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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 14 mars 2006

168e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. YVES BUR,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

services dans le marché intérieur

Discussion d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (n° E2520), (nos 2923, 2939).

La parole est à M. Alain Bocquet, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Alain Bocquet, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales, mes chers collègues, la construction européenne est en crise. L’Acte unique, en 1986, puis le traité de Maastricht, en 1992, ont subordonné les politiques publiques à l’impératif de compétitivité des entreprises et, en réalité, à la rentabilité des placements financiers. Cette logique antisociale a été rejetée le 29 mai 2005 par les Français, le 1er juin par nos voisins néerlandais.

Or c’est dans cette logique que s’inscrit la directive Bolkestein qui, plutôt que d’en favoriser l’harmonisation par le haut, conçoit les acquis sociaux nationaux comme des exceptions à justifier au cas par cas, selon l’appréciation des juges européens. Adoptée en janvier 2004 par la Commission – dont faisaient d’ailleurs partie Michel Barnier et Pascal Lamy –, cette directive étendait le principe du pays d’origine à des secteurs très larges sans harmonisation préalable et assurait le triomphe d’une libre concurrence porteuse de moins-disant social, fiscal et environnemental.

Évidemment, les partisans de la Constitution européenne ont longtemps essayé de faire croire que la France avait obtenu la disparition de cette directive. Mme Colonna persiste d’ailleurs dans cette voie, puisqu’elle déclarait il y a peu dans cette enceinte : « Le principe du pays d’origine est éliminé, les services publics seront préservés, les secteurs sensibles également. Et, surtout, c’est le droit du travail français qui s’appliquera en France, comme il se doit. »

M. Renaud Dutreil, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Eh oui !

M. Alain Bocquet, rapporteur. « Il n’y a donc plus aujourd’hui, poursuivait-elle, de risque de dumping social. C’est heureux, car ce n’est pas ce que nous voulions. Non seulement il n’y a plus aujourd’hui de directive Bolkestein, mais il n’ y en a jamais eu. »

M. Jean-Claude Lefort. Merveilleux !

M. Alain Bocquet, rapporteur. La réalité est bien entendu tout autre. La résolution votée par notre assemblée le 15 mars 2005 demandait une harmonisation du droit applicable aux services, mais elle se gardait d’exiger que celle-ci se fasse par le haut. Depuis, la crise économique et sociale s’est aggravée en France et en Europe et les Français ont désavoué, le 29 mai dernier, l’immense majorité de notre assemblée et du Sénat qui, réunis en Congrès à Versailles, avait apporté sa caution au postulat d’une Europe ultralibérale. Aussi la proposition de résolution qui vous est soumise vise-t-elle à réitérer la demande d’une harmonisation par le haut, et donc le retrait de la directive sur les services.

Le compromis du Parti socialiste européen et du Parti populaire européen voté le 16 février à Strasbourg est un trompe-l’oeil. Contrairement à ce qui est affirmé, le principe du pays d’origine n’a pas disparu. L’expression a été supprimée des articles, mais elle figure toujours à deux reprises dans les considérants. La droite du Parlement européen refuse d’écrire en toutes lettres que le principe du pays de destination s’appliquera.

Dans la proposition initiale, l’État d’origine devait s’assurer que ses ressortissants respectent ses règles sur le territoire d’autres États membres. Le Parlement européen a renversé la charge du contrôle, qui incombe dorénavant à l’État membre d’accueil. Ce progrès est conforme, en apparence, aux demandes de notre assemblée et du Gouvernement, mais l’amélioration est faible, puisque, de fait, le principe du pays d’origine subsiste bel et bien. On demandera, par exemple, à la France de contrôler qu’une entreprise portugaise applique certaines règles du droit portugais sur le territoire français. En outre, aucune réponse n’est apportée aux objections du Conseil d’État relatives à l’égalité devant la loi.

Quant au régime d’autorisation, il change peu, car le nouvel article 16 dresse une liste très détaillée des exigences que les États ne peuvent imposer, alors que seules des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de protection de l’environnement et de santé publique leur permettent de prendre des mesures protectrices. Les États conservent par ailleurs le droit d’appliquer leurs réglementations sur les conditions d’emploi, mais seulement si elles satisfont aux principes suivants de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité, ce que la Cour de justice européenne appréciera. On peut donc redouter que les cas de dumping social ne se multiplient, comme ce fut le cas pour la centrale EDF de Porcheville, le palais de justice de Thonon et les sous-traitants surexploités de Saint-Nazaire.

En outre, rien n’est prévu pour les travailleurs indépendants. Il faut donc craindre la multiplication de faux salariés indépendants, utilisés pour contourner, par exemple, la directive de 1996 sur le détachement des salariés.

Seuls les services d’intérêt économique général sont clairement exclus, mais ils font déjà l’objet d’une directive sectorielle de libéralisation. Je pense à la poste, à la distribution d’eau ou d’énergie, au traitement des déchets et aux services sociaux à caractère économique. Il ne s’agit donc pas d’une grande conquête.

En ce qui concerne les services publics, la Commission estime qu’il n’est « pas possible d’établir a priori une liste définitive de tous les services d’intérêt général devant être considérés comme non économiques ». Néanmoins, seules les activités les plus régaliennes échappent en fait à la définition de l’activité économique par la Cour de justice. L’amendement 73 précise bien que la directive ne s’applique pas aux services d’intérêt général, mais ceux-ci ne comprenant pas les services d’intérêt économique général et la Commission refusant de définir clairement l’étendue respective des uns et des autres, on s’interroge sur la portée de cette exclusion.

Certes, le vote européen du 16 février atténue certains des points les plus ultralibéraux du projet,…

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Ah !

M. Alain Bocquet, rapporteur. …mais l’analyse de la proposition initiale et des amendements du Parlement témoigne du caractère illusoire de ces avancées. Je pense l’avoir suffisamment montré dans mon rapport écrit : les compromis adoptés par le Parlement européen sont si ambigus qu’ils aboutissent à le dessaisir de compétences au profit de la Cour de justice des Communautés européennes, dont la jurisprudence privilégie le principe du pays d’origine. Dans ces conditions, il n’y a pas d’autre solution que d’en appeler au retrait du texte.

Notre assemblée a déjà examiné trois résolutions sur la directive Bolkestein, dont celle qui a été adoptée à l’unanimité le 2 février 2005 par la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne en faveur de son retrait. Dans sa déclaration télévisée du 14 juillet 2005, le Président de la République lui-même s’est fait l’écho de cette position, puisqu’il se déclarait préoccupé de voir « ressortir des directives qui nous inquiéteraient. Je pense, ajoutait-il, à la directive “services” ou à la directive “temps de travail”. Il ne faudrait pas qu’elles ressortent en raison du flou actuel. J’y serai naturellement très attentif. »

M. Jérôme Lambert. On voit le résultat !

M. Alain Bocquet, rapporteur. La présente proposition de résolution du groupe des députés communistes et républicains préconise le retour à la position de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne. Dans la procédure de codécision, l’initiative des textes appartient à la Commission, qui peut retirer ses propositions, comme elle a dû le faire avec le texte sur les services portuaires, rejeté par le Parlement européen sous la pression du mouvement social. Quant au Conseil européen, il devrait se prononcer avant cet été. La France peut donc agir utilement, efficacement, avant une deuxième lecture par le Parlement européen au printemps 2007.

Il est essentiel que notre pays soit à l’offensive pour demander le retrait d’une directive qui émane d’une Commission dont le programme est d’accentuer la libéralisation des économies sans se préoccuper de la pérennité des services publics ni du renforcement des droits sociaux.

Les partisans du compromis adopté le 16 février expliquent que, sans cette directive, la Cour de justice européenne donnera libre cours à une jurisprudence libérale, mais c’est déjà le cas et la directive est destinée, en fait, à servir de support à la poursuite de cette jurisprudence. Il faut donc donner un coup d’arrêt à cette évolution.

Le refus de toute référence explicite au droit du pays de destination doit mobiliser notre assemblée. Le compromis voté à Strasbourg le 16 février n’écarte aucun des dangers essentiels qui pèsent sur l’activité économique, menacée d’une dérégulation supplémentaire, ainsi que sur le monde du travail et l’avenir des droits sociaux, menacés, eux, de nouveaux reculs. Malgré le vote contraire de la majorité de notre commission des affaires économiques, j’en appelle à votre sagesse pour approuver cette proposition de résolution et demander le retrait d’une directive inacceptable, contestée et décriée. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne comprends pas cette obstination à ne pas voir l’importance des évolutions qui sont survenues.

M. André Gerin. C’est normal !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Deux chiffres suffisent à rappeler l’importance du sujet : les services représentent 70 % du PIB et seulement 20 % des échanges en Europe. Or la France est le plus grand exportateur de services.

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. C’est vrai !

M. Jérôme Lambert. Dans le cadre de la réglementation actuelle !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Qu’il s’agisse des services à la personne ou aux entreprises, ce secteur très dynamique de notre économie représente un gisement d’emploi considérable.

Pour nous donner les moyens de développer ces services en concertation avec nos partenaires européens sans laisser la Cour de justice faire le travail à notre place, un texte est nécessaire. L’an dernier, nous avons eu ce débat, monsieur Bocquet. Nous avons été les premiers, à l’UMP et à la commission des affaires économiques…

M. André Gerin. C’est faux !

M. Patrick Ollier, président de la commission.
…– nous n’avions pas alors le plaisir de vous compter parmi nous – à faire en sorte que l’on puisse rejeter ce que l’on appelait à l’époque la « directive Bolkestein » (« C’est faux ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), en organisant, notamment le 1er mars 2005 et le 8 mars dernier, un débat sur ce sujet. Je n’ai rien contre M. Bolkestein, mais, à l’époque, j’étais moi aussi convaincu que ce qu’il proposait – et qui n’était en rien acté – (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. André Gerin. M. Barnier l’avait approuvé au sein de la Commission !

M. Patrick Ollier, président de la commission. …n’était pas utile à l’intérêt général. Le Président de la République et le Gouvernement étaient d’ailleurs exactement sur la même ligne. À la suite du vote de la délégation aux affaires européennes – au sein de laquelle M. Lequiller a mené le combat, et je l’en félicite –, un débat a donc été organisé au terme duquel l’Assemblée nationale a exigé le réexamen de la directive.


Le 15 mars 2005, lors de l’examen d’une proposition de résolution de Mme Comparini, notre collègue Lecou a présenté un rapport extrêmement intéressant et nous avons eu un débat consensuel, à l’issue duquel nous avons décidé trois choses.

Premièrement, nous avons exigé la remise à plat d’un texte qui était jugé inacceptable. Deuxièmement, nous avons demandé avec force l’harmonisation du droit applicable aux services. Troisièmement, enfin, nous avons demandé que l’Union européenne prenne l’initiative de préparer une directive sur les services d’intérêt général, rejoignant en cela les propositions faites par la délégation aux affaires européennes.

Nous avons obtenu satisfaction (Rires et exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) sauf en ce qui concerne cette directive, sur laquelle nous continuons à nous battre. Aujourd’hui, où en est le débat ? J’ai été très attentif aux arguments que vous avez exposés, monsieur Bocquet, et je précise, pour que ce soit bien clair, que je n’adhère pas à tout ce que vous affirmez. De la même façon, vous n’avez pas réussi à convaincre la commission des affaires économiques. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Sur le principe du pays d’origine, vous avez tort d’écouter le chant des sirènes, qui ne correspond pas aux réalités du texte qui est proposé aujourd’hui. En effet, il est explicitement précisé que la directive services ne porte pas atteinte aux garanties offertes par la directive sur le détachement des travailleurs et que ni le droit pénal, ni le droit du travail, ni le droit fiscal ne sont concernés.

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Tout à fait !

M. André Gerin. Ce n’est pas vrai !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Il n’y a donc pas lieu de craindre les conséquences que vous annoncez, monsieur Bocquet.

M. Jean-Claude Sandrier. C’est pire !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Les États peuvent imposer toutes les exigences qu’ils souhaitent pourvu que celles-ci soient nécessaires, proportionnées et non discriminatoires.

Enfin, le Parlement européen a supprimé les articles que nous avions estimés inacceptables, qui interdisaient le maintien de la déclaration préalable et soumettaient la réglementation des États membres à l’aval de la commission. Nous avons donc obtenu satisfaction, mes chers collègues, (« Mais non ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) et il est vain de chercher à affirmer le contraire de ce que le texte lui-même démontre. M. le ministre nous le confirmera certainement dans quelques instants.

J’en viens au problème du dumping social. Nous avons, le 2 août 2005, voté une loi sur les PME qu’il me plaît d’appeler « loi Dutreil », adoptée avec une série d’amendements du Gouvernement – que l’on pourrait qualifier, monsieur le ministre, d’« anti-Bolkestein ».

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Oui, pourquoi pas ?

M. Patrick Ollier, président de la commission. Même si M. Bolkestein n’a plus rien à voir dans cette affaire, il est bon, pour marquer l’opinion publique, de souligner que ces amendements témoignaient de la volonté de la majorité et du Gouvernement de rejeter ce que M. Bolkestein avait alors proposé.

M. Jean-Claude Sandrier. La révolution est en marche !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Un nouveau chapitre sur le détachement des travailleurs a été créé dans le code du travail, étendant les garanties résultant de la directive de 1996, offrant de fortes garanties sociales aux travailleurs et permettant de lutter contre les fraudes.

En ce qui concerne le champ d’application de la directive, il est clair que le Parlement européen a considérablement augmenté la liste des exclusions sectorielles – mais vous vous êtes bien gardé de le dire, monsieur Bocquet ! Les services d’intérêt général sont exclus de ce champ d’application, de même que les services qui poursuivent un objectif d’aide sociale, les services de crédit, l’ensemble des services de transport, les agences de travail temporaire, les services portuaires.

M. Jérôme Lambert. Ces dérogations ont fait l’objet de directives spécifiques !

M. André Gerin. Oui, des directives particulières !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Bref, je ne veux pas vous assener la litanie des exclusions sectorielles que la majorité et le Gouvernement français ont obtenues, mais la liste de ces exclusions est considérable – et incontestablement rassurante pour l’avenir de ce projet.

Mme Geneviève Gaillard. Je ne vois pas en quoi !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Sur le principe même de la directive, je considère, à l’instar de la commission des affaires économiques, que la construction de l’Europe, à laquelle nous aspirons, exigeait d’avancer. N’en déplaise à ceux qui ne veulent pas de l’Europe et ne perdent jamais une occasion de s’opposer à tout ce qui peut favoriser sa progression. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. André Gerin. C’est l’Europe des puissants que nous rejetons !

M. le président. Libre à ceux-là de recourir à une argumentation anti-européenne…

M. Jean-Claude Lefort. La majorité des Français est anti-européenne ? Allons !

M. Patrick Ollier, président de la commission. …reflet d’une position que j’estime respectable, même si je la critique. Cela étant, dans l’optique de la construction de l’Europe, à laquelle nous sommes favorables – ce que, pour votre part, je ne vous ai pas entendu dire, monsieur Bocquet…

M. Alain Bocquet. Je l’ai pourtant dit !

M. Patrick Ollier, président de la commission. …j’estime que ce qui nous est proposé aujourd’hui est satisfaisant dans le principe. C’est pourquoi je souhaite que l’Assemblée nationale suive les conclusions de la commission des affaires économiques et rejette la proposition de résolution de M. Bocquet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. André Gerin. Vive le libéralisme !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Lefort.

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Ah, un libéral !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Voilà quelqu’un qui va être d’accord avec moi !

M. Jean-Claude Lefort. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en déposant cette résolution relative au texte sur les services adopté par le parlement européen en février dernier, le groupe communiste et républicain fait œuvre utile et salutaire.

Il fait œuvre utile car il permet qu’une question européenne, majeure au demeurant, vienne en discussion en séance plénière. Voilà qui est suffisamment inédit pour être salué. Les questions européennes doivent assurément impliquer davantage les parlements nationaux. C’est ce que nous permettons aujourd’hui.

Notre groupe fait aussi œuvre utile dans la mesure où le texte qui vous est soumis porte sur la nouvelle directive services qui résulte de la contestation, exprimée sur tous les bancs, de la fameuse directive dite Bolkestein.

Il est donc non seulement normal, mais très important, que nous donnions notre opinion sur cette nouvelle mouture, d’autant que celle-ci doit être examinée au Conseil européen à la fin du mois et n’est donc pas encore définitivement adoptée.

Certes, au Parlement européen, seuls l’ensemble des députés de notre groupe et les députés socialistes et Verts élus en France ont rejeté ce nouveau texte, les députés UMP et UDF votant pour.

Mme Anne-Marie Comparini. Les socialistes ont voté pour !

M. Jérôme Lambert. Non, pas les socialistes français !

M. Jean-Claude Lefort. Il est intéressant de voir si aujourd’hui, à l’Assemblée nationale, les uns et les autres resteront fidèles aux positions qu’ils avaient exprimées avant le référendum.

En effet, si le projet de directive a été amplement remanié, il n’a pas été remis à plat, comme on nous l’avait promis. L’opposition que la directive avait suscitée a certes été prise en considération, mais on s’est livré à un véritable tour de passe-passe : le principe du pays d’origine, que tous avaient formellement rejeté malgré des positions divergentes exprimées lors du referendum, a été réintroduit de façon implicite.

Puisque affirmer n’est pas démontrer, je vais m’efforcer de vous en convaincre le plus clairement possible – je dis bien « m’efforcer » car ce texte fourmille de contradictions, d’ambiguïtés et d’obscurités délibérément entretenues, résultat des compromis passés entre le PPE et le PSE.

J’exposerai aussi les principes sur lesquels le Gouvernement devra s’engager par rapport à un texte qui, malgré quelques modifications, reste absolument fidèle à l’esprit du précédent, voté par tous les États membres – contrairement à ce qu’a dit M. Ollier – y compris la France.

M. Jean-Claude Sandrier. Très bien !

M. Jean-Claude Lefort. Un premier problème majeur concerne le principe du pays d’origine.

Certes ces trois mots ont été quasiment supprimés du texte. Je dis bien « quasiment », car il a échappé aux auteurs, certainement dans la précipitation des négociations, que le principe du pays d’origine reste explicitement présent dans le texte. En effet, dans le nouveau considérant 40 bis, on peut lire que « les règles du pays d’origine ne s’appliquent pas aux dispositions des États membres où le service est fourni, qui réservent une activité à une profession particulière, par exemple l’exigence qui réserve le conseil juridique aux seuls avocats ». Cela veut bien dire qu’il s’applique partout ailleurs, à quelques exceptions près sur lesquelles je reviendrai.

Le Parlement européen a non pas supprimé, mais remplacé – c’est plus qu’une nuance – le principe du pays d’origine par un autre article, tout aussi net. Est ainsi retenu le principe suivant : « les États membres respectent le droit des prestataires de services de fournir un service dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis. L’État membre dans lequel le service est fourni garantit le libre accès à l’activité des services ainsi que son libre exercice sur son territoire », ce qui constitue la reprise pure et simple de l’article 50 du traité.

On en revient donc à une disposition du traité qui n’entre pas en conflit avec le principe du pays d’origine, sur lequel était assis le précédent texte dit Bolkestein. Pour que la suppression des mots « principe du pays d’origine » entraîne une conséquence réelle, il aurait fallu adopter à la place un tout autre principe : celui du pays de destination. Un amendement a d’ailleurs été déposé en ce sens au Parlement européen, mais il a été rejeté par la coalition PPE-PSE. Ce principe n’existe donc pas dans la nouvelle mouture. Pourquoi la France n’exigerait-elle pas la mention explicite de ce nouveau principe ? Une telle position aurait le mérite de la clarté.

Commentant un mémoire en défense déposé par la France afin de soutenir la Suède opposée à la Lettonie devant la Cour de justice européenne dans une affaire de même nature, Mme Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, a déclaré que ce mémoire français était : « un signal clair contre toute tentative de dumping social ». Elle a ajouté : « la France défend la primauté du droit social du pays de destination, et non celui du pays d’origine. C’est le droit social suédois qui doit s’appliquer en Suède, comme c’est le droit social français qui doit s’appliquer en France. Nous continuerons aussi à défendre ce principe simple et protecteur des droits des travailleurs dans le cadre de la négociation sur la proposition de directive services ».

Vous avez bien entendu, mes chers collègues, « la France défend le principe du pays de destination », « un principe simple et protecteur ». or, ce principe n’est pas dans ce texte, tout au contraire.

M. Jean-Claude Sandrier. Il faut l’écrire !

M. Jean-Claude Lefort. Voilà un premier motif de soutenir notre proposition et un premier engagement que nous demandons au Gouvernement de prendre devant la représentation nationale.

M. André Gerin. Que dites-vous de cela ?

M. Jean-Claude Lefort. Si tel n’était pas le cas, le texte laisserait libre cours à la Cour de justice pour dire le droit. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les eurodéputés : ils se sont défaussés sur la Cour, certains qu’elle trancherait en faveur du principe du pays d’origine. C’est ce qu’on peut appeler « le triomphe du politique par la mort du politique », car la Cour a déjà statué en ce sens en se basant sur le traité. Je pourrai citer de nombreux jugements, mais je n’en retiendrai que l’esprit, qui lui est constant. Pour la Cour, invoquer une législation nationale rend « illusoire la libre prestation de services ». C’est logique si la liberté de prestation n’est pas soumise au principe du pays de destination. Sans être consacré expressément, le principe du pays d’origine est donc maintenu ! Qui peut être dupe de cela et l’accepter ?

Second point : la directive sur le détachement des travailleurs qui peut, selon le texte revu de la directive services, être invoquée par un État membre.

Trois choses doivent être dites à ce propos. Tout d’abord, cette directive détachement ne concerne que les travailleurs détachés. Elle n’impose donc pas du tout un ensemble de conditions à remplir par un simple prestataire de services. En second lieu, cette directive détachement est largement a minima, actuellement en discussion au Parlement européen après l’adoption de la directive services ! Préciser, par exemple, que le salaire minimum du pays d’accueil doit être respecté pourrait ainsi aboutir à ce qu’un ingénieur étranger détaché en France soit payé au SMIC ! Et cela ne serait pas du dumping social ? Enfin, troisièmement, qui peut croire qu’un État seul puisse invoquer cette directive si les autres ne la respectent pas ? Cela introduirait un tel différentiel que personne ne se risquerait à se placer défavorablement dans une évidente distorsion de concurrence.

Il en va de même pour la possibilité offerte à un État membre d’invoquer son droit pénal, une possibilité théorique, mais sans aucune portée concrète.


On le voit aujourd’hui même avec l’affaire des chauffeurs venus d’ailleurs et payés six fois moins que leurs collègues français, ce qui aboutit à faire baisser de 25 % les charges des entreprises de transport routier. C’est légal, dit-on ! En effet, si l’on prend en compte que la directive détachement s’applique uniquement pour une prestation supérieure à huit jours. Et rien ne changera avec cette directive !

M. Jean-Claude Sandrier. Quel recul !

M. Jean-Claude Lefort. C’est pourquoi, et c’est une seconde condition que nous posons, il faut que cette directive détachement soit revue. Il faut qu’elle permette une harmonisation sociale par le haut conformément à l’esprit du traité fondateur de l’Union.

Or nous n’en sommes pas là, bien au contraire. Pourtant, la directive services est prête. Si nous laissions faire c’est encore le marché qui dicterait sa loi contre l’humain. Il faut donc une harmonisation par le haut préalablement à cette directive. La délégation pour l’Union européenne examinant le projet de directive Bolkenstein indiquait que celle-ci rompait avec la conception européenne de cohésion et de convergence. Rien n’a changé non plus de ce point de vue.

M. Pierre Lequiller. Tout a changé, au contraire !

M. Jean-Claude Lefort. Nous devrions donc tous nous opposer à cette nouvelle rédaction et obtenir des engagements clairs du gouvernement sur ce point.

Troisième et dernier point, les exemptions concernant, ce que nous appelons en France – mais aussi dans plusieurs pays européens – les services publics. Une conception que ne recouvre, comme le dit expressément la Commission, ni la notion de SIG – service d’intérêt général – ni celle de SIEG – service d’intérêt économique général.

La directive énonce une série d’exceptions à sa mise en œuvre. Il s’agit principalement des services rendus dans le cadre des missions régaliennes de l’État et elle ajoute aussi des secteurs déjà couverts par une directive particulière.

Certes les SIG sont exemptés. Mais cela n’a tout simplement aucun sens puisque, depuis belle lurette, depuis le Conseil de Laken exactement, les SIG n’existent plus en droit européen. Exempter un objet sans existence juridique procède de l’artifice pur et simple, on l’admettra.

Quant aux SIEG la présentation de la directive peut surprendre mais ne doit pas nous conduire à nous méprendre. Elle précise en effet, dans son considérant 8 bis, que « la présente directive ne devrait pas s’appliquer aux SIEG ». Puis, toujours selon le même considérant, le « devrait » prend tout son sens. Il est en effet précisé quatre lignes plus loin que « les dispositions de la présente directive ne s’appliquent que dans la mesure où les activités [des SIEG] sont ouvertes à la concurrence ». Or les SIEG sont précisément tous ouverts à la concurrence !

De sorte que, hormis les exceptions déjà soulignées, les services publics qui existent en Europe sont couverts par cette directive. Et nous devrions accepter cela ?

Voilà trois raisons majeures, mes chers collègues, qui nous font refuser cette nouvelle directive et qui devraient amener logiquement notre assemblée, si chacun reste fidèle à ses propos et à ses engagements d’hier, à la refuser avec nous.

M. André Gerin. Le Gouvernement aussi doit la refuser !

M. Jean-Claude Lefort. Tous ceux qui ont refusé la directive « Bolkenstein 1 » ne peuvent que refuser cette nouvelle directive que l’on peut sans excès baptiser de directive « Bolkenstein 2 ». C’est en tout cas ce que nous ferons. La logique et la fidélité sont avec nous. À vous de dire maintenant si la même logique et la même fidélité vous animent. À vous de dire « oui » ou « non » au dumping social, de dire aussi « oui » ou « non » aux délocalisations ! Pour nous c’est clair et net : c’est toujours « non » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. Patrick Ollier, président de la commission. Le drame avec vous, c’est que c’est toujours non !

M. André Gerin. Le Gouvernement doit se dévoiler ! Il faut mettre un terme au double langage !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Oh !

M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller.

M. Pierre Lequiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a tout juste un an, notre Assemblée se prononçait sur le projet de directive sur les services. Aujourd’hui, nous est donnée une deuxième occasion de nous exprimer sur ce projet de directive, dont la portée et. le contenu ont été profondément modifiés par le Parlement européen le 16 février dernier, comme l’a très bien souligné Patrick Ollier. Certes, vous partez du principe, monsieur Lefort que rien n’a changé. Mais, en réalité, un énorme travail a été accompli par le Parlement européen, et je tiens à le saluer.

M. Jean-Claude Sandrier. Un travail de camouflage !

M. Pierre Lequiller. Je veux rendre ici hommage à la démocratie européenne.

Entre ces deux débats dans l’hémicycle, la délégation de l’Assemblée pour l’Union européenne, avec notamment Anne-Marie Comparini, notre rapporteur, et Robert Lecou a également effectué un important travail de réflexion et de suivi en liaison étroite avec les membres du Parlement européen. Le 30 novembre dernier, et c’était une grande première, les députés de la délégation se sont également rendus à Bruxelles pour une réunion de travail avec Évelyne Gebhardt, rapporteure socialiste du texte au Parlement européen.

Je reviendrai dans un instant sur l’ampleur des améliorations apportées sur le fond par le Parlement européen au texte proposé par la Commission européenne. Au préalable, je voudrais mettre l’accent sur la qualité remarquable des discussions que nous avons eues avec les députés européens.

Le Parlement européen sort considérablement renforcé de ce débat. Il a mené une réflexion approfondie, qui lui a permis de bâtir, face au texte de la Commission dont certains aspects étaient tout simplement inacceptables, un véritable contre-projet, constructif et équilibré, auquel les députés européens français ont apporté une contribution majeure. Je voudrais notamment citer Jacques Toubon qui a beaucoup œuvré pour faire évoluer le texte en particulier sur le principe du pays d’origine.

L’accord trouvé entre les groupes politiques est un modèle de compromis. Aucun des groupes ne pouvait imposer, bien sûr, l’ensemble de ses positions de départ : les positions les plus extrêmes ont été écartées, et la plupart des membres des groupes PPE-DE et PSE, à l’exception remarquée des socialistes français, ont accepté de renoncer à quelque chose afin que le résultat final soit acceptable pour une large majorité. C’est la définition même du travail parlementaire. Je ferai d’ailleurs remarquer au passage que les socialistes français ont semblé divisés sur la question, en témoignent la position de M. Rocard ou de M. Savary lors du vote, ou les déclarations de Jean-Marc Ayrault regrettant la position du parti socialiste français au Parlement européen.

C’est désormais sur la base de ce texte que les travaux législatifs vont se poursuivre. M. Lefort l’appelle « Bolkestein 2 ». Mais il n’est plus pertinent aujourd’hui de parler de « directive Bolkestein », tant le texte a été modifié.

M. Jean-Claude Lefort. Vous allez avoir du mal à nous convaincre de cela !

M. Pierre Lequiller. Le texte adopté par le Parlement réoriente radicalement les travaux, dans un sens bien plus conforme aux demandes des autorités françaises, et de la commission des affaires économiques comme de la délégation pour l’Union européenne.

La Commission européenne présentera, le 4 avril, une proposition révisée de directive. Sa valeur se mesurera à la façon dont elle respectera les positions exprimées par le Parlement européen en première lecture, sous peine de voir celui-ci rejeter le nouveau texte en seconde lecture comme il en aura le pouvoir.

Les États membres, au sein du Conseil, vont maintenant travailler à rapprocher leurs positions, dans un esprit, espérons-le, aussi constructif que celui des membres du Parlement européen.

Le texte résultant du vote au Parlement européen ne constitue pas seulement une victoire de celui-ci en tant qu’institution, mais également une victoire sur le fond. Il rend caduques, en effet, la plupart, voire toutes les objections que nous avions exprimées, mes chers collègues, il y a un an, au sein de la délégation européenne et de la commission des affaires économiques.

À travers la résolution adoptée par notre Assemblée le 15 mars 2005, nous avions demandé que les services d’intérêt général soient clairement exclus du champ d’application de la directive.

M. Jean-Claude Lefort. Cela n’existe pas !

M. Pierre Lequiller. Nous avions souhaité voir clairement inscrite dans cette directive la primauté des textes communautaires sectoriels sur ces dispositions. Nous avions demandé qu’aucune directive horizontale visant à mettre en œuvre le marché intérieur ne s’applique aux services audiovisuels, aux services de santé et d’aide sociale et aux transports. Nous avions résolument demandé l’abandon du principe du pays d’origine.

Et nous avons obtenu satisfaction sur tous ces points !

Plusieurs députés du groupe socialiste. Non !

M. Pierre Lequiller. Nous sommes donc parvenus à une véritable remise à plat, pour reprendre les termes de la rapporteure socialiste, Mme Gebhardt, qui a considéré que le principe du pays d’origine a été clairement abandonné.

Or, la proposition de résolution que nous examinons ce matin vise à faire croire le contraire.

M. Jean-Claude Lefort. Parce que telle est bien la réalité !

M. Pierre Lequiller. Elle fait référence au principe du pays d’origine, alors que celui-ci a bel et bien disparu du texte.

M. Jean-Claude Lefort. Faux !

M. Pierre Lequiller. Il a été remplacé par un dispositif nouveau,…

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Eh oui !

M. Pierre Lequiller. …permettant à l’État d’accueil d’imposer aux prestataires venus d’autres États membres des restrictions à l’exercice de leur activité fondées sur « des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de protection de l’environnement et de santé publique ».

La libre prestation de services et la liberté d’établissement, auxquelles cette directive donnera une nouvelle impulsion, font partie des principes fondateurs du marché intérieur européen puisque c’est le traité de Rome lui-même qui les a formulés. Les citoyens européens, les consommateurs européens, les chefs d’entreprise, les prestataires de service salariés ou indépendants, verraient la construction européenne prendre vie et se rapprocher d’eux au quotidien si ces deux libertés prenaient enfin leur pleine ampleur.

La future directive contribuera à l’approfondissement du marché intérieur européen, et ainsi au dynamisme de la croissance économique en Europe, avec les conséquences positives qu’on peut en attendre en termes d’emplois, notamment pour la France qui est l’un des grands exportateurs de services dans le monde et en Europe.

Pour autant, le texte final devra assurer la protection d’impératifs également légitimes, comme la protection des consommateurs, et surtout ne pas constituer une source d’insécurité juridique pour les prestataires de services et leurs clients. II convient donc, bien sûr, de rester vigilants : nous suivrons avec la plus grande attention, au sein de notre délégation pour l’Union européenne, les travaux ultérieurs de la Commission, du Conseil et du Parlement européen.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Très bien !

Mme Geneviève Gaillard. Le Parlement européen ne fera plus rien !

M. Pierre Lequiller. Mais à ce stade, compte tenu des évolutions majeures introduites par le Parlement européen, la proposition de résolution qui nous est présentée par le groupe des député-e-s communistes et républicains ne peut évidemment être acceptée. Elle repose sur le refus de voir en face les changements profonds auxquels a procédé le Parlement européen, et donc de prendre en compte les fruits de la démocratie parlementaire européenne.

Comme l’ont fait la délégation pour l’Union européenne et la commission des affaires économiques, le groupe UMP votera donc le rejet de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite de l’initiative du groupe des député-e-s communistes et républicains qui, avec cette proposition de résolution, permettent à notre Assemblée de se prononcer sur le projet de directive relative aux services dans le marché intérieur, connue sous le nom de directive Bolkestein.

Cette directive, qui consacre la mise en concurrence des salariés et le nivellement de la protection sociale par le bas, applique à la lettre le principe de la concurrence libre et non faussée, fondement du projet de Constitution européenne qui a été massivement, et heureusement, rejetée par les Français lors du vote du 29 mai dernier.

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Ce n’est pas ce que disait le parti socialiste !

M. Marc Dolez. Le vote du 29 mai doit être respecté et, par conséquent, la directive Bolkenstein retirée. C’est une exigence que, fort du verdict des Français, le Président de la République devrait défendre devant le Conseil européen de la fin du mois et que le Gouvernement devrait porter devant le conseil des ministres de l’Union lorsque celui-ci sera amené à examiner le texte.

Ce n’est malheureusement pas le cas puisque, après nous avoir expliqué pendant la campagne référendaire que la directive était enterrée, on nous dit aujourd’hui que, compte tenu des amendements récemment apportés par le Parlement européen, elle serait devenue acceptable.

M. Patrick Ollier, président de la commission. C’est la vérité !

M. Marc Dolez. Je ne partage pas du tout cette appréciation. Le texte de la proposition de directive, même modifiée par le Parlement européen, le 16 février dernier, n’est pas moins dangereux que dans sa première version. Il est même plus dangereux dans la mesure où ses intentions, qui sont identiques aux objectifs initiaux, sont davantage implicites qu’explicites, plus cachés qu’affirmés.


Devant le Parlement européen, le commissaire McCreevy a d’ailleurs été très clair : les modifications qui font obstacle à la libre circulation des personnes ne sont pas acceptables.

Je m’attarderai sur deux amendements – soi-disant positifs – qui ont modifié la directive en ce qui concerne les services publics et le principe du pays d’origine.

Les services publics ne sont pas explicitement exclus du champ d’application de la directive. D’une part, les services d’intérêt économique général – SIEG – regroupent des services du secteur marchand qui, de toute façon et par la définition qu’en donne le traité de Maastricht, sont soumis aux règles de la concurrence ; d’autre part, les services d’intérêt général – SIG – n’existent pas en droit européen. En effet, la Commission ne connaît que la définition des services de la jurisprudence de la Cour de justice, pour laquelle une activité dans le domaine des services est une activité fournie en échange d’une contrepartie économique.

J’en viens au principe du pays d’origine. Face au mécontentement croissant et à la forte mobilisation de ces dernières semaines, l’énoncé du principe a disparu du texte, mais la substance a été conservée. En effet, aucune indication n’a été introduite dans le texte pour préciser que c’est le contraire du principe du pays d’origine qui s’applique, c’est-à-dire le principe du pays de destination.

J’ajoute qu’un amendement, déposé lors des débats du Parlement européen, qui visait à officialiser le principe du pays de destination, a été repoussé. La signification de ce vote, parfaitement claire – le rejet du principe du pays de destination – traduit sans le moindre doute la volonté de maintenir l’application de la loi du pays d’origine.

M. Jean-Claude Lefort. Tout à fait !

M. Marc Dolez. Le risque de dumping social n’est donc nullement écarté. De plus, la directive confère un pouvoir considérable à la Cour de justice des Communautés européennes. Chargée d’interpréter le texte afin de trancher les litiges, elle l’interprétera de manière très libérale – ce n’est plus à démontrer – car elle a, dans sa jurisprudence, déjà consacré le principe du pays d’origine.

Pour toutes ces raisons et dans le respect le plus strict du vote du 29 mai dernier, je souhaite que notre assemblée adopte la proposition de résolution qui nous est soumise ce matin et donne ainsi mandat au Gouvernement pour obtenir, au nom de la France, le retrait de la directive Bolkestein. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Comparini.

Mme Anne-Marie Comparini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, remercions nos collègues communistes et républicains d’avoir déposé cette proposition de résolution, car leur initiative nous permet d’évoquer les changements apportés par le Parlement européen à la proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur, et d’en tirer les enseignements sur la façon dont sont prises les décisions au niveau européen.

Ce texte, qui a fait la une de l’actualité en 2005, n’était qu’un projet. Il a donc été soumis à l’examen de nos collègues européens qui l’ont adopté, profondément modifié, le 16 février dernier.

Le groupe UDF est un fervent défenseur de l’intégration des services dans le marché unique, dont il pressent qu’elle est l’une des conditions de la croissance européenne et de celle de la France qui, dans ce secteur, est un acteur majeur, comme l’a indiqué Patrick Ollier.

Le groupe UDF, qui a suivi avec beaucoup d’attention les travaux du Parlement européen, est favorable au nouveau texte, qui transforme le projet initial – mal écrit, maladroit et imprudent – en document équilibré entre la liberté nécessaire au développement économique, le respect du droit du travail et la protection des consommateurs, que nous avions quelque peu laissée de côté.

En disant cela, je vise trois grandes modifications, que l’UDF appelait de ses vœux et qu’il importe de ne pas dissocier.

Première modification, l’abandon du principe du pays d’origine. Ce principe, en effet, est incompatible avec la conception européenne de la cohésion économique et sociale, et avec l’Europe de 2006, qui n’a pas encore maîtrisé les conséquences du dernier élargissement. La nouvelle version écarte tout risque de dumping social en précisant, à l’article 16, que les conditions d’accès à une activité et son exercice seront distinguées ; en indiquant expressément, en ce qui concerne les conflits entre les textes communautaires, que le projet de directive « n’affecte en rien le droit du travail » ; enfin, en confiant au pays d’accueil, aux articles 24 et 25, la responsabilité du contrôle, réservé dans le projet initial au pays d’origine, ce qui était irréaliste.

Deuxième modification, un champ d’application beaucoup plus clair. Le projet initial se caractérisait par un paradoxe étonnant : son champ d’application était très large tout en étant imprécis, notamment dans des secteurs marquants de l’Histoire de certains États membres – pour notre pays, les services publics dits « à la française ». Le Parlement européen vient d’y remédier en excluant les services publics, les services de santé et sociaux, les services de l’audiovisuel, de jeux d’argent, les professions juridiques réglementées, et les services régis par d’autres textes européens.

Troisième modification, préciser les rapports avec les autres directives, qu’elles soient sectorielles ou transversales. Le projet initial avait un autre défaut majeur : fruit du mode de travail trop cloisonné de la Commission, il se superposait à d’autres instruments communautaires, générant des contradictions, ignorant les spécificités de certaines pratiques professionnelles et posant plus généralement un problème de lisibilité de la réglementation européenne.

Le nouveau texte clarifie heureusement toutes ces relations, tout en reconnaissant la primauté des autres instruments – existants ou à venir – sur cette directive.

Il appartient maintenant au Conseil des ministres des États membres de donner son accord. Le processus démocratique aura été long, mais riche d’enseignements. Pour ma part, ceux-ci sont au nombre de trois.

A l’évidence, le Parlement français doit être associé à l’examen des textes législatifs européens. Notre assemblée, comme l’ont souligné M. Ollier et M. Lequiller, avait eu l’occasion de travailler sur le texte initial en 2004 et 2005, sur la base d’un rapport dont j’étais l’auteur au nom de la Délégation pour l’Union européenne, notre collègue Robert Lecou étant rapporteur de la commission des affaires économiques. La similitude entre les recommandations du rapport et les amendements adoptés par le Parlement européen montre que la contribution des parlementaires nationaux est indispensable pour le rapprochement des législations. En effet, notre vision est plus pratique et plus réaliste que celle des services de la Commission, dont la démarche est trop globalisante. La Délégation pour l’Union européenne de notre assemblée contribue à l’élaboration de nombreux textes européens, mais cela est dû à la volonté de notre président et non aux textes en vigueur.

Pourtant – et je m’adresse à ceux de mes collègues qui ont voté contre le traité constitutionnel – cette affaire justifie l’alerte précoce que préconisait le traité constitutionnel, malheureusement rejeté en mai dernier.

Autre enseignement, la qualité du travail réalisé par le Parlement européen, notamment par la rapporteure, Mme Gebhardt, et par les partis politiques qui adressent, par ce compromis intéressant, un message clair à la Commission et au Conseil qui devront réviser le projet initial sur la base du vote du 16 février dernier.

Mais regardons la réalité, mes chers collègues : les nouveaux États membres ont exprimé une certaine déception…

M. Jean-Claude Sandrier. Nous aussi !

Mme Anne-Marie Comparini. …notamment en raison du retrait du principe du pays d’origine.

Nous comptons donc sur les plus hautes autorités françaises pour défendre les propositions du Parlement européen : parce que nos exigences, pour la majorité d’entre elles, y sont prises en compte, mais aussi parce que l’autorité acquise par le Parlement européen doit être soutenue. Affirmer et renforcer cette autorité, c’est garantir une Europe dans laquelle la voix du peuple se fait entendre.

Enfin, dernier enseignement, la refonte du projet de directive ne doit pas nous faire oublier que certaines ambiguïtés demeurent.

M. Alain Bocquet. Eh oui !

Mme Anne-Marie Comparini. Ces ambiguïtés illustrent la crise identitaire de l’Europe, de ses valeurs et de son projet.

Aussi ne serez-vous pas étonné, monsieur le ministre, que je vous dise que ces avancées n’empêchent pas un travail de fond, d’une part sur les services d’intérêt général – je vous rappelle que notre collègue Christian Philip, ici même au Parlement national, et M. Maurice Herzog, au Parlement européen, ont travaillé à l’élaboration d’un livre blanc sur les SIG – et, d’autre part, sur une véritable harmonisation, qui seule peut garantir un niveau élevé de protection des consommateurs et de sécurité pour l’ensemble des acteurs économiques de l’Union européenne.

Cette méthode a fait ses preuves pour le marché unique des biens, qui s’est construit graduellement, étape après étape, en gardant à l’esprit l’objectif historique d’une Europe vécue comme une force et une avancée pour tous.

La Commission et le Conseil ne doivent pas renoncer à poursuivre cette harmonisation progressive. Aujourd’hui, en l’absence de cadre juridique clair, le marché intérieur des services se construit à coup d’arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes.

M. Jean-Claude Lefort. Ce sera encore plus vrai avec la directive !

Mme Janine Jambu. Vous devez voter notre proposition !

Mme Anne-Marie Comparini. En l’absence de cadre juridique, c’est la Cour qui fixe les règles ! Pour le groupe UDF, ce n’est pas acceptable et c’est pourquoi je ne voterai pas la proposition de résolution sur le retrait de la proposition de directive sur les services dans le marché intérieur.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christian Philip.

M. Christian Philip. Monsieur le président, monsieur le ministre, la résolution proposée ce matin, permettez-moi de le dire d’emblée, est sans objet et dangereuse. Je vais essayer de m’en expliquer.

Elle est d’abord sans objet. Vous nous demandez, chers collègues, de retirer une directive qui, par principe, n’est toujours pas adoptée et dont nous ne connaissons pas le texte définitif. Le Parlement européen vient de se prononcer, la Commission va proposer des modifications. Suivra une délibération du Conseil, et un accord entre le Conseil et le Parlement européen sera recherché, puisqu’il s’agit d’une codécision. Cette proposition est donc sans objet.


Que vous demandiez des modifications, je peux le comprendre – même si on peut ne pas être d’accord sur ces modifications –, mais demander le retrait de la directive, je ne peux pas le comprendre.

Sans objet, la résolution l’est encore – on l’a dit aussi avant moi – car la directive, le projet voté par le Parlement européen, répond à la plupart des objections que nous avons soulevées dans notre pays sur le fond. Je crois qu’il faut être honnête : si l’on compare la proposition initiale de M. Bolkestein et celle issue du Parlement européen, comment ne pas souligner le chemin parcouru ? Ce n’est plus la même directive ! « La remise à plat », à laquelle notre majorité s’était engagée, que le Président de la République avait promise, a bien eu lieu ! Comme le président Ollier l’a dit tout à l’heure, quand on voit l’exclusion du champ de la directive de toute une série de services pour lesquels nous considérons que la subsidiarité justifie une réglementation nationale,…

M. Patrick Ollier, président de la commission. Tout à fait !

M. Christian Philip. …comment prétendre le contraire ?

Résolution dangereuse, ensuite.

Car si nous vous suivions, la France serait isolée, comme les députés de gauche français ont été isolés au Parlement européen.

M. Jean-Claude Lefort. Ah ! Ça recommence sur l’isolement !

M. Christian Philip. Si nous vous suivions, il n’y aurait pas de directive. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Comme Anne-Marie Comparini l’a d’ailleurs dit il y a un instant, cela signifierait que seule la Cour de justice fixerait le droit applicable, cela signifierait qu’il n’y aurait pas de régulation à la libre circulation et à l’ouverture des marchés. Vous aboutiriez au contraire de ce que vous dites souhaiter ! Pas de directive, ce serait devoir mettre en œuvre sans cadre, donc sans limites, le seul principe de libre circulation établi par les traités, attendre que la Cour de justice fixe elle-même le droit applicable.

M. Jean-Claude Lefort. C’est exactement ce qui est fait !

M. Christian Philip. Il faut une directive pour éviter ce que vous semblez craindre.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Philip a raison ! Écoutez-le !

M. Christian Philip. Exiger le retrait, c’est montrer que vous adoptez une attitude purement démagogique sans vous préoccuper, en fait, de protéger les secteurs d’activités que la directive amendée permettra, demain, de protéger.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Eh oui !

M. Jean-Claude Lefort. Vous pourriez respecter vos collègues ! Nous vous respectons, nous ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Philip. La proposition de résolution est dangereuse parce qu’elle cherche seulement à diaboliser l’idée européenne.

M. Jean-Claude Lefort. Démagogie !

M. Christian Philip. Autant la version première de la directive n’était pas acceptable, autant notre pays a intérêt à une directive services quand on connaît l’importance des services dans notre économie, notre situation forte dans de nombreuses activités de services. Nous avons beaucoup à gagner, beaucoup d’emplois à créer – et l’on parle d’emplois en ce moment – avec une libre circulation des services en Europe ; il ne faut pas l’oublier.

Pour ma part, je fais confiance au Gouvernement pour que le texte final de la directive soit encore amélioré, pour que certains points, restés en suspens dans la version votée par le Parlement européen, puissent être précisés. Je fais confiance aux négociations qui vont se poursuivre pour que le texte final allie l’ouverture dont nous profiterons et les limites qui doivent encadrer cette ouverture, pour que le dumping – et là nous sommes d’accord – ne soit pas possible. Mais encore une fois, pour atteindre ces objectifs, il faut une directive. Voilà pourquoi je ne peux pas accepter de voter la proposition de résolution qui nous est proposée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Geneviève Gaillard.

Mme Geneviève Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la directive européenne relative aux services dans le marché intérieur a fait l’objet d’une discussion au Parlement européen et d’un vote en février dernier. Désormais, la balle est dans le camp du Conseil européen. Avant même que celui-ci ne s’empare du texte amendé et adopté par le Parlement, il nous est demandé, ce jour, d’examiner cette proposition de résolution présentée par le groupe communiste et qui demande purement et simplement le retrait de la directive.

Comme bon nombre de mes collègues, je suis satisfaite qu’enfin, dans l’hémicycle, ce sujet fasse l’objet d’une discussion, et je souhaite pour ma part que tous les points qui y apparaissent soient discutés.

C’est pourquoi je la voterai.

En effet, cette directive porte en elle des enjeux politiques importants. Accepte-t-on pour l’Europe la libéralisation des services – de quelques services au départ, mais finalement de tous à terme. Car précisément, cette directive a cet objectif et, même amendée, elle n’est pas acceptable pour nos concitoyens. Ils l’ont montré à de nombreuses reprises : avant le vote sur la Constitution, puisque la mère de cette directive, c’est-à-dire celle nommée « Bolkestein », a fait l’objet, dès 2004, de nombreuses critiques ; puis tout au long de la campagne référendaire en France ; depuis, par une forte mobilisation syndicale, politique et citoyenne pour en dénoncer les dangers et en demander le retrait pur et simple.

Elle est trop dangereuse, en effet, même amendée comme elle l’a été par les eurodéputés, pour les services publics européens et pour les conditions de travail des salariés.

Les Français ne sont pas fous, et ils en ont vite compris les enjeux. Par leurs mobilisations d’envergure, ils ont réussi, dans un premier temps, à faire reculer les hommes politiques qui se battaient pour le « oui ». Tous, quel que soit leur parti politique, ont dénoncé ce texte et, pour la plupart, ont même annoncé, quelquefois dans un grand élan d’hypocrisie, qu’elle devait être purement et simplement retirée. Jacques Chirac en personne, pour sauver le « oui », a annoncé qu’il ne saurait être question d’en accepter tous les termes, en particulier concernant le pays d’origine, et qu’il fallait impérativement la revoir ! C’est aujourd’hui chose faite pour ce volet pays d’origine, mais malgré cela il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que, sur le fond, rien n’a changé.

D’abord, parce que malgré toutes les demandes de retrait, malgré le résultat au référendum, la Commission européenne n’a jamais cessé de soutenir ce texte et reste toujours aussi favorable à la libéralisation totale des services.

Le travail humain tel que vu par les concepteurs de ce texte n’est ni plus ni moins qu’une marchandise sur laquelle doit peser le principe de libre concurrence.

Mme Jacqueline Fraysse. Absolument !

Mme Geneviève Gaillard. Nous ne pouvons pas l’accepter. Vouloir organiser la circulation de ces services sans, d’abord où en même temps, penser au déplacement des salariés, à leurs conditions de travail et aux règles qui entourent leurs activités est tout simplement irresponsable.

Les modifications apportées au texte par les eurodéputés en diminuent très légèrement la portée, mais il reste toujours une menace forte pour le modèle social européen ; elles n’apportent aucune garantie face à l’objectif de libéralisation totale des services et face à la situation des salariés.

Le principe du pays d’origine a été retiré de la directive, mais il reste mentionné dans certains considérants – le libéralisme a décidément la peau dure ! Il est remplacé par le principe de « libre prestation », lequel autorise une entreprise à proposer ses services dans tous les États membres sans que l’on puisse lui opposer des restrictions autres que celles définies par des problèmes de sécurité publique, de protection de l’environnement ou de politique générale. Si le principe du pays d’origine n’est pas clairement exclu, le principe du pays de destination n’est pas clairement défini. Quel principe s’applique donc ? Ce flou juridique laissera au juge le soin de dire le droit. Ainsi, on peut facilement imaginer que la Cour de justice des communautés européennes tranchera selon ses règles habituelles, en référence à la convention de Rome, selon la loi « du principal établissement prestataire ». Dans ces conditions, le principe du pays d’origine va continuer à s’appliquer !

M. Jean-Claude Lefort. Tout à fait !

Mme Geneviève Gaillard. De même, certains services ont été exclus du champ d’application de la directive ; c’est le cas des services d’intérêt général, des services sociaux, des services financiers, des services et réseaux de communication électroniques, des services de transports, des agences de travail intérimaires. C’est bien ! Mais n’oublions pas que se négocie actuellement au niveau de l’OMC l’accord général sur le commerce des services, l’AGCS, accord hautement libéral, particulièrement grave, liberticide pour les pays, les collectivités et nos concitoyens. Les analogies que la directive présente avec cet accord sont nombreuses.

Tous les services sont couverts : services fournis depuis le pays d’origine (mode 1 de l’AGCS), services faisant appel à la mobilité du client (mode 2), services investis dans un autre pays (mode 3), services faisant appel à la mobilité du personnel (mode 4).

M. Jean-Claude Lefort. Tout à fait !

Mme Geneviève Gaillard. On peut donc facilement imaginer que les restrictions apportées par les parlementaires de gauche seront vite rétablies par le Conseil – qui peut ne pas tenir compte du vote du Parlement – ou rétablies à la moindre occasion.

Car la directive, une fois adoptée, entraîne ipso facto un transfert de compétences des États membres vers la Commission, laquelle ne sera alors plus dans l’obligation de les associer à l’élaboration des offres de libéralisation de service dans le cadre de l’AGCS. En plus, la position de négociation de la Commission pour la mise en œuvre de l’AGCS sera renforcée puisqu’elle disposera, à sa guise, de la quasi-totalité des secteurs des services européens.

Ainsi, plus aucun parlement n’aura la maîtrise du contrôle des négociations de l’AGCS !

Cette situation est grave et je souhaite que chacun d’entre vous en prenne la mesure.

Qu’en est-il maintenant du droit des salariés ? Le détail de l’article 16.3 est intéressant : il exclut les travailleurs indépendants de la règle générale. Ceux-ci auront le choix du droit applicable : pays d’origine ou pays de destination. Déjà, dans certains pays, des entreprises décident de ne plus salarier leurs employés et d’en faire des travailleurs indépendants, sans contrat de travail ni protection sociale.

M. Jean-Claude Lefort. Absolument !

Mme Geneviève Gaillard. Dans ces conditions, ces salariés pourront proposer des services à une entreprise sans que le lien de subordination entre donneur d’ordre et travailleur ne soit pris en compte ! Cette situation peut, à elle seule, être pire que l’application du principe du pays d’origine.

Côté services publics, la situation est angoissante et ne peut nous laisser indifférents. En l’état, la directive maintient un risque fort de libéralisation sur l’éducation, la santé, la formation, la recherche, etc. 0r, les députés socialistes, dont je fais partie, militent pour qu’une directive cadre sur les services d’intérêt général et les services d’intérêt économique général soit rapidement élaborée. Il nous apparaît que c’est un préalable indispensable au bon fonctionnement de la Communauté européenne.

L’organisation du marché intérieur des services ne peut s’envisager sans ce préalable. Or, le très libéral M. Barroso, adepte de la stratégie de Lisbonne renouvelée, comme il s’en est exprimé devant nous le 24 janvier, n’en veut pas. En février 2005, il disait que « la libéralisation des services est la première priorité » ; quelque temps plus tard, la porte-parole de la Commission affirmait : « la position de la Commission est que la libéralisation des services est un point essentiel de la relance de la stratégie de Lisbonne sur la compétitivité de l’Europe ». Enfin, toujours le 24 janvier, M. Barroso nous disait : « Les membres de la Commission et moi-même avons toujours affirmé que nous voulions respecter le principe de liberté de prestation des services dans notre marché intérieur. » Ces propos en disent long sur la volonté de la Commission d’aboutir.

Enfin, ce projet de directive abandonne purement et simplement la méthode d’harmonisation qui présidait à la construction européenne. Nous devons en effet garder en mémoire que l’élargissement à des pays où il y a peu ou pas de lois fiscales, sociales et environnementales s’est négocié au moment où s’élaborait le traité constitutionnel et la directive services. L’unanimité exigée par le traité constitutionnel européen pour toute harmonisation sociale signifie que celle-ci ne se fera jamais. Et la directive services, dite « Bolkestein », même amendée, annonce ce qui va remplacer cette harmonisation : l’utilisation des disparités nouvelles créées par l’élargissement au profit d’un patronat assuré que la liberté d’établissement et de circulation des services sont « des valeurs fondamentales » – article 4 du projet de Constitution –, que « les restrictions à la libre circulation des services sont interdites » – art 144 –, que la concurrence « sera libre et non faussée » – articles 3,177, 178, 65, etc. que l’on nous proposait – et que l’harmonisation sociale sera laissée au « fonctionnement du marché intérieur ». Cette proposition Bolkestein II illustre bien l’avenir des législations européennes si le traité avait été adopté. On mesure désormais un peu mieux les efforts de dérégulation poursuivis par la Commission, ainsi que la façon dont on nous trompe et manipule, en évitant systématiquement les débats. Les textes sont complexes et les procédures opaques. Il est donc indispensable que nous, parlementaires français, allions au fond de ce qui se prépare, que nous en informions nos concitoyens pour qu’ils aient tous les éléments de jugement. Il en va de l’avenir de l’Europe, de notre avenir à tous. C’est pourquoi je voterai cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue.


M. Daniel Garrigue
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Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le début de ce nouveau débat, on entend beaucoup parler des résultats du référendum du 29 mai dernier. Pourtant, le projet de directive services ne date pas d’hier, puisqu’il existe depuis le Traité de Rome de 1957 (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), dans lequel est inscrite la libre circulation des services : cela fait donc près de cinquante ans qu’on en parle. N’est-il pas logique de réfléchir aujourd’hui à sa mise en œuvre ?

Certes, personne ne niera que le projet initial posait quelques problèmes. Ainsi, le principe du pays d’origine, qui vaut pour les personnes et les biens, est d’une application beaucoup plus délicate quand il s’agit des services. Le Président de la République s’était engagé à ce que, sur ce point, il y ait une mise à plat complète de la directive.

M. Jérôme Lambert. Elle n’a pas eu lieu !

M. Daniel Garrigue. Elle a été faite. Les travaux du Parlement européen et ceux des parlements nationaux, les initiatives prises par les différents États ont permis d’avancer vers un texte qui est très près d’un compromis très largement acceptable par l’ensemble des États.

Plusieurs députés du groupe des député-e-s communistes et républicains. Quel enthousiasme !

M. Daniel Garrigue. Nous sommes dans l’Europe et, si nous voulons parvenir à une solution, il faut qu’elle soit acceptable par tous.

M. Jean-Claude Lefort. Comme le Traité !

M. Daniel Garrigue. Je voudrais cependant souligner que, sur trois points particuliers, les modifications du projet de directive répondent à nos attentes.

Ainsi, les exclusions correspondent très largement à ce que nous attendions, qu’elles concernent les services d’intérêt général…

M. Jean-Claude Lefort. Cela n’existe pas !

M. Daniel Garrigue. …, la santé, les services sociaux, le cinéma, l’audiovisuel ou les professions juridiques.

M. Jean-Claude Lefort. Et les jeux d’argent !

M. Daniel Garrigue. Dans la plupart des domaines où nous souhaitions qu’il y ait des exclusions, elles ont été acquises.

D’autre part, en ce qui concerne les risques de dumping social, les différents rapports, notamment celui de Mme Gebhardt, et les débats au Parlement européen ont très clairement rappelé que le projet ne remettrait pas en cause les textes antérieurs. La directive sur le détachement des travailleurs continuera donc de s’appliquer. La Commission a même précisé que ce n’étaient pas seulement le droit du travail qui serait respecté, mais toutes les conventions collectives. Là aussi, cette avancée extrêmement importante répond parfaitement à nos préoccupations.

Enfin, un garde-fou est prévu : chaque État pourra invoquer d’impérieuses raisons d’intérêt général, liées à l’ordre public, à la sûreté publique, à la santé, à l’environnement, pour apporter de nécessaires limitations. C’est là aussi un élément extrêmement important.

Au-delà de ces aspects juridiques essentiels, il faut distinguer les enjeux de fond. Dans notre société, le secteur des services fournit les deux tiers des emplois. Pour retrouver la croissance et des potentialités de développement, il faut donc commencer par développer les services. Notre pays est l’un de ceux qui, en Europe, sont dans la position la plus favorable dans ce secteur, car il dispose d’entreprises ayant la capacité d’aller opérer sur les marchés des autres nations européennes et d’en conquérir de nouveaux.

M. Jean-Claude Lefort. Pas besoin de directive pour cela !

M. Daniel Garrigue. Nous sommes donc en position de force. Pourquoi vouloir nous priver de la possibilité d’exporter nos services ?

M. Jérôme Lambert. Il s’agit en fait d’aider les autres pays à mieux nous concurrencer !

M. Jean-Claude Lefort. Oui, en validant la directive, nous aiderions surtout les autres à nous concurrencer !

M. Daniel Garrigue. Il faut accepter la concurrence des autres comme une contrepartie légitime et logique. On ne peut pas aller concurrencer les autres chez eux et ne pas accepter qu’ils viennent le faire chez nous.

M. Jérôme Lambert. On le fait déjà aujourd’hui et ça marche très bien !

M. Daniel Garrigue. Enfin, je ne pense pas que ce soit en entretenant sans cesse un climat de frilosité, notamment chez les jeunes, qu’on bâtira l’avenir de la France.

M. Jean-Claude Lefort. Vous parlez du CPE ?

M. Daniel Garrigue. Oui, mon cher collègue, il y a un lien !

M. Jean-Claude Lefort. C’est vrai, il y a un lien entre la précarité avec le CPE et la directive Bolkestein !

M. Daniel Garrigue. Depuis toujours, vous êtes des séparatistes, et ce n’est pas aujourd’hui que vous allez changer. Mais ce n’est pas ainsi que nous bâtirons la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Lambert, dernier orateur inscrit.

M. Jérôme Lambert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons à l’initiative du groupe des député-e-s communistes et républicains d’avoir, ce matin, l’occasion d’examiner le nouveau texte de la proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur avant qu’elle ne soit de nouveau discutée, sans doute à la fin du mois, par le Conseil européen.

Le 13 janvier 2004, la Commission européenne adoptait une proposition de directive relative aux services, marquant ainsi le commencement d’un long processus d’élaboration du projet qui allait alimenter, dans toute l’Europe et dans notre pays, bien des discussions, y compris lors du débat du référendum sur la Constitution européenne. Notre assemblée, sa Délégation aux affaires européennes − dont je salue le président, Pierre Lequiller −, les différents groupes politiques et nombre de députés ont eu, depuis, bien des occasions de s’exprimer sur ce sujet. Dans l’hémicycle même, nous avons pu intervenir, questionner le Gouvernement et examiner une proposition de résolution portant sur la proposition initiale de la Commission, à la veille du Conseil européen qui devait se prononcer sur la poursuite du processus législatif. Notre assemblée avait alors, le 15 mars 2005, adopté un texte marquant son opposition au projet qui était soumis au Conseil et dont Christian Philip a dit tout à l’heure qu’il n’était « pas acceptable ». Elle avait demandé au Gouvernement et au Président de la République, qui devait représenter notre pays lors du Conseil européen, la remise à plat de ses principales dispositions, en particulier l’application du principe du pays d’origine.

Pour les députés du groupe socialiste, cette résolution n’était pas suffisante et ils avaient demandé le retrait du texte. Plus précisément, ils formulaient trois exigences fondamentales : exclusion des SIEG du champ d’application de la directive ; référence explicite à la règle du principe du pays de destination ; référence à une directive-cadre sur les services publics.

Sans doute pouvions-nous croire que nous avions été écoutés, puisque, à l’issue du Conseil européen, le Président de la République avait affirmé haut et fort que la directive services n’existait plus. Toutefois, l’examen du projet « pas acceptable » s’est poursuivi, le Conseil Européen ayant pris, en fait et en réalité, la décision de continuer la procédure devant le Parlement, tout en maintenant, pour l’essentiel, ses principales dispositions en l’état, y compris le principe du pays d’origine. Le texte qui, d’après le Président de la République, n’existait plus a donc été soumis à l’examen du Parlement européen : belle preuve de l’absence de courage politique de nos principaux dirigeants et de leur refus de clarifier le débat européen.

Dans cette première partie du débat, nous avons donc vu les citoyens français purement et simplement dupés par leurs dirigeants. Cette attitude, ô combien condamnable, est préjudiciable tant aux intérêts de la démocratie qu’à ceux de la construction européenne. Une fois de plus, celle-ci est apparue, aux yeux de nos concitoyens, comme très éloignée de la défense de leurs intérêts et très obscure dans ses prises de décision, puisqu’on affirmait, à Paris, une position contraire à ce qui se passait à Bruxelles.

En définitive, c’est donc le texte proposé par la Commission, puis adopté pratiquement en l’état par le Conseil Européen, qui fut soumis à l’examen du Parlement européen. Il comportait encore toutes les dispositions dont nous ne voulions pas, principe du pays d’origine en tête. À l’issue des négociations qui se déroulèrent dans le cadre du débat parlementaire, la directive fut finalement votée par une majorité de députés européens, après l’adoption de différents amendements portant sur des questions importantes. Ainsi, ce qui, dans le principe du pays d’origine, était le plus choquant et qui touchait, en particulier, au droit du travail et à la législation sociale, fut supprimé. Si nous pouvons nous réjouir d’une telle avancée, devons-nous nous en satisfaire ?

Certes, ç’aurait pu être pire : le texte de la directive aurait pu être adopté en l’état, tel qu’il avait été approuvé par le Conseil européen et soumis à l’examen du Parlement européen. Le principe du pays d’origine, qui avait été conservé, aurait alors également concerné le droit social et le droit du travail. Mais devons-nous, sous prétexte que nous avons pu éviter le pire, accepter une proposition de directive qui reste, malgré tout, d’inspiration libérale et permissive pour une multitude de champs d’application ?

Cette pratique du compromis, qu’on invoque si souvent pour tenter de nous rallier, n’est rien d’autre que la théorie des petits pas en avant, mais ils vont toujours dans la même direction, et ceux qui doivent supporter les compromis sont toujours les mêmes. En demande-t-on autant aux actionnaires des entreprises, à ceux qui boursicotent, à ceux qui engrangent les profits ? Non, les compromis − la flexibilité, les modérations salariales, les contrats précaires −, ce sont toujours les mêmes qui les supportent. Dès lors, peut-on parler de juste partage, de progrès partagé ? Je ne le crois pas, et la jeunesse de notre pays, en tête des cortèges de protestation contre le CPE, ne le croit pas non plus.

Pour le groupe socialiste, toujours attentif aux questions européennes, la directive services fut et reste une difficulté majeure dans le processus de construction d’une Europe harmonieuse et respectueuse des peuples qui la composent. Si le principe du pays d’origine est écarté pour le moment en matière de réglementation sociale − encore faut-il voir ce qu’en pensent les chefs d’État et de Gouvernement, dont notre Président de la République, qui avaient initialement approuvé l’application de ce principe aux droits sociaux −, nombre de réglementations relèvent encore, en fait, du principe du pays d’origine, en particulier le droit fiscal. Dans ces conditions, pouvons-nous croire raisonnablement que, s’il était appliqué, ce texte serait acceptable pour notre peuple, nos entreprises, nos travailleurs ?

Pouvons-nous, de même, croire que le contrôle des entreprises étrangères qui effectueront telle ou telle mission, telle ou telle prestation sur le sol national, sera chose possible et aisée pour le pays destinataire ? Nous avons déjà bien du mal à opérer des contrôles réguliers sur nos propres entreprises, comment pourrons-nous vérifier la régularité de celles qui viendront travailler sur notre territoire le temps d’un chantier, d’une mission, d’une prestation ? En l’état de nos moyens, c’est tout simplement impossible : c’est donc la porte ouverte à tous les abus.

Certes, de façon apparente et légale, le projet de directive exclut du champ de son application les domaines qui nous paraissent les plus dangereux, mais des dispositions subsistent qui sont de véritables chevaux de Troie : il s’agit de tirer la compétitivité vers le haut, pour ce qui est des profits, mais vers le bas, pour ce qui est de l’intérêt des travailleurs. Une fois de plus, ceux qui supportent le compromis européen sont ceux qui vont payer le prix fort.

Quand parlera-t-on de compromis dans le domaine de l’harmonisation fiscale et du progrès social ? Ouvrir son marché, aller gagner le marché des autres, est-ce une finalité en soi ? Ne pourrait-on pas plutôt évoquer la satisfaction des besoins de chacun, la recherche de l’harmonie ? Il semble que nos dirigeants n’aient plus qu’un seul credo : la compétitivité, l’ouverture à la concurrence. Jusqu’où ira-t-on dans ce marché européen mondialisé, où les puissants d’hier sont appelés à être encore plus puissants et où ceux qui doivent en supporter le fardeau sont de plus en plus écrasés ?

Pourquoi accepter un compromis qui irait toujours dans le même sens ? Pourquoi renoncer à nos valeurs − la recherche de l’égalité, la fraternité − pour nous dresser les uns contre les autres dans une concurrence toujours plus exacerbée, jusqu’à n’en plus pouvoir ? Ne renonçons pas à construire une Europe différente de celle qui nous est proposée et que l’on cherche à nous imposer.

Le peuple français a clairement signifié, en mai dernier, les oppositions qu’il entend mettre à des projets qui ne lui semblent pas apporter le mieux-être et la protection que chacun de nous est en droit d’attendre de la société que nous bâtissons et dans laquelle nous vivons. Ayons le courage de protéger nos peuples et l’Europe des tentations libérales qui nous dressent les uns contre les autres.


La directive « services » ne va pas dans la bonne direction. Certains se plaisent à rappeler que notre pays dispose des entreprises de services les plus performantes en Europe, et parfois au monde, mais en oubliant que ce résultat a été obtenu dans le cadre d’un marché contrôlé et régulé. Qu’en sera-t-il demain, face à un marché plus ouvert à la concurrence ?

Sans doute celle-ci est-elle inhérente à la nature humaine, et nous ne pouvons la balayer d’un revers de phrase. Mais libre et non faussée, elle ne peut être qu’un facteur de graves perturbations dans nos systèmes économiques et sociaux. Aussi nous faut-il réagir pour en maîtriser les effets dévastateurs à l’échelle de l’Europe et même du monde, devenu aujourd’hui terrain d’affrontement. La directive « services » est fondée sur cette idéologie, et nous ne pouvons l’accepter telle quelle.

C’est pourquoi les socialistes français au Parlement européen ont repoussé, article après article, les éléments néfastes du projet initial de directive « services » proposé par la Commission, et approuvé par le Conseil en présence de notre Président de la République.

Nous avons réussi à obtenir, avec l’ensemble de la gauche européenne, une remise en cause du champ d’application de la directive pour le droit du travail et la protection sociale des travailleurs. Nous avons également réussi à faire adopter l’exclusion du logement social et des services d’aide à la famille. Cependant, nous n’avons pu obtenir que tous les services publics soient pareillement exclus. Ainsi, la gestion de l’eau, l’éducation, la culture – hormis le cinéma –, les services postaux, l’énergie et le stockage des produits dangereux risquent de se trouver soumis à la dérégulation – ils le sont d’ailleurs dans les faits pour nombre d’entre eux.

Par ailleurs, l’amendement, déposé la délégation socialiste française, demandant une directive-cadre sur les services d’intérêt général, garantissant la pérennité de leur mission, a été rejeté par le Parlement européen, dominé par la droite.

Ainsi, de nombreuses zones d’ombre persistent. En particulier, la composante économique des services publics – les SIEG – et les services sociaux restent sous la menace directe d’un dumping social inacceptable.

Enfin, les socialistes français ont voté le rejet du principe du pays d’origine et défendu la distinction entre accès et exercice d’une activité. Mais, malgré la suppression des mots « principe du pays d’origine » à certains endroits du texte, l’incertitude juridique persiste quant à la législation applicable en cas de litige. Ce vide juridique présage en outre une situation nouvelle, dans laquelle ce sont les juges de la Cour de justice européenne qui auront le pouvoir de définir les législations sociales, sans garantie du résultat et sans contrôle démocratique, le Parlement européen refusant explicitement de poser le principe du pays de destination, qui aurait eu le mérite de clarifier la situation.

La bataille va se poursuivre au Conseil, avant une seconde lecture au Parlement européen. Le Gouvernement nous ayant déjà trompés en nous indiquant, lors du précédent examen de cette proposition de directive par le Conseil, qu’elle était « lettre morte », nous pouvons craindre le pire et devons donc rester plus que jamais mobilisés pour dénoncer le double langage de la droite française à Bruxelles et à Strasbourg.

M. Pierre Lequiller. Oh !

M. André Gerin. Absolument ! C’est de la défausse !

M. Daniel Garrigue. Et Fabius et Hollande, ce n’est pas du double langage sur l’Europe ?

M. Jérôme Lambert. En accord avec les députés socialistes français au parlement européen et afin de marquer notre hostilité à ce texte, qui tend au développement d’une concurrence dangereuse en l’état actuel de la construction européenne, où l’harmonisation dans les domaines sociaux, fiscaux et bien d’autres n’est pas faite, nous voterons la proposition de résolution déposée par le groupe des député-e-s communistes et républicains de notre Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales.

M. André Gerin. Il est mal !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mesdames messieurs, permettez-moi de débuter mon propos par une précision sur l’objet même de notre débat, afin de ne pas placer nos échanges sous le signe d’un malentendu.

J’ai bien lu la proposition de résolution présentée par le groupe des député-e-s communistes et républicains, et j’ai, été très attentif à tous les propos qui viennent d’être tenus. Pourquoi, parler aujourd’hui de directive Bolkestein, texte qui n’existe pas, n’a jamais existé et n’existera probablement jamais ? (Vives exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. André Gerin. Ce n’est pas sérieux !

M. Jean-Claude Lefort. Il a été adopté par la France !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Soyons précis : il n’y a jamais eu de directive Bolkestein applicable,...

M. André Gerin. Vous êtes mal à l’aise !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. ...mais une proposition formulée en 2004 par la Commission européenne...

M. Jean-Claude Lefort. Qui a été adoptée par le Conseil !...

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. ...qui n’a jamais été approuvée ni par le Parlement, ni par le Conseil, ni par les peuples, ni par les États membres – et M. Bolkestein ne fait plus partie depuis bien longtemps de la Commission européenne.

Nous parlons donc d’autre chose : d’un texte voté le 16 février par le Parlement européen, qui est un texte de compromis, équilibré et qui a rassemblé la quasi-unanimité des députés du PPE et du PSE, ce qui n’est pas rien. Les élus socialistes français ont été parmi les rares socialistes à ne pas s’associer à ce vote,...

Mme Geneviève Gaillard. Très bien !

M. Jean-Claude Lefort. C’est à leur honneur !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. ...comme le rappelait Pierre Lequiller.

Ce n’est pas la première fois que la gauche européenne française se distingue par son splendide isolement...

Mme Geneviève Gaillard. Elle a eu raison avant l’heure !

M. Jérôme Lambert. Elle n’est pas isolée de la jeunesse !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. ...et sa certitude de détenir à elle seule la vérité universelle.

Je ne suis pas le seul à regretter cette attitude, qui rappelle bien des travers français. Permettez-moi à cet égard de citer le député socialiste Gilles Savary qui déclarait après le vote : « À moins de remettre en cause la construction européenne elle-même » – ce qui est peut-être votre intention ! – « et le mandat du Traité de Rome, ce texte parlementaire est l’un des plus protecteurs des droits sociaux et fondamentaux qui ait été à ce jour associé à une étape de la construction du marché intérieur européen ».

M. Jérôme Lambert. Mais comme le pire reste à venir, cette remarque explique bien des choses !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. La position de la gauche française apparaît donc ambiguë, et singulièrement au regard de ses votes : elle s’est prononcée sur les amendements mais a voté contre la proposition de directive. Il y a là une incohérence difficile à justifier...

M. Jérôme Lambert. Les amendements ont été rejetés !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. ...qui s’est d’ailleurs traduite dans les propos souvent confus des orateurs qui m’ont précédé.

Mme Geneviève Gaillard. Je n’ai pas le sentiment d’avoir été confuse !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. En tout cas, une bonne directive est de loin préférable à pas de directive du tout. Pour le moment, le principe général de liberté des marchés n’est pas encadré. Il se heurte parfois à des obstacles disproportionnés mis par certains États et il est soumis à l’appréciation de la CJCE, ce qui n’est pas idéal.

Aujourd’hui, l’activité et l’emploi en Europe viennent à 70 % des services, et le premier marché à l’international de la France est le marché européen. Trop souvent sur certains de ces bancs on caricature les capacités des entreprises et des salariés français, en peignant la France sous le visage d’un pays faible qui ne serait pas capable de gagner dans la compétition internationale. Or notre pays est le troisième exportateur de services en Europe et le quatrième dans le monde. Cet atout, nous voulons le conforter, au lieu de nous replier frileusement sur nous-mêmes.

Nous avons donc tout à gagner à prendre des parts de marché dans ce secteur, où se trouvent les emplois de demain.

M. André Gerin. Vous oubliez l’industrie !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Le nier, c’est refuser à nombre de jeunes Français la possibilité de trouver un emploi.

M. Jean-Claude Lefort. Vous savez ce que les jeunes Français vous disent !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Nos champions économiques s’illustrent déjà sur ce marché, notamment dans le secteur du tourisme ou dans les services aux entreprises, et il convient de renforcer leur position et, plus généralement, de conforter les atouts de notre pays.

Pour ce qui est de la procédure, je rappelle qu’à l’initiative du Président de la République, le Conseil européen de mars 2005 a affirmé que la proposition de directive « services » devait être remise à plat, comme le souligne d’ailleurs la proposition de résolution.

M. Jean-Claude Lefort. Il paraît qu’elle n’existait pas cette directive !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Cette remise à plat a eu lieu. Le Parlement européen a, en séance plénière, le 16 février, adopté à une très large majorité – 394 voix contre 215 – un texte qui, chacun s’accorde à le reconnaître, n’a plus rien à voir avec la proposition initiale. Je tiens à saluer le travail remarquable de nombreux parlementaires européens, notamment de Mme Gebhardt, la rapporteure du projet, et de plusieurs Français dont Jacques Toubon.

Les inquiétudes sur lesquelles s’appuie la proposition de résolution ont toutes été levées par le Parlement européen, qui a voté un texte qui n’a plus rien à voir avec le précédent.

Premièrement, le principe du pays d’origine, évoqué par la proposition de résolution, selon lequel le prestataire de services est soumis uniquement aux règles de son pays de résidence a été abandonné...

M. Jean-Claude Lefort. Non ! Remplacé !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. ...et remplacé par le rappel des règles du Traité et de la jurisprudence : libre prestation de services et possibilité pour les États membres de réglementer les services pour des raisons d’intérêt général. Cet équilibre entre liberté et intérêt général est au cœur du principe de l’économie sociale de marché que nous défendons. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Deuxièmement, le Parlement européen a clairement écarté le risque de dumping social, toujours évoqué par la proposition de résolution. Le droit social applicable sera celui du pays d’accueil, ce qui est bien normal : c’est donc le droit du travail français qui s’appliquera en France.

M. Jean-Claude Lefort. C’est faux !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Les articles 24 et 25, qui introduisaient une ambiguïté sur l’application de la directive relative au détachement des travailleurs ont été supprimés. C’était là une demande-clé des syndicats, relayée par la France et par de nombreux États membres avec nous.

Même chose – ce sera ma troisième remarque – en matière de droit de la consommation : c’est le droit du pays de résidence du consommateur qui s’applique. Cet amendement a été adopté à une majorité particulièrement large : 541 voix contre 94.

Quatrièmement, le texte reconnaît clairement la primauté de la lex specialis : il n’est donc pas question de remettre en cause les directives sectorielles ou celles sur les qualifications professionnelles ou le détachement des travailleurs. Le Parlement européen a posé très explicitement le principe de la primauté de la directive « détachement » sur la directive « services », et je vous rappelle d’ailleurs, s’agissant de la transposition de la directive « détachement », que la loi PME dont nous avons débattu au mois de juillet, pose très clairement le principe du pays de destination en matière de droit du travail et de sécurité sociale, et ce dès le premier jour du détachement.

M. Jean-Claude Lefort. Qu’en est-il alors des chauffeurs routiers polonais ?

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Cinquièmement, les services publics sont préservés. L’article premier du texte adopté par le Parlement européen prévoit expressément que la directive n’a pas pour objet de libéraliser ou de privatiser les services publics et que les États membres restent libres d’en déterminer la définition, le fonctionnement et le financement.

M. Maxime Gremetz. C’est aussi convaincant que pour le CPE !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. De plus, les services non marchands sont exclus du champ de la directive et les services publics marchands du principe de libre prestation de services.

Sixièmement, les secteurs sensibles, c’est-à-dire les services sociaux et de santé, les services audiovisuels, les services juridiques, sont maintenant exclus du champ d’application de la proposition...

Mme Geneviève Gaillard. Jusqu’à quand ?

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. ...de même que d’autres secteurs – services financiers, services de transport – qui l’étaient déjà dans la proposition initiale.

M. Jérôme Lambert. Ils sont déjà déréglementés !

M. Maxime Gremetz. Ce qui est fait n’est plus à faire !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Septièmement, enfin, et contrairement à ce qui est indiqué dans la proposition de résolution, le compromis voté par le Parlement européen ne renonce pas à l’harmonisation, mais au contraire en réintroduit la perspective à l’article 16, alinéa 4, lui aussi approuvé par 541 voix contre 94,...

M. Guy Teissier. C’est énorme !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. ...dont de très nombreuses voix de la gauche européenne.

C’est maintenant à la Commission qu’il revient de présenter une proposition révisée, une proposition différente de la première. Elle a indiqué vouloir le faire d’ici au début avril...

M. Maxime Gremetz. Poisson d’avril !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. ...et elle soumettra cette nouvelle proposition au Conseil, c’est-à-dire aux États membres, les 20 et 21 avril. Il reviendra ensuite au Conseil de trancher en première lecture.

Le Gouvernement continuera de veiller dans la suite de la négociation à ce que la future directive maintienne l’ensemble des garanties nécessaires à la protection des droits des travailleurs et des consommateurs, ainsi qu’à la préservation des services publics.

Au cours du Conseil « compétitivité » des 12 et 13 mars, la France a rappelé qu’il fallait respecter l’équilibre dégagé par le Parlement européen. Elle a été soutenue sur ce point par de nombreux États. Le message est donc clair, pour ceux qui veulent bien l’entendre : si le vote du Parlement européen n’est pas respecté, il n’y aura pas de directive sur les services, ce qui n’est dans l’intérêt de personne. Un accord n’est possible que si la Commission propose un texte respectant l’équilibre dégagé au Parlement européen.


Le vote du Parlement européen est incontournable, d’autant plus qu’il a été obtenu par un compromis entre les principales formations politiques du Conseil. Il prouve que l’Europe est une démocratie vivante. Il montre aussi que, contrairement à ce qu’ont affirmé certains durant la campagne référendaire, il ne suffit pas que la Commission propose un texte. Ce sont le Parlement, élu par les citoyens, et les représentants des États membres au Conseil qui décident.

M. Maxime Gremetz. Votre constitution ne servait à rien !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. En conséquence, le Gouvernement vous invite à rejeter la proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Vous n’êtes pas bon !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Je voudrais tout d’abord éclairer un point d’histoire. Contrairement à ce qui est affirmé, le Conseil européen a bien abordé la question de la directive qui existait, dite directive Bolkestein.

M. Pierre Lequiller. Elle a examiné le projet !

M. Alain Bocquet, rapporteur. Il l’a même tacitement approuvée. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Au Conseil européen, qui ne dit mot consent. Or cette directive a été abordée à plusieurs reprises et elle a été actée.

Mme Anne-Marie Comparini. Mais non !

M. Pierre Lequiller. Le projet !

M. Alain Bocquet, rapporteur. La preuve, c’est que si elle n’existait pas, elle ne serait pas venue en débat au Parlement européen revue et corrigée.

Mme Comparini nous a parlé de clarification, je pense plutôt, après ce compromis qui est sorti du Parlement européen, que plus on avance, plus la brousse s’épaissit à propos de cette directive européenne.

M. André Gerin. Eh oui !

M. Alain Bocquet, rapporteur. Il est intéressant de se pencher sur les commentaires des principaux protagonistes de ce compromis à l’issue du vote du Parlement européen du 16 février dernier.

Mme Evelyne Gebhardt, qui représentait le parti socialiste européen, a ainsi déclaré : « Nous avons obtenu que la règle soit celle du pays de destination. Certes, ce n’est pas écrit,…

M. Patrick Ollier, président de la commission. Ah !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. C’est inventé alors ?

M. Alain Bocquet, rapporteur. …mais nous avons retiré le principe du pays d’origine. »

Un autre protagoniste, M. Malcolm Harbour, qui représentait le Parti populaire européen, a pour sa part expliqué : « Au vu de la jurisprudence européenne, c’est le principe du pays d’origine qui s’appliquera. »

M. Marc Dolez. Bien sûr !

Mme Geneviève Gaillard. Absolument !

M. Alain Bocquet, rapporteur. Et M. Graham Watson, président du groupe libéral, confirmait : « le compromis PSE-PPE – parti socialiste européen-parti populaire européen – sur le principe de la libre circulation des services équivaut au principe du pays d’origine ».

M. Jérôme Lambert. C’est un compromis de dupes !

M. Alain Bocquet, rapporteur. Cela ne peut pas être plus clair, surtout quand on sait que l’amendement déposé à l’article 16 par le groupe GUE/NGL, le groupe confédéral de la gauche unitaire européenne-gauche verte nordique, présidé par notre ami Francis Wurtz, qui proposait que « Les États membres veillent à ce que les prestataires soient soumis aux dispositions, réglementations et accords collectifs de l’État membre de destination en ce qui concerne l’accès à une activité de service et l’exercice de cette activité », a été repoussé par la majorité du Parlement européen. (« Et voilà ! » sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

On nous dit que le principe du pays d’origine n’existe plus. Mon collègue et ami Jean-Claude Lefort a cité le considérant de l’article 40 bis. Je citerai le considérant de l’article 6 : « il convient de prévoir une combinaison équilibrée de mesures relatives à l’harmonisation ciblée, à la coopération administrative, aux règles du pays d’origine et à l’incitation à l’élaboration de codes de conduite sur certaines questions ».

Mme Janine Jambu. C’est clair !

M. Alain Bocquet. Cela veut dire que la notion de pays d’origine est actée dans le texte adopté par le Parlement européen.

Et les ambiguïtés ne manquent pas dans ce texte.

Par exemple, en théorie, la directive n’affecte pas le droit pénal.

Mme Anne-Marie Comparini. C’est vrai !

M. Alain Bocquet, rapporteur. Mais, dans le considérant 12 bis, il est écrit que « les dispositions de droit pénal ne devraient pas être mal appliquées dans le but de contourner les règles établies dans la présente directive ».

On nous dit que les services de l’audiovisuel sont exclus. Or il est précisé, dans l’amendement 16, qu’en ce qui les concerne, les considérations sociales et culturelles doivent respecter les règles de la concurrence.

M. Maxime Gremetz. Bien sûr !

M. Alain Bocquet, rapporteur. On est en droit d’être inquiet et de le signifier, surtout quand on apprend ces jours-ci que le service public de l’audiovisuel espagnol vient de supprimer 3 000 emplois et que des inquiétudes se font jour chez les personnels de l’audiovisuel français, devant les menaces de privatisation.

M. Dominique Richard. TVE, c’est 7 milliards de déficit !

M. Alain Bocquet, rapporteur. Mais rien n’est encore joué, il reste du temps. On a vu ce qui s’était passé avec la directive portuaire : à la suite du vote négatif du Parlement européen, la Commission l’a retirée. S’agissant de cette directive, il nous reste un an, un an et demi,…

M. Jean-Claude Lefort. Cela fait 2007 !

M. Alain Bocquet, rapporteur. …pour faire en sorte qu’elle soit purement et simplement retirée puisqu’il faut une codécision entre le Conseil et le Parlement européen. La France s’honorerait à affirmer une position de principe claire et nette…

M. André Gerin. Ce serait la sagesse !

M. Alain Bocquet, rapporteur. …plutôt que d’accepter cette bouillie amère qui nous est servie avec le compromis de Strasbourg du 16 février. C’est l’esprit de notre initiative aujourd’hui.

La vraie question demeure celle du dumping social : voulons-nous, oui ou non, harmoniser socialement l’Europe…

M. André Gerin. Vers le haut !

M. Alain Bocquet, rapporteur. …vers le haut ?

C’est pourquoi nous considérons que cette proposition de résolution devrait être soumise à discussion et à vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. Maxime Gremetz. C’est la démocratie !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Je ne peux pas laisser le débat se poursuivre sans apporter une correction aux fausses affirmations que j’entends.

M. Maxime Gremetz. Oh !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Très juste !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. À plusieurs reprises, les orateurs socialistes ou communistes ont indiqué que le Conseil avait adopté la directive Bolkestein.

M. Jean-Claude Lefort. Oui !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Cela est faux.

M. Jean-Claude Lefort. Non, c’est exact !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Il n’existe pas d’approbation tacite par le Conseil.

M. Maxime Gremetz. Montrez-le !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Je vais vous le démontrer, monsieur le député.

La seule expression du Conseil date des 22 et 23 mars 2005 et elle est très claire.

M. Jean-Claude Lefort. Non, c’est avant, c’est 2004 !

M. Maxime Gremetz. Il se ridiculise !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Pas du tout.

Les conclusions du Conseil sont les suivantes : « À la lumière du débat en cours, qui montre que la rédaction actuelle de la proposition de directive – si le terme de proposition de directive est utilisé de façon officielle par les conclusions du Conseil, c’est bien que cette directive n’avait pas été adoptée – ne répond pas pleinement aux exigences, le Conseil européen demande que tous les efforts soient entrepris dans le cadre du processus législatif pour dégager un large consensus répondant à l’ensemble de ces objectifs. »

Il me paraissait nécessaire de faire cette rectification.

M. Jean-Claude Lefort. C’est à côté de la plaque !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Un bon débat ne repose pas sur des allégations mensongères. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Quelle pauvreté dans les arguments !

Vote sur les conclusions de rejet
de la commission

M. le président. Mes chers collègues, la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire ayant conclu au rejet de l’article unique de la proposition de résolution, l’Assemblée, conformément à l’article 94, alinéa 2, du règlement, est appelée à voter sur ces conclusions de rejet.

Conformément aux dispositions du règlement, si ces conclusions sont adoptées, la proposition de résolution sera rejetée.

Dans les explications de vote, la parole est à M. Pierre Lequiller, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Pierre Lequiller. La délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne et la commission des affaires économiques ont étudié ce texte. Nous avons constaté, ensemble, comme l’a très bien dit tout à l’heure Mme Comparini, les lacunes et les défauts de la proposition de directive initiale.

Cette proposition a été améliorée par le Parlement européen, sur tous les plans.

Nous avions demandé que les services d’intérêt général soient clairement exclus du champ d’application de la directive. C’est fait.

Nous avions souhaité voir clairement affirmée dans cette directive la primauté des textes communautaires sectoriels. C’est fait.

Nous avions demandé qu’aucune directive horizontale visant à mettre en œuvre le marché intérieur ne s’applique aux services audiovisuels, aux services de santé et d’aide sociale, ni aux transports. C’est fait.

Nous avions réclamé avec force l’abandon du principe du pays d’origine. C’est fait.

Maintenant, on voudrait que nous demandions de retirer la proposition de directive ? Mais comme l’ont très bien dit certains de mes collègues, notamment Christian Philip, l’absence de directive laisse le champ libre à l’interprétation de la Cour de justice des communautés européennes.

M. Jean-Claude Lefort. Eh bien, voilà !

M. Pierre Lequiller. Quand il n’y a pas de loi, les juges sont obligés de juger.

M. Daniel Mach. Bien sûr !

M. Pierre Lequiller. Arrêtons l’hypocrisie et la caricature.

M. Jean-Claude Lefort. Il n’y a pas d’hypocrisie.

M. André Gerin. Vous êtes très mal, monsieur Lequiller !

M. Pierre Lequiller. Prétendre que ce texte n’a pas changé depuis son origine, c’est caricaturer tout le travail qui a été fait.

Un certain nombre d’amendements ont été déposés par des parlementaires du PPE et par des parlementaires du PSE, ils ont été soutenus par les députés socialistes français, même si, au terme de la discussion, ces mêmes députés socialistes français, sans doute pour présenter une façade d’unité, ont décidé de voter contre le texte, à l’exception de M. Rocard et M. Savary.

M. Charles Cova. Il y a des gens honnêtes chez les socialistes.

M. Pierre Lequiller. M. Ayrault lui-même a déclaré que, finalement, cette proposition était bonne ! Arrêtons l’hypocrisie.

M. André Gerin. Vous êtes très mal !

M. Pierre Lequiller. L’Europe doit se construire ensemble. C’est en travaillant ensemble qu’on arrive aux résultats, non en étant seul contre les autres.

Le groupe de l’UMP est responsable dans cette affaire.

M. André Gerin. L’UMP est mal à l’aise.

M. Pierre Lequiller. Il est cohérent vis-à-vis de la position du groupe au Parlement européen et fier de rejeter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Geneviève Gaillard, pour le groupe socialiste.

Mme Geneviève Gaillard. Aucun des arguments présentés par nos collègues de la majorité ou par vous-même, monsieur le ministre, ne nous ont convaincus.

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Je le regrette.

Mme Geneviève Gaillard. La question de savoir si la directive Bolkestein a été ou non adoptée n’intéresse pas les Français. Les Français connaissent cette directive, ils en ont discuté, ils ont travaillé dessus. Ce qu’ils veulent aujourd’hui, c’est savoir ce que contient précisément sa sœur – petite ou grande sœur, comme vous le voulez, c’est de toute façon un peu la même chose.

Les principales dispositions de cette directive sont maintenues en l’état. Je ne comprends pas que mes collègues de la majorité ne s’en soient pas aperçus. Ont-ils réellement travaillé sur ce sujet ?

Rien n’est clarifié sur le fond.

M. André Gerin. C’est le double langage !

Mme Geneviève Gaillard. Malgré ce qui vient d’être dit, même avec ce texte-là, le juge sera dans l’obligation dans certains cas de faire la loi. C’est ce que nous ne voulons pas.

Nous avons dit haut et fort, même Jean-marc Ayrault, que nous souhaitions une harmonisation sociale et fiscale préalablement à l’adoption d’une telle directive. Sinon, ce seront toujours les salariés qui en feront les frais, nous le savons.

M. André Gerin. Ce sera la loi de la jungle !

Mme Geneviève Gaillard. En effet, ce sera la loi de la jungle.

Ce que l’on nous propose aujourd’hui est d’une inspiration libérale très forte.

M. Guy Teissier. Oh, ce n’est pas beau alors !

Mme Geneviève Gaillard. Nous souhaitons donc, nous socialistes, que cette proposition de résolution soit adoptée.

M. le président. Je vous indique, mes chers collègues, que sur les conclusions de rejet de la commission, je suis saisi, par le groupe des député-e-s communistes et républicains, d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Jean-Claude Lefort, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jean-Claude Lefort. Chacun, pour peu qu’il soit objectif, aura noté – et ce que je dis pourra être vérifié dans le compte rendu du Journal officiel – l’incapacité totale de ceux qui sont opposés à notre résolution de faire la moindre démonstration que le principe du pays d’origine n’est pas maintenu en sa substance dans le nouveau texte sur les services. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Daniel Mach. Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre !

M. Jean-Claude Lefort. Ce sont certainement des adeptes avisés de l’auteur du Guépard, qui écrivait qu’il faut que tout change afin que rien ne change.

M. Charles Cova. Avec vous, cela ne risque pas de changer !


M. Jean-Claude Lefort
. La directive Bolkestein 2 a été remaniée – c’est vrai – pour rester identique en son fond. Voilà le premier argument, simple à comprendre.

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes, qui est sans doute en Allemagne aujourd’hui, expliquait au mois de février que la France entendait défendre la primauté du droit social du pays de destination et non celui du pays d’origine : « Nous continuerons à défendre ce principe simple et protecteur des droits des travailleurs dans le cadre de la négociation sur la proposition de directive services. »

Dès lors que le principe du pays de destination n’est pas inscrit noir sur blanc dans cette directive, il est clair que le doute n’est pas de mise et que c’est ce qui l’a remplacé et non pas supprimé qui s’impose, à savoir que l’État membre dans lequel le service est fourni garantit le libre accès à l’activité des services ainsi que son libre exercice sur son territoire – en France, pour ce qui nous concerne.

On nous objecte la directive sur le détachement des travailleurs. Mais outre qu’elle ne concerne que ceux des travailleurs qui sont détachés et non l’ensemble des prestataires de services, elle ne couvre pas les périodes de moins de huit jours.

Je note que vous n’avez pas répondu sur ce sujet, monsieur le ministre.

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Mais si !

M. Jean-Claude Lefort. Que faites-vous de ce scandale d’aujourd’hui, de ces hommes qui viennent en esclaves des pays de l’Est…

M. Guy Teissier. Vous pouvez en parler, vous les avez asservis pendant cinquante ans !

M. Charles Cova. Ce sont vos camarades communistes qui dirigeaient ces pays, monsieur Lefort !

M. Jean-Claude Lefort. …d’où ils arrivent en camion pour manger dans des gamelles et être payés six fois moins cher que leurs collègues français ?

M. Jean-Marc Nudant. C’est le résultat de cinquante ans de communisme !

M. Jean-Claude Lefort. Voilà ce qui se passe aujourd’hui en France !

Quel est donc ce droit qui s’applique et qui permet que les travailleurs polonais travaillent chez nous dans des conditions inacceptables ?

M. Guy Teissier. Vous avez été un suppôt de ce système. Vous êtes un propagateur de misère !

M. Jean-Claude Lefort. La directive sur le détachement des travailleurs, actuellement réétudiée par le Parlement européen, était censée harmoniser les choses par le haut : cette harmonisation préalable était une des conditions posées par l’Assemblée nationale.

Dire alors que cette proposition de résolution est sans objet – et je passe sur les injures – revient à faire preuve d’un mépris insupportable.

Vous invoquez enfin, monsieur le ministre, l’argument d’autorité, en nous disant que, puisque les principaux partis européens ont voté pour cette directive il faut les suivre. Mais ne vous rappelez-vous pas que les principaux partis français avaient appelé à voter oui au référendum ? (« Très juste ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Qui a le plus de valeur : le peuple ou les partis ? Le peuple ou les élites ? Nous préférons, pour notre part, le peuple aux élites. Quant à vous, vous ne respectez ni vos engagements d’hier ni le vote du peuple français, le 29 mai dernier. Alors comme on dit chez nous pour celui qui ment : « Cochon qui s’en dédit. » (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je rappelle que je vais mettre aux voix les conclusions de rejet présentées par la commission. Il s’ensuit que ceux d’entre vous qui sont favorables à la proposition de résolution devront voter contre les conclusions de rejet et que ceux qui y sont défavorables devront voter pour.

M. Maxime Gremetz. Expliquez-leur bien, car ils vont avoir du mal à comprendre.

M. le président. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

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M. le président. Le scrutin est ouvert.

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M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

L'Assemblée nationale a adopté.

En conséquence, la proposition de résolution est rejetée.

ordre du jour des
prochaines séances

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 1206, relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information :

Rapport, n° 2349, de M. Christian Vanneste, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à onze heures trente-cinq.)