Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus intégraux (session ordinaire 2005-2006)

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire
Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Troisième séance du mardi 28 mars 2006

184e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LUC WARSMANN,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

transparence et sécurité
en matière nucléaire

Suite de la discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d’urgence

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (nos 2943, 2976).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Monsieur le président, madame la ministre de l’écologie et du développement durable, mes chers collègues, dans un rapport rédigé conjointement avec Claude Birraux et déposé récemment, j’ai évoqué les grands enjeux de la politique énergétique en matière de technologies économes dans le domaine de l’effet de serre. Tous les pays développés dans le monde s’efforcent de trouver des substituts aux énergies qui rejettent du dioxyde de carbone ou d’autres gaz à effet de serre. Or on perçoit aujourd’hui mieux que dans un passé récent les limites des énergies renouvelables connues et maîtrisables : l’hydroélectricité, qui a encore de grosses potentialités de développement en Asie, en Afrique, ou même ailleurs – en Europe –, est parvenue en France à un niveau d’exploitation maximal, sauf quelques réserves, d’utilisation politiquement délicate, en matière de petite hydraulique ; l’énergie éolienne, intéressante en fourniture de pointe et dans des conditions favorables de production, montre ses limites dans beaucoup de pays voisins,…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Ç’est bien vrai !

M. Christian Bataille. …dont l’Allemagne où, malgré un développement massif avec 16 000 mégawatts installés, elle ne contribue que pour 3 % à la production d’électricité ;…

M. Patrick Ollier, président de la commission. Tout ça, c’est du vent ! (Sourires.)

M. Christian Bataille. …le solaire photovoltaïque, pour lequel la recherche offre des perspectives, représente une solution pour des applications locales, mais apporte pour l’instant une contribution négligeable au niveau national. Dans ce contexte qui limite les réponses possibles, notre pays, ne disposant pas comme ses voisins allemands et anglais de ressources fossiles importantes…

M. Daniel Paul. Ils en ont de moins en moins !

M. Christian Bataille. …– le charbon pour les Allemands, le gaz et le pétrole pour les Anglais –, s’est tourné très tôt, le premier en Europe et le plus fortement, vers l’énergie nucléaire.

Toutefois, à côté de ses avantages, le nucléaire ne peut être poursuivi dans l’avenir – il faut être lucide – qu’à condition, d’une part, d’avoir réglé le problème des déchets radioactifs et, d’autre part, de garantir un haut niveau de sûreté, ce que nous essayons de faire aujourd’hui. Les déchets radioactifs vont faire l’objet, nous le savons tous, d’un débat dans les jours qui viennent, et je souhaite, au nom du groupe socialiste, qu’il soit le plus complet possible et que le Gouvernement y prenne toute sa part.

La sûreté nucléaire est une condition sociale et politique d’une exigence récente de ce que l’on peut appeler une « citoyenneté énergétique ».

Pendant tout le XIXe siècle et la plus grande partie du XXe siècle, la fourniture d’énergie a été vécue comme un problème industriel qui ne faisait pas débat, comme un choix technique qui ne relevait pas du débat politique, sauf quand de grandes catastrophes, comme celle de Courrières il y a très exactement cent ans, posaient le problème du coût humain à payer en rançon du progrès industriel. Notre pays, privé très tôt dans son histoire de ressources fossiles – contrairement, je le disais, à ses voisins anglais et allemands –, a fait le choix de développer l’énergie nucléaire à partir des années 70, sans que cet engagement fasse l’objet d’un débat politique dans ses détails.

Ce sont les accidents successifs de Three Miles Island et de Tchernobyl qui ont induit l’idée que les choix énergétiques devraient être soumis aux instances de la démocratie. Le débat sur les déchets nucléaires, vieux de quinze ans – il remonte à 1991 –, ne saurait constituer à lui seul une réponse démocratique. Le Parlement est encore top peu consulté, et si l’on peut se réjouir qu’il ait eu l’occasion de se prononcer lors de la construction de l’EPR de Flamanville,…

M. Claude Gatignol. Très bien ! Bonne référence !

M. Christian Bataille. …je n’imagine pas que des décisions de construction de tranches nouvelles, dans les décennies qui viennent, soient prises sans l’aval du Parlement. Le modèle ancien, celui des décisions prises d’en haut, par les seuls techniciens, est désormais caduc. Le Parlement, expression de notre modèle démocratique, a tout son rôle à jouer dans l’avenir ; en contrepartie, il faudra accepter ses décisions quand le débat aura eu lieu.

Cela m’offre une transition toute trouvée pour aborder l’aspect central du projet de loi : la veille exercée sur les industriels par une autorité indépendante est une nécessité, mais, dans le même temps, la transparence et la démocratie exigent que les représentants de la volonté populaire, Gouvernement mais aussi Parlement, aient un pouvoir de contrôle ultime et conservent la maîtrise des grands choix qui engagent la collectivité nationale.

Tout d’abord, il est indispensable qu’une « autorité », selon le terme du texte, exerce son contrôle sur les industriels. L’extrême technicité, le professionnalisme de nos industriels, principalement d’EDF et d’AREVA, nous ont jusqu’alors épargné des incidents graves de conséquences. Cependant, l’ouverture à la concurrence, la privatisation possible de nos grandes entreprises, l’arrivée de nouveaux partenaires, vont rendre la course à la compétitivité encore plus intense et justifier d’autant plus l’intervention d’un arbitre : l’autorité de sûreté. Celle-ci doit disposer d’une marge de manœuvre et des moyens d’être entendue. Le texte qui nous est soumis aujourd’hui, à l’étude dans les instances de l’État depuis un certain temps, prévoit bien cette donnée.

Il faudra cependant, dans l’application, éviter de privilégier une interprétation délictueuse du texte, qui ferait de tout industriel de l’énergie nucléaire un délinquant en puissance. À partir du moment où les règles sont fixées, il faut que nos industries continuent à disposer d’une marge d’initiative suffisante. Surtout, la conception d’une autorité indépendante ne doit pas aboutir à la mise en place d’un véritable État dans l’État. Le fonctionnement du régulateur nucléaire aux États-unis, la NRC, offre de ce point de vue une illustration de ce qu’il ne faut pas faire. Traduction de la conception libérale, dominante dans ce pays, la NRC s’est comportée depuis sa création comme une instance se substituant au pouvoir politique pour opérer des choix énergétiques qui relevaient auparavant des pouvoirs politiques. C’est à une véritable perte de maîtrise de ceux qui sont élus que nous avons assisté de l’autre côté de l’Atlantique.

M. François Sauvadet. Il a raison !

M. Christian Bataille. Madame la ministre, comme M. le rapporteur l’a indiqué à la commission la semaine dernière, le groupe socialiste sera particulièrement attentif à la manière dont vous allez définir le partage des rôles entre le pouvoir politique et l’autorité de sûreté nucléaire. Il est indispensable que l’autorité de sûreté puisse remplir pleinement son rôle d’application des règles et parfois, dans des cas exceptionnels, de sanction. Mais les arbitrages ultimes en matière de choix énergétiques doivent rester au Gouvernement.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Christian Bataille. En outre, il n’en est pas beaucoup question dans le texte mais je veux l’affirmer ici : le Parlement, expression de la volonté populaire, doit dans l’avenir jouer un rôle accru. En saisissant en 1990, le Parlement, à travers l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques, sur le dossier des déchets nucléaires, le gouvernement de Michel Rocard a, à cette époque, ouvert une pratique politique nouvelle que, désormais, il faut étendre à d’autres domaines de l’énergie nucléaire. Dans le domaine de la sûreté nucléaire, dans celui de toute l’industrie nucléaire, même pour tout le dossier énergétique, il nous faudra définir, par la loi ou par une pratique démocratique plus tranquille, la manière dont le gouvernement rendra compte régulièrement devant le Parlement : en commission, ou mieux encore en séance avec débat, avec ou sans vote.


Si la sécurité en matière de nucléaire doit rester l’affaire de tous, il est indispensable, pour la traiter sérieusement, de donner tous les moyens nécessaires aux organismes de contrôle. Ceux de l’IRSN, par exemple, sont insuffisants par rapport à son objet. Le nombre des inspecteurs chargés de surveiller la filière nucléaire est actuellement trop faible pour assurer un contrôle satisfaisant. Aussi le renforcement des moyens devrait-il, madame la ministre, être une priorité de votre action.

Pour terminer sur des points divers, je souhaite que l’examen des amendements soit l’occasion d’en revenir à certains aspects du texte du Gouvernement qui étaient satisfaisants – Jean-Yves Le Déaut l’a rappelé tout à l’heure –, mais qui ont été altérés par des amendements sénatoriaux ne proposant par ailleurs aucune véritable avancée.

Il nous paraît notamment important que les installations nucléaires intéressant la défense soient, comme le proposait la rédaction initiale du Gouvernement, soumises aux mêmes obligations d’information et de contrôle que les INB civiles « dans des conditions fixées par décret ».

M. Jean-Yves Le Déaut. Tout à fait !

M. Christian Bataille. En outre – et ce n’est pas un détail –, le Haut comité d’information sur le nucléaire n’a jamais fonctionné : nous vous demandons, ainsi qu’à M. le rapporteur, d’en améliorer la composition, car celle qui a été retenue par le Sénat est peu satisfaisante, et d’y inclure les parlementaires, selon une formule déjà expérimentée dans le domaine des déchets nucléaires et qui a montré son efficacité.

Enfin, l’énergie et l’industrie nucléaires représentent des enjeux de long terme. La durée d’une législature est bien courte face à des engagements dont l’unité de mesure est la cinquantaine d’années et qui nous conduisent vers la fin du XXIe siècle, c’est-à-dire bien au-delà des limites de nos pauvres existences – même si je souhaite à certains privilégiés d’aller jusqu’à ce terme ! (Sourires.)

L’ampleur de l’enjeu suppose donc que la majorité en charge du gouvernement de notre pays sache dépasser son horizon quotidien et montre son intérêt pour les propositions de l’opposition, notamment celles du groupe socialiste. Nous y serons très attentifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Le Parlement a arrêté les grandes orientations de la politique énergétique de la France lors du débat sur la loi d'orientation relative à l'énergie. Nous abordons maintenant le cadre législatif.

La majeure partie de l’opinion publique française est de plus en plus favorable au nucléaire. Habitant à quinze kilomètres du site de la centrale de Golfech, je garde en mémoire la profonde défiance populaire qui a marqué les débuts du nucléaire français et le climat particulièrement tendu sur le site au début des années quatre-vingt.

L'image du nucléaire s'est améliorée ces dernières années, et pour des raisons objectives : la sûreté, à ce jour, de la filière ; la sensibilisation croissante du public aux enjeux environnementaux et aux atouts du nucléaire face au défi de l'effet de serre et du réchauffement climatique ; la volonté, elle aussi croissante, de renforcer l'indépendance énergétique de notre pays ; une réelle sensibilité au fait que le nucléaire contribue à la compétitivité de notre économie par des prix de production stables et relativement bon marché.

Tout va-t-il donc pour le mieux dans notre pays en matière de politique de développement du nucléaire ? L'UDF ne baigne pas dans cette douce euphorie.

Lors de l’examen de la loi d'orientation relative à l’énergie, la question du nucléaire et du lancement du nouveau réacteur EPR a focalisé l'essentiel de nos débats. Selon l’UDF, il aurait fallu d’abord calibrer la demande et fixer des objectifs très forts de réduction de l’intensité énergétique finale. À partir de cette évaluation des besoins, nous aurions pu définir politiquement le bouquet énergétique de notre nation en distribuant les rôles entre la production électronucléaire, la place des énergies fossiles et celle des énergies renouvelables.

Si notre groupe a approuvé la construction d'un démonstrateur EPR, il estime, en revanche, qu’aucune réponse n’a été apportée sur le fond pour la filière nucléaire française dans le texte de la loi d’orientation sur l’énergie. La question est simple : combien de centrales nucléaires – et pour quelle puissance de production – devrons-nous reconstruire pour remplacer le parc actuel et satisfaire aux besoins énergétiques de la nation ? Cette question centrale n’a pas encore trouvé de réponse.

M. François Sauvadet. C’est vrai !

M. Jean Dionis du Séjour. Pour notre part, nous reconnaissons le rôle positif et central du nucléaire dans l'offre énergétique française, mais nous sommes a priori opposés à un renouvellement à l'identique de notre parc nucléaire, dont la production représente aujourd'hui 78,2 % de la production totale d'électricité.

Pour obtenir une réelle diversification du bouquet énergétique français, il faut se fixer une règle simple : recentrer la production d'électricité nucléaire sur la satisfaction de la base de notre demande énergétique ; quant au gaz naturel et aux énergies renouvelables, ils doivent monter en puissance pour satisfaire les besoins exprimés en semi-base et en pointe.

C'est fort de ces convictions et avec l’espoir d’une telle politique d'avenir que nous abordons ce débat qui conditionne le renforcement de la confiance nationale dans cette filière stratégique qu’est le nucléaire.

Or, nous le savons – Christian Bataille l’a rappelé –, le point faible de cette dernière et la principale source de la défiance populaire restent la gestion des déchets, qui représente un véritable enjeu politique dont notre commission se saisira dès demain.

Dans ce contexte, il est en effet utile de renforcer l'adhésion – et donc la confiance – de la nation dans cette filière centrale de notre approvisionnement énergétique. Le groupe UDF en appelle donc à une gestion exemplaire de ce dossier, qui permette d'aboutir à des votes unanimes, ou presque, du Parlement. Il s’agirait là d’un signal fort pour l'ensemble de nos concitoyens : la balle est dans votre camp, madame la ministre, au moins pour la première mi-temps.

Encore faut-il vouloir créer les conditions d’un tel rassemblement. Permettre un débat sur le thème de la transparence et de la sûreté nucléaire, fixer un cadre législatif approprié pour atteindre cet objectif, est a priori une excellente chose.

Au reste, me direz-vous, tout n’a pas si mal fonctionné jusqu’à présent : pour preuve, les bonnes pratiques des uns et des autres et l'absence d'incident majeur, qui atteste le bon niveau de sécurité actuel de notre filière nucléaire.

M. Daniel Paul. Pourvu que ça dure !

M. Jean Dionis du Séjour. En effet.

Cependant, les exigences grandissantes de nos concitoyens en matière de transparence, notamment dans la perspective de la nouvelle génération de centrales nucléaires – avec le fameux EPR – ; celles de réponses plus satisfaisantes sur le traitement des déchets ; la libéralisation croissante du marché de l'énergie : tout imposait qu'un jour ou l'autre, la France décide de se donner, par la loi, des règles précises en la matière.

Permettez par ailleurs à l'UDF d'affirmer qu'il est aussi temps que l'Union européenne en fasse de même : à quand une directive européenne sur ce sujet ? Tchernobyl ne nous a-t-il rien appris, à nous Européens ? Et que faisons-nous pour nos territoires situés à proximité de centrales étrangères, comme les départements du Nord et du Pas-de-Calais, près des centrales belges d’Electrabel ?

Pour améliorer encore la confiance de nos concitoyens, il faut garder à l'esprit leurs préoccupations majeures et d’ailleurs légitimes : la santé publique et l’environnement, pour lesquels le nucléaire est encore perçu comme une source de danger.

En ce qui concerne la santé publique, nous nous sommes déjà vivement battus, lors des discussions sur le projet de loi d'orientation relatif à l'énergie, pour qu’elle soit inscrite parmi les grands objectifs de la politique énergétique de la France.

Le deuxième objectif de cette politique est désormais inscrit en ces termes dans notre loi : « mieux préserver la santé humaine et l'environnement et, en particulier, améliorer la protection sanitaire de la population en réduisant les usages énergétiques responsables de pollutions atmosphériques ».

Nous sommes encore beaucoup trop timides, comme l’a rappelé Jean-Yves Le Déaut, dans la définition la plus rationnelle et la plus transparente possibles du niveau de risque de pathologies graves liées au nucléaire. Trop de rumeurs, sans doute infondées, courent toujours – notamment à proximité des centrales – sur les risques accrus d'être atteint par tel ou tel cancer, comme celui de la thyroïde. Le nucléaire n'a rien à cacher, ni rien à craindre d'une véritable surveillance sanitaire à proximité de ses installations.

Des enquêtes épidémiologiques très poussées et très fréquentes, je le répète après Jean-Yves Le Déaut, doivent être menées sur le long terme et de manière scientifiquement incontestable par l'Autorité. Leurs résultats doivent être communiqués au public, dans cet esprit de confiance et de transparence que nous voulons établir entre la nation et son industrie nucléaire.

Quant à l’impact de la filière sur l'environnement, permettez au riverain de la Garonne que je suis d'aborder un point très précis et important pour notre sujet : l'utilisation de l'eau des rivières pour le fonctionnement de nos centrales.

Rappelons-nous l’été 2003 : la France a vécu l’un de ses plus violents épisodes de sécheresse de ces cinquante dernières années. Brutalement, la température des rivières a atteint près de 30 degrés, interdisant les rejets d'eau chaude en provenance des centrales nucléaires et compromettant leur fonctionnement. Ainsi, en plein été, nous avons craint pour l’approvisionnement en électricité de notre pays.

Une série de dérogations fut alors accordée en urgence. Avons-nous tiré toutes les leçons de cette alerte ? Cette question déjà épineuse va le devenir de plus en plus, puisque, à en croire les climatologues, les températures, notamment estivales, vont continuer à augmenter.

Il va donc falloir trouver de nouvelles règles d'arbitrage entre la nécessité d'utiliser de l'eau pour assurer un bon fonctionnement des centrales et les conséquences de ces rejets d'eau chaude sur les milieux aquatiques de plus en plus souvent asséchés.

L'Autorité de sûreté nucléaire devra proposer une solution satisfaisante pour tous : exploitants d'installation, citoyens ou encore agriculteurs. C’est là, madame la ministre, un problème politique très sensible que nous devons avoir résolu à l'issue de notre examen des projets de loi sur le nucléaire et sur l'eau.

L’objectif affiché du texte est d'améliorer la gouvernance de notre pays en matière nucléaire, notamment par la création d’une institution indépendante du pouvoir politique : l'Autorité de sûreté nucléaire. Ce projet de loi prévoit de lui conférer des missions et des moyens étendus pour lui permettre de contrôler le respect de grands principes.

Les débats et les inquiétudes se sont cristallisés autour de cette autorité indépendante. Que faut-il en penser vraiment ? Il est vrai qu'en matière de nucléaire, nous devons être très prudents : une autorité indépendante, oui ; une autorité irresponsable, non.

Le choix s’est donc porté en faveur d’une autorité indépendante, comme il en existe déjà plus d'une trentaine, selon le Conseil d'État, dans d'autres secteurs. L'UDF n'est pas opposée par principe à ce type de statut, notamment lorsqu’il permet d’éviter que l'État ne soit à la fois juge et partie, État-actionnaire et État-régulateur dans des activités économiques stratégiques.

Pour cette raison, nous avons soutenu ce type de structures, mises en avant par le législateur européen, quant elles se sont avérées adaptées – je pense par exemple à l'ARCEP, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

Le statut d'autorité indépendante garantit-il de manière automatique un fonctionnement à la fois efficace et indépendant ? Notre groupe, qui a entendu les interrogations de nos collègues communistes et républicains, se gardera de tout angélisme en la matière. Il y a effectivement un risque, que nous devons gérer, que les membres de l’Autorité, s'ils sont nommés sur leur compétence, aient fait une partie de leur carrière dans l'industrie nucléaire et ne soient par forcément dans la meilleure situation pour être impartiaux. A contrario, s'ils proviennent de la société civile, on peut s’interroger sur leur pleine efficacité dans un domaine aussi hautement technique.


Il y aura donc là un équilibre difficile à tenir, ce qui ne donne que plus de raisons au Gouvernement et au Parlement d’être vigilants.

Heureusement – et sur ce point, notre avis est différent de celui de Christian Bataille –, la sagesse de nos collègues du Sénat et de la commission des affaires économiques a permis d’apporter une première série de garanties qui vont dans le bon sens.

Ce texte permet également d’autres avancées, notamment concernant les CLI et le Haut comité de transparence.

Pour conclure, le groupe UDF – François Sauvadet le confirmera dans quelques instants – aborde ce texte, qui apporte un cadre législatif utile et nécessaire à une question qui reste délicate et qui sera centrale dans les années à venir, de manière positive.

Nous espérons que l’ensemble de nos travaux nous permette de nous rapprocher de l’objectif d’un vote unanime – ou presque – du Parlement. À vous, madame la ministre, et à nous de faire preuve d’imagination, d’audace et de sens du compromis – denrée rare par les temps qui courent ! – pour y arriver. La confiance forte et durable de notre peuple dans cette énergie de l’avenir mérite cet effort. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cela fait maintenant plus de trente ans que la France a développé une filière industrielle dans le nucléaire civil. Celle-ci repose sur un véritable savoir-faire d’ingénieurs, de techniciens et d’ouvriers travaillant au sein de grandes entreprises publiques connues et reconnues, prenant en charge l’intégralité du cycle radioactif.

Ce système, qui a fait la preuve de son efficacité, a permis à la population française de bénéficier, en toute confiance, des avantages du nucléaire dans les domaines énergétique et médical. C’est sans doute pour ces raisons que les sites de production installés en différents endroits du territoire français sont globalement acceptés par la population.

Aujourd’hui, cette industrie continue d’être nécessaire, notamment pour l’approvisionnement en énergie de notre pays. En effet, la hausse continue de la consommation globale en énergie, les incertitudes planant sur les ressources en hydrocarbures et les risques liés au rejet de gaz à effet de serre nous incitent à poursuivre dans la voie du recours à l’énergie nucléaire. Cette direction ne peut être suivie cependant que si toutes les conditions sont réunies pour assurer une sécurité maximale dans cette filière.

C’est pourquoi nous approuvons la mise à l’ordre du jour de ce projet qui, initié sous la législature précédente, regroupe, dans un texte unique, la surveillance et le contrôle de l’industrie nucléaire civile. Il permettra de donner un cadre juridique solide au contrôle du nucléaire civil.

Nous approuvons également la volonté de tenir les citoyens informés sur la filière nucléaire, avec la reconnaissance des CLI et la création d’un comité chargé de diffuser l’information à ce sujet.

Toutefois, nous éprouvons de réels doutes sur le sérieux de votre démarche, madame la ministre. C’est fort regrettable pour un texte aux enjeux aussi forts. En effet, l’urgence a été déclarée sur votre projet de loi, puis levée, certes, mais vous n’en forcez pas moins le Parlement à enchaîner, en moins d’un mois, et dans l’urgence, deux textes sur le nucléaire civil, je le disais cet après-midi, puisque nous devrons examiner aussi un texte sur le traitement des déchets.

Voilà qui révèle à la fois votre manque de considération à l’égard du travail parlementaire et votre empressement à boucler un texte sur la « transparence » d’une façon peu digne.

Plus fondamentalement, nous contestons les moyens que vous mettez en œuvre pour assurer la transparence et la sécurité dans le nucléaire civil. Si nous approuvons, bien sûr, les objectifs affichés – car transparence et sécurité en matière nucléaire sont des conditions indispensables à la poursuite d’une filière à risque, et à son acceptation par la population –, la voie choisie par le Gouvernement nous semble très contestable.

Disons d’emblée que votre approche libérale des questions nucléaires est difficile à accepter. Avec la création de différentes structures de communication et d’une autorité indépendante de l’État, vous vous drapez dans un affichage politique, tout en faisant l’impasse sur les questions de fond.

En effet, si le titre IV édicte une série de normes visant à réglementer le secteur, votre texte ignore les rapports de forces économiques, qui conditionnent pourtant très largement le secteur en question et les enjeux de sécurité.

L’ouverture à la concurrence du secteur énergétique, votée par votre majorité en juillet 2004, modifie considérablement le paysage énergétique. EDF, exploitant public, risque, en effet, de ne plus disposer du monopole d’exploitation de la filière nucléaire française, alors même qu’elle avait construit un appareil de production performant et sûr. Suez, avec Electrabel, pourrait investir prochainement sur le marché français dans le cadre de sa fusion avec GDF, venant ainsi directement concurrencer EDF sur notre territoire, dans sa production énergétique.

Comptez-vous, face à ces évolutions, laisser une fois de plus jouer « la main invisible du marché », pour reprendre une expression maintes fois employée au printemps 2004 ?

Mon collègue Jacques Desallangre a bien montré que les logiques auxquelles sont poussées les entreprises publiques pour rentrer dans le marché concurrentiel et capitalistique ne font pas toujours bon ménage avec une véritable politique de sûreté et de sécurité. Le tribunal de Dijon ne vient-il pas de condamner GDF pour manquement à des obligations d’entretien et de maintenance ?

Le rapport qu’a remis, en 2002, l’inspecteur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, dans lequel il étudiait la situation aux États-Unis, où la libéralisation est très avancée, n’incite guère non plus à l’optimisme. Ainsi, concernant la centrale de Davis Besse, il remarquait que « le bon équilibre sûreté-sécurité n’était plus correctement assuré, cette situation ayant conduit progressivement à une implication minimale pour respecter les contraintes réglementaires et à considérer comme normales des situations dégradées ».

En effet, pour rester compétitives dans un marché ouvert, les entreprises s’orientent, tout naturellement, vers la recherche systématique d’un abaissement des coûts de production. Le risque devient, alors, une dimension naturelle de l’activité.

En France, le changement de statut d’EDF et l’ouverture de son capital à des investisseurs privés se sont accompagnés d’une transformation des règles de gestion de l’entreprise. Cette déréglementation s’est traduite par une dégradation effective du niveau de sûreté, qui tire son origine d’une gestion et d’un management tournés désormais vers la recherche de gains financiers.

Ainsi, depuis maintenant cinq années, les rapports annuels de l’inspecteur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, ainsi que celui des autorités de sûreté nucléaire, alertent sur les incidences de la recherche de la compétitivité associée à la libéralisation du secteur. Ils soulignent, notamment, l’évolution des conditions d’exploitation pour tenir compte des aléas du marché et garantir l’augmentation des marges financières.

Dès lors, une question se pose : comment allez-vous garantir une sûreté et une sécurité maximales dans les centrales nucléaires quand les exploitants seront amenés à réduire leurs coûts de production pour gagner – ou garder – des parts de marché ?

Votre texte ignore totalement ce contexte politique et économique, alors même qu’il prétend offrir aux citoyens les meilleures conditions de sécurité. Pour assumer réellement votre responsabilité devant nos concitoyens, vous ne pouvez refuser d’apporter des réponses à ces questions bien réelles.

Loin du chauvinisme économique, il s’agit de regarder en face ces évolutions préoccupantes du contexte politique et économique en matière de nucléaire civil, et d’examiner la compatibilité entre la sécurité nucléaire et la concurrence propre au marché.

La principale mesure de ce texte est la création d’une haute autorité administrative – du moins en l’état actuel du texte, mais peut-être sera-t-elle transformée tout à l’heure en une « autorité » – chargée d’une mission de contrôle dans le domaine nucléaire. Elle regrouperait les missions, les personnels et les moyens de l’actuelle Direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection et de ses antennes régionales.

Vous prétendez, par cette mesure, permettre à la France de répondre aux standards internationaux. Pourtant, l’organisation actuelle du contrôle du nucléaire en France correspond à ces standards, définis par l’AIEA, qui consistent à séparer l’instance qui a en charge le contrôle de celle qui définit la politique énergétique publique. En effet, l’actuelle DGSNR est bien distincte de la Direction générale de l’énergie et des matières premières.

Mais le Gouvernement et la majorité mettent en avant un autre argument pour justifier la création d’une autorité administrative : l’exigence d’indépendance dans les questions nucléaires. Là encore, il convient d’examiner de plus près vos propositions. Cette haute autorité serait composée de cinq membres nommés par le Président de la République et les présidents des deux chambres parlementaires. Permettez-moi de douter de l’indépendance d’une telle autorité par rapport au pouvoir politique !

Elle n’est d’ailleurs elle-même contrôlée par personne alors qu’elle concentre, tout au moins dans la version initiale du texte, des pouvoirs aussi larges que ceux du contrôle de l’application des réglementations, de l’information du public dans ce domaine, de l’organisation de l’inspection de la sûreté nucléaire, ainsi que des pouvoirs d’expertise et de proposition pour élaborer une position française dans les négociations internationales relatives au nucléaire. Excusez du peu !

Où trouve-t-on la transparence et l’équilibre des pouvoirs dans cette structure ?

Au vu de ces contradictions, faut-il conclure que les objectifs poursuivis par votre gouvernement sont autres que ceux que vous annoncez ? Pourquoi retirer à l’État des compétences dans un domaine sensible, qui est au cœur de ses missions régaliennes ? Pourquoi lui retirer des pouvoirs aussi importants que ceux de police et de constat d’infractions ? Pourquoi passer outre l’avis du Conseil d’État, datant de 1999, qui estimait que « le transfert de pouvoirs de décision et de contrôle dans les domaines de police spéciale que sont la sûreté nucléaire et la radioprotection n’est pas justifié » ?

Le Conseil d’État insistait aussi sur le fait que les dispositions envisagées conduisent à une répartition incertaine et incohérente entre le Gouvernement et l’autorité en cause. Si un amendement du rapporteur s’efforce de clarifier la répartition des pouvoirs entre la Haute autorité et l’État, l’ajout d’une autorité aux missions plus larges que celle du contrôle des décisions gouvernementales risque de réduire la visibilité et la lisibilité des décisions prises.

Dès lors, la création de cette agence ne vise-t-elle pas, avant tout, à empêcher l’État d’être maître des décisions dans un environnement concurrentiel ? Une remarque s’impose, en effet : cette autorité administrative rappelle, à bien des égards, la Commission de régulation de l’énergie ou l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, dont les appellations cachent mal qu’elles ne sont là, finalement, que pour imposer au secteur public les règles du marché.

M. François Brottes. C’est vrai !

M. Daniel Paul. Une façon, somme toute à peine cachée, de préparer l’ouverture à la concurrence du marché du nucléaire, avec EDF au cœur de ce maelström !

Comment pouvez-vous prétendre garantir la sécurité, en vous contentant d’instaurer un gendarme nucléaire, mais sans prendre les mesures volontaristes qui s’imposent pour encadrer ce secteur industriel à risque ? Où sont, en effet, les mesures pour garantir les meilleures conditions de travail possibles aux salariés du nucléaire ? Les normes sont, certes, essentielles pour assurer la sûreté du processus de traitement de la matière nucléaire, mais les conditions de l’intervention humaine sont également déterminantes pour assurer la sûreté en matière nucléaire. Les risques liés aux activités nucléaires sont donc, en grande partie, des risques professionnels.

Le recours de plus en plus important, chez EDF, à des entreprises sous-traitantes aurait mérité une intervention du Gouvernement. En effet, l’Autorité de sûreté nucléaire souligne à ce sujet : « Lorsque des prestataires d’EDF sous-traitent à des entreprises qui, à leur tour, font appel à la sous-traitance, il devient difficile de contrôler effectivement la qualification de l’intervenant et la qualité des travaux. » Comment dès lors ne pas voir que ce recours abusif à la sous-traitance comporte un risque pour la sécurité des salariés, la sûreté des centrales et, bien évidemment, pour les populations alentour ?

En outre, il faut rappeler que les conditions de travail proposées par les entreprises sous-traitantes ne sont pas aussi protectrices que celles des salariés sous statut. Non seulement c’est socialement injuste, mais, de plus, cela risque d’entamer la confiance qu’ont les salariés dans leur outil de production. Ainsi, 84 % des salariés des entreprises sous-traitantes souhaiteraient quitter le nucléaire. À terme, c’est aussi la confiance de la population dans cette industrie qui est en jeu.

L’exigence de transparence que vous mettez en avant dans votre texte aurait requis une approche impliquant, de façon plus forte et plus systématique, les salariés dans la gestion de leur entreprise. Le rapporteur semble vouloir rectifier quelque peu le tir, en proposant un amendement relatif au comité d’hygiène et de sécurité. Nous souhaitons néanmoins réaffirmer qu’il n’y a pas de transparence possible sans démocratie dans l’entreprise.

Le statut d’établissement public à caractère industriel ou commercial d’EDF permettait un minimum de consultation des personnels grâce aux dispositions statutaires. La participation des salariés à la gestion de leur entreprise peut encore être améliorée. C’est pourquoi nous avons déposé un certain nombre d’amendements à ce sujet.


Votre texte reste malheureusement déséquilibré et se préoccupe plus de la transparence externe que de celle qui doit régner à l'intérieur des entreprises.

Le projet pêche aussi par son manque d'approche préventive des questions de sécurité. Nous regrettons vivement votre absence totale de questionnement sur le devenir de la recherche publique, sur les efforts à fournir par les entreprises pour investir dans ce domaine, tant sur les déchets que sur la sûreté. Là encore, nous ferons valoir nos propositions par voie d'amendements. Il est vrai que ces dépenses de recherche, dont les retours sur investissements sont souvent incertains, attirent peu les capitaux privés.

La sécurité nucléaire dépend également de la sûreté des installations. C'est pourquoi nous souhaiterions que des études soient menées sur le vieillissement des centrales, de façon à mettre en perspective les objectifs de renouvellement du parc nucléaire. Les salariés, connaissant leur outil de production, devraient également être plus impliqués dans ces décisions.

Ce texte, qui fait abstraction du contexte politique de libéralisation de l'énergie et du nucléaire et qui fait également l'impasse sur toute une série de mesures volontaristes pour promouvoir la sécurité de ce secteur, ne nous satisfait pas. Nous ne sommes donc pas prêts à le voter en l'état. Mais nous espérons que les choses auront évolué à l’issue de ce débat.

M. Jean Dionis du Séjour. La porte est ouverte !

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Dumont.

M. Jean-Louis Dumont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, souffrez qu’un non-spécialiste du nucléaire s’exprime à cette tribune.

Il y a quelques années, j’ai visité les mines d’uranium d’Arlit. J’imagine ce minerai travaillé et enrichi, utilisé dans la filière nucléaire civile ou militaire avant que de devenir, dans vingt-cinq ans, un déchet à vie longue dans notre terre de Meuse.

Permettez à un élu de ce département de dire que ce projet de loi, s’il n’est qu’une évolution dans les esprits, apparaîtra comme une révolution. En effet, chacun s’en souvient, le 26 avril 1986, le réacteur numéro 4 explosait à Tchernobyl. Il suffit de se rendre à la bibliothèque de l’Assemblée pour y consulter un livre décrivant cette tragédie : à cette époque, les savants, les experts, les techniciens et les scientifiques ne pouvaient l’imaginer, et pourtant… J’ai vu en Moldavie les conséquences des retombées de Tchernobyl sur des êtres humains. Après cela, on ne peut que s’interroger sur la sécurité nucléaire et sur la nature des informations transmises au public. Cet après-midi, j’ai entendu des noms circuler dans les travées de notre hémicycle : est-ce un ministre ou le professeur Pellerin qui aurait prétendu que les nuages se seraient arrêtés à nos frontières ? Peu importe ! Moi qui viens de l’est de la France, je puis vous assurer que le nuage ne s’est pas arrêté à la frontière du Luxembourg ! Cet événement a marqué les esprits et désormais, nos concitoyens s’interrogent : nous dit-on la vérité ?

Vous l’avez rappelé, madame la ministre, le principe de précaution est inscrit dans notre Constitution. Et ce principe exige un niveau fiable d’information, pouvant être appréhendé par tous les Français. Il faut nous donner les moyens d’en discuter, dans le cadre d’un dialogue fructueux où pourraient s’opposer diverses conceptions de la démocratie, de l’information et de la responsabilité. Nous devons montrer à nos concitoyens que tout a été mis en œuvre pour garantir la sécurité dans la filière électronucléaire, qui a beaucoup apporté à notre pays, mais qui a sans doute aujourd’hui trouvé ses limites.

J’entends parler de diversification énergétique. Des propositions de loi militantes sont parfois déposées sur le bureau de l’Assemblée, provoquant diverses réactions sur l’utilisation des énergies renouvelables – comme la biomasse – ou du méthane en milieu rural. Des TPE ou des groupes plus importants sont prêts à investir dans ce domaine et, dans le contexte économique, social et politique que nous connaissons, cela peut être un élément déterminant.

S’agissant des industriels du secteur nucléaire, j’ai fait un jour une « plongée » dans le monde d’EDF, cette grande et belle entreprise, présidée alors par notre collègue Edmond Alphandéry. Et je ne citerai pas le nom du directeur général, que Le Canard enchaîné désignait, avec son équipe, comme la « clique du Bugey »… J’ai pu observer les méthodes qui étaient utilisées à l’époque et, aujourd’hui, je puis dire qu’il faut sortir de la culture du secret qui fut longtemps la nôtre. Si vous voulez que cette loi soit exhaustive, madame la ministre, pourquoi en exclure le nucléaire militaire ? Les mêmes dispositions doivent pouvoir s’appliquer aux installations nucléaires de base, civiles ou militaires, même s’il faut évidemment tenir compte du secret défense, comme l’a rappelé Jean-Yves Le Déaut. Lorsqu’une petite installation militaire s’installe à côté de grandes structures civiles, l’ensemble du site relève toujours de la défense nationale. Il y a donc des efforts à faire, faute de quoi le grand public se demandera toujours si on lui cache quelque chose.

Je suis favorable à l’information, même si elle doit être maîtrisée. Dans la Meuse, une entreprise telle que l’Andra a les moyens d’acheter des encarts publicitaires dans les journaux locaux. Il faut donc se méfier du lien créé entre l’information et la publicité. Ne pourrait-on trouver une solution intermédiaire où régnerait une certaine forme d’éthique ?

Une autorité administrative indépendante ? Pourquoi pas, mais nous en avons déjà créé beaucoup, que personne ne maîtrise aujourd’hui. Il y a quelques jours, nous avons reçu le président de la CRE – la Commission de régulation de l’électricité – en commission des finances. Ayant commis un rapport parlementaire sur la transposition d’une directive européenne pour l’ouverture du marché de l’électricité, je puis mesurer quelques années plus tard le chemin législatif parcouru.

M. le président. Veuillez conclure !

M. Jean-Louis Dumont. Déjà, monsieur le président ?

M. le président. Tous les clignotants placés devant vous sont au rouge !

M. Jean-Louis Dumont. Je croyais être irradié par la filière électronucléaire, qui ne doit guère apprécier mes propos !

Il importe surtout de savoir où se situent les responsabilités. Le Gouvernement – quel qu’il soit – et le Parlement doivent être régulièrement informés. La semaine prochaine, nous aurons l’occasion de débattre d’un projet sur la gestion des déchets radioactifs. Nous devons maîtriser tous ces sujets pour, au-delà du cadre législatif, assurer aux Français que nous sommes d’abord animés par le respect de leur citoyenneté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Daniel Paul. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Claude Birraux.

M. Claude Birraux. L’intervention de mon collègue Dumont m’amène à cette réflexion : nous devons être vigilants et précis quant aux termes que nous utilisons. On a ainsi reproché à quelqu’un des propos concernant le nuage de Tchernobyl, mais je vous signale que cette personne a gagné sept procès : elle a en effet toujours dit que le nuage passerait, mais sans qu’il y ait de conséquences sanitaires pour la population. Un de nos collègues est bien placé pour le savoir.

J’en viens à mon intervention sur le projet de loi. L’activité nucléaire est une activité industrielle majeure en France, mais elle s’est développée sur une base juridique extrêmement ténue. C’est un amendement à la loi sur la pollution et les odeurs, adoptée en 1961, qui précise que les installations nucléaires de base sont soumises à autorisation. Il faut y ajouter la loi sur le transport des matières nucléaires en 1980, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur.

Que se passe-t-il dans les autres pays ? À l’occasion de la rédaction du premier rapport confié à l’office parlementaire en 1990, j’avais pu étudier l’organisation de la sûreté nucléaire de différents pays d’Europe et aux États-Unis. Chaque fois, une loi-cadre définit les principes.

En Finlande, celle-ci date de 1958. Elle a créé une agence de sûreté – STUK –, placée sous la tutelle du ministère de la santé, avec la participation du ministère du commerce et de l’industrie. Le Parlement joue également un rôle important, puisque c’est lui qui a décidé de la construction d’une centrale supplémentaire.

En Suède, pays qui avait décidé par référendum en 1980 d’abandonner le nucléaire avant l’an 2000, mais qui ne l’a pas fait, trois lois – en 1958, 1984 et 1989-1990 – sont relatives au financement du stockage dont le contrôle est confié à trois agences indépendantes, sous la tutelle du ministère de l’environnement : une agence pour la radioprotection ; une pour la sûreté, la SKI ; une pour les déchets et combustibles usés, la SKN.

En Belgique, depuis un arrêté royal du 28 février 1963, la sûreté est un service spécialisé du ministère du travail et de l’emploi, avec un conseil supérieur consulté sur la réglementation et l’hygiène pour les travailleurs. Il n’existe pas de moyens techniques propres et l’on fait appel à une association sans but lucratif, Vinçotte, chargée de conseiller l’autorité de sûreté et d’appuyer techniquement le Gouvernement.


En République fédérale d’Allemagne, le principe en vigueur – qui pourrait peut-être nous inspirer – est : « autant de centralisme qu’il est nécessaire, autant de fédéralisme qu’il est possible ». La réglementation est du ressort fédéral, mais son application revient aux Länder, qui agissent au nom du Gouvernement. La loi-cadre sur l’énergie atomique, qui date de 1959, confère un rôle central au BMU, le ministère fédéral de l’environnement, lequel bénéficiait de l’appui technique de l’institut GRS. Cependant, l’accord sur la sortie du nucléaire a bouleversé ces données en interdisant à GRS de mener des recherches sur la sûreté, ce qui est extrêmement inquiétant compte tenu du vieillissement des centrales allemandes. En outre, le BMU ne peut exiger des exploitants l’adoption de normes plus adaptées. C’est comme si on passait d’un siècle à l’autre avec une vieille deux-chevaux sans en vérifier les freins et l’éclairage !

Aux États-Unis, la responsabilité de la sûreté nucléaire est confiée à la NRC, commission indépendante dont les cinq membres ne sont pas nécessairement spécialistes de la question, mais ont recours à un support technique employant plus de 3 000 personnes ou font appel à des compétences extérieures. Le Parlement joue un rôle très important, puisqu’il confirme la nomination des commissaires, proposés par le président des États-Unis. En outre, la NRC vient chaque année devant le Congrès pour défendre son bilan et justifier son budget.

M. Jean-Yves Le Déaut. Eh oui !

M. Claude Birraux. Ainsi, à la différence du Parlement français, le Congrès américain joue un rôle clé dans l’organisation de la sûreté nucléaire et dans la définition des principes qui la guident. Le texte que vous nous présentez va pallier un manque criant dans ce domaine.

Je milite depuis longtemps en faveur de la transparence nucléaire. Permettez-moi, à cet égard, de vous lire cet extrait du rapport de l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, publié le 17 décembre 1990 : « L’importance du parc de centrales nucléaires en France et surtout son rythme de croissance pendant une quinzaine d’années donnent une place particulière à notre pays dans le monde des producteurs d’électricité nucléaire.

« L’absence d’incidents graves et d’accidents, pour un parc d’une cinquantaine de tranches et pour une durée de fonctionnement significative, doit évidemment être mise au crédit de l’exploitant EDF et à celui des autorités de contrôle.

« L’organisation du contrôle de la sûreté des installations nucléaires doit en tout état de cause prendre en compte deux impératifs : la compétence des autorités de sûreté et leur indépendance.

« La compétence est évidemment une exigence capitale pour l’efficacité du contrôle.

« La compétence des autorités de sûreté est indispensable pour que des décisions correctes sur un plan technique soient prises, et ceci en temps et en heure. Elle est également nécessaire pour réduire la longueur des circuits de décision, le recours à un organisme expert externe pouvant rallonger les délais d’action. La compétence est enfin indispensable à long terme pour que les exploitants exécutent, sans mauvaise grâce et donc sans délai, les décisions des autorités de sûreté, les reconnaissant toujours fondées sur un plan technique.

« Mais l’indépendance est également une condition au bon fonctionnement du contrôle de la sûreté des installations nucléaires.

« L’indépendance est nécessaire pour que les impératifs de sûreté l’emportent à chaque occasion sur tout autre considération. L’importance des facteurs économiques en particulier est considérable pour la totalité des exploitants. »

La sûreté est primordiale : tel est le principe qui prévaut dans les pays occidentaux, contrairement à l’URSS, où l’acte principal était la production. C’est ce que j’avais dit, dans un entretien daté de décembre 2000, lorsque je représentais notre assemblée aux auditions parlementaires sur la fermeture de la centrale de Tchernobyl – où je me suis d’ailleurs rendu.

Les travaux de l’office parlementaire ont fait beaucoup progresser la transparence, notamment grâce à la pratique des auditions publiques ouvertes à la presse, et dont le compte rendu intégral est publié en annexe de nos rapports. Les principales difficultés ont été rencontrées dans les domaines de l’environnement et de la santé, pour lesquels l’État n’a pas joué son rôle – sur ce point, je rejoins notre collègue Dumont –, préférant rester en retrait et laisser au SCPRI le soin de répondre en son nom plutôt que de prendre ses responsabilités. Même si quelques progrès ont été enregistrés en ce domaine, la radioprotection a été pendant trop longtemps le parent pauvre du nucléaire, et ce n’est que récemment qu’elle a été intégrée à la direction de la sûreté des installations nucléaires, devenue la DGSNR. Quant à la création de l’IRSN, elle doit un peu à Robert Galley et à moi-même puisque, consultés tous les deux par Matignon sur la voie à suivre, nous avons donné la même réponse, précisant dans quelles conditions et selon quel périmètre l’IPSN devait devenir indépendante en se séparant du CEA, à la suite de quoi le gouvernement Jospin a créé l’IRSN.

Je tiens à rendre ici un hommage solennel au personnel de la DGSNR et à son directeur, André-Claude Lacoste, haut fonctionnaire d’une qualité exceptionnelle, totalement imprégné de sa mission. Sans jamais dévier de ses objectifs, il est parvenu à imposer son autorité à l’ensemble du monde nucléaire.

Mme Nelly Ollin, ministre de l’écologie et du développement durable. C’est vrai !

M. Claude Birraux. Qu’est-ce que la sûreté nucléaire ? Ce n’est pas quelque chose que l’on peut trouver sur une étagère ; ce n’est pas un nirvana que l’on est susceptible d’atteindre un jour ; ce n’est pas même quelque chose qu’une loi peut garantir. C’est une exigence quotidienne. Tous les jours, chaque employé du secteur nucléaire doit se demander ce qu’il peut faire pour l’améliorer. Cette culture de sûreté est une matière vivante, qui se nourrit de la recherche – d’où mon inquiétude au sujet de la situation allemande – et se fortifie à travers les échanges et confrontations entre l’Autorité de sûreté et les exploitants, dont elle doit être la première préoccupation.

Le risque est de tomber dans le même travers que le NRC avant 2000 : l’exploitant peut être tenté de se réfugier dans la paperasse pour se dégager de ses responsabilités. Or ce qui compte, c’est l’efficacité des mesures de sûreté et celle du contrôle.

J’en viens au Comité pour la transparence nucléaire et au rôle joué par les CLI. En 1990, déjà, après avoir auditionné le représentant de ces derniers, j’avais déposé une proposition de loi destinée à leur donner une assise juridique plus stable que ne le permettait la circulaire prise par Pierre Mauroy le 15 décembre 1981.

Ce projet de loi confirme le rôle des CLI, ce dont je me réjouis, d’autant qu’il suit la structure de la proposition de loi que j’avais déposée en 2000, après que Mme Voynet eut été éconduite par le Conseil d’État. J’ajoute qu’après la création du Comité pour la transparence, le Conseil supérieur de la sûreté et de l’information nucléaire ne me semble plus avoir lieu d’être.

Je ne comprends pas la levée de boucliers de certaines associations contre ce texte, elles qui n’ont eu de cesse de réclamer l’indépendance du contrôle et la séparation entre contrôleur et contrôlé. Après avoir organisé l’autonomie de l’IRSN – aujourd’hui appui technique de la DGSNR, demain celui de l’ASN – et renforcé l’actuelle Autorité de sûreté nucléaire en lui confiant la radioprotection, le projet complète le dispositif en organisant l’indépendance de l’autorité de sûreté et en garantissant la transparence.

Ces deux éléments sont essentiels pour gagner la confiance de nos concitoyens. Dans un pays qui produit 80 % de son électricité grâce au nucléaire, le maintien de cette technologie de pointe, élément clé de notre indépendance énergétique et de notre politique de lutte contre l’effet de serre et le réchauffement climatique, passe par une confiance accrue des Français envers ceux qui en ont la charge – l’exploitant, l’autorité de sûreté et le Gouvernement –, et ce dans une transparence parfaitement organisée.

Ce qui nous différencie de ceux qui ont une conception soviétique de l’organisation de la sûreté – et on ne les trouve pas seulement dans l’ex-URSS –, c’est que nous privilégions la séparation des tâches et la responsabilité de chacun. Voilà pourquoi le groupe de l’UMP est favorable à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen de cette loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire est un rendez-vous très attendu, non seulement des parlementaires qui travaillent depuis des années sur ce sujet – rappelons qu’Henri Revol a été désigné rapporteur au Sénat il y a exactement trois ans –, mais plus encore par l’opinion publique, par nos concitoyens. La réussite de cette loi dépend de la crédibilité que nous saurons donner aux institutions nouvelles qui doivent garantir la transparence, sans laquelle aucune confiance durable n’est possible en matière d’appréhension des risques. Rappelons que le risque zéro n’existe pas ; nous devons vivre avec cet environnement et en avoir une approche réaliste.

Je passerai rapidement sur les conditions dans lesquelles le projet a été élaboré. Un amendement a certes été présenté à la dernière minute, dont la commission du Sénat n’a pris connaissance qu’une semaine avant l’examen en séance publique : c’est le passé, n’y revenons pas. De même, le choix de déclarer l’urgence est surprenant pour un texte que nous attendons depuis si longtemps. Vous avez cependant eu la sagesse d’entendre la demande exprimée par le président de notre commission, Patrick Ollier. La transparence, enjeu majeur, mérite en effet que le débat prenne toute sa place, ce qui implique une navette. La levée de l’urgence contribuera au sérieux et à la sérénité de nos débats. Il reste que le recours de plus en plus systématique à l’urgence nuit à la qualité de notre travail, à celle de la loi et au bon fonctionnement de la démocratie.

Après ce pas important, j’invite le Gouvernement à en faire un nouveau et à lever également l’urgence sur le projet de loi de programme relatif à la gestion des matières et des déchets radioactifs. Ce n’est pas vous qui le défendrez, je le sais bien, mais vous êtes membre du Gouvernement et j’essaie de ne pas douter de l’homogénéité de celui-ci. (Sourires.)

Mme la ministre de l’écologie et du développement durable. Vous avez raison !

M. François Sauvadet. En tout état de cause, je fais confiance à Patrick Ollier pour défendre cette exigence, qui émane d’ailleurs de plusieurs groupes, dont l’UDF.


Sur le fond, il est clair que cette loi est utile parce qu’elle donnera une véritable assise juridique et publique en matière de transparence, de sûreté nucléaire et de radioprotection. En effet, notre arsenal reposait jusqu’alors sur deux ou trois lignes dans une loi de 1961 relative à la lutte contre les pollutions atmosphériques et les odeurs et sur la loi de 1980 sur les transports de matière nucléaire, je n’aurai garde de le rappeler à Claude Birraux qui en était le rapporteur. Trente ans ou presque se sont écoulés. Cette période a été marquée par un grand embarras ; nous partagions alors le sentiment selon lequel moins on en parlait, moins on risquait de rencontrer de problèmes. Cette époque est totalement révolue. Ainsi, l’opinion publique, sous le coup de la gestion incertaine et peu transparente de crises, n’est pas assurée et souhaite connaître les risques qu’elle encourt à brève échéance face à des outils qui ont fait leurs preuves, mais qui demeurent incertains, en particulier en raison, comme cela a été évoqué, du vieillissement des centrales.

Ce texte fournit donc une assise, même s’il laisse en suspens quelques interrogations, notamment sur le rôle de l’État et sur la manière dont tout cela fonctionnera.

Toutefois, nous connaissons l’esprit avec lequel vous avez abordé ces travaux et notre commission a levé un certain nombre de ces incertitudes.

J’insiste sur les moyens humains qui seront mis à disposition de la Haute autorité et de l’État pour assurer, chacun dans son rôle, les missions que la loi leur confiera. Nous avons beaucoup progressé dans ce domaine et je salue les amendements qui permettront précisément de distinguer ce qui relève de la Haute autorité, de l’État et de l’information. Il ne faut pas vouloir faire jouer aux hautes autorités ou aux autorités des rôles qui ne seraient pas les leurs. L’autorité doit assurer les conditions de la transparence et du contrôle, donc apporter les informations dont la crédibilité ne doit pas être remise en cause par la confusion des responsabilités des pouvoirs. En revanche, il convient de réaffirmer avec netteté à cette tribune, que la décision in fine après un débat préalable, y compris au Parlement, cœur battant de la démocratie, revient aux gouvernants, son application relevant des services de l’État.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Très bien !

M. François Sauvadet. C’est la garantie d’un bon fonctionnement. Je craindrais en effet beaucoup que, dans l’esprit de certains, cette autorité ne se substitue au pouvoir de décision qui doit incomber, dans un débat citoyen, à ceux à qui le suffrage universel en a confié la responsabilité, sauf à risquer une annihilation de l’esprit public et de l’action publique, ce que nous ne souhaitons ni les uns ni les autres.

S’agissant de l’information, je peux, pour avoir présidé en d’autres temps, une commission d’enquête, dire à quel point les conditions de communication de l’information sont importantes. Je souhaite que le Haut comité s’appuie sur des instances qui ont fait la preuve de leur efficacité, comme les commissions locales d’information, lorsqu’elles sont confiées à des personnalités reconnues pour leurs compétences. Cela peut permettre de réunir autour de la table ceux qui veulent, dans le cadre d’un débat public, s’exprimer et présenter leur vision de l’avenir et des risques supposés. J’ai pour ma part participé à des CLI, y compris au CEA de Valduc dans le domaine de la division des applications militaires, et je peux témoigner de leur fonctionnement dans des conditions réelles et de l’existence d’informations à notre disposition. L’association nationale des CLI s’est aussi livrée à des études épidémiologiques qui ont permis de tordre le cou à un certain nombre de rumeurs.

L’un des défis que nous devons relever, madame la ministre, concerne finalement la fiabilité de l’information, qui passe évidemment par celle des contrôles et par l’assurance de la transparence. Tout doit être « mis sur la table » en évitant les emballements médiatiques. Nous vivons, en effet, dans une société extrêmement médiatisée donnant plus de place aux rumeurs, qui vont bon train, qu’aux informations fiables. Donc – et j’insiste sur ce point –, la condition de diffusion de l’information sera un des éléments clés de l’appropriation des risques par la population.

Enfin, je note avec satisfaction que l’actualité rend hommage à ceux qui, voilà quelques décennies, ont fait le choix audacieux du nucléaire, qui trouve aujourd’hui son prolongement. Je tenais à le souligner à cette tribune. Avec la crise de l’énergie, le réchauffement climatique et les craintes environnementales, le nucléaire peut apporter beaucoup, au point que certains pays qui y avaient renoncé pensent aujourd’hui qu’ils ont perdu un peu de temps. Je souhaite que nous en gagnions en faisant percevoir les enjeux à nos compatriotes, ce qui passe par la transparence et l’assurance qu’on leur dira tout simplement la vérité, comme l’exige la démocratie.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Très bien !

M. François Sauvadet. Madame la ministre, nous voterons votre texte en espérant que le débat se poursuivra sous les meilleurs auspices. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Claude Gatignol.

M. Claude Gatignol. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte en débat, profondément amendé par le Sénat et par le travail en commission, et j’en félicite notre excellent rapporteur Alain Venot, est un texte fondateur sur la sûreté et la transparence en ce qui concerne le nucléaire.

Certes, depuis plus de quarante années que fonctionne réellement le nucléaire à vocation industrielle, il existe un code de bonnes pratiques tant pour l'administration que pour les exploitants. Mais force est de constater qu'il reposait davantage sur un cadre réglementaire et un ensemble évolutif de ce que l’on a coutume d’appeler le retour d'expérience.

Votre projet de loi, madame la ministre, donne une base législative à ce secteur économique et scientifique très important pour la France. Il contient les deux points essentiels quand on évoque le nucléaire : la sûreté et la transparence, donc le contrôle et l’information.

La sûreté, sans laquelle, avec ou sans principe de précaution, on ne peut raisonnablement pas envisager l'utilisation de l'énergie atomique est bien l'élément fondamental, et il faut très souvent la redéfinir face à la notion de sécurité beaucoup plus globale. La création de la nouvelle Autorité de sûreté nucléaire renforcera la confiance, déjà solide, dans les choix technologiques issus de notre recherche fondamentale et appliquée concourant à la mise en œuvre de la politique énergétique de notre pays. Il s'agit donc de préciser dans la loi, ce qui, de nature réglementaire hier, agit déjà aujourd'hui et fonctionnera demain pour assurer la sûreté dans les établissements et la sécurité des populations environnantes.

Ceux qui en suivent l'action auprès des commissions locales, des instituts scientifiques et technologiques, savent bien que les 400 inspecteurs chargés du contrôle, et considérés à juste titre comme les « gendarmes du nucléaire », veillent au respect rigoureux des normes de fonctionnement, souvent de façon inopinée, et garantissent la sûreté des installations pour les populations et l'environnement.

Les exploitants sont extrêmement attentifs à ces contrôles et travaillent constamment à améliorer leur organisation interne. Le résultat, heureux pour tout le monde, en est l'application pleine et entière du principe de responsabilité de l'exploitant et la stimulation de la recherche et de l'innovation. Très favorable à l'évolution de la radioprotection et à son optimisation, le fameux principe ALARA – As Low as Reasonnably Achievable, aussi basse que raisonnablement possible, dans sa traduction française – en est l'illustration.

D'ailleurs, au sein d'un centre nucléaire de production électrique, par exemple, le rôle de l'ingénieur en sécurité-sûreté nucléaire – le Monsieur nucléaire interne – est reconnu par tous les personnels. C’est, là aussi, une pierre angulaire.

Ce travail immense de l’autorité de sûreté actuelle et l'évaluation synthétique des divers dysfonctionnements relevés ont été à l'origine, en 1987, de la création d'une échelle de référence internationale – échelle INES – reconnue en 1991 par l'Agence internationale de l’énergie atomique. La France, comme vous le constatez, était déjà précurseur en la matière.

Confortée dans sa composition, son rôle, ses pouvoirs, la nouvelle autorité sera, je le répète, la pierre angulaire garantissant la bonne marche des installations, aux côtés de l'exploitant et en pleine collaboration avec son personnel. Elle renforcera l'obligation d'excellence de l'industrie nucléaire à tout niveau : concepteur, constructeur, exploitant, opérateur de maintenance. Impliquée bien évidemment dans la connaissance des événements pour ce qui relève de l'information, elle sera l'interlocuteur principal du Gouvernement et des ministres chargés de la sûreté nucléaire, en particulier pour la radioprotection et l'action à mener face à une éventuelle situation d'urgence. La clarification est donc totalement apportée par ce texte. De plus, le Parlement et l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques pourront saisir la Haute autorité, ce qui est un progrès.

Ce qui relève de la sûreté-sécurité nucléaire – rigueur dans les contrôles, moyens d'action, prescriptions, décisions voire sanctions ; fil conducteur du titre II – me paraît bien défini. Il est important de le souligner aujourd’hui à cette tribune en réponse aux interrogations tout à fait justifiées des populations, alors que tous les pays avancés et un certain nombre de pays en voie de développement se préparent à une production nouvelle d'électricité, peut être d'hydrogène demain, grâce à la source nucléaire.

L’autre point tout aussi important, puisqu’il contient ce qui doit prolonger naturellement le bon fonctionnement et l'utile présence d'une installation nucléaire, est l'information du public. Que n'a- t-on pas entendu et lu sur ce sujet et pourtant que d'efforts ont été consentis ! En tant que membre de la commission locale du CNPE de Flamanville, de la commission spéciale de la COGEMA de la Hague, et de la commission de surveillance du centre de stockage ANDRA de la Manche, je peux témoigner des multiples réunions, colloques, séminaires, expertises, contre-expertises, exercices de crises, missions spécialisées, publications nombreuses dans des revues grand public ou très scientifiques, magasines sur minitel ou sur Internet, registres épidémiologiques – je le précise, puisque nous avons mis en place dans notre département depuis de nombreuses années une association des registres des cancers départements et régionaux –, sans oublier les rapports de l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques sous la signature de nombreux collègues tels que Robert Galley, un des plus anciens, Claude Birraux, Christian Bataille, Jean-Yves Le Déaut et Henri Revol. J'ai parfois le sentiment que cette masse d'informations est mal utilisée, voire détournée et présentée comme une désinformation et même comme une culture du secret : ce qui est un comble ! Or, je le répète, les élus, responsables de populations, et les entreprises exploitant tel ou tel site ont tout à gagner à assurer la transparence.

L'information doit répondre à des interrogations très variées allant de l'information technique sur des connaissances générales à l'information sur le risque et ses déclinaisons : risque réel, risque perçu, risque objectif, risque observé. C’est un véritable sujet de sociologie.

Il devenait donc nécessaire de le dire clairement : le droit à l'information doit être garanti d'une part, satisfait d'autre part. Chaque citoyen, s'il en ressent la nécessité, doit pouvoir être informé et rassuré sur les risques éventuels, sur la situation de son environnement, sur les conséquences possibles sur sa santé et sur celle de sa famille. C'est un droit légitime, et l'État doit en être, le garant : l'article 124-3 du code de l'environnement s'y rapporte déjà.

Le texte que vous présentez, madame la ministre, renforce et démultiplie l’accès à l'information, mais il me semble nécessaire de bien distinguer la demande justifiée face à une dérive que je qualifierai de harcèlement la plupart du temps idéologique. Je souhaite que vous y portiez attention.

Le chapitre Ier du titre III est consacré aux commissions locales d'information : leur rôle est considérablement renforcé, des amendements vont dans ce sens. La CLI sera chargée de répondre aux demandes concernant l'exploitation du site et ses conséquences. Sa composition, très ouverte – mais j'ai remarqué que les parlementaires avaient été oubliés – en fait un lieu privilégié d'échanges, d'interrogations, de réponses au service de la population locale. Cette structure est nécessaire pour que l'exploitant ait un interlocuteur de proximité, reconnu, très identifié. Son rôle est souvent d'expliquer par exemple en langage compréhensible, autre que technique, les résultats de mesures vis-à-vis des normes administratives ou bien le contenu d'un rapport sur un incident.

Elle sera aussi l'interface active avec les inspecteurs de l'Autorité de sûreté nucléaire, les intervenants de l'Institut de radioprotection, ou les experts qu'elle jugera nécessaire d'entendre.


Cette confirmation des CLI est bonne pour l'information du plus grand nombre et contribuera à apaiser des inquiétudes infondées, voire entretenues.

L'information au niveau local nécessitant aussi une autre dimension, je me félicite de la création du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire. Instance de concertation et de débat au niveau national, ses possibilités, décrites dans le chapitre III, sont vastes. Saisi par le Gouvernement et le Parlement, il pourra recevoir tous les documents qu'il juge utiles à sa mission et décider des expertises contribuant efficacement à l'information complète. Avec des instances aux niveaux local et national, les moyens sont donc réunis pour répondre, avec toute la transparence souhaitable, aux préoccupations de nos concitoyens en matière de nucléaire.

Le titre IV reprend toutes les règles et définitions relatives aux installations nucléaires de base et – c'est important – aux transports. Ces précisions utiles devraient lever toute ambiguïté sur les dispositions permettant un fonctionnement correct et rigoureux, mais aussi, ne l'oublions pas, de nature industrielle.

Le secteur énergétique est hautement stratégique pour l'État – je le répète inlassablement depuis vingt ans et l'actualité nous le rappelle – et l'électricité est une énergie d'intérêt national au premier chef. L'industrie nucléaire française est un fleuron technologique que le monde entier nous envie. C'est une vraie filière, qui couvre chaque étape de la mine d'uranium au consommateur d'électricité et assure la gestion rigoureuse de toutes les substances. Le Parlement examinera dans quelques jours un projet de loi sur ce point.

La sûreté, tout en étant un objectif primordial, constitue un excellent paramètre de compétitivité : il y a bel et bien synergie, et non opposition, comme je l’ai entendu dire, avec les résultats d’exploitation et surtout en termes d’image. Il doit en être ainsi et je vous demande, madame la ministre, de veiller à ce que des excès de contraintes inutiles et superflues ne viennent pas brouiller la lisibilité des règles générales de conception, de construction et d'exploitation.

Avant de conclure, je voudrais évoquer la dimension internationale de la sûreté nucléaire, qu’a démontrée à l’évidence, le cheminement de certain nuage. Une collaboration internationale doit s’instaurer, de même qu’une harmonisation des visions des autorités de sûreté et des exploitants. À cet égard, les peer reviews, c’est-à-dire les expertises par des pairs, sont très intéressantes pour un exploitant et un directeur de site. Une avancée est d’ailleurs perceptible avec la création de la Western European Regulator's Association, qui rassemble plusieurs autorités de sûreté, la participation d'EDF à la World Association of Nuclear Operators ou bien encore la mise en place du Forum international pour les réacteurs de quatrième génération.

La maîtrise des règles de sécurité et de sûreté doit rester sous l'autorité de l'État, car elle relève de son plein exercice de pouvoir régalien. Mais nous savons que des projets de directive sont en gestation au niveau européen, et je dis ici très clairement que la France ne pourrait y adhérer sans que soit levé un préalable : le classement du nucléaire dans les énergies participant à l'action favorable au climat. M. Ollier le rappelle souvent, d’ailleurs.

Quelles orientations, après le vote de cette loi, envisagez-vous de prendre, madame la ministre, vers cet élargissement international de la transparence et des règles de sûreté ? La discussion aujourd'hui engage le Parlement sur une vision nouvelle, réaliste, opérationnelle de la sûreté nucléaire pour l'industrie française, et je crois qu'elle sera reprise hors de nos frontières. Corollaire essentiel des règles de fonctionnement des établissements industriels ou scientifiques, l'accès à l'information est ouvert dans ses dimensions locales, nationales et certainement internationales. Tout en l’améliorant par nos amendements, nous soutiendrons votre texte, en soulignant toute l'ampleur et tout l'intérêt de ses objectifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, transparence et sécurité en matière nucléaire, voici un projet de loi que nous, les écologistes, attendions depuis longtemps ! Vingt ans après la catastrophe de Tchernobyl, ce texte devait offrir un cadre général aux activités nucléaires, qui fonctionnent sans base législative depuis près de quarante ans. Nous nous sommes donc penchés avec attention, et même bienveillance, sur ce projet de loi, d'autant qu'il avait été initié par Dominique Voynet lorsqu'elle était ministre de l'environnement. Depuis cinq ans que ce projet traînait au fond d'un tiroir, nous désespérions de le voir sortir !

Et voilà qu’il nous arrive subitement, profondément remanié sans concertation et frappé d'urgence ! Pourquoi une telle précipitation ? Pourquoi déclarer l'urgence sur un thème qui est loin de faire l’unanimité en France ? Pourquoi restreindre le débat démocratique à sa plus petite expression, alors que l'objet même de ce texte est la transparence ? Nous avons appris qu'il en serait de même pour le projet de loi sur les déchets nucléaires, que nous discuterons prochainement. Une loi dont l’objet a une durée de vie de plusieurs milliers d’années est-elle si urgente qu'elle doive se passer d’un débat serein au Parlement et au sein de la société ?

Nous sommes là au cœur du problème : ce qui mine votre projet de loi, madame la ministre, c'est son caractère profondément antidémocratique. Sa disposition centrale est la mise en place d'une autorité administrative indépendante chargée du contrôle de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et de l'information. Indépendante de qui exactement ? La composition et les prérogatives de la Haute autorité font frémir ! Nous allons nous retrouver avec cinq membres, non pas élus mais désignés au regard de leur « compétence dans les domaines de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ». Il ne faut pas se voiler la face, ces personnes auront accompli l'essentiel de leur carrière dans l'industrie nucléaire. Une aubaine pour le corps des Mines, État dans l’État, véritable lobby œuvrant depuis quarante ans au développement du nucléaire civil sans aucun débat démocratique !

Ces cinq membres, nommés pour six ans, sont inamovibles et disposent de pouvoirs impressionnants : une partie du pouvoir réglementaire leur est transmise, en violation de l'article 21 de la Constitution, le Gouvernement se contentant d’homologuer les décisions ou de les communiquer. Selon quelle procédure ? Nous ne le savons pas. Et c’est un décret en conseil d'État qui le précisera. C’est d’ailleurs une habitude du Gouvernement de proposer des lois très floues précisées plus tard par décret. Cette manière d’enjamber la représentation nationale en dit long sur votre volonté démocratique !

La Haute autorité a un pouvoir d'influence, de contrôle, de nomination, d'agrément, d'information, de gestion de crise, d'investigation, et son président a des pouvoirs exorbitants, notamment en matière budgétaire. Et je pourrais allonger encore cette liste effrayante.

M. Claude Birraux. Effrayante ?

M. Noël Mamère. Oui, effrayante, car il s’agit d’un secteur énergétique qui rend notre pays vulnérable du fait de la centralisation de cette énergie et des risques. Il est d’ailleurs notable que, lors de la discussion de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, visant à mettre la France sous le contrôle de caméras de surveillance, il n’ait pas été fait mention du risque que représentaient les centrales nucléaires. Pourtant, après la catastrophe du 11 septembre, une étude de danger avait été envisagée, impliquant une attaque de Cessna sur la centrale de La Hague, où sont enterrés des bidons de plutonium de 2,5 kilos représentant soixante-dix fois Tchernobyl ! M. Gatignol, en sa qualité de membre de diverses commissions, pourra vous le confirmer. Pour rassurer le bon peuple de France, des batteries anti-DCA avaient même été installées autour des centrales nucléaires, sachant pourtant qu’il faut se décider en moins d’une minute pour arrêter un avion de chasse qui violerait notre espace aérien !

Tout cela est absurde et constitue un leurre visant précisément à aveugler les Français, qui craignent le nucléaire à juste titre. Il ne s’agit pas pour nous d’une posture idéologique, comme l’a prétendu M. Gatignol, mais d’une position sage, claire et raisonnée : ce n’est pas en produisant des déchets nucléaires d’une espérance de vie de plusieurs millions d’années et en centralisant l’énergie qu’on luttera contre l’effet de serre, mais en favorisant l’efficacité énergétique, les économies d’énergie et les énergies alternatives. Nous en sommes bien loin !

N’ayant pas de personnalité morale, la Haute autorité est irresponsable et inattaquable devant la justice. L’article 38 met à sa disposition les fonctionnaires compétents, ce qui revient à enlever tout moyen aux structures administratives relevant des ministères de l'industrie, de la santé et de l'environnement. Le pouvoir politique se dépouille ainsi de tous ses moyens et pouvoirs dans un domaine hautement sensible, qui devrait rester dans le giron de l’État. Cette autorité « indépendante » l’est peut-être de la démocratie, certainement pas du lobby du nucléaire !

Pour rester dans le domaine de la transparence démocratique, notons que les exonérations de certaines dispositions du code de l'environnement ne touchent plus seulement les installations nucléaires de base, mais également les installations non nucléaires situées dans leur périmètre. Plus grave encore, ces installations sont placées sous l'autorité de la Haute autorité, y compris en matière de droit du travail, ce qui exclut tout contrôle. Pour tous les travailleurs concernés, le droit du travail sera entouré, encore une fois, d'un voile d'opacité.

Enfin, en ce qui concerne les commissions locales d'information, on peut s'interroger sur leur indépendance quand on constate qu'elles seront financées en partie par la HASN et par la taxe sur les installations nucléaires de base, qui passe également sous le contrôle de la Haute autorité. Quant au Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, que nous appelions de nos vœux, c'est une coquille vide : ses attributions sont facultatives ; il ne peut pas être saisi par les associations ; sa composition est accablante puisqu'elle intègre des représentants de l'industrie nucléaire !

Voilà donc un texte profondément anti-démocratique, qui n'a de transparent que le nom. Loin de favoriser la sûreté nucléaire, il nous paraît au contraire dangereux, car il dépouille l'État de ce qui devrait rester un pouvoir régalien. Nous nous opposerons donc à la création de la Haute autorité de la sûreté nucléaire et prônerons le renforcement de la séparation des pouvoirs réglementaire, de contrôle et d'information, la recherche d'une pluralité des expertises, l'indépendance de l'IRSN, la création d'une autorité indépendante de composition pluraliste en lieu et place du Haut comité, qu’il vaudrait mieux nommer « de l’opacité et du secret ». Avant tout, nous réclamons la levée de l'urgence, pour que cesse ce simulacre de démocratie et que le peuple, déjà privé d'un réel débat sur l'EPR, puisse enfin s'approprier la question du nucléaire. Celle-ci a décidément bien du mal à sortir de sa chape de plomb !

Mme la ministre de l’écologie et du développement durable. Si vous aviez suivi, vous sauriez qu’il n’y a plus d’urgence sur le texte !

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cela a déjà été dit, la transparence est rarement la qualité première associée à la filière nucléaire par le grand public. Ce projet de loi sur la transparence arrive plus de soixante-dix ans après la découverte de la radioactivité artificielle et coïncide avec le sinistre vingtième anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl. Il était temps !

Mais cela ne justifiait pas pour autant de se précipiter dans l’urgence, qui n’est pas bonne conseillère et donne un sentiment de passage en force, en catimini – l’actualité l’enseigne cruellement aujourd’hui. L’essentiel étant dans la clarification du débat, l’urgence est, en effet, rarement compatible avec la transparence. Nous prenons acte, madame la ministre, que l’urgence est levée et que nos débats vont pouvoir éclairer un sujet trop longtemps tabou. À mon tour, je demande au Gouvernement encore un effort pour lever également l’urgence sur le projet de loi relatif aux déchets, comme d’autres le feront sans doute après moi.

M. François Sauvadet. Quel consensus !


M. François Brottes
.
Je souhaite attirer votre attention sur deux points : le rôle des commissions locales d’information et la compatibilité entre les impératifs de sûreté nucléaire et ceux de la concurrence engendrée par l’ouverture du marché de l’énergie.

Sans parler de confiance qui, comme chacun le sait, peut être aveugle, parlons simplement de la juste appréciation par la population de l’industrie du nucléaire. Celle-ci ne passera que par la transparence et l’exercice effectif du droit à l’information. Les commissions locales d’information ont en cela un rôle fondamental à jouer : elles doivent notamment servir d’interfaces entre la population et les exploitants de la filière nucléaire afin d’optimiser l’information et de rendre le droit fondamental à celle-ci effectif. C’est pourquoi nous proposerons que les demandes d’information de la population auxquelles doivent faire droit les exploitants transitent par les commissions locales d’information avec obligation de transmission aux destinataires. Les commissions locales d’information garantiraient ainsi un « suivi organisé » des réponses aux questions posées. Ce dispositif consacrerait tout à fait la mission d’information, de suivi et d’expertise des CLI. Elles seraient soumises à la double obligation de transmettre la question posée par la population et d’obtenir une réponse de l’exploitant dans un délai convenable.

Dans un courrier adressé le 12 janvier 2006 au Président de la République, en réaction à l’annonce de la création d’une autorité de sûreté indépendante, l’association nationale des CLI rappelle que « le développement de processus de démocratie participative constitue aujourd’hui une caractéristique commune des évolutions qui touchent la gouvernance des activités à risques dans l’ensemble des pays développés. Cette tendance se caractérise par l’apparition de nouvelles catégories d’acteurs de la société civile dans les processus d’expertise et de décision qui entourent le suivi des installations nucléaires. Cette évolution contribue au renforcement de la qualité du suivi ainsi qu’à une meilleure perception de cette qualité par la société. Dans le contexte des activités nucléaires, dont le suivi présente une dimension de technicité forte, les attentes sociales de transparence sont très fortes ».

C’est pourquoi il convient de renforcer la place des CLI en leur permettant d’assurer l’accessibilité à l’information, gage de transparence et de démocratie. Ma proposition d’organiser des flux d’information entre les usagers qui posent la question et les exploitants par le biais des commissions locales d’information permet de donner aux CLI un rôle qui va au-delà de la bonne conscience.

Le second point que je souhaite évoquer est la compatibilité – ou l’incompatibilité – des impératifs de sécurité nucléaire avec l’ouverture du marché de l’énergie. Il est important, madame la ministre, que vous nous apportiez des assurances sur cette question car il n’en est pas question, semble-t-il, dans votre texte.

Le contexte de « banalisation du nucléaire dans un marché de l’énergie ouvert à la concurrence » risque de peser sur la portée des décisions de l’État et de l’autorité de sûreté. Après le vote du présent texte, la Haute autorité de sûreté nucléaire sera amenée à prendre des décisions et à rendre des avis guidés par des impératifs de sécurité publique. Certaines décisions – soumises ou non à l’homologation du Gouvernement ; cela dépendra du vote sur les amendements du rapporteur – d’autorisation, de suspension ou d’arrêt d’une installation nucléaire de base pourront avoir des conséquences différentes selon les opérateurs qui auront à les subir ou qui en bénéficieront : ceux-ci pourront considérer que, sous couvert de prescriptions techniques, elles faussent la concurrence ou créent un préjudice commercial.

L’intérêt de la sécurité publique doit toujours, il faut le rappeler, primer sur la libre concurrence. Or votre texte, tel qu’il est rédigé aujourd’hui, n’en donne pas la garantie.

C’est d’ailleurs pourquoi le directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection s’est senti obligé de rappeler, dans une lettre adressée au président d’Électricité de France le 20 septembre 2005, que « dans le respect des responsabilités de chacun, l’autorité de sûreté nucléaire entend contrôler de manière attentive les conséquences en termes de sûreté de cette recherche de compétitivité » – le mot est lâché ! — due à l’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a souligné que la liberté du commerce et de l’industrie ainsi que la liberté d’entreprendre ne sont pas des libertés générales et absolues.

Enfin, la Charte de l’environnement promeut le développement durable. Elle dispose, en effet, dans son article 6, que les politiques publiques concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social.

Au nom de cet équilibre, un opérateur ne devra jamais pouvoir arguer de la libre concurrence pour rendre inapplicable une décision de l’autorité de sûreté. Pour éviter toute ambiguïté sur la portée des décisions visées, nous vous proposerons un amendement qui pose le principe d’une obligation générale de traitement transparent et non discriminatoire des demandes en la matière par l’autorité de sûreté. Le régulateur, c’est-à-dire la CRE – la commission de régulation – et les juridictions susceptibles d’accepter des recours liés à la libre concurrence ne doivent en aucun cas terroriser, intimider ou même simplement influencer les décisions de l’Autorité de sûreté nucléaire.

La loi doit veiller à ce que l’étanchéité soit totale et durable entre la logique du marché et sa régulation, d’une part, et la sécurité des populations concernées et des salariés du nucléaire, d’autre part.

À l’inverse, si une défaillance de l’autorité en matière de sécurité publique était constatée, il est clair qu’elle devrait être remise en cause, voire révoquée. Le Parlement doit garantir cette possibilité. Comme Jean-Yves Le Déaut l’a déjà annoncé, nous ferons des propositions en ce sens.

Tels sont, madame la ministre, les trois points que nous aborderons au cours de ce débat : le renforcement du rôle des commissions locales d’information, l’étanchéité entre les règles du marché et l’obligation de sécurité publique, et la possibilité de révocation de l’autorité en cas de manquement grave. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Roubaud, dernier orateur inscrit.

M. Jean-Marc Roubaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, miser sur le nucléaire pour garantir notre indépendance énergétique fut en son temps un choix politique courageux, dont nous devons nous féliciter. Mais la transparence et la sécurité en matière nucléaire sont deux impératifs incontournables.

Je regrette que certains veuillent, de manière quelque peu politicienne, « surfer » sur les peurs de nos concitoyens. Hurler avec les loups n’a jamais été une attitude responsable pour un représentant de la nation. Cela dit, je constate que, sur le sujet, le discours est à peu près unanime. Aussi, je considère que le Président de la République a eu raison de vous demander, madame la ministre, de préparer le texte que vous nous présentez ce soir et qui prévoit notamment la création d’une Haute autorité de sûreté nucléaire.

Le nucléaire suscite interrogations, fantasmes, voire peurs. Son image militaire et l’accident de Tchernobyl nous font oublier que le nucléaire civil a beaucoup apporté à la santé humaine, tant au niveau thérapeutique que du diagnostic.

Par ailleurs, le recours au nucléaire pour assurer la production d’énergie n’est pratiquement plus contesté dans notre pays et a été largement validé par la loi du 13 juillet dernier, qui a acté ce choix pour les décennies à venir.

M. Jean Dionis du Séjour. Sauf par les Verts, le dernier village d’irréductibles Gaulois !

M. Jean-Marc Roubaud. D’ailleurs, certains pays qui ont renoncé au nucléaire se posent actuellement beaucoup de questions sur leur position.

M. François Sauvadet. Absolument !

M. Jean Dionis du Séjour. Il est dommage que M. Mamère soit parti !

M. Jean-Marc Roubaud. M. Sauvadet nous a rappelé cet aspect important : il vient justifier nos choix.

M. François Sauvadet. C’est vrai !

M. Jean-Marc Roubaud. Enfin, le problème des déchets ne doit, bien entendu, pas être oublié : il sera abordé dans un autre projet de loi défendu par le ministre de l’industrie. Ce texte est également très important pour la filière et les sites nucléaires en France et, en particulier, pour celui de Marcoule dans le Gard.

Madame la ministre, votre démarche aujourd’hui est le signe d’une attitude responsable. Au XXIe siècle, il ne peut y avoir acceptation du nucléaire sans transparence et la mise en œuvre d’une sécurité maximale.

Votre texte crée d’abord une Haute autorité de sûreté nucléaire, instance indépendante chargée de contrôler la sécurité de construction et de fonctionnement des installations, d’assurer la radioprotection des personnels des installations et des populations et d’informer de manière indépendante le public.

Il garantit ensuite, avec la création du Haut comité pour la transparence, l’exercice du droit à l’information. C’est une avancée démocratique capitale.

Il précise enfin le régime juridique des installations nucléaires civiles ou militaires et sécurise le transport des matières radioactives. Il s’agit, là encore, d’une avancée significative.

Madame la ministre, votre texte constitue indéniablement un progrès : il permet de réconcilier les choix énergétiques de la France et le droit légitime de nos concitoyens à la sécurité et à l’information.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre de l’écologie et du développement durable.

Mme Nelly Olin, ministre de l’écologie et du développement durable. Mesdames, messieurs les députés, j’ai écouté avec beaucoup d’attention les interventions des orateurs dans la discussion générale. Toutes ont été posées, mesurées et de qualité, même si nous ne partageons par tous les mêmes points de vue. Cela démontre que, sur des sujets sensibles, il est possible de dépasser les clivages politiques et d’avoir des débats sereins et raisonnés, et je vous en remercie.

Monsieur Bataille, vous soulignez l’importance du débat, notamment parlementaire, dans les questions relatives à la sûreté nucléaire et à la radioprotection. Le Gouvernement ne peut qu’abonder dans votre sens. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a souhaité faire enfin aboutir l’examen du présent projet de loi.

Vous faites ensuite part de vos préoccupations quant à la répartition des compétences entre la Haute autorité de sûreté nucléaire et le Gouvernement. Vous souhaitez que les décisions politiques restent du ressort du Gouvernement. Je dois et je puis vous rassurer sur ce point. C’est bien entendu le cas pour les décisions de politique énergétique, qui ne sont pas l’objet du projet de loi. Ce sera également le cas pour les décisions en matière de sûreté nucléaire. Le Gouvernement ne se dessaisit d’aucunes de ses compétences. Bien au contraire – et je le réaffirme –, il conserve les pouvoirs nécessaires à l’exercice de ses missions essentielles.

Vous avez par ailleurs évoqué les installations et activités nucléaires intéressant la défense. Pour le Gouvernement, celles-ci doivent être soumises aux mêmes principes généraux que leurs homologues civiles, aussi bien en ce qui concerne la sûreté et la radioprotection, qu’en ce qui concerne l’information qui s’y rapporte. La rédaction du projet après son passage en commission affirme sans ambiguïté l’application de ces principes de base et devrait donc vous donner satisfaction.

Monsieur Dionis du Séjour, vous insistez sur l’importance du développement de la transparence et souhaitez un vrai débat sur ce sujet lors de l’examen des amendements. Sachez que le Gouvernement aborde ce débat avec un réel esprit d’ouverture.

À travers l’exemple de la canicule de 2003 qui reste un moment extrêmement douloureux pour nous tous, vous avez évoqué l’importance de l’impact des installations nucléaires sur la santé des personnes. Je ne puis qu’abonder dans votre sens. Le projet de loi consacre ce que l’on appelle une vision élargie de la sûreté nucléaire, qui combine non seulement les questions de sûreté nucléaire stricto sensu mais aussi la protection de la santé publique et de l’environnement, la radioprotection des travailleurs et la prise en compte des facteurs organisationnels et, bien sûr, humains.

Vous vous êtes déclaré globalement favorable à la création de la Haute autorité de sûreté nucléaire, et je vous en remercie.

Monsieur Daniel Paul, vous voyez un lien entre la réorganisation institutionnelle du contrôle et la privatisation des entreprises du secteur nucléaire. Bien au contraire. Si le Gouvernement a souhaité la création d’une Haute autorité de sûreté nucléaire, c’est, entre autres raisons, parce qu’il doit assumer la responsabilité d’actionnaire principal des entreprises françaises du secteur nucléaire, qui sont, sans exception, majoritairement publiques et ont vocation à le rester.

Selon vous, l’ouverture du secteur énergétique à la concurrence entraînerait des risques pour la sûreté. Permettez-moi de vous donner la vision du Gouvernement sur ce point : il n’existe aucune raison objective permettant d’établir un lien mécanique entre, d’une part, le niveau de sûreté nucléaire et la transparence d’une entreprise exploitant des installations nucléaires et, d’autre part, la forme juridique publique ou privée de celle-ci ou le fait qu’elle évolue dans un environnement concurrentiel. De nombreux exemples à l’étranger nous montrent des exploitants aux statuts très divers, publics comme privés, exploiter des installations nucléaires en toute sûreté et avec un bon niveau de transparence.

Pour ce qui concerne la France, le Gouvernement n’a constaté à ce jour aucune dérive mettant en jeu la sûreté nucléaire d’une installation ou la transparence du fait de l’ouverture du secteur de l’énergie à la concurrence ou du changement du statut d’EDF. La sûreté nucléaire dépend avant tout du professionnalisme et de l’engagement de l’exploitant, ainsi que de la rigueur du contrôle exercé par l’autorité de sûreté nucléaire.


Je puis vous assurer, monsieur le député, que ces aspects font l’objet d’un contrôle attentif de l’autorité de sûreté nucléaire et le feront à l’avenir de la part de la Haute autorité.

Vous avez enfin évoqué l’avis du Conseil d’État sur le texte de 1999. En février dernier, le Conseil d’État a considéré que le texte qui vous est soumis n’était en aucun point contraire à la Constitution…

M. Daniel Paul. Donnez-nous connaissance de l’avis !

Mme la ministre de l’écologie et du développement durable. …et l’a validé sans l’accompagnement d’aucune observation. Voila la réalité telle qu’elle est. J’espère que vous ne mettrez pas en doute la parole d’un ministre qui s’exprime devant le Parlement.

Monsieur Dumont, à l’occasion de l’évocation de l’accident de Tchernobyl, vous avez rappelé l’importance des attentes de notre société, en termes de transparence. C’est bien sûr l’un des objets essentiels du projet de loi, qui adopte, sur ce point, une perspective pragmatique et essaie d’éviter les insuffisances ou les dysfonctionnements que vous avez évoqués.

Le projet de loi apporte du concret : l’institution d’un droit d’accès du public aux informations détenues par les exploitants, le statut législatif des CLI, l’institution d’un Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire – lieu de débat pluriel et d’information au niveau national. Cet effort de pragmatisme est une grande qualité dans une matière qui suscite trop souvent l’incantation.

Monsieur Birraux, vous avez insisté sur l’importance de la transparence. Je sais que vous en parlez en toute connaissance de cause. Vous la pratiquez de façon tout à fait remarquable dans votre action au sein de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, notamment au travers des auditions publiques de l’Office. Je saisis l’occasion de saluer la très haute qualité des travaux de l’Office, notamment sur la sûreté nucléaire et la radioprotection, dont le Gouvernement s’attache à tenir le plus grand compte.

Vous avez rappelé les diverses réformes, qui ont marqué le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, souvent sous l’impulsion des travaux de l’Office. Vous marquez votre accord global sur la réforme proposée par le Gouvernement, et notamment sur la création de la Haute autorité de sûreté nucléaire, qui va dans le sens de l’indépendance du contrôleur. Le Gouvernement considère que cette réforme s’inscrit dans la continuité de celles intervenues depuis dix ans. Elle prend, en quelque sorte, acte de l’évolution des esprits et des choses. Vous soulignez à cet égard l’attitude très paradoxale de certains acteurs qui réclament à la fois cette indépendance et rejettent la réforme. Vous insistez enfin, à juste titre, sur la nécessité de rénover la législation en matière de contrôle de la sûreté des grandes installations nucléaires et du transport de substances radioactives. C’était effectivement un des objectifs du projet de loi, certes technique, mais néanmoins majeur.

Monsieur Sauvadet, vous vous êtes interrogé, comme d’autres, sur la création d’une Haute autorité de sûreté nucléaire. Vos interrogations ont retenu toute l’attention du Gouvernement. Elles trouvent une réponse positive dans le projet de loi et certains amendements de votre rapporteur.

Vous souhaitez des garanties sur le fait que les décisions à portée politique restent de la compétence du Gouvernement. Je puis encore une fois vous rassurer sur ce point : votre préoccupation, vous le verrez au cours de la discussion, sera pleinement satisfaite par le projet de loi.

Je souhaite aussi vous indiquer clairement que le Gouvernement conservera au sein de son administration les moyens nécessaires à l’exercice de ses compétences et qu’il définira une organisation adaptée de ses moyens comme cela relève de sa stricte responsabilité.

Vous mentionnez par ailleurs l’importance de la transparence et l’intérêt des commissions locales d’information. J’ajoute que vous avez sur ces questions un regard particulièrement autorisé, un regard de praticien. Vous participez à une commission d’information et vous êtes membre du Conseil supérieur de la sûreté et de l’information nucléaire. Le Gouvernement partage, bien évidemment, votre analyse.

Je retiens de votre intervention, monsieur Gatignol, le soutien que vous apportez à la création de la Haute autorité de sûreté nucléaire. Vous avez, à juste titre, souligné l’importance de cette réforme. Elle répond aux attentes de nos concitoyens sur l’indépendance du contrôle et renforcera leur confiance.

Vous notez, avec raison, que le dispositif proposé par le Gouvernement établit une répartition claire et pertinente des responsabilités entre le Gouvernement et la Haute autorité, qui est une partie de l’État.

Vous évoquez également les progrès réalisés en matière de transparence. Le Gouvernement considère que le projet de loi est l’occasion de prendre acte de ces progrès et de les prolonger. Je considère, comme vous, qu’il faut se garder d’une approche idéologique de la transparence, mais qu’il faut aller toujours plus loin, de manière pragmatique.

Vous soulignez la dimension internationale très forte de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Il existe de nombreuses instances internationales, et les autorités de sûreté nucléaire ont des relations très suivies. Le Gouvernement encourage les pratiques qui contribuent à diffuser les conceptions françaises en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection, et il appuie fortement l’initiative de l’association des régulateurs européens – WENRA – pour harmoniser la sûreté en Europe dans une démarche pragmatique. C’est pourquoi l’un des articles du projet de loi traite expressément de la participation de la Haute autorité de sûreté nucléaire à ces relations internationales.

Je répondrais à M. Mamère, bien qu’il soit parti – il n’était d’ailleurs pas davantage présent au moment où nous déclarions que l’urgence était levée –, car je ne voudrais surtout pas le priver de réponse. (Rires.) Cela lui permettra de voir qu’il a dit un certain nombre de choses inexactes.

J’ai compris qu’il était difficile qu’un aspect du projet de loi trouve grâce à ses yeux. Je me bornerai à revenir sur certaines des critiques qu’il a adressées à la Haute autorité de sûreté nucléaire, qu’il a qualifiée d’antidémocratique. Il est plus facile de parler de démocratie que de l’appliquer. En tout cas, sur le plan de la démocratie, j’ai peu de leçon à recevoir.

Je confirme que le Gouvernement ne se dessaisit en aucun cas. Il conserve, bien au contraire, les pouvoirs nécessaires à l’exercice de ses missions essentielles, notamment la réglementation, les décisions individuelles majeures et les autorisations majeures.

M. Mamère a estimé que la Haute autorité de sûreté nucléaire était soumise à un contrôle insuffisant. Je ne partage bien évidemment pas son analyse. En effet, ses membres peuvent être destitués en cas de manquements graves à leurs obligations. Des amendements tout à fait opportuns du rapporteur visent à renforcer le contrôle du Parlement sur la Haute autorité. Celle-ci est également soumise au jugement de tous nos concitoyens et de ses pairs à l’étranger.

Enfin, contrairement à ce qu’a affirmé M. Mamère la Haute autorité ne disposera pas de la taxe sur les INB.

Monsieur Brottes, vous avez évoqué le rôle des commissions locales d’information en matière de transparence. Les CLI sont, comme vous l’avez rappelé, une des chevilles ouvrières essentielles de l’information, de la concertation et plus généralement de la transparence dans le domaine de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Elles le sont avec modestie et efficacité depuis 1981. Il était temps de reconnaître leur légitimité dans la loi.

Vous souhaitez mettre systématiquement les CLI sur le trajet de l’information entre les exploitants et le public. Votre proposition est très intéressante et devra être examinée avec soin. Mais il faut prendre garde au risque de faire percevoir les CLI comme étant du côté des exploitants.

Monsieur Roubaud, vous avez rappelé la place du nucléaire dans notre pays et la nécessité de poursuivre les progrès en matière de déchets radioactifs, de transparence et de sûreté. Vous avez également rappelé les nombreuses avancées que le texte soumis à votre examen va permettre en matière d’encadrement des activités nucléaires, de transparence et d’information. Je vous en remercie.

Vous avez souligné que le Gouvernement s’était attaché à traiter la question des déchets radioactifs. Le texte qui sera examiné par l’Assemblée dans quelques jours est, en effet, aussi de toute première importance.

J’espère, mesdames, messieurs, que nous poursuivrons ce débat et l’examen des amendements de manière sereine, dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du règlement.

Je rappelle que la Conférence des présidents a fixé à trente minutes la durée maximale de l’intervention.

La parole est à M. François Dosé.

M. François Dosé. Je n’aurai besoin ni de trente minutes, ni de vingt, mais seulement de quelques instants pour exprimer la seule question qui vaille : avons-nous vraiment, le sentiment et la conviction que le juste temps nous a été accordé pour un travail parlementaire digne de ce nom, digne de cette assemblée, digne du sujet traité ? Il n’est pas vrai que quelques heures de traitement des amendements suffisaient à notre assemblée pour prendre la juste dimension des enjeux de ce texte.

Depuis 1997, je n’ai cessé de réclamer une grande loi sur les orientations énergétiques de la France, d’une part, et un texte précisant les modalités et les conditions d’exercice de la filière électronucléaire, d’autre part.

La gauche – et le parti socialiste aussi – esquissa souvent, esquiva parfois, et je le regrette. Certes, nous devons à Pierre Mauroy l'existence des commissions locales d'information, à Christian Bataille une contribution législative remarquée lors du projet de loi de 1991 relatif aux recherches sur la gestion des déchets nucléaires, à Lionel Jospin, une lettre de mission confiant à Jean-Yves Le Déaut un rapport sur la gouvernance de la filière nucléaire à la recherche d'une claire séparation des fonctions entre les contrôleurs et l'exploitant, à Christian Pierret un premier débat parlementaire sur les perspectives énergétiques françaises,

Mais, ici, les pratiques au quotidien ne furent pas conformes aux intentions du législateur ; là, l'excellent rapport de notre collègue suggérant – je cite – « une longue marche vers l'indépendance et la transparence » prit une place remarquée dans les centres de documentation spécialisée plus que dans l'action quotidienne ou les travaux législatifs.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. François Dosé. Enfin, le fameux premier débat dura quelques heures, pour quelques décennies, et fut conclu sans vote.

Ainsi, la complexité de la problématique nucléaire et les échéances électorales – je veux dire les contingences pré- et post-électorales – entravèrent un travail qui s’imposait, notamment depuis le désastre de Tchernobyl : en finir avec la culture du secret, qui conséquence inéluctable, engendre la connivence d'élites autoproclamées, d'initiés sélectionnés, de connaisseurs informés, de décideurs intéressés, qui oublient trop souvent que, dans une démocratie, mieux vaut éclairer, initier l'opinion que l'ignorer, voire la mépriser.

Sévère avec les miens, je constate que l’alternance politique de 2002 fut aussi dans ce domaine un trompe-l'œil. Certes, nous fûmes invités à délibérer sur une véritable loi de programme concernant les énergies, mais fut soigneusement évitée la définition d'objectifs précis fixant la part de chacune d'entre elles dans « le mix français », Pis, nous avons autorisé, à cette occasion, la construction d'un EPR avant de préciser la part du nucléaire dans le bouquet énergétique.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est vrai !

M. François Dosé. On appelle cela transparence.

Cette fois-ci, intention honorable – renforcée par des vœux présidentiels –, nous abordons un projet de loi tant attendu sur « la transparence et la sécurité nucléaire ». Il pourrait, en effet, constituer la matrice du droit nucléaire français pour les prochaines années.


Mais nous constatons que le Gouvernement envisageait l'urgence, précipitation synonyme de provocation, alors que le texte de loi était inscrit – par Mme Bachelot – depuis quatre ans à l’ordre du jour du Sénat !

Non content de cette accélération du débat, deux semaines avant l'examen en séance publique au Sénat, le Premier ministre transmet, le 22 février dernier, une lettre rectificative changeant la nature du projet de loi.

Nous examinons ce texte sans auditions préalables et dans des délais inadaptés à sa portée politique, économique, environnementale, sanitaire et sociétale. Ni l’ANCLI, ni l’IRSN, ni l’ANDRA, ni les responsables militaires, ni les représentants des salariés ne furent conviés à exprimer leur point de vue devant notre commission.

Déjà, la future loi concernant la gestion des déchets radioactifs s’inscrit dans le même rythme de l’urgence. Et faisant fi du Parlement, on recourra plus tard à des décrets qui permettront la réalisation d’un centre dans dix ans ! Alors de quelle transparence parlons-nous ?

Ainsi, « la confiance dans la gestion des risques, qui dépend largement – pour citer Olivier Godard, chercheur au CNRS – en positif comme en négatif, du niveau de confiance générale placée dans les institutions, le système politique et le Gouvernement, n'est pas de nature à se renforcer. »

Ne donnons pas le sentiment de légiférer à la va-vite. Pourquoi une telle précipitation ? diront à juste raison nos partenaires et les relais d'opinion.

Pourtant, l'actualité devrait être bonne conseillère : l'objectif et la manière sont intimement liés et, à vouloir mépriser l'un ou l'autre, l’on dessert les deux. Pour ne pas être assimilée à l'expression d'un lobby, cette loi doit être élaborée sereinement. Les pratiques dans la filière nucléaire furent trop souvent marquées par le goût du secret et de la confidentialité. Rompons aujourd’hui avec cette opacité !

Madame la ministre, la France se définit comme un État nation : il nous faut tenir compte de cette particularité qui fait l'honneur et la difficulté de notre démocratie.

Oui, il nous faut conjuguer la raison d'État et le droit à l'information et à la transparence. Même dans des conditions délicates, commerciales ou militaires, le maniement de données non divulgables à tous ne saurait être le non-dit. Il nous faut donc assurer des mécanismes de veille, voire de vigilance démocratique. Telle est la vocation du responsable politique.

J'ajoute – avant de vous proposer les approfondissements que nous jugeons nécessaires – que l'inflation sémantique conduisant à créer une Haute autorité indépendante ne garantit ni la confiance populaire ni l'efficacité de la filière.

La pratique quotidienne, la lisibilité des objectifs, la connaissance des moyens et des méthodes, identifiés par la population, les salariés concernés, les responsables économiques et politiques, les relais d'opinion garantiront plus sûrement le succès de nos exigences que la création d'une instance où les jeux et enjeux de pouvoir grisent déjà certains !

Madame la ministre, nous vous remercions d’avoir tenu compte du souhait exprimé par le président de la commission et notre rapporteur en renonçant à la procédure d’urgence laquelle était inacceptable. Cela dit, je reste convaincu que ce texte devrait être renvoyé en commission pour au moins cinq raisons majeures.

D’abord, la création de la Haute autorité de sûreté nucléaire peut apparaître comme un démembrement de l’administration accordant des moyens financiers, humains, techniques à un collège de cinq personnalités inamovibles et désignées pour un mandat de six ans. Elles disposeraient de pouvoirs juridiques disproportionnés pour édicter des règlements, effectuer des contrôles en se substituant en fait aux services ministériels. En concentrant le pouvoir de contrôle, d’information et de réglementation, cette autorité dite indépendante est ambiguë. Nous pouvons craindre une confusion des rôles, une perte de responsabilités réelles du politique, gouvernement et parlement confondus, sur la sécurité des biens et des personnes. Il serait donc utile de préciser dès maintenant qui sont les acteurs compétents pour les différentes séquences, qui valide quoi et comment se répartissent les compétences entre cette nouvelle instance et les autres partenaires. Quels décideurs pour quelles responsabilités ?

Ensuite, sur tous les bancs de l’Assemblée, certains collègues ont milité pour que l'ex-IPSN – Claude Birraux et moi-même étions administrateurs de cet institut – soit émancipé de sa mère nourricière le CEA. Les lignes de partage s'affirment depuis quelques années : tant mieux ! II nous faut donc préciser et clarifier les modalités de financement de l'IRSN afin de lui assurer son rôle de vigile indépendant et performant.

Troisième remarque : les commissions locales d'information – CLI – constituent un relais puissant – parfois tumultueux – des sentiments de la population. Tant mieux ! Nous devons assurer et élargir leur pouvoir d'investigation. À cet égard, il convient de clarifier leurs modalités de financement sans porter atteinte à leur autonomie. Haute autorité ou pas, la nouvelle autorité ne saurait être leur censeur ou leur directeur d'études ! Il faut aussi préciser la vocation de la fédération des CL et son périmètre de compétence.

Quatrième motif de renvoi en commission : des milliers de salariées mettent leurs compétences au service de la réussite de la filière nucléaire française. Il nous faut préciser et clarifier les modalités de leur contribution interne à l'entreprise – citoyenne ou pas. Prenons garde à ce que les départs en retraite et le recours massif à des personnels contractuels ne portent pas préjudice à la mémoire entrepreneuriale. Il est temps de mieux associer les acteurs du quotidien à la transparence et à la sécurité.

Cinquièmement, une nouvelle donne climatique s’esquisse et la mission parlementaire, qui étudie les changements à l’horizon 2030, 2050 et 2100, déposera son rapport dans les prochains jours, à l’issue de cinq mois de travaux. Dès maintenant, nous devons préciser les modalités de suivi des changements climatiques au regard du fonctionnement des installations nucléaires et de la gestion de l’eau, principe de précaution oblige.

M. Jean Dionis du Séjour. Très juste !

M. François Dosé. Nous préconisons la transparence et la sécurité, mais aussi l’expertise indépendante et l’information des populations.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. François Dosé. Madame la ministre, chers collègues, en refusant de consacrer du temps à des investigations préliminaires diversifiées et approfondies, nous gagnons peut-être quelques semaines, mais en prenant le risque de faire perdre beaucoup de temps à la filière électro-nucléaire. Les décisions prises dans la précipitation sont rarement pérennisées : une nouvelle génération ou un autre gouvernement auront tôt fait de les balayer. C’est pourquoi je plaide une dernière fois, au nom de mes collègues socialistes, pour le renvoi de ce texte en commission afin que nous puissions apprécier sa pertinence de manière plus rigoureuse, en prenant le temps d’auditionner l’ensemble des partenaires concernés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Alain Venot, rapporteur. Aucune des raisons avancées par M. Dosé ne me semble justifier un renvoi en commission. Celle-ci a fait son travail, en toute sérénité, et avec la précision et la rigueur requises. Je rappelle qu’en tant que rapporteur j’ai – comme il est d’usage – auditionné tous ceux qui pouvaient l’être ou qui ont bien voulu l’être.

M. Jean-Louis Dumont. C’est une procédure normale !

M. Alain Venot, rapporteur. Bien évidemment. Je rappelle les faits pour répondre à M. Dosé qui a prétendu qu’il n’y a pas eu suffisamment d’auditions.

J’ai donc reçu les représentants, de l’ANCLI à ceux de « Sortir du nucléaire », de Greenpeace aux exploitants ou syndicats des travailleurs du nucléaire. Tous les amendements y compris ceux émanant du groupe socialiste, ont été examinés dans des conditions normales, et nombre d’entre eux ont été adoptés en commission. Tout cela me semble répondre à vos cinq objections majeures, monsieur Dosé. Dans ces conditions, je considère que rien ne justifie le renvoi du texte en commission.

M. le président. Souhaitez-vous intervenir, madame la ministre ?

Mme la ministre de l’écologie et du développement durable. Non, monsieur le président, tout a été dit.

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. François Brottes, pour le groupe socialiste.

M. François Brottes. Contrairement à notre rapporteur, je considère que le renvoi en commission est opportun, d’autant, madame la ministre, que vous avez levé l’urgence. Cela peut paraître étrange, mais je m’explique.

Nous attendons ce texte depuis soixante-dix ans et nous devons discuter demain en commission d’un projet sur les déchets radioactifs, qui engage l’avenir pour cinquante ans. Nous n’avons pas eu le temps, monsieur le rapporteur, de débattre des questions de fond qui s’inscrivent dans un contexte extrêmement mouvant, avec toute la sérénité requise, car nous étions occupés à dénoncer le recours à la procédure d’urgence. Celle-ci étant levée, nous pouvons maintenant prendre tout le temps nécessaire, pour approfondir, en commission, des sujets aussi importants que le changement climatique, la gestion de l’eau ou la concurrence – question à laquelle vous n’avez du reste pas répondu, madame la ministre. Vous vous êtes contentée de renvoyer à la notion de « régulateur » en parlant de l’Autorité. Or dans le domaine de l’énergie, le régulateur est celui qui veille à l’expression de la libre concurrence.

Pour éviter de telles confusions, liées à des pratiques qui sont en train de changer et sur lesquelles nous ne nous sommes pas suffisamment interrogés, il serait utile de renvoyer ce texte en commission afin d’en discuter en toute sérénité.

Le calendrier de notre commission est fort chargé : demain à neuf heures, nous devons parler des déchets nucléaires. À onze heures, nous recevrons les présidents de Gaz de France et de Suez pour évoquer leur éventuelle fusion, et l’après-midi, en séance publique, nous reprendrons notre débat sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire. La sérénité n’est donc pas au rendez-vous, monsieur le président !

M. Jean-Louis Dumont. On nous fait travailler à marche forcée !

M. le président. La parole est à M. Claude Birraux, pour le groupe de l’UMP.

M. Claude Birraux. La première tentative de faire aboutir ce texte – que nous devons à Mme Voynet avant que le Conseil d’État ne l’éconduise – remonte à 1999. M. Cochet qui l’a remplacée n’a pas pu le faire inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée par le gouvernement Jospin. Ce texte est donc en souffrance depuis longtemps. C’est là un simple rappel des faits.


On sait bien que les parlements et les gouvernements comptent surtout des juristes parmi leurs membres, même si certains, rares, ont une formation scientifique. Et la transparence et la sécurité nucléaires n’est pas le sujet qui réjouit le plus les juristes, plus enclins à se pencher sur la Constitution et autres choses importantes à leurs yeux. Nous devrions donc tous nous féliciter que ce texte vienne enfin en discussion, alors que l’énergie nucléaire dans notre pays, qui en est le premier producteur, s’est développée sur la base juridique la plus faible.

Parmi les arguments développés par François Dosé, certains ont trait à la place de la Haute autorité, mais les amendements de notre rapporteur ont permis de bien définir ce qui est du ressort de cette instance et ce qui est du ressort du Gouvernement. Il n’y a pas de confusion possible. Quant à la séparation de l’IRSN et du CEA, elle est effective. L’institut bénéficie d’une dotation budgétaire, mais une convention liera les deux organismes pour mener à bien des études de sûreté. Il ne peut pas y avoir de séparation entre l’autorité de sûreté et une expertise scientifique : l’autorité a besoin de l’apport de la recherche.

S’agissant des commissions locales d’information, elles seront dotées d’une base juridique considérable, alors qu’auparavant, leur existence reposait sur une simple circulaire. Entre un texte de loi et une circulaire, qu’est-ce qui l’emporte ?

S’agissant des compétences des salariés, un amendement du rapporteur prévoit la consultation des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Le changement de statut de l’entreprise n’entraîne aucun changement de ce point de vue.

Quant à l’effet de serre, le changement climatique et la gestion de l’eau, je suis d’accord avec M. Dosé pour dire qu’il s’agit de problèmes d’une très grande importance, mais nous devons d’abord organiser la transparence et la sûreté en matière nucléaire.

Au lieu de chercher un motif pour ne pas débattre de ce texte, nous devrions tous rendre hommage au Gouvernement de l’avoir enfin mis à l’ordre du jour car il est primordial pour notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe communiste.

M. Daniel Paul. Je voudrais rendre hommage à François Dosé pour la façon dont il s’est exprimé. Nous savons dans quelle situation se trouve sa circonscription, nous connaissons la sensibilité qui est la sienne.

Sur les cinq motifs qu’il a invoqués, je voudrais revenir aux deux derniers.

S’agissant du départ à la retraite des salariés, il faut bien voir que dans le domaine nucléaire, au-delà de la formation initiale et la qualification des personnels, ce qui importe, c’est la façon d’appréhender les problèmes quotidiennement. Cela suppose une attention portée aux salariés, une tranquillité, qui me paraissent incompatibles avec l’accoutumance aux règles du marché. Et cette question renvoie à la transparence et à la confiance que la population peut accorder à son industrie nucléaire.

En ce qui concerne le changement climatique, j’ai été frappé par le niveau des fleuves lors de la canicule de 2003. Il se trouve que j’ai traversé la France cet été-là et en voyant la Loire et la Garonne, je n’ai pas pu m’empêcher de penser qu’un jour viendrait où nos centrales nucléaires devraient être transférées le long de nos côtes où, a priori, la fonte des glaces garantit un niveau suffisant d’eau de mer.

M. Jean Dionis du Séjour. Mais les centrales ne sont pas sur roulettes !

M. Daniel Paul. En effet ! Reste que ce problème se pose et que nous ne le traitons qu’insuffisamment.

Dans une des dépêches de presse tombées ce soir, j’ai vu qu’une augmentation importante du prix du pétrole venait de se produire. Cette évolution va sans aucun doute se confirmer dans les années qui viennent, avec l’échéance du fameux pick oil, qu’il se produise dans dix ans ou dans vingt ans, et nous n’en tirons pas suffisamment les conséquences.

Madame la ministre, certes, vous avez levé l’urgence mais, comme l’a souligné François Brottes, demain, notre journée sera chargée : nous évoquerons les déchets nucléaires tôt le matin, nous rencontrerons ensuite M. Mestrallet et M. Sirelli pour évoquer un problème qui n’est pas sans rapport avec le sujet dont nous traitons et nous tiendrons ensuite une réunion au titre de l’article 88. Nous n’avons pas la sérénité requise pour mener nos débats à bien. C’est pourquoi un renvoi en commission s’impose pour mettre les choses en perspective.

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe UDF.

M. Jean Dionis du Séjour. Au nom du groupe UDF, je voudrais d’abord saluer la remarquable intervention de M. Dosé. Pour toute majorité parlementaire, le nucléaire est un sujet difficile et nous ne pouvons que féliciter notre collègue pour son honnêteté intellectuelle. « La gauche esquissa souvent, esquiva parfois », a-t-il dit. Et cela est vrai aussi de la droite, dans une moindre mesure toutefois. Pour le moment, nous n’avons pas vraiment traité du problème de fond en matière de transparence.

Je salue aussi le courage politique des élus de la Meuse dans la perspective de l’enfouissement profond des déchets, d’autant que je connais déjà les difficultés qui se posent lorsqu’il y a une centrale dans une circonscription.

Les arguments relatifs à l’autorité indépendante et le lien qu’entretient notre débat avec les questions du changement climatique et de la gestion de l’eau sont d’une importance majeure. Nous devrons mettre ces sujets au cœur de nos débats.

Toutefois, je n’ai pas été convaincu par la logique suivie par François Brottes dans son explication de vote au nom du groupe socialiste. Puisque l’urgence est levée, il faudrait renvoyer le texte en commission, selon lui.

M. François Brottes. Oui, mais dans un état d’esprit différent.

M. Jean Dionis du Séjour. Pour ma part, je dirai que c’est parce que l’urgence est levée qu’il nous faut débattre. De toute façon, nous examinerons à nouveau ce texte en commission dans le cadre des navettes. Commençons donc à travailler tranquillement !

Nous ne voterons donc pas la motion de renvoi en commission.

M. le président. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour
des prochaines séances

M. le président. Aujourd’hui, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement.

Suite de la discussion du projet de loi, n° 2943, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire :

Rapport, n° 2976, de M. Alain Venot, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 29 mars 2006, à zéro heure dix.)