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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Troisième séance du mardi 28 février 2006

153e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LUC WARSMANN,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

recherche

Suite de la discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d’urgence

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, de programme pour la recherche (nos 2784 rectifié, 2888).

Question préalable (suite)

M. le président. Cet après-midi, l’Assemblée a commencé l’examen de la question préalable.

La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, nous avons tous écouté le discours de M. François Hollande avec beaucoup d’attention. Sur un ton consensuel, il a formulé des souhaits et des propositions que nous pouvons partager, comme l’a dit M. Dubernard, notamment sur les objectifs et la place de la recherche dans la France et l’Europe. Mais certaines de ses affirmations méritent une mise au point.

François Hollande nous a reproché d’oublier l’université. Mais je rappelle que son divorce d’avec le CNRS date de 1982.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, rapporteur. De 1946 !

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dans notre projet de loi, nous nous adossons au contraire aux universités, qui seront au cœur de notre dispositif, en particulier avec les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les fameux PRES. Elles auront un rôle énorme à jouer. D’ailleurs, elles ne s’y sont pas trompées : ce sont elles qui nous ont suggéré cette démarche, qu’elles ont bien souvent engagée avant même que le pacte soit connu. L’un de nos relais me disait lors d’un déjeuner aujourd’hui que beaucoup d’universités étaient en train de réfléchir aux futurs PRES, dans un esprit très volontariste. Les inspecteurs de l’enseignement supérieur m’ont tous affirmé que le projet de loi pour la recherche allait constituer un accélérateur plutôt qu’un frein.

S’agissant du budget, autre point évoqué par M. Hollande, je souligne qu’en 2006, il y aura un milliard d’euros de plus que le milliard de 2005, ce qui fera trois milliards en 2007. Je vous renvoie aux projets de loi de finances pour 2005, 2006 et à celui 2007 où de nouveaux crédits seront votés.

S’agissant enfin des effectifs, il faut se souvenir d’où l’on vient. Vous prévoyiez 800 emplois dans votre plan décennal pour 2001-2010.

M. Pierre Cohen. C’est faux !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Mais non, monsieur Cohen !

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Pour notre part, nous créons 3 000 emplois en 2006. Et là encore, le passé prêche pour le présent et l’avenir : nous avions dit que nous en créerions 1 000 en 2005 et nous en avons créés 1 000 en 2005. Il n’y a donc pas lieu de remettre en cause nos engagements.

Voilà les rectifications que je tenais à apporter en ce début de soirée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Louis Idiart. Elles sont fausses !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche.

M. François Goulard, ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, après M. de Robien, je voudrais relever un certain nombre d’inexactitudes dans les propos de François Hollande, qui est venu brièvement participer à nos débats, en défendant une motion de procédure. Il s’est exposé, ce faisant, à passer à côté de vérités et de données essentielles que, manifestement, il ignore.

Il a, par exemple, stigmatisé l’accumulation de nouvelles structures. Mais dans son énumération, il a cité des structures existantes, qu’il ne connaissait sans doute pas.

M. François Brottes. Et il vous a fallu deux heures pour concocter cette réponse !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Il nous a encore dit que les grandes écoles bénéficiaient d’un financement supérieur à celui des universités. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Cohen. Par étudiant !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Attendez l’exposé des faits !

Sait-il que les écoles d’ingénieurs, qui sont de plus en plus nombreuses à être créées au sein des universités, reçoivent, à l’euro près, les mêmes dotations par étudiant que les grandes écoles, qui relèvent du ministère de l’éducation nationale ?

En affirmant qu’il y avait autant de pôles de compétitivité que de parlementaires, François Hollande s’est montré désagréable. Veut-il contester certains de ces soixante-sept pôles ?

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. C’est trop !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Veut-il signifier que certaines régions ne méritaient pas de tels pôles !

M. Pierre Cohen. Vous les critiquez vous-même !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Moi, je tiens à dire ici que les pôles, toujours soutenus par les collectivités territoriales et les régions, sont justifiés et ont leur intérêt pour le dynamisme régional. Quant à ses allusions sur les élus de la majorité qui auraient été favorisés dans le choix de certains pôles, elles sont tout simplement inadmissibles. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

D’ailleurs, je remarque que, curieusement, les critiques de M. Hollande sur le nombre de pôles de compétitivité rejoignent exactement celles du MEDEF. Cherchez l’erreur ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Idiart. Un libéral attaque le MEDEF, c’est terrible !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. M. Hollande, dans ce qu’il a voulu être un programme pour la recherche française, nous a dit qu’il s’engageait à porter les allocations de recherche à 1 500 euros par mois. Or, grâce aux engagements pris par notre gouvernement, le montant de l’allocation de recherche s’élèvera à un niveau supérieur, le 1er janvier prochain. Mais, manifestement, M. Hollande ne le sait pas.

Enfin, s’agissant de l’embauche des jeunes docteurs dans les entreprises, objectif que nous partageons, je souligne que nous créons le dispositif des contrats d’insertion des post-doctorants pour la recherche en entreprise, après que vous avez adopté le doublement du salaire des jeunes chercheurs dans l’assiette du crédit impôt-recherche, ce qui constitue une incitation très concrète pour les entreprises françaises. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous en venons aux explications de vote sur la question préalable.

Pour le groupe de l’UMP, la parole est à M. Pierre-Louis Fagniez.

M. Pierre-Louis Fagniez. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, monsieur le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche, mes chers collègues, je regrette que M. Hollande ne soit pas là, car je lui aurais dit très clairement que je ne crois pas que sa question préalable figurera dans nos annales comme un moment d’anthologie. J’ai même été obligé de noter sur un papier certaines de ses affirmations. Le président Dubernard, quant à lui, s’est montré très gentil à son égard, mais je le soupçonne de ne l’avoir pas très bien écouté, contrairement aux ministres.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Vous êtes un vrai jésuite !

M. Pierre-Louis Fagniez. Pourtant, son discours a bien commencé : nous pourrions tous nous rejoindre, par-delà les clivages ordinaires, nous a-t-il expliqué. Il nous a ensuite donné une leçon de libéralisme en citant les États-Unis pour modèle. Nous nous sommes alors dit que tout irait très bien. Mais très vite, nous l’avons entendu déplorer des approximations, des injustices, même s’il a relevé deux points positifs – l’augmentation du nombre de doctorants dans les entreprises et l’ANR – avant de nous reprocher d’avoir dévoyé le système.

Toutefois, finalement, il a été particulièrement injuste. Et ça, ce n’est pas bien de la part d’un socialiste ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je peux comprendre qu’il ait été très occupé en fin d’après-midi et qu’il n’ait guère eu le temps de préparer sa question préalable. Il a utilisé des indicateurs, mais en les « castrant », comme dirait le professeur Dubernard, ne retenant que les éléments qui l’intéressaient. Il a cité le chiffre de 6,5 chercheurs pour 1 000 actifs mais sans indiquer la proportion de ceux qui travaillaient pour le secteur public alors que nous sommes parmi les pays où elle est la plus importante.

Il a déploré qu’il n’y ait pas eu de concertation : nous dire ça à nous, nous, qui n’avons cessé d’aller dans les universités ! Puis, il a mis dans la bouche de M. Brézin, que nous avons auditionné, une remarque sur la stagnation budgétaire suivie d’une autre sur l’inflation administrative. Ensuite, il a évoqué l’ANR, mais nous avons bien vu qu’il l’appréciait, cette agence, et qu’il aurait aimé l’avoir créée. Il a aussi prétendu que l’on sacrifiait la recherche fondamentale et le transfert de connaissances. Enfin, il a terminé son propos sur les emplois, commettant une injustice considérable non pas tant à notre endroit qu’à l’égard de M. Jospin, sous le gouvernement duquel l’allocation de recherche a stagné alors que nous l’avons augmentée de 8 % par an.

C’est sur une pirouette qu’il a conclu, promettant de raser gratis : 10 % d’augmentation de crédits par an, pour atteindre les 3 % à l’horizon 2007, auquel il semble tant s’intéresser.

Après cette question préalable, nous avons envie de dire à M. Hollande : « Revoyez votre copie ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Comparini, pour le groupe UDF.


Mme Anne-Marie Comparini
. Si la question préalable est un événement grave qui modifie le cours de l’ordre du jour, rien ne la justifiait dans l’intervention de M. Hollande, qui n’a fait que constater, et nous sommes nombreux à partager cette analyse, qu’après vingt-cinq ans d’un redoutable quasi-immobilisme, le sort de l’enseignement supérieur et de la recherche est devenu un sujet de préoccupation. Sans même se reporter au classement de Shanghai, un simple examen de la situation suffit à révéler combien elle s’est dégradée : locaux vétustes, laboratoires sous-équipés, conditions d’hébergement des étudiants mauvaises, manque de postes, bourses insuffisantes, financement de l’innovation et de la création restreint, méfiance à l’égard des produits de l’innovation. Bref, c’est un fonctionnement d’un autre âge.

Nous avons à l’esprit cet inventaire, hélas incomplet, lorsque nous voyons la fuite des cerveaux, par manque d’attractivité de l’emploi scientifique, ou l’affaiblissement de la compétitivité de nos entreprises, et notamment de nos PME, dû à leur manque d’innovation, par rapport à l’Allemagne par exemple.

Il est urgent de revoir notre système, afin d’accroître son efficacité au profit de la croissance. Chaque année qui s’écoule à ne rien faire nous éloigne un peu plus des pays qui ont su s’adapter en rénovant leur système.

Soyons clairs : notre talon d’Achille n’est pas le manque de talents – nous en avons –, mais l’insuffisance de la recherche publique conjuguée avec une trop faible mobilisation de la recherche privée. On le voit bien lorsque l’on évoque les trois points de PIB nécessaires à la France pour conduire la stratégie de Lisbonne. C’est donc vers le secteur privé que nous devons porter nos efforts.

Certes, le texte est imparfait, mais il revient au Parlement de l’étudier en prenant cette question à bras-le-corps car il faut engager des efforts en matière de recherche et de haute technologie.

Permettez-moi de dire que la recherche est une cause nationale qui ne doit être accaparée, ni par la droite, ni par la gauche. Le groupe UDF espère que les travaux de notre assemblée ne seront pas ignorés car ils constituent l’un des moyens d’approfondir nos réflexions pour renforcer les structures, les rendre plus efficaces et surtout pour encourager les acteurs de l’enseignement supérieur, entreprises et chercheurs, car ce sont eux qui feront en sorte que la recherche qui naît dans les laboratoires se transforme en innovation dans les entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Tout à l’heure, j’ai terminé mon intervention sur un ton consensuel puisque Jean-Michel Dubernard reconnaissait que nous étions d’accord sur le constat.

Mais les interventions du ministre de l’éducation nationale, du ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche, et de M. Fagniez, m’ont donné l’impression d’être au bal des amnésiques. Nous assistons là à une sorte de combat de boxe qui n’a rien à voir avec notre texte et dans lequel on voudrait se satisfaire de ses propres insuffisances.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est un rendez-vous manqué car la situation est mauvaise en matière de recherche. Si François Hollande a cité les États-Unis tout en soulignant que ce n’était pas le modèle qu’il retenait, c’est parce qu’en deux mandats MM. Clinton et Bush ont doublé les crédits du NIH, qui sont passés de 15 à 30 milliards de dollars, considérant qu’un fort potentiel de recherche publique permettra au secteur privé de se développer parallèlement, notamment en matière de défense. Tout le contrôle des technologies clés est basé sur un effort de recherche.

Malheureusement, l’Europe a perdu la bataille des nouvelles technologies de l’information et de la communication et celle des biotechnologies. Demain, après la facture pétrolière, nous seront obligés de payer la facture recherche parce que nous n’avons pas compris que la recherche devait être la première priorité dans un pays moderne.

Monsieur le ministre de l’éducation nationale, vous avez prétendu que François Hollande ne connaissait pas son dossier. Mais je ne résisterai pas au plaisir de vous rappeler que les inspecteurs de l’enseignement supérieur avec lesquels vous avez dit avoir déjeuné ce midi n’existent pas.

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. J’ai parlé des conseillers !

M. Jean-Yves Le Déaut. C’est de l’approximation ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Vous avez évoqué les 800 emplois créés sur dix ans. Mais vous faites rire tout le monde ! Roger-Gérard Schwartzenberg a créé 800 emplois, mais vous oubliez ceux que Jack Lang a créés dans l’enseignement supérieur. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et la loi de programmation de l’emploi scientifique que le gouvernement Raffarin s’est empressé de supprimer.

Vous ne parlez pas de programmation en euros constants. Tout à l’heure, nous examinerons un amendement de Claude Birraux. Nous verrons alors si vous êtes d’accord avec ce que la commission des affaires culturelles et celle des finances ont voté. Si vous n’essayez pas de dissuader nos collègues, nous aurons fait un progrès de 2 milliards d’euros sur quatre ans sur les 10 milliards d’euros supplémentaires qu’il faudrait pour atteindre 3 % du PIB en matière de recherche.

Enfin, il est évident qu’il aurait fallu inclure dans notre débat la place de l’université.

M. Christian Blanc. Très bien !

M. Jean-Yves Le Déaut. Dans notre pays, chacun travaille dans son coin, grandes écoles, organismes de recherche, universités. Comment voulez-vous réorganiser notre système d’enseignement supérieur et de recherche alors que, par peur des étudiants, vous n’osez pas aborder le problème ici ? Et je vois que certains de nos collègues du groupe UMP sont d’accord.

En 1999, Pierre Cohen et moi-même avons présenté un rapport au Premier ministre.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Excellent rapport !

M. Richard Mallié. Qu’a-t-il donné ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous insistions sur la nécessité de se préoccuper du gâchis en cours et nous expliquions que d’ici à dix ans il n’y aurait plus assez de docteurs formés en France et que ceux-ci partaient aux Etats-Unis – je vois l’un de nos collègues qui a travaillé sur les pôles de compétitivité opiner du chef. On n’aura pas su faire ce travail de réflexion et de prospectives au niveau de l’Assemblée nationale : voilà la vérité.

M. Christian Blanc et M. Yves Durand. Très bien !

M. le président. Je vous demande de conclure, monsieur le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. C’est l’ensemble des aspects du texte qu’il faudra discuter : programmation de l’emploi, rôle des universités, jeunes chercheurs, simplification des structures car, au pays de la géologie politique, on aime empiler les textes de loi. Nous verrons, messieurs les ministres, au cours de l’examen des amendements, si le Gouvernement est prêt pour la réforme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Alain Claeys.

M. Alain Claeys. Messieurs les ministres, en janvier 2004 naissait en France un mouvement profond des chercheurs. Si l’on veut être honnête et rétablir les faits, il faut dire que ce mouvement était lié tout simplement à la politique menée par le Gouvernement depuis 2002 et au désengagement des ministres successifs sur le dossier de la recherche, et vous ne pouvez pas le contester. Alors que le Président de la République faisait de la lutte contre le cancer une priorité, certains laboratoires des sciences de la vie voyaient leurs crédits diminuer de 15 à 30 %.

En juin 2004, le Président de la République a pris l’engagement de présenter une loi sur la recherche. Sept cents jours plus tard, nous discutons d’un texte dont l’urgence a été déclarée, après avoir été retardé de quinze jours car le Gouvernement a préféré organiser la précarité à travers le CPE plutôt que discuter de la recherche. Tout un symbole !

M. Yves Durand. Très bien !

M. Alain Claeys. Aujourd’hui, certains grands chercheurs comme Édouard Brézin ou Axel Kahn parlent d’une formidable occasion manquée.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Ce n’est pas ce qu’ils ont dit lorsqu’ils ont été auditionnés par la commission !

M. Alain Claeys. Cet après-midi, nous avons rencontré à l’Assemblée nationale des chercheurs qui manifestaient. Ils nous ont exprimé à la fois leur inquiétude et leur incompréhension. Nous avons discuté avec des jeunes thésards, des jeunes chercheurs qui nous ont expliqué pourquoi votre projet de loi n’apportait pas les réponses qu’ils attendaient.

Messieurs les ministres, nous analysons votre texte dans un contexte inquiétant. Nos concitoyens ont peur du progrès, ils s’interrogent sur l’instrumentalisation de la connaissance et d’une certaine manière sa marchandisation, et je crois que Pierre Cohen et François Hollande l’ont dit clairement. Notre jeunesse hésite à s’engager dans des filières scientifiques et ceux qui l’ont choisie souffrent d’un manque de reconnaissance. La réflexion de François Hollande sur les doctorants était à ce propos tout à fait pertinente.


Pourquoi notre pays est-il l’un des pays occidentaux où il y a le moins de doctorants dans le secteur économique marchand ou dans la fonction publique ? Sa proposition de lier les allégements fiscaux à l’embauche de doctorants était tout à fait judicieuse.

Le mouvement des chercheurs est né de ce que vous n’avez pas voulu faire de la recherche et de l’enseignement supérieur une priorité. Vous aurez beau prétendre ce que vous voulez, engager toutes les polémiques, vous nous pourrez masquer le fait qu’entre 2002 et aujourd’hui, les gouvernements successifs de Jacques Chirac n’ont pas rempli leur mission vis-à-vis de la recherche et de l’enseignement supérieur, qui était pourtant prioritaire. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Examinons maintenant les problèmes qui font débat. La recherche en France s’effectue soit dans les laboratoires universitaires – à hauteur de 80 % –, soit dans les laboratoires mixtes des écoles d’ingénieurs et leurs classes préparatoires, soit enfin dans les organismes de recherche. Un véritable projet de loi aurait dû, avant de créer de nouvelles structures, commencer par réfléchir à ces trois composantes qui rendent d’ores et déjà notre système extrêmement complexe. Il aurait fallu s’attaquer préalablement au problème universitaire. Votre prédécesseur, monsieur de Robien, a tenté en vain de le faire car on ne réforme pas en période de pénurie. Il aurait fallu afficher une dynamique de moyens.

En ce qui concerne la gouvernance des universités, on parle d’autonomie alors qu’elle est déjà inscrite dans la loi. Le problème ne tient d’ailleurs pas tant à l’autonomie qu’à l’articulation entre les universités et les UFR, c’est-à-dire entre l’université et l’ensemble de ses composantes. C’est cela qu’il faut réformer avant de passer à autre chose.

Comment prétendre valoriser les carrières scientifiques, monsieur Goulard, quand la sélection en premier cycle universitaire est fondée essentiellement sur l’échec ? Pour réformer la recherche, encore faut-il se donner les moyens de faciliter le passage du premier cycle et d’éviter les échecs qu’a récemment relevés la Cour des comptes dans un excellent rapport.

La réforme des universités est donc un préalable à celle de la recherche et de l’organisation de l’enseignement supérieur. Vous ne pouvez pas le contester. Si vous ne le faites pas aujourd’hui, c’est simplement parce que vous n’avez pas la confiance de la communauté scientifique.

M. Jean-Yves Le Déaut. Eh oui !

M. Alain Claeys. On ne peut pas réformer l’université sans aborder le problème des classes préparatoires. Vous avez répondu à François Hollande, mais les moyens par étudiant des classes préparatoires sont supérieurs à ceux du premier cycle.

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Ce n’est pas ce que j’ai dit, j’ai parlé des écoles !

M. Alain Claeys. Il faut rétablir la vérité et ce déséquilibre explique le nombre insuffisant de doctorants. Les grandes écoles forment des ingénieurs qui se destinent au secteur économique, essentiellement à des postes de management, et les docteurs restent au bord de la route. Discuter avec les partenaires sociaux pour que les doctorats puissent être reconnus dans les conventions collectives est une bonne proposition.

Au-delà, on aurait pu penser que les moyens seraient au rendez-vous. La démonstration a été faite, et le rapporteur Jean-Michel Dubernard nous a aidés à la faire avec les amendements qu’il a acceptés, que tant la programmation financière que les moyens en personnel ne sont pas à la hauteur. Les chiffres sont connus : 20 milliards en 2005 et 24 milliards en 2010. Avec une hypothèse de croissance de 2 % de la production nationale brute, l’effort de l’État en faveur de la recherche n’augmentera pas. Voilà pourquoi nous sommes en désaccord et pourquoi, comme d’autres formations politiques telles que l’UDF, nous nous sommes solennellement engagés à Grenoble, devant le mouvement « Sauvons la recherche », à consacrer 3 % du PIB à la recherche.

Il en va de même pour le personnel. Vous ne pouvez nier l’effort engagé par les ministres du gouvernement de Lionel Jospin, de même que c’est bien le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin qui a mis un terme à la programmation. Telle est la réalité.

M. Jean-Yves Le Déaut. Eh oui !

M. Alain Claeys. Au-delà des moyens qui ne sont pas tout, j’en conviens, l’organisation que vous voulez mettre en place suscite de notre part une double interrogation, messieurs les ministres : Pourquoi tant de complexité ? Et, combinée avec les moyens financiers que l’on sait, n’y voyez-vous pas une façon détournée de casser ce qui existe ?

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Mais oui, c’est cela...

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Nous sommes pervers...

M. Alain Claeys. Votre projet de loi menace les organismes de recherche ; vous êtes en train de faire une réforme des universités qui va à l’encontre de ce que nous nous cherchons.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Vous entendez, mes chers collègues ?

M. Alain Claeys. Un seul exemple : l’Agence nationale de la recherche. Au bout du compte, qu’est-ce qui fera la différence entre elle et les organismes de recherche ? C’est l’argent que l’État leur consacrera respectivement...

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Qu’il leur consacre déjà. Les chiffres sont là !

M. Alain Claeys. ...et celui qui a l’argent a le pouvoir.

J’ai discuté le week-end dernier avec des chercheurs en sciences de la vie qui ont répondu à des appels d’offre. Ils m’ont expliqué qu’un déséquilibre est en train de se créer entre l’Agence et les organismes de recherche. Il ne faut pas que les crédits de projet se substituent aux crédits récurrents des organismes de recherche...

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Dites franchement que vous êtes contre les agences de moyens !

M. Alain Claeys. ...au point qu’une menace réelle pèse sur un certain nombre d’entre eux.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. 10 % de plus pour le CNRS !

M. Alain Claeys. En ce qui concerne les PRES, vous avez repris une idée de la Conférence des présidents d’université à laquelle s’était ralliée le mouvement « Sauvons la recherche ». Nous n’y sommes pas hostiles a priori, mais nous aimerions savoir quel sera leur mode de gouvernance et de quels moyens financiers ils disposeront. Aujourd’hui, les universités négocient leurs plans quadriennaux et la Direction de l’enseignement supérieur a déjà inscrit les crédits en regard des PRES.

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. C’est faux !

M. Alain Claeys. Nous attendons vos explications et, sans vous faire de procès d’intention, nous voudrions comprendre comment les PRES seront dirigés et comment les moyens financiers seront répartis entre les universités et les coopérations interuniversitaires.

Il y a un autre projet sur lequel nous ne sommes pas d’accord et qui vous gêne, à en juger par les trois noms successifs que vous lui avez donnés : vous avez parlé successivement de « campus », puis de « PRES thématiques », enfin de « réseaux thématiques ». Nous y sommes profondément hostiles car les universités qui ont créé un pôle d’excellence risqueraient de s’en voir privées au profit du réseau thématique.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Mais non !

M. Alain Claeys. Mais si !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Vous déformez la réalité !

M. Alain Claeys. Si telle n’est pas votre intention, monsieur le président, alors pourquoi ne pas raisonner uniquement en termes de PRES ?

S’agissant des pôles de compétitivité, François Hollande a eu raison de les évoquer. Là non plus, on ne comprend pas comment s’articuleront les pôles de compétitivité, les PRES, les réseaux thématiques. Nous avons peut-être l’esprit lent et vous allez devoir nous dispenser une formation continue... Bref, une telle complexité ne se justifie pas.

Dernier sujet de divergence : la création de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. J’aimerais recevoir la garantie qu’il ne s’agira pas d’une usine à gaz et que vous conserverez ce qui marche. Les évaluations faites aujourd’hui par les grands organismes sont pertinentes. Le danger est grand de voir démanteler les structures existantes.

Tout comme les professionnels, nous attendons de l’État qu’il soit stratège en fixant les finalités scientifiques et qu’il accorde de la liberté aux chercheurs. Or nous constatons dès le début de la discussion que l’État ne sait pas où il va. Je prends un exemple que je connais : la bioéthique. Vous avez créé une agence de biomédecine à côté de l’ANR et de l’INSERM. Vous allez vraisemblablement retenir la recherche sur les cellules souches, adultes et embryonnaires, comme priorité. Quelles seront les relations entre ces trois instances ? J’y ai réfléchi, j’en ai discuté et je n’y vois toujours pas très clair.

Mes chers collègues, je termine par l’Europe. Nous avons pris l’engagement de Lisbonne et nous savons où nous en sommes. Comment la France aurait-elle pu rester crédible, lors de la discussion du budget communautaire – il n’est pas question du référendum –, quand le président de la République exigeait, d’une part, un budget à périmètre constant, sans un sou supplémentaire, ainsi que le maintien des politiques actuelles, et affirmait, d’autre part, qu’il fallait assurer l’élargissement et faire davantage pour la recherche ? Une telle attitude ne fait pas la recherche au niveau européen.

J’espère que le débat apportera des éclaircissements. Je souligne que les amendements que nous avons déposés ne sont pas destinés à faire de l’obstruction...

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. C’est vrai !

M. Alain Claeys. Ils ont vocation à éclairer votre position et à mettre en évidence nos différences et, éventuellement, à permettre des avancées. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est Mme Anne-Marie Comparini.


Mme Anne-Marie Comparini
. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous l’avons répété tout au long de l’après-midi : l’université et la recherche sont les moteurs non seulement du progrès de la connaissance mais également de la compétitivité de nos entreprises par la création de produits et de services nouveaux, ce qui explique l’attention que le groupe UDF porte au texte qui nous est présenté aujourd'hui. Mais il a été également rappelé cet après-midi qu’en France, depuis les grandes politiques lancées en 1958, l’effort public ne s’est pas renouvelé. Cinquante ans plus tard, le constat est alarmant : la recherche privée reste parmi les plus faibles des pays développés et la recherche publique souffre de l’absence de programmation financière, d’une rigidité excessive et d’une mauvaise articulation avec les entreprises.

Il convient donc de se féliciter que la recherche, en 2003 et en 2004, soit revenue au premier rang de l’actualité, que la France ait pris conscience des faiblesses de son système national et que, ayant tiré des enseignements de l'apport positif et indiscutable de la recherche et de l'enseignement supérieur dans tous les pays développés, elle souhaite réformer son système. Le projet de loi s’inscrit dans ce cadre. Il contient des aspects positifs : le renforcement des organes de pilotage et d’évaluation afin de dégager des priorités, le développement des coopérations entre la recherche publique et la recherche privée en vue d’éviter un trop grand cloisonnement, une revalorisation des emplois scientifiques et, enfin, un accroissement de l'effort financier de l'État pour se mettre à la hauteur des enjeux. Mais, notons-le également – il s'agit moins de dénoncer les insuffisances du texte que de favoriser et d'encourager les évolutions positives –, le projet de loi reste sur certains principes en deçà des attentes.

La première d’entre elles est la responsabilisation des acteurs majeurs de l’innovation : il faut leur faire confiance pour recréer avec eux un lien fort. N'est ce pas d'ailleurs – vous l’avez rappelé cet après-midi, monsieur le ministre – votre intention, puisque vous insérez cette loi dans un pacte ? Or, qui dit pacte, dit confiance partagée. La meilleure manière de convaincre de votre volonté est d'avoir des règles précises, dont la première doit être de garantir la liberté et l'indépendance des organes de pilotage et d'évaluation, puisque les choix stratégiques devront être, par la suite et dans la durée, conduits ensemble. Mais votre projet reste trop flou en la matière : le débat parlementaire devra donc préciser les critères de composition de ces organes, les modalités de désignation de leurs membres et leur articulation avec les autres institutions. Un tel travail de précision est nécessaire, me semble-t-il, si l'on veut que les logiques d'excellence, de performance et de résultat, qui ont inspiré la création de ces organes, soient intégrées et acceptées par tous.

La seconde règle est de proposer une architecture simple et lisible. Les nombreuses structures nouvelles se superposent à un système déjà fort complexe. Chacune devrait avoir un rôle précis afin que, loin de se neutraliser, elles se complètent en vue de faire évoluer les méthodes de gestion. Ne tournons pas autour du sujet : l’ANR peut aider les équipes scientifiques à sortir du mode archaïque d'affectation de crédits, qui les oblige, au détriment de leurs travaux, à passer trop de temps à chercher des moyens. Mais il faudra clairement définir ses missions et la répartition financière entre priorités nationales, projets blancs hors domaines prioritaires, PRES et réseaux de recherche et d’innovation technologiques. Je répète ici ce que le président Dubernard et nous-mêmes avions dit à M. Breton lorsque celui a évoqué en juin dernier l’AII : il n’y a jamais eu trop de dialogue sur les missions respectives de l’AII et de l’ANR. L’actuel débat parlementaire devrait permettre de le poursuivre.

La deuxième attente est de redonner aux jeunes l'envie de s'engager dans les carrières scientifiques. Cela passe – chacun le reconnaîtra – par une rémunération digne de ce nom et par de vrais parcours diversifiés et évolutifs, qui sont des composantes importantes de l'attractivité de la recherche. Elles font aujourd'hui défaut – chacun est bien obligé de le reconnaître.

Or, si le projet de loi fait des propositions en ce sens, la relance de la politique de ressources humaines n'est pas assez vigoureuse et il reste encore beaucoup à faire pour diminuer le nombre excessif de situations administratives et pour faciliter la mobilité des chercheurs vers le privé ou vers d'autres secteurs publics.

La France, d’ici peu de temps, n'échappera d’ailleurs pas à l'examen d'un nouveau statut. M. Ailleret, dans son rapport, l’a fort bien souligné et il suffit de réfléchir aux mesures à prendre en matière de revalorisation des carrières pour s’en rendre compte. Les avantages d'une telle évolution pourraient être nombreux. Elle permettrait une plus grande souplesse dans la maîtrise du temps, ainsi que l'alternance ou la concomitance des activités de recherche, de formation et d'animation des équipes, ce qui, tout en étant conforme à la charte européenne du chercheur, éviterait que ne coexistent pour la même activité tant de rémunérations et de contrats différents. Là encore, le besoin d’un statut unique se fait sentir.

La troisième attente concerne notre capacité à soutenir non seulement la création d'entreprise mais aussi et surtout le développement des PME, qu'il faut aider à grandir. Si les grands groupes investissent dans la recherche et le développement presque autant que leurs concurrents internationaux, les PME, qui sont un formidable réservoir de créativité et de création d'emplois, ne sont pas suffisamment présentes dans l'innovation.

M. François Rochebloine. Absolument !

Mme Anne-Marie Comparini. La création des fonds et celle d’OSEO Anvar ainsi que les mesures fiscales vont dans le bons sens, mais l’ensemble est bridé et manque d'ampleur. C’est pourquoi, comme l'un des problèmes de la croissance française est de développer, dans les PME, la compétitivité de type qualitatif, moins fragile que la compétitivité-prix, le débat parlementaire ne pourra éluder la position du Gouvernement sur l’accès, nécessaire, des PME aux pôles de compétitivité et aux crédits de l'AII et plus généralement sur la mise en place d'un plan cohérent, de type SBA, avec son volet SBIR, adapté aux spécificités des petites et moyennes entreprises.

D’autres enjeux sont délaissés : il convient d’autant moins de les ignorer qu’il en ressort un projet sous dimensionné, qui laisse notre système national en retrait de ceux qui fonctionnent dans les sociétés performantes. D’autres l’ont dit avant moi.

Ainsi l'Université, dont les mutations et celles de sa gouvernance sont renvoyées à plus tard, est la grande oubliée du texte : la France est le seul pays où la recherche et la formation supérieure ne sont pas réunifiées, alors que 80 % des capacités de recherche sont implantées au sein de nos universités. Je peux comprendre – je l’ai dit aux chercheurs que j’ai rencontrés cet après-midi – qu'il ne soit pas possible, du jour au lendemain, de les transformer en centres d'application du triptyque vertueux recherche-formation-innovation, qui se pratique pourtant dans tous les pays, mais je regrette, monsieur le ministre, que vous n'ayez pas saisi l'occasion de la création des PRES pour lancer cette dynamique de gouvernance, ne serait-ce qu'à titre expérimental. L'État aurait pu ainsi échapper à sa tradition jacobine qui réduit les capacités d'adaptation. Je m’empresse d’ajouter aussitôt que cette proposition n'est pas le fruit d'un libéralisme échevelé. Elle n'aurait fait que prolonger le contrat quadriennal des universités qui intègre les projets des deux missions, d’autant plus que l'introduction, demain, des masters recherche conduira à ce rapprochement. Alors plutôt que de le subir, choisissons de l’organiser !

Cette fameuse – devrais-je dire fâcheuse ? – tradition jacobine explique sans doute également l'absence remarquée d'articulation de votre projet avec l'Europe, alors qu’une coordination de notre recherche avec elle est impérative. Les stratégies nationales sont trop limitées dans une économie désormais mondialisée. Je sais que vous en avez conscience. Donnons dès aujourd'hui à l'ECR les moyens de son action et repensons la politique européenne en la matière. C'est à ce prix que l'Europe, et donc la France, retrouveront leur rang. Rappelons que les investissements américains sont dix fois plus importants que ceux de l'Europe, que la stratégie de Lisbonne est au point mort et que la Chine et l'Inde ont su mettre les bouchées doubles.

Les collectivités territoriales et, surtout, les régions sont les autres pouvoirs émergents délaissés par le projet de loi. Pourtant le Président de la République avait vu juste lorsqu'il déclarait, le 27 février 2003 à Grenoble, que « pour compléter le soutien de l'État à la recherche et à l'innovation, il doit être fait davantage confiance aux collectivités territoriales. Elles ont montré ici ce dont elles sont capables. » Je vous fais grâce des compliments adressés alors par le chef de l’État à la région Rhône-Alpes.

M. François Rochebloine. Au contraire !

Mme Anne-Marie Comparini. Il poursuivait : « Les régions sont les mieux placées pour favoriser l'innovation dans les PME, et d'une manière générale, pour développer les interactions. La décentralisation est une opportunité pour renforcer ce rôle. » Les régions n’ont pas eu cette place dans l’acte II de la décentralisation. Elles sont, aujourd'hui encore, les grandes oubliées de ce texte.

Messieurs les ministres, nous reviendrons sur tous ces points lors de la discussion des amendements déposés par le groupe UDF. Le débat parlementaire est d’une importance capitale car il nous permettra de nous interroger, avec pragmatisme et sans idéologie, à l’exemple de la Finlande et de la Suède, sur les moyens de promouvoir la créativité, l'excellence et l'ouverture de la recherche française. Les autres universités européennes s'y préparent déjà. Nous ne saurions, nous Français, rester à l'écart de ce mouvement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet.


M. Alain Bocquet
.
Messieurs les ministres, ce projet de loi prétend mettre un terme à une bataille de trois ans entre les acteurs de la recherche et votre gouvernement.

En 2003, vos prédécesseurs soutenaient trois objectifs : placer la recherche sous un pilotage gouvernemental plus étroit, donner la priorité absolue à des recherches de court terme et faire réaliser une grande part de la recherche par des emplois précaires. Les personnels se sont alors mobilisés. Ce mouvement a d’ailleurs permis de stopper le processus de destruction et, en avril 2004, le Gouvernement a dû renoncer à la transformation de 550 postes statutaires en CDD, annoncer la création de 3 000 postes et un effort d’un milliard d’euros.

Cette victoire obtenue, il fallait passer de la contestation à la construction. Dans ce but, les états généraux de la recherche, qui se sont tenus à Grenoble en octobre 2004, ont réussi à dégager des propositions. On pouvait espérer, à l’époque, que votre projet de loi en serait la traduction et qu’il relancerait un secteur essentiel à la richesse et au progrès de la France.

Mais, à vous écoutez, monsieur le ministre, vous semblez partir du principe que la recherche française est battue.

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je n’ai pas dit cela.

M. Alain Bocquet. Comment nous comparer avec la Californie ? Que faites-vous pour empêcher l'évasion des cerveaux, des chercheurs que forment notre service public d'enseignement et nos grandes écoles ?

M. Jean-Yves Le Déaut. En effet !

M. Alain Bocquet. Votre texte ne présente aucune avancée sur 2003. Détournant les propositions des états généraux, il est rejeté par la communauté scientifique.

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce n’est pas vrai !

M. Alain Bocquet. Vous prétendez respecter le dialogue mais vous poursuivez votre dessein sans égard pour les élans citoyens, ni pour les instances consultatives.

La création de l'Agence nationale de la recherche en février 2005, huit mois avant la discussion de ce projet de loi, est d’ailleurs un signe de cet état d'esprit. Autre exemple, votre manque d'égard pour les avis souvent convergents du Conseil économique et social et des plus hautes instances de la recherche.

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Le Conseil économique et social est favorable au texte !

M. Alain Bocquet. L'absence de plan pluriannuel fait de ce texte une loi d'orientation plutôt qu'une loi de programmation. Pour tenir ses engagements communautaires décidés à Lisbonne, c'est-à-dire un budget représentant 3 % du PIB, la France devrait dépenser pour la science et la technologie 57 milliards d'euros d'ici à la fin de la décennie. On en est bien loin !

Le « pacte » que vous proposez laisse en effet peu de chances d'atteindre ce résultat puisqu’il prévoit que ces 57 milliards sortent pour un tiers des caisses de l'État et pour les deux autres tiers des caisses des entreprises. Autrement dit, il faudrait que les entreprises augmentent leur effort de 70 %, ce qui, en dépit des incitations fiscales prévues, relève d'un pari très hasardeux.

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Les États-Unis ont fait encore mieux !

M. Alain Bocquet. Ce projet ne comprend pas non plus de véritable programmation pluriannuelle de création d'emplois statutaires. S'il confirme la création de 3 000 postes en 2006 « dans les secteurs prioritaires de la politique scientifique », postes supprimés d'un côté, « recréés » de l'autre, et s'il indique que « l'effort sera poursuivi en 2007 », il traduit clairement un refus de s'engager sur un plan pluriannuel de l'emploi statutaire.

En revanche, on constate, à y regarder de plus près, que le choix d'augmenter l'emploi précaire en constitue un élément central.

Cette précarisation gangrène la recherche publique. Cette situation est très préoccupante au regard des problèmes liés à la précarité du statut des personnels en CDD et de la qualité du travail scientifique qui repose sur une capitalisation du savoir, laquelle nécessite bien évidemment la stabilité de la ressource humaine.

L'Agence nationale de la recherche et l'Agence de l'innovation industrielle misent en fait sur l’élitisme, l'excellence, le rang mondial, pour financer des équipes axées sur des projets à exigence de rentabilité immédiate. Cela participe de la mise en concurrence des laboratoires de recherche et des personnels. Il est à craindre que des pans entiers de la recherche jugés non rentables disparaissent progressivement du paysage scientifique français.

C'est l’Agence nationale de la recherche qui fera la politique scientifique nationale, alors qu'elle est sous contrôle d'un conseil d'administration dont plus de la moitié des membres sont issus de différents ministères, et non de la communauté scientifique : belle illustration du pilotage de la recherche par le Gouvernement. Que deviennent, dès lors, les grands organismes de recherche, en particulier le CNRS ?

Le projet de loi crée l'Agence d'évaluation de la recherche, qui aurait pour mission de rendre l'évaluation des activités de recherche publique systématique, transparente et homogène. En réalité, il n'en sera rien car, aux yeux de la communauté scientifique, la légitimité des évaluations tient au fait qu'elles portent régulièrement sur les unités et les personnes, et dépendent d'instances nationales, seules à même de s'affranchir des intérêts de chapelle. Ces évaluations n'ont de sens que si elles émanent de chercheurs reconnus et élus par leurs pairs.

Après le financement et l'évaluation, le laminage de notre système de recherche produira une organisation qui laissera, à l’évidence, une large part au privé.

Les outils que vous mettez en place, pour, dites-vous, renforcer les coopérations et favoriser le développement de grands campus de recherche, de visibilité internationale, vont en réalité engendrer une concurrence effrénée entre établissements.

Ainsi, les pôles de recherche et d'enseignement supérieur, les PRES, tels qu'ils sont décrits, font redouter une explosion des universités entre collèges universitaires, consacrés aux licences, et les pôles de recherche et d’enseignement supérieur pour les meilleures, avec dans ce cas des personnels aux statuts et avantages très différents. Et les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, articulés aux pôles de compétitivité, conçus sur le modèle concurrentiel, feront le tri au nom des priorités entre les personnels et les projets.

Finalement, ce projet sans ambition de moyens ne respecte aucun des principes énoncés par les états généraux et les organisations syndicales. L'empilement de structures créées ne résoudra pas les difficultés de concertation horizontale intra-publique, ou publique- privée, concertation qu'il fallait encourager à travers les organismes existants plutôt que de créer la concurrence.

Le groupe des député-e-s communistes et républicains a évidemment déposé des amendements. Nous exigeons des moyens financiers et humains à la hauteur des enjeux pour notre pays, dans nos régions, y compris pour compenser des déséquilibres flagrants si j'en juge par le déficit dont souffre par exemple ma région du Nord-Pas-de-Calais qui ne recensait ainsi, fin 2004, que 1,7 % des effectifs globaux du CNRS !

Il faut que les moyens de la recherche passent, non par une agence nationale de la recherche surdimensionnée, mais par l'augmentation des crédits de base des laboratoires, articulée à l'investissement des entreprises dans la recherche.

Les établissements publics doivent conserver les moyens de leur autonomie, les missions de l'ANR devant être limitées par la loi. Nous voulons la programmation d’emplois de titulaires pour offrir aux personnels de l'emploi scientifique, technique et administratif, des carrières gratifiantes. Les doctorants doivent bénéficier d'un véritable statut de salariés.

Nous voulons aussi promouvoir la coopération. Les PRES devraient permettre la promotion entre universités et organismes de recherche, entre laboratoires et équipes, grâce à des structures favorisant l'interdisciplinarité et le lien recherche-enseignement dans tous les cycles.

Il faut aussi libérer les capacités d'initiative. Nous demandons à ce propos que les évaluations des personnes et structures soient articulées et relèvent des instances existantes, toutes restant composées majoritairement d'élus.

Nous réaffirmons l'importance d'une recherche publique. La recherche fait progresser les connaissances au bénéfice de la collectivité et de son avenir. Le service public de recherche doit d'abord tenter de répondre aux demandes sociétales et doit avoir pour objectif non le profit immédiat mais l'intérêt général à long terme.

Comme le soulignaient récemment dans la presse deux éminents directeurs de recherche du CNRS, Francis-André Wollman et Henri Audier : « Nul ne conteste la nécessité de développer la recherche industrielle ou ses interactions avec le secteur public. Le vrai débat porte sur la nécessité, ou pas, d'un soutien renforcé aux recherches dont l'objectif principal est le développement des connaissances, a priori sans souci de leurs retombées. »

Un exemple d'actualité : des chercheurs du secteur public belge sont en train de mettre au point un vaccin contre la grippe qui, contrairement au vaccin actuel valable un an, permettrait d'être protégé pendant dix ans. L'industrie pharmaceutique ne se bouscule pas pour le mettre sur le marché, animée qu'elle est par la recherche de rentabilité financière à court terme.

C'est pourquoi il est important de défendre l'autonomie de la recherche. Une des garanties de cette autonomie est le statut de service public et le recrutement de personnels permanents sur statut public.

Votre projet de loi, monsieur le ministre, porte une conception en contradiction avec celle de la communauté scientifique. Il est à l’opposé de ce qu’attendait le monde de la recherche et de ce dont la France a besoin. Il fait la part belle à la recherche privée ou partenariale, utilitariste et économiquement rentable, au détriment de la recherche fondamentale et d’une recherche publique indépendante au service du bien commun.

Il compromet l'avenir et menace notre pays, qui est encore un des principaux acteurs de la recherche en Europe, dans laquelle il peut jouer un rôle moteur pour une coopération en matière de recherche, ainsi que dans le monde. Notre combat sera donc à la hauteur de ces dangers et de ces enjeux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Bur. Quelle caricature !

M. le président. La parole est à M. Pierre Lasbordes.

M. Pierre Lasbordes. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voici parvenus à un moment décisif d'un long processus dont l'origine se situe, du moins pour sa partie la plus démonstrative, dans la mobilisation inédite des chercheurs durant l'année 2004, révélatrice d'un malaise profond et ancien.

Nous voici parvenus après de nombreux débats et la publication de plusieurs rapports, en particulier celui réalisé par notre collègue Jean-Pierre Door, à l'examen d’un texte très attendu. Très attendu de la communauté scientifique, traversée par une crise de confiance. Très attendu aussi par notre pays, afin de lui permettre de répondre aux exigences d'un monde en pleine mutation, d'un espace maintenant globalisé où la science est devenue l'un des principaux moteurs de la compétition économique.

Cette double attente nous place à la fois dans la nécessité du mouvement et dans l'obligation de maintenir les équilibres, dualité indispensable à laquelle votre projet de loi a su répondre.

Car, disons-le clairement, alors que le monde avait changé, notre recherche était restée en deçà de sa vocation. Prisonnière de règles comptables et tatillonnes, la recherche française n'avait pas la place qu'elle était en droit d'attendre.

Je ne peux reprendre une à une l'ensemble des mesures contenues dans votre texte de loi, qui est bon même s'il est perfectible.

Jean-Marie Lehn a écrit récemment que le projet de loi présenté apportait une véritable « bouffée d'oxygène » et qu'il constituait « un véritable outil d'ouverture et de liberté pour la communauté scientifique ».

M. Claude Gatignol. Très bonne observation !


M. Pierre Lasbordes
. Aussi j'insisterai tout d'abord sur les mesures qui me paraissent converger vers cet objectif commun qui résonne comme un préalable à toutes les entreprises mêmes puissamment réformatrices : redonner la confiance. La recherche doit retrouver la confiance en l'État, mais aussi et surtout, la confiance en elle-même.

Un premier signal fort est lancé à la communauté scientifique, qui rompt avec les habitudes de défiance a priori qui prévalaient. La création du Haut conseil de la Science et de la Technologie auprès du Président de la République, éclairé dans ses choix et dans ses décisions par des personnalités scientifiques incontestables, inscrit durablement la recherche au rang des priorités. Cette nouvelle gouvernance rappelle l'instance qu'avait créée, en son temps et avec le succès que l'on connaît, le général de Gaulle.

La parole de la communauté scientifique sera donc entendue au plus haut niveau. Elle ne lui sera nullement confisquée, comme certains le disent. Cette disposition suffira-t-elle à contenter la volonté du monde socio-économique et associatif de participer à ces débats ? Je n’en suis pas certain.

Un second signal concerne le contrôle financier a posteriori applicable aux EPST, dont il sera nécessaire d'évaluer l'impact. Il consacre cette « culture de confiance » que j'ai appelée de mes vœux à chaque examen budgétaire et constitue l'assise de relations apaisées et durables.

Ces deux mesures, monsieur le ministre, témoignent de la confiance que l'État porte à la communauté scientifique. Bravo.

Mais faire confiance, c'est également faire simple. L'une des principales difficultés que rencontre notre système de recherche tient en effet dans l'obligation qui lui est faite d'assumer des choses qui dépassent les stricts contours des activités de recherche. Réalisation du « génie français », la complexité et la rigidité des procédures administratives sont parvenues à un niveau tel qu'elles ont réussi l'incroyable tour de force de paralyser au quotidien le travail de recherche.

Poursuivant cette logique inavouable, le code des marchés publics en a été la magistrale illustration. Je suis heureux de constater que le Gouvernement, dans son projet, accède à la demande d'exonérer les EPST et les EPSCP de son application pour ses achats scientifiques. J'ajouterai à cet effort important de simplification la mise en place d'un mandataire unique dans les UMR.

Oui, monsieur le Ministre, faire simple est non seulement un moyen d'accroître le temps que le chercheur consacre à la recherche mais également une réponse appropriée aux demandes de la communauté scientifique.

Cette confiance toutefois ne peut se satisfaire d'elle-même. Rien de serait possible sans l'accompagnement de moyens en conséquence. Votre projet, monsieur le ministre, consacre, après plus de deux exercices budgétaires successifs en forte augmentation, un engagement humain et financier de l'État sans précédent, et ce malgré un contexte économique très contraint.

Les moyens financiers de la recherche augmenteront en effet jusqu'à représenter un effort supplémentaire cumulé de 19,4 milliards d'euros pendant les années 2005-2010 par rapport à 2004. Les crédits publics de recherche connaîtront ainsi une augmentation de 27 % ! Nous souhaitons toutefois que ces moyens soient exprimés en euros constants.

M. Claude Birraux, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Très bien !

M. Pierre Lasbordes. Concernant l'évolution des moyens humains de la recherche publique – près de 3 000 postes crées en 2006 –, jamais un Gouvernement n’avait créé autant de postes, et je ne reviendrai pas sur le plan pluriannuel proposé en 2002, qui prévoyait la création de seulement 800 postes, même si l’on y rajoute les emplois dans l’enseignement supérieur.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. C’est inexact !

M. Pierre Lasbordes. Si, c’est exact : 800 postes nets plus 1 100 par an dans le meilleur des cas.

Les recrutements de la recherche publique vont ainsi connaître une forte progression dans les prochaines années, avec un taux de 4,5 %, supérieur au taux moyen de remplacement de 3 %.

Certains auraient souhaité voir figurer dans votre projet un plan pluriannuel de gestion prévisionnelle d'emploi scientifique. Il nous paraît préférable de nous associer à l’amendement adopté en commission, qui précise que sera effectuée une présentation annuelle, par le Gouvernement, d'un état prévisionnel et indicatif sur cinq ans, des recrutements de personnels, statutaires et non statutaires, dans la recherche publique, sans préjuger de la nature des postes.

Au plan des moyens structurels enfin, en pérennisant l'Agence nationale de la Recherche, votre projet de loi permettra à notre pays de se doter d'une grande agence de moyens, véritable outil de la modernité adapté à notre réalité. Espace de liberté, l'agence n'est certainement pas, comme on a voulu le dire, contraire aux projets blancs. Elle générera à l'inverse une recherche fondamentale forte, irriguée très intensément par la base, et non par le haut. Ses premiers résultats sont d’ailleurs très encourageants aux dires de nombreux membres de la communauté scientifique. Toutefois, deux conditions me paraissent essentielles à sa réussite : qu'elle assure une totale transparence sur le choix des projets retenus ou non et qu'elle ne confisque nullement les crédits dédiés aux opérateurs.

Mais, monsieur le ministre, outre les moyens, pour qu'une recherche soit efficace, il faut lui assurer un suivi par une évaluation transparente cohérente et simple. Notre système actuel d'évaluation, bien qu'incomplet, est trop complexe : certaines activités de recherche ne sont pas évaluées, notamment la partie enseignement. Il souffre également d’un manque d'harmonisation et de transparence des procédures, rendues trop complexes par la multiplicité des instances.

Pour combler ces déficiences, votre projet de loi prévoit la mise en place d'une Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, qui évaluera de manière systématique les activités de recherche et qui s'assurera de la cohérence des procédures mises en place. Toutefois, l'évaluation des personnes sera laissée au soin des établissements. Cette évaluation devra bien évidemment s'appuyer sur des critères clairs, être conforme aux pratiques internationalement reconnues et réalisée avec le concours d'experts français et internationaux incontestables, en étroite collaboration avec les opérateurs de recherche. Elle devra avoir comme souci permanent la simplification. Des efforts ont eu lieu ; ils doivent être poursuivis.

Mais ce sont surtout les efforts en direction des jeunes, que je tiens à saluer. Si l'attractivité des carrières ne se décrète pas, elle s'organise. Les formations scientifiques sont en effet au cœur d'une économie fondée sur la connaissance et l'innovation. Mais force est de constater que ces filières ne sont pas suffisamment attractives, faute d’offrir des perspectives de carrière satisfaisantes et diversifiées, faute aussi de procurer, après plus de huit années d'études, une rémunération décente.

Aussi les mesures destinées à favoriser les conditions d'entrée des docteurs dans la carrière scientifique, à permettre aux jeunes maîtres de conférence, lorsque leurs travaux le requièrent, de bénéficier de décharge d'enseignement représentant jusqu'à la moitié du service statutaire, la valorisation de la mobilité internationale et des expériences en entreprises, introduisent-elles une souplesse nécessaire dans un monde en mouvement, La création des bourses Descartes qui permettront à des jeunes enseignants chercheurs, sélectionnés par un jury international, de bénéficier d'un complément de rémunération et d'une décharge de leurs activités d'enseignement va dans le bon sens.

Tout ceci cependant ne doit pas occulter l'effort réalisé sur les allocations de recherche. Grâce à la poursuite de la politique menée depuis 2002 sur la revalorisation des allocations, leur montant a été accru de 30 %… quand il n’avait progressé que de 0 % entre 1997 et 2002.

M. Claude Birraux, rapporteur pour avis. Eh oui !

M. Pierre Lasbordes. Je souhaite pour ma part que ce montant puisse atteindre, au minimum, 1,5 % du SMIC d'ici à 2010. Et il est impératif de solder une fois pour toutes les libéralités, à une brève échéance.

Mais ces formations ne seront réellement attractives que si elles débouchent sur des perspectives claires et lisibles en termes de recrutement et d'emploi, dans le secteur public ou privé, tenant compte des besoins de la recherche et de l'économie.

Le véritable enjeu est donc de donner aux diplômes des docteurs français une valeur incontestable dans le concert européen, dans la logique de la réforme LMD. Il est impératif de favoriser le rapprochement entre les formations doctorales et le monde de l'entreprise, afin de donner une forte impulsion à l'insertion des doctorants, post-doc et docteurs dans les entreprises.

N'est il pas opportun de mobiliser, monsieur le ministre, toutes nos énergies pour se rapprocher du monde de l'entreprise, que les formations dispensées dans les écoles doctorales soient enfin appréciées à leur juste valeur, afin qu'à terme l'embauche des docteurs puisse être favorisée, comme l'est celle des ingénieurs ? Il est d'ailleurs souhaitable que l'option « thèse » soit fortement encouragée dans les grandes écoles d'ingénieurs.

Trop longtemps aussi, la recherche est restée cloisonnée, divisée entre le monde académique et le monde économique, divisée en son sein entre recherche publique et privée, entre recherche fondamentale et appliquée.

Votre texte, monsieur le ministre, consacre cette volonté de tisser des liens plus forts entre toutes les facettes de la recherche et notamment d'intensifier la recherche privée, actuellement en déficit, en nombre de chercheurs et par ses dépenses. Les PME et les jeunes entreprises innovantes, les grands programmes technologiques et les partenariats entre recherche publique et privée constituent, vous avez raison, les principaux leviers sur lesquels l'effort de la Nation doit peser pour parvenir à inverser cette tendance. Votre projet de loi y répond.

Pour conclure, je voudrai insister sur les collaborations entre les acteurs de la recherche publique et l'université notamment. Le Gouvernement a su mobiliser avec succès les acteurs scientifiques – universités, organismes, entreprises – dans le cadre des pôles de compétitivité sur des thématiques définies.

C'est dans cet esprit que votre projet de loi a crée les PRES – pôles pluridisciplinaires de recherche et d'enseignement supérieur – à forte visibilité internationale. C'était une demande de la communauté scientifique : elle est exaucée. Cette structure n'est cependant pas suffisante. Elle doit être complétée par les « Réseaux thématiques de recherche avancée », des pôles d'excellence thématique pour faire simple. Cette démarche existait déjà mais sans cadre juridique réel. D'ores et déjà, de nombreux RTRA se sont positionnés.

Monsieur le ministre, l'ambition pour la recherche française se mesure dans la durée. Cette loi de programme va permettre à notre recherche d'être au rendez-vous des enjeux économiques et sociaux de ce XXIe siècle naissant.

Il ne faut cependant pas imaginer que seul un projet de loi suffise pour tout résoudre. Il s'agit d'une étape, une étape décisive, à laquelle je suis, au nom du groupe UMP, heureux de participer et d'apporter un vote favorable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le ministre de l’éducation nationale et de la recherche, vous êtes le troisième à être passé rue de Grenelle depuis mai 2002 ; monsieur le ministre délégué à la recherche, vous êtes le quatrième à vous trouver rue Descartes depuis cette même époque. Il serait donc inopportun et illégitime de vous imputer les erreurs ou les lenteurs de vos prédécesseurs.

Toutefois, il faut bien le constater : depuis 2002 et le changement de majorité, le Gouvernement n'a cessé de faire perdre du temps à la recherche française, et ce de deux manières successives.

Dans un premier temps, de 2002 à 2004, le Gouvernement a fait prendre beaucoup de retard à la recherche en sacrifiant ses crédits et ses emplois, en la traitant en parente pauvre, réduite à la portion congrue. Chute des crédits et baisse des emplois, telle fut la marque de cette première période.

Le premier budget voté par votre majorité – celui de 2003 – a supprimé 150 emplois de chercheurs statutaires et a réduit les crédits de la recherche, qui, en outre, ont subi deux annulations successives. Par leur effet cumulé, ces décisions ont provoqué une baisse de l'ordre de 30 % des moyens de fonctionnement (hors salaires) des organismes de recherche.

Condamnés à l'asphyxie financière, les laboratoires ont connu de très graves difficultés. Beaucoup ont dû annuler ou interrompre des projets de recherche. Bref, la recherche française s'est retrouvée en panne.

La loi de finances initiale pour 2004 a essayé de supprimer 550 emplois statutaires, remplacés par des contractuels recrutés sur des CDD de 3 à 5 ans, c'est-à-dire par des « intermittents de la recherche ». Cette suppression de 550 emplois statutaires a finalement été annulée grâce au mouvement de protestation des chercheurs – auxquels je tiens à rendre hommage – qui se sont mobilisés contre ces coupes claires dans les budgets et les emplois scientifiques. En effet, on ne peut rien bâtir de solide avec des laboratoires paupérisés et des chercheurs précarisés.

Dans un second temps, face à ce mouvement, changement d'attitude : le 6 janvier 2004, le chef de l’Etat annonce une loi de programmation de la recherche et son adoption avant le fin 2004.

On attendait une réforme TGV, ce fut une réforme-tortillard. Nous voici donc fin février 2006. Il vous aura donc fallu deux ans pour soumettre aux députés le projet de loi annoncé avec solennité dès janvier 2004. En fait, le gouvernement n'a cessé d'accumuler délais et retards dans l'élaboration de ce texte, qui n'était manifestement pas sa priorité. Il est allé de report en report, d'ajournement en ajournement, d'atermoiement en atermoiement. En janvier 2004, le Président de la République parlait d'une adoption avant la fin 2004. Or ce projet de loi n'a été soumis au conseil des ministres que le 23 novembre 2005. Résultat : nous débattons de ce texte, annoncé au nouvel an 2004, le jour du mardi gras 2006 : 780 jours plus tard !

Désormais, nous constatons un nouveau paradoxe. Le Gouvernement a fait preuve d'inertie, puis de lenteur, transformant l'élaboration de ce texte en « longue marche ». Maintenant, il somme les parlementaires de délibérer, eux, dans la précipitation, en déclarant l'urgence. Ce qui prive les élus du temps nécessaire à un examen attentif et minutieux de ce projet de loi, alors qu'une navette aurait été très utile pour améliorer un texte qui porte sur des enjeux aussi importants.

Ainsi, après avoir interminablement fait traîner en longueur la rédaction de ce projet de loi, le Gouvernement contraint les parlementaires à l'examiner dans la hâte et à le voter au pas de course. Ce choix de la procédure d'urgence traduit un certain manque de considération pour la recherche, qui méritait mieux que cette procédure expéditive, succédant à une longue inertie.

Il y a mieux ou plutôt pire. Il nous faut non seulement voter à la sauvette, mais encore délibérer en catimini. Car vous cherchez à escamoter le débat sur cette loi de programme pour la recherche. En effet, vous avez choisi de soumettre ce texte d'abord au Sénat – ce qui est inhabituel, quel que soit le respect inextinguible qu’ont tous les députés pour la Haute Assemblée – et, de surcroît, de le faire statuer le 21 décembre dernier, à quelques jours de Noël, en plein période de fêtes. Il n'était pas très convenable de mettre ainsi à profit la « trêve des confiseurs » pour assurer le moins de publicité possible à ce débat.


Enfin, vous voici devant l’Assemblée, vingt-six mois après l’annonce faite par le Président de la République.

M. Jean-Yves Le Déaut. C’est trop long ! Quelle gestation douloureuse !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Non seulement ce texte est tardif, mais encore il est rétrospectif, puisqu’il englobe l’année 2005, et il n’est pas réellement prospectif puisqu’il refuse de s’engager sur une programmation pluriannuelle des crédits et des postes.

Pourtant – beaucoup l’ont dit, sur tous les bancs d’ailleurs –, la recherche requiert une politique suivie sur plusieurs années. Elle a besoin de temps longs. Elle doit pouvoir s’inscrire dans la durée, ce qui nécessite des engagements financiers souscrits eux aussi dans la durée.

Votre texte, messieurs les ministres, a beau s’intituler « projet de loi de programme pour la recherche », il n’a de programme que le nom. Parler de « loi de programme », comme vous le faites, constitue un abus de langage.

En effet, une loi de programme a pour objet d’inscrire une politique dans la durée en lui affectant des crédits pluriannuels. Certes, les dispositions d’une loi de programme ne sont pas d’application automatique et doivent être reprises par les lois de finances annuelles. Certes, son contenu est moins normatif que celui des autres lois. Mais il y a là un engagement solennel de l’État sur la politique et les crédits à mettre en œuvre pendant toute une période.

Ainsi, la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure et celle pour la justice, promulguées à l’été 2002, s’engagent sur les dépenses à réaliser pendant toute leur durée d’application, c’est-à-dire cinq ans : de 2003 à 2007. La communauté scientifique attendait donc, de votre part, un engagement quinquennal sur les moyens financiers de la recherche. Au lieu de cela, le projet de loi de programme pour la recherche tel qu’il a été déposé par le Gouvernement invente une programmation tronquée, une programmation croupion, qui vaut seulement pour deux petites années : 2006, dont le budget est d’ores et déjà voté, et 2007, année électorale qui contraint aux promesses. On a envie de dire, comme Cyrano : « C’est un peu court. »

Le Gouvernement refusait de se lier pour la suite et se bornait à un simple affichage sans effet contraignant. L’attribution des moyens supplémentaires envisagés pour les années 2008 à 2010 n’aurait été décidée qu'« au vu d’un rapport d’étape présenté par le Gouvernement au Parlement avant le 30 septembre 2007 ». Fort heureusement, le Sénat a amendé cette disposition et supprimé cette clause de conditionnalité.

Toutefois, cet amendement ayant été adopté contre l’avis du ministre, on peut craindre pour son maintien à l’Assemblée nationale. Surtout, quand on relit l’échange que vous avez eu à cet égard avec M. Valade, président de la commission spéciale du Sénat. Alors que celui-ci déclarait : « II faut faire apparaître cette période entière – 2005-2010 – dans le texte de loi et non pas la limiter » – sous-entendu à 2007 –, vous avez répondu, monsieur le ministre délégué à la recherche, : « Nous ne voulons pas aller plus loin pour des raisons budgétaires évidentes. » Si vous persistiez à l’Assemblée dans cette position et si celle-ci était suivie par votre majorité, alors votre programmation financière, interrompue en 2007, ne serait qu’un faux-semblant relevant d’une simple politique d’affichage.

Par ailleurs, il s’agit souvent dans ce projet de loi de moyens en trompe-l’oeil, de caractère aléatoire ou hétérogène, propres à entretenir une certaine illusion. En effet, pour faire impression, le texte additionne pêle-mêle, comme dans un bric-à-brac, crédits budgétaires de la MIRES – mission interministérielle recherche et enseignement supérieur –, ressources extrabudgétaires et avantages fiscaux, chacun de ces trois financements représentant un tiers de l’effort supplémentaire annoncé.

Ainsi, les moyens de l’Agence nationale de la recherche proviennent du compte d’affectation spéciale alimenté par les recettes de privatisations et donc par des ressources extrabudgétaires dont rien ne garantit la pérennité, à moins que vous ayez l’intention de continuer à privatiser à tout va ce qu’il reste d’entreprises publiques françaises. Il est d’ailleurs paradoxal de financer un secteur déclaré « prioritaire » par de telles ressources, c’est-à-dire par des crédits virtuels.

Par ailleurs, le Gouvernement englobe dans les moyens financiers prévus pour la recherche ce qu’il appelle abusivement les « dépenses fiscales », c’est-à-dire le crédit d’impôt recherche et d’autres allégements fiscaux destinés aux entreprises. Bref, il mélange crédits et moindres rentrées fiscales, qui ne peuvent pourtant s’additionner, comme l’a souligné au Sénat M. Fourcade, sénateur et ancien ministre des finances. Inclure ces moindres recettes fiscales dans la dépense publique est un pur artifice comptable, qui vise à gonfler la note pour sembler parvenir à l’effort supplémentaire affiché,

De plus, le montant de ces avantages fiscaux – 1,7 milliard d’euros en 2010 – paraît d’une sincérité douteuse. Pour être effectivement atteint, il dépend en effet de la demande, hypothétique, des entreprises qui peuvent solliciter ou non ces avantages, dont on sait qu’ils n’ont qu’un faible effet incitatif sur leur effort de recherche. La croissance de la recherche privée, traditionnellement faible en France, ne se décrète pas.

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Pourtant, elle est là !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Comptabiliser à cette hauteur le montant de ces allégements fiscaux procède donc d’une prévision irréaliste, voire d’une surestimation volontaire.

Enfin, cette prétendue loi de programme ne comporte aucune programmation des effectifs de la recherche. A la différence des lois de programmation pour la sécurité intérieure et pour la justice, qui comportent l’engagement de créer en cinq ans 13 500 emplois dans la police et la gendarmerie et 10 100 dans la justice et l’administration pénitentiaire. Pourquoi ne pas faire de même pour la recherche ? Celle-ci serait-elle considérée par ce gouvernement comme moins prioritaire que les secteurs que je viens de citer ?

En 2001, j’avais fait adopter, comme ministre de la recherche du gouvernement Jospin, un plan de gestion pluriannuelle de l’emploi scientifique dont je voudrais reparler, car il y a eu des erreurs d’interprétation dont je ne sais pas si elles sont volontaires. Planifiant la création de nouveaux postes, ce plan donnait aux étudiants et doctorants des perspectives claires de recrutement pour les inciter à poursuivre des études scientifiques et éviter à terme une pénurie de chercheurs.

Ce plan pluriannuel pour l’emploi scientifique avait trois objectifs :

Anticiper les départs à la retraite massifs des années 2006-2010 – c’était essentiel –, pour permettre le plus tôt possible aux jeunes chercheurs se trouvant dans des files d’attente ou à l’étranger de s’insérer dans l’appareil de recherche public ;

Rajeunir la recherche publique en permettant enfin aux jeunes docteurs de s’y insérer plus rapidement, au lieu d’être contraints à une longue attente, voire à l’expatriation ;

Renforcer durablement les effectifs de la recherche publique.

Ce plan créait 1 000 emplois supplémentaires de 2001 à 2004, dont 800 auraient été conservés à titre définitif.

Parallèlement à ce plan pour la recherche et les EPST, mon collègue chargé de l’enseignement supérieur, Jack Lang, avait mis en œuvre un plan analogue qui augmentait le nombre d’enseignements-chercheurs et d’ITA dans les universités. L’addition de ces deux plans représentait 1 750 créations nettes d’emplois par an – 1 500 pour le plan de Jack Lang et 250 pour le mien. Il y avait là un double effort de programmation des emplois pour renforcer les effectifs de la recherche.

Mme Haigneré a abandonné ce plan pluriannuel de recrutement et supprimé des emplois statutaires au lieu d’en créer. Cette attitude, qui privait les jeunes chercheurs de perspectives d’avenir, a provoqué le mouvement de protestation des scientifiques. Face à ce mouvement, le pouvoir a déclaré, en 2004, se rallier à une programmation pluriannuelle de l’emploi scientifique.

Ainsi, le 17 mars 2004, le Président de la République adressait une lettre au collectif « Sauvons la recherche », où il déclarait : « La loi d’orientation et de programmation de la recherche... planifiera de manière transparente l’évolution chiffrée des effectifs et des crédits de la recherche... C’est dans ce cadre, et non au coup par coup, que devra être défini, pour toute la durée d’application de la loi, le niveau de recrutement des chercheurs statutaires des établissements publics à caractère scientifique et technique comme des enseignants-chercheurs des universités. »

M. Jean-Yves Le Déaut. Ce sont des promesses !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Promesses auxquelles nous avons naturellement tendance à croire quand elles émanent du Président de la République, sinon qui peut-on croire !

De même, le 28 octobre 2004, à Grenoble, devant les États généraux de la recherche, M. Fillon, alors ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, déclarait : « Je considère qu’il est absolument nécessaire de mettre en place un véritable plan pluriannuel de l’emploi scientifique. »

Une fois de plus, il y a donc contradiction entre les promesses et les décisions, entre les discours et les actes.

Aujourd’hui, malgré ces engagements pris aux plus hauts niveaux de l’État en 2004, vous vous refusez à une programmation de l’emploi scientifique, pourtant réclamée à très juste titre par la communauté scientifique.

Vous connaissez l’appel des représentants de la communauté scientifique aux parlementaires, appel en date du 12 décembre 2005. Cet appel a été signé par la présidente de la CP-CNU, le président de la Conférence des présidents du Comité national de la recherche scientifique, le vice-président de la CNU et les principaux animateurs de « Sauvons la recherche ».

Cet appel déclare : « Sans une politique réellement offensive, la France manquera dans quelques années de chercheurs, d’ingénieurs et d’enseignants-chercheurs. Il faut dès à présent tout mettre en œuvre pour attirer les meilleurs de nos étudiants vers les études doctorales. Pour cela un signal clair doit leur être adressé : il est essentiel que la loi inclue une programmation sur cinq ans de l’emploi statutaire. »

De même, la commission spéciale du Sénat, présidée par M. Valade, le souligne dans son rapport : « II apparaît urgent d’améliorer la gestion prévisionnelle des effectifs – à l’heure actuelle très insuffisante comme la souligné la Cour des comptes dans son récent rapport. Il est donc indispensable qu’une politique d’emploi et de recrutement claire et lisible soit mise en place. »

Vous vous bornez à créer, benoîtement, un « Observatoire de l’emploi scientifique », qui sera chargé d’établir des statistiques et de fournir des prévisions qui pourtant existent déjà en grand nombre.

Dois-je vous rappeler qu’il existe déjà un « Observatoire des sciences et des techniques », qui publie périodiquement des indicateurs et des rapports fournissant toutes les données nécessaires ?

En fait, vous annoncez des observations là où il faudrait des décisions. Au moment où les vocations scientifiques se raréfient, au moment où il faudrait donc renforcer l’attractivité des filières et des carrières scientifiques, cette attitude dilatoire est particulièrement regrettable.

Les étudiants et les doctorants ont besoin de savoir s’il y aura des recrutements, à quels moments et quelle sera leur importance. Cette absence de programmation de l’emploi scientifique constitue un signal très négatif adressé aux étudiants et surtout aux jeunes docteurs qu’elle prive de perspectives d’avenir. Faute d’assurances sur les débouchés offerts dans notre pays, ceux-ci risquent de continuer à s’expatrier.

Ainsi, la France met gracieusement à la disposition d’économies concurrentes des jeunes chercheurs dont elle a assuré et financé la formation, subventionnant ainsi la recherche américaine, britannique ou allemande. Il y a là un gâchis humain et un non-sens économique qui appauvrissent la collectivité nationale.

Certes, le budget 2006 crée 3 000 postes, mais leur présentation est souvent ambiguë, voire trompeuse, comme s’il s’agissait de créer 3 000 postes de chercheurs, ce qui n’est pas le cas.

D’une part, en effet, alors que les plans mis en œuvre par Jack Lang et moi-même les distinguaient, vous additionnez, vous amalgamez les postes de chercheurs dans les organismes de recherche et les postes d’enseignants-chercheurs dans les universités, alors que ces derniers doivent évidemment assurer des tâches d’enseignement et ne peuvent donc pas se consacrer principalement à la recherche.

D’autre part, la moitié de ces 3 000 postes sont des postes d’ingénieurs et de techniciens.

Au total, en 2006, les établissements de recherche bénéficieront de 1 100 postes, ce qui n’est pas négligeable, et non de 3 000. Et, sur ces 1 100 postes, la moitié ne seront pas des postes de chercheurs.

Bref, les EPST verront leurs effectifs de chercheurs s’accroître d’environ 500, ce qui n’est pas négligeable, et non pas de 3 000, comme cela est parfois entendu. Il était grand temps. Je rappelle en effet que le Gouvernement avait supprimé 150 emplois dans le budget 2003 et n’en avait créé aucun dans les budgets 2004 et 2005.

Notre pays doit augmenter sensiblement le nombre de ses scientifiques pour être au niveau des États-Unis et du Japon, qui comptent respectivement huit et dix chercheurs pour 1 000 actifs, contre six seulement en France.

Si nous ne le faisons pas, notre économie sera moins compétitive que la leur. Et, de surcroît, sur le marché mondial de l’emploi scientifique, ces pays et d’autres attireront chez eux nos jeunes docteurs, qui forment un vivier de grande qualité et qui ne parviennent pas suffisamment à être recrutés en France.


Au total, votre texte s’avère incertain quant aux moyens financiers annoncés et lacunaire quant à la programmation des emplois. Plus qu’une loi de programme, il s’agit en réalité d’une loi d’affichage, souvent fondée sur de faux-semblants. De plus, par son caractère très tardif, ce projet de loi invite à se demander si, depuis 2002, la recherche n’est pas souvent devenue la recherche du temps perdu !

Le 3 juin 1953, dans son premier discours d’investiture à l’Assemblée nationale, Pierre Mendès France déclarait : « La République a besoin de savants. Leurs découvertes, le rayonnement qui s’y attache et leurs applications contribuent à la grandeur d’un pays ». En novembre 1956, il y a près de cinquante ans, au colloque de Caen, il déclarait : « Le développement de la science est au premier chef affaire politique ».

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. M. Dubernard a déjà rappelé cette phrase.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Puisqu’il s’agit d’une affaire politique et puisque nous avons le sentiment de n’être pas majoritaires à l’Assemblée,…

M. Claude Birraux, rapporteur pour avis. Ce n’est pas seulement une impression ; c’est un constat.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Disons que c’est un constat qui nous rassemble.

Mme Martine Lignières-Cassou. Oui !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. …je pense qu’il faut plutôt se tourner – démocratiquement, d’ailleurs, puisque les échéances approchent – vers les électeurs, afin qu’ils fassent leur choix en la matière.

J’ai relu tout à l’heure dans Le Monde l’article signé par Édouard Brézin, Pierre Joliot et Axel Kahn, tous trois d’opinions politiques diverses, qui s’intitule « Un manque d’ambition navrant ». Nous sommes tous attachés – la majorité, je le sais, tout autant que l’opposition – à une recherche active, correspondant à une France qui crée, qui innove et qui invente. Mais nous ne sommes pas réellement au même rendez-vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Noël Mamère. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Valérie Pecresse.

Mme Valérie Pecresse. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous ouvrons ce soir un débat crucial pour l’avenir de notre pays. La mobilisation récente du monde de la recherche a permis une prise de conscience collective : l’économie du XXIe siècle sera fondée sur la connaissance et la maîtrise de savoirs. Or la France n’est pas suffisamment armée pour faire face à cette révolution de l’intelligence, alors que le dynamisme et la place de notre pays dans le concert des nations en dépendent et que l’avenir de nos enfants est en jeu.

Face à l’hyperpuissance américaine et à l’émergence de nouveaux acteurs asiatiques, nous devons d’abord rassembler nos forces, puis chercher à les mettre en commun avec nos partenaires de l’Union européenne pour consolider la créativité et l’excellence françaises et nous donner les moyens d’atteindre les objectifs de Lisbonne et de Barcelone, c’est-à-dire de construire une Europe de la connaissance.

Le Gouvernement a pris la mesure du défi que nous avons à relever en proposant un « pacte pour la recherche » inédit par son envergure, que nous allons examiner cette semaine.

La commission des affaires sociales, à l’issue du travail approfondi de ses membres, particulièrement de son président, qui est aussi le rapporteur du texte, Jean-Michel Dubernard, soutiendra un certain nombre d’amendements pour aller encore plus loin, consacrer le rôle primordial de la recherche, en particulier la recherche fondamentale, dans notre société, attirer et conserver dans ces métiers les meilleurs d’une génération, et encourager la valorisation des découvertes françaises.

C’est un triptyque qui nous guide : ambition, audace, confiance.

L’ambition d’abord.

Si la France se situait en 1993 au cinquième rang mondial en pourcentage de la richesse nationale consacré à la recherche, avec 2,2 % de son PIB, elle n’est plus que treizième aujourd’hui. Je laisse chacun se souvenir de tous les gouvernements qui se sont succédé au cours des dix dernières années.

Ce constat alarmant rend nécessaire un effort financier de grande ampleur. Il nécessite aussi que les crédits affectés à la recherche soient utilisés de la manière la plus efficace possible.

Au-delà des augmentations très importantes de crédits d’un milliard d’euros par an, prévues pour 2005, 2006 et 2007, nous souhaitons, comme nos collègues sénateurs, une véritable programmation annuelle des crédits jusqu’à 2010. C’est pourquoi nous approuvons l’engagement – pris dès l’article 1er du projet de loi – d’atteindre un effort public global de 24 milliards d’euros à l’horizon de 2010, supérieur de 27 % aux crédits de 2004.

Il y a d’abord l’augmentation des crédits récurrents, ceux consacrés aux établissements publics de recherche et d’enseignement supérieur, auxquels viennent s’ajouter les crédits accordés sur projet par l’Agence nationale de la recherche et l’Agence industrielle pour l’innovation, qui s’élèveront respectivement à 800 millions d’euros d’autorisation d’engagement en 2006 et 2 milliards d’euros d’engagement d’ici à 2007. Enfin, l’augmentation des dépenses fiscales, qui devraient passer de 650 millions d’euros en 2004 à 1,7 milliard en 2010, viendra dynamiser la recherche privée, nettement sous-dimensionnée dans notre pays, et encourager les entreprises à recruter des chercheurs.

Évidemment, cette programmation budgétaire jusqu’en 2010 a essentiellement une valeur politique, compte tenu du principe de l’annualité budgétaire. Mais il s’agit d’un « contrat moral » conclu par la nation avec les acteurs de la recherche, dont on ne peut imaginer qu’il puisse être remis en cause par un éventuel changement de majorité en 2007.

Nous souhaitons que cette programmation budgétaire se fasse en euros constants et non en euros courants, afin que l’effort financier de la nation ne soit pas soumis aux aléas de l’inflation et que son intensité reste, sur les cinq années à venir, à la hauteur des enjeux.

Enfin, cette programmation devra, selon nous, inclure la mise en place d’un état prévisionnel des emplois. En effet, si l’un de nos objectifs primordiaux est d’attirer des jeunes de qualité vers les métiers de la recherche, cela suppose qu’on leur offre une bonne visibilité en termes d’emploi et de carrière futurs. On sait que plus de la moitié des chercheurs français ont plus de cinquante ans et que le pic de départ sera atteint entre 2008 et 2012.

Il ne s’agit pas d’afficher des prévisions démagogiques et inatteignables en matière de créations d’emplois ni de rigidifier à outrance les futurs recrutements de la recherche publique. Mais nous jugeons nécessaire que le Gouvernement présente chaque année des indications claires sur les besoins en ressources humaines de notre recherche publique sur cinq ans, afin de mieux orienter les talents, d’éviter les à-coups de recrutement et de sécuriser davantage des parcours de formation qui peuvent durer près de dix ans. N’oublions pas que le taux de chômage des jeunes doctorants s’établit aujourd’hui à 11 %. Quoi de plus démotivant pour un jeune thésard éventuel ?

J’ajoute que, pour renforcer l’attractivité des carrières des chercheurs, nous souhaitons que le montant des allocations de recherche atteigne au minimum une fois et demie le montant du SMIC d’ici à 2010. Ce sera un signe fort de reconnaissance de la nation vis-à-vis de nos jeunes chercheurs, dans un parcours aujourd’hui semé d’embûches.

Voilà pourquoi l’ambition de ce projet doit être soutenue par une vraie programmation, des moyens financiers mis en œuvre et des emplois à pourvoir.

L’audace, ensuite.

L’audace, c’est l’engagement massif en faveur de la recherche fondamentale dont découlent toutes les grandes découvertes scientifiques, mais qui n’est jamais rentable à court terme. Son financement relève donc de la responsabilité de la puissance publique.

Le projet de loi qui nous est soumis propose une rénovation de l’organisation de notre recherche, avec l’élaboration d’une stratégie nationale par le Haut conseil de la science et de la technologie. C’est une exigence. Il consacre également le rôle de l’Agence nationale de la recherche, agence de moyens chargée de réaliser des appels à projets, conformément aux priorités nationales ainsi définies.

L’audace, dans ce domaine, sera de consacrer une part significative du budget de l’Agence à ce que l’on nomme des « projets blancs », non thématiques, où tout est ouvert en matière de recherche fondamentale, car nous savons que ce sont eux qui seront à l’origine des véritables ruptures scientifiques. Nous devons apprendre à valoriser des talents qui n’ont rien d’autre à vendre que leurs idées.

L’audace sera aussi de permettre aux bénéficiaires des crédits de l’Agence nationale de la recherche de contribuer, par une participation financière, au financement de l’organisme auquel ils appartiennent, afin que les organismes de recherche bénéficient, d’une part, des succès de leurs chercheurs et qu’ils soient encouragés, d’autre part, à recruter à recruter les meilleurs.

L’audace sera enfin, comme nous vous proposerons de le faire, de transposer en droit français le Bayh-Dole Act américain, dont nous estimons qu’il est à l’origine des succès de ce pays en matière de valorisation de la recherche. Cette transposition complétera les dispositifs utiles mis en place par le projet de loi pour soutenir la recherche non seulement dans les grandes entreprises, mais aussi dans les PME.

La confiance, enfin.

En simplifiant drastiquement les procédures auxquelles sont soumis les laboratoires, notamment en matière de marchés publics, en instaurant un contrôle a posteriori de l’utilisation des crédits à la place du contrôle a priori, en facilitant la mobilité des chercheurs et en encourageant la constitution de réseaux, c’est un vrai changement culturel que nous souhaitons promouvoir, un vent de liberté que nous voulons faire souffler sur le monde de la recherche.

M. Paul-Henri Cugnenc. Très bien !

Mme Valérie Pecresse. Le corollaire indispensable de cette culture de confiance est l’instauration d’un dispositif d’évaluation rénové et ouvert qui concernerait tous les acteurs de la recherche, y compris ceux qui exercent leur mission de recherche dans des établissements d’enseignement supérieur.

Ce projet n’est qu’une première étape franco-française, après laquelle des rapprochements européens seront indispensables.

Ambition, audace, confiance, messieurs les ministres, ce pacte pour la recherche est une occasion unique que vous donnez à la représentation nationale non seulement d’impulser une nouvelle dynamique, mais aussi de porter un nouveau regard sur notre recherche et de la replacer là où elle devrait toujours être : au cœur de notre contrat social. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Paul-Henri Cugnenc. Quelle audace !

M. le président. La parole est à M. Pierre-Louis Fagniez.

M. Pierre-Louis Fagniez. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi est directement issu des états généraux de la recherche. En 2004, les chercheurs sont descendus dans la rue, excédés par un report de crédit. En fait, une accumulation de rancœurs assez anciennes avait réveillé, à la faveur d’une malheureuse étincelle budgétaire, des cendres incandescentes qui couvaient depuis au moins vingt ans.

Comme les infirmières et les pompiers, les chercheurs ont la faveur des Français.

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. C’est exact !

M. Pierre-Louis Fagniez. Ils sont animés par la passion de leur métier, ne demandent qu’à travailler en toute liberté et souhaitent que les gouvernements leur garantissent des investissements de long terme, ainsi qu’un emploi stable. Voilà comment sont nés les états généraux de la recherche auxquels, messieurs les ministres, vous répondez aujourd’hui par le pacte de la nation avec sa recherche.

Les états généraux de la recherche ont fixé quatre priorités : un milliard par an pour la recherche programmé jusqu’en 2010, comme cela vient d’être rappelé ; une élaboration des connaissances fixées par un Haut conseil de la science ; une attractivité renforcée des métiers de la recherche et la création des pôles de recherche d’enseignement supérieur pour refonder le partenariat entre les universités et tous les partenaires de la recherche. Ces PRES ont pour but de mettre en commun toutes les énergies et d’assurer la visibilité internationale de notre recherche.

M. le rapporteur et les orateurs du groupe UMP Pierre Lasbordes et Valérie Pecresse vous ont donné acte de votre volonté de répondre aux aspirations de nos chercheurs, notamment afin de diminuer la précarité des jeunes pour encourager les vocations et mettre un terme à la fuite vers l’étranger des meilleurs d’entre eux.

Les PRES sont un point essentiel sur lequel je souhaite centrer mon propos. Ils ont pour objectif de réunir plusieurs établissements ou organismes d’enseignement supérieur et de recherche en associant éventuellement des entreprises et des collectivités territoriales pour réaliser des projets d’excellence.

Le projet de loi dispose que cette coopération entre les acteurs de la recherche comporte au moins un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, ce qui est très important, et que les établissements ou organismes publics ou privés peuvent décider de regrouper tout ou partie de leur activité et de leurs moyens afin de conduire ensemble des projets d’intérêt commun. Les sénateurs ont – à juste titre – ajouté que ces établissements peuvent être français ou européens. Cette dimension européenne mérite bien de figurer dans la loi car l’Europe est l’avenir de la recherche française.

L’université en tant qu’établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel doit avoir une place centrale au sein de ce nouveau mode de coopération. C’est une chance pour l’université d’être maître d’œuvre d’une structure nouvelle, qui lui permettra de passer un contrat gagnant-gagnant avec les établissements publics à caractère scientifique et technique, d’autres organismes publics et privés, ainsi que des collectivités territoriales. C’est un vrai changement de culture, diraient certains. Tous ceux qui voudront échapper au confinement universitaire trouveront là un mode d’expression nouveau. L’université, grâce à son insertion dans le tissu économique et social, est à l’évidence la mieux placée pour diriger et animer ces pôles de coopération et profiter de l’apport des structures des organismes de recherche tels que les EPST, qui n’ont pas la même vocation.

C’est une porte ouverte pour les universités qui voudront saisir cette chance. Grâce à la liberté et la souplesse qu’offrent ces nouveaux modes de coopération, l’université sera susceptible de développer des structures d’économie mixte pour développer la recherche sans nuire à sa fonction pédagogique. Ce sera l’occasion pour elle de se confronter aux réalités économiques et commerciales, et de trouver des modes de cofinancement de la recherche. En retour, ses partenaires – chercheurs ou agents économiques – bénéficieront des connaissances générées par l’université, notamment par la recherche fondamentale.


Maillon fort de ce regroupement, l’université est appelée à diversifier et à enrichir ses capacités d’action. La mutualisation des moyens la rendra plus attractive et capable de traiter d’égale à égale avec les grandes écoles.

Un tel dispositif fonctionnera si l’on y met les moyens et la volonté nécessaires : l’expérience le prouve. Des établissements ont effectivement élaboré des PRES avant d’y être incités par la loi – ce que M. le ministre de l’éducation appelle des « pré-PRES ». Citons notamment les initiatives du Collège de France et de certaines universités, ainsi que l’institut fédératif de recherche en sciences de la vie, implanté sur le site de l’institut Pasteur de Lille, qui vient de recevoir l’accord du ministre de la recherche pour commencer ses travaux le 1er janvier 2006. Il n’y a donc pas lieu d’avoir peur du changement qui s’annonce. Les premières expériences sont de nature à rassurer les plus timorés, rétifs à toute idée d’une nouvelle organisation des universités. Dissipons les inquiétudes, réelles ou feintes. Les établissements se regrouperont librement et, après une phase de concertation, ils détermineront ensemble le périmètre de leur coopération, les moyens mis en commun et leur statut juridique.

La question du statut juridique est centrale.

Il est clairement dit dans la loi que les PRES s’organisent de façon souple et choisissent librement leur mode d’association. Toutefois, il semble que les établissements publics de coopération scientifique et les fondations de coopération scientifique, structures juridiques créées dans le projet de loi, soient recommandés. Il est vrai que le statut d’établissement public de coopération scientifique offre aux établissements membres d’un PRES la possibilité de se regrouper pour des projets spécifiques de long terme sans rien perdre de leur personnalité propre et que le statut de fondation de coopération scientifique favorise le recueil de fonds sous les formes, publiques ou privées, les plus variées. Mais ces deux statuts, malgré leur apparente cohérence avec les partenariats les plus féconds, sont des nouveautés pour les établissements. Aussi convient-il, au moins dans un premier temps, de ne pas en faire un préalable implicite pour l’obtention des moyens d’accompagnement fournis par l’État ou les agences de moyens que sont l’Agence nationale de la recherche ou l’Agence pour l’innovation industrielle.

Par analogie avec les pôles de compétitivité, il paraît important que le statut éprouvé d’association « loi 1901 » soit applicable aux PRES, sans pour autant les priver du soutien de l’État. À cet égard, je souhaiterais que vous nous indiquiez, messieurs les ministres, ce que nous devons répondre à ceux qui nous posent la question.

M. Paul-Henri Cugnenc. Très bien !

M. Pierre-Louis Fagniez. Certains établissements fondateurs verraient ainsi se dissiper leur seule crainte : celle de perdre une part de leur identité.

Au reste, il est vraisemblable que, à l’usage, le statut d’établissement public de coopération scientifique finira par s’imposer au nom d’une gouvernance cohérente, efficace et stable. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler qu’il permet de bénéficier de personnels mis à disposition par les établissements fondateurs et de contributions provenant notamment des membres associés, publics ou privés, de subventions versées par l’État et les collectivités territoriales, de ressources obtenues au titre de la participation à des programmes de recherche nationaux et internationaux, des produits des contrats de recherche ou de valorisation de la recherche, ainsi que du produit des dons et legs. De tels bénéfices justifient d’ailleurs que les établissements publics de coopération scientifique, créés par décret, soient soumis aux règles de la comptabilité publique et au contrôle administratif, financier et juridictionnel prévu pour les établissements d’enseignement supérieur.

Quant au statut de fondation de coopération scientifique, seconde forme d’organisation proposée par ce texte, c’est celui d’une personne morale de droit privé à but non lucratif soumise aux règles applicables aux fondations reconnues d’utilité publique. Ce statut a la faveur de ceux qui veulent attirer des partenaires privés sur des thématiques de recherche finalisée et fondamentale. Ces fondations offrent un cadre juridique attractif pour l’organisation de coopérations sur des projets thématiques de niveau international, dans l’esprit des réseaux thématiques de recherche avancée – appellation qui a été proposée par les sénateurs pour remplacer le terme initialement retenu de campus.

Appliqués à la recherche biomédicale, que je connais bien, les PRES sont une opportunité à saisir pour coordonner les efforts sur un site géographiquement identifié. À cet égard, j’aimerais connaître, messieurs les ministres, votre réaction à la proposition d’opérations pilotes qu’a faite, lors de son audition, le directeur général de l’INSERM. Il s’agirait, par exemple, au sein d’un pôle comprenant universités et INSERM, de mettre en place des jurys de recrutement d’enseignants-chercheurs dérogeant au fonctionnement traditionnel et composés d’experts nationaux et internationaux extérieurs à l’université, désignés conjointement par des membres fondateurs du PRES. Cette procédure dessinerait une fusion progressive des statuts de chercheurs et d’enseignants-chercheurs, essentielle pour gagner en efficacité et en lisibilité.

Les données récemment diffusées par l’Observatoire des sciences et techniques montrent bien que la recherche biomédicale, et particulièrement la recherche clinique française, prend du retard et qu’il faut réagir en profitant de l’opportunité qu’offre ce texte. Notre cher rapporteur a justement proposé un amendement visant à inscrire dans la loi des centres thématiques de recherche et de soins, structures partenariales amplifiant des programmes hospitaliers de recherche clinique financés par le ministère de la santé.

M. Paul-Henri Cugnenc. Très judicieux !

M. Pierre-Louis Fagniez. Cette proposition est tout à fait bienvenue, mais elle ne doit pas dissimuler l’amplitude de l’effort budgétaire nécessaire en ce domaine si l’on veut rester compétitif, avec nos voisins allemands par exemple, qui viennent d’indiquer clairement la direction à suivre, puisqu’ils doubleront les crédits en faveur de la recherche biomédicale, tout en consacrant aux autres secteurs la même somme que nous, soit un milliard d’euros par an.

Pour conclure, les états généraux de la recherche ont eu raison de vouloir les PRES, et le Gouvernement a eu raison de traduire cette revendication intelligente dans la loi. Maintenant, il faut avancer ensemble en regardant la réalité. Quelle est-elle ? Les frais des structures de recherche sont devenus tels qu’ils doivent être répartis sur de grands ensembles et l’activité scientifique réclame de plus en plus de multidisciplinarité et d’interdisciplinarité. Les PRES répondent parfaitement à ces deux exigences, puisqu’ils permettent de réduire au maximum les frais et les tâches de gestion en utilisant au mieux les différents partenaires : les universités et les grandes écoles pour leur vocation naturelle à gérer et les EPST pour planifier la politique scientifique. Ainsi, sans rien démolir, sans nuire à personne, les PRES apportent aux chercheurs la liberté et les moyens qu’ils attendent pour reprendre confiance dans leur avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Messieurs les ministres, pendant trois ans, vos prédécesseurs ont multiplié leurs efforts pour plonger la recherche française dans un état de crise sans précédent. Baisse systématique des crédits de la recherche fondamentale, évolution du recrutement visant à remplacer des postes par des CDD, bref, ce fut une attaque frontale contre la capacité de production scientifique de la France. Les chercheurs ne se sont pas contentés de combattre cette attaque d’une ampleur inédite : ils sont allés bien plus loin, en réalisant un vrai travail de réflexion et de proposition lors de leurs états généraux de Grenoble.

Un an plus tard, vous reprenez une bonne part de leurs arguments dans l’exposé des motifs de votre projet de loi, mais vous les oubliez dans le texte lui-même. Vous persistez donc dans des directions néfastes, souvent camouflées dans des décrets à venir. Aux questions simples – qui oriente ? quelle structuration ? qui paie ? –, vous répondez par un fatras de nouveaux dispositifs aux frontières du public et du privé.

En ce qui concerne les moyens, vous annoncez 19 milliards d’euros supplémentaires cumulés sur cinq ans, mais il ne s’agit pas d’euros constants. En outre, ces moyens consistent principalement dans des allégements de charges et des incitations fiscales aux entreprises, avec le fameux crédit d’impôt. En la matière, pas d’orientation, pas de priorité, pas de contrôle. Une multinationale se pique-t-elle de permettre une surconsommation de « malbouffe » sans considération de l’impact sur l’obésité ? Crédit d’impôt ! Une PME réussit-elle à déposer un brevet de conservation de l’élasticité du chewing-gum en tube ? Crédit d’impôt ! C’est un tiers du budget public de la recherche qui tournera ainsi le dos aux éventuelles priorités et qui ne se laissera éclairer que par le marché, fût-il contraire au développement durable. Le reste sera en grande partie attribué à l’Agence nationale de la recherche pour des projets, alors que des découvertes fondamentales demeurent, on le sait, inprogrammables.

Quant aux ressources humaines, rien n’est programmé au-delà de 2006. Disparus, l’engagement durable de la programmation et le plan pluriannuel pour l’emploi, pourtant indispensable à ceux qui s’engagent dans des études qui durent plus de dix ans. Aucune mesure sérieuse n’est proposée pour accroître l’attractivité des métiers de la recherche, si ce n’est le faible accroissement du niveau des allocations doctorales et les quelques dizaines de primes d’excellence. Va-t-on continuer à former à grands frais de très bons jeunes scientifiques qui seront aussitôt happés par d’autres pays, en particulier outre-atlantique ?

S’agissant de l’organisation de la recherche, un consensus s’était dégagé pour déplorer l’illisibilité du système français et la complexité de son opération. Votre réponse consiste à inventer de nouveaux instruments administratifs qui ajouteront encore à la confusion, sans simplifier le travail des personnels de recherche. Ceux-ci vont donc continuer à chasser les contrats auprès d’opérateurs toujours plus nombreux et selon des règles du jeu toujours plus diverses. On ne constate aucune augmentation des personnels de soutien à la recherche, qui permettrait de dégager le temps de recherche des chercheurs, mais une croissance des contrats précaires, dans le droit-fil de la logique du Gouvernement, celle d’une précarisation de tous les emplois.

Vous faites grand cas de l’évaluation de la recherche. Dans ce domaine, la question n’est pas d’évaluer les chercheurs – ils le sont déjà –, mais d’être plus exigeant à la fois sur les moyens à la disposition des chercheurs et enseignants-chercheurs et sur les retombées de cette évaluation. Sur ce point, votre texte est muet, comme sur l’évaluation de l’usage et des résultats des recherches menées en entreprise, qui bénéficient pourtant d’une panoplie toujours plus étendue d’aides publiques.

Quant aux agences et aux instituts de veille sanitaire, ils ne sont même pas cités. Pourtant, nous savons que leur création fut un grand pas pour la connaissance et la santé publique. Ce sont des espaces de recherche à part entière et ceux qui y travaillent rassemblent des compétences égales à celles de nombreux laboratoires. Ces agences auraient dû trouver place dans le texte et bénéficier d’un renforcement de leurs moyens dans le budget. Il y va de leur efficacité et de leur indépendance.

L’université, noyau central du savoir, n’est pas reconnue par votre texte comme le pivot possible d’une requalification du système de recherche.

Les chercheurs savent que la découverte ne se décrète pas et ils auraient aimé qu’on leur fasse davantage confiance. Dans cette enceinte, on s’occupe souvent de la société mais on l’associe peu. Académies et pouvoirs publics devraient prendre en compte avec plus de modestie et de considération les savoirs produits par les associations, dont les moyens sont souvent dérisoires. Vous citerai-je, messieurs les ministres, les protocoles d’essais thérapeutiques élaborés par les associations de malades du sida et les chercheurs, la qualité du logiciel libre, non confisqué par les intérêts privés, la remise en culture d’espèces reléguées dans des conservatoires génétiques, privatisées et congelées ? Tout cela pose la question des talents non labellisés.

À l’inverse, les erreurs de l’académie de médecine, déclarant que « l’amiante ne présente pas de danger », ou l’archaïsme de l’académie des sciences, rendant un avis « hostile au principe de précaution », sont des arrogances coupables, qui justifient peut-être que ces instances doivent aujourd’hui être placées sous la protection exclusive du Président de la République. Plus près de nous, le rapport de l’académie des technologies sur les nanotechnologies, qui ne dit rien des risques et des enjeux éthiques, est bien faible, comparé à celui de la Royal society britannique ou aux exigences du Congrès américain. En attendant, c’est l’opportunité de valoriser très vite qui domine votre texte, même si cela ne répond pas aux besoins et aux attentes de la société.

En conclusion, messieurs les ministres, je tiens à vous exprimer la déception des députés Verts face à un texte qui accumule les rendez-vous manqués : avec la démocratie – on restructure administrativement sans associer suffisamment la société, puisqu’elle reste tenue à l’écart des orientations de la recherche –, avec la jeunesse – le rôle de l’université n’est pas revisité quant aux liens étroits entre l’activité de recherche et la pédagogie, puisque les étudiants qui s’y destinent le feront toujours à l’aveugle et dans la précarité –, avec l’avenir, enfin, puisque, sur le fond, vous facilitez plus une compétitivité traditionnelle à courte vue qu’un développement durable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Je vous précise que, au vu de l’avancement de nos travaux, je lèverai la séance à l’issue de la discussion générale et que nous n’examinerons donc pas la motion de renvoi en commission cette nuit.

La parole est à M. Yves Durand.


M. Yves Durand
. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui est soumis à l’Assemblée nationale « n’est à la hauteur ni des espoirs éveillés par le mouvement de 2004, ni des nécessités. La position de notre nation dans le monde restera donc en péril. » Telle est la conclusion de l’article signé par Édouard Brézin, Pierre Joliot et Axel Kahn dans Le Monde de ce soir. Ils nous lancent cet appel : « Nous attendons de nos parlementaires que, dans un esprit libéré de toute appartenance partisane, ils veuillent bien se pencher sur des mesures critiques pour notre avenir commun, celui de notre pays. Nous faisons confiance aux membres des Parlements, nos élus, pour se saisir du problème et donner à ce texte l’ambition qui lui fait défaut. »

Cet appel des chercheurs, messieurs les ministres, vous auriez pu, vous auriez dû l’entendre, comme vous auriez dû entendre le monde de la recherche, qui, cet après-midi encore, était dans la rue. Pour notre part, nous sommes allés à leur rencontre, non seulement tout à l’heure, mais aussi lors des nombreuses réunions organisées par le mouvement des chercheurs après les états généraux de Grenoble. M. Goulard a déclaré souhaiter que se dégage une unanimité, d’ailleurs relayé dans son appel par le rapporteur.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. J’ai parlé d’un consensus !

M. Yves Durand. Cette unanimité sur l’ambition que notre pays devrait avoir pour la recherche, une unanimité que vous appelez de vos vœux, vous auriez pu l’obtenir si vous aviez véritablement repris les conclusions des états généraux de Grenoble. Mais de ces travaux, vous n’avez retenu que les mots, pour en dévoyer le plus souvent le sens.

M. Patrick Roy. Les ministres sont sourds !

M. Yves Durand. Le gouvernement actuel applique d’ailleurs très régulièrement cette technique qui consiste à reprendre des termes ou des notions et à en vider la substantifique moelle pour faire en réalité le contraire de ce qui est annoncé.

C’est vrai des PRES, sur le principe desquels nous ne sommes pas en désaccord, mais qui, tels qu’ils sont mis en œuvre dans votre projet de loi, comportent de réels risques d’inégalités entre les universités et les territoires. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la discussion des articles et proposerons des amendements à ce sujet. C’est également vrai de l’Agence nationale de la recherche, dont ni le statut, ni les fonctions, ni les missions ne sont réellement définis. C’est vrai, enfin, de votre conception de l’évaluation, dont on déplore la confusion pratiquement sur tous les bancs – c’est finalement ainsi que vous réussissez à susciter l’unanimité –, une confusion qui pourrait masquer le risque d’une reprise en main. Sur tous ces points, le groupe socialiste présentera des amendements, vous posera des questions afin de vous amener à préciser ce qui reste confus dans votre projet de loi, et avancera des propositions.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Très bien !

M. Yves Durand. Le manque d’ambition de votre projet de loi apparaît très clairement dans deux domaines. Compte tenu du court temps de parole qui m’est imparti et de l’heure tardive, j’évoquerai rapidement ces deux points.

Il s’agit, premièrement, de la situation des jeunes chercheurs, notamment des jeunes doctorants, dont l’avenir n’est nullement assuré et pour lesquels le départ à l’étranger constitue souvent l’unique perspective. L’absence totale de plan pluriannuel de recrutement – un plan pourtant réclamé par nombre d’entre nous dans cet hémicycle, y compris parmi nos collègues de la majorité, qui partagent cette préoccupation, même s’ils l’expriment avec d’autres mots que les miens –, une absence qui se ressent dans l’ensemble du monde de l’éducation, et dont les effets se conjuguent avec ceux de votre conception des contrats par projet, va accroître la précarité des jeunes chercheurs, les plongeant dans l’angoisse alors qu’ils viennent de sortir avec succès de dix ans d’études qui leur ont souvent demandé d’énormes sacrifices. François Hollande a fait tout à l’heure un certain nombre de propositions à ce sujet. Il ne tient qu’à vous, messieurs les ministres, d’y répondre avec la même clarté et la même précision.

M. Pierre Cohen. Très bien !

M. Yves Durand. Le deuxième point est l’absence de l’université dans votre projet de loi. Alors que 80 % de la recherche publique est organisée à l’université, votre loi d’orientation ne fait aucun cas, ne donne aucune place à l’enseignement supérieur. Seule exception : l’inscription des universités dans les PRES et la création des réseaux thématiques de recherche avancée ; des dispositifs qui, avec tous les risques d’inégalités entre universités et entre territoires qu’ils comportent, constituent pour nous un important sujet de préoccupation, sur lequel nous reviendrons.

Surtout, cette absence de prise en compte de l’enseignement supérieur vous empêche d’adosser réellement la recherche à l’université. Une loi ambitieuse sur la recherche aurait dû s’appuyer sur une réflexion profonde sur l’organisation des universités, la nature de leur autonomie dans le cadre national, leur modernisation et surtout le véritable drame que constitue l’échec de près de 40 % des étudiants avant la fin du premier cycle de l’enseignement supérieur. On ne pourra pas développer la recherche sans augmenter massivement le nombre d’étudiants et sans démocratiser réellement la réussite à l’université. Ces deux exemples précis de carence de votre projet de loi mettent en évidence l’absence d’ambition de votre politique de recherche. Vous avez fait un projet de loi a minima,…

M. Jérôme Lambert. C’est une toute petite loi !

M. Yves Durand. …en contradiction avec les engagements des plus hautes autorités de l’État. La grande ambition de mettre la recherche au cœur de la société de la connaissance dont notre pays et l’Europe ont besoin reste à construire. Nous aurions pu le faire ensemble, avec les chercheurs, mais je crains fort, messieurs les ministres, que vous n’ayez manqué ce rendez-vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Patrick Roy. Yves Durand a de la voix, mais le Gouvernement est sourd !

M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Messieurs les ministres, mes chers collègues, mon intervention aura essentiellement pour objet d’aborder la dimension européenne de ce projet de loi. À cet égard, je me ferai l’écho des travaux de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne.

Je veux d’abord souligner la place très importante que tient l’Europe pour notre recherche et pour nos chercheurs. C’est vrai si l’on considère l’implication de ceux-ci dans ce que l’on appelle aujourd’hui « l’espace européen de la recherche », qui a été récemment systématisé et organisé. C’est vrai si l’on considère les grands projets qui ont souvent été lancés ou développés à l’initiative de la France – je pense au nucléaire, à l’aéronautique, à l’espace, au programme EUREKA –, la recherche européenne ne se limitant pas aux seuls programmes-cadres comme on a parfois tendance à le croire. Nos institutions de recherche se situent en outre dans les tout premiers rangs pour ce qui est du programme-cadre, qu’il s’agisse du nombre de projets présentés ou de la participation aux projets effectivement retenus.

Le parallélisme est important entre l’évolution de la recherche européenne et celle de la recherche nationale, comme nous pouvons le constater avec la part dévolue aux appels à projets. Ce n’est pas un hasard si le Conseil européen de la recherche est créé au même moment que l’ANR. Cela témoigne de la volonté de privilégier l’excellence et la réactivité, et le succès rencontré par l’ANR auprès des chercheurs français – plusieurs milliers de projets en l’espace de quelques mois – montre que la création de cette agence répond à une attente profonde. C’est aussi plus de liberté, avec la place réservée aux projets « blancs » dans les programmes de financement. Je veux rassurer ceux qui s’inquiètent : nous trouverons, comme beaucoup d’autres pays ont su le faire, le point d’équilibre entre la part qui doit aller aux projets et celle qui doit revenir aux structures.

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Absolument !

M. Daniel Garrigue. Le parallélisme existe aussi en matière d’enjeux technologiques. Alors qu’en France, nous créons l’Agence de l’innovation industrielle, au niveau européen, ce sont les plates-formes technologiques et les initiatives technologiques conjointes, dites JTI, qui voient le jour. Nous devons chercher à mettre en œuvre une bonne articulation entre ces deux démarches.

Enfin, il y aussi parallélisme en ce qui concerne les efforts réalisés en faveur du statut des chercheurs, en particulier des jeunes chercheurs. Ce projet de loi comprend plusieurs initiatives très importantes qui rejoignent les préoccupations de l’Union européenne à ce sujet, exprimées notamment à travers le projet de Charte européenne des chercheurs présenté l’an dernier par le nouveau commissaire européen à la recherche, M. Potocnik.

La France et l’Union européenne doivent satisfaire à certaines exigences pour parvenir réellement à une recherche à dimension européenne.

Trois exigences au moins s’imposent à notre pays. Premièrement, nous devons avoir une évaluation beaucoup plus diversifiée et systématique – je pense notamment à l’université – et plus ouverte qu’elle ne l’a été jusqu’ici. Votre projet de loi comporte sur ce point des avancées considérables. Je suis tout à fait d’accord avec la proposition de M. le rapporteur Dubernard visant à mutualiser les capacités d’expertise afin de mener les évaluations à l’échelle de l’Europe ; paradoxalement, nous devrons convaincre la Commission qui, pour le moment, ne paraît pas enthousiasmée par cette idée.

Deuxièmement, nos universités doivent prendre une part plus grande à la recherche européenne. Certaines d’entre elles disposant d’un grand potentiel dans ce domaine : ne serait-il pas opportun, monsieur le ministre, qu’elles puissent se porter candidates – au besoin en se regroupant avec d’autres universités européennes – au projet d’institut européen de technologie, que la Commission présente comme une version européenne du MIT américain ?

Troisièmement, enfin, nos PME doivent s’intégrer plus facilement dans les programmes européens d’innovation et de compétitivité, ce qu’elles peinent à faire actuellement, sans doute faute de pouvoir s’appuyer sur un réseau suffisamment efficace. Nous devons accomplir des efforts sur ce point – je pense en particulier à la procédure CRAFT – afin de ne pas être en reste dans un domaine où nos partenaires font d’ores et déjà preuve d’une certaine efficacité.

Sur le plan de l’Union européenne, il y a également une exigence, et d’abord en ce qui concerne les instruments mis en œuvre dans le cadre du PCRD : ceux-ci sont trop nombreux, trop sophistiqués, trop coûteux, et leur efficacité est discutable. Il faut trouver des formules plus simples et accepter que les procédures ne soient pas mises en œuvre directement par les services de la Commission, avec les lourdeurs bureaucratiques qui en découlent, mais par des agences créées à cette fin ; il faut, enfin, être capable de réviser ces procédures en cours de programme car trop souvent, les choses sont figées définitivement une fois que le programme a été lancé.


Autre exigence : celle d’une gouvernance beaucoup plus forte. On constate en effet, dans les domaines de l’espace ou s’agissant des questions industrielles par exemple, une dispersion entre les différentes directions générales de la Commission. Un système de task force ou de chefs de file permettrait de diriger les programmes avec plus de fermeté.

Enfin se pose le problème général de la stratégie de recherche européenne. La stratégie de Lisbonne, largement évoquée ce soir, a eu ceci de positif qu’elle a provoqué une prise de conscience et qu’elle a rendu populaire l’objectif de 3 % du PIB à l’échelle de l’Europe tout entière. Le présent texte s’inscrit, pour une part, dans cet objectif.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Pour une part !

M. Daniel Garrigue. La stratégie de Lisbonne n’est cependant qu’une stratégie par procuration, puisqu’elle s’en remet aux États pour atteindre ses objectifs. Or nous attendons de l’Europe qu’elle ait une stratégie d’une autre ampleur, sur le modèle américain ou japonais, fondée sur des capacités d’analyse et d’intelligence économique, sur la définition d’enjeux sectoriels dans l’énergie, l’industrie, la technologie, et sur la création d’instruments spécifiques nous permettant d’être réactifs – l’actualité récente nous en a montré la nécessité.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes au temps de la mondialisation. Pour beaucoup, il ne s’agit que de l’effacement de frontières ou de mouvements financiers. Mais c’est encore plus fondamentalement une explosion des connaissances et de l’intelligence à l’échelle de la planète tout entière. C’est une réalité incontournable, au demeurant très positive. Pour l’affronter avec succès, il faut toutefois bâtir une véritable recherche européenne, afin d’atteindre une taille critique. La France peut jouer un rôle moteur à cet égard. Ce projet de loi y contribue par son approche intelligente et volontaire des problèmes de la recherche. Bien sûr, nous le soutiendrons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-André Périssol.

M. Pierre-André Périssol. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la recherche est sur les rails. D’abord, l’opinion a pris conscience qu’avec l’éducation et l’enseignement supérieur, elle est la clef de l’avenir, de la croissance et de l’emploi.

Ensuite, les crédits qui lui sont consacrés connaissent une augmentation sans précédent : un milliard d’euros de plus chaque année. C’est considérable. C’était surtout indispensable sous peine de voir la France rejoindre la fourchette basse des nations développées. Il suffit pour s’en convaincre d’observer le montant des investissements faits dans les autres pays comparables aux nôtres et surtout, ce qui sera plus lourd de conséquences à terme, dans les pays émergents. Il fallait réagir : vous l’avez fait, et c’est bien.

Enfin, d’un point de vue qualitatif, vous avez réorganisé et modernisé les structures, en suivant l’essentiel des propositions de la mission d’information sur la recherche présidée par Jean-Pierre Door et à laquelle j’ai eu l’honneur de participer.

Ainsi, un Haut Conseil de la science et de la technologie placé auprès du Président de la République est essentiel pour conforter le consensus sur les grands choix et pour les rendre plus lisibles. Au moment où nos concitoyens s’interrogent sur le bien-fondé du progrès scientifique, il est vital qu’ils comprennent les priorités, et donc qu’ils les connaissent, car la recherche constitue un défi collectif qui doit être porté par la nation tout entière.

De même, les agences de moyens, telles l’ANR et l’AII, sont des échelons indispensables pour choisir les projets de façon incontestable, et l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur sera tout aussi importante pour piloter la recherche, à condition évidemment que toutes les conséquences soient tirées de ses évaluations, tant positives que négatives.

Deux questions demeurent toutefois en suspens. Quel sera, d’abord, le rôle assigné au ministère de la recherche et comment le préparer à le tenir ? Si les grands choix se font, en amont, au niveau du Haut Conseil et qu’ils sont financés, en aval, par les agences de moyens, le ministère devra, selon moi, jouer un véritable rôle de stratège. Cela pose la question de son positionnement. Nous pensons que la structure devrait être interministérielle, et donc rattachée au Premier ministre. Mais cela soulève aussi la question de l’organisation du ministère alors qu’il sera moins gestionnaire pour être plus stratège. Ce chantier reste à ouvrir.

Quelle sera ensuite la place des universités ? Qu’elles jouent un rôle moteur est important pour la recherche, mais surtout vital pour les universités. Dans tous les autres pays, l’université est au centre de la recherche. Notre histoire est différente, certes. Mais, il est impératif de rehausser la place de nos universités face à leurs concurrentes étrangères. Les PRES vont dans le bon sens. Un jour, il faudra cependant, là encore, ouvrir l’ensemble du chantier : …

M. Yves Durand. Absolument !

M. Pierre-André Périssol. …recherche et enseignement, déficit de moyens, de gouvernance et surtout de réussite. C’est essentiel pour améliorer le taux de réussite de nos étudiants et donc pour que notre jeunesse retrouve une pleine espérance. C’est un enjeu majeur pour notre avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Messieurs les ministres, comme je l’ai dit dans les explications sur la motion de procédure, nous aurions pu être d’accord sur le constat de la situation malheureuse de notre recherche et de notre enseignement supérieur, mais, avec ce texte, vous n’avez pas mesuré l’ampleur des difficultés que les états généraux de la recherche avaient pourtant rappelées. Vous avez sans doute manqué ici l’occasion de réconcilier la France et ses chercheurs.

Notre système est complexe et peu lisible : c’est ce que Pierre Cohen et moi disions déjà dans un rapport remis au Premier ministre en 1999.

M. Pierre Cohen. Resté lettre morte !

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous insistions sur la grande misère des universités, notamment en premier cycle, sur le fait que nous ne consacrions que 6 500 euros à chaque étudiant, contre 10 000 en Allemagne, et que nous avions sacrifié les doctorants et les post-doctorants au prix d’une fuite des cerveaux, qui malheureusement ne cesse pas. Nous insistions aussi sur la dévalorisation des carrières scientifiques, en particulier pour les ingénieurs, les techniciens et les administratifs, sur la perte de contrôle dans les technologies clefs – ce qui fait que de grands secteurs économiques nous échappent dorénavant – et sur le peu de coordination entre les objectifs nationaux et européens. Ainsi, on a pu malheureusement constater, lors du débat sur le financement du PCRDT le 15 décembre, à Luxembourg, le fort décalage entre les discours présidentiels nationaux et notre position dans les instances européennes.

Le texte ne prend pas la mesure de cette situation. Le Président de la République a affirmé que notre effort de recherche atteindrait 3 % du PIB en 2010. Mais, personne ne peut raisonnablement penser que cette loi de programme nous en donne les moyens. Cela signifie que le Gouvernement poursuit une action qui ne permettra pas d’atteindre les objectifs du Président de la République.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Et la recherche privée ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Dans les pays où la recherche privée se développe, cela va de pair avec la stratégie de soutien accordé à la recherche fondamentale. Ainsi, dans le domaine des sciences de la vie, aux États-Unis, c’est le doublement des crédits de la recherche fondamentale qui a permis aux industries pharmaceutiques et aux biotechnologies de se développer.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Très juste !

M. Jean-Yves Le Déaut. Si nous ne faisons pas la même chose, nous n’arriverons à rien !

Plusieurs députés du groupe socialiste. Très juste !

M. Jean-Yves Le Déaut. Par ailleurs, la loi doit impérativement inclure la programmation de l’emploi scientifique. Dans le cas contraire, nous nous battrons à coup de chiffres, chacun accusant les autres de ne pas avoir fait assez. Roger-Gérard Schwartzenberg l’a dit, nous ne sommes pas allés assez loin. Mais il est d’ores et déjà certain que ce que vous avez prévu ne permet même pas de rattraper notre retard.

Il faut aussi améliorer la situation des jeunes chercheurs : 1 500 euros nets par mois, soit une fois et demie le SMIC, ce n’est pas de trop pour exercer des responsabilités à bac plus 8 ou plus 10 pour des post-doctorants ! Cela ne coûte pas cher : nous avons fait les calculs, un pays comme le nôtre a les moyens de prendre une telle mesure. Nous ne comprenons donc pas, et je l’ai dit à Claude Birraux, que ce texte ne fasse pas apparaître de tels arbitrages.

Les universités doivent être au cœur de notre système de recherche. Il est évident qu’il n’y aura pas de réforme du second sans réforme des premières, d’autant que nous sommes en pleine compétition entre grandes écoles, organismes de recherche et universités. Il faut donc constituer des pôles de recherche structurants au niveau régional, pôles qui doivent tirer vers le haut les universités. Cette orientation est préférable à celle qui consiste à compter sur quelques campus pour se donner une apparence de qualité au niveau national, alors qu’en fait ceux-ci accapareront les crédits sans permettre d’exploiter, en réseau, notre potentiel qui est fantastique !

Par ailleurs, et c’est très regrettable, ce texte entretient une confusion entre politique de recherche et politique d’innovation. Il faut poursuivre les deux. Mais une bonne politique d’innovation suppose obligatoirement un bon système de recherche fondamentale. Or, les structures que vous développez dans tous les sens – Agence de l’innovation industrielle, Agence nationale de la recherche, pôles de compétitivité, qui ne sont du reste pas financés – ne peuvent que favoriser une grande confusion.

Enfin, il faut une bonne évaluation du système. Or l’Agence d’évaluation se surajoute malheureusement à d’autres instances en la matière. L’idée est pourtant excellente : nous l’avions proposée, mais par regroupement des deux agences d’évaluation existantes et en précisant bien ses missions.

M. Pierre Cohen. Eh oui !

M. Jean-Yves Le Déaut. Le rôle de l’Agence doit être clair par rapport au CNU, au comité national du CNRS et à l’évaluation effectuée par les grands organismes de recherche. Or rien n’est précisé dans le texte.


Il faut régler le problème des jeunes chercheurs – ce que ce ne fait pas ce texte –, programmer des emplois scientifiques, accroître les crédits de la recherche, au-delà des problèmes politiques que cela pose, bref, redonner à ce secteur une véritable priorité. Si vous ne le faites pas, nous serons obligés de nous y atteler dès 2007…

M. Paul-Henri Cugnenc. Le temps des rêves est arrivé !

M. Jean-Yves Le Déaut. …car c’est le seul moyen de permettre à la France de retrouver son rang ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Christian Philip.

M. Christian Philip. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite insister à mon tour sur les liens entre ce projet de loi et les perspectives européennes. Je remercie à cet égard le président et rapporteur Jean-Michel Dubernard d’avoir accordé une attention particulière à la dimension européenne, tout comme l’a fait notre collègue Daniel Garrigue dans son rapport devant la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne.

Avec ce texte, la France se donne les moyens de faire de notre pays l’un des plus volontaristes de l’Union. C’est essentiel, car la recherche sera le premier facteur de développement dans les vingt prochaines années. Il en va de l’indépendance de la France, et aussi de celle de l’Europe. La croissance et l’emploi de demain dépendent étroitement de la recherche et de l’innovation d’aujourd’hui. Or, si notre pays occupe un bon rang mondial pour ce qui est du montant des investissements destinés à la recherche et au développement, son effort de recherche rapporté à son PIB n’a cessé de reculer ces dernières années, y compris entre 1997 et 2002.

Il nous faut impérativement rattraper ce retard, surtout par rapport aux États-Unis et au Japon, pour ce qui est des dépenses par rapport au PIB mais surtout des structures. Si la recherche publique est en retard, il en va de même de la recherche dans nos entreprises. Une évolution structurelle est nécessaire, passant notamment par une amélioration notable du pilotage stratégique de la recherche française et par la fin des cloisonnements entre enseignement supérieur et établissements publics de recherche, entre universités et grandes écoles, entre laboratoires publics et laboratoires privés, entre recherche privée et recherche publique.

J’attire votre attention sur le fait que ce texte ne suffira pas si nous ne parvenons pas à convaincre nos partenaires européens de faire de la recherche une des priorités budgétaires des prochaines années. Or, des arbitrages restent à faire, et force est de constater que ni la France ni l’Union européenne ne sont au rendez-vous des objectifs fixés par le Conseil européen de Barcelone.

Si j’insiste sur la dimension européenne, c’est que je suis convaincu que seule l’Europe peut nous inciter à dépasser certains corporatismes nationaux. Si nous ne pouvons les dépasser, les instruments créés par la loi ne suffiront pas. D’ailleurs, sans l’initiative européenne, nos universités auraient-elles accepté si rapidement le système européen LMD ?

Ce texte peut permettre une évolution essentielle pour nos universités et nos grandes écoles. Les PRES, les campus, peuvent contribuer à restructurer notre paysage universitaire. J’attends de l’Europe qu’elle définisse un label européen en matière de gouvernance des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Pour obtenir ce label, garantie de notre attractivité, je suis sûr que nous saurons, comme nous l’avons fait pour le LMD, accorder aux établissements cette autonomie indispensable qui fait encore aujourd’hui l’objet de querelles idéologiques.

J’attends aussi de l’Europe qu’elle crée une Agence européenne d’évaluation. L’agence créée par ce texte prendrait place dans un réseau d’agences nationales gravitant autour de l’Agence européenne et devrait respecter les principes fixés au niveau européen afin d’obtenir le label indispensable.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Ce n’est pas l’avis de M. Potocnik !

M. Christian Philip. Certes, mais cela ne m’empêche pas de le souhaiter ! Dans certains secteurs, on voit se multiplier les agences européennes. Si la création d’une agence européenne d’évaluation est nécessaire, pourquoi ne pas le dire ?

Sans vouloir multiplier les institutions, j’attends enfin de l’Europe qu’elle crée une agence, ou tout autre organisme, afin de promouvoir la recherche en sciences humaines et sociales, car elle ne peut laisser de côté cet aspect de la recherche. Si les nouvelles technologies sont essentielles, il est tout aussi indispensable de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons. Face aux difficultés de nos sociétés contemporaines, aux conséquences économiques de certaines explosions sociales, il n’est pas improductif d’investir dans la recherche en sciences juridiques, économiques, humaines et sociales.

Je voudrais enfin évoquer, dans le respect du principe de subsidiarité, le rôle important des collectivités territoriales, des régions en particulier, de plus en plus impliquées dans les activités de recherche.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Absolument !

M. Christian Philip. L’État les invite à investir davantage dans ce domaine, où elles jouent un rôle de tout premier plan, par le biais des pôles de compétitivité. A cet égard, l’absence d’une compétence clairement reconnue aux collectivités locales dans ce domaine peut poser problème, comme l’attestent plusieurs décisions de tribunaux administratifs. Le CSRT s’est exprimé sur ce point. Pour ma part, je partage l’avis de notre collègue Anne-Marie Comparini.

Dernier point : la ratification éventuelle du protocole de Londres sur le brevet européen. Cette question difficile rejoint celle de la défense de la langue française. La commission des finances souhaite que nous ratifiions ce protocole. Je pense pour ma part qu’un débat plus général est nécessaire, le sujet méritant un examen à part entière. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Paul-Henri Cugnenc.

M. Paul-Henri Cugnenc. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la recherche est l’un des gisements de nos emplois futurs. Les grands pays industrialisés l’ont bien compris, qui y consacrent une part importante de leur budget national, qu’il s’agisse de la recherche publique ou de la recherche privée.

Notre pays, lui, a pris du retard ces dix dernières années. L’émotion que cela a suscité dans le monde de la recherche et la vigilance du Gouvernement, qui a bien pris conscience des enjeux, ont permis d’amorcer un retournement salutaire de la situation.

Avec des moyens publics en augmentation d’un milliard d’euros en 2005 et en 2006, de façon à porter l’effort public global à 24 milliards d’euros en 2010, soit 27 % de plus qu’en 2004, le mouvement est engagé.

Le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui prend tout son sens dans cette dynamique nouvelle initiée par notre majorité, comme l’a souligné notre rapporteur, dont je tiens à saluer la qualité du travail.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Je vous remercie !

M. Paul-Henri Cugnenc. Ce texte est un élément de l’édifice actuellement en construction dans un environnement largement réglementaire. Il propose des réformes ambitieuses, la recherche de l’excellence devant permettre à notre pays de conserver, voire d’améliorer son rang dans le monde. Il n’est pas d’autre choix pour notre recherche que de se réformer.

La création par la loi de finances pour 2005 de l’Agence nationale pour la recherche a été un élément majeur de cette dynamique. Sa transformation de groupement d’intérêt public en établissement public, à l’article 7 de ce texte, montre que la volonté politique du législateur est encore renforcée. L’ensemble des biens, droits et obligations du groupement d’intérêt public sont désormais dévolus à l’établissement public « Agence nationale de la recherche ». Le bilan encourageant de l’année écoulée permet d’envisager avec confiance et vigilance les perspectives de développement de ce nouvel établissement public.

Créée le 7 février 2005, l’ANR a pour objectif d’accroître le nombre de projets de recherche performants, en facilitant le financement des projets de recherche fondamentale, dans des partenariats aussi bien publics que privés. Ont ainsi pu être sélectionnés trente-cinq appels à projets et quelque 1 400 projets dans lesquels sont impliqués 4 500 équipes ou chercheurs individuels. Il faut saluer la mobilisation remarquable des communautés de recherche qui ont participé à ce processus de présentation et d’évaluation des projets. Cette initiative a permis à de jeunes chercheurs de s’engager dans des travaux touchant aux domaines de l’énergie, de l’environnement, des sciences de l’information, de la biologie ou de la santé.

Pour le département biologie et santé, près de 110 millions d’euros ont ainsi été engagés en 2005, ce qui en fait le deuxième secteur thématique de l’ANR en volume de financement…

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. C’est vrai !

M. Paul-Henri Cugnenc. …et le premier en nombre de projets soumis – près de 1 300 – et financés – plus de 270 – sur des thèmes aussi variés que les maladies cardiovasculaires, neurologie et diabète, les neurosciences, neurologie et psychiatrie, microbiologie et immunologie, les maladies rares, santé et environnement, santé et travail, les biotechnologies ou encore les technologies au service de la santé et l’innovation. Dans tous ces secteurs, les principaux acteurs institutionnels de la recherche ont été associés.

Quelles sont les perspectives de l’ANR en tant qu’établissement public ? Nous avons souligné les efforts financiers considérables des pouvoirs publics. Le présent projet de loi, en transformant l’ANR en établissement public, lui donne un statut juridique lui permettant d’inscrire son action dans la durée, au service de la recherche française. L’expérience ayant été concluante depuis 2005, il ne paraît pas déraisonnable de passer à cette nouvelle étape. La nécessaire montée en puissance de l’ANR répond à une exigence nouvelle. Elle facilitera les synergies entre recherche fondamentale et recherche appliquée, comme entre recherche publique et privée. Mais il reste du chemin à parcourir.

Pour éviter toute contestation dans l’attribution des crédits, on pourrait envisager que les résultats de l’évaluation mentionnent explicitement les noms et qualités des évaluateurs. Il pourrait paraître judicieux, pour stabiliser le nouvel établissement, de faire de l’ANR un établissement public administratif, mais une certaine souplesse dans le fonctionnement doit être préservée. Une partie des crédits devrait ainsi pouvoir être allouée à des projets non thématiques, de manière à laisser place à de la recherche non finalisée. On pourrait également imaginer que l’ANR soit dotée de véritables contrats d’objectifs.

Vous le voyez, mes chers collègues, cette majorité a su entendre les préoccupations du monde de la recherche et trouver les moyens de répondre à ses attentes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Charzat.

M. Michel Charzat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en mars 2002, le Conseil européen de Barcelone a décidé d’accroître l’investissement des pays membres de l’Union dans le domaine de la recherche avec l’objectif d’y consacrer 3 % du PIB d’ici à 2010. L’enjeu était de faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde ».

Pourtant, la recherche européenne continue d’accuser un retard préoccupant par rapport aux pôles américains, canadiens et bientôt japonais, puisqu’elle ne représente que 2 % de la richesse produite par les vingt-cinq États-membres. Cette situation ne pourrait être redressée que par un effort accru de chaque État-membre.

Or, depuis 2002, la France semble avoir renoncé à montrer l’exemple. Année après année, les budgets traduisent l’incapacité de votre gouvernement, messieurs les ministres, à donner à la recherche la place qu’elle mérite, au cœur des priorités nationales et européennes.

M. Jean-Yves Le Déaut. Eh oui !

M. Michel Charzat. Suite au mouvement des chercheurs et des étudiants en 2004, vous vous étiez pourtant engagés à garantir la stabilité et la progression des moyens de la recherche. Qu’en est-il aujourd’hui ? Force est de constater que les promesses ne se concrétisent nullement dans le projet de loi que vous nous soumettez tardivement aujourd’hui, après un long détour par le Sénat.


L'augmentation des moyens dévolus à la recherche suppose un accroissement équilibré des investissements publics et privés dans ce secteur. Or l'effort national de recherche stagnera au mieux, alors qu'il conviendrait d’accroître la part de la recherche tant publique que privée dans le produit intérieur brut de 40 % pour atteindre l’objectif des 3 % en 2010.

L'État, qui devrait jouer un rôle moteur dans le financement, mais aussi dans le pilotage de la recherche française, se désengage de plus en plus. Au lieu d'assumer vos responsabilités, vous déléguez l'élaboration de la stratégie nationale de recherche à des agences, telles l'Agence nationale pour la recherche, l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, l'Agence de l'innovation industrielle, ou encore l'Académie des technologies. Cette prolifération d'agences ad hoc est la déclinaison d'un modèle politique néolibéral permettant à l'État de « gouverner à distance » à travers de nouvelles structures qui vont imposer leurs priorités et, en l'occurrence, mettre au pas les universités et les organismes de recherche. En cela, votre projet de loi se refuse à soutenir le service public de recherche, qui deviendra de plus en plus un prestataire de la recherche privée. Qu'adviendra-t-il de la nécessaire liberté des chercheurs, garante d'une recherche indépendante de qualité ?

Quelle place sera accordée aux projets «blancs » exploratoires de l'ANR, qui devraient, selon nous, être développés et encouragés ?

Mais au-delà de ces choix politiques néfastes, l'empilement et la superposition des structures contribuent à rendre notre système de recherche de moins en moins lisible. Il faudrait, au contraire, simplifier notre dispositif national pour le rendre accessible, notamment à nos partenaires européens. Multiplier les structures est sans doute un moyen pour vous de masquer votre parti pris idéologique, votre méfiance à l’encontre de l'université et des organismes de recherche publics.

Pour peser à l'échelle de l'Union européenne, il faut présenter une France au potentiel scientifique équilibré au regard de la répartition géographique, des rapports public-privé et des relations entre universités, organismes de recherche et grandes écoles.

Assurer le rayonnement européen de notre pays, c'est aussi rendre les carrières scientifiques attractives et inciter les talents étrangers à venir travailler chez nous. L'indexation des allocations de recherche sur l'évolution des rémunérations de la fonction publique que vous proposez ne suffira pas à enrayer le phénomène de précarisation des doctorants et à assurer leur intégration professionnelle.

M. Jean-Yves Le Déaut. Exactement !

M. Michel Charzat. Votre projet ne nous présente, par ailleurs, aucune avancée en matière d'accueil des étudiants étrangers et de mobilité des doctorants. Il fait également l'économie d'une réflexion de fond sur la mise en œuvre de la « charte du chercheur européen » et du « code de bonne conduite en matière de recrutement des chercheurs ».

Nous sommes non seulement loin de l'intégration du système français dans l'espace européen de la recherche, mais également loin d'offrir à nos chercheurs les moyens de remplir leurs missions dans de bonnes conditions. En panne d'une volonté politique pour relancer la construction de l'Europe, vous êtes incapables de programmer l'avenir de la recherche, c'est-à-dire notre avenir commun de Français et d'Européens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi de programme pour la recherche arrive à point nommé.

Il sous-tend une ambition. Quoique contrariée, cette ambition est liée à la stratégie de Lisbonne qui recommande de manière pressante aux partenaires européens de s'orienter vers l'économie de la connaissance la plus compétitive.

Pour atteindre cet objectif, le nouveau cadre prévoit : la restructuration du paysage institutionnel ; le renforcement de moyens financiers dédiés ; le développement d'interfaces et de coopération entre acteurs publics et entreprises.

Ces nouvelles perspectives s'inscrivent également dans une dimension territoriale.

En effet, la politique de recherche est annoncée comme devant être intensifiée par le biais de pôles de compétitivité, dans lesquels les régions peuvent être associées.

À ce propos, il est opportun, légitime et vital d'instaurer un pôle de compétitivité endogène couvrant l'ensemble Guadeloupe, Guyane et Martinique, à travers l'université Antilles-Guyane à qui serait assigné le rôle de fédérateur.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Très bien !

M. Alfred Marie-Jeanne. L'objectif étant aussi de corréler la recherche au développement.

En effet, les caractéristiques géographiques et climatiques de ces pays en font des laboratoires naturels avec des créneaux diversifiés, tels que la biodiversité, le milieu marin, les énergies alternatives, l'agronomie, ainsi que la gestion des risques allant du cyclonique à l'environnemental, en passant par le sismique, le phytosanitaire et l'épidémiologique.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Très juste !

M. Alfred Marie-Jeanne. L'épidémie de chikungunya, en cours dans l'île de La Réunion, témoigne de la nécessité de domicilier et d'adapter la politique de recherche dans les pays dits « d'outre-mer ».

À situations particulières, préoccupations particulières, décisions particulières, messieurs les ministres.

Les diverses potentialités que je viens d'énumérer sont d'autant plus stratégiques que les bouleversements sociétaux, économiques et environnementaux en font des spécialisations incontournables.

D'ailleurs, il serait inexact de croire que la recherche en Martinique, par exemple, ne soit restée qu'au stade embryonnaire ou du balbutiement.

Disons, pour expliciter, que la Martinique a plutôt servi de cobaye, de champ d'expérimentation dans maints et maints domaines, et que les résultats ont été dissipés et utilisés ailleurs, sans retombées positives pour elle-même. Un exemple, un seul : le vitro-plant banane dont le brevet a été acheté par un pays étranger qui, ensuite, nous revend le produit.

M. Jean-Yves Le Déaut. Eh oui !

M. Alfred Marie-Jeanne. Aujourd’hui, c’est d’une réelle politique scientifique dont nous avons besoin pour accroître l’attractivité et assurer, de façon pérenne, l’adéquation entre recherche, poursuite des études et vocations scientifiques.

Messieurs les ministres, le constat est là : les orientations prises ne répondent pas tout à fait aux enjeux de la recherche pour la Martinique.

Évitons de faire sombrer l'université Antilles-Guyane dans le bas de gamme, alors que les atouts existent.

Évitons de la confiner dans un rôle de formation primaire, avec les conséquences inéluctables de voir les cerveaux s'en aller, ce qui contribuerait d'autant au déclin de l'enseignement supérieur et, partant, de la recherche.

M. Yves Durand. Très juste !

M. Alfred Marie-Jeanne. Ce n'est pas ce que vous souhaitez, je l'espère. Mais nous en prenons le chemin.

Rappelons que, pour se positionner comme un des acteurs majeurs de la construction de l'Europe de la recherche et de la connaissance, la France propose, à l'horizon 2010, de consacrer 3 % au moins de son PIB aux dépenses de recherche et de développement.

Dans le même temps, l’ordre de grandeur des crédits d’État contractualisés dans l'actuel contrat de Plan État-région Martinique n'atteint même pas les 4 millions d'euros étalés sur sept ans.

De tels chiffres confirment l’effacement irréversible du pôle de recherche en Martinique.

La plus grande partie des aides ira donc vers les grands pôles de compétitivité, là où se trouve déjà presque tout : grands laboratoires, grandes universités, grandes entreprises.

Je peux comprendre cette stratégie, sans pour autant aller jusqu'à soumettre la recherche à l’économique.

Tenant compte de notre contexte, la démarche préconisée ne doit pas s'opérer au détriment de la Martinique qui doit jouer le rôle qui lui revient. Car cela se peut, car cela se veut, car cela se justifie au regard de ses atouts, tant naturels qu'intellectuels, et de ses résultats.

Messieurs les ministres, j 'espère avoir capté positivement votre attention, c'est-à-dire vous avoir convaincus du bien-fondé de la revendication martiniquaise en ce domaine.

N'oubliez surtout pas que la recherche d'aujourd'hui augmentera le savoir de demain, lui-même étant à la base du savoir-faire du surlendemain.

Mon intervention est loin d'être une accusation. Elle se veut avant tout une démonstration et un plaidoyer.

Je me demande si, à ma place, vous n'auriez pas agi de même et avec plus de persuasion encore que moi-même.

À votre place, par contre, vous pouvez réagir favorablement en rendant un verdict positif, pas forcément hâtif, car il y va de l'intérêt général et supérieur bien compris.

Il n’est jamais trop tard pour mieux faire, messieurs les ministres. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Bravo !

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. « C'est sur le développement de la recherche privée que nous avons le plus de progrès à faire » : je vous cite, monsieur le ministre de Robien, et je suis prêt à vous suivre dans ce raisonnement. Sauf que nous n'allons certainement pas prendre le même chemin ; nous ne poserons peut-être pas les mêmes conditions.

Première condition pour ce qui me concerne : le développement de la recherche privée ne peut se faire au détriment de la recherche publique, aujourd'hui fortement fragilisée.

Or, lorsqu'on analyse vos prévisions budgétaires, on s’aperçoit que leur hypothèse de faible augmentation, année après année – et le débat sur les euros constants ou les euros courants n'est pas neutre –, ne repose que sur un crédit d'impôt « virtuel » accordé à la recherche privée. C'est donc une hypothèse dont on parle et ce n'est pas une garantie.

Deuxième condition : ne pas faire en permanence la confusion entre recherche et innovation.

L'innovation, si elle est indispensable, tient souvent, passez-moi l’expression, du marketing : meilleure ergonomie, nouveau look, meilleur rendement. La recherche, quant à elle, c'est autre chose, c'est le changement de technologie, c'est la mutation profonde des modes de concevoir, d'analyser, c'est la nécessité d'aller toujours plus loin pour que le résultat de cette recherche, le bénéfice collectif de cette recherche nous soit toujours plus proche, plus bénéfique au sens du progrès universel.

Troisième condition : préserver toujours la vision à long terme, en dehors de toute obsession de rentabilité immédiate.

J'avais été frappé, il y a quelques années, lorsque le président d'une grande entreprise, encore publique, de télécommunications, à qui je reprochais d'abandonner des pans entiers de son activité recherche et de transférer ces moyens vers l'action commerciale et le marketing, m'avait répondu que les technologies du futur, il les achèterait sur les étagères de ses fournisseurs car il n'avait pas d'argent à perdre pour chercher ce que d'autres trouveraient à sa place.

L'histoire nous indique parfois qu'une position dominante sur un marché peut vite s'écrouler si une mutation technologique, accessible à un prix devenu prohibitif pour ceux qui ne la maîtrisent pas, peut définitivement éliminer un acteur qui n'a pas su anticiper par manque d'investissement propre en matière de recherche.

Ce témoignage exprime assez bien, je crois, la limite de ce que l'on peut attendre du développement de la recherche privée. S'engager au titre de l'entreprise, c'est forcément, et c'est légitime, s'inscrire strictement dans une logique de marché à terme rapproché. Cela tient plus souvent de l'innovation que de la recherche en tant que telle. C'est la raison pour laquelle il faut être prudent dans le décompte et dans l'analyse de ce qui est éligible fiscalement au titre de la recherche en entreprise. Comment mesurer la démarche, et comment éviter les effets d'aubaine ?

Se satisfaire d'une politique de recherche qui se réaliserait essentiellement dans le cadre de l'entreprise, c'est prendre à jamais le risque d'assécher la source « régénérante », indispensable à la vie, dans tous les domaines, de la recherche publique fondamentale.

Il y a un seuil en dessous duquel la recherche publique, dans la puissance de ses complémentarités interdisciplinaires, dans sa liberté d'action, dans son enthousiasme, hors des contraintes de l'urgence, ne doit pas descendre, et ce serait dangereux en premier lieu, d’ailleurs, pour les entreprises, monsieur le ministre.


Enrichir la connaissance, ce n’est pas forcément répondre aux besoins du marché, c’est une exigence plus universelle, moins conjoncturelle.

J’ai la fierté d’être maire d’une commune qui, depuis 1990, accueille un site industriel mondial de recherche et développement, qui regroupe plusieurs entreprises et plusieurs laboratoires de recherche, dont un centre de recherche américain délocalisé en France − Mme Comparini connaît bien ce dossier − et qui constitue l’un des modèles dont notre collègue Christian Blanc a vanté le rôle dans l’émergence des pôles de compétitivité. Lorsque le Président de la République est venu inaugurer une extension importante de ce site, j’ai tenu à rappeler que les milliers d’emplois et ses succès industriels n’auraient jamais eu droit de cité sans l’appui de la recherche publique fondamentale, celle de l’université, celle du CEA, et en particulier du LETI.

Je veux témoigner ici de cette culture, de cet état d’esprit des chercheurs dans la recherche publique. Ils sont partie prenante de l’aventure humaine, ils ont le sens du travail en réseau, ils ont acquis le sens de la mutualisation et du partage de la connaissance, ils sont les tenants d’une générosité qui est seule garante de l’intérêt général.

Messieurs les ministres, s’il est vrai que l’économie de demain repose sur l’innovation d’aujourd’hui, l’innovation d’aujourd’hui trouve sa source dans la recherche d’hier. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Alors, de grâce, méfions-nous des thèmes de recherche imposés sans concertation, méfions-nous des statuts précaires. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe socialiste.) La recherche publique a besoin de liberté et de sérénité. Cela ne signifie pas pour autant l’absence de contrôle ou d’objectifs définis en commun, mais qu’il y a des moyens publics et garantis. Faire l’apologie de la recherche financée par le secteur privé avec l’arrière-pensée − je conviens que c’est peut-être là un procès d’intention − que, ainsi, le budget de l’État va réaliser des économies, c’est faire fausse route. C’est, en tout cas, le danger principal auquel nous soumet la philosophie de votre texte.

Le projet de loi souffre d’une autre carence majeure : il marque un rendez-vous manqué avec les universités. Mais d’autres ayant insisté sur ce point, je n’y reviendrai pas.

En conclusion, messieurs les ministres, il n’est pas question pour moi d’opposer la recherche publique à la recherche privée. Il est juste nécessaire de rappeler que, malgré l’intelligence de leur projet et leur sens de l’innovation, nos petites et moyennes entreprises ne pourront jamais financer de vrais laboratoires de recherche. Il faut que la recherche publique puisse être un partenaire ouvert et disponible sans que, pour elle, le contrat avec l’entreprise soit un contrat de survie venant compenser le manque de financements publics.

Ainsi, en disant que c’est sur le développement de la recherche privée que nous avons le plus de progrès à faire, j’entends affirmer d’abord la nécessité du renforcement de la recherche publique, y compris à l’échelle européenne − sans laquelle la respiration de notre intelligence collective n’est ni aussi puissante ni aussi profonde que l’exigent l’avenir des générations futures et les espoirs que nous devons former pour elles. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Que c’est beau ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Ménage.

M. Pascal Ménage. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, de tout temps, la recherche et l’innovation ont été le reflet de la puissance d’une nation. Elles contribuent également à l’essor économique d’un pays. Ce qui était vrai hier l’est avec plus d’acuité aujourd’hui, en ce début de xxie siècle où la compétition mondiale impose aux grandes nations un effort sans précédent dans ce domaine. C’est un enjeu majeur pour la France, c’est le défi que relève notre pays par le choix politique qu’assume aujourd’hui le Gouvernement.

Le projet de loi de programmation pour la recherche, qui fait l’objet de notre discussion, a été élaboré en concertation avec les différents acteurs. Il est la synthèse d’un travail approfondi résultant de très nombreuses consultations auprès de l’ensemble des responsables. Le Gouvernement confirme ainsi l’engagement de notre pays dans la recherche en accompagnant ce texte d’une mobilisation de moyens humains et financiers sans précédent.

L’un des piliers fondamentaux du projet de loi repose sur une offre attractive et évolutive des carrières scientifiques. Il s’agit là d’un sujet central. La performance de la recherche française dépend à terme de sa capacité à attirer aujourd’hui les meilleurs et à conserver ses chercheurs. Force est de constater que nos prédécesseurs, manifestement frappés d’agnosie, ont laissé s’installer une situation qui a abouti à la grave crise que nous avons connue en 2004.

De nombreuses mesures en faveur des jeunes chercheurs, qui représentent aujourd’hui la moitié du potentiel national, étaient attendues. Elles sont inscrites dans le texte. Ce sont des avancées importantes. L’augmentation de l’allocation de recherche, depuis longtemps réclamée par la Confédération des jeunes chercheurs, permet une amélioration des conditions de vie des doctorants : en trois ans, elle a été revalorisée de 17 % et le sera de 16 % au cours des deux prochaines années ; elle est désormais indexée sur le point d’indice de la fonction publique. Pour acquérir sa pleine efficacité, elle doit être réévaluée annuellement de façon à atteindre le niveau de 1,5 fois le SMIC.

La présence de différents niveaux d’allocation pour des chercheurs partageant des responsabilités similaires dans un même laboratoire doit disparaître. Il est indispensable que l’allocation de recherche se rapproche par étapes du niveau actuel du salaire d’embauche pour un poste statutaire, afin d’assurer une cohérence avec la qualification du doctorat comme première expérience professionnelle.

Enfin, le doctorant est désormais reconnu comme salarié de l’État. Il bénéficie de toute la couverture sociale − chômage, maladie et retraite −, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. Cela permettra de résorber les libéralités, pratiques scandaleuses et dégradantes pour les jeunes doctorants. Le projet de loi apporte une première réponse au flou juridique et sémantique qui entoure le statut de doctorant, dont on a pu se demander s’il était un travailleur ou un étudiant. Le doctorant est bel et bien un travailleur. Le titre de docteur doit donc être inscrit dans les conventions collectives et intégrer la grille de la fonction publique, comme c’est déjà le cas pour la chimie.

Parallèlement, l’attractivité des carrières dans la recherche publique est renforcée. Il faut rappeler que 3 000 postes sont créés en 2006, avec une répartition équilibrée entre, d’une part, chercheurs et enseignants-chercheurs, et, d’autre part, les personnels techniciens, ingénieurs et administratifs, condition indispensable pour un fonctionnement efficace des laboratoires.

Des décharges d’enseignement pour les jeunes maîtres de conférences qui souhaitent se consacrer davantage à la recherche sont créées.

Enfin, il n’est pas de compétitivité sans reconnaissance de la valeur du travail et du mérite. Ainsi, un parcours d’excellence pour les jeunes scientifiques publics, avec la création des bourses Descartes, assurera une valorisation des meilleurs.

Mais un écueil important subsiste : l’âge moyen d’entrée est actuellement scandaleusement élevé…

M. Pierre Cohen. Très vrai !

M. Pascal Ménage. …puisqu’il est de trente ans pour les chargés de recherche 2, et de trente-cinq ans pour les chargés de recherche 1. Le recrutement des chercheurs doit impérativement être abaissé afin d’éviter que les thésards ne soient privés de statut pendant une période qui peut parfois atteindre jusqu’à six ans avant leur embauche. Cette précarité constitue un barrage social évident et s’oppose à l’exercice du métier de chercheur.

Enfin, la création des contrats CIPRE, contrat d’insertion de post-doctorant pour la recherche en entreprise, est une mesure novatrice. Elle apportera un élargissement des débouchés professionnels dans les entreprises, l’objectif du Gouvernement étant d’atteindre une stabilité d’emploi dans les trois années qui suivent l’obtention du diplôme.

Mes chers collègues, le projet de loi de programmation pour la recherche est un texte majeur, car il engage la France à se doter des moyens indispensables pour affronter aujourd’hui les enjeux internationaux et répondre ainsi aux grands défis de la planète et de la société de demain. La France, à l’image de l’Union européenne, a l’ambition d’être aux avant-postes de la connaissance et à l’avant-garde de la compétition mondiale. Celui qui remportera cette compétition gagnera le respect des autres, car il détiendra la puissance économique, le progrès social et le bien-être individuel.

Je suis, quant à moi, très fier d’appartenir à la majorité parlementaire qui participe à l’enrichissement de ce texte et de soutenir le Gouvernement qui a su, avec courage et lucidité, prendre la mesure des enjeux pour que la France soit, dans ce domaine, à la seule place qui nous montre notre avenir, la première. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Très bien !

Un député du groupe socialiste. Les pauvres, ils sont complètement schizophrènes !

M. le président. La parole est à M. Jean Bardet.

M. Jean Bardet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons a pour objectif de favoriser la recherche en stimulant et en responsabilisant à la fois les chercheurs et les organismes de recherche.

Notre président rapporteur a répété que, si nous voulions concurrencer les États-Unis et les pays émergents, notre recherche devait se doter d’une dimension européenne. Un amendement a même été voté en commission, précisant que le Haut Conseil « veille à assurer la cohésion de ses recommandations avec les actions menées dans l’espace européen de la recherche ».

C’est le Gouvernement qui fixe les grands objectifs de la recherche, mais il ne faut pas que celle-ci soit bridée par des considérations propres à notre pays dont je comprends les raisons mais dont je doute de l’opportunité, dans la mesure où d’autres pays européens, qu’on ne peut a priori soupçonner d’être plus ou moins éthiques que le nôtre, n’ont pas fixé les mêmes règles.

Dans cette discussion générale, je voudrais évoquer un thème qui me semble fondamental pour les chercheurs français : le clonage thérapeutique. J’ai d’ailleurs déposé un amendement à ce sujet.

La loi sur la bioéthique, votée par l’Assemblée nationale en première lecture à une très large majorité, le 22 janvier 2002, autorisait les recherches sur les cellules souches embryonnaires et chargeait l’Agence de la biomédecine de faire des propositions dans le domaine du clonage dit « thérapeutique ».

En deuxième lecture, la loi sur la bioéthique du 6 août 2004 interdisait, en son article 22, toute recherche sur le clonage thérapeutique. L’article 511-2 du code pénal assujettit cette interdiction à une peine de prison de sept ans et à une amende de 100 000 euros.

Il est prévu que cette loi soit révisée tous les cinq ans, et c’est cet argument que l’on a opposé, en commission, à un amendement que l’on m’a demandé de retirer mais que je défendrai en séance publique. Je voudrais simplement remarquer que la première loi de bioéthique de 1994, qui devait elle aussi être révisée tous les cinq ans, ne l’a été qu’en 2002, c’est-à-dire huit ans après. En outre, un député de l’opposition, apparenté socialiste, a également estimé que ce délai de cinq ans était trop long, puisque, le 25 mai 2005, il a présenté une proposition de loi allant dans le même sens que l’amendement que je défendrai.

Des chercheurs de Grande-Bretagne, de Belgique et de Corée du Sud se sont lancés dans la voie du clonage thérapeutique, et, si les résultats fallacieux des derniers sont sujets à caution et les condamnent auprès de la communauté scientifique, ils ne condamnent pas la recherche elle-même.

L’expression de « clonage thérapeutique » est d’ailleurs mauvaise, car elle laisse supposer que, dans un avenir proche, de telles recherches auront des retombées tangibles et susceptibles de donner des espoirs à des malades atteints de maladies incurables. Certes, j’ai entendu tout à l’heure le ministre François Goulard parler des retombées sanitaires de la recherche fondamentale. Encore faut-il lui en donner les moyens. Aussi, à l’expression de « clonage thérapeutique », faut-il préférer celle de « clonage non reproductif » ou de « clonage scientifique ».

L’interdiction faite aux chercheurs français, qui ont toujours été en avance dans ce domaine de la biologie, de mener des recherches sur ce sujet, leur fait prendre un retard scientifique considérable. De plus, au moment où, en raison des délocalisations vers les pays où la main-d’œuvre est bon marché, la France perd des emplois dans les professions à faible valeur ajoutée, ce n’est qu’en développant des techniques de pointe qu’elle pourra rivaliser avec les pays émergents.

Il ne faudrait pas que, par excès de rigueur, la France institue une inquisition moderne.

M. Yves Durand. Très juste !

M. Jean Bardet. Personnellement, je serai toujours du côté de Galilée et non de celui de l’Inquisition…

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. Bravo !

M. Jean Bardet. …du côté de Harvey et non de celui d’Ambroise Paré qui se demandait − M. le président de la commission va apprécier − ce « qu’a à faire un chirurgien de la circulation sanguine », du côté de Pasteur et non de celui de Pouchet qui défendait la thèse de la génération spontanée, du côté de Darwin et non de celui de certains États ultraconservateurs nord-américains qui interdisent tout enseignement de la théorie évolutionniste de Darwin.

Je sais que le Premier ministre a nommé notre collègue le professeur Pierre-Louis Fagniez parlementaire en mission…

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. C’est un homme remarquable !

M. Jean Bardet. …et je ne doute pas du sérieux de son travail et de ses conclusions, mais je ne sais pas si son rapport fera réellement évoluer la situation : le comité consultatif national d’éthique n’a-t-il pas déjà émis un avis favorable sur le sujet, nos collègues Alain Claeys et Claude Huriet n’ont-ils pas déjà fait en 2000, au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, un rapport sur ce sujet et neuf prix Nobel français n’ont-ils pas signé une pétition allant dans ce sens ?

En se privant des retombées que les recherches sur le clonage non reproductif pourraient avoir, la France se pénalise dans les domaines scientifique et économique.

De plus, alors que cette loi a pour but − comme l’a rappelé le ministre − de faire revenir dans notre pays les chercheurs qui se seraient expatriés pour diverses raisons, on peut se demander quel serait le statut d’un jeune chercheur français qui aurait travaillé en Angleterre sur le clonage scientifique et qui souhaiterait revenir en France ou qui y séjournerait temporairement pour un colloque ou pour des vacances ? Le jetterait-on en prison ?

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. Pour lui, on rétablira la guillotine ! (Sourires.)

M. Jean Bardet. Quel serait le statut de ce chercheur qui aurait déposé des brevets et qui reviendrait en France ? S’il n’est pas directement jeté en prison, pourrait-il vivre des royalties qu’il toucherait ?

Mon amendement a été rejeté en commission, et je ne doute pas qu’il subira le même sort en séance, mais aucune réponse de fond n’a été donnée aux questions que je pose.

M. Yves Durand. C’est vrai !

M. Jean Bardet. On s’est contenté de me dire que j’avais raison, mais que ce n’était pas le moment. Certains voteront contre mon amendement par conviction : ils seront les moins nombreux, et je les en félicite. D’autres voteront contre par frilosité, pour ne pas se mettre à dos une partie de leur électorat. D’autres, enfin, voteront contre alors qu’ils ont déposé une proposition de loi allant dans le même sens. Tout cela n’est ni sérieux ni glorieux. Quoi qu’il en soit, une fois que mon amendement aura été rejeté, je pourrai encore dire : « Et pourtant, elle tourne ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Christian Kert.


M. Christian Kert
. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je me réjouis du credo européen exposé par le président Dubernard souhaitant que, par l’intermédiaire du pacte de la nation pour la recherche, la France devienne l’un des acteurs majeurs de celle-ci. Je crois aussi que la France doit se doter des outils nécessaires pour atteindre les objectifs définis lors du Conseil européen de Lisbonne.

Oui, la recherche est un nouveau paradigme économique. Pendant trop longtemps, il y a eu confusion des rôles, les politiques se tournant, au moment des grands choix, vers les scientifiques pour leur demander le chemin, alors que l’inverse eût été plus logique : il revient aux politiques de tracer la voie et aux scientifiques de l’éclairer.

J’aime à citer l’expression de l’ancien directeur de la recherche, Daniel Nahon, qui écrivait que si la recherche voulait se mettre au niveau européen, il lui faudrait apprendre à « tailler ses crayons », c’est-à-dire à retailler les outils de son fonctionnement, en réglant notamment les fonctionnements parallèles des organismes de recherche, d’une part, et de l’université, d’autre part.

Pour se mettre aux normes européennes, la France doit apprendre à redéfinir le périmètre de compétence et d’intervention de ses structures. Ainsi, des chercheurs nous disent qu’il arrive au CEA de répondre à une question qui est de la compétence de l’INRA, ou encore que, pour la moitié de ses activités, l’INSERM est doublé par des actions du CNRS. Il n’est donc que temps de clarifier les choses...

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission, rapporteur. Absolument : c’est ainsi depuis vingt ans, et on ne parvient pas à régler le problème !

M. Christian Kert. ...d’autant que, pendant trop longtemps également, la France a accepté de multiplier les programmes faisant doublons avec les programmes européens.

On l’oublie trop souvent, l’une des réussites de la science, c’est l’évaluation par ses pairs. Du temps de Pasteur, il y avait, pour travailler, un microscope et un chercheur. Lentement, on a appris à grouper des chercheurs autour d’un instrument. Le temps est venu désormais de grouper des campus autour des instruments. On a changé d’échelle dans les faits, mais les esprits ont-ils évolué ?

Il nous faut imaginer de nouveaux lieux de discussion et d’information, mais également de nouveaux moyens d’informer, et faire en sorte que la science entre dans la culture des citoyens en les faisant, par exemple, participer au collège « grand public » du Haut Conseil de la science et de la technologie. De même, il nous faut mettre la recherche en cohérence avec les besoins réels du pays.

Parmi les six objectifs du pacte, l’un consiste à renforcer l’intégration du système français dans l’espace européen de la recherche. À cet égard, il s’agira pour notre pays d’apprendre à travailler avec les autres États membres et la Commission européenne afin de mettre en place des instruments permettant d’accroître la coopération à l’échelle du continent autour de projets de taille.

Il conviendra aussi d’encourager la mobilité des chercheurs en affichant systématiquement dans les contrats d’objectifs et les contrats quadriennaux un objectif de croissance du nombre de mobilités de doctorants et de post doctorants français en Europe et à l’étranger ainsi que des postes d’accueils de chercheurs étrangers.

L’un des rapporteurs en appelait à plus de liberté dans la recherche. En voici une occasion ! La recherche française devra en effet se confronter de manière permanente – et salutaire – aux standards internationaux. Se comparer n’est-ce pas progresser ensemble ?

Monsieur le ministre, nous connaissons votre volonté d’introduire davantage d’experts étrangers permanents dans les établissements de recherche français et de créer des laboratoires binationaux et européens. Cette volonté, nous y adhérons, car c’est là, notamment, le moyen d’introduire la dimension européenne dans les contrats des organismes et des universités. La création de tels laboratoires dans certains secteurs stratégiques renforcera le positionnement des scientifiques français dans les réseaux d’excellence et les projets intégrés européens.

Renforcer le soutien administratif aux projets européens, anticiper sur le 7ème programme-cadre communautaire pour la recherche qu’évoquait Daniel Garrigue, afin de lancer à l’avance les appels à projet pour préparer en amont le travail des équipes françaises, voilà des actions qui nous permettront de faire entrer la recherche française dans le XXIe siècle européen !

Il ne faut pas craindre non plus d’impliquer la communauté scientifique et industrielle française dans les politiques de compétitivité industrielle.

Je suis en plein accord avec les conclusions du rapport d’information de notre collègue Daniel Garrigue au nom de la délégation pour l’Union européenne, lorsqu’il écrit qu’il y a urgence pour l’Union Européenne « de s’inscrire dans une démarche stratégique. » La lisibilité de grands objectifs clairement affichés fait en effet défaut aujourd’hui. Aussi nous paraît-il indispensable, monsieur le ministre, que l’Europe se dote rapidement d’une stratégie qui lui soit propre afin de construire un continent européen fondé sur la recherche, l’excellence et donc l’espérance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, dernier orateur inscrit.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, beaucoup a été dit dans cette discussion générale sur l’effort financier considérable programmé pour la recherche, sur la création d’outils utiles, tels que les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, sur le travail relatif à l’architecture des institutions, avec la création du Haut Conseil de la science et de la technologie et de l’Agence nationale de la recherche.

Faute de temps, je ne reviendrai pas sur chacun de ces points. Je me contenterai de n’en retenir que quelques-uns, en me plaçant à la fois sous le signe du grand désarroi qui s’est exprimé sous diverses formes ces dernières années, et sous celui de l’espoir que soulève aujourd’hui notre travail.

La recherche est notre avenir. D’autres pays l’ont bien compris et ne nous attendent pas. Un sursaut est nécessaire, ce texte en est le signal et l’instrument. Il y est question de moyens financiers, bien sûr, et l’effort est plus que conséquent. Je souhaite à ce propos avec mes collègues, messieurs les ministres, que ces moyens soient accordés à euros courants, de sorte que l’inflation ne rogne pas, année après année, nos engagements.

Mais les moyens ne sont pas tout. Ce texte est une boîte à outils, qui offre à chaque site les instruments de son développement et de sa visibilité internationale, ce qui était indispensable. Les classements internationaux nous rappellent, hélas, régulièrement combien notre organisation éclatée de la recherche nous pénalise.

Ce texte est également une opportunité qui s’ouvre aux institutions et aux laboratoires – qui peuvent se regrouper dans de nouvelles structures, se coordonner, se renforcer, se faire connaître –, mais aussi aux chercheurs, grâce à des conditions plus souples de participation à la création ou aux activités d’une entreprise de valorisation des résultats de la recherche.

Je suis l’élue d’un pays de chercheurs, comprenant le plateau de Saclay au nord, l’établissement de Bruyères-le-Châtel au sud, et les sites de Nozay, de Marcoussis et de Limours au centre, et je sais que rien n’est plus enthousiasmant que de voir un projet de recherche sortir de son laboratoire, porté par son auteur, pour être développé en entreprise. À l’inverse, rien n’est plus triste que le gâchis d’un tel projet, tué par la pesanteur d’un système qui décourage par son inertie.

Mme Anne-Marie Comparini. C’est vrai !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Le projet dont nous discutons lève plusieurs des barrières de cette course d’obstacles, ce qui est une bonne nouvelle pour les chercheurs, donc pour le pays.

Il marque également une volonté de réconciliation entre le monde de la recherche et la société civile. Je me suis beaucoup intéressée en leur temps aux travaux du groupe de travail Recherche et société  du collectif national « Sauvons la recherche », et j’ai eu à plusieurs reprises l’occasion d’évoquer ce problème, lors des travaux préparatoires du projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l’environnement, avec Gérard Meji, alors patron du CNRS et malheureusement disparu depuis.

Ce dialogue est extrêmement compliqué. Il est trop souvent rompu, repris puis abandonné. Il est fait de passion et aussi d’incompréhension et même de méconnaissance des demandes des uns et des desseins des autres : les organismes génétiquement modifiés sont à ce titre un cas d’école.

Le Haut Conseil devrait permettre d’institutionnaliser ce dialogue, en devenant un interlocuteur voire une caisse de résonance pour les demandes qui montent de la société. À cet égard, la possibilité d’une autosaisine doit être accueillie très favorablement.

Permettez-moi, en conclusion, de revenir en quelques mots sur le défaut de considération dont souffrent la recherche et les chercheurs dans notre société : il n’est ni bon ni supportable que ces derniers se sentent si peu reconnus et si mal aimés. S’il est utile que les échanges puissent se faire et même se multiplier avec des laboratoires étrangers, il n’est pas souhaitable que les « ailleurs » soient des terres promises – réelles ou fantasmées – pour les meilleurs. Réconcilier la recherche et la société française est une œuvre urgente : c’est ce à quoi le texte contribue, je le crois, utilement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Mesdames et messieurs les députés, je vais m’efforcer, avec François Goulard, de répondre très brièvement à chacun d’entre vous.

Je souhaite rassurer M. Claeys, qui s’est beaucoup interrogé sur la qualité de la concertation, en lui disant que ce projet a fait l’objet de nombreuses concertations avec les universités et les chercheurs. Mon collègue François Goulard, auquel je me suis souvent joint, a ainsi passé des dizaines d’heures avec les uns et les autres. Autant les rapports ont été dans un premier temps tendus, autant ils se sont par la suite améliorés. Nous avons, de tous ces échanges, essayé de retenir le maximum de propositions. C’est ainsi, pour ne prendre qu’un seul exemple, que les PRES, dont le projet de loi propose la création, était d’abord une proposition des universités.

Madame Comparini, vous avez demandé un nouveau statut pour les chercheurs et les enseignants-chercheurs. Pourquoi pas ? Mais le projet a plutôt pour objet de se concentrer sur autre chose : la question aujourd’hui est en effet de leur donner les moyens de travailler ensemble et, au-delà de cet encouragement, de les soulager des contraintes administratives, dont ils se plaignent beaucoup. C’est ainsi que, dans le cadre du pacte, nombre de mesures prévoient des allégements afin de leur permettre de se consacrer à l’essentiel.

Vous avez dit, madame la députée, que la grande oubliée était l’université. L’exemple des PRES est là pour vous montrer, au contraire, qu’elle est vraiment au cœur de notre réforme.

Vous avez par ailleurs appelé de vos vœux une réforme de la gouvernance. Celle-ci aura peut-être lieu un jour, mais le mouvement que l’on constate dans les universités en faveur des PRES montre, grâce aux nouveaux outils que nous leur proposons, que le degré d’autonomie dont elles disposent peut leur permettre d’évoluer. Nous sommes en tout cas prêts à examiner les amendements que vous avez annoncés et que vous présenterez en leur temps.

M. Bocquet a insisté sur la précarité. Or non seulement nous créons 3 000 emplois, mais nous supprimons également les libéralités qui constituaient une vraie précarité pour les thésards.

En revanche, nous sommes favorables à une recherche fondamentale libre, ce qui est la raison pour laquelle l’ANR réserve 30 % de ses crédits pour le financement des programmes blancs.

Ainsi que l’a indiqué M. Lasbordes, il est vrai que jamais un gouvernement n’avait créé autant de postes et que l’ANR est une agence de moyens. Nous avons bien noté son souci de transparence et sa demande d’un système d’évaluation simple.

Il est par ailleurs souhaitable que les entreprises s’intéressent aux doctorants, comme aux ingénieurs, et c’est pourquoi le Gouvernement, soucieux des moyens et de leur meilleure lisibilité, a souhaité une loi de programme.

Monsieur Durand, vous regrettez l’échec de beaucoup d’étudiants en premier cycle. C’est une préoccupation que nous partageons. Il faut reconnaître que c’est un peu la rançon de l’ouverture et de la démocratisation de l’université, mais nous ne pouvons bien sûr nous satisfaire de cette seule réponse. Nous pourrons diminuer ces échecs trop nombreux en travaillant sur l’orientation des jeunes – M. le Premier ministre nous a fait des recommandations en ce sens – et sur leur information la plus complète possible au moment de l’inscription en première année, mettant ainsi chacun devant ses responsabilités quant au choix de la filière ou de la discipline.

En effet, monsieur Garrigue, l’Europe n’est pas une option, mais une nécessité, sachant que la taille critique est souvent trop faible et la dispersion trop grande. Pour prendre l’exemple de l’IET, La Commission, qui nous en a présenté les contours la semaine dernière lors du dernier conseil des ministres de l’éducation, en est au tout début de sa réflexion. Mais, en tout état de cause, vous avez raison de dire qu’il faut une stratégie européenne.

La France jouera un rôle d’autant plus moteur dans l’élaboration d’une stratégie européenne qu’elle aura su se restructurer au bon moment, c’est-à-dire plutôt dans les premiers : tel est bien l’objet du projet de loi.


Monsieur Périssol, vous avez raison : l’organisation du ministère est en marche. Il doit devenir stratège, avez-vous dit : c’est le mot juste. Ainsi, nous avons prévu la mise en place d’une direction générale de la recherche et de l’innovation, dotée d’une direction de la stratégie.

Par ailleurs, je m’accorde avec de nombreux points de l’intervention de M. Le Déaut, notamment sur le fait qu’il ne faut pas opposer recherche fondamentale et recherche appliquée.

J’indique à M. Brottes que quand j’affirme que l’effort le plus important devait être consenti par le secteur privé, je me borne simplement à constater les chiffres selon lesquels les dépenses de recherche du secteur public représentent 1,26 % du PIB, contre 1 % pour le secteur privé. Or, si l’on veut atteindre l’objectif de 3 % du PIB, un effort considérable doit être fourni par le secteur privé. Beaucoup de chemin reste donc à parcourir. En outre, il faut maintenir une recherche fondamentale, raison pour laquelle l’ANR comportera une part essentielle de programmes blancs.

Monsieur Ménage, vous avez dit qu’il s’agissait d’une loi majeure ; soyez remercié de ce qualificatif. Notre pacte comporte en effet beaucoup de mesures en faveur des jeunes chercheurs. J’en cite deux que vous connaissez bien : l’allocation de recherche, qui sera revalorisée de 17 %, et les CIFRE et CIPRE, destinés à favoriser l’insertion des post doctorants pour la recherche en entreprise.

Monsieur Bardet, vous avez parlé du clonage, sujet sensible que vous connaissez bien et qui nécessite un véritable débat, une vraie concertation. C’est pour cette raison que nous avons tous confiance dans le travail de Pierre-Louis Fagniez pour préparer une éventuelle évolution de la législation car, comme vous le savez, la loi est révisable au bout de cinq ans.

Je crois avoir répondu à environ la moitié des intervenants et, avec la permission de M. le président, je laisse à mon excellent collègue et ami François Goulard le soin de répondre aux autres intervenants.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche.

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Je vais m’exprimer dans la droite ligne de ce que vient de dire M. de Robien.

Nous avons entendu avec beaucoup d’intérêt M. Roger-Gérard Schwartzenberg se livrer à un long examen historique, il est vrai très centré sur la période où il a été au Gouvernement. Toutefois, il a omis de nous parler de la programmation manquée du début des années 80 où, en réalité, rien ne s’est passé…

M. Pierre Cohen. Et vous, vous oubliez le début des années 2000 !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. …à la suite de l’adoption de textes comportant pourtant de grands engagements.

Il s’écarte même de la vérité lorsqu’il parle de virtualité des crédits de l’ANR. Or, ces crédits existent bel et bien : 700 millions d’euros d’engagement l’année dernière, 800 millions d’euros cette année ! Il s’agit de vrais crédits, de vrais financements consacrés à la recherche.

M. Pierre Cohen. Ce n’est pas vrai ! Un tiers représente des défiscalisations !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. M. Schwartzenberg émet des doutes sur la montée en puissance des sommes allouées au crédit d’impôt recherche. Les chiffres représentent 590 millions d’euros de dépenses fiscales en 2004, 730 millions d’euros en 2005, et nous pensons atteindre 860 millions d’euros en 2006. Cette forte augmentation correspond bien à une réalité, du reste prometteuse dans la perspective de l’objectif des 3 % du PIB consacrés à la recherche. On notera enfin avec intérêt que la recherche-développement dans le secteur privé se développe très rapidement.

Mme Valérie Pecresse, quant à elle, nous a livré une analyse très juste des besoins de la recherche en termes de ressources humaines. Il est vrai que nous serons confrontés à de très nombreux départs à la retraite, si bien qu’on peut prévoir au moins 20 000 recrutements d’ici à 2010 avec, bien sûr, des créations d’emplois. Ces départs à la retraite impliquent l’établissement d’une prévision annuelle aussi précise que possible en matière d’emplois scientifiques. Nous allons nous y attacher.

Concernant la recherche fondamentale, elle n’est bien sûr jamais rentable à court terme. Elle peut même ne pas être rentable du tout ! En effet, il existe une recherche gratuite, tout aussi respectable que la recherche finalisée.

Enfin, évitons une confusion, que n’a d’ailleurs pas faite Mme Pecresse, entre les projets « blancs », donc très libres, qui représentent 30 % des financements de l’ANR, et la recherche fondamentale, soit environ 50 % des financements de l’ANR.

Le député Fagniez, pour sa part, s’est livré à une explication de texte des plus utiles sur les pôles de recherche et d’enseignement supérieur. À ses questions je souhaite répondre très simplement : la loi prévoit bien un statut d’association ou un statut de GIP.

M. Pierre Cohen. Cela existe déjà !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Il n’empêche que si l’on veut assurer la pérennité de ces institutions, les statuts proposés par le présent texte sont sans doute préférables.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. C’est évident !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Quant au rapprochement du statut d’enseignant-chercheur et de celui de chercheur, avec la mise en place de jurys de recrutement d’enseignants-chercheurs dérogatoires, composés d’experts extérieurs à l’université, il s’agit d’une question en cours d’examen dans nos services.

J’en viens à M. Mamère qui a donné du projet beaucoup d’interprétations parfaitement erronées, au point que je me demande si elles étaient toutes vraiment involontaires. (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Durand. C’est méchant !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. M. Christian Philip a insisté à juste titre sur l’Europe. Nous devons en effet convaincre nos partenaires et nous y efforçons systématiquement.

Au fond, il existe deux voies pour construire l’Europe de la science. La voie de l’institution européenne, celle de l’Union – ce sont les PCRD ou encore la nouvelle Agence de la recherche. La seconde voie est, elle, explorée depuis fort longtemps mais se révèle prometteuse : celle des actions bilatérales ou multilatérales.

Il faut avancer sur ces deux plans, celui de l’Union et celui des rapports étroits qui existent entre certains pays en matière de recherche, comme c’est le cas entre la France et l’Allemagne. C’est ainsi que se bâtit l’Europe de la recherche, et l’idée d’un réseau d’agences d’évaluation européenne me paraît très intéressante. Enfin, M. Philip a eu raison d’insister sur le rôle des régions.

M. Paul-Henri Cugnenc, lui, a concentré son attention sur l’Agence nationale de la recherche. Il est vrai qu’il s’agit, au bout de quelques mois, d’une réussite. Mettre en œuvre une telle agence, la faire fonctionner, lancer des appels à projets, réunir les commissions scientifiques, prendre des décisions et faire en sorte que les crédits arrivent dans les laboratoires, enfin, que l’ensemble des crédits soient engagés avant la fin de l’année, c’est une performance. M. Cugnenc a eu raison de rappeler que les jeunes chercheurs avaient été très largement bénéficiaires des dotations de l’ANR.

J’objecterai ensuite à M. Charzat que l’objectif de 3 %, du PIB consacrés à la recherche n’est pas une prévision, mais un objectif, une ambition ! Certes, nous devrons consentir des efforts – et ceux du secteur public, nous les fournissons ; reste au secteur privé à se mobiliser. À cet égard, on doit savoir que dans d’autres pays, au cours des dernières années, les taux de croissance de la dépense de recherche privée ont été considérables – et il n’est pas dit que nous n’y parviendrons pas !

En tout cas, s’il est un pays en Europe qui tend vers cet objectif, c’est bien le nôtre ! Comme vous savez, il existe assez peu de grands pays de recherche en Europe, en termes de dépenses. On compte les pays scandinaves, qui se distinguent, l’Allemagne, la France et, dans une moindre mesure, le Royaume-Uni. Or, nous sommes bien placés pour atteindre l’objectif que nous nous sommes fixé.

M. Yves Durand. M. Dubernard en doute…

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Monsieur le député Marie-Jeanne, j’insiste sur le fait que la présentation de M. François Hollande selon laquelle quelques grands pôles de compétitivité seraient réservés à quelques régions françaises constitue une interprétation que je n’hésite pas à qualifier de méprisante pour certaines régions et pour l’outre-mer en particulier.

M. Pierre Cohen. Votre politique se réduit à un saupoudrage !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Je me réjouis de ce qu’au moins un pôle s’intéresse à des recherches conduites dans nos départements d’outre-mer : le pôle à orientation maritime qui se trouve à la fois dans l’ouest de la France, dans le midi mais également dans certains points outre-mer. Vous avez toutefois raison, monsieur Marie-Jeanne : il existe autour du pôle universitaire de l’université Antilles-Guyane des possibilités de recherches très originales qui pourraient constituer un facteur de développement important. La porte n’est de toute façon pas fermée à la mise en place de nouveaux pôles de compétitivité.

Monsieur Christian Kert, vous avez très justement abordé, vous aussi, la question européenne. Je ne crois pas qu’il y ait des doublons avec des programmes européens. Il n’en reste pas moins vrai que la coordination et l’articulation des politiques pourraient être meilleures si nous disposions de plus d’informations et de suivi sur l’exécution des PCRD. Cette revendication est la nôtre de manière constante.

Vous avez raison, par ailleurs, de souhaiter la clarification des missions des organismes, avec cette limite qu’un champ thématique peut être traité par plusieurs organismes. Il n’existe pas de modèle unique et d’organisation parfaitement biunivoque. Nous avons sans doute des progrès à réaliser, sans aller toutefois jusqu’à l’exclusivité absolue.

Ensuite, il convient, certes, de favoriser la mobilité des chercheurs dans un cadre européen, principe qui doit figurer – vous avez raison – dans les contrats quadriennaux. Nous devons veiller à ne surtout pas pénaliser les chercheurs qui ont effectué une mobilité dans un autre pays européen.

Enfin, en ce qui concerne les experts étrangers – et c’est une idée chère au président Dubernard –, nous devons posséder une communauté d’experts étrangers que nous puissions échanger, notamment pour l’évaluation, mais également pour occuper d’autres fonctions au sein de l’ANR. Nous devons développer une véritable coopération institutionnalisée sur le plan européen.

Vous avez raison, madame Kosciusko-Morizet : la loi est une boîte à outils pour une recherche plus efficace, pour une recherche décloisonnée, pour une recherche plus en phase avec nos réalités.

Le dialogue avec la société est fondamental : réconcilier la société avec la science est l’un de nos grands objectifs.

M. Yves Durand. Comme c’est beau ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Et le président Dubernard l’a dit tout à l’heure avec des mots justes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

ordre du jour
des prochaines séances

M. le président. Aujourd’hui, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion du projet de loi, n° 2784 rectifié, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, de programme pour la recherche :

Rapport, n° 2888, de M. Jean-Michel Dubernard, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,

Avis, n° 2879, de M. Claude Birraux, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,

Avis, n° 2837, de M. Jean-Michel Fourgous, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 1er mars 2006, à une heure vingt-cinq.)