, est que l’unité et la solidarité nationales soient au rendez-vous. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

augmentation du chômage

M. le président. La parole est à M. Jean Glavany, pour le groupe socialiste.

M. Jean Glavany. Monsieur le Premier ministre, le chômage a augmenté en janvier. Nul ne peut s’en réjouir, puisque, au-delà des statistiques, il apporte la détresse humaine et la souffrance sociale, une souffrance que les élus socialistes, comme d’autres d’ailleurs – il faut vous le rappeler, puisque vous aimez à donner des leçons –, rencontrent tous les jours dans leurs permanences. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Pendant des mois, vous avez refusé de voir la réalité du chômage en face. Vous avez notamment refusé de reconnaître que la baisse dont vous vous gargarisiez était artificielle, puisqu’elle était la conséquence logique de départs en retraite plus nombreux, du rétablissement d’emplois aidés que vous aviez supprimés en 2002 et, enfin, de la radiation de nombreux chômeurs. Vous avez refusé de voir que l’emploi marchand, seul indicateur crédible du dynamisme d’une économie (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), stagne lamentablement depuis 2002. Vous avez refusé de voir que, pendant que le nombre de chômeurs baissait artificiellement, celui des RMistes augmentait en conséquence.

Le chômage étant reparti à la hausse en janvier, toutes les radios et toutes les chaînes de télévision invoquent la même explication, selon laquelle de nombreux radiés se seraient réinscrits au chômage. Quel aveu ! Si le chômage augmente quand les radiés se réinscrivent, on comprend mieux qu’il régresse quand on les radie !

Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous regarder en face la réalité du chômage ? Quand allez-vous tirer le bilan de quatre ans d’échec sur le front de l’emploi ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Monsieur le député, si vous m’aviez demandé des éléments d’informations sérieux et précis, je vous aurais indiqué où en sont les plates-formes de vocation ou combien de contrats d’apprentissage ou de professionnalisation ont été signés ce mois-ci. Bref, je vous aurais décrit objectivement la situation au regard des chiffres actuels, sachant que celle-ci comprend de bons et de mauvais aspects.

M. Henri Emmanuelli. La situation, nous la connaissons !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Mais vous avez voulu tenter une opération politicienne qui me navre. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. Je vous ai parlé de la France, monsieur le ministre.

M. Jérôme Lambert. Parler du chômage, c’est faire une opération politicienne ?

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Puisque vous êtes sensible aux chiffres du chômage, combien avez-vous dû souffrir au cours des douze derniers mois du gouvernement de Lionel Jospin, tout au long desquels il n’a malheureusement pas cessé d’augmenter ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Marsaudon. C’est indéniable !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Vous savez mieux que quiconque qu’il s’agit de tendances lourdes et que le combat est difficile. Aujourd’hui, vous n’avez plus de regard que pour l’emploi marchand mais, dans d’autres débats, vous critiquez les entreprises.

Mme Hélène Mignon. C’est faux ! Vous mentez !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Il y a quelques années, vous vous attribuiez toute la gloire des CES et des CEC, qui avaient pourtant favorisé la création de 650 000 contrats aidés précaires.

M. Jean Glavany. Faites-en autant !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. De grâce, monsieur Glavany, vous savez que ce sujet doit être examiné à moyen terme, en fonction d’une tendance générale.

Mme Martine David. Cela fait tout de même quatre ans que vous êtes au pouvoir !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Je vous garantis que nous continuerons à mener la bataille contre le chômage. Je connais la souffrance des demandeurs d’emplois, contraints de frapper à la porte de l’ANPE pour n’être reçus parfois qu’après neuf ou dix mois d’attente. Nous tentons de soutenir leurs efforts et de leur apporter de la considération et de l’information. C’est un combat que nous continuerons à mener. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Propos de M. frêche
à l’encontre des harkis

M. le président. La parole est à M. Paul-Henri Cugnenc, pour le groupe UMP.

M. Paul-Henri Cugnenc. Monsieur le garde des sceaux, en 1926, dans un livre de triste mémoire, apparaissait la notion de sous-homme, défini comme un homme sans dignité et issu de peuples prétendument inférieurs par celui qui allait devenir en 1933 chancelier du troisième Reich. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Quatre-vingts ans plus tard, cette référence, aggravée de termes tirés d’un florilège tout aussi indécent, réapparaît dans les déclarations du président de la région Languedoc-Roussillon.

M. Julien Dray. Tout dans la nuance !

M. Paul-Henri Cugnenc. Ce ne sont pas d’attristantes excuses, à peine gênées, qui permettront de considérer comme accepté ou pardonné le comportement d’un élu que beaucoup considèrent comme un récidiviste de l’outrance et que les plus indulgents tentent d’excuser en évoquant l’hypothèse d’une dérive psychiatrique. ((Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

J’informe la représentation nationale de deux initiatives émanant aujourd’hui des députés et des sénateurs du Languedoc-Roussillon qui s’associent à ma question et proposent à ceux de nos collègues de l’opposition qui le souhaiteraient de les rejoindre au nom de valeurs humanistes.

M. Jean Glavany. Que Jacques Blanc incarne sans doute à la perfection !

M. Paul-Henri Cugnenc. Premièrement, nous demandons solennellement à tous les élus régionaux du Languedoc-Roussillon, quelle que soit leur appartenance politique, de refuser désormais de siéger sous une présidence qui s’est disqualifiée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Poursuivez, monsieur Cugnenc.

M. Paul-Henri Cugnenc. Deuxièmement, nous nous sommes engagés auprès de plusieurs responsables d’associations de harkis à leur manifester notre solidarité chaque année à partir du 11 février 2007, à la date anniversaire de cette insupportable agression, en nous rassemblant solennellement devant une stèle.

M. Guy Teissier. Très bien !

M. le président. Posez votre question !

M. Paul-Henri Cugnenc. Ce dossier n’est pas clos. Il met gravement en péril la cohésion nationale et je rappelle qu’il n’a pour l’instant généré aucune sanction au sein du parti socialiste (Huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) dont certains hauts responsables observent un silence assourdissant,…

M. le président. Monsieur Cugnenc, je vous prie de conclure.

M. Paul-Henri Cugnenc. …tandis que d’autres associent le mutisme sur le fond aux glapissements sur la forme. Sur ce dossier, monsieur le ministre, je souhaite connaître votre analyse et votre sentiment. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, les déclarations faites par M. Georges Frêche le 11 février dernier à Montpellier ont profondément blessé les harkis, leurs familles et, je le sais, beaucoup de députés, sur tous les bancs de cet hémicycle.

Traiter de sous-hommes des femmes et des hommes, quels qu’ils soient, est inadmissible et ne peut qu’inciter certains esprits faibles ou pervers à justifier leur violence par la haine de l’autre. Il ne saurait être question, dans une période difficile où ressurgissent l’antisémitisme et le racisme, de tolérer l’intolérable ni de justifier l’injustifiable.

La loi du 23 février 2005 a pour but d’apporter à une composante de la communauté nationale qui fait trop souvent l’objet d’agressions et d’insultes une protection dont les propos de M. Frêche confirment le caractère indispensable. Le procureur général près la cour d’appel de Montpellier examine les qualifications pénales pouvant être retenues et fait vérifier la teneur exacte des propos litigieux. Les premiers éléments qui m’ont été communiqués confirment qu’il y a bien eu infraction et que l’action publique peut être déclenchée rapidement. Pour le reste, il appartient à chaque citoyen d’apprécier ce qu’il convient de penser de l’auteur de tels propos. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Henri Emmanuelli. Exactement !

crise viticole
dans le Languedoc-Roussillon

M. le président. La parole est à M. Robert Lecou, pour le groupe UMP.

M. Robert Lecou. Si la région Languedoc-Roussillon a honte de son président, elle est fière de son vignoble. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Murmures sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Roman. La liaison est douteuse !

M. Jean Glavany. Le populisme n’a plus de limites !

M. Robert Lecou. Monsieur le ministre de l’agriculture et de la pêche, le plus grand vignoble de France, celui du Languedoc-Rousillon, traverse une grave crise, alors même que, dans le passé, on avait demandé à des femmes et des hommes pétris de culture et de civilisation de se remettre totalement en cause pour proposer un autre produit, domaine dans lequel ils ont réalisé des progrès considérables.

Aujourd’hui, la crise est là et, avec elle, des situations dramatiques pour des vignerons qui ont investi, qui se sont endettés et qui n’arrivent plus à vendre leur vin. Dépôts de bilan et RMI étaient jusqu’alors des mots inconnus des vignerons ; aujourd’hui, ceux-ci les entendent résonner, non sans continuer fièrement à entretenir leurs vignes.

Nous devons partager la légitime inquiétude de ces femmes et de ces hommes qui ont manifesté dignement, en grand nombre, le 15 février dernier. Les pouvoirs publics ont été interpellés. Ils ne sont pas seuls à devoir se mobiliser face à une crise économique dont les causes sont complexes – surproduction, adaptation à la demande du marché, concurrence de pays émergents, réglementation et mode de distribution – et qui nécessite une action unifiée de l’ensemble des acteurs concernés par l’économie viticole de notre territoire.

Si nous sommes tous sensibles à cette mutation du vignoble languedocien, il appartient aux pouvoirs publics de mettre rapidement en œuvre des mesures spécifiques et ambitieuses, comme ils ont su le faire autrefois pour d’autres secteurs sinistrés, notamment la sidérurgie lorraine. Dans ce contexte, monsieur le ministre, j’en appelle à l’unité et à la fédération des volontés.

Je vous pose deux questions.

Devant le marché mondial qui s’ouvre, les vins français ont besoin d’une démarche de marketing permettant leur meilleure identification, ainsi qu’une mobilisation autour d’un message commercial puissant et efficace. Le salon Vinisud qui s’est tenu la semaine dernière à Montpellier a prouvé la qualité du vin du Languedoc-Roussillon maintenant fédéré sous le label « Sud de France ». Dans ce contexte, avec l’aide de Mme la ministre déléguée au commerce extérieur, ne peut-on engager pour cette filière une démarche de promotion et de communication qui l’aiderait à trouver de nouveaux débouchés ?

Par ailleurs, quelles mesures envisagez-vous de prendre dans les prochaines semaines pour restaurer la confiance de la profession, fixer la teneur de la campagne de 2006, notamment en matière de distillation et d’arrachage, et accompagner des viticulteurs qui sont parfois aujourd’hui dans une situation dramatique ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche.

M. Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture et de la pêche. Monsieur le député, parmi tous les vignobles français en difficulté, celui de Languedoc-Roussillon, région dont vous êtes élu, figure parmi ceux qui souffrent le plus. Vous avez raison de souligner que c’est injuste car ce vignoble est l’un de ceux qui ont accompli les plus grands progrès pour améliorer leur qualité et se réorganiser au cours des dernières années.

Depuis quelques mois, nous avons aidé la filière par des mesures sociales et conjoncturelles de toute nature, qui ont été utiles à la profession viticole. Cependant, comme vous l’avez rappelé à juste titre, il faut maintenant passer à la vitesse supérieure.

Nous sommes en train de réorganiser les vignobles par bassin au sein d’une mission menée par M. le préfet Pomel. Dans le cas du Languedoc-Roussillon, j’ai apprécié tout comme vous l’initiative du label « Sud de France », qui est excellente, d’autant qu’elle est suivie d’initiatives commerciales importantes qui permettront de la promouvoir.

Ainsi que je l’ai indiqué ce matin au salon de l’agriculture, où vous étiez aux côtés des viticulteurs de votre région, nous allons tenir le 5 avril une table ronde demandée par le Premier ministre, au cours de laquelle nous présenterons un programme d’avenir pour la viticulture française, qui prévoira des mesures de gestion des stocks et de promotion.

J’ai indiqué à M. Cugnenc, qui s’est beaucoup préoccupé de ce sujet, que le conseil de la modération est en place, que son président a été nommé et que ses travaux vont commencer, conformément aux vœux des élus des régions viticoles de tous les groupes de l’Assemblée.

M. Jean-Pierre Soisson. Très bien !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Enfin, nous prévoyons un programme d’exportation. Le marché intérieur ne représente en effet que 50 % de notre production. Si nous voulons la développer, améliorer sa qualité et redonner espoir à nos viticulteurs, c’est grâce à des mesures d’aide à l’exportation que nous y parviendrons. C’est pourquoi le plan du 5 avril visera avant tout cet objectif. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Éric Raoult.)

PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

programme pour la recherche

Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat
après déclaration d’urgence

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, de programme pour la recherche (nos 2784 rectifié, 2888).

La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi de programme pour la recherche que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui avec François Goulard constitue le volet législatif du pacte pour la recherche que le Gouvernement propose à l'ensemble de la nation, car il y va de l'avenir de nos enfants, de la prospérité de notre pays et du rayonnement de la France.

Pour se rendre à cette évidence, il a fallu que notre pays traverse une crise grave et profonde. Les scientifiques, les chercheurs français ont eu le sentiment de ne plus être compris de la France, de ses pouvoirs publics, de sa société, de ne plus être reconnus dans le travail qu'ils accomplissent « pour la science, la gloire et la patrie », selon la belle devise de l'École polytechnique. Cette crise a été salutaire, car elle a provoqué une prise de conscience collective du rôle absolument capital de la recherche pour l'avenir de la France, son avenir intellectuel, économique et industriel. Aujourd'hui, il est désormais bien clair que l'avenir n'est pas au tout commerce, au tout services, au tout finances. Chacun est désormais conscient que la science, la technologie et l'éducation sont les facteurs sine qua non d'une croissance durable et responsable.

La recherche est également une nécessité pour l'avenir de l'humanité sur notre planète. Réchauffement climatique, tarissement des hydrocarbures, besoins croissants de la population mondiale – avec leurs conséquences sur l'eau, la faune et la flore –, émergence de nouvelles maladies – dont nous faisons aujourd'hui l'expérience avec le chikungunya et la grippe aviaire : aucune de ces grandes questions ne sera réglée sans la science.

Sous la pression des réalités, de l'évidence, les illusions anti-scientifiques un temps à la mode se dissipent. Les Français comprennent chaque jour davantage que ce n'est pas dans une fuite romantique hors de la modernité que nous trouverons le remède aux malheurs du monde, mais dans un surcroît d'investissement intellectuel.

La crise nous a fait prendre conscience, à nous décideurs politiques, des défis que la recherche française doit absolument relever pour demeurer dans la course mondiale. Cette crise, je crois pouvoir dire que nous l'avons surmontée. Elle n'a pas été inutile, bien au contraire : il fallait crever l'abcès. Tout a été dit, et bien dit, grâce au dialogue entamé par nos prédécesseurs et à la concertation que, avec François Goulard, nous avons menée avec la communauté scientifique et avec tous les hommes de bonne volonté que l'avenir de la recherche intéresse. Je pense en particulier aux conseils précieux et judicieux que le président Dubernard, auquel je veux rendre hommage, a su nous donner dès notre arrivée au ministère.

Je suis heureux de saluer également la contribution du Conseil économique et social et de son rapporteur, M. Ailleret, qui a conduit à l'automne un travail très constructif, permettant d'enrichir tant le projet initial du Gouvernement que ce projet de loi lors de son examen par le Sénat.

En rétablissant ce courant vital avec la communauté scientifique, nous avons dissipé de très nombreux malentendus et constaté que nos intentions étaient les mêmes.

M. François Brottes. Ce n’est pas sûr !

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Bref, nous avons restauré la confiance indispensable pour bâtir un projet d'avenir et construire ce pacte pour la recherche.

M. François Brottes. C’est la méthode Coué !

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dans l’idée de pacte, il y a celle de paix, et c'est bien à une grande réconciliation nationale autour de la recherche que nous assistons. Ce projet a été salué par la communauté scientifique, ainsi que par les forces vives de la nation.

M. François Brottes. Pas toutes !

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je pense, par exemple, à François Chérèque, le secrétaire général de la CFDT et à Claude Allègre, l'un de mes prédécesseurs, qui a également apporté son soutien.

M. Pierre Cohen. Quand vous a-t-il dit cela ?

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Premièrement, nous nous sommes tous retrouvés sur les grands équilibres.

Équilibre, tout d’abord, entre recherche fondamentale et recherche appliquée, qui est indispensable. Leur opposition est absurde, car les applications de demain et d'après-demain résident dans la recherche fondamentale d'aujourd'hui, comme l'explique très justement M. Birraux dans son rapport. Les plus grands scientifiques de notre temps, notamment Pierre-Gilles de Gennes il y a quelques semaines encore, le rappellent régulièrement.

Équilibre, ensuite, entre recherche publique et recherche privée, en reconnaissant que c'est pour développer la recherche privée que nous avons le plus à faire et que ce développement n’est possible qu'en renforçant l'attractivité et la visibilité de la recherche française, en particulier de la recherche publique. En effet, les chercheurs travaillent en partenariat. Or pour nouer des partenariats – ce sont deux vérités de Lapalisse –, il faut pouvoir trouver des partenaires et savoir pourquoi on veut travailler avec eux, c'est-à-dire connaître leurs points forts.

Équilibre, enfin, entre la recherche et les préoccupations légitimes de nos sociétés contemporaines ; l'avis du Conseil économique et social insiste sur ce point. Il convient en effet d’éviter non seulement les phénomènes irrationnels de rejet de la science, qui menacent toujours les opinions publiques, mais aussi les emballements trop rapides pour une découverte qui apparaîtrait comme une solution miracle. La prudence est de mise dans les deux sens. Cet équilibre est particulièrement nécessaire dans notre société de l'information immédiate, où une simple rumeur a vite fait d'enfler pour devenir la vérité absolue. Le cas récent de ce scientifique coréen, adulé puis désavoué par la communauté, nous le rappelle malheureusement une fois de plus.

Deuxièmement, nous nous sommes retrouvés sur les objectifs que nous nous donnons pour changer de braquet et relever les défis qui nous attendent. Je vous rappelle rapidement ces cinq objectifs, sur lesquels François Goulard reviendra.

Premier objectif : renforcer nos capacités d'orientation stratégique et de définition des priorités. À cet égard, nous clarifions les responsabilités. C'est au Gouvernement de déterminer la politique de recherche.

Le pilotage automatique en matière de recherche n’est pas une bonne méthode ; dans le monde complexe où nous vivons, un arbitrage est indispensable entre les aspirations des scientifiques, les intérêts économiques et les préoccupations des citoyens. Des choix sont nécessaires, des orientations doivent être prises et tenues sur le long terme, comme le rappelle M. Fourgous dans son rapport. Ce sont des choix complexes mais forts d’enjeux et de conséquences. Le rôle du politique est de faire et d’assumer ces choix.

C’est pourquoi nous voulons mettre en place un haut conseil de la science et de la technologie qui sera chargé d’éclairer les décisions du pouvoir politique. Cette disposition figure désormais dans le texte de la loi. Le Sénat a en effet donné une base législative à ce haut conseil. Je sais que le président Dubernard a des propositions pertinentes à son sujet, notamment sur son mode de fonctionnement.

Le deuxième objectif est de bâtir un système d’évaluation de la recherche unifié, cohérent et transparent, car la communauté scientifique a besoin de savoir où elle en est, ce qu’elle vaut scientifiquement. L’évaluation objective, systématique, transparente et rigoureuse est la contrepartie nécessaire de la liberté de la recherche. Sans liberté, c’est le dirigisme ; sans évaluation, c’est le laxisme.

C’est la nouvelle agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’AERES, qui jouera ce rôle. Le Sénat a étendu ses compétences à l’ensemble de l’enseignement supérieur. Cette extension scelle le lien entre la recherche et l’enseignement supérieur, avec une approche cohérente et homogène de l’évaluation de l’ensemble.

Le troisième objectif est de permettre aux énergies de se rassembler pour faciliter les coopérations entre les acteurs de la recherche. Il s’agit d’une question d’efficacité, de visibilité, d’attractivité pour les étudiants et pour les scientifiques. Vous le savez, nos forces de recherche ne travaillent pas assez en synergie ; elles peinent de ce fait à atteindre la taille critique nécessaire. Les deux problèmes sont liés. Pour y remédier, ce projet de loi prévoit la création de nouvelles formes de coopérations entre acteurs ; il s’agit d’une véritable boîte à outils qui leur permettra de rassembler leurs énergies. J’y reviendrai dans quelques instants.

Le quatrième objectif est d’offrir des carrières scientifiques attractives et évolutives. Là aussi, le problème est connu : nous n’offrons pas assez de perspectives à nos chercheurs. Or un manque de perspectives entraîne un double effet : l’incitation à choisir d’autres filières ou bien, ayant choisi une filière scientifique, à partir à l’étranger pour y faire carrière.

Cela ne peut plus durer. Nous devons susciter des vocations et permettre à nos jeunes scientifiques de réaliser leurs ambitions. Pour cela, il faut leur offrir des carrières plus flexibles et moins cloisonnées, plus attractives aussi. Dans le monde d’aujourd’hui, ces carrières sont internationales par essence. Ne dissuadons pas nos cerveaux de se développer, créons pour eux les conditions de leur épanouissement. C’est ce qu’apporte ce pacte.

Le cinquième objectif est de tisser des liens plus étroits entre la recherche publique et la recherche privée. Cela est impératif si nous voulons que nos découvertes scientifiques génèrent des richesses et de l’emploi sur notre territoire, plutôt qu’ailleurs. Je sais que votre commission des affaires culturelles, ainsi que la commission des affaires économiques et la commission des finances, ont travaillé à de nombreuses propositions.

Tels sont les cinq objectifs que nous retenons.

Nous convergeons donc sur les grands équilibres et les objectifs. Nous nous sommes retrouvés, avec la communauté scientifique, sur les moyens massifs que nous vous proposons d’engager au service de ces objectifs : 19,4 milliards d’euros supplémentaires sur 2005-2010, soit une hausse de 27 % en cinq ans du budget annuel de la recherche ; 3 000 emplois scientifiques créés en 2006. Un effort de cette ampleur et sur cette durée est unique.

Cet effort est sans précédent depuis au moins trente ans. Il est d’autant plus considérable qu’il s’agit non pas de dépenser, mais d’investir pour l’avenir, d’investir dans un système plus offensif, plus attractif, plus réactif, capable de faire atteindre à nos centres de recherche la masse critique nécessaire ; dans un système qui permette à nos chercheurs, qui sont parmi les meilleurs du monde, de déployer en France leurs talents et d’être reconnus sur la scène internationale. En effet investir dans un système qui n’utiliserait pas au mieux chaque euro, ce serait tout simplement du gaspillage.

C’est vous dire à quel point les enjeux sont majeurs. Sur ce point, les engagements du Président de la République et du Premier ministre sont tenus, malgré le contexte budgétaire difficile que vous connaissez.

Une mobilisation totale, des moyens au rendez-vous, une mise en œuvre qui a déjà commencé, voilà les éléments de ce pacte pour la recherche avec une nation rassemblée autour de sa recherche, rassemblée parce qu’elle a confiance en elle, confiance dans sa capacité à répondre aux aspirations de la société, à relever les défis de la concurrence, à entraîner, par ses retombées, des créations d’emplois, confiance enfin dans sa capacité à assurer le rayonnement de la France.

C’est désormais dans la sérénité, mais avec un grand et légitime sentiment d’urgence, que la communauté scientifique attend la promulgation de la loi que vous examinez. Nous attendons beaucoup de vos travaux, de vos propositions d’amendements pour qu’apparaisse le nouveau visage de la recherche française.

Le président Dubernard – le professeur Dubernard, devrais-je dire ! – est lui-même un acteur éminent de la science. Il s’est beaucoup mobilisé sur le sujet, en particulier en allant observer ce qui se fait ailleurs ; certains d’entre vous, sous la conduite de Jean-Pierre Door, avaient déjà beaucoup travaillé la question également. Vous apporterez sûrement, comme les sénateurs l’ont fait, des améliorations, des précisions, des perfectionnements. Nous savons, avec François Goulard, que vous y tenez. Et je tiens à rendre hommage au remarquable travail des rapporteurs qui, avec méthode et minutie, ont préparé, discuté, élaboré des propositions constructives et pertinentes à vous soumettre.

Je vais à présent développer quelques points qui me paraissent fondamentaux, et dont je sais qu’ils suscitent quelques interrogations parmi vous.

Le premier a trait à la question des structures.

À nouveau défi, nouvelles structures. La recherche bouge et évolue en permanence, et ces évolutions ont été particulièrement intenses et massives déjà au xxe siècle. Créée pour rattraper les États-Unis, la recherche française doit à présent concurrencer l’ensemble des grandes nations scientifiques, qu’il s’agisse des États-Unis mais aussi de tous les autres leaders comme le Japon, l’Allemagne ou le Royaume-Uni et désormais la Chine et l’Inde.

Il faut bien mesurer la différence. La réalité d’aujourd’hui, c’est une âpre compétition mondiale pour la connaissance, et j’imagine que ce n’est pas le président Dubernard, qui s’est beaucoup penché sur le sujet dans son rapport, qui me contredira.

Il nous faut franchir ce cap du xxie siècle. Le but ne peut plus être de constituer en France une mini-Amérique à usage interne, capable de tout faire dans tous les domaines. Non ! Dans un monde d’intense compétition pour la connaissance, le but est de devancer les États-Unis, ou n’importe quel autre pays, sur des secteurs déterminés comme étant nos points les plus forts ; bref, de tout mettre sur nos avantages comparatifs, et de nous en créer d’autres, comme le souligne fort bien M. Fourgous dans son rapport.

Il ne faut plus ambitionner d’être bon ou moyen partout : il faut être les premiers dans plusieurs domaines.

Dans cette bataille, la France a des troupes, la France a des armes, mais elle a besoin d’une doctrine d’emploi efficace. C’est ce que nous mettons au point avec le pacte pour la recherche. Les troupes, les forces, ne doivent pas se disperser : il faut les concentrer pour faire la différence, le moment venu, sur des points stratégiques.

Pour cela, nous avons opéré des choix, car il ne suffit pas simplement de mobiliser des moyens additionnels, fussent-ils exceptionnels : nous avons fait le choix de l’évolution plutôt que de la révolution ; le choix de la liberté et de l’initiative ; le choix de la jeunesse ; enfin, le choix de l’Europe.

Premièrement, le choix de l’évolution plutôt que de la révolution.

Que ce soit le CNRS, le CEA, les universités ou les grandes écoles, ces institutions ont un formidable potentiel humain et intellectuel qui ne demande qu’à être mobilisé. Encore faut-il leur en donner l’opportunité et les moyens. On ne peut faire table rase du passé, car comme l’indique très bien le rapporteur, c’est une tradition que nous respectons depuis 1530, date de la création du Collège de France par François 1er.

Deuxièmement, nous faisons le choix de la liberté et de l’initiative comme énergie mobilisatrice de ce potentiel. Les scientifiques savent comment s’organiser : leur métier est par essence international et créatif. Les pôles de recherche et d’enseignement supérieur et les campus que le Sénat a décidé d’appeler « réseaux thématiques de recherche avancée » leur permettront d’accroître leur masse critique. Cette boîte à outils, principale novation de la loi, est indispensable pour affronter la compétition internationale.

Les PRES sont des rapprochements essentiellement géographiques qui permettront de remédier au morcellement actuel de la recherche, souvent dans une même ville ou un même département. Nous voulons donc inciter les acteurs qui travaillent sur un même territoire à se regrouper pour renforcer l’efficacité de leurs actions et accroître leur reconnaissance internationale. Le président Dubernard, qui connaît bien la situation – notamment à Lyon – sait bien de quoi je parle. Dans ce cadre, nous devons donner leur chance à tous les établissements d’enseignement supérieur, y compris les plus modestes.

Les réseaux thématiques de recherche avancée, quant à eux, sont des rapprochements thématiques. Il s’agit de rassembler dans une structure souple et réactive des centres de recherche parfois éloignés les uns des autres dans l’espace, mais très proches par la nature de leurs travaux, afin de constituer une force de frappe scientifique. Je sais que le président Dubernard a des idées très intéressantes pour compléter cette boîte à outils dans un domaine qui lui est cher, la recherche biomédicale.

Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de mutualiser des forces, de les rapprocher, de les mettre en synergie et non, évidemment, de déposséder qui que ce soit.

Ce ne sont pas de simples paroles. La réalité, aujourd’hui, c’est que les laboratoires coopèrent, bien sûr, mais travaillent les uns à côté des autres, découpant leur projet commun en tranches à se répartir. Or, dans le domaine de la connaissance, quel frein à la liberté que de fixer par avance le taux de participation du laboratoire à un projet collectif.

Certains craignent que ces structures conduisent à déposséder les acteurs de leurs meilleurs éléments. Ce n’est pas raisonnable, tout simplement parce que ces structures sont créées et contrôlées de plein gré par les universités et organismes qui décident d’y participer. Libres à eux de s’organiser comme bon leur semble : la loi n’impose rien, elle propose des outils.

Ce qu’on en attend, c’est tout simplement une nouvelle organisation de la recherche française : plus libre et plus efficace pour les scientifiques, plus simple et plus attractive pour les chercheurs et les doctorants, plus attractive pour les étudiants, dont beaucoup me disent être découragés par la confusion du système, plus performante aussi sur le plan de la compétitivité économique.

Cette nouvelle organisation est attendue. La meilleure preuve en est que la greffe – si le président Dubernard m’autorise cette analogie – prend déjà. Il suffit d’observer l’effervescence dans toutes les universités et les laboratoires : ils veulent être prêts dès la promulgation de la loi. Je viens de faire le point à ce sujet avec les conseillers d’établissements supérieurs, qui m’ont indiqué que partout en France naissent des « pré-PRES ».

Le troisième choix que nous faisons est celui de la jeunesse, de l’attention accordée aux scientifiques, en particulier par la lutte contre la précarité des jeunes chercheurs. Ceux-ci sont le sel de la recherche de demain. Des engagements ambitieux et courageux sont pris pour la première fois pour pallier cette dérive sur le début des carrières scientifiques. Nous avons déjà augmenté les allocations des doctorants de 8 % au 1er janvier 2006 pour les porter à 1 410 euros bruts. Tous en verront les effets aujourd’hui sur leur fiche de paye de février.

Nous voulons ainsi permettre aux plus jeunes de mener leurs études doctorales, les aider à choisir leurs filières, à s’orienter à l’issue du doctorat, encourager les plus talentueux avec des bourses.

Surtout, nous entendons consolider les périodes post-doctorales, déterminantes pour l’ensemble de la carrière scientifique, en facilitant l’insertion dans la vie active, qu’il s’agisse d’une carrière dans la recherche publique ou en entreprise. François Goulard est, je le sais, attaché à ce sujet qu’il développera tout à l’heure.

Le quatrième choix que nous faisons, et j’en terminerai par là, est celui de l’Europe de la recherche. Je sais que c’est l’une de vos grandes préoccupations, et je partage totalement votre point de vue, d’abord en tant qu’Européen convaincu, ensuite en raison de réelles justifications objectives.

Certains d’entre vous le rappellent régulièrement : la France est un grand pays, mais un peu moins grand que la Californie. Dans la compétition mondiale pour la connaissance qui se dessine entre les grands blocs que sont les États-Unis, le Japon, la Chine, l’Inde, le rayonnement de notre science – pour ne pas dire notre existence scientifique même – passe par l’Europe.

L’Europe de la recherche ce n’est donc pas une option, c’est une obligation ; nous en sommes bien convaincus.

Il y a pourtant un paradoxe, car cette Europe de la recherche ne parvient pas à décoller, malgré les cris d’alarme du Conseil européen de Lisbonne en 2000. La raison est simple : c’est que nous voulons construire le troisième étage de la fusée avant d’avoir mis au point le premier.

Les constats que nous faisons en France sur nos structures, leur insuffisance de taille critique, les difficultés à orienter notre politique de recherche etc, quasiment tous nos partenaires européens les font également chez eux.

Le classement de Shanghai, qui vaut ce qu’il vaut, illustre cela parfaitement : la première université allemande est 51e, la première italienne 91e et la première espagnole 153e. Seuls les Anglais font exception : 5 universités anglaises sont classées avant la première française – 46e –, dont une au 2e rang !

La première étape consiste donc à mes yeux à nous mettre en ordre de marche, ce que permettent les outils du pacte pour la recherche. C’est d’ailleurs ce que font aussi les principaux pays européens de la recherche : l’Italie, l’Allemagne ou l’Espagne qui a également une réelle dynamique de recherche. De mes échanges, je constate tout de même que nous avons de bonnes chances d’être les premiers à mettre en place une telle évolution de nos structures.

Cette première étape est indispensable, faute de quoi on a – et on continuera à avoir – des réactions du type de celles qu’on a pu entendre à Bruxelles et qui nous ont bien déçus : il faut prendre telle université et la marier avec telle autre d’Allemagne.

Comme je l’ai déjà souligné, nous faisons de bons partenariats sur nos points forts. Les PRES et les RTRA nous permettent de renforcer nos points forts, à maturité pour tisser des partenariats européens. Cela nous met évidemment à la meilleure place pour être aux avant-postes de la construction de l’Europe de la recherche. Pour cela nous devons anticiper cette construction.

Anticiper la construction de la recherche européenne, c’est ce que nous faisons à Bruxelles. L’Europe opère des choix judicieux. Elle met l’accent sur les dynamiques d’innovation, qui ont un réel sens à l’échelle du marché européen, avec l’initiative technologique conjointe, ou la facilité financière de la BEI, deux outils dotés de plusieurs milliards d’euros.

Grâce à l’action de la France, elle a également développé un équivalent européen de notre agence nationale de la recherche – le conseil européen de la recherche – qui se concentrera sur la recherche fondamentale, dans une logique d’excellence et sur la base d’appels à projets. En outre, elle réfléchit à une organisation capable d’atteindre la taille critique à l’échelle européenne.

Anticiper la construction de la recherche européenne, c’est ce que nous faisons aussi dans ce projet de loi. Ainsi, le Gouvernement a accepté l’explicitation du fait que les partenaires d’un PRES ou d’un campus pourront être européens. Avec ces formes d’organisation, nos acteurs seront en mesure d’être moteurs à l’échelle européenne, comme avec l’institut européen de technologie, dont les contours nous ont été présentés la semaine dernière lors du conseil Éducation.

C’est toujours dans cette logique d’anticipation que, sur le plan réglementaire, nous fixons à l’ANR l’objectif suivant : qu’à l’horizon 2010, 20 % de ses financements soient attribués en partenariat avec ses homologues européens. Enfin, avec l’agence d’évaluation, nous souhaitons donner à notre pays les moyens de devenir une référence européenne en matière d’évaluation. Et je sais que le président Dubernard a d’autres idées très intéressantes dans ce domaine.

C’est avec cette double approche – mettre nos structures en état de marche et anticiper les dispositions – que nous participerons activement à la construction de l’Europe de la recherche.

Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, le monde scientifique est prêt à franchir le cap du XXIe siècle. Il attend pour cela que cette loi lui apporte la liberté dont il a besoin, qu’elle éclaircisse les perspectives pour ses acteurs, qu’elle lui donne les moyens de construire l’Europe de la recherche.

Ce pacte pour la recherche n’est pas le terme d’un travail ; il ouvre au contraire un nouveau chapitre de la science française. Il prépare l’avenir de notre pays et répond aux préoccupations de notre temps. C’est un grand projet pour la nation qui vous est soumis aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche.

M. François Goulard, ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Monsieur le président Dubernard, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, comme vient de le souligner Gilles de Robien, un effort sans précédent est en effet consenti par notre pays en faveur de la recherche. Il s’illustre dans le budget que vous avez adopté voilà quelques semaines : 3 000 créations d’emploi, 6 milliards d’augmentation de ressources en trois ans, de 2005 à 2007. Jamais, il n’avait été fait autant pour la recherche française.

L’opposition, qui s’est exprimée ce matin par la voix du premier secrétaire du parti socialiste, lequel devrait d’ailleurs monter à cette tribune dans quelques instants, considère cependant que ce n’est pas assez. Pour l’honnêteté du débat et la véracité des faits, il convient de rappeler que le gouvernement Jospin envisageait au mieux 800 créations nettes d’emplois de chercheur sur dix ans.

M. Pierre Cohen. Sans compter les universités !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Il est vrai, monsieur Cohen, que Claude Allègre, ministre alors en charge de ce secteur, déclarait : « Nous sommes le pays du monde qui a le plus de chercheurs à temps plein par rapport à la population scientifique [ce qui est d’ailleurs exact]. Je ne suis donc pas sûr qu’il faille en augmenter le nombre. » Avec de pareils présupposés, il n’est pas étonnant que nous soyons amenés, nous, à créer les emplois, dont la gauche n’a pas voulu. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Cohen. C’est faux !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Les efforts que nous consentons doivent être appréciés au plan international. Aujourd’hui, l’Allemagne a pris conscience, comme nous, de la nécessité absolue de consacrer plus de moyens à la recherche. La Chancelière allemande vient ainsi d’annoncer qu’elle envisageait d’augmenter d’un milliard d’euros par an les ressources destinées à la recherche publique. L’Allemagne s’apprête donc à consentir le même effort que la France alors qu’elle est sensiblement plus peuplée.

Notre effort concerne toute la recherche : la recherche publique – très largement –, la recherche privée, avec l’amélioration du mécanisme du crédit d’impôt recherche adopté par le Parlement dans le cadre de la loi de finances pour 2006, la recherche fondamentale comme la recherche appliquée. Ainsi, la nouvelle agence nationale de la recherche consacrera la moitié de ses nouveaux crédits à la première, et l’autre moitié à la seconde. Toutes les disciplines scientifiques, tous les champs thématiques sont concernés, sans exception, par le pacte pour la recherche.

Au-delà des moyens, l’efficacité doit également être au rendez-vous. Ainsi que l’a expliqué Gilles de Robien, des dispositions très importantes ont été prises en ce sens.

Quelles sont nos priorités ?

Nous entendons dire parfois que le Gouvernement n’a pas à fixer de priorités à la recherche. Or ce raisonnement n’est pas acceptable. Dans une démocratie, il appartient aux pouvoirs publics de déterminer, là comme ailleurs, des priorités dans l’affectation des ressources publiques votées par le Parlement. L’État décide, pas de façon arbitraire, bien sûr, mais dans le cadre d’un dialogue permanent avec la communauté scientifique, les grands organismes de recherche, l’industrie concernée par ces recherches, le monde de la santé.

Je citerai deux exemples de recherche aujourd’hui prioritaires.

Le premier est celui de l’énergie. Il est évident que, face à la crise pétrolière et à l’augmentation très sensible du prix du pétrole, nous devons mettre l’accent sur la recherche dans le domaine de l’énergie.

M. Pierre Albertini. Il était temps !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Ainsi d’importants choix politiques, au meilleur sens du terme, ont été faits : EPR, réacteur de quatrième génération, biocarburants, pile à combustible.

Le second exemple concerne les maladies émergentes. Nous nous réjouissons d’avoir décidé l’année dernière de consacrer un programme et des financements à ce domaine. L’actualité l’illustre : il convenait de faire ce choix politique pour privilégier les recherches en la matière. Grâce à cette décision, nous serons plus réactifs et les découvertes qui seront certainement faites, demain, seront fort utiles pour traverser les crises sanitaires actuelles.

Oui, il est légitime que le pouvoir politique fasse des choix et affirme des priorités en matière de recherche. Bien sûr, nous n’agissons pas à l’aveugle. Nous avons besoin d’éclairage, d’informations, d’appréciations pour décider. Le haut conseil pour la science et la technologie, créé par le Sénat, nous apportera ces éléments. Ce sera également le rôle d’une administration réorganisée, renouvelée, fortifiée avec la future direction générale de la recherche et de l’innovation qui sera le lieu de la synthèse entre les opinions émises par la communauté scientifique, les organismes, les universités et les utilisateurs de la recherche.

Autre aspect extrêmement important de notre politique : l’évaluation qui doit être la contrepartie de l’effort consenti par la nation. Dans ce domaine, comme dans tous les autres, il est évidemment nécessaire de savoir à quoi sert l’argent public, d’autant que nous sommes résolus à accroître l’effort sur la durée.

L’évaluation est une réalité du monde de la recherche et dans tous les grands pays. Elle est organisée sur des modes désormais reconnus. Elle est assurée par des commissions de scientifiques. Ceux-ci sont donc jugés par leurs pairs. Un système cohérent d’évaluation garantira au Gouvernement une affectation optimale des ressources aux organismes et aux équipes qui, aux yeux de la communauté scientifique, obtiennent les meilleurs résultats. C’est un outil indispensable. Il s’agit de garantir l’efficacité de notre recherche. Nous tenons donc par-dessus tout au dispositif prévu en la matière dans le projet de loi.

Nous devons également décloisonner, favoriser la coopération, simplifier administrativement la recherche. Qui n’est pas choqué en entendant que des chercheurs passent du temps à remplir des formalités administratives parfois inutiles ? N’ont-ils pas mieux à faire que cela ? C’est pourquoi nous avons supprimé le contrôle a priori en matière de dépenses de recherche. De même, nous avons allégé le dispositif de la commande publique ; cette mesure était très attendue par la communauté scientifique.

Avec les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, avec les réseaux thématiques et de recherche avancée, nous tendons à décloisonner le monde universitaire et de la recherche qui ne bénéficie pas toujours d’une organisation optimale. Nous le faisons en laissant l’initiative aux acteurs. Nous leur laissons le soin de définir eux-mêmes leur projet, pour mieux travailler ensemble, pour réunir les forces et faire disparaître les barrières artificielles posées ça et là dans l’édifice institutionnel de la recherche. C’est un volet considérable de la politique qui vous est proposée.

Dans ce domaine comme dans les autres, tout vaut par les femmes et les hommes qui s’y consacrent. Nous voulons donc aussi que les carrières de chercheurs soient attractives, en particulier pour les plus jeunes d’entre eux. Chacun déplore que de jeunes chercheurs français – peut-être pas aussi nombreux qu’on le croit –, parfois très brillants, partent à l’étranger sans espoir de retour. Il faut par conséquent renforcer l’attractivité pour l’ensemble du monde de la recherche. Nous disposons à cet égard de mesures très concrètes qui tendent à prévoir des modulations de rémunérations, des allégements de charges d’enseignement, des moyens de recherche accrus pour les plus prometteurs. Ces outils, déjà à l’œuvre, permettront le retour sur notre sol de chercheurs qui avait quitté notre pays faute d’y trouver les moyens de travailler.

Nous avons des progrès à accomplir en ce qui concerne la valorisation de la recherche. Avoir une recherche fondamentale performante est une chose, faire en sorte que la société en profite au mieux, en est une autre. C’est un travail considérable, que nous avons déjà entrepris sur le plan budgétaire : savez-vous qu’en deux ans, les fonds consacrés par OSEO-ANVAR à l’innovation auront doublé ?

Les PME sont à l’évidence les premières concernées. J’ajoute que le label Carnot sera prochainement attribué à une vingtaine d’organismes spécialisés dans le transfert de la recherche, y compris la recherche fondamentale, vers l’entreprise, essentiel pour améliorer la compétitivité de l’économie française. Chacun en a conscience : les emplois de demain se créent aujourd’hui dans nos laboratoires. C’est une réalité du monde contemporain.

Si nous voulons instaurer un circuit plus court entre le monde de la recherche et la création d’entreprise, nous devons encourager les chercheurs qui souhaitent créer une entreprise et faciliter leurs démarches. Ceux-ci sont de plus en plus nombreux. Le projet de loi qui vous est soumis contient plusieurs dispositions en ce sens.

Il nous faut aussi inciter les entreprises françaises, ce qui représente un changement culturel d’envergure, à se rapprocher de la recherche, notamment à travers les pôles de compétitivité et l’embauche de jeunes doctorants. Les entreprises françaises embauchent moins de docteurs de l’université que celles de pays européens comparables. Cette situation doit évoluer, c’est pourquoi plusieurs dispositions de ce texte visent à favoriser l’embauche par les entreprises françaises de docteurs de l’université.

Il s’agit, mesdames et messieurs les députés, d’un projet de grande ampleur, d’une politique qui mobilise des moyens financiers et humains importants. Cette politique n’ayant de sens que dans la durée, c’est une loi de programmation que nous vous présentons.

Au-delà des critiques et des postures traditionnelles des uns et des autres, je souhaite que nous puissions trouver l’unanimité sur une question si importante pour l’avenir de notre pays, et j’espère que chacun saura reconnaître que nous allons dans le bon sens.

J’ai lu ce matin que M. Hollande faisait l’éloge de la politique de recherche menée par Tony Blair. M. Hollande serait-il devenu « blairiste », par contagion familiale ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

En réalité, nous sommes très en avance sur le Royaume-Uni en matière d’efforts financiers. Sans doute l’ignorez-vous, messieurs, nous dépensons plus d’argent public pour la recherche que notre voisin britannique. Néanmoins nous avons effectivement des leçons à prendre en matière d’organisation de la recherche. D’ailleurs, lorsque nous vous proposons de créer l’agence de la recherche ou de renforcer les appels d’offre, ce que vous critiquez tant, nous nous inspirons de l’exemple britannique. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires, culturelles, familiales et sociales, rapporteur. Il a raison !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. De même, nos propositions pour renforcer l’évaluation ne font que reprendre les pratiques mises en place dans les autres grands pays, dont la Grande-Bretagne.

M. Pierre Cohen. Vous avez oublié les premières années de votre mandat !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Enfin, comme l’a indiqué Gilles de Robien, cet enjeu national est aussi un enjeu européen. Je tiens d’abord à souligner à cette tribune que les ministres français ne cessent de plaider pour la construction d’une véritable politique européenne de la recherche. Nous avons toujours milité pour la création de l’agence européenne pour la recherche fondamentale européenne – la décision est prise –, pour l’augmentation des crédits du programme cadre de recherche et développement européen – nous l’avons obtenue – et pour le recours à la Banque européenne d’investissement pour financer la recherche ; nous avons également été largement suivis sur ce sujet.

M. François Brottes. Soyez un peu sincère !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. La recherche est une cause qui nous dépasse, une cause à l’échelle de notre pays, à l’échelle de l’Europe, et c’est pourquoi nous sommes fiers, mesdames et messieurs les députés, de vous présenter ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le président et rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, rapporteur. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, fallait-il une nouvelle loi sur la recherche ? Oui, sans aucun doute, et nous en sommes tous d’accord. En effet, l’existence de coûts de production plus bas dans d’autres parties du monde, la suppression inexorable des entraves aux échanges internationaux, les compétences nouvelles des pays émergents, tout indique que notre croissance économique et le maintien d’un haut niveau d’emploi et de garanties sociales passeront, demain, par notre capacité à innover, dans les sciences dures, dans les sciences de l’homme, sans oublier les sciences du vivant, comme l’actualité vient de le rappeler brutalement.

Or les chercheurs français se débattent en France dans un système qui n’est plus performant : la dispersion des énergies, la taille critique des organismes, le cloisonnement, les obstacles administratifs privent notre recherche de réactivité. Ses structures sont devenues des handicaps face à des concurrents qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes, notamment sur le plan financier.

Ces handicaps, mais aussi un certain sentiment d’abandon, ont suscité une réaction très forte de la part de la communauté scientifique. Ce sursaut a permis de placer l’avenir de la recherche française dans le champ du débat public. Les états généraux de Grenoble, qui se sont tenus au cours de l’automne 2004, ont permis d’engager un dialogue constructif et de combler un double fossé : l’ignorance des problèmes scientifiques par les citoyens et les hommes politiques, et celle des contraintes politiques par les scientifiques.

La communauté scientifique est aujourd’hui prête à un véritable changement, et le pouvoir politique a compris que des efforts financiers importants de la communauté nationale s’imposaient. Les questions qui se posent aujourd’hui, à bien des égards, sont les mêmes que celles qui se posaient hier.

Il y a un demi-siècle, Pierre Mendès-France, l’initiateur du colloque de Caen en 1956, puis le général de Gaulle, qui a mis en œuvre les propositions formulées à Caen, avaient fait de la recherche la priorité absolue pour notre développement économique et social, mais aussi pour le maintien de la place de la France dans le monde. Les préoccupations de ces hommes d’État sont encore d’actualité. En 1953, le sentiment d’un déclin de la recherche française prévalait. Si Pierre Mendès-France déplorait dans son discours d’investiture l’absence de prix Nobel français depuis 1937, notre pays obtient aujourd’hui moins de prix Nobel que la Suisse, tandis que le nombre de brevets déposés par les laboratoires français est en baisse et que les plus brillants de nos jeunes chercheurs s’exilent dans des laboratoires étrangers. Selon l’INED, de 2005 à 2014, 46 % des enseignants-chercheurs devraient quitter notre pays.

Déjà, le général de Gaulle voulait éviter le décrochage de l’Europe occidentale face aux deux géants de la guerre froide, les États-Unis et l’URSS, qui misaient à fonds déployés sur l’expansion scientifique et technique. Près de cinquante ans plus tard, nous redoutons à notre tour que les prochaines ruptures technologiques, avec l’arrivée de nouveaux compétiteurs comme l’Inde ou la Chine, ne nous placent du mauvais côté de la fracture face à l’Asie.

Le colloque de Caen faisait déjà une grande place au rôle des universités dans le dispositif de recherche publique et aux relations entre recherche fondamentale et recherche appliquée, questions actuelles s’il en est.

De la même manière, l’histoire montre qu’en dépit de certains particularismes, notre système de recherche est très largement l’héritier de modèles étrangers. Devant l’échec du CNRS à coordonner l’ensemble de la recherche française, la France s’est en effet, dans les années soixante, inspirée alternativement des modèles offerts par les deux superpuissances du moment. Prenant exemple sur les expériences américaines, le général de Gaulle a ainsi mis en place la délégation générale à la recherche scientifique et technique, dont les orientations furent largement inspirées par un comité des sages, le comité consultatif de la recherche scientifique et technique, qui ressemble comme un frère au haut conseil de la science et de la technologie mis en place par ce projet de loi.

Le président François Mitterrand a opté à l’inverse pour une politique d’inspiration dirigiste : nationalisations, recherche et industrie fusionnées en un seul et même ministère – ce qui peut se discuter – suppression de la contractualisation, création des EPST, fonctionnarisation des chercheurs et consécration de deux statuts distincts : chercheurs et enseignants-chercheurs…

M. Pierre Albertini. C’est l’archéologie de la recherche !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur.… ce qui allait proscrire toute possibilité de va-et-vient entre EPST et université et créer un véritable problème. Par conséquent, rien de nouveau sous le soleil.

Il n’en reste pas moins que tout grand pays moderne doit disposer d’une puissante recherche scientifique, et que nous devons retrouver cet élan collectif qui fit de la France le plus brillant des outsiders scientifiques pendant la guerre froide.

Une loi sur la recherche, pour quoi faire ?

Au-delà des mesures qui ont déjà profondément modifié le paysage – création de l’agence nationale de la recherche, de l’agence de l’innovation industrielle et des pôles de compétitivité, et de celles, non moins importantes, qui sont en cours, comme les bourses Descartes ou la création du label Carnot – ce projet de loi apporte des réponses nouvelles.

J’en viens au financement de la recherche française.

Celle-ci bénéficie d’un financement relatif moyen, qui la situe au cinquième rang mondial en volume, mais seulement à la treizième place pour sa part dans le PIB. Vous avez souligné, monsieur le ministre, les efforts récemment accomplis dans ce domaine. Il faut donc saluer l’inscription dans ce projet de loi de la volonté de poursuivre l’effort budgétaire engagé ces deux dernières années, l’objectif étant d’atteindre en 2010 un effort public global de 24 milliards d’euros, soit 27 % de plus qu’en 2004.

Saluons également la répartition des crédits supplémentaires entre financements récurrents, financements sur projets et dépenses fiscales. En effet, le déficit de financement de la recherche française est moins le fait de l’État que celui des entreprises privées, qui participent peu – pas assez en tout cas – à l’effort national de recherche par rapport à nos voisins. L’augmentation des dépenses fiscales est donc une nécessité, tout autant que l’augmentation des crédits sur projets, meilleure garantie d’une dépense publique efficace.

Dans cette programmation, deux éléments restent toutefois à préciser. Tout d’abord, il importe que la programmation budgétaire soit exprimée en euros constants : exprimée en euros courants, la programmation envisagée par le Gouvernement conduirait de fait à une quasi-stagnation du soutien public à l’effort de recherche, une fois l’inflation prise en compte. La commission a donc, à l’unanimité, adopté un amendement en ce sens et, si les dispositions de l’article 40 de la Constitution ne permettent pas à cet amendement de venir en discussion, notre préoccupation reste entière. Messieurs les ministres, j’espère que vous nous avez entendus !

M. François Brottes. C’est une critique symbolique !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. En outre, il faut que la programmation offre une plus grande visibilité en matière d’emplois scientifiques. Certes, il ne s’agit pas d’afficher de façon démagogique une augmentation trop rigide du nombre de postes dans la recherche publique, laquelle poserait d’ailleurs plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait. Si la France manque d’emplois scientifiques par rapport à ses concurrents étrangers, ce déficit est surtout le fait du secteur privé. Toutefois, il serait souhaitable que l’État se dote d’un outil de gestion prévisionnelle qui offrirait de la visibilité aux jeunes désireux de s’engager dans la voie de la recherche, sans préjuger pour autant de la nature des postes. La commission a donc adopté un amendement en ce sens.

Pour ce qui est de l’organisation de la recherche, ce projet de loi contient également des mesures qui nous semblent aller dans le bon sens.

Au sommet de la pyramide, il crée ainsi un haut conseil de la science et de la technologie, chargé d’élaborer cette vision prospective qui fait tant défaut actuellement. En réponse au morcellement excessif qui empêche nos structures d’atteindre la taille critique nécessaire pour être concurrentielles sur la scène internationale, le projet de loi favorise un remembrement sur la base du volontariat : deux nouvelles formes de coopération entre les opérateurs de recherche, publics ou privés, français ou européens, seront ainsi créées : d’une part, les PRES – les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, regroupements transversaux autour de l’université et selon une logique de site et, d’autre part, les réseaux thématiques de recherche avancée, qui privilégient une intégration verticale autour d’une thématique donnée, pouvant y associer l’université.

Pour mettre en œuvre ces nouvelles formes de coopération, le projet de loi instaure deux nouvelles structures juridiques : les établissements publics de coopération scientifique, de droit public, et les fondations de coopération scientifique, de droit privé et reconnues d’utilité publique.

Le projet de loi comportait toutefois un oubli : la recherche dans les sciences du vivant, plus particulièrement la recherche biomédicale, dite recherche clinique, réalisée sur l’homme vivant faute de pouvoir l’être sur l’animal. Alors que cette discipline, totalement transversale, est primordiale pour l’avenir de la recherche, que l’Allemagne double ses financements dans ce domaine, la position française s’érode. Véritable serpent de mer, la coordination des sciences du vivant au sein d’un seul établissement de recherche est, depuis la création de l’INSERM, toujours reportée à plus tard. La commission, en proposant notamment la création de centres thématiques de recherche et de soins, souhaite donner un cadre propice au développement de la recherche clinique.

Le troisième élément fort du projet de loi est la création d'une agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur. C'est sans doute le cœur de la réforme car l'évaluation constitue un élément déterminant dans une activité où, par nature, l'excellence doit compter avant tout. Pour la première fois dans notre pays, les activités scientifiques seront ainsi dotées d'une évaluation dite universelle – puisque l'enseignement supérieur, aussi, sera évalué –, incontestable et transparente. Là aussi, la commission a adopté plusieurs amendements précisant les modalités de cette évaluation et faisant, à tous les niveaux, une plus grande place aux personnalités étrangères. Nous allons en parler car je suis sûr que nous sommes sur la même longueur d’onde.

Enfin, la dernière mesure touchant à l'organisation du dispositif de recherche français est la pérennisation de l’agence nationale de la recherche, qui devient un établissement public. Une agence de moyens constitue en effet la meilleure garantie pour que, conformément au principe républicain du mérite, la répartition des crédits se fasse sur la base du critère d'excellence.

La commission a adopté plusieurs amendements clarifiant le rôle et les missions de l’ANR : mise en place d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens entre l’Etat et l'agence, dont l'exécution sera évaluée par des experts internationaux pour mieux garantir l'autonomie de gestion de l'agence ; sanctuarisation d'une partie du budget de l’ANR pour le financement de projets blancs ou non thématiques afin d'assurer la liberté de la recherche, condition absolue pour que naissent de véritables ruptures scientifiques.

Enfin, la commission propose la mise en place d'un régime de préciput, autrement dit d'un mécanisme prévoyant qu'une partie des crédits distribués par l'agence revienne, dans une logique gagnant-gagnant, à l'établissement qui héberge l'équipe destinataire des fonds.

Le dernier grand champ dans lequel le projet de loi intervient est celui de la simplification administrative et de l'assouplissement des procédures.

Le projet concerne ainsi l’application des règles des marchés publics pour les activités de recherche et, surtout, la valorisation des recherches menées par le secteur académique, thème sur lequel mes collègues M. Fourgous et M. Birraux se sont penchés avec une grande attention.

La commission a souhaité aller plus loin en poursuivant notamment le changement culturel amorcé par la loi sur l'innovation et la recherche de 1999, proposée par Claude Allègre, ministre de la recherche de Lionel Jospin, et qui est considérée comme un pas en avant indiscutable. La commission a notamment adopté plusieurs amendements de la commission des finances et de M. Jean-Michel Fourgous propres à dynamiser la recherche conduite par les PME, comme le propose également M. Birraux. Elle a aussi adopté un amendement inspiré du Bayh-Dole act américain dont l'objectif est d'encourager très fortement la valorisation des recherches réalisées par les agents publics.

Le texte va-t-il assez loin ? Bien sûr, non dans l'idéal. Évidemment oui, si l'on tient compte des équilibres nécessaires.

Dans une société complexe, les choix collectifs, ceux qui commandent l'intérêt général, sont parfois obscurcis par des réalités qu'on ne peut nier : recherche académique, recherche appliquée, recherche publique, recherche privée, organismes publics, universités, laboratoires privés, unités mixtes, domaines scientifiques multiples, jeunes et moins jeunes chercheurs, etc, aboutissent à des revendications distinctes et parfois contradictoires. Les mêmes voix empruntent parfois des voies différentes. Dans ces conditions, il est toujours difficile pour l'État, mais c'est son rôle, de définir et d'imposer les règles du jeu les plus pertinentes à toutes les parties prenantes.

De ce point de vue, le projet de loi est parvenu à un point d'équilibre subtil, dont je vous félicite, messieurs les ministres, qui ne lèse personne et offre à chacun de réelles réponses et opportunités d'amélioration.

Cette réussite tient pour l'essentiel en un mot : liberté. Liberté donnée aux chercheurs de s'associer ou non ; liberté de s'associer dans un pôle ou dans un réseau, liberté de relever d'un établissement public de coopération scientifique ou d'une fondation ; liberté de prolonger les activités menées dans leur laboratoire au sein d'une entreprise ; liberté de créer des bulles, des kystes.

Oui, je rêve d’une bulle qui s’appelle TGEN, Translational genomics research Institute à Phoenix, Arizona financée initialement, mais plus maintenant, par l’État d’Arizona et qui, totalement indépendante, mais s’appuyant sur des crédits qu’elle sait aller chercher et sur des coopérations avec l’université et les entreprises, crée de nombreuses entreprises et de nombreux emplois.

Je vous vois dubitatif, mes chers collègues du parti socialiste, mais je rêve aussi d’une autre forme de liberté : un kyste au sein de l’université Berkeley, qui s’appelle CITRIS, avec de la recherche d’un intérêt sociétal.

Vous connaissez Berkeley et ses tendances philosophiques. Vous savez que les gens de Berkeley refusent les brevets qui favorisent trop le grand capital. Au sein de ce kyste, il y a une liberté totale d’aller de l’avant avec, bien sûr, une évaluation et un contrôle a posteriori.

Néanmoins pour que cette liberté vive, pour que la recherche vive, encore faut-il que le soutien aux projets blancs soit assuré. Et là, nous sommes d’accord. Par essence inconcevables lorsqu'elles font irruption, les véritables ruptures scientifiques ne peuvent entrer dans le cadre de l'évaluation classique. Il faut en être convaincu.

Avant de conclure, je veux toutefois exprimer un regret.

La France est un pays de taille moyenne. Même avec la meilleure législation du monde et un engagement financier fort, elle ne sera jamais de taille à rivaliser avec des pays tels que les États-Unis ou, demain, la Chine. Si la rénovation du dispositif de recherche français est indispensable, elle n'est pas suffisante. L'échelon pertinent pour affirmer une ambition mondiale, et vous l’avez très bien relevé, monsieur le ministre, est désormais l'Europe. Or, sur ce point, le texte propose peu de choses. Sans doute est-ce parce qu’il ne peut pas en proposer plus, j’en conviens volontiers !

Le Sénat comme la commission ont apporté, partout où cela était possible, plusieurs petites touches d'Europe : dans les PRES, dans les réseaux, dans les missions du haut conseil, à tous les niveaux de 1’AERES, etc. Certes, les difficultés sont réelles pour articuler – ou pour anticiper sur l’articulation – dispositif national et dispositif européen, mais la représentation nationale aura réussi son pari, mes chers collègues, si le texte qu'elle adopte est eurocompatible.

Ensuite, monsieur de Robien, monsieur Goulard, ce sera à vous, au gouvernement, de prendre le relais et de pousser plus avant les suggestions que les membres de la commission ont pu faire.

La délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale a adopté une proposition de résolution sur le septième programme-cadre de recherche et de développement qui sera examinée demain par notre commission. À raison, notre collègue Daniel Garrigue insiste sur l'effort substantiel qui doit être accompli en matière de recherche au niveau communautaire et sur le rôle d'impulsion qui, dans ce cadre, doit être celui de la France. Je souhaite donc que notre pays promeuve de nouvelles initiatives, telles que la création d'un pool d'évaluateurs européens – auquel chaque pays contribuerait et dans lequel il pourrait en retour puiser –, la mise en place d'agences de moyens thématiques, l'adoption d'un Bayh-Dole act européen ou d'un ensemble de mesures propres à stimuler la recherche conduite par les petites et moyennes entreprises.

Cela étant toutes ces ambitions, y compris celles portées par le projet de loi, ne seront réalisables que si notre pays retrouve confiance dans le progrès.

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Très bien !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. La France des Lumières et du positivisme républicain, qui a vu dans le progrès scientifique non pas seulement un fait, mais une valeur, a fait long feu. Nos sociétés contemporaines abordent désormais trop volontiers la science sous l'angle de ses impuissances, de ses péchés et de ses dangers.

Si nous ne pouvons que nous féliciter de l'inscription dans notre Constitution du principe de précaution, dès lors qu'il nous enjoint de gérer les ressources naturelles et de ne pas détruire le milieu avec lequel nous faisons corps, il ne saurait devenir un principe castrateur, source de toutes les prohibitions, d'obscurantisme ou encore de nostalgie de la « douceur des lampes à huile et de la splendeur de la marine à voile » comme le disait une grande personnalité.

Les philosophes nous enseignent que, sans risques, il n'y a peut-être plus de danger, mais il n'y a plus de mouvement, plus de chances et surtout, plus de progrès. La plus grande source d'insécurité est, assurément, notre désir éperdu de sécurité.

J'espère, messieurs les ministres, qu'aux côtés du principe de précaution, nous saurons demain réserver une place au principe de progrès et que notre pays aura de nouveau une très haute idée de la science. Nous pourrons alors redonner aux chercheurs cette chose tellement indispensable à la recherche qu'ils n'hésitent pas à aller la chercher hors de nos frontières : l'enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Claude Birraux, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il n'est pas si fréquent que la recherche fasse directement l'objet de textes législatifs. Avant la loi du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche, les dernières initiatives en ce sens datent de la loi du 15 juillet 1982, qui établissait une programmation de l'effort de recherche jusqu'en 1985 et qui, je dois le dire, avec les régulations budgétaires, n’a jamais été suivie et appliquée à la lettre ; et de la loi du 23 décembre 1985 qui a prolongé cette programmation jusqu'en 1988.

Auparavant, il faut remonter à la loi du 19 décembre 1961 instituant le CNES, voire jusqu'à l'ordonnance du général de Gaulle du 18 octobre 1945 créant le CEA.

Cette implication épisodique de la loi, tous les quinze ou vingt ans, crée quelques moments de forte mobilisation suivis de périodes d'inattention prolongée. La recherche ? J'y pense et puis j'oublie, comme dirait la chanson ! Cela date un peu, mais chacun a les références de son âge ! (Sourires.)

Il est évidemment un peu paradoxal d'avancer cette analyse au moment où le Gouvernement s'empare de la question à bras-le-corps, mais je veux souligner combien il est nécessaire de profiter de cet instant de mobilisation autour de la recherche pour créer les conditions d'une attention plus permanente de la nation à son égard. En effet, plus que jamais, la recherche est devenue un pilier fondamental de notre économie, donc du maintien de notre niveau de vie et de celui des générations futures.

J'évoquerai deux angles d'approche qui le mettent en évidence.

D'abord, la croissance interne des économies développées dépend crucialement de la capacité de l'offre à se renouveler.

Pour entretenir la demande, il faut jouer en permanence sur la diversification des produits, par l'élaboration de procédés permettant d'abaisser le prix, par l'ajout d'éléments ou de services accroissant la qualité, par la mise au point de fonctionnalités nouvelles. Tout cet effort d'innovation repose profondément sur le dynamisme de la recherche, qui apporte les matériaux nouveaux, les phénomènes nouveaux, les algorithmes nouveaux dont l'industrie et les services se servent ensuite pour améliorer leur offre.

Les nouvelles théories de la croissance apparues au milieu des années quatre-vingts ont mis en évidence le fait qu'un simple maintien du taux de croissance supposait un effort permanent, à tout le moins constant en niveau, d'incorporation de facteurs qualitatifs, comme la recherche, dans la production nationale.

Ainsi, le rapport du conseil d'analyse économique de 2005 sur le financement de la recherche cite une étude montrant que la croissance des États-Unis entre 1950 et 1993 – ce qui est une très longue période – pouvait être attribuée pour 50 % à l'effort de recherche et développement, et pour 30 % à l'amélioration du niveau d'éducation américain, ce qui fait quand même 80 % de matière grise.

Cependant le besoin vital d'un effort soutenu de recherche est mis, aussi, en évidence par l’observation des mécanismes à l’œuvre dans la mondialisation.

En effet, le progrès technique se diffuse inévitablement, car les machines et les connaissances, comme les produits, circulent. Les échanges mondiaux s'accompagnent donc d'un phénomène permanent de rattrapage, dont les pays d'Europe et le Japon ont profité vis-à-vis des États-Unis jusqu'au début des années soixante-dix, et qui fonctionne maintenant au profit des pays à bas salaires vis-à-vis des pays développés.

Ce rattrapage conduit à une augmentation tendancielle de la productivité des entreprises des pays à bas salaires, qui exercent de ce fait une pression concurrentielle toujours plus forte sur les marchés mondiaux. La seule issue pour les pays développés est la poursuite de la course en tête de la productivité du travail, dont la recherche constitue, en amont, un déterminant essentiel.

Le récent rapport 2005 de l’UNESCO sur la science confirme la réalité tangible du « rattrapage », en soulignant que la part de l’Asie dans le montant brut des dépenses mondiales de recherche et développement a crû de 27,9 % à 31,5 % entre 1997 et 2002, au détriment des parts des États-Unis et de l’Europe, toutes deux en recul.

En Chine, depuis 2002, le nombre de chercheurs dépasse celui du Japon : 810 000 contre 646 500. En Europe, on en compte 1 million.

Rapprochons deux faits qui illustrent la vitalité du « rattrapage », et la nécessité absolue d’un sursaut national : en Chine, la part des dépenses de recherche dans le PIB ne représente encore que 1,3 % en 2002, mais progresse de plus de 15 % par an en moyenne depuis 1991 ; en France, cette même part atteint 2,2 %, mais a reculé depuis 1993, où elle atteignait 2,4 %.

Ce sursaut suppose évidemment une affectation supplémentaire de ressources, et c’est là, bien sûr, la principale difficulté qui se trouve attachée au chiffre de 3 % du PIB consacré à la recherche que la stratégie européenne de Lisbonne a pour ambition d’atteindre.

Mais, au-delà de cette inévitable question des ressources, il paraît essentiel d’infléchir la politique de la recherche sur des aspects plus qualitatifs. J’en identifie trois : d’abord, la reconnaissance du primat de la recherche fondamentale ; ensuite, la nécessité de valoriser socialement le statut de chercheur ; enfin, l’amélioration des procédures d’évaluation. L’évaluation étant bien prise en charge par le projet de loi, à travers la création de l’Agence d’évaluation, je mettrai plutôt l’accent sur les deux premiers aspects.

La recherche fondamentale est souvent présentée comme une activité d’inspiration purement théorique, déconnectée des finalités commerciales. C’est une vision déformée de la réalité. En raison même de l’ouverture de son champ, la recherche fondamentale est en effet beaucoup plus génératrice d’innovations que la recherche appliquée. Par ailleurs, du fait de l’exigence de sa mise en œuvre expérimentale, la recherche fondamentale constitue une source directe d’inventions pratiques.

L’étendue des potentialités, en termes d’innovation, offertes par la recherche fondamentale est inscrite dans l’histoire : l’émergence de la chimie du xviiie siècle a fourni les clefs de l’expansion des productions textiles et métallurgiques du xixe siècle ; la découverte des principes de l’électricité au xixe siècle a permis l’épanouissement au xxe siècle de toute une production nouvelle d’équipements domestiques ; la physique atomique du xxe siècle révolutionne encore aujourd’hui les secteurs de l’énergie et de la médecine.

À l’inverse, pour reprendre un exemple souvent cité, tous les efforts de recherche appliquée n’auraient jamais pu tirer de l’amélioration de la bougie l’idée de l’ampoule électrique. Comme tout investissement, la recherche fondamentale constitue un « détour de production », un sacrifice immédiat pour un gain futur démultiplié. Et le facteur de démultiplication obtenu avec la recherche fondamentale est potentiellement gigantesque.

Le CERN en fournit de nombreux exemples. Les inventions de Georges Charpak en matière de détection des particules, qui lui ont valu le prix Nobel de physique en 1992, sont aujourd’hui en usage dans tous les scanneurs utilisés par les dispositifs de sécurité. L’Internet était au départ, en 1989, un mode de communication mis au point par un ingénieur du CERN pour les échanges d’informations entre chercheurs. Enfin, rappelons que tout le savoir technique accumulé par le CERN dans l’expérimentation des collisions de particules sert aujourd’hui au traitement du cancer par radiothérapie et par protonthérapie.

Une condition de l’apparition des retombées de la recherche fondamentale est la mise en place d’un contexte de valorisation des résultats au plus près des laboratoires. À cet égard, je tiens à citer comme référence le modèle très original de « parc scientifique » mis en œuvre par l’université de Louvain-la-Neuve. Il compte plus d’une centaine d’entreprises employant plus de 4 000 personnes et constitue un espace de locaux professionnels locatifs géré par l’université. Il bénéficie de services d’interface avec les unités de recherche de l’université : des visites et des rencontres sont régulièrement organisées pour nouer ou intensifier des collaborations scientifiques. Cette interface est assurée par une petite équipe « Administration de la recherche » de vingt-deux personnes, dont l’action de valorisation des résultats de la recherche s’effectue en liaison avec une société filiale de l’université, la SOPARTEC, qui se charge du dépôt des brevets, de la gestion des licences, des partenariats avec les entreprises, de la création des structures d’essaimage.

On rencontre un type d’organisation analogue en Flandre, à Louvain, avec une entreprise phare, IMEC, spécialisée en micro et nanoélectronique, et elle-même née dans les laboratoires de l’université. Je pourrais encore citer l’université Twente, qui a donné naissance à 600 start-up employant 6 000 personnes et qui fut créée, il y a vingt ans, sur une friche industrielle du textile. Nous avons là un modèle à méditer pour nos pôles de compétitivité et nos pôles de recherche et d’enseignement supérieur.

Mais il est une autre question d’importance : la valorisation sociale du statut de chercheur. La recherche met en effet pleinement en lumière ce précepte économique fondamental énoncé au xvie siècle par l’humaniste Jean Bodin : « Il n’est de richesse que d’hommes. » Car la recherche est d’abord et avant tout affaire de chercheurs motivés. Or les talents et les efforts mobilisés pour devenir chercheur risquent d’être détournés par les intéressés vers d’autres activités plus gratifiantes, si l’écart relatif de statut social devient trop sensible.

Cette dimension est d’autant plus à prendre en compte qu’elle mobilise des leviers d’action autant symboliques que budgétaires. Le pacte de la nation avec sa recherche en fait état à propos de son troisième pilier, qui évoque la « marque d’estime et de confiance de la nation envers ses chercheurs ». Le temps de l’insouciance scientifique semble en effet bien révolu.

La première difficulté à surmonter est la méfiance grandissante de la société vis-à-vis de la science. Il faudrait développer dès l’école une culture de l’esprit scientifique, à l’instar de ce que fait Georges Charpak avec l’opération « La main à la pâte ». L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques s’inscrit dans cette forme de démarche pédagogique en organisant, avec l’Académie des sciences, un partenariat entre les parlementaires et les jeunes chercheurs.

Dans son avis, la commission des affaires économiques a, elle aussi, affirmé la nécessité d’un effort budgétaire important en faveur de la recherche, d’une meilleure lisibilité en matière d’emploi et de la nécessité d’inciter les entreprises à aider les jeunes chercheurs.

En ce qui concerne les institutions mises en place par le projet de loi, nous avons opté pour l’autosaisine du Haut conseil de la science et des technologies, en contrepartie d’une totale transparence de ses travaux, et pour une évaluation au moins quadriennale, par une expertise internationale, de l’Agence nationale de la recherche.

Au terme de notre débat, messieurs les ministres, une étape aura été franchie, mais tout restera à faire pour que, dans ce cadre nouveau, « eurocompatible », comme disait le président Dubernard, s’instaure une certaine connivence entre tous les acteurs afin de permettre l’adhésion du monde de la recherche et de la société tout entière. Par-delà le monde de la recherche, l’esprit de recherche se doit d’irriguer tous les vaisseaux de notre société. Si nous réussissons en cela, nous aurons fait œuvre utile et durable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

M. Jean-Michel Fourgous, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon parcours m’a rendu très sensible à tous les enjeux du projet de loi de programme pour la recherche. Au cours de ma vie, j’ai tour à tour été dans la recherche publique en tant qu’ingénieur au CNRS, puis dirigeant d’une entreprise innovante créée à partir de mes travaux de recherche − je ne peux d’ailleurs que déplorer le faible nombre de chercheurs français créant une entreprise, puisqu’ils sont moins de 1 % à sauter le pas −, avant d’être élu il y a douze ans.

C’est peut-être le début d’une révolution culturelle qui est aujourd’hui amorcé. Pour la première fois, on s’attache vraiment à aider les différents acteurs à mieux travailler ensemble, qu’ils appartiennent au privé ou au public − et l’on ne peut que se réjouir de voir un pont jeté entre ces univers −, à l’administration, à l’université ou à l’entreprise. Notre pays a du talent, mais souffre parfois du manque d’outils pratiques et du cloisonnement entre différents mondes qui, trop souvent, s’ignorent.

Messieurs les ministres, si l’on songe au climat passionné des premiers débats autour de ce projet de loi, on est bien forcé de reconnaître que vous avez accompli, avec vos équipes, un véritable tour de force. Grâce à une large consultation, grâce à un souci affiché de pragmatisme, vous avez réussi à produire une certaine unanimité autour du texte. Il est certes perfectible, mais il est bon, consensuel et ambitieux. Il vise à rapprocher notre pays des meilleurs standards européens et de l’objectif de Lisbonne. Il met le doigt sur les aspects cruciaux que sont l’évaluation − pas de progrès sans évaluation −, la mobilité des chercheurs, le mode de raisonnement par projet plutôt que par structure, la recherche de synergie entre les acteurs, la logique de confiance plutôt que de défiance et la souplesse accordée aux acteurs.

La recherche est un enjeu majeur : mieux, elle est peut-être le sujet du siècle à venir. Ce n’est plus la terre, l’or ou le pétrole qui font la richesse d’une nation, mais une autre matière première : la matière grise.

M. Olivier Dassault. Tout à fait !

M. Jean-Michel Fourgous, rapporteur pour avis. Il y a plus d’un siècle, pour produire une tonne de blé, il fallait environ mille heures de travail. Aujourd’hui, une heure suffit.

Dans la recette de la croissance entrent trois ingrédients : l’argent, la sueur et l’intelligence. C’est au troisième que le texte s’attache. Pendant longtemps, notre définition de l’intelligence a coïncidé avec celle du psychologue Binet, qui considérait qu’il s’agissait d’une capacité de synthèse et d’abstraction ; aujourd’hui, nous savons que l’intelligence est aussi l’aptitude à trouver des solutions aux problèmes, qu’ils soient environnementaux, technologiques, de santé ou de sécurité.

Je serai amené à faire des propositions d’amélioration du texte, afin de répondre à une première question de fond : comment atteindre l’objectif de 3 % de Lisbonne ? Aujourd’hui, une analyse est largement partagée : si la recherche publique tient son rang en matière d’investissement et doit sortir encore renforcée du présent projet de loi, le pays accuse, par rapport aux leaders, un retard dans le domaine de la recherche privée. Plus précisément, il semble que les PME françaises peinent à participer pleinement à l’effort d’innovation et de recherche. Il faut donc soutenir les PME innovantes.

Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, la ratification du protocole de Londres agite les esprits. Un certain consensus s’est pourtant dégagé sur le sujet, puisque la commission des finances et celle des affaires sociales ont adopté le protocole à l’unanimité, gauche et droite confondues − il est bon de souligner que l’intelligence peut aussi être productive dans ces cas-là.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. Et la matière grise se répartit harmonieusement !

M. Jean-Michel Fourgous, rapporteur pour avis. La France risque de rater le train de l’histoire si elle ne ratifie pas ce protocole qui abaisse les coûts de dépôt de brevet. Je sais, pour avoir moi-même déposé plusieurs brevets, ce que coûte une telle démarche. Elle représente actuellement un frein pour les jeunes chercheurs de nos laboratoires ou de nos petites entreprises. Ratifier le protocole permettrait d’abaisser considérablement le prix des brevets, d’augmenter leur nombre de 20 % au moins et, par conséquent, l’activité économique et productive. Il va de soi que, ce faisant, on améliorerait la compétitivité des entreprises. Les grandes entreprises n’ont aucun mal à trouver les 50 000 à 120 000 euros nécessaires au dépôt d’un brevet, mais les petites ne le peuvent pas.

L’obligation de traduire les documents dans toutes les langues − anglais, allemand, islandais ou slovène − agit comme un garrot pour nos petites entreprises, nos laboratoires et nos universités. L’accord de Londres renforce la langue française en l’instituant comme langue officielle de l’OEB aux côtés de l’anglais et l’allemand. Les rumeurs qui courent à propos de cette partie du texte sont parfaitement irrationnelles. Si l’on n’adopte pas le protocole, c’est le tout-anglais qui triomphera.

Mes chers collègues, avec ce texte, nous adopterons une attitude offensive et non pas défensive.

M. Olivier Dassault. Très bien !

M. Jean-Michel Fourgous, rapporteur pour avis. En économie marchande, on ne gagne pas en restant sur la défensive, surtout dans le contexte de la mondialisation.

En même temps, il nous faut être « eurocompatibles ». Nos partenaires européens ne comprennent plus en effet à quoi la France joue à toujours être sur la défensive lorsqu’il s’agit de créer une synergie européenne. Les Pays-Bas nous ont d’ailleurs contactés tout à l’heure, par l’intermédiaire de leur ambassade, pour nous rappeler qu’ils ratifieraient l’accord. Si nous voulons réussir cette synergie, nous ne pouvons rester éternellement isolés.

Une autre de nos propositions a pour objet de combler une lacune, celle du manque d’argent de nos petites entreprises innovantes. A cet égard, l’insuffisance de business angels est dramatique : si la France admire le modèle britannique – je parle là du moins des acteurs les plus expérimentés de l’économie marchande –...

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. Les libéraux de l’entreprise ! (Sourires.)

M. Jean-Michel Fourgous, rapporteur pour avis. ...encore faut-il qu’elle se rapproche des incitations fiscales britanniques.

Quand le plafond d’exonération est de 24 en France, il est dans le même temps de 240 en Grande-Bretagne, ce qui crée les conditions d’un réel levier financier. Pour lancer une entreprise, il faut en effet qu’un capital suffisant s’y investisse afin que son intelligence produise de la richesse et des emplois, sachant en outre qu’un rapport de 1 à 10 au départ, aboutit, à l’arrivée, au même rapport en termes de créations d’emplois.

On observe à cet égard un « trou » dans le financement des entreprises. Jusqu’à 100 000 euros, la famille et les relations peuvent aider à réunir le capital. Mais au-delà, entre 100 000  et 1 million d’euros, vous ne trouvez plus personne ou quasiment plus.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. C’est vrai.

M. Jean-Michel Fourgous, rapporteur pour avis. Les FCPI ne financent pas ces entreprises, non plus que le capital-risque. Seules les banques s’y risquent, et encore très peu. C’est grave, car on empêche ainsi de se développer, au risque de les laisser mourir, des entreprises qui auraient un vrai potentiel alors qu’elles sont un élément de notre croissance économique.

Aussi proposerons-nous de soutenir et de renforcer les FCPI car il s’agit, de l’aveu même des acteurs financiers, d’un véhicule qui, certes, fonctionne, mais que l’on peut améliorer et orienter plus efficacement encore vers nos entreprises innovantes.

Il s’agira, dans cet esprit, d’augmenter les volumes collectés en relevant les plafonds, d’instaurer un quota obligatoire de l’investissement des FCPI en faveur de l’amorçage de nos entreprises, et d’orienter une partie de l’épargne placée en assurance-vie en faveur de nos entreprises innovantes.

L’un des amendements les plus discrets votés par le Parlement a été à cet égard l’un des plus efficaces sur le plan économique : je veux parler de l’amendement cosigné par Olivier Dassault et moi-même, qui a déplacé plusieurs dizaines de milliards d’euros d’argent dormant vers les activités productives.

M. Olivier Dassault. C’est vrai !

M. Jean-Michel Fourgous, rapporteur pour avis. Ce sont des mesures aussi simples que celles-là qui fonctionnent : outre qu’elles correspondent à la réalité économique, elles favorisent le financement de nos entreprises innovantes.

Il convient également de proroger les FCPI-Entreprise, lancés par Thierry Breton et soutenus par l’association Génération Entreprise. Il faut encourager nos grandes entreprises à donner un peu d’argent aux FCPI, d’autant que cela ne signifie pas pour autant un contrôle de leur part de petites entreprises puisque ce sont les FCPI qui investissent dans ces dernières.

S’agissant du patriotisme économique, dont on parle beaucoup, je rappelle que notre pays compte 11 millions d’actionnaires et 22 millions d’épargnants, soit un patrimoine mobile de près de 2 600 milliards d’euros. Il faut, de façon beaucoup plus incitative qu’aujourd’hui, orienter une partie au moins de cette somme vers les activités plus productives, plus innovantes et plus créatrices d’emplois. Le potentiel existe. Reste, comme vous le faites avec votre texte, messieurs les ministres, à redéployer le plus possible les moyens humains, techniques et financiers vers les activités productives.

Notre capacité à relever les défis qui se présentent à nous en matière de sécurité, d’environnement, de santé, de démographie, de pandémie ou d’éducation, dépendra de notre capacité à mobiliser notre intelligence, car de la recherche dépend l’avenir de notre société, de notre santé, de nos emplois, de nos enfants. La France dispose d’un réservoir quasi inépuisable d’intelligence au potentiel élevé : j’ai pu le constater au CNRS même qui, certes, peut être critiqué sur certains points, mais où l’excellence règne – savoir s’il est bien géré est une autre question.

Je suis donc convaincu, messieurs les ministres, mes chers collègues, que ce projet de loi contribuera largement à permettre à tous les acteurs de la recherche française de donner le meilleur d’eux-mêmes. Mais – telle sera ma conclusion en forme de synthèse – seule la compétitivité de notre innovation, de notre intelligence, de notre recherche, de nos entreprises innovantes peut garantir l’avenir de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, j’ai appris hier à dix-sept heures trente qu’un cas de méningite dans sa forme purpura fulminens, qui est extrêmement contagieuse et souvent mortelle, s’était déclaré dans une école de ma commune.

Nous sommes ici un certain nombre à avoir pu être confrontés en qualité de maire à une telle situation. Le problème est que l’enfant atteint de cette maladie, qui, heureusement, va mieux, avait été hospitalisé jeudi soir dans un hôpital parisien. Or, aucune information n’avait été donnée ni à l’éducation nationale ni au maire avant hier soir, c’est-à-dire pendant plus de quatre jours, alors que l’on nous demande en ce moment d’être particulièrement attentifs aux problèmes de contamination. Vous imaginez l’émotion du maire que je suis, des parents d’élèves, de la communauté éducative et des employés municipaux appelés à travailler dans cette école.

Cet événement m’amène à vous demander, ainsi qu’à votre collègue, Xavier Bertrand, de revoir les protocoles d’alerte et d’enquêter sur les dysfonctionnements qui ont eu lieu. C’est à un véritable drame auquel nous avons échappé. Aussi me semble-t-il utile de poser quelques questions.

Pourquoi la DDASS de Seine-Saint-Denis n’a-t-elle été prévenue que lundi matin qu’un enfant avait été hospitalisé quatre jours avant pour une maladie qui est diagnostiquée en quatre heures ?

Pourquoi le protocole existant ne prévoit-il pas l’information directe du maire par la DDASS, lui qui est tout de même chargé d’accueillir des enfants au même endroit ?

Pourquoi la DDASS, informée lundi matin, n’a-t-elle prévenue l’éducation nationale que lundi soir ?

Pourquoi celle-ci se permet-elle d’établir un protocole pour endiguer les risques encourus sans même enquêter auprès des écoles concernées ? J’ai appris ce qui se passait au directeur d’école, je l’ai appris à l’inspecteur d’académie, je l’ai appris au préfet de Seine-Saint-Denis – que je tiens d’ailleurs à remercier pour leur disponibilité jusque tard cette nuit.

Pourquoi le protocole se limite-t-il aux seuls enfants de la classe alors que ceux-ci sont en contact avec des centaines d’autres enfants, l’école en question accueillant une autre école dans le même bâtiment, toutes deux partageant une même cour, un même préau et de mêmes lieux de restauration ?

Enfin, pourquoi, dans ce type de situation, n’est-il pas prévu de donner une information claire – nous en aurions bien eu besoin ce matin ! –aux parents de l’ensemble du groupe scolaire ainsi qu’aux médecins de ville qui seraient certainement intéressés de savoir qu’une telle maladie peut apparaître ponctuellement dans la commune ?

Telles sont, monsieur le ministre, quelques questions qu’il me paraît nécessaire d’éclaircir si l’on veut disposer d’un système d’alerte qui fonctionne mieux la prochaine fois.

M. René Couanau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je comprends l’émotion du député-maire de Drancy et de toutes celles et tous ceux qui ont eu à connaître de ce cas extrêmement douloureux.

Cet enfant de sept ans et demi a été hospitalisé jeudi 24 février dans la soirée à l’hôpital Robert-Debré. Les signes cliniques ne permettaient pas de faire immédiatement le diagnostic précis. L’évolution clinique s’est faite en faveur d’une infection invasive à méningocoque, et le diagnostic a été fait dans la matinée du lundi 27 février.

Les services de l’hôpital ont immédiatement prévenu la DDASS de Paris, qui a sur-le-champ transmis par fax l’information au médecin de la DDASS de Seine-Saint-Denis à 13 heures, toujours le lundi 27 février. Un traitement a été donné à l’enfant et un traitement préventif à la famille proche.

Les médecins de l’inspection académique ont été prévenus en tout début d’après midi et, conformément aux recommandations de la DGS, une stratégie de traitement des cas a été mise en place pour les vingt-trois enfants de la classe et pour l’enseignant : distribution de sirop buvable Rifadine pour les enfants et de comprimés de Rifampicine pour les adultes.

Les parents ont été informés et tous ont accepté de venir à une consultation médicale ce matin. Le calendrier du traitement est respecté.

Les dispositions ont donc été prises selon une procédure et un calendrier totalement conformes à la gestion médicale d’une telle situation, dont l’enjeu est bien de prévenir l’extension de la pathologie à tous les sujets ayant pu être en contact long et rapproché avec le patient pendant les dix jours précédents l’apparition des symptômes.

Telle est l’information qui m’a été fournie par le ministère de la santé.

S’agissant de l’éducation nationale, dès que l’information a été connue de l’école et des services académiques, le lundi 27 février dans l’après-midi, ces derniers se sont rapprochés de la DDASS...

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est vrai.

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. ...pour que soit mise en œuvre la procédure prévue par la circulaire du 15 juillet 2002 relative à la prophylaxie des infections invasives à méningocoque. Les directives de santé publique ont bien été appliquées.

Les services de l’inspection académique, comme les autres services de l’État, ont donc rempli leur mission à la lettre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

recherche (SUITE)

Reprise de la discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d’urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de programme pour la recherche.

Conformément à l’article 69 de la Constitution, le Conseil économique et social a désigné M. François Ailleret, rapporteur de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie, pour exposer devant l’Assemblée l’avis du Conseil sur le présent projet de loi.

Mesdames, messieurs les huissiers, veuillez faire entrer M. le rapporteur du Conseil économique et social.

..............................................................................................

M. le président. Vous avez la parole, monsieur rapporteur du Conseil économique et social.

M. François Ailleret, rapporteur du Conseil économique et social. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le 5 octobre dernier, le Conseil économique et social a été saisi par le Gouvernement d’une demande d’avis sur le projet de loi de programme pour la recherche.

Le travail de préparation a été confié à la section des activités productives, de la recherche et de la technologie, qui m’a désigné comme rapporteur. L’avis a été adopté en séance plénière le 16 novembre dernier par 74 % des 184 votants. En voici, de façon synthétique, les principaux éléments.

Depuis quelques années, le thème de la recherche est très présent dans la société française, ce qui est évidemment satisfaisant. Les débats et les études engagés depuis 2004 ont été utiles. Chacun a maintenant bien compris que la problématique de la recherche en France va au-delà des seuls moyens budgétaires de la recherche publique ou du nombre et du statut juridique de ses collaborateurs.

Le projet gouvernemental vient donc en son temps alors que beaucoup ont pu réfléchir et s’exprimer sur ce sujet qui conditionne l’avenir de notre pays.

les enjeux de la recherche en France sont considérables à bien des égards : ils s’étendent du court terme au très long terme et vont de l’aspiration immémoriale de l’homme à repousser les limites de la connaissance, jusqu’aux retombées les plus concrètes sur la création d’emplois, sur la santé publique, sur la compréhension des tensions de la société, ou encore sur le bien-être au quotidien, collectif ou individuel.

C’est bien entendu dans une perspective européenne et mondiale qu’il convient de se situer, mais cela n’exclut pas, bien au contraire, la nécessité au niveau national d’une vision, d’une stratégie, d’une organisation, d’une programmation des moyens et d’une régulation de l’ensemble.

L’avis du CES a porté sur chacun des piliers de l’exposé des motifs du projet de loi puis sur les objectifs et, enfin, sur les moyens programmés. Il a présenté également des recommandations. Tout au long de cette analyse, des avancées introduites par le projet gouvernemental sont apparues. En complément, des critiques ont été formulées, des insuffisances soulignées et des voies d’amélioration proposées.

Le CES a jugé positivement une série de dispositions, élaborées par le Gouvernement, le plus souvent nouvelles, mais parfois aussi confirmant ou prolongeant des décisions récentes : création d’un Haut conseil de la science et de la technologie ; mise en place de l’Agence d’évaluation de la recherche ; appui à la coopération, notamment par les pôles de recherche et d’enseignement supérieur ; rôle essentiel de l’Agence nationale de la recherche pour le financement des projets ; allégements très significatifs des contrôles et procédures, qui responsabiliseront les gestionnaires de la recherche publique et leur donneront d’indispensables marges de liberté ; mesures – si nécessaires – pour rendre les carrières scientifiques plus attractives pour les jeunes –reconnaissance du doctorat comme première étape professionnelle et les bourses Descartes ; décharges d’enseignement, en particulier pour les jeunes enseignants-chercheurs ; aides diverses pour la recherche et l’innovation dans les PME, les instituts Carnot, les pôles de compétitivité ; enfin, appuis pour accéder aux financements européens et volonté d’une coopération renforcée en Europe.

Ces avancées sont incontestables, mais elles ne constituent qu’un premier pas. Certes, celui-ci était très attendu, mais il devra être suivi par d’autres avancées tant du Gouvernement que de toutes les composantes de la recherche en France.

C’est dans la perspective d’une telle démarche que le projet d’avis avance un nombre important de propositions, dont certaines pourraient être retenues dès le débat parlementaire. J’en rappellerai simplement les principaux thèmes ou objectifs.

Assurer une composition équilibrée et l’indépendance du Haut conseil de la science et de la technologie et de l’Agence d’évaluation de la recherche ; préciser la mission et le mode de fonctionnement du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie ; contribuer à l’émergence d’une recherche européenne et orienter davantage les financements européens vers la recherche amont ; engager la préparation d’une loi d’orientation et de programmation sur l’enseignement supérieur ; revaloriser significativement et par étapes la rémunération des chercheurs, principalement en début de carrière ; établir un plan pluriannuel des embauches, pour anticiper et éviter ainsi les distorsions de la pyramide des âges dans la recherche publique ; approfondir la notion de « campus de recherche » ; veiller à une rapide montée en régime des instituts Carnot ; accentuer l’aide aux PME, pour qu’elles se développent davantage dans le domaine des technologies avancées ; enfin, atteindre l’objectif de Lisbonne de 3 % du PIB dévolus à la recherche, dans les cinq à dix années à venir et, à cet effet, accroître progressivement les financements public et privé de la recherche et établir une programmation budgétaire contraignante pour les cinq ans à venir au moins.

Je voudrais, pour clore la présentation de l’avis du CES, mettre l’accent sur le temps, dimension essentielle dans cette grande affaire. Il faut en effet à la fois voir loin et agir vite. Agir vite parce que du temps a été perdu, que l’écart se creuse avec certains pays, que de nouveaux acteurs apparaissent avec une formidable volonté de puissance : la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, le Brésil et d’autres encore.

Il a été dit : « Dans le monde d’hier, les gros mangeaient les petits ; dans le monde de demain, les rapides mangeront les lents ». Déjà aujourd’hui, des pays rapides – petits ou gros – ont, grâce à leur recherche et leur enseignement supérieur, mangé une partie du marché des gros, de leur industrie ou de leurs services : la Finlande avec le téléphone mobile, la Corée du Sud avec l’imagerie, l’Inde avec l’informatique…

Hier, la France était parmi les gros, ce sont les petits qui étaient menacés. En matière de recherche, pour garder nos atouts, pour entretenir le progrès économique et donc le progrès social, nous devons absolument nous attacher à ne plus être demain parmi les lents, comme nous le sommes trop souvent aujourd’hui. Pour la recherche, cela engage les acteurs de la vie politique, économique et sociale, aussi bien le secteur public que le secteur privé.

Aussi, dans la mise en œuvre de la loi qui sera votée par le Parlement, il faudra rester simple et aller vite, sans escamoter, cependant, les concertations ou négociations indispensables, pour que le projet soit partagé et donc efficace dans sa mise en œuvre.

J’en viens maintenant aux positions prises en séance plénière par les divers groupes du Conseil économique et social.

Des convergences fortes sont apparues sans que l’on puisse toutefois parler d’unanimité : convergences autour des avancées, considérées comme un pas en avant mais qui doit être poursuivi ; convergences aussi sur des critiques, des insuffisances et des voies d’amélioration ; enfin, convergences sur la vigilance qui s’impose.

Ainsi, la création de nouvelles instances présente un risque de complexité excessive et il conviendra au contraire de simplifier. En outre, l’introduction de financements par projets ne doit pas « déshabiller » les structures qui ont besoin de crédits récurrents suffisants pour mieux rémunérer leurs personnels et pour fonctionner de manière efficace.

La taille de notre pays et son appartenance à l’Union européenne, doivent conduire à l’expression de priorités stables et à des choix clairs et parfois courageux ; c’est bien le rôle du Haut conseil de la science et de la technologie que de les proposer. Enfin, il conviendra de s’assurer d’une juste répartition des moyens entre recherche amont et recherche aval et de s’attacher à une continuité et à une coopération efficaces entre elles.

En séance plénière du CES, considérant le projet gouvernemental et le projet d’avis comme trop éloignés des attentes et propositions de la communauté scientifique, les groupes de la CGT et de l’UNSA ont voté contre le projet d’avis et le groupe FO s’est abstenu. Les groupes de l’agriculture, des personnalités qualifiées et de la coopération ont, quant à eux, très majoritairement voté pour.

Enfin, pour la totalité de leurs membres présents, le projet d’avis a été approuvé par les groupes de l’artisanat, des associations, de la CFDT, de la CGC, de la CFTC, des entreprises privées, des entreprises publiques, de la mutualité et de l’UNAF.

En définitive, le projet d’avis du CES a été approuvé par 74 % des 184 votants.

Voilà, monsieur le président, messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, les éléments de l’avis du Conseil économique et social sur le projet de loi de programme pour la recherche, qui m’ont paru essentiels. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

M. le président. L’Assemblée vous remercie.

Mesdames, messieurs les huissiers, veuillez reconduire M. le rapporteur du Conseil économique et social.

Exception d’irrecevabilité

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Pierre Cohen pour une durée qui ne peut excéder trente minutes.

M. Pierre Cohen. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 7 janvier 2004, une pétition intitulée « Sauvons la recherche » exprimait la colère des chercheurs qui, après deux années de gel de crédits, de réductions drastiques des budgets, se déclaraient sinistrés.

Je voudrais, monsieur Goulard, tempérer le triomphalisme dont vous avez fait preuve tout à l’heure : les moyens que vous mettez en œuvre depuis quatre ans se contentent de suivre l’augmentation du coût de la vie, si bien qu’à budget constant, celui de 2006 équivaut à celui de 2001. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Nous avons donc rencontré en 2004 des chercheurs très en colère.

En effet le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin avait méprisé la recherche et ses personnels. Mais leur colère a eu d’autant plus de portée que l’enjeu ne concernait pas seulement une hausse du budget ou la création de postes en CDD, même si, en soi, ç’aurait été suffisant et légitime pour amorcer un mouvement. Non ! nous avions atteint un seuil critique qui nous amenait à nous poser la question suivante : la recherche a-t-elle un avenir dans notre pays et lequel ?

Depuis une vingtaine d’années, je le concède, la recherche n’est plus considérée comme une priorité dans nos programmes politiques respectifs et elle a perdu son auréole auprès de la population. Aussi, dans le cadre de la discussion sur ce projet de loi, cette question est pertinente et révèle la conception que nous nous faisons de la recherche en fonction du rôle que notre nation prétend jouer dans le concert européen et dans la mondialisation ouverte et libérale.

Dans les années soixante, la recherche s’est inscrite dans une démarche gaullienne et étatiste mettant en œuvre de grands programmes fondés sur la reconstruction et, surtout, sur l’indépendance du pays et sur des orientations scientifiques et stratégiques ambitieuses. Ce fut le cas pour le nucléaire, l’aéronautique, le plan Calcul, les médicaments et bien d’autres secteurs. Toutefois, dès les années soixante-dix, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing s’est amorcée une remise en cause de la recherche.

C’est dans ce contexte que nous avons abordé une deuxième grande étape dans l’histoire de la recherche, étape qu’on a souvent l’habitude de gommer donc d’oublier. En effet, les assises de la recherche en 1982, sous l’égide de François Mitterrand et Jean-Pierre Chevènement ont été un grand moment et ont ouvert de larges perspectives sur la place de la recherche dans la société. La recherche au service d’une politique de prestige et d’une stratégie d’indépendance nationale laissait la place à une nouvelle forme de recherche au service de la société.

La recherche se mettait alors au service du dynamisme économique, de l’emploi et des entreprises nationalisées ; elle répondait à l’intérêt général par des choix de société fondés sur les sciences de l’information, du vivant, des sciences humaines et sociales.

Force est de constater que l’indépendance de la recherche est devenue une valeur de moins en moins incontournable et que la société a été confrontée à des phénomènes graves qui n’ont pas manqué susciter de troublantes interrogations scientifiques comme ce fut le cas pour le sida, l’amiante, les OGM, la vache folle, mais aussi, plus récemment, avec la grippe aviaire ou le chikungunya. Cette évolution, dans un contexte mondial en mouvement, a provoqué des confusions entre recherche, techniques et technologies.

Fort de ces constats, il apparaît aujourd’hui nécessaire et urgent de donner une nouvelle ambition à la recherche, de réfléchir et de préciser ses objectifs et les conditions dans lesquelles nous devons la soutenir. La France et l’Europe ne connaîtront pas de troisième souffle avec ce projet de loi et ne seront certainement pas, et pour longtemps, au rendez-vous du XXIe siècle.

Pour éviter les faux débats entre recherche fondamentale et recherche finalisée, entre secteur public et secteur privé, je souligne que nous avons toujours considéré la recherche comme un moyen essentiel de développement de notre économie. C’est en effet certainement sous la gauche qu’on a développé la plupart des dispositifs de transfert et de valorisation, créé des centres techniques et d’accompagnement des produits issus de la recherche – structures d’incubateurs ou pépinières – et renforcé les aides à la création d’entreprises. Évitons donc les procès d’intention et les caricatures inutiles, et posons-nous objectivement la question : la recherche peut-elle se limiter à cela ?

La recherche consiste avant tout à produire savoirs et connaissances. La connaissance revient pour l’homme à tâcher de savoir d’où il vient et de connaître les phénomènes liés à son évolution. Ces connaissances peuvent apporter explications et réponses à des questions, mais ces réponses ne constituent qu’une première étape tant la masse de connaissances pour le moment difficiles à exploiter reste considérable. Ainsi, il faut bien admettre que la recherche puisse connaître des échecs, se trouver dans une impasse.

De par son histoire, la France est reconnue comme le pays des Lumières, un pays fondé sur les valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité, et, actualité oblige, de laïcité. À ce titre, nous avons un rôle essentiel à jouer dans le monde pour que cette connaissance soit libre et universelle.

Si j’insiste sur cet aspect, c’est parce que ce projet de loi aurait dû être l’occasion de l’aborder. Or, force est de constater que le texte que vous nous soumettez, messieurs les ministres, est bien loin de ces préoccupations, ce que je vais m’attacher à vous démontrer.

J’ai tenté de vous livrer une vision de la recherche dans toutes ses dimensions mais je pense qu’il n’est pas inutile de débattre de la manière de mener la recherche. Il est vrai qu’il existe des savants et des génies mais, le plus souvent, la connaissance est le fruit d’un travail, d’une intelligence personnelle ou collective qui vient se superposer à d’autres connaissances elles-mêmes issues d’un travail, d’une réflexion, et ainsi de suite.

Je suis encore plus convaincu de cette évolution de la connaissance depuis que j’ai parcouru la revue La Recherche du mois de février dernier. J’y ai lu un excellent entretien avec Yves Chauvin, prix Nobel de chimie en 2005, et qui illustre parfaitement mon propos. Je serai peut-être un peu long mais je souhaite qu’on examine de près la façon dont il raconte comment son travail a été réalisé puis, ensuite, reconnu :

« Dans les années cinquante, Herbert Eleuterio, pétrochimiste, découvrait une réaction. Mais ce chimiste, et d’autres encore à cette époque, n’ont pas pris conscience de ce qui avait été observé.

« Ensuite, en 1964, les vrais découvreurs furent Robert Banks et Grant Belley qui ont compris que deux molécules comptant trois atomes de carbone se transformaient en deux autres possédant deux et quatre carbones (l’éthylène et le butène).

« En 1967, Nissim Calderon montrera que toutes ces réactions procédaient d’un même procédé chimique. »

Yves Chauvin rejoint alors l’Institut français du pétrole parce qu’on y fait à la fois de la recherche appliquée et de la recherche fondamentale.

Il poursuit : « J’en suis venu à m’intéresser à la métathèse ; pour autant, l’IFP n’avait mobilisé aucun chercheur pour travailler sur ce thème. Cependant nous avions la liberté de faire à peu près ce que nous voulions et c’est après avoir pris connaissance des publications de Calderon que je décidai de me consacrer à ce sujet. »

Je passe sur le moment où il réalise sa découverte car plus important est ce qu’il dit par la suite : en 1971, puisque ses travaux semblaient n’intéresser que peu de monde, il a publié ses résultats dans un journal allemand peu connu. Et ce n’est qu’en 1990 que Richard Schrock et Robert Grubbs ont découvert que la métathèse était susceptible de remplacer de nombreuses méthodes de synthèse.

Ce que je souhaite démontrer à travers ce témoignage, c’est qu’une recherche « nobellisée » – encore que ce n’est pas à mon sens le seul critère de qualité, bien qu’il reste incontestable – est le fruit du travail de plusieurs intelligences dans le temps, d’une liberté de recherche, d’un statut et de conditions de travail sereines et pérennes avec des moyens qui ne sont pas soumis aux seules conditions des appels d’offres.

Ce projet de loi aurait pu être élaboré plus rapidement, et sur un socle que tous – la communauté scientifique, les politiques, l’ensemble des acteurs de la recherche – avaient accepté lors des États généraux. Or le texte me semble complètement orthogonal à la vision de la recherche qui s’y était manifestée.

Ainsi, l’unique mission du Haut conseil de la science et de la technologie est d’éclairer le Président de la République et le Gouvernement : c’est bien la traduction de votre volonté de placer la recherche sous la responsabilité exclusive du pouvoir exécutif, en mettant à l’écart la représentation nationale et la société dans son ensemble. M. Birraux a relevé à juste titre que notre assemblée avait très peu d’occasions, hormis les discussions budgétaires, de parler de la recherche.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, rapporteur. Sur ce point, vous avez raison !

M. Pierre Cohen. Quant à l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, qui est en fait déjà créée et pourvue de moyens depuis plus d’un an, son conseil d’administration est entièrement nommé, ce qui constitue une véritable rupture avec le mode d’organisation de la recherche dans son ensemble. Là aussi, on voit bien les risques de dérives, d’autant qu’il n’existera plus d’autre moyen d’impulser la recherche que le recours à l’appel d’offres : ne va-t-on pas provoquer un déséquilibre au détriment de la recherche dans les organismes et dans les universités ?

Avec les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, vous aviez une fois encore l’occasion de répondre aux États généraux : ces structures avaient vocation à assurer une coordination des organismes et des universités, une mutualisation des moyens, et à favoriser des dynamiques autour des disciplines scientifiques. Las ! Vous ne faites qu’offrir un éventail de possibilités. Ce qui aurait pu être un véritable élément de coordination et de dynamique ne vise, avec l’intervention des fondations et les réseaux thématiques – nouvel habillage de ce que vous proposiez naguère sous le nom de « campus » –, qu’à la création de quelques pôles d’excellence. L’ensemble de la communauté scientifique, les universitaires, et même la CPU, jusqu’à présent assez favorable à ce projet de loi, s’en inquiètent : comment des fondations permettraient-elles de constituer les PRES ?

Nous sommes certes favorables au débat national sur les orientations politiques de la recherche et souhaitons que soient soutenus des projets sur des sujets émergents, dans des domaines interdisciplinaires ou sur des thèmes de société. Cependant, sans vous faire un procès d’intention, la droite a trop souvent critiqué l’organisation et l’utilité du CNRS…

M. Claude Birraux, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Ce n’est pas la droite : c’est la Cour des comptes !

M. Pierre Cohen. …pour que nous ne soyons pas inquiets quant aux moyens qui lui seront accordés et à l’évaluation de ses travaux, dont on peut se demander si elle sera vraiment fondée sur la qualité des recherches et sur la pertinence des connaissances à produire.

S’agit-il d’un problème de moyens ? Pas seulement, mais également. Beaucoup de personnes vont partir à la retraite entre 2008 et 2012 – ou un peu plus tard, après la réforme de M. Raffarin…

Mme Martine David. C’est vrai !

M. Pierre Cohen. Or, dans ce projet de loi, vous ne présentez pas de programmation de l’emploi scientifique. M. Goulard semble avoir oublié les trois premières années de la législature et l’action du gouvernement qu’il soutenait à l’époque, lui qui a parlé de continuité avec l’action de M. Allègre. En réalité, en tant que rapporteur pour avis du budget de la recherche pour 1999, j’avais mis en garde contre la faiblesse de l’effort pour la recherche, allant même jusqu’à poser la question du soutien à accorder à ce projet : reportez-vous aux comptes rendus des débats !

Mme Martine David. C’est très honnête de le reconnaître !

M. Claude Birraux, rapporteur pour avis. Pourtant, vous avez voté ce budget !

M. Pierre Cohen. Lionel Jospin nous ayant demandé un rapport, M. Le Déaut et moi-même avons mis réellement les problèmes sur la table. Le débat a permis de lancer de nombreuses propositions, si bien qu’un plan pluriannuel de l’emploi scientifique a été mis en place et que, lors des deux dernières années du gouvernement Jospin, des créations d’emploi ont commencé à amorcer la réponse qui doit être apportée à l’horizon 2008-2012.

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. « Commencer à amorcer », c’est un peu court !

M. François Goulard ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Les emplois, c’est nous qui les créons !

M. Pierre Cohen. Votre texte se contente d’annoncer des emplois pour 2006 – ce qui correspond au budget déjà voté – et pour 2007. Ce n’est en aucun cas une programmation pluriannuelle ! Or nous savons qu’il faut huit à quinze ans pour former une génération de chercheurs : nous en faisons actuellement les frais dans le domaine de la santé. C’est pourquoi nous proposons la création de 4 500 postes par an jusqu’en 2010. Cela permettrait de répondre aux interrogations des jeunes qui se détournent des études scientifiques ou, quand ils s’y engagent, ne trouvent ni perspectives ni débouchés.

Nous en arrivons ainsi à la question de l’exil des jeunes. Certes, l’évolution de la recherche implique que l’on exige des jeunes chercheurs qu’ils aillent voir à l’étranger ce qui s’y fait : c’est naturel. Le problème est que ces jeunes ont beaucoup de mal à revenir en France, surtout lorsqu’ils se trouvent dans les pays les plus en pointe en matière de recherche. Les postes manquent…

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Plus maintenant !

M. Pierre Cohen. …et les mécanismes d’embauche ne favorisent pas leur réintégration. Le projet est loin de répondre à cette préoccupation fondamentale !

Sur un plan plus général, les jeunes se désintéressent de la science et des métiers de la recherche. C’est surtout le cas des jeunes filles, en partie pour des raisons culturelles. Comment les y intéresser dès le lycée ? Le texte aurait pu essayer de répondre à cette question. Depuis des années, et encore plus après les événements de novembre 2005 dans les banlieues, on constate que les compétences des jeunes des quartiers ne sont pas reconnues et qu’il y a très souvent discrimination. Pourquoi ne pas orienter ces jeunes, comme on l’a fait à Sciences po, vers des troisièmes cycles et vers les métiers de la recherche par un soutien approprié ? Nous avons utilisé une niche parlementaire pour faire des propositions analogues en matière d’accès aux grandes écoles.

En outre, voilà longtemps que je demande, sans guère rencontrer d’écho, que l’on donne toute sa place à la culture scientifique et technique dans notre pays. De même que l’on confond recherche et technologie, on confond science et culture scientifique. Il faudrait instaurer au lycée, à l’instar de ce qui se fait pour l’instruction civique, des modules de culture scientifique et technique, car il n’est pas normal qu’un citoyen adulte ignore l’histoire de la science et de ses différents courants, et se trouve ainsi dans l’incapacité de juger des enjeux dans ce domaine. Les scientifiques ne sont d’ailleurs pas épargnés par cette inculture : une crise comme celle de la vache folle a mis en évidence la différence considérable entre la culture scientifique, qui confère la capacité de juger en tant que citoyen, et la connaissance scientifique proprement dite. À la faveur de la décentralisation, on aurait pu donner compétence aux collectivités territoriales pour diffuser la culture scientifique et technique et créer des centres culturels scientifiques, techniques et industriels. Votre projet n’aborde aucun de ces aspects : à l’évidence, votre objectif n’est pas de réconcilier la jeunesse avec la science et les métiers de la recherche !

Ce que j’ai dit sur l’absence de programmation en matière d’emploi scientifique vaut également pour le financement. Heureusement que le Sénat vous a fait ajouter un tableau attestant un engagement jusqu’à 2010 ! Le projet de loi initial ne parlait que de 2006 et 2007 – ce qui est d’ailleurs une forme de responsabilité, puisque vous êtes sûrs d’être aux affaires durant cette période ! Mais le débat, à tout le moins, aurait dû porter au-delà, tout comme il aurait pu transcender les appartenances politique pour aboutir à un projet largement consensuel.

M. Alain Claeys. Bien sûr !

M. Pierre Cohen. Lors de la discussion des deux derniers budgets, nous vous avions déjà mis en garde sur le « vrai-faux milliard » que vous ajoutez et qui, pour plus d’un tiers – environ 360 millions – correspond au crédit d’impôt recherche.

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Et alors ?

M. Pierre Cohen. Voilà des années que nous demandons un rapport très précis sur l’utilisation de ces crédits impôt-recherche.

M. Alain Claeys. C’est vrai !

M. Pierre Cohen. Qui ici peut dire comment le produit de cette défiscalisation sera utilisé dans les quatre années qui viennent ?

M. Alain Claeys. Personne !

M. Pierre Cohen. On ne sait déjà pas aujourd’hui si les 360 millions sont réellement utilisés. Comment saurons-nous, à plus forte raison, que chaque année 360 millions seront rajoutés ? Outre qu’il est impossible d’éviter les effets d’aubaine, nous ne voyons pas dans ces crédits impôt recherche le levier susceptible d’encourager l’engagement, dont nous déplorons l’insuffisance, du privé dans l’effort de recherche.

Heureusement, l’amendement Dubernard, que nous soutenons tous, évite d’en rester à une simple déclaration d’intention. En introduisant, en plus du tableau, la notion de budget à euro constant, il assure au moins 2 % sur les 10 % nécessaires chaque année pour arriver à 3 % du PIB consacrés à la recherche en 2010, comme nous nous y sommes engagés à Lisbonne. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Pour atteindre ces 3 %, vous le savez, en dehors du crédit impôt recherche, qui devrait selon nous aller pour plus de la moitié aux laboratoires et aux organismes universitaires, vous ne pouvez pas faire autrement que d’augmenter le budget de 10 % chaque année jusqu’en 2010. Il ne s’agit pas d’une question de volonté politique, mais de simple arithmétique. Sinon, nous pouvons affirmer dès aujourd’hui que nous n’y parviendrons pas.

Enfin et surtout, sur le plan financier, je voudrais insister sur une crainte que j’ai déjà évoquée s’agissant du déséquilibre entre l'Agence nationale de la recherche et l’ensemble des organismes et des universités. Vous annoncez, pour l’année 2010, 1,5 milliard pour l’Agence. Or cette masse financière sera, d’après le tableau, bien plus importante que celle qui reviendra à l’ensemble des organismes et des universités, hors salaires. Le risque qui se profile, c’est d’avoir, en 2010, une organisation de la recherche pilotée par le Gouvernement à travers une agence non démocratique, qui ne fonctionnera que sur appels d’offres. Cette année, l’Agence nationale de la recherche a suivi les orientations prises dans les différents organismes. Mais qui dit que, dans les trois ou quatre prochaines années, elle adoptera le même modèle ? Les organismes, qui gèrent leurs laboratoires et leurs personnels, ne pourront financer leurs recherches que par les appels d’offres de l’agence. Dès lors, la recherche sera complètement stérilisée, hormis dans quelques domaines où vous devez « mettre le paquet », les cinq ou six pôles d’excellence dont a parlé M. de Robien.

Enfin, un autre point très important concerne les jeunes doctorants.

M. Alain Claeys. Tout à fait !

M. Pierre Cohen. Des amendements, issus de tous bords, tendent à introduire une réelle reconnaissance des doctorants.

M. Jean-Yves Le Déaut. Elle est insuffisante !

M. Pierre Cohen. On ne peut plus accepter que les allocations de recherche flirtent avec le SMIC.

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Qui les a bloquées ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Cohen. Nous les avons augmentées les deux dernières années. Mais, je reconnais – car le sujet ne souffre pas l’hypocrisie – nos erreurs, dont, d’ailleurs, nous avons fait état. En revanche, de votre côté, vous n’avez rien fait depuis quatre ans, au point qu’aujourd’hui les allocations repassent en dessous du SMIC. N’oubliez pas, monsieur le ministre, que vous gouvernez depuis quatre ans, pas depuis six mois !

Mme Martine David. Cela fait déjà trop longtemps !

M. Pierre Cohen. Il faut donc que la loi fixe ces allocations à une fois et demie le SMIC et qu’elle les indexe sur son augmentation, de manière à maintenir l’écart et à affirmer cette reconnaissance.

M. le président. Votre temps de parole est normalement écoulé, monsieur Cohen. Si vous appréciez M. Hollande et si vous souhaitez qu’il puisse s’exprimer avant le dîner, je vous invite à conclure.

M. Pierre Cohen. Si vous me prenez par les sentiments (Sourires), je vais aller plus vite !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. La discipline !

M. Pierre Cohen. Au-delà de la discipline, le fait que François Hollande défende la question préalable montre l’importance que le Parti socialiste accorde à la recherche et au projet politique qu’elle doit susciter.

M. Pierre-Louis Fagniez. Nous attendons votre conclusion avec impatience !

M. Pierre Cohen. Il est nécessaire que les conventions collectives intègrent la reconnaissance des doctorants. Nous défendrons un amendement pour que cela soit fait dans les six mois. Nous proposons qu’ils aient un CDD pendant la période de la thèse, ouvrant droit à l’indemnisation chômage – car, malheureusement, nous connaissons tous des thésards au chômage – et à la retraite, mais aussi une reconnaissance d’ancienneté pour tout docteur qui serait intégré dans la fonction publique.

En conclusion, ce projet de loi n’est pas à la hauteur des attentes de la communauté scientifique. D’ailleurs, sur le site « Sauvons la recherche », je n’ai dénombré, sur 10 000 réponses individuelles, que 200 favorables. Vous ne pouvez donc pas vous targuer d’être en osmose avec la communauté scientifique ! Ce texte n’insuffle pas non plus la bouffée d’air attendue, avec un pilotage qui peut laisser craindre des réponses à court terme et utilitaristes, mettant l’accent sur les recherches valorisantes et laissant se tarir tous les champs de connaissance pour la société du XXIsiècle. Il ne donne pas les moyens de dynamisation pour faire de la recherche une priorité européenne. Nous avons pourtant su le faire dans d’autres domaines, notamment l’espace, où nous donnons, depuis trente ans, à l’Europe la capacité d’être le porteur de la politique spatiale. Ce projet de loi ne donne pas à la France les moyens de participer à la compétitivité de l’Europe vis-à-vis de pays comme l’Inde, la Chine, les États-Unis ou le Japon. Je suis d’accord avec M. Dubernard sur l’importance de la volonté politique. Mais comment demander plus de moyens sur le budget européen tout en exigeant une PAC maintenue et en limitant les participations des États ?

Monsieur le ministre, pour faire de la France éventuellement la première dans quelques disciplines, vous risquez de la mettre en panne dans cette matière première durable qu’est la connaissance.

M. le président. Veuillez conclure.

M. Pierre Cohen. Améliorer la bougie n’aurait jamais conduit à l’invention de l’électricité ! Je ne sais pas si c’est inconstitutionnel, mais ce projet de loi pourrait bien affaiblir notre rôle historique dans la contribution au savoir, ce qui est pour nous inacceptable. C’est pourquoi j’invite l’Assemblée à voter cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Sur le vote de l'exception d'irrecevabilité, je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. Je salue la compétence de M. Cohen, qui est membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et de la commission des affaires économiques. Il a rejoint temporairement la commission des affaires culturelles, où nous avons pu apprécier le ton de son discours et son honnêteté intellectuelle. Vous avez certes, monsieur Cohen, posé une série de questions pleines de bon sens, mais sans y apporter de réponses. En tout cas, rien dans votre discours ne justifie une exception d’irrecevabilité.

Vous avez utilisé une formule très forte en disant que l’innovation était le fruit de plusieurs intelligences dans le temps – j’ajouterai « dans l’espace », car l’innovation intervient dans plusieurs endroits du monde en même temps, sans forcément que les gens se soient concertés. Elle est aussi, avez-vous dit, le fruit de la liberté. Je suis tout à fait d’accord. Ce texte apporte précisément beaucoup de liberté, et je vous renvoie à mon intervention.

Vous avez critiqué le Haut conseil, mais souvenez-vous de ce qui s’est passé au début des années 60, lorsque le général de Gaulle a mis en place ce comité des sages – toutes personnalités de qualité – qui éclairait le Président de la République et faisait fonctionner la DGRST. Vous avez cité la recherche spatiale. Ne disait-on pas à l’époque que ce n’était pas de la vraie recherche ? L’importance de la recherche nucléaire était également contestée. Si la France n’avait pas pris ces orientations, où en serions-nous aujourd’hui en matière d’énergie ?

Je vous rappelle qu’avant que l’on ne crée, en 1939, le CNRS existait une Caisse nationale de la recherche, qui était une agence de moyens, comme l’ANR. C’est peut-être parce qu’à la Libération les universitaires ont pris des positions très tranchées et décrété que la vraie connaissance n’était pas la connaissance appliquée – alors que nous savons bien que recherche fondamentale et appliquée sont inséparables – que le CNRS a dévié et qu’il est nécessaire d’en revenir à une agence de moyens. Cette année, 30 % des crédits de l’ANR sont allés au CNRS, en plus des moyens dont celui-ci dispose.

Vous avez posé de vraies questions, monsieur Cohen. Vous vous êtes, en particulier, demandé pourquoi les jeunes se détournaient des matières scientifiques, et en particulier les jeunes filles. Nous n’allons pas imposer la parité en la matière mais c’est effectivement une question à se poser et elle revient sans doute à réfléchir sur la manière dont les sciences sont enseignées actuellement. Cela mériterait un vrai débat mais ce dernier est assez loin du texte, bien qu’il ne faille pas négliger la question des vocations et de l’exode des chercheurs.

Je n’insisterai pas sur la programmation des postes. M. Goulard vous a répondu :…

M. François Brottes. Sa réponse n’est pas satisfaisante !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. …alors que 800 postes seulement ont été créés sous la précédente législature,…

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Même pas, annoncés simplement !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. … nous en prévoyons 3 000 d’un coup. Voilà une démarche qui a du sens ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Le Garrec. Mais non !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. Si ! Des postes nets !

M. François Brottes. M. Goulard est un magicien !

Mme Martine David. Mais la magie des mots ne suffira pas !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. Pour être franc, sur la programmation financière, nous étions tous d’accord. Le Sénat comme la commission l’ont adoptée à l’unanimité. Mais nous nous heurtons, d’une part, au fameux article 40 et, d’autre part, à la proximité des élections de 2007 qui annoncent des changements.

M. Jean Le Garrec. Changez de gouvernement !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. C’est une réponse qui m’a été faite. Cela étant, je suis d’accord avec M. Cohen sur ce thème, et je l’ai toujours dit.

Mme Martine David. Vous allez voter l’exception d’irrecevabilité, alors !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. Pour terminer, je ferai remarquer, comme M. Cohen l’a souligné à plusieurs reprises, que nous aurions pu, sur un thème de cette importance pour l’avenir du pays, de son économie et de son emploi et pour l’avenir de la société et de la santé de nos concitoyens, obtenir un certain consensus.

M. Jean-Louis Idiart. Vous parlez toujours de consensus !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. Il aurait suffi d’un petit pas de part et d’autre – et je suis sûr que le Gouvernement y était prêt –, et nous aurions pu donner une autre image de la politique.

Il ressort de votre discours que nous n’étions pas si loin les uns des autres. Je regrette que des postures politiques nous éloignent et réduisent cet espoir de consensus à un beau rêve, à une bulle qui éclate dans le ciel de la recherche.

M. Jean Le Garrec. Ce ne sont pas des postures politiques !

M. le président. Nous en venons aux explications de vote sur l’exception d’irrecevabilité.

La parole est à M. Pierre Albertini, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Pierre Albertini. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt l’exposé de Pierre Cohen et j’ai noté un hiatus entre, d’une part, la qualité de ses observations et la problématique qu’il a posée et, d’autre part, l’absence totale de fondement de sa motion, censée démontrer qu’il n’y a pas lieu à débattre. Le juriste que je suis ne peut en effet, par déformation professionnelle, oublier quel est l’objet d’une motion d’irrecevabilité.

Si nous vous suivions, monsieur Cohen, nous nous retrouverions dans une situation quelque peu surréaliste : alors qu’il est urgent, vous le reconnaissez vous-même, de soutenir un effort plus important en matière de recherche, il n’y aurait plus lieu, après la discussion au Sénat, d’en débattre ce soir dans cet hémicycle.

M. Pierre Cohen. Ce n’est pas une bonne loi !

M. Pierre Albertini. Vous avouerez qu’il y a là un paradoxe. Vous semblez aimer les thèses contradictoires. Je vous en laisse la responsabilité.

Il y a d’autant plus lieu à délibérer que ce projet – le rapporteur du Conseil économique et social l’a souligné avant moi – est un premier pas. Il devra être suivi de beaucoup d’autres mais il n’en reste pas moins que c’est un premier pas.

Parmi les puissances, la France occupe actuellement une place moyenne en matière de recherche, notamment parce qu’elle a laissé se dégrader son enseignement supérieur. Depuis trente ans, elle a arbitré, au-delà sans doute du raisonnable, en faveur du collège et du lycée, laissant le rayonnement de son enseignement supérieur se ternir. Or, plus de la moitié de la recherche s’effectue aujourd’hui au sein d’équipes universitaires, en association ou non avec les grands organismes.

C’est un premier pas, et il en faudra beaucoup d’autres.

Si la programmation du projet de loi est respectée, 27 % de crédits supplémentaires seront alloués en six ans. Mais nous partons de loin et c’est donc à l’échelle de notre retard qu’il faut apprécier le projet en discussion.

Je ferai trois observations.

Premièrement, vous dénoncez une certaine complexité dans le dispositif institutionnel mis en place par le projet de loi. Tout le monde convient pourtant que l’évaluation doit être améliorée, même si les chercheurs savent eux-mêmes à peu près où ils se situent les uns par rapport aux autres. En revanche, nous ignorons quelle sera la part respective des crédits accordés aux grands organismes – dont nous avons besoin –, aux jeunes équipes universitaires – gisements de créativité et instigateurs du progrès des connaissances – et aux projets individuels. On nous assure qu’un équilibre sera établi mais rien ne permet de le savoir à l’avance ni de le garantir en l’état actuel du texte.

Deuxièmement, l’effort des entreprises privées en matière de recherche est notoirement insuffisant. Si nous sommes loin de l’objectif de Lisbonne, c’est notamment parce que la recherche-développement dans les entreprises privées n’a cessé de se dégrader. Cela a des répercussions sur la qualité de nos produits et notre capacité d’innovation et le déficit de notre balance commerciale trouve là sa raison principale.

Enfin, j’estime que l’encouragement donné aux jeunes chercheurs est insuffisant : une allocation de 1 400 euros bruts par mois représente à peine le niveau du SMIC.

Nous avons encore beaucoup d’efforts à faire. C’est pourquoi il est urgent de débattre, même si nous considérons qu’avec ce texte, nous restons un peu au milieu du gué. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lasbordes, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Pierre Lasbordes. Je ne reviens pas sur l’absence de fondement juridique à la motion d’irrecevabilité. J’adhère totalement aux propos de M. Albertini à ce sujet.

Quant à l’exposé de M. Cohen sur le projet lui-même, je ne l’ai pas trouvé convaincant. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

En quoi, monsieur Cohen, un collège composé d’experts nommés serait-il moins crédible qu’un collège d’experts élus ?

Vous acceptez les PRES, c’est heureux car c’était une demande forte des états généraux. Mais vous dénigrez les réseaux thématiques, ce qui est dommage car ce sont des pôles d’excellence. Nous ne devons pas avoir honte d’avoir des chercheurs excellents ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous n’avons jamais rien dit de tel !

M. Pierre Lasbordes. C’est, au contraire, tout à notre honneur.

Vous contestez le fait qu’il s’agisse d’une loi de programmation en vous référant au plan pluriannuel proposé à la hâte en 2001 par la majorité d’alors, qui ne prévoyait pourtant – je suis obligé de le rappeler bien que j’aie conscience que c’est cruel – que 800 postes sur dix ans pour la recherche publique.

M. Jean-Yves Le Déaut. 800 postes par an !

M. Pierre Lasbordes. Non, pas par an ! Je tire ce nombre du texte même de M. Schwartzenberg que je peux vous communiquer.

Pour notre part, nous proposons 3 000 postes, dont 1 100 pour la recherche et 1 900 pour l’enseignement supérieur. La comparaison est vite faite !

Vous mettez en doute l’impact du crédit d’impôt recherche. Il est vrai qu’il doit faire l’objet d’un rapport, que nous attendons tous, mais nous sommes très contents qu’il incite les entreprises à embaucher des docteurs : d’une part, cela rassure sur la formation dispensée par les filières menant à la soutenance de thèses et, d’autre part, c’est une nécessité puisque le public n’est pas capable d’absorber les 10 000 docteurs qui sortent chaque année des universités.

Enfin, vous critiquez l’ANR. Or la communauté scientifique estime dans son ensemble que cette agence a très bien réussi son démarrage.

En fait, monsieur Cohen, vous êtes très attaché à l’existant Vous êtes trop conservateur. Acceptez le changement. C’est obligatoire pour rester dans la course !

Quant aux allocations de recherche, force est de constater – et les chiffres sont, là encore, cruels pour vous, monsieur Cohen – que, entre 1997 et 2002, elles n’ont pas augmenté alors que, de 2002 à aujourd’hui, elles ont été revalorisées de 30 %. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Martine David. D’où sortent ces chiffres ?

M. Pierre Lasbordes. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP rejettera l’exception d’irrecevabilité. Je regrette que, sur un sujet comme la recherche, nous ne parvenions pas à dépasser les clivages politiques pour trouver un accord. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Cohen. C’est vous qui faites descendre les chercheurs dans la rue !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous nous accordons tous sur le constat dressé lors des états généraux de Grenoble en 2004 : la recherche n’a rien d’une priorité en France à l’heure actuelle et son niveau en 2004 n’était pas bon. À cette occasion, un certain nombre de propositions ont été faites, comme la création d’un Haut conseil de la science et de la technologie ou celle de pôles régionaux de recherche et d’enseignement supérieur. et de recherche. Sur ces derniers, nous étions d’accord. Les chercheurs le demandaient.

Mais, aujourd’hui, nous avons l’impression de nous trouver face à une occasion manquée. Pour remédier aux carences constatées, des efforts doivent être faits. Or ils ne le sont pas. Avec votre projet, vous n’êtes qu’au tiers du gué.

Nous contestons le chiffre avancé par M. Goulard de 800 postes supplémentaires. Roger-Gérard Schwartzenberg reviendra sur la question.

Mais, monsieur le ministre, seriez-vous devenu amnésique ?

M. François Brottes. Complètement !

M. Jean-Yves Le Déaut. Vous oubliez les postes créés par Jack Lang dans les universités. Et vous oubliez également que la première décision prise par le gouvernement Raffarin a été d’en supprimer la programmation.

M. Pierre Cohen. Tout à fait. Il ne faut pas l’oublier !

M. Jean-Yves Le Déaut. En disant cela, je ne cherche pas la polémique. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Avant de vous laisser poursuivre, monsieur Le Déaut, je vous indique que je lèverai la séance à dix-neuf heures trente, car le président Jean-Louis Debré organise une réunion à l’Hôtel de Lassay sur le droit d’auteur dans la société de l’information.

M. Jean-Yves Le Déaut. J’exposerai donc les autres points que je voulais développer dans les explications de vote sur la prochaine motion de procédure.

Les rappels que j’ai faits suffisent à prouver le bien-fondé de l’exception d’irrecevabilité défendue par Pierre Cohen. Notre prochain orateur, François Hollande, va maintenant défendre la question préalable. Avec ce texte sur la recherche, vous êtes au milieu du gué. Il faut encore faire un effort et nous verrons si vous êtes disposés à le faire. Nous voterons donc l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix l'exception d'irrecevabilité.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

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M. le président. Le scrutin est ouvert.

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M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.


Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. François Hollande, pour une durée qui ne peut excéder trente minutes.

M. François Hollande. Monsieur le président, messieurs les ministres, mesdames, messieurs, le sujet dont nous traitons ce soir devrait normalement nous réunir. L’avenir de la recherche, le rôle de la science dans un pays comme le nôtre, l’effort qu’il faut consacrer à favoriser le travail de nos scientifiques, de nos chercheurs, l’avènement de la société de la connaissance devraient nous permettre de dépasser nos clivages ordinaires.

Nous avons pourtant sur bien des points le sentiment que votre texte aurait pu être complété, amélioré, enrichi, prolongé. Nous savons tous, dans le contexte de mondialisation actuelle, que les pays qui consacreront le plus à la recherche, à la connaissance, à l’innovation s’en sortiront. De ce point de vue, ce qui se passe aux États-Unis est une référence, même si, sur bien des points, nous ne considérons pas l’Amérique comme un modèle. Et ce qui se passe en Chine et en Inde devrait tous nous interpeller, tant les investissements d’avenir y sont considérables.

L’Europe est elle aussi consciente qu’elle ne peut pas rester à l’écart de cet enjeu. C’est la raison pour laquelle a été définie, en l’an 2000, ce que l’on a appelé la stratégie de Lisbonne, qui a eu pour effet de mettre au premier rang la société de la connaissance.

Mme Anne-Marie Comparini. C’est totalement en panne !

M. François Hollande. Nous sommes tous inquiets aujourd’hui lorsque nous constatons que le défaut d’investissement dans la recherche est l’une des causes, même si ce n’est pas la seule, du déficit de notre commerce extérieur. Nous avons peu commenté ce chiffre entre nous, peut-être parce qu’il ne participe pas de la vie quotidienne de chacun. Mais le fait de savoir que notre balance commerciale est en déficit de plus de 26 milliards d’euros est plus qu’une inquiétude. C’est un révélateur de l’inadaptation de notre offre productive à la demande internationale qui lui est adressée. C’est pourquoi je crois que la recherche est la première condition de la croissance.

À partir de là, nous n’inventons rien. Au milieu des années cinquante, Pierre Mendès France lui-même, lors du colloque historique de Caen, disait : « Le développement est, au premier chef, affaire politique. »

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche.  Cela a déjà été cité !

M. François Hollande. Le général de Gaulle traduisait quelques années plus tard cette ardente obligation. Aujourd’hui, vous nous présentez finalement un plan, un pacte – je ne sais quoi au juste –, une loi, un programme ou ce qui en tient lieu. Et plutôt qu’un effort clair, nous constatons un saupoudrage de mesures.

Si l’on regarde, au-delà de ce texte, ce qu’a été votre politique depuis 2002 – cela a été abondamment évoqué cet après-midi –, on constate que vous n’avez cessé de décourager la recherche, de réduire les crédits, de démotiver les personnels, encore aujourd’hui mobilisés.

Dois-je rappeler que les organismes publics de recherche ont subi en 2003 des coupes budgétaires, des annulations de crédits sans précédent ? Des projets ont été gelés, des recrutements arrêtés et il a fallu le grand mouvement de 2004 pour qu’il y ait de nouveau cette prise de conscience.

En janvier 2004, le Président de la République considère qu’il faut enfin répondre à la demande des chercheurs et, au-delà des chercheurs, de la communauté scientifique, et, au-delà encore, finalement, de la nation. Mais il nous a fallu attendre près de deux ans pour que cette volonté se traduise par une loi.

Vous avez succombé à cette tentation du « coup par coup », vous avez émietté, vous avez dispersé ce qui devait être en fait une concentration de moyens. Aujourd’hui, nous avons le sentiment, les uns et les autres, au-delà de nos sensibilités politiques, que faute, d’effort suffisant dans la recherche, nous négligeons aussi l’enseignement supérieur.

M. Jean-Yves Le Déaut. C’est vrai !

M. François Hollande. Ne pas avoir lié suffisamment enseignement supérieur et recherche est un des défauts de votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Il est beaucoup évoqué, pas simplement dans des cénacles universitaires ou intellectuels, mais même entre nous, la notion de déclin,…

M. Jean-Yves Le Déaut. En effet !

M. François Hollande. … soit pour s’en inquiéter, soit pour la conjurer.

Mais quand on ne consacre pas suffisamment à la recherche, on entretient le déclin.

Le déclin est inhérent aux choix que l’on fait pour les dépenses d’avenir.

Je veux relever ici la mesure du retard français. Le palmarès affiché par la France en termes d’effort pour la recherche n’est guère flatteur. Nous ne consacrons – cela a été dit – que 2,2 % de notre PIB à la recherche contre 3,7 % en Suède, 3,7 % au Japon et 2,8 % aux États-Unis. Nous comptons 6,5 chercheurs pour mille actifs, contre plus de 9 au Japon, 8 aux États-unis. Quand la France dépose un brevet, l’Allemagne en dépose deux. L’investissement dans la connaissance, c’est-à-dire dans la recherche, le développement, l’enseignement supérieur, les logiciels, est inférieur à celui réalisé en moyenne par les autres pays européens.

Votre projet de loi tient-il compte de cette misère de l’enseignement supérieur ? Prend-il la mesure de l’écart entre les souhaits des chercheurs et la réalité qui est la leur, hélas, budget après budget ?

Nous devons aussi, je crois, prendre la dimension du retard français en matière d’enseignement supérieur. D’après le classement mondial, la première université française n’arrive qu’au quarante-sixième rang. C’est inquiétant, même s’il faut se méfier de classements souvent arbitraires ou artificiels.

Nous constatons un déficit chronique de recherche universitaire en matière de santé publique. Je prends cet exemple car nous sommes aujourd’hui confrontés à des sujets majeurs de santé publique. Le Premier ministre a reçu cet après midi les présidents des groupes parlementaires et les responsables des partis politiques, pour évoquer les questions liées à la grippe aviaire et à l’épidémie de Chikungunya.

Nous avons observé, les uns et les autres, que, finalement, les organismes de recherche ne disposent pas aujourd’hui des outils nécessaires pour lutter contre de tels fléaux.

M. René Dosière. Hélas !

M. François Hollande. Pourtant, le législateur avait décidé, il y a quelques années, la création d’une école des hautes études en santé publique. Où est passée cette école ? Nulle part ! Les décrets n’ont même pas été publiés. Aujourd’hui, nous nous interrogeons sur l’avenir de grands organismes de recherche en matière de santé. Ils doutent eux-mêmes de leur place dans votre projet.

Votre texte a été présenté tardivement, sans véritable concertation avec les chercheurs. C’est une pitié de voir aujourd’hui 1 000 chercheurs manifester, alors qu’ils devraient être dans leurs laboratoires.

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. C’est vrai !

M. François Hollande. Ils mettent en cause un cache-misère. Des pans entiers de l’architecture de la recherche sont ignorés : rien sur les universités, en dehors des pôles d’enseignement et de recherche, dont la finalité reste à préciser ; rien sur l’amélioration de l’attractivité des carrières scientifiques, si ce n’est l’octroi à certains de primes et un vague assouplissement du service des jeunes maîtres de conférence ; rien sur les moyens qui devraient être donnés aux doctorants, si ce n’est une maigre augmentation des allocations, qui resteront en dessous du SMIC.

À court d’idées, vous allez même jusqu’à proposer une mesure donnant la possibilité de postuler à un emploi de professeur des universités sans condition d’ancienneté. Savez-vous qu’aujourd’hui c’est déjà le cas ? Pour beaucoup, vos mesures sont déjà annoncées, ou devraient être mises en œuvre.

Ce que vous osez appeler dans votre projet une programmation de moyens n’est qu’un leurre, une illusion. En effet, si le financement public de la recherche est programmé pour passer de 19,8 milliards d’euros en 2005 à 24 milliards d’euros en 2010, cela ne représente qu’une hausse moyenne de 4 %. Cet après-midi encore, dans un article qui a été évoqué ici, M. Brézin, qui a été, je crois, le maître d’œuvre des assises de la recherche de Grenoble, constatait que les 4 % représentaient 2 % de croissance du PIB, que l’on peut espérer pour les prochaines années, et 2 % d’inflation. Ce qui signifie, en termes d’effort national de recherche une stagnation. Peut-on considérer qu’il y ait là le sursaut nécessaire ? Je sais bien qu’il existe des contraintes budgétaires – vous les connaissez d’ailleurs mieux que moi puisque vous avez renvoyé au-delà de 2007 l’effort qu’il faudrait accomplir. Vieille méthode employée par votre gouvernement qui consiste à légiférer pour autrui ! (Sourires.) On a déjà eu la réforme fiscale, où la baisse des impôts devrait arriver au lendemain des élections présidentielle et législatives, la réduction de l’endettement public après 2007. Maintenant l’effort budgétaire pour la recherche est renvoyé à après 2007.

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. C’est tout le contraire ! On le fait maintenant !

M. François Hollande. C’est d’ailleurs difficilement compatible avec les baisses d’impôt et la maîtrise de l’endettement public.

On doute que les instruments que vous utilisez soient du « vrai argent budgétaire ». Si une part, c’est vrai, relève de la dépense, l’autre résulte des incitations fiscales au travers des crédits d’impôt que vous distribuez.

M. Pierre Cohen. Virtuels !

M. François Hollande. Pour l’essentiel virtuels.

Il y a même les recettes de privatisation que vous espérez. Là, je m’inquiète. Que reste-t-il encore à privatiser ? Pour GDF, c’est fait. Peut-être EDF ? Mais, franchement, si l’on attend de la privatisation d’EDF un progrès pour la recherche, je m’inquiète ! Car, s’il y a un domaine où la recherche doit être stimulée, c’est précisément celui de l’énergie, et notamment des énergies nouvelles.

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Nous le faisons !

M. François Hollande. Votre projet est inquiétant car il ne présente pas de moyens nouveaux. Ses hypothèses ne sont nullement suffisantes. Parmi celles-ci des facilités financières les rendent peu crédibles.

Que dire en plus de votre architecture de recherche ? C’est à n’y rien comprendre ! L’inflation n’est pas budgétaire, mais administrative. Il y a autant d’institutions que d’intentions : une agence nationale de la recherche, une agence nationale de l’innovation industrielle, une agence d’évaluation et de recherche, un Haut conseil de la science et de la technologie et pour faire bon poids, un Conseil supérieur de la recherche et de la technologie. Heureusement que l’on a perdu les références du modèle soviétique, car, à bien des égards, on a le sentiment qu’administrer c’est décider et qu’il y aura bientôt plus de fonctionnaires pour organiser la recherche que de chercheurs.

Et si, derrière tout cela, le Centre national de recherche scientifique était en cause ? Car, ce qui marche – le CNRS – paraît menacé par ce que vous proposez. Nous n’avons toujours pas compris comment avait été gérée la crise récente du CNRS, ni pourquoi vous aviez procédé au limogeage de son directeur général que vous aviez pourtant nommé – si sa nomination était de notre fait, elle aurait pu vous paraître suspecte… –, qui était animé d’une volonté de réforme et qui voulait ouvrir le CNRS à l’Europe. En tout cas, il n’est plus là. Créer une agence de moyens est une bonne idée s’il s’agit de favoriser une synergie entre établissements de recherche et projets de chercheurs. Mais si elle accapare l’essentiel des crédits et exerce un quasi-monopole sur les fonds incitatifs, et donc sur la politique de recherche, les organismes n’auront tout simplement plus leur place.

Votre projet est aussi vide que confus. Il est vide faute de moyens budgétaires et confus parce qu’il maintient une forme d’ambiguïté entre recherche et innovation, comme si l’innovation était la recherche.

M. Jean-Yves Le Déaut. Très bien !

M. François Hollande. L’innovation est utile, nécessaire, elle doit être stimulée. Mais la recherche, c’est d’abord la recherche fondamentale.

M. Jean-Yves Le Déaut. Eh oui !

M. François Hollande. Or c’est celle qui est sacrifiée dans votre projet.

Les pays qui innovent sont précisément ceux qui font un effort de recherche fondamentale. Les États-Unis d’Amérique, pays libéral, font un effort considérable pour la recherche fondamentale,…

M. Jean-Yves Le Déaut. Oui !

M. François Hollande. …qui se diffuse ensuite dans l’ensemble de l’économie.

De la même manière, les Allemands font aujourd’hui un effort pour la recherche fondamentale. Or, votre nouvelle agence pour la recherche ne consacre qu’un tiers de ses crédits à cette recherche fondamentale. On sent bien d’ailleurs, à la lecture de votre projet, que vous n’êtes préoccupé que par la recherche dans les sociétés privés, dans le secteur privé.

Mme Martine David. Cela coûte moins cher à l’État !

M. François Hollande. Je ne nie pas qu’il faille de la recherche privée. Mais pourquoi au détriment de la recherche publique ? Pourquoi avoir effectué ce choix ?

Si l’on soustrait le nucléaire et le militaire de l’effort de recherche fondamentale, on s’aperçoit que la recherche publique n’atteint modestement que 0,6 % du PIB.

Tant qu’il n’y aura pas assez de dirigeants industriels formés à la recherche, tant qu’une certaine méfiance se manifestera dans l’entreprise à l’égard du travail des chercheurs, nous ne parviendrons pas à ce sursaut collectif dont je parlais à l’instant.

Je formulerai quelques propositions. Je crois qu’il faut une réforme de la recherche. Il faut une refonte de notre enseignement supérieur. Convenons, là au moins, de convergences possibles. Faut-il rappeler aujourd’hui que la France dépense moins pour un étudiant que pour un lycéen, qu’elle consacre très peu à son enseignement supérieur – à peine 1 % de sa richesse nationale contre 2,4 % aux États-Unis – et que le choix, implicite ou explicite, est effectué en faveur des grandes écoles contre l’université ?

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. C’est totalement faux !

M. François Hollande. On dépense deux à trois fois plus par étudiant dans une grande école que dans une université. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Pourquoi ? Quels étudiants trouve-t-on dans les grandes écoles ? Souvent les enfants des catégories sociales les plus favorisées !

M. Jean-Claude Lemoine. Et ceux des enseignants !

M. François Hollande. Quel objectif se fixe les familles des classes moyennes ou même supérieures : envoyer leurs enfants dans une grande université ou dans une grande école ?

Que constate-t-on dans les classements internationaux ? Les universités se voient généralement porter à leur crédit de former des ingénieurs et des cadres de bonne qualité. Les grandes écoles françaises ont aujourd’hui un mal considérable à se faire reconnaître sur les scènes européenne et internationale.

À partir de là, nous devons revaloriser considérablement nos universités.

M. René Dosière. Très bien !

M. François Hollande. Deuxième proposition : il faut un grand ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la technologie – cela ne résout rien en soi, mais c’est l’affichage d’une priorité.

M. René Dosière. Et un grand ministre !

M. François Hollande. Il faut mettre un terme à l’éclatement du paysage de la recherche française. Il faut mettre en place un plan d’investissement pour les universités et un autre pour les grands organismes de recherche, et établir des passerelles entre universités et organismes de recherche.

Voilà pour les structures.

Ensuite, s’agissant du financement de la recherche, nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut porter à 3 % du PIB l’effort national à l’horizon 2010. Mais, honnêtement, qui peut croire aujourd’hui que nous atteindrons cet objectif au rythme actuel ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Personne !

M. François Hollande. Même pas vous, compte tenu des calculs que l’on peut faire !

M. Jean Glavany. C’est impossible !

M. François Hollande. Consacrer 3 % de la richesse nationale en faveur de la recherche impliquerait d’augmenter – et c’est une promesse difficile à honorer – de 10 % par an le budget de la recherche. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

L’ensemble des chercheurs le demande. Ou on leur ment et on leur dit qu’on le fera sans augmenter le budget ou on l’assume et on fait les arbitrages en conséquence.

M. Philippe Cochet. Il n’y a qu’à ! Et vous qu’avez-vous fait ?

M. François Hollande. Il est également nécessaire d’augmenter la part de la commande publique, c’est-à-dire la recherche-développement financée par l’État et sous-traitée aux entreprises, et de fournir un effort particulier en faveur des technologies de l’information et de la communication. Nous soutenons les pôles de recherche et d’enseignement supérieur de même que les pôles de compétitivité, mais à la condition de ne pas les multiplier. On compte aujourd’hui autant de pôles de compétitivité que d’élus à l’Assemblée nationale, chacun usant de ses prérogatives, peut-être plus dans la majorité que dans l’opposition ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. C’est abusif !

M. Yves Nicolin. Vous ne savez pas compter, monsieur Hollande !

M. François Hollande. Mais l’alternance y remédiera !

Quel est l’enjeu ? La politique de la recherche, ce n’est pas la politique de l’aménagement du territoire ! Faisons en sorte que la sélectivité des projets soit la règle.

S’agissant des personnels, la recherche doit bénéficier d’une programmation des emplois scientifiques, ce qui manque dans votre projet.

M. Jean-Yves Le Déaut. Eh oui !

M. François Hollande. Nous l’avons cherché, mais nous ne l’avons pas « trouvé » : c’est le cas de le dire !

M. Pierre Albertini. Vous n’avez rien trouvé jusqu’ici !

M. François Hollande. Les emplois scientifiques ne sont pas considérés comme devant relever d’une programmation. Comment dès lors faire croire aux personnels de la recherche qu’ils auront leur place à l’avenir si vous n’affichez pas le nombre d’emplois ? Nous proposons quant à nous de créer 4 500 emplois scientifiques par an et je demande à ce Gouvernement de s’engager à cet égard.

Un statut de doctorant doit être créé avec une allocation mensuelle de 1 500 euros nets, c’est bien le moins si nous voulons mettre fin à la précarité des jeunes chercheurs !

M. Jean-Yves Le Déaut. Oui !

M. François Hollande. Autre proposition que nous aurions pu faire en commun, la reconnaissance du doctorat comme niveau de qualification. Le doctorat doit être reconnu dans les conventions collectives et les administrations.

M. Jean-Yves Le Déaut. Très bien !

M. François Hollande. Les docteurs doivent pouvoir accéder à des postes de cadre et de dirigeant d’entreprise, lesquels, pour l’essentiel, sont issus des grandes écoles. Ils doivent désormais, tout comme les anciens élèves de grandes écoles, pouvoir exercer des fonctions de responsabilité. Or tel n’est pas le cas. Les conventions collectives doivent prévoir l’emploi des doctorants. Je propose donc que le crédit d’impôt recherche soit conditionné à l’emploi de docteurs dans les entreprises.

Mme Martine David. Très bien !

M. Philippe Cochet. C’est un système à la soviétique !

M. François Hollande. C’est ainsi que les crédits d’impôt recherche seront utiles à l’emploi scientifique.

Une réflexion doit s’engager sur le mode de recrutement des enseignants-chercheurs pour éviter une politique de recrutement trop locale, souvent nuisible à la qualité des équipes.

Je terminerai mon propos par trois considérations simples sur lesquelles nous pourrions facilement nous entendre. Premièrement, se posent le problème du recrutement scientifique et celui de l’attractivité des carrières et des filières scientifiques. Trop de jeunes, en effet, se détournent de la science. Un effort de sensibilisation devrait être consenti dès le secondaire et poursuivi dans le supérieur. Nous souffrons d’une insuffisance d’étudiants et de cadres formés aux sciences. Si nous ne prenons pas la dimension de ce problème, il y a à craindre pour l’avenir de notre économie.

Deuxièmement, notre politique nationale doit être liée à celle de l’Europe pour être crédible.

M. Pierre Albertini. Merci Fabius !

M. François Hollande. Votre projet est paradoxal. Vous ne cessez en effet d’affirmer qu’il faut un effort important en faveur de la recherche, mais vous ne prévoyez pas les moyens nécessaires. Si ces moyens avaient été augmentés à l’échelle de l’Europe, nous pourrions dire que ce que nous n’y consacrons pas ici, nous le retrouverons au niveau européen. Il n’en est rien. Or qui est à l’origine d’un budget européen si pauvre en matière de recherche ?

M. Pierre Albertini. Fabius !

M. François Hollande. Dans l’accord budgétaire, on a préféré – et je le dis bien qu’étant un élu rural – sanctuariser l’agriculture au détriment de la recherche. Je ne dis pas qu’il faut réduire les dépenses agricoles. Mais c’est une faute politique que de se préoccuper de ce qui est, en oubliant ce qui sera. Ces deux domaines auraient dû être traités à égalité.

Troisièmement, si nous ne prenons pas conscience de la nécessité de réformer l’enseignement supérieur et de donner la priorité à la recherche, nous ne préparons pas l’avenir. Je crains, messieurs les ministres, qu’au bout du compte, on ait perdu cinq ans, car nous sommes en fin de législature, dois-je le rappeler ? Non seulement vous découvrez la recherche trop tard mais vous ne lui accordez aucun moyen. Espérons que le prochain gouvernement qui sera issu des urnes en 2007 s’engagera véritablement en faveur de la recherche et de l’enseignement supérieur, et donc pour l’avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Philippe Cochet. En tout cas, ce ne seront pas les socialistes !

M. le président. Mes chers collègues, avant de donner la parole à M. le président de la commission des affaires culturelles, je vous rappelle que les explications de vote et le vote sur la question préalable interviendront à la reprise de la prochaine séance. En effet, je lèverai la séance à dix-neuf heures vingt-cinq pour vous permettre d’assister à la table ronde organisée par le président Jean-Louis Debré à l’hôtel de Lassay.

Vous avez la parole, monsieur Dubernard.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. Monsieur Hollande, avec tout le respect que je vous dois, permettez-moi de vous dire que je partage, comme nombre de mes collègues, bien des éléments de votre analyse.

Mme Martine David. Dans ce cas, votez la question préalable !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. Vous avez fait remarquer que nous aurions pu dépasser les clivages politiques traditionnels : nous aurions dû le faire en effet et je l’ai déjà dit à M. Cohen.

Oui, vos références à Pierre Mendès France et au colloque de Caen, au général de Gaulle ont beaucoup de sens ; elles sont également les miennes et j’y ai fait allusion dans mon intervention.

Oui, nous partageons votre constat sur la lisibilité, le classement de Shanghai, et même sur la santé publique.

Oui, les querelles de chiffres n’ont pas beaucoup d’intérêt.

Oui, la réforme de la recherche est nécessaire Oui, il faudra, étape après étape, réformer l’enseignement supérieur.

J’apporterai cependant une seule petite nuance à votre démonstration : lorsque vous dites que l’enseignement supérieur et la recherche ne sont pas suffisamment associés, que faites-vous des PRES ? Il s’agit tout de même de la réunion au niveau régional des universités et des organismes de recherche.

Mme Martine David. Avec quels moyens ?

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. Avec des moyens significatifs.

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. En effet : 300 millions !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. Ce qui n’est pas rien.

Mme Martine David. Ce n’est pas à la hauteur des enjeux !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. Vous vous êtes déclaré favorable aux PRES, monsieur Hollande, on ne peut en effet qu’y être favorable, car ils facilitent les synergies.

Je pourrais relever d’autres motifs d’accord.

Mme Catherine Génisson. Alors, votez la question préalable !

M. Jean Glavany. Joignez-vous à l’opposition, vous serez plus efficace, monsieur Dubernard.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. S’agissant de la distinction entre recherche fondamentale et recherche appliquée, il est bien difficile, monsieur Glavany, de séparer les progrès de la connaissance de l’usage qui en est fait, en l’occurrence l’application. Les deux cheminent ensemble.

Oui, nous sommes d’accord sur la réflexion à mener sur le mode de recrutement des enseignants-chercheurs. Oui, il ne faut pas oublier l’articulation avec l’Europe, M. de Robien, M. Goulard et moi-même avons abordé ce thème dans nos interventions respectives.

Je ne vais pas épiloguer sur les 3 %. Les 3 %, c’est Lisbonne, c’est Barcelone. C’est l’articulation entre la recherche publique et la recherche privée. Oui, nous devons renforcer notre recherche privée en recourant aux moyens que vous avez cités, par exemple, en impliquant les jeunes doctorants dans les entreprises.

En conclusion, j’ai le sentiment que les positions de la majorité et de l’opposition ne diffèrent guère, une fois n’est pas coutume, je le répète. Nous pouvions même espérer, sur un sujet qui engage notre pays pour les trente ans à venir, aboutir à un consensus.

M. François Hollande. Avec quels moyens ?

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ordre dujour
de la prochaine séance

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, n° 2784 rectifié, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, de programme pour la recherche :

Rapport, n° 2888, de M. Jean-Michel Dubernard, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,

Avis, n° 2879, de M. Claude Birraux, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,

Avis, n° 2837, de M. Jean-Michel Fourgous, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)