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M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt-deux heures.)
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m’informant qu’il avait décidé de provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programme pour la recherche.
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (nos 1206, 2349).
M. le président. Cet après-midi, nous avons entendu les orateurs inscrits sur l’amendement n° 272 portant article additionnel après l’article 1er.
M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication, pour soutenir l’amendement n° 272.
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, ainsi que je vous l’ai dit dans ma présentation liminaire, ce projet de loi a pour objet de construire l’Internet équitable, qui repose sur deux principes essentiels : le respect du droit d’auteur et l’accès aux œuvres.
L’amendement n° 272 portant article additionnel après l’article 1er est donc le cœur du projet de loi. Il en est la base, le fondement. C’est de lui que tout découle, puisque, en définissant d’emblée les exceptions aux droits patrimoniaux des auteurs et des titulaires des droits voisins, en créant des exceptions nouvelles, il délimite le champ du projet de loi, il jette les bases de l’édifice législatif de l’Internet équitable. Il pose la première pierre de cet édifice. C’est sur elle qu’il repose. C’est dire son importance.
La licence globale, je l’ai dit, instaurait un Internet inéquitable qui vidait la protection des droits d’auteur de son effectivité. En imposant à tous un modèle unique, une même toise, un même moule, elle ébranlerait l’ensemble de l’édifice que ce texte a pour objet de construire.
M. Christian Paul. Pourquoi caricaturez-vous, quand on peut débattre ?
M. le ministre de la culture et de la communication. C’est pourquoi il est apparu d’emblée nécessaire au Gouvernement de clarifier ce texte et de vous proposer un nouvel article pour tenir compte du débat qu’a déclenché l’adoption de la licence globale, des concertations et du travail approfondi que le Gouvernement a mené avec les parlementaires depuis la suspension de vos travaux en séance publique.
C’est dans cet esprit que le Gouvernement vous propose de compléter la liste des exceptions au droit exclusif de reproduction et de représentation, exceptions fixées de façon limitative par l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, exceptions qui ne dénaturent pas la protection de ces droits, qui ne la vident pas de son sens, comme le faisait la licence globale, exceptions qui permettent de construire un Internet équitable.
Cet amendement vous propose d’instituer quatre exceptions.
La première est en faveur des personnes handicapées, pour lesquelles l’accès aux œuvres culturelles et éducatives est, nous le savons, un facteur clef d’intégration et d’égalité. La reproduction et la diffusion d’œuvres, notamment par les bibliothèques et les services d’archives, dont le rôle de diffusion est ici réaffirmé, sera ainsi assurée pour les personnes frappées d’un handicap. De plus, pour faciliter cette accessibilité, un mécanisme inspiré par M. Dionis du Séjour, prévoit le dépôt sous la forme d’un fichier numérique auprès d’organismes désignés par les titulaires de droits des œuvres imprimées. Mieux organiser l’accès aux œuvres des personnes handicapées, le rendre plus visible et lisible constitue une contribution décisive à leur intégration.
La deuxième exception est en faveur des bibliothèques et des services d’archives en ce qui concerne la conservation. Cette disposition prévoit pour ces institutions la possibilité de réaliser des copies de sauvegarde. C’est la garantie pour nos bibliothèques – fer de lance de notre politique culturelle sur l’ensemble du territoire – de poursuivre à l’heure du numérique leurs activités de sauvegarde et de renforcer pour l’avenir leur mission de conservation.
M. Christian Paul. C’est un peu réducteur !
M. le ministre de la culture et de la communication. Comme l’ont souhaité MM. Joyandet, Sauvadet, Françaix et Baguet, je vous propose de compléter cet article en permettant les citations par la presse. Cette exception permettra à la presse d’exercer sa mission d’information tout en lui évitant l’insécurité juridique permanente liée à l’inclusion d’œuvres dans ses reportages.
M. Pierre-Christophe Baguet. Très bien !
M. le ministre de la culture et de la communication. Les législations de nombreux autres pays, membres ou non de l’Union européenne – l’Allemagne, la Suisse, la Belgique, l’Espagne ou la Grèce –, ont prévu de telles exceptions afin d’éviter que les supports d’information ne soient en permanence mis en cause, alors même que la reproduction des œuvres présentées dans le reportage ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre.
Un équilibre a été ainsi trouvé entre la légitime protection du droit des auteurs et les nécessités de l’information.
Conformément à l’article 5-1 de la directive, il vous est proposé d’instituer une exception au droit de reproduction, pour certains actes techniques de reproduction provisoire qui ne sont donc pas soumis à autorisation des titulaires de droits. Il s’agit notamment de certaines catégories de « caches » des serveurs des fournisseurs d’accès et de certaines copies techniques effectuées par les utilisateurs d’ordinateurs en vue d’un accès plus rapide aux sites Internet. La rédaction proposée reprend les conditions posées par la directive, en limitant la portée de cette exception.
Enfin, cet amendement transpose en droit français le « test en trois étapes », principe essentiel du droit de la propriété littéraire et artistique européen et international énoncé à l’article 5-5 de la directive, conforme au traité de l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle relatif au droit d’auteur et aux droits voisins et à l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce.
Ce principe, déjà appliqué par le juge, fixe les limites des exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins. Celles-ci doivent constituer des cas spéciaux et ne pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires de droits.
M. le président. La parole est à M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 272.
M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais faire trois observations.
Première observation : j’ai entendu dire tout à l’heure que le texte manquait de cohérence. L’adoption de cet amendement redonnera, au contraire, toute sa cohérence à un texte qui l’avait perdue, un certain soir du 21 décembre. Ce projet de loi ne tombe pas du ciel – je tiens à le rappeler après M. le ministre – puisqu’il s’agit de la transposition d’une directive européenne.
J’ai également entendu dire tout à l’heure qu’il n’y avait pas lieu de protéger les protections. Cette remarque m’étonne beaucoup car c’est précisément le sujet de la directive. Elle indique clairement qu’il faut protéger juridiquement les mesures de protection technique. Si nous n’avions pas cette intention, il n’y aurait pas de directive, et donc pas de transposition de celle-ci.
Je me permets de rappeler un certain nombre d’éléments de cette directive, notamment son chapitre III, qui indique clairement : « Les États membres prévoient une protection juridique appropriée contre le contournement de toute mesure technique efficace… » C’est l’esprit même de la loi.
En parcourant les nombreux considérants de cette directive, nous nous apercevons que l’idée des mesures techniques est présente, ainsi que celle de la protection des mesures techniques, notamment dans le contexte d’une réflexion commune et cohérente de la part de tous les pays européens. J’insiste sur le fait que l’hypothèse retenue de la licence globale ruinerait définitivement cette cohérence européenne.
Deuxième observation : cet amendement nous fait abandonner la licence globale. J’ai apprécié un certain nombre d’interventions, dont celle de M. Dionis du Séjour. J’en reprendrai volontiers les grandes lignes.
Pourquoi faut-il abandonner l’hypothèse de la licence globale ? Pour quatre raisons. D’abord parce que c’est une idée anachronique, archaïque.
Mme Christine Boutin. Alors ça ! N’importe quoi !
M. Jean Dionis du Séjour. Elle date au moins du XIXe siècle !
M. Christian Vanneste, rapporteur. Il n’y aurait pas de directive européenne si l’évolution technologique ne donnait pas aujourd’hui les moyens d’en revenir à une conception personnaliste du droit. Je voudrais appeler votre attention sur cette curieuse peur des mots en trois lettres : DRM rime peut-être avec OGM, mais ce n’est pas la même chose. (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Christian Paul. Et le CPE ?
M. Christian Vanneste, rapporteur. Le numérique permet, grâce à la DRM, de rémunérer beaucoup plus justement les auteurs et tous ceux qui contribuent à la création.
C’est également – je m’empresse de le dire – une mesure parfaitement injuste, notamment pour les plus petits talents, qui échappent aux sondages et aux statistiques.
M. Jean Dionis du Séjour. C’est vrai !
M. Christian Paul. Qu’en savez-vous ?
M. Christian Vanneste, rapporteur. Cela nous a été indiqué par un certain nombre d’artistes, que nous avons rencontrés, grâce à votre initiative, monsieur le président de la commission des lois.
Mme Christine Boutin. Arrêtez-le !
M. Christian Vanneste, rapporteur. Je soulignerai un troisième aspect : le caractère destructeur de la licence globale. Destructeur en ce qui concerne le cinéma – tout le monde, est d’accord pour dire que l’amendement voté au mois de décembre qui incluait le cinéma était une très lourde erreur, un véritable crime contre l’industrie cinématographique française.
Mme Christine Boutin. Un crime contre l’humanité, pendant que vous y êtes !
M. Maurice Giro. Attachez Mme Boutin !
M. Christian Vanneste, rapporteur. Mais c’était aussi injuste pour la musique, dont on aurait ruiné la plupart des talents créateurs.
Mme Christine Boutin. Il n’a jamais été question de cinéma !
M. Christian Vanneste, rapporteur. Enfin, la licence globale, c’est complètement utopique, car cela part de l’idée que la France serait une île. La France a la chance d’avoir une exception culturelle, mais la France n’est pas une île.
M. Pierre Cohen. Qu’est-ce que c’est l’exception culturelle ?
M. Christian Paul. L’exception culturelle est une chance pour la France !
M. le ministre de la culture et de la communication. Oui, oui… mais n’exagérons rien !
M. Christian Vanneste, rapporteur. C’est la raison pour laquelle elle ne peut pas instituer seule dans le monde un système qui n’aurait aucune présence ailleurs.
J’en arrive à l’aspect le plus sympathique de ce texte, et je me permets de féliciter tout particulièrement M. le ministre pour l’écoute attentive dont il a fait preuve vis-à-vis de l’ensemble des intervenants lors de la première lecture.
Le texte que nous allons voter élargit considérablement le projet initial parce qu’il intègre un certain nombre de propositions parlementaires. La nouvelle rédaction retient l’élargissement, particulièrement opportun, de l’accès aux sources numériques des œuvres imprimées au bénéfice des personnes handicapées. Je l’avais souhaité initialement, avec le soutien de la commission des lois, et je suis très satisfait que le Gouvernement ait fait sienne cette démarche en allant encore plus loin.
M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !
M. le président. Monsieur le rapporteur, veuillez conclure.
M. Christian Vanneste, rapporteur. L’amendement n° 272 prévoit une forme de dépôt numérique systématique directement au profit des associations de personnes handicapées ou d’organismes agréés, qui pourront fédérer et mutualiser leurs efforts.
De même, le nouveau texte reprend, en la précisant, l’exception nouvelle, que j’avais proposée, concernant les œuvres exposées sur le domaine public, pour lesquelles j’avais suggéré de reprendre, en la clarifiant, la jurisprudence de la Cour de cassation sur l’exigence du caractère accessoire de l’œuvre – il s’agissait des colonnes de Buren.
L’amendement n° 272 va également au-delà, en créant deux nouvelles exceptions au droit exclusif de reproduction et de représentation : en premier lieu, les copies d’œuvres protégées, dont le support n’est plus disponible et qui sont effectués par une bibliothèque ou un service d’archives ; en second lieu, la reproduction intégrale ou partielle dans un but d’information d’œuvres d’art lorsqu’il s’agit de rendre compte d’événements d’actualité.
Cet apport reprend les propositions de sous-amendement de M. Joyandet à l’amendement de la commission des lois, pour l’élargir à la presse.
La commission des lois a vu dans l’amendement du Gouvernement de réelles avancées sur la question des exceptions au droit exclusif de reproduction et de représentation. Elle a relevé également que la rédaction retenue prenait en compte un certain nombre des demandes formulées par les parlementaires. C’est la raison pour laquelle elle l’a approuvé.
M. le président. L’amendement n° 272 fait l’objet de plusieurs sous-amendements.
La parole est à M. Patrick Bloche, pour défendre le sous-amendement n° 332.
M. Patrick Bloche. Il est navrant pour ceux qui ont essayé, cet après-midi, d’élever le débat de se trouver soudainement tirés vers le bas par l’intervention de notre rapporteur !
M. Pierre Cohen. Tout à fait !
M. Christian Paul. Eh oui !
Mme Sylvia Bassot. N’importe quoi !
M. Patrick Bloche. Je comprends qu’il éprouve le besoin de se défendre car il a été le muet du sérail durant trois heures et demie, mais comment peut-il affirmer que l’amendement du Gouvernement tendant à insérer un article additionnel donne de la cohérence au texte ?
Cet amendement ne fait que créer quatre exceptions qui font l’unanimité sur tous les bancs de cette assemblée. L’incohérence que nous avons pointée, c’est le maintien de ce qui existe actuellement, c’est-à-dire un régime d’interdiction, d’illégalité et de gratuité, assorti de sanctions qui, en deux mois et demi, ont perdu beaucoup de leur capacité de dissuasion.
C’est la raison pour laquelle, je me répète et j’en suis désolé, nous avons du mal à croire au pari fait par certains ici sur la migration massive des internautes vers les plateformes payantes.
De la même façon, nous n’avons à aucun moment voulu remettre en cause les protections juridiques concernant les mesures techniques de protection. Nous savons comme vous, monsieur le rapporteur, que la directive est fondée sur un équilibre fragile entre la protection juridique des mesures techniques de protection et la préservation de la copie privée. En revanche, nous réclamons un contrôle strict des mesures de protection.
Vous nous avez embarqués, monsieur le rapporteur, dans un débat manichéen pour ou contre la licence globale alors que nous voulons précisément sortir de cette opposition, de cette alternative stérilisante.
M. Jean Dionis du Séjour. Ah !
Mme Sylvia Bassot et M. Michel Herbillon. Quelle évolution !
M. Patrick Bloche. Nous voulons avant tout prendre en compte la réalité du développement de l’Internet : plus d’un milliard de titres sont téléchargés via le peer-to-peer et seulement 20 millions sont acquis à partir des plateformes payantes. Un tel différentiel ne peut que nous interpeller. C’est pourquoi nous considérons que le téléchargement doit être considéré comme une exception pour copie privée.
Je ne reviens même pas sur vos propos sur le cinéma, car la chronologie des médias et le financement spécifique du cinéma nous ont amenés à dire, les uns et les autres, dès le mois de décembre, que le cinéma n’était pas concerné.
De fait, nous sommes amenés, compte tenu de l’initiative du Gouvernement, à proposer un premier sous-amendement qui vise à ne pas nous inscrire dans une démarche différentielle en ce qui concerne le code de la propriété intellectuelle au prétexte que la copie privée permet aujourd’hui une reproduction à l’identique. Ce n’est pas parce que, hier, l’on perdait en qualité technique lorsque l’on reproduisait un titre ou une œuvre qu’il faudrait renoncer aux dispositions de la loi du 11 mars 1957 en raison des progrès techniques qui permettent une reproduction des œuvres à l’identique.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement ?
M. Christian Vanneste, rapporteur. Avis défavorable dans la mesure où nous répétons ce soir le débat qui a déjà eu lieu au mois de décembre, pratiquement mot pour mot.
Nous n’avons pas eu le temps d’examiner ce sous-amendement, qui reprend le contenu de l’amendement déposé au mois de décembre et dont je rappelle qu’il a été repoussé par la commission.
L’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle énumère la liste des exceptions au droit d’auteur. La rédaction de son premier alinéa même modifié par le projet de loi ou l’amendement n° 272 ne fait aucune différence en fonction de l’évolution technologique : ce sous-amendement n’a donc aucune raison d’être.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le ministre de la culture et de la communication. Avis défavorable. Une fois pour toutes, monsieur Bloche, je suis persuadé que les mesures d’information et de prévention en direction des internautes peuvent être efficaces. En l’absence d’une offre légale à des prix attractifs et proposant des catalogues fournis, il ne faut pas s’étonner de l’existence du piratage. À partir du moment où nous construisons un système qui fera naître une offre attractive et diversifiée, le dispositif d’information et de responsabilité que nous mettons en place permettra un transfert de l’illégal vers le légal. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.
M. Frédéric Dutoit. Je soutiens le sous-amendement de nos collègues socialistes car il garantit l’exercice du droit à la copie privée. Nous savons que ce droit n’en est pas un à proprement parler, car il s’agit d’une exception. Mais lorsque j’entends certains, comme j’ai pu l’entendre au cours d’auditions, qu’il ne s’agit en fait que d’une tolérance, je ne peux être que révolté.
Au nom de la défense des droits d’auteur, nous assistons à un recul des droits des consommateurs, recul portant sur les droits d’usage des œuvres. Le code de la propriété intellectuelle prévoit de longue date une exception pour copie privée. Elle permet à chacun de réaliser une copie des œuvres pour son usage privé. Cette exception permet d’enregistrer une émission de radio ou de télévision, mais aussi de réaliser une compilation ou la copie d’un CD afin de pouvoir l’écouter dans sa voiture, par exemple.
La rémunération pour copie privée est la contrepartie légitime. Celle-ci est versée aux créateurs et producteurs, et un quart est réservé au soutien à l’action culturelle pour la création et le spectacle vivant. Cette rémunération est actuellement garantie notamment par une taxe sur les supports numériques acquittée par les consommateurs – 160 millions d’euros en 2005. Or depuis quelques années, à l’occasion du développement des technologies numériques, les éditeurs mettent en place des mesures techniques de protection visant à contrôler les usages privés d’une œuvre. Cette pratique remet en cause l’exception pour copie privée, vous ne pouvez pas le nier. C’est d’ailleurs le principal objectif visé par les mesures techniques de protection.
Les fameux risques attachés au fait que l’utilisateur pourrait proposer des contenus sur Internet ne sont qu’un prétexte. L’objectif est en fait d’ouvrir une nouvelle ère, celle du profit maximum réalisé sur les usages privés des œuvres, et cela est d’autant plus inacceptable que ces usages n’ont jamais porté un quelconque préjudice à l’économie culturelle.
Nous avons dit qu’il était urgent que la loi garantisse véritablement le droit à la copie privée. Le sous-amendement qui nous est proposé va dans ce sens et c’est pourquoi je le voterai.
M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.
Mme Martine Billard. Ce débat est fondamental. M. le ministre ne cesse de nous vanter le mérite des offres à venir, qui, selon lui, régleront tous les problèmes. Le développement de plateformes payantes peut, en partie, assécher le peer-to-peer gratuit,…
M. Jean Dionis du Séjour. En effet.
Mme Martine Billard. …mais pas totalement, ne nous faisons pas d’illusion, et à condition que les mesures techniques de protection n’en restreignent pas l’usage.
Si – et je l’ai dit aux représentants du cinéma et de la musique que j’ai rencontrés – l’évolution des plateformes payantes et des offres à la demande privilégie la location en ligne pour un temps très court, les consommateurs finiront par considérer qu’il y a de l’abus en raison des nombreuses restrictions d’utilisation des œuvres.
Si vous ne pouvez écouter une œuvre qu’une seule fois et pas sur tous les supports, et si ce qui a été enregistré sur le disque dur ne peut pas être sauvegardé parce qu’il y a une protection, par exemple, cet état de fait favorisera immanquablement les contournements.
M. le ministre de la culture et de la communication. Ce problème sera réglé par l’interopérabilité.
Mme Martine Billard. Le piratage risque d’exploser, monsieur le ministre, tant vous voulez corseter le réseau en faisant payer au maximum beaucoup plus que ce qui se pratique jusqu’à présent. En effet, quand vous achetez une cassette vidéo, vous pouvez la regarder autant de fois que vous le souhaitez dans le cercle de famille. Par votre volonté de faire payer chaque utilisation et en la restreignant dans le temps, vous allez à l’encontre de ce que vous voulez combattre.
S’agissant de la transposition des mesures techniques de protection, aucun pays, hormis la Grèce, ne les a transposées dans le sens d’une limitation du droit d’usage. C’est une catastrophe. Nous allons aggraver la situation. Vous ne pourrez jamais empêcher le contournement des mesures techniques : même la NASA ou le Pentagone peuvent être infectés par des virus informatiques. Mieux vaut étendre la redevance pour copie privée au flux Internet et de considérer ces mesures comme des garanties du droit d’auteur.
M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 332.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de trois sous-amendements identiques, nos 308, 335 et 366.
La parole est à M. Christian Paul, pour soutenir le sous-amendement n° 308.
M. Christian Paul. En défendant ce sous-amendement, je voudrais m’adresser très directement à nos collègues de la majorité.
Mes chers collègues, étant majoritaires, il est de votre responsabilité d’accepter ou non ce sous-amendement. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Mme Sylvia Bassot. Merci de nous laisser cette liberté !
M. Pierre Cohen. Il n’est pas sûr qu’ils soient très libres de leur vote !
M. le président. Mme Bassot est totalement libre…
Mme Sylvia Bassot. Incontrôlable même ! (Sourires.)
M. Christian Paul. Elle est libre comme tout le monde dans cette assemblée, monsieur le président, et grâce à vous.
Ce sous-amendement nous donne l’occasion de redonner à ce texte ce que nous cherchons vainement depuis quelques semaines, c’est-à-dire un point d’équilibre acceptable par tous.
Nous vous proposons de reconnaître une exception pour copie privée concernant le téléchargement d’œuvres musicales, en particulier. La plupart des décisions de justice, la plus grande part de la jurisprudence de notre pays ces derniers mois ont retenu cette position quand des procès ont conduit des internautes devant les tribunaux. La plupart des décisions de justice ont reconnu à la copie privée le caractère d’une exception au droit d’auteur. Nous vous proposons d’inscrire clairement cette exception dans notre droit.
Nous vous proposons également, et c’est une avancée intéressante par rapport au débat du mois de décembre, d’inscrire très clairement dans le droit une nouvelle redevance pour copie privée. Cette redevance existe depuis des années en droit français. La redevance sur les supports vierges est reversée aux artistes et aux ayants droit d’une façon qui peut toujours être améliorée. Nous vous proposons de l’abonder de façon substantielle en l’appliquant à la fourniture de l’accès à Internet.
L’Internet doit contribuer au financement de la culture, en particulier de la musique ; c’est un point sur lequel nous sommes d’accord. Comme l’a dit tout à l’heure Patrick Bloche, nous croyons que, pour le cinéma, les termes sont différents en raison de la chronologie des médias, des ordres de grandeur, des modèles économiques. Mais, pour la musique, nous pensons que le soutien massif de la filière musicale par un prélèvement sur les fournisseurs d’accès est crédible.
La répartition de la redevance pour copie privée est connue : les auteurs en perçoivent 50 %, les interprètes 25 %, et les producteurs 25 %. Ce mode de répartition a fait ses preuves, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il soit intangible. Mais nous avons là un modèle connu et qui fonctionne.
Nous souhaitons, vous et nous, trouver une façon de faire de cette loi une avancée réelle pour les deux ou trois ans qui viennent. Nous croyons tous au développement possible des plateformes commerciales. Mais n’oubliez pas qu’en 2005 elles ont drainé au plus 20 millions d’euros. Avec un prélèvement de l’ordre de 2 euros sur chaque abonnement pour l’accès au haut débit, acquitté par les fournisseurs d’accès, nous proposons de mettre à la disposition de la filière musicale 200 millions d’euros dès la première année, soit dix fois plus. On ne peut pas dire que cette proposition ne témoigne pas d’une volonté très forte de soutenir la création et de faire en sorte que l’Internet finance la musique.
Ajoutons qu’il est possible de donner à cette disposition un caractère transitoire afin d’en examiner toutes les conséquences. À cet égard, le ministre a souligné, de manière intéressante, que, si les plateformes voulaient se développer, il fallait qu’elles ne se contentent pas de vendre des fichiers, mais aussi qu’elles apportent de réels services aux passionnés de musique.
D’autres sous-amendements, notamment le sous-amendement n° 307, reflètent le même esprit que celui-ci. Nous tenons-là un dispositif gagnant-gagnant, pour les artistes comme les internautes.
M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour soutenir le sous-amendement n° 335.
M. Frédéric Dutoit. Ce sous-amendement ne vise qu’un objectif : la reconnaissance du droit à la copie privée.
Il peut sembler choquant à certains que le téléchargement entre dans le cadre de la copie privée, mais rappelons que c’est la position adoptée par la jurisprudence. Par ailleurs, compte tenu des risques que fait peser le texte gouvernemental qui a choisi une voie répressive, inefficace et dangereuse, la légalisation du téléchargement nous paraît constituer la seule issue.
Sur le fond, les discours visant à condamner la voie ouverte par nos sous-amendements soulèvent deux problèmes.
D’abord, il nous faudrait mesurer l’impact économique des téléchargements. Vous nous avez dit, monsieur le ministre, que nul ne remettait en cause l’influence nocive du peer-to-peer. Je suis désolé de vous le dire, mais c’est faux. Aucune des études indépendantes menées à ce jour n’a conduit à cette conclusion. Nous vous avons demandé de produire les analyses sur lesquelles vous vous fondez, mais vous ne l’avez pas fait.
Ensuite, notre sous-amendement a le mérite de tordre le cou à l’idée que seuls les sites de téléchargement des grandes enseignes peuvent prétendre à la légalité. Ces sociétés voient évidemment d’un très mauvais œil l’existence de plateformes gratuites et tentent d’imposer leur point de vue. Or l’offre de ces sites reste non seulement onéreuse mais limitée. Le coût associé à la mise en œuvre des mesures techniques de protection favorise en effet la concentration de l’offre sur les segments du marché les plus porteurs, au détriment de la diversité culturelle et de la promotion des jeunes artistes. Il est d’ailleurs fâcheux qu’un tel discours trouve une oreille aussi attentive de la part d’un gouvernement qui prétend par ailleurs défendre la diversité culturelle.
Mais, dans un dispositif tel que le nôtre, reste à prévoir la juste rémunération des auteurs, la compensation financière de cette forme de copie privée que rien ne distingue, sur le fond, des autres. C’est d’ailleurs là encore la position de la jurisprudence.
Nos collègues socialistes privilégient la voie de la licence globale. Nous lui préférons un autre dispositif : l’offre publique légale.
Nous pensons que l’une des voies ouvertes aujourd’hui serait la création d’une médiathèque numérique publique regroupant toutes les œuvres musicales, audiovisuelles, iconographiques, enregistrements de spectacles vivants et arts plastiques. La mise en place de cette offre légale, techniquement réalisable, offrirait nombre d’avantages : le respect du droit moral des créateurs, une rémunération proportionnelle et équitable des auteurs. Ouverte à tous les styles musicaux, cinématographiques et aux arts plastiques, elle garantirait la diversité des expressions culturelles.
Le financement de cette offre pourrait être assuré par la mise à contribution des fournisseurs d’accès à Internet, principaux bénéficiaires du développement des échanges en ligne, et accessoirement par les utilisateurs, de manière forfaitaire, comme avec la licence globale.
Cette offre publique légale n’est qu’une piste de proposition possible, il est vrai. Mais elle renforce notre argument selon lequel le préalable indispensable est de réaliser des études utiles pour la recherche de solutions viables et surtout conformes à l’intérêt général, celui des auteurs et celui des utilisateurs.
En outre, cette proposition permet de résoudre deux des problèmes posés par la licence globale : le difficile contrôle des flux sur Internet et la délicate répartition des rémunérations. Avec l’offre publique légale, il deviendrait possible de savoir très exactement qui télécharge quoi, et de garantir une rémunération proportionnelle à l’exploitation réelle des œuvres. En outre, elle correspond à une demande et serait plus facile d’accès pour le peer-to-peer. Plus démocratique et très peu chère, elle serait de nature à favoriser la démocratisation de la culture. Elle responsabiliserait l’utilisateur sans le toucher au portefeuille, tout en lui donnant la satisfaction de verser des droits aux auteurs qu’il écoute vraiment. D’ailleurs, 85 % des auteurs y sont favorables.
Cette proposition cumule donc les avantages pour les auteurs, qui trouveront là une source de rémunération équitable, et pour les utilisateurs, qui ne seront dès lors guère tentés d’utiliser le peer-to-peer classique, peu sûr du fait des multiples virus qui circulent et, surtout, très aléatoire quant à la qualité des fichiers téléchargés.
Dans le même temps, elle est conforme à notre approche de l’Internet. Cette médiathèque numérique conforterait le statut d’espace public de l’Internet contre les tentatives qui visent à en faire un espace purement marchand.
M. le président. La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l’amendement n° 366.
Mme Martine Billard. Que reste-t-il de la copie privée ? À l’heure actuelle, la redevance pour copie privée est assise sur les cassettes audio, qui ne doivent pas être encore beaucoup vendues, les cassettes VHS, qui sont en voie de disparition, ainsi que les CD, en régression, et les DVD dont le Cour de cassation vient d’expliquer qu’on ne pouvait pas les copier.
Nos collègues de l’UDF s’interrogent avec nous : pourquoi payer une redevance assise sur les supports vierges si la seule exception autorisée demeure l’enregistrement de films diffusés à la télévision ? Sur les chaînes payantes, la rémunération se fait par un autre biais. Ne restent que les chaînes financées par la redevance télévisuelle, ce qui concerne assez peu de films, en tout cas récents, il faut bien l’avouer.
Je redis ici mon regret que nous n’ayons pas travaillé assez sérieusement sur ce projet de loi, soit au sein d’une commission spéciale, soit au sein d’une mission d’information, afin d’avoir tous les éléments en main et de parvenir à une solution, qui réponde véritablement aux évolutions actuelles. Nous sommes en train de scier la branche sur laquelle nous sommes assis.
Aujourd’hui, il existe une centaine de radios numériques en ligne. Il suffit de s’y connecter depuis son ordinateur pour télécharger des œuvres. À vouloir tout verrouiller en concentrant les possibilités de téléchargement autour des plateformes payantes, vous risquez de déplacer l’offre de téléchargement gratuit sans permettre de rentrées d’argent supplémentaires pour la création culturelle.
En un an, les ventes en ligne ont été multipliées par quatre. Un peu plus du quart des revenus de la SACEM provient de la musique enregistrée, dont 70 % au titre de la téléphonie mobile. La musique en ligne en tant que telle représente donc une petite part.
Croyez-vous vraiment pouvoir continuer à convaincre nos concitoyens de payer une redevance qui ne correspond plus à grand-chose, mais qui est pourtant fondamentale car elle finance l’aide au spectacle vivant ? Pensez-vous vraiment parvenir à empêcher tout contournement ? Cela me paraît tenir du combat de Don Quichotte contre les moulins à vent.
Si certaines entreprises veulent développer des plateformes payantes, qu’elles le fassent, c’est leur droit, mais il faut seulement espérer que cela se fasse dans le sens d’une plus grande diversité qu’à l’heure actuelle. Mais qu’on n’assèche pas les revenus destinés au spectacle vivant, hors cinéma, par des combats d’arrière-garde ! Dans deux ou trois ans, nous risquons sinon de constater que nous avons perdu une source importante de financement et que nous avons fait baisser les recettes des auteurs et des compositeurs.
Aujourd’hui, et cela montre que tout n’est pas aussi simple dans ce monde enchanté, sur les plateformes de téléchargement payantes, les auteurs sont certes rémunérés mais aucun droit voisin n’est reversé. C’est bien pour cela qu’il y a une plainte les concernant.
Prenons garde de ne pas passer de la défense du droit d’auteur à la défense des diffuseurs. Ne mélangeons pas les genres !
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les trois sous-amendements identiques ?
M. Christian Vanneste, rapporteur. Ces sous-amendements sont une démonstration du double langage que tient l’opposition. Ils reposent tout simplement sur une confusion subreptice entre deux notions distinctes, le téléchargement et la copie privée. On oublie de dire si le téléchargement est licite ou illicite, alors que c’est bien sûr cela le point important.
Lorsque nous favorisons, comme nous l’avons fait à travers diverses conventions, les téléchargements licites à partir de plateformes, c’est pour éliminer les téléchargements illicites et éviter que les artistes ne soient spoliés. Or là, on insinue que le téléchargement revient à faire de la copie. Non, la copie consiste, par exemple, à reproduire sur un support matériel un contenu téléchargé licitement.
Nous allons proposer dans la suite du texte que le collège des médiateurs fixe le nombre des copies suivant les supports. Il n’a jamais été question de confondre téléchargement et copie car cela reviendrait à rendre licite l’illicite. Et c’est bien ce qu’il y a de profondément vicieux dans le système de la licence globale : il fait entrer par la fenêtre ce qui est sorti par la porte.
M. Christian Paul. Vous voyez le vice partout !
M. Christian Vanneste, rapporteur. Or la licence globale est un système parfaitement injuste pour les auteurs, notamment pour les moins connus d’entre eux, qui passent à travers tous les sondages et toutes les statistiques.
M. Christian Paul. Le rapporteur est un spécialiste de la provocation !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le ministre de la culture et de la communication. Mesdames, messieurs les députés, je vais donner un avis défavorable, en le motivant par des arguments qui vaudront pour d’autres amendements portant, de manière connexe, sur les mêmes questions.
Tout d’abord, s’agissant du financement de la production cinématographique, je voudrais insister sur l’accord du 20 décembre 2005 sur la vidéo à la demande car il constitue une immense novation. Sans rompre les équilibres subtils et compliqués de la création cinématographique et de la chronologie des médias, il permet la diffusion légale du cinéma par Internet, ce qui est un progrès considérable ; par ailleurs, il prévoit un nouveau mode de financement de la production cinématographique, par les fournisseurs d’accès à Internet.
M. Christian Paul. Combien en 2006 ?
M. le ministre de la culture et de la communication. C’est une étape majeure car cela permettra de donner des moyens supplémentaires à ce qui représente une exception française, en passe d’être reconnue par l’Union européenne. Comme nous avons gagné le combat de la diversité culturelle, nous sommes fondés, en tant qu’État, à soutenir la production cinématographique.
Quant à la licence globale, sur laquelle je ne reviendrai pas s’agissant des autres sous-amendements, j’estime qu’elle ne profiterait ni au monde de la création ni aux internautes. Elle peut avoir l’air séduisant et tout le monde s’est demandé si elle n’était pas la solution appropriée, mais elle est dangereuse.
Je rappellerai tout d’abord que la licence globale optionnelle – même si ce terme a disparu du paysage de l’Assemblée nationale puisqu’elle est censée être obligatoire après avoir été optionnelle – nécessiterait de repérer et sanctionner les internautes qui téléchargent sans avoir payé cette licence.
La licence globale obligatoire serait une taxe qui défavoriserait les revenus les plus bas dans l’accès à Internet. La très forte augmentation de l’abonnement à Internet résultant de la licence globale ruinerait les efforts du Gouvernement pour réduire la fracture numérique et permettre l’accès à Internet à haut débit au plus grand nombre de Français, notamment les foyers aux revenus les plus bas.
La licence globale dite optionnelle est un mécanisme inéquitable car elle serait optionnelle pour les internautes mais pas pour les artistes. Ceux-ci ne seront plus libres de choisir leur mode de diffusion ou de rémunération, élément fondamental que vous allez évoquer tout à l’heure.
La licence globale, qu’elle soit optionnelle ou non, s’imposerait à tous comme un modèle économique unique et empêcherait les autres modèles de se développer.
L’absence de propositions fiables pour répartir le produit de la licence globale optionnelle entre les créateurs fragiliserait la prise de risque et l’investissement, tant personnel que financier, dont la création a besoin pour se développer. La répartition de la rémunération des artistes ne pourrait se faire que par sondage, ce qui désavantagerait les artistes encore peu connus et qui ont besoin évidemment de pouvoir vivre de leur travail.
Il est un fait incontestable : la licence globale, optionnelle ou non, asphyxierait la musique et le cinéma français par insuffisance de financement. Elle fragiliserait la création et menacerait les emplois et les métiers des industries culturelles.
Si l’on estime que la moitié des foyers internautes qui téléchargent accepteraient de payer dix euros par mois, et que ces foyers représentent 26 % des 9,8 millions de foyers abonnés à Internet, la licence globale optionnelle rapporterait 153 millions d’euros par an, soit dix fois moins que les 1,5 milliard d’euros de ressources issues des CD et cinquante fois moins que les 7,8 milliards d’euros de ressources issues des CD, DVD et chaînes payantes.
Évoquer les chiffres de l’activité culturelle et artistique, ce n’est en aucune manière gommer l’aspect immatériel de la création, la liberté de l’esprit, qui n’est pas en elle-même une activité économique.
Pourquoi la licence globale serait-elle obligatoire pour la musique et pas pour le cinéma ? Je n’aurai pas la cruauté de rappeler que, lorsqu’elle a été adoptée ici, elle concernait l’une et l’autre.
M. Patrick Bloche. Quelle mauvaise foi !
Mme Christine Boutin. Parce que le débat a été suspendu !
M. le ministre de la culture et de la communication. Vous ne souhaitez pas que soient repérées les œuvres musicales. Comment distinguer l’internaute qui télécharge un fichier musical de celui qui télécharge un film ? Et que faites-vous pour les milliers de films échangés illégalement ? Si vous refusez toute sanction, vous menacez l’avenir du cinéma et de ce qui fait notre fierté en France et au-delà.
Rejeter la licence globale, qu’elle soit optionnelle ou non, pour mettre en place un système adaptant le droit d’auteur à l’ère numérique, c’est garantir l’avenir de la musique et du cinéma français. C’est la raison pour laquelle je vous demande de rejeter ces sous-amendements.
M. le président. La parole est à M. Laurent Wauquiez.
M. Laurent Wauquiez. Si j’ai bien compris, ces sous-amendements portent notamment sur la défense de la copie privée à partir des téléchargements en ligne.
M. Christian Paul. Et sur sa rémunération !
M. Laurent Wauquiez. Cet excellent sujet va nous permettre de voir quelles améliorations ont été apportées au texte depuis les premiers débats dans cet hémicycle.
Si vous avez un peu de patience – et je n’ose pas penser que vous n’ayez pas jeté un regard global sur l’ensemble des amendements – vous verrez que, onze articles plus loin, nous avons déposé un amendement, qui va bien au-delà de ce qui est proposé s’agissant du droit des internautes,…
M. Patrick Bloche. Allez-y, lâchez-vous !
M. Laurent Wauquiez. …et qui vise à reconnaître le droit à la copie privée. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin.
Mme Christine Boutin. Monsieur le ministre, c’est la première fois, depuis le mois de décembre, que vous nous exposez clairement les raisons pour lesquelles vous êtes hostile à la licence globale. Je vous en remercie.
Pour ma part, je souhaite soutenir ces sous-amendements. Nous sommes là au cœur du débat. Si vous fondez le financement de l’industrie culturelle sur des supports matériels qui ont vocation à disparaître, vous êtes le fossoyeur de la politique culturelle de ce pays. Je ne comprends pas que vous puissiez avancer de tels arguments.
Il nous est proposé ici, après les mots « les copies ou reproduction », d’insérer les mots : «, y compris celles effectuées à partir d’un service de communication en ligne, ». Est-ce que la communication en ligne, ce n’est pas justement la nouvelle forme de la société de l’information ? Si tel n’est pas le cas, je me demande sur quoi nous débattons aujourd’hui.
Enfin, si nous n’adoptons pas ces sous-amendements, nous encouragerons le piratage.
M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.
M. Jean Dionis du Séjour. Le code de la propriété intellectuelle dispose que « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : 1° les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille ; 2° les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective… ». Il faut nous expliquer comment le téléchargement peut être assimilé à un cercle de famille alors qu’il est fait à partir de fichiers stockés sur des ordinateurs de personnes inconnues.
M. Richard Cazenave. Très bien !
M. Jean Dionis du Séjour. Comment dire qu’il s’agit de copies ou de reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une destination collective, alors que le peer-to-peer c’est précisément le partage et l’usage collectif ?
Adopter ces sous-amendements reviendrait à transformer l’exception pour copie privée, ce qui ne serait pas lui rendre service. Voilà pourquoi nous sommes défavorables à ces sous-amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Didier Mathus.
M. Didier Mathus. M. Vanneste est coutumier de propos excessifs, et les termes qu’il a employés tout à l’heure pour caractériser ces sous-amendements le sont.
M. Richard Cazenave. Il essaie de faire aussi bien que vous, mais il a du mal !
M. Didier Mathus. Quant au ministre, il vient de nous lire un argumentaire qui a manifestement été rédigé en décembre dernier et qui n’a plus cours aujourd’hui.
M. Dionis du Séjour, pour sa part, conteste l’interprétation faite par la jurisprudence…
M. Jean Dionis du Séjour. Ce n’est pas vrai !
M. Didier Mathus. …puisque, jusqu’à ce jour, le download a été considéré par tous les tribunaux comme une exception au droit d’auteur pour la copie privée.
Ce débat mérite mieux que des caricatures excessives, car c’est un problème de société. En France aujourd’hui, 10 millions de personnes, soit un foyer sur quatre, utilisent le téléchargement. C’est un formidable progrès pour les échanges culturels. La société a droit au progrès technique. Il nous est demandé de faire en sorte que ces téléchargements puissent également rémunérer la création. Vouloir, comme le fait le ministre, empêcher que le téléchargement soit reconnu comme un acte de copie privée revient à remettre en cause très clairement ce qui a été jusqu’à présent considéré comme une exception mais peu à peu comme un droit.
Mme Christine Boutin. Absolument !
M. Didier Mathus. Savez-vous que lorsque nos enfants achètent un baladeur MP3, ils paient une taxe qui leur donne le droit d’effectuer une copie ?
M. Richard Cazenave. Une copie privée !
M. Didier Mathus. Si, demain, on interdit la copie, on menace directement les 240 millions d’euros qui alimentent aujourd’hui le fonds pour copie privée, qui servent essentiellement à financer des spectacles vivants dans vos circonscriptions.
Réfléchissez-y donc à deux fois avant de prononcer une condamnation à mort contre la copie privée.
On s’abrite derrière le droit de la propriété intellectuelle, mais qui ne voit qu’il subit une dérive considérable ? Les industriels de la biogénétique veulent breveter les molécules vivantes. Aujourd’hui, les industriels de la culture, modèle ancien, veulent breveter les fichiers qui circulent sur Internet,…
M. Richard Cazenave. Mais non !
M. Jean Leonetti. Ça n’a rien à voir !
M. Didier Mathus. …considérant qu’au titre de la propriété intellectuelle on a droit de camper sur la valeur patrimoniale de la culture. Comme s’il s’agissait d’un magot réservé à quelques-uns ! Internet permet un formidable développement des échanges culturels dans l’ensemble de la société. Vouloir aujourd’hui les condamner à mort est une grave erreur.
M. Richard Cazenave. On ne peut pas laisser dire cela !
M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.
M. Patrick Bloche. Il est un peu dommage de vouloir refaire à tout prix le même débat qu’au mois de décembre.
J’ai été déçu que le ministre nous resserve des arguments qui ne tiennent pas compte de la réflexion que nous avons conduite durant ces deux mois et demi d’interruption de nos travaux. Il veut à tout prix nous ramener sur le terrain de la licence globale, alors que nous nous demandons si le téléchargement est une exception pour copie privée.
M. Jean Dionis du Séjour. La réponse est non !
M. le président. Monsieur Dionis du Séjour, n’interrompez pas l’orateur !
M. Patrick Bloche. Monsieur Dionis du Séjour, vous êtes peut-être un grand expert en la matière, mais ce que vous dites est faux et ne sert pas le débat.
Un jugement récent du TGI de Paris va justement dans cette voie de la reconnaissance du téléchargement comme une exception pour copie privée.
Durant ces deux mois et demi, la réflexion s’est développée dans la société, dans les médias. De nombreuses tribunes ont donné des points de vue très différents, proposant souvent une troisième voie.
Quant au Conseil économique et social, il nous avait alertés, dès le mois de juillet 2004, sur le fait que la criminalisation de l’utilisation de nouveaux moyens d’accès à la culture était une régression par rapport à la mise en place de la copie privée.
Il considérait également que l’utilisation des techniques de verrouillage, appelées mesures techniques de protection ou DRM, ne pouvait conduire qu’à une recherche sans fin des moyens de les contourner, donc à une situation sans issue.
En conséquence, il préconisait trois axes : le renforcement du droit d’auteur, l’appréhension des nouvelles technologies comme élément dynamique et positif pour la création artistique et culturelle et la mise en place de mécanismes et d’instruments nécessaires à l’adaptation du droit d’auteur.
M. le président. Monsieur Bloche,...
M. Patrick Bloche. J’en termine, monsieur le président.
Le Conseil économique et social a souhaité à nouveau intervenir dans notre débat. Le 27 février, il a réaffirmé la nécessité d’un nouveau contrat social car, selon lui, le droit d’auteur établit un contrat entre le créateur et la société. La question, à ses yeux, ne se résume pas à surveiller et punir, il faut aussi protéger et encourager les créateurs tout en favorisant l’usage d’Internet auprès d’une population qui y voit une nouvelle forme d’accès à la culture et à l’information.
Le Conseil économique et social s’est donc prononcé sur trois points : mettre à contribution les fournisseurs d’accès pour financer la création littéraire et artistique, c’est l’objet d’un amendement que notre groupe a déposé dès le mois de juin ;...
M. Richard Cazenave. Un impôt sur les internautes !
M. Patrick Bloche. ...établir un marché légal des échanges garantissant au public l’accès par site payant à l’ensemble des productions culturelles et dématérialisées, ce que nous ne saurions contester ; considérer, comme la jurisprudence, les téléchargements comme des copies privées.
M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.
Mme Martine Billard. L’article 5-2 de la directive concernant les exceptions et limitations dispose que « les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions aux limitations au droit de reproduction prévu à l’article 2 dans les cas suivants : [...] b) lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires des droits reçoivent une compensation équitable qui prend en compte l’application ou la non application des mesures techniques visées à l’article 6 aux œuvres ou objets concernés ». La directive européenne prévoit donc bien une exception pour la copie privée sur tout support et nous avons toujours, dans nos débats, assimilé Internet à un support. Les sous-amendements se situent dans ce cadre, puisqu’ils traitent du download ou « déchargement » même si ce n’est pas le terme couramment utilisé.
Or, pour l’instant, rien ne garantit qu’on puisse faire une copie privée à partir du « déchargement » d’une œuvre musicale. On peut pourtant acheter légalement des morceaux de musique pour en faire une compilation sur CD à usage privé. Si vous ne prévoyez pas ce cas de figure, vous interdirez à tous les amateurs de musique de faire des compilations.
M. Richard Cazenave. Nous avons déposé des amendements à ce sujet !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, vous avez repoussé la licence globale sous prétexte qu’elle ne profiterait pas aux internautes. Vous êtes responsable de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Le sujet est délicat, incontestablement, mais nous avons le sentiment que vous cédez, sans faire la part des choses, à la pression des lobbies et que vous n’anticipez pas le futur. Comme le dirait Mme Boutin, vous ne chaussez pas les lunettes de l’avenir et vous n’anticipez pas les mutations que nos collègues, en particulier Frédéric Dutoit, ont évoquées.
Je regrette que, sur un tel sujet, vous n’ayez pas accepté que nous travaillions de façon plus méticuleuse, en écoutant les uns et les autres.
Mme Sylvia Bassot et M. Michel Herbillon. On n’a fait que ça !
M. Jean-Pierre Brard. Encore faudrait-il que vous ayez branché votre Sonotone ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Mme Sylvia Bassot. Parlez pour vous !
M. le président. Évitez ce genre de remarque, monsieur Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, que se passera-t-il si un internaute se soustrait tout à fait légalement aux règles que le Gouvernement nous invite à adopter, par exemple en téléchargeant à partir d’un site russe ? (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Mme Sylvia Bassot. Comme par hasard !
M. Bernard Carayon. C’est un aveu !
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, Mme Bassot ne sait pas faire la différence entre « russe » et « soviétique » ! Elle est obsédée par ses fantasmes qui ne sont plus que virtuels, vous le savez bien ! S’agissant de culture, l’adjectif « russe » évoque pour moi Tchekhov, Dostoïesvski,...
M. Jean Leonetti. Staline !
M. Christian Vanneste, rapporteur. Soljenitsyne !
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Leonetti, je ne sache pas que Staline soit l’auteur d’œuvres culturelles.
M. le président. Monsieur Brard, cela n’a rien à voir avec votre sous-amendement !
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, comment pourrez-vous, dans les conditions que vous prétendez garantir aux artistes, protéger le droit d’auteur quand les internautes téléchargeront via un site russe qui, lui, fonctionnera légalement ?
M. Richard Cazenave. M. Brard a retrouvé le chemin de Moscou !
M. Jean-Pierre Brard. Quelle solution envisagez-vous ?
M. François Bayrou. Très bonne question !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. le ministre de la culture et de la communication. Une fois pour toutes, le procès des « lunettes du passé » est vraiment grotesque. Notre objectif est de favoriser l’offre la plus large, la plus diversifiée, la plus accessible possible ! Depuis vingt-trois mois que je suis rue de Valois,...
M. Jean-Louis Dumont. Déjà !
M. le ministre de la culture et de la communication. ...j’ai organisé quantité de réunions avec les fournisseurs d’accès à Internet, avec le monde de musique, du cinéma et de la télévision.
M. Patrick Bloche. Quel superministre !
M. le ministre de la culture et de la communication. Dans quel but, sinon pour élargir l’offre ? Ceux qui auront voté le texte auront rendu possible une offre nouvelle et diversifiée. Le modèle économique s’adaptera, autrement dit les formules – pré-paiement, forfaits, abonnements d’écoute en ligne – vont exploser, ce qui prouvera que notre regard n’est pas rivé sur le passé, même s’il faut toujours se préoccuper de ses racines. Nous sommes au contraire tournés vers l’avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les sous-amendements nos 308, 335 et 366.
(Ces sous-amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi d’un sous-amendement n° 309.
La parole est à M. Pierre Cohen, pour le soutenir.
M. Pierre Cohen. L’activité d’enseignement et de recherche requiert de plus en plus l’utilisation d’œuvres protégées auxquelles les nouvelles technologies offrent des facilités d’accès sans précédent. En l’état actuel de la législation, aucune solution globale, simple et rapide ne permet cependant de concilier la licéité de tels usages et les droits légitimes des titulaires.
En effet, l’article 5-3.a) de la directive prévoit, parmi les exceptions et limitations aux droits de reproduction et de communication au public, que les États membres peuvent introduire, « une utilisation à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la recherche scientifique, sous réserve d’indiquer, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur, dans la mesure justifiée par le but non commercial poursuivi ». Ce cas n’est cependant pas prévu par l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, ni dans ceux nouvellement introduits par le projet de loi, bien qu’il fasse l’objet d’applications plus ou moins extensives dans la plupart des autres pays européens.
Même si cette exception ne fait pas partie de celles pour lesquelles la directive implique obligation d’une compensation, il ne paraîtrait pas équitable de la consacrer par voie législative sur une base aussi extensive que l’autoriserait la directive sans qu’une négociation ait fixé une compensation proportionnée au bénéfice des ayants droit. Le Gouvernement a différé tant la conclusion effective d’un tel accord que des mesures budgétaires adéquates, en l’absence desquels la charge risque, et vous êtes coutumiers du fait, d’être abusivement reportée sur les collectivités territoriales.
Compte tenu du retard ainsi pris par cette négociation, il est proposé dans l’immédiat d’assouplir, pour les seuls usages « pédagogique » et « scientifique » conservant un caractère non commercial et une diffusion limitée à leur objet, le régime actuel du droit de citation, qui relève de l’article 5-3.d) de la directive, en introduisant en ces domaines la notion d’« extraits », moins restrictive que celle de « courte citation », et en y étendant le droit de citation aux domaines, aujourd’hui exclus par la jurisprudence, des œuvres autres que littéraires. Les assouplissements ainsi proposés ne sont pas étendus aux usages autres que « pédagogique » et « scientifique » de la « courte citation » pour lesquels ils pourraient avoir des conséquences abusives ou difficilement prévisibles. Ils n’incluent pas non plus ceux des usages pédagogiques qui impliquent la reproduction ou la représentation extensives d’œuvres musicales, théâtrales, audiovisuelles, cinématographiques ou multimédia, dont l’autorisation, sous condition de compensation équitable, reste ouverte à une négociation collective avec les représentants des ayants droit.
L’adoption de ce sous-amendement permettrait la définition rapide d’un mécanisme d’exception simple et cohérent. Les projets d’accords entre le ministère de l’éducation nationale et les ayants droit sont en effet inutilement complexes, requérant dans de nombreux cas l’autorisation de l’auteur et introduisant des distinctions dont on peut douter de l’applicabilité. Ainsi, seule la représentation dans la classe, aux élèves ou étudiants, de toute œuvre cinématographique ou audiovisuelle diffusée par un service de communication audiovisuelle hertzien non payant serait autorisée, ou encore les œuvres d’art visuelles citées seraient soumises à des conditions tenant à la résolution des images.
Ce sous-amendement prévoit, afin de prendre en compte le désir des éditeurs de ne pas voir les œuvres considérées comme gratuites, notamment par le plus jeune public, la négociation d’une compensation équitable entre les ayants droit et le ministère de l’éducation nationale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Vanneste, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le ministre de la culture et de la communication. Si le Gouvernement est défavorable à cette exception, c’est parce que nous avons conclu un bon accord.
M. Richard Cazenave. Bravo !
M. le ministre de la culture et de la communication. Certains en doutaient au mois de décembre, il est aujourd’hui concrétisé et vous devriez vous en réjouir, sur tous les bancs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.
M. Patrick Bloche. Vous ne pouvez pas botter en touche, monsieur le ministre ! Nous vous avons interrogé en commission des lois sur ce fameux accord miracle. Apparemment, vous êtes un spécialiste !
M. Pierre Cohen. Comme pour les intermittents du spectacle !
M. Patrick Bloche. Le 19 décembre, à la veille du débat, vous vous êtes vanté d’avoir conclu un accord avec le cinéma. Ce soir, votre collègue de l’éducation nationale sort de son chapeau un accord relatif à l’exception pour enseignement et recherche. Lorsque nous avons eu la chance de vous entendre en commission des lois, la semaine dernière, vous avez déclaré que l’accord était signé. Pourtant, d’après les informations en notre possession, il est question de discussions et de négociations, mais pas d’un accord dûment signé.
M. le ministre de la culture et de la communication. Si !
M. Patrick Bloche. Vous nous avez dit qu’il serait à notre disposition en fin de semaine dernière. Aujourd’hui, 7 mars, nous vous demandons, monsieur le ministre, de tenir vos engagements en nous donnant ici et maintenant cet accord ainsi que le nom des signataires.
M. Jean-Yves Le Déaut. C’est du bluff !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, vous évacuez les problèmes. Nous voulons bien vous croire, mais nous avons besoin de concret. Avec tout le respect que nous devons à votre fonction et à votre personne, je doute que vous vous montriez efficace sur un sujet aussi délicat alors que vous nous menez en bateau sur la question des intermittents. Vous prétendez que l’accord est signé : dans ces conditions, pourquoi diable ne nous en donnez-vous pas copie, afin que nous puissions nous faire une opinion par nous-mêmes ?
M. Jean-Yves Le Déaut. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Brard. Comment aborder la question des exceptions sans évoquer celle qui est relative à la recherche et à l’enseignement ? Vous nous dites que le problème est réglé : soit ! J’estime néanmoins que cette exception doit figurer dans la loi et ne pas seulement faire l’objet d’un protocole ou d’un accord. Je suis comme saint Thomas : j’ai besoin de voir pour croire. Le Gouvernement prétend avoir clarifié le régime des exceptions et trouvé une solution d’équilibre. À lire la rédaction du texte, il s’agirait plutôt de mesures en trompe-l’œil.
Ainsi, monsieur le ministre, vous proposez d’autoriser les bibliothèques à effectuer des copies d’œuvres protégées, dès lors qu’elles n’en tirent aucun avantage commercial. Fort bien ! Si vous avez conclu un tel accord, montrez-le nous et, surtout, expliquez-nous pourquoi ce droit de copie est limité aux œuvres qui ne sont plus disponibles à la vente ou dont le format de lecture est devenu obsolète ! Une véritable exception consisterait à admettre que les missions des bibliothèques passent par le droit de copie numérique de l’ensemble des œuvres. Démontrez-nous que la question est réglée, je le répète, en nous donnant le texte !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. le ministre de la culture et de la communication. Il n’y a jamais d’accord miracle, mais toujours beaucoup de travail et de persuasion.
M. Patrick Bloche. C’est vous qui avez parlé d’accord miracle.
M. le ministre de la culture et de la communication. Au début de 2005, François Fillon, alors ministre de l’éducation nationale, et moi-même avons engagé des négociations avec les secteurs de la presse, de l’édition, de la musique, du cinéma et des arts plastiques : elles étaient difficiles car elles touchaient à de nombreux intérêts. Les accords conclus donnent une garantie juridique à l’utilisation des œuvres protégées pour illustrer des activités d’enseignement et de recherche, ce qui témoigne de l’intérêt que revêt une telle utilisation et permettra de développer, à l’intention des élèves, la diffusion de ces œuvres sur des réseaux numériques, voire sur Internet. Ainsi les possibilités offertes par les nouvelles technologies seront pleinement utilisées.
M. Pierre Cohen. Cet accord est-il vraiment signé ?
M. le ministre de la culture et de la communication. Cette formule contractuelle présente trois avantages. Au travers d’un comité de suivi, elle confère une souplesse qui permettra d’adapter les accords aux évolutions technologiques. Elle prévoit ensuite – je vous donne des chiffres – une rémunération modérée qui tient compte des spécificités de la mission de service public : 2 millions d’euros en 2007, qui sont à rapporter aux 30 millions d’euros des droits de photocopies. Elle évite enfin de laisser croire que la création est gratuite et donc sans valeur. Les accords ont été négociés…
M. Jean-Pierre Brard. Montrez-les nous !
M. le ministre de la culture et de la communication …et ils sont signés. Nous n’attendons plus que le visa du contrôleur financier.
M. Pierre Cohen. Pourquoi ne nous communiquez-vous pas le texte ?
M. le ministre de la culture et de la communication. Vous pourrez naturellement avoir connaissance de ces accords.
M. Richard Cazenave. C’est clair !
M. le ministre de la culture et de la communication. Je suis du reste heureux de constater que vous avez fait référence au travail effectué sur le sujet en commission des lois, en commission des affaires culturelles et en commission des affaires économiques.
M. Christian Paul. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour un rappel au règlement.
M. Christian Paul. Monsieur le ministre, il est vrai que la commission des lois a pu vous auditionner la semaine dernière, mais votre audition a fait l’objet de deux lettres adressées par Patrick Bloche et Didier Mathus au président de l’Assemblée et à celui de la commission, ainsi que de plusieurs rendez-vous annulés. C’est donc seulement huit jours avant la reprise de l’examen du projet de loi que nous vous avons entendu.
Or je souhaite vous rappeler l’engagement que vous avez pris devant la commission des lois de transmettre aux députés de la majorité et de l’opposition copie de cet accord.
M. le ministre de la culture et de la communication. Vous aurez le texte dans une heure, le temps de le photocopier ! Il n’y a aucun problème !
M. Christian Paul. Dans ces conditions, nous allons demander une suspension de séance de la même durée.
Je le répète : vous avez solennellement promis à la représentation nationale la communication de ces conventions. Elles intéressent des centaines de milliers d’enseignants, du secondaire ou de l’université qui, vous le savez, ont besoin d’accéder à des extraits de livres, d’œuvres cinématographiques ou musicales.
M. le président. Monsieur Paul, il s’agit d’un rappel au règlement.
M. Henri Emmanuelli. Les propos de M. Paul concernent directement l’organisation de nos travaux.
M. Christian Paul. C’est pourquoi, monsieur le ministre, concernant ces accords, je souhaite vous poser deux questions touchant à deux points essentiels.
M. Bernard Carayon. Mais puisqu’on vous dit que le problème est réglé, nous n’allons pas y passer la nuit ! Vous pouvez tout de même faire confiance au ministre !
M. Christian Paul. Première question : qu’en est-il du mécanisme ? S’agit-il d’une autorisation préalable ? Dans le cas d’une dictée tirée d’un auteur contemporain, faudra-t-il demander l’autorisation à l’auteur lui-même ou à son éditeur ? Pour l’extrait d’une œuvre cinématographique, dans le cadre de l’enseignement à l’image, faudra-t-il demander l’autorisation au producteur ou au réalisateur ?
M. Bernard Carayon. Il n’y a que vous pour poser des questions pareilles !
M. Christian Paul. Seconde question…
M. le président. Nous sommes dans le cadre d’un rappel au règlement, monsieur Paul.
M. Christian Paul. Je conclus, monsieur le président.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué un montant de 2 millions d’euros : qui paiera ?
Comme, manifestement, vous êtes dans l’impossibilité de nous transmettre le texte des accords ou de nous répondre, je demande, au nom du groupe socialiste, une suspension de séance afin de vous donner le temps nécessaire à la communication des documents que nous vous demandons. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. Monsieur Christian Paul, avant de faire droit à votre demande de suspension, je vais mettre aux voix le sous-amendement en discussion. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
Je mets aux voix le sous-amendement n° 309.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures vingt, est reprise à vingt-trois heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
Je suis saisi de deux sous-amendements, nos 301 et 307, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Christine Boutin, pour soutenir le sous-amendement n° 301.
Mme Christine Boutin. Les internautes, il faut le rappeler, sont en train d’inventer une nouvelle démocratie : une démocratie de la communication qui s’appuie sur les médias de masse, lesquels vont radicalement modifier la relation entre le politique et le citoyen, et avoir un impact considérable dans les domaines culturel, social et politique.
Depuis le mois de décembre, nous avons été nombreux, à travers un groupe politique ou bien individuellement, à réunir tenants et opposants de la licence globale – alors principal sujet de discussion. J’adresse aujourd’hui mes remerciements à tous ceux qui ont accepté de répondre à mes invitations à participer à des réunions, au cours desquelles on a pu noter, au fur et à mesure, des avancées des uns vers les autres pour essayer de trouver une solution aux problèmes posés par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Malheureusement, on nous donne aujourd’hui l’occasion de discuter de ce texte alors que la réflexion n’a pas totalement abouti. Je le répète : il est souhaitable de mettre sur pieds une mission d’information parlementaire chargée de réfléchir à tous les enjeux que je viens d’évoquer. Je tiens d’ailleurs à souligner que la SACD, hostile à la licence globale et donc au combat que j’essaie de mener, a l’honnêteté de soutenir cette idée d’une mission d’information, prenant bien conscience des enjeux auxquels nous sommes confrontés et de la nécessité d’y réfléchir sérieusement.
C’est parce que notre réflexion n’a pas abouti et que l’amendement gouvernemental ne propose pas vraiment de nouvelles options, que je défends ce sous-amendement. Du reste, je voterai l’amendement du Gouvernement : qui pourrait s’opposer aux exceptions qu’il prévoit au droit d’auteur ?
Néanmoins, philosophiquement, ce que propose le Gouvernement est de même nature que ce qu’il nous proposait au mois de décembre et que nous avons combattu. Aussi le sous-amendement que je vous propose revient-il à rétablir la licence globale – purement et simplement.
Je profite de l’occasion qui m’est offerte à nouveau pour démolir un certain nombre d’affirmations énoncées pendant ces deux mois. En effet, si les réunions des uns et des autres ont pu rassembler opposants et tenants de la licence globale, il faut tout de même reconnaître que, publiquement, un seul camp a été entendu. Ainsi, je regrette que l’on n’ait pas donné la parole à ceux qui défendaient la licence globale.
J’insiste donc sur ce point : la licence globale n’implique pas la gratuité. Jamais il n’y a eu dans notre esprit la volonté de tout rendre gratuit !
Deuxièmement, j’affirme que les internautes ne sont pas des voleurs. Il faut arrêter de les traiter ainsi ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Troisièmement, la répartition financière est possible. M. le ministre l’a d’ailleurs reconnu : compliquée, mais possible.
Ce sont précisément les artistes et les auteurs peu connus qui sont favorables à la licence globale. En effet, pour entrer dans les grandes maisons – les « majors » –, il faut représenter un certain potentiel financier. En d’autres termes, il faut être vendu, ce qui est loin d’être le cas lorsque l’on démarre. La Toile offre donc aux auteurs l’opportunité de se faire connaître et de trouver des rentrées financières pour survivre. Pour eux en effet, c’est une question de survie, bien différente de celle qui se pose aux auteurs et interprètes installés que nous avons rencontrés ou auditionnés ici. La Toile sera par exemple un moyen de trouver à se produire sur scène.
Ma démonstration est terminée. Il convenait de rétablir la vérité des faits car, pendant ces deux mois, nous avons entendu tout et son contraire à ce sujet. Je ne suis pas une ayatollah de la licence globale !
M. Jean Dionis du Séjour. Ah bon ?
Mme Christine Boutin. La seule chose que je puis dire, notamment à M. Dionis du Séjour qui m’attaque en permanence, c’est que vous ne proposez rien à la place ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)
M. Bernard Accoyer. Mais si !
M. le président. Avant de donner la parole à M. Alain Suguenot pour défendre son sous-amendement n° 307, j’indique d’ores et déjà à l’Assemblée que, sur le vote de ce dernier, je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Monsieur Suguenot, vous avez la parole.
M. Alain Suguenot. Il n’y a pas lieu d’être nostalgique d’une licence globale ou légale, ou de toute autre formule. La question est tout simplement d’ordre juridique : l’exception de copie privée existe-t-elle encore dans ce pays ? Comment est-elle définie aujourd’hui ? Aux termes du 2° de l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, cette exception ne s’applique pas dès lors que la reproduction n’est pas strictement réservée à l’usage privé du copiste. En conséquence, si une œuvre est téléchargée puis mise à la disposition d’un tiers, fût-ce à l’intérieur du cercle familial, le copiste devient contrefacteur. Le texte est à ce point restrictif que, pris au pied de la lettre, il exclut du bénéfice de l’exception de copie privée la personne qui, incapable de réaliser elle-même la copie dont elle souhaite disposer pour son seul usage, demande à un ami de le faire à sa place !
Dans ce contexte, une révision des dispositions de l’article L. 122-5 s’impose, et la transposition de la directive sur la société de l’information nous en donne l’occasion. En effet, dans son article 5, elle vise les reproductions effectuées par une personne physique pour « un » usage privé, et non pour « son » usage privé, comme le propose Mme Boutin dans son sous-amendement. Cela change tout, et permet de considérer qu’un téléchargement de base en download ne doit pas être considéré comme un upload, qui en ferait un téléchargement pirate. Ces précisions s’appliquent bien entendu à ceux qui ont versé une rémunération dans le cadre d’une offre légale. On ne peut interdire à celui qui a payé de réaliser une copie : ce serait là vider de leur sens les articles suivants, et singulièrement l’article instituant un collège des médiateurs chargé de fixer le nombre de copies autorisées.
Je vous propose donc de préciser dans la loi que « l’auteur ne peut interdire les reproductions effectuées sur tout support à partir d’un service de communication en ligne par une personne physique pour un usage privé et à des fins non commerciales, à l’exception des copies d’un logiciel autres que la copie de sauvegarde, à condition que ces reproductions fassent l’objet d’une rémunération telle que prévue à l’article L. 311-4 ». Je le rappelle encore une fois, tout ceci doit être entendu dans le cadre de l’offre légale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux sous-amendements ?
M. Christian Vanneste, rapporteur. Défavorable. Nous avons déjà repoussé cette proposition en décembre.
Le sous-amendement ne fait aucune distinction entre le cinéma et la musique. Et quand bien même on s’en tiendrait à la musique, le système légal de rémunération des artistes ainsi institué serait profondément injuste. Par ailleurs, contrairement à ce qui a été affirmé, des décisions de justice, notamment celle de Pontoise en février 2005, ont sévèrement puni les auteurs de téléchargements.
M. Christian Paul. Le jugement de Pontoise était le premier du genre !
M. Henri Emmanuelli. Il y a eu depuis d’autres décisions moins sévères.
M. Christian Vanneste, rapporteur. Cela ne fait pas une jurisprudence, et c’est bien pour cela que la loi doit trancher.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le ministre de la culture et de la communication. Défavorable, pour des motifs déjà exposés. Nous traiterons ultérieurement dans ce débat des questions liées à la copie privée.
M. Jean-Pierre Brard. Avec ça, nous sommes bien avancés !
M. le président. La parole est à M. Jérôme Rivière.
M. Jérôme Rivière. Concernant le droit à la copie d’œuvres téléchargées légalement, nous avons beaucoup parlé des DRM – digital rights management –, qui sont des logiciels de gestion des droits numériques. Il se trouve que l’installation d’un logiciel peer-to-peer peut empêcher le fonctionnement de certains logiciels qui permettent de copier en toute légalité. Cette question, qui relève du droit à la copie privée, sera-t-elle abordée dans le texte ?
M. le président. La parole est à M. Christian Paul.
M. Christian Paul. Je ne doute pas que le ministre répondra à la question très précise qui vient de lui être posée !
En adoptant la proposition de M. Suguenot, le Parlement a la possibilité de reconquérir le droit d’amendement qui lui a été subrepticement ôté dans la nuit de lundi à mardi. Depuis des semaines, nous essayons de construire une solution acceptable par tous et permettant de sortir par le haut de ce débat. Nous avons considéré que la licence globale, ou le prélèvement sur l’Internet sous quelque forme que ce soit, ne devaient pas être optionnels : il faut au contraire les généraliser. Cette solution répond aux demandes exprimées au cours du débat dans notre pays.
De votre côté, monsieur le ministre, vous avez fait une avancée que je reconnais bien volontiers : vous avez enfin cessé de considérer le téléchargement comme de la contrefaçon. Ce n’était pas le cas lorsque vous êtes entré dans l’hémicycle en décembre avec votre projet sous le bras ! Certes, vous nous expliquerez bientôt que la copie relève d’un régime contraventionnel, ce qui trahit une vision encore très archaïque, selon nous, de l’usage de la copie à l’ère numérique. Il n’en reste pas moins qu’il y a eu une avancée. Dès lors, nous devrions nous appuyer sur la jurisprudence, invoquée à tort par M. le rapporteur : s’il y a bien eu des décisions de justice condamnant des internautes, elles se sont raréfiées au fil des mois.
Mon dernier argument en faveur de ce sous-amendement sera celui de l’exception culturelle. Celle-ci repose assurément sur la qualité des artistes français et européens, mais aussi sur la manière de conduire la politique culturelle. Les échanges culturels bénéficient de règles différentes car ils ne peuvent être assimilés à des échanges de services. Les financements sont différents, bien souvent mutualisés grâce à des systèmes de licence, tel celui qui est en vigueur pour la radio, ou de redevance, comme c’est le cas pour la copie privée. Le financement public y a une grande importance.
Ce que nous proposons, c’est de jeter aujourd’hui les fondements de l’exception culturelle à l’âge numérique. Ne pas le faire reviendrait à considérer que la diffusion de la culture peut rester cantonnée à l’univers marchand et aux plateformes commerciales, donc à récuser l’exception culturelle. Voilà pourquoi il faut adopter ce sous-amendement.
M. Alain Joyandet. Mais non, c’est le contraire !
M. le président. Il ne vous aura pas échappé, monsieur Paul, que la procédure adoptée n’interdit nullement l’exercice du droit d’amendement : la preuve en est faite !
La parole est à M. Dominique Richard.
M. Dominique Richard. Le groupe UMP votera contre ce sous-amendement,…
M. Didier Mathus. En êtes-vous bien sûr ?
M. Dominique Richard. …qui est la négation même de l’esprit du texte proposé par le Gouvernement.
M. Henri Emmanuelli. Il a tout compris !
M. le président. La parole est à M. Didier Mathus.
M. Didier Mathus. Je voudrais m’assurer que tous nos collègues ont bien compris : l’alternative à ce sous-amendement, c’est-à-dire le projet du Gouvernement, suppose que l’on installe des DRM sur tous les fichiers qui circuleront sur l’Internet. (« Mais non ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Un DRM n’est rien d’autre qu’un verrou numérique qui distribue les fichiers sur tous les appareils numériques, qu’il s’agisse d’un baladeur, d’un ordinateur personnel ou d’un lecteur de disques compacts. Or ces DRM sont aujourd’hui aux mains de quatre entreprises seulement : Microsoft, Apple, Intertrust et Real Networks. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Henri Emmanuelli. Eh oui ! Cela vous dérange, mes chers collègues de l’UMP, mais c’est ainsi !
M. Didier Mathus. Le chiffre d’affaires de l’industrie de ces logiciels en 2005 s’est élevé à près de 4 milliards de dollars, soit plus que le produit des ventes de disques compacts. Cette loi favorisera donc bien la rémunération de la création… de DRM ! Or ces derniers sont dangereux. Sony en a fait les frais cet automne, quand on a découvert que le verrou posé sur ses disques compacts introduisait à l’insu des utilisateurs un logiciel espion – un rootkit – dans leur ordinateur.
M. Richard Cazenave. Vous mélangez tout ! C’est insupportable !
M. Bernard Accoyer. Je n’ai jamais vu une pareille mauvaise foi !
M. Didier Mathus. C’est la réalité ! Un tel précédent en dit long sur l’éthique qui anime ces industriels !
Soit on se dirige vers un système de reconnaissance de la copie privée, soit on livre les clefs de nos échanges culturels sur l’Internet à ces quatre industriels. C’est ce qu’il faut bien comprendre ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Bernard Carayon. N’importe quoi ! Quelle malhonnêteté !
M. Henri Emmanuelli. Mais non ! C’est la réalité !
M. le président. Du calme, mes chers collègues !
La parole est à M. Frédéric Dutoit.
M. Frédéric Dutoit. Nous voici arrivés à un moment essentiel du débat. Deux visions de l’avenir s’opposent, au-delà des clivages politiques traditionnels : soit l’on se conforme au projet du Gouvernement, et nous devrons accepter, malgré qu’il en ait, les verrous numériques, ou DRM,…
M. le ministre de la culture et de la communication. Mais non !
M. Frédéric Dutoit. …pour assurer une traçabilité et identifier ceux qui se livrent au téléchargement illégal ; soit nous ouvrons la possibilité de faire de l’Internet cet espace de connaissance, d’échange et de diversité culturelle que les internautes du monde entier appellent de leurs vœux. Comme je l’ai dit cet après-midi, nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère. Votre projet de loi est déjà obsolète, monsieur le ministre.
M. Jean-Yves Le Déaut. Eh oui ! C’est un projet du passé !
M. le ministre de la culture et de la communication. Nous serons au contraire les premiers en Europe !
M. Frédéric Dutoit. Les téléchargements se feront de toute façon. Mieux vaut s’attacher à assurer une rémunération effective et juste aux auteurs.
M. le président. La parole est à Mme Martine Billard. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Alors que seuls un orateur pour et un orateur contre auraient dû s’exprimer, j’ai donné la parole, à titre exceptionnel, à deux orateurs du groupe de l’UMP, deux du groupe socialiste, un communiste et un vert.
M. Alain Joyandet. Donc le groupe de l’UMP a encore droit à une intervention !
M. le président. Certainement pas ! Nous nous en tiendrons là.
Vous avez la parole, madame Billard.
Mme Martine Billard. Pour les députés verts, je voterai le sous-amendement de M. Suguenot, qui propose l’exacte transposition de l’article de la directive que j’ai cité tout à l’heure.
M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 301.
(Le sous-amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je vais donc mettre aux voix le sous-amendement n° 307.
Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.
…………………………………………………………
M. le président. Le scrutin est ouvert.
…………………………………………………………
M. le président. Le scrutin est clos.
Voici le résultat du scrutin :
L’Assemblée nationale n’a pas adopté.
La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.
M. le président. Mercredi 8 mars 2006, à quinze heures, première séance publique :
Questions au Gouvernement.
Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour l’égalité des chances :
Rapport, n° 2931, de M. Laurent Hénart.
À dix-neuf heures :
Explications de vote et vote, par scrutin public, sur le texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour l’égalité des chances.
À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :
Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 1206, relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information :
Rapport, n° 2349, de M. Vanneste, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l’Assemblée nationale,
jean pinchot