Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus intégraux (session ordinaire 2005-2006)

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire
Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 6 avril 2006

193e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. MAURICE LEROY,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

gestion des matières
et des déchets radioactifs

Discussion, après déclaration d’urgence,
d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi de programme relatif à la gestion des matières et des déchets radioactifs (n°s 2977, 3003).

La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, l’énergie nucléaire est utilisée en France à des fins aussi variées que l’électricité nucléaire, qui réduit notre dépendance vis-à-vis du pétrole, ou la médecine nucléaire, qui a permis des avancées majeures dans le diagnostic et le traitement des maladies.

Comme toute activité, ces activités produisent des déchets, qu’il convient de gérer avec la plus grande rigueur compte tenu de leur caractère radioactif. C’est l’objet du projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter que de fixer un programme pour la gestion de toutes les substances radioactives issues de ces activités.

Pour 85 % du volume de ces déchets, des solutions définitives existent déjà : ils sont stockés en surface sur des sites exploités par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l’ANDRA, dans les départements de la Manche et de l’Aube. Le site de la Manche a été recouvert et est entré en phase de surveillance tandis que les sites de l’Aube sont en pleine exploitation.

Les 15 % restant, qui concentrent 99 % de la radioactivité, sont entreposés de façon sûre dans des installations de surface à La Hague, dans la Manche, à Marcoule, dans le Gard, et à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône, mais celles-ci n’ont pas été conçues pour stocker définitivement ces déchets, dont la radioactivité peut durer des centaines de milliers d’années, compte tenu des périodes de décroissance naturelle.

La recherche de solutions de gestion à long terme de ces déchets est nécessaire, quelle que soit la place que le nucléaire occupe ou occupera en France : des déchets ont été produits depuis quarante ans ; ils sont là et il nous appartient de les gérer. C’est valable pour toutes les nations qui ont fait le choix de cette énergie. Aux États-Unis, en Finlande, en Suède, en Allemagne, les mêmes questions se sont posées et les mêmes types de démarche ont été engagés afin d’y apporter des réponses.

Pour définir des solutions de gestion à long terme des déchets de haute activité et à vie longue, la loi du 30 décembre 1991, dont je salue le rapporteur, Christian Bataille, a fixé trois axes de recherche. Ce sont les seuls possibles, une fois écartés l’envoi dans l’espace, trop hasardeux, et l’injection dans les failles de subduction sous-marine, exclue par les conventions internationales.

Le premier axe vise à réduire le volume et la toxicité des déchets en séparant les différents produits contenus dans les combustibles usés et en transformant les éléments radioactifs à durée de vie longue en éléments radioactifs à durée de vie plus courte dans de nouveaux réacteurs nucléaires. Il suppose de développer une nouvelle génération d’usines de traitement et une nouvelle génération de réacteurs nucléaires. Ce premier axe, appelé séparation-transmutation, est étudié à Marcoule.

Le deuxième axe est le stockage, irréversible ou réversible, des déchets en couche géologique profonde. Comme je vous le disais il y a quelques instants, il existe déjà des stockages de déchets radioactifs à vie courte mais en surface. Les possibilités de stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs à vie longue ont été étudiées notamment grâce au laboratoire de Bure, à la frontière des départements de la Meuse et de la Haute-Marne, dans une couche géologique vieille de 150 millions d’années, profonde et stable.

Le troisième axe concerne l’étude de procédés de conditionnement et d’entreposage de longue durée des déchets. Il vise à développer des installations qui permettraient de conserver les déchets en surface de façon sûre pendant cent à trois cents ans, contre cinquante à cent ans pour les entreposages exploités actuellement. Mais, quelle que soit cette durée, un entreposage est, par définition, temporaire : il n’est pas conçu pour apporter une solution définitive. Au terme de sa durée de fonctionnement, les déchets doivent être retirés. Ce troisième axe est également étudié à Marcoule.

La loi du 30 décembre 1991 avait prévu qu’avant le 30 décembre 2006 le Gouvernement présenterait un projet de loi pour tirer le bilan de ces recherches. Grâce à l’implication exemplaire des établissements de recherche et de leurs évaluateurs, j’ai le plaisir de vous dire que nous sommes au rendez-vous fixé il y a quinze ans et que nous pouvons marquer une étape décisive vers une solution sûre et de très long terme pour tous les déchets radioactifs.

Pour établir ce projet de loi, nous nous sommes fondés sur les résultats de ces recherches, mais pas uniquement.

Nous nous sommes appuyés sur les rapports des établissements de recherche, ainsi que sur les avis rendus par les organismes indépendants qui ont évalué ces études. Le Commissariat à l’énergie atomique et l’ANDRA ont coordonné les recherches. De nombreuses équipes scientifiques françaises et étrangères y ont contribué. Le 30 juin dernier, les deux établissements m’ont remis, ainsi qu’à mon collègue en charge de la recherche, les rapports synthétisant leurs études et les résultats acquis. Ces recherches ont été soumises à une évaluation continue de la Commission nationale d’évaluation créée par la loi de 1991. Ils ont également été confrontés aux meilleures connaissances acquises au niveau international. Deux revues ont été organisées sous l’égide de l’OCDE. Enfin, l’Autorité de sûreté nucléaire a émis un avis sur ces résultats.

Je veux souligner également l’apport très précieux de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, notamment au travers des recommandations faites dans le cadre du récent rapport qu’ont préparé les députés Claude Birraux et Christian Bataille et qui a été adopté en mars 2005.

Nous avons également complété ces éléments avec un débat public. Celui-ci a été organisé de façon remarquable par la Commission nationale du débat public au dernier trimestre 2005.

M. Jean-Louis Dumont. Avec l’excellent Georges Mercadal !

M. le ministre délégué à l’industrie. Ce débat a permis à nos concitoyens de s’informer sur ce sujet et d’exprimer leurs préoccupations. Il a éclairé le Gouvernement en lui apportant un panorama des arguments. Enfin, nous avons reçu, s’agissant d’une loi de programme, l’avis du Conseil économique et social.

Dans ce propos introductif, je souhaite vous présenter les principaux objectifs et dispositions de ce projet. L’examen article par article nous permettra de les approfondir.

En premier lieu, ce projet de loi institue un plan national de gestion des matières et déchets radioactifs.

Ce plan inclura non seulement les déchets de haute activité et à vie longue mais aussi, comme le recommandaient de nombreux participants au débat public, toutes les autres substances radioactives issues des activités nucléaires : les sources scellées utilisées dans la radiographie industrielle ou la médecine, les déchets issus des activités militaires, ou encore les anciens paratonnerres au radium. J’ai bien noté que la commission des affaires économiques propose de le compléter encore en y ajoutant les résidus miniers et les déchets graphites issus des centrales de première génération. Je m’en félicite.

Le projet de loi fixe trois principes essentiels qui fonderont ce plan : premièrement, afin de rechercher la réduction de la quantité et de la nocivité des déchets, les combustibles nucléaires usés issus des centrales électriques seront traités pour être recyclés dans des centrales ; deuxièmement, les déchets qui ne peuvent être recyclés seront conditionnés dans des matrices robustes et stables et entreposés temporairement en surface ; troisièmement enfin, après entreposage, ceux des déchets ultimes qui ne peuvent pas être stockés définitivement en surface ou en faible profondeur seront placés dans un stockage en couche géologique profonde, qui devra être réversible pendant une période d’au moins cent ans.

Pour le Gouvernement, c’est une question de responsabilité : notre génération, qui bénéficie ici et maintenant de l’énergie nucléaire, a le devoir de définir des solutions sûres et de long terme pour tous les déchets radioactifs. Avec le traitement des combustibles usés, le conditionnement et l’entreposage en surface pour refroidissement des déchets et, enfin, leur stockage géologique réversible, nous choisissons une solution sûre. C’est l’objet de ce plan.

Autre grand principe du plan : le projet de loi confirme l’interdiction de stocker en France des déchets étrangers et renforce la législation sur le sujet. Il prévoit que le traitement des combustibles usés en provenance de l’étranger sera encadré par des accords intergouvernementaux qui fixeront des délais limités pour l’entreposage de ces matières et des déchets qui en sont issus après traitement.

M. Christian Bataille. Très bien !

M. le ministre délégué à l’industrie. Ces délais seront fixés au cas par cas en fonction des contraintes techniques liées au traitement et au transport de ces substances. Le projet crée un régime de contrôles et de sanctions qui n’avait pas été prévu en 1991. J’ai noté que la commission propose que les accords intergouvernementaux soient publiés au Journal officiel. Cela correspond parfaitement à l’exigence de transparence qui s’impose dans ce domaine.

En deuxième lieu, le projet fixe un programme de recherches et de travaux, assorti d’un calendrier, pour mettre en œuvre ce plan national de gestion des matières et déchets radioactifs.

Les recherches seront poursuivies selon les trois axes, selon leurs degrés de maturité respectifs.

L’entreposage est déjà une réalité industrielle, même si on peut encore l’améliorer pour concevoir des installations dont on pourra garantir des durées de fonctionnement plus longues.

Le stockage dans la couche géologique a été reconnu par les évaluateurs scientifiques que vous aviez désignés en 1991 comme la solution technique de référence. L’ANDRA a démontré sa faisabilité et cette démonstration a été vérifiée par les expertises nationales et internationales. Il faudra quelques années à l’ANDRA pour conforter les études, tester des maquettes à l’échelle 1, choisir un site précis et déposer une demande d’autorisation de construction.

La transmutation reste un objectif de plus long terme puisqu’il faut développer une nouvelle génération de réacteurs nucléaires pour pouvoir aller encore plus loin dans le recyclage des combustibles et la réduction des déchets ultimes. Un prototype de réacteur de quatrième génération sera mis en service vers 2020.

Les trois axes sont complémentaires et il n’y a pas lieu de les opposer : chacun a son utilité, mais pas au même moment ou pour les mêmes déchets. La loi tire ainsi un bilan des quinze années de recherches scientifiques réalisées et fixe des orientations pour la poursuite des recherches et études jusqu’à la réalisation d’installations. J’ai noté que la commission, partageant ce souci de complémentarité, propose de préciser la date à laquelle de nouvelles capacités d’entreposage de longue durée devront être créées. Cette précision me paraît opportune.

En troisième lieu, le projet de loi renforce l’évaluation indépendante des recherches, l’information du public et la concertation sur ce sujet en prévoyant des procédures particulièrement complètes.

La Commission nationale d’évaluation voit son indépendance réaffirmée, sa composition élargie et ses prérogatives renforcées. Elle continuera de rendre chaque année un rapport public sur le programme de recherche.

Le comité local d’information et de suivi est maintenu, mais il devra s’adresser d’avantage que par le passé au grand public : sa mission est précisée, sa présidence confiée au président du conseil général et son financement devient indépendant des producteurs de déchets.

Le projet de loi prévoit que le stockage pourra être autorisé par décret après avis de l’Autorité de sûreté nucléaire, débat et enquête publics et avis des collectivités locales concernées. Aucune installation industrielle ne fait l’objet d’une procédure aussi complète.

La décision effective de construction d’un centre de stockage ne pourra intervenir que lorsque toutes les conditions de sûreté et de consultation prévues auront été remplies. D’ici là, des entreposages sûrs continueront d’accueillir les déchets. Dans le cas où les études menées dans les prochaines années mettraient en évidence une difficulté technique, ce que je n’ai aujourd’hui aucune raison de penser, ces entreposages continueront de jouer ce rôle pendant le temps nécessaire.

Sur ce sujet emblématique des débats entre science et société, la recherche scientifique est nécessaire mais ne suffit pas : nous continuerons et renforcerons les évaluations indépendantes, l’information et la concertation, pour permettre à chacun de se faire son opinion et de s’assurer de la sûreté des solutions proposées.

Dans cet esprit, j’ai souhaité que le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs et l’inventaire national de ces substances soient régulièrement mis à jour, transmis au Parlement et rendus publics. Au final, conformément à nos institutions, à notre Constitution, la décision individuelle d’autorisation de création d’un stockage géologique réversible devra revenir au Gouvernement. La discussion nous donnera l’occasion d’approfondir ce point.

Le projet de loi prévoit que cette autorisation de création devra fixer une période de réversibilité, qui devra être au moins de cent ans. Le stockage réversible offrira aux générations suivantes le choix soit de laisser définitivement les déchets dans le stockage, ce qui est conforme à la vocation générale d’un stockage, soit de les en retirer, si des révolutions scientifiques leur permettaient d’imaginer de nouvelles solutions de gestion. Le stockage réversible, c’est à la fois la pérennité et la flexibilité.

En inscrivant ce programme de recherches, d’études et de réalisations dans un calendrier d’objectifs, nous avançons dans la mise en œuvre de solutions de gestion sûres et pérennes pour chaque type de déchets radioactifs, de façon contrôlée au plan technique, au plan administratif et au plan financier. Face à des durées si longues, nous devons éviter deux écueils : la précipitation et l’indécision. En décidant ce programme, cette feuille de route, nous nous gardons de l’attitude facile consistant à toujours poursuivre les recherches sans jamais en faire le bilan ou en tirer des conclusions. En inscrivant ce programme dans la durée, en laissant aux recherches et aux études le temps et les moyens qui leur sont nécessaires, nous nous gardons d’aller trop vite.

En dernier lieu, le projet de loi apporte les outils nécessaires pour financer la gestion des déchets et le démantèlement des installations nucléaires.

Deux taxes additionnelles sur les exploitants d’installations nucléaires financeront les recherches sur la gestion des déchets radioactifs et les actions de développement économique dans les départements concernés. Jusqu’à présent, elles étaient financées par des conventions volontaires signées par les industriels. À l’avenir ces moyens seront financés par les mêmes industriels mais au travers d’une taxe, dont le niveau sera déterminé par la loi de finances.

L’accompagnement économique avait été introduit par la loi de 1991 pour marquer la reconnaissance de la nation à l’égard de ces départements. Il devra être poursuivi dans la transparence, dans l’efficacité mais sans ostentation. Ce qui est primordial pour nos concitoyens, c’est, bien sûr, la protection de leur santé et de l’environnement. Le débat public a montré que l’accompagnement économique venait après dans leurs préoccupations, mais qu’il restait très attendu. Cela ne doit pas nous surprendre : même rassuré sur la sûreté des solutions proposées, on peut encore naturellement préférer que le stockage soit creusé chez le voisin plutôt que chez soi et demander un accompagnement économique. D’une certaine façon, ce n’est pas différent de la taxe professionnelle, que nous connaissons tous.

Au-delà des coûts de la recherche, le projet de loi contient un dispositif de sécurisation du financement des charges de démantèlement et de gestion industrielle des déchets. Du fait des montants en jeu, plus de 30 milliards d’euros provisionnés dans les comptes d’EDF, d’AREVA et du CEA selon un rapport de la Cour des comptes, et de l’éloignement de certaines dépenses, cette sécurisation est primordiale. Le coût du stockage lui-même est estimé à environ 15 milliards d’euros en valeur brute et 4 milliards d’euros en valeur actualisée.

Les industriels du nucléaire devront non seulement évaluer périodiquement, et de manière prudente, l’ensemble de leurs charges nucléaires, et constituer les provisions correspondantes, mais également disposer d’actifs financiers pour couvrir intégralement ces provisions. Ces actifs seront affectés exclusivement à la couverture des frais de démantèlement et de gestion des déchets, ce qui signifie qu’ils ne pourront être utilisés pour aucun autre objet par les exploitants et qu’ils ne pourront en aucun cas faire l’objet d’une quelconque revendication par un créancier. Par ailleurs, ces actifs devront avoir un degré de sécurité, de diversification et de liquidité suffisant. Le contrôle de ces dispositions sera assuré par les pouvoirs publics.

J’ai noté que certains amendements prévoient de transférer à l’État la responsabilité des déchets et, du même coup, de créer un fonds externe pour gérer les fonds nécessaires. Je ne doute pas que ces amendements partent d’une bonne intention, qu’ils visent non pas à reporter sur l’État les risques financiers qui pèsent sur les industriels, mais à sécuriser les fonds nécessaires, quelle que soit la fortune réservée aux industriels.

La discussion me permettra de vous démontrer que le projet de loi apporte toutes les sécurités nécessaires au financement du démantèlement et de la gestion des déchets, tout en évitant de reporter sur l’État le risque financier inhérent à des projets de si grande ampleur. J’ai noté que la commission propose de renforcer encore ces sécurités en créant une nouvelle commission indépendante pour l’évaluation du dispositif de financement des charges nucléaires mis en place.

Le coût prévisionnel de la gestion des déchets est déjà dans le prix de l’électricité. Sur la facture moyenne d’électricité d’un foyer, le coût de la gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs représente 5 % du coût de production, soit 10 euros par an. Bien gérées, les sommes ainsi collectées pourront financer, le moment venu, les charges de long terme. Et si le coût final devait être revu par rapport aux prévisions, ce serait encore aux producteurs de déchets de payer la différence, non pas à l’État. C’est l’avantage du fonds interne.

Avec ce projet de loi, le Gouvernement vous propose d’apporter une solution définitive, pour reprendre les termes de l’amendement n° 3, au problème des déchets radioactifs, mais également de prendre le temps nécessaire pour la mettre en œuvre. Nous vous proposons de fixer le cadre, les étapes et les moyens de la gestion de ces déchets en mettant en œuvre concrètement les trois axes de recherche fixés par la loi de 1991, qui ne sont pas opposés mais complémentaires.

Quatre jours pleins ont été réservés pour l’examen de ce texte par votre assemblée. Je souhaite que tout le temps nécessaire soit donné à cet examen.

M. Jean-Louis Dumont. Très bien !

M. le ministre délégué à l’industrie. Notre objectif est clair, et je crois qu’il est partagé par un grand nombre d’entre vous : nous souhaitons que le texte soit voté avant la fin de la session.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Très bien !

M. le ministre délégué à l’industrie. L’industrie nucléaire procure des avantages importants à notre pays, en réduisant notre dépendance vis-à-vis des énergies fossiles importées, en produisant 80 % de notre électricité à un coût compétitif et en participant à la maîtrise de nos émissions de gaz à effet de serre. Grâce à cela, nous émettons par habitant 40 % de CO2 de moins que nos voisins Allemands ou Danois, dont certains vantent le modèle énergétique. Elle occupe une place importante dans notre politique énergétique à côté des énergies renouvelables et des économies d’énergie, qui bénéficient sous ce gouvernement d’un soutien sans précédent : près de 1 milliard d’euros par an.

Avec cette loi, le Gouvernement vous propose de prendre nos responsabilités. L’énergie, sous forme de carburants, de chaleur ou d’électricité, irrigue toutes les activités économiques et sociales. L’électricité est essentielle pour nos entreprises comme pour nos concitoyens. Nous devons en gérer toutes les conséquences sans reporter les questions sur les générations futures. C’est aussi cela le développement durable. C’est l’objet du projet de loi.

C’est dans cet esprit de responsabilité vis-à-vis des générations futures et de transparence vis-à-vis du public que nous vous proposons ce texte. C’est aux scientifiques de trouver des solutions sûres ; c’est aux experts indépendants de les évaluer ; et c’est à l’État de prendre les décisions, en veillant à l’information du public et à la concertation, en évitant la précipitation et l’indécision.

Avec ce projet de loi, c’est ce que le Gouvernement vous propose de faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Dumont. Intéressant !

M. le président. La parole est à M. Claude Birraux, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Claude Birraux, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qui aurait pu imaginer il y a quinze ans, lorsque nos avons voté à la quasi-unanimité la loi relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs de haute activité, que nous serions fidèles au rendez-vous que ce texte et son rapporteur nous avaient fixé ? Il est vrai qu’un investissement considérable, de près de 2,5 milliards d’euros a été effectué entre 1992 et 2004, financé principalement par les producteurs de déchets.

La préparation du projet de loi qui nous est soumis a été un modèle : jamais autant de contributions scientifiques, d’évaluations d’origines différentes, de discussions n’y auront concouru. Parmi les autorités qui ont joué un rôle dans cette élaboration, je voudrais souligner celui prépondérant du Parlement. D’abord à travers la loi de 1991, inspirée du rapport de Christian Bataille, adopté en 1990 par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Puis, de 1992 à 2001, l’Office parlementaire a produit six rapports, et enfin un dernier, adopté en mars 2005, qui a contribué à la préparation du présent projet.

La Commission nationale d’évaluation a joué, tout au long de ces quinze années, un rôle d’aiguillon en toute indépendance, et je tiens à rendre hommage à son président, M. Tissot et à ses membres.

Le débat public, bien organisé par la commission particulière du débat public, a su à la fois contribuer utilement à l'information de nos concitoyens et révéler leurs attentes. Il faut également signaler les nombreux rapports rendus par les organismes de recherche, qui ont éclairé les décisions du Gouvernement.

Je veux rendre hommage également à tous les scientifiques qui ont participé avec enthousiasme à cette aventure, et qui ont présenté des résultats crédibles, à travers plus d’une centaine de publications dans de grandes revues scientifiques internationales à comité de lecture, et quarante thèses.

Les trois axes de recherche exposés par la loi de 1991 semblaient alors exclusifs les uns des autres, le stockage géologique apparaissant en définitive comme la seule solution, dans une perspective d'irréversibilité. Aujourd’hui, la recherche a démontré que ces trois voies de recherche n’étaient pas opposées, mais complémentaires. La commission souhaite donc que la recherche continue à progresser sur ces trois axes, dans la perspective d’une convergence vers des objectifs industriels. Elle proposera par voie d’amendements que soit établi un calendrier des étapes que devra suivre cette convergence.

Je voudrais balayer rapidement ces différents axes, en commençant par la méthode de la séparation-transmutation. La recherche en la matière a franchi une étape importante, puisqu’on peut désormais envisager la transmutation des actinides mineurs en radioéléments dont la période radioactive est beaucoup plus courte. S’il est désormais scientifiquement démontré qu'elle est possible, ce qui n'était pas le cas en 1991, celle-ci nécessitera des installations spécifiques, telles que des réacteurs de génération IV ou des réacteurs pilotés par accélérateur.

L’initiative de telles installations s’inscrit dans la logique de la politique énergétique définie par le Gouvernement, que le Parlement a validée par le vote de la loi d’orientation sur l’énergie. Selon le Président de la République lui-même, de tels réacteurs devraient être opérationnels en 2020.

Des progrès considérables ont également été réalisés en matière de stockage réversible en couche géologique profonde, deuxième axe de recherche. Ces progrès sont attribuables aux recherches conduites au laboratoire de Bure, mais également aux expériences menées par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l’ANDRA, en Suisse, en Belgique ou en Finlande. C’est en croisant ces différents résultats qu’on estime possible un entreposage d’au moins cent ans.

Ce projet de loi vise donc à établir un calendrier d’application, en fixant à la recherche des étapes et des objectifs industriels. Cette stratégie doit trouver son couronnement dans la mise en place d'un plan national de gestion des déchets radioactifs.

La plus grande partie de ces déchets provient, certes, de l’exploitation nucléaire, mais il ne faut pas négliger ce que j’appellerai les déchets « orphelins », issus de la recherche ou d’utilisations médicales et industrielles. Le plan proposé par le Gouvernement dans ce projet de loi permettra une gestion par filières exhaustive et transparente des matières radioactives.

Afin de ne pas être trop long, je voudrais concentrer la suite de mon propos sur trois points. Je voudrais d’abord souligner que le Parlement, par le biais de l'Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, a continué à tenir le rôle clé de contrôle et d’évaluation qu’il avait déjà joué dans la préparation de la loi de 1991. Plusieurs de mes amendements, dont certains votés par la commission, consacrent ce rôle du Parlement en renforçant sa mission naturelle de garant du caractère démocratique du processus.

M. Jean-Louis Dumont. Très bien !

M. Claude Birraux, rapporteur. Il devra notamment assurer la garantie législative de la réversibilité du projet de stockage et le contrôle de l'évaluation faite par l'autorité administrative sur les provisions et les actifs dédiés.

M. Claude Gatignol. Il est important que le Parlement soit présent !

M. Claude Birraux, rapporteur. Deuxième point : la solidarité nationale envers les territoires concernés par la gestion des déchets radioactifs, qui s’exerce au travers des groupements d’intérêt public, ne suffit pas.

M. Jean-Louis Dumont. Le respect de la nation !

M. Claude Birraux, rapporteur. C’est pourquoi la commission a voté des amendements visant à rappeler aux industriels du nucléaire qu’ils se doivent de contribuer au développement économique de la Meuse et de la Haute-Marne. Il s’agit également d’une obligation de transparence, pour que tout le monde sache ce qu’ils ont fait.

Nous proposerons également des pistes pour valoriser, autant qu’elles le méritent, les technologies de haut niveau développées à Bure, comme cela se fait déjà à Marcoule. Il s’agit de faire de ce site une vitrine scientifique, technique et intellectuelle, qui fasse la fierté des habitants.

Permettez-moi enfin de remercier Patrick Ollier, le président de notre commission, ainsi que l’ensemble de nos collègues qui ont contribué à ce travail. Grâce à vous, mes chers collègues, nous voterons un texte équilibré, qui nous permettra d’avancer sur les trois axes de recherche complémentaires définis par la loi de 1991. Mais alors que la loi de 1991 se limitait à la recherche, celle de 2006, tout en poursuivant sur cette voie, fixe des objectifs et des étapes de convergence et de réalisation industriels.

Je conclurai mon propos en soulignant le caractère éthique de notre démarche, fondée sur trois piliers, dont le premier est la recherche, qu’on doit intégrer en permanence dans le processus parce qu’elle seule permet l’application du principe de progrès. Le deuxième pilier est le principe du fonds dédié, dont la transparence du contrôle est garantie par la place centrale du Parlement au cœur du système. Nous avions d’abord retenu la solution du fonds dédié externalisé, mais, selon la Cour des comptes, il n’existe pas de techniques comptables propres à en garantir le bon fonctionnement. C’est pourquoi je me suis rallié à la solution du fonds dédié interne proposée par le Gouvernement. Je propose même la création d’un deuxième fonds dédié pour le financement de la construction et de l'exploitation de nouveaux entreposages ou de stockage en couche géologique profonde, à la condition qu’elle soit assortie d’une garantie supplémentaire : une nouvelle commission d'évaluation financière, dans les travaux de laquelle le Parlement sera totalement impliqué, par l’intermédiaire de ses commissions en charge des finances et de l’énergie. Le Parlement est donc au cœur du dispositif.

M. Jean-Louis Dumont. C’est cela : dans le respect du Parlement !

M. Claude Gatignol. Il est important que le Parlement soit présent !

M. Claude Birraux, rapporteur. La réversibilité est le troisième pilier de cette démarche éthique. Garantie par le Parlement, elle permettra de laisser aux générations futures la possibilité de faire d’autres choix.

Pour toutes ces raisons, la commission des affaires économiques a adopté ce projet de loi, et demande à notre assemblée, expression de la démocratie dans notre pays, de faire de même. Nous exprimerons ce faisant notre confiance en l’avenir, dans le progrès de la science, et notre foi inébranlable dans l’institution parlementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux, après M. le rapporteur, souligner combien ce débat est essentiel pour notre société. Nous faisons effectivement confiance aux scientifiques, qui ont su traiter cette question avec beaucoup de prudence et de respect, comme à ceux qui ont su, dans cet hémicycle, l’aborder dans un esprit de consensus.

En effet, le projet de loi que nous devons examiner s’inscrit dans la suite de la « loi Bataille » de 1991 – je salue à ce propos la présence de M. Bataille sur les bancs de l’opposition. Cette continuité prouve l’existence d’un consensus sur la question, comme vous l’avez indiqué, monsieur le rapporteur, ainsi que l’opportunité de débattre de ce texte, attendu depuis quinze ans. Compte tenu de l’importance du sujet, monsieur le ministre, nous devons faire en sorte que cette logique de consensus sorte renforcée de notre débat.

Ce texte prévoit la mise en service à l'horizon 2025 d'installations de stockage qui fonctionneront pendant environ un siècle : nous devons décider là pour un temps qui ne nous appartient pas. Dans ces conditions, monsieur le ministre, nous devons faire preuve de pédagogie, informer et rassurer les citoyens. Il serait désastreux de donner l’impression que nous cherchons à expédier un sujet aussi important. C’est pourquoi je serais heureux, monsieur le ministre, que vous répondiez à la question suivante : était-il bien nécessaire de déclarer l'urgence sur ce texte ?

M. Luc-Marie Chatel. Très bonne question !

M. Patrick Ollier, président de la commission. La commission des affaires économiques y a pour sa part répondu par la négative. Je vous demande donc, en son nom, de bien vouloir reconsidérer ce choix, et de laisser au débat le temps de respiration nécessaire.

M. Jean-Louis Dumont. Très bien !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Au cas où le débat confirmerait le consensus qui s’est dégagé en commission, il serait bon de le laisser se poursuivre dans des conditions normales, sans provoquer la réunion de la commission mixte paritaire.

M. Jean-Louis Dumont. C’est nécessaire !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Je vous remercie de votre approbation, mon cher collègue, mais c’est au ministre qu’il reviendra de répondre.

M. Jean-Louis Dumont. Il va nous comprendre !

M. le président. Ménagez-vous, monsieur Dumont, car vous devez intervenir plus tard ! (Sourires.)

M. Patrick Ollier, président de la commission. Ce projet de loi s'inscrit dans le prolongement, d'une part, de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, dans laquelle nous avons affirmé la nécessité de maintenir notre filière nucléaire et, d'autre part, du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité nucléaire que nous avons adopté, en première lecture, le 29 mars dernier. À cette occasion, déjà chacun a pu s’exprimer sans contrainte de temps.

Au final, la législature aura permis à la représentation nationale de définir, pour la première fois, les objectifs de la politique énergétique, d’affirmer le choix du nucléaire et de créer un cadre juridique d'ensemble régissant les activités nucléaires, y compris l'aval du cycle. Il s'agit là d'une avancée juridique, mais aussi démocratique, majeure, qui justifie l’exercice d’information et de pédagogie auquel nous devons, toutes et tous, nous astreindre.

Je veux avant tout, au nom de la commission, rendre hommage à votre remarquable travail, monsieur le rapporteur. Depuis longtemps, avec M. Bataille ou avec M. Le Déaut pour l’autre côté de cet hémicycle, vous consacrez à ces questions les qualités qu’on vous connaît, et vous avez su, par votre pugnacité, encourager le Gouvernement à mettre en place la législation transparente que nous souhaitons tous.

Je me permets, monsieur le ministre, de vous poser à nouveau les questions posées par notre rapporteur. J’essaierai ce faisant, bien entendu, comme je l’ai fait en commission – MM. Dosé, Bataille et Daniel Paul peuvent en témoigner – de trouver les voies du consensus, au-delà des clivages politiques.

Le premier point sur lequel nous sommes tous d'accord est la nécessité d'un nouveau rendez-vous parlementaire avant la création du centre de stockage en couche géologique profonde, dont l'autorisation est prévue aux environs de 2015. Notre commission considère que le texte doit prévoir ce rendez-vous, sous une forme ou une autre, selon la rédaction que proposera notre rapporteur. Cette initiative serait propre à apaiser toutes les inquiétudes, et à satisfaire le souci de transparence tant souhaité sur tous les bancs de cet hémicycle.

Je reconnais qu’il est difficile de l’organiser et que je suis le premier à demander qu’il ne soit pas organisé dans l’irrespect de notre Constitution. Je vous fais donc confiance, monsieur le ministre, ainsi qu’au rapporteur, pour que l’amendement puisse éviter toute injonction et toute inconstitutionnalité.

Le second point porte sur l’accompagnement économique et social. Vous avez dit en commission, monsieur Bataille, qu’il convenait de choisir la formule d’accompagnement la plus favorable aux territoires concernés. La commission des affaires économiques et le rapporteur en sont d’accord, sous réserve, bien sûr, que l’objectif soit bien de créer de l’activité et de l’emploi dans ces territoires, comme le demandent leurs élus, et non simplement d’y distribuer de l’argent.

Mon troisième et dernier point concerne le financement des charges de démantèlement et d’aval du cycle. Là encore, nous sommes tous d’accord sur le fond, même si nous divergeons quant aux moyens d’atteindre l’objectif : en aucun cas ces charges, déjà incluses dans les tarifs et financées par les consommateurs d’électricité, ne doivent revenir à l’État, c’est-à-dire au contribuable.

Le projet de loi garantit ce principe grâce à un système d’actifs dédiés, qui existe déjà en Allemagne ou au Royaume-Uni. Soyez-en remercié, monsieur le ministre : tout cela va dans le bon sens. Je suis certain que notre débat va nous permettre de reprendre tranquillement ce sujet, de telle sorte que nous puissions, là aussi, parvenir à un accord général.

Ce projet réjouira ceux qui sont, comme moi-même et un grand nombre de parlementaires de notre majorité, favorables à une industrie nucléaire qui est l’un des fleurons de notre technologie. Il contribuera de toute évidence à notre indépendance énergétique, à la maîtrise du coût de notre énergie et au respect de nos engagements internationaux en matière de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre.

À l’inverse – il ne s’agit pas ici de polémique, mais je tiens à le dire clairement –, la discussion de ce projet de loi gêne profondément les adversaires idéologiques du nucléaire. Je suis consterné, en lisant la presse ou en suivant les meetings politiques, par l’étonnante absence de nos collègues Verts de la discussion de ce projet de loi sur la transparence nucléaire – absence totale, à l’exception d’une intervention de cinq minutes de M. Mamère et de M. Cochet.

M. Guy Geoffroy. Quel courage !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Aucun d’entre eux n’a participé à nos travaux en commission. (« Absolument ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) C’est la première fois que cela se produit sur un sujet aussi important. Je note également qu’aucun représentant des Verts n’est aujourd’hui présent en séance.

M. Guy Geoffroy. C’est un abandon de poste !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Il y a loin du discours à l’action ! Nos collègues devraient réfléchir au sens de la responsabilité. Ici, en effet, monsieur le ministre, personne ne refuse le débat. Au contraire, nous revendiquons ce débat,…

M. Jean-Louis Dumont. Oui, mais dans le temps !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Certes, dans le temps, monsieur Dumont, mais surtout sur des bases qui nous permettent de fixer des accords consensuels ou majoritaires. Nous ne serons pas toujours d’accord sur tout, mais seul le débat permet d’enrichir la discussion et d’affronter les arguments. Je suis, comme M. le rapporteur, en manque de débat avec nos collègues Verts.

Alors que M. Mamère nous interpelle avec force en invoquant le caractère antidémocratique de notre démarche, je m’interroge quant à moi sur le caractère démocratique de ceux qui refusent le débat.

Je souhaite souligner encore l’intérêt témoigné par la commission à ce projet et à rendre hommage à tous les groupes, de la majorité comme de l’opposition, qui ont conservé au débat en commission son caractère constructif – même, monsieur Dosé, lorsque nous n’étions pas d’accord. Je tiens donc, chers collègues, à rendre publiquement hommage au sens de la responsabilité dont vous avez toutes et tous fait preuve et qui n’allait pas toujours de soi, car il est plus facile de se livrer à des vindictes démagogiques que d’entrer, comme toutes et tous l’avez fait, dans un débat sérieux, constructif et intellectuellement honnête.

Il me semble possible, monsieur le ministre, que l’état d’esprit qui a régné en commission anime également nos débats dans l’hémicycle et que nos travaux puissent se terminer assez rapidement. Nous avons fait apparaître une grande convergence de vues quant aux objectifs, et les seuls désaccords qui subsistent sont, si je puis les qualifier ainsi, de nature essentiellement technique. Lorsque l’opposition propose parfois d’atteindre nos objectifs communs par des moyens légèrement différents de ceux que nous proposons, nous nous emploierons à formuler les amendements qui nous permettront de trouver la bonne voie. Je vous fais confiance pour cela, monsieur le ministre, et je tiens à rendre hommage à votre sens de l’ouverture et à la manière dont vous nous avez permis, avec vos services, auxquels je rends également hommage, de tenir un débat apaisé – ce que j’apprécie particulièrement en tant que président de la commission et au nom de tous les membres de celle-ci.

En conclusion, au vu du tour que prennent les choses, il ne me semble pas indispensable que nous dépassions aujourd’hui la discussion générale et l’examen de la motion de renvoi en commission. Nous pourrions, si nous sommes tous d’accord, lever la séance dès que, comme je l’espère, cette motion aura été repoussée, pour aborder la semaine prochaine la discussion des articles. Je fais confiance, en effet, à la qualité des débats que vous nous proposez et au sens de la responsabilité des membres de notre assemblée, qu’ils siègent sur les bancs de la majorité ou sur ceux de l’opposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l’industrie. Sans répondre à toutes les questions posées par le président Ollier, je tiens à confirmer à M. Dumont que je suis aujourd’hui dans le même état d’esprit que lorsque j’ai été auditionné par la commission. Il n’est donc nullement dans mon intention d’user de l’urgence et de faire se réunir la commission mixte paritaire. Je tiens à ce que vous ayez le temps et la possibilité de travailler ces questions au fond.

La mise en œuvre de ce texte étant une affaire de temps, il serait dommage de ne pas disposer du temps nécessaire pour l’élaborer.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Merci, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué à l’industrie. La qualité de la préparation de la commission devrait d’ailleurs nous aider à terminer tout le processus avant la fin de la session. Compte tenu de son une importance sur le fond, ce texte doit en effet être voté, mais je suis persuadé que nous n’aurons pas besoin de le faire dans l’urgence. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Bataille. Très bien !

M. le président. Merci, monsieur le ministre. Les applaudissements unanimes de l’Assemblée montrent que la sagesse du Gouvernement est appréciée.

M. Jean-Louis Dumont. Sur ce point seulement !

M. le président. Conformément à l’article 69 de la Constitution, le Conseil économique et social a désigné Mme Anne Duthilleul rapporteure de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie, pour exposer devant l’Assemblée l’avis du Conseil sur le projet de loi de programme relatif à la gestion des matières et des déchets radioactifs.

La parole est à Mme Anne Duthilleul, rapporteure du Conseil économique et social.

Mme Anne Duthilleul, rapporteure du Conseil économique et social. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés, c’est pour moi un grand honneur que d’être appelée à cette tribune pour vous présenter l’avis du Conseil économique et social sur le projet de loi de programme relatif à la gestion des matières et des déchets radioactifs, dont vous engagez aujourd’hui l’examen.

Le Gouvernement avait saisi le Conseil économique et social de ce projet le 15 février dernier, en lui demandant de fournir un avis avant la fin du mois de mars. Nous nous sommes efforcés de relever ce défi sans rien obérer de la capacité d’information, de discussion et de réflexion en amont des projets, qui est l’apanage de notre institution. Il me revient, en tant que rapporteure, de vous commenter ce travail, qui est avant tout collectif.

Comme vous le savez, et en grande partie grâce aux travaux parlementaires menés continûment depuis plus de quinze ans, ce projet de loi a déjà une histoire, ce qui a facilité la prise de connaissance du sujet, les auditions, puis l’élaboration, la discussion et le vote de l’avis du Conseil qui vous est aujourd’hui présenté.

Sans reprendre le contenu détaillé de l’avis, j’en soulignerai les points essentiels, en signalant les changements déjà introduits par le Gouvernement dans le projet qui vous est soumis.

Le sujet, soigneusement encadré par la loi du 30 décembre 1991, dite « loi Bataille », est technique, complexe et sensible. Il a cependant été suivi de façon exemplaire et, en mesurant le chemin parcouru, il est clair pour nous que les mêmes principes doivent continuer à le guider : évaluation technique et scientifique, clarté et progressivité des travaux, le tout sous un contrôle démocratique exceptionnel.

Sur le plan technique et scientifique, vous êtes bien placés pour savoir que le développement des études et recherches s’est poursuivi pendant quinze ans sur les trois axes fixés par la loi de 1991 et a donné lieu à évaluation régulière et contradictoire par nombre d’instances. Ces trois axes de recherche avaient été retenus pour éviter, à l’époque, de précipiter des choix qui auraient été prématurés et non suffisamment fondés. Le résultat est positif, le travail sur chacun des axes ayant avancé à son rythme et devant encore se prolonger.

Le Conseil économique et social a insisté sur la nécessité de poursuivre en parallèle les recherches et études sur ces trois axes de façon active et en s’appuyant sur les compétences acquises, même si le rôle de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs est étendu en vue d’une meilleure coordination.

En termes de programme, l’article 1er du projet de loi reste implicite sur ce point, mettant toutefois bien sur le même plan les différents axes de recherche et d’étude, dont aucun ne doit être abandonné à ce stade ni n’a atteint l’ensemble des résultats utiles pour une optimisation du traitement des déchets radioactifs. La poursuite de la démarche d’évaluation, qui sera renforcée par l’apport des sciences morales et politiques au sein de la Commission nationale d’évaluation, participe du caractère exemplaire de ce processus, que soutient notre assemblée.

J’évoquerai en deuxième lieu la clarté et la progressivité des opérations. Ces sujets sont en effet complexes à gérer et nécessitent toute une série de dispositions législatives ou réglementaires d’organisation et d’orientation. Le projet de loi en est la représentation. Il découle de la volonté politique de traiter les questions non encore tranchées à mesure que cela devient possible, par une démarche progressive, et de ne pas en laisser la charge aux générations suivantes – ce que notre assemblée approuve. De ce point de vue, nous avons relevé dans le texte qui nous était soumis bon nombre d’avancées et quelques imprécisions ou lacunes que nous avons tenu à souligner.

Au nombre des avancées figurent l’élargissement du champ de la loi à la gestion de toutes les matières radioactives, et non des seuls déchets radioactifs de haute activité et à vie longue, et la mise en place d’un plan national de gestion à cet effet, présenté tous les trois ans au Parlement. D’autres avancées résident dans la clarification du principe de non-importation des déchets radioactifs étrangers, sauf pour un délai nécessaire au traitement et à la recherche, le financement pérennisé des études et recherches, d’une part, et du développement économique autour des sites de recherche et de stockage souterrain éventuels, d’autre part, le provisionnement et la couverture, par des actifs réservés et cantonnés en cas de faillite, dans les comptes des opérateurs, des montants nécessaires à très long terme pour le démantèlement et la gestion des déchets des installations nucléaires actuelles – car, ne l’oublions pas, nous raisonnons à un horizon de plus de cent ans.

Cet ensemble très conséquent répond déjà à de nombreuses questions restées en suspens en 1991. S’y ajoute aujourd’hui la clarification utile des définitions introduites dans la loi et de la notion de réversibilité du stockage géologique profond, auquel est assignée une durée longue – d’au moins cent ans – qui reflète nos recommandations.

En outre, la coordination des études sur l’entreposage, clairement confiée à l’ANDRA. La référence au plan national de gestion des matières et déchets radioactifs permettra de mieux traiter des sujets tels que le conditionnement et la réversibilité, qui offrent des synergies entre les deux modes de dépôt des déchets ultimes, sans préjuger des choix futurs.

Cependant, il subsiste quelques imprécisions ou lacunes qu’il serait de l’intérêt général de corriger. Je ne citerai que les principales.

Tout d’abord, qui sera chargé concrètement, institutionnellement, de l’élaboration du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs ? Pour le CES, ce pourrait l’ANDRA, qui tiendrait la plume sous l’autorité du ministre chargé de l’énergie, le tout étant adopté par décret – par nature interministériel –, ce qui serait une précision utile.

Ensuite, pour le financement des investissements nécessaires à l’entreposage ou au stockage, un bouclage avec l’ANDRA et les producteurs s’imposera, tant sur l’évaluation des devis et la mise en réserve des montants dédiés, sur lesquels nous avions proposé d’instituer un contrôle externe, que sur les modalités de transfert des fonds : préfinancement et tarification au coût complet, ou financement en régie ? Rien n’est prévu actuellement. Il faudra y penser et définir tout cela.

Enfin, s’agissant du contenu des études et recherches à mener, la nouvelle rédaction ne paraît pas encore de nature à lever les ambiguïtés que notre assemblée avait notées sur des points très sensibles : d’abord, sur la notion de solution de référence pour le stockage, qui n’impliquait pas pour autant à nos yeux qu’elle fût sûre d’être retenue à terme – ce qu’indique aujourd’hui le texte – ; ensuite, sur le lien avec les nouvelles générations de réacteurs pour la transmutation, dont la date prévue pour le prototype, et non plus seulement souhaitée, en 2020, paraît beaucoup trop rapprochée.

Sur le chapitre de la clarté et de la progressivité des décisions, telles sont les observations qu’appelle encore le projet de loi qui vous est soumis.

Enfin, en ce qui concerne la sensibilité du sujet et le contrôle démocratique, je voudrais revenir sur certains résultats du processus parlementaire mis en place en 1991 et du débat public de 2005, qui me paraissent particulièrement importants à retenir pour la conduite de la politique qui sera décidée en 2006 et au-delà.

La loi de 1991 avait institué une véritable obligation d’évaluation et de débat démocratique tout au long et à l’issue de ces quinze années de recherches. Ainsi, le rendez-vous parlementaire, prévu en 1991 pour l’année 2006, est aujourd’hui tenu, et ce résultat illustre tout l’intérêt d’une loi à effet temporaire, assortie d’une véritable évaluation.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Très bien !

Mme Anne Duthilleul, rapporteure du Conseil économique et social. C’est la raison pour laquelle le Conseil économique et social a proposé d’inscrire très clairement dans le projet de loi un nouveau rendez-vous, assez lointain mais pas trop, pour aiguillonner les travaux à mener et pour permettre un nouveau débat ouvert avant les décisions lourdes qui pourraient s’ensuivre, dans le respect bien sûr des prérogatives du Parlement et des pouvoirs du Gouvernement. 2015 nous apparaît à cet égard comme une bonne date, à l’issue de trois plans triennaux, dont le premier est attendu avant la fin de cette année.

En outre, le Gouvernement ayant pris l’initiative d’un débat public, il convient d’en tirer quelques leçons. Notre avis rend hommage à la manière, ferme et ouverte à la fois, dont Georges Mercadal a mené ce débat pendant quatre mois en tant que président de la commission particulière du débat public mise en place en 2005. Tous les avis critiques ont été exprimés dans le dossier et dans les salles, et même ceux qui se sont tenus en-dehors, que nous avons pu auditionner au CES pour faire le tour des points de vue, reconnaissent cette ouverture.

Sur le fond, il en a résulté principalement trois vœux.

Premièrement, que la totalité des matières radioactives, et non seulement les déchets ultimes, soit gérée de façon cohérente et transparente, depuis les inventaires de déchets actuels jusqu’au choix des futures filières de réacteurs, dont la capacité à réduire à la source ou à transmuter après séparation les déchets les plus gênants devra également être prise en compte. On peut noter le caractère exceptionnel de la filière nucléaire vis-à-vis du développement durable à travers cette préoccupation en amont, qui pourrait faire l’objet d’une meilleure communication grâce à l’ouverture des plans nationaux de gestion à un pilotage réunissant toutes les parties prenantes autour de l’ANDRA. Le projet de loi tient compte en partie de ce premier vœu.

Deuxièmement, que la maîtrise technique aille de pair avec un processus de décision publique, clair et participatif autant que possible, pour construire la confiance. Les gens veulent être assurés et non rassurés. Une proposition de rendez-vous au Parlement à l’échéance de 2015, avec des rapports intermédiaires rendus publics, répondrait à ce deuxième vœu selon nous.

Troisièmement, que les décisions ultérieures sur les déchets radioactifs à vie longue soient prises sans précipitation, par étape, en fonction des avancées scientifiques et techniques, et en appréciant les possibilités de progrès de nos successeurs. Prévoir des dispositifs réversibles pendant un temps très long tout en préparant dès aujourd’hui la solution stable pendant des millénaires en réalisant les études et les financements nécessaires nous semble être la seule voie acceptable. Ainsi, nos successeurs auront en main les éléments pour choisir entre faire confiance à la société et faire confiance à la géologie pour maintenir nos déchets ultimes en sécurité. C’est ce que souhaite faire ce projet de loi en instituant comme solution de référence le stockage géologique profond tout en poursuivant les études et recherches sur les trois axes, et en finançant l’ensemble sur le très long terme. Nous ne pouvons que souscrire à cette démarche de responsabilité vis-à-vis des générations futures. Pour conclure sur ce point, le Conseil économique et social préconise de prolonger le bénéfice reconnu de la démarche engagée depuis 1991 en reproduisant un modèle qui a bien fonctionné lors des prochaines échéances de 2015, en amont des décisions d’investissement sur un site de stockage éventuel.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les députés, le Conseil économique et social a adopté à une très large majorité l’avis que je viens de présenter à grands traits, et l’a conclu en rappelant au premier chef le rôle de l’État, qui doit « assurer tout particulièrement en cette matière une gestion éclairée par la science, transparente et démocratique ». C’est le vœu que nous formons pour le projet de loi visant à une gestion durable des matières et déchets radioactifs qui est soumis à votre examen. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. François Dosé.

M. François Dosé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, résidant à proximité de Bure depuis mon enfance, conseiller général du département de la Meuse de 1976 à mon élection à l'Assemblée nationale en 1997, mon intervention – imparfaite, incomplète –, contribution au débat collectif, s'appuie sur quinze ans d'observation, d'écoute, d'apprentissage, d'interventions personnelles, quinze ans de discussions, de rencontres, de réunions avec les populations à proximité du laboratoire et avec les institutions concernées.

À l'occasion de ce rendez-vous parlementaire, je souhaite porter à votre connaissance quelques exigences et observations dans ce domaine délicat qu’est la gestion des déchets radioactifs, notamment de haute activité et de longue durée, car la problématique du centre de stockage en couche géologique profonde est l’un des éléments les plus contestés et les plus délicats de ce texte.

Préalablement, je formule cette nécessaire mise au point : mes commentaires, mes analyses, ne sont pas ceux d'un antinucléaire. Non, je ne participerai pas à la diabolisation de cette filière ! Elle a ses inconvénients, évidemment ! Mais elle a ses avantages et un avenir, assurément, en ce siècle de réchauffement climatique et de raréfaction des énergies combustibles.

M. Patrick Ollier, président de la commission, et M. Dominique Le Mèner. Très bien !

M. François Dosé. Oui, je crois raisonnable et nécessaire de privilégier, en urgence, la lutte contre les gaspillages énergétiques, la recherche des économies d'énergie, le développement de la sobriété énergétique ; oui, je crois raisonnable et nécessaire de promouvoir les énergies renouvelables, car, même si elles ont, elles aussi, leurs inconvénients, elles ont leurs avantages et un avenir, assurément, en ce siècle de réchauffement climatique, et elles permettent la cohabitation d'un système centralisé avec des initiatives déconcentrées, territorialisées ; oui, je crois raisonnable et nécessaire de réduire la contribution du nucléaire dans notre mix énergétique avant la programmation du renouvellement de ce parc, mais aussi d’assumer et d’assurer l’évolution de la filière nucléaire civile vers des process où se conjugueront mieux encore l’efficacité énergétique, la sûreté, la sécurité, la sobriété en combustible, la maîtrise et la réduction des déchets ; enfin, oui, je crois raisonnable et nécessaire de traiter ce maillon faible qu’est la gestion des déchets radioactifs de haute activité à vie longue avec efficacité d’une part, avec respect des populations concernées et des futures générations d’autre part, puisque, en effet, nous ne pouvons esquiver cette donne sous prétexte qu’elle est techniquement complexe, car elle n’est pas seulement l’affaire de scientifiques, d’experts, de techniciens, d’économistes, de financiers. Ce rendez-vous est politique. Ce débat est citoyen. Aucun aspect ne doit être ni éludé, ni esquivé.

J’émets un vœu : n’entendez pas mes suggestions ou mes critiques en succombant au syndrome du cheval de Troie : même impertinents parfois, mes commentaires ne seront pas exprimés pour conforter ou amplifier l’argumentation antinucléaire. En effet, je constate depuis quinze ans que certains responsables politiques, toutes familles confondues, certains dirigeants d'institutions de la filière nucléaire, sont persuadés – de bonne ou de mauvaise foi – que les réticences concernant le stockage en couche géologique profonde sont manipulées par des antinucléaires. Non, monsieur le ministre, non, monsieur le rapporteur, non, chers collègues, il n'est pas vrai que les opposants à la filière nucléaire ont le monopole des appréhensions. Le refus, en l'état actuel des connaissances et du ressenti, traduit aussi, et souvent même majoritairement, le point de vue de citoyens acceptant le nucléaire dans le mix énergétique mais opposés plus ou moins farouchement à une option qu'ils n'admettent pas comme la solution de référence – pour eux solution d'abandon –, qui traduit la primauté du fric sur l'éthique et la sécurité.

Acceptez donc que cette motion dite de procédure, déposée au nom du groupe socialiste, aborde six questionnements préalables à notre discussion générale pour valider ou pas l’opportunité et la pertinence de l’inscription de ce texte aujourd’hui, en l’état actuel, dans le calendrier parlementaire : oui ou non, ce projet est-il opportun et pertinent dans le déroulé démocratique ? Est-il opportun et pertinent dans les échéanciers ? Est-il opportun et pertinent dans les périmètres territoriaux ? Est-il opportun et pertinent dans les liens entre recherches et techniques, puis entre techniques et acceptabilité sociétale ? Est-il opportun et pertinent dans la gestion financière des déchets et par rapport à leur statut juridique ? Est-il opportun et pertinent dans l'accompagnement économique et financier des territoires de proximité ?

Premier questionnement pour valider le cas échéant cette inscription à l’ordre du jour : par ce projet, dans ce débat – sur le fond et sur la forme –, sommes-nous respectueux de la parole politique, des attentes légitimes de nos concitoyens, des obligations vis-à-vis de la Ve République elle-même ? Considérons la loi, toute la loi, rien que la loi. Que ce soit à l’occasion du vote de la loi du 30 décembre 1991, ou le jour de la délibération du conseil général de la Meuse en 1993 – j’y étais –, ou encore lors de la conférence de presse à Matignon le 9 décembre 1998, en présence du Premier ministre et des ministres de l'économie, de la santé, de la recherche, de l'environnement, tous les responsables politiques – parlementaires, élus territoriaux et ministres – ont insisté sur la nécessité de mettre en œuvre plusieurs laboratoires, et si possible – la loi ne le précisait pas – dans des couches rocheuses différentes – par exemple l’argile, le granit.

En ne s’opposant pas à d’éventuelles candidatures de territoires intercommunaux dans son département, le conseil général de la Meuse permettait une expérimentation française. En outre, alors que certaines défiances s’exprimaient et que de nombreux Meusiens souhaitaient que les chantiers des deux laboratoires s’engagent concomitamment en France, les élus de la Meuse, confiants dans la loi et la parole donnée, acceptèrent le début des travaux à Bure.

La réalisation d’un seul laboratoire démontre que la loi n’a pas été respectée et que la parole politique a été bafouée. La population locale se montre plus amère encore sur la gouvernance démocratique – « tous les mêmes ! » – et la crédibilité de tous les responsables locaux en est affaiblie.

Le 28 février 2005, le Congrès adoptait la Charte de l’environnement, loi constitutionnelle proclamée au nom du peuple français qui définissait de nouveaux droits et devoirs. Elle s’ajoutait à la Déclaration des droits de l'homme et au principe de la souveraineté nationale de 1789, principe confirmé et complété dans le préambule de la Constitution de 1946, notamment sur les « droits économiques et sociaux ». M’étant désolidarisé de mon groupe politique lors du vote de cette charte, je lui accordai mon suffrage.

Rappelons-nous deux des considérants qui introduisent les dix articles qu’elle comporte. Selon le premier, « la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ». D’après le second, « afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures […]. »

Pouvons-nous faire vivre ces défis comme des atouts de développement, notamment au service des chercheurs, des scientifiques et des acteurs de l'économie ? Assurément, oui.

Pourrions-nous, dans cet hémicycle, considérer les droits de l'homme ou les droits économiques et sociaux comme une entrave au développement ? Certes, selon nos sensibilités ou nos responsabilités, nous pouvons en conforter ou au contraire en limiter l’application, mais ces droits fondamentaux sont devenus des éléments incontournables de notre vie en communauté. Mieux : valorisés avec compétence, ils sont devenus des instruments de réussite. Et pourtant, leur reconnaissance ne fut pas aisée : le droit aux congés payés fut en son temps fustigé comme une entrave au développement.

Aujourd’hui, le droit à un environnement de qualité et le principe de précaution – nonobstant quelques difficultés d'appréciation et de mise en œuvre – doivent être, non pas tolérés, mais reconnus comme une chance : celle de réconcilier les chercheurs, les scientifiques, les entreprises et les politiques avec l'opinion.

M. Jean-Louis Dumont. Très bien !

M. François Dosé. Il ne s'agit pas d'interdire mais de partager. Préférons la difficulté du doute à la facilité de la certitude. L'exigence de précaution n'est pas un acte de méfiance mais une invitation à la vigilance. Compte tenu des principes de la Constitution et de l’état actuel des connaissances, je vous demande donc, monsieur le ministre et chers collègues, d'écarter toute hypothèse de stockage irréversible des déchets radioactifs pour les trois siècles à venir. Il est en effet raisonnable d'en appeler à la prudence lorsque certains envisagent d'enfermer dès à présent dans un centre souterrain, « sans intention de les retirer », nos déchets radioactifs de haute intensité pendant des millénaires.

II serait incohérent et, je l'espère, anticonstitutionnel, d'accepter une telle irréversibilité après le vote solennel du Congrès qui adossa à notre Constitution une Charte de l'environnement déclinant le principe de précaution. Ce principe n’est ni la boîte noire de l’obscurantisme, ni le credo de nihilistes ; il invite au contraire à agir en sécurisant les territoires et les générations futures.

Quant au Parlement, d’après la loi du 30 décembre 1991 – article 3 –, il est le seul à pouvoir accorder une autorisation de stockage pour une durée illimitée.

M. Jean-Louis Dumont. Très juste !

M. François Dosé. Or, dans le projet de loi dont nous débattons, cette autorisation pourrait être accordée par le seul Gouvernement. Les principaux interlocuteurs seraient des experts et la future Autorité de sûreté nucléaire, dont on subodore, depuis l'adoption en première lecture dans cet hémicycle du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire qu'elle sera composée de personnalités issues du milieu nucléaire.

Une telle disposition est irrecevable, monsieur le ministre : seuls les élus de la nation peuvent décider du temps et du lieu opportuns en la matière. Le nucléaire ne peut se soustraire à ce principe républicain élémentaire ! Il faut réaffirmer la primauté de la représentation nationale et de la décision politique – bien entendu éclairée par une expertise indépendante –, qui peuvent seules juger et assumer la hiérarchisation des avantages et des risques d'une telle installation.

Considérons à présent la consultation des communautés locales. « Le traitement des déchets radioactifs est un sujet sensible dans l'opinion publique et, il faut bien l'admettre, une question anxiogène qui provoque des débats enflammés. L'opacité autour du terrible accident de Tchernobyl en porte une certaine responsabilité. » Ainsi débute l'une des seize déclarations du Conseil économique et social réuni les 14 et 15 mars 2006 pour apprécier ce projet de loi.

Cette appréciation est certes pertinente mais, avouons-le, incomplète. Il serait en effet injuste de ne pas admettre la responsabilité des acteurs institutionnels et des responsables politiques français dans cette défiance de l’opinion publique. Il ne serait pas moins inopportun d’en prendre acte sans en tirer certaines leçons, que vous me permettrez de résumer en ces termes : quelle influence les acteurs locaux ont-ils sur le processus d'une décision nationale ?

En l’occurrence, ce projet de loi ne tient aucun compte des vœux formulés pendant les rencontres animées par la commission nationale du débat public sur la gestion des déchets radioactifs. Pour simplifier, hier c'était : « tais-toi ! » ; aujourd’hui, c’est : « cause toujours ! »

Ainsi, l'ANCLI – Association nationale des commissions locales d’information des activités nucléaires –, qui exprime la préoccupation des habitants concernés et les attentes fortes en matière de participation démocratique des acteurs locaux et des citoyens dans le processus qui doit conduire à la préparation d'une telle loi, manifeste sa surprise et sa désapprobation en constatant que le Gouvernement n'a tenu aucun compte des principales conclusions du débat public consacré aux déchets radioactifs. L’Association relève aussi l'absence de dispositions relatives à la consultation des populations locales, réduites à observer les incidences sur l'environnement et le voisinage du laboratoire de traitement des déchets.

Au terme de ce premier questionnement, je note ainsi quatre bonnes raisons de refuser d’examiner ce texte en l’état. Premièrement, le pluriel que la loi de 1991 exigeait pour les laboratoires se transforme, quinze ans après, en un singulier. Deuxièmement, on peut douter que le principe de précaution consacré par la Constitution soit compatible avec la réalisation de centres de stockage définitifs. Troisièmement, le Parlement est dessaisi au profit d’une gouvernance par décrets qui autorisera des ministères et des autorités prétendument compétentes et indépendantes à réaliser une opération unique en France. Enfin, la participation des citoyens de proximité est éludée, et ce en contradiction avec la convention d’Aarhus ratifiée par notre pays, laquelle dispose qu’« au moment d’une décision, les résultats de la procédure de participation du public seront dûment pris en considération ».

Deuxième questionnement : ce projet de loi est-il respectueux du « juste temps » et des échéanciers prouvés, probables ou possibles ? La loi du 30 décembre 1991 – dite « loi Bataille » – prévoyait, comme le rappelle Claude Birraux dans son rapport que je cite, qu’« une période de quinze ans devait être consacrée avant toute décision à la recherche de solutions optimales à très long terme ».

De 1991 à 2006, cela fait quinze ans : le compte semble bon. Permettez-moi toutefois, monsieur le ministre et chers collègues, quelque impertinence – je vous avais prévenu ! L’arithmétique – et cela ne déplaira sans doute pas à nos collègues de l’Office parlementaire de l’évaluation des choix scientifiques et technologiques – est en effet une science rigoureuse : quinze ans à compter du 30 décembre 2006, cela nous conduit au 15 décembre 2006. Allez donc savoir pourquoi le rendez-vous est ainsi avancé de huit mois, dans une République pourtant habituée à prendre son temps, au-delà même du raisonnable !

Mais foin de considérations mathématiques. Reprenons, sous l’angle de la recherche, la question de l’échéancier et les consignes – que je viens de citer – de notre rapporteur à qui je porte respect et amitié. Si la loi date de l’avant-veille du 1er janvier 1992, l’autorisation gouvernementale, quant à elle, fut accordée au mois d’août 1999 et les travaux ne débutèrent pas avant janvier 2000 ! Entre cette dernière date et aujourd’hui, il ne s’est écoulé que six ans et quatre mois, période d’études et de travaux qui fut en outre suspendue pendant plus d’un semestre à la suite d’un tragique accident mortel.

Quant aux échéanciers suggérés dans le texte qui nous est soumis, nous devons, sans esquiver nos obligations d’une gestion responsable des déchets radioactifs, prendre acte de trois données : à 250 ou 300 ans, la réversibilité est maîtrisée ; à environ un millénaire, nous sommes au stade où la radioactivité est piégée dans les colis vitrifiés ; à l’échelle de plusieurs centaines de milliers d’années, la nocivité des déchets à vie longue et de haute intensité ne peut pas être écartée.

Sans baisser la garde, avec responsabilité et vigilance, nous serions bien inspirés de respecter l’une des conclusions du débat public présentées par la commission nationale du débat public, qui, pour citer M. Mercadal, nous invite « à utiliser le temps pour construire une solution progressive et prévoir des rendez-vous périodiques » pour « avancer sans brûler les étapes, évaluer en toute indépendance, pouvoir s’arrêter si nécessaire ».

Ainsi, je relève, dans ce deuxième questionnement une bonne raison supplémentaire de contester la validité de l’inscription de ce texte, aujourd’hui, en cet état : les quinze ans d’études ne sont pas révolus. Les retards sont connus de tous et reconnus par les opérateurs – l’ANDRA –, les superviseurs – l’IRSN –, les médiateurs – la commission nationale du débat public, la CLI en Meuse, l’ANCLI. Seule l’Autorité de sûreté nucléaire et la CNE ne doutent de rien – de rien du tout ! Allez savoir pourquoi ! Je tiens à votre disposition leurs commentaires et leurs recommandations.

Ce rendez-vous obligé ne vous permettait pas, monsieur le ministre, dans le respect de la loi de 1991, de rédiger un projet sur la « gestion des déchets ». Il nous oblige à donner « du temps au temps », soit une décennie, pour prolonger et préciser les investigations voulues en décembre 1991 et commencées in situ en 2000.

Puis-je rappeler ce mot de Claude Roy, maintenant parti au pays des oiseaux ? « Le problème n’est pas de gagner du temps mais de savoir le perdre. » Pourquoi ne pas prévoir, au cours des dix ans d’études qui restent dues, de 2006 à 2016, aux termes de la loi de 1991, des rendez-vous périodiques, permettant à la société civile et aux acteurs locaux d’exercer un suivi des étapes du processus de décision ?

J’en viens au troisième questionnement, nécessaire avant de valider, le cas échéant, cette inscription à l’ordre du jour : par ce projet, dans ce débat, sommes-nous respectueux des « justes périmètres », des « territoires pertinents » ?

Considérons, d’abord, la politique internationale de la France dans le domaine des déchets radioactifs. Il s’agit là de préciser les modalités d’un principe : ni exporter nos déchets à l’étranger, ni accepter les déchets étrangers en France. Nous ne nous plaindrons pas de cette initiative !

Considérons, maintenant, la définition des territoires français concernés. Il nous faut préciser les responsabilités, les partenariats, les obligations relevant, ici, des territoires administrés, notamment les conseils généraux de Meuse et de Marne, là, des territoires vécus, notamment les collectivités se trouvant à proximité du laboratoire ou les bassins d’emplois limitrophes.

La clarification est absolument nécessaire car il n’est pas vrai que les cohérences soient évidentes, les complémentarités harmonieuses et les attentes semblables. La compétition territoriale n’a pas que des vertus et la situation géographique ne simplifie rien.

Considérons, enfin, la zone de transposition. Définir précisément son périmètre et le publier sont des obligations démocratiques car les populations doivent connaître les éléments de probabilité. Mais il faut les rassurer : aucun chantier ne saurait être autorisé sur cette zone avant une éventuelle validation, par le Parlement, de la création d’un site de stockage.

Si, dans ce troisième questionnement, je ne relève pas de raisons d’invalider l’inscription de ce texte à l’ordre du jour, j’attire votre attention, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur la nécessité de clarifier, ensemble, la partition des périmètres pertinents entre territoires administrés – les conseils généraux –, territoires à proximité du laboratoire et territoires de transposition.

De plus, nous devons rester vigilants face aux directives européennes suggérant une éventuelle gestion mutualisée des déchets radioactifs dans l’espace communautaire. Je vous rappelle, en effet, que Mme Loyola de Palacio avait esquissé un projet de directive tendant à favoriser « l’enfouissement » ou le « stockage » dans des sites internationaux. Je tiens à votre disposition une lettre qu’elle m’adressa à ce sujet, le 22 janvier 2003.

Quatrième questionnement : par ce projet, dans ce débat, sommes-nous respectueux des capacités techniques éprouvées, mais aussi des autres qui restent à vérifier, des recherches confirmées, mais aussi de celles qu’il faut prolonger, des enjeux sociétaux acceptés, mais aussi des autres, qui ne le sont pas encore ?

Le bilan de ces quinze années de « recherche » est mitigé. L'axe 1 sur la transmutation n'a pas abouti. L'axe 3 n'a pas été approfondi et l’axe 2, celui qui a connu les développements les plus avancés, bien que tardifs, reste incomplet.

J’ajoute deux éléments rarement pris en compte dans l’aide à la décision. Actuellement, toutes les études qui sont mises à notre disposition, in situ ou pas, sont toutes orientées vers la validation des techniques, des process et des matériaux. Elles sont indispensables et pertinentes, mais nous ne pouvons pas nous satisfaire de rapports « scientifiques » qui font l'impasse sur les sciences humaines ! La Suède et le Canada, par exemple, n'esquivent jamais les investigations dans les domaines sociétal ou sociologique, afin de prendre en compte l'opinion des populations de proximité et l'acceptabilité humaine des hypothèses envisagées.

J'invite donc le Parlement à croiser les différentes approches – l'État, la nation et la communauté de proximité – aidés par les scientifiques : ils doivent, ensemble, concilier possibilité, nécessité, légalité et légitimité !

Pour beaucoup de nos concitoyens, un centre de stockage réversible ne s’impose que si les autres solutions de gestion sont inefficaces ou aléatoires. En clair, ils l’admettent mais comme une solution de repli. Par conséquent, affirmer, alors que les études sur les trois axes ne sont pas achevées, qu’il s’agit de « la » solution de référence, constitue une provocation.

Pierre Mendès France écrivait : « Gouverner, c’est rendre possible ce qui est nécessaire. » Encore faut-il prouver le caractère inéluctable de la proposition, et témoigner, par les méthodes et les moyens employés, de l’impartialité dans la hiérarchisation des choix.

Par ce quatrième questionnement, une des raisons majeures justifiant l’inopportunité de l’inscription de ce projet à l’ordre du jour, se trouve confortée : il n’est pas vrai que, dans le délai imparti, soit quinze ans, par la loi du 31 décembre 1991, relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, ont été réalisées toutes les investigations scientifiques nécessaires.

Cinquième questionnement : par ce projet, dans ce débat, par des modalités adaptées concernant le financement de la gestion des déchets radioactifs et leur statut juridique, sommes-nous respectueux de la sécurisation nécessaire de l'aval de la filière nucléaire, civile ou militaire ?

Pour ce qui concerne le financement, la vigilance doit s’inscrire dans la loi : l’État et les représentants de la nation doivent prendre des dispositions précises tendant à protéger, en urgence, notamment dans le cadre des solidarités générationnelles, les contributions versées par les usagers d’aujourd’hui. Ces provisions, indispensables pour la génération qui sera concernée par les démantèlements, ne sauraient être soumises à des aléas boursiers ou spéculatifs, au risque de spolier les contribuables d’aujourd’hui. Il s’agit d’une épargne populaire, provisionnant, par avance, des crédits inéluctables et nécessaires, et non pas un matelas financier pour des sociétés en cours de privatisation.

Quant au statut juridique des déchets radioactifs, il appelle aussi la plus grande vigilance, laquelle doit s’inscrire également dans la loi. La gestion des déchets doit être assumée par une société publique, sous la responsabilité de l’État. Le statut juridique des déchets radioactifs, donc leur appartenance, ne saurait les exposer à des offres, amiables ou hostiles, boursicotées, de sociétés internationales, à l’encontre des propriétaires exploitants de 2006.

Ce cinquième questionnement confirme des appréhensions exprimées à maintes reprises : l’affaiblissement des politiques publiques en France et la libéralisation des marchés français et européen dans le domaine énergétique aboutissent, de fait, à remettre en cause – ou pour le moins à lui donner un caractère aléatoire – une puissance publique qui ne maîtrise plus les flux financiers nécessaires aux obligations régaliennes de l’État.

Sixième et dernier questionnement : par ce projet, dans ce débat, par des engagements concernant l’accompagnement financier et économique, sommes-nous respectueux des attentes exprimées par les responsables économiques et politiques et les populations des territoires concernés ?

S’agissant de l’accompagnement financier, le projet de loi augmente les crédits mis à la disposition des territoires administrés et des territoires vécus concernés par le laboratoire. Dont acte. Mais j’appelle votre attention sur la répartition de ces crédits.

Pour ce qui est de l’accompagnement économique, depuis 1994, aucune promesse n’a été tenue.

M. Jean-Louis Dumont. En effet !

M. François Dosé. C’est injuste et dramatique.

En réalité, il faut une authentique contribution au développement économique du territoire. J’ajoute que seule cette hypothèse conduira à une « veille » démocratique. En effet, si, au fil des ans, la population et les emplois diminuent, alors, la conviction que ces déchets sont mortifères s'ancrera dans les esprits : « Ils ont choisi un territoire en voie de désertification ; donc, le danger est immense ! »

M. Jean-Louis Dumont. Très bien !

M. François Dosé. La surveillance n’est pas le moyen de faire accepter cette solution par la société. Le développement économique et démographique de ce territoire est la seule solution !

M. Jean-Louis Dumont. Entendez, monsieur le ministre !

M. François Dosé. Ce dernier point m’incite à formuler quelques observations.

Attention ! Ne mésestimez pas les populations et les responsables ruraux. Ils se méfient des mots – « plus penser que dire » est la devise de Bar-le-Duc – mais ils jugent aux actes.

M. Jean-Louis Dumont. Très bien !

M. François Dosé. De dérobades en désengagements, de mensonges – parfois – en fausses promesses,…

M. Jean-Louis Dumont. Promesses douteuses, en tout cas !

M. François Dosé. …de silences en sentences confidentielles, la filière électronucléaire ne s’est pas grandie en Meuse et en Haute-Marne à la fin du siècle précédent.

Au fil des ans, des améliorations furent constatées : ici, les répartitions financières enfin identifiables – par un GIP – se sont moralisées ; là, l’accès aux informations diversifiées s’est amélioré. Mais nous n’avons pas su, ni les uns ni les autres, comme le soulignent les travaux de Cowan, développer la procédure locale d’information et de participation publique, où s’imposeraient la transparence et la lisibilité, et où serait clarifiée l’articulation entre la phase de définition – la discussion sur les options – et la phase de décision au Parlement.

Parmi les 50 000 personnes qui exigent un référendum territorial, des milliers connaissent la dualité, la contradiction entre l’intérêt général et l’intérêt territorial. Mais pour elles, il s’agit d’exprimer leur vécu : les instruments et les procédures de participation citoyenne sont insuffisants, souvent dérisoires, parfois tronqués !

En conclusion, monsieur le ministre, pourquoi vous ? Je veux dire : pourquoi vous, seulement, ministre de l’industrie ? Où sont donc vos collègues, qui sont concernés aussi, et prioritairement, pour la prochaine décennie : celui de la recherche, celui de l’environnement et de l’écologie ?

Si votre réponse ne s’adosse pas aux exigences démocratiques, si elle n’inspire pas confiance, si notre loi n’inspire pas confiance, alors, la parole scientifique, la filière nucléaire et la démocratie en seront affaiblies.

Prenons garde ! Ici, des théocraties, là, l’indifférence mettent en danger la démocratie. Mais la méfiance et la défiance sont aussi redoutables pour les équilibres républicains.

Je vous ai exposé, non sans passion, sept motifs de ne pas inscrire ce texte, en l’état, à notre ordre du jour. L’Assemblée nationale s’honore de débattre de la problématique nucléaire, mais trop d’imprécisions, de non-dits ou d’approximations persistent concernant la gestion des déchets nucléaires, la démocratie participative et le développement de la filière.

Il y avait une huitième raison d’incompréhension, mais vous l’avez levée, monsieur le ministre, – et je vous en remercie – à la demande de notre président. Je l’évoquerai néanmoins car je suis le relais d’une opinion particulièrement sensible sur ce point : le choix de la procédure d’urgence était une catastrophe. Ces travaux doivent se dérouler dans la sérénité, bien qu’en respectant notre diversité. Comment prétendre couvrir, en quelques semaines, une problématique de plusieurs centaines de milliers d’années ?

Mes chers collègues, je vous demande donc d’adopter ma question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l’industrie. M. Dosé nous a interpellés sur de vraies questions. Avons-nous effectué assez d’études ? Avons-nous bien zoné le territoire ? Les limites administratives correspondent-elles au territoire vécu ? N’aurait-on pas dû créer plusieurs laboratoires avant d’en choisir un seul pour progresser ? La durée de la réversibilité – cent ans – est-elle suffisamment longue ? N’aurions-nous pas dû la fixer plutôt à 300 ans ?

Monsieur Dosé, je vous ai écouté avec respect, car je sais que ce que vous exprimez correspond aux attentes et aux craintes des habitants les plus proches d’un éventuel site de stockage. Cela étant, le projet de loi apporte des réponses à toutes vos questions.

D’abord, a-t-on mené assez de recherches et d’études ? Certes, celles-ci n’ont commencé qu’après 1992, ce qui fait que nous ne disposons pas, comme la loi l’avait fixé, de quinze années d’études sur le sujet. Mais ce qui compte, c’est d’avoir obtenu des résultats sur lesquels fonder notre position.

Nous disposons aujourd’hui d’un solide corpus scientifique, avec force démonstrations : les évaluations indépendantes, aux niveaux national et international, l’ont validé, tout en soulignant la nécessité de poursuivre les recherches. Ce corpus nous permet aujourd’hui de franchir une étape, sans pour autant nous exonérer de mener les études complémentaires nécessaires à la réalisation d’une opération qui est une première.

De nombreuses études ont attesté les qualités du site étudié, le Callovo-Oxfordien, et il était difficile d’en mener autant sur plusieurs sites à la fois. Par ailleurs, le caractère unique de cette formation géologique rendait difficile une comparaison internationale. Car la géologie est spécifique à un endroit donné et les connaissances qu’on en a en Finlande ou aux États-Unis ne peuvent pas s’appliquer à la France. Nous sommes donc aujourd’hui suffisamment avancés pour franchir une étape, tout en étant conscients qu’il faut poursuivre les recherches, comme l’indique le projet de loi.

S’agissant du développement économique, vous affirmez que le territoire vécu ne correspond pas aux limites administratives. Je suis à 150 % d’accord avec vous et, élu d’une circonscription rurale, je mesure et je partage l’émotion des députés, eu égard à leurs responsabilités. Je vous remercie de la patience dont vous avez fait preuve lors des débats liminaires, dans le cadre de la commission nationale et des comités locaux d’information, bien conscient du rôle extraordinaire que les élus ont eu et auront à jouer. Le texte introduit la souplesse nécessaire et je m’engage à être extrêmement attentif à toutes ces questions. Nous avons d’ailleurs créé un comité de haut niveau, pour mettre face à face les responsabilités des opérateurs et des élus. Nous devons avoir, à cette occasion et lors de l’examen du projet de loi, une discussion très franche en la matière.

Monsieur Dosé, je vous ai entendu et je puis vous dire que ce projet, qui répond à toutes vos questions, va nous permettre de franchir une étape supplémentaire.

J’entends, comme vous, ne pas confondre vitesse et précipitation. Cette démarche m’a guidé tout au long de ma réflexion, et je crois nécessaire, comme Christian Bataille l’avait souhaité en 1991, de poser des jalons. Nous voulons en effet prendre, vis-à-vis des générations futures, nos responsabilités quant au stock de quarante ans de déchets, en renforçant les maillons faibles de la filière. Nous proposons des solutions garantissant à nos concitoyens que la filière nucléaire ne comptera plus de maillons faibles. Nous le faisons avec beaucoup de respect pour les préoccupations exprimées par les Français et nous prendrons le temps nécessaire à la réalisation de nos objectifs.

« Cause toujours ! », avez-vous dit dans votre intervention. Au contraire, nous ferons preuve d’une écoute bienveillante, car nous sommes fermement décidés à résoudre l’ensemble des problèmes posés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Claude Birraux, rapporteur. Avec le même respect et la même amitié, je compléterai les propos de M. le ministre.

Nous avons constaté, avec Christian Bataille, que les CLIS n’ont pas fonctionné. C’est la raison pour laquelle je propose une modification, qui renforce le rôle des élus. Car nous avons pu comparer les résultats obtenus par des élus – tel Christian Bataille – et ceux obtenus par de hauts fonctionnaires fort respectables, fussent-ils préfets…

À l’occasion des auditions de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques nécessaires à la préparation de notre rapport pour 2005, nous avons invité les élus locaux. Et, quelle que soit leur opinion, tous ont pu s’exprimer librement : j’estime que c’est la meilleure garantie du respect que le Parlement porte à leur fonction.

Parmi les raisons que vous avez invoquées à l’appui de votre motion de procédure, monsieur Dosé, figure la charte de l’environnement. Sachez que la recherche, qui permet le progrès, est présente à chaque étape du processus. Je ne l’ai pas citée dans mon intervention, mais j’ai en tête une citation du Dalaï-Lama : « Doutez, car le doute incite à la recherche et la recherche est la voie qui conduit à la connaissance. » Cependant, nous devons avancer et cesser de nous poser éternellement des questions.

S’agissant du dessaisissement du Parlement, sachez que les amendements adoptés par la commission et ceux que nous adopterons dans le cadre de l’article 91 du règlement prévoient un nouveau rendez-vous parlementaire avant toute autorisation de création d’un centre de stockage. Le Parlement jouera donc son rôle : il est au cœur du système et est garant de son achèvement. Et c’est sans doute la première fois qu’il encadre à ce point la technocratie. Vous en conviendrez, mes chers collègues, ce dispositif peut difficilement être plus démocratique !

Les réponses aux questions de notre collègue François Dosé figurent dans les amendements que nous avons adoptés en commission, et dans ceux que nous allons adopter dans cet hémicycle. En conséquence, je demande à mes collègues de rejeter cette question préalable. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à M. Claude Gatignol, pour le groupe UMP.

M. Claude Gatignol. La position du groupe UMP est conforme à celle du rapporteur.

M. le président. La parole est à M. David Habib, pour le groupe socialiste.

M. David Habib. Avec beaucoup de passion et de raison – que vous avez bien voulu reconnaître, monsieur le ministre, et nous vous en sommes reconnaissants – François Dosé a resitué l’enjeu du texte, eu égard aux générations à venir, aux réalités territoriales et à la nécessité d’inscrire notre réflexion dans le cadre de la charte de l’environnement, votée par le Parlement et désormais inscrite dans notre Constitution. Il a souhaité, avec force exemples, qu’une clarification scientifique soit effectuée dans les meilleurs délais et que la sécurité de l’aval soit assurée par un certain nombre de référencements dans ce texte.

Comme nombre de députés du groupe socialiste, il a rappelé que ce sont là les conditions d’un renforcement de la filière électronucléaire, afin que l’opinion publique puisse aborder avec confiance les étapes à venir.

Le groupe socialiste se range donc à la question préalable déposée par François Dosé et demande à notre assemblée de l’adopter.

M. Jean-Louis Dumont. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Daniel Paul. C’est parce que nous soutenons la filière nucléaire civile, vecteur de notre indépendance nationale, élément essentiel de la lutte contre l’effet de serre, outil de développement industriel et de qualification, que nous sommes particulièrement exigeants quant à son développement et la gestion des déchets. Démocratie, transparence, association des populations à toutes les phases des opérations doivent avoir autant d’importance que les problèmes liés à la recherche et au financement.

Dès lors, comment ne pas partager les inquiétudes exprimées par notre collègue François Dosé dans sa question préalable ? La loi Bataille a ouvert des perspectives, mais elles n’ont pas toutes été explorées. Or, sur ce sujet plus que sur tout autre, nous devons nous imposer une vigilance particulière pour être compris des populations. Certes, personne ne met en doute la qualité des études réalisées ni le sérieux des organismes de recherche et des hommes qui en sont les auteurs. Mais elles ne permettent pas aujourd’hui de prendre des décisions, ce qui pose un véritable problème.

Comme je le dis souvent, il y a le texte, et il y a le contexte. Or ce dernier a subi au fil des ans des modifications. En 1991, au moment de l’élaboration de la loi Bataille, EDF était pratiquement le seul producteur français de déchets nucléaires, et c’était une entreprise publique, comme d’ailleurs l’ensemble des acteurs de la filière. Aujourd’hui, l’ouverture de son capital change la donne. Et la fusion entre GDF et Suez pourrait conduire à l’arrivée d’un nouvel acteur dans ce domaine.

M. Jean-Louis Dumont. Eh oui !

M. Daniel Paul. L’audition, en commission des affaires économiques, de M. Mestrallet et de M. Cirelli a en effet révélé l’ambition du futur groupe de se positionner sur le marché de la production d’énergie nucléaire. Une telle évolution pose de nouveaux problèmes que les auteurs de la loi de 1991 ne pouvaient pas prévoir.

M. Christian Bataille. En effet !

M. Daniel Paul. La responsabilité publique à l’égard de la filière nucléaire, et notamment à l’égard de ses déchets, est donc d’autant plus forte. Et, je le répète, c’est parce que nous sommes partisans du développement partagé, assumé, responsable de cette filière que nous insistons sur ces questions.

Le stockage des déchets se situe à l’échelle des temps géologiques. On ne parle pas ici de générations, mais de siècles, de millénaires, voire de périodes plus longues encore. Et puisque le Parlement est aujourd’hui au cœur de ce débat, donnons du temps au temps – pour reprendre une célèbre formule – avant de prendre la décision la plus consensuelle possible.

En Seine-Maritime, où je suis élu, on sait ce que signifie l’installation d’outils de production nucléaire, puisque l’on y trouve deux centrales, Paluel et Penly. Un peu plus bas, en Basse-Normandie, …

M. Jean-Claude Lenoir. Pourquoi « un peu plus bas » ?

M. le président. Mon cher collègue, ne cédez pas au particularisme régional !

M. Daniel Paul…se trouvent les sites de La Hague et de Flamanville. Nous savons donc ce que le nucléaire peut apporter, mais aussi le poids qu’il représente. Or la solidarité nationale doit jouer à plein. On ne peut pas se contenter de donner de l’argent aux régions concernées en les laissant se débrouiller, car une telle attitude serait peu respectueuse de la dignité des populations. Nous sommes tous d’accord pour que se poursuivent les recherches selon les trois axes de la loi de 1991, mais celles-ci doivent s’accompagner, au-delà de la seule question du financement, d’un véritable plan de développement.

Enfin, soyons réalistes : nous ne sommes plus dans la situation que nous connaissions dans les années soixante-dix, lorsque le programme de développement de l’énergie nucléaire civile pouvait s’imposer sans grandes difficultés. Aujourd’hui, le scientifique, l’élu, le législateur doivent écouter les inquiétudes exprimées par les populations et favoriser la compréhension des enjeux. C’est tout le sens de la question préalable défendue par notre collègue Dosé, pour laquelle, bien entendu, je voterai.

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n’est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour
des prochaines séances

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi de programme, n° 2977, relatif à la gestion des matières et des déchets radioactifs :

Rapport, n° 3003, de M. Claude Birraux, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à onze heures trente-cinq.)