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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 8 juin 2006

239e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. MAURICE LEROY,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

diversité des expressions culturelles

Discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’adhésion à la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (nos 2978, 3088).

La parole est à Mme la ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie.

Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les députés, le 20 octobre 2005, l’UNESCO a inscrit dans le droit international la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles en adoptant la convention que la France et ses partenaires francophones appelaient de leurs vœux dès 2002. Ce texte constitue une avancée majeure, car il garantit le droit souverain des États à décider de leurs politiques culturelles. Il consacre la valeur spécifique des biens et services culturels et affirme l’importance de la solidarité culturelle internationale.

Il y avait urgence. Je rappellerai en effet quelques chiffres : 85 % des places de cinéma vendues dans le monde concernent des films produits à Hollywood, 50 % des fictions diffusées à la télévision en Europe sont d’origine américaine – cette proportion atteignant même 67 % en Italie –, neuf des dix écrivains les plus traduits dans le monde sont de langue anglaise et 90 % des langues parlées aujourd’hui risquent de disparaître à la fin de ce siècle.

Pour la première fois, le droit international reconnaît que les États ont le droit de conserver, d’adopter et de mettre en œuvre les politiques et les mesures qu’ils jugent appropriées pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles sur leur territoire. En cela, la convention garantit le droit, fondamental aux yeux de la France, de permettre à tout État de préserver et de promouvoir sa culture et son patrimoine.

La convention confirme par ailleurs le rôle central des artistes et des créateurs ; elle reconnaît que les biens et services culturels sont porteurs de valeurs et de sens, donc de l’identité même des hommes et des sociétés. Ils ne sauraient de ce fait être soumis aux seules lois du marché. Elle institue en droit international un régime particulier pour les biens et services culturels, complémentaire du droit de l’Organisation mondiale du commerce, sans subordination d’un corpus juridique à l’autre. En cela, la convention affirme un principe défendu depuis longtemps par la France et la francophonie : la volonté, à l’époque de la mondialisation, où tout s’échange et tout peut devenir objet de commerce, de donner à la culture une place particulière. La culture n’est pas un bien marchand comme les autres. Elle a sa singularité, elle véhicule une identité, elle est diversité.

Enfin, la convention consacre pour la première fois la dimension culturelle du développement et prévoit de renforcer la coopération internationale dans ce domaine. Elle servira notamment à soutenir la professionnalisation des métiers de la culture dans les pays en développement, à permettre l’émergence d’industries culturelles viables sur leur territoire et à favoriser la mobilité des artistes et des œuvres.

La France est très attachée à ce volet « solidarité » de la convention, qui lui permettra de conforter les actions déjà menées en matière de coopération culturelle et de continuer à mettre en œuvre des partenariats avec les pays du Sud. Nos actions en faveur de la diversité culturelle sont ainsi confortées. Nous investissons en effet déjà dans des programmes comme « Afrique en créations », à hauteur de 5,9 millions d’euros sur trois ans, ou le Fonds Sud Cinéma – doté de 2,2 millions d’euros par an et qui, depuis sa création en 1984, a aidé plus de 350 projets cinématographiques de réalisateurs d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie, du Proche ou du Moyen-Orient et de certains pays d’Europe et d’Asie centrale – ainsi que dans l’appui au désenclavement numérique en Afrique subsaharienne : le programme ADEN, et dans l’accueil et la formation d’artistes étrangers en France.

L’Organisation internationale de la francophonie a, quant à elle, inscrit dès 2004 dans ses programmes de coopération la promotion de la diversité culturelle comme une de ses quatre missions fondamentales.

S’il fallait résumer l’esprit de la convention, je citerais volontiers Léopold Sédar Senghor, dont nous fêtons cette année le centième anniversaire de la naissance, qui nous proposait de nous « enrichir de nos différences pour converger vers l’universel ». L’universel, dans la vision du poète, ne se confond pas ici avec l’uniformisation et ne se substitue pas aux cultures ou aux héritages propres à chaque peuple. Au contraire, il les prolonge et les dépasse car, comme l’écrit aussi Senghor, « ce qui nous unit, c’est l’esprit de la Civilisation, des civilisations, par quoi se définit la Culture. C’est l’Esprit, qui est raison et imagination, liberté créatrice ». La convention internationale qui vous est soumise aujourd’hui est la traduction en acte, sur le plan culturel, de cette éthique de la différence. Elle représente un pari humaniste pour que cette différence soit maintenue et valorisée, pour l’enrichissement de tous.

Cette convention est ainsi porteuse de valeurs et de principes défendus de longue date par la France et par ses partenaires de la francophonie. Elle reconnaît l’égalité des cultures, la diversité des identités culturelles et la liberté d’expression des artistes, des créateurs et des peuples.

Le Président de la République a entendu conférer une solennité particulière au processus de ratification de cette convention en demandant au Gouvernement de la soumettre au Parlement. La ratification par la France de ce texte par la voie parlementaire sera un signal fort vis-à-vis de nos partenaires qui l'ont adopté en octobre dernier. Trente ratifications sont nécessaires pour que la convention entre en vigueur. À ce jour, six États – le Canada, l’Île Maurice, le Burkina Faso, le Cambodge, Djibouti et la Croatie –, tous membres de l'Organisation internationale de la francophonie, l'ont déjà ratifiée. Les États et les gouvernements francophones, qui ont porté avec détermination cette convention en octobre dernier, se sont engagés lors de la conférence ministérielle de Madagascar, à l'automne 2005, à devenir parties au texte avant le sommet de Bucarest des 28 et 29 septembre prochains. Qu'il me soit permis de rappeler avec force, dans cette enceinte, la contribution majeure de la francophonie et de son secrétaire général, le président Diouf, à notre combat pour la promotion de la diversité culturelle dans le monde.

Sur le plan communautaire, la Communauté européenne et ses États membres, qui ont su présenter un front uni tout au long de la négociation, mènent la ratification de la convention en parallèle. À Bruxelles, le Conseil culture du 18 mai 2006 a autorisé la ratification par la Communauté, l'objectif étant aujourd'hui le dépôt par le plus grand nombre d'États de leur instrument de ratification conjointement avec l'adhésion de la Communauté européenne à la convention.

En la ratifiant dans un délai bref, la France démontrera une fois de plus qu'elle est fidèle à ses engagements, elle donnera toutes ses chances à la nouvelle convention d'entrer en vigueur et de s'appliquer, elle prolongera sur le plan normatif l'action qu'elle mène à travers sa coopération culturelle internationale afin de préserver le droit de chacun d'être lui-même.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, les principales dispositions de la convention qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères.

M. Philippe Cochet, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Madame la ministre, monsieur le président, mes chers collègues, l'Assemblée nationale est saisie du projet de loi autorisant l'adhésion de la France à la convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Élaborée à la demande de la France, conjointement avec le Canada, cette convention a été adoptée par l'UNESCO le 20 octobre 2005 à une écrasante majorité. Je rappelle le score : 148 voix pour, deux contre – les États-Unis et Israël – ainsi que quatre abstentions.

Ce texte comble un vide juridique en instaurant un cadre de référence mondial pour la protection et la promotion de la diversité culturelle.

La problématique de la diversité culturelle a progressivement émergé à l'UNESCO à la faveur de la croissance du commerce des biens et services culturels, qui est passé de 38 à 60 milliards de dollars entre 1994 et 2002. Il faut se souvenir des batailles juridiques et politiques menées lors des négociations commerciales internationales au cours des années 90, d'abord dans le cadre du GATT, puis à l'OMC. Il faut également garder à l'esprit le projet avorté d’Accord multilatéral sur l'investissement – l’AMI – négocié au sein de l'OCDE. Dans ces enceintes, notre pays a toujours plaidé en faveur d'une exception culturelle, qui vise à exclure les biens et services culturels du champ des négociations commerciales internationales. Or cette doctrine de l'exception culturelle montre des signes de fragilité devant la pression de plus en plus forte qu'exercent les pays anglo-saxons en faveur d'une libéralisation totale des échanges. Dans ce contexte de menace permanente sur le statut des biens et services culturels, il nous a fallu adapter notre stratégie et passer d'une posture défensive de l'exception culturelle à une posture offensive de la promotion de la diversité culturelle. L'UNESCO est apparue alors comme l'enceinte la plus appropriée.

L'adoption de la convention est le résultat d'une prise de conscience progressive par la communauté internationale de la nécessité de promouvoir la diversité culturelle.

Quelles sont les étapes qui ont conduit à son adoption ?

D'abord, l'adoption par l'UNESCO, à l'automne 2001, d'une déclaration sur la diversité culturelle qui érige celle-ci au rang de « patrimoine commun de l'humanité » ; il s'agit là d'un texte politique sans valeur normative.

Ensuite, la tenue, un an plus tard, à Johannesbourg, du Sommet mondial du développement durable, au cours duquel le Président de la République, Jacques Chirac, s'est prononcé en faveur de l'adoption d'un instrument juridique international sur la diversité culturelle.

Enfin, le lancement, à l'automne 2003, des négociations au sein de l'UNESCO, qui aboutiront à l'adoption de la convention, deux ans plus tard, en octobre 2005. Ces négociations ont été marquées par le rôle d'impulsion joué par la France ainsi que par le Canada, qui ont réussi, notamment à travers la francophonie, à mobiliser leurs partenaires. Il faut également se féliciter du rôle joué par la Communauté européenne, partie prenante à la négociation, qui a fait preuve d'une unité remarquable en faveur de l'adoption de la convention. À l'inverse, les États-unis – qui sont revenus à l'UNESCO après vingt ans d'absence – ont tout fait pour retarder voire empêcher la conclusion des négociations, au nom du principe de liberté des échanges.

J'en viens maintenant au contenu de la convention, dont je vais présenter les principales dispositions.

Premièrement, la reconnaissance de la spécificité des biens et services culturels comme porteurs de valeurs et d'identité. La convention consacre ainsi pour la première fois l'existence en droit positif du principe de diversité culturelle. Grâce à ce texte, les biens et services culturels ne seront plus exclusivement soumis à une logique marchande, mais également à une logique culturelle. Il s'agit d'un progrès très important.

Deuxièmement, la reconnaissance de la légitimité des politiques publiques de soutien au secteur culturel, qu'elles aient pour objectif de promouvoir les expressions culturelles ou bien de protéger les cultures gravement menacées ou en voie d'extinction. À titre d'exemple, l'article 6 de la convention donne une assise juridique aux aides publiques aux industries culturelles et autorise le recours aux quotas dans le secteur audiovisuel. Ce droit souverain des États à mettre en place des politiques de soutien doit naturellement se faire dans un esprit d'ouverture aux autres cultures, et non de repli sur soi. J'ajouterai que le champ d'application de la convention porte sur les expressions culturelles, c'est-à-dire les contenus, et non sur les vecteurs de la diversité culturelle, qui peuvent évoluer au gré des progrès technologiques.

Troisièmement, la mise en place d'un cadre de coopération internationale pour encourager l'échange d'informations dans le domaine de la promotion de la diversité culturelle. La convention fait état de la nécessité d'intégrer la culture dans le développement durable et dans les politiques de coopération. À la demande des pays en développement, l'article 14 prévoit la création d'un Fonds international pour la diversité culturelle, qui sera abondé par des contributions volontaires.

Quelle est la portée de cette convention ? Peut-on y voir davantage qu'une déclaration de bonnes intentions sans caractère contraignant ?

Du point de vue juridique, le dispositif de la convention est essentiellement incitatif. Les politiques publiques de soutien à la culture sont encouragées, mais jamais obligatoires puisque les parties « peuvent » adopter des mesures de soutien, ou « s'efforcent » de promouvoir les expressions culturelles. Par ailleurs, le mécanisme de règlement des différends n'est pas contraignant puisque la convention requiert l'accord des parties et ne prévoit pas de sanctions.

Se pose également la question sensible de l'articulation de la convention avec les autres instruments juridiques internationaux. À cet égard, le principe de non-subordination a été retenu, ce qui signifie que la convention de l'UNESCO est placée sur un pied d'égalité avec les autres traités et engagements internationaux en vigueur. Cependant, il est prévu que « rien dans la présente convention ne peut être interprété comme modifiant les droits et obligations des parties au titre d'autres traités auxquels elles sont parties ». Cette disposition réduit bien sûr la portée de la convention puisqu'elle n'empêche en rien la conclusion d'accords bilatéraux ou régionaux qui peuvent fragiliser la diversité culturelle. Ainsi les États-Unis, qui n'ont pas signé la convention de l'UNESCO, multiplient ce type d'accords, notamment avec les pays en développement.

Par ailleurs, cette convention de l'UNESCO ne préjuge en rien de l'inclusion ou de l'exclusion des biens et services culturels des accords de l'OMC. Mais il est incontestable qu'elle encouragera les parties à prendre en considération les objectifs de diversité culturelle et les dispositions de la convention lors de l'application et de l'interprétation de leurs obligations commerciales, ainsi que lors de la négociation de leurs engagements commerciaux. C’est un élément très positif.

Il faut également saluer l'impact positif que la convention devrait avoir sur le droit de l'Union européenne puisque la Communauté y est partie. Cette adhésion doit consolider la prise en compte des exigences liées à la diversité culturelle dans le cadre de la politique européenne de concurrence et, bien sûr, de la politique commerciale commune.

Au regard des différentes remarques que je viens de formuler, je dirai qu'en l'absence de mécanisme véritablement contraignant juridiquement, l'autorité de la convention dépendra avant tout de la volonté politique des parties et de la mobilisation de la communauté internationale.

Pour entrer en vigueur, la convention devra avoir été ratifiée par au moins trente États signataires. À ce jour, deux pays – le Canada et l’Île Maurice – ont formellement déposé leur instrument de ratification, quatre autres – le Burkina Faso, Djibouti, le Cambodge et la Croatie – sont en train de le faire, tandis que le Conseil des ministres de l'Union européenne vient d'adopter la décision autorisant l'adhésion de la Communauté européenne à ladite convention.

Mes chers collègues, il ne fait pas de doute que nous sommes engagés dans une course de vitesse, alors que les États-unis exercent des pressions sur nombre d'États pour qu'ils ne ratifient pas la convention et concluent avec eux des conventions bilatérales de libéralisation des biens et services culturels. Il nous appartient donc de donner un signal politique fort en accélérant le processus de ratification, qui doit être massif : il faut viser bien plus que les trente ratifications nécessaires pour donner à la convention une assise politique incontestable.

La France a une responsabilité particulière au regard de son rôle d'impulsion dans l'élaboration de la convention et de l'implication personnelle du Président de la République dans ce dossier qui dépasse largement les clivages politiques. Il est important que notre pays ratifie ce texte dans les meilleurs délais. Signe de l'importance politique qu'il y attache, le Gouvernement a fait le choix d'une ratification parlementaire alors qu'il n’y était pas juridiquement obligé.

Cette convention est une chance pour la diversité culturelle ; c'est aussi une chance pour l'Unesco, enceinte internationale trop longtemps sous-utilisée, et dont je vous rappelle que l'acte constitutif mentionne la « féconde diversité » des cultures.

Madame la ministre, monsieur le président, mes chers collègues, la France doit continuer à jouer un rôle moteur dans le combat pour la diversité culturelle et mobiliser avec succès, comme cela a été fait jusqu'à présent, l'ensemble de ses réseaux, en particulier la francophonie, laquelle rassemble un quart des États de la planète. À l'heure d'un prétendu « choc des civilisations », cette convention doit nous aider à promouvoir l'indispensable dialogue des cultures et des civilisations. C'est pourquoi une adoption à l'unanimité par notre assemblée conforterait d'autant plus le rôle de la France dans le monde. Je vous en remercie par avance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et du groupe socialiste.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Herbillon.

M. Michel Herbillon. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi autorisant l'adhésion à la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l'UNESCO est un texte qui, par nature, a vocation à recueillir l'approbation unanime de notre assemblée. Comment pourrait-il en être autrement ?

L'adoption de cette convention, le 20 octobre 2005, par la 33e conférence générale de l’UNESCO, marque un vrai progrès du droit international de la culture mais également un grand succès pour la France.

Succès pour la France, car cette adoption s'inscrit dans le cadre du combat juridique et politique engagé par notre pays depuis plus de quinze ans – toutes majorités politiques confondues – en faveur de la diversité culturelle.

Combat d'abord défensif mené dans les années 90 pour la reconnaissance de l'exception culturelle lors des négociations du GATT, puis de l'Accord multilatéral d'investissement.

Combat beaucoup plus offensif ensuite, pour convaincre la communauté internationale de la nécessité d'inscrire la protection de la diversité culturelle dans le droit international.

Cette bataille, la France l'a menée car elle a la conviction que le processus de mondialisation et de libéralisation des échanges internationaux ne doit ni réduire la culture à une simple marchandise, ni conduire à une uniformisation, synonyme d’appauvrissement culturel et de domination d'un modèle, le modèle anglo-saxon.

La convention de l’UNESCO vient ainsi consacrer dans le droit international la vision que la France se fait du développement culturel dans le cadre de la mondialisation : un développement qui préserve l'identité et la culture des peuples, leur liberté de création, en affirmant dans le même temps le principe d'ouverture de chaque culture aux autres cultures.

Je tiens à souligner combien cette convention marque un succès incontestable de l'action de la diplomatie française, laquelle a su mobiliser ses partenaires et ses réseaux pour aboutir à l'adoption de ce texte que notre pays appelait de ses vœux. Tous les États, sans exception, avaient certes approuvé la Déclaration universelle sur la diversité culturelle en 2001, à la suite des attentats du 11 septembre, comme signe fort de leur volonté d’opposer, à ce qui était la traduction dramatique et criminelle du « choc des civilisations », le dialogue des cultures. Encore fallait-il conférer à cette déclaration une valeur juridique, ce qui, chacun le sait, suscitait d’importantes résistances, en particulier de la part des États-Unis.

L'engagement personnel du Président de la République en faveur du dialogue des cultures et de l'instauration d'un instrument juridique international, exprimé fortement en 2002 lors du sommet de Johannesburg sur le développement durable, a été un élément décisif dans la négociation.

Par ailleurs, l'unité constante et la solidarité de l'Union européenne – des 25 États comme de la Commission –, ainsi que la forte mobilisation des pays francophones autour de la position exprimée par la France et par le Canada, autre pays à la pointe du combat, ont été également des éléments déterminants de ce succès.

Au-delà de la satisfaction que ce succès politique de la francophonie et de l'Europe peut légitimement nous procurer, le soutien qu'il convient d'apporter au projet d'adhésion à la convention de l'UNESCO tient naturellement avant tout à son contenu et aux progrès indéniables que ce texte présente pour la diversité culturelle.

Nous ne pouvons qu'adhérer à cette convention et soutenir les trois grands principes qu’elle promeut.

Pour la première fois, il est ainsi reconnu et affirmé en droit positif que les biens et les services culturels ont une valeur spécifique et qu'ils ne sauraient donc être soumis aux seules lois du marché. C'est là un formidable progrès qui, en plaçant la création et les œuvres de l'esprit au-dessus de contingences strictement mercantiles, reconnaît qu'elles participent à ce qu'il y a de plus essentiel : la dignité de l'homme.

Autre avancée considérable : la consécration du droit des États à définir et à conduire des politiques culturelles qu'ils jugent appropriées pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur leur territoire. Les mesures qui peuvent être prises par les États sont ainsi très larges – qu'il s'agisse de quotas, de subventions ou de prix encadrés – et elles peuvent porter sur toutes les formes d'expression culturelle, quels que soient les moyens et les technologies utilisés.

L'exemple des politiques de soutien mises en œuvre en France en faveur du cinéma, avec l'impact favorable que l'on connaît, illustre combien la reconnaissance de la légitimité des politiques publiques de soutien à la culture est un point déterminant.

Enfin, la convention vient justement affirmer la nécessité de renforcer les politiques de coopération internationale en matière culturelle, pour que cette coopération devienne un outil de la solidarité en faveur des pays en développement. C'est là, mes chers collègues, un axe pour lequel notre pays, au travers des prises de position du Président de la République, a activement milité, considérant que culture et développement sont étroitement liés.

La convention vise ainsi à créer les conditions permettant aux pays en développement d'accéder aux biens et services culturels, à faire émerger dans ces pays de véritables industries culturelles et à faire connaître leurs créateurs.

Un tel objectif nécessitera naturellement la mise en œuvre de partenariats, qui sont prévus dans la convention, ainsi que des moyens financiers. À ce titre, un Fonds international pour la diversité culturelle a été créé à la demande des pays en développement. C’est une bonne chose, même si l’abondement de ce fonds, sous la forme de contributions volontaires publiques, est évidemment une source d'incertitude quant à l'efficacité et à la portée de la mesure.

L'efficacité et la portée de la convention de l’UNESCO : voilà en effet deux inquiétudes que l'on peut encore, mes chers collègues, nourrir à ce stade pour son devenir.

Cette convention est sans nul doute un texte décisif. C'est l'instrument fondateur du droit international de la culture. Mais c'est un outil qui n'est pas sans faiblesse, ni sans ambiguïté. Moins contraignante qu'incitative, et ce pour respecter le principe de souveraineté des États, la convention n'a en outre pas de valeur supérieure aux autres accords et traités internationaux. Cela implique que la vigilance doit rester de rigueur lors des négociations commerciales à venir : nous devrons nous assurer que les biens et services culturels bénéficient toujours d'un statut particulier.

Par ailleurs, la faiblesse des mécanismes prévus pour la résolution des litiges tout comme l'absence de sanctions en cas d'infraction sont peut-être d’autres sources d'incertitude quant à la portée effective de la convention, portée que ses détracteurs – les États-Unis en particulier – veulent évidemment réduire de façon drastique. C'est pourquoi, face aux résistances et aux pressions qui peuvent s'exercer, il est certain, comme le souligne fort justement notre rapporteur, que l'autorité politique de la convention dépendra étroitement du niveau de mobilisation de la communauté internationale. Il est ainsi déterminant que ce texte soit ratifié par un grand nombre d'États, bien au-delà des trente pays nécessaires pour son entrée en vigueur. Ce sera très probablement le cas.

Le Gouvernement, en veillant à ce que la France ratifie dans les tout premiers la convention, et ce par la voie parlementaire, envoie un message politique clair et indique sa détermination que le processus engagé à l’UNESCO tienne toutes ses promesses. Avec l'aide de l'Union Européenne, et une nouvelle fois le soutien actif de la francophonie, notre pays doit, dans toutes les enceintes internationales, continuer à jouer le rôle moteur qui est le sien depuis le début dans cette affaire.

Le chemin parcouru en quinze ans pour conférer un statut juridique international à la culture est immense. L'adoption de la convention sur la diversité culturelle par l’UNESCO est une belle victoire. Mais elle n’est qu’une étape, car le combat pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles est toujours inachevé. Notre soutien déterminé et enthousiaste à l'adhésion de la France à la convention est donc aussi, madame la ministre, un appel à poursuivre notre mobilisation pour promouvoir une conception du monde qui laisse toute sa place à la diversité et au dialogue des cultures et des civilisations. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. François Loncle.

M. François Loncle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comment ne pas applaudir des deux mains l’accord sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles ? Le groupe socialiste s’apprête bien entendu à voter le projet de loi portant adhésion à cette convention internationale.

La France, dans sa diversité politique, s’est battue pendant des années à l’UNESCO, initiatrice et incubatrice de ce texte international, comme elle s’est battue à l’OMC, pour faire admettre un principe fondamental, celui qui consiste à dissocier culture et échanges marchands.

Le traité que nous examinons ce matin s'inscrit en effet dans la logique des réflexions engagées par l'UNESCO depuis plusieurs années. M. Koïchiro Matsuura, directeur général de l’UNESCO, a salué l'adoption, le 2 novembre 2001, de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle, texte fondateur de l'accord qui nous est soumis ce matin, en déclarant : « La diversité culturelle est érigée au rang de patrimoine commun de l'humanité aussi nécessaire pour le genre humain que la biodiversité dans l’ordre du vivant. »

La France, aidée par le Canada et d'autres pays, en particulier les membres de l’Union latine et de la francophonie, ont recueilli en 2001 le fruit d'années de mobilisation et de sensibilisation. Le 21 mars 1995, lors de la célébration du premier siècle du cinéma, le Président François Mitterrand avait ainsi rappelé les raisons de ce combat pour notre pays : « Lors des négociations du GATT, une curieuse confusion s'est établie, qui considérait que le cinéma, art majeur, faisait partie du petit commerce. Cela a été pour nous un objet de scandale. D'où le débat qui est né chez nous sur ce que l'on a appelé “1’exception culturelle”. Cette expression a été comprise et nous l'avons défendue avec un succès qui m'a étonné. »

Année après année, les responsables de la France – y compris l’actuel Président de la République – ont bataillé dans tous les forums internationaux. Permettez-moi de rappeler, à titre d'exemple, l'appel lancé à Rio de Janeiro, au Brésil, par le Premier ministre Lionel Jospin le 6 avril 2001, quelques mois avant la l'adoption de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle : « Le monde, pour maîtriser la mondialisation, a besoin de la diversité de ses cultures, qui doivent être préservées. »

Les plus hautes autorités de l'État, ainsi que la représentation nationale, ont donc été unanimes et persévérantes. Le résultat est positif. Encore faut-il le « mettre en musique ». Des engagements ont été pris à l’UNESCO ; il reste à définir des objectifs concrets et des priorités politiques et budgétaires.

Avec succès mais non sans mal, la France a mobilisé sa diplomatie, depuis une vingtaine d'années, pour faire comprendre l'importance de « l'exception » – devenue au fil des années « diversité » – culturelle, et ce afin d’ouvrir une perspective, celle de donner à la Déclaration sur la diversité culturelle, selon la belle formule de M. Koïchiro Matsuura, « la même force que la Déclaration universelle des droits de l'homme ». La France doit donc être exemplaire. Elle a hier contribué à faire assumer et adopter des textes culturels majeurs par la communauté internationale ; elle doit aujourd'hui témoigner de la même exemplarité en ce qui concerne l’application des conventions adoptées sur la diversité culturelle.

Je vais donc ici, madame la ministre, signaler une attente et une déception, en ciblant deux points – deux seulement, compte tenu du temps qui m’est imparti.

L'attente concerne le plan d'action en vingt points rendu public par l'UNESCO, plan qui vise à donner une dimension effective et concrète à la Déclaration universelle sur la diversité culturelle. Je voudrais en particulier insister sur l'urgence de réduire ce que l'on appelle « la fracture numérique » entre pays riches et pays pauvres, entre langues des pays riches et langues des pays pauvres sur le réseau numérique. Que propose la France, quelles initiatives a-t-elle prises sur cette question cruciale pour la survie des cultures ?

Au-delà de l’attente, madame la ministre, il y a trop souvent, aussi, la déception. La consultation de la société civile – point 19 du plan de l'UNESCO – me paraît fondamentale. Je dois à cet égard vous renouveler la préoccupation du groupe socialiste. Le gouvernement de Lionel Jospin avait créé un Haut Conseil de la coopération internationale, afin de faciliter le dialogue avec le mouvement associatif sur l'échange culturel et la coopération Nord-Sud. Le gouvernement nommé en 2002 s'est empressé de réviser à la baisse la portée de cet engagement. Les ONG ont, au sein du HCCI, moins de place actuellement qu'elles n'en avaient jusqu'en 2002. II y a quelques mois, l'Office franco-allemand pour la jeunesse, lieu d’échange culturel par excellence, a été remodelé dans le même esprit. Le mouvement associatif a été relégué du conseil d'administration à un organisme nouvellement créé, consultatif et non plus décisionnel.

Les représentants culturels des pays du Sud, de partenaires de la coopération, sont devenus, après l’adoption d’une loi dite d’immigration « choisie », suspects et expulsables, s’ils ne répondent pas aux critères marchands auxquels la France soumet désormais ses amis francophones africains. La contradiction est ici majeure entre la logique marchande, officiellement refusée par la France à l’UNESCO, et la loi sur l’immigration dite « choisie », considérée avec raison par beaucoup d’Africains comme une nouvelle forme de traite négrière.

Je vous appelle donc, madame la ministre, à la cohérence et au respect des engagements pris. La pluralité culturelle constitue « le meilleur gage pour la paix », nous a dit, comme à tous les signataires de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle, M. Matsuura. Prenez-le au mot ! Aidez, en France, « à travers l’éducation », comme il est précisé au point 7 du plan d’action de l’UNESCO, « à la prise de conscience de la diversité culturelle ». Aidez-nous, aidez ceux qui, par exemple, en cette fin d’année scolaire, s’opposent à l’expulsion de milliers d’enfants nés de parents étrangers,…

M. Michel Herbillon. Il ne s’agit pas, ce matin, d’un débat sur l’immigration !

M. François Loncle. …mesure préparée par le Gouvernement dont vous êtes membre. Aidez-nous à éviter cette entorse à la loi internationale qui consisterait à ne dispenser d’expulsion, selon le propos du ministre de l’intérieur au Sénat avant-hier, que « l’enfant étranger qui ne parle pas la langue de son pays d’origine ».

Cette convention, mes chers collègues, exigera une vigilance – comme vous l’avez dit, monsieur Herbillon – de tous les instants. Nous ne pourrons pas nous contenter de l’adopter et de passer à autre chose.

J’ai en mémoire – et je voudrais terminer par là – un exemple hautement symbolique de pratiques contestables. En contradiction avec l’article 6 de la Déclaration universelle de l’UNESCO, adoptée le 2 novembre 2001, qui nous invite à rompre avec la fâcheuse tendance à l’uniformité linguistique, la langue anglaise s’impose comme langue unique universelle. Membre de la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui siège à Strasbourg, j’ai, il y a quelques mois, avec mes collègues, tous groupes confondus, de cette délégation, entendu M. Trichet, gouverneur de la Banque centrale européenne, ancien gouverneur de la Banque de France, faire son discours – à Strasbourg ! – en anglais !

M. Pierre-Christophe Baguet. C’était maladroit, en effet !

M. Michel Herbillon. Il a eu tort !

M. François Loncle. Si mon excellent collègue Rudy Salles et moi-même n’avions pas été là pour nous lever et protester vigoureusement, interrompant M. Trichet,…

M. Michel Herbillon. Vous avez eu raison !

M. François Loncle. …cet incident n’aurait même pas été remarqué. Mais, à Paris, personne, à l’exception du président Balladur, n’a alors songé à protester ni à rappeler à l’ordre M. Trichet.

M. Michel Herbillon. Espérons qu’il ne recommencera pas !

M. François Loncle. Mes chers collègues, au-delà de ce rappel, je le répète avec plaisir, nous ratifierons, bien entendu, cette excellente convention. À nous ensuite de la faire vivre !

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet.

M. Pierre-Christophe Baguet. Je commencerai, madame la ministre, par vous féliciter pour la qualité de la petite plaquette qui nous a été remise. Et je ne peux m’empêcher de lire cette citation du grand sage Gandhi, qui figure sur la couverture : « Je ne veux pas que ma maison soit fermée de tous les côtés et que les fenêtres en soient obstruées. Je veux que les cultures de tous les pays imprègnent ma maison aussi librement que possible, mais je refuse d’être emporté par l’une ou l’autre d’entre elles. » Tout est dit, et nous sommes dans le vif du sujet.

S’il est une nation qui, par excellence, incarne la promotion de la diversité culturelle, c’est bien la France, puisque c’est notre pays qui a créé et exporté, dans le monde entier, le concept d’« exception culturelle ». Pour ainsi dire, chaque Français porte en lui ce gène, cette conviction que la diversité des cultures est, par essence, une richesse, que la diversité culturelle doit donc être érigée en impératif éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne, et tout aussi inséparable de la nécessaire régulation de la mondialisation.

Ce débat est d’une actualité évidente, dans le contexte de la croissance du commerce des biens et services culturels et de la mondialisation de la culture et des médias, qui constituent des phénomènes ambivalents : ils mettent toutes les cultures en mesure de se côtoyer et de s’enrichir mutuellement, mais ils accentuent leur inégale reconnaissance et leur vulnérabilité.

La révolution des transports et des technologies de l’information, l’extension planétaire de la logique marchande, la constitution de sociétés multinationales dans les industries culturelles de l’audiovisuel, de la musique et de l’édition ont conjugué leurs effets pour faire de la culture un terrain d’oppositions entre les États. Initialement circonscrit aux pays riches – États-Unis, Canada et Europe – en raison de ses enjeux financiers, le problème a pris, après le 11 septembre, une signification supplémentaire. Défendre la diversité culturelle c’est aussi défendre le dialogue interculturel. Certes, l’idée du dialogue entre civilisations peut sembler galvaudée mais l’enjeu est d’importance. L’extension à la culture des conflits internationaux constitue, aujourd’hui, un risque politique majeur.

La décision prise par l’Unesco de commencer la rédaction d’un instrument politique international susceptible de protéger et de promouvoir la diversité culturelle souligne à quel point la culture est devenue un enjeu de politique mondiale.

La question de la diversité culturelle s’est construite politiquement au niveau européen, depuis un peu plus d’une dizaine d’années, contre une vision américaine très clairement opposée à ce principe. Ainsi, nos sociétés européennes, bien qu’elles entretiennent des rapports historiques différents à la culture, sont parvenues à défendre une position commune. Dès lors, ce qui au départ pouvait apparaître comme l’expression du feu mal éteint d’une France flamboyante est devenu un flambeau dont on se dispute le port, tant sont réels les risques d’uniformisation culturelle.

Si la culture ne saurait se soustraire au marché, elle ne saurait s’y soumettre totalement. Le premier enjeu de la diversité culturelle est donc de reconnaître à la culture le statut d’un bien qui n’est pas seulement marchand. Mais cette démarche n’a désormais de sens que si elle est adoptée au plan mondial. C’est précisément l’objet de cette convention de l’UNESCO dont vous nous proposez, aujourd’hui, madame la ministre, la ratification.

Dans le champ culturel, et à l’exception des conventions sur les droits d’auteur, dont l’articulation avec l’OMC renvoie aux accords sur la propriété intellectuelle, il n’existe au regard des règles commerciales ni référent – valeurs, principes, objectifs – ni texte normatif. D’où l’intérêt de faire jouer ce rôle à l’UNESCO et de disposer d’une convention internationale ayant force de loi.

L’objectif d’un instrument international sur la diversité culturelle est clair : il s’agit, sur la base de la reconnaissance de la spécificité des biens et services culturels, d’assurer la permanence, la légitimité et donc la sécurité juridique des politiques actuelles ou futures mises en œuvre par les États pour la préservation de leur patrimoine et le développement de leurs expressions culturelles. Ainsi cet instrument garantira-t-il ces interventions au regard des objectifs et accords de l’OMC qui visent à une libéralisation toujours plus poussée et sans retour des marchés de biens et de services dans le monde. Il est donc nécessaire que la France adhère à cette démarche et la soutienne activement.

Par ailleurs, madame la ministre, je voudrais appeler votre attention sur deux points.

Je voudrais d’abord insister sur la nécessité d’une lutte constante pour la protection de la diversité culturelle : la ratification de cette convention est un pas important dans la bonne direction, mais, à l’UDF, nous voulons aller plus loin. En effet, défendre un point de vue commun, comme vont le faire les signataires de ce texte, ne suffira pas, car l’évolution des technologies et des rapports de force fait que l’articulation entre le marché et la culture est en permanente renégociation. C’est la raison pour laquelle la protection de la diversité culturelle n’est jamais stabilisée.

Ensuite, je voudrais souligner une dimension essentielle de ce débat, à savoir que le véritable enjeu de la diversité culturelle est celui des contenus. Freiner la concentration de l’offre culturelle, traiter de la diversité culturelle en Europe à la majorité qualifiée et promouvoir une vraie circulation mondiale des œuvres : tels sont les objectifs sans lesquels la diversité risque de se transformer en principe général, d’autant plus facilement admis qu’il sera vidé de tout contenu. On sait à peu près clairement ce que la protection de la diversité culturelle veut empêcher. Il lui reste encore à prouver ce qu’elle veut et peut promouvoir.

En ce sens, l’on pourrait faire deux propositions. D’abord, prendre en compte la diversité culturelle dans l’examen des projets de concentration. Ensuite, parce que, pour nous, la dimension européenne est essentielle, aller plus loin dans le futur Traité de Rome.

L’approfondissement et l’élargissement de l’Union appellent une redéfinition et un repositionnement respectif des approches nationales et européenne dans le domaine culturel. Il serait vain de promouvoir à l’échelle nationale une politique de diversité si la logique d’intégration de l’Europe par l’économie devait dicter ses lois, c’est-à-dire privilégier le jeu du marché. C’est pourquoi il faudra essayer d’aller plus loin au niveau européen. Dans l’état actuel de la législation européenne, la culture est souvent placée sur la défensive : elle doit se justifier par rapport aux règles économiques. Ce n’est pas le cas dans les États membres, mais cela l’a été et le reste au niveau européen, que ce soit pour la question du service public de télévision, pour celle du prix du livre ou celle des aides au cinéma.

Plusieurs dispositions contenues dans le traité constitutionnel étaient intéressantes et pourraient être reprises : inscription au titre des objectifs assignés à l’Union du respect de « la richesse de sa diversité culturelle et linguistique » ; simplification des décisions au Conseil des ministres, qui peuvent déjà être prises à la majorité qualifiée pour l’audiovisuel – directives Télévision sans frontières ou sur les droits d’auteur, programme Media – et pourraient l’être dans le domaine de la culture. Ce serait une excellente mesure : fini le temps où un seul pays pouvait bloquer pendant deux ans l’adoption d’un petit programme de traduction littéraire, destiné à encourager la circulation des œuvres, ou limiter toute ambition budgétaire pour la culture !

L’UDF, qui a montré son attachement au respect de la richesse de la diversité culturelle et linguistique, ainsi qu’à une politique culturelle ambitieuse, ne peut qu’exprimer, avec enthousiasme, son accord pour que la France adhère à la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Notre pays et le continent européen ont un rôle essentiel à jouer. La première phase de l’histoire de l’exception culturelle s’est terminée au bénéfice de l’Europe ; la France y aura joué, avec bonheur, un rôle moteur. Mais sans l’Union, la position française aurait été bien fragile. En dix ans, l’Europe est parvenue à faire d’un principe une règle de droit européen. Le défi qu’il nous faut relever est, aujourd’hui, de faire du principe de la diversité culturelle une politique mondiale, partagée par le plus grand nombre.

La France doit continuer à prendre une part prépondérante dans cette nouvelle étape. Le pays des droits de l’homme génère en ce sens beaucoup d’espoirs. Mes chers collègues, soyons fiers de cette confiance, et sachons nous en montrer, tous ensemble, les plus dignes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lefort.

M. Jean-Claude Lefort. Je ne voudrais pas que la voix du groupe communiste soit absente d’un débat aussi important.

Madame la ministre, nous soutenons cette convention, qui a été arrachée de haute lutte au sein de l’UNESCO, en sortant de la sphère strictement marchande, que l’Organisation mondiale du commerce régit, cette dimension essentielle de la diversité culturelle. Il s’agit de s’opposer à la logique de la World company, à une vision unilatérale du monde, celle de l’OMC, selon laquelle tout, sur cette planète, est marchandise ou doit le devenir.

Donc, je le répète, nous soutenons cette convention. Cela dit, nous devrons poursuivre des efforts importants afin qu’elle trouve une juste application. Je voudrais en suggérer quelques-uns.

D’abord, cette convention n’est pas opposable à d’autres textes relatifs à la culture et qui ont été signés au sein de l’OMC. Dans la hiérarchie des normes, la norme commerciale supplante la norme culturelle. Ce qui pose un réel problème, puisque, dans le cadre du cycle de Doha, des négociations commerciales sont en cours pour des secteurs entiers qui concernent la culture : je pense aux services audiovisuels, mais pas seulement car le domaine est beaucoup plus vaste. Après la conférence de Hongkong, des discussions, notamment à propos des services, ont porté sur ces sujets.

Cela étant, on ne pourrait pas se prévaloir de la convention qui vient d’être adoptée pour récuser les accords signés au sein de l’OMC. Il y a là un vrai problème, celui de la hiérarchie des normes dans le système multilatéral que nous connaissons aujourd’hui.

Par ailleurs, si le français et l’anglais sont tous deux reconnus comme langues de travail au sein des instances internationales, il est incontestable que la langue française est méprisée, bafouée en de nombreuses occasions. Multiples sont les lieux où notre langue n’est plus utilisée. Il y a là un combat à mener, au nom de cette convention arrachée de haute lutte.

Mardi prochain, nous aurons à l’Assemblée nationale un débat sur le Conseil européen des 15 et 16 juin. Devant intervenir au nom de mon groupe, j’ai me suis procuré l’ordre du jour de la réunion : il compte cinq pages et n’existe qu’en anglais ! Je ne suis pas polyglotte et, dans le domaine commercial, matière très sensible, sont employés des mots très précis que je ne comprends guère. Seuls quelques experts, initiés à ce langage codé plus proche de l’anglais de M. Bush que de la langue de Shakespeare, peuvent y retrouver leurs petits ! Nous devrions donc exiger très fermement que la langue française soit utilisée. Cela vaut également pour l’ensemble des instances européennes, au sein desquelles quelque vingt-trois langues sont reconnues et traduites.

Enfin, je partage le sentiment de François Loncle à propos des dispositions de la loi sur l’immigration choisie de M. Sarkozy, relatives aux enfants étrangers qui ne maîtrisent pas notre langue : il y a là une incontestable remise en cause de la diversité culturelle.

Cela étant, pour toutes les raisons indiquées précédemment, le groupe communiste votera ce texte.

M. François Loncle. Très bien !

M. le président. La discussion générale est close.

Article unique

M. le président. Je mets aux voix l'article unique.

(L'article unique est adopté.)

M. le président. Je constate que le vote est acquis à l’unanimité.

Afin de permettre à nos collègues de rejoindre l’hémicycle pour examiner le texte suivant, je vais suspendre la séance quelques instants.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures trente-cinq, est reprise à dix heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Prévention des violences
lors des manifestations sportives

Discussion, en deuxième lecture,
d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives (nos 3106, 3114).

La parole est à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le rapporteur de commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames, messieurs les députés, voici de nouveau devant vous la proposition de loi relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives.

Je me réjouis que chacune des deux assemblées ait attaché à ce texte toute l’importance qui lui est due : non seulement il aura pu être examiné dans des délais rapprochés – je vous rappelle que cette proposition de loi a été déposée le 29 mars, et qu’elle devrait pouvoir être adoptée avant la fin du mois de juin – mais il n’a rencontré aucune opposition, ni sur les bancs de l’Assemblée, ni sur ceux du Sénat.

Je veux remercier, au nom du ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, l’ensemble des députés et des sénateurs qui se sont associés à l’initiative du groupe UMP de l’Assemblée nationale. Je veux saluer en particulier le travail remarquable effectué par les rapporteurs des deux assemblées, qui se connaissent de longue date, le sénateur Philippe Goujon et le député Claude Goasguen.

Si ce texte a rencontré une telle adhésion, c’est que chacun en mesure les enjeux : il s’agit, au moyen d’un nouvel outil opérationnel, de lutter plus efficacement contre les formes les plus détestables et les plus insidieuses de la violence des hooligans.

Car cette violence, aujourd’hui, gangrène le sport le plus populaire de notre pays, le football. Certaines tribunes sont devenues le théâtre de luttes d’influence entre groupes rivaux, dont la brutalité s’exprime sans limite et répand dans nos stades les relents de l’idéologie la plus nauséabonde, venue des bas-fonds de l’extrême droite.

Le phénomène concerne en tout premier lieu le Paris-Saint-Germain – Claude Goasguen et Pierre-Christophe Baguet le savent bien –, mais il ne s’y limite pas. Je ne rappellerai pas les exemples, pourtant édifiants, des agressions commises en décembre à Strasbourg, en février lors d’un match Toulouse-Nantes, en marge d’une rencontre Lyon-Rennes, et d’un match Nantes-PSG.

Face à ces violences inacceptables, nous avons mis en œuvre trois types de réponses. La première est la mobilisation d’importantes forces de maintien de l’ordre : pour les matchs « à risques », c’est parfois jusqu’à 2 000 fonctionnaires de police qu’il faut appeler. Les policiers que nous devons employer pour surveiller les matchs et les agissements des supporters dévoyés ne sont, par définition, pas présents ailleurs ces soirs-là !

La deuxième réponse, c’est l’identification individuelle des hooligans. Depuis février, un coordonnateur national chargé du football, nommé au sein de la direction générale de la police nationale, supervise la nouvelle organisation opérationnelle mise en place avec la Ligue de football professionnel. Le travail de ciblage effectué notamment grâce à la vidéosurveillance se double d’un effort d’interpellations très soutenu. Je vous rappelle les derniers chiffres : 512 personnes ont été interpellées à l’occasion du championnat 2004-2005 de Ligue 1, et 504 lors de la saison 2005-2006.

M. Éric Raoult. Très bien !

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Trois quarts de ces interpellations sont effectuées en dehors des enceintes des stades.

L’autorité judiciaire applique pour sa part avec fermeté les dispositions du code pénal. Le nombre des condamnations a doublé en deux ans : 95 condamnations en 2002, près de 200 en 2004. Il faut appliquer le code pénal dans toute sa rigueur.

Troisième réponse : l’interdiction administrative de stade. Grâce à un amendement à la loi du 23 janvier 2006 voté à l’initiative du député Pierre-Christophe Baguet, les préfets peuvent désormais interdire à un individu violent d’assister à un match et de fréquenter les abords du stade. Le décret d’application de la loi a été publié le 16 mars. Les premiers résultats de cette interdiction administrative sont encourageants, pour une raison simple : les individus visés, tenus éloignés des stades, ne peuvent les perturber.

Soixante-dix mesures d’interdiction administrative ont été prises depuis cette date et, à ce jour, 50 personnes font l’objet d’une interdiction, dont 28 supporters du PSG.

Notre arsenal juridique comporte encore une lacune importante, que cette proposition de loi vient utilement combler. Il appréhende mal, en effet, la violence collective des hooligans. Il permet de « cibler » des individus mais ne parvient pas à mettre hors d’état de nuire les groupes de hooligans.

Il ne s’agit pas, bien sûr, d’appeler à on ne sait quelle responsabilité collective, mais de prendre conscience d’une réalité : les supporters les plus radicaux sont grégaires. Ils sont organisés dans des associations ou des groupements de fait qui alimentent les comportements délictueux. Une trentaine de ces groupes font l’objet d’un suivi particulier. Et, parmi eux, quelques-uns se signalent par un hooliganisme très violent.

Aujourd’hui, aucun instrument juridique ne nous permet de mettre fin de manière définitive aux agissements de ces groupes.

Par construction, la dissolution judiciaire d’une association ne s’applique pas aux groupements de fait. Le dispositif de dissolution par le juge pénal n’est pas le mieux adapté à la réalité du hooliganisme. En pratique, ces dissolutions judiciaires n’ont jamais été appliquées à des groupes de supporters violents. Quant à la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées, qu’il s’agisse des motifs de la dissolution, de ses critères d’application ou de la procédure, elle n’est pas adaptée à la réalité de la violence commise aujourd’hui lors des manifestations sportives.

La proposition de loi, telle qu’elle a été votée par l’Assemblée nationale et amendée par votre commission des lois, répond à l’exigence d’efficacité tout en préservant un équilibre entre le respect de la liberté d’association d’une part, la sauvegarde de l’ordre public d’autre part.

Le mécanisme qui est proposé permet la dissolution, par décret, d’une association ou d’un groupement dont les caractéristiques sont celles du seul hooliganisme. C’est l’objet des quatre éléments cumulatifs énoncés à l’article 1er, et c’est la raison du choix de créer un dispositif au sein de la loi du 16 juillet 1984, centrée sur les activités sportives, et codifiée, depuis le 23 mai dernier, dans le code du sport.

La procédure de dissolution aura un caractère contradictoire, conformément aux préoccupations exprimées par certains parlementaires. Les personnes concernées auront le droit de présenter leur défense devant une commission spécialement créée à cette fin : la Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives.

La composition de cette commission a été précisée en première lecture par votre assemblée, et élargie par le Sénat pour y inclure un représentant des ligues de sport professionnel. Son indépendance et sa compétence sont ainsi pleinement garanties. L’équilibre du dispositif proposé tient également au contrôle juridictionnel assuré par le Conseil d’État, qui peut statuer en référé.

Ainsi défini, le nouveau dispositif de dissolution administrative sera à la fois opérationnel et respectueux des libertés publiques. Le Gouvernement entend l’utiliser lorsque cela sera nécessaire – mais seulement dans ce cas.

Enfin, la proposition de loi a prévu un dispositif de sanctions pour réprimer les tentatives de maintien ou de reconstitution de l’organisation qui aura été dissoute. C’est une sage précaution.

La discussion du texte en première lecture dans chacune des deux chambres a été ouverte et fructueuse ; elle a permis de l’enrichir et de l’affiner.

Qu’il s’agisse de demander aux réservistes de la police nationale de participer à la prévention de la violence dans le monde sportif amateur, de renforcer le régime des interdictions judiciaires de stade en prévoyant une obligation de pointage, de communiquer aux fédérations sportives les noms des personnes faisant l’objet d’une interdiction administrative de stade ou de veiller à ce que les systèmes de vidéosurveillance installés dans les enceintes sportives soient en état de marche, les amendements présentés en première lecture par les députés ont utilement complété le texte.

Pour sa part, le Sénat, en plein accord avec le Gouvernement, a judicieusement élargi la composition de la Commission nationale consultative. Il a également procédé à un renforcement ciblé des sanctions pénales en cas de reconstitution de groupes dissous pour les motifs les plus graves, tenant à la haine ou à la discrimination.

Fort de ce travail constructif, fort du résultat consensuel auquel il a permis d’aboutir, le texte que vous propose aujourd’hui la commission des lois est un texte stabilisé sur le fond. Les amendements qui vous sont proposés par votre rapporteur, et qui recueillent l’accord du Gouvernement, ont pour objet de tenir compte de la récente codification de la loi du 16 juillet 1984, et donc de réécrire la proposition de loi pour en insérer les dispositions dans le code du sport. Voilà qui marquera pleinement l’inscription de ce nouveau dispositif dans le droit du sport.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, dans notre société qui, trop souvent, doute d’elle-même, le sport reste une valeur exemplaire. Nécessaire à l’équilibre de chacun, le sport est également une chance pour la cohésion sociale. Le sport est porteur de ces valeurs qui nous font avancer, individuellement et collectivement : dépassement de soi, esprit d’équipe, respect de l’autre. Nous ne pouvons donc plus tolérer qu’une poignée d’individus violents, au mépris du sport, des sportifs et des spectateurs, se permettent de perturber les matchs, d’insulter les joueurs, de casser les installations collectives.

Par avance, je me réjouis que le Parlement, en adoptant largement cette proposition de loi, montre sa détermination à défendre les valeurs du sport, qui sont aussi celles de notre République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française ainsi que sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Claude Goasguen, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par le groupe UMP a rencontré un succès unanime sur les bancs de cette assemblée. Le Sénat l’a modifiée à bon escient ; elle revient aujourd’hui en deuxième lecture.

Cette deuxième lecture intervient à un moment particulier, à la veille de la Coupe du monde de football, dont tous les journaux se demandent comment elle va se dérouler. En effet, le hooliganisme ne touche pas que certains clubs français : c’est un mal européen, voire mondial : le football est malade du hooliganisme. Nos voisins allemands seraient d’ailleurs bien inspirés de dissocier des matchs de football les investissements forcenés qu’ils consentent pour l’ouverture de maisons closes un peu partout en Allemagne. Cette pratique n’est en effet pas conforme à l’éthique du sport avec laquelle il nous faut renouer. Nous l’avons tous dénoncée ; incontestablement, elle ne va pas contribuer à la tranquillité des matchs.

Le texte de loi qui vous est proposé est important parce que ce travers du hooliganisme est non seulement international, mais aussi organisé en France. Nous nous souvenons tous de cette interview incroyable, lunaire, dans un hebdomadaire français, il y a quelques semaines, d’un père de famille occupant une fonction normale dans une entreprise, donc bien intégré socialement, et qui reconnaissait qu’il assistait aux matchs de football pour le plaisir de « casser la figure » à d’autres supporters et de reprendre son travail le lundi matin avec des coups sur la figure ! Nous sommes donc face à un phénomène de psychologie collective, sans solution, auquel il est urgent de réagir. D’autant que les hooligans sont regroupés en associations, organisés en réseaux : ils se connectent très souvent sur Internet pour se donner rendez-vous à quelques kilomètres de Paris, de Lyon ou de Saint-Étienne pour régler leurs comptes et en profiter pour tout casser autour ! Mon collègue Baguet et moi étions, jusqu’à présent, les seuls à recevoir la visite de bandes de voyous qui cassaient systématiquement tout aux abords du Parc des Princes, mais j’ai le sentiment que ce phénomène est en train de se développer.

Il était donc nécessaire d’intervenir et il me semble que nous l’avons bien fait. En effet, la législation en vigueur réservait, jusqu’à présent, aux seuls individus la sanction qu’ils méritaient, qu’elle soit administrative ou judiciaire. Mais le hooliganisme n’est pas seulement un comportement individuel, c’est aussi un phénomène de groupe, la plupart du temps des groupes de fait, mais voyants. Il n’y a qu’à regarder à la télévision pour voir certains jours, dans les tribunes du Parc des Princes, ces individus, qui prétendent ne pas être regroupés en associations, brandir, dès le début du match, des drapeaux à connotation homophobe ou raciste et tout ce qui va avec la voyoucratie. Par conséquent, nous avons eu raison d’ajouter à la sanction individuelle des sanctions collectives. Comme nous n’avions pas d’autre exemple juridique que le décret-loi de 1936, nous l’avons, par un phénomène de parallélisme, appliqué à ces délits qui, finalement, n’en sont pas si éloignés dans les faits. Le Sénat a prolongé, à juste titre, ce parallélisme en ajoutant le délit de reconstitution d’une association dissoute. On confisquera, on sanctionnera, on interdira.

Les amendements adoptés à l’Assemblée nationale ont été repris par le Sénat, ce qui a abouti à un texte équilibré. Il n’est pas répressif, puisqu’il donne à ces voyous la possibilité de se défendre. La commission nationale consultative, composée de deux membres du Conseil d’État, de deux magistrats de l’ordre judiciaire, d’un représentant du Comité national olympique et sportif, d’un représentant des fédérations sportives et d’une personne qualifiée autre, n’est pas un comité Théodule. Elle entendra tout, y compris l’inexcusable, à savoir les comportements les plus bas de l’humanité, qui ne doivent pas exister dans les stades. Si les auteurs de tels comportements peuvent se défendre, la sanction sera toutefois d’autant plus forte. Je compte, bien sûr, sur la vigilance du ministre de l’intérieur – qui a déjà organisé avec le commissaire Lepoix, dont on connaît la compétence, tant il sait ce qui se passe, notamment, au Parc des Princes, un dispositif sur l’ensemble du territoire –, et sur les amendements que nous avons votés visant à permettre de communiquer à la police toutes les informations nécessaires, notamment celles concernant les associations.

Cette proposition de loi s’inscrit dans une volonté générale de rétablir dans le football une éthique sportive qui semble quelquefois l’abandonner, avec l’extension du professionnalisme, qui touche hélas, comme le soulignait notre ami Dominique Tian dans un de ses amendements, certains clubs amateurs. L’éthique est une nécessité pour le sport. Le football ne doit pas être le champ clos d’associations qui ne pensent qu’à se taper dessus, à insulter tout joueur qui a la balle mais n’a pas la couleur désirée ; ce ne doit pas être le champ clos de toutes les bassesses de l’humanité. Le football doit redevenir ce qu’il était et un stade doit être le lieu où l’on se rend en famille, avec les enfants, pour suivre un match de la meilleure qualité. Le passage du contexte associatif traditionnel aux clubs sportifs professionnels riches a été sans doute brutal. Les clubs sportifs ne sont pas simplement des entreprises de spectacles. Ils doivent gérer cette transition avec vigilance et s’organiser avec les vrais supporters, ceux qui ne sont pas là pour casser la figure du voisin, mais qui suivent les matchs et aident leur équipe, ce qui est un comportement tout à fait naturel. Je souhaite que les clubs qui ont suffisamment d’argent puissent véritablement organiser, associer, donner une vie aux clubs sportifs avec les supporters pour éradiquer les voyous qui salissent le sport le plus populaire qu’est le football.

Bien entendu, j’en profite pour souhaiter à l’équipe de France de football le plus grand succès dans la Coupe du monde qui va bientôt s’ouvrir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. L’Assemblée nationale unanime s’associe à votre vœu, monsieur le rapporteur !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Cochet, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Philippe Cochet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en guise d'introduction, je voudrais vous remercier, monsieur le rapporteur, pour cette proposition de loi qui était très attendue par les présidents de clubs professionnels, par les joueurs et par les supporters eux-mêmes, mais aussi largement au-delà du football, comme vous l’avez évoqué. Je tiens à rappeler que notre assemblée l'a adoptée, sans vote contre, le 11 avril dernier, et qu'elle nous revient du Sénat avec peu de modifications par rapport au texte adopté en première lecture. J'y reviendrai très brièvement.

Il est tout d’abord essentiel de mettre un coup d'arrêt à des comportements que nous condamnons tous et qui entachent malheureusement le sport, comme l’ont rappelé le ministre et le rapporteur, et qui en donnent une image absolument délétère. L'immense majorité de nos concitoyens ne supporte plus qu'une minorité de hooligans perturbe les rencontres sportives, insulte les joueurs ou détruise des installations collectives mises à leur disposition.

La pratique sportive constitue un fait social majeur. Elle est parfois, hélas, marquée par la violence, le racisme et l'incivilité, terme employé aujourd’hui avec un certain humour, qui sont contraires aux valeurs universelles de générosité et qui nuisent à la mobilisation des bénévoles. Les agissements inqualifiables de certains portent atteinte à la réputation de disciplines sportives qui méritent mieux que cela. La lutte contre ces phénomènes est l'affaire de tous. C'est grâce au comportement de chacun que l'on parviendra à éliminer la violence du sport et à transmettre le respect du jeu et de l'adversaire. C'est pourquoi cette proposition de loi est nécessaire et va dans le bon sens en introduisant de nouvelles dispositions permettant de faire face à ces violences collectives : elle instaure une procédure de dissolution des associations de supporters impliquées dans l'accomplissement récurrent d'actes violents ou racistes.

Vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur, le Sénat a apporté quelques modifications au dispositif de sanctions et a modifié la composition de la Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives. En revanche, il a adopté conformes deux articles introduits lors de la première lecture à l'Assemblée.

Pour le groupe UMP, l'essentiel est de redonner au sport sa dimension de partage. Il est de notre devoir de restituer aux manifestations sportives l'esprit de convivialité et de fête que nous apprécions tous. Nous soutenons bien entendu sans réserve les dispositions proposées par ce texte, car nous ne pouvons tolérer qu'une minorité d'individus violents viennent perturber les matchs, au mépris du sport, des sportifs et des spectateurs.

Ce texte, discuté par la représentation nationale quelques heures avant l'ouverture de la Coupe du monde de football, sera un signe fort en direction des amoureux de tous les sports qui respectent les valeurs de la République rappelées par M. le ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche, pour le groupe socialiste.

M. Christophe Caresche. Monsieur le président, ma brève intervention sera également une explication de vote.

Nous avons adopté ce texte en première lecture parce que nous avons considéré qu’il complétait tout à fait utilement l’arsenal législatif, déjà imposant avec l’interdiction administrative de stade, destinée à combattre le hooliganisme. Ce texte va donc dans le bon sens. Il permettra de mieux responsabiliser – puisque tel est l’objectif, avant les sanctions –, les clubs de supporters. Il est en effet vrai qu’il y a manifestement parfois un certain laxisme, voire une complicité, puisque ceux qui devraient s’élever contre ferment les yeux sur ces comportements intolérables. Cette ambiguïté est source de difficultés pour une meilleure répression de ces comportements.

Nous approuvons donc les intentions et les modifications apportées en matière juridique et législative. Ce texte, tout à fait conforme à notre droit, présente toutes les qualités requises sur le plan juridique. Nous devons cependant être lucides : les difficultés sont encore devant nous. Quels que soient les gouvernements – cela ne doit pas être sujet à polémique entre nous –, malgré les discussions que nous avons eues à plusieurs reprises dans cette enceinte et la volonté sincère exprimée par les responsables politiques nationaux ou locaux, il est particulièrement difficile d’endiguer ce phénomène complexe. Il faudra donc voir comment s’appliquent ces mesures sur le terrain. L’interdiction administrative de stade, dont on a vu qu’elle avait permis des progrès significatifs en Grande-Bretagne, devrait tout de même commencer à produire ses effets.

Nous voterons donc ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Pierre-Christophe Baguet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, demain débute l’événement sportif de l’année. Des milliards de téléspectateurs vont avoir les yeux rivés sur l’Allemagne et la coupe du monde de football qu’elle organise, un mois de compétition couronné le 9 juillet par la retransmission télévisuelle sportive la plus suivie au monde. Ce sont 736 joueurs qui partent à la conquête du trophée le plus convoité.

Génératrice de passions, cette fête sportive très attendue recèle un risque maximal quant aux débordements envisageables de certains supporters, car, si la plupart des meilleurs joueurs du monde vont s’affronter durant un mois de compétition, les supporters des équipes nationales présentes vont se retrouver côte à côte sur un même territoire, où les passions les plus déraisonnables seront exacerbées.

La gestion des supporters représente pour les organisateurs une source d’inquiétude légitime car l’éclatement des sites de compétition va provoquer la dissémination des franges les plus dures, les plus excessives, bref de quelques voyous, sur l’ensemble de l’Allemagne, d’où la contrainte de prévoir un dispositif de sécurité hors du commun au plan national.

La compétition sportive semble bien loin, mais la réalité du hooliganisme risque malheureusement d’être tout de même présente, et les incidents qui pourraient survenir gâcheront inéluctablement la fête. On se souvient des événements de 1998 et des quelques affrontements à Lens et à Marseille, qui sont restés pour certains gravés dans leur mémoire tant les victimes ont souffert et souffrent encore. Je pense notamment au gendarme Nivelle, à sa femme et à ses enfants, auxquels l’Allemagne vient, avec beaucoup d’humanité, de témoigner son soutien.

Depuis 1998, heureusement, des progrès ont été réalisés dans la lutte contre le hooliganisme. Le phénomène est désormais connu, analysé, disséqué, permettant de mettre en place les mesures les plus draconiennes pour éviter tout débordement qui pourrait ternir l’image de ces moments dédiés au sport et à la fête, car, même si l’on répète que le football ne connaît pas de frontières et gomme toutes les barrières, la violence nous rappelle trop souvent que le stade reste pour une minorité un lieu d’exutoire privilégié, laissant libre cours aux déchaînements d’actes de violence, de racisme ou de xénophobie. Le patriotisme rime dès lors avec l’ultranationalisme, et les valeurs véhiculées par le football et le sport en général, telles que fair-play, convivialité, respect, esprit d’équipe, disparaissent sous un monceau de bêtise humaine.

La lutte contre la violence concerne chacun d’entre nous et, pour éviter tout affrontement lors d’événements de grande ampleur, il convient de mener le combat sur le plan national.

L’augmentation des violences dans le championnat de France montre bien que la France n’est plus épargnée par le phénomène. C’est pourquoi l’initiative de notre collègue Claude Goasguen doit être saluée, car elle permet de compléter les outils juridiques mis en place depuis 1993 pour renforcer la répression contre les violences dans les stades. Donner un cadre pour s’attaquer aux violences collectives et permettre la dissolution d’organismes ou d’associations, voilà l’étape dont la lutte contre le hooliganisme avait besoin.

J’ai proposé en première lecture de compléter le dispositif de la proposition de loi et je remercie l’ensemble de la représentation nationale de son adhésion.

À propos de l’interdiction administrative de stade par les préfets, monsieur le ministre, on m’a fait remarquer, avec bon sens, qu’il n’y avait pas de signalisation en temps réel aux autorités de police présentes sur place des hooligans identifiés qui ne respecteraient pas les mesures de neutralisation dans leurs commissariats de quartier. À mon avis, une simple circulaire, ou tout autre acte de nature réglementaire, permettrait de réparer cet oubli.

L’unanimité des décisions prises et du vote montre à quel point chacun d’entre nous se sent concerné. Conservons cette belle unité et hâtons-nous d’adopter et de mettre en place ces nouvelles dispositions pour que le prochain championnat de France ne puisse plus être le théâtre d’actes de violence ou de racisme et redevienne exclusivement la fête familiale, conviviale et sportive qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être. Bonheur simple certes, mais très attendu. Je vous remercie, monsieur le ministre, vous qui êtes un très grand sportif, des efforts constants qu’avec M. le ministre de l’intérieur, ministre d’État, vous déployez avec détermination pour y parvenir au plus vite.

Le groupe UDF s’associe donc pleinement à cette démarche et votera avec enthousiasme la proposition de loi de M. Goasguen. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lefort, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jean-Claude Lefort. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dois dire d’emblée, devant cette proposition qui nous revient modifiée du Sénat, que nous sommes toujours aussi perplexes qu’en première lecture.

La violence dans les stades, une violence inacceptable, procède de causes lourdes et, une fois de plus, au lieu d’aller plus loin dans le traitement de ces causes, vous en restez principalement aux conséquences. Une fois encore, vous êtes plus dans l’annonce que dans le traitement de fond. Le sens de la formule ou de l’annonce ne saurait remplacer le sens de l’État.

S’agissant des manifestations de violences, vous savez bien, monsieur le ministre, qu’un arsenal législatif existe déjà, qui demande à être appliqué rigoureusement. Quand il est appliqué, les résultats sont au rendez-vous. Au reste, le ministre de l’intérieur, ministre d’État, admettait en première lecture que cette rigueur dans l’application de la loi n’était pas toujours au rendez-vous.

Je pense aussi bien à la fouille systématique des spectateurs, à la nette séparation des supporters, au strict encadrement des plus acharnés d’entre eux, sans oublier la vidéosurveillance. Je pense aussi aux moyens juridiques dont nous disposons pour punir les auteurs d’actes ou de propos racistes, au sens large du terme, ainsi qu’aux lois sur la dissolution des groupes et ligues manifestement factieuses, dont on aurait pu élargir le champ d’application tout en veillant au respect des libertés et donc en se refusant à une définition de portée trop extensible.

Cet ensemble de dispositions existantes a fait ses preuves à l’occasion du dernier match entre l’équipe de l’OM et celle du PSG, qui, pourtant, était considéré comme hautement dangereux. Des individus ont pu être écartés et même empêchés de pénétrer dans le stade.

On peut certes aller plus loin en ce domaine, tout en respectant les libertés, ce qui n’est pas le cas à nos yeux de la proposition visant à transmettre des noms aux clubs sans avoir obtenu l’aval de la CNIL.

Cela dit, ce qu’on appelle le hooliganisme reste, fort heureusement, un phénomène qui est loin d’être majoritaire parmi les supporters. Laisser entendre qu’un supporter est un hooligan en puissance ne serait pas une analyse, ce serait une stigmatisation de l’ensemble des supporters.

Les auteurs de troubles sur les stades constituent une population hétérogène, une nébuleuse aux contours mal définis. Elle est évidemment composée aussi d’extrémistes qui se réclament ouvertement du racisme ou bien encore de l’homophobie. Ces derniers sont d’ailleurs les mêmes qui fréquentent quelque cérémonie dédiée à Jeanne d’Arc le 1er mai ou bien encore quelque rassemblement annuel du Front national. Jean-Marie Le Pen s’est encore distingué hier sur une radio périphérique en déclarant qu’il n’était pas supporter de l’équipe de France. On aura deviné pourquoi. La haine des hommes de couleur aboutit à celle de la patrie.

J’en reviens au texte présenté et amendé par le Sénat.

Ce dernier a introduit à l’article 1er la participation de représentants nommés par le ministre chargé des sports à la Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives.

Ensuite, il a procédé à la réécriture complète de l’article 2 afin de relever les sanctions pénales dans le cas d’associations dissoutes à la suite d’actes à caractère raciste ou discriminatoire. Il a fixé un régime de sanctions pénales pour les personnes morales concernées. Il a enfin prévu des peines complémentaires spécifiques dites de confiscation.

Cela dit, pourquoi les dirigeants de clubs sont-ils exonérés de tout effort ? Il est pourtant établi que leur rôle n’est pas mince en la matière et que les clubs adoptent des attitudes très variables vis-à-vis de leurs supporters. Les dirigeants du PSG, par exemple, se désintéressent finalement de la question. Ce club avait pourtant conçu, en étroite collaboration avec les signataires du contrat de sécurité, un programme pédagogique intitulé « Le PSG pour la sport-attitude ».

M. Pierre-Christophe Baguet. Tout à fait !

M. Jean-Claude Lefort. Il avait lancé le slogan : « Oui au fair-play, à la convivialité et au respect d’autrui. Non au racisme, à l’antisémitisme, à l’homophobie et à la violence. » Les mots y étaient mais les choses n’ont pas suivi. Et, pschitt, les dirigeants se trouvent exonérés de toute responsabilité !

Plus profondément, personne de sérieux ne peut nier qu’il y a un lien intime entre le développement de la violence et l’évolution observée depuis vingt ans s’agissant des enjeux économiques et financiers qui sont désormais à l’œuvre derrière le sport, spécialement le foot.

Le rachat récent du PSG par deux fonds d’investissement étrangers indique clairement que ce sport est entré dans l’ère du business, et cela depuis la loi de M. Lamour. Qui dit business dit mécaniquement hausse potentielle de l’agressivité. Cette introduction du fric à haute dose atteint les valeurs humaines et universelles dont le sport est et devrait toujours être porteur. Le sport, qui est synonyme de fraternité, est atteint de la sorte dans ses fondamentaux.

Le « foot-fric » accentue la nuée des violences en tous genres. Marquer un but revient à marquer des points financiers pour toute la chaîne footballistique. Si l’on devait sortir un carton rouge en matière de violence sur les stades, c’est aussi à ce nouveau phénomène qu’il faudrait l’appliquer.

Et puis, alors que la Coupe du monde commence demain, comment ne pas évoquer ici, comme l’ont fait certains de mes collègues, dont le rapporteur, non seulement le hooliganisme décidé à perturber cette belle fête du sport mais aussi cette autre violence faite aux femmes, sur laquelle on se montre plus que discret : l’organisation d’une prostitution massive accompagnant en Allemagne cet événement sportif ?

Voici donc que les entrepreneurs de foot sont maintenant accompagnés d’entrepreneurs du sexe. Quelle image désastreuse est ainsi donnée à la jeunesse et que de violences faites aux femmes sont introduites de manière collatérale à cette grande manifestation.

Mme Mary McPhail, la secrétaire générale du lobby européen des femmes, a ces paroles que je veux citer : « La prostitution n’est pas un jeu. C’est le plus vieux crime de l’histoire et une violation des droits humains. Pendant la Coupe du monde, d’aucuns pensent qu’ils ont le doit d’exploiter de cette manière le corps d’une femme. Chaque fois qu’un homme décide d’acheter une femme, il participe à la croissance de la demande et de la traite organisée par des gangs criminels qui assurent sans états d’âme l’offre de femmes prostituées ».

Nous avons écrit aux autorités concernées de notre pays mais aussi au commissaire européen en charge, à Zinedine Zidane, à Raymond Domenech, à Jean-Pierre Escalettes et à Joseph Blatter. Seuls ces deux derniers ont répondu, le premier étant président de la fédération française de foot et le second président de la FIFA. Seul ce dernier s’est engagé à intervenir publiquement contre ce scandale.

C’est aussi dans ce contexte qu’intervient cette proposition de loi. Si nous n’avons naturellement pas vocation à légiférer sur le plan international ou européen, il y a des silences des autorités françaises sur ce point qui sont plus que lourds alors que nous débattons de la violence dans le sport mais aussi en relation avec le sport tel qu’il est aujourd’hui pratiqué.

Une pétition lancée par la présidente de notre groupe au Sénat intitulée : « Oui à la Coupe du monde et non à la coupe de la honte » obtient un franc succès, mais, curieusement, monsieur le ministre, c’est le silence sur ce point, qui ne devrait pourtant souffrir aucune hésitation, que l’on observe malheureusement au niveau gouvernemental.

Pour cet ensemble de raisons rapidement énoncées, et tout en notant que notre amendement relatif à la pénalisation des injures homophobes a été adopté et retenu, nous maintenons notre décision de nous abstenir. Vous l’aurez compris, nous sommes particulièrement sévères sur le silence qui entoure le contexte de la Coupe du monde.

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. J’ai écouté avec beaucoup d’attention le rapporteur ainsi que Philippe Cochet, qui ont rappelé les objectifs et les ambitions de ce texte et, surtout, les avancées concrètes qu’il contient.

Monsieur Baguet, j’ai bien compris votre préoccupation. Vous avez relevé avec raison une insuffisance. Je pense qu’il est possible d’y remédier très rapidement, par une circulaire.

S’agissant de la Coupe du monde, vous avez, monsieur Lefort, tout comme le rapporteur, évoqué un sujet essentiel, mais vos conclusions ne sont pas les mêmes. Le rapporteur a indiqué que la dignité des femmes devait être placée au cœur de nos préoccupations, car il s’agit d’une question qui met en jeu la dignité et la morale. Monsieur Lefort, je regrette que vous vous appuyiez sur cette réflexion pour ne pas accompagner les avancées considérables qu’apporte ce texte. Autrement dit, si le constat est juste, la conclusion est fausse.

Le Gouvernement aurait souhaité un effort d’unanimité sur un texte qui comporte des avancées, qui apporte davantage de justice et permet de mieux sécuriser les stades et leurs abords, donc d’améliorer la sécurité des spectateurs qui viennent, eux, exclusivement pour le sport.

Néanmoins, je remercie les intervenants pour leur soutien, dans la majorité des cas, et pour les constats qui, unanimement, étaient justes.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte du Sénat, les articles de la proposition de loi sur lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pu parvenir à un texte identique.

Article 1er A

M. le président. J’appelle tout d’abord l’article 1er A du projet, qui a été adopté par les deux assemblées dans un texte identique mais sur lequel la commission a déposé un amendement pour coordination.

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir amendement n° 1.

M. Claude Goasguen, rapporteur. L’amendement n° 1 et l’ensemble des amendements déposés par la commission aux articles suivants obéissent à la même logique : il s’agit de prendre acte de la substitution aux références à la loi du 16 juillet 1984 des références au code du sport. Cette mesure rédactionnelle, liée à un changement d’outil juridique, ne prête pas à confusion, ni à plus ample débat.

M. le président. Monsieur le rapporteur, je considère donc que cette présentation vaudra pour l’ensemble des amendements, sur lesquels je vais maintenant demander l’avis du Gouvernement.

M. le ministre délégué aux collectivités territoriales. Avis favorable, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er A, modifié par l’amendement n° 1.

(L’article 1er A, ainsi modifié, est adopté.)

Article 1er B

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 2.

Cet amendement a été défendu.

Le Gouvernement y est favorable.

Je le mets aux voix.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. L’article 1er B est ainsi rédigé.

Article 1er C

M. le président. J’appelle l’article 1er C du projet, qui a été adopté par les deux assemblées dans un texte identique mais sur lequel la commission a déposé un amendement, n° 3, pour coordination.

Cet amendement a été défendu.

Le Gouvernement y est favorable.

Je le mets aux voix.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. L’article 1er C est ainsi rédigé.

Article 1er

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 4.

Cet amendement a été défendu.

Le Gouvernement y est favorable.

Je le mets aux voix.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 5, rédactionnel.

Cet amendement a été défendu.

Le Gouvernement y est favorable.

Je le mets aux voix.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié par les amendements adoptés.

(L’article 1er, ainsi modifié, est adopté.)

Article 1er bis

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 6.

Cet amendement a été défendu.

Le Gouvernement y est favorable.

Je le mets aux voix.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er bis, modifié par l’amendement n° 6.

(L’article 1er bis, ainsi modifié, est adopté.)

Article 2

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 7.

Cet amendement a été défendu.

Le Gouvernement y est favorable.

Je le mets aux voix.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 8.

Cet amendement a été défendu.

Le Gouvernement y est favorable.

Je le mets aux voix.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 9.

Cet amendement a été défendu.

Le Gouvernement y est favorable.

Je le mets aux voix.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 10, qui tend à rectifier une erreur matérielle.

Cet amendement a été défendu.

Le Gouvernement y est favorable.

Je le mets aux voix.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 11.

Cet amendement a été défendu.

Le Gouvernement y est favorable.

Je le mets aux voix.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié par les amendements adoptés.

(L’article 2, ainsi modifié, est adopté.)

Explication de vote

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet, pour une explication de vote.

M. Pierre-Christophe Baguet. Je trouve regrettable la position du groupe communiste sur ce texte qui aurait mérité d’être adopté à l’unanimité, comme cela a été le cas au Sénat.

Une loi ne peut pas tout aborder, ce serait en diluer l’impact. Nous avons bien fait notre travail de législateur, nous savons pouvoir compter sur l’exécutif et sur les forces de police.

Il reste, c’est vrai, aux clubs et aux fédérations sportives à prendre leurs responsabilités : il faudra y veiller.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(L’ensemble de la proposition de loi est adopté.)

modification de l’ordre du jour

M. le président. J’ai reçu de M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement une lettre m’informant d’une modification de l’ordre du jour de la semaine prochaine.

La deuxième lecture du projet sur les successions commencera le mardi 13 juin au soir et se poursuivra, le cas échéant, le mercredi 14 juin au soir.

La deuxième lecture du projet sur la gestion des matières et déchets radioactifs est inscrite à l’ordre du jour du jeudi 15 juin, l’après-midi et, éventuellement, le soir.

ordre du jour des prochaines séances

M. le président. Mardi 13 juin 2006, à neuf heures trente, première séance publique :

Proposition de loi, n° 2996, de M. Richard Mallié et Mme Maryvonne Briot et plusieurs de leurs collègues portant création d’un ordre national des infirmiers :

Rapport, n° 3009, présenté par Mme Maryvonne Briot, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Projet de loi, n° 3010, portant dispositions statutaires applicables aux membres de la Cour des comptes :

Rapport, n° 3090, présenté par M. Étienne Blanc, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République ;

Avis, n° 3078, présenté par M. Jérôme Chartier, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à onze heures trente-cinq.)