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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 9 mai 2006

213e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

hommage à la mémoire
de deux enfants assassinés

M. le président. Nous avons appris la mort de Mathias et de Madison. Face à l’horreur de l’assassinat de ces deux enfants, nous comprenons et partageons tous la douleur qu’éprouvent leurs familles. Je souhaite exprimer très simplement et très sincèrement la peine, la sympathie de l’ensemble des députés, des membres du Gouvernement – j’en suis certain – et de tous nos concitoyens, aux parents et à la famille de Mathias et de Madison.

Je vous invite à observer un moment de silence.

(Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent et observent une minute de silence.)

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe socialiste.

affaire clearstream

M. le président. La parole est à M. Paul Quilès.

M. Paul Quilès. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la défense.

Le feuilleton qui défraye la chronique actuellement a pris une tournure inquiétante avec le mélange d’affaires de personnes et de mise en cause de services essentiels au fonctionnement de l’État républicain.

Je connais comme vous, madame la ministre, le ministère de la défense et je sais l’émoi que suscitent les remous de cette triste affaire auprès des militaires mais aussi de l’ensemble de nos concitoyens.

Il y a quelques jours, vous avez déclaré sur France 2 « avoir été visée » par l’affaire Clearstream. Indépendamment de ce qui vous atteint personnellement et qui ne concerne pas mon propos, il apparaît que votre conseiller pour le renseignement et les opérations spéciales a joué un rôle, qui n’est pas encore élucidé, dans le déroulement de cette affaire.

Ceci appelle une première question : je voudrais savoir si votre conseiller a entrepris des actions concernant des personnalités politiques sans vous en avertir et, si tel est le cas, à la demande de qui.

Deuxième question : je voudrais savoir aussi comment la DGSE, placée sous votre autorité, a été impliquée dans cette affaire. Ce service important de l’État a-t-il été utilisé pour une opération dont vous-même avez laissé entendre hier qu’elle répondait exclusivement aux intérêts d’une « ambition personnelle ou carriériste » ?

Troisième question : je voudrais savoir enfin pourquoi la Commission consultative du secret de la défense nationale, qui comprend des parlementaires, n’a pas été saisie de la demande, formulée le 5 août 2005 par le juge chargé de l’affaire, de lever le secret défense sur les listings informatiques saisis au siège d’EADS et placés sous scellés. Comment se fait-il que ces documents aient été rendus publics ? Auriez-vous, madame la ministre, levé le secret défense sans passer par la Commission du secret défense ?

Au-delà de ces trois questions se pose celle, encore plus grave, de savoir comment vous entendez assurer que notre système de renseignement reste, comme la Constitution et la tradition républicaine le commandent, « au service exclusif de la Nation » ?

La raison d’être du renseignement est de garantir la sécurité des Français. Dans cette période de grand trouble, il ne serait pas inutile, madame la ministre, de le réaffirmer avec solennité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous allez comprendre pourquoi c’est moi qui vous réponds, mesdames et messieurs les députés du groupe socialiste. (Vives protestations sur les mêmes bancs.)

M. le président. Écoutez avant de manifester, mes chers collègues !

M. le garde des sceaux. Vous qui avez été ministre, monsieur Quilès, pouvez-vous imaginer un seul instant ce qui resterait du secret de l’instruction si un ministre du Gouvernement, quel qu’il soit, répondait à ces questions ? (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste.)

Je sais que, depuis bientôt dix jours, ce secret est pour vous un moyen de faire de la politique. Sachez cependant que nous sommes un certain nombre à penser que le fonctionnement de la justice, dont je suis le premier responsable, ne doit pas prêter le flanc à la moindre critique.

S’agissant d’un membre des services de notre pays, je ne comprends pas que M. Quilès en vienne à vouloir, d’une manière indirecte, connaître des éléments protégés par le secret de l’instruction.

M. Patrick Lemasle. Insinuation scandaleuse !

M. le garde des sceaux. Nous souhaitons tous que l’instruction ouverte sur l’affaire Clearstream aboutisse rapidement. Ce que demandent les personnes intéressées comme tous les Français, c’est de savoir le plus vite possible la vérité. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste. – Plusieurs députés de ce groupe se lèvent.) Ce n’est pas par des moyens de ce genre que nous y parviendrons ! Laissons la justice travailler avec la sérénité qui lui est indispensable pour arriver très rapidement à la vérité. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Néri. Démission !

M. le président. Il ne sert à rien de hurler !

politique européenne

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Préel, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Jean-Luc Préel. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Monsieur le Premier ministre, la journée du 9 mai est celle de la fête de l’Europe. Fêter l’Europe : c’est bien le souhait de l’UDF, et celui de l’ensemble des Français ! Malheureusement, nous avons l’impression de nous trouver depuis le « 29 mai » dans une impasse, faute du « plan B » évoqué par certains et faute d’une véritable volonté, nous semble-t-il, de la part du Gouvernement.

Monsieur le Premier ministre, le gouvernement français a-t-il une politique européenne ? A-t-il, pour reprendre un terme qui vous est cher, une vision ? Que proposez-vous pour sortir de l’impasse ? Expliquez-nous votre projet européen !

Si nous avons la chance de vivre en paix depuis soixante ans, c’est en grande partie grâce à l’Europe. Si nous avons pu éviter des manipulations monétaires, c’est à l’euro que nous le devons. Face aux États continents que sont les États-Unis, la Chine et l’Inde, nous avons besoin d’un réel pouvoir économique et d’une politique sociale commune.

Je vous demande donc, au nom de l’UDF, quelles initiatives vous comptez prendre pour relancer l’Europe, pour que nous disposions demain d’un vrai pouvoir politique définissant une politique économique et sociale commune et nous permettant ainsi de nous imposer face aux États continents.

Monsieur le Premier ministre, donnez-nous un peu d’espoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes.

M. Jean-Christophe Lagarde. Même quand il est question de l’Europe, le Premier ministre ne veut pas répondre !

Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes. Il est vrai, monsieur Préel, que, contrairement à ce que certains prétendaient pendant la campagne référendaire, le non français, suivi du non néerlandais, n’a pas arrangé les choses et que l’Europe ne s’en porte pas mieux. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Maxime Gremetz. C’est le peuple qui s’est exprimé !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Depuis un an, le silence de ceux qui promettaient monts et merveilles aux Français et invoquaient un soi-disant « plan B » est assourdissant. C’est aisément compréhensible !

Devant une telle situation, deux attitudes étaient possibles : ne rien faire, ou au contraire essayer de reconstruire. C’est cette seconde option qu’a choisie le gouvernement de Dominique de Villepin.

Quelle Europe voulons-nous ? D’abord une Europe ambitieuse, forte et solidaire, pour laquelle nous nous sommes battus avec succès lors des négociations sur le budget pour 2007-2013 : 55 milliards d’euros de plus pour le futur budget de l’Union Européenne, ce n’est pas rien ! Un budget de la recherche est en augmentation de 40 %, c’est bien ! Des bourses supplémentaires pour les étudiants européens, c’est bien !

Nous voulons aussi une Europe proche des citoyens (« Ah oui ? » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), ce que nous appelons une « Europe des projets ». Ainsi, les propositions que le Gouvernement a faites dans le domaine de l’énergie en janvier dernier ont permis d’obtenir de premiers résultats lors du Conseil européen du mois de mars, puisque les vingt-cinq États membres ont décidé de mettre en place une politique intégrée de l’énergie.

La France a également su peser sur les grands dossiers législatifs, telle la proposition de directive sur les services, pour laquelle nous avons, en un an, renversé la situation.

Au-delà, la France a fait des propositions pour que l’Union européenne aborde les questions qui concernent son avenir : elle a ainsi obtenu qu’ait lieu, en juin 2006, un débat sur cet enjeu, car nous sommes convaincus, comme l’écrasante majorité des Français, qu’un tel débat posant la question de l’identité européenne est essentiel, tant il dépasse la simple géographie.

M. Jacques Desallangre. Vous récitez une leçon ! On voit bien que vous n’y croyez pas !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. S’agissant des institutions, nous avons contribué à la période de réflexion par des propositions.

Vous le voyez, monsieur le député, la France prend des initiatives sur des sujets majeurs qui intéressent l’avenir de la France et des Français. Depuis qu’il est en place, ce gouvernement a une conviction : la meilleure réponse au doute, c’est l’action ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

europe sociale

M. le président. La parole est à Mme Janine Jambu, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

Mme Janine Jambu. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Célébrant en avant-première la fête de l’Europe, la Commission européenne a livré hier ses recommandations aux pays de l’Union. Uniquement guidées par le « respect du pacte de stabilité », elles constituent un nouvel appel à la mise en œuvre de mesures d’austérité et de convergence des politiques économiques et sociales au détriment de l’emploi, des protections sociales et de l’efficacité sociale.

Les dégâts en sont terribles pour les peuples, et singulièrement pour le nôtre, car depuis quatre ans votre gouvernement applique scrupuleusement les préceptes de cette Europe ultralibérale.

Malgré l’autosatisfaction que vous affichez, les résultats sont patents : plus de 20 millions de chômeurs en Europe, dont plus de 3 millions en France, 7 millions de pauvres, précaires, RMIstes, une explosion de la précarité du travail, la remise en cause du droit à la retraite, du droit du travail, de la protection sociale, de l’égalité d’accès aux soins, la privatisation des services et entreprises publics…

M. Maxime Gremetz. On dirait que cela vous fait rire, monsieur Copé !

Mme Janine Jambu. Le 29 mai prochain, cela fera un an que notre peuple a dit majoritairement non à votre politique, non à cette Europe-là. Et il a prolongé son refus ces derniers mois dans les luttes victorieuses qui viennent d’être menées pour mettre à bas le CPE.

La plus belle fête de l’Europe ne consisterait-elle pas à entendre enfin son message, cet appel antilibéral pour la France et pour l’Europe ? Bien que je ne nourrisse aucune illusion, je vous le demande : allez-vous entendre cet appel ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Historiquement, madame la députée, la dimension sociale de l’Europe est définie dans l’ensemble des traités : l’article 136 prévoit en effet l’harmonisation par le haut (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) au travers d’une double action sur les normes et sur la solidarité financière.

S’agissant des normes, je prendrai trois exemples.

Tout d’abord, c’est la France qui s’est battue depuis quatre ans, comme le savent bien M. Le Garrec et M. Lemière, pour la mise en place d’un contrôle au titre de la protection de la santé pour l’ensemble des salariés européens dans le domaine de l’amiante. Ce sera chose faite dans les vingt-cinq pays de l’Union au second semestre de cette année.

C’est aussi la France qui se bat pour que, dans le cadre de la révision de la directive Temps de travail, le principe de la dérogation – « opt out » en patois bruxellois – ne soit pas pérennisé…

M. Jacques Desallangre. Et le travail de nuit des femmes ?

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. …et qu’aucun accord bilatéral ne permette de dérogation au-delà des 55 heures hebdomadaires.

Enfin, c’est toujours la France qui se bat pour que, dans le cadre du programme Leonardo, quatre fois plus d’apprentis fassent l’objet d’échanges et de formation au niveau européen. Ils ne sont aujourd’hui que 2 % et l’objectif est d’atteindre 8 %.

S’agissant de la solidarité financière et du Fonds social européen – un milliard d’euros par an ! –, c’est ce gouvernement qui, à l’initiative du Premier ministre, vient enfin de régler des années de litige avec la Commission européenne pour que nous puissions en profiter pleinement.

Enfin, sous l’impulsion du Président de la République, et à la suite du dossier Hewlett Packard, que plusieurs d’entre vous connaissent bien, nous avons arrêté le principe d’un fonds « anti-chocs » en vue de préparer les mutations économiques, qui sera doté cette année d’un demi-milliard d’euros.

Telles sont les initiatives que la France a prises depuis quatre ans en matière d’harmonisation sociale en Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

journée de l’Europe

M. le président. La parole est à M. Didier Quentin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Didier Quentin. Je souhaite, moi aussi, interroger Mme la ministre déléguée aux affaires européennes sur la Journée de l’Europe, évoquée il y a quelques minutes. Ce jour, le 9 mai, est l’anniversaire de la déclaration historique de Robert Schuman, qui donna naissance, en 1950, à la construction européenne. Depuis vingt ans, nous célébrons cette journée, mais trop peu de nos concitoyens savent qu’elle est consacrée à l’Europe. Un an après l’échec du référendum sur le traité constitutionnel européen, cette date prend une signification particulière.

Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser comment est célébrée cette journée ? Quelles initiatives les autorités françaises entendent-elles prendre pour redonner le goût de l’Europe à nos compatriotes, en particulier aux plus jeunes, et surtout pour redonner à notre pays une ambition européenne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes.

Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le député, l’Europe se fait pas à pas. Il faut travailler jour après jour à la rendre plus concrète et plus efficace. Mais ce 9 mai est un jour différent : partout en France – en régions comme à Paris – plus de 350 événements marquent la Journée de l’Europe. À Paris, l’Assemblée nationale, le Sénat, la Tour Eiffel, l’Arc de triomphe sont illuminés en bleu, couleur de l’Europe.

M. Jacques Desallangre. Comme cela, on n’y verra que du bleu !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Et sur tout le territoire national, concerts, débats, expositions, jeux et cinéma sont au programme.

Un an après le non français au référendum, vingt ans après la première Journée de l’Europe, cinquante-six ans après la déclaration historique de Robert Schuman, qui fonda la construction européenne, cette journée du 9 mai nous offre l’occasion de prendre un peu de recul, de mesurer le chemin parcouru…

M. Jacques Desallangre. À reculons !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. …depuis plus de cinquante ans et de réaliser tout ce que l’Europe nous apporte : la paix, la sécurité et la démocratie, sur un continent qui a été ravagé par les guerres génération après génération, puis coupé en deux par le rideau de fer ; un cadre pour notre développement économique et, dans le contexte de la mondialisation, une chance supplémentaire.

Mais c’est aussi l’occasion pour nous de dire que l’Europe est l’affaire de tous et que notre responsabilité collective est de la construire. Elle ne tombe pas du ciel, elle sera ce que nous en ferons, le fruit de notre volonté commune. Sachons la remercier de ce qu’elle a déjà su faire et battons-nous pour qu’elle fasse encore mieux.

Pour prolonger cette journée et tirer la leçon de l’histoire, nous ouvrons, dès aujourd’hui, un nouveau site internet, « toutel’europe.fr », sur lequel j’invite chacune et chacun à venir exprimer ses attentes et ses espoirs, afin que vive le dialogue sur l’Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

démographie médicale

M. le président. La parole est à M. Pierre Hellier, pour le groupe UMP.

M. Pierre Hellier. Ma question s’adresse à M. le ministre de la santé et des solidarités.

Notre pays, principalement en zone rurale, est confronté à une pénurie de professionnels de santé, en particulier de médecins généralistes.

M. Jean-Luc Reitzer. Et hospitaliers !

M. Pierre Hellier. Dans le département de la Sarthe, l’âge moyen des médecins est de cinquante-deux ans. Ceux qui partent en retraite ne sont pas remplacés. Le déficit est très préoccupant. Une partie croissante de la population connaît aujourd’hui des difficultés d’accès aux soins.

Le conseil général de la Sarthe souhaite proposer le plus rapidement possible des solutions. C’est ce qui m’a amené à participer au salon du MEDEC, où M. Estrosi nous a d’ailleurs fait le plaisir de passer sur le stand « S’installer en Sarthe ». (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Je tiens à saluer l’action du Gouvernement dans le domaine de la démographie médicale. De bonnes mesures ont été adoptées et permettront, je l’espère, de répondre aux difficultés que nous rencontrons. Toutefois, le plan « Démographie médicale » mérite encore d’évoluer. Les aides financières ou fiscales – préférées par certains médecins – visant à rééquilibrer l’implantation territoriale des médecins généralistes en zone rurale sont indispensables. Je constate cependant que la liste des zones déficitaires est déjà dépassée pour bon nombre de départements et qu’elle n’anticipe pas suffisamment les prochains départs en retraite. Or, dans le contexte actuel, on ne peut se permettre d’attendre que le déficit soit irréversible. C’est maintenant qu’il faut agir.

L’adaptation du numerus clausus à la situation locale est une très bonne mesure, de même que la possibilité pour les collectivités locales de verser des aides. Il est indispensable d’aider à la mise en place de structures médicales dans les zones déficitaires. L’exercice de la profession dans des cabinets de groupe doit être encouragé pour permettre à ceux ou celles qui le désirent de travailler à temps partiel et rompre l’isolement, qui angoisse les professionnels et constitue un frein à la première installation.

Les conditions des stages chez les praticiens, qui sont devenus obligatoires, doivent être améliorées : le logement et le financement des étudiants doivent être facilités et les périodes de stage regroupées pour favoriser leur réalisation en milieu rural, et non plus seulement en périphérie immédiate des facultés.

M. Augustin Bonrepaux. Ce n’est pas une question !

M. Pierre Hellier. Il est essentiel de susciter des vocations de maîtres de stage en médecine générale. (« La question ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Leur statut doit être révisé et valorisé.

Les jeunes étudiants ne connaissent pas le métier de médecin généraliste.

M. Augustin Bonrepaux. La question !

M. Pierre Hellier. Pour les attirer, nous devons les convaincre que la médecine générale, particulièrement en milieu rural, est un métier agréable et valorisant.

M. le président. Posez votre question, monsieur Hellier.

M. Pierre Hellier. C’est ainsi que nous pourrons gagner la bataille de la démographie médicale.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous faire part de vos dernières réflexions sur ce dossier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et des solidarités.

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités. Monsieur le député, la formation de déserts médicaux dans notre pays n’est pas une fatalité, c’est une question d’ambition : pour avoir, dans les années qui viennent, davantage de médecins mieux répartis sur l’ensemble du territoire, il ne faut croire qu’à la seule voie du volontarisme, et aussi leur donner l’envie et les moyens de s’installer partout.

M. David Habib. Cela ne marchera pas !

M. le ministre de la santé et des solidarités. C’est un sujet qui fait consensus – les différents débats que nous avons eus précédemment en témoignent.

Les zones vont-elles être revues ? Oui. Comme je m’y étais engagé, elles le seront de façon que les professionnels paramédicaux, les masseurs, les dentistes ou les infirmières puissent bénéficier d’aides similaires.

Pour prendre en compte les prochains départs à la retraite, nous demanderons aux missions régionales de santé d’intégrer cela dans leurs travaux.

Nous devons également mieux faire connaître ce beau métier de médecin généraliste. C’est pourquoi, à partir de septembre 2006, conformément à nos engagements, il y aura un stage de médecine générale dès le deuxième cycle.

Avoir davantage de médecins implique de relever le numerus clausus. Avec Gilles de Robien et François Goulard, nous avons, comme nous nous y étions engagés également, relevé le numerus clausus à 7 000 jusqu’en 2010.

Nous avions aussi prévu d’aligner le régime du congé de maternité des femmes exerçant une profession libérale de santé sur celui des salariées. C’est chose faite et Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), qui avait appelé une telle mesure de ses vœux, peut être satisfaite : j’ai signé le décret la semaine dernière.

Si nous voulons réussir, il faut mener une action complète. La permanence des soins est aussi une priorité dans les zones sous-médicalisées. J’ai réuni l’ensemble des acteurs du secteur vendredi dernier.

Sur des sujets de premier plan qui intéressent les Français, non seulement, vous le voyez, nous travaillons, mais nous réussirons ! (Applaudissements les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

service public de l’emploi

M. le président. La parole est à M. Pierre Hériaud, pour le groupe UMP.

M. Pierre Hériaud. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.

La loi de cohésion sociale de janvier 2005 a prévu une convention tripartite entre l’État, l’ANPE et l’UNEDIC, dont l’objet est d’assurer la coordination des actions conduites par tous ces opérateurs du service public de l’emploi. Après plus d’une année de réflexion et d’échanges, cette convention vient d’être signée vendredi dernier.

Monsieur le ministre, pouvez-vous préciser les mesures de simplification et d’optimisation prévues par l’article 1er de la loi, dont l’application permettra d’assurer aux personnes concernées le retour le plus rapide possible à l’emploi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Monsieur le député, la loi de cohésion sociale du 15 janvier 2005 a effectivement prévu la modernisation et la simplification des services offerts par le service public de l’emploi. Le Président de la République, à l’occasion de ses vœux aux forces vives, a rappelé l’exigence qu’était pour lui ce décloisonnement de notre organisation.

Il convient de saluer le travail en profondeur accompli, tant par les partenaires sociaux, au travers de l’UNEDIC, que par l’ANPE et l’ensemble des services de l’État, car c’est une véritable mutation qui a dû s’opérer dans les esprits.

Concrètement, cette mutation va se traduire par le guichet unique – au moins un par région d’ici à la fin de l’année. Nous voulons, en effet, placer le demandeur d’emploi au cœur de l’ensemble des dispositifs. Les structures n’ont aucun sens si elles ne sont pas à son service, si elles n’accompagnent pas son parcours en le simplifiant, pour lui permettre de retourner rapidement vers l’emploi.

D’ici à septembre 2006, l’ensemble de la politique immobilière devra avoir été défini. Au guichet unique, le demandeur d’emploi aura un dossier unique. Mis en œuvre dans les semaines qui viennent, ce dossier unique permettra de mieux l’accompagner tout au long de son parcours, de façon personnalisée. Guichet unique, dossier unique et accompagnement ne sauraient se passer d’une structure informatique commune. Ce sera fait le 1er juillet prochain. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

affaire clearstream

M. le président. La parole est à M. Éric Besson, pour le groupe socialiste.

M. Éric Besson. Monsieur le président, comme le garde des sceaux, nous sommes attachés au secret de l’instruction. Mais mon collègue Paul Quilès a posé une question qui portait sur le fonctionnement des pouvoirs publics et touchait à des questions que la ministre de la défense avait elle-même abordées à la télévision.

Dans ces conditions, madame la ministre, nous ne comprenons pas votre silence, d’autant qu’il nous a semblé, en vous regardant, que vous aviez plutôt envie de répondre. Êtes-vous ici encore libre de votre parole ou vous a-t-on interdit de vous exprimer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Pour vous donner une seconde chance de respecter les droits du Parlement, comme dans toutes les grandes démocraties modernes, je vais relire la question de mon collègue Paul Quilès et renoncer à la mienne, qui portait sur la situation économique.

M. Alain Néri. Très bien !

M. Éric Besson. Madame la ministre, le feuilleton qui défraye la chronique a pris une tournure inquiétante avec le mélange d’affaires de personnes et de mise en cause de services essentiels au fonctionnement de l’État républicain. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je connais comme vous, madame, le ministère de la défense et je sais l’émoi que suscitent les remous de cette triste affaire auprès des militaires mais aussi de l’ensemble de nos concitoyens.

Il y a quelques jours, vous avez déclaré sur France 2 « avoir été visée » par l’affaire Clearstream. Indépendamment de ce qui vous atteint personnellement et qui ne concerne pas mon propos, il apparaît que votre conseiller pour le renseignement et les opérations spéciales a joué un rôle, qui n’est pas encore élucidé, dans le déroulement de cette affaire.

Je voudrais donc savoir si votre conseiller a entrepris des actions concernant des personnalités politiques sans vous en avertir et, si tel est le cas, à la demande de qui.

Je voudrais savoir aussi comment la DGSE, qui est placée sous votre autorité, a été impliquée dans cette affaire. Ce service de l’État a-t-il été utilisé pour une opération dont vous-même avez laissé entendre hier qu’elle répondait exclusivement aux intérêts d’une « ambition personnelle ou carriériste » ?

Je voudrais savoir enfin pourquoi la Commission consultative du secret de la défense nationale, qui comprend des parlementaires, n’a pas été saisie de la demande, formulée le 5 août 2005 par le juge chargé de l’affaire, de lever le secret défense sur les listings informatiques saisis au siège d’EADS et placés sous scellés. Comment se fait-il que ces documents aient été rendus publics ? Auriez-vous levé le secret défense sans passer par la Commission du secret défense ?

Au-delà de ces trois questions se pose celle, encore plus grave,…

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Besson ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Éric Besson. …de savoir comment vous entendez assurer que notre système de renseignement reste, comme la Constitution et la tradition républicaine le commandent, « au service exclusif de la Nation » ?

M. le président. Merci, monsieur Besson…

M. Éric Besson. Je ne donnerai pas la conclusion puisque le président me l’interdit…

M. le président. Oui, nous la connaissons déjà !

M. Éric Besson. …mais je vous remercie, madame la ministre, de répondre personnellement à cette question. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. C'est précisément ce qu’elle va faire.

Mme la ministre de la défense, vous avez la parole. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le député, il n’y a en effet aucune raison pour que je ne réponde pas (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Union pour la démocratie française) dans le domaine de mes compétences et en respectant le secret de l’instruction.

M. Jean-Christophe Lagarde. Bravo, madame la ministre !

Mme la ministre de la défense. Le ministère de la défense est régi par des textes et je tiens, comme ministre et comme juriste, à ce que les règles de fonctionnement de l’État et la loi soient respectées.

Mme Martine David. Nous aussi !

Mme la ministre de la défense. Lorsque nous avons été saisis d’un listing comprenant le nom de personnes du ministère de la défense, une enquête a été menée, sur proposition du général Rondot, dans les strictes limites de notre domaine de compétences, lequel englobe soit les actions menées à l’extérieur du territoire national, soit les actions de personnels du ministère de la défense. Le général Rondot a reçu des instructions en ce sens.

Plusieurs députés du groupe socialiste. De qui ?

Mme la ministre de la défense. Des instructions de moi, bien entendu, c’est-à-dire de respecter les compétences du ministère de la défense et d’enquêter dans ce domaine.

Par ailleurs, si la Commission consultative du secret de la défense nationale n’a pas été saisie d’un certain nombre de demandes, c’est uniquement parce que, jusqu’à ce jour, les demandes précises ne m’ont pas été transmises ainsi que le prévoit la procédure. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Par conséquent, là aussi, la loi est respectée. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Quant à mes propos d’hier, ils n’avaient d’autre but que de rappeler ce qu’est notre vocation et notre mission à tous : oublier nos ambitions personnelles et nos préoccupations de carrière. (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Vous comme nous, mesdames et messieurs les députés, sommes au service d’une seule ambition, qui est celle de nos concitoyens, et celle de la France. Je préférerais qu’on ne l’oublie pas. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Martine David. Dites-le à Sarkozy !

réforme de la Taxe
sur les véhicules de société

M. le président. La parole est à M. Alfred Trassy-Paillogues, pour le groupe UMP.

M. Alfred Trassy-Paillogues. Monsieur le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, j’appelle votre attention sur les difficultés posées par les nouvelles règles d’assujettissement à la taxe sur les véhicules de société telles qu’elles ont été définies lors de l’examen de la loi de finances pour 2006.

Un amendement du rapporteur général du budget au Sénat a jeté le trouble parmi les chefs d’entreprise en étendant cette taxe aux indemnités kilométriques et en établissant son calcul en fonction des émissions de dioxyde de carbone. Ainsi, dès lors qu’un salarié utilise son véhicule personnel à des fins professionnelles pour plus de 5 000 kilomètres par an et que ceux-ci lui sont remboursés sous forme d’indemnités kilométriques par l’employeur, la société est soumise à cette taxe, qui croît avec le kilométrage effectué.

Cette réforme pénalise toutes les sociétés en France et représente une pression fiscale supplémentaire sur des acteurs économiques dont notre pays a pourtant besoin. En outre, beaucoup d’incompréhensions entourent cette mesure car, selon une jurisprudence constante dans les domaines fiscal et social, les indemnités kilométriques sont, depuis toujours, considérées comme le remboursement des dépenses réelles à la charge de l’utilisateur, exonérées de toutes taxes, cotisations ou contributions.

Comment entendez-vous, monsieur le ministre, assouplir ces nouvelles règles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Je sais, monsieur le député, combien vous-même et un certain nombre de parlementaires vous êtes engagés sur ce sujet. Il est vrai que cette mesure, qui présente un certain nombre de composantes, notamment écologiques, avait besoin d’être toilettée, compte tenu des difficultés rencontrées notamment par les représentants des entreprises.

Mon objectif est d’agir de manière pragmatique et je vous remercie de m’y avoir aidé, ainsi que Thierry Breton.

Nous proposons trois mesures d’aménagement. Premièrement, nous remontons le seuil d’entrée dans le barème de 5 000 à 15 000 kilomètres. Deuxièmement, nous prévoyons un abattement à partir de 15 000 euros. Troisièmement, à compter de cette année, l’entrée dans le dispositif se fait par tiers tous les trois ans pour l’ensemble des flottes extérieures à l’entreprise. La quasi-totalité des PME seront ainsi exonérées Le dispositif est considérablement simplifié, de même que la procédure administrative puisque la déclaration n’est pas nécessaire en dessous de 15 000 euros.

Ces ajustements répondent à l’ensemble des préoccupations que vous avez évoquées. À la fois plus favorables à l’économie et plus claires sur le plan fiscal, elles s’inscrivent tout à fait dans l’action que nous menons pour le développement économique de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

réforme de l’organisation
du temps de travail

M. le président. La parole est à M. Pierre Morange, pour le groupe UMP.

M. Pierre Morange. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.

M. Alain Néri. Et à l’augmentation du nombre de RMIstes !

M. Pierre Morange. Issue d’une proposition de loi cosignée par Patrick Ollier, Hervé Novelli, Jean-Michel Dubernard et moi-même, la loi sur la réforme de l’organisation du temps de travail dans l’entreprise, adoptée il y a un an, a complété le dispositif d’assouplissement des 35 heures de François Fillon voté en 2003.

La proposition de loi visait un double objectif : d’abord, donner la possibilité aux salariés qui le souhaitent de travailler davantage afin d’accroître leur niveau de rémunération et, donc, leur pouvoir d’achat ; ensuite, permettre aux entreprises de s’adapter au mieux à la réalité de l’économie de marché, tout en respectant les droits acquis.

Cette loi a mis en valeur les atouts du compte épargne-temps et le régime du temps de travail choisi. Un an après son adoption, quel bilan de son application pouvez-vous nous dresser, monsieur le ministre ? En particulier, quel accueil les salariés et les entreprises, et notamment leurs représentants syndicaux, ont-ils réservé à la rénovation du compte épargne-temps ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Le 31 mars 2005 fut en effet voté, monsieur le député, un texte qui parachevait la réorganisation du temps de travail. Il y a aujourd’hui 200 000 chômeurs de moins qu’à cette date. Voilà le résultat obtenu dans le domaine de l’emploi !

M. Patrick Roy. Et combien de RMIstes en plus ?

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Nous avons également enregistré une augmentation de 10 % des apprentis et, sur les trois derniers mois, de 30 % des contrats de professionnalisation. L’ensemble des mesures que le Gouvernement a prises ou que le Parlement a proposées n’ont qu’un seul objectif : lutter contre le chômage, créer des emplois et, ainsi, recréer une dynamique positive. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Qui peut croire ça ?

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Le temps de travail était le deuxième thème de négociation des 19 000 accords d’entreprise conclus en 2005. Près de 15 % des salariés sont aujourd’hui concernés par l’application de la loi du 31 mars 2005, soit qu’ils aient négocié des accords de branche, soit qu’ils aient signé des accords d’entreprise.

Le grand gagnant, c’est le compte épargne-temps, qui fait l’objet de 80 % des accords, avec la possibilité de stocker des heures pour suivre une formation, préparer sa fin de carrière ou choisir librement le temps partiel.

M. Maxime Gremetz. Le grand gagnant, c’est le MEDEF !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Il reste encore à imaginer la transférabilité du compte épargne-temps : c’est un thème de négociation que nous proposerons aux partenaires sociaux.

Alors qu’on donnait peu d’avenir au temps choisi, celui-ci fait aujourd’hui l’objet de 15 % des accords : plus de 200 000 salariés ont opté pour lui avec l’accord d’organisations syndicales de toutes sensibilités.

Voilà le travail concret du Parlement et du Gouvernement pour lutter contre le chômage et permettre une meilleure organisation du temps de travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Inégalités et pauvreté

M. le président. La parole est à Mme Françoise Imbert, pour le groupe socialiste.

Mme Françoise Imbert. Ma question s’adressait à M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement.

M. Patrick Roy. Et du RMI !

Mme Françoise Imbert. Le baromètre annuel des inégalités et de la pauvreté, le « BIP 40 » du réseau d’alerte sur les inégalités, constate, pour la troisième année consécutive, une aggravation des inégalités et de la pauvreté en France, celles-ci ayant atteint en 2004 le plus haut niveau depuis vingt ans.

La baisse de la statistique mensuelle du chômage, qui concerne les personnes à la recherche d’un emploi à durée indéterminée à temps plein, dissimule mal une progression spectaculaire des autres demandeurs d’emplois. Non seulement le nombre des chômeurs s’est accru, mais ils sont aussi plus nombreux à ne pas être indemnisés et à être radiés des statistiques. Les écarts de taux de chômage entre cadres et ouvriers recommencent à augmenter, tout comme ceux entre jeunes et moins jeunes.

On constate aussi une dégradation sans précédent de la situation du logement, qui pèse lourdement sur les conditions de vie des ménages les plus modestes.

Il y a, enfin, selon le dernier rapport du Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale, plus de deux millions d’enfants pauvres en France.

Depuis quatre ans, la politique fiscale et sociale du Gouvernement ne fait qu’aggraver la pauvreté et la précarité. Le Gouvernement va-t-il enfin changer de politique pour plus de justice et de cohésion sociale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Madame la députée, lorsque l’on parle d’inégalités, on parle avant tout de ceux de nos concitoyens qui traversent les plus grosses difficultés.

Vous citez des chiffres. Je peux en donner d’autres.

M. Patrick Roy. Citez les chiffres du RMI !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. L’aide alimentaire ne figurait même pas dans la loi de 1998 relative à l’exclusion. La pire année en matière de construction de logements fut l’année 2000, et je pourrais continuer longtemps ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

La vraie – je le dis très calmement et très sereinement –, c’est celle de notre capacité à apporter les vraies réponses.

Vendredi, le Premier ministre réunira le Conseil national de lutte contre l’exclusion. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) C’est le moment privilégié pour travailler avec l’ensemble des associations, toutes ces femmes et tous ces hommes qui œuvrent sur le terrain au quotidien pour apporter des réponses. L’honneur du Gouvernement est de leur apporter l’accompagnement financier nécessaire.

Concrètement, ce sont 100 000 logements d’urgence pérennisés à l’échéance 2007, de nombreux logements sociaux construits, et un vivier de 50 000 emplois pour l’insertion par l’aide économique.

Il y a ceux qui se complaisent dans les constats, et il y a ceux qui agissent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

protection des enfants sur internet

M. le président. La parole est à Mme Cécile Gallez, pour le groupe UMP.

Mme Cécile Gallez. Monsieur le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, dans le cadre de la conférence de la famille de 2005, le Gouvernement avait notamment décidé de renforcer la protection des enfants sur Internet et souhaité avancer sur cette question, en étroite collaboration avec les fournisseurs d’accès à Internet

Vous avez aussitôt entamé les discussions avec les fournisseurs d’accès, qui ont débouché sur un accord signé le 16 novembre 2005, prévoyant une série d’engagements de leur part, notamment celui d’offrir gratuitement un logiciel de protection familiale performant.

Qu’en est-il aujourd’hui, monsieur le ministre, de l’accès gratuit à ce type de logiciel ? Comment comptez-vous sensibiliser les parents sur les situations de risques potentiels pouvant exister sur Internet pour leurs enfants et de la disponibilité de logiciels de contrôle parental gratuits ?

Enfin, lors de la dernière conférence de la famille, le Premier ministre avait annoncé la création d’un « label famille », apposé sur les contenus et services multimédias, afin d’apporter une garantie aux familles pour leurs enfants. Où en est-on ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Madame Gallez, cette question est très importante. Comme vous l’avez rappelé, le Premier ministre, Dominique de Villepin (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), m’a demandé, lors de la conférence de la famille, au mois de septembre dernier, de mettre en œuvre un contrôle parental pour l’accès à Internet. Ce contrôle doit être proposé systématiquement à tous les parents. Il doit être à la fois gratuit, performant et facile à installer et à utiliser.

Madame la députée, je suis heureux de vous annoncer que c’est aujourd’hui chose faite pour 80 % des fournisseurs d’accès, qui ont accepté, dès le mois de mai, de mettre en œuvre ce logiciel de contrôle parental. Nous atteindrons le chiffre de 100 % au début de l’été. C’est dire qu’aujourd’hui la sécurité des enfants qui doivent naviguer sur Internet va être convenablement assurée. Cela suppose, bien sûr, que les parents remplissent leur mission de contrôle auprès des enfants.

Internet est un formidable outil de développement intellectuel et culturel pour l’enfant. Il faut faire en sorte qu’il puisse y accéder. Mais il faut aussi éviter les dangers pour l’enfant. Internet, c’est comme une ville. Il y a de grandes avenues avec leurs vitrines, des éclairages (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste), mais aussi des coupe-gorge. Par conséquent, ce logiciel de contrôle parental était indispensable. Il sera unique en Europe. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

tÉlÉvision numÉrique terrestre

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Hamelin, pour le groupe UMP.

M. Emmanuel Hamelin. Monsieur le ministre délégué à l’aménagement du territoire, il y a un peu plus d’un an, la France lançait, avec succès, la télévision numérique terrestre. Aujourd’hui, plus de 50 % de notre territoire est concerné par cette nouvelle technologie et plus de 2,5 millions de foyers sont équipés pour recevoir une trentaine de chaînes supplémentaires, dont dix-huit gratuites.

Le numérique, c’est – au-delà d’un plus grand nombre de programmes – une meilleure qualité d’image et de son, une possibilité d’interactivité et l’accès à de nombreux services qui révolutionneront très rapidement le quotidien de nos concitoyens.

L’arrivée de la TNT dans notre pays et prochainement celles de la télévision haute définition et de la télévision sur les téléphones mobiles montrent que la France entre désormais de plain-pied dans l’ère du numérique.

Le Président de la République a annoncé à ce sujet, jeudi dernier, la mise en place d’un comité stratégique sur le numérique, qui sera, entre autres choses, chargé d’assurer et de gérer le basculement entre la télévision analogique, qui existe aujourd’hui, et la télévision numérique terrestre.

Ce comité stratégique sera présidé par le Premier ministre, auquel seront associés le ministre de la culture et de la communication, le ministre de l’industrie et vous-même, monsieur Estrosi, en qualité de ministre de l’aménagement du territoire.

Comme vous l’avez annoncé à de multiples reprises, monsieur le ministre, vous souhaitez très rapidement parvenir à l’objectif d’une couverture numérique du territoire à hauteur de 95 % par la télévision numérique terrestre et de 5 % par une offre de TNT gratuite par satellite. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a également annoncé la mise en place d’un fonds spécial d’accompagnement du numérique, qui sera doté d’environ 15 millions d’euros pour faciliter l’équipement en numérique des foyers les plus modestes.

Nous allons très bientôt être amenés à modifier la loi de 1986 sur l’audiovisuel. Le projet de loi doit être présenté en Conseil des ministres avant l’été et discuté au Parlement à l’automne. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer les objectifs de ce comité stratégique et nous donner quelques éléments d’information sur le calendrier de la couverture numérique du territoire ? L’ensemble des Français pourront-il, à terme, recevoir la télévision numérique terrestre ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire. Monsieur Hamelin, le défi de la télévision numérique pour tous aura permis, en moins d’un an, à près de 50 % de foyers dans notre pays d’avoir accès à la télévision numérique terrestre, soit à dix-huit chaînes de télévision gratuites. Et plus de deux millions et demi de récepteurs ont déjà été vendus ou loués.

Un certain nombre de nos concitoyens se demandent s’il est normal que 50 % des foyers français aient accès à dix-huit chaînes de télévision gratuites, alors que l’autre moitié doit se contenter de trois ou quatre chaînes de télévision en qualité analogique. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) La réponse est bien évidemment négative.

M. Maxime Gremetz. On s’en doute !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Il existe un devoir d’équité entre les hommes et les territoires. Nous avons veillé, avec Nicolas Sarkozy (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), à ce que, d’ici l’année prochaine, grâce à l’équipement de 115 sites terrestres et à la mise en place d’un bouquet satellitaire, 100 % des foyers puissent avoir accès à dix-huit chaînes de télévision gratuites en qualité numérique.

La seconde étape consistera à fixer le calendrier, la méthode et la technologie qui permettront de passer du système analogique au système numérique. C’est pour cela que M. le Président de la République a mis en place, la semaine dernière, sous la présidence de M. le Premier ministre (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), un comité stratégique. Nous passerons ainsi d’ici 2011, zone par zone, territoire par territoire, au système numérique, qui nous permettra de récupérer un dividende qui, grâce à la libération d’un certain nombre de fréquences, permettra d’apporter la haute définition, la télévision sur le mobile, ainsi que le haut débit sur le mobile.

Nous lancerons une grande campagne de communication, dans les semaines qui viennent, pour recommander aux Français qui s’équiperaient de téléviseurs, de choisir des téléviseurs numériques, pour ne pas avoir à acquérir ultérieurement un adaptateur. Nous mettrons aussi en place, bien évidemment, des mesures d’accompagnement pour les foyers les plus modestes. C’est pour nous un problème de justice sociale et d’équité entre les territoires .

Nous sommes heureux, en cette Journée de l’Europe, de souligner que la France, avec une couverture de 100 % de son territoire en téléphonie mobile, bientôt 100 % en Internet haut débit…

M. Augustin Bonrepaux. Ce n’est pas vrai !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …et bientôt 100 % en télévision numérique terrestre, est le premier pays européen en matière de couverture numérique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Octroi de mer

M. le président. La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne. Monsieur le ministre de l’outre-mer, le traitement de l’octroi de mer soulève trois difficultés majeures.

La première difficulté affecte les recettes régionales et communales. En effet, les procès en remboursement de l’octroi de mer « ancien régime » se poursuivent quatorze ans après l’arrêt « Legros » du 16 juillet 1992. Les recettes de l’octroi de mer « nouveau régime » sont utilisées à cette fin. De ce fait, les budgets des collectivités sont ainsi privés de plusieurs dizaines de millions d’euros.

La deuxième difficulté concerne les entreprises. Lorsqu’elles ont payé l’octroi de mer, peuvent-elles ou non répercuter la taxe sur le consommateur ? Il est difficile d’établir la preuve que cette taxe a été répercutée. Une entreprise peut donc recevoir deux fois l’équivalent de la taxe payée, car les tribunaux, en cas de doute sur la répercussion, ordonnent le remboursement.

La troisième difficulté réside dans le fait que le conseil régional de Martinique est tenu systématiquement à l’écart de ces procédures, sans information, alors qu’il est directement concerné et fondé à intervenir en vertu de l’arrêt de la Cour de cassation du 3 avril 2003 « Société Rebel contre Direction régionale des douanes de la Réunion et Région de la Réunion ».

Monsieur le ministre, pour éviter, en raison d’un contentieux mal maîtrisé, l’amputation budgétaire des collectivités, les enrichissements sans cause, et assurer le respect des droits élémentaires du conseil régional, il convient, me semble-t-il, de prévoir expressément une modification des textes en vigueur. (Applaudissements sur quelques bancs.)

M. le président. La parole est à M. le ministre l’outre-mer.

M. François Baroin, ministre de l’outre-mer. Monsieur Marie-Jeanne, le gouvernement français – avec l’aide et le concours déterminant, je tiens à le souligner, des conseils régionaux – a préservé l’octroi de mer, qui est un atout et l’un des éléments de ressources financières essentiels à l’équilibre budgétaire des collectivités territoriales régionales.

L’octroi de mer est un vieil outil, qui date du XVIIsiècle et qui a eu beaucoup de vertus pour le développement économique. Ainsi que vous l’avez rappelé, cette fiscalité ne portait, jusqu’à une période relativement récente, que sur les économies importées. Depuis 1992, elle a touché les productions locales. C’est l’objet du litige.

C’est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes au cœur d’un débat juridique entre la justice française, d’une part, qui, par une évolution constante de sa jurisprudence, a maintenu les éléments acquis, pour ne pas déstabiliser les budgets territoriaux, et, d’autre part, la Cour de justice des Communautés européennes, qui souhaite voir appliquer sa propre conception de l’évolution du principe d’équité.

La Cour de justice des Communautés européennes a rappelé que le principe de restitution ne s’appliquait pas lorsque la taxe avait été répercutée sur un tiers – point que vous avez soulevé, monsieur le député – et que son remboursement engendrerait un enrichissement sans cause pour l’opérateur. Vous avez d’ailleurs dénoncé, à juste titre, ce double remboursement.

La bataille juridique n’est pas encore achevée. L’État établit une estimation précise des sommes. Je puis vous dire que nous sommes engagés dans une bataille juridique, que le ministère de l’outre-mer et le gouvernement de Dominique de Villepin est prêt à mettre tout en œuvre pour faire en sorte que ce dispositif indispensable à l’économie de nos collectivités territoriales et régionales soit maintenu et préservé, quelle que soit l’évolution du droit européen.

Avec ma collègue Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, nous avons engagé une discussion avec les instances européennes dans ce but.

Le rattrapage économique passe aussi par le maintien de l’octroi de mer pour les économies ultramarines. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Éric Raoult.)

PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Immigration et intégration

Suite de la discussion,
après déclaration d’urgence,
d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration (nos 2986, 3058).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Vendredi soir, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles, s’arrêtant à l’article 30.

Le Gouvernement a demandé que le titre VI, relatif à l’outre-mer, soit examiné en priorité.

Compte tenu des réserves précédentes, nous examinerons la suite des articles dans l’ordre suivant : articles 67 à 79, relatifs à l’outre-mer ; articles 30 à 32 ; articles 16 à 22 ; articles 33 à 66 ; articles 80 à 84.

Il reste 336 amendements en discussion.

Le vote solennel de ce projet de loi a été programmé le mardi 16 mai.

La parole est à M. le ministre de l’outre-mer.

M. François Baroin, ministre de l’outre-mer. Monsieur le président, mesdames messieurs les députés, je me réjouis que la discussion concernant les articles relatifs à l’outre-mer se déroule cet après-midi. C’est une marque de respect à laquelle l’outre-mer est sensible ainsi qu’une marque de respect à l’égard des parlementaires ultramarins, qui se sont personnellement très impliqués dans ce débat.

J’ai souhaité que nous replacions l’outre-mer au cœur des débats nationaux, s’agissant notamment de l’immigration clandestine, sur laquelle j’ai été amené à prendre des positions que chacun connaît désormais. Avec ce texte, c’est chose faite.

Je tiens à remercier l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés jusqu’à présent, notamment les députés d’outre-mer, Joël Beaugendre, Mansour Kamardine, Gabrielle Louis-Carabin, Juliana Rimane, Christiane Taubira, René-Paul Victoria. Nous ne pouvons que nous féliciter de l’intérêt que, au fil des mois, un certain nombre de parlementaires de métropole ont témoigné – je pense notamment au président de la commission des lois, et à M. Dosière et M. Quentin qui ont participé à la mission Mayotte, respectivement en tant que président et rapporteur. À M. Braouezec, je dirai qu’en aucune façon, l’outre-mer ne peut servir de « laboratoire » de la politique de l’immigration, selon cette malheureuse expression qu’il a utilisée. Nous prenons des mesures parce que la situation l’exige, et nous aurons, au cours des débats, l’occasion de le démontrer.

Une double exigence doit nous animer : d’abord, le respect de notre Constitution, notamment celui de l’article 73 sur l’application de notre législation dans les départements et des régions d’outre-mer et son adaptation aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités, et celui de l’article 74 pour établir, à Mayotte, une législation conforme aux intérêts propres de cette collectivité au sein de la République.

La seconde exigence porte sur l’amélioration de nos dispositifs. Je répondrai point par point, avec les conseils avisés de M. le rapporteur, à tous les amendements. Certains, s’ils n’ont pas aujourd’hui reçu un avis favorable, pourront d’ici peu trouver leur place dans de prochaines mesures législatives ou dans le cadre d’ordonnances, comme la législation nous le permet.

Voilà, en préambule, les précisions que je voulais apporter avant que nous n’abordions l’examen des articles 67 à 79.

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, après cette première semaine de discussion, de faire le point. Il reste, comme vous l’avez dit, monsieur le président, un peu plus de 330 amendements à examiner. Nous en avons étudié 242 en vingt-huit heures, soit un rythme de neuf amendements à l’heure.

Le climat de la discussion pendant cette première semaine a fait honneur au Parlement. Chacun, tant dans l’opposition que dans la majorité, a su défendre ses arguments et ses positions avec sincérité et modération. En tant que rapporteur, je forme le vœu que nos débats se poursuivent dans le même esprit et que notre débat soit constructif sur ce sujet très sensible.

M. le président. Nous le souhaitons tous, monsieur le rapporteur.

Nous abordons les articles du titre VI, qui traite des dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration outre-mer.

Article 67

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 67.

La parole est à Mme Gabrielle Louis-Carabin.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la réalité migratoire de la Guadeloupe n’étant nullement comparable à celle du territoire métropolitain, il est important que la politique migratoire soit adaptée.

Je tiens à remercier le Gouvernement d’avoir intégré une partie de notre proposition de loi du 9 février 2005 dans le volet outre-mer de ce projet de loi qui donne à l’archipel guadeloupéen les moyens de lutter durant une durée déterminée contre l’immigration clandestine. Le dispositif du caractère non suspensif des recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière et les obligations de quitter le territoire appliqué à Saint-Martin a déjà fait ses preuves ; il importe que l’ensemble de la Guadeloupe soit concernée pour éviter que les flux migratoires maîtrisés pour une partie de l’archipel ne se reportent sur d’autres parties du territoire guadeloupéen.

Cette proposition avait été reprise par le comité interministériel de contrôle de l’immigration clandestine du 27 juillet 2005, pour permettre d’adapter le droit aux particularités des départements d’outre-mer rendus vulnérables par leur configuration géographique. La mer est devenue une voie d’accès trop facilement empruntée par des trafiquants de plus en plus organisés, qui exploitent la misère humaine.

Je tiens à rappeler que ce dispositif existait déjà en Guadeloupe en 1993 et que le gouvernement Jospin l’avait supprimé en 1998, excluant la Guadeloupe et en le limitant à Saint-Martin.

M. René Dosière. Il a eu raison !

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Non, cher collègue, car nous avons constaté que cela a entraîné une explosion des flux migratoires en Guadeloupe, sauf à Saint-Martin. Cette décision a été prise sans mesurer les conséquences d’une telle étroitesse de vue sur l’outre-mer.

En 2003, la loi pour la sécurité intérieure prorogeait l’application de ce dispositif pour Saint-Martin. Mon collègue Beaugendre et moi-même avions, à l’époque, souhaité que la Guadeloupe soit concernée.

Aujourd’hui, ce sera le cas avec l’adoption de l’article 67 et je compte sur la compréhension de tous mes collègues pour qu’il soit adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où nous abordons le volet outre-mer de ce projet de loi, je ferai quelques observations d’ordre général, ce qui nous évitera d’y revenir à chaque article, mais nous préciserons notre position au moment de l’examen des amendements.

Les problèmes de l’immigration outre-mer sont sans commune mesure avec ce que l’on peut connaître en métropole. C’est le cas pour Mayotte – et j’y reviendrai –, en Guyane et en Guadeloupe. Il en va différemment à la Martinique, à la Réunion, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. Pourquoi ces régions sont-elles particulièrement touchées ? Parce qu’elles constituent des zones frontières entre les pays riches que sont nos collectivités d’outre-mer et des pays pauvres. Il se produit donc un appel d’air d’autant plus fort que l’écart de richesse se conjugue avec une proximité géographique. J’ajoute que cela pourrait préfigurer ce qui pourrait se passer à l’échelle du monde si le coût des transports continuait de diminuer.

Bien moins qu’une volonté d’acquérir la nationalité française, ce qui n’est qu’accessoire pour un certain nombre de migrants, il s’agit essentiellement d’un problème de développement économique, auquel il faut s’attaquer en combattant ces inégalités, notamment en s’appuyant beaucoup plus qu’on ne le fait aujourd’hui sur la coopération régionale. Les collectivités territoriales de l’outre-mer, notamment les régions dont c’est plus la vocation que les départements – je pense en particulier aux Antilles –, doivent jouer un rôle plus important dans la coopération internationale, laquelle, il faut malheureusement le constater, est à un niveau zéro aujourd’hui.

Bien entendu, on ne peut pas nier le fait qu’il faille maîtriser l’immigration. Des mesures de police et de justice s’imposent, encore faut-il qu’elles soient parfaitement adaptées. Pour autant, les aménagements nécessaires dans ce domaine ne sauraient constituer une expérience généralisable en métropole : à problèmes spécifiques, réponses spécifiques, dans le respect malgré tout de la Constitution, qui ne permet pas, en matière de droit régalien, de faire n’importe quoi, y compris en outre-mer.

Monsieur le ministre de l’outre-mer, pour finir, je dois vous dire notre déception. Ce texte sur l’outre-mer a été incorporé dans un texte répressif qui tient davantage de la propagande électorale que d’une volonté de légiférer pour la République. C’est dommage : l’outre-mer mérite mieux que cela. Ses problèmes doivent être traités de manière plus complète, comme vous avez l’occasion de le dire assez régulièrement. Ces dispositions s’appuient sur une vision réductrice, elles ne permettront pas de résoudre les problèmes posés. D’autres mesures s’imposent en la matière.

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Monsieur le ministre de l’outre-mer, nous sommes préoccupés. Je ne connais pas personnellement la situation des DOM et des TOM, mais je crains, comme M. Dosière, que vous ne vous serviez de ce projet de loi comme d’un ballon d’essai. Qui nous dit qu’on n’étendra pas les dispositions prévues ici pour l’outre-mer à d’autres départements français ?

En suivant le fil de vos réflexions sur les départements et territoires d’outre-mer, on pourrait en effet fort bien imaginer qu’un traitement similaire soit appliqué à la Seine-Saint-Denis, parce que l’aéroport de Roissy est la première frontière en France par laquelle arrivent des millions de personnes, ou à la région PACA, parce c’est une frontière avec le monde méditerranéen.

Sans sous-estimer l’importance des questions qui se posent dans ces départements et territoires d’outre-mer, nous nous inquiétons de la façon dont ces dispositions sont intégrées dans le projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Éric Jalton.

M. Éric Jalton. Monsieur le ministre de l’outre-mer, monsieur le ministre délégué à l’aménagement du territoire, avant d’intervenir plus précisément sur le titre VI, j’aimerais revenir à la philosophie générale du projet de loi.

Comme la plupart des parlementaires de l’outre-mer vous le réclamaient, notamment le sénateur Othily – qui n’est pas vraiment du même bord que nous –, vous auriez dû consacrer un projet de loi spécifique au problème spécifique de l’immigration outre-mer. Cette spécificité n’est pas seulement quantitative, elle tient aussi à la configuration géographique et à la situation économique et sociale de ces départements et territoires de notre République, bien souvent insulaires. Vous avez préféré intégrer un titre comprenant douze articles dans un projet de loi global. C’est votre choix, nous le respectons, mais c’est tout de même dommage. Nous aurions aimé pouvoir traiter de ce particularisme dans un cadre moins pollué par le débat sur l’immigration choisie.

Jadis avec les esclaves les plus robustes, naguère avec les plus valeureux combattants des colonies, à l’instar des tirailleurs sénégalais, venus défendre la souveraineté française en étant payés deux fois moins que les combattants français, hier, pendant et après les Trente Glorieuses, avec des ouvriers diligentés par le patronat français ou le gouvernement de la République pour satisfaire les besoins de l’économie française et remplir les tâches que les Français refusaient d’exécuter, aujourd’hui avec les meilleures intelligences étrangères, la France a toujours choisi les immigrés : elle les déportait ou les faisait venir de gré ou de force pour servir ses divers intérêts, liés en particulier à son économie et à la défense de sa souveraineté nationale.

Ce concept d’immigration choisie, autour duquel on fait beaucoup de tapage, est déjà une réalité dans l’histoire de la France. Elle est inscrite dans les faits, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé.

Toutefois, le projet présente une double nouveauté. Elle relève d’abord de l’exercice auquel nous nous livrons dans cet hémicycle : inscrire ce concept d’immigration choisie dans les lois de la République. Elle consiste, de manière plus grave et cynique, à cibler l’immigration sur les meilleures intelligences et compétences des pays en voie de développement, qui en ont pourtant bien besoin pour se développer. Vous instaurez ainsi une immigration à deux vitesses : une immigration zéro pour les plus faibles, les sans-grade, les sans-titres, les sans-gloire ; une immigration « tapis rouge » – « people », ont dit certains – pour attirer talents et compétences venus de l’étranger, désirables et désirés.

Tout cela n’honore pas la France, en tout cas, cela ne la grandit pas. Cela lui fera perdre la place particulière qu’elle a dans le monde, du fait de son histoire et de ce qu’elle a prétendu être et prétend encore être aujourd’hui face aux autres nations démocratiques, celles bien souvent avec lesquelles elle prétend continuer à coopérer et développer son économie. Comme nous le verrons peut-être dans les prochaines années, ce projet de loi ne sert pas les intérêts de notre pays.

J’aurai l’occasion de revenir aux dispositions contenues dans le titre VI, dont je regrette qu’il n’ait pas été soustrait de l’ensemble du projet de loi pour nous permettre de l’examiner sereinement. Cela nous aurait pourtant sans doute permis de parvenir à un consensus.

M. le président. La parole est à Mme Christiane Taubira.

Mme Christiane Taubira. Monsieur le président, messieurs les ministres, ces dispositions spécifiques à l’outre-mer auraient justifié une discussion générale, comme en témoigne le nombre de députés qui ont jugé utile de s’inscrire sur l’article qui ouvre le titre VI et comme l’exige, tout simplement, la réalité des outre-mer. Ces départements et ces territoires ont une géographique toute particulière – la Guyane, par exemple, a des centaines de kilomètres de frontières communes avec le Brésil, au sud et à l’est, et le Suriname, à l’ouest. Ils se trouvent dans une situation très spécifique qu’il nous faut peut-être examiner de façon non conventionnelle, en considérant, par exemple, que les difficultés de la Guyane avec l’État de l’Amapa relèvent non pas seulement des relations avec l’État fédéré mais renvoient aussi aux relations avec le gouvernement fédéral brésilien, avec lequel il convient de prendre langue.

L’outre-mer se caractérise aussi par des écarts des niveaux de vie. Certes, les indices de développement des pays voisins sont tout à fait semblables aux nôtres et rendent comparables certaines situations de misère, de pauvreté et d’exclusion, mais, en moyenne, on peut considérer que les différences de niveau de vie peuvent expliquer les flux migratoires.

Pour sortir d’une approche conventionnelle, je citerai le cas de Mayotte : tant que le versement des allocations familiales y était limité aux familles de trois enfants, des femmes mahoraises ont migré à la Réunion, c’est-à-dire d’une collectivité territoriale française à un département français. Cela montre que s’il est un comportement naturel, c’est bien de veiller à ce que les conditions sanitaires offertes à ses enfants et la capacité à subvenir à leurs besoins soient les meilleures possible.

L’outre-mer est toujours l’occasion de mettre en place des mesures particulières, d’exception et de dérogation. C’est encore le cas de ce texte avec des précisions portant sur les lieux, l’extension des lieux ou encore les capacités de destruction de pirogues de transport ou de navires de pêche.

M. Mansour Kamardine. Il y a toujours eu de telles dispositions et il y en aura toujours !

Mme Christiane Taubira. Certes, il faut apporter un certain nombre de réponses mais la question reste celle des objectifs : qui combattons-nous ? Ou plutôt que combattons-nous ? Est-ce la pression migratoire en ce qu’elle fragilise la cohésion sociale et qu’elle génère des inquiétudes identitaires, tout à fait réelles, en ce qu’elle pèse sur les équipements publics, en ce qu’elle perturbe le contrôle des milieux urbains et périurbains et en ce qu’elle lance de nouveaux défis à l’éducation, à la santé publique et au logement ?

Certains objectifs sont énoncés dans la loi, mais ils sont essentiellement quantitatifs. Il s’agit notamment d’atteindre 7 700 reconduites à la frontière. Or vous savez, messieurs les ministres, qu’elles comportent trois biais principaux. Premièrement, la même personne peut être reconduite trois fois dans la même année. Deuxièmement, les forces de police ont constaté qu’il arrive qu’une personne soit reconduite plusieurs fois sous des identités différentes. Troisièmement, il existe des volontaires à la reconduite à la frontière, notamment à l’approche des fêtes de Noël.

Le ministre de l’intérieur, lors de la discussion générale du projet de loi, nous a expliqué que les trois administrations en charge de l’immigration ont des vocations différentes : le rayonnement de la France pour les affaires étrangères, la générosité pour les affaires sociales et l’ordre public pour l’intérieur. C’est oublier qu’en tant que ministre de l’outre-mer, vous êtes habituellement considéré – pardonnez la formule quelque peu ironique – comme un « second Matignon ». Pour parler sérieusement, vous avez une mission transversale. On aurait donc pu penser qu’avec à la fois un ministre d’État et un ministre transversal, on allait sortir d’une vision enclavée de l’action gouvernementale – selon laquelle, pour reprendre mon exemple, les affaires étrangères ne s’occupent que du rayonnement de la France – et parvenir enfin à articuler les actions des différents ministères concernés de façon à sortir de la situation actuelle, ce qui implique d’ailleurs de travailler avec les pays voisins. Le problème de pression migratoire existe en effet, et il faut le traiter avec eux, en toute cordialité.

Il en va de même pour ce qui relève aujourd’hui plus particulièrement du seul ministère de l’intérieur, à savoir l’insécurité et la criminalité. Les faits sont là : la vie sur le territoire est maillée par des agressions du fait de l’empaillage clandestin et, sur le littoral, par de véritables guerres de gangs liées au trafic d’armes et de stupéfiants de toutes sortes. Là aussi, l’exécutif français doit avec une action en harmonie avec les pays voisins. À cet égard, le Guyana est le seul pays où nous n’avons pas de consulat, ce qui pourtant faciliterait à la fois la cordialité des rapports entre nos deux pays et l’efficacité dont nous avons le souci. Le Gouvernement s’était orienté vers la mise en place d’un consul honoraire. Cela ne saurait suffire. Nous demandons l’ouverture d’un consulat de plein exercice.

Tant que le territoire demeurera en situation de sous-développement et qu’il ne sera pas aménagé, tant que l’on bradera nos ressources naturelles, nous ne pourrons ni assurer le développement et garantir des revenus satisfaisants aux Guyanais eux-mêmes, ni accueillir correctement les personnes qui fuient la misère.

Vous connaissez les demandes des professionnels : un hôtel de police digne de ce nom, un redéploiement des forces de police et de gendarmerie afin d’améliorer, par un meilleur ciblage, l’efficacité de leurs interventions, un centre de tir pour l’entraînement de nuit pour ne plus avoir à perdre des vies, et la mise en œuvre du programme « Cadets de la République ».

Monsieur le ministre de l’outre-mer, vous êtes le mieux placé au Gouvernement pour plaider la transversalité dans l’action, pour faire cesser toute crispation sur la question de l’immigration et pour faire en sorte que des réponses efficaces soient apportées : les 7 500 décisions de reconduite à la frontière sont dérisoires par rapport aux 50 000 clandestins estimés.

Le problème n’est pas insoluble. Des actions coordonnées devraient permettre de le résoudre, en prenant en considération notre positionnement géopolitique sur ce continent et le souci de bons rapports de voisinage.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’outre-mer.

M. le ministre de l’outre-mer. Les interventions sur cet article, qui vont pouvoir servir de cadre à nos échanges concernant la partie du projet de loi relative à l’outre-mer, font apparaître plusieurs éléments de réflexion communs.

Je relève d’abord qu’il y a consensus sur l’obligation d’agir en outre-mer, compte tenu de la situation très tendue, pour ne pas dire plus, que l’on observe en Guyane, en Guadeloupe et à Mayotte.

M. Mansour Kamardine. À Mayotte, c’est pire qu’ailleurs !

M. le ministre de l’outre-mer. Le deuxième élément est que cette discussion entre dans un cadre constitutionnel bien défini, dont le périmètre est connu de tous les parlementaires ultramarins, mais pas, semble-t-il – et je me tourne vers vous, monsieur Braouezec –, de quelques parlementaires métropolitains.

Vous ne pouvez en effet parler de ballon d’essai à propos de notre politique et affirmer sérieusement que l’outre-mer serait un laboratoire. Tant l’article 73 de notre Constitution, relatif aux départements et régions d’outre-mer, que l’article 74, relatif aux collectivités d’outre-mer, permettent de respecter le pacte républicain tout en adaptant nos politiques, dans l’intérêt de la République et de nos collectivités, à des contraintes particulières. Ne soulevez donc pas un problème qui n’existe pas. L’outre-mer a sa spécificité. Du fait de sa géographie et de ses contraintes territoriales, il dispose de ses propres outils juridiques, le tout dans le cadre de notre loi fondamentale.

Troisième élément de réflexion commun : des mesures isolées ne permettront pas à elles seules de résoudre le problème de l’immigration clandestine. La lutte contre cette dernière doit être couplée avec une aide au développement, clairement identifiée avec nos partenaires, et avec une politique diplomatique vigoureuse – autre pilier efficace de l’action en la matière.

Madame Taubira, personne ne conteste sérieusement le fait que, même en y positionnant l’ensemble des forces nationales de police et de gendarmerie, on ne pourrait protéger les frontières de cette magnifique région guyanaise contre les flux en provenance du Suriname, du Guyana ou du Brésil – pays avec lequel nous avons renforcé l’unité avec un très beau projet de pont sur le fleuve frontalier, négocié par les présidents Chirac et Lula. Il nous faut plutôt multiplier les accords de réadmission, avoir une action vigoureuse en matière de contrats et privilégier la politique de la main tendue. Mais il nous faut aussi – et tel est le sens du dispositif proposé – adresser un message aux pays sources. Au lendemain de notre discussion, la situation ne sera plus la même dans nos territoires en termes de capacité d’accueil.

Il faut bien le reconnaître : les tensions y sont vives. La cohésion sociale et la politique du bien vivre ensemble se trouvent menacées par les incertitudes qui demeurent avec notre système d’état civil et avec l’extrême porosité de nos frontières qui fait prendre des risques terribles pour les franchir à des hommes, des femmes et des enfants parce qu’ils pensent que la France est un Eldorado.

L’approche globale n’empêche pas une vision ciblée. Avec la politique que nous proposons, nous apportons une réponse complète tout en adaptant les dispositifs législatifs à la réalité de nos territoires.

S’agissant de Mayotte, vous connaissez, monsieur Kamardine, les positions que j’ai prises.

M. Mansour Kamardine. La République vous en remercie !

M. le ministre de l’outre-mer. Elles ont fait du bruit, je m’en félicite aujourd’hui. Elles nous permettent d’avancer sereinement, sur des bases qui recueillent, de la gauche à la droite de cet hémicycle, un consensus minimal.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 214 et 589, tendant à supprimer l’article 67.

La parole est à M. Noël Mamère, pour défendre l’amendent n° 214.

M. Noël Mamère. Messieurs les ministres, je rejoins les observations qui ont été formulées par mes collègues de l’opposition. Nous ne comprenons toujours pas pourquoi il faudrait appliquer, comme le propose l’article 67, un régime dérogatoire en outre-mer en matière de libertés fondamentales, s’agissant notamment des contrôles et du caractère non suspensif des reconduites à la frontière.

Vous invoquez une pression migratoire qui serait très supérieure à celle que nous connaissons en métropole. Un tel motif n’est pas suffisant selon nous pour remettre en cause le principe d’égalité. Les départements et territoires d’outre-mer sont pleinement dans la République. Les lois de la République doivent donc s’y appliquer pleinement, sans régime dérogatoire. Cet article 67 n’a donc pas lieu d’être.

Vous vous êtes, monsieur le ministre de l’outre-mer, félicité d’avoir engagé le débat à Mayotte – dont nous aurons l’occasion de reparler par la suite. Faut-il rappeler que vous n’avez pas hésité à remettre en cause un principe fondamental du droit français, à savoir le droit du sol ? Nous ne pouvons donc que nous interroger sur les réelles intentions – que vous partagez – du ministre d’État pour ce qui concerne la politique d’intégration, en métropole comme outre-mer, même si, les uns et les autres, nous admettons que la situation actuelle doit être gérée, mais sans remettre en cause les droits fondamentaux.

Comme Mme Taubira, enfin, il me semble que des discussions doivent être engagées afin d’établir des relations plus étroites avec les pays voisins, source de cette immigration qui pose de graves problèmes dans les départements d’outre-mer.

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec, pour soutenir l’amendement n° 589.

M. Patrick Braouezec. La loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003 a supprimé, par l’article L. 514-1 du CESEDA, le caractère suspensif des recours contre les décisions de reconduite à la frontière prises dans certaines parties de l’outre-mer. Cette procédure de recours suspensif avait été instaurée par la loi de 1989, mais avec un régime dérogatoire dans les DOM, que la loi Chevènement de 1998 a limité à cinq ans pour la Guyane et la commune de Saint-Martin. Le Conseil constitutionnel a validé cette décision, prenant en compte la possibilité de recourir à un référé administratif. Mais, nous le savons, un tel recours est très difficile à mettre en œuvre dans ces territoires.

Même si l’article L. 514-1 mentionne que « si l'autorité consulaire le demande, la mesure de reconduite à la frontière ne peut être mise à exécution avant l'expiration du délai d'un jour franc à compter de la notification de l'arrêté » et qu’un recours non suspensif est toujours possible, celui-ci n’est pas effectué.

C’est la raison pour laquelle nous proposons de supprimer l’article 67 du projet de loi et donc de s’en tenir à la loi du 18 mars 2003, sans étendre la dérogation instituée pour la commune de Saint-Martin à l’ensemble de la Guadeloupe.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Avis défavorable. Le nombre de recours contre des arrêtés de reconduite a été multiplié par six depuis 2001 en Guadeloupe. Afin de diminuer le nombre de recours dilatoires, il convient donc d’étendre temporairement à l’ensemble de la Guadeloupe le caractère non suspensif de ces recours. Les chiffres montrent en effet qu’il existe une situation particulière en Guadeloupe, qui justifie une adaptation de la loi nationale.

L’article 67 du projet de loi est donc conforme à l’article 73 de la Constitution qui permet d’adapter la loi nationale « aux caractéristiques et contraintes particulières » des départements d’outre-mer.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Même avis que le rapporteur.

Le dispositif, déjà appliqué en Guyane, a eu des effets positifs. Limité à une durée de cinq ans, il a pour objet de prévenir, comme l’a souligné M. Mariani, l’excès de recours, lesquels finissent par diluer toute mesure.

Je rappelle tout de même la situation à laquelle nous devons faire face s’agissant du nombre de reconduites à la frontière de personnes entrées illégalement sur notre territoire : près d’une reconduite sur deux concerne l’outre-mer et près d’une sur quatre la seule collectivité de Mayotte. C’est donc à une situation tout à fait exceptionnelle à laquelle les pouvoirs publics sont confrontés.

Je précise que le Conseil constitutionnel a validé le dispositif analogue s’appliquant en Guyane et que le Conseil d’État a approuvé, à la virgule près, la mesure que nous proposons. Je répète, car la pédagogie nécessite la répétition, que les articles 73 et 74 de notre Constitution nous permettent, ainsi que je l’indiquais à Patrick Braouezec, nombre d’adaptations. Il ne s’agit en aucune façon, avec l’article 67, d’une remise en cause d’un principe fondamental puisque la capacité juridique nous est offerte – même si les constitutionnalistes peuvent toujours en débattre – d’aller assez loin dans l’adaptation, en tenant compte de la spécificité de certaines collectivités.

Une fois encore, nous agissons conformément aux articles 73 et 74 de la Constitution, selon qu’il s’agit de départements, de régions ou de collectivités d’outre-mer.

M. le président. La parole est à M. Philippe Edmond-Mariette.

M. Philippe Edmond-Mariette. En l’espèce, le chemin de l’enfer, messieurs les ministres, est pavé de bonnes intentions. Le constat que vous dénoncez, nous le partageons ; la volonté d’agir, nous la partageons aussi. Mais je tiens à vous mettre en garde contre la menace de décisions administratives arbitraires que vous faites planer en venant porter de nouveau atteinte à ce que j’appelle le droit, et qui ne peut être construit que par nos juridictions.

On nous dit que le nombre de recours s’est multiplié. Mais dois-je rappeler que le recours suspensif n’existait pas auparavant pour les départements d’outre-mer et qu’il est d’application tout à fait récente ? Il a fallu que pendant près de trente ans les organisations professionnelles liées à la justice, magistrats et avocats notamment, se battent pour que cela soit mis en place.

Je vous invite donc à vous reporter au tableau concernant la Guadeloupe qui figure dans le rapport de la commission qui donne les indications suivantes : 694 arrêtés pris, dont 684 exécutés, en 2001 ; 1 033 arrêtés pris, dont 987 exécutés, en 2003 ; 1 191 arrêtés pris, dont 1 053 exécutés, en 2004.

Si notre souhait est de faciliter le départ de tous ceux qui doivent être reconduits aux frontières du département de la Guadeloupe, les chiffres que je viens de produire montrent que les arrêtés sont appliqués de manière effective à 90 %, ce qui laisse une marge de progression de moins de 10 %, où la possibilité demeure de saisir un juge administratif pour lui demander de se prononcer sur la mesure prise par le préfet. Et je rappelle à M. le ministre de l’outre-mer qu’il n’y a eu que 33 annulations contentieuses en 2003, 14 en 2004 et 18 en 2005.

Adopter l’article en discussion revient à admettre que l’on fait échapper au droit applicable pour l’ensemble de la République uniquement certaines régions. Cela pouvait se concevoir pour la Guyane et Saint-Martin, à cause de la porosité de leurs frontières terrestres, mais en aucun cas cela ne peut s’appliquer ni à la Guadeloupe ni à la Martinique.

Je demande donc à tous nos collègues et au Gouvernement de réfléchir aux conséquences que va générer l’application de ces mesures particulières, même si elles sont prises au nom de l’article 73 de notre Constitution. Cet article devait selon moi marquer un progrès pour nos régions ultramarines, et non pas être un instrument discriminant au mauvais sens du terme ; il devait aboutir à la mise en place de dispositifs adaptés qu’il nous appartient d’élaborer ensemble, et non à une réduction du droit positif.

Voilà pourquoi je reprends à mon compte la proposition de Noël Mamère et de Patrick Braouezec, invitant l’ensemble des députés à se prononcer contre l’application de dispositions particulières à la Guadeloupe.

M. le président. J’ai bien noté, monsieur Edmond-Mariette, que vous étiez favorable à ces amendements, mais vous ne les reprenez pas « à votre compte », car MM. Mamère et Braouezec ne les ont pas retirés !

La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Je voudrais d’abord souligner à quel point l’argumentation que vient de développer Philippe Edmond-Mariette est pleine de bon sens. Alors que les choses se passent actuellement plutôt bien, que souhaite faire le Gouvernement ? Durcir une situation qui ne le mérite pas, tout simplement parce qu’il s’agit d’un texte où il entend montrer qu’il est plus répressif.

Je voudrais en outre faire une observation, puisque l’article en discussion évoque Saint-Martin, où je n’ai pas encore eu le plaisir – ou la tristesse – de me rendre. Cette île de 56 kilomètres carrés a une superficie sept fois inférieure à celle de Mayotte. Elle compte dix ou quinze mille habitants et a cette particularité, qui n’est pas sans conséquence en matière d’immigration, d’être pour moitié territoire français, pour l’autre territoire néerlandais, sans naturellement la moindre frontière entre les deux. Au-delà de l’aéroport situé en territoire néerlandais, la seule manière de savoir si l’on est en France ou aux Pays-Bas est sans doute d’avoir affaire à la police ou à la justice, qui appliquent des législations différentes. Comment imaginer traiter des problèmes d’immigration clandestine dans une île où il y a deux législations en matière de police, de justice et de lutte contre l’immigration, sans qu’il y ait aucune frontière délimitée entre les deux portions du territoire ? On marche sur la tête ! Hollandais et Français ne pourraient-ils pas, alors que les deux pays sont membres de l’Union européenne, mener une politique commune ou au moins renforcer leur coordination dans leurs possessions ultramarines ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’outre-mer.

M. le ministre de l’outre-mer. Je donnerai d’abord quelques chiffres pour rappeler que le nombre de reconduites à la frontière est passé, pour la Guadeloupe, de 694 en 2001 à 1 253 en 2005 ; pour le premier trimestre 2006, nous sommes déjà à 468, soit une augmentation de 27 %. On peut ne rien faire, ne pas se poser de question, mais, là aussi, dans un esprit de responsabilité, lorsqu’on regarde les statistiques, on doit agir.

Je procéderai ensuite à un rappel. Vous contestez le Gouvernement pour ses mesures dérogatoires et rejetez les arrêtés non suspensifs pris par les préfets pour les reconduites à la frontière de personnes entrées illégalement sur notre territoire. Or cette proposition qui concerne la Guadeloupe n’est que la reprise du dispositif existant en Guyane. Permettez-moi donc de vous poser la question : de quand date ce dispositif ?

Mme Christiane Taubira. La vraie question est celle de l’efficacité !

M. le ministre de l’outre-mer. De 1998 et du gouvernement Jospin. Il ne s’agit donc ni d’idéologie ni de dogme, mais du principe de réalité face à une situation particulière qui nous conduit à agir. Je précise, parce que c’est important pour la bonne clarté de la démonstration et la sincérité de la démarche, que les mesures prises le sont pour cinq ans, car, y compris en matière d’immigration clandestine, c’est le propre d’une bonne politique publique que de procéder régulièrement à une évaluation des dispositifs mis en place.

Sans détenir la vérité absolue, nous savons que ce dispositif fonctionne, qu’il est un message adressé aux pays sources. Nous savons aussi que cette mesure ne réglera pas le problème haïtien, que l’accompagnement des politiques de développement en Haïti permettrait aux Haïtiens de rester dans leur pays, ce qu’ils préféreraient plutôt que d’être poussés par l’instabilité politique qui y règne à gagner la Guadeloupe, créant, par un effet de ricochet, des tensions sur notre territoire.

Voilà pourquoi cette mesure, actuellement en vigueur en Guyane, nous paraît devoir être appliquée à la Guadeloupe, pour une durée de cinq ans.

Évitons donc, je vous prie, les effets de vertu outragée tout comme les querelles politiciennes.

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Monsieur le ministre, permettez-moi un petit rectificatif sur ce que vous venez de dire. Vous parlez du statut spécifique de la Guyane et de Saint-Martin attaché à la loi Chevènement de 1998. Ce n’est pas tout à fait exact, puisque la loi Chevènement de 1998, tenant compte de particularités, restreignait les dispositifs en cause à ces seuls territoires, tandis qu’ils existaient auparavant pour d’autres territoires et départements d’outre-mer.

En 1998, ces mesures étaient déjà prises pour cinq ans. Or nous sommes en 2006, ce qui laisse penser que ces dispositifs, reconduits de cinq ans en cinq ans, sont voués à devenir pérennes et à prendre force de loi.

M. Mansour Kamardine. Mais si le dispositif fonctionne bien…

M. Patrick Braouezec. Par ailleurs, l’un de nos collègues rappelait tout à l’heure que les choses fonctionnaient plutôt bien dans le cadre de la loi actuelle. Vous-même, d’ailleurs, l’avez quasiment avoué en faisant état de la progression du nombre de reconduites à la frontière. Ce qui signifie que le dispositif actuel fonctionne, sauf à vouloir faire du chiffre !

Vous annonciez, lors d’une conférence de presse au Sénat au mois de novembre dernier, 2 000 reconduites à la frontière pour le département de la Guadeloupe. Si votre objectif est de faire du chiffre, contentons-nous donc de ces régimes dérogatoires sans nous interroger sur la manière dont les choses se déroulent, sur leurs causes et sur les moyens que nous aurions de faire autrement. Vous parliez de pays proches. Mais que fait-on concrètement en Haïti, qu’advient-il en matière de relations bilatérales avec le Brésil ? Ce sont là les vraies questions que l’on aimerait voir évoquer ici.

M. le président. La parole est à M. Éric Jalton.

M. Éric Jalton. Quoique opposé, comme l’ensemble de mes collègues socialistes, à ce texte sur l’immigration et l’intégration, j’y ai quand même regardé à deux fois concernant le volet outre-mer.

Nous avons été nombreux à réclamer, tous bancs confondus, que des dispositions soient prises pour endiguer l’immigration clandestine, laquelle connaît en Guadeloupe une progression exponentielle. Nous ne voulons pas connaître à terme la situation de Mayotte, tout en respectant les droits de l’homme et un certain nombre de principes républicains auxquels nous sommes attachés.

Je regrette pour cela que l’on ait commencé par la fin, par le moins important, c'est-à-dire par les réformes législatives et juridiques. Avec les parlementaires guadeloupéens, nous avons en effet fait valoir lors de la réunion du Congrès des élus régionaux et départementaux que priorité devait être accordée à l’augmentation des moyens matériels, logistiques et humains engagés dans la prévention comme dans la répression de l’immigration clandestine, à savoir la PAF, la gendarmerie, la police, les juges de la détention et des libertés, les officiers de police judiciaire ou encore les inspecteurs du travail, qui participent tous à la lutte contre l’immigration et le travail clandestins, mènent la bataille contre les marchands de sommeil et les filières clandestines, bien souvent corrélées avec le trafic de drogue – ce sont les mêmes embarcations qui font venir les uns et les autres. C’est là-dessus qu’il fallait mettre l’accent, ce qui ne dépend pas de mesures législatives.

Or, à ce jour, on a beaucoup de paroles, de promesses et d’injonctions faites aux forces de l’ordre sur les résultats à obtenir, mais on n’a pas de moyens. Le commissariat de police promis est une arlésienne, comme l’extension du centre de rétention. Nous n’avons n’y phares – la police qui arrive sur les plages est obligée de s’éclairer avec les phares des véhicules –, ni lunettes infrarouges, ni radars.

Tant de promesses pour si peu de résultats ! Il y a encore loin de la coupe aux lèvres !

Aujourd'hui, on commence par augmenter l’arsenal juridique. Les élus régionaux et départementaux de la Guadeloupe, réunis en congrès, ne se sont pas opposés à l’extension à l’ensemble du territoire de la Guadeloupe des mesures dérogatoires qui sont actuellement applicables aux seuls territoires de Saint-Martin et de la Guyane, notamment le caractère non suspensif des recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière : j’ai l’honnêteté de le reconnaître. Toutefois, le Congrès a souhaité accompagner cette résolution – qui n’est pas la plus importante de toutes celles qui ont été prises – de deux exigences : la première, que cette extension n’ait lieu qu’à titre expérimental et que la durée de l’expérimentation soit raccourcie – le texte propose cinq ans, ce qui est trop long – ; la seconde, qu’il soit possible de mettre en adéquation le délai de deux jours imparti au préfet pour ordonner l’expulsion de l’immigré clandestin et celui de cinq jours dont dispose ce dernier pour faire valoir son droit d’asile.

Or, aucune harmonisation n’est prévue dans le dispositif qui nous est proposé. La durée expérimentale de cinq ans est, je le répète, beaucoup trop longue à nos yeux et ne correspond pas en l’état aux résolutions du congrès des élus régionaux et départementaux guadeloupéens. Je ne pourrai donc voter l’article 67, à moins qu’il ne soit amendé dans le sens que je viens d’indiquer.

M. le président. La parole est à Mme Gabrielle Louis-Carabin.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. On croirait, à vous entendre, que d’un côté siégeraient les humanistes, de l’autre ceux qui ne le sont pas. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Patrick Braouezec. Nous n’avons jamais dit cela !

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Vous pouvez le nier, c’est pourtant bien ce que vous laissez entendre depuis le début du débat !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Tout à fait !

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Nous serions inhumains ! Nous n’aurions pas de cœur !

Je ne reconnais plus Éric Jalton ! Ces propositions, nous les avons pourtant cosignées, Joël Beaugendre, Éric Jalton et moi-même !

M. Éric Jalton. C'était avant le Congrès des élus guadeloupéens !

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Il a désormais changé de camp, mais il sait comme moi que la situation en Guadeloupe est explosive parce que nous sommes un archipel, que des clandestins passent sur de petits canots aux Saintes ou à Capesterre-Belle-Eau, et que, comme dans le passé à Miami, des gens meurent aujourd'hui sur nos côtes. Telle est la raison pour laquelle nous avons fait ces propositions au Gouvernement.

Il y a trois ans, un animateur de télévision, Ibo Simon, contre lequel, personnellement, je n’ai jamais défilé avec la gauche, qui l’accusait de populisme, a été brisé. Aujourd'hui, sur les ondes d’une radio, c’est au tour de M. Yoyotte d’évoquer l’immigration. Or, nous le savons, nos populations expriment des sentiments xénophobes et un maire qui donne un logement à un immigré est insulté. C’est ainsi que, récemment, une de mes compatriotes est venue se plaindre à moi de ce qu’une Haïtienne se trouvait logée au premier étage de la maison qu’elle habitait, alors qu’elle-même vivait au rez-de-chaussée ! Cet exemple vous permet de mesurer l’incompréhension qui règne aujourd'hui !

C’est pourquoi, en 2003, nous avons demandé que le dispositif, désormais prévu à l’article 67 du projet de loi, soit étendu de la Guyane et de Saint-Martin à l’archipel guadeloupéen. C’est lorsque des immigrés ont été retrouvés morts sur ma commune, Le Moule, que j’ai vraiment pris la mesure du problème et que nous avons été plusieurs à solliciter du Gouvernement la mise en place pour cinq ans de ce dispositif.

En changeant de bord, vous oubliez comment défendre votre Guadeloupe ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Éric Jalton. Je ne peux pas vous laisser dire cela !

M. René Dosière. Vous savez très bien que ce n’est pas vrai !

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Quant à moi, je défendrai toujours mon pays avant mon parti ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je demande à mes collègues de l’UMP de soutenir le Gouvernement, qui a accepté d’introduire ce dispositif en Guadeloupe : les Guadeloupéens sauront alors qui sont leurs véritables amis ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Éric Jalton. C’est vous qui faites du populisme !

M. Philippe Edmond-Mariette. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Philippe Edmond-Mariette, pour un rappel au règlement.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. La Martinique ne connaît pas les mêmes problèmes d’immigration que la Guadeloupe !

M. Philippe Edmond-Mariette. Je tiens à rappeler tout d’abord que le cœur est à la même place chez tous les humains, qu’ils soient de droite ou de gauche !

Mme Gabrielle Louis-Carabin. C’est ce que j’ai dit !

M. Philippe Edmond-Mariette. Et que nous n’avons jamais prétendu avoir le monopole du cœur !

J’ajouterai, à l’adresse de M. le ministre de l’outre-mer et de mes collègues, que si, à l’origine, la loi a prévu pour le seul hexagone le recours à caractère suspensif contre les arrêtés du préfet, c’est que ce recours n’était pas applicable dans les DOM, du fait que – chacun le sait – ceux-ci sont regroupés en une seule juridiction administrative, qui couvre aussi bien Saint-Pierre-et-Miquelon que les Antilles ou la Réunion. De plus, les magistrats étant peu nombreux, ils étaient dans l’incapacité de statuer dans les délais prévus par le texte. Aujourd'hui, la visioconférence et Internet leur permettent, en dépit de leur petit nombre, de rendre immédiatement des décisions pertinentes dans le cadre du recours suspensif.

M. Éric Jalton. Le délai de cinq ans est donc bien trop long !

Reprise de la discussion

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 214 et 589.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 443.

La parole est à M. le rapporteur, pour le défendre.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Amendement de coordination.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 443.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 67, modifié par l'amendement n° 443.

(L'article 67, ainsi modifié, est adopté.)

Article 68

M. le président. Deux orateurs sont inscrits sur l’article 68.

La parole est à M. Éric Jalton.

M. Éric Jalton. Je tiens à profiter de l’examen de l’article 68 pour dire à Mme Gabrielle Louis-Carabin, qui s’est emportée sous le prétexte que je l’aurais accusée de manquer d’humanité, que je ne me rappelle pas avoir jamais proféré une telle accusation au cours de ma précédente intervention. Votre emportement, ma chère collègue, ne repose donc sur aucun fondement.

De plus, c’est moi qui, dès mon arrivée à l’Assemblée nationale, n’ai eu de cesse d’interpeller le Gouvernement de l’époque sur l’importance des problèmes posés par l’immigration clandestine en Guadeloupe, qu’il lui appartenait de résoudre en prenant en considération les exigences que j’ai rappelées à l’instant :…

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Nous en sommes à l’article 68 ! L’article 67 a été voté !

M. Éric Jalton. …humanisme et droits de l’homme d’une part, sérieuse politique de régulation de l’immigration clandestine d’autre part, compte tenu du cortège de drames, voire d’horreurs, qui l’accompagne : des hommes, des femmes, des enfants débarqués de force au large de nos côtes, et qui meurent le plus souvent noyés ou sont livrés au bon vouloir de marchands de sommeil ou de patrons – il est vrai très peu nombreux – d’autant moins scrupuleux au regard du droit du travail qu’ils recrutent ces immigrés dans l’illégalité, puisqu’ils sont clandestins. Sur le sujet, je n’ai donc, ici, de leçon à recevoir de personne !

C’est du reste dès 2004 – j’étais à l’époque non inscrit – que,…

Mme Gabrielle Louis-Carabin. À l’époque !

M. Éric Jalton. …en compagnie de vous-même, madame Louis-Carabin, et d’autres collègues, appartenant aussi bien à la droite qu’à la gauche, j’ai demandé, malheureusement en vain, la constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur l’immigration clandestine dans l’archipel guadeloupéen. Il a fallu l’intervention controversée de M. Baroin, ministre de l’outre-mer, sur une éventuelle adaptation, voire une remise en cause du droit du sol à Mayotte, compte tenu de la situation dramatique qui y prévaut au regard de l’immigration clandestine, pour que, nécessité faisant loi, une mission d’information parlementaire soit créée sur cet archipel et qu’une commission d’enquête sénatoriale soit diligentée sur la question pour l’ensemble du territoire national et donc, naturellement, pour l’archipel de la Guadeloupe, celui-ci étant français. Ma demande de commission parlementaire – ce dont je me suis réjoui – n’avait donc plus de raison d’être.

Or, je le crains, le projet de loi n’a pas tenu suffisamment compte des résolutions du Congrès des élus régionaux et départementaux de la Guadeloupe, qui, à dessein – les gouvernements qui se sont succédé depuis 2002 sont informés des problèmes existants ! –, a mis en avant la nécessité, avant de procéder à toute réforme de l’arsenal juridique relatif notamment à la sévérité des contrôles d’identité et aux conditions d’expulsion, d’augmenter les moyens, matériels et humains qui doivent être mis à la disposition des forces de l’ordre. Ce n’est pas, en effet, une réforme de l’arsenal juridique qu’elles demandent en priorité, alors qu’elles ne disposent que de locaux vétustes et n’ont pas de véhicules appropriés ! Elles n’ont même pas la possibilité de faire le moindre contrôle ! On les occupe à la circulation ! À quoi servirait une réforme en l’absence des moyens nécessaires à son application ?

Ne mettons pas la charrue avant les bœufs, dans le seul dessein de flatter, peut-être, les personnes que Mme Louis-Carabin a citées dans son intervention et de glaner l’électorat qu’elles drainent, ce qui, il est vrai, est loin d’être mon premier objectif !

Monsieur le ministre de l’outre-mer, puisque chacun a pris sa part dans la dénonciation de la situation que nous vivons en Guadeloupe, je vous demande d’augmenter les moyens matériels et humains et de conforter la politique de co-développement, qui est absente du projet de loi.

Je le répète : si je n’ai pas voté l’article 67, c’est que le délai de cinq ans me paraît trop long et ne correspond pas aux résolutions du Congrès – je peux vous en montrer le procès-verbal.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Vous auriez dû suivre votre parti !

M. Éric Jalton. De plus, à l’instar de ce qui s’est passé en Guyane, ce délai fait courir le risque de la pérennisation de ce dispositif qui ne peut être que transitoire. Il n’a pas été amendé : c’est pourquoi nous ne l’avons pas adopté. Personne n’a en effet noté qu’alors que l’immigré clandestin dispose de cinq jours pour faire valoir son droit d’asile, le préfet peut l’expulser en deux jours ! Il y a là une incohérence que le texte aurait dû résoudre – auquel cas nous l’aurions peut-être examiné différemment.

Ces deux conditions n’étant pas remplies, le Congrès ne peut être favorable au dispositif tel que le projet de loi l’a prévu. C’est pourquoi, je le répète, il ne m’était pas possible de l’adopter.

Enfin, de grâce, madame Louis-Carabin, cessez de me prendre pour cible de vos emportements déplacés !

M. le président. Elle prenait une cible amicale, monsieur Jalton.

La parole est à M. Louis-Joseph Manscour.

M. Louis-Joseph Manscour. Suite à l’intervention de Mme Louis-Carabin, je souhaite faire trois observations.

Tout d’abord, s’il est vrai que le problème de l’immigration clandestine ne se pose pas avec la même acuité en Martinique qu’à Mayotte ou en Guadeloupe, il ne s’en pose pas moins.

Ensuite, si nous sommes tous d’accord pour résoudre les problèmes liés à l’immigration,…

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Ah bon ?

M. Louis-Joseph Manscour. …je rappellerai qu'en 2003, le Gouvernement a déjà fait voter une loi sur le sujet. S’il est besoin aujourd'hui de remettre l’ouvrage sur le métier, c’est que la loi adoptée en 2003 n’est pas suffisante, du moins à donner satisfaction à je ne sais quel groupe.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Ce n’est pas la raison !

M. Louis-Joseph Manscour. Enfin, mettons un peu d’humanité dans ce que nous faisons ! Nous le répétons : nous ne prétendons pas être plus humanistes que vous ; toutefois, nous savons que les mesures répressives ne suffiront pas à régler les problèmes. Prenons un exemple : pour assurer la surveillance des quatre-vingt-dix kilomètres de ses côtes atlantiques – parfois inhospitalières, notamment sur la presqu’île de la Caravelle –, la Martinique ne dispose que de trois douaniers !

Dépourvus de mesures d’accompagnement, les seuls textes ne suffiront pas à résoudre les problèmes que nous rencontrons. Ce qui est vrai pour la Martinique doit l’être aussi pour la Guadeloupe. Je suis presque sûr que, sans moyens, les mesures répressives prévues ne seront qu’un cautère sur une jambe de bois.

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 590.

La parole est à M. Patrick Braouezec, pour le soutenir.

M. Patrick Braouezec. Il s’agit simplement d’ajouter au texte de l’article les termes suivants : « à moins qu’ils ne demandent l’asile politique pour des raisons politiques, humanitaires ».

Le fait d’ajouter les pêcheurs vénézuéliens à la liste des pêcheurs étrangers arrêtés lorsqu’ils se livrent à la pêche illicite dans les eaux guyanaises montre, si besoin était, que vous êtes surtout préoccupés par le chiffre. Vous oubliez qu’un certain nombre de personnes ne pourront pas avoir de recours face à une mesure d’éloignement d’office expéditive, alors qu’ils peuvent certainement bénéficier de l’asile politique.

Mme Juliana Rimane. Cela n’a rien à voir !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Cet amendement n’a pas été examiné par la commission. À titre personnel, j’y suis défavorable.

L’éloignement d’office de l’équipage de ces navires, déjà possible vers d’autres États de la région, s’effectue obligatoirement avec l’accord des personnes concernées, aux termes de l’article L. 532-1 du CESEDA. Ceux qui voudraient demander l’asile pourront donc le faire sans être éloignés d’office. À mon avis, mon cher collègue, vous soulevez un faux problème.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Même avis que la commission. L’amendement vise à préciser que les marins vénézuéliens ne peuvent pas être éloignés d’office s’ils demandent l’asile. Or, le texte du Gouvernement – le rédacteur de l’amendement le sait bien – a pour objet de faciliter le retour des marins vénézuéliens. Il s’agit de leur assurer le même traitement qu’aux marins du Brésil, du Guyana et du Suriname, le Venezuela ayant été oublié dans le texte précédent.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 590.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 68.

(L'article 68 est adopté.)

Article 69

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 69.

La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Puisque cet article concerne la Nouvelle-Calédonie, je souhaite mettre l’accent sur une spécificité de ce territoire.

Au cours de la discussion, je ne me rappelle plus qui – peut-être était-ce le rapporteur – a souligné que, en matière de lutte contre l’immigration, il était difficile de connaître exactement la situation parce que les recensements qui y sont réalisés ne permettent pas de connaître l’origine des étrangers.

Monsieur le ministre, je vous avais posé une question à ce sujet et je ne me souviens pas que vous m’ayez répondu, ou alors vous êtes resté à côté de la question.

M. le ministre de l’outre-mer. Vous ne m’avez pas écouté !

M. René Dosière. Il est d’usage, en Nouvelle-Calédonie, de faire apparaître l’origine, kanak ou européenne, des habitants. Les accords de Nouméa prévoyant qu’il faut préserver la spécificité kanak, le dernier recensement a été envisagé dans ces conditions, tant il est vrai qu’il est nécessaire de savoir exactement combien de Kanaks vivent en Nouvelle-Calédonie.

Or, lors de sa visite sur les lieux, le Président de la République a profité de la question « spontanée » d’une étudiante pour affirmer qu’il était scandaleux de pratiquer un recensement en fonction de l’origine ethnique. Sans doute avait-il raison en ce qui concerne l’ensemble du territoire français, mais pas pour la Nouvelle-Calédonie, où, depuis toujours, en vertu d’une disposition renforcée par les accords de Nouméa, on doit au contraire préciser l’origine européenne ou kanak des personnes recensées. J’ajoute d’ailleurs que la CNIL avait validé cette disposition.

Finalement, les formulaires prévus ont été mis au pilon et le recensement effectué, de ce fait retardé, ne permet pas de savoir de façon très précise comment évoluent les populations kanak et européenne. Nous en reparlerons au moment d’aborder la question du corps électoral, mais, monsieur le ministre de l’outre-mer, vous savez bien qu’il est indispensable pour les Kanaks de connaître exactement l’évolution de leur population, de manière à vérifier que l’immigration européenne n’est pas excessive.

Même si mon propos se situe un peu en marge du projet de loi, j’espère que, compte tenu des rapports étroits que vous entretenez avec le Président de la République, vous aurez l’occasion de le sensibiliser à cette question, de lui montrer que ce que l’on ne peut pas accepter sur le territoire métropolitain peut très bien l’être en Nouvelle-Calédonie.

M. le président. La parole est à M. Éric Jalton.

M. Éric Jalton. Le Congrès des élus régionaux et départementaux de la Guadeloupe s’est saisi de cette question, comme en témoigne la proposition de loi déposée par Gabrielle Louis-Carabin et Joël Beaugendre, proposition que j’ai cosignée, après que toute la classe politique guadeloupéenne se fut réunie : parlementaires, conseillers régionaux, conseillers généraux, maires et représentants associatifs.

Quatre résolutions ont alors été prises. À l’exception, notamment, de Gabrielle Louis-Carabin, absente, nous avons été, devant la représentation nationale, les ambassadeurs de la classe politique guadeloupéenne, gauche et droite confondues, pour souhaiter un dispositif permettant de traiter l’immigration clandestine de manière aussi humaine qu’efficace.

La disposition dont nous discutons n’a pas été exigée par le congrès des élus guadeloupéens. Pour ma part, je n’ai pas de raison particulière de m’y opposer, mais je ne pense pas que cette disposition contribue à diminuer l’immigration clandestine outre-mer.

M. le président. La parole est à M. Mansour Kamardine.

M. Mansour Kamardine. J’avoue ma surprise quand j’entends certaines prises de position. L’article 69, en effet, est relativement simple et clair. Voici ce qu’il dit : « Sont applicables sur le territoire défini à l’article L. 111-3 les mesures d’interdiction du territoire prononcées par une juridiction siégeant à Mayotte, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie ainsi que les mesures de reconduite à la frontière et d’expulsion prononcées par le représentant de l’État » à Mayotte, et ainsi de suite.

Autrement dit, ce dispositif est à nos yeux extrêmement important, parce que nous tenons à ce que la politique de lutte contre l’immigration clandestine soit maintenue, voire amplifiée. Il en va en effet de l’exercice de la souveraineté nationale à Mayotte. En même temps, cette disposition permet de conforter l’idée que ces territoires lointains, ultramarins, sont bien français, qu’une décision de justice prise à Paris, à Papeete ou à Mayotte s’impose sur l’ensemble du territoire.

De plus, monsieur le ministre de l’outre-mer, je souhaite que cette heureuse mesure soit confortée par le vote de l’amendement devant permettre aux détenteurs d’un titre de séjour à Mayotte, de résider n’importe où sur le territoire français. Il s’agit d’un élément d’équilibre.

Enfin, comme ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, M. le ministre d’État a donné un titre parfaitement clair au projet de loi – il s’agit d’un texte à la fois ferme et juste. La justice, c’est permettre à ceux dont on estime qu’ils peuvent résider chez nous de circuler librement. Aussi la disposition qui nous est proposée mérite-t-elle un vote unanime de l’Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Didier Quentin. Très bien !

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 444.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 444.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 69, modifié par l'amendement n° 444.

(L'article 69, ainsi modifié, est adopté.)

Article 70

M. le président. La parole est à M. Éric Jalton, inscrit sur l’article 70.

M. Éric Jalton. Ce dispositif ne paraît pas limité dans le temps. S’il s’agit de permettre aux forces de l’ordre de procéder plus facilement à des contrôles d’identité dans des zones bien définies, comme c’est le cas par ailleurs dans l’espace Schengen, ce n’est pas contraire aux résolutions adoptées par les élus régionaux et départementaux guadeloupéens.

J’aurais préféré, pour ma part, que ce dispositif soit transitoire, à l’instar de ce que propose l’article 67, prévoyant une durée déjà un peu longue. Reste qu’en l’état actuel des débats, nous n’avons pas d’opposition à faire valoir.

Toutefois, je rappelle que, si l’on peut se réjouir de la mise en place de cet arsenal juridique, la situation ne changera pas tant que les forces de l’ordre ne disposeront pas de moyens matériels supplémentaires pour accomplir leur mission – voitures dignes de ce nom, équipements de télécommunications modernes, effectifs suffisants. L’arsenal juridique a beau être renforcé, la loi ne sert à rien si les moyens ne suivent pas.

Or, ce pourrait être l’occasion de recruter et de former de jeunes Guadeloupéens très enclins à intégrer la gendarmerie, la police de l’air et des frontières, les douanes, la police nationale ou l’inspection du travail. Ainsi créerait-on des emplois en Guadeloupe, les Guadeloupéens pouvant dès lors rester chez eux et participer au développement de leur île tout en y défendant la souveraineté nationale et en y maintenant la cohésion sociale.

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 215, tendant à supprimer l’article 70.

La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir cet amendement.

M. Noël Mamère. Par l’amendement n° 215, nous proposons effectivement de supprimer l’article 70 qui prévoit la possibilité de procéder à des contrôles dits frontaliers, en application du code de procédure pénale appliqué depuis 1993.

Ces dispositions ont été étendues dans un premier temps à la Guyane. Le projet de loi prévoit, d’ailleurs, d’y élargir les zones frontalières. En outre, cet article étend à la Guadeloupe et à Mayotte les contrôles d’identité frontaliers et l’immobilisation des véhicules de manière non motivée. Il faut noter qu’à Mayotte, le projet envisage de porter à huit heures, au lieu de quatre, comme le prévoit le code de procédure pénale, le temps maximal pendant lequel une personne peut être retenue pour vérification de son identité.

Rien ne justifie, selon nous, cette dérogation au code de procédure pénale. C’est la raison pour laquelle, conformément à la philosophie que nous défendons depuis le début de l’examen de ce texte, à savoir que les départements d’outre-mer ne doivent pas faire l’objet d’un traitement dérogatoire, nous demandons la suppression de cet article.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Mansour Kamardine.

M. Mansour Kamardine. Avec cet article, nous allons bien au-delà de questions de philosophie, puisqu’il y va de la survie d’une population. Certains de mes collègues n’ont jamais eu l’occasion d’aller à Mayotte. Je les invite à venir y constater la situation.

M. René Dosière. D’autant que le député de Mayotte reçoit très bien !

M. Mansour Kamardine. Merci, mon cher collègue.

M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, monsieur Kamardine !

M. Mansour Kamardine. Je me permets, monsieur le président, de saluer le travail fourni par notre rapporteur, sous la conduite précisément de M. Dosière.

M. le président. Il n’a pas à vous interrompre pour autant !

M. Mansour Kamardine. Ils ont réalisé un excellent travail qui permet de dépasser les questions philosophiques et d’être au cœur des réalités pratiques. J’aurais aimé, du reste, que le texte que nous examinons cet après-midi soit un projet visant à lutter contre l’immigration clandestine à Mayotte, tant notre situation est particulière – tout le monde en a d’ailleurs convenu.

Prétendre que la mesure consistant à procéder à des contrôles frontaliers sur un kilomètre tout autour de Mayotte ne serait pas adaptée et que déroger aux quatre heures d’immobilisation ne serait pas justifié montre une méconnaissance totale des réalités du terrain. Lorsque nous souhaitons un renforcement des moyens de contrôle de l’immigration à Mayotte, assurément, c’est non seulement dans l’intérêt de la collectivité départementale et de la France tout entière, mais aussi dans celui des populations qui cherchent à se rendre à Mayotte.

M. Didier Quentin. Il a raison !

M. Mansour Kamardine. Je veux vous en convaincre, monsieur Mamère. Il faut aller voir ! Lorsqu’on est humain, que l’on a un cœur qui bat, on ne peut qu’être touché par les drames humains qui surviennent là-bas et on ne peut que vouloir les empêcher ! Nous savons tous que le bras de mer qui sépare les Comores, Anjouan et Mayotte est le plus grand cimetière de l’Océan Indien ! Comment rester insensibles et régler les problèmes comme s’ils se posaient à Paris ?

Nous avons le devoir – et c’est de notre responsabilité – de renforcer nos moyens de contrôle, afin de dissuader tous ceux qui veulent entrer à Mayotte de le faire, en les persuadant qu’ils se feront prendre. Ce faisant, nous protégeons des vies humaines, en amont.

Ce texte me paraît donc tout à fait conforme aux souhaits de tous ceux qui ont un cœur et qui peuvent être blessés par la perte dramatique d’un ami, d’un voisin, d’un cousin.

M. Didier Quentin. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 215.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 445.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 445.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 446.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Amendement rédactionnel et de précision.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 446.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 113…

M. René Dosière. Et l’amendement n° 447 ?

M. le président. Il a été retiré.

La parole est à M. Mansour Kamardine, pour soutenir l’amendement n° 113.

M. Mansour Kamardine. Cet amendement, adopté par la commission, vise à tenir compte des caractéristiques géographiques et topographiques de Mayotte, ainsi que des moyens de déplacement dont on dispose dans l’île, et donc de donner aux forces de police les moyens d’exercer pleinement et de manière efficace la mission qui leur est confiée par l’État.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 113.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 448.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Amendement de précision.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 448.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 70, modifié par les amendements adoptés.

(L'article 70, ainsi modifié, est adopté.)

Article 71

M. le président. La parole est à M. Éric Jalton, inscrit sur l’article 71.

M. Éric Jalton. J’aimerais avoir quelques précisions sur le dispositif prévu par cet article, en particulier sur la destruction de véhicules terrestres qu’il autorise. De quel type de véhicules s’agit-il ? De véhicules à usage particulier, comme j’ai cru le comprendre dans les propos de M. le ministre ? En outre, au moment où l’on parle d’économies, de lutte contre toute forme de gaspillage, la destruction de véhicules ne présente pas d’intérêt. Ne vaudrait-il pas mieux les « neutraliser » d’une autre manière – mise aux enchères publiques, don aux associations caritatives ou à une collectivité, etc. ?

M. le président. La parole est à M. Mansour Kamardine.

M. Mansour Kamardine. Cette disposition est d’une importance capitale pour nos territoires ultramarins, notamment Mayotte. Je vais vous le montrer rapidement à l’aide d’un exemple.

À la veille de la crise – majeure – qui a secoué Mayotte, où nous avons été au bord d’un affrontement entre communautés, le préfet a eu la sagesse de contrôler les taxis sur la voie publique. On s’est aperçu que, sur environ un millier de véhicules en circulation, plus de quatre cents étaient en situation irrégulière : pas d’immatriculation ni d’inscription au registre du commerce, pas de chauffeur déclaré ! Véhicules et chauffeurs étaient clandestins !

M. René Dosière. Les passagers aussi ! (Sourires.)

M. Mansour Kamardine. Bien sûr !

La mission que vous présidiez, monsieur Dosière, lorsqu’elle s’est rendue sur place, s’en est émue, et l’initiative de la présente proposition lui revient.

Le préfet a donc fait retirer ces véhicules de la circulation, mais, curieusement, il n’a pu les retirer que momentanément. Par la suite, les officiers de police ont dû les rendre à leurs propriétaires. Ils sont donc, aujourd’hui encore, en circulation.

Telle est la situation dans laquelle nous nous trouvons à Mayotte.

Mes chers collègues, je le répète, cette disposition est extrêmement importante si nous voulons lutter contre les filières d’immigration clandestine, contre l’exploitation innommable d’être humains sur nos territoires, qui sont des territoires de la République.

Cette proposition, issue du rapport de la mission d’information, a été adoptée à l’unanimité par cette dernière.

M. René Dosière. Comme toutes les propositions du rapport !

M. Didier Quentin. Je le confirme !

M. Mansour Kamardine. En effet !

Par conséquent, au moins sur ce point, nous pourrions tous nous retrouver, sur quelque banc que nous siégions.

M. Didier Quentin. Parfaitement !

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 216, tendant à supprimer l’article 71.

La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir cet amendement.

M. Noël Mamère. Le projet insère une nouvelle disposition dans le CESEDA qui permet au procureur de la République, sur le territoire de la Guyane, d’ordonner la destruction des embarcations fluviales non immatriculées qui ont servi à commettre les infractions d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers des étrangers. Ces infractions devront avoir été constatées par procès-verbal. Mais – et c’est étrange – la destruction de ces embarcations est soumise à une autre condition, à savoir qu’« il n’existe pas de mesures techniques raisonnablement envisageables pour empêcher définitivement le renouvellement de ces infractions ». J’aimerais savoir, monsieur le ministre, comment cette condition pourra être appréciée. On peut imaginer, avec une telle formulation, que ces embarcations seront quasi systématiquement détruites.

De la même façon, en Guadeloupe, en Guyane et à Mayotte, le procureur de la République pourra, en dehors de tout jugement, concernant les véhicules terrestres, les immobiliser « par la neutralisation de tout moyen indispensable au fonctionnement du véhicule ». On retrouve à peu près la même condition que celle exigée pour la destruction des embarcations. Je pense qu’il faut entendre par « neutralisation » du véhicule sa destruction, tout simplement.

Il s’agit là encore de dispositions qui portent atteinte aux droits fondamentaux. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement de suppression de l’article 71.

Cela dit, nous avons bien conscience, monsieur Kamardine, que la situation n’est pas simple à gérer, mais nous pensons que ce n’est pas par de telles dispositions que vous contribuerez à l’améliorer. Nous aurons l’occasion de le voir encore quand nous examinerons les mesures concernant ce que l’on peut appeler « la paternité de complaisance ».

M. Mansour Kamardine. J’espère qu’à ce moment-là, vous serez avec nous !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Cet amendement a été repoussé par la commission. L’article 71 permettra d’éviter le renouvellement des infractions en privant les filières clandestines de leurs moyens matériels. Il sera donc, comme l’a démontré M. Kamardine, très utile sur le terrain.

Pour ce qui est des « mesures techniques raisonnablement envisageables » auxquelles vous faisiez allusion, monsieur Mamère, ce peut être la mise en fourrière du véhicule. Pour une pirogue laissée parfois à plusieurs heures de marche d’une ville, en revanche, la destruction semble logique. En tout état de cause, l’intervention de l’autorité judiciaire est garantie.

Par ailleurs, qu’entend-on par « neutralisation » ? Ce n’est pas la destruction du véhicule. Cela peut consister à retirer une pièce du moteur ou à mettre en place un sabot. En l’espèce, neutralisation n’a rien à voir avec destruction.

M. Éric Jalton. Dans l’exposé des motifs, on parle de destruction !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l’amendement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Monsieur Mamère, je le répète mais la répétition est la meilleure des pédagogies –, vous ne pouvez pas faire comme si de rien n’était. Vous ne pouvez pas nier l’évidence. Telle est la réalité géographique et statistique de ce territoire. On ne saurait appliquer à Mayotte la méthode de gestion adoptée, en vertu des principes républicains qui nous sont communs, en métropole.

Monsieur Mamère, j’ignore si vous connaissez la Guyane, mais c’est un immense territoire bordé de 3 000 kilomètres de frontières et encadré par deux fleuves assez grands pour mériter la dénomination de fleuves et suffisamment étroits pour permettre à des clandestins de faire plusieurs allers-retours dans la même journée. Ceux-ci peuvent, en toute illégalité, pratiquer l’orpaillage ou s’installer de façon plus pérenne dans des villages clandestins, voire s’infiltrer plus avant dans le territoire guyanais.

Respecter l’État de droit, c’est donner aux pouvoirs publics les moyens juridiques de procéder, dans le respect de la Constitution, à l’arrestation des personnes qui entrent illégalement sur notre territoire.

Nous aurons l’occasion de le rappeler lorsque nous débattrons de Mayotte : la situation particulière de ces territoires justifie que l’on prenne des mesures dérogatoires au droit commun. Nier cette évidence, c’est risquer d’aboutir à des conclusions erronées, voire fallacieuses.

Sur le fond, je reprendrai les arguments développés par le rapporteur : s’agissant de la Guyane, il convient en effet d’autoriser la destruction d’embarcations fluviales – un gendarme est d’ailleurs décédé pour avoir tenté d’intercepter une de ces pirogues au début de l’année. Si nous les laissions se multiplier, la situation deviendrait rapidement intenable.

Quant aux véhicules terrestres, il en va autrement puisqu’il est possible de les intercepter et de les mettre hors d’état de fonctionner, pour faciliter les fouilles, sans les détruire.

Il s’agit là d’un outil indispensable pour les représentants de l’État en matière de maîtrise de la force publique.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 216.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 591.

La parole est à M. Patrick Braouezec, pour le soutenir.

M. Patrick Braouezec. Je partage le sentiment de M. Mamère : la formulation de l’article 71 me semble trop floue. Son alinéa 3 permet ainsi de confier au seul procureur de la République la décision de « neutraliser » des embarcations « lorsqu’il n’existe pas de mesures techniques raisonnablement envisageables pour empêcher définitivement le renouvellement de ces infractions ».

Par ailleurs, il existe une différence de traitement entre les véhicules terrestres et les embarcations, qui n’est pas justifiée. J’ai bien entendu les explications de M. Mariani, mais elles ne m’ont pas convaincu.

Voilà pourquoi nous proposons, par l’amendement n° 591, de supprimer les alinéas 1 à 3 de l’article 71.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Cet amendement n’a pas été examiné par la commission. J’y suis, à titre personnel, défavorable.

Le Gouvernement entend, par la référence à l’absence de mesures techniques « raisonnablement envisageables », éviter le renouvellement des infractions. En effet, il n’est pas possible de mettre en fourrière des embarcations fluviales. Voilà pourquoi, contrairement aux véhicules terrestres, nous proposons de les détruire.

Cela étant, votre amendement me semble irréaliste : je vois mal comment on pourrait appliquer la mesure que vous préconisez en pleine forêt guyanaise ! Celle-ci étant immense, il est très difficile de communiquer avec Cayenne…

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Même avis défavorable, pour des raisons pratiques.

Il faut regarder la réalité en face. Lorsque des Brésiliens installent des abris clandestins sur les rives guyanaises du fleuve Oyapock et pratiquent l’orpaillage illégal, nos militaires doivent pouvoir détruire leurs pirogues et leurs habitations de fortune dans le cadre des opérations Anaconda. Un cadre juridique stable est nécessaire pour éviter la formation de no man’s land – voire, à terme, de véritables villages – qui pourraient empêcher l’installation de véritables activités industrielles. La destruction des pirogues est par conséquent un outil indispensable et nous espérons qu’elle sera suffisante pour éviter un appel d’air.

S’agissant de Mayotte, nous agissons dans le même esprit : la courte distance qui sépare certaines îles des Comores de ce territoire français permet aux embarcations de passeurs, qu’on appelle là-bas les kwasa-kwasa, d’effectuer plusieurs allers-retours par jour et de nuit, avec le risque que cela représente pour les personnes transportées. La destruction des embarcations est donc une nécessité absolue si nous voulons affirmer une politique et lutter efficacement contre l’immigration clandestine. C’est un argument juridique, et de bon sens.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 591.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 71.

(L'article 71 est adopté.)

Article 72

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 592, tendant à supprimer l’article 72.

La parole est à M. Patrick Braouezec, pour soutenir cet amendement.

M. Patrick Braouezec. Notre amendement vise à supprimer l’article 72 qui limite considérablement la liberté de circulation dans les départements d’outre-mer. Nous ne comprenons pas pourquoi il existerait des normes particulières pour un travailleur détenant une carte de résident ou de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ». Si cette personne trouve un travail en dehors des départements d’outre-mer, par exemple en métropole, cet article ne lui permet pas d’aller y exercer son activité professionnelle salariée dans le cadre de la législation. Nous ne comprenons pas la raison de cette interdiction de circuler dès lors que la personne a une autorisation de travail.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Cet amendement n’a pas été examiné en commission. À titre personnel, j’y suis défavorable.

Il ne résultera de cet article aucune détérioration de la situation des étrangers travaillant légalement dans les départements d’outre-mer. L’article L. 831-2 du code du travail prévoit actuellement que la carte de résident n’autorise le salarié à travailler que dans le DOM de délivrance. Nous ne faisons ici qu’étendre le champ de cette autorisation de travail aux cartes de séjour temporaires portant la mention « vie privée et familiale ».

Sur le fond, chaque département d’outre-mer présente une population étrangère d’importance variable. Il faut éviter que leurs marchés du travail, souvent fragiles, ne se déstabilisent mutuellement du fait de cette immigration.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Défavorable.

En effet, la rédaction proposée vise, d’une part, à actualiser le droit existant et, d’autre part, à autoriser les détenteurs d’une carte de séjour temporaire à exercer une activité. Je précise qu’il s’agit également d’appliquer à l’outre-mer des dispositions prises pour la métropole dans ce projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Philippe Edmond-Mariette.

M. Philippe Edmond-Mariette. J’entends bien que cet article vise à harmoniser le droit applicable en métropole et en outre-mer. Mais, monsieur le ministre, peut-être pourriez-vous nous donner quelques précisions, qui seraient consultées avec attention en cas d’éventuelles procédures judiciaires. Je rappelle qu’aucun sous-amendement n’a été déposé sur cette partie du texte.

Prenons l’exemple de spécialistes du BTP en situation régulière, employés en Guadeloupe, généralement experts en fondations et d’origine anglophone. Il arrive fréquemment qu’une entreprise située en Guadeloupe envoie une équipe travailler en Martinique. Si l’on avait appliqué stricto sensu l’article L. 831-2 du code du travail, ces employés n’auraient pas pu participer à la construction du centre hospitalier du Lamentin en Martinique.

Il conviendrait que vous précisiez que le texte n’aura pas vocation à s’appliquer dans de tels cas.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’outre-mer.

M. le ministre de l’outre-mer. Monsieur Edmond-Mariette, je le précise bien volontiers pour vous donner un cadre juridique clair : il s’agit de tirer les conséquences de la rédaction de l’article L. 313-12 du CESEDA qui dispose qu’un étranger détenteur d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » peut exercer une activité professionnelle. Vous le savez, car vous êtes juriste de formation, et nous connaissons votre appétence en la matière.

Par ailleurs, cet article reprend les dispositions des articles 10 et suivants de ce projet, notamment celles de l’article 13, qui mentionne que l’autorisation de travail peut être limitée à certaines activités professionnelles ou à certaines zones géographiques, afin de les étendre aux départements d’outre-mer dont traite le livre VIII du code du travail.

M. Patrick Braouezec. Vous ne répondez pas à la question !

M. le président. La parole est à M. Bernard Roman.

M. Bernard Roman. La réponse de M. le ministre m’inquiète.

M. Baroin a clairement indiqué qu’une personne autorisée à travailler dans une région pourra obtenir un renouvellement de sa carte de séjour temporaire si elle trouve du travail ailleurs. Mais apparemment, cela vaut pour la métropole, non pour les DOM.

Ainsi, un médecin surinamien, nommé dans un hôpital en Guyane, pourra, au bout de dix-huit mois, faire venir sa famille dans le cadre d’une procédure de rapprochement familial. Les membres de sa famille obtiendront une CST, valable cinq ans, avant d’obtenir une carte de résident. Mais si ce médecin accepte un poste dans un hôpital parisien, sa famille ne pourra pas le suivre puisqu’elle ne sera pas autorisée à travailler. (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Cela pose un problème d’égalité car, si ce que nous a dit le ministre est vrai, il n’y a aucune raison de considérer que les cartes délivrées dans les DOM sont des sous-titres ouvrant des droits inférieurs à celles distribuées en métropole…

M. Patrick Braouezec. Cela exige une réponse !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Thierry Mariani, rapporteur. En réalité, cet article n’apporte aucun élément nouveau, mais procède à la coordination de règles existantes. Aujourd’hui déjà, lorsque l’on obtient une carte de séjour dans un DOM, on ne peut pas venir travailler en métropole. Vous ne pouvez pas ainsi extrapoler.

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Vous ne répondez pas exactement à la question, monsieur le rapporteur. Il se trouve que cette disposition figure dans un texte dont la tonalité générale – M. Roman et M. Braouezec l’ont rappelé – est tout à fait particulière. Ce projet de loi n’est pas spécifique à l’outre-mer, et la plupart de ses dispositions sont applicables en métropole. On ne voit donc pas pourquoi les départements d’outre-mer feraient l’objet, ici, d’un traitement différent.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’outre-mer.

M. le ministre de l’outre-mer. Sur le plan juridique, il me semble avoir précisément répondu à M. Edmond-Mariette, qui s’interrogeait sur d’éventuels recours. La situation de l’emploi doit être appréciée dans chaque département, ce qui est pleinement conforme à l’article 72 de la Constitution, issu de la révision de 2003. Si un étranger veut changer de département de résidence et continuer à travailler, il devra solliciter une nouvelle autorisation auprès du préfet de son nouveau domicile. C’est aussi simple que cela. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Patrick Braouezec. C’est flou !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 592.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 114.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de cohérence.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 114.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 72, modifié par l’amendement n° 114.

(L’article 72, ainsi modifié, est adopté.)

M. le président. Nous en venons aux amendements portant articles additionnels après l’article 72.

Après l’article 72

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 230.

La parole est à M. Mansour Kamardine, pour le soutenir.

M. Mansour Kamardine. Cet amendement, inspiré par le bon sens paysan et la pratique sur le terrain, vise à appliquer à Mayotte l’article L. 611-3 du CESEDA, qui autorise à prendre les empreintes digitales des étrangers non admis à l’entrée sur le territoire. Souvent, en effet, les mêmes personnes font l’objet, dans la même année, de plusieurs reconduites à la frontière. À chaque fois, elles se présentent avec un état civil différent : un jour, elles s’appellent Mahdi, un autre Bakar, la troisième fois Husseini, etc. Les empreintes permettront de les identifier définitivement.

M. Jérôme Rivière. C’est le bon sens !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Favorable. Il paraît effectivement utile de permettre la prise de données biométriques sur les étrangers faisant l’objet d’une procédure de non-admission à Mayotte. De plus, une telle mesure permettra d’éviter le renouvellement d’infractions aux règles d’entrée et de séjour des étrangers. Enfin, la police aux frontières gagnera du temps dans l’identification des clandestins à reconduire.

M. Mansour Kamardine. Je savais que nous avions un excellent rapporteur !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Le Gouvernement est favorable, et même très favorable à l’amendement, et tient à remercier M. le député Kamardine pour cet enrichissement précieux et utile du texte.

M. Mansour Kamardine. Merci, monsieur le ministre !

M. le ministre de l’outre-mer. Outre les arguments déjà développés par M. le rapporteur, je rappellerai qu’une reconduite à la frontière sur quatre, d’après les statistiques nationales, concerne Mayotte, ce qui signifie que les mêmes personnes y viennent souvent plusieurs fois. J’ai pu dresser, sur place, le même constat que la commission présidée par M. Dosière, et dont le rapporteur était M. Quentin : nous avons besoin de moyens nouveaux afin de mieux maîtriser les flux migratoires.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 230.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je constate que le vote est acquis à l’unanimité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je suis saisi d’un amendement n° 31.

La parole est à Mme Gabrielle Louis-Carabin, pour le soutenir.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Cet amendement tend à mettre en place en Guadeloupe un observatoire de l’immigration. Comme la Guyane et la Réunion, la Guadeloupe est en effet confrontée à une immigration clandestine dont les effets sont particulièrement déstabilisateurs pour son développement économique et social.

Il importe d’avoir une connaissance beaucoup plus précise de l’efficacité des dispositifs et de les ajuster aux réalités locales, d’où l’intérêt d’instituer un tel observatoire.

M. Jérôme Rivière. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Favorable. La commission, qui a adopté l’amendement, a jugé, comme vous, utile de prévoir dans la loi même une commission chargée d’étudier l’immigration en Guadeloupe et en Martinique, compte tenu de la forte immigration clandestine que connaissent ces deux départements. À titre personnel, il me semblerait toutefois préférable de fusionner en un même observatoire les commissions qui existent déjà, depuis la loi du 26 novembre 2003, en Guyane et à la Réunion, plutôt que de créer un observatoire compétent pour les seuls départements de Guadeloupe et de Martinique. Toutefois, nous aurons le temps d’y revenir lors des navettes.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Favorable. Vous avez en fait anticipé, madame la députée, une mesure que le ministère souhaitait proposer. Nous ne pouvons donc qu’approuver une telle initiative.

M. le président. La parole est à M. Éric Jalton.

M. Mansour Kamardine. Sans doute pour approuver l’amendement !

M. Éric Jalton. En effet, et cela prouve que nous ne sommes pas sectaires. Le congrès des élus régionaux et départementaux, qui rassemble, je le rappelle, pratiquement tous les élus de Guadeloupe, avait d’ailleurs fait une proposition analogue, dans le but de résoudre les problèmes liés à l’emploi et à l’intégration des immigrés. Cet observatoire permanent, qui viendrait compléter le travail de la commission d’enquête dont j’avais demandé la création, est donc bienvenu. Pour des raisons d’efficacité et de souplesse, il me semblerait préférable de mettre en place au moins un observatoire pour les Antilles et la Guyane, et de dissocier les instances compétentes pour les différentes zones de notre outre-mer.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 31.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je constate que le vote est acquis à l’unanimité.

Je suis saisi d’un amendement n° 228 rectifié.

La parole est à M. Mansour Kamardine, pour le soutenir.

M. Mansour Kamardine. Comme Mme Rimane, j’ai pu constater sur le terrain que certains étrangers en situation irrégulière pouvaient connaître mieux que nous-mêmes la législation française et cherchaient systématiquement à la contourner. Ainsi, lorsque certaines personnes, entrées et installées illégalement sur le territoire national, finissent par être appréhendées, elles font état de menaces dans leur pays d’origine et demandent à bénéficier du droit d’asile, ce qui revient à contrecarrer la procédure de reconduite à la frontière. L’amendement n° 228 rectifié vise à remédier à cette difficulté et à renforcer l’efficacité du texte.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. L’amendement a été repoussé par la commission, car il encourt le risque de se voir censuré par le Conseil constitutionnel, …

M. Patrick Braouezec. En effet !

M. Thierry Mariani, rapporteur. …alors que son bénéfice serait très faible. Il n’est en effet pas du tout évident que la décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993, évoquée dans l’exposé des motifs, puisse être interprétée comme autorisant à priver un étranger du droit de demander l’asile, même tardivement. Il s’agit en effet d’un droit constitutionnellement garanti.

En outre, il faudrait pouvoir démontrer que Mayotte et la Guyane connaissent une situation particulière en matière d’asile, ce qui n’est, chiffres à l’appui, pas du tout avéré.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Même avis. Le dispositif actuel nous paraît solide, et nous préférons nous y tenir. Les demandes d’asile peuvent être considérées comme dilatoires ; par conséquent, elles ne donnent pas lieu à la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour. De fait, l’étranger peut être placé dans un centre de rétention administrative, et sa demande peut faire l’objet d’un examen prioritaire par l’OFPRA.

Cette raison ainsi que le risque réel d’inconstitutionnalité m’amènent à souhaiter le retrait de l’amendement.

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Une fois n’est pas coutume : je suis en plein accord avec le rapporteur.

M. Bernard Roman. Et avec le Gouvernement !

M. Mansour Kamardine. Il ne faut jamais désespérer !

M. René Dosière. Je souhaiterais simplement une précision chiffrée sur le nombre de demandes d’asile à Mayotte. Je n’ai plus le chiffre en tête, je l’avoue, mais je me souviens qu’il est faible.

M. Bernard Roman. Quelques dizaines par an, tout au plus !

M. René Dosière. Indépendamment de l’argument de fond, il me semble donc que le problème ne se pose pas.

M. le président. La parole est à M. Mansour Kamardine.

M. Mansour Kamardine. Je ne dispose pas des chiffres.

M. René Dosière. Personne ne les aurait donc ?

M. Mansour Kamardine. Mais il s’agit d’une réalité constatée sur le terrain.

M. René Dosière. La Constitution s’applique aussi sur le terrain !

M. Mansour Kamardine. Un des problèmes qui se posent à notre république est la tendance à parler pour quelqu’un d’autre. Ainsi, tout le monde se met à la place du Conseil constitutionnel…

M. Jérôme Rivière. Tout à fait !

M. Mansour Kamardine. Dès lors, il ne sert à rien d’insister. Je retire l’amendement, et je me plie à la position du rapporteur et du ministre, dont je connais la grande sagesse. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Roman. M. Baroin finira sans doute au Conseil constitutionnel !

M. le président. L’amendement n° 228 rectifié est retiré.

La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. M. Louis Kamardine venant de retirer son amendement, je n’ajouterai que peu de précisions, si ce n’est que notre collègue porte, selon moi, un regard quelque peu spécifique, voire spécieux, sur les personnes qui connaissent la loi. Nous n’avons pas à nous plaindre que, même si elles ne sont pas dans une situation régulière, certaines appréhendent la loi française. Nous pouvons aussi comprendre que toutes n’aient pas le réflexe instantané de demander le droit d’asile. Toutefois, une demande de droit d’asile doit être à Mayotte, comme dans les autres départements français, métropolitains ou non, prise en considération et rejetée si besoin est. Nous devons cependant leur en laisser la possibilité.

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 32.

La parole est à Mme Gabrielle Louis-Carabin, pour le soutenir.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. L’amendement n° 32, ainsi que l’amendement n° 34, tendent à lutter contre les reconnaissances frauduleuses d’enfants à naître de mères immigrées. L’amendement n° 32 concerne les départements d’outre-mer et le second la Guadeloupe et la Guyane.

M. Mansour Kamardine. Très bien !

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Le Gouvernement serait-il prêt à les accepter ?

M. Bernard Roman. Mais c’est une incitation à la non-reconnaissance !

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Je sais, mais ce problème se pose chez nous !

M. le président. Je suis en effet saisi d’un amendement n° 34.

Quel est l'avis de la commission sur les amendements nos 32 et 34 ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Chère collègue, les amendements n°s 32 et 34 – et j’en suis désolé – ont été rejetés par la commission. L’article 73 de la Constitution permet seulement d’adapter la loi dans les départements d’outre-mer pour tenir compte des « caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. » Or, à ce jour, rien ne prouve, à moins que vous ne disposiez d’éléments à nous communiquer, que la situation des DOM soit singulière pour ce qui concerne les reconnaissances de complaisance.

Ces amendements sont donc contraires à la Constitution.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Avis défavorable pour les raisons précisément évoquées par le rapporteur.

M. le président. La parole est à Mme Gabrielle Louis-Carabin.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Dans notre département, une telle situation existe. Moyennant rémunération, des Guadeloupéens reconnaissent des enfants dont ils ne sont pas les pères. Mais j’entends ces réserves constitutionnelles et je retire les deux amendements. Toutefois, cela continuera de poser un problème dans quelques années. Nous serons alors obligés de l’évoquer à nouveau si toutes les dispositions, surtout celle de l’article 67, ne sont pas mises en œuvre et qu’aucun moyen ne nous est octroyé.

M. le président. Les amendements n°s 32 et 34 sont retirés.

La parole est à M. Éric Jalton.

M. Éric Jalton. Nous sommes effectivement confrontés à ce problème en Guadeloupe, mais comme en France métropolitaine. Il n’existe donc pas de spécificité en la matière.

Pour endiguer le problème en Guadeloupe, point n’est forcément besoin de renforcer l’arsenal juridique. Il me semble de meilleure méthode de donner des moyens matériels et humains à ceux qui ont pour mission d’agir, de prévenir et de guérir. Je comprends toutefois le souci de Mme Louis-Carabin. S’il existait un autre moyen que cette mesure anticonstitutionnelle pour y faire face tout en en respectant les droits de l’homme et du citoyen, ce serait une bonne chose.

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 468.

La parole est à Mme Juliana Rimane, pour le soutenir.

Mme Juliana Rimane. Les différentes investigations menées par le Parlement dans le cadre de la mission d'information sur l'immigration à Mayotte et la commission d'enquête sénatoriale ont confirmé que les étrangers en situation irrégulière représentent une charge financière importante. Cette dernière incombe aux collectivités territoriales du fait de l'obligation d'aide sociale et de scolarisation.

En matière de santé dans les Antilles, entre 20 et 25 % des femmes étrangères se présentant dans les services de la protection maternelle et infantile étaient déjà enceintes à leur entrée sur le territoire. De nombreux étrangers souffrant de diverses pathologies viennent aussi pour se faire soigner : plus des trois quarts des patients suivis pour une infection au VIH sont de nationalité étrangère. Le système éducatif subit une pression analogue : le nombre d'enfants scolarisés augmente en partie en raison du nombre croissant d'élèves dont les parents sont en situation irrégulière.

Comment maintenir la qualité du service public face à cette inflation des besoins ? Par conséquent, il serait judicieux d'ajuster la dotation globale de fonctionnement.

M. Noël Mamère. Cela me paraît totalement impossible !

M. René Dosière. C’est incroyable ! Comment cet amendement est-il arrivé jusqu’ici ?

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Cet amendement n’a pas été examiné par la commission. À titre personnel, bien que je comprenne tout à fait les préoccupations justifiées de notre collègue, j’émettrai un avis défavorable. En effet, un texte sur l’immigration n’est pas le bon véhicule pour bouleverser les règles d’attribution de la DGF.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Avis également défavorable.

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Cet amendement n’aurait pas dû venir en séance, puisqu’il tombe sous le coup de l’article 40 de la Constitution, sauf à considérer qu’il s’agit d’une répartition nouvelle sur la base de la dotation globale de fonctionnement.

M. Bernard Roman. Non, il y a un nouveau prélèvement !

M. Patrick Braouezec. Je profiterai de cette occasion pour préciser que certains arguments sont cependant justes.

Monsieur le président, vous êtes aussi bien placé que moi pour le savoir, nous rencontrons dans notre beau département de Seine-Saint-Denis, du fait de la présence de nombreux étrangers dans la zone de l’aéroport de Roissy, des situations à peu près identiques qui mériteraient d’être examinées. En effet, des gens en situation irrégulière, et qui ne peuvent être expulsés, vivent sur notre territoire sans être pris en considération dans les dotations globales de fonctionnement. Certaines personnes ne sont d’ailleurs même pas recensées. La plupart connaissent des situations très précaires sur le plan social et sanitaire.

Cet amendement n’a, certes, sans doute pas sa place dans ce projet de loi, mais ses motivations sont à méditer sur les bancs de cette assemblée afin que les collectivités locales les plus concernées par l’intégration de personnes en situation irrégulière puissent être aidées dans leur politique publique.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Je profiterai également de l’occasion pour relever une certaine contradiction dans le projet de loi qui nous est soumis : d’un côté, on augmente les pouvoirs du maire, notamment lorsqu’il s’agit de faire la chasse à l’immigré, à l’étranger ; de l’autre, on refuse d’accorder des moyens aux collectivités locales pour leur permettre d’accueillir dans les meilleures conditions ceux qui ne sont « ni régularisables ni expulsables » et se retrouvent dans des situations sociales, économiques et sanitaires catastrophiques. Il n’est pas inutile de rappeler ici combien l’aide médicale d’État a été menacée et qu’elle n’est aujourd’hui plus exactement ce qu’elle a été dans le passé. Nous serions effectivement en droit d’examiner plus précisément quelle aide pourrait être apportée aux collectivités locales, notamment à leurs centres communaux d’action sociale, pour permettre à ces familles de vivre dans des conditions moins indécentes.

M. Jérôme Rivière. C’est tellement facile de dépenser l’argent des autres !

M. Noël Mamère. Il convient de réfléchir à ce sujet, même si l’article 40 aurait dû être opposé à cet amendement…

M. Jérôme Rivière. Lisez l’amendement : un gage est prévu !

M. Noël Mamère. …qui pose cependant un problème général : quelle doit être notre politique sociale et comment nous organiser pour mieux accueillir ceux qui aujourd’hui se trouvent dans des situations impossibles ?

Loin de régler le problème extraordinaire et prétendument insupportable de l’immigration, ce texte ne fera que contribuer à augmenter le nombre de clandestins soumis à des conditions d’exploitation insupportables.

M. le président. La parole est à M. Éric Jalton.

M. Éric Jalton. Je dirai très laconiquement que l’amendement de Mme Rimane n’est pas dénué de fondement, même s’il pose quelques problèmes réglementaires et constitutionnels.

Les élus Guadeloupéens réunis en congrès ont mis en exergue le surcoût généré par cette immigration, qu’elle soit régulière ou clandestine, sur les dépenses publiques, que ce soit en matière sanitaire et sociale ou dans d’autres domaines tels que les services aux personnes, le système scolaire ou l’environnement. Ces êtres humains engendrent pour une commune, un département ou une région qui les abritent des dépenses publiques comme tout être humain, qu’il soit ou non français.

La question posée par Mme Rimane, que nous avons aussi abordée lors de nos travaux en Guadeloupe, mérite d’être approfondie. Il y a là matière à étude pour l’observatoire qui a été créé. Les dépenses du conseil général de Guadeloupe sont grevées par l’immigration, notamment en matière sanitaire et sociale. Nous espérons donc qu’une décision législative ou réglementaire nous donnera satisfaction.

M. le président. La parole est à M. Mansour Kamardine.

M. Mansour Kamardine. Quelques brèves observations pour m’étonner que des collègues s’érigent en président de la commission des finances pour censurer un amendement gagé et donc formellement recevable !

J’observe également avec étonnement que – comme on le souligne depuis quelques jours –, si ce texte restreint les droits et libertés, ceux qui veulent laisser entrer tout le monde oublient que cela a un coût !

Chers collègues, il n’y a rien de plus facile que de dépenser l’argent des autres !

M. Jérôme Rivière. Absolument !

M. Mansour Kamardine. Les Français ne supportent plus cette politique ! L’aide médicale d’État ne suffit plus à soigner l’ensemble de la planète quand elle souffre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Braouezec. Vous avez mal écouté ou en tout cas mal entendu !

M. le président. L’amendement est-il maintenu ?

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Non, il est retiré, monsieur le président !

M. le président. L'amendement n° 468 est retiré.

Nous en venons aux amendements portant articles additionnels avant l’article 73.

Avant l’article 73

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 484.

La parole est à M. Thierry Mariani, pour le défendre.

M. Thierry Mariani, rapporteur. C’est un amendement de coordination.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 484.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’amendement n° 2 tombe.

Article 73

M. le président. La parole est à M. René Dosière, inscrit sur l’article 73.

M. René Dosière. Nous abordons le chapitre relatif à Mayotte et je voudrais, en tant que président de la mission d’information, en dire quelques mots de manière globale. D’avance, monsieur le président, je vous prie de m’excuser si je dépasse un peu mes cinq minutes ; je ne prendrai ensuite la parole que sur les amendements.

Je voudrais d’abord souligner l’intérêt de la mission d’information créée par le président de l’Assemblée nationale à la demande du ministre de l’outre-mer. Elle a permis aux parlementaires de tous bords de se rendre un petit peu compte de la situation spécifique de Mayotte.

Ce que l’on appelle l’immigration clandestine y revêt une ampleur assez considérable puisqu’elle représente 40 % de la population, ce qui, rapporté à la métropole, donnerait 24 millions de clandestins.

La notion de clandestin y est elle aussi spécifique. Cela ne signifie pas exactement la même chose qu’en métropole.

D’abord, nous avons une situation politico-diplomatique un petit peu particulière. Mayotte fait partie des Comores. Les Comores étaient dans l’ensemble français et ont décidé de prendre leur indépendance, mais Mayotte est restée française. Cela n’empêche d’ailleurs pas les Comores de continuer à la revendiquer de façon plus ou moins forte, ce qui nous pose d’ailleurs un problème car on a le sentiment, monsieur le ministre, que, du côté du ministère des affaires étrangères, on n’a pas toujours eu le langage ferme qui serait nécessaire. Les habitants de Mayotte veulent être français, ils l’ont prouvé en votant à plusieurs reprises. Il faudrait que les choses soient claires et nettes et que notre diplomatie ne tienne pas un autre langage ou ne soit pas accessible à d’autres points de vue.

Du fait de cette histoire commune, il existe naturellement des liens étroits entre les habitants des trois autres îles des Comores et ceux de Mayotte, et les clandestins sont souvent de la même famille que des Mahorais. Ce sont principalement des Comoriens de l’île d’Anjouan qui viennent clandestinement à Mayotte, et ils viennent retrouver de la famille, des gens qu’ils connaissent. Ce ne sont pas vraiment des étrangers. Ils parlent la même langue, ont des souvenirs communs, ils sont peut-être allés à l’école ensemble. Ils sont d’ailleurs bien accueillis : il y a toujours quelqu’un pour les accueillir.

S’il y a autant de clandestins à Mayotte, il faut qu’ils vivent et qu’ils travaillent, et l’on constate que l’économie de Mayotte fonctionne grâce aux clandestins. En agriculture, il n’y a que des clandestins. Les employés de maison ? Que des clandestins ! La quasi-totalité de la population – j’exclus le député et le préfet – emploie des clandestins.

Dans ces conditions, on ne peut pas dire que ce sont des gens dont on ne veut pas. Au contraire, on a besoin d’eux. Il n’y aurait plus de secteur du bâtiment et de travaux publics à Mayotte s’il n’y avait pas de clandestins. Il n’y aurait plus d’agriculture. C’est une situation assez extraordinaire et la connivence de la population mahoraise, qui se réserve les emplois de fonctionnaires et laisse à la population d’origine comorienne les emplois un peu pénibles, ne facilite pas les choses.

Ce que nous avons constaté au terme de notre mission, l’excellent rapport de Didier Quentin, je le rappelle, ayant été adopté à l’unanimité des membres de la mission, c’est que le problème n’était pas du tout celui du droit du sol. C’est sur cette idée que vous aviez sensibilisé l’opinion, en frappant fort, mais ce n’est pas en s’attaquant à ce problème que l’on résoudra quoi que ce soit. M. Kamardine a déposé à titre personnel un certain nombre d’amendements qui reviennent sur ce droit. Je m’y opposerai formellement. J’approuve toutes les propositions issues du travail de la mission, mais je n’irai pas au-delà, et certains amendements sont inacceptables.

D’abord, compte tenu de l’histoire, l’état civil comorien est particulièrement déficient. Il manque ainsi des pièces d’état civil.

Par ailleurs, le droit musulman s’applique concomitamment au droit civil commun. Dieu connaît ses enfants et les musulmans n’ont pas besoin de papiers pour prouver leur identité. La République, elle, ne connaît pas tous ses enfants, et pense qu’ils doivent avoir des papiers.

On voit donc très bien la difficulté. À Mayotte, on ne sait pas de manière générale qui est qui. Lorsqu’on doit prouver son identité, rien n’est plus simple que de venir avec une fausse pièce d’identité, parfois invraisemblable. Ainsi, quand un enfant semble plus âgé que sa mère, il est difficile au magistrat d’établir son état civil. Et, le lendemain, il revient avec une bonne pièce d’état civil.

C’est une situation absurde, qui explique l’ampleur de ce que l’on appelle l’immigration clandestine à Mayotte, laquelle est spécifique à cause du phénomène religieux.

Il faut sans doute maîtriser l’immigration. Contrairement ce que dit Mansour Kamardine, nous ne sommes pas partisans de laisser tout le monde entrer,…

M. Mansour Kamardine. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. René Dosière. …ni à Mayotte ni d’ailleurs en France. On n’a jamais dit ça et on a suffisamment cité la phrase de Michel Rocard, que j’ai explicitée.

Il faut donc sans doute maîtriser l’immigration mais, ce qui est essentiel, c’est qu’on sache enfin qui est qui, que chacun dispose d’une identité fiable. Or, sur ce problème, tous les gouvernements qui se sont succédé ont fait du bricolage. Aujourd’hui, on fait quelques efforts mais il y a des situations absurdes. L’informatique dans les communes n’est pas compatible avec celle du tribunal ou de la commission d’établissement de l’état civil. Une partie des communes ont un état civil informatisé, une autre pas du tout. Bref, on continue à bricoler et, aussi longtemps qu’il n’y aura pas une volonté politique nette, très claire, interministérielle, pour mettre en place un état civil fiable dans les communes et dans les services de l’État, nous aurons ces phénomènes de clandestinité et d’immigration à Mayotte.

Par ailleurs, comme il est écrit aussi dans le rapport de notre mission, en matière d’état civil, la loi musulmane ne peut pas s’appliquer. La République est une république laïque, même si la loi de 1905 ne s’applique pas à Mayotte. L’islam y est modéré. La République reconnaît la liberté religieuse, mais l’état civil de la République ne peut pas être soumis à la loi musulmane.

Bref, tous ces problèmes sont spécifiques. Les diverses mesures que va proposer la mission me paraissent utiles mais, très franchement, elles ne sont pas à la hauteur du problème qui se pose à Mayotte. Je tenais à sensibiliser l’ensemble de l’Assemblée et aider M. Kamardine à le faire même si, sur un certain nombre de points, je trouve qu’il exagère beaucoup, mais j’aurai d’autres occasions de le lui dire.

M. le président. La parole est à M. Mansour Kamardine.

M. Mansour Kamardine. Merci, monsieur le ministre de l’outre-mer, d’avoir permis qu’un tel débat ait lieu. Il s’est engagé depuis le mois de septembre et se poursuit aujourd’hui à l’Assemblée.

Merci, monsieur Dosière, et merci, monsieur le rapporteur, qui proposez trente-six mesures pour construire une collectivité départementale de Mayotte rassérénée.

Vous avez dit, monsieur Dosière, que vous vous opposeriez assez fermement à mes amendements. Vous n’en aurez pas l’occasion puisque je n’ai déposé un certain nombre d’entre eux que pour provoquer le débat. Comme l’a dit le ministre de l’outre-mer, pour que l’outre-mer soit entendu, il faut parler très haut et très fort.

M. le ministre de l’outre-mer. Parce que c’est loin !

M. Mansour Kamardine. C’est ce qui a justifié par la suite l’envoi d’une mission et a permis de faire des constatations et d’arriver à des conclusions, même si, pour une partie, je ne suis pas tout à fait d’accord.

Sur l’état civil tout d’abord. Je m’appelle Mansour Kamardine, né le 23 mars 1959, à Sada, à Mayotte, fils de Kamardine Daniel et de Fatima Mansour. Nous sommes nombreux à avoir un état civil. Sortons de ce fantasme métropolitain selon lequel il y a une loi musulmane à Mayotte. C’est un décret-loi de 1939 qui a créé le cadi, pas la loi musulmane ! C’est une loi de la République qui dit que l’on appliquera le droit local aux citoyens de droit local, notion assez mouvante, et c’est encore la loi de la République qui dit qu’on utilisera le minhage, pas du tout la loi musulmane.

M. René Dosière. En 1939, c’était l’empire colonial !

M. Mansour Kamardine. Peu importe, c’était sous la République. Ce n’était pas la Ve, que vos amis ont combattue. En 1960, là encore, c’est la République qui a octroyé à la chambre des députés des Comores les compétences en matière d’état civil.

Bref, réglons cette affaire une fois pour toutes. Il n’y a pas de loi musulmane ou de loi islamique à Mayotte : il y a des lois de la République qui se sont empilées et qui ont donné des compétences à des gens qui n’étaient pas préparés à les recevoir. Ils ont fait ensuite le choix de l’indépendance, ils sont aujourd’hui dans une situation économique et sociale déplorable et ils viennent à Mayotte, d’où ce débat.

Mais, monsieur le ministre, le plus important pour nous, ce sont les moyens. Nous avons besoin de moyens pour endiguer ce phénomène migratoire. Nous sommes en parfait accord avec vous : si on ne change pas la situation actuelle, la souveraineté française sur Mayotte sera remise en cause.

Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ! Ce fut en 1989, alors que Mayotte se battait depuis plusieurs années pour rester française – elle l’a affirmé à l’occasion de plusieurs consultations – que notre regretté Président de la République se rendit à Moroni où il déclara, à ceux qui réclamaient le retour de Mayotte au sein des Comores, qu’il y avait « manière et manière » de faire l’unité comorienne. C’est alors qu’on supprima le visa d’entrée à Mayotte. Je me souviens avoir été reçu en tant que secrétaire départemental du RPR par le préfet qui m’expliqua que le visa existant était illégal et qu’on allait ouvrir les frontières. Alors, les gens ont commencé à venir.

En 2000, on s’est rendu compte, principe de réalité oblige, que la situation devenait intenable : les hôpitaux, les écoles, les prisons et les villages étaient débordés ; la situation de l’habitat à Mayotte était devenue inacceptable.

L’ordonnance de mars 2000 a été le premier texte sur le contrôle de l’immigration. Je me souviens qu’un ami, le maire de Sada, dont je suis originaire, rassembla alors la population sur la place publique pour l’informer que l’hébergement d’un clandestin était désormais passible d’une peine de cinq ans de prison. Alors qu’il faisait tout simplement la lecture d’un texte de la République, le Gouvernement, pourtant à l’origine de ce texte, attaqua le maire au motif qu’il n’avait pas à en donner lecture.

Et nous l’avons échappé belle : en septembre 2005, les clandestins se rassemblèrent sur la place publique pour faire la loi, mais la population mahoraise riposta : 10 000 Mahorais descendirent dans la rue pour rappeler que Mayotte était française et entendait le rester. Ce n’est que grâce au préfet et aux forces de police – qui méritent notre salut et notre reconnaissance – qui agirent avec tact et mesure que l’on évita les affrontements communautaires.

Depuis une semaine, nous papotons. Au lieu d’aller à l’essentiel, nous tournons en rond. Pourtant, là-bas, des gens arrivent tous les jours. Chaque matin, lorsque nous nous réveillons, nous les voyons arriver, mouillés des eaux de la mer. Ils ne savent même pas où aller et nous demandent où est Sada, alors même qu’ils y sont !

On voit des jeunes qui ont de la barbe prétendre avoir douze ans – alors qu’ils en ont vingt et un comme l’expertise morphologique le démontre souvent – pour pouvoir s’asseoir sur les bancs de l’école, à côté des enfants de dix ans et apprendre avec eux. Quel élu, ici, accepterait cette situation dans sa circonscription ?

De grâce, au nom du principe de responsabilité qui doit nous animer tous, apportons une réponse ferme et courageuse au problème de Mayotte. Les Mahorais, qui nous regardent ce soir, souhaitent que la représentation nationale prenne une position claire, ferme, unanime et reconnaisse qu’aucun territoire, qu’aucune circonscription n’accepterait le poids de l’immigration que nous connaissons.

M. Jérôme Rivière. Très bien !

M. Mansour Kamardine. Si l’on rapportait la situation mahoraise à l’échelle de la métropole, il y aurait 20 millions de clandestins en France.

M. Patrick Braouezec. Non, 24 millions !

M. Mansour Kamardine. Serions-nous encore ici à papoter ? Voilà longtemps que la Bastille aurait été reprise… (Sourires.)

M. René Dosière. Nous ne papotons pas !

M. Mansour Kamardine. J’utilise ce mot à dessein, en référence aux Africains, dont on dit qu’ils papotent sous les cocotiers…

Monsieur le ministre, j’ai besoin de réponses très précises. Il faut – et c’est une proposition de la mission chère au président Dosière – un troisième radar. J’aurais souhaité qu’il puisse être installé avant la fin de l’année car les deux premiers donnent des résultats. Il faut doubler les effectifs de la police de l’air et des frontières pour aider ces personnes à regagner leur pays ; nous avons également besoin de nouveaux bateaux – leur livraison a pris un retard inacceptable.

Bref, nous avons besoin de moyens matériels et humains…

M. Éric Jalton. Avant tout !

M. Mansour Kamardine. …pour lutter efficacement contre le fléau de l’immigration clandestine.

Monsieur le président, je vous remercie. Si j’ai parlé avec un peu de passion, c’est que la situation locale l’exige. J’ai voulu, de manière intense, appeler l’attention de la représentation nationale. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je n’ai pas vu le temps passer, monsieur Kamardine !

La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. N’étant pas, loin s’en faut, un spécialiste de Mayotte, et n’ayant pas participé à la mission parlementaire, je remercie M. Dosière et M. Kamardine, dont les interventions m’ont beaucoup appris. Une remarque toutefois, monsieur Kamardine : je n’ai pas le sentiment que, depuis maintenant une semaine, nous ne faisions que papoter. Nous discutons beaucoup, nous débattons…

M. Mansour Kamardine. C’est ce que cela veut dire !

M. Patrick Braouezec. …et nous légiférons, même si ce texte de loi, pour nous, n’est pas acceptable. Mais nous ne papotons pas. Sous les arbres, dans les pays africains, on ne papote pas, on palabre ! Et pour avoir déjà assisté à plusieurs séances de palabres sous des arbres au Mali, je peux vous dire qu’elles sont un bel exercice de démocratie participative où l’on débat de sujets de fond.

M. Mansour Kamardine. Ayons un tel débat sur Mayotte !

M. Patrick Braouezec. C’est également le cas sur ce texte de loi.

Monsieur Kamardine, si la situation est telle que vous la décrivez, et je n’ai aucune raison de ne pas vous croire,…

M. Mansour Kamardine. M. Dosière l’a décrite également !

M. Patrick Braouezec. En effet, mais si vous me disiez le contraire, je croirai plus volontiers M. Dosière.

M. Mansour Kamardine. Venez vérifier : je vous invite !

M. Patrick Braouezec. Je vous remercie de cette invitation et je vous fais confiance quant à la situation que vous décrivez. Vous avez raison : Mayotte a bien besoin des moyens humains et matériels.

Permettez-moi toutefois une remarque sur les articles qui concernent spécialement à Mayotte. Certains me semblent sortir du cadre constitutionnel.

L’article 73 de la Constitution précise que : « Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. » C’est sur ces principes que s’appuient les textes particuliers à Mayotte. Mais – je cite toujours l’article 73 – « ces règles ne peuvent porter sur la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l’état et la capacité des personnes… ». Or certains articles du projet traitent des règles portant sur les garanties des libertés publiques et sur l’état et la capacité des personnes. Je tenais simplement à le relever.

Compte tenu à la spécificité du territoire de Mayotte, je vous rejoins lorsque vous demandez des moyens matériels et humains, mais je m’interroge sur certains dispositifs. Je demanderai donc que l’on en vérifie la constitutionnalité.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, n°s 217 et 593, tendant à supprimer l’article 73.

La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir l’amendement n° 217.

M. Noël Mamère. Si nous sommes tout à fait d’accord pour reconnaître la situation particulière de Mayotte, elle ne justifie pas pour autant les dispositions anticonstitutionnelles et dérogatoires au droit commun que nous allons examiner dans quelques instants.

L’article 73 vise à limiter l’attractivité de Mayotte en matière de santé. Les frais d’hospitalisation, de consultation et d’actes externes sont acquittés directement par les personnes qui ne sont pas affiliées au régime d’assurance maladie de Mayotte où – c’est une particularité par rapport à la métropole – l’aide médicale d’État n’existe pas.

Avec cet article, ces frais seront solidairement à la charge du père mahorais qui reconnaîtrait un enfant naturel de mère étrangère sans papiers, même si la reconnaissance est contestée. L’exposé des motifs est d’ailleurs assez clair, puisqu’il s’agit de mettre à la charge personnelle du père ayant reconnu un enfant naturel les frais de maternité de la femme étrangère en situation irrégulière.

Cette disposition n’est pas acceptable. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article.

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec, pour soutenir l’amendement n° 593.

M. Patrick Braouezec. L’article 73 instaure ni plus ni moins une suspicion de reconnaissance de complaisance. On peut se demander si l’on ne cherche pas à dissuader les pères mahorais ou métropolitains de reconnaître un enfant de mère comorienne en situation irrégulière.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les deux amendements de suppression ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Ces amendements témoignent d’une méconnaissance de la situation réelle de l’immigration à Mayotte. En effet, comme vient de nous l’expliquer avec passion M. Kamardine, il existe bien des contraintes particulières à Mayotte, dont le régime législatif est spécifique en matière de santé publique. Nous ne sommes pas dans le droit commun.

À la maternité de Mamoudzou, 70 % des naissances sont le fait de femmes en situation irrégulière. Monsieur Braouezec, il ne s’agit pas de suspicion, mais de faits : le nombre de reconnaissances de paternité a plus que quintuplé à Mayotte depuis 2001, ce qui laisse penser qu’il y a de nombreuses reconnaissances abusives destinées à faire acquérir la nationalité française à l’enfant et à protéger la mère contre l’éloignement.

Par ailleurs, je vous rappelle que, Mayotte n’étant pas un département d’outre-mer, ce n’est donc pas l’article 73, mais l’article 74 de la Constitution qui s’applique.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l’outre-mer. Je souhaiterais, monsieur le président Dosière, vous apporter quelques éléments de réponse.

Je veux d’abord répéter que je me félicite du principe de cette mission, décidée en conférence des présidents sur ma proposition ; celle-ci faisait suite au débat qui avait irrigué assez vigoureusement la société française, au moins pendant quarante-huit heures : c’est le temps qu’il a fallu à ceux qui jugeaient par réflexe ma proposition affreuse pour se pencher sur l’article 74 de la Constitution, à l’exception peut-être de M. Mamère, qui ne veut toujours pas le lire, et peut-être de vous-même, monsieur Braouzec, ce que je regrette vivement : vous confondez en effet les articles 73 et 74 de la Constitution.

Ces articles ont déjà fait l’objet d’un débat avec les constitutionnalistes, y compris en ce qui concerne les conditions d’acquisition de la nationalité française dans le respect du pacte républicain. Vous refusez d’admettre, monsieur Mamère, que les articles 73 et 74, qui régissent l’outre-mer, font partie intégrante de notre pacte constitutionnel. Les parlementaires ultramarins se sont battus précisément pour qu’on tienne compte des contraintes spécifiques de leurs territoires, et dans le cas qui nous occupe de la réalité de l’immigration clandestine à Mayotte. Si la métropole connaissait une immigration équivalente, elle compterait dix-huit millions de clandestins – je me base sur les chiffres de la mission Dosière. Je vous le demande, monsieur Mamère : votre analyse, vos principes, votre position seraient-ils les mêmes face à 18 millions de clandestins en métropole ?

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Oui, il aurait les mêmes !

M. le ministre de l’outre-mer. Ou auriez-vous la volonté d’entendre ce qu’en dit la population locale ? Mais je ne cherche pas à vous convaincre sur ce point : c’est strictement impossible. Je vous indique simplement quelques outils de réflexion propres à susciter chez vous une évolution, et à nourrir utilement notre débat.

Les chiffres donnés, dans le cadre des auditions qui ont été conduites, à l’appui du dispositif que nous vous proposons, parlent d’eux-mêmes : le nombre des reconnaissances de paternité enregistrées à Mayotte est passé de 882 en 2001 – 2001, c’est hier, ce n’est pas il y a un siècle ! – à 4 146 en 2004. Ne pas s’interroger sur ces chiffres serait refuser de constater objectivement une évolution ; si nous ne nous posions aucune question, nous ne ferions tout simplement pas notre travail, et nous n’assumerions pas notre responsabilité.

M. Mansour Kamardine. Très juste !

M. le ministre de l’outre-mer. Je pourrais également citer l’ensemble des faits, des études statistiques et des éléments de réflexion parfaitement mis en lumière par Didier Quentin dans le rapport de la mission d’information. Je soulignerai simplement la pertinence de sa remarque sur les conséquences d’un tel flux migratoire dans un territoire de la taille de l'île d'Oléron, qui est de plus soumis aux contraintes propres aux Comores, dont chacun connaît la situation incertaine en cette période d’élection présidentielle. Ne rien faire face à cette forte poussée migratoire est pire qu’une faute professionnelle à l’égard de la population mahoraise : c’est une faute morale envers des candidats à l’immigration à qui on laisse croire que Mayotte, et la France à travers elle, sera pour eux un Eldorado, et qui font la traversée sur des kwasa-kwasa au péril de leur vie. Nul ne peut ignorer désormais qu’on retrouve des corps sur les côtes mahoraises, et que des passeurs tirent des profits inhumains de cette situation.

C’est pourquoi nous devons assumer la responsabilité de dire à ceux qui viennent d’Anjouan, de Mohéli, de la Grande Comore qu’on ne peut plus les accueillir comme avant. On ne peut plus accepter que la maternité de Mamoudzou soit la plus active de France. On ne peut plus, dans la situation actuelle, laisser se développer des filières d’immigration, que non seulement un état de droit, mais aussi une certaine idée de notre pacte républicain ne sauraient durablement admettre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je vous propose, chers collègues, de laisser à un orateur de chaque groupe la possibilité de répondre. Je vous rappelle cependant que M. le ministre de l’outre-mer doit participer, sur l’invitation du président de l’Assemblée nationale, à l’hommage qui sera rendu, à l’Hôtel de Lassay, aux résistants antillais.

Je vous propose donc, monsieur Mamère, de partager votre temps de parole avec Mme Taubira.

M. Patrick Braouezec. Je laisse mon temps de parole à Mme Taubira, monsieur le président.

M. le président. Mme Taubira bénéficiera donc du temps de parole du groupe communiste.

La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Mon intervention sera brève, monsieur le président, afin de laisser un temps de parole plus long à Mme Taubira, qui est beaucoup plus que moi habilitée à intervenir sur ce dossier.

Je voudrais simplement vous rassurer, monsieur le ministre : je suis, autant que tout autre parlementaire, susceptible de me rendre à vos arguments, pourvu qu’ils soient pertinents !

En l’occurrence, je les trouve un peu spécieux, même si je partage, comme tous mes collègues de l’opposition, votre constat du caractère très particulier de la situation à Mayotte. Il convient simplement d’inverser l’ordre de raisons que vous nous proposez. Il est vrai que les migrants affluent à Mayotte, attirés par ce qu’ils croient être un Eldorado dans des proportions qui seraient insupportables pour la métropole. Mais avez-vous augmenté le nombre d’inspecteurs de travail afin de pouvoir sanctionner ceux qui exploitent cette main-d’œuvre clandestine dans des conditions absolument inacceptables ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jérôme Rivière. Vous récusiez notre vision policière ! Finalement, vous avez la même !

M. Noël Mamère. Notre collègue René Dosière, dont vous avez rappelé les fonctions à la tête de la mission d’information, nous a expliqué tout à l’heure que tout le monde à Mayotte, hormis le député et le préfet, faisait travailler des clandestins. Il faudrait peut-être considérer la question par ce côté, au lieu de s’en prendre toujours aux mêmes, c’est-à-dire aux plus faibles, à ceux qui fuient, qui le sous-développement, qui la tyrannie, et parfois les deux.

M. le président. La parole est à Mme Christiane Taubira.

Mme Christiane Taubira. J’éprouve toujours des scrupules à intervenir à propos d’une autre collectivité d’outre-mer que la Guyane, et ce pour une raison toute simple : bien qu’elles aient toutes hérité de l’histoire ou de choix singuliers un statut de département ou de territoire d’outre-mer, ces collectivités sont aussi des nations distinctes, qui auraient pu être, comme leurs voisins, des pays à part entière. C’est pour cette raison que je m’impose toujours ce que j’appelle une « réserve de respect ».

Mais dans le cas qui nous occupe, on nous demande de nous prononcer, non seulement sur ce qui convient ou non à Mayotte, mais sur un principe. Vous justifiez, monsieur le ministre, la présomption de fraude à la paternité instituée de fait par ce texte en avançant que les reconnaissances de paternité ont quintuplé à Mayotte. Si ce texte nous était présenté par le ministre de la justice, on comprendrait à la rigueur cette ardeur à traquer le délinquant et à le sanctionner a priori : mais il nous est soumis par le ministère de l’intérieur.

Si cette présomption de fraude est fondée, cela signifie que des réseaux organisent des reconnaissances de paternité de complaisance : dans ce cas, que fait le ministre de l’intérieur pour lutter contre de tels réseaux ? Loin de participer de cette lutte, les mesures qui nous sont proposées visent des personnes en tant que telles, présumées n’avoir pas engendré ces enfants, qu’elles ne reconnaissent que moyennant rémunération sonnante et trébuchante. Si certains se livrent à un tel commerce, qu’on les sanctionne !

On a l’impression que l’État s’exonère par cette disposition : il s’attribue une prime à l’impuissance en poursuivant de « faux papas » présumés. En instituant ainsi une incitation à ne pas assumer sa paternité, il crée à mon avis un précédent profondément inquiétant.

L’autre hypothèse est que ces pères déclarés, à qui on inflige un malus en leur imposant de prendre en charge les frais de maternité, sont tout simplement des Mahorais qui considèrent les autres Comoriens comme des frères envers lesquels ils accomplissent un geste. Un tel geste doit susciter une interrogation profonde.

En tout état de cause, la France est un pays suffisamment fort, puissant et crédible pour œuvrer sérieusement, avec le gouvernement des Comores, à la sédentarisation des populations, mais aussi au développement de l’archipel, plutôt que de poursuivre de faux papas présumés.

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Je voudrais répéter une nouvelle fois qu’il est naturellement souhaitable de maîtriser l’immigration clandestine en métropole, et plus encore à Mayotte. Qu’on ne nous accuse pas de vouloir l’ouverture totale des frontières ! Vous l’avez très bien expliqué, monsieur le ministre, monsieur le député de Mayotte : les clandestins eux-mêmes ont intérêt à cette maîtrise, car ils vivent dans des conditions épouvantables, notamment de revenus ou de logement : les membres de la mission d’information ont constaté qu’ils vivaient dans de véritables favelas – on ne peut pas vraiment parler d’habitations. Il faut donc, dans leur propre intérêt, les informer de ces réalités, et combattre ceux qui organisent ces passages clandestins.

Deux éléments sont à retenir de cet article. Celui-ci institue d’abord à la charge des personnes qui ont reconnu l’enfant d’une clandestine une obligation de participation aux frais médicaux. Il faut savoir que la maternité de Mamoudzou, capitale de Mayotte, est tout à fait remarquable, et qu’elle n’a rien à envier aux meilleures maternités de la métropole, comme on l’a vu dans un récent reportage télévisé. On ne trouve évidemment rien de comparable dans le tiers monde. C’est d’ailleurs la maternité la plus importante de France, puisqu’elle enregistre environ 7 000 accouchements par an – ou plutôt 5 000, les 2 000 autres accouchements ayant lieu dans des établissements annexes, mais étant susceptibles d’être pris en charge par la maternité principale en cas de grave difficulté.

Les femmes qui viennent y accoucher sont, non seulement Mahoraises, mais également Anjouanaises, quand elles ne viennent pas d’Afrique de l’Est, parce qu’elles savent qu’elles y trouveront des conditions très favorables pour donner naissance à leur enfant. La solution pourrait être d’assurer à Anjouan la présence d’une maternité fonctionnant de façon satisfaisante.

Vous devez aussi savoir, mes chers collègues, que toute personne se trouvant sur le territoire de Mayotte bénéficiait de la gratuité des soins, qu’il fût Mahorais ou étranger. Cette gratuité pour tous a pris fin avec l’instauration de la sécurité sociale à Mayotte, au bénéfice des seuls Mahorais, ou supposés tels au vu de leur état civil. Cette distorsion, qui impose aux étrangers de payer au moins en partie leurs frais médicaux, peut constituer un frein à l’immigration. Cela dit, les médecins locaux, par respect du serment d’Hippocrate, n’ont jamais refusé de dispenser leurs soins à qui ne pouvait pas les rémunérer. On s’est d’ailleurs rendu compte que la gratuité n’est pas forcément perçue d’une façon positive, même par les clandestins, le coût, même modeste, donnant de la valeur au service. La gratuité n’est donc pas forcément un facteur aussi important qu’on pouvait le penser.

Le deuxième élément à retenir concerne la reconnaissance de paternité. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, immigration clandestine et acquisition de la nationalité française ne sont pas nécessairement liées, puisqu’il ne suffit pas de naître sur le sol français pour devenir français. Il semble que les étrangers aient compris depuis peu qu’ils pouvaient acquérir plus facilement la nationalité française par le biais de la reconnaissance de la paternité sur le sol français d’un enfant né de mère étrangère.

Je voudrais à ce propos faire deux remarques. Vous m’avez opposé tout à l’heure, monsieur Kamardine, que l’existence d’un droit local musulman à Mayotte était un mythe : vous savez bien cependant qu’il suffit à Mayotte de donner son prénom à un enfant pour le reconnaître. Nous plaisantions d’ailleurs sur le nombre de petits Didier, voire de petits René, qui allaient se multiplier à Mayotte à la suite de notre mission !

M. Patrick Braouezec. Vous avez donc reconnu tous ces enfants, monsieur Dosière ? Gare aux pensions alimentaires !

M. René Dosière. Il n’y a qu’à Mayotte qu’on trouve une telle forme de reconnaissance de la paternité ! Il faut supprimer cette possibilité de reconnaissance quand même un peu trop facile.

Vous me répondrez que cette possibilité n’est ouverte qu’aux Mahorais de statut local reconnus comme Français, mais je vous rappellerai les conditions d’établissement de l’état civil que j’ai déjà décrites.

Aujourd’hui, quand un père mahorais reconnaît un enfant, quelles que soient les modalités de cette reconnaissance – particulièrement simples pour ceux qui se prévalent du statut local –, il est impossible d’être sûr que ce père possède des papiers français valides.

Nous en revenons toujours au même problème, que je ne suis pas sûr que nous puissions résoudre : quelques mesures que nous adoptions, elles risquent toujours d’être détournées de leur objet par le biais de l’état civil.

M. le président. La parole est à M. Mansour Kamardine.

M. Mansour Kamardine. Je regrette, monsieur Dosière, que vous n’ayez pas pu amener M. Mamère à Mayotte, car il aurait été convaincu.

Il semble du moins, monsieur le ministre, que vous réussissiez à le convaincre aujourd’hui, puisqu’il vous réclame des inspecteurs du travail pour pouvoir contrôler – et, de fait, nous en aurons besoin.

M. Noël Mamère. La question est de savoir qui ils contrôleront : les salariés ou les employeurs ?

M. Mansour Kamardine. L’une des dispositions que nous examinerons prévoit que l’on puisse procéder à des visites domiciliaires afin de vérifier dans les maisons l’emploi de clandestins. M. Dosière l’observait en effet très justement tout à l’heure : à Mayotte, c’est l’emploi de clandestins qui est le principe, et la déclaration l’exception.

Pour le reste, je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée.

M. le président. Bien que cette formule soit habituellement prononcée par le ministre, il n’est jamais mal venu, monsieur Kamardine, d’invoquer la sagesse de l’Assemblée ! (Sourires.)

Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 217 et 593.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour
de la prochaine séance

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 2986, relatif à l’immigration et à l’intégration :

Rapport, n° 3058, de M. Thierry Mariani, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et l’administration générale de la République.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)