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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Séance du lundi 6 mars 2006

159e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LUC WARSMANN,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

égalité des chances

Communication relative à la désignation
d’une commission mixte paritaire

M. le président. M. le président de l’Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

Paris, le 6 mars 2006

« Monsieur le président,

« Conformément à l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, j’ai l’honneur de vous faire connaître que j’ai décidé de provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’égalité des chances.

« Je vous serais obligé de bien vouloir, en conséquence, inviter l’Assemblée nationale à désigner ses représentants au sein de cette commission.

« J’adresse ce jour, à M. le président du Sénat, une demande tendant aux mêmes fins.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l’assurance de ma haute considération. »

Cette communication a été notifiée à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

retrait d’un article d’un projet de loi

M. le président. M. le président de l’Assemblée nationale a reçu de M. le ministre de la culture et de la communication la lettre suivante :

Paris, le 3 mars 2006

« Monsieur le président,

« Le 12 novembre 2003, le Gouvernement a déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (n° 1206).

« Ce projet de loi, qui transpose la Directive n° 2001/29 CE du 22 mai 2001, a pour objectif d’adapter notre droit d’auteur et la rémunération des artistes et des créateurs aux usages des nouvelles technologies.

« Examiné les 20, 21 et 22 décembre dernier, le projet de loi a fait l’objet de l’adoption des amendements nos 153 et 154 portant modification de l’article 1er.

« Le 27 février dernier, le Gouvernement et le rapporteur ont déposé de nouveaux amendements, illustrant les nouvelles clarifications apportées au projet de loi.

« Aussi, dans la perspective de la reprise de l’examen du projet de loi des 7, 8 et 9 mars, j’ai l’honneur de vous informer que le Gouvernement retire l’article 1er du projet de loi.

« Je vous prie d’agréer, monsieur le président, l’expression de ma haute considération. »

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue, est reprise à vingt et une heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

offres publiques d’acquisition

Discussion, en deuxième lecture, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif aux offres publiques d’acquisition (nos 2876, 2921).

La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous nous retrouvons ce soir pour la seconde lecture d’un texte dont l’actualité est venue, au cours des dernières semaines, illustrer l’importance. Les règles dont nous allons discuter contribuent à l’équilibre que nous recherchons sur au moins deux terrains. D’abord, elles sont le moyen de promouvoir à la fois les intérêts des actionnaires, que ce droit est fait pour protéger, et les intérêts industriels et sociaux des entreprises concernées par une OPA. Ensuite, elles constituent l’un des outils qui permettront à nos entreprises d’avoir une vision claire de leur actionnariat à long terme.

Je voudrais donc, dans un premier temps, vous préciser les intentions du Gouvernement en ce qui concerne l’actionnariat des entreprises françaises, avant d’en venir au contenu même du texte, que votre débat, après celui du Sénat il y a deux semaines, va enrichir et perfectionner.

Ce texte constitue une étape importante dans la politique que nous menons en faveur de la stabilisation de l’actionnariat des groupes français. Mon objectif est de mettre tous les atouts du côté du dynamisme de nos entreprises et surtout de leur permettre de développer une base actionnariale stable et large qui les accompagnera dans leur développement. C’est là, me semble-t-il, le meilleur moyen de s’assurer que nos entreprises investissent et croissent, et que leurs centres de décision restent indépendants.

Concrètement, stabiliser l’actionnariat consiste à favoriser l’investissement à long terme en actions, et pour cela nous avons pris et allons prendre plusieurs mesures significatives.

Des mesures fiscales, d’abord. Grâce au nouveau régime d’imposition à l’impôt sur le revenu des plus-values d’actions à long terme, nous avons engagé une politique de stabilisation de l’actionnariat de l’ensemble des entreprises françaises. Nous avons incité les actionnaires à allonger la durée de leurs investissements. Ainsi, depuis le 1er janvier, plus une action est détenue longtemps, moins elle est imposée, jusqu’à l’exonération totale à partir de huit ans. Nous avons également ajusté la fiscalité patrimoniale de l’actionnariat salarié pour supprimer certains effets pervers qui poussaient à la vente, voire à la spéculation.

Nous prenons, ensuite, des mesures ciblées. Comme vous le savez, le Premier ministre m’a demandé d’examiner avec la Caisse des dépôts et consignations comment augmenter de manière significative les placements en actions de cette institution. La Caisse des dépôts doit naturellement veiller aux intérêts à long terme dont elle a la charge : je pense à sa mission de financement du logement social et à son rôle de garant de la liquidité de l’épargne réglementée. Mais, compte tenu de l’horizon à long terme des placements de la Caisse des dépôts, il nous semble possible qu’elle aille plus loin qu’aujourd’hui dans les placements en actions.

De la même manière, le Fonds de réserve des retraites étudie des évolutions des règles d’allocation de ses placements. Son directoire a proposé le 28 février dernier une augmentation assez sensible de la part des actifs détenus en actions françaises.

Troisièmement, enfin, nous prenons des mesures en faveur de la participation et de l’actionnariat salarié. La participation est une idée éminemment moderne, parfaitement adaptée à une économie plongée dans la mondialisation, comme je ne cesse de le rappeler. Plus spécifiquement, la participation et l’actionnariat salarié présentent, à mes yeux, un triple mérite : ils orientent vers le patrimoine des Français les bénéfices de la « mondialisation » ; ils impliquent encore davantage les salariés dans la vie de l’entreprise, ce qui œuvre en faveur du dynamisme de nos industries ; enfin, ils renforcent le capital des entreprises françaises et son ancrage national.

Nous partons d’une tradition bien établie en la matière, lancée sous l’impulsion du général de Gaulle. Mais nous avons une capacité de progrès devant nous. En effet, seulement 1,2 % des Français déclarent détenir des actions de leur entreprise et il n’y a que huit sociétés du CAC 40 qui comptent plus de 5 % d’actionnaires salariés dans leur capital. C’est très insuffisant.

Je suis allé il y a quelques jours dans le Tarn visiter les laboratoires Pierre Favre en compagnie de Bernard Carayon. Le projet de cette entreprise est que 10 % de son capital soit détenu par les salariés. Je le dis clairement : c’est un bon projet pour les salariés, pour l’entreprise, pour l’ensemble de ses dirigeants. Je tenais à le saluer car il est exemplaire de ce que la politique que nous menons peut produire !

De façon plus structurelle, je suis en train de préparer avec Gérard Larcher un projet de loi de relance de l’actionnariat salarié et de la participation. Ce projet de loi va maintenant être soumis à la concertation, puis il sera présenté au Parlement au cours du premier semestre. Le Premier ministre en présentera les principales orientations le 16 mars prochain, en installant le nouveau Conseil supérieur de la participation.

L’ensemble de ces mesures constitue, je crois, une politique efficace et équitable en faveur du développement de l’actionnariat dans notre pays. Le projet de loi de transposition de la directive OPA, que je défends devant vous aujourd’hui, s’inscrit pleinement dans cette perspective. Nous sommes en effet guidés par deux principes : assurer une bonne gouvernance des entreprises vis-à-vis de leurs actionnaires, tout en permettant aux entreprises de se défendre « à armes égales ».

Une bonne gouvernance, cela consiste d’abord à garantir une égalité de traitement entre tous les actionnaires, quels qu’ils soient. Cela implique aussi que les décisions stratégiques de l’entreprise leur soient soumises.

Il faut ensuite doter les entreprises françaises de la capacité de jouer  à armes égales. Ce n'est pas parce que nous souhaitons respecter les meilleurs standards de gouvernance que, pour autant, les entreprises doivent être privées de moyens de défense.

Dans ce cadre, le Gouvernement a fait le choix – et ce, depuis le début – d’offrir aux entreprises la possibilité de bénéficier de la clause de réciprocité. C'est une innovation importante, qui permettra de s'assurer que nos entreprises se battent à armes égales avec l'initiateur d'une offre hostile, par exemple. Non seulement nous offrons aux entreprises la possibilité de bénéficier de cette clause, mais nous avons également souhaité lui donner un contenu fort. La réciprocité est, je le répète, une notion essentielle. Elle permet de choisir les options les plus attractives pour les actionnaires tout en retenant un principe de défense dans le cas où l'attaquant est lui-même protégé.

Une fois ce principe de défense retenu, comme vous l'avez fait en première lecture, la question qui se pose est donc celle des moyens de défense des entreprises, celle de la « substance de la réciprocité ». Cette question est posée depuis le début de vos travaux. Nous avions examiné en première lecture un amendement consacré aux augmentations de capital réservées en période d'offre, que nous n'avons finalement pas retenu comme un moyen de défense pertinent. Je vous avais alors indiqué vouloir poursuivre la réflexion pour trouver un dispositif plus satisfaisant. Pour aller dans ce sens, le Sénat a voté un amendement sur ma proposition : il vise à introduire dans notre droit un mécanisme de défense efficace tout en respectant les règles de bonne gouvernance.

Il s'agit d'autoriser les entreprises faisant l'objet d'une offre hostile à émettre des bons de souscription d'actions spécifiques pour se défendre. C'est une faculté connue et employée dans des pays comme les États-Unis, que l'on ne peut soupçonner ni d'entraver la liberté d'entreprendre ni de nuire aux intérêts des actionnaires. Les cas d'entreprises qui l'utilisent sont nombreux, dans tous les secteurs économiques.

Très concrètement, il s'agit de donner aux assemblées générales le pouvoir d’autoriser l'émission, en période d'offre, de bons de souscription d'actions. Ces BSA donnent le droit aux actionnaires d'acquérir des actions nouvelles à un prix préférentiel.

C'est une défense efficace : elle confronte l'offreur au risque d'une forte dilution, qui rend la prise de contrôle plus onéreuse.

C'est une défense juste, car les BSA doivent être proposés à l'ensemble des actionnaires existants, notamment les minoritaires.

C'est enfin une défense intelligente : elle a vocation à conduire au dialogue. Elle pousse ainsi l'offreur à améliorer son offre, tant dans son prix que dans son contenu stratégique et industriel – et cet élément est, à mes yeux, fondamental.

Que les choses soient claires : mon intention n'est certainement pas de transformer les entreprises françaises en forteresses dont la stratégie ne serait jamais mise en cause.

M. Hervé Novelli, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Elle est de rendre la partie plus égale dans les cas où les entreprises françaises ont une gouvernance ouverte.

Mon intention n'est pas de porter atteinte aux droits des actionnaires. Je suis au contraire convaincu que ce mécanisme est de nature à augmenter le prix qu'ils obtiendront quand les offres réussiront, et ce dans l'intérêt de tous.

M. Bernard Carayon. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Et je rappelle que ce sont les actionnaires eux-mêmes qui décideront de doter ou non l'entreprise qu'ils possèdent de telles possibilités de défense.

La question s’est posée au cours du débat au Sénat de savoir si l’autorisation d’émettre ces bons devrait être adoptée par l’assemblée générale extraordinaire ou par l’assemblée générale ordinaire, et à quelle majorité cette décision devrait être prise. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours du débat mais je voudrais dès à présent vous dire que mon souci prioritaire est l'efficacité de notre dispositif. Je rappelle par exemple qu'aux États-Unis 1'approbation préalable de l’assemblée générale n'est pas indispensable pour émettre ces bons. La décision est laissée à la discrétion des conseils d’administration, qui opèrent à la majorité simple.

Vous le voyez, c'est une stratégie globale qu'a adoptée le gouvernement de Dominique de Villepin en faveur de la stabilité et de la croissance des entreprises établies dans notre pays. Par la voie normative, par la stratégie fiscale, par l'incitation à la négociation, je veux défendre nos entreprises, leurs salariés, leurs actionnaires. Je choisis de mettre tous les atouts du côté du dynamisme de nos entreprises, et de leur permettre de développer une base actionnariale large et stable pour servir, sur le long terme, des projets industriels ambitieux.

Dans toutes les situations, nous sommes donc vigilants et exigeants ; nous continuerons de l'être. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

M. Hervé Novelli, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Mes chers collègues, je me réjouis tout d’abord de vous voir si nombreux sur ces bancs. C’est assez inhabituel, un lundi soir… Je félicite bien sûr la majorité pour cette mobilisation, mais je n’oublie pas l’opposition, qui avait été un peu plus discrète en première lecture.

Mme Martine Aurillac. Voire totalement absente !

M. Jean-Louis Dumont. C’est une mise en cause !

M. Hervé Novelli, rapporteur. Je me réjouis de cette présence nombreuse, qui est de bon augure pour la qualité du débat et la richesse de notre dialogue.

M. Bernard Accoyer. Ils ne sont que cinq !

M. Hervé Novelli, rapporteur. À l'issue de l'examen du projet par le Sénat en deuxième lecture, le 21 février dernier, sept articles sur vingt-quatre restent en discussion. C’est dire si nous avons déjà largement épuisé le sujet !

Avant d'en venir au fond des articles dont allons débattre, je souhaite formuler deux remarques liminaires.

D’abord, je voudrais, après M. le ministre, insister sur le fait que nous connaissons aujourd'hui une période où les OPA se multiplient. Ce projet de loi doit être situé dans ce contexte. Pourquoi ? Contrairement à ce que certains voudraient faire croire, les raisons ne sont pas strictement financières. Certes, le niveau relativement bas des taux d'intérêts – même s'ils remontent en ce moment – et la pause, elle aussi relative, des marchés boursiers, sont incitatifs au lancement d'OPA. Mais ils n'expliquent pas tout. Plus généralement, je crois que l'arrivée à la phase de maturité du marché intérieur européen est un élément fondamental pour comprendre le contexte actuel. Les processus d’unification de ce marché et de libéralisation de certains secteurs – je pense au marché de l’énergie – sont des phénomènes essentiels. Notons au passage que, si les entreprises françaises font l'objet d'OPA, ou de rumeurs d'OPA, c'est d'abord un signe de reconnaissance de leur qualité et du savoir-faire de leurs salariés.

Dans ce contexte, certains proposent d'imaginer des lignes Maginot, bien illusoires pour empêcher les OPA sur les entreprises françaises... Je souligne d’ailleurs qu'enfermer nos entreprises sous une cloche de verre ne contribuerait en rien à les inciter à être plus performantes. Au contraire, les abstraire de la concurrence ne pourrait que conduire au déclin de notre économie.

J'estime que la question des OPA doit être traitée par le renforcement du rôle des actionnaires. C'est précisément le choix fait par le Gouvernement. Vous avez fort justement insisté sur ce point, monsieur le ministre. L’actionnaire est au cœur de la problématique.

M. Arnaud Montebourg. C’est bien là le problème !

M. Hervé Novelli, rapporteur. Mais on n’en oublie pas pour autant les autres acteurs, en particulier l’État et les salariés.

M. Jean-Claude Sandrier. Quelle générosité !

M. Arnaud Montebourg. C’est le gouvernement des actionnaires !

M. Hervé Novelli, rapporteur. En effet, la consolidation d'un actionnariat stable et la confiance que ce dernier porte dans une entreprise sont la meilleure protection contre les OPA hostiles. Si les actionnaires sont convaincus des perspectives de l'entreprise, ils pourront contribuer à faire échouer une OPA. Je préfère laisser les acteurs rechercher l'efficience du marché, là où certains voudraient que l'État intervienne en permanence.

J'ajoute, permettez-moi ce petit rappel historique, que si la loi dite « Thomas » sur les fonds de pension à la française n'avait pas été abrogée par la précédente majorité, nous disposerions aujourd’hui de fonds de pensions solides, susceptibles de peser lourd dans le capital des entreprises françaises et de constituer un contrepoids efficace aux grands fonds de pensions étrangers. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

J'en viens à ma deuxième remarque liminaire. Je voudrais apporter quelques éléments pour alimenter notre réflexion, à la suite d’un débat en commission sur le rôle de l'État dans notre économie, M. Montebourg nous ayant expliqué que l'État devait pouvoir intervenir et bloquer toute OPA, même si elle n'affecte pas la concurrence.

Le ministre a rappelé opportunément, au Sénat, qu'il considérait que l'État, même s'il n'est pas actionnaire d'une entreprise peut participer au débat en tant que « partie prenante ». Cette position est sage. Je ne comprends donc pas ce désir de l'opposition d’en revenir à une économie administrée : si celle-ci était la clé du plein-emploi, la France ne serait pas aujourd'hui dans la situation où elle se trouve. D’autres pays n’auraient pas non plus été confrontés, voilà quelques années, à un naufrage économique total.

Donner à l'État un droit de veto sur toutes les OPA, signifierait que le ministère de l'économie devrait apprécier, en opportunité, les choix stratégiques de l’ensemble des entreprises. Qui peut raisonnablement penser qu'un tel dispositif serait conforme à nos engagements communautaires ? Il est vrai que M. Montebourg est cohérent puisqu’il avait appelé à voter « non » lors du référendum sur la Constitution européenne... En outre, un tel dispositif constituerait un signal négatif très fort en direction des acteurs de l'économie mondiale : ils sauraient que le climat des affaires en France vire au contrôle administratif. Dès lors, ils se détourneraient de notre pays. Or, aujourd’hui, on ne peut pas durablement se situer à l’écart des grands mouvements du monde.

J'en viens aux articles en discussion. Je n'en commenterai que quatre.

À l'article 7, le Sénat a renforcé l'information des comités d'entreprise lors des offres publiques d'acquisition. Outre les éléments contenus dans la note publique d'information, l'offrant devra exposer au comité d'entreprise de l'entreprise visée sa politique industrielle et financière, et préciser la localisation des centres de décision.

À l'article 10, le Sénat a adopté un amendement du Gouvernement permettant d'émettre des bons de souscription d'actions dans la société cible. En commission des finances, un long débat a eu lieu sur le point de savoir si cette nouvelle faculté devait être exercée par une assemblée générale ordinaire ou extraordinaire, et selon quelles règles de majorité. La commission vous proposera un amendement qui se fonde sur une réflexion juridique.

D’abord, le texte adopté au Sénat ne qualifie pas la nature de l’assemblée générale en cause. L'amendement de la commission des finances présente, lui, l'avantage d'être clair, de ne pas laisser planer de doute sur l'interprétation du dispositif, et celui d'être conforme à l'esprit sur lequel est bâti notre code de commerce. J'observe en effet que l'émission de BSA dans le cours normal de l'activité de l'entreprise ne peut être permise que par une assemblée générale extraordinaire.

Au-delà du débat sur la nature de l'assemblée générale en cause, je souhaite que nous réfléchissions aux conséquences que le choix entre assemblée générale ordinaire et assemblée générale extraordinaire implique s'agissant des règles de majorité. Je pense que la règle de vote de l'assemblée générale extraordinaire – les deux tiers et non la moitié des voix des actionnaires présents ou représentés – est plus protectrice des intérêts des petits actionnaires. En effet, les principaux actionnaires peuvent plus facilement atteindre 50 % plutôt que 66,66 % pour mettre en œuvre ces dispositions.

Les règles de quorum sont également différentes : une assemblée générale extraordinaire ne peut délibérer valablement que si le quart – ou le cinquième en deuxième convocation – des actionnaires est présent, tandis qu’une assemblée ordinaire ne peut le faire que si le cinquième des actionnaires est présent, puis sans aucune obligation de quorum en deuxième convocation. La commission a estimé que permettre l’émission de bons de souscription d’actions par une assemblée ordinaire qui pourrait, en seconde convocation, ne représenter que 50 % des actionnaires présents, ferait courir un grand risque, compte tenu de la portée d’une augmentation de capital, à l’équilibre institué par le code de commerce.

À l’article 11, le Sénat a rétabli son texte de première lecture, estimant qu’une entreprise française cible de plusieurs offres, dont l’une émane d’une entreprise n’appliquant pas l’article 9 de la directive, peut également ne pas appliquer ces dispositions. Compte tenu de l’évolution du contexte, cette position paraît aujourd’hui acceptable, et ce d’autant plus que le dispositif adopté par le Sénat permet de limiter les effets pervers du choix auquel nous avons été confrontés en première lecture. En cas d’offre multiple, l’entreprise française ne pourra s’exonérer de l’article 9 de la directive que si les entreprises vertueuses n’agissent pas de concert avec elle.

Enfin, à l’article 19, le Sénat a rétabli la réciprocité pour les dispositions de l’article 11 de la directive, qui s’appliqueraient alors de manière facultative. Cette question, particulièrement délicate, a suscité un long débat au Sénat. Nous y reviendrons lors de l’examen de l’amendement de la commission, mais j’indique que c’est essentiellement en raison du risque juridique que nous avons proposé, comme en première lecture et avec le soutien du Gouvernement, l’abrogation de cette réciprocité à la carte que la directive ne permet vraisemblablement pas.

Mes chers collègues, nous sommes parvenus à un texte équilibré que je vous invite à accepter, comme l’a fait la commission des finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Exception d’irrecevabilité

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Éric Besson.

M. Éric Besson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapporteur a soutenu en commission – et à l’instant même, mais de façon plus élégante – que « le texte avait été examiné en première lecture à l'Assemblée nationale sans que l’opposition participe aux débats, ce comportement ayant pour conséquence regrettable le report de certaines questions à la deuxième lecture ». Contrairement à ce qu’a affirmé M. Novelli, le groupe socialiste n’était pas absent du débat de première lecture. Notre collègue Patrick Bloche, notamment, avait développé certaines de nos objections, à nos yeux majeures, sur vos orientations en matière d’OPA. Je vous renvoie à cet égard à la lecture du Journal officiel.

Ce qui va enfin nous permettre d’engager le débat, c’est que vous êtes aujourd’hui, bien plus qu’en décembre, contraints de vous confronter à la réalité et au jugement de nos concitoyens. Devant la multiplication des offres d’acquisition au sein de l’Union européenne, la signification réelle et les implications de vos discours enflammés sur la nécessité de rééquilibrer le pouvoir au bénéfice des actionnaires, de renforcer ce que vous appelez la démocratie actionnariale – certains d’entre vous parlent de « souveraineté actionnariale » – éclatent enfin au grand jour.

Le malaise de la majorité a été manifeste en commission : nous avons dû suspendre nos travaux pour permettre aux députés de l’UMP de s’entendre sur le contenu des amendements à adopter. Il vous reste à choisir, monsieur le ministre, qui vous allez soutenir : M. Novelli, qui ne démord pas de l’absolutisme actionnarial, sous couvert de protéger les petits actionnaires ? M. Auberger, qui critique – avec raison – la décision de l’Autorité des marchés financiers de déléguer son visa pour Arcelor à l’autorité du Luxembourg alors que la société est cotée à Paris et dispose en France d’intérêts importants ? Ou encore M. Descamps, pour qui une OPA est l’affaire des actionnaires, qui doivent être informés bien avant les salariés – et si possible être seuls informés ?

M. Jean-Jacques Descamps. La fin est de trop !

M. Éric Besson. Monsieur le ministre, la deuxième lecture du projet de loi sur les offres publiques d’acquisition nous donne l’occasion de mesurer la distance qui, bien souvent, sépare vos paroles et vos actes.

Comme il y a quelques mois, les rumeurs de rachat de Danone par PepsiCo, l’annonce du lancement d’une offre publique d’acquisition de Mittal Steel sur Arcelor et, plus récemment, la rumeur d’une offre d’Enel sur Suez ont réveillé des interrogations et des craintes révélatrices du malaise profond de nos concitoyens face à ces opérations, malaise qui touche l’opinion publique, les autorités politiques et les experts, mais aussi les milieux économiques et financiers. Pas un essai, pas un témoignage de chef d’entreprise qui n’aborde la question des excès du capitalisme financier et des fusions-acquisitions, qui ne dénonce « la folie financière du capitalisme social », « un capitalisme en train de s’autodétruire », ou encore « les dérives du capitalisme financier » !

Pour nous, ce malaise n’est pas conjoncturel ; il touche à des questions de fond. Telle n’est pas votre conviction : nombreux sont ceux, au sein de la majorité comme au Gouvernement, qui demeurent persuadés de l’existence d’un monde rêvé des OPA, source d’efficacité économique, et qui sont sûrs que la faculté des actionnaires de contester la politique du management – en clair leur faculté de vendre à tout moment au plus offrant – assurerait la création de valeur. Je vois que M. Novelli se reconnaît dans ce portrait. C’est que, comme les plus libéraux de votre majorité, il a le mérite de la franchise. Leurs amis se contentent de penser tout bas et de gérer au mieux une communication de crise en période d’OPA. Faut-il rappeler à ces absolutistes de la création de valeur que plus d’un tiers de ces opérations conduisent à un grave échec industriel et financier ?

M. Jean-Louis Idiart. Oui !

M. Éric Besson. Que l’existence de vagues de fusions traduit des phénomènes d’engouement à la rationalité douteuse ?

En tout état de cause, ces approches caricaturales ignorent des enjeux fondamentaux : enjeux directs pour les salariés, premiers concernés par les synergies tant vantées à l’appui des offres mais qui se traduisent souvent par la suppression des « doublons », des implantations et des emplois ; enjeux liés à la localisation des centres de décision, la différence de culture managériale ou le simple éloignement de la direction vis-à-vis de l’opinion publique ayant une influence certaine sur les choix de réorganisation ; enjeux en termes de politique industrielle et de croissance enfin, car quel sens pourrait avoir une politique compétitive de recherche-développement et de mise en commun des ressources si des concurrents directs peuvent s’approprier instantanément le produit de ces investissements de long terme, mettant fin à une politique locale de coopération avec de multiples partenaires et sous-traitants ?

Force est de constater la fragilité des principaux groupes français, compte tenu de la part de leur capital qui pourrait aisément être acquise sur le marché : 91 % de capital considéré comme « flottant » pour Lafarge, 89 % pour Altadis, plus de 80 % pour Arcelor, Carrefour, Danone ou Accor.

Confrontés à ces réalités, la majorité et le Gouvernement se contentent d’une politique de communication à court terme, mais vos positions sont si confuses et si changeantes qu’il est bien difficile d’en comprendre la logique. Certains vantent le patriotisme économique, font des moulinets, mais restent passifs. Les tribulations qu’a connues le décret sur le patriotisme économique annoncé par Dominique de Villepin après la menace d’une prise de contrôle de Danone par PepsiCo, puis peu à peu vidé de toute portée, illustrent bien cette tendance.

M. Jacques Godfrain. Et Vilvorde ?

M. Éric Besson. Doit-on rappeler que la définition restrictive des secteurs stratégiques qu’il avait retenue n’aurait pas permis de s’opposer en quoi que ce soit à l’offre de Mittal sur Arcelor ? D’abord, le siège social d’Arcelor n’a pas été considéré par l’AMF comme situé en France, même si Arcelor y emploie 30 000 personnes dans quatre pôles de compétitivité.

M. Arnaud Montebourg. C’est scandaleux !

M. Éric Besson. Ensuite, le décret ne vise que les activités entretenant un lien direct avec la sécurité et la défense, avec pour seule exception les jeux d’argent.

La même impuissance est illustrée par le désaveu flagrant que vous avez vous-même, monsieur le ministre, infligé à votre secrétaire d’État à l’industrie, François Loos, qui avait osé affirmer – cela ne nous avait pas choqués – que la France était opposée à la réussite de l’OPA de Mittal sur Arcelor. Vous avez ensuite affirmé avec force que le Gouvernement n’est « ni pour ni contre » cette opération car, avez-vous ajouté, « ce sont les actionnaires qui décident » et « c’est la vie normale des affaires que des entreprises discutent et se rapprochent ».

M. Arnaud Montebourg. C’est incroyable !

M. Éric Besson. D’autres enfin, dans la majorité, se contentent de rester discrets, ou très ambigus, et attendent qu’une pause temporaire dans les OPA leur permette de poursuivre leur entreprise de facilitation des opérations boursières agressives.

Monsieur le ministre, nous sommes persuadés que, contrairement à ce que pourraient laisser penser vos interventions floues et contradictoires, vous êtes loin de vous contenter d’exercer « le droit à la parole du ministre de l’économie », comme vous le dites, et de gérer avec plus ou moins d’habileté une politique de communication incertaine et stérile. En réalité, avec le texte que vous nous proposez de voter ce soir, vous procédez au démantèlement concret des moyens dont disposent les entreprises pour s’opposer, conformément au souhait de leurs salariés, de leurs exécutifs et parfois des pouvoirs publics, à des offres hostiles.

Compte tenu de l’importance des enjeux, une telle hypocrisie n’est plus acceptable. Il y a deux mois seulement, vous vous félicitiez ici même de renforcer, avec vos choix de transposition, la fameuse « démocratie actionnariale » et l’attractivité de la place financière française.

M. Hervé Novelli, rapporteur. C’est vrai !

M. Éric Besson. La directive européenne, d’inspiration très libérale, a pour objet d’unifier la réglementation des opérations, mais également de les faciliter. Au centre du dispositif se trouve l’obligation faite à l’exécutif des entreprises – direction, conseil d’administration – de solliciter, durant une offre, l’autorisation de ses actionnaires pour mettre en œuvre les moyens d’y faire face – autrement dit, le droit de se défendre. Quelles que soient les protections qui pouvaient exister dans les statuts de l’entreprise, il faudra consulter de nouveau les actionnaires, et cela au moment où ils sont les moins susceptibles de donner leur accord puisqu’une offre de gain important à court terme leur est faite !

Cette rédaction n’a pu être acceptée, après de nombreuses péripéties et près de quatorze ans de négociations, qu’à la double condition que chaque État puisse décider de la rendre ou non obligatoire et soumettre son application concrète à des conditions de réciprocité.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Ce qui est le cas !

M. Éric Besson. Désormais, la société cible d’une OPA pourra ne pas appliquer les dispositions de la directive si son assaillante ne le fait pas.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Tout à fait !

M. Éric Besson. L’Allemagne, la Pologne, les Pays-Bas, le Danemark ont choisi de laisser leurs entreprises libres d’appliquer ou non ces dispositions. Le Luxembourg, en réaction notamment à l’offre de Mittal, vient de le faire également. La France au contraire, comme le Royaume-Uni, a décidé de les appliquer de façon obligatoire. Le Gouvernement a ainsi choisi de faciliter la réussite des OPA agressives, en garantissant que seuls les actionnaires auront voix au chapitre.

Faut-il affaiblir ou renforcer la position des groupes français face aux OPA hostiles ? Le choix d’imposer ces dispositions aux entreprises constitue la seule réponse claire du Gouvernement et va dans le sens d’un affaiblissement de la défense des entreprises.

Face à l’émotion suscitée par l’OPA sur Arcelor, le Gouvernement a aujourd’hui bien du mal à justifier ce choix. La question centrale, à laquelle il vous faudra répondre ce soir, monsieur le ministre, est la suivante : pourquoi avez-vous décidé de transcrire de façon obligatoire l’article 9 de la directive ?

M. Arnaud Montebourg. Pourquoi ?

M. Éric Besson. Nous avons une idée de la réponse, car le Gouvernement avait déjà adopté des dispositions par ordonnance, et donc en toute autonomie, dans le domaine des augmentations de capital. Dans l’ordonnance du 24 juin 2004, portant réforme du régime des valeurs mobilières, il a décidé, alors que les augmentations de capital constituent l’un des outils à la disposition de l’exécutif des entreprises pour se défendre contre des OPA hostiles, de mettre en place un dispositif en tout point similaire à l’article 9 de cette directive, sans même que s’applique le principe de réciprocité. Cela relativise vos propos selon lesquels, monsieur le ministre, le Gouvernement aurait voulu, depuis le début, doter les entreprises françaises des moyens de lutter à armes égales avec les entreprises assaillantes ! L’article L. 225-129-3 du code de commerce ainsi rédigé par l’ordonnance en donne un cruel démenti. Il disposait en effet que toute délégation de l’assemblée générale est suspendue en période d’offre publique d’achat ou d’échange sur les titres de la société, sauf si elle s’inscrit dans le cours normal de l’activité de la société et que sa mise en œuvre n’est pas susceptible de faire échouer l’offre. On retrouve ainsi quasiment mot pour mot la formulation de la directive, appliquée par anticipation et de façon unilatérale dans notre seul pays !

En réalité, la transcription de la directive apportera une souplesse par rapport au droit que vous souhaitiez édicter. Les entreprises auront la possibilité, dans le cadre de la directive, d’exiger au moins le respect par la société assaillante de principes aussi draconiens, faute de quoi elles pourront se dégager de cette obligation.

M. Hervé Novelli, rapporteur. C’est bien !

Pour notre part, nos choix sont très clairs, et nous aurons l’occasion de les défendre au moyen de nos amendements. Refus de la transcription obligatoire de l’article 9 de la directive, renforcement des pouvoirs des salariés, facilitation du recours aux outils de défense anti-OPA, possibilité accrue d’intervention des pouvoirs publics pour faire prévaloir des intérêts stratégiques de politique industrielle face aux considérations de court terme : voilà nos quatre priorités pour cette transcription.

Nous persistons dans notre volonté de voir les dispositions de l’article 9 de la directive rendues optionnelles, ce qui permettrait à chaque entreprise, en fonction de ses caractéristiques propres en matière de dispersion de l’actionnariat ou de projets de croissance externe, de choisir de s’appliquer ou non ces règles.

Faute d’une telle réorientation du projet de loi, l’introduction en dernière minute d’une disposition concernant les bons de souscription d’actions ne sera qu’un pis-aller à l’effectivité incertaine. D’autant plus douteuse que la constitutionnalité de la procédure par laquelle vous introduisez ce mécanisme est contestable. J’ai déjà indiqué, pour qu’il n’y ait pas de malentendu, que nous soutiendrons le principe de cet amendement, même si nous considérons que son effectivité reste douteuse et que d’autres amendements plus fondamentaux devraient être adoptés.

La première question qui se pose est celle de la légèreté avec laquelle vous présentez ce mécanisme, dont vous prétendez qu’il permettrait de protéger nos entreprises. Comment pouvez-vous prendre le risque, en l’introduisant à la sauvette, et alors qu’il va dans un sens clairement opposé aux options fondamentales du projet de loi initial, de le voir censurer par le Conseil constitutionnel ?

Cette critique est loin d’être anodine. Je cite en effet, in extenso, notre rapporteur devant la commission : « Enfin, s’agissant de la procédure, il convient de s’interroger sur la compatibilité de l’amendement du Gouvernement adopté à l’article 10 au regard de la décision du 19 janvier 2006 du Conseil constitutionnel. Celui-ci a jugé que le droit d’amendement doit pouvoir s’exercer pleinement au cours de la première lecture par chacune des deux assemblées parlementaires. Il ne saurait, à ce stade, être limité, dans le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité et la nécessité, pour un amendement, de ne pas être dépourvu de tout lien avec l’objet du projet. En revanche, à partir de la deuxième lecture, afin de satisfaire à l’économie générale de l’article 45 de la Constitution, les amendements parlementaires, comme ceux du Gouvernement, doivent être “en relation directe avec une disposition restant en discussion”, sauf à être dictés par la nécessité de respecter la Constitution, d’assurer une coordination avec d’autres textes ou de corriger une erreur matérielle. »

M. Hervé Novelli, rapporteur. Merci de me citer !

M. Éric Besson. Le rapporteur évoque donc un risque d’inconstitutionnalité, d’autant plus frappant qu’il est évident pour tous les observateurs que cette proposition précipitée, introduite par amendement en deuxième lecture, constitue l’axe principal de votre communication de crise pour tenter de faire croire que le Gouvernement ne serait pas dépourvu et inactif face aux OPA qui visent des entreprises françaises. Paradoxalement, cette précipitation souligne à quel point le travail n’avait pas été mené dans le cadre du projet de loi qui nous était initialement soumis.

Mais la question réelle est celle de l’articulation entre les principes de la directive, les choix de transposition que vous avez faits et la mise en œuvre du dispositif sur les BSA.

En réalité, le seul apport de votre dispositif est de remettre en cause la jurisprudence défavorable de l’Autorité des marchés financiers, vis-à-vis des BSA, exprimée notamment dans le cadre de l’offre. Il s’agit d’un point positif, disons-le clairement, car nous convenons que les BSA pourraient effectivement dissuader les promoteurs d’une offre hostile en en renchérissant le coût. Cela aurait pu constituer une amorce de réponse. Malheureusement, cette possibilité resterait soumise au cadre déséquilibré de la transposition de la directive. Comme tout outil susceptible de faire échouer l’OPA, l’émission des BSA sera en effet soumise – à moins que, par chance, la société assaillante ne s’applique pas les dispositions de la directive – au seul bon vouloir des actionnaires de l’entreprise, qui devront en accepter le principe durant l’offre. A cet égard, monsieur le ministre, il est bon que vous ayez rappelé à M. le rapporteur ce qui se passe aux Etats-Unis, car il ne nous a pas paru très convaincu en commission.

Se posera aussi inévitablement la question des formes et de la majorité requise pour l’émission de ces bons. À l’opposé du projet initial du Gouvernement, et conformément à notre volonté de voir ce dispositif trouver son effectivité, nous souhaitons que l’émission de BSA soit autorisée par une assemblée générale ordinaire, à la majorité simple des voix. À défaut, le passage par une assemblée extraordinaire, et encore plus la nécessité d’une majorité des deux tiers, ne pourraient que condamner d’avance le dispositif. Comment en effet pourrait-il être mis en place dans des sociétés françaises dont 40 à 45 % de la capitalisation est détenue par des fonds non résidents, qui seront par définition les plus hostiles à des BSA ?

Enfin, il faut prendre en compte un risque de détournement de ce dispositif. Présentés comme un outil dissuasif anti-OPA hostile – ils peuvent l’être –, les BSA ne doivent pas devenir simplement une arme de négociation permettant un renchérissement systématique des conditions de l’offre. Dans ce cas, l’outil serait perverti et pourrait avoir des conséquences néfastes. Une offre payée plus cher, au bénéfice, une nouvelle fois, des actionnaires, et rendue moins inamicale par la négociation de conditions plus avantageuses pour les exécutifs des sociétés, pourrait in fine conduire à faire supporter aux sociétés qui y auraient participé, et surtout à leurs salariés, des restructurations encore plus drastiques afin de rentabiliser l’acquisition. Pour nous, les BSA ne seront une bonne arme que s’ils ne servent pas... car ils auront alors joué leur rôle dissuasif.

Plus largement, les BSA ne répondent en aucune façon à la nécessité d’une meilleure prise en compte des intérêts de ce que les Américains appellent les stakeholders, ces « parties prenantes » que vous avez tellement négligées avant de les redécouvrir depuis quelques jours. Le dispositif reste toujours soumis à l’accord des seuls actionnaires ; que celui-ci soit plus ou moins facile à obtenir ne change rien sur le fond.

Les offres publiques ne peuvent rester arbitrées par les seuls actionnaires. Cette situation est déséquilibrée et néfaste. L’exemple des réactions à l’OPA de Mittal sur Arcelor le démontre amplement. Pour assurer sa défense, que fait aujourd’hui la direction d’Arcelor ? En réalité, elle cherche à prouver aux actionnaires qu’elle peut leur faire gagner plus que ce que Mittal leur propose. Et pour cela, elle a annoncé le 27 février la redistribution massive de 15,7 milliards de dividendes,…

M. Arnaud Montebourg. Quel gaspillage incroyable !

M. Éric Besson. …contre 2 milliards seulement sur les cinq dernières années, en rognant sur le renouvellement de l’appareil industriel, donc sur les investissements productifs de la société, et en se séparant de certaines branches d’activité jugées aujourd’hui, mais pas il y a quelques jours, « non stratégiques ».

Cela n’enlève rien aux oppositions que l’on peut continuer à émettre sur le projet de Mittal, mais on ne peut que s’inquiéter de voir ainsi mise sous pression la stratégie industrielle d’une entreprise dans un sens largement court-termiste. Sens que vous aggravez par l’option de transposition que vous avez retenue.

La prise en compte de l’affaire Mittal Steel-Arcelor nous amène en réalité à une seconde question à laquelle il vous faudra aussi, monsieur le ministre, répondre clairement ce soir. Que comptez-vous faire si le projet industriel de Mittal Steel, que vous avez exigé à grands cris – vous avez convoqué son PDG –, vous apparaît finalement néfaste en termes sociaux, industriels et économiques ? Que ferez-vous concrètement, monsieur le ministre ? J’ai cru lire « rien » sur vos lèvres. C’est exactement ce que je pensais. Je ne voulais pas anticiper sur votre réponse, mais force est de constater que vous vous êtes bien gardé de vous engager clairement en la matière !

Pourtant, la question désormais posée est bien celle des moyens d’action dont souhaitent se doter notre pays et l’Union européenne pour s’opposer à des projets qui seraient jugés néfastes. Si les « parties prenantes » que sont les salariés, les chefs d’entreprise ou les pouvoirs publics ont une légitimité à se prononcer sur les opérations, leur position doit trouver son effectivité et ne pas se limiter à un « droit d’expression » sans portée.

Mieux informés des intentions de l’auteur d’une offre, notamment depuis le vote de la loi relative aux nouvelles régulations économiques, les salariés de toutes les entreprises impliquées par l’opération doivent disposer d’une vision claire des enjeux et d’une possibilité d’expression renforcée de leur avis. Votre projet contient une avancée : la prise en compte des salariés de l’entreprise à l’origine de l’offre. En effet, il apparaît de plus en plus souvent que ce ne sont pas forcément les seuls salariés de la société cible qui auront à subir les conséquences des réorganisations. Mais, ce pas fait, pourquoi vous obstiner à refuser une information et des possibilités d’intervention aussi étendues à ces salariés ? Nous souhaitons pour notre part qu’ils soient destinataires des mêmes informations que les salariés de la société cible. Nous défendrons des amendements en ce sens.

Les actionnaires salariés, socle stable de l’actionnariat, pourraient se voir reconnues des prérogatives plus étendues dans le cadre des offres publiques. Le discours incantatoire du Premier ministre, que vous avez relayé à l’instant, sur l’actionnariat salarié est largement handicapé notamment par le constat d’une absence de parution du décret d’application de la loi sur l’épargne salariale prévoyant la nomination d’administrateurs salariés dès lors que la part de l’actionnariat salarié devient significative.

M. Jacques Godfrain. Pourquoi Fabius n’a-t-il pas pris ce décret ? C’était sa loi !

M. Éric Besson. J’ai déjà souligné notre refus du désarmement obligatoire des exécutifs des sociétés proposé par la directive. Ce désarmement ne constituerait pas, comme le prétend notre rapporteur, un « rééquilibrage » des pouvoirs, mais l’accompagnement d’une dérive vers l’absolutisme actionnarial. Il est d’ailleurs surprenant de voir certains prôner aujourd’hui le développement des participations croisées et autres noyaux durs dans les conseils d’administration, tout en prétendant affaiblir les exécutifs face aux actionnaires.

Le concept de démocratie actionnariale doit être précisé, et j’observe immédiatement que la terminologie ne doit pas nous abuser. Il n’est guère question de démocratie ici, mais bien de suffrage censitaire. Les « petits actionnaires » qu’on prétend défendre ne sont guère directement consultés sur les décisions prises. Peu détiennent en direct leurs actions.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Vous en rajoutez !

M. Éric Besson. Si vous en doutez, monsieur le rapporteur, regardez la composition des entreprises du CAC 40 et vous verrez quelle est la part de ce que vous appelez les petits actionnaires !

En réalité, ce sont les institutionnels, les fonds souvent non résidents qui gèrent les participations, avec des mandats de gestion qui s’éloignent rarement de la simple valorisation maximale à court terme.

La démocratie actionnariale est une référence légitime quand elle vise à contenir les excès de certains dirigeants d’entreprises, parfois – je ne systématise pas – préoccupés de leurs intérêts propres au détriment de l’intérêt social de l’entreprise. Mais cette démocratie actionnariale supposée n’est que la parodie d’elle-même quand elle confie le seul pouvoir réel à des fonds exclusivement soucieux d’une performance à très court terme et indifférents à l’avenir des entreprises. Partie prenante indiscutable, les pouvoirs publics doivent retrouver, au sein de l’Union européenne, des voies légitimes d’intervention.

À l’opposé des discours simplificateurs sur la « globalisation des règles du jeu des marchés financiers », force est de constater que tous les pays mettent en œuvre des politiques stratégiques leur permettant d’intervenir s’ils considèrent une OPA néfaste. Le Japon s’est doté d’une législation draconienne en la matière. Les États-Unis laissent de larges possibilités d’initiative aux sociétés pour se protéger contre les offres ; on en a des exemples très récents. Cela est vrai aussi des États de l’Union européenne. Avec la multiplication des projets de fusion, nos partenaires affirment de plus en plus leur volonté de s’interposer face à des offres qu’ils jugent néfastes. Le gouvernement espagnol n’hésite pas à s’opposer aux offres sur l’électricien Endesa, et les commentateurs britanniques ont relevé que le « strict contrôle » annoncé par le gouvernement britannique sur le projet d’acquisition du principal fournisseur de gaz britannique par la société russe Gazprom ne laissait guère présager d’autorisation rapide de l’opération.

Nous sommes persuadés que la France doit, elle aussi, retrouver les moyens législatifs et financiers de s’opposer à des OPA qu’elle juge néfastes.

M. Arnaud Montebourg. Très bien !

M. Éric Besson. À cet égard, l’intervention de la Caisse des dépôts peut être judicieuse, …

M. Hervé Novelli, rapporteur. Le scandale du Crédit lyonnais ne vous suffit pas ?

M. Éric Besson. …et, surtout, la définition d’une politique de placements à long terme peut s’avérer bénéfique pour un Fonds de réserve des retraites enfin abondé.

Monsieur le rapporteur, vous avez dénoncé l’abrogation de la loi Thomas, …

M. Hervé Novelli, rapporteur. Oui, et je persiste !

M. Éric Besson. …mais il n’y a aucune raison de dire qu’avec les mêmes objectifs de rentabilité à court terme, des fonds de pension français se comporteraient de façon fondamentalement différente des fonds de pension étrangers.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Bien sûr que si, et vous le savez bien !

M. Éric Besson. Vous faites preuve d’angélisme en la matière !

M. Jean-Louis Idiart. C’est de la diversion !

M. Éric Besson. En revanche, depuis 2002, l’abondement du Fonds de réserve des retraites a cessé d’être une priorité, à tel point qu’il a fallu un amendement du groupe socialiste à la loi de finances pour 2006 pour poser le principe qu’en cas de privatisation l’abondement devait être assuré.

Le Gouvernement doit enfin accepter de définir avec clarté ses priorités en matière de politique industrielle et de développement de la compétitivité à long terme, et cesser de déléguer insidieusement cette responsabilité au marché des capitaux. Faute de s’engager dans cette voie, il se contente, quoi qu’il en dise, de laisser faire, de laisser passer. Sans doute, c’est à la grande satisfaction du rapporteur qui, en première lecture, n’a pas hésité à déclarer − formule fabuleuse ! − qu’une entreprise est vertueuse lorsqu’elle prend l’engagement de ne pas se défendre contre une OPA hostile.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Je n’ai pas dit cela ! Elle est vertueuse si elle suit les mêmes règles que celle qui l’attaque ! C’est la réciprocité !

M. Éric Besson. Ce n’est plus du libéralisme orthodoxe, c’est du libéralisme masochiste : on ne se défend même plus !

M. Louis Giscard d'Estaing. Caricature !

M. Hervé Novelli, rapporteur. Ne déformez pas ma pensée, monsieur Besson !

M. Éric Besson. Dans le même temps, d’autres, qui siègent parfois sur les mêmes bancs que le rapporteur, prônent le patriotisme économique.

Je vous appelle donc, mes chers collègues, à voter l’exception d’irrecevabilité…

M. Hervé Novelli, rapporteur. Aucune chance !

M. Éric Besson. …en raison du risque constitutionnel qui, selon les dires mêmes du rapporteur, pèse sur l’amendement du Gouvernement relatif aux BSA. Certes, il s’agit d’un amendement substantiel, dont nous reconnaissons l’intérêt.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Vous avez voté contre en commission !

M. Éric Besson. Mais il vaut mieux ne prendre aucun risque et adopter l’exception : ainsi, le Gouvernement aura le temps de déposer un nouveau texte débarrassé des risques juridiques, plus cohérent et, pourquoi pas, plus ambitieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Nous en venons aux explications de vote sur l’exception d’irrecevabilité.

La parole est à M. Louis Giscard d’Estaing, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire

M. Louis Giscard d’Estaing. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en défendant l’exception d’irrecevabilité, notre collègue Éric Besson a considéré que la seconde lecture du projet de loi offrait l’occasion de mesurer la distance séparant les actes des paroles. Il s’agit au contraire de réconcilier notre droit financier avec le principe de réciprocité : c’est tout l’intérêt de l’article 19.

Vous avez également parlé, monsieur Besson, des « vagues de fusions ». Or ce texte vise à les endiguer ou, plus précisément, à les encadrer juridiquement, en respectant non seulement les intérêts sociaux des entreprises cibles, mais aussi ceux des salariés − vous l’avez souligné en parlant d’« avancées » − et ceux des actionnaires, notamment en matière d’information.

Vous vous êtes étonné que l’on doive à nouveau consulter les actionnaires, sauf si la clause de réciprocité n’est pas respectée. Il s’agit pourtant bien d’affirmer le principe de la démocratie actionnariale − que vous prétendez appeler de vos vœux − et de défendre, de manière raisonnée, les groupes français contre les pratiques d’entreprises régies par d’autres règles nationales et face auxquelles ils se trouvent dans une situation particulièrement inéquitable : qui se plaindra que l’on cherche à y remédier ?

Vous avez souligné que le dépôt tardif de l’amendement portant sur les bons de souscription d’actions vous gênait, alors même que vous en reconnaissez tout l’intérêt. Je vous invite à admettre qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire et que, comme Hervé Novelli l’a finement relevé, le temps qui s’est écoulé entre la première lecture et notre séance de ce soir vous aura permis d’évoluer positivement, à l’instar du texte lui-même.

Enfin, en considérant que les bons de souscription d’actions s’apparentent à une arme de dissuasion, vous avez formulé une comparaison utile. En effet, la dissuasion ayant, sur le plan des relations internationales, pleinement rempli son rôle sans qu’il ait jamais été besoin de la mettre en œuvre, vous avez vous-même exposé tout l’intérêt du dispositif. Merci, mon cher collègue, de vous être chargé de la démonstration.

Le projet de loi fournit ainsi nombre d’arguments qui nous permettent de conclure que nous ne pouvons juger recevable l’exception d’irrecevabilité que vous venez − si je puis dire − de défendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Sandrier, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jean-Claude Sandrier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste votera l’exception d’irrecevabilité. (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je suis désolé de décevoir le groupe UMP, mais il n’est pas du tout certain que notre Constitution permette d’accorder la priorité et de tels privilèges aux actionnaires : il serait en tout cas bon de s’en assurer. Vous dites vouloir placer les actionnaires au cœur du dispositif de protection de l’entreprise, dont ils seraient le pilier économique. Mais les salariés, les usagers, l’État n’ont-ils pas tout autant, et même davantage, la responsabilité de la vie d’une entreprise, notamment lorsqu’elle remplit une mission de service public, lorsqu’elle bénéficie de commandes ou d’aides publiques ? Les salariés ne sont-ils pas les seuls à créer la richesse ?

Il y a quelque chose de choquant à entendre le ministre et le rapporteur répéter que ce texte est chargé de préserver d’abord les intérêts des actionnaires, ensuite les intérêts industriels et sociaux. Pour le moins, ils auraient pu inverser l’ordre des priorités.

Quant aux fonds de pension, je me permettrai d’insister sur ce que vient de dire notre collègue Éric Besson. On ne peut que se féliciter que la loi Thomas ait été abrogée pour éviter une financiarisation excessive de l’économie avec des marchés qui, comme l’a dit Patrick Artus, « exigent une rentabilité qui n’a rien à voir avec la raison économique ». Qu’ils soient français ou étrangers, les fonds de pension réclament des rendements de 10, 15 ou 20 %, alors que la croissance ne dépasse pas 2 % : c’est suicidaire pour l’économie, mais vous faites comme si vous ne le saviez pas. L’abrogation de la loi Thomas fut une excellente chose.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Vous préférez les fonds de pension étrangers ?

M. Jean-Claude Sandrier. Hélas, avec les mesures que vous proposez, vous êtes en train de renforcer la financiarisation de l’économie. Certes, il n’appartient pas à l’État de tout gérer.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. C’est nouveau, ça !

M. Jean-Claude Sandrier. Non, ce n’est pas nouveau : c’est vous qui retardez d’un siècle ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Schreiner. Restons sérieux !

M. le président. Achevez, monsieur Sandrier, puisque vous avez la parole.

M. Jean-Claude Sandrier. S’il n’appartient pas à l’État de tout gérer, c’est à lui de dire l’intérêt général et de le faire respecter. C’est d’ailleurs pour cela, me semble-t-il, que nous sommes élus : c’est à la nation de dire ce qui relève de la responsabilité publique.

M. Arnaud Montebourg. Très bien !

M. Jean-Claude Sandrier. Enfin, si l’État n’a pas à tout gérer, il n’a pas non plus à se coucher devant les intérêts privés et particuliers que représentent les marchés financiers.

M. Arnaud Montebourg. Très bien ! Il fallait que ce soit dit !

M. Jean-Jacques Descamps. À Moscou ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Sandrier. Telles sont quelques-unes des raisons qui nous feront voter l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Perruchot, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Nicolas Perruchot. L’objet de l’exception d’irrecevabilité est de « faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ». Or il y a quatre raisons pour lesquelles le groupe UDF ne peut pas voter cette motion.

Tout d’abord, le groupe socialiste a consacré les quelque trente minutes dont il disposait pour défendre sa motion à un discours qui aurait certainement été mieux à sa place dans la discussion générale.

Ensuite, l’orateur s’est borné à reprendre des caricatures vides de sens, des stéréotypes hâtifs.

Troisièmement, le groupe socialiste en est resté à un système de pensée d’un autre âge. Quand M. Besson parle des « absolutistes de la création de valeur », on croit entendre un langage que la plupart des partis socialistes européens ont rejeté depuis longtemps.

M. Éric Besson. Claude Bébéar le parle encore !

M. Nicolas Perruchot. Enfin, M. Besson a préféré exposer longuement sa vision de l’OPA de Mittal sur Arcelor…

M. Jean-Louis Dumont. C’est un très bon exemple ! Nous y reviendrons !

M. Nicolas Perruchot. …plutôt que de tâcher de nous convaincre de l’inconstitutionnalité du texte. Il ne suffit pas d’être en désaccord avec un projet de loi pour prouver qu’il n’est pas juridiquement fondé.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Dumont, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Louis Dumont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aux propos que M. le ministre a tenus en ouverture de notre séance, Éric Besson vient de répondre, sinon point par point, du moins en s’attachant aux éléments les plus importants, aux arguments de fond.

M. le ministre a mis l’actionnaire au cœur de son projet, n’accordant qu’une place limitée au projet d’entreprise, au projet industriel, à la valeur ajoutée économique et sociale.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Louis Dumont. Ainsi, lors des assemblées générales, ne considère-t-on plus que l’intérêt porté par les actionnaires à la rentabilité des fonds qu’ils ont investis. Il suffit d’ailleurs de feuilleter les comptes rendus de ces assemblées générales, de voir qui y participe et qui détient les pouvoirs des petits actionnaires, pour comprendre que les dés sont pipés.

Soit on souhaite vraiment s’opposer aux offres publiques d’acquisition ou aux offres publique d’échange, et l’on met en place des lignes de défense, comme l’a indiqué Éric Besson, soit on laisse jouer le marché financier. Ce soir, il semble que l’on n’ait pas définitivement arrêté une ligne de conduite, que celle qui nous est proposée ne fait pas l’unanimité dans les rangs de la majorité, qu’elle est d’ailleurs entachée d’incohérences.

Ainsi, tout le monde s’accorde à dire que la création des BSA est sans doute nécessaire, mais que cette arme de dissuasion ne sera efficace que si on ne l’utilise pas. D’autres orateurs, dans la discussion générale, ne manqueront pas de montrer que l’utilisation des BSA peut être dangereuse, car, contrairement à ce que l’on croit mettre en place, elle peut faire écrouler la ligne de défense en secondant les desseins des entreprises qui lancent une OPA, puisqu’elle peut renchérir la société cible. L’actionnaire qui y gagnera ne sera donc pas celui qui vend, mais celui qui souhaite acheter. Où est, dans tout cela, la démocratie dans l’entreprise ? On parle de protection, mais qui veut-on protéger ? L’entreprise elle-même, son développement ou simplement quelques actionnaires ?

À propos d’actionnaires, notre collègue Éric Besson a cité, tout à l’heure, le nom de M. Bébéar : manifestement, celui-ci ne partage pas tous les propos qu’ont tenus M. le ministre ou M. le rapporteur. Il a été patron d’une très grande entreprise qui − je crois m’en souvenir − n’était pas tout à fait opéable en raison de son statut : c’est bien la preuve, monsieur le rapporteur, que certains statuts sont protecteurs.

M. Jean-Jacques Descamps. Ça ne l’a pas empêchée de racheter d’autres entreprises !

M. Jean-Louis Dumont. Je voudrais cependant connaître le rôle exact que jouent, sur certains marchés boursiers − à New York, par exemple − les fonds détenus par AXA.

Si la directive adoptée en 2004 et qu’il nous est proposé de transposer accorde une certaine marge de manœuvre au Gouvernement dans la mise en place des lignes de défense et dans la prise en compte de nos particularismes franco-français, je ne suis pas sûr que l’on y voie très clair ce soir. Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que le groupe socialiste votera l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix l’exception d’irrecevabilité.

(L’exception d’irrecevabilité n’est pas adoptée.)

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, chacun a compris qu’une grande vague de restructurations à coups d’OPA meurtrières se prépare dans l’industrie mondiale, européenne et française. Les groupes français sont dans l’œil du cyclone. Après l’attaque de Mittal sur Arcelor – entreprise dans laquelle, soit dit au passage, les contribuables français ont investi plus de 15 milliards d’euros – et après la menace de l’attaque sur Suez, c’est avec une certaine inquiétude que nous observons de possibles prises de contrôle étrangères sur des fleurons nationaux, partout sur le territoire, en raison de l’instabilité de la part flottante de leur capital disponible sur les marchés.

Éric Besson parlait de 91 % de capital flottant pour Lafarge. Pour Altadis, Carrefour, Danone ou bien encore Accor, ce pourcentage se situe entre 80 et 90 %. Tous les milieux de l’intelligence économique s’inquiètent de la vulnérabilité boursière de très grandes entreprises françaises, grandes pourvoyeuses d’emplois et de savoir-faire, telles que Renault et Peugeot pour notre industrie automobile, mais également Air France, BNP-Paribas, la Société générale, Veolia, Vinci. Toutes ces sociétés, qui sont le résultat d’années d’efforts des salariés et du capitalisme de notre pays, peuvent désormais devenir l’objet de scénarios catastrophes. Tout est possible avec une industrie menacée.

L’attaque victorieuse du groupe canadien Alcan sur Pechiney illustre les conséquences des OPA hostiles. Alcan – nos collègues de Midi-Pyrénées, que je salue, ne le savent que trop – s’est emparé de la quasi-totalité de l’approvisionnement de notre pays en aluminium. Il a fermé les usines dans le sud de la France, rapatrié quelques centres de recherche encore situés sur notre territoire et exploité les brevets au Canada. L’aluminium mis en valeur sous brevets français est désormais vendu à Airbus, industrie européenne, par une société transnationale dont le siège social est au Canada : pas un mot n’a été dit sur cette affaire par les pouvoirs publics, alors que Pechiney avait été recapitalisée grâce aux nationalisations de 1982 et ainsi sauvée de ses grandes difficultés de l’époque.

M. Jean-Louis Idiart. Eh oui !

M. Arnaud Montebourg. Tous ces efforts pour son industrie, la nation les a vus partir en fumée.

M. Jacques Godfrain. Jospin n’a rien dit !

M. Arnaud Montebourg. L’affaire est postérieure : elle date de M. Raffarin, M. Breton n’étant pas encore ministre. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Jusqu’où allons-nous laisser faire ce capitalisme financier qui, sans limites, ignore l’économie réelle pour se consacrer à la seule satisfaction des actionnaires, devenus les nouveaux acteurs régnants de ce monde ?

Est-il tout de même permis de contester la pertinence, voire l’utilité économique et même financière des OPA hostiles ? En tout cas, après Éric Besson, je me le permettrai avec mes collègues socialistes, en reprenant rapidement, les uns après les autres, les problèmes qui se posent sur le plan économique.

L’offre publique dite inamicale ou hostile présente l’inconvénient de n’être précédée d’aucune concertation permettant de dégager un projet industriel au sein d’une stratégie commune. Elle entraîne des surenchères dans les prix proposés aux actionnaires de la société cible, sur-rémunérant ainsi la part spéculative des actions des porteurs de parts.

Pour une entreprise – personne ne le contestera ici –, s’en protéger à l’avance coûte très cher, et cela devient même hors de prix une fois l’attaque déclenchée. Selon tous les indicateurs, les entreprises du CAC 40 ont ainsi investi l’année passée des sommes astronomiques dans l’autocontrôle et le rachat de leurs propres actions. M. Auberger, venu au secours de ma mémoire défaillante, nous a rappelé que la société Total avait consacré 4 milliards d’euros au rachat de ses actions pour éviter une OPA hostile. Tout cet argent gaspillé, versé inutilement dans le portefeuille des spéculateurs, n’aurait-il pas été mieux investi dans la recherche, dans le développement, dans l’emploi ? Où est la logique économique quand M. Desmarest paye ses stagiaires 150 euros, mais en verse 4 milliards à ses actionnaires en rachat d’actions ?

L’année dernière, ce sont près de 6 milliards d’euros qui auront été consacrés au rachat de leurs propres actions par les entreprises du CAC 40. Or ce gaspillage d’argent, aussi considérable que stupide, de la part des entreprises opéables ne donne lieu à aucune réponse des libéraux : nous serions curieux de les entendre à ce sujet.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Vous nous entendrez.

M. Arnaud Montebourg. Enfin, la pratique montre qu’une entreprise victime d’une OPA hostile se voit en général imposer des normes de rentabilité déraisonnables et des cessions d’actifs contraires à ses intérêts sociaux, dans le seul but de rembourser la dette d’acquisition – on se paye sur la bête, pour parler trivialement.

Voilà pourquoi ces OPA se transforment fréquemment en machines à détruire des actifs. Elles sont le plus souvent destructrices de valeur économique même si elles créent de la valeur financière. Qu’en est-il d’ailleurs de cet écart entre les plans économique et financier pour les salariés, dont nous avons le souci, et qui sont les premiers concernés par les rapprochements effectués à coups d’OPA hostiles ? Pour eux OPA signifie fermetures de sites industriels, départ de centres de recherche et donc suppressions d’emplois, qu’ils soient cadres ou ouvriers.

Au début de l’année 2005, M. Mittal, qui constitue un véritable cas d’espèce en la matière, évoquait devant un parterre d’analystes financiers la possible suppression de 40 000 emplois sur les 160 000 que compte son groupe. Faut-il hésiter à l’interroger plus à fond officiellement ? Non ! Il faut pouvoir, comme nous le proposerons dans l’un de nos amendements, lui demander – autrement que par téléphone, oserai-je dire – des engagements pour les mois et les années à venir, afin de renforcer les pouvoirs du politique face à cette folie destructrice de la finance contre notre économie.

Si l’on ajoute à ce tableau, entre autres dégâts collatéraux, le départ des centres de décision, on est en droit de s’interroger sur le sens même de la politique des pôles de compétitivité. Ces derniers, que nous essayons tous de soutenir en y mettant de l’argent, constituent d’ailleurs l’une des rares politiques que vous menez et que j’approuve.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Merci.

M. Arnaud Montebourg. Nous en avons un en Bourgogne sur le nucléaire, qui est une très bonne initiative. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nul n’est dénué d’intelligence, mes chers collègues. Nous avons au moins cela en partage.

À quoi bon ces investissements publics et privés si les concurrents directs de nos grandes entreprises peuvent, sans coup férir, s’en approprier le produit et mettre fin à la coopération locale avec ces partenaires intellectuels que sont les grandes écoles et les universités ou ces détenteurs de savoir-faire industriel que sont les sous-traitants et toutes ces petites entreprises qui entourent les plus grandes et les aident à être plus performantes ?

Chacun le comprendra, les dirigeants politiques ne peuvent, dans ces conditions, se désintéresser des vagues d’OPA hostiles qui se préparent. Voilà pourquoi la politique doit faire irruption en la matière, monsieur le ministre, que vous le vouliez ou non – et si vous ne le voulez pas, les électeurs vous demanderont d’en rendre compte –...

M. Jean-Louis Idiart. Eh oui !

M. Arnaud Montebourg. ...face à cette économie financière devenue folle.

L’entreprise n’appartient pas seulement, comme le rappelait notre honorable collègue Sandrier, à ses actionnaires. C’est là une fiction juridique. Elle appartient à l’économie tout entière qui, elle-même, n’appartient pas qu’à la sphère privée : elle relève également du bien public.

M. Jean-Jacques Descamps. M. Montebourg est marxiste !

M. Arnaud Montebourg. Les conséquences de toutes ces opérations sont si considérables sur notre bien-être, sur notre désir de vivre ensemble, selon nos lois et nos règles, que nous ne pouvons confier notre avenir au marché.

Le Gouvernement de M. de Villepin s’est lancé dans un discours sur le patriotisme économique.

M. Paul Giacobbi. Un discours de plus !

M. Arnaud Montebourg. Pendant ce temps, nos collègues de l’UMP – l’opposition se doit de le dénoncer haut et fort – organisent, par la transposition de cette directive, le démantèlement des moyens que l’État peut opposer à cette violence nouvelle du marché. On développe une nouvelle religion, celle du petit porteur. Aboutissement de l’histoire, c’est le petit porteur qui fait la politique !

Pendant que le Premier ministre, nouveau don Quichotte, fonçait sur le moulin d’acier Lakshmi Mittal, vous expliquiez le 2 février, monsieur le ministre, à propos de l’affaire Arcelor : « Mon rôle, c’est de veiller à ce que les procédures se déroulent correctement [...] dans l’intérêt des actionnaires, des parties, c’est tout ! »

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Dans l’intérêt des parties prenantes, qui incluent l’État et les salariés.

M. Arnaud Montebourg. Les actionnaires, rien que les actionnaires !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Non, les parties prenantes !

M. Arnaud Montebourg. Grâce à vous, monsieur le ministre, le marché fait la loi. La politique industrielle de la France se fait donc à la corbeille, et voici venu le temps du gouvernement des actionnaires : ils vous ont remplacé et vous êtes leur fidèle porte-parole !

Pour notre part – et j’en arrive à nos propositions – nous voulons que la politique reprenne ses droits par rapport à cette nouvelle économie. À cet effet, nous proposons de donner au ministre de l’économie le pouvoir de suspendre les OPA, au vu de leurs conséquences négatives sur le territoire et sur les orientations stratégiques de notre politique industrielle. C’est un contre-pouvoir que nous proposons ainsi d’installer, celui du politique, qui devra prendre ses responsabilités face à l’économie aveugle, aux effets parfois heureux, mais souvent destructeurs.

Par exemple, allez-vous, monsieur le ministre, laisser M. Mittal prendre possession d’Arcelor sans intervenir ? N’allez-vous pas lui demander d’où vient son argent : de sa holding cotée dans les paradis judiciaires des Caraïbes, de sa société installée opportunément dans la place financière la plus opaque de l’Union européenne, les Pays-Bas ?

M. Jean-Jacques Descamps. Comme Renault !

M. Arnaud Montebourg. Sait-on que la croissance de son groupe par acquisitions successives, s’est faite exclusivement par de la monnaie papier, c’est-à-dire par échange de titres,...

M. Louis Giscard d'Estaing. C’est mieux que le Crédit lyonnais !

M. Arnaud Montebourg. ...et que l’évaluation de la société est faite par son propre fils et par une banque d’affaires qui a accompagné cette stratégie de croissance absolument similaire à celle de Vivendi et d’Enron ?

Ce laxisme, monsieur le ministre, aura un prix politique et électoral si vous prenez la responsabilité de laisser M. Mittal s’emparer d’Arcelor. L’autorité politique est responsable devant les citoyens de l’action qu’elle mène face au marché.

Quant à l’attractivité du territoire – argument que l’on nous oppose – quelle force peut-elle représenter devant des OPA hostiles ? Ce que nous avons vu, ce sont des dizaines de sièges sociaux, tous centres de profits, partir depuis quinze ans vers des zones de basse pression fiscale...

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Comme Renault !

M. Arnaud Montebourg. ... – appellation polie des paradis fiscaux – que nous ne pouvons pas et ne voulons pas leur offrir,...

M. Hervé Novelli, rapporteur. Pourquoi ?

M. Arnaud Montebourg. ...sauf M. Novelli et ses amis madelinistes.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Et les contribuables !

M. Arnaud Montebourg. Nous leur offrirons, nous, une protection et un sanctuaire, et vous verrez les sièges sociaux se localiser à nouveau en France pour se développer en paix et pour approfondir leurs projets industriels,...

M. Hervé Novelli, rapporteur. Vous rêvez !

M. Arnaud Montebourg. ...sans gaspiller l’argent dans l’autocontrôle. L’argent affecté au rachat d’actions peut en effet être consacré à autre chose : cela s’appelle une économie...

M. Jean-Jacques Descamps. Protectionniste !

M. Arnaud Montebourg. ...équilibrée.

Faute d’arguments sérieux, on nous oppose le droit européen...

M. Hervé Novelli, rapporteur. Il existe !

M. Arnaud Montebourg. ...et ses règles sacrées devant lesquelles il faut nous incliner religieusement, sans même chercher à convaincre les autorités européennes de modifier leur religion.

Mais le droit européen, c’est le fruit de la volonté des hommes.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Comme le traité de Nice.

M. Arnaud Montebourg. Et ce qui a été fait par quelques-uns peut-être refait par d’autres.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Vous parlez du traité de Rome ?

M. Arnaud Montebourg. Le traité de Rome, qui date de 1957, n’a pas empêché les règles que je propose, avec mes camarades socialistes, de rétablir, de s’appliquer jusqu’en 1996. Finalement, nous ne ferions que refermer une parenthèse dérégulatrice et ultralibérale qui a fait tant de mal à l’économie.

M. Hervé Novelli, rapporteur. C’est vous qui le dites !

M. Arnaud Montebourg. Par ailleurs, le principe de la liberté de circulation des capitaux n’interdit pas que l’on assure le maintien de l’emploi et de l’investissement, qui relève d’un intérêt général aussi important que cette liberté aveugle, impersonnelle, dangereuse, stupide parfois.

M. Hervé Novelli, rapporteur. La liberté est stupide...

M. Jean-Jacques Descamps. Et qui décide ?

M. Arnaud Montebourg. M. McCreevie, commissaire européen au marché intérieur et aux services, responsable du dossier des OPA, ou M. Barroso, président de la Commission européenne, ne peuvent brandir l’anathème du protectionnisme, comme vous le faites malheureusement, pour empêcher les États nations, membres de l’Union européenne, de défendre les intérêts que l’Europe elle-même refuse obstinément, par excès d’idéologie ultralibérale, de prendre en charge.

Nous avons besoin de nous protéger des excès du capitalisme exclusivement financier et faiblement industriel. Nous voulons bien une politique industrielle européenne, si toutefois celle-ci daignait commencer à naître.

En l’absence de politique industrielle européenne, nous ne pouvons accepter que l’Union empêche les États membres d’avoir la leur. Soit l’Europe fait son travail, et les États-nations peuvent accepter de lui déléguer la défense de leurs industries, de leur territoire, de leurs emplois. Soit l’Europe refuse obstinément de faire son travail, rejette l’idée d’une politique industrielle, laissant les prédateurs dévorer ce qu’ils entendent, et elle détruit elle-même la notion d’intérêt général, distillant le pire des carburants pour tous les populismes et lepénismes de tout poil.

M. Jean-Jacques Descamps. C’est pour ça que vous avez voté « non » avec Le Pen !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Il faut la Constitution européenne !

M. Arnaud Montebourg. Vous nous accusez, monsieur le rapporteur, de vouloir édifier une nouvelle ligne Maginot. Non ! C’est la ligne Zapatero, du nom de celui qui vient de prendre un décret-loi de la monarchie espagnole qui va exactement dans ce sens, c’est la ligne Junker, c’est la ligne de la résistance face à l’OPA sur Arcelor. Ce n’est pas la ligne Maginot, à moins qu’elle n’ait tant de succès quelques décennies plus tard qu’elle soit maintenant devenue universalisable et que tous les pays européens veuillent s’en emparer.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Avec les résultats que l’on connaît.

M. Arnaud Montebourg. Éric Besson l’a signalé, d’autres pays hors d’Europe semblent vouloir commencer à lutter contre les excès de ce capitalisme financier.

M. Jean-Jacques Descamps. Pas Prodi !

M. Arnaud Montebourg. Mes chers collègues, partout où il n’y a plus de politique, et votre texte tend à la faire disparaître,…

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Mais non !

M. Arnaud Montebourg. …il est urgent de redonner des moyens et des outils à l’action publique.

Les propositions que nous formulerons au cours de ce débat ont pour but de faire face, ensemble, aux futures OPA destructrices de notre économie et de notre industrie. Vous ne pourrez pas, monsieur le ministre, toujours vendre en pièces détachées le patrimoine public, comme vous venez de le faire en privatisant GDF au détour d’un chemin tortueux, en faisant absorber cette entreprise par Suez pour la sauver.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Vous préférez Enel ?

M. Arnaud Montebourg. Cette manœuvre, vous ne la ferez qu’une fois. Quand arriveront cinq, dix, quinze OPA, vous serez démuni. Il ne vous restera plus rien du patrimoine que les Français ont entretenu. Face à cette vague d’OPA qui se prépare, vous serez incapable d’agir et ce sera votre faute. Nous vous tiendrons pour responsable d’avoir désarmé notre pays face au danger.

Voilà pourquoi, mes chers collègues, avant qu’il ne soit trop tard, nous vous demandons, nous vous recommandons, modestement mais très fortement, de voter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à M. Philippe Auberger, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Philippe Auberger. Je donnerai raison à M. Montebourg sur deux points.

M. Jean-Louis Dumont. Bravo !

M. Philippe Auberger. D’une part, personne n’a le monopole de l’intelligence, c’est vrai, en tout cas pas lui et pas sur ce sujet. D’autre part, la politique doit en effet conserver tous ses droits, y compris en matière d’OPA, et c’est précisément pour cela que nous sommes réunis ce soir, pour en débattre ensemble dans le cadre d’un débat politique.

Pour le reste, il s’agit d’introduire dans le droit français une directive européenne, laquelle ne prévoit pas de possibilité de suspendre ou d’arrêter des OPA. Nous sommes tenus par cet engagement, comme nous sommes tenus par l’engagement du marché unique et de la libre circulation des capitaux au sein de l’Europe, que nous avons pris notamment lorsque nous avons fait l’euro. Or, de cela, vous n’avez pas soufflé mot, monsieur Montebourg.

Par ailleurs, vous souffrez d’amnésie. Qui a déclaré à la télévision que nous ne pouvions rien contre certaines réorganisations industrielles ? Un certain Premier ministre, que vous souteniez à l’époque.

M. Dino Cinieri. Jospin !

M. Arnaud Montebourg. C’était une erreur !

M. Philippe Auberger. Je ne vous le fais pas dire.

M. Jean-Louis Dumont. Vous avez vu le résultat ?

M. Arnaud Montebourg. C’est le même qui vous attend !

M. Philippe Auberger. Il semble que 2002 vous ait laissé un cruel souvenir, mes chers collègues, et que la blessure soit encore loin d’être cicatrisée.

M. Jean-Louis Dumont. On fait de la politique ou on n’en fait pas !

M. Philippe Auberger. Vous proposez de demander des promesses aux attaquants, mais c’est précisément ce qui s’est passé avec Alcan. Alcan avait promis qu’il laisserait tous les sites de production de Pechiney en France, au même endroit avec les mêmes emplois. On voit, trois ans plus tard, ce qu’il est advenu de cette promesse.

M. Arnaud Montebourg. Vous ne lui avez rien demandé !

M. Philippe Auberger. Les promesses, chacun le sait, n’engagent que ceux qui les reçoivent.

M. Dino Cinieri. Absolument !

M. Philippe Auberger. Enfin, vous faites preuve de simplisme quand vous demandez l’organisation d’une sanctuarisation. Il faudrait, dites-vous, piéger l’épargne. Comment pensez-vous, mon cher collègue, pouvoir financer nos entreprises françaises et les investissements qui sont absolument nécessaires si vous avez la prétention de piéger l’épargne une fois qu’elle sera dans ces entreprises ?

M. Hervé Novelli, rapporteur. Très juste !

M. Philippe Auberger. Vraiment, tout ceci est assez ridicule.

Mais le comble n’est pas encore atteint. Le comble, c’est qu’en refusant les OPA, vous cherchez à protéger les dirigeants des entreprises qui sont attaquées.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Très bien !

M. Arnaud Montebourg. C’est bon pour Breton, ça !

M. Philippe Auberger. Ce sont eux les plus directement et les plus certainement menacés. M. Montebourg se place du côté de la protection systématique des dirigeants des entreprises.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Tout à fait.

M. Philippe Auberger. C’est une nouvelle intéressante. Mais nous n’avions pas besoin de ce débat pour le savoir.

Nous voterons bien évidemment contre cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Sandrier, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jean-Claude Sandrier. Nous voterons bien entendu la question préalable.

Nous inscrivons-nous dans la guerre économique qui se développe aujourd’hui dans le monde ou devons-nous tenter de développer des coopérations quel que soit le domaine concerné ? Voilà la question de fond qui nous est posée.

Pour contrer l’agression des marchés financiers, puisque c’est malgré tout ce que vous essayez de faire, vous allez renforcer la financiarisation des entreprises et livrer, par des fusions capitalistiques, des entreprises publiques aux marchés financiers, dont on sait quel traitement ils réservent à l’intérêt général.

Par exemple, lors de la vraie-fausse OPA sur Suez, sur laquelle bien des interrogations planent encore, vous avez laissé passer l’occasion de développer un grand secteur public de l’énergie, et préférez constituer un groupe privé regroupant Suez et Gaz de France.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Dites ça à Berlusconi !

M. Jean-Claude Sandrier. Tant pis pour vos grandes déclarations nous garantissant que la participation de l’État ne descendrait pas en deçà de 70 % dans le capital de GDF. Vous aviez même affirmé que cette participation constituait une véritable « muraille de Chine ». Cette dernière vivra sans doute plus longtemps que vos engagements.

Vous mettez souvent en avant l’argument que les fusions serviront les usagers. Or, dans tous les secteurs où il y a eu déréglementation, où il y a eu des fusions capitalistiques, que ce soit en France ou à l’étranger, les usagers en ont payé le prix, d’une façon ou d’une autre, soit par une hausse des prix, soit par une insécurité supplémentaire, soit par davantage d’inégalités. Seuls les télécoms échappent, pour l’instant, à cette règle. C’est l’exemple qui confirme la règle.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Et Air France ?

M. Jean-Claude Sandrier. Loin de combattre la loi de la jungle imposée par les marchés financiers, vous essayez de mieux vous y inscrire. Ce n’est pas ainsi qu’on avancera. Nous voterons donc la question préalable.

M. le président. La parole est à M. Éric Besson, pour le groupe socialiste.

M. Éric Besson. Le groupe socialiste votera la question préalable qu’Arnaud Montebourg a défendue avec son talent et sa fougue habituels.

M. Jean-Jacques Descamps. C’est la forme qui compte ?

M. Arnaud Montebourg. Jaloux !

M. Éric Besson. J’ai été surpris par l’explication de vote de M. Auberger. D’abord, il a évoqué Lionel Jospin, en faisant référence, j’imagine, à la formule « l’État ne peut tout administrer » qui nous a été tellement reprochée.

M. Jean-Jacques Descamps. Vilvorde !

M. Éric Besson. Dois-je rappeler que cette formule avait été utilisée dans un contexte très particulier, celui des licenciements boursiers, ces licenciements opérés par de grands groupes qui réalisent des profits. Vous ne devriez pas ironiser, mes chers collègues, parce que le sujet est toujours d’actualité. En refusant l’économie administrée, comme le disait le rapporteur tout à l’heure, nous nous mettons tous en situation de fragilité et nous n’empêcherons pas les grands groupes qui font parfois des profits de vouloir opérer des restructurations importantes. Ce danger guette l’économie française, et donc nous tous, en permanence.

Au moins le Premier ministre de l’époque, Lionel Jospin, avait-il fait adopter par la suite la loi de modernisation sociale.

M. Jean Leonetti. Très efficace !

M. Éric Besson. Ce texte prévoyait des mesures de reclassement ou de réindustrialisation sur place. Or quel a été symboliquement votre premier acte, mes chers collègues, lorsque vous êtes revenus au pouvoir en juin 2002 ? Il a été d’abroger ces dispositions.

M. Jean Leonetti. Cela ne marchait pas !

M. Éric Besson. Vous avez ainsi ouvert une brèche colossale aux licenciements. Je ne suis pas sûr que vous ayez choisi le meilleur exemple, monsieur Auberger.

Pour ce qui est de la protection des dirigeants d’entreprise, je rappelle que, lors du débat sur le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques, l’opposition de l’époque, aujourd’hui la majorité, nous reprochait a contrario d’être constamment hostiles aux dirigeants parce que nous voulions limiter le cumul des mandats, adopter le principe d’administrateurs indépendants, demander la transparence des rémunérations, etc. Et vous nous accusiez, nous les socialistes, d’être systématiquement contre les dirigeants d’entreprise. Il y a quelque ironie de l’histoire à vous entendre ce soir suggérer que nous serions systématiquement pour. Je ne voudrais pas abuser des citations du ministre de l’économie et des finances, mais nous ne sommes  ni pour ni contre. Ça dépend des dossiers, ça dépend du contexte.

En la circonstance, ce que nous vous demandons, ce que vous a demandé à juste titre Arnaud Montebourg, c’est de ne pas désarmer l’exécutif de l’entreprise, les dirigeants, le conseil d’administration, en exigeant de l’assemblée générale qu’elle vote dans un contexte à chaud qui a tout lieu d’encourager la recherche du profit à court terme plutôt que les intérêts à moyen et long terme de l’entreprise, et même de l’actionnaire d’ailleurs sur le long terme.

Enfin, le mérite de l’amendement qu’Arnaud Montebourg a évoqué et qu’il défendra tout à l’heure est d’essayer de combler le gouffre qui sépare les discours des actes et qui fait tant de mal à la politique.

Question d’actualité après question d’actualité, vous affirmez, monsieur le ministre, avec vos collègues du Gouvernement, que la France va bien, et vous évoquez des créations d’entreprises, des créations d’emplois. Or c’est le contraire que ressentent nos compatriotes.

C’est la même chose avec la précarité, nous le verrons encore demain. Pendant un mois et demi, vous avez essayé de nous convaincre que le CPE offrirait plus de protection.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Quel rapport ?

M. Éric Besson. Les jeunes ont bien compris,…

M. Arnaud Montebourg. Tout le monde a compris !

M. Éric Besson. …les Français ont compris que le CPE engendrera plus de précarité.

M. Arnaud Montebourg. Même chose avec les OPA.

M. Éric Besson. C’est la même chose pour les OPA. Vous prétendez, monsieur le ministre, que nous nous sommes dotés d’armes pour lutter contre les OPA, mais le grand public voit bien que vous n’avez pas de mains pour vous en servir.

M. Jean Leonetti. Et vous pas de tête pour réfléchir.

M. Éric Besson. Enfin, s’il s’agit certes de transposer une directive, c’est vous et vous seul, alors que personne ne vous le demande, qui choisissez de ligoter les entreprises en donnant un caractère obligatoire à l’article 9 de la directive, devenu article 10 du projet de loi.

M. Arnaud Montebourg. C’est très grave !

M. Éric Besson. Monsieur le ministre, il n’y a pas de plus flagrant délit de l’écart entre le discours et les actes. C’est ce que vous a rappelé, avec beaucoup de clarté, Arnaud Montebourg, et c’est pourquoi nous voterons la question préalable.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Perruchot, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Nicolas Perruchot. Le groupe UDF ne votera pas la question préalable, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, dans la description de la guerre économique décrite par M. Montebourg, les OPA détruiraient la valeur économique au seul profit de la valeur financière, les OPA supprimeraient les emplois, et il nous promet un véritable tsunami social dans les mois qui viennent. Mais il existe des OPA qui réussissent et qui créent des emplois dans ce pays comme en Europe. Il n’y a pas seulement des OPA qui détruisent l’emploi et qui restructurent.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Très bien !

M. Arnaud Montebourg. Avez-vous des exemples à nous donner, monsieur Perruchot ?

M. Nicolas Perruchot. Il faut prendre en compte ces deux facettes quand on étudie une loi sur le sujet : certaines OPA sont hostiles et détruisent des emplois, mais d’autres réussissent et vous le savez bien.

M. Arnaud Montebourg. Les OPA amicales.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Air France et KLM.

M. Jean-Louis Dumont. Volvo et Renault.

M. Nicolas Perruchot. Les exemples que vous avez donnés sont des exemples de prospective d’OPA hostiles. Nous ne savons pas pour l’instant dans quelles conditions elles se dérouleront. Il importe en tout cas de laisser le marché réguler les choses plutôt que de vouloir appliquer un interventionnisme qui peut être synonyme de suppressions d’emplois.

Vous avez parlé aussi du gouvernement des actionnaires comme d’une suite logique de ce texte.

Enfin, vous proposez un contre-pouvoir en demandant le retour du politique.

Mais le fond du problème actuel, au-delà de la transposition d’une directive européenne, n’est pas tant de savoir ce qu’il faut faire pour créer du profit, s’il faut restructurer ou non, mais comment nous le redistribuons. L’observation des cycles qui se sont déroulés depuis plusieurs années en France montre que la principale difficulté se situe en haut de cycle, c'est-à-dire quand il y a de la croissance, dans notre capacité à redistribuer, peut-être de manière plus solidaire, les profits et les mannes financières issus de cette croissance. La période du gouvernement Jospin a été assez éloquente en la matière.

M. Jean Leonetti. Eh oui !

M. Jean-Louis Dumont. Il a créé des emplois !

M. Nicolas Perruchot. En effet, alors que la croissance était là, il n’a pas réussi, malgré des règles assez dirigistes, à sortir les Français du misérabilisme dans lequel ils étaient tombés.

M. Éric Besson. Pas du misérabilisme, de la misère. Ce n’est pas pareil !

M. Nicolas Perruchot. Nous ferions œuvre utile en continuant à délibérer, et donc en rejetant la question préalable, pour trouver les moyens d’aider les entreprises à créer plus d’emplois et de favoriser le retour de la croissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Arnaud Montebourg. Ce n’est pas très convaincant !

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je veux d’abord me féliciter de ce débat nourri, et aussi remercier l’opposition, une fois n’est pas coutume, de jouer son rôle d’opposition : cela nous avait un peu manqué lors de la première lecture.

M. Jean-Louis Idiart. Cela va aller de mieux en mieux !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Les choses ont certes changé entre-temps et la séance de ce soir est sans doute à rapprocher des circonstances, mais cela contribue à la richesse de nos échanges, et je suis modestement assez satisfait que vous rejoigniez sur beaucoup de points le Gouvernement.

J’ai compris, monsieur Besson, que vous étiez prêt à soutenir l’amendement du Gouvernement, dont je rappelle qu’il n’est pas de circonstance. En effet, si vous aviez été présent lors de la première lecture, vous auriez pu vous souvenir que j’avais indiqué deux possibilités en ce qui concerne la réciprocité. La première était une augmentation de capital réservée ; la seconde était l’émission de BSA. Ayant senti qu’il y avait là un débat, à tout le moins à la droite de l’hémicycle, j’ai réservé la décision finale pour la deuxième lecture. C’est ainsi après en avoir débattu et avoir étudié ce qui semblait le plus approprié, le plus efficace, le plus équitable et le plus adapté à la modernité des temps, que nous avons finalement opté pour les BSA – et je me réjouis de voir que vous nous rejoignez sur ce point.

Je me réjouis également, monsieur Montebourg, d’avoir senti dans vos propos que vous souteniez la position du Gouvernement sur Mittal. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Arnaud Montebourg. C’est bien la première fois qu’on me dit que je soutiens le Gouvernement !

M. Jean-Louis Idiart. Cela nous conforte dans notre opinion sur la perspicacité du Gouvernement !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Pour la première fois, en effet, vous parlez de parties prenantes. Que ne l’aviez vous fait auparavant ! Car qui, aujourd’hui, réhabilite la parole publique en ce qui concerne les entreprises, y compris les OPA ? Pas vous qui avez été étrangement muets, sur le cas Alcan notamment.

M. Jean-Louis Dumont. Augustin Bonrepaux avait réagi !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est bien le Gouvernement qui aujourd’hui réhabilite la parole publique, en faisant la distinction entre l’État actionnaire et l’État partie prenante non actionnaire. C’est lui encore qui demande à l’entreprise Mittal Steel de nous apporter des éclaircissements sur son plan industriel.

M. Arnaud Montebourg. On attend que vous la bloquiez, cette OPA !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est toujours lui qui, bien qu’Arcelor soit une entreprise luxembourgeoise, a pris, avec les autres parties prenantes non actionnaires européennes, toutes les mesures pour obtenir des éléments de réponse lui permettant de protéger l'ensemble des actifs d’Arcelor sur notre territoire, au premier rang desquels l’emploi. C’est lui enfin qui, pour toute OPA, a fait obligation à l’entreprise assaillante de venir préciser devant le comité d’entreprise son projet industriel et son projet social. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Éric Besson.

Pour un rappel au règlement ?...

M. Éric Besson. Juste pour une question, monsieur le président. Je souhaite confirmer que, comme cela vient d’être dit à plusieurs reprises, j’étais bien absent le 15 décembre. En revanche, j’ai lu attentivement vos déclarations dans le compte rendu intégral, monsieur le ministre, et je souhaiterais que vous nous expliquiez à quel moment, dans ce débat, vous avez présenté, comme vous venez de le suggérer, les bons de souscription d’actions. Ma lecture a dû être insuffisamment attentive car je n’ai rien trouvé de tel.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Louis Dumont.

M. Jean-Louis Dumont. Je me tournerai d’abord vers notre collègue Nicolas Perruchot, qui s’étonnait il y a quelques minutes que des orateurs de l’opposition puissent s’attarder sur l’OPA inamicale de Mittal sur Arcelor. Arcelor, c’est une partie de l’histoire de l’Europe. C’est l’acier, l’acier d’hier, d’aujourd’hui, de demain. C’est l’histoire de provinces, comme la Lorraine. C’est l’histoire des hommes, l’histoire économique, l’histoire d’un combat social. Oui, Arcelor reste pour nous emblématique. D’autant plus que chez nous, en Lorraine, Arcelor, c’est aussi une famille qui a coûté une quinzaine de milliards de francs aux contribuables, ce qui nous la rend d’autant plus chère.

En cette année 2006 où nous célébrons le quatre-vingt-dixième anniversaire de la bataille de Verdun, faut-il rappeler d’où venaient les obus ? Faut-il rappeler ce courrier envoyé aux ministres de l’époque pour leur demander de ne pas bombarder les usines de Briey ?

Tout cela pour montrer que, derrière une OPA, il y a une histoire, des hommes et des fortunes qui se sont faites avec le sang des autres. C’est au nom de tout cela que l’on doit être attentif à l’avenir des entreprises en question.

1999 a marqué en Lorraine l’aboutissement d’une lente et pénible restructuration de l’acier. Cette année-là, Usinor a trouvé un acquéreur pour Unimétal Gandrange, au prix du franc symbolique. Il se trouve que cet acquéreur, porte aujourd’hui un nom célèbre : Mittal Steel. Dans mon département, deux entreprises – SMR à Revigny et Tréfilunion à Commercy – ont ainsi pour patron Mittal Europe. Et un syndicaliste de Mittal avec lequel je m’entretenais il y a quelques heures me rappelait justement que, si à l’époque où le PDG d’Usinor – aujourd’hui Arcelor – a vendu, il n’avait pas trouvé cet acquéreur, lui-même aurait été au chômage, voire au RMI.

Je ne suis pas là pour défendre un camp contre l’autre, mais pour constater simplement qu’une partie de la fortune de Mittal Steel, ce sont des salariés meusiens, lorrains, des gens de Gandrange et d’ailleurs en Europe puisque, après avoir fermé un atelier à Saint-Dizier, chez notre collègue François Cornut-Gentille, l’entreprise s’est délocalisée à Poitiers, puis en Pologne – selon les règles européennes.

En arrière-plan des discussions que nous avons sur le rôle des actionnaires se joue donc une histoire qui s’écrit aussi en termes de projet d’entreprise et de développement économique pour les régions.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, il serait bon d’évoquer, à côté du rôle des comités d’entreprise, celui qu’ont à jouer les collectivités locales lors d’une OPA. Certaines ont contribué au développement des sites industriels concernés et doivent avoir leur part à prendre dans la mise en place de lignes de défense… plus efficaces que la ligne Maginot.

Il est urgent d’affirmer une volonté politique forte face à l’émiettement du capital de nos sociétés. Les chiffres nous le rappellent : plus de 50 % des sociétés cotées au CAC 40 sont opéables et peuvent disparaître demain. Le cas Alcan- Pechiney est intéressant en ce qu’il illustre le pillage d’une entreprise construite dans la longueur du temps. Oui, il a fallu parfois des centaines d’années pour constituer une entreprise, et deux mois suffisent, dès lors qu’elle est inscrite au CAC 40, pour la démanteler, la faire disparaître et faire surgir à sa place tout le cortège de malheurs qui peuvent frapper une région, des hommes et des familles ! Il est donc essentiel que les parlementaires affirment sur ces questions leur engagement par une participation assidue aux débats, et ce dès la première lecture.

Il a été fait référence à l’affaire qu’a connue la Belgique avec Renault. Ne pensez-vous pas que, si la région wallonne ne s’est pas mobilisée autant que certains l’auraient espéré sur ces bancs pour organiser la ligne de défense et mettre en place les résistances nécessaires à une OPA inamicale, c’est parce qu’elle gardait en mémoire ce que nous avions – ou plutôt n’avions pas – fait quelques années auparavant ?

On se plaît à distinguer les OPA amicales des OPA inamicales. Dans tous les cas, il y a une proie et un prédateur. Tout le choix que nous avons à faire devant ce texte, c’est de savoir lequel on privilégie : la proie ou le prédateur ? Or le vote du Sénat comme les discussions que nous avons eues jusqu’à présent dans cette assemblée laissent penser qu’on aurait plutôt tendance à défendre le prédateur. C’est regrettable dans la mesure où, quand la proie est prise, c’est l’entreprise qui disparaît.

Mes collègues ont souligné comment était constitué le capital des entreprises du CAC 40 et mis l’accent sur son émiettement déjà par trop important. Avec les BSA, on sait parfaitement que la dilution s’aggravera encore.

Mme Colette Neuville a expliqué fort justement le processus qui pouvait amener le détenteur d’une action, pour bénéficier sans frais de ses bons, à vendre l’action, à récupérer les bons et à faire ainsi augmenter le prix de la proie. Au prédateur, il suffira d’emprunter et de se payer avec la trésorerie constituée à partir de l’augmentation de la valeur faciale de l’action. On voit bien que certaines lignes de défense ne sont finalement que des tigres de papier.

Mais, puisque M. le président mesure mon temps de parole, j’en viens à ma conclusion, qui comprendra quatre propositions.

La première consisterait à rendre obligatoires les évaluations financières, si possible indépendantes.

M. Arnaud Montebourg. Très bien !

M. Jean-Louis Dumont. En effet, entre des sociétés sous-cotées et d’autres surcotées, il y a manifestement matière à régulation et l’Autorité des marchés financiers pourrait être renforcée. Pourtant, ce n’est pas le sort qu’on lui a réservé, notamment lors des premières négociations qui ont permis d’envisager l’intégration dans la législation française de la directive de 2004.

Ma seconde proposition est de rendre effectifs les engagements sociaux et économiques des prédateurs, notamment envers les collectivités locales. Oui, au-delà des comités d’entreprise, il est nécessaire de donner corps à une relation contractuelle avec les collectivités. Si celui qui vient avaler sa proie est fort de projets industriels – pourquoi pas ? –, il doit venir non seulement les présenter, mais aussi les discuter et même prendre des engagements contractuels avec lesdites collectivités qui, je le rappelle, ont souvent financé des terrains ou des investissements industriels.

J’en viens à ma troisième proposition. Lors d’une OPA, il faudrait obliger les investisseurs institutionnels à intervenir. On a souvent cité la Caisse des dépôts. M. le président du conseil de surveillance, qui représente l’Assemblée nationale à cette noble institution, en parlerait de manière plus savante que moi. Toutefois, il n’est pas vraisemblable que la Caisse des dépôts joue aujourd’hui un rôle important dans ce domaine, probablement parce qu’elle manque de fonds.

Il me semble, monsieur le ministre, que vous avez cité dans votre propos liminaire le Fonds de réserve des retraites.

M. Hervé Novelli, rapporteur. C’est M. Besson qui en a parlé !

M. Jean-Louis Dumont. J’ai pensé que cette référence pouvait émaner du Gouvernement, puisque le ministre a souligné la conjonction d’idées ou de volonté qui existait entre la majorité et l’opposition.

M. le président. Songez à achever votre conclusion, monsieur Dumont. (Sourires.)

M. Jean-Louis Dumont. Si vous abondiez ce fonds, monsieur le ministre, il pourrait jouer un rôle important.

Ma dernière proposition concerne le rôle joué par l’AMF.

M. le président. Il faut vraiment conclure : tous les clignotants sont au rouge !

M. Jean-Louis Dumont. Je disposais de dix minutes, monsieur le président.

M. le président. Elles sont écoulées depuis longtemps.

M. Jean-Louis Dumont. Eh bien, je dirai qu’il est nécessaire d’adopter des dispositions qui ne risquent pas de produire les effets pervers dénoncés à propos des BSA. Et puisque la majorité s’apprête à voter ce texte, ce que l’on peut souhaiter du haut de cette tribune, c’est qu’il soit applicable et, si possible, efficace pour le bien de notre développement économique et de notre politique sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Perruchot.

M. Nicolas Perruchot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 28 octobre dernier, un grand quotidien français titrait en première page : « Les OPA sont de retour ! » Quatre mois après, il n’y a pas de jour où elles ne fassent la une de l’actualité. Elles sont quotidiennement en première page des journaux et présentes dans toutes les conversations. Durant ces dernières semaines, qui n’a pas entendu parler de GDF, de Suez, d’Arcelor, de Mittal, d’Enel, d’E.ON et j’en passe ? Ce soir, la question des OPA trouve donc un écho particulier au sein de notre assemblée.

Mais, avant d’examiner ce texte en seconde lecture, j’aimerais, au nom du groupe UDF, vous mettre en garde, mes chers collègues, contre tout excès ou toute précipitation sur le sujet. Ce texte s’inscrit dans le cadre de la ratification d’une directive européenne ; il ne s’agit donc pas d’un texte de loi visant à réagir à l’actualité brûlante du moment. Il appartient à la représentation nationale de faire la distinction entre ce qui relève du travail parlementaire et ce qui relève du travail journalistique. Si l’actualité doit guider notre réflexion, elle ne doit pas nous imposer notre action.

Pour guider notre réflexion, il convient de constater, dans l’actualité de ces derniers mois, l’accélération du nombre d’OPA dans lesquelles les entreprises françaises ont joué un rôle central. Mais il ne suffit pas de crier au loup ; encore faut-il comprendre et expliquer les raisons d’une telle intensité. Elle tient à trois causes.

Elle s’explique d’abord par la situation financière des entreprises, qui disposent de liquidités en abondance, dans un contexte marqué récemment encore par des taux bas. Par ailleurs, elles disposent d’importantes réserves de trésorerie, accumulées après des années douloureuses caractérisées par des politiques de restructuration pour les unes et de désendettement pour d’autres.

L’intensité des OPA s’explique ensuite par les stratégies de concentration en vigueur en Europe dans de nombreux secteurs économiques, notamment celui des matières premières, celui des télécommunications et celui de l’énergie, dans la perspective de l’ouverture du marché en 2007.

Elle s’explique enfin par le fait que ces acquisitions constituent pour de nombreuses entreprises une promesse de croissance à des coûts globalement attrayants.

Ainsi, loin d’être un mouvement surprenant, l’accélération des OPA est au contraire la résultante d’une conjugaison de facteurs structurels et conjoncturels. Nous devons donc éviter toute initiative précipitée ou toute disposition actée sous l’emprise de l’instantané.

Mettre en garde contre tout excès, c’est aussi rappeler que ce texte très technique n’a pas fait l’objet de polémiques lors des débats en première lecture, en décembre dernier. On ne peut donc que s’étonner de la vigueur retrouvée par certains députés en début de soirée.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Absolument !

M. Nicolas Perruchot. J’aimerais ensuite vous inciter, mes chers collègues, à faire preuve de responsabilité et de pragmatisme.

De responsabilité tout d’abord, en faisant des propositions sincères et réalisables en matière de législation sur les OPA. Puisque nous sommes en démocratie, il est de notre devoir de ne pas faire miroiter des pouvoirs et des missions dont l’État ne disposerait pas ou qu’il ne pourrait pas assumer. Si nous le faisions, la déception de nos concitoyens serait d’autant plus grande qu’ils sont déjà nombreux à ne plus croire en la parole et en l’action politiques.

À ce sujet, permettez-moi quelques mots sur l’amendement de M. Montebourg proposant qu’un ministre puisse s’opposer à des OPA lancées sur le territoire national.

M. Luc-Marie Chatel. C’est absurde !

M. Nicolas Perruchot. Si nous adoptions cet amendement, un ministre pourrait peut-être s’opposer à une OPA – et encore, il faudrait trouver le cadre juridique qui lui permettrait de le faire ! – mais que dirait-on le jour où ledit ministre des finances, quel que soit le Gouvernement auquel il appartienne, ne s’opposerait pas à une OPA préparée par un groupe ? Il ne s’écoulerait probablement pas bien longtemps avant qu’il ne perde son portefeuille.

Il n’y a pas plus grand danger pour une démocratie que des dirigeants s’inventant des prérogatives irréelles face à des citoyens incrédules, situation qui nous rappelle que, dans certaines pages sombres de notre histoire, le pouvoir politique et le parlementarisme étaient constamment dénigrés. Il faut au contraire expliquer avec sincérité et sens de la responsabilité les tenants et aboutissants du texte en discussion et du contexte actuel.

En effet, malgré le sentiment que le nombre d’OPA sur des entreprises françaises est en progression, il convient de rappeler que la France est le premier pays européen à prendre des participations dans des entreprises étrangères. Ce mouvement se traduit aussi par des OPA à l’encontre d’entreprises européennes ou extra-européennes. La France est aussi souvent, voire plus souvent dans le rôle d’instigatrice d’OPA que dans celui de victime. Ces derniers mois, des entreprises françaises ont lancé des OPA sur des entreprises étrangères dans différents secteurs d’activité : EDF dans le secteur de l’énergie, en se rapprochant de l’Italien Edison ; BNP-Paribas dans le secteur bancaire, en prenant le contrôle de la banque italienne BNL ; Arcelor dans le secteur des matières premières, avec le Canadien DOFASCO – et cela sans pour autant créer de contestation ni de débat enflammé.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. En effet.

M. Nicolas Perruchot. Notre responsabilité est donc de juger le texte en discussion en gardant à l’esprit toutes ces données.

M. Hervé Novelli, rapporteur. C’est exact.

M. Nicolas Perruchot. Il est étonnant que personne n’ait protesté lorsque des entreprises françaises prenaient des positions stratégiques dans certains secteurs d’activité à l’étranger.

Si nous voulons faire preuve de pragmatisme, nos débats doivent dépasser les caricatures stériles du libéralisme ou de l’interventionnisme. Le texte qui sortira du travail des deux chambres doit être pragmatique, c’est-à-dire aider nos entreprises à se doter d’outils leur permettant de se défendre légalement et légitimement face à une OPA hostile. Pour autant, il ne doit pas instaurer de frein à l’attractivité de la France et des entreprises qui y sont établies.

La France du XXIe siècle n’est plus celle des Trente glorieuses ou des années 60. Elle est désormais pleinement inscrite dans la mondialisation et se doit d’être compétitive par rapport aux autres pays.

Sur le fond, ce texte est le fruit d’un long travail, puisqu’il aura fallu plus de quinze ans pour que la directive soit adoptée par l’Union européenne, le 21 avril 2004. Fruit d’un compromis à vingt-cinq États, elle a le mérite d’élaborer une réglementation à la fois effective et raisonnable. Son intérêt réside dans la possibilité d’une démarche volontariste qui refuse néanmoins d’instaurer une réglementation trop stricte. Elle rejette les tentations protectionnistes, devenues surréalistes, anachroniques et donc dangereuses, au moment où notre pays est devenu un acteur central de la mondialisation.

À propos des travaux effectués par les deux chambres et notamment de l’amendement du Gouvernement sur les BSA, adopté au Sénat le 21 février dernier, je considère que, malgré son intérêt apparent, ce dispositif, que je ne renie pas, ne permettra en réalité que de retarder l’échéance d’une OPA.

Les vraies solutions qui permettraient de renforcer la situation des entreprises françaises dépendent de notre capacité à leur faciliter un développement durable et structurant sur notre territoire et de notre volonté de développer l’actionnariat salarié. À ce titre, nous attendons avec intérêt le projet de loi sur l’épargne salariale, qui devrait être présenté dans les prochaines semaines au Parlement.

J’aimerais enfin souligner le lien entre ce texte et l’Europe, lien qui doit nous rappeler à notre sentiment européen.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Tout à fait !

M. Hervé Novelli, rapporteur. C’est juste.

M. Nicolas Perruchot. Premièrement, ce projet de loi a pour objet, je l’ai dit, de ratifier la directive européenne adoptée en avril 2004. Le premier projet de directive avait été lancé dès 1989 par la commission Delors. Abandonné, il fut réétudié dès 1996, rencontrant de nombreuses réticences avant d’aboutir enfin, près de huit ans plus tard. Les oppositions exprimées contre le texte s’avéraient légitimes puisqu’il concerne un sujet économiquement, politiquement et nationalement sensible. Il a cependant été adopté, ce qui apporte la preuve de la richesse du travail complémentaire et constructif entre l’Union Européenne et les États membres. C’est l’illustration même que les capitales européennes peuvent agir de manière complémentaire, sage et démocratique.

Insister sur l’Europe, c’est aussi parler des mouvements de concentration dans le secteur de l’énergie européenne. L’actualité brûlante sur les OPA a été marquée ces dernières semaines par le rapprochement entre GDF et Suez, alors que Suez était – semble-t-il – convoitée par l’italien Enel. Au-delà de la question industrielle, on ne peut qu’être surpris des réactions suscitées par la possibilité d’une OPA du fournisseur d’énergie italien sur l’entreprise française. Considérer les Italiens comme des étrangers, voire comme une menace, exactement comme si nous ne partagions pas les mêmes valeurs, représente à nos yeux une régression de l’idée européenne. L’OPA d’une entreprise européenne ne doit pas apparaître comme un risque ou une attaque mais comme la suite logique de la construction européenne. La constitution d’un marché européen est en effet notre seule chance d’exister face aux puissants marchés américain, chinois ou indien. Elle passe aussi par la constitution de champions européens et, à ce titre, le patriotisme économique prôné par le Gouvernement nous apparaît comme anachronique par rapport aux données et aux exigences de ce début de XXIe siècle.

Enfin, parler d’Europe, c’est nous inciter à ne pas rester enfermés dans notre tour d’ivoire franco-française. Écoutons ce que disent de nous nos voisins européens. Certains d’entre eux s’inquiètent, à juste titre d’ailleurs, d’un protectionnisme de nouvelle génération ou, tout au moins, du retour de la thématique nationaliste, contraire à l’idéal européen. Si tel était le cas, il me semble que ce serait un nouveau recul de la construction européenne, qui a déjà fortement souffert ces derniers mois. La Commission européenne demande d’ailleurs des explications à la France sur la chronologie de la fusion Suez-GDF. Si ce rapprochement était en préparation depuis plusieurs mois, on ne peut en effet que s’étonner que le gouvernement français le précipite au nom du patriotisme économique, au risque de heurter nos voisins européens.

« Nous avons tous parlé européen », s’exclamait Aristide Briand dans cet hémicycle, le 26 février 1926, il y a tout juste quatre-vingts ans. Eh bien, mes chers collègues, reprenons nos efforts de linguistique européenne et faisons honneur à ce texte d’origine communautaire en évitant d’y inscrire des dispositions contraires à l’esprit et à l’idéal européens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Hervé Novelli, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Sandrier.

M. Jean-Claude Sandrier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les apprentis sorciers du tout marché, du tout déréglementé, du tout privatisé, du tout libéralisé sont, ce soir, face aux résultats de leurs choix économiques et politiques. En effet, l’OPA est le type même de l’opération qui illustre cette loi du plus fort, cette loi de la jungle économique que vous appelez libéralisme et qui n’est en fait qu’une prise en otages des salariés, et même des PME sous-traitantes.

La multiplication, dans la période récente, des offres publiques d’acquisition, le plus souvent hostiles – après Arcelor et Suez, d’autres groupes pourraient être très prochainement concernés –, révèle les impasses de votre modèle économique. La situation actuelle est en effet le produit et la conséquence logique du vaste mouvement de dérégulation de l’économie que vous défendez. Comment ne pas voir le lien étroit qui unit la dérégulation du secteur de l’énergie et la multiplication des OPA visant les entreprises énergétiques ? Comment ne pas faire le lien entre l’hostilité de la Commission européenne à l’égard de toute forme de politique industrielle concertée et la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui Arcelor ?

Face à l’affaire Mittal Steel-Arcelor, certains ont pu penser que la menace qui guettait notre économie et celle de l’Europe résidait dans la montée en puissance des pays émergents. En vérité, le problème est ailleurs : la course aux gains de productivité et la recherche de la rentabilité maximale ont conduit nombre de nos entreprises à adopter des stratégies de court terme, pour ne pas dire à courte vue, soit en abandonnant leur cœur de métier, soit en se livrant à des acquisitions hasardeuses et à des restructurations sauvages. Pour ce faire, elles se sont endettées, ont freiné leur effort de recherche et développement, ainsi que leurs investissements réels, bref, elles se sont fragilisées. L’OPA vient alors sanctionner cette stratégie liée à la rentabilité financière immédiate.

Le Gouvernement et la majorité ont leur part de responsabilité dans cette évolution, puisque vous n’avez eu d’autre priorité jusqu’à présent que de favoriser la pénétration des marchés financiers dans toutes les mailles de notre tissu économique et de livrer jusqu’à nos PME aux appétits d’actionnaires bien peu soucieux de patriotisme économique. Il est d’ailleurs assez curieux de prêcher le patriotisme économique tout en maintenant la libre circulation des capitaux, dont la seule patrie est une rentabilité qui, comme le dit Patrick Artus, a « des exigences de moins en moins compatibles avec la raison économique ».

Fidèles aux convictions que vous partagez avec Bruxelles, vous nous proposez pour toute solution un texte qui, une fois encore, accorde la primauté à la logique financière plutôt qu’à l’efficacité économique, humaine et sociale des entreprises. En effet, en quoi consistent vos prétendues mesures anti-OPA ?

Tout d’abord, vous souhaitez renforcer l’actionnariat salarié. Or distribuer quelques actions sans remettre en cause la logique financière à court terme des entreprises ne fera, au mieux, que protéger cette logique au détriment de l’intérêt des salariés, auxquels on s’empressera de refuser des augmentations de salaires au prétexte qu’on leur distribue des actions. En outre, du point de vue économique, une telle mesure ne peut produire l’effet positif nécessaire sur la consommation et la croissance. Néanmoins, sous réserve que sa contrepartie ne soit pas une pression sur les salaires, nous sommes favorables à la distribution d’actions gratuites qui ne puissent être revendues et qui donnent de nouveaux pouvoirs aux salariés dans la gestion de leur entreprise. C’est l’une des questions clés de la réorientation des stratégies actuelles des grands groupes.

Vous proposez ensuite de confier un rôle à la Caisse des dépôts et consignations. Je serais tenté de vous dire bravo, car c’est une proposition que font les communistes depuis de très nombreuses années. Toutefois, cela n’aura aucun effet si l’on ne change pas la logique financière qui préside à la gestion des entreprises. Pour être efficace, l’implication de la Caisse des dépôts doit s’accompagner de la mise en œuvre d’une autre logique de gestion, basée sur l’investissement, en priorité dans les capacités humaines, donc dans la recherche, la formation et le développement des coopérations. Le problème est de savoir si l’on fait appel à la Caisse des dépôts pour sécuriser l’emploi, la formation et la recherche, bref tout ce qui permet la croissance et le développement, ou pour sécuriser des taux de rentabilité invraisemblables en faveur de quelques-uns.

Quant à la fameuse « pilule », on peut se demander pour qui elle est « empoisonnée ». Certes, une augmentation de capital rendra plus difficile l’achat, mais, là encore, vous ne modifiez rien sur le fond : vous utilisez un système qui renforcera et encouragera une gestion néfaste, alors qu’il est urgent de la changer. De plus, augmenter le capital en bourse aboutira à accroître l’exigence de rentabilité financière : c’est une vis sans fin. Au reste, ces mesures sont si peu crédibles que, pour l’éditorialiste d’un quotidien économique réputé, « c’est une évidence : aucune de ces digues anti-OPA ne suffira, à elle seule, à protéger les entreprises ».

Pour faire face aux risques de destruction d’emplois et des capacités industrielles en France et en Europe que fait peser la multiplication des OPA, le groupe communiste et républicain fait plusieurs propositions. Pour une part, elles prennent en compte les remarques pertinentes de M. Stiglitz, ancien conseiller de Bill Clinton et prix Nobel d’économie, qui estime que « les marchés ne sont pas capables de s’autoréguler » et que « l’idéologie du libre marché préconisant de “rétrécir” sans cesse l’État » a été un échec. Selon M. Stiglitz, il faut en tirer « un grand enseignement » et « bien répartir les rôles entre l’État et les marchés », car les échecs du « tout État » ne peuvent faire oublier ceux du « pas d’État » ou de « l’État rétréci ».

Face aux résultats de l’ultralibéralisme que vous défendez, vous appelez à une sorte d’union sacrée en invoquant le patriotisme, alors que vos propositions consistent essentiellement à se rassembler derrière de grands intérêts financiers privés. L’opération GDF-Suez est, à cet égard, un cas d’école. En effet, vous aviez tous les moyens de bloquer une OPA éventuelle sur Suez, dont la réalité reste à démontrer, en organisant un regroupement entre Suez, GDF, EDF, la Caisse des dépôts et la COGEMA – ces deux dernières étant déjà actionnaires de Suez –, regroupement qui aurait constitué un véritable pôle public de l’énergie. Hélas ! Vous avez préféré la fusion de Suez et de GDF, privatisant de fait cette dernière. Le patriotisme économique demandait d’organiser ce regroupement et cette coopération des capacités énergétiques françaises, dans le respect de ce que souhaite une majorité de nos concitoyens, à savoir l’exercice d’une responsabilité publique sans faille dans le domaine de l’énergie. Au lieu de cela, vous avez choisi de noyer GDF dans un groupe privé, Suez, et de les mettre en concurrence avec EDF. Quel gâchis !

Nous demandons, en matière énergétique, l’arrêt de tous les processus de déréglementation et l’organisation des coopérations nécessaires entre énergéticiens pour la constitution de réseaux de services publics européens. Nous souhaitons que les rapprochements nécessaires se fassent, non pas dans le cadre d’une guerre économique et de concurrences destructrices, mais par des coopérations dont le but est de sécuriser l’emploi, la formation et la recherche, plutôt que l’intérêt privé de quelques-uns.

Nous demandons également que les besoins de nouveaux financements soient couverts par l’appel à un nouveau type de crédit bonifié favorisant l’investissement dans les capacités humaines et la recherche, plutôt que la rentabilité financière à court terme, et que les changements dans les choix de gestion s’appuient sur de nouveaux droits et pouvoirs d’intervention des salariés dans la gestion.

« L’argent coule à flots », écrit Patrick Artus dans Le Capitalisme est en train de s’autodétruire, et il ajoute : « C’est un capitalisme sans projet, qui ne fait rien d’utile de ses milliards, qui n’investit guère. » Dans ce contexte, la transposition d’une directive libérale sur les offres publiques d’acquisition permet la poursuite des gaspillages financiers. Je rappelle que, en quelques mois, 138 milliards d’euros ont été dilapidés en Europe pour des fusions-acquisitions sans investissements utiles, notamment pour la recherche et la formation.

En renforçant la primauté du strict droit financier sur le droit du travail ou la simple logique économique, on crée les conditions de batailles financières toujours plus coûteuses et toujours plus massives, mobilisant des ressources toujours plus importantes tirées de l’activité économique. Or la réponse aux questions qui nous sont posées aujourd’hui suppose que l’on nourrisse une tout autre ambition, celle de définir une véritable politique industrielle, de favoriser les rapprochements entre entreprises selon des modalités non inféodées à la loi du marché, et de garantir le rôle et la place des salariés dans la prise de décision.

Ce texte couvre en réalité une fuite en avant dont les conséquences humaines sont toujours plus dures pour nos concitoyens. Le patriotisme ne consiste pas à faire fructifier le mieux possible quelques intérêts privés et à permettre à Suez de phagocyter GDF, mais à assurer toujours mieux la défense et la promotion de l’intérêt général. Ce n’est pas ce que vous faites. Nous voterons donc contre ce texte.

M. le président. La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis la première lecture de ce texte, le climat s’est profondément modifié, puisque l’on a vu surgir l’OPA de Mittal sur Arcelor et une tentative d’OPA d’Enel sur Suez.

Ceci n’est pas mauvais pour l’actionnaire. En effet, on a constaté que le CAC 40 dépasse désormais les 5 000 points, ce qui va naturellement inciter un certain nombre de nos concitoyens, qui se portaient plutôt auparavant sur des valeurs à taux fixe, à venir placer en bourse, soit directement, soit par le biais de fonds d’investissement ou d’assurances-vie. À cet égard, l’excellent amendement adopté dans le cadre du projet de loi pour la confiance et pour la modernisation de l’économie permet à une fraction sensible de l’assurance-vie de se déplacer des contrats en euros vers les contrats en unités de compte.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Tout à fait !

M. Philippe Auberger. Cette disposition sera également utile pour les entreprises, puisqu’elles pourront plus facilement développer les augmentations de capital ou s’introduire en bourse, et donc assurer dans de meilleures conditions le financement des investissements. Cela n’a jusqu’à présent pas été suffisamment souligné.

Il ne s’agit pas, à ce stade, de remettre en cause le projet de directive européenne, mais simplement de trouver un ajustement dans l’équilibre qui a déjà été obtenu au cours de la première lecture.

D’un côté, il serait vain de vouloir interdire les OPA. Ce serait – on l’a rappelé – dissuader les épargnants en actions et ce serait grave pour le financement de notre économie. Ce serait en outre protéger indûment les équipes en place, alors que celles-ci peuvent bénéficier d’une rente de situation. Cela s’opposerait à ce que soient mis en œuvre les efforts nécessaires pour rationaliser et améliorer leur compétitivité. Enfin, cela ferait fuir les capitaux étrangers, alors que ceux-ci sont nécessaires à hauteur de 50 % des capitalisations du CAC 40.

D’un autre côté, il ne s’agit pas de laisser se développer à tout va des offres publiques d’acquisition. Cela mettrait les actionnaires, les emplois et les centres de décision et de recherche – c’est parfois arrivé dans le passé – à la merci de prédateurs.

Il convient d’avoir des offres transparentes, qui indiquent bien quel est l’intérêt à long terme de l’actionnaire quant à la valorisation et au rendement de son patrimoine, et d’inciter les entreprises à prendre des engagements précis dans ce domaine. Cela n’est pas contraire à l’intérêt des salariés, car assurer la stabilisation du capital est également un élément favorable au maintien de l’emploi dans nos entreprises.

Parmi les innovations introduites en deuxième lecture au Sénat, il y a la possibilité d’émettre des bons de souscription d’actions. Si nous voulons que cette arme soit une véritable arme anti-OPA, il est nécessaire de laisser les actionnaires autoriser ce type d’action dans le cadre d’assemblées générales extraordinaires, puisqu’il s’agit, d’une façon ou d’une autre, d’augmenter à terme le capital des entreprises.

Nous aurons évidemment l’occasion, au cours de la discussion, d’aborder d’autres sujets, en particulier la fameuse publication du décret concernant la convocation des assemblées générales, qui est une pièce maîtresse en matière d’OPA, du contenu de la note d’information, avec l’idée que cette dernière, qui est faite en direction des actionnaires, doit être au moins aussi complète, et donner les informations aux actionnaires avant toute autre personne, y compris les membres du comité d’entreprise.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Tout à fait !

M. Philippe Auberger. Il y a également le problème du visa de l’AMF. Il est effectivement possible d’autoriser l’AMF à déléguer son visa. Encore faut-il – bien que la loi de sécurité financière ne l’ait pas explicitement précisé – que celle-ci s’assure que les notes d’information visées par une autre autorité aient un contenu aussi riche et aussi prospectif que celles qu’elle a l’habitude de demander.

Enfin, il y a – M. le ministre l’a rappelé à juste titre – la clause de réciprocité, véritable clef de voûte des directives, qui fait que l’attaquant et l’attaqué doivent se défendre à armes égales et qu’il ne s’agit pas de laisser se développer une sorte de capitalisme naïf aux mains des prédateurs.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Absolument !

M. Philippe Auberger. Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles le groupe UMP approuve ce projet, qui est absolument nécessaire. Pour une fois, la France ne sera pas en retard dans la ratification d’une directive européenne.

M. Arnaud Montebourg. Tout cela se retournera contre vous !

M. Philippe Auberger. Je dis bien : « pour une fois ». C’est tout à l’honneur du Gouvernement d’avoir fait diligence en ce domaine.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Absolument !

M. Arnaud Montebourg. Pour le malheur de la France !

M. Philippe Auberger. Le Gouvernement n’a pas attendu la date fatidique du 20 mai prochain. Je tenais, monsieur le ministre, à vous en féliciter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Merci !

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi.

M. Paul Giacobbi. Monsieur le président, mes chers collègues, voilà que, après nous avoir chanté le grand air du libéralisme dans le grand marché européen et fustigé toute velléité étatique d’y intervenir, notre gouvernement se lance dans une interprétation étonnante de la vierge effarouchée par les méchants industriels étrangers. En quelques jours, nous sommes passés du libéralisme mondialisé au patriotisme économique, nouveau concept flamboyant après « La France debout, face aux hommes, face à l’histoire ».

Après qu’on nous a ici même chanté « le monde qui avait changé et l’inéluctable mondialisation », nous voici dans le rôle du guerrier gaulois défendant son pré carré économique.

Aujourd’hui, nous improvisons, en réponse aux deux OPA qui font l’actualité – celle de Mittal et celle d’Enel –, des stratégies hasardeuses sur le plan juridique, notamment sur le plan communautaire, qui sont d’ailleurs extraordinairement contestées, grandiloquentes sur le plan médiatique, et qui paraissent pour le moment bien loin d’avoir la moindre chance de réussir, dans les deux cas d’ailleurs.

S’agissant d’Arcelor, notre position n’est apparemment que médiatique, tandis que la stupéfiante imprévoyance des dirigeants d’Arcelor et du Gouvernement laisse ce groupe pathétiquement démuni face à une OPA parfaitement prévisible, parfaitement prévue depuis des mois – je pense que le Gouvernement en était informé –, et qui, en outre, avait fait l’objet, de manière claire, d’un avertissement donné au chef d’entreprise.

Où est la veille stratégique de notre gouvernement qui parle tant du patriotisme économique ? Est-ce que, par hasard, le fait qu’il y ait eu un prédateur de taille mondiale, ayant un capital verrouillé à 95 %, qui avait levé 8 milliards de francs sur les marchés en euros et avait un cash formidable, n’était pas de nature à inquiéter un tant soit peu les autorités nationales et les entreprises ? On peut quand même se poser la question.

La République française a consacré à Arcelor des subventions en milliards d’euros ! Aujourd’hui, à moins d’un miracle, cet outil industriel sera absorbé sans que nous ayons pu réagir autrement qu’en nous ridiculisant.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Qui a vendu les actions Arcelor ? C’est vous !

M. Paul Giacobbi. M. le ministre des finances a cru bon de convoquer le créateur d’un empire industriel pour lui expliquer comment l’on gouverne une entreprise.

Je ne doute pas que, après avoir expliqué comment on organise la croissance d’un groupe industriel à Lakshmi Mittal, vous ne manquerez pas, monsieur Breton, si, un jour prochain, Bill Gates vient à Paris, de lui expliquer comment on dirige une entreprise informatique. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

Mais, hormis ces leçons, qui font de la France la risée de la presse économique mondiale, et à part quelques propos désobligeants et un peu limite pour certains d’entre eux, pourriez-vous nous indiquer comment vous allez lutter concrètement contre un projet d’OPA qui me paraît pour le moment bien avancé ?

M. Arnaud Montebourg. Quand bloquez-vous cette OPA ? C’est la question de l’opposition !

M. Paul Giacobbi. L’affaire de Suez est plus obscure, pour ne pas dire, par certains aspects, plus glauque.

Sur le plan du « patriotisme économique », je voudrais comprendre pourquoi il faut sacrifier notre secteur énergétique public – GDF d’abord, demain EDF peut-être – pour tenter de conserver une vague influence française dans un groupe énergétique privé, dominé, jusqu’à preuve du contraire par des capitaux belges.

Il serait d’ailleurs utile à ce stade, puisque le Gouvernement nous parle de stratégie à long terme et de plan industriel, de nous préciser en quoi consiste exactement le plan industriel Suez-GDF et quelles conséquences il aura pour EDF, dont le président n’a pas semblé rassuré par le Gouvernement.

Vous nous présentez aujourd’hui un projet de loi dans lequel on nous a annoncé, à grand renfort de publicité, que la suprême astuce, l’arme de dissuasion financière massive, consistait dans la possibilité d’émettre des bons de souscription d’actions dans la société cible. Si nous comptons sur ce texte, tel qu’il est, pour défendre nos industries contre les OPA, les raiders étrangers n’ont pas trop de souci à se faire et le « patriotisme économique » restera une formule de plus.

M. le ministre l’a dit : le Gouvernement s’est contenté de restaurer la parole publique.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Ce n’est pas vous qui l’avez fait !

M. Paul Giacobbi. Nous aurions préféré qu’il nous dise comment il allait, en matière d’OPA, instaurer une politique publique.

M. Arnaud Montebourg. Où est la politique du Gouvernement ?

M. Paul Giacobbi. À l’occasion de ce texte, le Gouvernement pourrait se donner les moyens d’une véritable politique industrielle nationale. C’est le moment ou jamais de passer du discours aux actes.

M. Jean-Pierre Brard. Vous croyez au Père Noël !

M. Paul Giacobbi. Malheureusement, je crois que l’affaire est pliée et que, ce soir, nous n’aurons pas de surprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Brard. C’est une histoire corse !

M. le président. La parole est à M. Luc-Marie Chatel.

M. Luc-Marie Chatel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion en deuxième lecture du présent projet de loi, qui, en première lecture, avait une connotation technique de transposition de directive, prend, compte tenu de l’actualité récente, une plus grande importance.

Ce débat a amené certains à ouvrir les yeux sur le monde dans lequel nous vivons.

M. Bernard Carayon. Enfin !

M. Jean-Pierre Brard. Il doit y avoir du brouillard chez vous !

M. Luc-Marie Chatel. L’économie est aujourd’hui mondialisée. Et, que l’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, cela représente souvent pour les entreprises françaises une formidable opportunité.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est vrai !

M. Luc-Marie Chatel. Dois-je rappeler qu’un salarié sur sept dans notre pays travaille grâce aux performances de nos entreprises à l’exportation ? Dois-je également rappeler que l’année dernière notre pays a été le premier en Europe pour l’accueil de projets d’investissements internationaux ? Cinq cents projets se sont implantés en France, en majorité en provenance des États-Unis, dans le secteur de la sous-traitance automobile, créant au total plus de 30 000 emplois. La France est encore compétitive dans des métiers traditionnels…

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est exact !

M. Luc-Marie Chatel. … parce qu’elle sait jouer la carte de la mondialisation.

Il faut ouvrir les yeux enfin sur les échanges de capitaux, sur les restructurations, mais aussi sur la fragilité de certaines de nos entreprises, de certains de nos groupes, notamment parce que notre pays n’a pas fait, en son temps, le choix de fonds de pension à la française, pour des raisons essentiellement dogmatiques.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est vrai !

M. Luc-Marie Chatel. Aujourd’hui, certains de nos grands fleurons industriels, certains de ceux qui ont fabriqué l’image de l’industrie française, se trouvent fragilisés.

Dans sa version initiale, votre projet de loi, monsieur le ministre, transposait la directive d’avril 2004 en conciliant la dimension internationale des entreprises françaises, l’attractivité de la place financière de Paris et la capacité pour les entreprises de disposer de mesures de défense équitables face à d’éventuelles offres jugées inamicales.

Mais la discussion au Sénat, en pleine offensive de Mittal Steel sur Arcelor, a permis une amélioration certaine grâce à l’amendement que vous avez défendu et qui a été adopté par nos collègues sénateurs sur les bons de souscription d’actions, qui permettront aux entreprises victimes de raids prédateurs d’augmenter leur capital et de renchérir ainsi le coût de l’acquisition.

Il restera, après le vote de ce texte, deux autres leviers majeurs visant en permanence à empêcher ce type de raid.

Le premier – et vous avez commencé à prendre cette direction –, c’est la constitution de grands champions nationaux ayant vocation dans leur domaine d’activité à être parmi les leaders de leur secteur, à atteindre une taille critique suffisante, évitant ainsi toute tentative de rachat. Nous en connaissons un certain nombre dans notre pays – je pense à Total, à BNP Paribas.

M. Éric Besson. Suez - GDF

M. Luc-Marie Chatel. Le travail que vous entamez actuellement sur le rapprochement de Suez-GDF a précisément cet objectif.

M. Jean-Pierre Brard. Fossoyeurs !

M. Luc-Marie Chatel. Le dernier acte, c’est le projet que vous défendrez devant le Parlement au cours des prochaines semaines afin de développer l’actionnariat salarié. L’augmentation de la part d’actionnariat salarié n’est-elle pas le meilleur moyen de protéger les entreprises contre des raids prédateurs ? On sait en effet l’impact que peut avoir auprès d’investisseurs étrangers le fait de compter au sein du conseil d’administration et de l’assemblée générale, une part importante de salariés.

M. Jean-Pierre Brard. Et l’on sait que vous les protégez bien, les petits actionnaires. Demandez à ceux d’Eurotunnel !

M. Luc-Marie Chatel. Pour toutes ces raisons, nous soutenons ce projet de loi car vous avez trouvé, monsieur le ministre, le chemin entre le laisser-faire total et l’interventionnisme passéiste.

M. Arnaud Montebourg. On en reparlera !

M. Luc-Marie Chatel. C’est pourquoi nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Carayon.

M. Bernard Carayon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je fais partie de ceux qui sont très heureux du retour du volontarisme dans l’économie.

M. Arnaud Montebourg. Où le voyez-vous ?

M. Jean-Pierre Brard. Vous devriez acheter Le Petit Robert pour vérifier le sens des mots !

M. Bernard Carayon. Je citerai le sauvetage il y a quelques années d’Alstom par Nicolas Sarkozy, la constitution autour de Sanofi et d’Aventis d’un leader mondial de la pharmacie et, plus récemment, la création de l’Agence pour l’innovation industrielle, de l’Agence nationale de la recherche ou d’OSEO, et la mise en place des pôles de compétitivité. Toutes ces initiatives marquent le retour d’une véritable stratégie industrielle, ce dont je me félicite.

M. Jean-Pierre Brard. Avec l’augmentation du chômage en prime !

M. Bernard Carayon. Le contexte l’exigeait après le rachat il y a quelques années d’entreprises stratégiques à l’instar de GEMPLUS et de Pechiney, permis par l’économie ouverte, voire offerte, laissée par nos prédécesseurs en l’absence de fonds de pension.

Nous assistons aujourd’hui à la multiplication des OPA : OPA fantômes sur Danone, tentée sur Suez, et réelle sur Arcelor.

M. Jean-Pierre Brard. OPA déjouée pour Mittal !

M. Bernard Carayon. Face à cet environnement, trois attitudes sont possibles.

Première attitude, celle des partisans de « l’économie des formulaires », qui voudraient tout encadrer par des engagements de papier, verrouiller pour des années la stratégie des entreprises. Je fais allusion à un amendement déposé par les députés socialistes, qui pensent lutter contre les excès des marchés par des excès administratifs.

Il faudrait, messieurs de l’opposition, aller au bout de cette logique et interdire purement et simplement les OPA hostiles en France !

M. Jean-Pierre Brard. C’est une bonne idée !

M. Arnaud Montebourg. Comme le font les Américains !

M. Bernard Carayon. Au-delà de l’affichage singulier que ce type de proposition véhicule, une telle mesure se retournerait très vite contre nos entreprises.

Deuxième attitude tout aussi négative, celle des partisans de l'ouverture sans contrepartie, sans la moindre protection : une ouverture au nom de théories économiques dont la pratique quotidienne des affaires montre la naïveté ou l’irénisme. L'actualité économique de ces derniers mois les a sans doute un peu déstabilisés.

Troisième attitude enfin, celle que vous proposez, monsieur le ministre, dans ce texte : ni naïve, ni paranoïaque.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Tout à fait !

M. Bernard Carayon. Il s’agit de nous mettre, en partie au moins, à armes égales avec les législations de nos partenaires compétiteurs. Je dis en partie seulement car, à y regarder de plus près, et malgré des déclarations convenues, les outils dont disposent nos partenaires, et leurs pratiques ou modes d'organisation les protègent bien plus encore que ne le fera ce texte.

Avec ce projet, nous réaffirmons que l'entreprise n'est pas contenue tout entière dans les dividendes des actionnaires. C'est avant tout une communauté d'hommes et de femmes, de travailleurs, un ancrage géographique sur un territoire, des relations avec un corps social, parfois tout simplement l’expression de l’intérêt national ou européen

M. Jean-Pierre Brard. « Parfois » ! Il fallait oser le dire !

M. Bernard Carayon. D'ailleurs, nous parlons de personne morale. L'entreprise doit donc comme tout organisme pouvoir se défendre en cas d'agression. C’est du reste la leçon que nous pouvons tirer de l’expérience fournie par les États-unis, parangon du libéralisme.

Certes, les intérêts des actionnaires doivent être protégés, notamment les actionnaires minoritaires. Le mécanisme de BSA que propose ce texte inquiète certains pour lesquels il existerait pour l'actionnaire un risque de dilution et de réduction de la valeur de l'action. Ces deux points sont trompeurs car, en principe, les bons ne seront jamais émis, leur fonction est essentiellement dissuasive, ce risque est donc théorique. Et si les bons devaient tout de même être émis, la crainte d'une réduction de valeur vient d'une mauvaise compréhension du mécanisme : tous les actionnaires recevront les bons qui seront émis après la clôture de l'offre. Donc, seul l'initiateur sera dilué, les autres actionnaires, notamment les actionnaires minoritaires, ne souffriront pas de la dilution.

L'autre question débattue sur ce point porte sur la nature de la majorité avec laquelle l'assemblée accepte les bons d'offre.

Pour les actionnaires, décider de mandater leur conseil d'administration pour négocier au mieux les conditions d'une offre est une décision simple qui peut être prise à la majorité simple.

Ceux qui soutenaient la majorité des deux tiers s’appuyaient sur deux arguments : premièrement, que la majorité des deux tiers s'imposerait, s'agissant d'une augmentation de capital. C'est inexact.

D'abord, parce qu'aucune règle supralégale n'impose la majorité des deux tiers, Ensuite, il existe déjà une modalité d'augmentation de capital décidée par l'assemblée générale extraordinaire, statuant aux conditions de quorum et de majorité des assemblées générales ordinaires : c'est celle de l'augmentation de capital par incorporation de réserves. Faire approuver les bons spécifiques à la majorité simple n'est donc pas sans précédent. Enfin, l'objet des bons d'offre n'est pas de procéder à une augmentation de capital, mais de donner aux actionnaires la faculté de mandater le conseil pour négocier les termes de l'offre. Plus de vingt ans d'expérience aux États-unis et ailleurs montrent que ce mécanisme ne conduit jamais à une augmentation de capital.

Deuxième thèse inexacte, celle selon laquelle la majorité qualifiée protégerait mieux les petits actionnaires. Ceux-ci sont en fait parfaitement protégés par le principe d'attribution égalitaire et gratuite des bons. Ces bons seront émis dans l'intérêt de tous les actionnaires, sans distinction. En outre, la majorité des deux tiers pourrait permettre à des fonds spéculatifs, en particulier anglo-saxons, …

M. Hervé Novelli, rapporteur. Nous n’en avons pas !

M. Bernard Carayon. … de s'opposer à la volonté d'une majorité de petits actionnaires.

Tel est le sens de l’amendement que j’ai déposé et auquel notre rapporteur s’est rallié avec beaucoup de bon sens : je m’en réjouis et je le remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Hervé Novelli, rapporteur. Ne vous réjouissez pas trop vite !

M. le président. La parole est à M. Olivier Dassault.

M. Olivier Dassault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'an dernier, nos entreprises du textile étaient confrontées à la concurrence brutale de la Chine.

Ce soir, pendant que nous parlementons, les Indiens travaillent.

M. Jean-Pierre Brard. Oui, les enfants indiens travaillent !

M. Olivier Dassault. La vague des produits bon marché venue d'Asie où, vous le savez, on ne recule pas devant le dumping social le plus honteux et où l'on distille en permanence le poison de la contrefaçon a touché tous nos secteurs d'activité.

Dans ce climat de compétition exacerbée, chaque entreprise mobilise ses talents pour réduire ses coûts. Les meilleures y parviennent par des efforts d'organisation interne et une optimisation de leur processus de production, exploitant toutes les ressources nées des révolutions technologiques, et certaines tentent de résister aux assauts de la concurrence en grossissant.

Elles veulent ainsi peser sur leurs fournisseurs et leurs clients, réduire leurs frais de structures et amortir les aléas de la conjoncture par la diversification de leurs marchés et de leurs produits.

Pour les dirigeants des sociétés dont l'actionnariat est dispersé, la taille est aussi un moyen de décourager les prédateurs et d'échapper aux hasards d'une OPA hostile.

Ainsi a-t-on vu très récemment Pernod Ricard, BNP Paribas, Air France, Saint-Gobain, Arcelor, se lancer à la conquête de groupes étrangers.

Nous devons, pour être sincères, remarquer que cette course à la taille ne peut pas être à sens unique. Danone demeure sous la menace d'une OPA de Pepsi-Cola ou de Nestlé ; Arcelor est attaqué par Mittal Steel, sidérurgiste de droit européen dirigé par une famille indienne. Et Suez, groupe français qui tire l'essentiel de ses profits d'Electrabel, filiale conquise en Belgique, est convoité par l'italien Enel, ce qui vous a conduit, monsieur le ministre, à proposer, avec pragmatisme et réactivité, une fusion Suez-GDF.

M. Arnaud Montebourg. On célébrera leurs noces demain !

M. Olivier Dassault. Face à ces mutations accélérées, quelle doit être notre politique ?

La France a fait depuis longtemps le choix courageux et réaliste d'une économie ouverte où circulent librement les personnes, les marchandises et les capitaux.

Elle est à l’origine de l’Union européenne, qu’elle a voulue capable de tenir tête aux grands blocs nord-américain et asiatique.

Qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, la France, jouant le jeu de la solidarité européenne et mondiale, s'est progressivement dessaisie de nombreux outils de politique économique auprès d'instances internationales.

Parallèlement, l'État s'est désengagé, à juste titre, des entreprises ; il a privatisé la plupart de ses participations industrielles et ouvert à la concurrence des services jusqu'alors confiés à des monopoles.

Les actionnaires privés ont désormais le soin de décider ce qui est bon pour les entreprises, et les consommateurs jouissent de la liberté de choisir leur fournisseur de téléphone ou d'énergie.

M. Jean-Pierre Brard. Et tant pis pour l’intérêt national !

M. Arnaud Montebourg. C’est d’une naïveté confondante !

M. Olivier Dassault. Ce choix d'une économie de liberté impliquait de faire confiance aux entreprises françaises pour résister seules à leurs concurrents étrangers et de miser sur l'épargne française pour s'y investir. Malheureusement, en même temps que les entreprises sont plongées dans la concurrence, le droit de s'armer pour livrer bataille leur est refusé.

M. Jean-Pierre Brard. Non !

M. Olivier Dassault. En plus de conditions fiscales ou réglementaires pénalisantes, pèse encore un climat de suspicion généralisée sur les succès des entreprises ou sur les réussites individuelles, sanctionnées lourdement par l'impôt au nom d'un égalitarisme dogmatique.

M. Jean-Pierre Brard. Bien sûr ! Vous avez pourtant d’excellents VRP pour prêcher dans le désert en espérant vendre des avions !

M. Olivier Dassault. Vous feriez mieux d’écouter, mon cher collègue.

Ainsi, cette année encore, nos plus belles affaires sont critiquées pour leurs profits, pourtant seul critère de leurs performances et seule protection efficace contre des OPA hostiles.

J'approuve votre détermination, monsieur le ministre des finances, face à ce qui peut mettre en péril des emplois et des intérêts stratégiques, et vous savez le soutien que je vous apporte.

M. Jean-Pierre Brard. En effet ! Ce n’est pas un soutien, c’est une couverture aérienne !

M. Olivier Dassault. Pour revenir directement au projet de foi qui nous est soumis, je veux saluer l'amendement à l'article 10 du projet de loi, adopté au Sénat, à l'initiative du Gouvernement, qui autorise l'assemblée générale à émettre des bons de souscription d'actions pendant la période d'offre publique.

C'est une mesure efficace et sage, qui laisse à nos entreprises les mêmes chances que les entreprises américaines. Pour ce qui est de son application, je suis favorable à la méthode Marini ; le sous-amendement du rapporteur général de la commission des finances du Sénat propose que cette décision puisse être prise par l'assemblée générale ordinaire.

Mon analyse diffère quelque peu de celle de mon ami le rapporteur, et il me semble que la majorité simple est suffisante. Je crains en effet que la tenue d'une assemblée générale extraordinaire dans ces circonstances ne conduise concrètement à empêcher que ce moyen de défense puisse être utilisé. Il serait alors en effet extrêmement complexe d'obtenir une majorité dans un délai réduit en cas d'OPA hostile.

Enfin, pour clore ce tour d'horizon, je souhaite rappeler que cette méfiance à l'égard du profit que j'évoquais s'accompagne d'une captation de l'épargne privée pour financer la dette publique et les déficits de la sécurité sociale, éloignant les Français du marché des actions.

Le refus de leur accorder le droit de se constituer un complément de retraite dans des conditions avantageuses, grâce à des fonds de pension fonctionnant selon le principe de la capitalisation, a contraint nos entreprises à s'en remettre à l'épargne internationale pour assurer leur développement.

M. Hervé Novelli, rapporteur. En effet !

M. Olivier Dassault. Comme vous l’avez très justement rappelé, monsieur le rapporteur, comme l’a également rappelé mon collègue Luc-Marie Chatel, celles et ceux qui ont sabordé, dans cet hémicycle, pour des raisons dogmatiques autant que démagogiques, le dispositif voté à l'initiative de M. Jean-Pierre Thomas savent-ils ce qui est arrivé depuis ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Très bien !

M. Paul Giacobbi. Modifiez-le : vous avez la majorité !

M. Olivier Dassault. Nos PME et PMI, qui sont le tissu nerveux de notre économie, trouvent difficilement des financements pour grandir, tandis que les grands groupes sont à la merci d'investisseurs étrangers, dans le meilleur des cas, et, bien souvent de retraités de Palm Springs ou de Miami, focalisés sur leurs dividendes.

M. Jean-Pierre Brard. Ce qui n’est pas le cas de ceux qui sont ici !

M. Olivier Dassault. Nous sommes dans une situation schizophrénique : nous inventons le capitalisme sans capital !

Dès lors, il me semble que la question, désormais, n'est plus de proclamer un "patriotisme économique" pour résister aux OPA venues d'ailleurs, mais il s'agit, comme vous l'avez souligné à l’ouverture de cette séance, monsieur le ministre, de soutenir nos entreprises dans la compétition, et tout particulièrement nos PME et nos PMI, qui sont un vivier d'initiative et d'innovation,…

M. Jean-Claude Sandrier. Vous êtes en train de les achever !

M. Jean-Pierre Brard. Vous les passez à l’essoreuse !

M. Olivier Dassault. …le conservatoire vivant de nos savoir-faire et le soutien nécessaire des grands groupes. Ce sont des étoiles dans la galaxie économique : dans l'élan créé par les grands groupes, les PMI-PME scintillent telles la queue de la comète. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. Diverses questions ont été posées par les orateurs, notamment ceux de l’opposition. Traditionnellement, le ministre répond aux orateurs après la discussion générale. Il serait utile, avant que nous entrions dans le détail des amendements, que celui-ci s’exprime.

M. le président. Souhaitez-vous intervenir, monsieur le ministre ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le président, je ne saurais refuser l’invitation de M. Montebourg. Et je salue M. Brard, qui n’était pas là non plus lors de la première lecture.

M. Jean-Pierre Brard. Nous savons ce que vous défendez !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous avons largement débattu sur ces questions et je serai bref.

Peut-être avez-vous apporté ce soir votre Petit Robert, monsieur Brard ?

M. Jean-Pierre Brard. Non, le Littré !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Alors, pouvez-vous nous lire la définition qu’il donne d’une OPA ?

M. Jean-Pierre Brard. Ce mot n’y figure pas ! (Sourires.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Eh bien, cela veut dire offre publique d’achat. Et, contrairement à ce que certains pensent, une OPA n’est pas un acte guerrier : c’est ce qui a permis à la plupart des entreprises françaises de devenir de grandes entreprises mondiales. C’est un cadre juridique qui permet, lors de fusions, la plupart du temps amicales ou sollicitées, de protéger les actionnaires mais également les parties prenantes non-actionnaires, afin de leur laisser le temps de prendre connaissance du ou des projets de fusion. Ainsi, les actionnaires, car ce sont finalement eux qui votent, n’en déplaise à certains, peuvent se déterminer en étant éclairés sur les projets eux-mêmes mais aussi sur la position des parties prenantes non-actionnaires, que sont bien souvent les collectivités locales, les salariés, évidemment, mais aussi les fournisseurs, les clients et les États, dans le cas de grosses opérations.

S’agissant d’Arcelor, monsieur Giacobbi, vous avez la mémoire un peu courte. Vous nous accusez de ne rien faire, mais qui a fait en sorte que cette entreprise puisse avoir son siège à Luxembourg ? Qui a vendu les dernières actions de cette société détenues par l’Etat ? Vous le savez, c’est votre majorité. Je ne le critique pas, mais je trouve vos remarques un peu osées.

M. Bernard Carayon. Ils l’ont fait avec le soutien du parti communiste !

M. Arnaud Montebourg. Vous n’êtes pas à l’abri de telles erreurs !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous aviez eu à l’époque la sagesse de vouloir contribuer à la construction de grands groupes européens. Alors, ne venez pas nous demander ce que nous faisons maintenant avec Arcelor.

N’oubliez pas, mesdames, messieurs les députés, que, sur ce type d’opération, nous avons réhabilité la parole publique. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Arnaud Montebourg. Nous voulons des actes, pas des mots !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est ce que vous n’avez pas fait pour l’opération Alcan, que vous critiquez.

En deuxième lecture, nous allons examiner un certain nombre d’amendements, notamment celui déposé par le Gouvernement dans le cadre de la réciprocité. Nous avons d’abord cherché à permettre à nos entreprises de se défendre à armes égales, en particulier lors d’OPA hostiles, même si elles sont extrêmement rares. En ce cas, la fusion doit se faire dans l’intérêt des salariés, des clients et des fournisseurs mais aussi dans l’intérêt des actionnaires, puisque ce sont eux qui votent à la fin.

Nous avons bien progressé. Nous avons fait évoluer ce texte au Sénat. Un certain nombre d’amendements vont continuer de l’enrichir. Il me tarde de les entendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte du Sénat, les articles du projet de loi sur lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pu parvenir à un texte identique.

Après l’article 1er

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 14.

La parole est à M. Arnaud Montebourg, pour le soutenir.

M. Arnaud Montebourg. Notre amendement vise à empêcher l’Autorité des marchés financiers, autorité de police chargée de faire respecter la loi en cas d’OPA sur une société cotée sur la place boursière de Paris, de se dessaisir.

En effet, dans l’affaire Arcelor, l’AMF a pris la décision de se dessaisir au profit de l’autorité luxembourgeoise alors que cette société compte plusieurs dizaines de milliers d’emploi sur notre territoire, des usines dans de très nombreux départements, et qu’une partie de son actionnariat relève de la bourse de Paris. C’est un déni de patriotisme économique. De tels actes détruisent la confiance en la parole publique que vous dites vouloir réhabiliter, monsieur le ministre. Cet écart entre les discours et les actes, nous n’avons cessé de le dénoncer au cours de nos débats.

Nous faisons une proposition, qui peut susciter un consensus dans cette assemblée, s’agissant de l’AMF. Et j’écarte pour l’instant la question de la baisse des exigences déontologiques qu’on peut attendre d’une autorité dite indépendante, qui a démontré sur de nombreux dossiers qu’elle faisait n’importe quoi. Nous avons besoin que de telles instances rendent des comptes sur le plan politique. Aussi notre amendement prévoit-il que l’AMF ne puisse se dessaisir sans autorisation préalable du ministre, car il y a là une responsabilité politique et une mission régalienne. Ce qu’a fait l’AMF est inacceptable !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Hervé Novelli, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.

D’abord, cet amendement est éminemment vague.

M. Arnaud Montebourg. Sous-amendez !

M. Hervé Novelli, rapporteur. Il faut vraiment être éloigné du droit des affaires pour penser que la formule « centre des intérêts principaux des entreprises », que vous employez, veut dire quelque chose.

Aujourd’hui, Arcelor ne ressemble plus au fleuron de la sidérurgie française qu’elle a été. C’est la réunion de plusieurs entreprises : Arbed, au Luxembourg, Aceleria en Espagne et Usinor pour la France. La France peut difficilement être qualifiée de « centre des intérêts principaux de l’entreprise » et le ministre a eu raison de rappeler que c’est votre majorité qui a laissé faire cela : le siège social de l’entreprise est à Luxembourg et moins du tiers de ses salariés travaillent sur notre territoire.

Ensuite, en première lecture, mais vous n’étiez pas là, monsieur Montebourg, l’article 1er a été adopté conforme, sans que votre groupe dépose d’amendement. Il indique que lorsqu’une entreprise est cotée simultanément sur plusieurs marchés, les autorités financières des États membres s’accordent pour que l’une d’entre elles délivre un visa à l’entreprise concernée. À défaut, l’entreprise peut choisir son autorité de contrôle. Or votre amendement, s’il était adopté, serait en contradiction avec ces dispositions.

Enfin, cet amendement remet en cause l’un des fondements du marché intérieur européen – dont vous avez peine à reconnaître les aspects positifs –, qui est la reconnaissance mutuelle des compétences des États membres. Vous voulez confier au ministre une tâche qu’il aurait du mal à accepter, non seulement du fait de sa modestie naturelle, mais aussi parce que cela le conduirait à devoir dire que l’autorité des marchés financiers d’un autre État ferait moins bien que l’AMF.

M. Jean-Pierre Brard. Le Luxembourg ferait mieux du point de vue de la morale ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Pour ces trois raisons, la commission des finances a repoussé votre amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Effectivement, cet amendement n’est pas compatible avec le droit communautaire. Les directives sont claires en la matière : un État membre ne peut pas interférer dans une procédure de délégation entre deux superviseurs.

De plus, vos propositions vont à l’encontre du mode de fonctionnement de l’AMF : soumettre ses décisions à l’autorisation du ministère de l’économie remettrait en cause l’architecture de notre système. Par ailleurs, l’AMF n’est jamais tenue de procéder à une délégation. Elle ne le fait que si la situation l’impose.

Comme le rapporteur, je vous propose donc de rejeter cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, c’est vrai, je n’étais pas là pour la première lecture. Mais j’espère que, pour votre part, vous serez beaucoup plus présent pour la loi de finances. Avant de faire la leçon aux autres, balayez devant votre porte, même si cela vous prend du temps.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous nous avez manqué !

M. Jean-Pierre Brard. Quand on n’est pas parlementaire et qu’on n’a pas l’habitude de la vie publique, on commet parfois quelques écarts indécents dans cet hémicycle.

M. Bernard Carayon. Donneur de leçons !

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui : il en est qui en méritent bien !

Pour en venir à l’amendement, je note que si l’AMF est indépendante, c’est sans nul doute de la légitimité populaire, mais pas des règles du profit pour les actionnaires. Elle ne jure que par cela : de ce point de vue, elle est intrinsèquement perverse, comme on dit au Vatican. Vous êtes des patriotes, mais des patriotes non pratiquants, des patriotes par les mots. Dès lors qu’il faut passer aux actes, c’est l’abstention qui vous caractérise.

Notre rapporteur a du talent et des convictions, il faut le reconnaître ; c’est un ultra-libéral, un idéologue qui se bat pour ses idées car, lui, il en a, ce qui n’est pas si fréquent à droite. Mais, comme l’a dit avec raison M. Montebourg, l’autorité de police ne doit pas pouvoir se dessaisir. Vous lui coupez les bras et vous lui refusez même les prothèses !

Nous ne sommes pas pour le renoncement, ni pour la capitulation face à une économie mondialisée et sans règles. Nous vous prenons en flagrant délit de déni de patriotisme économique.

Quand même, oser décerner un brevet d’honnêteté au Luxembourg, refuge d’activités bien peu morales !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, il semble que je vous indispose : voilà qui me rassure. August Bebel, qui n’est sûrement pas une référence pour vous, disait que lorsque l’adversaire vous félicite, c’est certainement parce que vous avez commis une sottise. Moi, je défends les salariés ; vous, vous défendez ceux qui vivent de leur travail : vous les méprisez, vous les piétinez, vous ne les évoquez que pour servir de cache-sexe à votre politique qui enrichit les plus riches et qui ruine la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Vive la Roumanie !

M. le président. La parole est à M. Éric Besson.

M. Éric Besson. Monsieur le rapporteur, vous avez affirmé que le concept de « centre des intérêts principaux des entreprises » était extrêmement vague. Or cette formule est utilisée par la jurisprudence communautaire, ce qui prouve que M. Montebourg est bien plus attaché aux questions européennes qu’il n’a voulu le dire.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Mais cela ne s’applique pas à la France pour Arcelor !

M. Éric Besson. Et alors ? Cela ne change rien au fait que le concept n’a rien de vague.

Par ailleurs, vous considérez comme le summum de la bonne gouvernance que l’entreprise puisse choisir son autorité de contrôle. Pour notre part, nous considérons qu’il est bon, en cas de conflit potentiel, que ce soit l’autorité publique, en la matière le ministre, qui dise très clairement quelle est l’autorité compétente.

Notons au passage que le Gouvernement a considérablement réduit ses ambitions. En 2002, votre majorité voulait réhabiliter le travail. Que n’a-t-on entendu alors sur ce slogan ! Ce soir, vous vous targuez d’avoir réhabilité la parole publique. Nous n’avons pas bien compris ce que cela voulait dire pour l’affaire Mittal- Arcelor, mais sans doute allez-vous nous l’expliquer. Pour notre part, nous préférerions que vous réhabilitiez l’action publique plutôt que la parole publique.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. Notre amendement s’inspire de la jurisprudence communautaire, qui mentionne le « centre des intérêts principaux ». En revanche, le degré de politique et d’indépendance que nous souhaitons introduire dans la régulation des marchés financiers ne regarde que notre pays. Or c’est précisément un amalgame qu’est en train de faire le rapporteur.

Notre amendement est tout à fait eurocompatible et je ne vois pas pourquoi l’AMF ne pourrait pas répondre de temps en temps de son action devant les élus, responsables devant le suffrage universel.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 14.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 2

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 12.

La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger. Cet amendement est totalement différent du précédent, même s’il traite du même sujet.

M. Éric Besson. Vous vous en excusez par avance ?

M. Philippe Auberger. Mon amendement vise à autoriser l’AMF à déléguer son pouvoir de visa sur les notes d’information, ce que n’avait pas prévu la loi de sécurité financière.

En outre, les informations qui doivent être données à l’actionnaire, en particulier à l’actionnaire français, ne doivent pas être moins complètes que celles de l’AMF.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Hervé Novelli, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable à cet amendement, qui remet en cause un fondement du marché intérieur européen : la reconnaissance mutuelle des compétences des États membres. En effet, il est logique que les instances d’un État membre ne puissent pas s’immiscer dans la gestion de leurs homologues européens.

M. Nicolas Perruchot. Absolument !

M. Hervé Novelli, rapporteur. En outre, cet amendement créerait un précédent fâcheux en soumettant l’action d’un État membre à l’approbation d’un autre. Au nom de quoi, mes chers collègues, l’AMF pourrait-elle estimer que l’autorité d’un autre État s’acquitte moins bien qu’elle de sa tâche ?

M. Arnaud Montebourg. Au motif que nous y avons parfois intérêt !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le député, vous souhaitez en fait que l’AMF ne puisse déléguer sa compétence en matière de visa qu’après s’être assurée de la pertinence de la note d’information. Le Gouvernement partage la position du rapporteur, considérant qu’il est préférable de retenir le principe d’un vrai pouvoir de délégation auquel l’AMF n’est jamais tenue. En effet, il appartient à l’AMF de décider si elle souhaite déléguer sa compétence en fonction de la pertinence de la situation et des conditions de délégation. Cet amendement créerait une jurisprudence qui irait à l’encontre de la réglementation européenne.

Aussi, monsieur Auberger, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, nous sommes en pleine pédagogie !

Comme je l’ai expliqué en commission des finances, d’ailleurs en l’absence de M. Breton,…

M. le président. Qui n’avait pas à être présent !

M. Jean-Pierre Brard. …il existe trois « paquets » de députés UMP.

Tout d’abord, les idéologues convertis et convaincus, comme MM. Novelli, Mariton et Fourgous, qui défendent leurs idées, ce qui est légitime. Ce sont de vrais adversaires politiques.

Viennent ensuite ceux qui hésitent, à l’approche des élections.

M. Luc-Marie Chatel. Des noms !

M. Jean-Pierre Brard. Ils craignent que leurs électeurs, à force d’être passés sous le rouleau compresseur, pensent qu’il est temps de réagir. Souvenez-vous, monsieur le président : au tout début du mois de janvier 1995, certains de vos collègues RPR hésitaient entre MM. Chirac et Balladur, ce dernier étant en tête dans les sondages. Aujourd’hui, nous sommes dans la même situation : quelques députés UMP sont devenus prudents, ne sachant pas qui, de MM. de Villepin ou Sarkozy, remportera l’investiture. Ils forment ce qu’on appelait sous la Révolution le Marais, où l’on trouve des grenouilles et des crapauds ! (Rires.) M. Novelli, quant à lui, est sur la rive et il entend les concerts !

M. le président. Nous en sommes à l’amendement n° 12, monsieur Brard !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Merci de le rappeler, monsieur le président !

M. Jean-Pierre Brard. Le dernier paquet, dont M. Auberger fait partie, est constitué de ceux qui conservent un brin de gaullisme. Ces députés patriotes montent au créneau quand l’indépendance nationale, que M. Breton est prêt à sacrifier sans états d’âme car c’est un grand capitaine d’industrie, est menacée. M. Auberger demande que l’AMF ne délègue ses pouvoirs qu’après avoir vérifié la pertinence des informations. On sait M. Auberger très prudent. Ce n’est pas un révolutionnaire, contrairement à M. Montebourg. Or, à sa modeste exigence, M. le ministre répond qu’il faut une vraie délégation. Mais de quoi s’agit-il sinon d’une capitulation, d’une renonciation, d’un abandon, d’une trahison de l’intérêt national ? Que le rouge vous monte au front, monsieur le ministre !

M. le président. La parole est à M.  Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger. Si M. Brard tenait l’échafaud, j’éviterais d’être trop révolutionnaire !

M. Jean-Pierre Brard. J’aurais soin de disposer du son !

M. Philippe Auberger. Dès lors qu’une délégation n’est pas prévue pour une autorité qui a été instituée par la loi, je considère qu’elle ne peut pas exister.

J’ajoute que je ne demandais pas d’imposer, pour chaque note d’information, un visa préalable de l’AMF, mais de s’assurer que l’autorité qui allait bénéficier de la délégation a les mêmes habitudes de travail et des exigences comparables, permettant ainsi à l’actionnaire d’avoir la même qualité d’information.

Cela dit, je pense qu’il y a encore une faille juridique. Mais comme nous ne sommes pas là ce soir pour réexaminer la loi de sécurité financière, je retire mon amendement.

M. le président. L’amendement n° 12 est retiré.

M. Jean-Pierre Brard. Je le reprends, monsieur le président, et je le défends.

M. le président. Cet amendement a déjà été défendu.

M. Jean-Pierre Brard. Pas avec mes arguments !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 12.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, d’habitude vous faites preuve de plus de mansuétude et d’objectivité. Vous imaginez bien que mes arguments ne peuvent pas être les mêmes que ceux de M. Auberger car si notre champ sémantique est commun, nos déterminations politiques sont différentes.

La discussion nous a permis d’avancer puisque M. Novelli, dans un souci de prudence, a cessé de faire référence au Luxembourg, qui dissimule dans les coffres de ses banques des turpitudes qu’un esprit loyal ne peut accepter.

En permettant que l’AMF accorde des délégations à ce pays, vous permettez toutes ces turpitudes et cela confirme votre volonté de ne pas défendre l’intérêt national. Je regrette donc, monsieur le président, que vous ne m’ayez pas permis de défendre ce qui était devenu mon amendement.

M. le président. Vous étiez déjà intervenu, monsieur Brard, jugeant bon d’entretenir l’Assemblée des « paquets de députés » de l’UMP. Vous auriez pu choisir d’autres arguments !

M. Jean-Pierre Brard. Parce que vous voulez choisir mes arguments ?

M. le président. Pas du tout !

Après l’article 2

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 15.

La parole est à M. Éric Besson, pour le soutenir.

M. Éric Besson. Dans le cadre d’une offre publique d’échange ou d’une offre mixte, nous souhaiterions, pour que l’information soit complète, que la notice mentionne l’évolution, sur les cinq années précédant l’annonce de l’opération, du cours des titres apportés en contrepartie. Il faut éviter que certaines entreprises ne fassent de la « gonflette ». L’obligation de fournir un historique sur cinq ans du cours du titre offert est de nature à empêcher des présentations délibérément trop flatteuses. Toutes les parties concernées doivent être informées au mieux.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Hervé Novelli, rapporteur. Alourdir la loi pour demander que figurent, dans une note d’information, des cours de bourse sur cinq ans ! Il suffit d’aller sur Internet, c’est plus rapide. Il y a là une dérive législative que je dénonce depuis longtemps.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Défavorable également.

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi.

M. Paul Giacobbi. L’argument du rapporteur serait à la rigueur valable – encore que tout le monde n’utilise pas Internet – pour une société cotée à la Bourse de Paris. En revanche, s’agissant de Mittal Steel, je vous mets au défi de trouver facilement sur Internet son cours sur les cinq dernières années. J’ai essayé, c’est impossible ! Il faut connaître le code valeur, accéder à la bourse d’Amsterdam et l’on voit apparaître à l’écran : « Chart not available », c’est-à-dire information non disponible.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Évidemment, la société n’existe que depuis deux ans !

M. Paul Giacobbi. Cet amendement ne demande rien d’exorbitant et votre argument ne vaut pas. Vous ne trouverez pas facilement sur Internet le cours des cinq dernières années de l’action Mittal.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Mittal Steel n’existait pas il y a cinq ans !

M. Paul Giacobbi. De surcroît, s’agissant de sociétés cotées sur plusieurs bourses et qui ont des participations cotées, il sera encore plus difficile d’accéder à l’information.

Évidemment, si la société n’existe pas depuis cinq ans, on n’exigera pas l’historique sur cinq ans ! Mais ne dites pas que l’on trouve facilement l’information, surtout pour les sociétés étrangères. Or ce sont elles qui nous intéressent.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. Vous l’avez compris, monsieur le ministre, nous luttons contre l’escroquerie potentielle. Qui peut être contre ? Le titre qui est proposé peut être de la monnaie de singe, mais comment le démontrer ?

Il y a quelques années, M. Mittal a fusionné sa holding avec une entreprise cotée dans les Caraïbes, ce qui suscite des questions. Le « flottant » est si ridicule, c’est-à-dire le marché si étroit, que le cours peut parfaitement faire l’objet de manipulations. Et vous ne voulez même pas informer le petit actionnaire membre de l’association de Mme Colette Neuville ! Il faut tout de même un minimum de transparence et l’amendement que nous défendons n’est vraiment pas très audacieux. Avec ce capitalisme débridé, ces paradis fiscaux, ces « trous noirs » dont parlait notre ami Jean-Pierre Brard, après les scandales de Worldcom, Enron, Parmalat, Vivendi, vous voulez laisser les actionnaires sans protection ? Vous prétendez les défendre, mais vous les prenez pour de la piétaille au service de grandes manœuvres qui leur échappent !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Combattre les escroqueries – réelles ou potentielles – et les paradis fiscaux n’est manifestement pas la tasse de thé du Gouvernement ! Les escrocs russes qui vivent dans le Sud-Est de la France ont encore de beaux jours devant eux.

M. Novelli n’est pas seulement un libéral, c’est aussi un linguiste. Il enrichit en effet le vocabulaire en attribuant des sens nouveaux aux mots, pour tenter de convaincre ses auditeurs que la réalité n’est pas celle qu’ils avaient crue. Ainsi, selon M. Novelli, « améliorer la transparence » se traduit par « alourdir la loi », ce qui lui permet de se joindre aux campagnes contre l’obésité, en l’occurrence l’obésité législative.

Pourtant, du temps où un certain Mikhaïl Gorbatchev parlait de Glasnost, vous étiez tous pour ! Mais vous êtes amnésiques et vous affirmez qu’il ne faut pas alourdir la loi même si c’est pour aller plus loin dans l’honnêteté et la transparence.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 15.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 5

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 6.

La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger. Mon amendement a un double objet.

Il s’agit d’abord de distinguer clairement les offres publiques d’achat avec paiement en numéraire et les offres publiques d’échange, car ce sont des opérations très différentes qui exigent, pour que les actionnaires puissent se prononcer en toute connaissance de cause, des informations bien spécifiques. Dans le second cas, la note d’information doit être plus précise quant à la situation, aux perspectives financières de l’entreprise qui propose ses titres en échange, et à la politique industrielle qu’elle compte mener : synergies envisagées, rentabilité attendue, évolution de l’emploi et modalités de gouvernance. Il est vrai que le projet prévoit de reprendre plusieurs éléments à l’occasion de la saisine du comité d’entreprise.

Mais mon amendement présente l’avantage de donner la primeur de l’information à l’actionnaire, destinataire privilégié de la note d’information, qui est celui qui doit, en définitive, se prononcer.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Bien sûr !

M. Philippe Auberger. Le comité d’entreprise se contente, quant à lui, de donner un avis consultatif.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Hervé Novelli, rapporteur. Après discussion, la commission a fini par repousser l’amendement de notre collègue qui nous a semblé intéressant, mais à l’utilité contestable. La note d’information présente déjà nombre des renseignements qui sont mentionnés dans l’amendement. Nous avons débattu, vous l’avez rappelé, monsieur Auberger, de ceux qu’il faudra fournir au comité d’entreprise, mais ces éléments seront repris dans la note d’information.

Il appartient à l’AMF – autrement, elle ne servirait à rien – d’apprécier, dans le cadre de la procédure de visa préalable, la qualité de la note d’information et de demander le cas échéant des précisions complémentaires.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur Auberger, vous souhaitez préciser que, lorsque l’offre s’effectue, pour tout ou partie, sous forme d’échange de titres, la note d’information doit comporter tous les éléments d’appréciation de la valeur proposée. Nous le souhaitons tous, y compris l’AMF. Il faut en effet que les actionnaires soient correctement informés de la nature et de la valeur des titres, et je suis, sur ce point, d’accord avec M. Montebourg.

Il me semble néanmoins que votre amendement est désormais satisfait par l’AMF dans la mesure où la note d’information doit obligatoirement contenir les éléments suivants : la situation comptable et financière de l’initiateur, ses intentions sur une durée minimale de douze mois en matière de politique industrielle, financière et de maintien de la cote des actions des sociétés concernées, ses orientations s’agissant du volume et de la structure des effectifs.

Les salariés, eux aussi, seront informés par le biais du comité d’entreprise de l’ensemble des projets, y compris industriels. Vous l’avez vous-même rappelé. Les projets sociaux seront également explicités.

Dans ces conditions, votre amendement me paraît satisfait. L’AMF doit conserver son pouvoir d’appréciation. Or elle prend en compte tous ces paramètres avant d’accorder son visa. C’est pourquoi je vous prie de retirer votre amendement.

M. le président. Sur l’amendement n° 6, je suis saisi d’un sous-amendement n° 31 qui tend à ajouter, après les mots « politique industrielle », les mots « et sociale ».

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le défendre.

M. Jean-Pierre Brard. M. le ministre vient de me devancer en disant que les projets sociaux doivent être explicités ! Je ne savais pas que nous étions en communion à ce point.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. J’ai bien précisé que les salariés seraient informés dans le cadre des comités d’entreprise.

M. Jean-Pierre Brard. Évidemment, vous êtes tout de suite restrictif !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est ce qui a été voté au Sénat !

M. Jean-Pierre Brard. Je propose d’ajouter l’adjectif « sociale » pour clarifier la rédaction et lever les ambiguïtés. Vous devriez être d’accord, la politique sociale de l’initiateur doit être connue.

En outre, je m’étonne que M. le ministre puisse s’exprimer sur les intentions de l’AMF puisqu’il s’agit d’une autorité indépendante !

M. Arnaud Montebourg. Il y a nommé tous ses collaborateurs !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Hervé Novelli, rapporteur. N’étant pas doués du don d’ubiquité, nous n’avons pas pu, vous vous en doutez, nous réunir pour examiner ce sous-amendement.

M. Jean-Pierre Brard. On peut le faire maintenant !

M. Hervé Novelli, rapporteur. La commission des finances ayant rejeté l’amendement, le sous-amendement ne me semble pas de nature à la faire changer d’avis,...

M. Jean-Pierre Brard. C’est même un facteur aggravant !

M. Hervé Novelli, rapporteur. ...et, à titre personnel, j’y suis donc défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. Nous soutenons l’amendement modifié par le sous-amendement. La rédaction de M. Auberger – « tous les éléments d’appréciation de la valeur proposée en échange » est suffisamment large et claire pour permettre à l’AMF d’exercer un contrôle vaste et précis qui puisse satisfaire les actionnaires. Le sous-amendement de M. Brard, ajoutant les éléments sociaux qui à l’évidence manquaient au débat sur le futur gouvernement des actionnaires dans le cadre des OPA nous permet de nous rallier à l’amendement.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 31.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger. La discussion n’est pas inutile, notamment les propos de M. le ministre, parce que nos débats indiquent à l’AMF la direction à suivre s’agissant des notes d’information.

En revanche, la période de douze mois dont a parlé le ministre est trop courte. Il est bien certain que l’actionnaire qui s’engagera dans une opération publique d’achat demandera une visibilité supérieure : une période de trois ans me paraît raisonnable car l’entreprise attaquante doit offrir des perspectives sérieuses.

Mon argumentation, je le reconnais, comporte une lacune. Je n’en suis d’ailleurs pas responsable : nous entrons dans une période où les offres publiques d’achat sont plus nombreuses et plus importantes et l’AMF n’a été mise en place par la loi de sécurité financière qu’en 2003. Nous manquons donc, pour évaluer l’action de l’AMF, du recul nécessaire pour juger si elle doit se montrer plus complète ou vigilante en ce qui concerne les prévisions des entreprises. Je suis prêt à retirer mon amendement. S’il avérait d’ici la révision de la loi de sécurité financière que l’AMF n’est pas suffisamment exigeante sur le contenu des notes d’information, nous pourrions renforcer les exigences de la loi.

M. le président. L’amendement n° 6 est retiré.

M. Jean-Pierre Brard. Je le reprends.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 5.

(L’article 5 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Les renoncements – c’est une question de pédagogie – doivent être visibles pour l’opinion. M. Novelli ne renonce jamais : il se bat pour le grand capital et les actionnaires…

M. Hervé Novelli, rapporteur. Pour le petit capital !

M. Arnaud Montebourg. Pour les possédants !

M. Jean-Pierre Brard. …avec acharnement, intelligence et habileté, il faut le reconnaître.

M. Auberger, en revanche, animé par la fibre patriotique, avec, au-dessus de lui, l’image du général de Gaulle, défend de bons amendements. La preuve en est que nous les reprenons. Mais il lui manque l’énergie de se montrer courageux jusqu’au bout pour ne pas capituler. Il voudrait éviter que ses électeurs ne découvrent qu’avant de rentrer à Joigny il prend une déviation passant par Canossa !

Article 7

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 5.

La parole est à M. Jean-Jacques Descamps, pour le soutenir.

M. Jean-Jacques Descamps. L’amendement n° 5 vise à rétablir la rédaction de l’article 7 adoptée en première lecture par notre assemblée.

Je tiens tout d’abord à préciser, même si cela surprend M. Brard, que je suis personnellement favorable au patriotisme de l’emploi en France et tout particulièrement dans ma circonscription, je dois le reconnaître. Cela n’a rien à voir avec le patriotisme du capital. Ce qui compte, ce sont les emplois qui sont créés ici, quelle que soit l’origine du capital des entreprises.

M. Arnaud Montebourg. Et si elles en détruisent ?

M. Jean-Jacques Descamps. Aujourd’hui, on peut acheter n’importe quelle action de n’importe quelle société au monde à n’importe quel moment : il est donc vrai que l’actionnariat est flottant et que le problème du chef d’entreprise est de savoir s’il peut maîtriser l’origine de son capital. Les fonds de pension auraient à cet égard facilité les choses, mais en France, nous n’en sommes pas là.

La mondialisation favorise la mobilité du capital, dès lors que le leadership d’une entreprise, ou d’un groupe, se mesure à son poids dans le monde : elle favorise donc la croissance externe, c’est-à-dire le rachat d’outils de production qui peuvent compléter ceux qu’on possède déjà, ou de parts de marché afin d’étendre sa présence sur les marchés mondiaux. Cette poursuite de la croissance externe – il n’y a pas d’autre solution – passe nécessairement par l’OPA, qu’elle soit publique ou non, amicale ou non. C’est affaire de jugement du chef d’entreprise et des observateurs économiques.

Or on n’entend guère parler actuellement, notamment ce soir dans cette assemblée, que des OPA inamicales, et de groupes étrangers sur des entreprises françaises.

M. Nicolas Perruchot. C’est vrai.

M. Jean-Jacques Descamps. On ignore les OPA amicales des groupes français sur des entreprises étrangères, ou les OPA inamicales des groupes français sur des entreprises françaises – rappelez-vous Saint-Gobain – ou sur des entreprises étrangères.

C’est le jeu normal du capitalisme. Vous pouvez le regretter, monsieur Brard, puisque vous avez encore un soupçon de communisme, mais si on est pour l’économie de marché, on est pour la mobilité du capital. Vous ne l’êtes pas : vous êtes dans votre rôle. Reconnaissez-le, vous qui ne cessez de prétendre que nous sommes dans le nôtre.

M. Jean-Pierre Brard. C’est ce que pensent également mes électeurs !

M. Jean-Jacques Descamps. Un groupe qui lance une OPA ne peut être pour vous qu’un prédateur. J’estime pour ma part qu’une OPA peut être une très bonne chose pour les salariés.

M. Jean-Pierre Brard. À condition qu’ils aient le sens du sacrifice !

M. Jean-Jacques Descamps. Lorsque j’ai commencé ma carrière, comme beaucoup, j’aurais préféré travailler chez IBM – une société à capital étranger – que chez Bull. Et quand on entend dire que Thalès serait convoité par tel groupe franco-italien ou par EADS – qui est une entreprise européenne –, je maintiens que ce qui importe avant tout pour ses employés est de se voir assurer le meilleur emploi dans les meilleures conditions.

L’amendement n° 5 pose bien la question de la primauté du capital sur le travail dans le cadre d’une OPA. C’est clair et il faut le reconnaître !

M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Descamps.

M. Jean-Jacques Descamps. En cas d’OPA, la décision finale appartient aux actionnaires. Voyez le cas de Mittal-Arcelor : Mittal a proposé un échange d’actions et les actionnaires, sous la pression des plus petits d’entre eux, demandent aujourd’hui une proposition en cash. Nous sommes d’ailleurs nombreux à croire à la démocratie financière dans le capitalisme. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Pierre Brard. La démocratie financière : voilà un concept nouveau !

M. Arnaud Montebourg. Et des plus intéressants !

M. Jean-Jacques Descamps. Cette démocratie est favorisée par la formation des groupements de petits actionnaires

La rédaction du Sénat oblige l’initiateur de l’offre à venir présenter son projet industriel, et social – je veux bien –, au comité d’entreprise avant même que les actionnaires aient eu le temps d’en discuter, voire d’en être informés. Or c’est aux actionnaires d’être informés d’abord, et aux salariés ensuite, une fois que les premiers – c’est ce que la rédaction initiale de l’article 7 prévoyait –, auront pu faire valoir leurs préoccupations et leurs droits. Lorsque tous auront été informés, les actionnaires auront à se prononcer. La rédaction que je propose, et qui était celle du Gouvernement en première lecture, est donc logique, puisque, dans le mécanisme des OPA, l’actionnaire a le dernier mot. Si le personnel se prononce en premier, compte tenu de l’ambiance régnant actuellement dans le pays, je crains qu’on ne fasse surtout le jeu des démagogies et des populismes, ce qui serait préjudiciable à la sérénité du débat entre les actionnaires petits et grands.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hervé Novelli, rapporteur. Défavorable, bien que notre collègue ait excellemment exposé les rôles respectifs des actionnaires et du comité d’entreprise de l’entreprise cible.

Cela rejoint le débat que nous avons eu avec Philippe Auberger lorsque celui-ci a souhaité que la notice d’information contienne au moins autant d’informations que celles prévues en deuxième lecture au Sénat ; il a bien voulu retirer son amendement. L’auteur de l’offre doit désormais présenter au comité d’entreprise « sa politique industrielle et financière, ses plans stratégiques pour la société visée et les répercussions de la mise en œuvre de l’offre sur l’ensemble des intérêts, l’emploi, les sites d’activité et la localisation des centres de décisions de ladite société ».

Depuis la loi de sécurité financière, il faut le reconnaître, le comité d’entreprise est réuni afin de procéder à l’examen d’une OPA et, le cas échéant, à l’audition de l’auteur de l’offre. Cette audition était donc déjà prévue. Du reste, si le comité d’entreprise auditionne l’auteur de l’offre, la date de la réunion est communiquée à ce dernier au moins trois jours à l’avance. Le Sénat a donc complété les dispositions de la loi de sécurité financière, adoptée à l’initiative de Thierry Breton.

Retenons que la notice d’information est complète et qu’elle intervient avant la convocation du comité d’entreprise : les textes précisent en effet que celui-ci est réuni « dans les quinze jours suivant la publication de la note d’information ». Sans méconnaître la pertinence des interrogations de Jean-Jacques Descamps – j’avais moi-même soutenu en commission que la liste demandée était si longue qu’elle pouvait conduire à décourager les OPA –, il me semble néanmoins que la suppression pure et simple de ces précisions, demandée par notre collègue, peut laisser penser que les obligations pesant sur l’offrant disparaîtraient complètement. Je m’en suis donc remis à la sagesse de la commission, qui, s’étant réunie au titre de l’article 88 de notre règlement, a repoussé cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je tiens à rappeler l’état d’esprit dans lequel le débat sur ce point s’est déroulé au Sénat.

Il ne s’agit pas de donner au comité d’entreprise une information privilégiée par rapport aux actionnaires.

M. Jean-Pierre Brard. Avec vous, cela ne risque pas !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Car dès lors qu’une information est donnée au comité d’entreprise, elle a vocation à être publique et doit donc être compatible avec ce qui figure dans la notice. Si des informations supplémentaires sont données, elles doivent être rendues publiques par le biais d’un communiqué de presse ou d’une notice complémentaire. Je puis donc vous rassurer, monsieur Descamps : il s’agit pour nous de préciser les dispositions de la loi sur la sécurité financière, qui prévoit que l’entreprise assaillante doit venir expliquer son projet, afin que cette explication ne se réduise pas à un petit tour rapide devant le comité d’entreprise. Il s’agit bien d’expliciter en détail devant le comité d’entreprise le projet industriel figurant dans la notice, ainsi que le projet social. Je le répète : s’il s’avérait que l’assaillant donne plus d’informations, elles devraient être immédiatement rendues publiques, afin que l’ensemble de la communauté des actionnaires en ait connaissance.

Au bénéfice de cette explication, vos préoccupations étant satisfaites par les lois existantes et le cadre dans lequel s’opéreront les OPA, je vous propose de retirer votre amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Descamps.

M. Jean-Jacques Descamps. C’est cette idée de comparution du chef d’entreprise auteur de l’OPA qui me semblait un élément nouveau. Je ne trouve pas normale cette idée de comparution devant le comité d’entreprise avant même toute présentation devant les actionnaires ; il s’agit en effet, d’une certaine façon, d’un déni de droit.

De plus, il faut bien admettre que l’ambiance propre aux comités d’entreprise amènera le chef d’entreprise à répondre à des inquiétudes sans toujours disposer de tous les éléments nécessaires, ou bien à rassurer les salariés en prenant parfois des risques qu’il ne pourra peut-être pas assumer par la suite.

Je pense donc qu’il s’agit d’une innovation à la fois dangereuse et susceptible de se retourner contre l’intérêt des personnes que vous voulez défendre. Aussi, je maintiens mon amendement.

M. le président. La parole est à M. Éric Besson.

M. Éric Besson. Les socialistes voteront contre cet amendement. Je souhaite tout de même remercier M. Descamps d’avoir contribué à la créativité conceptuelle de la majorité. On aura noté ses deux expressions : « Je suis pour le patriotisme de l’emploi en France », et : « Je suis pour la démocratie financière dans le capitalisme ». Le concours continue…

M. Nicolas Perruchot. Vous y participez vous aussi !

M. Éric Besson. …et je pense que nous pourrons établir un florilège avant la fin de la soirée.

M. Jean-Jacques Descamps. Vous n’êtes pas d’accord avec ces termes ?

M. Éric Besson. Non, mais peu importe ! Votre idée de démocratie financière dans le capitalisme m’amène à vous rappeler que nous avons essayé depuis le début de la séance de vous montrer combien la démocratie actionnariale que vous décrivez est extrêmement limitée et ne répond pas aux intérêts collectifs.

Par ailleurs, vous croyez encore à un autre mythe : celui d’une sorte de marché où la concurrence serait pure et parfaite et où les OPA viendraient sanctionner la bonne allocation des ressources nécessaires. Vous devriez vous documenter un peu plus sur la spéculation,…

M. Hervé Novelli, rapporteur. M. Descamps connaît aussi bien les entreprises que vous !

M. Éric Besson. …sur les excès de gourmandise, en termes de rentabilité, d’un certain nombre d’actionnaires. Voilà un bout de temps que le marché n’est malheureusement plus pur et parfait !

M. Jean-Jacques Descamps. Il y a quand même des entreprises honnêtes !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 16.

La parole est à M. Éric Besson, pour le soutenir.

M. Éric Besson. Je serai rapide, cet amendement étant clair par lui-même.

M. le président. Souhaitez-vous faire une présentation commune des quatre amendements qui suivent le n° 16 ?

M. Jean-Pierre Brard. Pour le coup, ce ne serait pas faire preuve de clarté.

M. Éric Besson. Non, monsieur le président, je vous remercie pour votre bienveillance et ne veux pas en abuser, même si ces amendements sont sous-tendus par une philosophie commune, ce qui m’amènera du reste à être rapide.

Il s’agit ici de donner au comité d’entreprise de la société initiatrice les mêmes éléments que ceux dont bénéficie le comité de l’entreprise objet de l’OPA, l’entreprise cible. Cette disposition nous paraît indispensable pour que les deux comités d’entreprise puissent donner leur avis, et nous allons y revenir.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hervé Novelli, rapporteur. La commission est évidemment défavorable…

M. Éric Besson. Pourquoi « évidemment » ?

M. Hervé Novelli, rapporteur. …à une disposition qui alourdit considérablement le texte.

Je vais indiquer à M. Besson pourquoi la commission est « évidemment » défavorable à son amendement.

M. Jean-Pierre Brard. Voilà encore un alourdissement, monsieur le rapporteur.

M. Hervé Novelli, rapporteur. La publication de la note d’information intervient quinze jours au moins avant la convocation par le comité d’entreprise du chef d’entreprise auteur de l’offre. Aussi, prévoir en plus une transmission officielle et l’intégrer à la loi me semble éminemment inutile. C’est la raison pour laquelle, sans autre considération, la commission a rejeté cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. L’argumentation de M. Novelli est très intéressante car elle nous éclaire sur le fond de sa pensée. Elle n’est pas fondée, en effet, sur sa crainte que l’amendement n’alourdisse le texte, mais sur un désaccord fondamental avec notre collègue Éric Besson. Si M. Jean-Jacques Descamps a parlé de démocratie financière, concept nouveau qui trouvera peut-être un jour sa place dans la loi si vous y contribuez, M. Éric Besson, pour sa part, développe le concept beaucoup plus clair et concret de démocratie sociale.

Cet amendement vise à informer longtemps à l’avance ceux qui risquent d’être les victimes du choix des actionnaires, lesquels, de plus en plus, vous le savez, ne pensent pas du tout à l’avenir de l’entreprise, mais aux revenus qu’ils vont tirer de ces opérations obéissant rarement, en tout cas pas aussi souvent qu’il le faudrait, à une logique industrielle.

L’amendement de nos collègues socialistes est donc excellent et la réaction de notre collègue Hervé Novelli est cohérente : il est lui-même.

M. le président. La parole est à M. Éric Besson.

M. Éric Besson. Je voudrais que M. le rapporteur prenne conscience physiquement de ce qu’il est en train de dire parce que j’ai bien compris que le reproche systématique d’alourdissement vise en fait tous nos amendements tendant à accorder plus d’informations aux salariés, à leur garantir plus de transparence. Or, ici, de quel alourdissement veut-on parler ?

L’amendement que nous soutenons signifie que la société qui va lancer l’OPA est tenue de donner un certain nombre d’éléments d’information au comité d’entreprise d’une autre entreprise, dans son propre pays ou dans un autre.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Ces informations sont déjà publiques !

M. Éric Besson. Certes, et nous demandons simplement que la note d’information soit transmise au comité d’entreprise de la société initiatrice, comité qui doit se trouver trois portes à côté de la direction !

M. Hervé Novelli, rapporteur. C’est inutile !

M. Éric Besson. Ne nous expliquez pas, s’il vous plaît, que notre amendement revient à alourdir considérablement la tâche de l’entreprise. Le projet de loi prévoit que l’entreprise initiatrice transmet la note d’information à un autre comité d’entreprise et vous voulez nous empêcher de demander qu’elle la communique à son propre comité d’entreprise ?

M. Hervé Novelli, rapporteur. Cette note – j’insiste – est déjà publique !

M. Éric Besson. Quelle est votre logique ? C’est à se demander si la démocratie actionnariale que vous voulez instaurer n’est pas une démocratie sans droit à l’information !

M. Jean-Louis Idiart. Eh oui !

M. le président. Monsieur le rapporteur, je note que vous souhaitez réagir ?

M. Hervé Novelli, rapporteur. Je ne vais pas réagir de manière superfétatoire, comme me le souffle M. le ministre, …

M. Jean-Pierre Brard. Le ministre dans le rôle du souffleur !

M. Hervé Novelli, rapporteur. …mais pour dire que je ne vois pas de raison d’inscrire dans la loi la publicité d’une note d’information déjà destinée à être publiée. Si elle est publiée, elle est donc publique. Pourquoi la loi devrait-elle obliger l’auteur de l’offre à transmettre au comité d’entreprise un document à l’évidence déjà public ?

M. Éric Besson. Alors, puisque c’est une évidence, pourquoi mon amendement vous pose-t-il un problème ?

M. Hervé Novelli, rapporteur. Il me semble inutile d’aller au-delà de ces explications.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 16.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 17.

La parole est à M. Éric Besson, pour le soutenir.

M. Éric Besson. Cet amendement est dans le même esprit que le précédent et le complète. En effet, une fois que le comité d’entreprise a reçu un certain nombre d’informations, si elles ne lui paraissent pas claires, nous voudrions qu’il puisse demander des informations complémentaires et suggérons qu’il puisse obtenir les réponses souhaitées dans un délai de trois jours.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hervé Novelli, rapporteur. Défavorable. On vient de l’entendre : cet amendement propose d’établir une obligation pour l’offrant de répondre aux questions du comité d’entreprise sous trois jours.

Or le Sénat a adopté un amendement du Gouvernement renforçant considérablement le dispositif d’information du comité d’entreprise, dispositif désormais, semble-t-il, plus adapté et plus efficace.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je comprends bien l’amendement de M. Besson mais il faut observer la réalité : dès lors que le comité d’entreprise est saisi, il dispose déjà, ainsi que les salariés, de l’information.

Puisque cette information est publique, nous souhaitons précisément que le comité d’entreprise et les salariés disposent de temps, d’où un délai entre la transmission de l’information publique et le moment où le comité d’entreprise va pouvoir auditionner l’assaillant pour lui poser des questions, ou bien pour se poser lui-même des questions, pouvant à cette fin faire appel à des experts et à des cabinets compétents. C’est donc dans le cadre de cette réunion que le dialogue pourra s’instaurer et que les questions pourront être posées.

Pour finir, même si je comprends l’esprit de l’amendement, je pense que celui qu’a adopté le Sénat sur la proposition du Gouvernement, prévoyant un délai entre la convocation par le comité d’entreprise et l’audition de l’auteur de l’offre, répond à votre inquiétude.

M. le président. La parole est à M. Éric Besson.

M. Éric Besson. Monsieur le ministre, vous savez combien, dans une note adressée au comité d’entreprise et aux salariés, il peut être facile de se montrer flou sur certaines intentions voire de fournir des éléments d’information incohérents : il arrive que tel ou tel chef d’entreprise prétende diviser la production pour telle et telle raison, mais sans toucher à l’emploi…

Pourquoi, dès lors, ne pas accepter que le comité et les salariés puissent demander des précisions sur les informations qui leur ont été transmises ? Ce n’est pas un avis conforme qui est demandé en la circonstance, mais tout simplement une information complémentaire.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Encore une fois, les informations doivent être connues de tous et sont aujourd’hui censées être disponibles dans le prospectus. Aussi ces informations concernant le projet industriel et le projet social doivent-elles être au préalable connues de l’ensemble des actionnaires pour qu’ensuite les salariés puissent poser leurs questions.

Or ils vont disposer de temps pour ce faire, soit à partir des informations qui leur seront communiquées, soit à partir des prospectus disponibles devant faire référence eux-mêmes au projet industriel en question. Je pense donc sincèrement que les délais et le dialogue que nous souhaitons instaurer répondent à votre interrogation.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 17.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 18.

La parole est à M. Éric Besson, pour le soutenir.

M. Éric Besson. Il se situe dans la même logique que les précédents, ce qui me permet, monsieur le président, de satisfaire votre désir d’accélérer la discussion.

M. le président. Je vous remercie.

L’avis de la commission et du Gouvernement est défavorable.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Dès lors qu’il s’agit de favoriser les actionnaires, le Gouvernement et le rapporteur démultiplient leur imagination mais, dès lors qu’il faut s’assurer d’une plus grande transparence en saisissant les comités d’entreprise, comme il est proposé, en leur donnant du temps, tous les arguments sont bons pour s’y opposer.

En effet, vous ne voulez pas donner la possibilité aux salariés de s’opposer aux coups tordus, y compris dans les conditions rappelées par notre collègue Éric Besson. Il suffit à l’assaillant de donner des informations aussi floues qu’il est nécessaire pour biaiser complètement le débat et déposséder les salariés de la réalité des droits que vous prétendez leur attribuer.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 18.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 19.

La parole est à M. Éric Besson, pour le soutenir.

M. Éric Besson. Cet amendement est important : il prévoit pour le comité d’entreprise la possibilité de donner un avis motivé sur l’offre dont son entreprise est à l’origine ou sur l’offre dont elle est, au contraire, la cible.

Dans la plupart des cas, le comité d’entreprise est saisi sur une opération financière, il peut émettre un avis motivé.

La procédure est encadrée : le comité d’entreprise peut saisir le tribunal sur les délais accordés ou sur les informations remises, et demander dans ce cas que l’opération soit suspendue jusqu’à ce qu’il formule son avis motivé. Rapprocher la procédure prévue actuellement par la loi relative aux nouvelles régulations économiques d’une consultation du comité d’entreprise pourrait ouvrir la possibilité d’imposer, dans certains cas, un report du calendrier de l’offre, voire l’annulation de celle-ci. C’est ce qu’avait souligné en son temps le rapporteur de la loi NRE au Sénat, M. Philippe Marini, qui relevait dans son rapport n° 5 du 4 octobre 2000 « un risque que ce dispositif ne devienne une poison pill, une mesure de défense supplémentaire aux mains de l’équipe dirigeante de la société cible ». Ce commentaire montre l’intérêt qu’il pourrait y avoir à doter le comité d’entreprise d’un réel pouvoir d’avis, en prévoyant des sanctions garantissant la qualité de son information.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hervé Novelli, rapporteur. La commission a repoussé l’amendement n° 19 et le suivant, n° 20, qui est très voisin. Tous deux prévoient que les représentants du personnel sont informés dans les mêmes conditions que le comité d’entreprise si l’entreprise cible – dans l’amendement n° 19 – ou initiatrice – dans l’amendement n° 20 – n’est pas dotée de cette structure. La commission rappelle une nouvelle fois que ce projet de loi renforce significativement l’information du comité d’entreprise. Évitons donc d’alourdir la procédure par la publication d’un avis motivé.

M. le président. L’avis du Gouvernement est défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 19.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Nous en venons à l’amendement n° 20.

Pouvons-nous considérer qu’il a été défendu, monsieur Besson ?

M. Éric Besson. Oui, monsieur le président. Il tend à introduire la même disposition que l’amendement n° 20, mais en l’appliquant à l’entreprise initiatrice de l’offre.

M. le président. L’avis de la commission est défavorable, tout comme celui du Gouvernement.

Je mets aux voix l’amendement n° 20.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 7.

(L’article 7 est adopté.)

Après l’article 7

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 21.

La parole est à M. Arnaud Montebourg, pour le soutenir.

M. Arnaud Montebourg. Les déclarations du ministre nous incitent à penser qu’il n’est pas inutile d’approfondir le débat. On nous a dit : « Vous ne connaissez pas le monde ! Nous, nous le connaissons et nous voyons le capitalisme tel qu’il est. Nous devons suivre ce grand mouvement de dérégulation qui met le sort de nos entreprises entre les mains des actionnaires : ainsi va le monde. C’est une fatalité contre laquelle la volonté politique ne peut rien. »

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous n’avons jamais dit cela !

M. Arnaud Montebourg. Votre politique, c’est qu’il n’y ait pas de politique ; la nôtre, c’est de vouloir qu’il y en ait !

La directive organise un désarmement unilatéral dans les conditions les plus défavorables qui soient. En la transposant ainsi, vous prenez une grande responsabilité, car les mois qui viennent seront très difficiles pour les entreprises nationales. Nous ne manquerons pas de vous rappeler vos déclarations dans ce débat.

J’en viens à l’amendement n° 21, que le groupe socialiste dans son ensemble, après une discussion approfondie, a jugé nécessaire de présenter. Notre seule solution est de suivre l’exemple de nos partenaires européens ou extra-européens. Rappelons que les États-Unis d’Amérique ont sollicité l’avis du Congrès après qu’une entreprise chinoise eut tenté de prendre possession d’Unocal. M. Zapatero, quant à lui, a fait voter à la va-vite un décret-loi réglementant le secteur énergétique afin d’éviter les prises de contrôle. Votre ami Jean-Claude Juncker lui-même, à la tête d’un paradis fiscal ultralibéral, dispose désormais de défenses publiques. Comment oser nous dire après cela que nous ne connaissons pas le monde, monsieur le ministre ? Le monde, voyez-vous, réagit par les moyens dont les pays ont toujours disposé : ceux de la puissance.

Aux termes de l’article additionnel dont nous souhaitons l’introduction, il faut informer le ministre chargé de l’économie mieux que les autres acteurs. C’est lui, en effet, qui est le dépositaire de l’intérêt général. L’information doit porter notamment sur les responsabilités sociales et environnementales de l’entreprise attaquante, telles qu’elles sont posées par la loi NRE. Selon les informations obtenues, le ministre pourra ou non suspendre l’OPA. Nous proposons qu’il se fonde sur un critère clair, susceptible de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel et analogue à celui figurant dans les règles actuelles en matière de concurrence, lesquelles prévoient des mécanismes de blocage.

Vous n’avez jamais nié, monsieur le ministre, que le Gouvernement doive exercer sa puissance, qui procède de la souveraineté, en matière de concurrence. Pourquoi ce qui serait bon ici ne le serait plus s’agissant d’OPA hostiles et destructrices de l’emploi et de la recherche sur notre territoire ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hervé Novelli, rapporteur. Cet amendement illustre bien le véritable clivage qui existe entre nous sur le rôle de l’État dans nos économies de marché, monsieur Montebourg. En un certain sens, vous voulez conférer au ministre le pouvoir de dire non à toute OPA, ce qui est parfaitement contraire aux règles communautaires. Actuellement, le ministre de l’économie ne peut intervenir dans une OPA que s’il s’agit d’une concentration. Le groupe socialiste veut lui permettre de s’immiscer dans toute opération de cet ordre. Vraiment, cet amendement peut être qualifié d’amendement Maginot.

M. Arnaud Montebourg. Non, Zapatero !

M. Hervé Novelli, rapporteur. Un tel système de défense a laissé de mauvais souvenirs à notre pays. C’est pourquoi la commission a repoussé cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous avez évoqué l’offre lancée par l’entreprise chinoise CNOOC sur Unocal, monsieur Montebourg : la vérité, c’est que certains parlementaires américains ont eu des velléités pour légiférer, mais qu’ils n’ont pas franchi le pas car ils se sont rendu compte que cela ne pouvait pas fonctionner.

M. Arnaud Montebourg. Il n’empêche que l’OPA a été bloquée !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Pas du fait du législateur, ni même du gouvernement : il y a eu simplement une autre offre et les actionnaires l’ont préférée.

S’agissant de l’amendement n° 21, je partage l’avis de la commission : la disposition proposée est incompatible avec le droit communautaire, qui ne permet pas à un ministre de s’opposer à une OPA au motif qu’un projet industriel n’aurait pas été fourni. Du reste, le projet de loi prévoit l’établissement d’une note d’information comportant l’ensemble des éléments permettant une appréciation : situation comptable, projet industriel, projet social, orientations en matière d’emploi. Le pouvoir administratif discrétionnaire que vous imaginez nous renvoie à un système d’économie administrée contradictoire, je le répète, avec le droit communautaire.

M. Jean-Pierre Brard. Qu’avez-vous fait d’autre pour Enel ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Le Gouvernement se joint donc au rapporteur pour demander le rejet de l’amendement n° 21.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. Je ne peux laisser accroire que nous proposerions de violer le droit communautaire ! Au reste, ce ne sont ni M. Breton ni M. Novelli qui disent ce droit, ni même M. McCreevy ou M. Barroso : ce sont, lorsqu’ils sont saisis, les juges de la Cour de justice des Communautés européennes. Et nous avons lu leurs arrêts : il n’y a pas que vos collaborateurs doués qui sachent lire la jurisprudence, monsieur le ministre, il y a aussi des parlementaires !

La Belgique avait ainsi prévu un système de notification préalable de toute cession ou changement d’affectation d’infrastructures de transport d’énergie et de gaz. L’autorité ministérielle s’était vu conférer un droit d’opposition en cas d’atteinte aux intérêts nationaux dans le domaine de l’énergie, alors que notre texte n’évoque même pas le caractère national ou extranational des intérêts en cause : il vaut pour toute OPA. Dans son arrêt du 4 juin 2002, la Cour de justice a indiqué qu’un certain nombre d’atteintes au principe de la libre circulation des capitaux pouvaient être tolérées dès lors qu’elles étaient justifiées par des considérations d’intérêt général, qu’elles n’étaient pas discriminatoire et qu’elles étaient proportionnées aux considérations d’intérêt général poursuivies. Bref, l’exception est tolérable dès lors qu’elle poursuit l’intérêt général.

Vous le voyez bien : votre dogme n’est heureusement pas partagé par tous au sein des autorités judiciaires, administratives ou parlementaires de l’Union européenne. Les décisions sont le fruit de discussions et de rapports de force permanents entre responsables publics. Il arrive que ceux-ci fassent prévaloir des intérêts généraux supérieurs à la libre circulation stupide et aveugle des capitaux, qui peut se révéler bénéfique mais est parfois dangereuse.

Il est du devoir de notre assemblée d’assumer la confrontation avec la vision dogmatique et idéologique qu’il arrive aux autorités communautaires de défendre. Dans le cas d’espèce, nous pouvons nous réclamer de la jurisprudence de la CJCE. Il nous revient d’élargir la brèche ouverte par cet arrêt. Au risque d’accroître encore la charge de travail de vos collaborateurs, monsieur le ministre, je vous en livre les références complètes : arrêt du 4 juin 2002, affaire C-503/99, p. 519 de la Revue des sociétés, note G. Parleani.

M. Philippe Auberger. Quel puits de science !

M. Arnaud Montebourg. Ça va comme ça, monsieur Auberger ! Vous n’avez pas à nous faire la leçon !

M. le président. La parole est à M. Éric Besson.

M. Éric Besson. Les collaborateurs de M. le ministre travaillant déjà beaucoup, je ne ferai aucune citation et m’en tiendrai à des propos généraux.

Nous proposons par cet amendement de donner au ministre chargé de l’économie le pouvoir de s’opposer, non pas à toute OPA hostile, mais aux OPA hostiles susceptibles de porter atteinte à l’intérêt stratégique national. Cela vous éviterait le grand écart permanent auquel vous êtes condamné, monsieur le ministre. Vous en appelez à la réhabilitation de la parole publique, mais, à propos de l’affaire Mittal-Arcelor, vous déclarez dans Libération : « On avait trop longtemps interdit aux États de prendre la parole sous prétexte qu’ils seraient interventionnistes ou carrément ringards. Je me bats pour restaurer la légitimité de la parole publique face aux risques d’une économie exclusivement financière. Sinon, on peut aller à la catastrophe. »

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est vrai.

M. Arnaud Montebourg. Eh bien, on y va tout droit !

M. Éric Besson. Vous pouvez donc juger que telle ou telle OPA, dont celle-ci, nous fait encourir ce risque. Mais, au bout du compte, qu’allez-vous dire à nos concitoyens ? Que c’est une catastrophe mais que, tout bien pesé, vous ne pouvez strictement rien faire. Dénoncer sans pouvoir agir est le pire des dangers pour les politiques. Le ministre de l’intérieur nous en donne l’illustration en permanence : il invoque la tolérance zéro, double zéro, triple zéro, tandis que la violence augmente et que les Français constatent qu’il n’y a rien derrière les paroles. Ne transposez pas cela au domaine économique, monsieur le ministre !

M. Nicolas Perruchot. Caricature !

M. Éric Besson. Si vous pensez vraiment que la situation est aussi grave que vous le dites, ne refusez pas les moyens que l’on vous offre !

M. le président. Merci, monsieur Besson.

M. Éric Besson. Au-delà, cet amendement a le mérite de poser sans tabou le débat sur la légitimité des OPA hostiles. Lors de la discussion de la loi sur les nouvelles régulations économiques, nous nous étions permis de vous interroger sur le bien-fondé de la distribution de stock-options aux cadres dirigeants, notamment sur la possible contradiction entre l’intérêt à long terme et la survalorisation de la valeur boursière. Nous avions alors été traités de ringards qui ne comprennent rien à l’économie. Quelques semaines plus tard, IBM décidait de ne plus attribuer de stock-options à ses dirigeants, considérant que c’était en contradiction avec ses intérêts à moyen et long terme. Qui nous dit que, dans quelques semaines, quelques mois ou quelques années, nos partenaires européens ne considéreront pas que nous courons, avec cette vague d’OPA, à une « catastrophe collective », pour reprendre les termes du ministre ? Oui, notre proposition peut poser un problème de compatibilité avec le droit communautaire, mais Arnaud Montebourg vous a dit qu’il existe un espace pour ouvrir la discussion avec la Cour de justice et nos partenaires. Profitez-en ! Ce n’est pas une vision apocalyptique que nous avons décrite tout à l’heure, nous savons pertinemment que la vague d’OPA va enfler dans les mois et les années qui viennent. Et après avoir « réhabilité la parole publique », monsieur le ministre, vous serez bien dépourvu une fois l’hiver venu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Arnaud Montebourg. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous avez raison, monsieur Montebourg, de souligner la qualité de mes collaborateurs. Rassurez-vous, nous avons pris soin de consulter les services de la Chancellerie, qui ont confirmé ce qu’au fond vous savez pertinemment. Du reste, si vous étiez aussi sûr de vous, que n’avez-vous mis en œuvre plus tôt ce que proposez aujourd’hui ? Vous ne découvrez pas, tout de même, au mois de mars, que les entreprises françaises peuvent faire l’objet d’OPA ?

M. Arnaud Montebourg. Mais la situation se durcit !

M. Éric Besson. Oui ou non, le risque devient-il plus grand ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous ne l’avez pas fait parce que vous saviez que votre proposition est contraire au droit européen parce qu’elle porte atteinte de manière disproportionnée à la liberté de circulation des capitaux.

M. Arnaud Montebourg. C’est une question de proportion !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. En fait comme en droit, il s’agirait d’une autorisation administrative préalable soumise à une appréciation subjective. Elle est donc inapplicable, à moins de faire sortir la France de l’Europe, ce que vous aviez souhaité mais qui n’est pas la solution, même si elle a un retentissement médiatique certain.

M. Éric Besson. Cela n’a aucun sens ! Nous attendions mieux de votre part, monsieur le ministre !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. La solution que propose le Gouvernement est plus réaliste et permet à nos entreprises de se défendre dans le respect du principe de réciprocité, comme le font aujourd’hui toutes les entreprises du monde avec le soutien de leurs États.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Descamps.

M. Jean-Jacques Descamps. M. Brard s’est étonné tout à l’heure que Arcelor ait son siège dans ce qu’il appelle un paradis fiscal européen.

M. Jean-Pierre Brard. Selon vos critères, cela n’en serait pas un ?

M. Jean-Jacques Descamps. D’autres sociétés françaises, comme Alcatel ou Renault, s’y trouvent aussi. Si cet amendement était voté, beaucoup d’autres groupes auraient tout intérêt à s’installer au Luxembourg ou ailleurs. Faire peser de telles mesures sur les centres de décision serait vraiment inopportun si l’on souhaite qu’ils restent en France.

M. Arnaud Montebourg. Ce serait tout le contraire ! Les groupes viendraient s’installer dans le sanctuaire que nous aurions créé.

M. Jean-Jacques Descamps. Tout cela est contraire à l’esprit européen. Mais il n’y a là rien d’étonnant de la part de personnes qui ont voté non au référendum.

M. le président. La parole est à M. Bernard Carayon.

M. Bernard Carayon. M. Montebourg a rappelé que cette assemblée comptait des parlementaires juristes, et je voudrais apporter un autre éclairage et contester son analyse. Le principe de la libre circulation des capitaux a beau lui sembler absurde, il n’en figure pas moins à l’article 56 du traité et ne connaît qu’une seule exception, énoncée à l’article 296 et confortée par l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes dit « Église de scientologie ». Cette exception concerne exclusivement la défense nationale et l’ordre public.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, dès que vous êtes en difficulté, vous vous référez à la préhistoire, bien que vous n’en soyez pas un spécialiste reconnu,...

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous non plus !

M. Marc Le Fur. M. Brard, c’est Cro-Magnon !

M. Jean-Pierre Brard. …et faites montre de mauvaise humeur. Même si vous ne voulez pas le voir, la situation a changé, la mondialisation a gagné du terrain.

M. Jean-Jacques Descamps. C’est très bien pour les pays en voie de développement !

M. Jean-Pierre Brard. On ne peut pas raisonner aujourd’hui comme hier. Nul besoin d’être chimiste pour constater que l’eau est froide ou non !

Je fais observer à M. Descamps que la plupart de ceux qui ont voté non au référendum l’ont fait parce qu’ils sont résolument européens. Nous ne voulions pas que vous puissiez enterrer les espoirs que nous plaçons dans l’Europe.

M. Éric Besson. Cela peut être aussi le cas de certains qui ont voté oui !

M. Bernard Carayon. C’est « Je t’aime, moi non plus » !

M. Jean-Pierre Brard. Les ultra-libéraux veulent toujours ouvrir grande la porte du poulailler pour que le renard puisse manger les poules sans faire d’effort.

M. Hervé Novelli, rapporteur. Ce n’est pas le moment de parler de volaille !

M. Arnaud Montebourg. Laissez nos poulets tranquilles !

M. Jean-Pierre Brard. Raison de plus pour fermer la porte du poulailler ! On a vu comment un chat mal inspiré est mort d’avoir mangé un volatile chez nos voisins allemands !

Monsieur le ministre, vous dénigrez nos positions d’une manière désagréablement arrogante, qui ne fait pas progresser le débat. Vous avez évoqué la légitimité de la parole publique, mais en l’espèce, il s’agit plutôt de péroraison publique.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Et c’est un expert qui le dit !

M. Jean-Pierre Brard. Or, pour vous, parole publique n’est pas synonyme d’intérêt général et de patriotisme industriel. Je regrette beaucoup que vous ne voyiez pas le monde comme il est et ne perceviez pas la nécessité de préserver notre modèle social. Vous avez reproché à certains d’entre nous de ne pas voyager dans le monde. Votre monde à vous est compris dans un triangle qui a pour sommets Matignon, la Bourse et le siège du Medef. Vous y naviguez sans jamais renouveler l’eau, ce qui vous empêche de voir la réalité à travers le bocal. D’ailleurs, avant d’aller à l’autre bout de la planète, je vous propose tout simplement de franchir le périphérique.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je suis né et j’ai vécu au-delà du périphérique !

M. Jean-Pierre Brard. Vous y êtes peut-être né, mais vous avez rompu les relations depuis longtemps et je crains que vous ne viviez que sur des souvenirs dépassés. Je vous mets au défi, monsieur le ministre, de venir à Montreuil.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. C’est déjà fait !

M. Jean-Pierre Brard. Vous étiez alors en culotte courte ! Je vous y invite aujourd’hui, maintenant que vous êtes investi de responsabilités et que vous êtes le chef d’une équipe de fossoyeurs !

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. L’atteinte au principe de libre circulation des capitaux est possible, chacun en convient, dès lors qu’elle n’est pas « disproportionnée ». Contrairement à M. Breton, je ne pense pas que la limitation proposée dans l’amendement soit disproportionnée. Ce qui l’est, c’est la vague d’OPA destructrices qui se prépare et que nul ne pourra maîtriser. Quand, après la fusion scandaleuse entre Suez et GDF, qui a abouti à la dénationalisation antipatriotique de GDF, désormais placé sous les fourches caudines de M. Mestrallet, 50 milliards d’euros seront amassés en Europe pour avaler Suez-GDF, comment vous défendrez-vous ?

M. Nicolas Perruchot. C’est loin d’être fait !

M. Arnaud Montebourg. Vous n’aurez pas sous la main un autre GDF à fusionner pour créer un plus gros mastodonte capable de s’opposer aux masses de milliards d’euros qui se préparent à déferler. Vous aurez alors bien besoin de notre amendement, monsieur le ministre !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous nous avez habitués à mieux, monsieur Montebourg !

M. Arnaud Montebourg. Là, nous ne vous lâcherons pas. Nous n’aurons de cesse de vous rappeler que vous n’en avez pas voulu, que vous avez refusé de vous battre contre des principes qui peuvent être bénéfiques mais qui, appliqués aveuglément et sans discernement, deviennent stupides.

M. Jean-Jacques Descamps. C’est vous qui êtes aveugles !

M. Arnaud Montebourg. La disproportion est dans cet aveuglement de l’Union européenne, qui nous empêche de conduire des politiques opportunistes, pragmatiques, qui consistent à identifier les excès et à aménager des contrepoids.

M. Éric Besson. Que ne les avez-vous vus !

M. Arnaud Montebourg. Quant à la crainte de M. Descamps de voir migrer les sièges sociaux, qu’elle se dissipe : ils vont revenir, au contraire ! Car ils auront un sanctuaire où ils pourront utiliser leurs profits à autre chose qu’à racheter leur propre capital. C’est une proposition tout à fait dans l’esprit européen. D’ailleurs, M. Junecker et M. Zapatero ne s’y sont pas trompés et ne s’embarrassent pas de scrupules aussi mal placés que les vôtres. Ces hommes intelligents ont des collaborateurs aussi musclés du cerveau que les vôtres et qui pourtant ont une lecture différente du traité de l’Union européenne. Est-ce donc, de la part du Gouvernement, de la naïveté, de l’inconscience ou de l’incompétence ? J’ai bien peur que ce ne soit les trois à la fois !

M. le président. La parole est à M. Nicolas Perruchot.

M. Nicolas Perruchot. La discussion sur cet amendement montre comme nous pouvons parfois avoir des différends importants.

M. Jean-Pierre Brard. Êtes-vous revenus dans la majorité, monsieur Perruchot ?

M. Nicolas Perruchot. Méditez, cher collègue, cette citation : « Le drame qu’ont du mal à admettre certains de mes camarades de gauche, c’est que le capitalisme a gagné. Nous sommes dans une économie mondialement ouverte. Il n’y a ni régulation ni limites à la violence de la concurrence. Nous ne construisons pas la société de nos rêves. » C’est Michel Rocard qui s’exprimait ainsi le 19 juin 2003.

M. Jean-Pierre Brard. Alzheimer !

M. Arnaud Montebourg. Encore un géronte !

M. Jean-Jacques Descamps. Pas de jeunisme, monsieur Montebourg !

M. Nicolas Perruchot. Voilà qui devrait vous conduire à réfléchir à l’évolution du monde.

Je suis en complet désaccord avec la deuxième partie de votre amendement, monsieur Montebourg, car elle placerait les ministres de l’économie dans une situation intenable. À la moindre OPA que l’un d’eux laisserait passer, il essuierait des attaques féroces lors des questions au Gouvernement.

M. Arnaud Montebourg. C’est la responsabilité politique !

M. Nicolas Perruchot. Non, cela n’aboutirait qu’à une valse des ministres, qui succomberaient, sans pouvoir y répondre, aux attaques de la représentation nationale, voire de leur propre camp.

M. Arnaud Montebourg. Comme cela, on ne garderait que les bons !

M. Nicolas Perruchot. L’envers du décor de votre amendement me semble donc très préjudiciable. On nous a suffisamment reproché au niveau européen d’avoir eu tant de ministres de l’économie en si peu de temps. Les OPA de plus en plus fréquentes transformeraient ce ministère en girouette !

Enfin, quelle image donnerions-nous en Europe du système français ?

M. Arnaud Montebourg. Quelle image en donne ce Gouvernement ? Et quelle image en donne le Président de la République ?

M. Nicolas Perruchot. Le système que vous préconisez ne tient pas compte des entreprises françaises qui lanceront des OPA, hostiles ou pas, sur des sociétés européennes, américaines, chinoises ou indiennes. Que pourrions-nous répondre à ces pays s’ils décident de faire la même chose que ce que vous proposez ? Ce seraient autant de marchés à l’exportation qui se fermeraient et un drame national.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 21.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

Ordre du jour des prochaines séances

M. le président. Aujourd’hui, à neuf heures trente, première séance publique :

Questions orales sans débat.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi de programme pour la recherche, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence (n° 2784 rectifié) ;

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 1206, relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information :

Rapport, n° 2349, de M. Christian Vanneste, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mardi 7 mars 2006, à deux heures quinze.)