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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 18 mai 2006

225e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

pouvoirs du parlement

Discussion d’une proposition de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle de MM. Jean-Paul Quilès et plusieurs de ses collègues tendant à modifier l’article 34 de la Constitution afin d’élargir les pouvoirs du Parlement (nos 241 rectifié, 3075).

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Paul Quilès, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, lequel d’entre nous, qu’il se trouve dans la majorité ou dans l’opposition, ne s’est jamais inquiété, voire plaint, de la place réservée au Parlement, que l’on fait beaucoup légiférer et dont on ne souhaite pas trop qu’il exerce sa mission de contrôle ou, en tout cas, pas de manière permanente et pressante ?

Comment ne pas s’étonner du développement inconsidéré du recours aux ordonnances, qui permet de légiférer beaucoup sans que le Parlement exerce un contrôle, véritable ? On peut comprendre, à la rigueur, l’utilité d’une telle délégation du pouvoir législatif lorsqu’il s’agit de codifier à droit constant ou de transposer des directives européennes. Je rappelle d’ailleurs que la France connaît, dans ce domaine, un retard inquiétant.

L’utilisation abusive de cette procédure permet en quelque sorte un miracle : elle réussit à faire du Parlement, souvent considéré comme une chambre d’enregistrement, une chambre d’enregistrement a priori.

En effet, la théorie des ratifications implicites, développée par la juridiction constitutionnelle et administrative, réduit la délégation accordée au Gouvernement sur le fondement de l’article 38 à un simple blanc-seing. Ne nous y trompons pas : si le législateur délègue sa compétence, c’est tout de même sur lui que sera rejetée la responsabilité de l’inflation normative, la responsabilité de « l’intempérance législative », comme l’a souligné récemment un observateur attentif de notre travail, le Conseil d’État. Le législateur sera responsable, parce que cette inflation ou cette intempérance résultera indirectement de son geste et de la multiplication des ordonnances qu’il aura autorisée.

Rappelons ainsi qu’en 2004, pour la première fois, le nombre des ordonnances a dépassé celui des lois. En 2005, ce sont encore plus de quatre-vingt-cinq ordonnances qui ont été adoptées pour cinquante lois, abstraction faite de celles autorisant l’approbation d’un accord ou la ratification d’un traité.

On a beaucoup glosé sur les raisons de cet affaiblissement du Parlement sans s’être jamais vraiment attaqué au mal ; on peut ainsi s’interroger sur les vertus réelles de la session unique qui, sans changement d’équilibre entre les pouvoirs, a renforcé le tropisme majoritaire, lequel s’exerce avec plus d’intensité sur une période plus longue. On peut d’ailleurs s’interroger a fortiori sur les effets du quinquennat concentrant un peu plus le débat politique sur la personne du Président de la République.

Pour en revenir aux causes, comment ne pas voir que cet affaiblissement résulte d’abord du texte constitutionnel lui-même. Personne ne peut honnêtement soutenir le contraire, même si certains ont pu le justifier pour rompre avec les errements de la IVe République. II suffit d’évoquer, à cet égard, l’article 40 de la Constitution ou l’article 49 alinéa 3.

Toutefois cet affaiblissement résulte également d’une pratique excessive, je veux parler de l’attitude de l’exécutif, notamment lorsqu’il bénéficie d’une majorité large et homogène. Je n’exonère aucune majorité en disant cela.

Toutes les pressions sont utilisées pour conserver à la majorité son caractère silencieux. Tous les artifices de procédure sont employés pour faire échec aux initiatives de l’opposition, qui, elle-même, en est quelquefois réduite à recourir aux souplesses offertes par notre règlement pour exprimer ses revendications. Là encore je n’exonère aucune majorité.

Mon expérience parlementaire – mais aussi ministérielle, je le reconnais – me fait penser que nous pouvons tous nous retrouver sur le constat. Nous pourrions certes lancer un grand débat sur les solutions à mettre en œuvre pour remédier à cette situation, mais, à chaque fois que l’occasion s’en présente, la majorité ne souhaite pas imposer à son gouvernement un changement qui pourrait être interprété comme une remise en cause, tandis que l’opposition n’a guère les moyens d’imposer ses vues ou ne le souhaite pas, car elle espère à tout moment devenir majoritaire.

Aujourd’hui, l’occasion nous est donnée, tous ensemble, d’ouvrir la discussion. L’inscription et l’adoption de ma proposition de loi par la commission des lois m’encouragent à le faire avec plus de force encore.

Face à l’affaiblissement de notre Parlement, plusieurs voies sont ouvertes.

La première consisterait à changer de République.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Ce serait stupide !

M. Paul Quilès, rapporteur. Je crois qu’il s’agit d’une solution assez théorique parce qu’elle méconnaît notre histoire constitutionnelle. Si nous vivons une crise institutionnelle, voire – le mot apparaît de plus en plus ces derniers temps – une crise de régime,…

M. le garde des sceaux. N’importe quoi ! Cette expression m’agace !

M. Paul Quilès, rapporteur.… il ne s’agit pas d’une crise nationale. Or notre histoire montre que nous avons changé de République à chaque fois que la nation était en danger ou à la suite de conflits.

La seconde voie consiste à changer non pas de Constitution, mais la Constitution, pour aboutir à une Ve République bis, formule qui a, d’ailleurs, inspiré quelques commentateurs. Je ne réclame pas de droit d’auteur, mais je pense qu’il est possible d’avancer dans cette voie. C’est la raison pour laquelle j’avais, dès octobre 2002, déposé la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui.

Mon expérience et mes réflexions m’ont conduit à l’intime conviction que le Parlement ne peut bien exercer son métier de législateur que s’il est en mesure de contrôler l’application de ce qu’il vote. Il doit pouvoir non seulement contrôler l’application, mais aussi évaluer les résultats.

Il ne suffit pas de s’arrêter à un simple décompte d’apothicaire des décrets, arrêtés et autres circulaires pris en application des dispositions législatives, opération certes nécessaire, mais non suffisante. Il est indispensable qu’il soit en mesure de savoir si la loi elle-même a produit les effets qu’elle était censée produire, si sa volonté a été respectée.

Or, aujourd’hui, les moyens nous manquent pour le faire. La simple application des lois que nous votons souffre de nombreux défauts. Quelques chiffres s’imposent à ce stade de ma présentation. Les statistiques fournies par le Sénat dans son rapport annuel sur le contrôle de l’application des lois sont d’ailleurs éclairantes. On peut, comme lui, se réjouir de la timide inversion de tendance constatée sur la session 2004-2005 par rapport aux exercices antérieurs, mais les résultats sont loin d’être satisfaisants.

Jugez-en : le taux d’application des dispositions prévoyant explicitement un suivi réglementaire n’atteint, pour celles qui ont été adoptées durant la session 2004-2005, que 16,4 % en fin de période, après un taux de 14,4 % en 2003-2004, et, il est vrai, un taux particulièrement faible de 9,7 % en 2002-2003. Il fallait encore plus de six mois pour publier un texte réglementaire en 2004-2005. Même le traitement réservé aux textes frappés d’une déclaration d’urgence pour lesquels on pourrait attendre une célérité particulière dans leur application n’est pas satisfaisant : leur taux d’application atteint, en effet, 14 % au lieu de 13 % pour celui des textes adoptés selon le droit commun.

Autre chiffre inquiétant, le Sénat souligne que, depuis le mois de juin 1981, 222 lois, sur un total de plus de 1 000, ne sont pas encore appliquées en totalité. Sur le seul exercice 2004-2005, 51,5 % des lois prévoyant des mesures réglementaires n’avaient, en septembre 2005, reçu aucune mesure d’application. Par exemple, au début du mois de mai 2006, la plupart des textes nécessaires à l’application de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, n’avaient pas encore été publiés. Pourtant on ne peut pas dire que ce projet de loi fut préparé dans l’urgence. En 2004-2005, seulement 9,1 % des lois nécessitant des mesures d’application étaient applicables à la fin de la période. Je crois qu’on peut le dire : c’est consternant !

Pour améliorer la situation, le Gouvernement a multiplié les circulaires, en vain. Le Parlement s’est doté de nombreux instruments, mais le plus souvent ponctuels et limités dans leur objet. Je pense, bien sûr, aux missions d’information ou commissions d’enquête, aux offices parlementaires et aux missions d’évaluation et de contrôle au sein des commissions des finances et des commissions chargées des affaires sociales. Je pense aussi à l’excellente initiative de notre collègue Jean-Luc Warsmann qui a permis d’accorder au rapporteur d’une loi un « droit de suite » sur le fondement de l’article 86 alinéa 8 de notre règlement.

M. Michel Piron. Très bien !

M. Paul Quilès, rapporteur. Ces instruments ne sont cependant pas à la hauteur de l’enjeu. À ce propos je salue l’initiative de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, qui, non contente de porter sur les fonds baptismaux l’office d’évaluation des politiques de santé et la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, a fait publier un nombre important de rapports d’application des lois depuis l’adoption de la résolution dite « résolution Warsmann ».

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiale et sociale. Je vous remercie.

M. Paul Quilès, rapporteur. Ces instruments ne sont malheureusement pas à la hauteur de l’enjeu. Il faut un contrôle systématique, accordant une part importante à l’opposition, d’aujourd’hui comme de demain. Il faut aussi une véritable évaluation des lois, transparente et objective.

En effet, seul ce contrôle renforcé par une véritable évaluation peut permettre au Parlement de légiférer de nouveau dans une même matière, de manière pertinente, sous peine de maintenir le législateur dans la position de Sisyphe qui pousse éternellement son rocher – c’est la version optimiste –,…

M. Michel Piron. Ah, Camus !

M. Paul Quilès, rapporteur. …voire dans celle de Prométhée attaché à son rocher ; c’est la version plus douloureuse. Néanmoins chacun connaît l’histoire : Prométhée finit par être délivré de son châtiment.

Aujourd’hui, nous avons les moyens de nous délivrer nous-mêmes. C’est l’objet de ma proposition. La commission des lois elle-même l’a bien compris.

Qu’avons-nous attendu pour inscrire la mission de contrôle et d’évaluation du Parlement dans la Constitution ? Le Comité Vedel, en 1993, l’avait déjà préconisé. Je vous invite à jeter un œil sur les différents titres de la Constitution : le titre II, dans son article 5, définit les pouvoirs du Président de la République ; le titre III, dans son article 20, définit les objectifs du Gouvernement ; le titre IV, sur le Parlement, ne définit rien du tout et il faut attendre le titre V, c’est-à-dire les relations entre le Parlement et le Gouvernement, pour apprendre que la loi est votée par le Parlement et non que le Parlement vote la loi ; vous apprécierez la nuance.

Cette inscription solennelle ne suffit pas : il faut aussi en fixer les modalités d’application. C’est pourquoi je propose également de renvoyer à une loi organique la fixation de règles contraignantes pour le Gouvernement – je pense par exemple aux études d’impact, dont la production a été officiellement limitée par le gouvernement précédent – et l’attribution de nouveaux pouvoirs au Parlement. Le Conseil d’État a repris cette proposition dans son dernier rapport public, ce dont je me félicite.

Mes chers collègues, nous devons changer de culture, et pas seulement de discours, et seule une modification de la Constitution peut donner le signal d’un tel changement.

Je note d’ailleurs que, sous l’impulsion du président de notre assemblée, notre administration interne a su se réformer, à travers notamment la création de pôles d’évaluation et de contrôle, se mettant ainsi en ordre de bataille pour affronter le tournant pris par le Parlement dans l’exercice de ses missions. C’est ce mouvement que je vous propose de confirmer.

Je vais conclure mon propos par trois brèves citations que vous approuverez certainement :

« Ceux qui votent la loi doivent pouvoir s’assurer de sa bonne application par le Gouvernement et l’administration. »

« La représentation nationale n’épuise pas sa mission au service de la volonté générale quand elle a énoncé le droit ; il faut que le Parlement se donne désormais réellement les moyens d’évaluer l’action publique. »

« Vous – il s’agit du Parlement – avez déjà eu le mérite d’adapter vos règlements avec le souci de rechercher une plus grande efficacité. Mais l’effort de rénovation que vous avez entrepris dans vos méthodes de travail a sans doute atteint ses limites. » (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Piron. Je suppose que l’auteur en est Jacques Chirac.

M. Paul Quilès, rapporteur. Vous supposez bien ! Ces propos, sont en effet extraits des messages de Jacques Chirac au Parlement de 1995 et de 2002.

M. Jean-Luc Warsmann. Valeur sûre ! (Sourires.)

M. Paul Quilès, rapporteur. Ils n’étaient pas dénués de pertinence.

Je vous invite donc, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mettre nos textes en conformités avec les engagements du chef de l’État. Il suffit pour cela, comme vous le propose la commission des lois, de discuter et d’adopter la présente proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après avoir examiné cette proposition de loi avec tout le sérieux nécessaire, la commission a exprimé, par son vote, le souhait que l’Assemblée aille au bout de l’examen de ce texte, comme le propose son rapporteur. Ce souhait se fonde, non seulement sur les arguments de ses auteurs, mais également sur l’ensemble des éléments d’amélioration et d’évolution rassemblés par la commission elle-même.

Le président Philippe Houillon, retenu dans sa circonscription par des engagements antérieurs, m’a demandé de bien vouloir présenter la contribution de la commission à ce débat fort intéressant.

Reconnaissons d’abord que la volonté de renforcer le contrôle parlementaire de l’application des lois n’est pas apparue tout à coup en cette année 2006. En effet le problème de l’application des lois est récurrent depuis plus de trente ans. Tous les gouvernements successifs, par le biais de circulaires, mais aussi tous les présidents de cette assemblée, au travers de la constitution de groupes de travail ou l’octroi de prérogatives aux commissions permanentes, ont tenté de garantir l’effectivité des dispositions votées par la représentation nationale, objectif qui va de soi, mais dont la réalisation est de plus en plus aléatoire.

Aujourd’hui, bien que l’exécution de la loi soit une obligation constitutionnelle du Gouvernement, plus de 200 lois votées depuis 1981 ne sont pas encore appliquées en totalité. La moitié des lois votées ne reçoit aucune mesure d’application dans l’année qui suit leur adoption et seulement 10 % sont entièrement applicables. Ces chiffres sans appel prouvent la nécessité de trouver les moyens d’assurer une bonne application des lois, surtout à une époque où il est de bon ton, et justifié dans une certaine mesure, de dénoncer l’inflation législative, nourrie par la tendance tant des gouvernements successifs que des parlementaires d’accumuler des textes de plus en plus bavards et de moins en moins lisibles.

C’est pour remédier à cette situation que la proposition de loi de nos collègues socialistes propose de constitutionnaliser la mission de contrôle de l’application des lois dévolue au Parlement.

Ce texte s’inscrit dans le prolongement du travail de qualité engagé par Jean-Luc Warsmann en 2004, au travers de sa proposition de résolution sur l’application des lois. Ce texte, que nous avons adopté à l’unanimité, instaure un dispositif de contrôle permanent de l’application des lois afin d’assurer un suivi qualitatif et quantitatif de la parution des textes réglementaires, ainsi que le recensement des difficultés apparues lors de la mise en application de la loi. Cette nouvelle procédure, inscrite dans le règlement de notre assemblée, a constitué une avancée sans précédent dans ce domaine, puisqu’elle a permis de contrôler plus d’un quart des lois promulguées depuis deux ans.

Elle permet une meilleure implication des rapporteurs, qui ont dorénavant, plus qu’un droit de suite, un « devoir de suite », et, plus globalement, des commissions. Les rapports publiés dans ce cadre ont des répercussions immédiates sur l’application des lois qu’ils visent. En effet, les rapports d’application peuvent être examinés en présence des ministres concernés, ce qui permet à tous les membres de la commission d’interroger le ministre sur l’application de la loi et le contenu des décrets.

En outre, en pointant du doigt le retard prolongé des décrets d’application, le rapporteur parvient souvent à précipiter leur parution. J’ai déjà pu constater les effets très heureux de ces nouvelles dispositions sur les rapports présentés à la commission des lois, ainsi que sur le rythme du travail ministériel. De surcroît, les rapports permettent de mettre en lumière les imperfections d’une loi et de les corriger rapidement, ainsi que l’a démontré notre collègue Jean-Luc Warsmann à propos de la loi de 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Ces rapports sont aussi l’occasion de prévoir l’abrogation de dispositions anciennes devenues inutiles, voire contradictoires avec les nouveaux textes, et que le seul examen du texte n’avait pas permis de déceler d’une manière aussi précise et efficace. Enfin, au travers des auditions et des déplacements qu’il effectue dans le cadre de l’exercice de son droit de suite, le rapporteur se livre à une véritable appréciation qualitative de l’application de la loi, qui ne se limite pas à un simple recensement des décrets.

Certes, tout n’est pas encore parfait, et ces dispositions n’ont pas donné tous leurs effets, mais, sur un sujet aussi fondamental, il nous appartient avant tout de faire preuve de pragmatisme. Les esprits ont déjà commencé à évoluer grâce à la résolution adoptée par notre assemblée à l’initiative de M. Warsmann. À cela s’ajoutent les résultats extrêmement encourageants qu’elle a déjà produits. Le mieux étant l’ennemi du bien, laissons-la arriver à maturité et acquérir toute l’autorité dont elle a besoin avant de déclencher « l’arme atomique » d’une modification de la Constitution.

En effet, monsieur le rapporteur, la révision de la Constitution est une procédure extrêmement lourde, complexe, surtout s’agissant d’une révision proposée par le Parlement, et peut-être démesurée ou prématurée par rapport à l’objectif poursuivi. En effet, aux termes de l’article 89 de la Constitution, la proposition de révision doit, après avoir été votée par les deux assemblées en des termes identiques, être approuvée par référendum ; seuls les projets de révision peuvent être approuvés par le Congrès à la majorité des trois cinquièmes, et non les propositions de révision, comme celles dont nous débattons aujourd’hui.

Cette distinction emporte des conséquences importantes, étant donné le calendrier de nos travaux. De plus, au regard des préoccupations premières de nos concitoyens, telles que le chômage, l’insécurité, le système éducatif ou le pouvoir d’achat, l’opinion publique ne comprendrait pas qu’on la mobilise sur un sujet aussi éloigné des réalités quotidiennes.

Le dispositif proposé par l’amendement que j’ai eu l’honneur de présenter avec mon collègue Jean-Luc Warsmann et qui renvoie au règlement des deux assemblées le soin d’encadrer le contrôle de l’application des lois, me paraît plus adapté à l’objectif poursuivi.

Cela est d’autant plus vrai, aujourd’hui, que outre le dispositif créé à l’initiative de M. Jean-Luc Warsmann, le Parlement – notre assemblée en particulier – dispose de plusieurs instruments pour contrôler l’action du Gouvernement. Les commissions d’enquête, dont celle qui est consacrée à l’affaire dite d’Outreau est l’illustration éloquente, et les missions d’information créées à l’initiative des commissions se sont inscrites, progressivement mais avec détermination, dans une perspective d’évaluation et de contrôle.

Ainsi, la commission d’enquête sur l’affaire dite d’Outreau, qui achève ses travaux avant de rendre son rapport et ses conclusions le 7 juin, a précisément pour objet d’analyser le fonctionnement de notre chaîne pénale et de notre système judiciaire pour rechercher les causes des dysfonctionnements qui ont eu lieu et préparer les mesures – très attendues – qui devraient permettre d’éviter qu’ils ne se renouvellent.

De même, on sait que les commissions permanentes peuvent également décider la création d’une mission d’information portant sur les conditions d’application d’une législation. Ces dispositifs constituent des matériaux de choix pour l’évaluation des politiques publiques.

Pour conclure je souligne qu’il ne faut pas sous-estimer l’objet de la question qui nous est posée aujourd’hui avec cette proposition de loi. La commission des lois, après avoir analysé son texte avec sagesse et avec un grand intérêt, vous propose non de renoncer à légiférer en la matière, mais de le faire efficacement et d’une manière proportionnée à l’enjeu. Nous pourrons ainsi plus rapidement, plus efficacement et d’une manière plus conforme à la volonté des auteurs de cette proposition permettre au Parlement, auquel il revient de faire la loi, d’en assurer aussi la bonne exécution au nom de tous nos concitoyens, et d’assurer ainsi une autre de ses fonctions essentielles : le contrôle de l’activité du Gouvernement. Ainsi les deux pouvoirs, certes indépendants, pourront mieux conjuguer leurs talents au service de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, je tenais à prendre la parole en tant que président de la commission des affaires sociales, car nous avons l’impression que ce texte nous permet de débattre de ce que nous vivons chaque jour au sein de notre commission.

Il est vrai que l’évaluation et le contrôle sont des questions récurrentes, qui alimentent régulièrement les réflexions menées sur les prérogatives du Parlement. En ce sens, monsieur Quilès, j’ai trouvé très intéressante votre analyse de la situation.

Il aura fallu plus de trente ans pour que cette aspiration devienne réalité. Il revient en effet à la majorité à laquelle j’appartiens, plus particulièrement au vice-président Warsmann, d’avoir pris l’initiative de la résolution du 12 février 2004 modifiant l’article 86 du règlement de notre assemblée. Désormais, dans un délai de six mois suivant son entrée en vigueur, toute loi doit faire l’objet, devant la commission saisie au fond lors de son examen, d’un rapport sur sa mise en application faisant état des textes réglementaires publiés. En cas de constat de carence, la commission entend son rapporteur au terme d’un nouveau délai de six mois.

Si j’ai souhaité intervenir aujourd’hui dans ce débat, c’est parce que j’ai le privilège de présider la commission qui applique le plus activement cette nouvelle disposition.

M. Georges Colombier. Tout à fait !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. N’est-ce pas, monsieur Colombier ?

En effet, depuis treize mois, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales n’a pas examiné moins de quinze rapports sur la mise en application des lois et s’apprête, d’ici au terme de la session ordinaire et pour la première fois, à examiner l’application de la loi de financement de la sécurité sociale.

Si le délai de six mois entre l’entrée en vigueur de la loi et le rapport sur sa mise en application est parfois aménagé pour tenir compte du calendrier des sessions parlementaires ou de l’agenda de la commission, toutes les lois examinées par la commission, sans exception, n’en ont pas moins été soumises à ce contrôle.

Un premier bilan à l’échelle de la commission permet de constater, à la date de sa réunion, un taux moyen de publication des décrets supérieur à 57 %. Bien qu’imparfait, ce résultat est plus que satisfaisant si on le compare à la situation antérieure, comme vous l’avez d’ailleurs fait, monsieur Quilès. Je rappelle à cet égard que le rapport de notre collègue et vice-président Jean-Luc Warsmann faisait état, pour la période précédant les élections de 2002, d’un taux moyen d’application des lois de 10 % ; et encore ce chiffre prenait-il en compte l’application une année après l’entrée en vigueur de la loi, et non six mois : on mesure le chemin parcouru grâce à M. Warsmann.

La performance est d’autant plus satisfaisante que notre bilan, strictement comptable, est, par nature, un peu réducteur. D’une part, en effet, il s’agit d’une moyenne. Or certaines lois, comme celles qui concernent la réforme de l’assurance maladie, la formation professionnelle ou les rapatriés, ont vu la quasi-totalité des décrets nécessaires à leur application sortir très rapidement, avant même le terme de six mois. D’autre part, il faut replacer ce taux de 57 % en perspective. Certains décrets nécessitent en effet, par leur objet ou pour répondre à l’exigence de mise en place d’un dispositif efficace traduisant précisément les intentions du législateur, des délais incompressibles. Tel est le cas, par exemple, de la procédure des décrets en Conseil d’État, de ceux dont l’élaboration doit nécessairement être précédée d’une large concertation –cela est le cas pour la loi sur le handicap ou pour celle relative aux assistants maternels, qui prévoient une concertation complexe entre plusieurs ministères –, sans compter l’application des dispositions dont la loi elle-même prévoit une application différée.

Rappelons également que, compte tenu du calendrier des réformes, certains ministères ont été très fortement sollicités sur une très courte période. C’est particulièrement le cas du ministère de la santé qui a dû travailler coup sur coup à la mise en application des lois relatives à la bioéthique, à la santé publique et à l’assurance maladie, trois lois promulguées à sept jours d’intervalle en août 2004.

Tout n’est certes pas parfait, mais on assiste indéniablement à une réelle prise de conscience par les ministères du rôle accru de l’Assemblée nationale en matière de contrôle, donc de la nécessité pour le Gouvernement de procéder avec célérité à la mise en application des lois votées par le Parlement : c’est ce que le ministre de la santé et des solidarités, M. Xavier Bertrand, a appelé le « service après-vote ». Dès les premiers mois qui ont suivi l’adoption de cette nouvelle procédure, une évolution positive est déjà perceptible.

Cette nouvelle procédure a donc permis de bousculer une forme d’inertie que l’on constatait parfois auparavant. Du côté des ministères, elle a aussi provoqué une réelle prise de conscience de la nécessité d’anticiper, dès l’élaboration du projet de loi et ses lectures dans les assemblées, la rédaction des textes réglementaires. Désormais, il arrive souvent que les décrets paraissent plus vite dans les quelques semaines qui précèdent la venue du ministre en commission, cela d’autant plus que nos réunions de sont publiques.

La « procédure Warsmann » a ainsi naturellement trouvé sa place au sein de la commission, où je crois pouvoir dire qu’elle rencontre l’assentiment de tous des commissaires.

Dès lors, monsieur Quilès, votre proposition de loi, pourtant excellente dans son principe, me semble venir un peu tard. La chronologie en donne d’ailleurs la meilleure preuve : elle a été déposée sur le Bureau de notre assemblée le 2 octobre 2002. Sa rédaction précède donc de deux ans l’adoption de la résolution de M. Warsmann, dont elle n’a pu évidemment tenir compte,

Une modification de la Constitution ne m’apparaît pas nécessaire. Mieux vaut en effet une pratique réglementaire effective qu’une disposition constitutionnelle – au demeurant quelque peu incantatoire et imprécise – dont on peut craindre qu’elle soit suivie de peu d’effets. Permettez-moi une remarque incidente : ce raisonnement est également valable pour répartir plus équitablement les compétences des commissions permanentes ; je sais, monsieur Ayrault, que ce sujet vous tient autant à cœur qu’à nous.

Œuvrons donc collectivement à faire vivre les dispositions introduites dans le Règlement, à l’image des efforts menées par l’ensemble des membres de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, efforts récompensés puisque, je le rappelle, le taux d’application des lois examinées par notre commission est de 57 % quand, pour la même session 2004-2005, le taux global d’application des lois votées par le Parlement est, selon les chiffres que vous avez vous-même cités en commission des lois, de 16,4 %.

La souplesse du dispositif actuel est un autre avantage, garantie à la fois de sa pérennité et de son effectivité.

Comment, enfin, ne pas constater que les réformes mises en œuvre récemment dans notre assemblée répondent point par point aux bénéfices que vous attendez de votre proposition de loi ? Je donnerai trois explications, monsieur Quilès, à ce qui, tout à l’heure, vous faisait sourire ou vous inquiétait.

Dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, vous évoquez un délai d’un an après la promulgation d’une loi. Nous en sommes à six mois.

Vous indiquez également que « la loi organique créerait par ailleurs des organes qui, au sein des assemblées, seraient plus particulièrement chargés du suivi de l’application des lois et de l’évaluation de leurs résultats, sans préjudice des compétences des commissions permanentes. » Vous avez ensuite l’amabilité de citer la mission d’évaluation et de contrôle des finances sociales et l’office parlementaire d’évaluation des politiques de santé.

Hier a été rendu le rapport de Mme Paulette Guinchard sur l’hébergement des personnes âgées et le financement de cet hébergement. M. Colombier et M. Morange, qui font partie de la mission, confirmeront que ce rapport, produit par une commission où siègent à parité la majorité et l’opposition, est excellent. Hier encore, nous avons eu avec nos collègues sénateurs, dans le cadre de l’office d’évaluation des politiques de santé, des débats passionnants sur la vaccination et les accidents vasculaires cérébraux. Vous voyez donc que nous avons la possibilité de mettre en place de tels organes.

Dernier argument : votre proposition de loi concerne le Parlement dans son ensemble, et non notre seule assemblée. Il ne fait pas de doute que les succès de nos procédures inciteront nos collègues sénateurs à trouver de leur côté les moyens de renforcer encore le suivi de l’action du Gouvernement, sur laquelle ils exercent déjà un contrôle vigilant. Pour la MEC, les sénateurs, d’abord dubitatifs, nous suivent désormais et sont très satisfaits du résultat.

Je suis certain, monsieur Quilès, que nous partageons les mêmes convictions, celles-là mêmes que le gardien de notre institution, le président Jean-Louis Debré, ne cesse de défendre.

Notre assemblée doit renforcer son rôle de contrôle et d’évaluation. Quelle que soit la majorité en ce lieu, la seule idée que les textes adoptés par la représentation nationale soient inefficaces ou ne trouvent pas à s’appliquer pour cause de lenteur ou de réticences du Gouvernement est insupportable aux démocrates que nous sommes.

Toutefois, je ne puis que constater que cette préoccupation a très largement trouvé satisfaction et que votre proposition – je le dis sans aucune agressivité – est désormais superfétatoire. Il faut laisser à notre assemblée et au Sénat le temps de mettre en place le système voulu par notre collègue Jean-Luc Warsmann, pour que nous puissions voir ultérieurement si votre loi est ou non nécessaire. Plutôt que d’ajouter encore des procédures, de créer des organes, de faire de nouvelles lois pour dénoncer l’inflation législative, saisissons-nous des moyens que nous offrent déjà la Constitution et notre Règlement : ils sont, je vous l’assure, plus nombreux que ce que nous feignons parfois de le croire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, l'étendue et la nature du contrôle que le Parlement doit exercer à l'égard du pouvoir exécutif est une question qui se pose dans tous les régimes parlementaires. Chaque démocratie, et même chaque modèle démocratique, a tenté d'y apporter une réponse.

L'histoire de la Ve République démontre que parlementarisme rationalisé et contrôle effectif du pouvoir exécutif par le Parlement ne sont aucunement contradictoires. La France a su trouver un système institutionnel équilibré dans lequel le Parlement légifère et le Gouvernement gouverne, chacun intervenant dans son domaine en respectant les prérogatives de l'autre et de manière complémentaire.

Si nos institutions ont leurs détracteurs – certains ont même fait de la critique institutionnelle l'alpha et l'oméga de leur discours – force est de constater qu'elles durent. Elles ont fait la preuve de leur souplesse et ont traversé sans encombre ces périodes qu'on a baptisées « cohabitations », pendant lesquelles l'équilibre entre les pouvoirs s'est toujours maintenu, seules les conditions d'exercice du pouvoir exécutif étant finalement modifiées. Elles ont surtout montré qu'elles n'étaient en rien une atteinte aux droits du Parlement ; et c'est un ancien parlementaire qui vous le rappelle.

Votre proposition de loi constitutionnelle, monsieur Paul Quilès, tend à « élargir les pouvoirs du Parlement ». À la lecture de son dispositif et de son exposé des motifs, on comprend qu'il s'agit de renvoyer à une loi organique le soin de déterminer les conditions dans lesquelles le Parlement doit contrôler l'application et évaluer les résultats des lois qu'il vote.

Je partage, et nous partageons tous ici dans cet hémicycle, l'objectif de votre proposition. Le Parlement s'est d'ailleurs engagé dans cette voie depuis de nombreuses années. Vous nous proposez de franchir une nouvelle étape en inscrivant le contrôle de l'application des lois et l'évaluation de leurs résultats dans la Constitution et en renvoyant à une loi organique le soin d'en définir les modalités.

Nous sommes désormais nombreux à partager un diagnostic relatif à la crise de l'autorité de la loi. Le président de votre assemblée et celui du Conseil constitutionnel ont eu l'occasion de dénoncer cette crise de l'autorité de la loi. Dans son récent rapport annuel, le Conseil d'État dresse également le même constat.

L'inflation normative est la première des causes de cette crise. Si cette inflation n'est pas nouvelle, puisque Montesquieu, déjà, notait que « nous avons en France plus de lois que le reste du monde ensemble », elle a pris, ces dernières années, une ampleur sans précédent. Le Conseil d'État rappelle ainsi qu'aux 9 000 lois et 120 000 décrets recensés en 2000 sont venus s'ajouter en moyenne soixante-dix lois et cinquante ordonnances par an.

Cette inflation n'est pas un phénomène purement national. Elle trouve en grande partie son origine dans le foisonnement des règles internationales et communautaires, lequel implique nécessairement une augmentation corrélative des normes de droit interne, notamment à travers l'obligation de transposition de directives communautaires. La décentralisation est un autre facteur de complexité du droit, tout comme la multiplication des autorités administratives indépendantes, au pouvoir normatif étendu.

La multiplication des lois s'explique aussi par l'adoption de textes dont la nécessité et la qualité ne sont pas toujours démontrées. Ce sentiment est aujourd'hui partagé par les plus hautes autorités de l'État, qui souhaitent éviter les lois bavardes ne répondant pas à la nécessité avérée de traiter une problématique politique ou juridique.

M. Michel Piron. C’est vrai !

M. le garde des sceaux. Dans sa décision du 29 juillet 2004, le Conseil constitutionnel a rappelé que « sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par la suite être revêtue d'une portée normative ». En avril 2005, il a mis ce principe en application en censurant une disposition de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école qui prévoyait notamment que « l'objectif de l'école est la réussite de tous les élèves » et que « l'école doit reconnaître et promouvoir toutes les formes d'intelligence ».

Si les lois sont trop nombreuses, elles sont souvent aussi mal appliquées, l'un n'étant pas sans lien avec l'autre.

Si l'on excepte les lois d'application directe, qui représentent environ un quart des textes votés, il faut en moyenne entre dix et douze mois pour que les décrets d'application paraissent au Journal officiel, délais que vous avez, à juste titre, monsieur le président de l’Assemblée, jugés beaucoup trop longs.

Mesdames, messieurs les députés, face à ces difficultés, le Parlement a adopté, depuis plusieurs années, différentes mesures.

M. Jean-Luc Warsmann. Absolument !

M. le garde des sceaux. Sans prétendre à l'exhaustivité, il me semble important de rappeler les réformes qui ont été engagées ces dernières années pour valoriser la fonction de contrôle du Parlement, notamment sous l'impulsion du président Jean-Louis Debré.

Le Parlement s'est ainsi engagé dans la création des offices parlementaires d'évaluation, avec, tout d'abord, l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, créé en 1983, l'office parlementaire d'évaluation de la législation créé treize ans plus tard, en 1996, enfin l'office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, créé en 2002.

Parallèlement à la création de ces offices, qui nécessite une intervention législative, les commissions permanentes ont mis en place des structures plus légères destinées à les aider dans l'exercice de leur mission de contrôle : la mission d'évaluation et de contrôle – la MEC –, pour la commission des finances, et la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale – la MECSS, dont Jean-Louis Dubernard, que je salue, a parlé tout à l’heure –, pour la commission des affaires sociales. L’ensemble de ces missions assure un suivi régulier et ciblé.

Les missions d'informations décidées ponctuellement par les commissions peuvent également avoir pour objet d'examiner les conditions d'applications d'une législation. Depuis 2003, elles peuvent être créées par décision de la conférence des présidents, sur proposition du président de l'Assemblée nationale, comme ce fut le cas pour les missions d'information sur l'accompagnement de la fin de vie ou sur la famille et les droits de l'enfant.

Toutefois l'avancée la plus significative dans le domaine du contrôle de l'application des lois a été accomplie en 2004 – comme l’a rappelé Guy Geoffroy – à l'initiative de Jean-Luc Warsmann, que je salue, grâce à la modification de l'article 86 du règlement de l'Assemblée nationale. Cette dernière s'est ainsi dotée d'un nouveau moyen d'exercice de son contrôle en matière d'application des lois.

Le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision n° 2004-493 DC du 26 février 2004, que l'exercice d'un tel contrôle par le Parlement « était à l'abri de toute critique de constitutionnalité : les mesures qu'il prévoit s'inscrivent dans le cadre des missions du Parlement et vont dans le sens de l'affirmation d'un pouvoir de contrôle qui ne peut pas être considéré comme de nature à orienter l'action gouvernementale au point de contrevenir à l'article 20 de la Constitution ».

Le Gouvernement pendant ce temps n'est pas resté inactif…

M. Michel Piron. Bien entendu !

M. le garde des sceaux. …et s'est efforcé d'agir à l’identique.

Ainsi la circulaire du Premier ministre en date du 30 septembre 2003 prescrit le recensement et la planification des décrets nécessaires à l'application de chaque loi promulguée et prévoit la désignation dans chaque ministère d'un haut fonctionnaire en charge de la qualité de la réglementation. (Mouvements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bruno Le Roux. Qu’est-ce que c’est long !

M. Michel Piron. Mais non !

M. Jean-Paul Bacquet. Cela devient ridicule !

M. le garde des sceaux. À partir des données fournies par chaque département ministériel, le secrétariat général du Gouvernement procède à un suivi régulier et efficace des décrets d'application.

M. Bruno Le Roux. Vous êtes aussi long que pour sortir les décrets d’application !

Mme Martine David. C’est vrai ! Vous exagérez ! C’est de l’obstruction ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le garde des sceaux. Faut-il en rester là ? Je ne le crois pas. Comme vous, je pense qu'il faut aller plus loin.

M. Bruno Le Roux. Et plus vite !

M. le président. Monsieur Le Roux, les critiques que vous adressez au ministre peuvent aussi être adressées à certains orateurs de votre groupe, car j’ai calculé depuis mardi le temps de parole de chaque orateur à la minute près et j’en ai peu vu qui respectaient celui qui leur était imparti.

Monsieur le garde des sceaux, je vous prie de poursuivre.

M. Bruno Le Roux. Il abuse du temps de parole, monsieur le président !

M. le président. Je vous en prie !

M. le garde des sceaux. Mesdames, messieurs les députés, face à cette nécessité de poursuivre et d'amplifier les réformes déjà engagées, vous proposez de modifier l'article 34 de la Constitution afin de consacrer, dans la loi fondamentale, le rôle du Parlement en matière de contrôle de l'application des lois.

L'objectif des auteurs de la proposition de loi constitutionnelle est de renforcer le contrôle parlementaire sur l'application des lois en en constitutionnalisant le principe. Cet objectif est louable, mais le renvoi à la loi organique suggéré par la proposition de loi ne me semble pas adéquat.

Comme je viens de le rappeler, le Parlement français a développé des instruments de suivi de publication des décrets d'application des lois, avec l'accord du Conseil constitutionnel et sans avoir recours à une loi organique. Dans ses différentes décisions sur les propositions de modification du Règlement de l'Assemblée, le Conseil constitutionnel a rappelé que les missions parlementaires n'étaient pas contraires à la Constitution dans la mesure où elles permettent à l'Assemblée « d'exercer son contrôle sur la politique du Gouvernement dans les conditions prévues par la Constitution ».

Le contrôle exercé à l’Assemblée nationale sur le fondement de l’article 86 de son règlement pourrait, par exemple, être exercé sans limitation de durée.

Rien ne semble s'opposer non plus à la généralisation de la pratique consistant, pour les commissions des lois, à auditionner régulièrement les ministres sur la question de l'application des lois relevant de leur département ministériel. Le partage des informations en la matière entre le Gouvernement et les assemblées parlementaires peut également être renforcé sans l'adoption d'une loi organique.

Les moyens de l'office parlementaire d'évaluation de la législation pourraient être renforcés et ses missions élargies, là encore sans recourir à une norme supra-législative. S'il était décidé de remplacer cet office par des délégations parlementaires, une loi simple suffirait, comme l’atteste le fait que les délégations parlementaires à l'Union européenne trouvent leur base légale dans l'article 6 bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958, qui est de niveau législatif.

C'est pourquoi, tout en approuvant l'inscription dans notre loi fondamentale du contrôle de l'exécution des lois par le Parlement, je préfère que les modalités de ce contrôle soient fixées par les règlements des assemblées, comme le proposent M. Guy Geoffroy et M. Jean-Luc Warsmann, plutôt que par la loi organique.

Par ailleurs, je ne souhaite pas, comme semblent le suggérer les auteurs de la proposition de loi, que cette révision constitutionnelle conduise à doter le Parlement d'instruments contraignants à l'égard du Gouvernement, notamment en matière d'évaluation.

Ainsi, l'association du Parlement à la réalisation des études d'impact des projets de loi ne saurait être érigée en règle. Le Parlement n'est pas compétent en matière d'élaboration des projets de loi. Il revient au Gouvernement, et à lui seul, de délibérer, en conseil des ministres et après avis du Conseil d’État, sur les projets de loi. À ce stade, le Parlement n'a pas à intervenir dans l'élaboration des projets de loi, pas plus que le Gouvernement dans celle des propositions de loi. En particulier, il ne doit pas revenir aux services ministériels d'établir des études d'impact sur des propositions de loi.

M. Alain Vidalies. Passionnant !

M. le garde des sceaux. Pour la même raison, l'idée de permettre à des commissions ou délégations parlementaires d'élaborer des avant-projets de décrets d'application des lois ou de leur conférer un pouvoir d'avis n'est pas souhaitable. (Mouvements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Frédéric Dutoit. La manœuvre est un peu grossière !

M. Bruno Le Roux. C’est de l’obstruction !

M. le garde des sceaux. La détermination des modalités d'application des lois relève, en vertu des dispositions de l'article 21 de la Constitution, de la seule compétence du Gouvernement.

M. Jean-Luc Warsmann. Très juste !

M. le garde des sceaux. Il arrive au Gouvernement de présenter, de manière informelle, à l'occasion de l'examen d'un projet de loi, ce que seront les grandes lignes des mesures réglementaires d'application. Mais la répartition des compétences entre le Parlement et le Gouvernement, et l'équilibre qui en découle, fait obstacle à ce que le Parlement soit partie prenante dans l'élaboration des mesures relevant du pouvoir réglementaire.

M. Jean-Luc Warsmann. Absolument !

M. le garde des sceaux. En revanche, je ne suis pas hostile à ce que le rôle du Parlement en matière d'évaluation des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale soit reconnu par la Constitution, comme le proposent vos collègues Jérôme Chartier et Guy Geoffroy. De manière plus générale, il me semble nécessaire de réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour améliorer la qualité de la loi.

Le président de votre assemblée a fait récemment des propositions très intéressantes en la matière. Dans son rapport annuel, le Conseil d'État suggère le recours à une loi organique pour fixer de nouvelles obligations de procédure, comme l'évaluation préalable de l'impact de la réforme avant le dépôt d'un projet de loi devant les assemblées.

Pour ma part, en tant que garde des sceaux, je suis très désireux que nous puissions mener au sein du Gouvernement une réflexion approfondie sur ces questions. La qualité juridique dans la préparation des textes conditionne en effet la qualité future des normes.

Mesdames et messieurs les députés, nous partageons tous l'objectif poursuivi par la proposition de loi : le renforcement du contrôle de l'application des lois par le Parlement. Je ne suis donc pas hostile à la consécration de ce contrôle dans notre loi fondamentale par la modification de son article 34.

Je pense, en revanche, que la formulation retenue par les auteurs de la proposition de loi est ambiguë et pourrait conduire à la mise en place de procédures remettant en cause l'équilibre des pouvoirs et la répartition des compétences entre le Gouvernement et le Parlement. C'est pourquoi je vous demande d'adopter la proposition de loi, telle qu’elle serait modifiée par les amendements déposés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, au nom du groupe socialiste, je regrette vivement que l’examen de la proposition de loi relative à l’insertion des jeunes dans l’emploi, commencé mardi dernier, ne puisse être poursuivi. Compte tenu des événements qui ont secoué notre pays, le Gouvernement eût été mieux inspiré d’être attentif à la situation.

Le peu de temps attribué à l’initiative parlementaire, notamment à l’opposition, est en quelque sorte préempté par le Gouvernement : je pense notamment à l’intervention de près de cinquante minutes de M. Larcher mardi dernier, alors qu’il s’agissait de discuter de notre proposition de loi et non d’offrir au Gouvernement un oral de rattrapage. Le peu de pouvoirs dont dispose le Parlement, en particulier l’opposition, sont une nouvelle fois bafoués, ce contre quoi je tiens à protester solennellement.

Si notre assemblée approuve la proposition de loi constitutionnelle, le premier alinéa de l’article 34 de la Constitution serait ainsi rédigé :

« Le Parlement vote la loi. Il en contrôle l’application et en évalue les résultats dans les conditions prévues par une loi organique. »

L’objectif, semble-t-il partagé sur tous les bancs, est de sortir l’Assemblée nationale d’un lien de subordination au pouvoir exécutif qui, du parlementarisme prétendument rationalisé, nous a en fait entraîné vers un parlementarisme rationné.

Dans son excellent rapport, Paul Quilès cite opportunément les propos tenus par le Président de la République, après sa réélection, dans son message au Parlement, le 2 juillet 2002 : « Ceux qui votent la loi doivent pouvoir s'assurer de sa bonne application par le Gouvernement et l'administration. La représentation nationale n'épuise pas sa mission au service de la volonté générale quand elle a énoncé le droit. »

Comment ne pas souscrire à de tels objectifs ? Et comment ne pas constater que nous sommes malheureusement loin du compte ? Le constat est, à cet égard, particulièrement préoccupant : en moyenne, pour la dernière décennie, seulement 25 % des dispositions législatives ont été d’application directe. C’est dire que l'application de 75 % des textes que nous votons est directement dépendante de l'intervention des actes réglementaires, dont seul le Gouvernement maîtrise le rythme et, souvent, l’opportunité.

De plus, si les 25 % de lois restant d'application directe le sont juridiquement, en réalité, l'administration – quels que soient les gouvernements – estime par principe que la mise en œuvre justifie au minimum une circulaire d'application. Le taux d'application des lois qui nécessitent expressément un texte réglementaire – soit donc 75 % des lois – a été, au bout d'un an, de 16,4 % pour la session 2004-2005, ce qui constitue un bien modeste progrès par rapport aux 14,4 % constatés pour la session 2003-2004.

Le plus extraordinaire est qu'il n'existe, de ce point de vue, quasiment aucune différence entre les textes adoptés après déclaration d'urgence par le Gouvernement et ceux qui le sont selon le droit commun. Il est vrai que, dans cet hémicycle, l'urgence tend à devenir l'ordinaire et le droit commun l'exception.

Nous avons tous à l'esprit des exemples de textes adoptés depuis des mois et dont nos concitoyens attendent avec impatience l'entrée en vigueur. Notre rapporteur cite la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, dont la plupart des textes d’application n'étaient toujours pas publiés en avril dernier.

Bien entendu, la multiplication des ordonnances justifie d’autant plus le renforcement du rôle du Parlement. En 2004, pour la première fois, le nombre d'ordonnances a dépassé celui des lois. Or, si en théorie notre assemblée doit être saisie d'une procédure de ratification dans laquelle elle retrouve la plénitude de ses droits, il convient de rappeler que l'article 38 de la Constitution est vidé de son contenu par la théorie de la ratification implicite élaborée par le juge administratif.

Il n'est pas iconoclaste de se demander si le législateur ne devrait pas saisir l'opportunité de remettre en cause cette théorie, d'ailleurs totalement inconnue en général de nos concitoyens et, la plupart du temps, des commentateurs. Tous croient en effet que, lorsque le Gouvernement est autorisé à légiférer par ordonnances, le texte n’entre dans le champ législatif qu’après avoir été ratifié par notre assemblée, ce qui n’est bien sûr jamais le cas en raison de cette théorie de la ratification implicite. Celle-ci ne me paraît pas naturelle et peut-être faudrait-il, si l’on veut réhabiliter les pouvoirs du Parlement, la remettre en cause. Elle permet en effet au Gouvernement, lorsqu'il a été autorisé à légiférer par ordonnances, de disposer d'une liberté totale et d’agir quasiment sans contrôle.

En outre, le refus de publier les textes d'application ne relève pas toujours d'un oubli ou d'une difficulté objective. Tous les gouvernements usent – et parfois abusent – de cette arme pour remettre en cause des concessions tactiques survenues dans la procédure parlementaire. Chacun d’entre nous pourrait en prendre des exemples, y compris récents.

Notre assemblée manifeste souvent son souhait d'être informée de la mise en application de la loi en exigeant de l'exécutif un rapport, en général annuel. Or, la plupart du temps, les gouvernements ignorent ces demandes malgré leur inscription dans la loi. Ainsi, au cours de l'année parlementaire 2004-2005, un seul rapport a été remis sur les 30 prescrits et, depuis le début de la législature, le chiffre est de 21 rapports sur 134 prescrits.

Je me permets d'ajouter que la tentation de s'opposer à la volonté du législateur est parfois aussi manifeste dans certaines décisions judiciaires : il arrive que les juridictions s'arrogent un pouvoir d'interprétation en ignorant la réalité du débat parlementaire. Cela constitue un autre champ de réflexion important pour notre assemblée.

Face à cette situation, les initiatives n'ont pas manqué et le rapport évoque opportunément le rôle positif de la création des offices parlementaires, l'efficacité des missions d'information spécifiques initiées par la conférence des présidents, ou encore la véritable avancée que représente l'instauration d'un droit de suite sur l’application des lois, exercé par leurs rapporteurs.

Toutefois, ces améliorations ne répondent que partiellement à la question posée. Oui, si nous voulons rétablir le rôle du Parlement, il faut préciser l'étendue de notre mission dans la Constitution. Oui, notre rôle est de voter la loi mais aussi d'en contrôler l'application et d'en évaluer les résultats.

C'est l'objet même de notre proposition de loi. Nous espérions qu’elle pût acquérir la force particulière que confère un vote à l’unanimité, mais il semble que, du côté de l’UMP, il y ait loin de la parole aux actes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à renforcer les pouvoirs du législatif. La modification constitutionnelle proposée – c’est là son intérêt – procède d'un double constat.

En premier lieu, elle tente de répondre au problème de l'exécution des lois et des moyens dont dispose le Parlement pour la vérifier. Le rapport annuel du Sénat sur le contrôle de l'application des lois nous fournit des données particulièrement édifiantes dans ce domaine. L'exposé des motifs de la proposition de loi en cite certaines : « complexité de la question à traiter, évolution des situations de fait ou de l'environnement juridique, imprécisions ou ambiguïtés du texte législatif ou encore obstacles politiques empêchant l'application de la mesure votée. » Ajoutons-y l'inflation législative.

Cette situation perdure en dépit de quelques efforts qui étaient destinés à accélérer le processus d'exécution des dispositions législatives mais qui sont restés sans effets. De même, se sont révélés peu efficaces les moyens de contrôle dont le Parlement s'est doté : offices parlementaires d'évaluation, commissions d'enquête, missions d'information et différentes procédures de questions.

Le dernier en date est la réforme du règlement de l'Assemblée du 12 février 2004 qui instaure un dispositif de contrôle permanent de l'application des lois. Cette nouvelle procédure n'a permis de contrôler qu'un peu plus d'un quart des lois promulguées. On est donc loin d'un contrôle systématique, sans compter qu'avec le recours de plus en plus fréquent aux ordonnances, dont la ratification n'est que rarement inscrite à l'ordre du jour, ce sont des pans entiers de législation qui échappent au législateur.

Le deuxième constat, qui montre plus encore l'utilité de la présente proposition, concerne l’évaluation des lois. Dans ce domaine aussi, les circulaires relatives à l'étude d'impact des projets de loi et des principaux projets de décrets sur les plans administratif, juridique, social, économique et budgétaire, n'ont donné que des résultats décevants. Le contenu de ces études, quant elles existent, reste au mieux insuffisant, et le Parlement légifère, dans la plupart des cas, sans tirer tous les enseignements de ses décisions passées et sans avoir eu le temps ou les moyens d'appréhender toutes les implications d'une modification législative.

M. Michel Piron. C’est vrai !

M. Frédéric Dutoit. Or personne ne saurait contester qu'une connaissance plus exacte de l'état d'application de la législation existante et de ses effets aiderait le législateur à mieux légiférer. Elle permettrait également d’accroître l'efficacité de l'action publique.

Imputant ces insuffisances au fait que les mécanismes de contrôle et d'évaluation par le Parlement de l'action publique ne sont pas contraignants, cette proposition de loi propose d'y remédier.

Ainsi, son adoption permettrait, entre autres, de faire obligation au Gouvernement de soumettre à l'Assemblée nationale et au Sénat un état précis des mesures d'application prises et restant à prendre pour l'application de la loi, un an, au plus tard, après sa promulgation, et d’associer le Parlement à l'élaboration des études d'impact destinées à accompagner les projets de loi. Elle lui permettrait aussi de faire établir une étude d'impact sur des propositions de loi susceptibles d'être inscrites à l'ordre du jour.

Sans doute, ces mécanismes pourront-ils améliorer la situation, encore que la persistance de l'inflation législative et la rédaction mauvaise ou confuse de certaines lois, pour ne citer que ces aspects, pèseront toujours sur les décrets d'application. Surtout, il serait totalement illusoire de penser que cette modification constitutionnelle suffira à remédier à l'affaiblissement du rôle du Parlement et au déséquilibre grandissant des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif, déséquilibre qui est lié à la dérive présidentialiste du régime et qui concourt à la faillite institutionnelle actuelle de la Ve République.

Cette dérive, qui a infléchi les équilibres initiaux des institutions de la Vè République, résulte du renforcement des pouvoirs personnels du Président, notamment grâce à l'élargissement du champ référendaire, à l'instauration du quinquennat, à l'inversion du calendrier électoral en 2002 ainsi qu’à la concomitance des élections présidentielles et législatives. Elle entraîne des conséquences dramatiques pour la vie politique : transformation de la République en une monarchie constitutionnelle, accentuation du fait majoritaire et réduction du Parlement à un rôle de simple chambre d'enregistrement qui voit les trains passer, renforcement de la dynamique de la bipolarisation de la vie politique.

L’absence de prise en compte par l’exécutif des résultats du référendum du 29 mai 2005, sa gestion de la révolte populaire des banlieues et du CPE, l'affaire Clearstream sont les signes du crépuscule d'un régime qui offre l'ahurissant spectacle de la confusion des rôles et des pouvoirs, ainsi que de guerres intestines et de valses hésitations à tous les niveaux.

De cette crise nous ne sortirons que par l'avènement d'une nouvelle République et d'un régime véritablement parlementaire où le législatif aura recouvré sa pleine souveraineté et son rôle de contrôle de l'exécutif. Pour cela, il est impératif de mettre fin au corsetage des droits d'initiative législative, à la définition limitative du domaine de la loi et aux mécanismes dits du parlementarisme rationalisé, qui ont tant contribué à l'abaissement du rôle du Parlement et à l'humiliation de la représentation nationale, c’est-à-dire le couperet du fameux article 40 de la Constitution, qui établit l'irrecevabilité à caractère financier, et le braquage du débat parlementaire qu'organisent à la fois les articles 38, 49-3 et 44.

Quant au contrôle de l'action gouvernementale, il appelle, outre des compétences de suivi de l'application des lois et d'évaluation de leurs effets, de véritables droits pour l'opposition parlementaire, incluant la présidence de commissions permanentes.

Enfin, il faut revoir la composition des autorités indépendantes comme le Conseil constitutionnel, le Conseil supérieur de la magistrature ou encore le Conseil supérieur de l'audiovisuel, sur laquelle la représentation nationale devrait avoir, au minimum, un droit de regard. Il importe aussi de remédier au caractère non représentatif du Parlement par l'instauration d’un scrutin proportionnel.

Bref, mes chers collègues, la restauration du rôle du Parlement n’implique rien moins qu'une VIe République, celle d'un nouvel âge démocratique. Néanmoins, dans l'immédiat, toute mesure positive est bienvenue. C’est la raison pour laquelle nous voterons pour cette proposition de loi constitutionnelle.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je dois d’abord dire à M. Quilès et aux membres du groupe socialiste combien je suis heureux de leur initiative. Je les félicite d’avoir choisi de mettre à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ce problème, récurrent dans notre démocratie, de l’application des textes de loi que nous votons.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Jean-Luc Warsmann. Pour avoir travaillé sur le sujet, avec le soutien du président Debré, je peux affirmer que c’est un problème qui touche plus la France que d’autres démocraties européennes. Il contribue à l’affaiblissement de la parole de l’État et du respect de la loi.

Soyons bien conscients que nos concitoyens – puisque, en France, la majorité des textes de loi est d’origine gouvernementale – ont la sensation, lorsqu’ils entendent, dans les médias, les comptes rendus du conseil des ministres, qu’un projet de loi est déjà en cours d’élaboration, alors qu’il nous faut encore plusieurs mois pour en débattre. La navette parlementaire n’est pas, en l’occurrence, à critiquer, car il est normal que le contrôle démocratique s’applique. Puis la loi est définitivement votée, et les médias en font alors à nouveau état, mais il faut encore de longs mois, voire des années, pour que les textes viennent à s’appliquer. Cela constitue une source d’affaiblissement considérable de la démocratie.

Il est un autre motif qui confirme que vous avez eu raison de soulever la question, même si elle est trop vaste pour être examinée au cours d’une matinée : l’enjeu n’est rien moins que l’évolution du travail et du rôle des parlementaires.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Il faut le rappeler !

M. Jean-Luc Warsmann. Dans les années à venir, ceux-ci devront consacrer moins de temps à l’élaboration de nouvelles lois et beaucoup plus au contrôle de leur application ainsi qu’à leur évaluation.

Franchissant les clivages politiques, je tiens donc à souligner combien le signal qu’envoie le groupe socialiste est positif. Néanmoins, cela a été dit avant moi, la démarche trouve sa limite dans l’article 89 de la Constitution, puisque le texte ne pourrait prospérer que par un référendum. Cela dit, je pense que ce n’est pas le moment de faire de la procédure.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Il faut quand même le savoir !

M. Jean-Luc Warsmann. Mieux vaut se concentrer sur le fond.

L’évolution à laquelle nous assistons a débuté il y a une trentaine d’années. Les générations passées de parlementaires ont déjà expérimenté beaucoup de solutions afin d’instaurer, par exemple, des rapports réguliers à la conférence des présidents. Je salue, à cet égard, l’initiative du président Chaban-Delmas qui, en 1979-1980, avait lancé une procédure d’examen par la conférence des présidents des rapports de chaque commission, faisant état des difficultés d’application des lois qu’elles avaient étudiées. Après l’alternance de 1981, la procédure s’est arrêtée.

Il y a eu ensuite d’autres tentatives qui n’ont pas abouti. L’une d’elles, en 1988, a été particulièrement importante. Lorsque nous nous sommes penchés à nouveau sur la question, il y a quelques mois, nous nous sommes appuyés sur elle. L’idée était de désigner dans chaque commission un député, ayant pour mission de suivre l’application des textes qu’elle aurait examinés. Aucune suite n’a été donnée à cette proposition, malgré le travail de certains de nos collègues, qui font figure de pionniers. Ainsi je salue le rapport déposé, en 1990, par Didier Migaud, pour la commission des lois ou celui d’Alain Richard, pour la commission des finances. La raison en est très simple : contrôler l’application de toutes les lois examinées par une commission est une tâche démesurée pour un seul député.

Ensuite, le président Philippe Seguin installa un groupe de travail, qui a défendu l’idée d’un renforcement du règlement de l’Assemblée. Puis, en 1996, fut créé l’office parlementaire d’évaluation de la législation.

Enfin, nous sommes arrivés au débat de février 2004 sur la modification de notre règlement. L’idée était d’utiliser le travail du parlementaire le plus impliqué dans la procédure parlementaire, c’est-à-dire, évidemment, le rapporteur. En effet, il participe à toutes les auditions et, chacun le sait, quelle que soit la majorité parlementaire, la tradition républicaine veut que chaque rapporteur ait à cœur d’auditionner toutes les organisations professionnelles et tous les spécialistes qui, à un titre ou à un autre, auront à appliquer le projet de loi.

Après des dizaines d’heures de travail, le rapporteur a donc non seulement une très bonne connaissance non seulement du contenu du texte mais aussi de ses faiblesses, que n’auront pas manqué de souligner les personnes auditionnées, même quand elles reconnaissent que l’intention est louable.

Jusqu’en 2004, cet investissement du rapporteur dans la procédure parlementaire était un travail perdu, car il n’avait plus aucune suite, dès la promulgation du texte. Il était paradoxal de les voir ainsi en quelque sorte dessaisis.

La modification du règlement, votée le 12 février 2004, tenta de tirer les conclusions de cette situation. En toute logique, elle visait à tirer profit d’un tel engagement, ce qui permettait de ne pas tomber dans le travers de la modification de 1988 qui faisait porter tout le travail sur un seul député, puisqu’on le répartissait entre tous ceux qui avaient été chargés de rapporter sur un texte. C’est dire aussi qu’on le confiait à celui qui, dans chaque commission, connaissait le mieux le texte. Nous avions même prévu l’hypothèse dans laquelle le député ne serait plus membre de la commission, parce qu’il aurait obtenu une heureuse promotion ministérielle (Sourires) ou pour toute autre raison. Dans ce cas, la commission pouvait élire un de ses collègues pour le suppléer.

Nous avions prévu un délai de six mois, considérant que le Gouvernement aurait alors fait l’essentiel du travail de mise en application et nous avions laissé très ouverte – je veux insister sur ce point – la manière de travailler du rapporteur. Dans notre esprit, il s’agissait de lui conférer deux rôles : premièrement, un travail quantitatif pour savoir combien la loi votée six mois plus tôt nécessitait de décrets d’application, combien avaient déjà été pris, en quel état d’avancement étaient certains autres et combien n’avaient pas été pris ; deuxièmement, une évaluation qualitative, puisque tel est bien, en effet, notre objectif final.

Dans cette optique, il y a un intérêt évident, pour le rapporteur, à auditionner à nouveau les personnes auxquelles il avait demandé leur avis sur le projet, pour qu’elles s’expriment sur l’application de la loi. Si j’ose dire, pour lui, le rapport temps - qualité de ce travail est excellent. De plus, le Parlement contribue ainsi lui-même à revaloriser son rôle.

Je pense donc que la modification du règlement du 12 février 2004 qui avait été, je le rappelle, votée à l’unanimité, donne au Parlement des moyens d’approfondir considérablement son travail de contrôle.

Pour préparer le débat auquel le groupe socialiste nous a conviés ce matin, j’ai relu la décision du Conseil constitutionnel du 26 février 2004. Lorsque nous modifions le règlement de notre assemblée, son président est en effet systématiquement amené à saisir le Conseil constitutionnel.

Dans le troisième considérant de sa décision, le Conseil constitutionnel a acté cette disposition permettant à l’Assemblée nationale d’exercer son contrôle de la politique du Gouvernement dans les conditions prévues par la Constitution. Il n’a émis qu’une seule réserve : s’agissant des commissions d’enquête, dont les conclusions sont dépourvues de tout caractère obligatoire, le rapport présenté ne saurait en aucun cas adresser une injonction au Gouvernement. À l’exception de cette réserve, la modification du règlement de l’Assemblée a été validée par le Conseil constitutionnel.

On peut donc considérer que le verre est à moitié vide ou à moitié plein : depuis la réforme, environ un quart des textes de loi ont fait l’objet d’une évaluation de ce type.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Ce qui est déjà bien !

M. Jean-Luc Warsmann. À cet égard, je salue l’intervention du président Dubernard qui a expliqué le bilan de ces derniers mois, la commission des affaires sociales étant la plus impliquée puisqu’elle utilise systématiquement cette procédure.

Permettez-moi de tirer un bilan de ma propre expérience, puisque le hasard m’a conduit à être le rapporteur de la loi du 9 mars 2004, dite Perben II, à laquelle la modification du règlement s’appliquait. Deux rapports ont été remis, car la commission des lois, présidée à l’époque par Pascal Clément, avait estimé que le premier n’était pas satisfaisant, dans la mesure où les textes d’application étaient en nombre insuffisant.

J’ai constaté que le délai d’application était trop lent : pour les textes exclusivement pilotés par le ministère qui a présenté le projet de loi, il est de six mois à un an. Sur d’autres textes, certains comportements des administrations centrales confinent à la désinvolture. Or, lorsqu’on effectue un travail d’évaluation, le ministère concerné, interrogé, doit expliquer pourquoi les textes d’application ne sont pas sortis. Je veux citer quelques exemples qui m’ont particulièrement choqué.

Nous avions voté, dans la loi Perben II du 9 mars 2004, une disposition permettant la réduction forfaitaire du montant des amendes pénales réglées avant un délai d’un mois. La France connaît en effet un problème d’exécution des décisions de justice : moins de 20 % des amendes pénales prononcées durant une année déterminée sont payées à la fin de ladite année. Je me rappelle avoir fait état du rapport du trésorier-payeur général de Seine-Saint-Denis qui expliquait que, à la fin de l’année 2004, moins de 10 % des amendes prononcées par le tribunal correctionnel de Bobigny avaient été réglées. Il y a donc un problème d’autorité de la loi. Nous payons des fonctionnaires de police pour arrêter des personnes ayant commis des infractions, et des magistrats pour rendre des jugements au nom du peuple français, mais l’exécution ne suit pas.

Nous avions voté cette disposition, qui n’était pas pilotée par le seul ministère de la justice : il a fallu une décision interministérielle et un an et demi pour que le texte d’application soit effectif. Voilà qui est révélateur d’une certaine désinvolture, cette disposition ne soulevant aucune difficulté.

Je ne veux pas prolonger mon intervention, mais les exemples sont multiples. C’est une règle quasi-générale : lorsqu’un travail interministériel nécessite des textes d’application, les délais explosent.

Il en va de même pour le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles, que l’actualité a malheureusement remis à l’ordre du jour, avec les drames que notre pays a connus ces dernières semaines. Cette mesure fondamentale et consensuelle de la loi du 9 mars 2004 n’a reçu son décret d’application que le 30 mai 2005, sans oublier l’avis de la CNIL. Je ne soupçonne aucun ministère en particulier, mais le fonctionnement de l’appareil d’État n’est pas satisfaisant.

Par ailleurs, certains engagements pris devant l’Assemblée nationale ne sont pas respectés.

Ainsi la loi Perben II a créé des juridictions interrégionales visant à réprimer la criminalité organisée, une novation dont je pense que tous les députés se féliciteront dans dix ou quinze ans. Il s’agit de moderniser un outil essentiel à la répression de la criminalité organisée qui, à l’heure de la mondialisation, franchit les frontières.

M. le garde des sceaux. Ce n’est plus contesté !

M. Jean-Luc Warsmann. En effet.

Parallèlement, les services de police judiciaire devaient être réorganisés en conséquence et j’avais interrogé le ministre de l’époque à ce sujet.

Monsieur le ministre, nous voulions en effet savoir si leur répartition géographique correspondra aux juridictions administratives, avec lesquelles ils travaillent quotidiennement. Alors que nous regrettons que la carte judiciaire ait perdu sa cohérence au fil des siècles, voilà que l’on crée de nouvelles répartitions géographiques. Le Gouvernement s’était pourtant engagé à ce qu’elles soient identiques. J’ignore pourquoi il n’a pas tenu sa parole ; peut-être est-ce pour une raison que je n’ose avouer à cette tribune !

Tout ce que je sais, c’est que nous avons voté un texte permettant de créer des juridictions interrégionales dont la répartition géographique ne correspondra pas à celle des services interrégionaux de police judiciaire. Si nous parvenons à renforcer le pouvoir de contrôle du Parlement sur la mise en application des textes, nous pourrons nous opposer à ces dysfonctionnements inadmissibles.

Au-delà des questions juridiques, il faut provoquer de véritables changements de comportement.

Tout d’abord, lorsqu’il présente un projet de loi, le Gouvernement devrait également présenter des avant-projets de textes d’application, mettant à profit à cette fin la durée – quelques mois – des travaux parlementaires.

Quant aux députés, ils doivent avoir plus de colonne vertébrale et user d’une certaine liberté de ton. Ma loyauté de rapporteur à l’égard de M. Perben ne m’a pas empêché de faire état des dysfonctionnements que comportait le texte.

M. Guy Geoffroy., vice-président de la commission des lois. Absolument !

M. Jean-Luc Warsmann. J’ai aussi présenté un rapport sur les progrès considérables réalisés dans la lutte contre la criminalité organisée, sans omettre de mentionner les dysfonctionnements persistants dans les services judiciaires. Il faut avoir le courage, au-delà du fait majoritaire, de souligner aussi bien ce qui ne fonctionne pas que ce qui va bien. Dissimuler des dysfonctionnements pour ne pas gêner le Gouvernement est un mauvais calcul dont nos concitoyens s’aperçoivent et qu’ils ne manquent pas de rappeler dès l’élection suivante ! Les majorités autistes ou légères ne vivent généralement pas longtemps. La loyauté d’une majorité est de dire ce qui va et ce qui ne va pas en toute transparence. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Piron. Remarquable !

M. Jean-Luc Warsmann. Sous réserve de l’adoption de certains amendements – dont un notamment, que nous avons rédigé avec M. Geoffroy – je suis très ouvert à cette heureuse proposition de loi dont la commission des lois a accepté de débattre intégralement aujourd’hui. À l’initiative du groupe socialiste, qui a choisi de passer l’essentiel de la matinée à discuter de ce texte utile, nous pouvons montrer notre détermination à renforcer le contrôle parlementaire de l’application des textes législatifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Poursuivons donc notre débat, dont l’organisation serait facilitée si chacun respectait son temps de parole.

La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Il faut en effet que ce débat arrive à son terme et que, comme la commission l’a souhaité, nous puissions passer à l’examen des articles. Toutefois il convient également de prendre toute la mesure de cette proposition de loi : par le biais d’un texte que nos collègues socialistes ont souhaité inscrire dans le cadre de la niche parlementaire, il s’agit tout bonnement de réviser la Constitution ! Or cela ne peut être fait à la sauvette.

Certains de nos collègues socialistes, qui ont manifesté leur d’impatience devant la durée d’intervention de certains orateurs – notamment celle du ministre –, ne réagiraient certainement pas de la même manière pour un projet de loi constitutionnelle qui serait examiné au pas de charge.

M. Bruno Le Roux. Nous avons une autre proposition de loi à examiner ensuite !

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Ce texte a été proposé par nos collègues du groupe socialiste. En commission, chacun s’est exprimé et nous avons fait valoir qu’il importait d’aller au bout de l’examen de cette proposition de loi. Que n’aurions-nous entendu si nous avions décidé de ne pas passer à l’examen de l’article au motif, par exemple, qu’elle émane de nos collègues du groupe socialiste !

Restons mesurés : nous savons qu’il y a, depuis mardi, plusieurs textes à débattre – peut-être même trop – mais la représentation nationale ne s’honorerait pas en traitant trop vite un texte aussi important. Ainsi que le rapporteur, Paul Quilès, l’a rappelé, il s’agit de la question essentielle, particulièrement sous la Ve République, des relations entre pouvoirs exécutif et législatif. Le titre V de notre Constitution est en jeu et cela mérite réflexion.

À la demande du président Houillon, j’ai rappelé, dès l’ouverture du débat, la position de la commission, mais je souhaite ajouter quelques éléments personnels d’appréciation de ce texte.

Je suis, comme beaucoup d’entre vous, très désireux d’appliquer à la lettre ce qui fonde notre engagement au service de la nation. À chaque fois que nous accueillons des groupes de visiteurs à l’Assemblée – notamment des enfants – nous assistons à la projection d’un petit film qui rappelle les fonctions de la représentation nationale. Le député doit représenter ses concitoyens, sans se sentir tenu par un mandat impératif qu’interdit d’ailleurs la Constitution.

M. Éric Raoult. Très bien !

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Il fait la loi et contrôle l’action du Gouvernement, non seulement l’utilisation de ses pouvoirs réglementaires selon les termes de l’article 37 de la Constitution, mais aussi l’application des textes de loi par les pouvoirs publics, qu’il s’agisse de projets de loi gouvernementaux ou de propositions émanant de parlementaires.

Or – je le souligne en toute sincérité et sans animosité aucune – nos concitoyens ne doivent pas avoir le sentiment que nous avons attendu 2006 pour prendre la mesure du problème, surtout si celui-ci exige, en réponse, la mise en place d’un dispositif aussi conséquent : une loi constitutionnelle, assortie de surcroît d’une loi organique.

Je fais également remarquer – sans malice – qu’il est curieux d’avoir ainsi attendu jusqu’à la fin de cette législature. Les cinq ans dont disposait la majorité précédente étaient-ils donc insuffisants ? Le gouvernement de l’époque n’aurait-il pas pu réviser la Constitution en ayant recours à la procédure la plus pratique et la plus pertinente, celle de l’article 89 de la Constitution et de la réunion du Parlement en Congrès ?

La proposition de loi s’appuie sur une réflexion qui dure déjà depuis plusieurs années ; je remercie le rapporteur de l’avoir rappelé. Elle doit se poursuivre, mais il convient, pour avancer, de franchir certaines étapes.

La première était la modification de notre règlement, et nous ne devons pas en sous-estimer l’importance. Jean-Luc Warsmann, dans son remarquable exposé, a rappelé, à la fois en tant qu’auteur de la résolution et comme parlementaire ayant une expérience de son application, combien le franchissement de cette étape avait permis d’améliorer la capacité, pour notre assemblée, de contrôler la bonne mise en œuvre des textes qu’elle adopte.

Alors, passer à l’étape suivante, pourquoi pas ? L’inscription de dispositions spécifiques dans la Constitution n’est probablement pas inutile. Elle représenterait en outre un symbole fort. L’ensemble des intervenants présents en commission des lois a d’ailleurs souligné la pertinence de la voie ainsi tracée. Aucune voix ne s’est élevée pour s’opposer à l’examen de l’article unique.

En revanche, la sagesse impose de limiter notre travail à une disposition efficace et adaptée. Or ce qui est efficace, c’est ce qui peut s’appliquer rapidement. Ce qui est adapté, c’est ce qui correspond à la portée du texte et des conclusions que l’on veut en tirer. À cet égard, l’obligation de passer par une loi organique, laquelle implique un parcours semé d’embûches liées au calendrier législatif, est probablement une fausse bonne idée. On ne peut pas vouloir aller vite et s’exposer à une procédure législative aussi longue et aussi aléatoire ; ce ne serait pas apporter une bonne réponse à l’excellente question qui est posée.

Nous avons donc pris l’initiative, avec mon collègue Jean-Luc Warsmann, de présenter un amendement à l’article unique, que complètent et prolongent d’autres amendements portant articles additionnels.

En tant que vice-président de la commission des lois, mais aussi, tout simplement, en tant que parlementaire, je mesure, depuis 2002, la complexité de notre tâche, la nécessité d’être à la fois au four et au moulin, …

M. Jean-Pierre Blazy. Vous pouvez le dire !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et de parler de tout, sauf du sujet qui préoccupe tout le monde !

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. …d’être présent là où il le faut et quand il le faut, ce qui n’est pas toujours facile. (Mouvements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Martine David. Ça suffit !

M. le président. Laissez l’orateur s’exprimer !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il monopolise la tribune !

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Je souhaite donc que notre assemblée puisse aujourd’hui se mettre d’accord sur la proposition de loi telle qu’elle a été modifiée par les amendements de la commission, …

Mme Martine David. Nous, nous voulons parler du génocide arménien !

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. …afin que nos institutions soient enfin plus efficaces et que soient poursuivis les efforts engagés depuis plusieurs années pour mieux contrôler le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Bruits sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Muriel Marland-Militello. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Martine David. C’est scandaleux !

M. le président. Madame, vous n’allez tout de même pas interdire aux députés de s’exprimer !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous manipulez l’ordre du jour !

Mme Martine David. C’est comme ça depuis mardi !

M. Éric Raoult. Pendant vingt ans, vous n’avez rien fait ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Calmez-vous, sinon je serai contraint de suspendre la séance ! (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Allez-y ! Vous tenez un excellent prétexte !

M. le président. Je respecte l’ordre du jour ! Si vous vouliez que la proposition de loi sur l’Arménie soit examinée d’abord, il fallait l’inscrire en premier ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste. – Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. René Rouquet. C’est ce que nous avons demandé, mais vous l’avez refusé !

M. le président. C’est faux ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Puisqu’il en est ainsi, je vais suspendre la séance. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous n’attendiez que cela !

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

(La séance, suspendue à onze heures vingt, est reprise à onze heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Rappels au règlement

M. Jean-Luc Warsmann. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Luc Warsmann. Le climat dans lequel se déroule la séance est tout de même assez paradoxal. Le groupe socialiste disposait cette semaine de deux séances d’initiative parlementaire : mardi matin et ce matin. Il a fait le choix, ce qui ne se produit quasiment jamais, de demander l’inscription de trois propositions de loi à l’ordre du jour de ces deux séances.

Mme Martine David. C’est tout à fait possible !

M. Jean-Luc Warsmann. La matinée de mardi n’a même pas permis d’examiner la première proposition de loi dans sa totalité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Aujourd’hui, le président de notre assemblée et les députés de la majorité qui interviennent dans le débat sur la proposition de loi constitutionnelle sont accusés de faire de l’obstruction, afin de ne pas passer à l’examen du texte relatif à la reconnaissance du génocide arménien. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Hypocrite !

Mme Martine David. Mardi dernier, le ministre délégué à l’emploi a parlé durant une heure !

M. Jean-Luc Warsmann. Monsieur le président, c’est de la très grande hypocrisie, car si le groupe socialiste voulait que la proposition de loi sur l’Arménie soit examinée en son entier, il lui suffisait de l’inscrire en premier ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Martine David. Nous l’avons demandé !

Plusieurs députés du groupe socialiste. Le président l’a refusé !

M. Jean-Luc Warsmann. Si nous avions commencé d’en débattre mardi matin, ce serait fini. Monsieur le président, j’ai particulièrement été choqué, ce matin.

M. le président. Monsieur Warsmann, je vous ai entendu !

M. Jean-Luc Warsmann. En effet, toutes les radios annonçaient que l’Assemblée nationale allait consacrer la matinée à l’examen de cette proposition, alors que le groupe socialiste a tout fait pour que nous disposions du moins de temps possible !

Mme Martine David. Mensonge !

M. Jean-Luc Warsmann. Je tenais, monsieur le président, à apporter cette précision. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La proposition de loi constitutionnelle tendant à élargir les pouvoirs de contrôle du Parlement est un texte important. Toutefois, pour que nos débats retrouvent quelque sérénité, je propose à M. Quilès de retirer ce texte. Tout dépendra donc de sa réponse. (« Très bien ! » et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Vous avez la parole, monsieur Quilès.

M. Paul Quilès, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, les conditions dans lesquelles ce débat se déroule n’honorent pas notre assemblée.

M. Émile Blessig. Absolument !

M. Paul Quilès, rapporteur. Nous sommes en train de discuter d’un texte qui rejoint, les interventions l’ont montré, la volonté des parlementaires de la majorité comme de l’opposition. Il s’agit de revaloriser le rôle du Parlement. Le garde des sceaux a lui-même fait part de son accord quant à ce besoin fondamental de nos institutions trop souvent critiquées. Il n’est évidemment pas question de retirer le texte. Je propose en revanche, monsieur le président, que chacun fasse un effort pour que le débat s’accélère et que le vote sur ce texte intervienne dans les meilleurs délais. Pour ma part, je m’y efforcerai.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Marc Ayrault. Dans ce contexte, nous devons tout faire pour défendre la dignité de l’Assemblée nationale.

M. le président. Ma proposition allait dans ce sens.

M. Jean-Marc Ayrault. Certes, monsieur le président.

Nous n’avons pas terminé la discussion générale sur ce texte et des amendements ont été déposés sur l’article unique. Il semblerait même que le rapporteur en ait déposé. Cet examen risque donc de se prolonger jusqu’à douze heures trente.

M. le président. Le rapporteur appartient à votre groupe, monsieur Ayrault !

M. Jean-Marc Ayrault. Tout à fait, monsieur le président, mais j’essaie de faire un peu de pédagogie et d’apporter des éclaircissements. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je souhaite, quant à moi, que le texte relatif aux pouvoirs du Parlement soit totalement débattu.

M. Jean-Marc Ayrault. Je ne cherche toutefois pas à polémiquer, j’essaie d’expliquer le contexte. Même en faisant un effort – reconnaissons que, jusqu’à présent, rien n’a été fait pour que les débats se déroulent dans un délai raisonnable –,…

Mme Martine David. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Jean-Marc Ayrault. …la discussion générale de la proposition de loi sur le génocide arménien ne débutera pas avant douze heures trente, voire douze heures quarante-cinq et elle est organisée sur cinquante minutes. Nous risquons donc de n’entendre qu’un ou deux orateurs et d’interrompre l’examen du texte. Quels que soient les débats qui existent dans tous les groupes sur cette question, nous avons voulu qu’une discussion, aussi passionnée soit-elle, permette à différents points de vue de s’exprimer dans la sérénité et devant les Français. C’est le rôle du Parlement.

Monsieur Warsmann, votre intervention s’appuie sur des faits inexacts. J’ai écrit, hier, au président de l’Assemblée nationale pour lui demander de commencer la séance de ce matin par la discussion du texte sur le génocide arménien et d’examiner ensuite la proposition de loi constitutionnelle. Cela m’a été refusé. Aujourd’hui, le président propose, mais c’est un peu tard, d’accéder à ma demande initiale. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Luc Warsmann. C’était dès mardi qu’il fallait en discuter ! Tout le monde le sait bien ! Il ne faut pas tromper les gens !

M. Jean-Marc Ayrault. Nous pourrions décider, dès maintenant, que tout se déroule de la sorte. Mais si nous continuons l’examen de la proposition de loi sur l’élargissement des pouvoirs du Parlement, nous risquons de ne pouvoir entendre tous les orateurs inscrits dans la discussion générale du texte sur le génocide arménien. Dans ces conditions, je préfère que l’on reporte le débat à la prochaine niche parlementaire du groupe socialiste, en novembre.

M. le président. L’ordre du jour n’est pas fixé par le président de l’Assemblée nationale, mais par la conférence des présidents.

M. Jean-Luc Warsmann. Absolument !

Mme Martine David. On peut la réunir à nouveau !

M. le président. Celle-ci, sur votre proposition, monsieur Ayrault, a inscrit trois propositions de loi dans la niche socialiste. Hier soir, en fin d’après-midi, vous avez demandé de repousser la discussion du texte sur l’emploi et l’insertion des jeunes, qui n’avait pu être achevée mardi matin, jeudi en fin de matinée après l’examen des deux autres propositions de loi. Par ailleurs, tous les orateurs ont dépassé leur temps de parole. Je n’ai pas voulu les interrompre – soyez cohérents, quand je le fais, vous me rappelez gentiment à l’ordre –, car j’ai estimé que chacun devait pouvoir s’exprimer sur cette question essentielle des pouvoirs du Parlement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Blazy. Le texte sur la reconnaissance du génocide arménien ne plaît pas à l’Élysée ! M. Chirac n’en veut pas ! Vous jouez la montre, monsieur le président !

M. le président. Ce n’est pas mon habitude ! Je cherche plutôt à faire respecter les temps de parole !

La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour un rappel au règlement.

M. Frédéric Dutoit. J’aimerais faire connaître mon point de vue dans cette mini-discussion.

Très sincèrement, chacun sur ces bancs doit admettre que l’Assemblée nationale ne sort pas grandie de ces débats.

M. Émile Blessig. Absolument !

M. Frédéric Dutoit. Si nous voulons que les citoyennes et les citoyens de notre pays, quelles que soient leurs origines, s’investissent pour choisir leur avenir, nous devons donner l’exemple et ne pas jouer de la procédure. Monsieur Warsmann, le mois dernier, le groupe communiste a fait inscrire trois textes à l’ordre du jour de sa niche parlementaire : les trois textes ont été discutés dans leur intégralité.

Mme Martine David. Tout à fait !

M. Jean-Luc Warsmann. Nous examinons une proposition de loi constitutionnelle, vous saviez que c’était impossible ! On ne peut changer la Constitution en deux heures ! Ne trompez pas tout le monde !

Mme Martine David. C’était possible !

M. Frédéric Dutoit. J’étais à vos côtés, monsieur le président, quand vous avez reçu une délégation il y a peu de temps. Tout le monde sait, monsieur Warsmann, qu’il y a un débat depuis quelques jours et que de nombreux points de vue se sont exprimés.

M. Richard Mallié. Ne perdons pas notre temps !

M. Frédéric Dutoit. Certains, ici – au Gouvernement, au groupe UMP ou dans d’autres groupes –, n’osent pas assumer leur positionnement sur la question du négationnisme du génocide arménien !

Plusieurs députés du groupe socialiste. Nous l’assumons, quant à nous !

M. Frédéric Dutoit. Ne trichons pas avec la démocratie !

M. Jean-Luc Warsmann. Si le groupe socialiste avait demandé l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de mardi matin, tout se serait bien passé !

M. Frédéric Dutoit. Ne trichons pas avec les faux débats ! Assumons nos positions !

M. Jean-Luc Warsmann. Vous avez fait venir des gens pour qu’ils suivent le débat alors que l’on ne discutera pas de ce texte ! C’est de l’hypocrisie !

M. Frédéric Dutoit. J’ai entendu la proposition de M. Ayrault. Si le groupe socialiste demande l’inscription de cette proposition de loi lors de la niche parlementaire fixée au mois de novembre prochain, soyez assuré que le groupe communiste, qui l’a dans son ensemble signée, sera présent lors du débat et assumera sa position sur le négationnisme du génocide arménien. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine, pour un rappel au règlement.

M. François Rochebloine. Ce matin, nous donnons effectivement une nouvelle fois une très mauvaise image du Parlement au moment d’ailleurs où nous discutons de ses pouvoirs. Les événements inacceptables liés au négationnisme arménien – je pense aux manifestations turques –, qui se sont déroulés voici quelques semaines à Lyon et à Berlin ont été condamnés.

Sous la législature précédente, vous n’étiez pas à l’époque président de l’Assemblée nationale,…

M. le président. Sur quel article se fonde votre rappel au règlement ?

M. François Rochebloine. Sur l’article 48, alinéa 2, monsieur le président !

M. le président. Je ne vous ai pas beaucoup vu dans l’hémicycle, alors que je préside la séance depuis neuf heures trente ! Vous ne pouvez donc pas mettre en cause le fonctionnement de l’Assemblée nationale !

M. François Rochebloine. Monsieur le président, je me permets de vous rappeler que les téléviseurs installés dans les bureaux des députés leur permettent de suivre la séance tout en travaillant !

M. le président. Il ne faut tout de même pas exagérer !

M. François Rochebloine. Nous ne pouvons être toujours présents à tous les débats !

M. le président. Vous voulez empêcher vos collègues de s’exprimer !

M. François Rochebloine. Si on avait vraiment voulu que cette proposition de loi vienne en discussion, on l’aurait inscrite en première position ce matin et le débat aurait pu avoir lieu ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je regrette que tel n’ait pas été le cas !

M. le président. C’est du ressort de la conférence des présidents, où votre groupe est représenté. Respectez tout de même le règlement !

M. François Rochebloine. Ce matin, nous avons entendu le rapporteur, le vice-président de la commission des lois et le garde des sceaux, ce qui est tout à fait normal ! Or cet excellent ministre qui parle d’habitude très vite, semblait, ce matin, avoir des difficultés à s’exprimer ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Ce sont des attaques personnelles inadmissibles !

M. François Rochebloine. Pas du tout, monsieur le président ! M. le garde des sceaux est mon ami et le président du conseil général de la Loire auquel j’appartiens ! N’y voyez, en conséquence, aucune attaque personnelle ! Par ailleurs, le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales est intervenu, ce qui est quelque peu surprenant ! Manifestement, il y avait une volonté de faire traîner les débats !

Mme Martine David. Bien sûr, c’est évident !

M. François Rochebloine. C’est ce que je dénonce au nom de mon groupe et au nom de mon collègue et ami André Santini ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des lois.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Nos débats doivent pouvoir se poursuivre dans la sérénité. Je viens de m’en entretenir avec le rapporteur, si chacun l’accepte, nous pouvons passer au vote définitif de cette proposition de loi dans les vingt minutes qui viennent.

M. Jean-Pierre Blazy. Alors faites-le !

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. En effet, la discussion générale a permis d’aborder l’ensemble des questions.

Je renonce, ainsi que mes collègues inscrits sur l’article unique, à prendre la parole.

M. le président. Je pense, monsieur Geoffroy, que le garde des sceaux fera preuve de bonne volonté, et comme je le lui ai demandé, ne répondra pas aux orateurs.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. La discussion générale s’achèvera donc très rapidement, nous pourrons passer très brièvement à l’examen des amendements et nous devrions procéder au vote du texte dans les vingt minutes.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Marc Ayrault. J’ai parlé de la dignité du Parlement. Je viens d’entendre l’intervention de M. Rochebloine, j’ai eu le sentiment qu’on était en train de déraper.

On ne peut pas aborder la question du génocide arménien, qui est une question difficile, en un quart d’heure ou vingt minutes, ce ne serait pas digne de l’Assemblée nationale. Si chacun respecte son temps de parole, la discussion générale devrait durer cinquante minutes ou une heure. Il est midi moins le quart. La séance se termine normalement à treize heures ou treize heures quinze. Comment voulez-vous que, dans la dignité, nous puissions avoir un vrai débat ?

Dans ces conditions, je préfère que le texte soit reporté à la prochaine séance d’initiative parlementaire réservée au groupe socialiste (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire),…

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Trop facile !

M. Jean-Marc Ayrault. …car je ne veux pas que, sur ce sujet grave, qui se pose à notre société depuis tant d’années, le débat soit tronqué. Que les points de vue s’expriment, même s’il y a des divergences, ça ne me gêne pas, c’est le débat démocratique. Je crains que là, on ne soit en train de déraper. C’est pourquoi je prends cet engagement au nom du groupe socialiste. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Vous voulez donc, monsieur Ayrault, reporter ce texte…

M. Bruno Le Roux. Mais oui !

M. le président. Monsieur Le Roux, j’interroge M. Ayrault !

M. Bruno Le Roux. J’ai tout de même le droit de parler ! Vous ne présidez pas vraiment depuis ce matin, vous laissez passer le temps !

M. le président. Je vais suspendre la séance pendant quelques minutes pour m’entretenir avec le président Ayrault.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures quarante-cinq, est reprise à onze heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, pour la dignité de nos débats, que nous recherchons tous, je crois, et qui est en tout cas nécessaire, je fais la proposition suivante.

M. Geoffroy considère qu’on peut terminer très vite l’examen du texte dont M. Quilès est le rapporteur. Pour avoir le temps nécessaire au débat sur le génocide arménien, je propose que chacun fasse un effort, qu’on termine l’examen de cette proposition de loi en un quart d’heure et qu’on passe au vote. On commencerait alors tout de suite la discussion générale du texte sur le génocide arménien. C’est le souhait de mes collègues.

Si notre engagement mutuel n’est pas tenu, nous retirerons notre proposition de loi pour que le débat ait lieu à l’occasion d’une prochaine initiative parlementaire à l’automne. Je ne le souhaite pas, car je voudrais que ce débat, qui a été annoncé, puisse commencer aujourd’hui.

M. René Rouquet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Bernard Accoyer, pour un rappel au règlement.

M. Bernard Accoyer. Monsieur le président, le groupe UMP prend acte de la décision du président Ayrault, mais il me revient d’exprimer nos regrets quant à l’attitude de M. Quilès, qui a refusé tout à l’heure de retirer le texte en cours d’examen,…

Mme Martine David. C’est petit ! On ne le changera jamais !

M. Bernard Accoyer. …ce qui, vous en conviendrez, nous aurait permis d’avoir plus de temps pour ce débat très important.

M. Jean-Pierre Blazy. Hypocrite !

M. Bernard Accoyer. Nous prenons donc acte de cette décision, nous regrettons une telle attitude, et nous prendrons bien entendu part à ce débat, qui est, pour nous, l’une des priorités de cette matinée.

Reprise de la discussion

M. le président. Trois orateurs sont encore inscrits dans la discussion générale.

M. René Rouquet. Trois UMP !

M. le président. Je ne vois pas en vertu de quoi vous empêcheriez un parlementaire qui n’est pas de votre tendance de s’exprimer ! C’est tout de même extraordinaire !

M. Jean-Luc Warsmann. C’est le groupe socialiste qui met ce texte à l’ordre du jour, et il se plaint que le débat ait lieu !

Mme Martine David. Ça va, Warsmann, ne soyez pas hypocrite !

M. le président. Moi, je suis tenu par le règlement.

Madame Marland-Militello, souhaitez-vous vous exprimer ?

Mme Muriel Marland-Militello. Monsieur le président, en réponse au procès d’intention de l’opposition, je tiens à dire que je suis venue ici pour voter la proposition de loi sur le génocide arménien. Nous ne tenions en rien à retarder les débats et, pour le prouver, je ne m’exprimerai pas. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur Piron ?

M. Michel Piron. Monsieur le président, ayant beaucoup apprécié le rapport de M. Quilès, et vu l’importance du sujet, je souhaite m’exprimer.

M. le président. Eh bien, exprimez-vous !

M. Michel Piron. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, félicitons-nous d’abord du fait qu’un vrai sujet retienne aujourd’hui notre attention, celui du pouvoir réel du Parlement concernant non seulement l’élaboration de la loi mais également son suivi et son application.

Vrai sujet ? Qu’on me permette d’extraire un seul chiffre de l’excellent constat dressé par M. Quilès. Pour la session 2004-2005, et après des progrès notables, le taux d’application des lois plafonne à 16,4 %. C’est dire l’importance du problème et ses conséquences désastreuses, notamment sur le respect du droit.

Que l’inflation législative explique pour partie cet état de fait est certain. Vous avez évoqué Montesquieu, on aurait même pu remonter à l’Empire romain. (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Que des réticences y participent ne l’est pas moins, et cela ne peut manquer d’interroger sur la relation entre Parlement, Gouvernement et administration.

Parce que la loi demeure trop souvent inappliquée faute d’être applicable, c’est-à-dire déclinée réglementairement, on nous propose d’élargir les pouvoirs du Parlement en renforçant son pouvoir de contrôle et de suivi. Qui pourrait s’en étonner ? Puisque, avec le recours aux ordonnances, on a évoqué le risque de confondre la délégation avec un abandon, qui pourrait s’en offusquer ? Comment ne pas demeurer pareillement attentif aux arguments concernant le principe des études d’impact, trop souvent absentes, et qui devraient être à la loi ce que la lampe est au législateur ?

J’ai bien entendu vos raisons, monsieur le ministre, et la sagesse de vos constatations. Permettez-moi cependant, chers collègues, d’afficher une préférence. Chaque fois qu’il s’agit de renforcer l’efficacité de la loi, condition même de son respect, je préfère le « il n’est jamais trop tard pour faire bien faire » à un « il n’est jamais trop tôt pour attendre ».

M. le président. La parole est à M. Émile Blessig.

M. Émile Blessig. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, dans un premier temps, d’exprimer ma profonde déception face aux conditions dans lesquelles se déroule cette matinée. Nous discutons d’un premier texte, qui vise à proposer une réforme constitutionnelle pour renforcer les pouvoirs du Parlement. Cette proposition de loi d’initiative socialiste avait trouvé un large accord, sur tous les bancs. Conscient que c’est un honneur de siéger dans cet hémicycle, je trouve que le moment est important, puisqu’il est question d’adapter le travail de notre institution en respectant l’équilibre des institutions de la République. Cela me paraît d’autant plus intéressant qu’il s’agit d’une proposition socialiste et que, en tout état de cause, elle mérite quelques approfondissements. Aujourd’hui, le résultat est exactement contraire à nos intentions. Comment donner quelque crédit à la possibilité de mieux travailler dans cette enceinte, après avoir donné un tel spectacle ?

J’approuve ce texte et voudrais simplement évoquer les points qui me paraissent importants et que j’aurais développés dans une intervention à laquelle je renonce étant donné les circonstances : le rôle du Parlement évolue en raison du partage de l’initiative législative, notamment avec les institutions européennes ; de plus en plus, la notion de contrôle sera au cœur de l’activité des parlements nationaux et nous avons beaucoup de progrès à accomplir, notamment en termes de reconnaissance du pouvoir, même si certaines mesures sont déjà engagées ; enfin, et ce qui s’est passé ce matin en est l’illustration, nous avons des efforts à faire pour adapter le temps de l’institution au temps de la société, car certaines annonces nous condamnent à la pression médiatique et nous sommes pris entre des impératifs de plus en plus difficiles à maîtriser.

M. Yves Coussain. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jérôme Chartier.

M. Jérôme Chartier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne m’exprimerai pas sur ce projet de loi, bien que, chacun le sait, je me sois investi depuis des années dans la modernisation de l’activité parlementaire et qu’il me coûte beaucoup de ne pas parler d’une proposition de loi constitutionnelle traitant de ce qui est l’une des missions essentielles du Parlement, le contrôle. Mais deux sujets importants sont inscrits à l’ordre du jour de la matinée et de nombreux collègues sont présents pour la proposition de loi sur le négationnisme, à laquelle je suis particulièrement attaché, et je ne veux pas retarder les débats.

Permettez-moi cependant de faire une remarque. Ce que vient de dire Émile Blessig est plein de justesse. Il est vrai que, ce matin, nous sommes ridicules. Nous avons deux débats absolument fondamentaux, l’un pour le Parlement, l’autre pour les principes fondateurs de la République française. On les inscrit à l’ordre du jour de la même séance. Tout à l’heure, Paul Quilès déclare qu’il souhaite que le débat sur sa proposition de loi aille jusqu’à son terme, puis M. Ayrault nous apprend qu’il a appelé le président, hier, pour lui suggérer d’inverser l’ordre de la discussion. Mais la conférence des présidents se déroule le mardi matin. Pourquoi n’a-t-il pas formulé sa requête à ce moment-là ? Pourquoi a-t-il attendu hier ? En vérité, cédant à la pression du groupe socialiste, il a téléphoné au président pour lui refiler le bébé ! C’est ridicule ! Nous sommes ridicules ! Pendant ce temps, on nous regarde, à l’extérieur de l’Assemblée et dans les tribunes : devant tous, nous sommes ridicules ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je suis désolé, mais, le Parlement, ce n’est pas cela.

Je ne m’exprimerai donc pas sur le sujet, mais enverrai à tous mes collègues présents ce matin le résumé de mon intervention, pour qu’ils puissent en saisir la substantifique moelle.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Très bien !

M. Jérôme Chartier. En revanche, je tiens à m’adresser au président du groupe socialiste : monsieur Ayrault, la prochaine fois que vous aurez deux propositions de loi d’une telle importance, faites en sorte de n’en inscrire qu’une par séance afin que nous puissions avoir un vrai débat et que chacun ait le temps de s’exprimer.

Mme Martine David. Arrêtez de donner des leçons !

M. Jérôme Chartier. Je m’apprêtais à voter cette proposition de loi et j’espère que l’Assemblée la votera à l’unanimité, mais je vais sortir de l’hémicycle…

Mme Martine David. Eh bien sortez !

M. Jérôme Chartier. …car je n’ai pas l’intention d’endosser un tel ridicule. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

J’appelle maintenant l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission.

Article unique

M. le président. Sur l’article unique, trois orateurs sont inscrits, mais je leur demande de bien vouloir renoncer à leur temps de parole.

Je suis saisi d’un amendement n° 5.

La parole est à M. Paul Quilès, pour le soutenir.

M. Paul Quilès, rapporteur. Il est difficile de passer à la trappe une réflexion du Parlement sur ses propres pouvoirs et sur le rééquilibrage des pouvoirs dans nos institutions, mais, malgré l’importance du sujet, je vais tâcher d’être concis.

L’amendement n° 5 vise à rééquilibrer la rédaction de la Constitution qui définit, dans le titre II, les missions du Président de la République, au début du titre III, celles du Gouvernement, et qui oublie, à l’article 24, de définir celles du Parlement. Il est donc proposé que cet article 24 soit libellé de la façon suivante : « Avant l’article 24 de la Constitution, il est inséré un article 24 A ainsi rédigé :

« Le Parlement vote la loi. Il en contrôle l’application et en évalue les résultats.

« Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article. »

Cette rédaction est plus logique, plus rationnelle, plus complète, et elle permet, grâce à la loi organique, de définir la façon dont sont évaluées, contrôlées et votées les lois.

Permettez-moi de dire un mot pour faire une jonction avec le débat qui a eu lieu ce matin dans notre hémicycle et sur lequel je préfère ne pas me prononcer. Le texte qui va être examiné dans un instant est le complément d’une loi votée le 29 janvier 2001. Si le texte proposé aujourd’hui avait été voté auparavant, une étude d’impact aurait permis de vérifier que la loi du 29 janvier 2001 n’avait pas prévu de sanctions en cas de non-respect de ses dispositions, elle n’aurait pas été votée en l’état et nous n’aurions pas eu besoin de tenir aujourd’hui un débat qui n’a pas totalement honoré notre Parlement. Personne ne peut s’exonérer de cet oubli, ni la droite ni la gauche.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter cet amendement n° 5 qui permet d’apporter davantage de rationalité dans notre constitution et dans les pouvoirs de notre parlement.

M. le président. Tout débat, quel que soit son sujet, honore le Parlement. S’il est un endroit où l’on doit discuter librement, c’est bien ici.

Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 5 ?

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. La commission n’a pas retenu cet amendement, au profit de l’amendement n° 1, que je défendrai dans un instant.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Le rapporteur souhaite une modification constitutionnelle. La commission des lois aboutit au même résultat par une simple modification du règlement. Je suis favorable à la proposition de la commission et donc défavorable à l’amendement de M. Quilès.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 1.

La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le soutenir.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Cet amendement porte sur la rédaction initiale de la proposition de loi et non pas sur la rédaction telle qu’elle aurait été modifiée si la commission avait souhaité accepter l’amendement de M. Quilès.

Deux raisons nous incitent à modifier la proposition de loi de M. Quilès. L’article 34 de la Constitution ne concerne pas le Parlement, mais la loi. La proposition de loi dispose : « Le Parlement vote la loi », alors que la Constitution précise que « La loi est votée par le Parlement ». Mon collègue Warsmann et moi-même proposons de nous en tenir à la rédaction actuelle.

D’autre part, le texte de M. Quilès propose un dispositif complexe qui, après la révision constitutionnelle, prévoit une loi organique, dont, à l’heure qu’il est, nous ignorons les contours, ce qui est plutôt ennuyeux. L’amendement n° 1 propose que nous nous en remettions au règlement de chacune des assemblées, faisant ainsi la jonction avec ce qui existe déjà et qui a été largement au cœur des débats de la matinée.

Je précise, afin de montrer que cet amendement conserve à la proposition de loi une portée considérable, conforme à l’importance du sujet, que, comme l’indique l’article 61-1 de la Constitution, le règlement de nos assemblées est soumis, avant application, au contrôle du Conseil constitutionnel. Il en est ainsi à chacune des réformes du règlement. On peut donc estimer que l’article 34 ainsi rédigé respectera à la fois une volonté que nous partageons tous et la réalité : avec des dispositions relatives à notre règlement, nous pouvons parfaitement répondre à un souci tout à fait légitime.

M. le président. La parole est à M. Paul Quilès.

M. Paul Quilès, rapporteur. L’objet de cet amendement ne change rien à l’état actuel du droit dont j’ai expliqué tout à l’heure qu’il était insatisfaisant, malgré les progrès dus à la procédure Warsmann qui a complété l’article 86 de notre règlement par un alinéa 8. Pas plus qu’il n’obligera le Gouvernement, cet amendement n’accordera de nouveaux pouvoirs aux rapporteurs des projets et propositions de loi. Mais le plus ennuyeux, c’est que, sur la forme, cet amendement prévoit un renvoi au règlement des assemblées. Ce serait une première dans notre constitution. La coutume veut plutôt que l’on renvoie à une loi organique. Personnellement, je ne suis donc pas favorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Non, monsieur Quilès, ce n’est pas une première. Je vous renvoie à l’article 28 de la Constitution qui, dans son dernier alinéa, prévoit que « les jours et les horaires des séances sont déterminés par le règlement de chaque assemblée ».

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article unique, modifié par l’amendement n° 1.

(L’article unique, ainsi modifié, est adopté.)

Après l’article unique

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 2, visant à introduire un article additionnel après l’article unique.

La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le soutenir.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 3.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Sagesse.

M. le président. La parole est à M. Georges Tron.

M. Georges Tron. Par cet amendement, il s’agit simplement de compléter l’article 47 de la Constitution afin que le rapport annuel de la Cour des comptes fasse « l’objet d’un débat en séance publique dans les deux assemblées du Parlement », ce qui n’est tout de même pas un bouleversement.

Si l’article 58 de la LOLF prévoit déjà la possibilité d’un tel débat, sa nécessité a été démontrée dans le rapport déposé par nos deux collègues, MM. Dumont et Jego – que l’on ne peut accuser d’esprit partisan. L’adoption de cet amendement témoignerait, en outre, du sérieux que nous accordons au travail de la Cour des comptes sur les finances publiques.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 4.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(L’amendement est adopté.)

Titre

M. le président. Sur le titre de la proposition de loi constitutionnelle, je suis saisi d’un amendement n° 6.

La parole est à M. Paul Quilès, pour le défendre.

M. Paul Quilès, rapporteur. Afin de prendre acte de l’adoption de l’amendement n° 2, les mots « modifier l’article 34 de la Constitution afin d’ » sont supprimés dans le titre du texte, qui devient : « Proposition de loi constitutionnelle tendant à élargir les pouvoirs du Parlement. » Il s’agit d’un amendement de coordination.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6, auquel la commission et le Gouvernement sont favorables.

(L’amendement est adopté.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je ne suis saisi d’aucune demande d’explication de vote.

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.

(L’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle est adopté.)

reconnaissance du génocide arménien

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Didier Migaud et plusieurs de ses collègues complétant la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 (nos 3030 rectifié, 3074).

La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Christophe Masse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mes chers collègues, la proposition de loi, déposée le 12 avril dernier par le groupe socialiste, que j’ai l’honneur de vous présenter, vise à compléter la loi du 29 janvier 2001, relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, par un nouvel article créant un délit de contestation du génocide arménien.

Son inscription à l’ordre du jour de nos travaux intervient après l’inauguration du mémorial du génocide arménien de Lyon, le 24 avril dernier. Cet événement a donné lieu à des manifestations de nature négationniste, ce qui illustre, si besoin était, la nécessité de renforcer la loi de 2001.

M. Richard Mallié. Très bien !

M. Christophe Masse, rapporteur. Le présent texte s’ajoute aux six précédentes propositions de loi tendant à sanctionner la négation des crimes contre l’humanité, déposées par des députés de tous les groupes politiques. Deux autres propositions de loi relatives au génocide arménien, l’une de M. Raoult, vice-président de l’Assemblée nationale, l’autre de MM. Blum et Mallié, ont également été enregistrées depuis. La multiplicité des initiatives parlementaires montre que cette préoccupation transcende les clivages partisans et confirme le relatif consensus qui avait présidé à l’adoption de la loi de 2001.

En reconnaissant le génocide arménien, la France n’a pas réalisé pas un acte isolé, mais s’est inscrite dans la logique des institutions internationales et européennes et a rejoint plusieurs États déjà engagés dans cette voie.

Le 18 janvier 2001, jour de l’adoption définitive par l’Assemblée nationale de la proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, députés et Gouvernement étaient animés par deux sentiments : contribuer à la réconciliation entre la Turquie et l’Arménie et rendre justice aux victimes du génocide. Force est de constater que la Turquie et l’Arménie n’ont guère progressé sur la voie de la réconciliation.

Intervenant lors d’un colloque en juillet 2002 sur la lutte contre le négationnisme, Pierre Truche distinguait trois manières de répondre aux victimes de drames historiques : la repentance, qui peut se traduire par une reconnaissance officielle – que nous attendons d’ailleurs –, les actions en justice contre les auteurs ou complices, ainsi que les actions en justice contre ceux qui nient la souffrance des victimes.

À cette aune, la loi de 2001 a apporté au génocide arménien la reconnaissance officielle. En revanche, la sanction de la négation reste en suspens.

Si la loi de 2001 représente une victoire, acquise de haute lutte, elle n’en demeure pas moins une victoire symbolique. Le caractère déclaratif de la loi la prive de toute effectivité et elle ne peut connaître aucune application en l’absence d’un complément de valeur normative.

La proposition de loi que j’ai l’honneur de rapporter est donc justifiée par la nécessité de rendre applicable la loi de 2001, en la dotant d’un contenu normatif, et de combler ainsi une lacune de la législation.

En effet, les instruments juridiques actuels ne permettent pas de sanctionner les propos niant l’existence du génocide arménien. Ni l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ni l’apologie de crimes contre l’humanité, dont la sanction est prévue par l’article 24 de cette même loi, ni l’action civile sur le fondement de l’article 1382 du code civil, ne revêtent le caractère exemplaire et préventif de la sanction pénale. En conséquence, la présente proposition de loi consiste à compléter la loi de 2001 par un nouvel article.

L’article unique de la proposition de loi ne justifiant pas une présentation approfondie, je préfère m’attarder sur les objections que son dépôt n’a pas manqué de soulever.

Je pense ne pas avoir été le seul à avoir été alerté sur les conséquences de l’adoption de cette proposition de loi du point de vue de la Turquie. Il me semble néanmoins que nous devons encourager celle-ci à faire la lumière sur son passé.

Alors que la polémique sur les lois mémorielles n’est pas éteinte, cette initiative parlementaire peut paraître audacieuse. J’avancerai, à son appui, deux éléments de réponse : d’une part, si la légitimité du Parlement à écrire l’histoire peut être contestée, elle ne peut l’être lorsqu’il entend défendre les valeurs de la République, au premier rang desquels figure la dignité humaine ; d’autre part, le vote de la loi de 2001 a d’ores et déjà tranché le débat sur l’histoire et la mémoire, pour ce qui concerne le génocide arménien.

M. François Rochebloine. Absolument !

M. Christophe Masse, rapporteur. L’absence de reconnaissance du génocide arménien par une juridiction internationale interdirait de prévoir une sanction mettant en jeu la liberté d’expression. Cependant, le génocide a eu lieu il y a plus d’un siècle alors que ni la justice internationale ni la notion même de génocide n’existaient.

M. Richard Mallié. Très juste !

M. Christophe Masse, rapporteur. Dès lors, comment exiger que les conditions fixées après la Seconde Guerre mondiale s’appliquent à ce crime contre l’humanité ? En vertu des principes du règlement des différends, qui prévalent au plan international, l’Arménie ne peut, au surplus, soumettre la reconnaissance du génocide à la Cour internationale de justice sans le consentement de la Turquie à cette procédure.

De même que la loi Gayssot a suscité l’ire de certains historiens et défenseurs des droits de l’homme au nom de son caractère attentatoire à la liberté d’expression, cette proposition risque de provoquer des réactions semblables.

Je tiens à préciser que la Cour de cassation a, depuis, réfuté l’atteinte à la liberté d’expression au motif que l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme prévoit des dérogations lorsqu’il s’agit de sanctionner des comportements attentatoires à l’ordre public et aux droits des individus.

Enfin, certaines propositions de loi visent à étendre le dispositif de la loi Gayssot à tous les crimes contre l’humanité. Bien que favorable à une telle évolution, celle-ci me semble prématurée au regard du débat précité sur « histoire et mémoire ». En outre – faut-il le rappeler ? – le génocide arménien est le seul à avoir fait l’objet d’une reconnaissance législative.

En conclusion, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je crois que la sanction du négationnisme peut également être un instrument pour combattre la tentation du communautarisme. Cette affirmation, pour paradoxale qu’elle puisse paraître, trouve sa légitimité dans les derniers événements, qui marquent un durcissement de la confrontation entre les communautés turque et arménienne.

La lutte contre le communautarisme impose de garantir à chacun le respect auquel il a droit en tant qu’être humain. Le négationnisme, en ce qu’il porte atteinte à l’identité arménienne, interdit la reconnaissance de l’autre et favorise le repli sur soi.

En adoptant cette proposition de loi, l’Assemblée nationale confirmera son attachement à la justice et à la démocratie. Par ce geste fort, elle contribuera à atténuer une concurrence malsaine entre les victimes de génocides, qu’entretient leur inégalité au regard de la loi. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames et messieurs députés, permettez-moi, tout d’abord, d’exprimer à mon tour ma sympathie la plus profonde à l’adresse de nos compatriotes d’origine arménienne,...

M. François Rochebloine. Cela ne suffit pas !

M. le ministre des affaires étrangères. ...marqués par le souvenir des massacres…

M. Patrick Devedjian. Du génocide, monsieur le ministre !

M. le ministre des affaires étrangères. …commis en 1915 dans l’ancien Empire ottoman.

Ces événements tragiques ont laissé une empreinte douloureuse dans l’histoire du XXe siècle. Ils font partie de la mémoire collective de tous les Arméniens, que notre pays, fidèle à sa tradition d’asile, s’honore d’avoir accueillis.

La République doit veiller à perpétuer le souvenir et à témoigner de sa solidarité à l’égard des Françaises et des Français d’origine arménienne. C’est pourquoi le génocide arménien...

M. Didier Migaud. Ah ! tout de même !

M. le ministre des affaires étrangères. ...a été reconnu publiquement par notre pays dans la loi du 29 janvier 2001. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mesdames et messieurs les députés, vous envisagez aujourd’hui d’adopter une proposition de loi tendant à sanctionner pénalement la négation du génocide arménien. Je n’entends pas m’appesantir sur la question de la constitutionnalité de ce texte. Votre rapporteur a eu l’occasion de se pencher sur ce sujet, qui mérite certainement de retenir l’attention. Il suffit, à ce stade, d’observer qu’un doute existe et qu’il sera sans doute nécessaire, si cette proposition de loi va de l’avant, de lever toute incertitude en la matière le moment venu.

Permettez-moi, en revanche, de rappeler que, voilà quelques mois, à l’occasion du débat sur l’article 4 de la loi du 23 février 2005, un consensus s’était dégagé au sein de cette assemblée quant au rôle du Parlement face à l’histoire. Vous étiez alors convenus qu’il revenait aux historiens, et à eux seuls, d’établir la réalité des événements du passé et de façonner notre mémoire collective. (Murmures.)

M. François Rochebloine. Allons ! Il ne s’agit pas de refaire l’histoire !

M. Richard Mallié. Venons-en à l’essentiel.

M. le ministre des affaires étrangères. Il me semble qu’à vouloir s’éloigner de cette règle de bon sens, votre assemblée prend le risque, une nouvelle fois,...

M. Jean-Christophe Lagarde. Mais non !

M. le ministre des affaires étrangères. ...que le législateur intervienne dans l’écriture de l’histoire nationale.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il ne s’agit pas de réécrire l’histoire !

M. Richard Mallié. Cela a été fait en 2001.

M. Jean-Pierre Blazy. On comprend mieux certaines manœuvres de retardement !

M. le ministre des affaires étrangères. Nombre d’historiens de renom ont rappelé le danger qui pouvait découler d’une confusion entre l’élaboration de la loi et le travail historique rigoureux. Soyons-en conscients et prenons garde de ne pas verser de nouveau dans ce travers.

Reconnaissons plutôt qu’entre ces deux grandes nations que sont l’Arménie et la Turquie, seul le travail patient et constructif des historiens, fondé sur la réflexion et le dialogue, permettra d’élaborer une mémoire commune, acceptée et reconnue par tous, une mémoire qui sera, à n’en pas douter, la meilleure garantie de relations sereines et apaisées. (Murmures.)

Ce travail s’engage actuellement en Turquie...

M. François Rochebloine. Mensonge !

M. le ministre des affaires étrangères. ...et en Arménie. Il faut s’en féliciter, et ne pas ménager notre soutien aux efforts en cours pour parvenir à une meilleure prise en compte des sensibilités de chacun.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il ne faut pas se laisser endormir par du vent !

M. le ministre des affaires étrangères. L’adoption de la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui, outre qu’elle contredirait la volonté exprimée par le Parlement de ne plus légiférer sur l’histoire (Protestations sur plusieurs bancs)...

Mme Martine David. Il ne s’agit pas de cela !

M. Jean Roatta. Nous ne sommes pas des historiens !

M. le ministre des affaires étrangères. ...pourrait compromettre ces efforts et ce processus.

N’ayez pas de doute, mesdames et messieurs les députés : j’ai toujours pris position pour le respect de la mémoire arménienne.

Mme Martine David. Allez au bout de la démarche !

M. le ministre des affaires étrangères. Et, comme beaucoup d’entre vous, j’ai eu l’occasion de faire part à mes interlocuteurs turcs de la nécessité d’accomplir un travail exigeant sur l’histoire et d’œuvrer à la recherche d’une authentique réconciliation.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et après ?

M. Richard Mallié. La Turquie, ce n’est pas notre problème !

M. le ministre des affaires étrangères. Mais mon souci, aujourd’hui, est d’appeler votre attention sur les conséquences que pourrait avoir l’adoption d’un tel texte…

M. Jean-Pierre Blazy. Lesquelles ?

M. le ministre des affaires étrangères. …non seulement pour ce qui concerne la réconciliation turco-arménienne…

M. Richard Mallié. Non au chantage !

M. le ministre des affaires étrangères. ...mais aussi pour les intérêts de la France et au-delà (Exclamations sur divers bancs)...

Mme Martine David. C’est toujours le même argument que l’on nous oppose !

M. Éric Diard. On ne peut mettre en balance la morale et l’économie !

M. le ministre des affaires étrangères. ... et sur la cause même que notre pays entend défendre. Nous ne devons pas ignorer les risques encourus.

M. Jean-Pierre Blazy. Combien de millions d’euros en jeu ?

M. le ministre des affaires étrangères. Mesdames et messieurs les députés, chaque nation, un jour ou l’autre, a été confrontée à des événements dramatiques, à des zones d’ombre, à une part de tragédie léguée par l’histoire – je dis bien « chaque nation ». Il s’agit alors de faire face à son passé et de mener l’indispensable travail de mémoire pour pouvoir s’engager sereinement vers l’avenir.

M. Jean-Paul Bacquet. C’est pourquoi il faut demander à toutes les nations de le faire !

M. Richard Mallié. La France l’a fait, pourquoi pas la Turquie ?

M. le ministre des affaires étrangères. C’est une tâche longue et difficile, qui requiert beaucoup de temps et de courage.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et de ténacité.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est l’intérêt de la France.

M. le ministre des affaires étrangères. Assumer les épisodes douloureux du passé, tel est le travail que doit accomplir la Turquie, même si la Turquie d’aujourd’hui ne saurait être tenue pour responsable des faits intervenus dans les convulsions de la fin de l’Empire ottoman.

M. Christophe Masse, rapporteur. Là-dessus, nous sommes bien d’accord.

M. le ministre des affaires étrangères. Ce travail de mémoire, reconnaissons que les Turcs ont déjà commencé à l’entreprendre. (Exclamations sur de nombreux bancs.)

M. Éric Diard. Après un siècle !

M. René Rouquet. 91 ans !

M. le ministre des affaires étrangères. C’est ce processus qu’il convient d’encourager aujourd’hui.

Ainsi les autorités turques ont-elles récemment autorisé un meilleur accès aux archives, ouvrant par là même la voie à un travail conjoint des historiens pour la recherche de la vérité.

M. Patrick Labaune. Je n’ai rien vu de tel !

Mme Maryse Joissains-Masini. Ça suffit ! On ne peut pas laisser dire cela !

M. le ministre des affaires étrangères. De même, en septembre dernier, s’est tenue une conférence rassemblant des historiens et des intellectuels d’horizons variés.

M. Jean-Christophe Lagarde. Lamentable !

M. Gilles Artigues. Honteux !

M. le ministre des affaires étrangères. Ensemble, ils se sont efforcés de poser les bases d’un examen objectif des évènements effroyables de 1915 et de 1916.

M. François Rochebloine. C’est faux !

Mme Maryse Joissains-Masini. C’est faux tout ça !

M. le ministre des affaires étrangères. Beaucoup considèrent que cette conférence soutenue par les autorités d’Ankara représente un véritable tournant dans la lente appropriation par le peuple turc de cette partie de son histoire, marquée par un génocide d’une dimension tragique peu commune.

M. François Rochebloine. Ce sont les dirigeants d’Ankara qui doivent dire cela.

Mme Maryse Joissains-Masini. Nous parlons des Arméniens, pas des Turcs !

M. le ministre des affaires étrangères. Car c’est à la Turquie qu’il appartient de se réconcilier avec son passé et de mener avec courage le débat aujourd’hui ouvert.

Mme Maryse Joissains-Masini. Ce n’est pas un débat sur la Turquie !

M. le ministre des affaires étrangères. Mais naturellement, elle ne saurait le faire seule. Pour se réconcilier, nous le savons tous, il faut être deux. Or une nouvelle dynamique semble exister depuis peu en faveur du dialogue entre la Turquie et l’Arménie.

Mme Maryse Joissains-Masini. C’est faux !

M. Bruno Le Roux. Ce dialogue doit reposer sur des bases claires.

M. le ministre des affaires étrangères. Ce dialogue repose bien sûr sur la densité des contacts entre les autorités des deux pays qu’il faut encourager pour aboutir à un règlement des différends.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est du bla-bla !

M. le ministre des affaires étrangères. Les autorités turques ont d’ailleurs proposé l’an dernier que soit mené avec l’Arménie un travail conjoint sur cette douloureuse question.

De notre côté, sachons appuyer ces efforts, à l’heure où l’ouverture et le dialogue s’imposent face à la résurgence du nationalisme et la tentation d’imposer sa loi. Gardons-nous d’agir de façon unilatérale, quelle que soit la grandeur de la cause que l’on défend, car ce n’est pas toujours le meilleur chemin à emprunter pour la servir.

Mme Martine David. Ce n’est vraiment pas crédible !

M. le ministre des affaires étrangères. La France est l’amie fidèle et loyale de l’Arménie. (Murmures sur plusieurs bancs.)

Nous sommes l’une des premières nations à l’avoir reconnue comme État.

M. Patrick Labaune. On continue !

Mme Martine David. Ce n’est pas grâce à nous !

M. le ministre des affaires étrangères. Nous entretenons avec elle des rapports denses et nourris et nous avons concouru de toutes nos forces à la stabilité de cette jeune République.

Mais la France est aussi l’amie de la Turquie, pour laquelle elle a servi d’inspiratrice au moment de l’instauration de la République et avec qui elle entretient depuis longtemps des relations fortes, étroites et suivies.

M. Richard Mallié. C’est pour cela qu’elle bloque les frontières !

M. le ministre des affaires étrangères. Aujourd’hui, sur le plan diplomatique, le fait est que nous partageons avec la Turquie un même point de vue sur nombre de dossiers internationaux.

Dans le même temps, nos relations économiques, culturelles, scientifiques, sans oublier les liens humains, tissés au fil des ans, puisque la France accueille plus de 300 000 ressortissants d’origine turque, ont permis d’établir un partenariat durable entre nos deux pays.

Face à cette double amitié, et alors que le souvenir du génocide arménien continue de nous hanter avec son cortège de douleur et d’images épouvantables, la France doit conduire une politique de paix et de réconciliation.

Notre pays entretient au demeurant des relations de confiance avec l’ensemble des pays de la région et elle participe activement au règlement de conflits, je pense en particulier au rôle de médiation que nous jouons actuellement dans le cadre du groupe de Minsk sur le Haut-Karabakh.

M. Camille de Rocca Serra. Cela n’empêche pas !

M. François Rochebloine. Cela n’a rien à voir !

M. le ministre des affaires étrangères. C’est cet esprit de paix et de réconciliation qu’il nous revient de faire prévaloir pour accompagner la Turquie et les pays de la région dans leurs efforts actuels de rapprochement. Soyons lucides, ce dialogue est aujourd’hui à un tournant, mais il reste encore fragile.

Il est important d’en avoir conscience au moment où cette proposition de loi vous est soumise. Tous ici, nous devons nous mobiliser pour soutenir aujourd’hui en Turquie les efforts de modernisation et de dialogue entrepris depuis peu.

M. Frédéric Dutoit. Tout à fait !

M. Patrick Labaune. La modernisation passe par la reconnaissance du génocide !

M. le ministre des affaires étrangères. Tous, nous devons avoir à cœur de ne pas encourager le repli sur soi, le nationalisme autoritaire et le rejet des valeurs de progrès et d’ouverture auxquelles nous sommes ici tous attachés. (Exclamations sur plusieurs bancs.)

M. Jean-Christophe Lagarde. En quoi la loi française gêne-t-elle ?

M. le ministre des affaires étrangères. La communauté arménienne de Turquie tout comme les autres acteurs intéressés par ce débat l’ont d’ailleurs bien compris.

Mme Maryse Joissains-Masini et M. Jean-Christophe Lagarde. Ce n’est pas le sujet !

M. le ministre des affaires étrangères. Tous soulignent la nécessité d’éviter toute interférence dans ce dialogue.

M. Patrick Devedjian. Vous n’allez pas oser faire parler les otages tout de même !

M. le ministre des affaires étrangères. Un dialogue qui doit avant toute autre chose trouver par lui-même son rythme et sa force propre.

Mesdames et messieurs les députés, la cause arménienne est juste.

M. Jean-Christophe Lagarde. Et alors ?

M. le ministre des affaires étrangères. Elle doit être défendue et respectée. Mais la représentation nationale doit tenir compte de l’intérêt de la France dans les moyens qu’elle utilise pour défendre nos principes.

M. Richard Mallié. Non ! Pas de chantage ! C’est scandaleux !

M. le ministre des affaires étrangères. Or le texte qui vous est soumis aujourd’hui serait considéré, s’il devait être adopté, qu’on le veuille ou non, comme un geste inamical par la très grande majorité du peuple turque. (Protestations sur les bancs sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est lamentable !

M. le ministre des affaires étrangères. Cela ne pourrait manquer d’avoir des conséquences politiques sérieuses et d’affaiblir notre influence non seulement en Turquie même mais aussi, au-delà, dans l’ensemble de la région.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. De la part d’un ministre des affaires étrangères, c’est inacceptable ! Vous ne parlez pas au nom de la République.

M. Richard Mallié. Laissez voter les parlementaires comme ils veulent !

M. le ministre des affaires étrangères. La Turquie, qui a connu, en 2005, un taux de croissance supérieur à 7 %, est pour la France un partenaire économique et commercial de premier plan. (Protestations sur plusieurs bancs.)

M. le président. Je vous en prie !

M. le ministre des affaires étrangères. De nombreux groupes français y sont installés.

Mme Maryse Joissains-Masini. C’est scandaleux !

M. le ministre des affaires étrangères. Ne nous y trompons pas, nous ne pouvons accepter cette proposition de loi.

Mais, au-delà, c’est la proximité culturelle, scientifique et artistique, qui marque l’histoire des relations entre nos deux pays, qui est en cause.

M. Éric Raoult. Ce n’est pas le sujet ! Vous êtes à côté de la plaque !

M. le ministre des affaires étrangères. Pour qui connaît la tradition francophile des universités, et en particulier de celle de Galatasaray, il n’y a pas de doute à nourrir sur l’influence et le rayonnement de la France au cœur même de ce pays et de sa jeunesse.

M. Jean-Pierre Blazy. Ce n’est pas la question !

M. le ministre des affaires étrangères. Mesdames et messieurs les députés, promouvoir les valeurs de la France, c’est aussi savoir faire prévaloir l’esprit de responsabilité. C’est pour rester fidèles aux principes et aux valeurs qui n’ont jamais cessé de guider l’action de la France depuis des siècles et qui font de notre pays la formidable puissance de paix et de réconciliation qu’elle est aujourd’hui que je vous propose de refuser cette proposition de loi. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons aborder la discussion générale. Pour permettre à chaque groupe de faire intervenir au moins deux orateurs, je demande à chacun de réduire son temps de parole à cinq minutes.

M. François Rochebloine. Oh !

M. le président. Monsieur Rochebloine, si vous parlez plus longtemps, tout le monde ne pourra pas s’exprimer. Or je voudrais que chacun s’exprime. C’est pourquoi j’ai décidé que chaque orateur aurait cinq minutes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Didier Migaud.

M. Didier Migaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je regrette d’avoir entendu le traditionnel discours du Quai-d’Orsay qui nous est resservi à chaque occasion dans les mêmes circonstances.

M. Bernard Accoyer. Et alors ?

M. Didier Migaud. Nous avons en 2001 reconnu le génocide arménien.

Le statut de Rome, acte fondateur de la Cour pénale internationale, a défini le génocide comme : « l’extermination physique, intentionnelle, systématique et programmée d’un groupe ethnique, national, religieux ou racial». C’est une forme extrême de crime contre l’humanité.

De très nombreux documents attestent de la réalité de ce génocide. Ce n’est pas nous qui écrivons l’histoire. Elle est le fait des hommes. Les historiens l’analysent, la commentent, les professeurs l’enseignent. Nous ne faisons que la constater.

Il nous apparaît indispensable de garder la mémoire de cette tragédie. Alors même que nous avons reconnu ce génocide, pouvons-nous accepter qu’il soit impunément nié sur notre territoire ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Voilà la question !

M. Didier Migaud. Le faire ne serait-ce pas renoncer à ce devoir de mémoire, nous montrer complices d’une censure, accepter tout simplement l’histoire officielle établie par ceux-là mêmes qui ne veulent pas reconnaître une vérité, ou, tout simplement, une réalité historique ?

Certains craignent que l’exercice de leur profession soit entravé par la présente proposition de loi.

D’abord, si la liberté de conscience peut être totale, la liberté elle-même ne peut pas être absolue. La nôtre, comme celle des historiens, comme celle du chercheur en génétique. C’est le fondement même d’une démocratie que d’établir des règles et de faire en sorte que la liberté de l’un n’entrave pas celle de l’autre.

M. Patrick Lemasle. Très bien !

M. Didier Migaud. De même, la reconnaissance et la qualification de la Shoah ont-elles empêché les historiens de faire leur travail, ont-elles entravé leurs recherches ? Non, il est impossible de dire cela.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr !

M. Christophe Masse, rapporteur. Tout à fait !

M. Didier Migaud. Enfin, n’oublions pas que, comme a pu le rappeler justement dans Le Monde Sévane Gabirian, « ce qui importe aux juges dans les affaires de contestation de crimes contre l’humanité, ce n’est pas la question de savoir si ce que dit l’historien est vrai, mais celle de savoir si son travail et ses allégations révèlent une intention de nuire ou répondent au devoir d’objectivité et aux règles de bonne foi ».

M. Jean-Yves Le Bouillonnec et M. Patrick Lemasle. Très bien !

M. Didier Migaud. Par cette proposition de loi, entendons-nous considérer l’actuelle Turquie comme responsable de ce génocide ? En aucune façon. Sans que cela soit considéré comme un jugement de notre part, nous voulons dire aux Turcs, qu’une nation, qu’un pays ne s’affaiblit pas en reconnaissant son passé. Nous avons nous-mêmes effectué cet exercice à plusieurs reprises, sans bien sûr que les faits en cause ne puissent recevoir la même qualification.

Je voudrais terminer sur quelques observations.

Notre démarche est-elle de nature à encourager les comportements et revendications communautaristes ? C’est le génocide qui constitue la plus grande négation du caractère entier de l’humanité. C’est le génocide qui, par essence, est communautariste en ce qu’il distingue des groupes pour mieux les exterminer.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec et M. Bruno Le Roux. Très juste !

M. Didier Migaud. Cela ne veut pas dire bien évidemment que toute démarche communautariste est « génocidaire ».

On nous dit que notre démarche provoque des difficultés diplomatiques et le risque en retour de représailles économiques. Pour certains, notre démarche se réduirait à une opération électoraliste. Quelle conception de la politique cela révèle-t-il chez ces derniers, incapables, semble-t-il, d’imaginer qu’on puisse tout simplement agir par conviction ou refus du chantage ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Tout cela, nous l’avons connu en 2001, nous avions décidé unanimement de le dépasser y compris contre l’avis des deux têtes de l’exécutif de l’époque. Permettez-moi de souhaiter aujourd’hui ce même refus de céder aux pressions, la même adhésion au devoir universel de mémoire. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, comme vous avez autorisé la prise de parole de deux orateurs par groupe, et mon ami André Santini m’ayant laissé son temps de parole, j’aimerais utiliser les dix minutes qui m’étaient imparties.

M. Philippe Rouault. Non, c’est cinq minutes chacun !

M. le président. Monsieur Rochebloine, j’ai le pouvoir de diriger les débats. J’ai décidé que chaque orateur n’aurait que cinq minutes, vous n’aurez que cinq minutes, comme tout le monde.

M. Philippe Rouault. Très bien !

M. François Rochebloine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est à l’initiative de nos collègues du groupe socialiste, dans le cadre de leur niche parlementaire, que ce matin nous reprenons le débat sur la question de la défense de la mémoire du génocide arménien.

Ce débat, à dire vrai, était resté inachevé, nous savions qu’il faudrait le reprendre, après l’adoption de la loi du 29 janvier 2001 portant reconnaissance officielle du génocide arménien de 1915, à laquelle j’ai eu l’honneur de contribuer, en tant que rapporteur, tout comme un certain nombre de nos collègues encore présents ce matin, notamment André Santini.

Je me permets d’ailleurs de vous rappeler, monsieur le ministre, que c’était dans le cadre d’une niche parlementaire UDF que cette loi avait été adoptée et que vous étiez, à cette époque, le président de ce groupe à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Christophe Lagarde. Eh oui ! il a bien changé !

M. François Rochebloine. Au travers de cet acte politique et juridique, ce texte souligne les liens de solidarité et d’amitié qui unissent de longue date les peuples français et arménien.

Cette loi constitue en effet un geste, ô combien symbolique, de la France envers la communauté d’origine arménienne. Notre pays, en rendant ainsi publiquement justice au peuple arménien, trop longtemps abandonné à son triste sort de victime oubliée, s’est honoré en renouant avec la tradition humaniste qui a fait sa grandeur passée.

Rappelons que la France, amie de l’Arménie de longue date, a su accueillir sur son sol, dans les moments les plus sombres, les rescapés des terribles massacres perpétrés en pleine guerre, dans l’Anatolie de 1915.

Faut-il souligner l’horreur de ces événements dramatiques à partir du mois d’avril 1915, lorsque le gouvernement Jeune Turc est passé à l’acte, et a déclenché l’horrible processus d’extermination de 1 500 000 Arméniens de l’Empire ottoman, par des massacres organisés et planifiés, visant la destruction des minorités, et préfigurant ce que fut, deux décennies plus tard, la Shoah.

Oui, il y a eu génocide, et ce fut précisément le premier génocide du XXe siècle.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est vrai !

M. François Rochebloine. La responsabilité de l’État turc de l’époque est directement et indiscutablement engagée devant la communauté internationale des États, à l’égard du droit des gens et d’un ordre juridique, certes encore balbutiant, mais surtout devant l’histoire et la morale collective.

La loi de 2001 fut votée, souvenons-nous, je me plais à le souligner, grâce à la mobilisation de parlementaires issus de toutes les sensibilités politiques représentées à l’Assemblée nationale, mais aussi grâce à la détermination sans faille des organisations arméniennes de France.

Le négationnisme sous toutes ses formes doit être sanctionné. Notre société a besoin de retrouver du sens, elle a besoin de règles écrites, en correspondance avec le devoir de mémoire.

Au plan législatif, nous savons hélas ! que les proclamations ne suffisent pas. Aussi, il convient de tirer les conséquences de la reconnaissance du génocide et de moderniser notre droit pénal, en l’adaptant aux nouvelles exigences d’un monde où les moyens d’expression et les techniques de communication facilitent toutes les dérives. Sur ce point, j’approuve entièrement la remarque de notre rapporteur lorsqu’il souligne que « la loi de 1881 paraît le support idéal pour une disposition qui met enjeu la liberté d’expression en s’inspirant de la loi Gayssot ».

Tel est le sens de la proposition de loi que j’ai personnellement déposée dès 1995, que j’ai reprise d’ailleurs avec Patrick Devedjian quelques années plus tard, et que j’aurais voulu voir adoptée, et qui tendait à modifier les articles 24 bis et 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, de façon à interdire la contestation de la réalité de tous les génocides et crimes contre l’humanité.

J’observe que les différentes majorités en place depuis cette date n’ont pas souhaité aborder le sujet, alors qu’en différentes occasions il aurait été possible et facile de le faire.

Avec cette proposition de loi, nous avons la possibilité d’adresser un signal fort aux négationnistes de tous poils, à la condition, bien sûr, que l’on aille au bout de la démarche, c’est-à-dire au bout de la procédure législative, avec l’adoption d’un dispositif de sanctions réellement efficace.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est bien le sujet.

M. François Rochebloine. Le combat pour le rétablissement de la vérité continue plus que jamais, tout comme doit être soutenue l’aspiration légitime du peuple arménien à la liberté, la souveraineté et l’indépendance. Notre devoir nous impose donc de mener ce combat pour les valeurs humanistes, la démocratie et l’amitié entre les peuples.

Non, le négationnisme ne saurait être admis, il doit être sanctionné. La proposition de loi que nous examinons ce matin nous en offre la possibilité, saisissons-la ! (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président. Il n’a parlé que quatre minutes ! (Rires.) C’est la preuve que même M. Rochebloine peut être remis dans le droit chemin. (Sourires.)

La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Patrick Labaune. Il va pouvoir parler six minutes !

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui représente une avancée incontestable dans le combat incessant que nous devons mener pour défendre les libertés et promouvoir les droits de l’homme.

Le peuple arménien a aujourd’hui recouvré une part de lui-même qu’il a perdue il y a plus de quatre-vingt-dix ans. C’est un combat qui me tient particulièrement à cœur, et que j’ai toujours mené, notamment aux côtés de Guy Hermier, lorsque nous avons inauguré, dans les quartiers nord de Marseille, la stèle du Jardin du 24 avril, au lieu même où les Arméniens sont arrivés en France et ont été accueillis au camp Oddo. Cette inauguration a eu lieu le 24 avril 1999, quelques mois à peine après le vote, en première lecture dans cet hémicycle, de la proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide arménien, pour laquelle mes amis Guy Hermier et Guy Ducoloné se sont tant battus.

Ce jeudi 18 mai pourrait être un jour historique. Je souhaite de tout cœur que l’Assemblée nationale soit fidèle à son vote du 29 mai 1998 et que l’ensemble des députés rejettent unanimement les pressions, directes ou indirectes, dont ils ont été la cible ces temps derniers. D’où proviennent ces pressions, nous y reviendrons peut-être un jour.

Il y a neuf ans, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide arménien qui, le 29 janvier 2001, est enfin devenue une loi de la République.

Nous le savons toutes et tous ici : les génocides, crimes de guerre et crimes contre l’humanité sont définis et sanctionnés par des textes de droit national ou international, auxquels s’ajoute cette loi du 29 janvier 2001, qui instaure la reconnaissance officielle par la France du génocide arménien de 1915. Est-ce là un accomplissement ? Je ne le pense pas. Si cette loi a une portée symbolique évidente, elle n’a malheureusement aucune incidence juridique, aucune conséquence répressive. Elle constitue un immense progrès à l’égard d’un peuple martyr mais demeurera imparfaite tant que ce crime pourra être impunément contesté ou démenti.

La France sanctionne la négation du crime contre l’humanité grâce à la loi Gayssot. Elle ne peut méconnaître aujourd’hui les génocides non reconnus à cette époque, comme le génocide arménien, et organiser la sanction des tentatives négationnistes qui pourraient les viser.

Depuis le 1er mars 1994, les crimes contre l’humanité figurent en tête du livre deuxième du nouveau code pénal français, dont ils constituent le titre premier. Néanmoins, il convient d’avoir à l’esprit un principe fondamental du droit pénal : l’incrimination ne peut s’appliquer à des faits commis avant son entrée en vigueur, soit, je le répète, avant le 1er mars 1994.

Pour l’heure, incriminer la contestation publique de crimes contre l’humanité ne soulève pas de difficultés juridiques, à condition que la réalité des crimes concernés ait été attestée et sanctionnée par une décision de justice. Dans les autres cas, c’est différent. L’extension du délit de négationnisme au génocide arménien a ainsi échappé de façon définitive à toute sanction juridictionnelle. Il nous revient in fine d’apprécier que la Cour internationale de justice, qui ne connaît que des différends qui opposent des États, et les tribunaux pénaux internationaux, qui sont limités spatialement et temporellement, ne sont pas compétents.

Actuellement, seule la contestation du génocide juif constitue un délit. On entend ici et là quelques contestations de la loi Gayssot. Il serait pourtant inacceptable de remettre en cause cette loi, qui reconnaît la Shoah.

Nous devons aujourd’hui nous intéresser en outre aux victimes rescapées d’autres crimes contre l’humanité et qui attendent de nous que nous prenions nos responsabilités dans le concert des nations, pour faire reculer la barbarie et sa négation.

L’Assemblée nationale doit saisir l’occasion qui nous est offerte aujourd’hui de donner plus de portée à la reconnaissance du génocide arménien et autoriser à son propos l’invocation du délit de négationnisme. La négation du génocide arménien de 1915 doit être sanctionnée des mêmes peines que celles prévalant pour la négation de la Shoah.

La proposition de loi qui nous retient ce matin peut être un levier. Celui du renforcement du rôle de la France, monsieur le ministre, dans la défense des droits de l’homme, du droit des personnes à leur histoire, du droit des peuples à la justice. Elle grandirait la France, lui offrant de renouer une fois encore avec sa vocation universelle à œuvrer pour la vérité et la justice, à l’instar de la loi Taubira, à l’origine de la toute récente célébration officielle en France de l’abolition de l’esclavage, pour la première fois, cent soixante ans après la fin de ce crime contre l’humanité.

Il ne saurait être question de nous opposer ici l’argument que les politiques ne doivent pas écrire l’histoire. Les crimes contre l’humanité sont tous reconnus comme des réalités historiques par les historiens eux-mêmes. Quel historien nierait aujourd’hui la réalité du génocide arménien, la réalité du génocide du Rwanda ?

M. Patrick Labaune. Et le génocide cambodgien !

M. Richard Cazenave. Et celui perpétré par les staliniens !

M. Frédéric Dutoit. Nous ne pouvons nous cacher derrière notre petit doigt pour ne pas prendre nos responsabilités d’élus de la nation, comptables de la promotion de la justice.

La reconnaissance du génocide arménien de 1915 et la condamnation pénale de sa contestation composent un même ensemble qu’il y a lieu d’harmoniser dans la législation française. Dans le même temps, je souhaite que cette nouvelle avancée soit, à l’avenir, dans le respect du travail de recherche des historiens, étendue à tous les génocides, à tous les crimes contre l’humanité, à ceux qui pourraient malheureusement advenir mais que nous espérons aussi prévenir en organisant la riposte démocratique aux discours de haine, d’où qu’ils émanent.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Frédéric Dutoit. La France a très souvent été en tête de tous les combats pour les droits de l’homme. Au nom de ses valeurs et de leur rayonnement, il me semble qu’elle doit faciliter activement l’expression de ses propres devoirs de mémoire sans exclusive, et se souvenir de ses tristes périodes coloniales ou de la collaboration du régime de Vichy avec les nazis, pour n’emprunter que deux exemples à son histoire. C’est toute son histoire qu’elle a le devoir de se remémorer et de reconnaître. Un devoir de mémoire envers toutes les victimes de ses actes les plus condamnables.

La France doit dans le même temps intensifier plus que jamais son action internationale – c’est votre travail aussi, monsieur le ministre –, afin de favoriser l’émergence de règles communes, notamment sous l’égide de l’Organisation des Nations unies, en faveur du respect des libertés à travers le monde, en faveur de la reconnaissance sans distinction de tous les génocides, atteinte ultime aux droits de l’homme, en faveur également de la criminalisation internationale de toutes les formes de négationnisme.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Abrégez !

Mme Muriel Marland-Militello. On a compris !

M. Frédéric Dutoit. La France s’honorerait ainsi d’universaliser son message. Puisse ce jeudi 18 mai 2006 être le lancement, une nouvelle fois, à partir de l’Assemblée nationale, de nouvelles conquêtes pour les droits de l’homme. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laffineur.

M. Marc Laffineur. Mes chers collègues, nous examinons ce matin une proposition de loi complétant la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915. C’est le troisième texte inscrit par le groupe socialiste au sein de sa niche parlementaire de cette semaine. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Nous regrettons que cette accumulation de propositions ne nous permette pas de débattre dans de bonnes conditions et suffisamment au fond de ces propositions.

M. Jean-Pierre Blazy. Nous n’avons que des niches !

M. Marc Laffineur. Nous regrettons que M. Quilès ait refusé de retirer le texte précédent, comme le lui avait suggéré notre président, et nous regrettons que le président du groupe socialiste ait fait volte-face sur volte-face en disant qu’il retirait ce texte dont nous discutons, puis en le maintenant.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Provocation !

M. Marc Laffineur. La France a reconnu officiellement, par la loi du 29 janvier 2001 le génocide arménien.

M. François Rochebloine. A l’unanimité !

M. Marc Laffineur. Elle a eu raison de le faire, nous en sommes tous convaincus sur ces bancs.

M. Éric Raoult. Bravo !

M. Marc Laffineur. Nul ne peut nier les crimes et les atrocités dont a été victime le peuple arménien dans l’Empire ottoman, avant la chute de celui-ci à la fin de la Première Guerre mondiale. Nul ne peut nier les centaines de milliers de crimes perpétrés dans le cadre du génocide arménien de 1915, un million et demi de morts selon les estimations les plus crédibles.

La loi du 29 janvier 2001 a été votée par notre assemblée, par tous les groupes. Il n’y a aucune divergence entre nous sur cette reconnaissance.

M. François Rochebloine. Heureusement !

M. Marc Laffineur. Nous nous inclinons tous, au sein de la représentation nationale, devant la souffrance subie par le peuple arménien. D’ailleurs, dès la fin de la Première Guerre mondiale, la France avait été l’un des premiers pays à accueillir en nombre les rescapés de ce terrible génocide, pour les aider à retrouver une vie meilleure. Je veux saluer ici nos compatriotes d’origine arménienne qui ont tant apporté à notre pays, dans tous les domaines.

Chacun a reconnu cependant, lors du débat sur l’article 4 de la loi du 23 février 2005, que ce n’est pas à la loi d’écrire l’histoire, tentation à laquelle notre assemblée a peut-être trop cédé depuis 15 ans, le plus souvent pour de bonnes raisons. Je regrette que le Parti socialiste y cède à nouveau, pour des raisons qui lui sont propres, malgré les réticences de beaucoup de ses députés parmi les plus éminents.

M. Bruno Le Roux. Ce n’est pas la même chose !

M. Marc Laffineur. La vigueur du débat sur l’article 4 de la loi du 23 février 2005 a mis en lumière les dangers d’une telle attitude.

M. Christophe Masse, rapporteur. Amalgame !

M. Marc Laffineur. Il a montré les fortes réticences de la communauté scientifique, en particulier des historiens, à voir le législateur s’immiscer dans le champ de la recherche historique.

Certes, des lois peuvent intervenir en ce domaine pour commémorer, célébrer ou reconnaître tel ou tel événement, comme cela a été le cas avec la loi du 29 janvier 2001. Pour autant doivent-elles aller plus loin, en donnant l’impression d’encadrer le champ de la recherche et du débat historique ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Diriez-vous la même chose s’il s’agissait de la Shoah ?

M. Marc Laffineur. Les voix d’historiens éminents se sont élevées depuis plusieurs jours pour nous inviter à ne pas légiférer ce matin.

M. François Rochebloine. Nous sommes des élus !

M. Marc Laffineur. Je pense à Pierre Nora, à Gérard Chaliand, historien du génocide arménien, qui ont demandé instamment à tous les groupes que le Parlement n’intervienne pas à nouveau dans ce débat.

M. Jean-Pierre Blazy. Ils se trompent !

M. Marc Laffineur. Beaucoup d’historiens craignent que cette proposition de loi ne revienne, en réalité, à judiciariser le champ de la recherche historique, ainsi que l’ont démontré les poursuites engagées en France contre des chercheurs reconnus pour leur objectivité.

M. François Rochebloine. Vous ne tiendriez pas le même langage si vous aviez vu ce qui s’est passé à Lyon !

M. Marc Laffineur. Appeler au meurtre contre des personnes, contre une communauté, faire l’apologie d’un génocide sont des délits qui doivent évidemment conduire devant les tribunaux. C’est le cas actuellement, y compris pour l’apologie du génocide arménien. Notre code civil est sur ce point incontestable.

Commenter ces horreurs, débattre de l’ampleur des crimes subis, discuter de leur signification et de leur portée ne devrait au contraire, à notre sens, conduire personne devant les tribunaux, et surtout pas les historiens. Les tribunaux ne sont pas qualifiés pour délivrer des vérités historiques. Ce n’est pas en légalisant la vérité, en interdisant l’expression de mauvaises idées qu’on parviendra à les réduire, mais en les combattant par la recherche et par un enseignement appuyé sur le consensus des historiens.

M. Christophe Masse, rapporteur. Amalgame !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Que sont les mauvaises idées en matière de génocide ?

M. Marc Laffineur. Beaucoup des députés de notre groupe sont pour ces raisons réservés sur l’idée de légiférer à nouveau sur l’histoire. D’autres souhaiteront peut-être le faire. Sur un sujet qui relève autant de la conscience individuelle de chacun, il est évident que chaque député, sur ces bancs, doit s’exprimer librement et voter tout aussi librement. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Rochebloine. Provocation !

M. le président. La parole est à Mme Martine David.

Mme Martine David. Le 18 janvier 2001, j’étais présente à cette même tribune de l’Assemblée nationale pour dire la fierté qui était la mienne de contribuer à faire franchir une étape décisive à la République française, par la reconnaissance officielle du génocide arménien de 1915. Je croyais à l’époque que cet acte politique fort allait permettre que la mémoire des hommes devienne la sépulture dont n’avaient pas bénéficié les victimes de ces terribles crimes.

Cet acte législatif courageux était l’accomplissement d’un long parcours parlementaire qui nous avait permis de recueillir une unanimité, honneur de toute la représentation nationale. Il n’a malheureusement pas été suffisant pour assurer le souvenir et le respect de ces souffrances. En effet, il n’a nullement empêché certains de poursuivre leur entreprise de déstabilisation en évoquant honteusement et scandaleusement une « version arménienne de l’histoire ».

Notre initiative aujourd’hui apparaît d’autant plus urgente et indispensable qu’une récente actualité a encore prouvé la réalité de ce négationnisme inacceptable. En effet, il y a quelques semaines, à Lyon, s’est déroulée une manifestation, au cours de laquelle des banderoles et des slogans négationnistes ont été vus et entendus. Avec d’autres élus et des responsables associatifs, j’avais pourtant mis en garde le préfet de la région Rhône-Alpes contre les risques prévisibles d’un tel rassemblement.

Nous n’avons pas été entendus et nous avons mesuré alors l’immense indignation de nombre de nos concitoyens d’origine arménienne face à ce déni historique. Ma conviction a encore été renforcée lorsque, un mois plus tard, le 17 avril, le mémorial de Lyon, dédié au génocide de 1915 et à tous les génocides, a été dégradé par des graffitis négationnistes. Cette nouvelle provocation constitue une odieuse injure à la mémoire des victimes et de leurs descendants et représente surtout une nouvelle preuve que l’impunité ne peut perdurer.

Dans un État de droit comme le nôtre, les menaces, les invectives et les intimidations auxquelles sont confrontés les responsables politiques de tout niveau ne sauraient empêcher les parlementaires de légiférer.

M. Bruno Le Roux. Très bien !

Mme Martine David. Les événements qui se sont déroulés dans l’agglomération lyonnaise illustrent le chemin qui sépare certains acteurs du dossier du véritable respect de la démocratie. J’estime en conscience que notre droit pénal doit être complété afin que le génocide arménien de 1915, reconnu par une loi de la République, ne puisse plus, tout comme les autres crimes contre l’humanité, faire l’objet d’une quelconque contestation.

En tant qu’élue, je ne peux plus me contenter d’exprimer ma profonde indignation après chaque remise en cause des valeurs fondatrices de notre République, après chaque menée négationniste. La mémoire ne saurait être instrumentalisée. Elle doit reposer sur un socle commun, incontestable et respecté. En conséquence, je souhaite, chers collègues, que nous allions au-delà des clivages politiques partisans, des manœuvres d’intimidation, des seuls intérêts économiques du monde, en votant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Roland Blum.

M. Roland Blum. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’exprimerai au nom de MM. Raoult, Mallié, Pemezec, mais aussi de nombre de collègues UMP qui approuvent cette proposition de loi.

Il s’agit de compléter le dispositif de la loi du 29 janvier 2001 en sanctionnant pénalement ceux qui, à l’avenir, nieront le génocide arménien, contrevenant ainsi à une loi de la République.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Roland Blum. Les arguments qui s’opposent au vote de cette proposition de loi sont de trois ordres : historique, juridique et politique.

Les arguments historiques, tout d’abord. Certains objectent qu’il n’appartient pas au Parlement d’écrire l’histoire. Le génocide arménien répond en tout point à la définition de la convention de l’ONU de 1948 sur le génocide. En tout état de cause, ce débat historique a été clos par la loi du 29 janvier 2001 qui dispose clairement : « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915. »

M. Éric Diard. Tout à fait !

M. Roland Blum. J’en viens à l’argument juridique. La batterie législative actuelle serait suffisante pour sanctionner les négationnistes. Chacun sait que cela est faux.

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

M. Roland Blum. Le rapporteur l’a parfaitement exprimé dans son rapport ; je n’insisterai donc pas.

Quant à l’argument politique, il consiste à dire que cette proposition de loi empêcherait la réconciliation entre Turcs et Arméniens au moment où sont ouvertes des négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’Europe et son adoption troublerait les relations diplomatiques et économiques de la France avec ce pays. Mes chers collègues, nous avons résisté aux États-Unis lors de la crise irakienne. Ce ne sont pas les Turcs qui vont nous impressionner ! (« Bravo ! » et applaudissements sur plusieurs bancs.) Ils se sont contentés de créer des commissions de réconciliation qui ont toutes échoué.

M. François Rochebloine. Très juste !

M. Roland Blum. La réalité, c’est que la Turquie n’a renoncé ni au nationalisme ni à l’idéologie d’épuration ethnique.

Mme Maryse Joissains-Masini. Très bien !

M. Roland Blum. Elle n’a d’ailleurs pas l’intention de reconnaître ses erreurs passées et le génocide arménien, bien au contraire. En 2005, la faculté de médecine d’Istanbul a demandé le rapatriement des restes du docteur Behaeddine Shakir, idéologue du génocide, pour lui faire des obsèques officielles et l’enterrer sans doute aux côtés de l’organisateur du génocide, Talaat Pacha, qui dispose d’un mausolée à sa gloire.

Pour toutes ces raisons, nous serons nombreux à voter cette proposition de loi ! (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président. Mes chers collègues, chaque groupe politique s’étant exprimé par l’intermédiaire de deux orateurs au moins, la suite de l’examen de cette proposition de loi aura lieu à une date qui sera fixée en conférence des présidents. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste du groupe des député-e-s communistes et républicains,, du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

ordre du jour des
prochaines séances

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, n° 2276 deuxième rectification, adopté par le Sénat, sur l’eau et les milieux aquatiques :

Rapport, n° 3070, de M. André Flajolet, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire :

Avis, n° 3068, de M. Philippe Rouault, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures cinq.)