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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 20 juin 2006

247e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

gouvernance industrielle

M. le président. La parole est à M. André Gerin, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. André Gerin. Monsieur le Premier ministre, je veux exprimer, au nom du groupe des député-e-s communistes et républicains, la colère de millions de Français devant le cynisme du coprésident d’EADS, Noël Forgeard, et de tous ceux qui s’enrichissent en dormant. (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Leur colère est d’autant plus vive que les familles populaires souffrent de l’austérité et de la vie chère, et que les dirigeants d’EADS ont menti aux analystes financiers, jetant ainsi le discrédit sur l’Airbus A 380. Ces dirigeants n’ont qu’un but : jouer au Monopoly financier en spéculant sur le retard du programme. Ce sont les PME-PMI que l’on saigne ; c’est la nation que l’on veut mettre à genoux !

Le Gouvernement ne doit pas démissionner devant le CAC 40. Monsieur le Premier ministre, c’est le moment ou jamais de montrer votre patriotisme économique pour contrecarrer le pétainisme industriel que j’ai dénoncé à plusieurs reprises. Des milieux dirigeants organisent la démission industrielle de la France. Ils se moquent comme d’une guigne de la lutte contre le chômage et traitent la souffrance du peuple par le mépris. Le Gouvernement doit mettre le holà aux agissements de ces prédateurs et relancer une ambition industrielle pour la France.

Imposons le maintien de l’usine de Mérignac et faisons-en un exemple national en mettant hors d’état de nuire les ogres de la finance. Exigeons la transparence de la part des dirigeants d’EADS. La France doit reprendre la main en donnant de vrais pouvoirs de contrôle et de décision aux salariés et à la représentation nationale.

M. le président. Monsieur Gerin,...

M. André Gerin. Monsieur le Premier ministre, le Gouvernement doit prendre des mesures de salut public. Les Français en ont marre, ils sont exaspérés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le groupe EADS est effectivement confronté aujourd’hui, au sein de sa filiale Airbus, à une difficulté industrielle, rendue publique il y a quelques jours.

M. Jacques Desallangre. Il paraît que le patron lui-même n’était pas au courant !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Le projet de l’A 380, qui est en cause, est un projet industriel d’une ampleur inégalée.

M. Christian Bataille. Ce n’est pas la question !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Il s’agit rien moins – excusez du peu – que de la réalisation du plus gros porteur du monde. (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. André Gerin. Ce n’est pas la question !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Les projets industriels d’une telle nature, qui nécessitent l’attention de tous, peuvent connaître des retards. Tel est visiblement le cas et il faut s’en préoccuper. C’est ce que nous avons demandé à la direction d’EADS, mais également à celle d’Airbus. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains .)

Plusieurs députés du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. Ce n’est pas la question !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je rappelle que l’État français est actionnaire d’EADS à hauteur de 15 %, en vertu d’un pacte conclu en 2000. Le Premier ministre était alors M. Jospin. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Certains considèrent que ce pacte ne donne pas assez de pouvoir à l’État. Je rappelle en effet que, aux termes du pacte de 2000, ce sont les actionnaires industriels, à savoir Lagardère et Daimler, qui assurent la direction opérationnelle, l’État étant là pour valider ou non les options stratégiques.

Aujourd’hui, nous avons à faire à une situation industrielle qui pose certains problèmes. Je viens du reste de rencontrer M. Lagardère, il y a une heure,...

M. Christian Bataille. Quel courage ! (Sourires.)

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ...pour parler avec lui des évolutions éventuelles du pacte et des structures managériales, en accord avec nos partenaires allemands. C’est indispensable, pour tirer les conclusions de ce qui s’apparente à un retard, et qui requiert de notre part la plus grande vigilance.

Vous avez fait allusion, monsieur Gerin, aux ventes d’actions et aux stock-options de M. Forgeard et de ses enfants.

M. André Gerin. M. Forgeard a menti ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Desallangre. C’est malhonnête !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je rappelle que l’Autorité des marchés financiers, seule compétente en la matière, s’est saisie du sujet et qu’elle a ouvert une enquête. (M. Gerin se lève et proteste.)

M. André Gerin. Il lui a menti !

M. le président. Monsieur Gerin, asseyez-vous ! Nous ne sommes pas à la foire.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Les conclusions de cette enquête seront naturellement rendues publiques, mais je vous invite tous à ne jamais réagir à chaud sur ces questions. Laissez agir les autorités compétentes. Elles le sont, pardonnez-moi de vous le dire, monsieur le député, sans doute plus que vous. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. André Gerin. M. Forgeard a menti !

M. le président. Taisez-vous, monsieur Gerin. Vous n’avez plus la parole.

fusion GDF-Suez

M. le président. La parole est à M. Serge Poignant, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Serge Poignant. Monsieur le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, M. le Premier ministre avait souhaité un débat au Parlement à propos d’une déclaration du Gouvernement sur l’énergie, au moment où la question se posait – d’ailleurs, elle se pose toujours – d’une fusion éventuelle entre GDF et Suez, et avant l’ouverture complète à la concurrence du marché européen de l’énergie, le 1er juillet 2007.

Ce débat a eu lieu la semaine passée à l’Assemblée. Il m’a permis, au nom du groupe UMP, de rappeler – ce qui était nécessaire – le bilan de l’action réelle menée par le Gouvernement et sa majorité depuis 2002, après ce qu’il faut bien appeler l’immobilisme du gouvernement Jospin entre 1997 et 2002. Notre débat a été riche de points de vue et de questionnements sur l’actualité de GDF-Suez, chacune et chacun s’interrogeant sur l’avenir de ces entreprises, dans le cas probable d’une OPA d’Enel sur Suez.

Parallèlement et légitimement, nos collègues se sont faits les porte-parole de l’inquiétude de nos concitoyens et de nos entreprises face à l’augmentation des prix de l’énergie et de leur préoccupation quant au maintien des tarifs après le 1er juillet 2007.

Monsieur le ministre, au-delà des positions diversement argumentées de certains collègues de notre groupe, vous savez que la plupart d’entre nous souhaitions prendre le temps de la concertation, de la réflexion et de l’investigation avant d’examiner le projet de loi annoncé. Comment avez-vous pris ces souhaits en compte ? Quels objectifs et quel calendrier le Gouvernement s’est-il fixé ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Desallangre. Encore une question téléphonée !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le député, à la demande de Premier ministre, un très large débat a eu lieu dans cet hémicycle, la semaine dernière. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage à la représentation nationale...

M. Jacques Desallangre. Facile !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. ...pour la qualité de cet échange qui a duré près de huit heures. Plus de vingt orateurs se sont exprimés. Chacun a apporté sa contribution et a posé des questions.

Je me suis efforcé, au nom du Gouvernement, de répondre point par point aux interrogations concernant la politique énergétique de la France. Celle-ci est ambitieuse.

Elle a d’abord pour vocation de donner à nos concitoyens, en matière d’énergie, les moyens indispensables pour l’avenir.

M. Jacques Desallangre. Tu parles !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Elle a également pour ambition de limiter la hausse des prix – ce qui n’avait pas été le cas en 2000, lorsque le gaz avait augmenté de 30 % – et de donner naissance, avec la fusion entre Gaz de France et Suez, au leader européen en matière d’énergie, plus particulièrement de gaz naturel liquéfié. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains .)

M. Maxime Gremetz. C’est extraordinaire !

M. le président. Monsieur Gremetz !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Nous avons donc décidé d’indiquer très précisément à la représentation nationale, dans cet hémicycle, qu’un texte serait présenté le 28 juin au conseil des ministres, de façon non seulement à donner à Gaz-de-France et à Suez la possibilité de fusionner, mais aussi à transposer la directive sur l’énergie qui aura vocation à protéger les consommateurs. Il fera évidemment l’objet d’un débat au Parlement.

Comme l’a déclaré le Premier ministre, après s’être entretenu avec le Président de la République, ce débat aura lieu au début du mois de septembre, dans le cadre d’une session extraordinaire, afin de respecter le calendrier qui prévoit, je vous le rappelle, que la fusion doit être votée par les assemblées générales de ces entreprises avant la fin de l’année.

J’ajoute que les salariés du groupe Suez, toutes organisations syndicales confondues, ont soutenu ce projet. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Henri Emmanuelli. Il est fou !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Aujourd’hui, un grand nombre de salariés de GDF le soutiennent également. En dépit des appels à la grève lancés dans cette entreprise, à midi, 9,9 % seulement des salariés avaient débrayé. N’est-ce pas le signe que les idées avancent progressivement ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Henri Emmanuelli. C’est de la provocation !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Cela démontre en tout cas que ce projet est un bon projet non seulement pour les salariés, monsieur Emmanuelli, mais aussi pour les consommateurs et pour la France. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire – Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

responsabilités de l’état actionnaire

M. le président. La parole est à M. François Hollande, pour le groupe socialiste.

M. François Hollande. Monsieur le Premier ministre, en politique comme en toute chose, rien ne peut se construire sans la confiance. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Or la confiance, vous l’avez perdue auprès des Français (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et vous l’avez également perdue au sein de votre majorité. (Vives protestations sur les mêmes bancs.) Sinon vous auriez d’ores et déjà privatisé Gaz-de-France.

Cette confiance, vous ne la retrouverez pas grâce aux procédures judiciaires que vous intentez contre des journalistes. Jamais un Premier ministre n’y avait eu recours sous la Ve République ! (« Très juste ! » sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Marsaudon. Et Mitterrand ?

M. François Hollande. Pas de confiance dans le pays ; pas de confiance dans la majorité ; pas de confiance dans la presse : dans une démocratie digne de ce nom, le chef de l’État ou le Parlement aurait mis fin à cette situation. Mais nous sommes dans le régime de l’irresponsabilité. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Teissier. Ridicule !

M. François Hollande. Cette irresponsabilité ne doit pas se propager aux affaires industrielles et économiques. Or EADS, un des fleurons de notre industrie aéronautique, en France comme en Europe, est aujourd’hui ébranlé par le comportement de l’un de ses dirigeants. En effet, au moment même où la société Airbus annonce des retards de livraison pour le gros porteur A 380 et où le cours de l’action s’effondre de plus de 25 %, on révèle que, trois mois plus tôt, le coprésident de cette entreprise avait levé ses stock-options afin de réaliser une plus-value de 2,5 millions euros.

Sans préjuger des enquêtes diligentées par les autorités de marché, lesquelles concluront ou non à un délit d’initié, cette attitude est d’ores et déjà doublement condamnable et, je suppose, condamnée dans notre hémicycle.

Elle confirme en effet que des dirigeants d’entreprise n’hésitent pas à s’octroyer des rémunérations considérables, au moment même où la pression des marchés fait que les salariés sont réduits à la portion congrue. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Cette attitude est également condamnable sur le plan moral, puisqu’elle survient au moment où le groupe EADS annonce des suppressions d’emplois concernant un millier de personnes près de Bordeaux, à Mérignac, dans la filiale Sogerma.

M. le président. Posez votre question, monsieur Hollande.

M. François Hollande. J’y viens.

Elle est toute simple : monsieur le Premier ministre, dès lors que l’État français détient 15 % du capital de l’entreprise et que le Président de la République et vous-même avez joué un rôle dans la nomination du co-président d’EADS, en l’occurrence M. Forgeard, lui maintenez-vous, au nom du Gouvernement, votre confiance ?

Si tel était le cas,...

M. le président. Merci, monsieur Hollande.

M. François Hollande. Attendez, monsieur le président ! (Vives protestations puis huées et claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Non, monsieur Hollande ! Chacun a droit au même temps de parole !

M. François Hollande. ...cela signifierait que nous sommes dans l’irresponsabilité générale, oui, dans l’irresponsabilité générale, puisqu’un président d’entreprise peut se comporter ainsi sans avoir été rappelé à l’ordre par l’État ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Vives protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur Hollande, il est des moments dans la démocratie où l’on ne peut pas dire n’importe quoi. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) En 2000, c’est vous qui avez défini, avec Lionel Jospin, le pacte d’actionnaires. C’est votre responsabilité et nous remettrons les choses à plat. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Il est des moments, monsieur Hollande, dans une démocratie, où l’on ne peut pas mélanger les carottes et les choux-fleurs, l’exigence de vérité et l’exigence de bonne gestion.

Je dénonce, monsieur Hollande, la facilité, et je dirais même, en vous regardant, la lâcheté (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste), la lâcheté (Huées sur les bancs du groupe socialiste dont de nombreux députés se lèvent et commencent à descendre vers le banc du Gouvernement.)

M. le président. Asseyez-vous, je vous en prie !

M. le Premier ministre. …de votre attitude. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire – Les députés du groupe socialiste descendent de leurs travées et se massent au pied de la tribune, devant le banc du Gouvernement, où ils sont contenus par les huissiers.)

Je le redis : la lâcheté ! (Protestations et bruits continus dans les rangs des députés du groupe socialiste.)

Dans ce contexte, monsieur Hollande, j’ai relevé trois contradictions dans vos propos. (Les députés du groupe socialiste scandent : « Villepin, démission ! »)

M. le président. Calmez-vous et asseyez-vous !

M. le Premier ministre. Premièrement, vous n’avez jamais assumé de véritable politique industrielle dans notre pays ! Jamais ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire dont certains députés se lèvent. – Les députés du groupe socialiste, toujours massés devant le banc du Gouvernement, continuent de scander : « Villepin, démission ! »)

M. le président. Je vous le demande : calmez-vous !

M. le Premier ministre. En matière de politique énergétique, sujet qui rassemble aujourd’hui tous les Français, vous n’avez cessé de préconiser, là encore, la facilité. (Interjections continues dans les rangs des députés du groupe socialiste, toujours debout devant le banc du Gouvernement.)

Nous, nous avons posé l’exigence d’une politique énergétique au meilleur coût ; nous avons posé l’exigence d’une politique énergétique de pointe ; nous avons posé l’exigence d’une politique énergétique respectueuse de l’environnement. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Les députés du groupe socialiste scandent : « Sortez ! Sortez ! »)

Monsieur Hollande (Huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire)…,

M. le président. Arrêtez, cela ne sert à rien, calmez-vous !

M. le Premier ministre. …en matière industrielle comme en matière énergétique et en matière politique, le principe de responsabilité compte. (Les députés du groupe socialiste recommencent à scander : « Démission ! Démission ! »)

M. le président. Quel triste spectacle vous donnez, mes chers collègues.

M. le Premier ministre. Deuxièmement, monsieur Hollande, nous avons défendu le service public alors que vous n’avez jamais cessé de le brader. (Rires et exclamations parmi les députés du groupe socialiste. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Vous n’avez jamais été au rendez-vous de la politique de la nation, alors même que nous voulons en redéfinir l’exigence et avancer dans cette voie. (Huées et sifflets dans les rangs des députés du groupe socialiste.)

Enfin, monsieur Hollande, vous n’avez pas fait le nécessaire pour les entreprises publiques. Nous voulons leur donner les moyens d’avancer, de se moderniser et de relever les défis. (De nombreux députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire se lèvent pour applaudir le Premier ministre. – Huées continues des députés du groupe socialiste, toujours massés devant le banc du Gouvernement.)

M. le président. Nous en venons à la question de M. Nicolas Perruchot, pour le groupe Union pour la démocratie française. (Protestations des députés du groupe socialiste.)

Si vous voulez sortir, sortez !

M. François Hollande. C’est inadmissible ! (Il essaie de s’approcher du banc du Premier ministre.)

M. le président. Monsieur Hollande, je vous en prie ! (Huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marc Ayrault. Nous ne pouvons accepter les propos de M. le Premier ministre.

(M. Cambadélis essaie d’atteindre le banc du Gouvernement par les travées de l’UMP. – M. Perben, ministre des transports, s’interpose.)

M. le président. Monsieur Ayrault, montrez l’exemple en sortant calmement. Monsieur Cambadélis, monsieur Dray, on se comporte correctement dans l’hémicycle !

N’oubliez pas que la télévision vous filme ! (Protestations et bruits continus parmi les députés du groupe socialiste.)

La parole est à M. Nicolas Perruchot. (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. François Rochebloine. Ce n’est pas possible !

M. Jean-Christophe Lagarde. Il faut suspendre !

M. le président. Nous écoutons votre question, monsieur Perruchot.

M. Nicolas Perruchot. J’attends le retour au calme, monsieur le président.

M. le président. Monsieur Perruchot, allez-vous poser votre question ? (Protestations sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Nicolas Perruchot. Monsieur le président, je le répète, j’attends le retour au calme.

M. le président. Monsieur Perruchot, si vous ne voulez pas vous exprimer, je vais donner la parole à l’orateur suivant. (Vives protestations sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française. – Les députés du groupe socialiste, toujours massés devant le banc du Gouvernement, scandent de nouveau : « Villepin, démission ! »)

M. Nicolas Perruchot. Monsieur le président, les questions au Gouvernement supposent, dans l’hémicycle, un minimum de calme et de respect. Or je constate que c’est loin d’être le cas. C’est pourquoi j’attends que vous remettiez de l’ordre dans l’hémicycle.

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

M. le président. Dans ces conditions, j’en viens à la question suivante. (Vives protestations sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

bilan du conseil européen

M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue, pour le groupe UMP. (Vives protestations sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française dont plusieurs députés se lèvent et commencent à descendre des travées.)

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est honteux !

M. Daniel Garrigue. Monsieur le ministre des affaires étrangères (Huées dans les rangst des députés du groupe socialiste, toujours massés devant le banc du Gouvernement. – Nouvelles protestations sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française), la construction de l’Europe progresse parfois par grandes avancées, plus souvent par de longues discussions, voire par de difficiles négociations. (Bruits continus dans les rangs des députés du groupe socialiste.)

Le Conseil européen s’est réuni les 15 et 16 juin derniers à Bruxelles. Par-delà la question des institutions, les débats ont porté sur trois sujets.

Le premier était relatif à la capacité d’élargissement de l’Europe qui, selon nous, n’est pas illimitée et doit être soumise à des exigences lisibles et précises.

Le deuxième concernait l’Europe des projets, sur laquelle la France a toujours eu des positions volontaires, et qui, il faut le reconnaître, a donné sur la durée les résultats les plus significatifs. (Les députés du groupe socialiste, toujours massés devant le banc du Gouvernement, continuent d’interpeller le Premier ministre.)

M. le président. Cela suffit ! (Protestations des députés du groupe socialiste.)

M. Julien Dray. Monsieur le président, vous n’êtes pas un maître d’école ! Suspendez !

M. Daniel Garrigue. Le troisième et dernier sujet visait à permettre une meilleure association des parlements nationaux à l’élaboration des règles européennes, les propositions du président du Parlement européen rejoignant en la matière des attentes depuis longtemps exprimées par le Parlement français. (Les députés du groupe socialiste scandent de nouveau : « Villepin, démission ! »)

Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous faire, sur ces trois points, le bilan du dernier Conseil européen ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères. (Vives protestations sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française. – Les députés du groupe socialiste, toujours massés devant le banc du Gouvernement, recommencent à scander : « Villepin, démission ! »)

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, il est vrai que le Conseil européen des 15 et 16 juin, où le Président de la République et moi-même, accompagnés de Catherine Colonna, représentions la France, a permis trois avancées majeures. (Interjections continues des députés du groupe socialiste.)

Premièrement, sur le plan des institutions, il a décidé que des propositions seront faites au premier semestre 2007 sous présidence allemande et que des décisions seront prises au second semestre 2008 sous présidence française. (Les députés du groupe socialiste continuent d’interpeller le Premier ministre.)

M. Julien Dray. Ce n’est pas un président ! Suspendez la séance !

M. le ministre des affaires étrangères. La deuxième avancée, tout aussi remarquable, concerne l’Europe concrète, c'est-à-dire l’Europe des projets, qu’il s’agisse des premiers résultats de la politique de réponse rapide aux crises, en matière de catastrophes naturelles ou industrielles, ou des premiers résultats de la politique énergétique européenne.

Enfin, la dernière avancée est un succès de la diplomatie française. (Les députés du groupe socialiste recommencent à scander : « Démission ! Démission ! ») Pour la première fois, le Conseil européen a déclaré que le rythme des prochains élargissements dépendra de la capacité d’absorption de l’Union européenne. (Des députés du groupe socialiste scandent : « Villepin, des excuses ! »)

Il ne sera plus possible de poursuivre l’élargissement de l’Union européenne sans le soutien des peuples européens. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

projet de loi sur la participation

M. le président. La parole est à Mme Martine Aurillac, pour le groupe UMP. (« Villepin, démission ! » dans les rangs des députés du groupe socialiste toujours massés devant le banc du Gouvernement.)

Mme Martine Aurillac. Je tiens tout d’abord à dire que nous sommes tous très attristés de l’image que l’opposition donne de notre Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Vives protestations des députés du groupe socialiste.)

M. Christian Bataille. Villepin, démission !

M. Guy Teissier. Vous sortez enfin, oui ou non ?

Mme Martine Aurillac. Monsieur le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. - Huées continues dans les rangs des députés du groupe socialiste), le 16 mai dernier, un quotidien du soir, qui publiait les résultats d’une enquête sur la redistribution des bénéfices des sociétés, a relevé que les grandes entreprises cotées ont versé à leurs actionnaires en 2005, par rapport à 2004, 40 % de dividendes supplémentaires et que leurs salariés ont très largement profité des hausses de bénéfices.

C’est un élément très partiel, certes, mais encourageant pour la mise en œuvre du projet sur la participation que vous devez nous présenter prochainement, participation que le général de Gaulle – chacun se le rappelle – tenait à promouvoir et qui a été l’objet d’un travail de longue haleine de plusieurs de nos collègues. Je cite, parmi beaucoup d’autres, Jacques Godfrain, Patrick Ollier et François Cornut-Gentille.

M. Julien Dray. Suspension ! Suspension !

Mme Martine Aurillac. L’intéressement, l’actionnariat salarié et la participation recouvrent des réalités très différentes et des choix doivent être opérés. En effet, les petites et moyennes entreprises n’ont pas les mêmes facilités que les grandes et le service public n’a pas les mêmes contraintes que le secteur privé. Les modalités de déblocage anticipé, de même que les mécanismes de généralisation, doivent donc être soigneusement pesés, comme doit être organisée, dans le respect de la loi votée, la participation d’administrateurs salariés au conseil d’administration et au conseil de surveillance.

M. Christian Bataille. Villepin, démission !

Mme Martine Aurillac. Pouvez-vous nous présenter, monsieur le ministre, les choix qui sous-tendent votre projet, ses grandes lignes et, surtout, son calendrier ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est (Huées dans les rangs des députés du groupe socialiste. – Protestations sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française) à M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. (De nombreux députés du groupe socialiste, toujours massés devant le banc du Gouvernement, scandent : « Borloo ! Borloo ! »)

Je vous en prie, mes chers collègues, cessez donc de donner ce spectacle déplorable ! (Les députés du groupe socialiste recommencent à scander : « Démission ! Démission ! »)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Madame la députée, le projet de loi sur la participation, que Gérard Larcher, Thierry Breton et moi-même présenterons demain au conseil des ministres, est éminemment politique.

Ce projet vise en effet à adapter à une société qui a évolué et où les actionnaires sont devenus de plus en plus forts la géniale intuition du Conseil national de la résistance, relancée par le général de Gaulle en 1965, concrétisée par Louis Vallon en 1967 et qui a fait l’objet d’un travail particulier de la part de membres du groupe de l’UMP, notamment Jacques Godfrain, Hervé Novelli, François Cornut-Gentille et le président Borotra, ainsi que Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles et Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. (Les députés du groupe socialiste, toujours massés devant son banc, continuent d’interpeller le Premier ministre.)

Ce projet prévoit d’augmenter la participation en cas de profits exceptionnels, que ce soit directement, par le biais de l’intéressement ou par celui de la distribution d’actions gratuites. Il s’agit, de plus, de permettre que cette distribution se fasse dans le cadre de projets, comme celui du viaduc de Millau, auquel de nombreuses entreprises ont participé.

M. Michel Lefait. Villepin, démission !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Surtout, grâce aux efforts consentis par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, cette distribution d’actions gratuites pourra être collective puisqu’elle sera proposée à tous les salariés, et non plus seulement à quelques cadres, ce qui a, malheureusement, parfois entraîné quelques dérives. Ce projet, c’est donc la participation pour tous. (Bruits continus dans les rangs des députés du groupe socialiste, toujours massés devant le banc du Gouvernement.)

Enfin, pour répondre à la question posée par M. Édouard Balladur, la semaine dernière, relative à la présence des salariés au sein du conseil d’administration de l’entreprise, après la fusion d’Alcatel et de Lucent, je tiens à préciser que le texte permettra aux salariés d’avoir des représentants au conseil d’administration des entreprises si au moins 3 % d’entre eux sont actionnaires. (Les députés du groupe socialiste continuent d’interpeller le Premier ministre.)

Les salariés sont la force vive de nos entreprises : c’est pourquoi, face à ceux qui, durant de longues années, ont prôné la modération salariale (Rires et exclamations dans les rangs des députés du groupe socialiste), nous sommes, nous, pour la participation à la richesse. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Les députés du groupe socialiste recommencent à scander : « Villepin, démission ».)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. Mes chers collègues, afin que notre assemblée retrouve la sérénité nécessaire au bon déroulement de ses débats, je suspends la séance. (Exclamations des députés du groupe socialiste.)

(La séance, suspendue à quinze heures trente, est reprise à seize heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

Rappels au règlement

M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Marc Ayrault. Après ce qui s’est passé lors de la séance des questions au Gouvernement, tout le monde comprendra que, au nom du groupe socialiste, je saisisse l’opportunité de la reprise de la séance pour faire un rappel au règlement.

Il concerne la réponse de M. le Premier ministre au premier secrétaire du parti socialiste, François Hollande, qui, dans son rôle de chef du principal parti de l’opposition, a interpellé le Gouvernement pour lui demander des comptes sur un sujet grave. Or le Premier ministre n’a pas répondu sur le fond et il a tenu des propos insultants, outrageants à l’égard du premier secrétaire du parti socialiste. Cette injure, cette attaque personnelle visait non seulement la personne de François Hollande, mais aussi, à travers lui, les députés socialistes, le parti socialiste et ses électeurs, blessés par cette attaque odieuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Nous n’acceptons pas ce procédé et, en vertu du mandat qui nous a été confié par le peuple français, nous demandons que le débat reste digne. Tous, sur ces bancs, nous avons une responsabilité vis-à-vis de ceux qui nous ont fait confiance.

Le Premier ministre, qui n’a jamais été élu (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire),…

M. Lionnel Luca. C’est très élégant, ça !

M. Jean-Marc Ayrault. …qui n’a pas cette expérience, s’est peut-être laissé entraîner au-delà de sa pensée.

Quoi qu’il en soit, monsieur le président de l’Assemblée nationale, puisque vous essayez de présider dignement nos débats – et ce n’est pas toujours facile –, nous voulons que vous demandiez au Premier ministre de présenter des excuses dès demain, au cours de la séance des questions au Gouvernement (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), d’exprimer des regrets pour que nos échanges gardent leur dignité. Nous souhaitons en effet que le débat continue, que la vie démocratique se poursuive.

Nous n’attaquons pas personnellement le Premier ministre ni les autres membres du Gouvernement, non plus que les parlementaires, même lorsque nous sommes concurrents voire adversaires.

M. Lucien Degauchy. Il ne faut pas exagérer !

M. Jean-Marc Ayrault. Nous les respectons et nous entendons, nous aussi, être respectés parce que le respect de ses adversaires, c’est celui de la République. Aussi attendons-nous que le Premier ministre fasse un geste demain et nous prendrons nos responsabilités en fonction de sa réponse. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Je prends acte de votre rappel au Règlement.

La parole est à M. Bernard Accoyer.

M. Bernard Accoyer. Monsieur le président, mes chers collègues, le président Jean-Marc Ayrault nous a donné sa description des faits qui viennent de se dérouler dans l’hémicycle. Les députés du groupe de l’UMP sont pour leur part profondément attristés. Ils déplorent la nouvelle prise d’otages à laquelle veut se livrer le groupe socialiste entend conduire. (Rires et protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

C’est sur la forme que cette nouvelle provocation de François Hollande a porté, car c’est sur la forme que le parti socialiste se concentre exclusivement.

M. Julien Dray. Que M. Accoyer retourne dans sa circonscription !

M. Bernard Accoyer. Dois-je rappeler la constance avec laquelle il s’abstient de proposer des réponses réelles aux problèmes que les Français ressentent ? (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Hollande. C’est incroyable !

M. Jean-Marie Le Guen. Provocateur !

M. Gilles Carrez. Cessez de crier comme cela, messieurs du groupe socialiste !

M. Bernard Accoyer. Dois-je rappeler la méthode de travail du groupe socialiste ? Depuis le début de la législature, celui-ci procède par « murs d’amendements », pour reprendre l’expression de son président, mène une obstruction frontale et multiplie les manœuvres pour susciter des manifestations jusque dans la rue. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Julien Dray. Faites-le taire, monsieur le président ! Il est très mauvais !

M. Patrick Roy. C’est honteux !

M. Bernard Derosier. Inadmissible !

M. Bernard Accoyer. L’habitude ayant été prise, le premier secrétaire du parti socialiste continue tout naturellement sur cette lancée. Nous le regrettons profondément car nous estimons que la comédie consistant à se lever pour être filmés par les caméras (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Michel Lefait. Ces propos sont indignes !

M. Lucien Degauchy. Laissez-le s’exprimer !

M. Bernard Accoyer. …et à créer de toutes pièces un incident n’est pas à la hauteur de nos responsabilités.

Nous, députés UMP, qui soutenons le Gouvernement, nous sommes fiers du travail accompli, du bilan qui est le nôtre et de l’action que nous conduisons sans autre considération que l’intérêt des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Martine David. Zéro !

M. Patrick Roy. C’est indécent !

M. Julien Dray. M. Mazeaud avait raison : M. Accoyer n’est vraiment pas bon !

M. le président. Je prends acte de votre rappel au règlement.

La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 58, alinéa 1.

Au nom du groupe UDF, je regrette que l’on ait coupé la parole à notre orateur alors qu’il s’apprêtait à poser sa question. L’empêcher ainsi de s’exprimer n’est pas correct.

Je ne prends pas parti pour les uns ou pour les autres. Je déplore simplement l’image qui a été donnée de l’Assemblée nationale tout à l’heure. Notre porte-parole sur les problèmes budgétaires avait une question intéressante à poser. On lui a retiré la parole alors que, manifestement, il ne pouvait s’exprimer. Ce n’est pas conforme aux traditions républicaines.

M. Jean-Christophe Lagarde. Très juste !

M. Charles de Courson. Plus généralement, le groupe UDF regrette beaucoup la dérive dans laquelle l’Assemblée nationale est en train de tomber. Nous ne nous sommes posé qu’une question : quelle peut bien être la réaction des Français qui suivent la retransmission des questions au Gouvernement ? (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

J’en appelle donc à chacun. Que le Premier ministre respecte la représentation nationale !

M. Augustin Bonrepaux. Ce serait la moindre des choses !

M. Charles de Courson. Aussi fondamental que puisse être le désaccord sur tel ou tel point, un minimum de respect n’a jamais nui à la qualité des relations entre l’opposition et la majorité.

M. Jean-Luc Préel. Très bien !

M. Charles de Courson. Je ne crois pas non plus que donner ce sentiment de pression physique soit conforme à nos traditions républicaines.

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet.

M. Alain Bocquet. Je souhaite exprimer le complet désaccord du groupe des députés communistes et républicains avec le comportement inacceptable du Premier ministre. On ne tient pas de tels propos lorsque l’on est Premier ministre de la République française ! On doit écouter les interventions des uns et des autres, aussi vives soient-elles – c’est bien le droit de l’opposition que de critiquer sur le fond la politique du Gouvernement –, et répondre sur le fond. Or c’est bien ce que M. le Premier ministre a évité de faire au sujet du groupe EADS.

Vraiment, il est temps qu’il parte et fasse autre chose !

Quand on est contesté comme il l’est par le peuple de France…

M. Guy Geoffroy. Trois pour cent !

M. Alain Bocquet. ...et par de nombreux membres de cette assemblée – même si, pour certains, la pensée doit en rester secrète –, il est temps, pour le bien de la République, de la démocratie, du fonctionnement de cette maison et du respect mutuel que l’on se doit dans un combat d’idées sur l’avenir de la France, que le Président de la République prenne ses responsabilités. Faute de quoi, il faudra appeler aux urnes les Françaises et les Français, afin qu’ils changent la donne. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains, et du groupe socialiste.)

M. le président. Je prends acte de votre rappel au règlement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de Mme Hélène Mignon.)

PRÉSIDENCE DE MME HÉLÈNE MIGNON,
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

règlement définitif du budget de 2005

Discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant règlement définitif du budget de 2005 (nos 3109, 3155).

La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’état, porte-parole du Gouvernement.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Madame la présidente, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mesdames et messieurs les députés, ce débat sur le projet de loi de règlement est un rendez-vous majeur de notre calendrier budgétaire. En effet, anticipant les conséquences du passage à la LOLF, nous menons la discussion dans un ordre inédit : pour la première fois, l’examen des résultats de l’exercice clos précède celui des orientations du prochain budget.

Je tiens à rendre hommage à la commission des finances, qui a tout fait pour que ce rendez-vous soit une préfiguration aussi complète que possible du débat que nous aurons l’année prochaine sur ce sujet. Nous nous rapprochons ainsi de ce que sera la discussion de la loi de règlement : non seulement l’examen de la situation budgétaire du pays à la fin du dernier exercice, mais également un débat sur l’efficacité de la politique budgétaire de la France.

La démarche qui m’anime depuis dix-huit mois tient en un mot d’ordre : aller aux résultats. En 2005, nous avons rempli tous nos engagements : maîtriser la dépense publique sans sacrifier nos priorités, réduire le déficit budgétaire tout en ramenant l’ensemble des administrations publiques sous le seuil des 3 %, enfin préparer le passage à la LOLF.

S’agissant de la maîtrise des dépenses publiques, il est à noter qu’en 2005, comme je m’y étais engagé devant vous, les dépenses de l’État ont été strictement tenues. Pour la troisième année consécutive, le plafond de dépenses voté par l’Assemblée a été strictement respecté. Je ne dirai pas, selon la formule consacrée, que c’est « à l’euro près », car nous avons fait un peu mieux – 21 millions d’euros – que ce qui était prévu. Reste que nous avons une nouvelle fois respecté la norme du « zéro volume ».

Il était indispensable d’atteindre cet objectif, non seulement pour respecter l’autorisation parlementaire, mais aussi pour montrer aux Français que, dans un contexte économique un peu moins favorable que prévu, les finances de l’État sont tenues et pour démontrer à nos partenaires européens la crédibilité de nos engagements.

L’objectif de maîtrise des dépenses a donc été mis en œuvre de manière totalement déterminée. Il ne faut pas se raconter d’histoires : ce résultat n’est pas le fruit du hasard ; il tient au fait que nous avons mis en place, dès le mois de janvier, une réserve de précaution.

De l’ordre de 7,5 milliards d’euros, cette réserve a tout changé dans nos méthodes de gestion : dès le début de l’année, nous sommes capables de tenir la dépense tout en assumant les aléas qui peuvent survenir, tels qu’une crise sanitaire ou le remplacement en urgence d’un canadair. Pour autant, il n’est pas question de compromettre nos objectifs de plus long terme, encore moins de sacrifier nos priorités, en particulier en matière d’investissements. De ce point de vue, en 2005, la mission a été accomplie : les investissements ont progressé de 7 %, les priorités – sécurité, justice, éducation, emploi – ont été financées et les dépenses de l’État tenues.

Tout cela s’est fait en mettant fin à la mécanique infernale des reports, sur laquelle votre commission des finances nous avait alertés à plusieurs reprises. Les temps ont changé : de 14 milliards lorsque M. Jospin a quitté le Gouvernement, les reports ont été réduits, au début de 2005, à 9,7 milliards, puis à 4,6 milliards au début de 2006.

Notre deuxième engagement était de réduire le déficit. Là aussi, l’objectif est atteint puisque, malgré une conjoncture économique moins bonne que prévu, le déficit s’est élevé à 43,5 milliards d’euros, soit 1,7 milliard de moins que ce qui était inscrit en loi de finances initiale.

M. Richard Mallié. Très bien !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Comme beaucoup d’entre vous, j’ai les yeux rivés sur ce qui se passe dans le reste du monde, car il est bon de voir ce que font les autres pour mettre les choses en perspective. Parmi les quatre grands pays européens – France, Grande-Bretagne, Allemagne et Italie – qui avaient en 2003 un déficit supérieur à 3 % de leur PIB, le seul à être revenu sous ce seuil en 2005 est la France, à 2,87 % exactement. Quand on s’engage sur des objectifs et que ceux-ci sont atteints, autant le dire, cela change.

Certains d’entre vous ayant certainement prévu d’en parler, je m’arrêterai quelques instants sur les observations qui ont été faites par la Cour des comptes dans son rapport sur l’exécution 2005.

M. Jean-Marie Le Guen. C’est par masochisme ou par tactique ?

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Détendez-vous, monsieur Le Guen, cela va bien se passer !

M. Jean-Marie Le Guen. Je suis très détendu !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je regrette que le terme d’insincérité ait été employé.

M. Didier Migaud. C’est pourtant le terme approprié !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Si nous avons, avec la Cour des comptes, des débats récurrents sur les modalités de prise en compte de telle ou telle dépense ou recette – par exemple, les versements de la CADES –,…

M. Didier Migaud. La vérité est cruelle !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. …qui sont très antérieurs à ce gouvernement, je ne vois là rien qui soit de nature à remettre en cause la validité de nos résultats.

M. Didier Migaud. Et pourtant !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. D’ailleurs, avec Thierry Breton, nous avons longuement répondu aux questions de la Cour, sur ce sujet comme sur d’autres.

M. Charles de Courson. Nous avons tout lu !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Et elle a conclu que nos comptes étaient réguliers.

M. Charles de Courson. Mais pas sincères !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous pouvez retenir un mot plutôt qu’un autre. Moi je retiens que la Cour des comptes a observé que nos comptes étaient réguliers, c’est-à-dire tout à fait conformes au droit en vigueur.

Autre outil de mesure, Eurostat est l’organisme européen qui examine si le déficit de tous les pays européens se situe dessous ou au-dessus de 3 % du PIB en passant leurs comptes au peigne fin. Là encore, je suis obligé de dire – ce que la gauche pourrait considérer comme une mauvaise nouvelle, mais dont elle devrait se réjouir puisque c’est l’intérêt de la France – qu’Eurostat a validé le taux de 2,87 %. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Augustin Bonrepaux. Avec quels artifices !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Monsieur Bonrepaux, je dirai aux spécialistes d’Eurostat que vous considérez leur analyse comme artificielle. Cela leur fera très plaisir.

M. Augustin Bonrepaux. Je parlais de vos artifices !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Notre troisième engagement consistait à préparer le passage à la LOLF en modernisant nos outils de gestion. À cet égard aussi l’engagement est tenu puisque, depuis le 1er janvier 2006, la LOLF existe. C’est un bébé de six mois maintenant, qui progresse de façon satisfaisante malgré quelques difficultés ici ou là. Globalement, tous les chantiers sont lancés : introduction d’une démarche de performance, nouvelles modalités de gestion, réforme comptable. La mission a été accomplie grâce au rapprochement opéré depuis un an entre le ministère du budget et celui de la réforme de l’État.

J’ai adopté un principe simple : ce n’est pas le budget qui absorbe la réforme de l’État, mais la réforme de l’État qui absorbe le budget. Plus qu’une simple tournure de style, c’est une approche de la gestion budgétaire de l’État d’un point de vue non pas strictement comptable, mais de bon sens : c’est la qualité du service public qui prime. Si l’on met plus d’argent là où c’est nécessaire et moins là où il y a des gains de productivité, les Français en ont pour leurs impôts. Cela a été possible grâce aux audits de modernisation que nous avons lancés et qui seront déterminants pour la mise en œuvre du prochain budget.

En résumé, avec le budget de 2005, le Gouvernement a montré qu’il était possible de rompre avec les facilités budgétaires qui avaient trop souvent cours à la fin des années 90. Nous avons stabilisé les dépenses en volume, mis fin à la bulle des reports et affecté le produit des plus-values de recettes à la réduction du déficit, ce qui est la moindre des choses. Pourtant, je dois rappeler que, au cours des trois dernières années de la législature 1999-2001, alors qu’elles avaient atteint 7 milliards d’euros, les plus-values n’avaient été affectées que pour moitié à la réduction du déficit. Ce n’était guère responsable !

En 2006, nous passons à la vitesse supérieure. La mise en œuvre effective de la LOLF avance bien. Une véritable culture du contrôle de gestion est en train de se diffuser dans toute l’administration. C’est une des grandes vertus de cette réforme que vous avez portée, mesdames, messieurs les députés.

Un deuxième défi, auquel je serai extrêmement vigilant, sera de tenir la dépense publique. Nous avons modifié la LOLF afin d’inscrire dès le début de l’année les mises en réserve : 0,1 % des crédits de rémunération, 5 % des autres crédits.

Je serai tout aussi regardant sur le troisième défi, qui est la gestion responsable des fruits de la croissance. Nous pouvons espérer aujourd’hui de la bonne tenue de l’activité économique de 1 à 3 milliards d’euros de plus-values de recettes. Si cette estimation se confirme, il va de soi que ces surplus seront intégralement affectés au désendettement.

Grâce à ces résultats, nous pourrons présenter un budget pour 2007 qui marquera un tournant. Nous en reparlerons jeudi, lors du débat d’orientation budgétaire, mais je veux d’ores et déjà en dire quelques mots.

La feuille de route est claire : si l’on veut assurer le retour à l’équilibre des comptes publics en 2010 – nous l’avons vu ce matin même à Bercy lors de la conférence des finances publiques –, il faut réduire la dépense de l’État tout en respectant une exigence absolue : préserver la dépense d’investissement, porteuse d’avenir, en garantissant la qualité des services publics. Nous nous appuyons pour cela sur les outils innovants mis en place ces derniers mois : la LOLF, qui introduit une démarche de performance et de responsabilité ; le rapprochement du budget et de la réforme de l’État ; les audits de modernisation. D’ici au mois de juillet, cent audits, couvrant 100 milliards d’euros, soit plus de la moitié des 260 milliards des dépenses de l’État, auront été réalisés ou seront en cours.

Les conditions seront donc créées pour vous présenter à l’automne un budget pour 2007 caractérisé par une baisse de la dépense publique – pour la première fois inférieure à l’inflation – et par le non-remplacement de 15 000 fonctionnaires partant à la retraite sans que la moindre atteinte soit portée à la qualité du service public.

Par ailleurs, toutes nos priorités seront financées, tant la sécurité, que la justice, la défense, l’emploi, l’éducation ou la recherche. Nous nous efforçons ainsi d’être en cohérence avec l’ensemble des engagements que nous prenons.

Vous l’aurez compris, une telle politique nous permet, à la veille d’une échéance électorale majeure, de prendre date avec les Français, mais aussi avec l’opposition. Deux possibilités s’offriront : soit le choix de la responsabilité, c’est-à-dire la capacité de financer les priorités politiques sur lesquelles les Français attendent des résultats, tout en maîtrisant les dépenses et en réduisant le déficit et l’endettement ;…

M. Jean-Claude Sandrier. Ça, c’est vous, naturellement !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. En effet, c’est nous.

M. Didier Migaud. C’est à peine caricatural !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. …soit le choix de la dépense publique supplémentaire,…

M. Jean-Claude Sandrier. Ça, ce sont évidemment les autres !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Non, c’est vous !

…donc de l’impôt supplémentaire et de la dette,…

M. Didier Migaud. C’est un peu simpliste !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. …comme semble en témoigner le programme qui vient d’être présenté par le parti socialiste, monsieur Migaud. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Augustin Bonrepaux. Parlez-nous plutôt du budget de 2005 !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Patience, le meilleur arrive.

M. Didier Migaud. Le meilleur, c’est le suffrage universel !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Le parti socialiste ne semblant pas en mesure de chiffrer son propre programme, puisque nous attendons depuis trois semaines, j’étais soucieux de savoir ce que vous nous réserveriez en cas de malheur. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Mallié. Cela devient intéressant !

M. Ghislain Bray. Ils ne savent pas compter !

M. Didier Migaud. Ne vous inquiétez pas !

M. Augustin Bonrepaux. Expliquez-nous ce que vous avez fait en 2005 !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je me suis livré à quelques calculs.

Mme Pascale Gruny. Cela va faire mal !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Eh bien, la mise en œuvre du projet socialiste se traduirait par une aggravation annuelle des charges publiques de 115 milliards d’euros. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire .)

M. Ghislain Bray. Presque rien !

M. Didier Migaud. Vous faites mieux que M. Breton !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Pour m’assurer que vous savez de quoi vous parlez, monsieur Migaud, je vais vous donner quelques exemples, sur lesquels je reviendrai en détail au cours du débat d’orientation budgétaire.

Ainsi, vous envisagez de mettre en place un contrat d’entrée dans la vie active pour tous les jeunes, sorte de « RMI jeune », qui pose, par ailleurs, un vrai sujet de fond quant à la généralisation ou non de l’accès au RMI.

Mme Pascale Gruny. De l’assistanat !

M. Jean-Pierre Gorges. Plus besoin d’aller travailler !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Coût de ce contrat, compte tenu de l’allocation de 3 000 euros par an que vous proposez pour tous les jeunes en formation ou en recherche d’emploi : 15 milliards d’euros. (« Bagatelle ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Le calcul est très simple et vous ne vous en sortirez pas à moins.

Coût de l’abrogation de la loi Fillon sur les retraites : 12 milliards dès 2012. (Exclamations sur les mêmes bancs.)

Pour la renationalisation à 100 % d’EDF, qui vous tient beaucoup à cœur, et dont M. Strauss-Kahn explique aujourd’hui qu’elle est tout à fait indispensable alors qu’il écrivait dans un livre il y a cinq ans que ce n’était pas un dogme : 11 milliards d’euros.

M. Augustin Bonrepaux. Et que faites-vous de l’intention de M. Sarkozy de nationaliser Suez ?

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Pour la mise en place de la carte vitale professionnelle : 10 milliards. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Pour la réactivation des emplois-jeunes dans le secteur public : 5 milliards (« Encore ! » sur les mêmes bancs).

Pour votre bouclier logement, inspiré de notre bouclier fiscal, qui semble vous avoir tant séduits que vous voulez en mettre partout : 4 milliards.

M. Michel Bouvard. C’est la tactique romaine de la tortue !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Seulement, quand votre bouclier coûte, le nôtre, en évitant le caractère confiscatoire de l’impôt, est attractif pour le territoire.

Je pourrais continuer encore longtemps et je tiens le détail à votre disposition. Dans votre frénésie de dépenses publiques, vous avez juste oublié de vous demander qui les paierait : ce sont les Français, soit par l’impôt, soit par la dette !

M. Ghislain Bray. Il faudra le dire !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Au total, vous augmenteriez les charges publiques de sept points de PIB. Les dépenses publiques atteindraient le record mondial de 61 % du PIB : même Cuba n’a pas osé !

M. Céleste Lett. Les Français ne s’y laisseront pas prendre !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Sur tous ces sujets, nous aurons, dans l’année qui vient, un débat de fond. Il est indispensable que les Français puissent savoir ce qu’il en est. Cela mérite un débat politique au sens noble du terme : celui-ci commence par l’adoption d’une loi de règlement, qui témoigne d’une gestion exemplaire de l’État. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de règlement du budget de 2005 présente deux particularités : c’est le dernier que nous examinons selon le dispositif de l’ordonnance de 1959…

M. Didier Migaud. Nous souhaitons que ce soit également votre dernier !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. …puisque nous avons adopté le budget pour 2006 dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances – excellente loi s’il en est –, laquelle s’appliquera également à son règlement dans un an ; et c’est le dernier de cette législature.

M. Didier Migaud. Ouf !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Je vois dans ce texte et dans les débats qui vont suivre une sorte de passage de témoin.

C’est d’abord un passage de témoin de l’ordonnance à la LOLF. Par anticipation, nous avons donc décidé, répondant en cela au souhait du président de la MILOLF – la mission d’information sur la LOLF –, Michel Bouvard, d’examiner de manière approfondie trois programmes : l’équipement des forces, la ville et le logement, et l’administration générale et territoriale.

C’est ensuite un passage de témoin d’une législature à une autre. Les finances publiques, chers collègues, étant sur la voie du redressement, il faut que nous transmettions avec force le message de la réduction des déficits et de l’endettement, car nos collègues de l’opposition ne semblent toujours pas l’avoir entendu.

M. Ghislain Bray. Ils sont sourds !

M. Didier Migaud. C’est du parti pris !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. De ce point de vue, l’exécution du budget de 2005 est tout simplement exemplaire.

M. Didier Migaud. Il faut oser !

M. Jean-Claude Sandrier. C’est l’exécution de quoi ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Comme je m’emploie toujours à me montrer le plus impartial possible, je vais le démontrer.

M. Didier Migaud. Bon courage !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Pour la troisième année consécutive, la règle de la stabilité de la dépense de l’État, que notre majorité a été la première à mettre en œuvre, a été respectée en 2005.

M. Didier Migaud. Il n’y a que vous qui le dites !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. D’une part, l’enveloppe prévisionnelle adoptée par le Parlement en 2005 correspondait à celle de 2004 majorée du taux d’inflation et, d’autre part, en exécution, nous avons scrupuleusement respecté celle-ci, soit 288,5 milliards d’euros. Pas un euro de plus n’a été dépensé en 2005.

M. Michel Herbillon. Quel changement !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. On peut le dire, cher collègue, et il faut le dire !

Pour atteindre ce résultat, le Gouvernement a dû faire preuve d’une grande ténacité et d’une grande volonté, que je salue, monsieur le ministre, en particulier, lors du collectif de fin d’année 2005.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Ah oui !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Alors que vous aviez mal vécu le collectif de 2004,…

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Il fut effectivement très douloureux !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. …celui de 2005 a permis de supprimer près de 3 milliards d’euros, de telle sorte que nous avons pratiquement divisé par deux les reports de crédits sur l’exercice 2006. Je peux donc affirmer, comme M. le ministre, que l’exécution du budget de 2006 se déroule dans les meilleures conditions. Et elle devrait nous apporter de bonnes surprises à la fin de l’année.

Par ailleurs, une régulation très vigoureuse a été pratiquée. Elle était indispensable. Ainsi pas moins de 7,5 milliards d’euros de crédits ont été mis en réserve – dans le cadre des crédits nouveaux 2005 comme dans celui des crédits reportés de 2004 –, sur lesquels 6 milliards ont été annulés.

Côté recettes, l’exécution a été également exemplaire. Elles ont été robustes en dépit d’une croissance inférieure aux prévisions. Pour ma part, je n’ai jamais été inquiet. Certains membres de l’opposition ont exprimé leur crainte, vers le milieu de l’année, qu’il ne manque une dizaine de milliards d’euros dans les caisses. Tel n’a pas du tout été le cas.

La prévision avait été très prudente : elle avait été faite sur une base 2004 volontairement sous-estimée par rapport à l’exécution. En outre, les recettes supplémentaires ont atteint 12 milliards d’euros. Nous avons d’ailleurs constaté une élasticité assez importante par rapport à la croissance : 1,7. Cela mérite que des études plus précises soient réalisées afin de mieux appréhender le phénomène de décrochage de certains impôts par rapport à la croissance pour affiner les prévisions.

Par ailleurs, une plus-value de recettes non fiscales de 2,5 milliards a permis de financer l’augmentation de même montant du prélèvement sur le budget au titre du financement de l’Union européenne.

Résultat : le déficit est en diminution. Il est passé de 44 milliards en 2004 à 43,5 milliards. La baisse est certes modeste mais elle revêt une importance extrême puisqu’elle démontre la rigueur de l’exécution budgétaire 2005, d’autant que le déficit atteignait 57 milliards en 2003 et que la prévision était de 47 milliards.

Tous ces efforts méritent d’être salués. Ils apportent également plusieurs enseignements.

D’abord, avec un déficit de 43 milliards d’euros, la dette progresse encore d’un point de PIB.

Ensuite, même avec un déficit réduit à 43 milliards, nous ne sommes pas encore au niveau du solde stabilisant la dette, c’est-à-dire celui en deçà duquel la dette ne continue pas à s’auto-entretenir et à s’accroître.

Même si, comme l’a souligné M. le ministre, la France est le seul grand pays dont le déficit est passé en dessous de la barre des 3 % – 2,88 %, taux validé par Eurostal – nous voyons bien que la dette continue de s’accroître. La cause en est que les critères de Maastricht – 3 % de déficit maximal et un endettement de 60 % du PIB – ont été fixés par rapport à une croissance de 5 %. Avec une croissance inférieure, le niveau de déficit qui permet de stopper l’effet boule de neige de la dette est sensiblement inférieur à 3 %. La commission des finances et le ministère du budget devront conjuguer leurs efforts pour approfondir cette notion de solde stabilisant. Pour nous qui nous sommes assignés comme priorité absolue la réduction des déficits et la baisse du désendettement, elle est très importante.

Une autre question importante qui se pose à l’occasion de l’exécution du budget 2005 et qui a fait l’objet d’un débat de très haute tenue ce matin à Bercy, est celle du partage de l’effort entre les comptes de l’État, ceux ces collectivités locales et ceux de la sécurité sociale.

Comme nombre d’intervenants l’ont souligné ce matin, les collectivités locales ne sont pas impliquées dans le déficit global ni même dans le besoin de financement de la nation. Elles ont en effet une règle d’or : elles ne peuvent emprunter que pour des dépenses d’investissement, lesquelles s’équilibrent à long terme.

M. Charles de Courson. Vraiment ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. En revanche, on observe, dans le cadre de l’évolution générale de la dépense publique, une évolution de la fiscalité locale. Dans nombre de pays, ont été mis en place des systèmes de régulation, grâce au dialogue. Nous nous y essayons aujourd’hui dans le cadre de la conférence des finances publiques. Alors que nous cumulons souvent les fonctions de parlementaire et celles de membre d’exécutifs locaux, il est de notre devoir de réfléchir à de tels systèmes de régulation qui ont fait leurs preuves en Suède, au Danemark, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et, plus récemment, au Canada.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Tout à fait !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Une autre question à examiner est celle des comptes sociaux.

Ils sont marqués pas des améliorations. Je les évoque car, dans deux jours, nous aurons – et c’est une très bonne chose – un débat d’orientation budgétaire qui portera à la fois sur les comptes de l’État et sur les comptes sociaux, le budget de la sécurité sociale représentant à lui seul une fois et demie le budget de l’État.

Toutefois, il est un point qui m’inquiète. Certes nous multiplions les efforts en particulier en ce qui concerne la réduction du trou de la sécurité sociale et du déficit de l’assurance maladie, mais, chaque fois que nous instituons de nouvelles prestations, elles sont, quelle que soit la majorité au pouvoir, systématiquement sous-évaluées. Tel fut le cas pour la couverture maladie universelle et pour l’aide médicale d’État, ainsi que pour l’allocation personnalisée d’autonomie. (« Oh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Ghislain Bray. Un véritable désastre !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. De même, l’actuel déficit de la branche famille s’explique, en partie, par la sous-estimation du coût réel de la prestation d’accueil du jeune enfant. Dans le cadre de la réforme des retraites, excellente réforme dont cette majorité s’honore, cela est encore plus frappant : l’ouverture vers les carrières longues génère à court terme un déficit supérieur aux prévisions.

Mme la présidente. Monsieur Carrez, je vous prie de conclure, votre temps de parole étant épuisé.

M. Ghislain Bray. Ce qu’il dit est passionnant, madame la présidente !

Mme la présidente. Sans doute mais j’ai un règlement à faire respecter et il s’applique à tout le monde.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Madame la présidente, j’ai oublié de vous préciser que M. Méhaignerie, ne pouvant être présent, m’a demandé de faire en son nom quelques observations.

Beaucoup d’entre nous ont insisté ce matin sur la nécessité, avant toute nouvelle réglementation touchant les relations entre l’État et les collectivités locales ou la sécurité sociale et toute nouvelle prestation, de procéder à des études d’impact et à des évaluations plus rigoureuses.

Notre redressement est fragile, il faut en avoir conscience, et cela nous incite à ne pas relâcher l’effort.

J’illustrerai brièvement la marche à suivre par la règle des 10 milliards d’euros. Une croissance – raisonnable – de 2 % en volume génère, chaque année, de façon presque structurelle, environ 10 milliards de recettes supplémentaires, lesquelles doivent être partagées entre l’augmentation des dépenses, la baisse des impôts et la réduction du déficit. Les marges de manœuvre sont très étroites. Dans le cadre de l’exécution du budget de 2005, les recettes, qui ont cru – spontanément – un peu plus que prévu, atteignant une douzaine de milliards, ont été réparties de la manière suivante : plus de 2 milliards pour couvrir l’augmentation du prélèvement au titre de l’Europe, 2 milliards au titre de la baisse des impôts et seulement 500 millions pour la réduction du déficit.

C’est dire si nous devons être rigoureux dans le partage de cette recette supplémentaire.

Je me suis livré à un calcul très intéressant, que je tiens à la disposition de Didier Migaud : si l’on avait appliqué cette méthode à la précédente législature, le déficit aurait été réduit de moitié. Nous aurions gagné une vingtaine de milliards d’euros. L’erreur funeste commise par la précédente majorité a été d’avoir confondu des recettes liées à une conjoncture extraordinaire pendant deux ou trois ans avec des recettes durables…

M. Ghislain Bray. C’est la gauche, ça !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. …et de les avoir englouties dans des suppléments de dépenses que nous traînons aujourd’hui comme de véritables boulets : je pense, notamment, aux 35 heures.

M. Michel Bouvard. Et voilà !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Pour conclure je veux formuler quelques observations.

Une utilisation tronquée du rapport de la Cour des comptes a conduit à des conclusions brutales et excessives. Ainsi, selon certains, le déficit de 2005 serait en réalité de 49 milliards d’euros. Cela n’est pas exact. Par ailleurs, nous ferions fausse route en distinguant la sincérité budgétaire et la sincérité comptable, comme certains, dans des débats qui finissaient par être fatigants, s’y sont essayés en commission.

M. Didier Migaud. Votre remarque s’adresse à qui, monsieur le rapporteur général ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. La situation de nos finances publiques, surtout de celles de l’État, est très difficile, et ces discussions ne doivent pas faire perdre de vue notre objectif commun, qui est de les redresser.

Je prends des exemples, car ils valent toujours mieux que l’énoncé de concepts.

Cela fait dix ans que la recette de la CADES est inscrite en recettes au budget de l’État. Personne n’a rien trouvé à y redire lorsque vous étiez aux affaires et nous dans l’opposition.

M. Charles de Courson. Si !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Chaque année, nous inscrivions 3 milliards. Vous avez même accéléré les encaissements.

De même, sur le FFIPSA, héritier du BAPSA, monsieur de Courson,…

M. Charles de Courson. C’est indéfendable !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. …vous ne pouvez nier le fait que tout un ensemble de recettes ont été affectés au BAPSA pour couvrir une partie du déficit.

Je reconnais bien volontiers, ce faisant, qu’il reste encore un déficit et que nous n’avons pas pu le couvrir en totalité par des recettes. Ce déficit résiduel a été directement transféré dans la dette, …

M. Charles de Courson. En trésorerie !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. …en opérations de trésorerie. À cet égard je vous renvoie à l’article 35 de la LOLF, …

M. Charles de Courson. C’est monstrueux !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. …qui permet parfaitement un tel mouvement.

Je pense que nous avons beaucoup mieux à faire – et la contribution de chacun au redressement de nos comptes est la bienvenue – que de multiplier les arguties comptables, qui nous font nous éloigner de l’intérêt du sujet.

M. Didier Migaud. Ça vous arrange bien ! Argument pour la majorité, argutie pour l’opposition ! C’est trop facile.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Ce qui me frappe, monsieur le ministre, c’est que tous les pays qui ont eu des problèmes de finances publiques, comme le nôtre, ont choisi d’associer étroitement le Parlement et les institutions équivalentes à la Cour des comptes…

M. Didier Migaud. On est bien d’accord !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. …dans un même but : le redressement des comptes.

Pour ma part, je ne crois pas à la théorie de l’équidistance de la Cour des comptes par rapport au pouvoir exécutif ou au pouvoir législatif.

Je pense que nous devons tirer toutes les conclusions de la loi organique, de l’excellent article 58, que MM. Didier Migaud et Michel Bouvard connaissent bien.

M. Michel Bouvard. On l’a transféré au Parlement !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Je pense en tout cas que, pour ces aspects qui ne concernent pas le jugement des comptes, il conviendrait de réfléchir à la manière de placer plus clairement la Cour des comptes dans le champ de la fonction de contrôle et d’évaluation qui incombe au Parlement.

M. Michel Bouvard. Très bien !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Cela me paraît d’autant plus important que, comme nous le verrons dans le cadre du débat d’orientation budgétaire en retenant l’hypothèse très raisonnable d’une croissance de 2 % par an, en retenant le principe de la stabilisation en valeur de la dépense d’État et d’une pause dans les baisses des impôts, nous pouvons annuler le déficit en l’espace de cinq ans.

M. Didier Migaud. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Une législature d’efforts, une législature de lucidité nous permettra de montrer que nous avons un comportement responsable vis-à-vis de nos enfants et de nos petits-enfants,…

M. Ghislain Bray. Très bien !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. …auxquels nous devons penser lorsque nous continuons à endetter notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Exception d’irrecevabilité

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Didier Migaud.

M. Didier Migaud. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, quel décalage et quel contraste saisissant entre la réalité telle que vous la percevez…

M. Jean-Pierre Gorges. Celle des chiffres !

M. Didier Migaud. …et telle que vous l’exprimez, et la réalité telle qu’elle est ressentie par des analystes objectifs, par l’opposition également, mais aussi par la Cour des comptes.

Nous avons vécu une semaine dernière assez intéressante. La commission des finances a auditionné un matin le Premier président de la Cour des comptes qui, au fur et à mesure qu’il s’exprimait, faisait de plus en plus blêmir le rapporteur général avec un véritable réquisitoire sur la dégradation de nos comptes publics par rapport à juin 2002 – il faut aussi savoir lire entre les lignes –, et nous avons entendu l’après-midi même M. Breton et M. Copé nous présenter un monde tout à fait merveilleux. Ils nous expliquaient, contrairement bien sûr à la réalité que beaucoup de Français subissent, que tout allait mieux.

Pourtant – c’est d’ailleurs l’intérêt de l’examen de ces projets de loi de règlement – nous sommes, j’en conviens tout à fait avec vous, monsieur le ministre, à un moment de la législature où nous pouvons analyser avec suffisamment de recul la situation de nos comptes publics et évaluer l’action de la majorité depuis 2002.

C’est effectivement la dernière occasion qui est donnée au Parlement d’examiner le bilan de la gestion des finances publiques avant les prochaines échéances électorales. Puisse, monsieur le rapporteur général, le vœu que vous avez formulé être exaucé à l’occasion des prochaines échéances électorales et que ce soit vraiment le dernier budget qui nous soit présenté par cette actuelle majorité ! Le pays attend des changements et ceux-ci nous paraissent effectivement tout à fait nécessaires.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Il a besoin que le redressement se poursuive !

M. Didier Migaud. Monsieur le ministre, vous avez beau gloser sur les propositions formulées aujourd’hui par l’opposition et le parti socialiste notamment : le meilleur juge sera le peuple français l’année prochaine. Quant à nous, nous serons prêts pour ce rendez-vous

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Il y a encore du travail !

M. Didier Migaud. Le travail ne nous fait pas peur !

Au-delà de l’examen de l’exécution du budget pour 2005, mon intervention portera donc aussi sur les résultats du Gouvernement en matière de finances publiques et de performances économiques et sociales. Je m’en tiendrai, autant que faire se peut, à l’examen des résultats passés et des indicateurs statistiques actuels, afin de ne pas empiéter sur le débat d’orientation budgétaire pour 2007 que nous aurons dans deux jours.

En ce qui concerne d’abord la LOLF, je me réjouis qu’elle puisse entrer en application. Je veux aussi saluer le travail considérable accompli par nos administrations, par le ministère, monsieur Copé, dont vous avez la charge. Cette loi organique représente un progrès considérable. Il faut être conscient qu’il s’agit d’un outil au service des meilleures politiques possibles, en fonction des objectifs qui peuvent être différents selon les uns et les autres. Néanmoins elle doit rester un outil ; il ne faudrait pas que la LOLF serve de prétexte ou de bouc émissaire, comme c’est malheureusement trop souvent le cas, ou comme on l’entend parfois. Il est tout à fait nécessaire qu’elle puisse s’appliquer pleinement.

Beaucoup de travail a été réalisé ; mais beaucoup reste à faire. Je crois que chacun d’entre nous en est conscient, au niveau tant de l’exécutif que du Parlement. La façon dont nous examinons le projet de loi de règlement aujourd’hui montre la marge de progression que peut avoir l’Assemblée nationale dans l’examen de ce texte.

Je souhaite que, l’année prochaine, cet examen aille bien au-delà de ce que nous pouvons faire cette année. La réalité d’une politique budgétaire s’apprécie en effet à partir de son exécution, et non pas au seul regard d’une loi de finances initiale.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. C’est vrai !

M. Didier Migaud. Nous souhaitons tous, à la commission des finances, que le projet de loi de règlement soit davantage l’affaire du Parlement qu’il ne l’est aujourd’hui.

M. Michel Bouvard. Tout à fait !

M. Didier Migaud. Je voudrais que nous soyons beaucoup plus nombreux pour participer à ce temps fort, lequel devrait d’ailleurs être beaucoup plus fort, de l’examen de la situation de nos finances publiques.

Qu’en est-il exactement, surtout si l’on se situe, monsieur le ministre, dans la logique de la LOLF, dans la logique d’objectifs, de résultats que nous souhaitons, l’un comme l’autre ?

Si nous regardons les choses le plus objectivement possible, nous constatons que, malheureusement – pour notre pays et pour les Français –, vous avez échoué sur beaucoup de sujets.

Depuis que vous gouvernez, le poids de la dette s’est accru de plus de dix points de PIB, les dépenses publiques ont augmenté de 2,3 points de PIB, les prélèvements obligatoires se sont alourdis d’un point de PIB – soit environ 18 milliards d’euros – et la France est en situation de déficit excessif depuis 2002. La croissance moyenne est de 1,4 % par an, ce qui est très inférieur à notre potentiel. Tel est votre triste bilan.

L’exécution budgétaire de 2005 a été marquée par le recours à des manœuvres comptables et par l’absence d’amélioration du solde budgétaire.

En 2004, le déficit budgétaire en exécution était de 43,9 milliards d’euros. Il a été de 43,5 milliards d’euros en 2005. Il y avait d’ailleurs, monsieur le rapporteur général, un côté pathétique dans vos propos. Vous nous avez en effet expliqué à la fois qu’il fallait à tout prix considérer comme prioritaire la réduction du déficit et que, sur 10 milliards de marge de manœuvre supplémentaire, vous n’aviez consacré que 500 millions à la réduction du déficit budgétaire. CQFD ! Vous êtes en pleine contradiction avec une réalité qui est en total déphasage par rapport aux intentions que vous affichez.

Ce mauvais résultat, relevé par la Cour des comptes, a été obtenu en dépit de trois séries de manœuvres budgétaires que la Cour juge, comme nous, bien peu orthodoxes.

D’abord le maintien du déficit de l’État à un niveau incompatible avec l’assainissement de nos finances publiques tient en grande partie au décalage entre recettes et dépenses.

Ce point est capital car, contrairement à ce que vous affirmez, ce n’est pas en raison d’un niveau de dépense publique a priori trop élevé – d’autres États ont un niveau de dépenses très supérieur et affichent des résultats budgétaires équilibrés – que le déficit, donc la dette, augmente. Cela tient à un décalage entre les dépenses et les recettes. Or ce décalage, vous l’avez creusé en baissant massivement, mais de façon très ciblée, les prélèvements qui pèsent sur les plus aisés.

Bien qu’elles progressent légèrement, les recettes fiscales sont en effet amputées, d’une part, par les largesses fiscales importantes mais ciblées en direction des plus aisés, d’autre part, par la forte progression de la dépense fiscale, c’est-à-dire la multiplication des niches fiscales, contrairement au discours que vous tenez. Leur coût et leur nombre ont augmenté entre 2001 et 2006 de plus de 20 % !

Cette très forte progression m’amène à m’arrêter un instant sur la problématique de la maîtrise de la dépense fiscale, essentielle pour restaurer celle de nos comptes publics.

La question des dépenses fiscales est de plus en plus pressante. La décision du Conseil constitutionnel sur la loi de finances pour 2006 lui a donné une nouvelle actualité. Le sujet pèse lourd : plus de 50 milliards d’euros, soit plus de trois points de produit intérieur brut. Sans les dépenses fiscales – vous qui aimez, monsieur le ministre, comme M. le rapporteur général, les comparaisons –, le budget de l’État serait équilibré !

Ces niches fiscales posent en réalité un triple problème.

En termes de justice fiscale tout d’abord, tant il est inacceptable que des contribuables aisés et bien informés puissent réduire voire annuler leur contribution fiscale en cumulant le bénéfice d’une multitude de dérogations.

En termes de lisibilité fiscale ensuite, tant l’écart se creuse entre le taux affiché d’imposition et le taux effectivement supporté par un contribuable, après prise en compte des diverses réductions et crédits d’impôt. Les critères de compétitivité jouant sur les taux « faciaux », la France est injustement pénalisée dans ces comparaisons.

En termes de maîtrise des finances publiques enfin, car l’explosion de la dette publique trouve ainsi son origine dans la progression des dépenses fiscales : en vingt ans, le coût des quinze premières dépenses fiscales a doublé.

Comme l’a rappelé le rapport de la commission présidée par Michel Pébereau – que vous citez toujours de façon très sélective – sur la dette publique, la maîtrise de l’endettement suppose à court et moyen terme de ne pas baisser le niveau des prélèvements obligatoires et de maîtriser ces dépenses fiscales, tout autant que les dépenses budgétaires.

Non content de baisser le barème général de l’impôt sur le revenu, le Gouvernement a aussi multiplié, depuis 2002, les dérogations fiscales, ce qui a provoqué un tassement des recettes fiscales et un creusement du déficit.

Pour assainir les comptes publics, conserver des marges de manœuvre, renforcer la justice fiscale et améliorer le caractère redistributif de notre système de prélèvements, il est donc indispensable de revisiter l’ensemble des niches fiscales, d’en réduire sensiblement le nombre et, surtout, d’instaurer un plafonnement global des avantages fiscaux. Vous aviez tenté de le faire mais de façon telle que le Conseil constitutionnel a annulé cette mesure pour complexité excessive et absence de cohérence. En fait, la disposition était pratiquement sans effet. La question restait entière.

Il est indéniable que la censure du Conseil constitutionnel révèle et accentue l’injustice d’un budget qui distribue déjà beaucoup de largesses fiscales ciblées vers les plus aisés. Nous avions combattu ce plafonnement. Notre saisine du Conseil constitutionnel a entraîné son annulation. Le paradoxe n’est qu’apparent, car ce plafonnement, proposé depuis trois ans par le groupe socialiste, avait été complètement détourné de son sens par votre proposition qui n’établissait aucune distinction entre les mécanismes visés, tous soumis à un plafond global à l’intérieur duquel le contribuable conserve la liberté de choix des dispositifs qu’il souhaite mettre en œuvre.

Cette proposition a été systématiquement rejetée par la majorité comme par le Gouvernement, qui reconnaît invariablement qu’il s’agit là d’un « vrai sujet », tout en créant par ailleurs, dans chaque texte financier, économique et budgétaire, de nouvelles niches fiscales. Je le rappelle : le nombre et le coût des niches fiscales ont augmenté de 20 % depuis 2001.

En réalité, l'objectif visé par le Gouvernement à travers le plafonnement partiel n'était pas la justice fiscale. Il s'agissait seulement de donner le change après l’instauration du bouclier fiscal et une nouvelle baisse de l'impôt sur le revenu.

Cette disposition illustre les méthodes du Gouvernement, ainsi que celles du Président de la République, qui, parfois, tentent de reprendre à leur compte les propositions des socialistes, en s'assurant que cet emprunt se limitera à un effet d’affichage, sans portée réelle. Tel a aussi été le cas avec la prétendue revalorisation de la prime pour l'emploi – à peine 4 euros par mois pour la plupart des bénéficiaires – et avec le plafonnement des niches fiscales. Nous verrons ce que vous proposerez pour le budget 2 007.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Cela vous plaira !

M. Didier Migaud. Le président de la commission des finances formule chaque années des propositions, mais il finit par capituler en rase campagne. Peut-être que cette année, le raisonnement sera différent : nous verrons.

De l'aveu même du rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, ce plafonnement partiel n'aurait produit que 25 millions d'euros d'économies, pour un total, rappelons-le, de plus de 50 milliards d'euros de dépenses. Preuve est donnée que la mesure était sans incidence !

Les dépenses budgétaires sont en augmentation malgré la régulation budgétaire et les transferts aux collectivités locales. Elles ont progressé de 2 % en 2005. Encore faut-il souligner que ces dépenses ne comprennent plus ni celles transférées aux collectivités locales ni celles effectuées au titre du RMI. Si ces dépenses étaient toujours dans le périmètre du budget de l'État, la dépense budgétaire aurait progressé beaucoup plus puisque le nombre d'allocataires du RMI a, malheureusement, augmenté de 4,2 % en 2005.

L'écart entre les recettes et les dépenses se traduit dans le taux de couverture des dépenses par les recettes, qui est inférieur de plus de trois points à celui de la précédente législature et ne connaît qu'une faible amélioration en 2005.

Si l'on regarde le solde structurel – neutralisé des effets de la conjoncture –, auquel la majorité se référait beaucoup en début de législature – elle le fait beaucoup moins depuis ! – on constate qu'il a toujours été supérieur à 3 % depuis le début de la législature. De même, le solde primaire a toujours été négatif depuis le début de la législature, alors qu'il était positif de 1999 à 2001. L'effet boule de neige, que vous avez malheureusement déclenché en 2002, joue désormais pleinement.

Ces résultats médiocres se retrouvent également dans les nouveaux agrégats dont la loi organique relative aux lois de finances nous a dotés : le compte de résultat de l'État se dégrade fortement, à 41 milliards de déficit contre 34,7 milliards en 2004. Ce mauvais chiffre s'explique par la détérioration du résultat de fonctionnement, déficitaire de 2,7 milliards d’euros. Il s'explique également par l’augmentation des dépenses de personnel et, surtout, par la forte progression des remboursements et dégrèvements d'impôts, conséquence inéluctable de la multiplication des niches fiscales.

Quant au patrimoine de l'État, il s'est dégradé, essentiellement en raison de la diminution des actifs financiers de l'État. Cette évolution négative s'explique notamment par la frénésie de privatisation du Gouvernement : alors que le patrimoine financier de l'État se montait à plus de 150 milliards d’euros en 2002, il n'était plus, en 2005, que de 123,3 milliards d’euros. Cet appauvrissement de l'État n'a pas permis de désendetter la France – alors qu'il était pourtant censé le faire –, ni à la préparer à faire face aux enjeux du vieillissement puisque le fonds de réserve des retraites n'a pratiquement pas été abondé. C'est un autre échec du Gouvernement.

Il faut s'attarder un instant sur ce fonds, créé par les socialistes en 1999 pour préparer la France aux enjeux démographiques du XXIe siècle et avec l'objectif – non partagé par l'actuel Gouvernement – de consolider la retraite par répartition.

Ses recettes sont montées en puissance entre 1999 et 2002 pour atteindre près de 6 milliards d'euros. Depuis, elles diminuent et elles ont à peine dépassé 2 milliards en 2005. Pire, en 2005, comme depuis le début de la législature, le Gouvernement n’a pris, de sa propre initiative, aucune décision d'abondement et rien n'est prévu pour enrayer ce déclin en 2006.

La Cour des comptes – même si vous n’aimez pas qu’on la cite – confirme l'insuffisante dotation de ce fonds. De telles carences rendent bien illusoire désormais l'objectif initial, qui consistait à le doter de 150 milliards d'euros à l’horizon 2020, et ont amené les dirigeants du fonds à s'interroger publiquement sur leur mission et les membres de son conseil de surveillance à déclarer que le risque est réel de voir le FRR s'installer à compter de 2006 dans un état végétatif.

Pourtant, les recettes issues des privatisations sont importantes. Le Gouvernement prétend affecter ces recettes au désendettement, mais, en 2005, la dette publique a encore progressé de 2,2 points de PIB. La représentation nationale est donc en droit de se demander où sont passées les recettes des privatisations, qui n'ont pas été et ne seront pas affectées au FRR, et qui n'ont pas non plus permis de réduire le poids de la dette publique.

Cela est d'autant plus incompréhensible que le FRR contribue, dans le cadre d'une gestion de ses actifs responsables, à investir dans les domaines de l'innovation et de l'emploi, porteurs de croissance.

Ainsi, loin de mettre notre pays en situation de relever les défis du financement futur des retraites et de la protection sociale, le Gouvernement hypothèque l'avenir.

La Cour des comptes a relevé, dans son rapport annuel, que de nombreuses opérations budgétaires ou comptables ont été opérées en contradiction avec la loi organique relative aux lois de finances et en violation de la sincérité budgétaire. On peut distinguer quatre types de manœuvres.

Premièrement, la forte progression des volumes d'opérations enregistrées durant la période complémentaire – 14,15 milliards en 2005 contre 11,3 en 2003 – traduit notamment une intense activité avant la clôture des comptes. Selon le rapporteur général lui-même, « il faut remonter à 1999 pour retrouver une masse supérieure ». Comme depuis le début de la législature, le solde des opérations de la période complémentaire a contribué à améliorer le solde budgétaire, pour un montant jamais atteint jusqu'à présent de 5,4 milliards d’euros.

Toutes ces opérations ont eu pour objectif d'améliorer artificiellement et optiquement le solde budgétaire. J'en veux pour preuve la progression de 24 % des recettes encaissés par le biais de règlements réciproques, principal outil du Gouvernement pour « piloter » le solde budgétaire de fin d'année durant la période complémentaire ; le rapporteur l’explique très bien. Le profil de la courbe des encaissements ne laisse aucun doute à ce sujet, je vous renvoie au rapport intéressant de Gilles Carrez dont l’objectivité est à saluer.

Deuxièmement, on relève le recours massif aux recettes exceptionnelles. Chacun a évidemment à l'esprit la soulte dite d'EDF – 7,7 milliards d'euros soit 0,5 point de PIB –, qui permet au Gouvernement de réduire le solde public et d'afficher un déficit public autour de 3 %. De nombreuses autres recettes exceptionnelles ont été mobilisées. Les recettes non fiscales ont ainsi augmenté de 8 % en 2005 pour atteindre, avec 38,5 milliards d’euros, leur niveau le plus élevé de la législature.

Troisièmement, toujours sur le plan de la sincérité budgétaire, de nombreux jeux d'écritures comptables ont optiquement amélioré le solde budgétaire. Je pense à l'imputation budgétaire d'un remboursement de la CADES jamais décaissé pour 3 milliards d’euros, à la reprise d'une dette de 2,5 milliards d’euros du FFIPSA non comptabilisée, à la non inscription dans le budget 2005 de 1,348 milliard d’euros de dettes de l'État aux organismes sociaux, à un aller-retour comptable de 4,2 milliards d’euros pour l'avance versée à l'ACOFA, enfin à des prélèvements de trésorerie non prévus dans la loi de finances rectificative pour 2005. Au total, le solde budgétaire pour 2005 se trouve amélioré de 11 milliards d’euros. Autrement dit, le déficit budgétaire est minoré d'un quart.

Certes, ces opérations sont neutres sur le solde public, mais elles altèrent très fortement la régularité et la sincérité du budget de l'État, dont la situation est dégradée d'autant pour 2006.

Quatrièmement, la régulation budgétaire systématique – annulations de crédits en contradiction avec les inscriptions de crédits soumises au Parlement – a continué de produire ses effets négatifs et récessifs.

En 2005 les annulations de crédits ont atteint 4,23 milliards, soit plus qu'en 2004. Dans un premier rapport, la Cour des comptes s'est penchée sur la régularité de ces annulations. Elle a relevé « des atteintes nombreuses et répétées au principe de sincérité [...] manifestement délibérées ». Elle souligne que, en annulant des crédits qui n'étaient pas devenus sans objet et en ouvrant des crédits pour combler des dotations initiales délibérément sous-estimées, le Gouvernement a effectivement pris beaucoup de liberté avec la loi organique relative aux lois de finances et le Parlement. Ces observations, d'une grande sévérité, confirment les critiques formulées depuis 2003 par les députés socialistes.

Ces pratiques posent non seulement des questions sur le plan du droit – le Premier président de la Cour des comptes, relève, par un bel euphémisme, « des incertitudes sur certaines règles » et des « anomalies » dans les comptes –, mais elles se font également au détriment de la cohésion sociale et de l'efficacité économique, en remettant en cause des politiques publiques pourtant essentielles pour faire vivre le pacte républicain.

La Cour des comptes constate, dans son rapport sur l'exécution budgétaire en 2005, que la régulation budgétaire provoque des réductions de programme ou des retards dans leur mise en œuvre, ainsi que des dysfonctionnements et une augmentation des pénalités pour impayés ou retards de paiement.

Dans le cas du budget de la ville et de la rénovation urbaine, la Cour des comptes constate que « les annulations ont porté sur 20 % des crédits initiaux » et que « les crédits ouverts sur ce budget sont en baisse régulière depuis 2002, alors que les crédits votés sont en hausse, et que la baisse cumulée atteint 26 % par rapport au montant atteint en 2001 ». Et l’on s’étonne après cela qu’il puisse y avoir des révoltes dans les banlieues !

Telle est la triste réalité que le Gouvernement refuse d'assumer mais dont les habitants des banlieues continuent de souffrir.

La Cour des comptes observe enfin que l'État ne pourra pas respecter ses engagements pris dans le cadre des contrats de plan État-régions.

M. Augustin Bonrepaux. Nous le disons depuis longtemps !

M. Didier Migaud. La sévérité de la Cour des comptes est bien plus grande que les observations faites à l’Assemblée.

À ce stade, on ne peut qu'être impressionné – je l’avoue – par le talent, la créativité et l'inventivité du Gouvernement, en particulier de son ministre du budget, porte-parole du Gouvernement – auquel je reconnais cette grande capacité et la qualité pour prétendre aux premières places ! – qui a, en 2005, sans doute plus que durant les précédentes années, utilisé toute la panoplie du parfait comptable certes astucieux, mais bien peu rigoureux.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous nous avez donné de mauvaises habitudes ! (Sourires.)

M. Didier Migaud. Aucune des affirmations péremptoires du Gouvernement, scandées mécaniquement comme pour mieux hypnotiser les contradicteurs, ne résiste à la réalité des chiffres. Pas même ce qui constitue l'alpha et l'oméga de votre pensée en matière de politique budgétaire : la progression zéro des dépenses en volume, appelée bientôt à se transformer en progression zéro en valeur.

M. Victorin Lurel. Artifice !

M. Didier Migaud. Les changements de périmètres, les débudgétisations, les transformations de dépenses budgétaires en dépenses fiscales non maîtrisées peuvent abuser le temps d'un discours ou de quelques diaporamas, mais ils ne résistent pas à l'analyse approfondie ; la Cour des comptes en est persuadée.

Qu'il en soit donc acté dans cet hémicycle : selon la Cour des comptes : « La règle du zéro volume [...] de fait n'a pas été respectée en 2005 ». Nous sommes très loin de « l'euro près », monsieur le ministre.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous êtes jaloux !

M. Didier Migaud. C'est tellement vrai que même notre rapporteur général ne parvient pas, dans son rapport sur l'exécution 2005, à démontrer que la dépense n'a pas progressé plus que l'inflation, puisqu'il arrive, selon le mode de comptabilisation de la commission des finances, et conformément à la charte de débudgétisation, à une hausse de 2 %, soit une progression supérieure à l'ambition affichée.

La Cour des comptes, plus sévère encore et rigoureuse sur les débudgétisations, estime que la dépense budgétaire a progressé en valeur de 2,3 % et non de 2 %, soit 0,5 point de plus que l'objectif de « zéro volume ».

À ce propos, notre rapporteur général est souvent enclin à tenter de démontrer que la prétendue maîtrise de la dépense s'explique par la diminution des crédits reportés. Ceux-ci ont effectivement été réduits de 14,1 milliards en 2001 à moins de 5 milliards en 2005, comme la loi organique relative aux lois de finances, adoptée en 2001, il faut le rappeler, nous y oblige. Pour notre rapporteur général, ce serait l'illustration de la maîtrise de la dépense budgétaire.

Je me permets simplement de faire observer à Gilles Carrez que si ces crédits ont été reportés, c'est parce qu'ils n'ont pas été dépensés ! Bien sûr, ces reports altéraient la sincérité et la lisibilité des comptes et c'est pour cette raison que nous avons souhaité que la loi organique relative aux lois de finances limite cette pratique de façon drastique.

Pour apprécier réellement cette « maîtrise », il faut simplement regarder les statistiques pour observer que la dépense publique, comprenant celles de l'État, de la sécurité sociale et des collectivités locales, progresse en moyenne chaque année de 4,48 % depuis 2002, soit trois fois plus que le PIB, ce qui explique l'augmentation inéluctable du poids de ces dépenses dans le PIB.

Pour bien faire comprendre la réalité de la situation à nos collègues qui se laisseraient impressionner par tous ces artifices et ces discours, je ne résiste pas au plaisir de citer encore une fois le rapport de la Cour des comptes : « inadéquation persistante des hypothèses de croissance », « dépassement constant des objectifs de dépenses », « retour à l’équilibre toujours différé », « des finances publiques fortement dégradées », « une dynamique de dégradation ». Si c’était moi qui m’exprimais ainsi, on me dirait que je ne suis pas objectif, mais c’est la Cour des comptes qui le dit, pas l’opposition.

Je peux vous rejoindre, monsieur le rapporteur général, sur certaines de vos réflexions concernant la Cour des comptes, mais même si elle était placée sous l’autorité du Parlement, son indépendance devrait être préservée et le fond de son discours n’en serait pas pour autant changé. En fait, ce qui vous gêne, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, c’est la rigueur dans l’analyse dont elle fait preuve et la liberté de ton qu’elle peut se permettre

Citons encore le premier président : « En 2005 les dépenses ont progressé plus vite qu’en 2004 – contrairement à ce que vous dites – et toujours plus rapidement que le PIB. Ce qui frappe c’est que la situation de la France s’aggrave alors que celle de ses voisins, ainsi que celle de la moyenne de l’OCDE, s’améliore. Le problème est surtout l’absence de maîtrise des dépenses ». Fermez le ban ! La coupe est pleine.

Ce qui ressort de ces cruelles citations, c’est bien la constance de ce gouvernement dans l’erreur ! Pour se dédouaner, il se retranche derrière la validation ex ante par le Conseil constitutionnel de la loi de finances pour 2005. Mais c’est oublier que le Conseil n’a été saisi de la question de la sincérité qu’à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances initiale et qu’il n’a pu à cette époque, conformément à sa jurisprudence, qu’examiner la sincérité des prévisions. Or, le principe de sincérité budgétaire prévu par la loi organique relative aux lois de finances s’applique également aux lois de règlement, mais de façon normalement plus drastique puisque c’est à une vérification ex post de la vérité des comptes – et pas seulement de la crédibilité des prévisions – que le Conseil doit alors se livrer.

Le fait que le déficit prévu à l’article d’équilibre n’ait pas été dépassé ne constitue donc pas, en soi, la preuve de la sincérité budgétaire. Au contraire, dans un contexte où les prévisions de croissance qui ont servi à l’élaboration de la loi de finances pour 2005 ont été surestimées de 80 %, le Conseil constitutionnel pourrait être amené à se demander si les multiples opérations budgétaires et comptables, stigmatisées par la Cour des comptes, auxquelles le Gouvernement a procédé pour afficher le déficit budgétaire souhaité, n’ont pas eu pour effet de masquer la réalité budgétaire, et donc d’altérer la sincérité de l’exécution du budget pour 2005.

Pour apprécier la sincérité de l’exécution du budget 2005, il faut revenir sur la distinction opérée entre sincérité et régularité, sur laquelle le Premier président de la Cour des comptes a insisté, même si elle peut paraître surréaliste, monsieur le ministre, je vous l’accorde. La sincérité devrait en effet entraîner la régularité et inversement. Il est surprenant d’opposer ces deux notions.

La sincérité est un principe dégagé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, auquel la LOLF a voulu donner la force contraignante propre aux lois organiques. Selon la décision du Conseil constitutionnel de 2001, ce principe implique « l’absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre » lorsqu’il s’applique aux lois de finances initiales. Mais il est beaucoup plus strict et rigoureux lorsqu’il s’applique aux lois de règlement, puisqu’il s’entend alors « comme imposant l’exactitude des comptes ».

Si, comme le prétend le Gouvernement et le concède la Cour, certaines écritures de 2005 sont « régulières », au sens où elles respectent les décrets qui les prévoient, le premier président fait néanmoins remarquer à juste titre que ces décrets – antérieurs à la loi organique relative aux lois de finances – sont en contradiction avec le principe de sincérité, d’où des « incertitudes », pour reprendre ses mots. Or, en vertu de la hiérarchie des normes, elles ne sauraient être levées qu’au détriment de décrets que le Gouvernement, soucieux du principe de sincérité qui s’impose normalement à lui, aurait dû modifier et non point appliquer sans état d’âme. Admettez qu’il est quand même bizarre que l’on puisse considérer que des décrets ont une valeur supérieure à la loi organique.

Le Gouvernement s’abrite également derrière la validation par Eurostat des données qu’il lui a fournies. Vous me permettrez de penser, monsieur le ministre, que cela n’est pas pertinent. En effet, toutes les manœuvres budgétaires et comptables recensées par la Cour des comptes n’ont pas de conséquence sur le solde dit « maastrichtien ». Eurostat n’est compétent que pour apprécier la réalité du déficit public à partir de données globales et non du détail des écritures qui figurent dans le budget de l’État. Et surtout, personne n’est dupe à Bruxelles ! Selon une note confidentielle de la Commission européenne, que l’AFP et d’autres médias ont pu se procurer, les recettes exceptionnelles et les retraitements statistiques – certes validés par Eurostat – participent pour 0,8 point de PIB au résultat du déficit en 2005. Sans cela, le solde serait de négatif de 3,7 % du PIB !

La Cour des comptes a intégré cette amélioration optique pour comparer les déficits hors recettes exceptionnelles. À cet égard, monsieur le rapporteur général, vous avez cru bon de nous faire la leçon en disant que sous le gouvernement précédent, nous avions utilisé de telles recettes, liées à une très forte croissance.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Pas « utilisé », « gaspillé » !

M. Didier Migaud. Mais que faites-vous aujourd’hui ? Nous avions obtenu de la croissance, ce gouvernement ne parvient pas à la soutenir. Les recettes exceptionnelles permettent de réduire artificiellement le déficit budgétaire pour une année donnée. Mais, par définition, elles n’ont pas vocation à être reconduites et le problème de fond n’est pas réglé l’année suivante. La Cour des comptes constate même que, si l’on ne tient pas compte des recettes exceptionnelles, l’écart de déficit entre la France et la zone euro s’est creusé en 2005 pour atteindre 0,8 point de PIB.

Censée en 2002 « libérer les énergies » par des baisses d’impôts ciblées vers les plus aisés pour enrayer le déclin supposé de la France et la remettre sur le chemin de la croissance, l’UMP a, en réalité, précipité notre pays dans une atonie qui l’a fait décrocher de la croissance mondiale.

Comme le relèvent les prévisions du printemps 2006 de la Commission européenne, « la France n ‘a pas su profiter pleinement de l’expansion du commerce mondial ». Le commerce extérieur ayant contribué négativement à la croissance, notre économie n’a pu compter que sur la demande intérieure pour croître.

La croissance mondiale cumulée – je me permets d’y insister – a été plus forte entre 2002 et 2005 – 14,5 points, monsieur le président de la commission des finances – qu’entre 1998 et 2001 – 12,5 points. Or la majorité n’a de cesse de prétendre l’inverse, pour disqualifier les bons résultats économiques et sociaux de la précédente législature en les imputant à la seule croissance et tenter d’excuser ses mauvais résultats. C’est faux : la croissance mondiale est bien plus forte depuis 2002 qu’elle ne l’était auparavant ! En réalité, ce sont les politiques menées dans chaque pays qui contribuent, ou pas, à l’inscription dans le cycle de croissance mondiale. Force est de constater que le gouvernement actuel n’a pas su faire profiter la France du dynamisme mondial.

Pire ! en raison d’une très faible progression du pouvoir d’achat, la consommation intérieure n’a pas permis à la France de connaître une croissance équivalente à celle de la zone euro, d’où une croissance moyenne faible, de 1,4 % par an en moyenne, très en deçà de notre potentiel.

Pour ne pas apparaître comme partial dans ce jugement, je m’en tiendrai aux commentaires de notre rapporteur général dans son rapport sur l’exécution du budget 2005 : « En 2005, la croissance de l’économie française s’est établie à 1,2 %. Cette performance a situé la France en deçà de la moyenne de la zone euro. ». Cruel, ou lucide, Gilles Carrez ajoute : « Pour la quatrième année consécutive, la performance française a été inférieure à la moyenne de l’OCDE ».

Je ne pourrais dire les choses autrement. Entre les propos du Premier président de la Cour des comptes et le rapport général, …

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Vous devriez en tirer les conséquences dans votre projet !

M. Yves Censi. Ce n’est pas un projet, c’est un rêve !

M. Didier Migaud. Mais nous y reviendrons : nous sommes tout à fait prêts au débat !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je serais vous, je n’y reviendrais pas trop !

M. Didier Migaud. Il est difficile de dresser un bilan plus noir de votre gestion ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Les propos que je rapporte sont ceux du premier président de la Cour des comptes et du rapporteur général, et si je les cite, c’est qu’ils méritent d’être portés à la connaissance de notre assemblée.

Ces mauvais chiffres ont des conséquences malheureusement évidentes sur tous les principaux indicateurs économiques et sociaux : ceux-ci apparaissent tous en recul par rapport à leur niveau d’il y a quatre ans.

Le chômage demeure à un niveau supérieur à celui de juin 2002, alors qu’il avait baissé de près de 30 % entre 1997 et 2001. La baisse récente s’explique essentiellement par le traitement statistique et social des fichiers et, dans une moindre mesure, par la démographie. La réactivation laborieuse des contrats aidés, brutalement supprimés par idéologie, dès 2002, explique bien plus le recul du chômage que la croissance. D’ailleurs, la très faible progression de l’emploi salarié – 0,1 % selon l’INSEE au premier trimestre 2006 – confirme l’atonie de l’économie. La persistance d’une destruction massive d’emplois dans le secteur industriel – 22 000 au total, au premier trimestre, et 8 400, en un an, dans l’automobile – illustrent les conséquences négatives des délocalisations, qui continuent à ronger le tissu économique et industriel français, sans que le Gouvernement intervienne.

Sur le plan du chômage, le bilan de l’UMP, c’est une législature perdue. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Yves Censi. Quelle mauvaise foi !

M. Didier Migaud. Toutes les études démontrent une progression de la précarité, de la pauvreté et des exclusions ainsi que les inégalités. Ainsi, le nombre des allocataires du RMI a explosé depuis 2002 avec une hausse de 8,4 % en 2004 et de 4,2 % en 2005, les dépenses qui y sont liées étant désormais à la charge des collectivités locales – Augustin Bonrepaux y reviendra.

M. Yves Censi. S’il se réveille !

M. Didier Migaud. Si une très légère inflexion a récemment été constatée, c’est seulement après correction des variations saisonnières. Tout cela ne manque pas de susciter des interrogations au niveau des départements. En mars 2006, le nombre des allocataires du RMI atteignait 1 276 000 : 20 % de plus qu’à la fin de 2002 et 10 000 de plus qu’en décembre 2005, toujours en données brutes, hors variations saisonnières pour utiliser une expression classique mais un peu facile.

S’agissant du pouvoir d’achat, je l’ai dit, sa faible progression explique l’atonie de la croissance, insuffisamment tirée par la demande intérieure. Après avoir augmenté de plus de 3,4 % durant la précédente législature, il ne progresse que très légèrement depuis 2002. Il n’a ainsi augmenté que de 1,1 % en 2005. Le plus grave dans cette évolution, c’est qu’elle résulte directement des augmentations d’impôts décidées par le Gouvernement. La politique fiscale contribue en effet directement à la diminution du pouvoir d’achat, à hauteur de près de 1 % en 2005, selon l’INSEE. Il faut le faire : une politique fiscale devrait au contraire avoir des effets bénéfiques sur le pouvoir d’achat. Et cette politique injuste et répressive contribue également directement à la hausse des prélèvements obligatoires. On le voit, les baisses d’impôts sont réservées aux contribuables qui retiennent l’attention de l’UMP : les plus aisés !

S’agissant de la compétitivité de la France et ses performances commerciales, on ne peut qu’être affligé par le plongeon du solde des transactions courantes, qui atteint un déficit historiquement élevé. Le commerce extérieur, dont le déficit a triplé entre 2004 et 2005, ampute de 0,4 point l’évolution du PIB au dernier trimestre 2005 et de 1 point sur l’année ! Ce très mauvais résultat se retrouve dans le fort recul, depuis 2002, de la compétitivité-prix et de la compétitivité-coût de notre économie.

Contrairement à une interprétation simpliste, cette dégradation ne s’explique pas seulement par l’appréciation de l’euro par rapport au dollar, même s’il est indéniable que les gardiens de la monnaie laissent l’euro s’apprécier beaucoup trop. En effet, l’Allemagne, qui subi les mêmes variations de change, voit sa balance commerciale progresser.

Le Gouvernement et sa majorité, lorsqu’ils ne peuvent pas faire autrement que de reconnaître ces mauvais résultats, tentent de se justifier en expliquant que les fameuses réformes de la retraite et de l’assurance maladie sont un mal nécessaire et qu’elles permettront de restaurer l’équilibre de nos comptes publics. C’est un peu la parabole du fou qui se tape la tête avec un marteau en expliquant qu’il se sent très soulagé lorsqu’il arrête !

Sans vouloir empiéter sur les interventions de mes collègues des affaires sociales, il me faut néanmoins faire litière de ces prétentions affichées par le Gouvernement, sans pour autant lui contester le caractère douloureux, et même injuste, de ses réformes.

La première justification qu’il apporte est leur contribution à l’amélioration des comptes sociaux. Examinons-les de plus près. Sur la période 2003-2006, le déficit cumulé du régime général de la sécurité sociale atteint 44 milliards d’euros. Pis, désormais toutes les branches sont déficitaires. La CNAV enregistre en 2005, pour la première fois depuis 1998, un déficit de 1,9 milliard d’euros et le fonds de solidarité vieillesse connaît une nouvelle dégradation marquante de sa situation budgétaire.

Au total, malgré les restrictions de remboursement et les augmentations de prélèvements sociaux – CSG, CRDS, droits sur le tabac, contribution additionnelle à la C3S pour un montant total de plus de 4 milliards d’euros –, le solde des organismes sociaux ne s’améliore véritablement qu’en raison du versement de la soulte EDF.

En conclusion…

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Ah !

M. Didier Migaud. Je comprends bien que vous souhaitiez abréger votre supplice…

Mme la présidente. Monsieur Migaud, vous respectez votre temps de parole. Vous pouvez donc poursuivre tranquillement !

M. Didier Migaud. Et je n’ai pas protesté lorsque le rapporteur général a dépassé son temps de parole.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Vous disposez de quarante-cinq minutes alors que je n’en avais que dix !

M. Didier Migaud. Il est normal que l’opposition puisse s’exprimer ! Du reste, vous devriez décompter de mon temps de parole les nombreuses citations que je fais de vos propres rapports. (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Yves Censi. Vous ne savez plus quoi dire !

M. Didier Migaud. Si, je sais très bien de quoi je parle ! Je me suis nourri des observations très justes que vous avez parfois la lucidité de faire.

M. Guy Geoffroy. Venez-en au fait !

M. Didier Migaud. En conclusion, disais-je, au regard de ses objectifs et des résultats de son action, le Gouvernement peut-il obtenir du Parlement qu’il vote cette loi de règlement pour 2005 ? À l’évidence, la réponse devrait être négative. La forte dégradation des finances publiques, l’atonie de la croissance et la détérioration de tous les indicateurs économiques et sociaux depuis quatre ans…

M. Yves Censi. C’est faux, monsieur Migaud !

M. Didier Migaud. Vous ne pouvez pas citer un seul indicateur qui soit meilleur qu’en juin 2002 !

M. Jean-Pierre Gorges. Si, le chômage a baissé !

M. Guy Geoffroy. La dépense publique est contenue !

M. Yves Censi. Regardez le nombre de créations d’entreprises !

M. Didier Migaud. Non, et je prends la presse et l’opinion publique à témoin, vous ne trouverez pas la moindre amélioration !

M. Yves Censi. Le pouvoir d’achat depuis un an !

M. Didier Migaud. Ces résultats appellent une sanction du Parlement dès maintenant, celle des Français intervenant, je l’espère, dès l’année prochaine. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nous saisirons d’ici là le Conseil constitutionnel sur la question de la sincérité budgétaire, car nous pensons que certaines pratiques doivent d’être sanctionnées…

M. Jean-Pierre Gorges. Vous ne croyez pas ce que vous dites !

M. Didier Migaud. En tout cas, le groupe socialiste votera contre ce projet de loi de règlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Monsieur le ministre, souhaitez-vous intervenir ?

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Bien sûr, madame la présidente. Et croyez-moi, je n’aurai pas besoin de quarante-cinq minutes pour répondre, car je ne suis pas le porte-parole de la Cour des comptes et je profèrerai moins d’horreurs !

Je serai très bref et néanmoins très convaincant, j’en suis persuadé, car mon intervention sera dense.

Monsieur Migaud, dès que vous êtes dans l’hémicycle, vous ne pouvez pas vous empêcher de faire de la politique à l’ancienne, alors que par ailleurs vous êtes fort sympathique. Comme vous faites partie de l’opposition, il vous faut forcément considérer que ce que nous faisons est nul.

M. Didier Migaud. Je n’ai pas dit que c’était nul mais mauvais pour la France !

M. Augustin Bonrepaux. S’il y avait de bonnes choses, nous le dirions !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je m’attendais tout de même de votre part à deux messages positifs.

M. Céleste Lett. Comme nous n’attendions rien, nous ne sommes pas déçus !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. D’abord, puisque vous avez visiblement lu de long en large le rapport de la Cour des comptes, dont vous pourriez être un excellent porte-parole, vous auriez pu citer la phrase qui précise que les comptes présentés sont réguliers, c’est-à-dire conformes au droit.

M. Didier Migaud. Je l’ai dit !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous l’avez tellement mal dit et fort discrètement, que cela n’est même pas parvenu à mes oreilles !

J’aurais aimé également que vous disiez que la France est le seul des quatre grands pays européens dont le déficit se situe en dessous de 3 % du PIB, ce qui signifie un formidable travail de maîtrise de la dépense publique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Augustin Bonrepaux et M. Didier Migaud. C’est artificiel !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Cessez de dire que c’est artificiel au seul motif qu’il s’agit d’une bonne nouvelle pour la France ! En outre, ces résultats ont été validés par Eurostat ! Après ce que je viens de vous dire, j’espère que vous n’allez pas quitter l’hémicycle. Vous devriez accepter qu’il s’agit d’une bonne nouvelle.

Ensuite, je trouve que votre numéro sur les niches fiscales relève du gag. Je vous rappelle que nous avions présenté ici même un dispositif qui avait des qualités, que vous avez saisi le Conseil constitutionnel et que cette mesure essentielle de justice sociale a été annulée, par votre faute. Quel dommage d’en arriver là ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Didier Migaud. Non, elle ne correspondait à rien et je pourrais vous citer les propos de Pierre Méhaignerie à ce sujet !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous êtes déjà le porte-parole de la Cour des comptes ! Si de surcroît vous devenez celui de Pierre Méhaignerie, vous allez y perdre votre identité !

M. Didier Migaud. Ne vous inquiétez pas pour moi !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Prenez exemple sur moi : j’ai réussi à conserver mon identité sans pratiquer la langue de bois, comme me le fait souvent observer M. Méhaignerie.

Enfin, votre numéro de reproche sur le thème des retraites est incroyable ! La gauche a repoussé systématiquement les échéances, évitant de prendre la moindre décision importante sur la réforme des retraites, si ce n’est pour nommer des commissions, demander des rapports et nous expliquer que la situation est grave.

Voilà que, courageusement, nous engageons la réforme des retraites et que vous écrivez, noir sur blanc, dans ce programme du Parti socialiste à 115 milliards, que vous allez l’abroger. Voilà qui est irresponsable !

M. Michel Bouvard. Michel Rocard a dit que ce n’était pas sérieux !

M. Céleste Lett. Nous le ferons savoir !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Enfin, vous avez abondamment cité la Cour des comptes. Nous terminons l’année 2005 avec un déficit budgétaire en baisse, dans son ensemble inférieur à 3 % du PIB, chiffre qu’Eurostat a validé.

M. Didier Migaud. Merci Eurostat !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Il me semble que la copie budgétaire que nous présentons est exemplaire dans une période de faible croissance économique et alors que nous avons réussi à faire mieux que la moyenne européenne sur tous ces sujets.

M. Didier Migaud. Ce n’est pas vrai !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Pour toutes ces raisons, il y a lieu de refuser, avec enthousiasme, cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Monsieur le ministre, je n’ai pas l’habitude de tresser systématiquement des couronnes au Gouvernement, mais j’ai été surpris par le peu d’humilité dont vous avez fait preuve, monsieur Migaud, vous qui êtes un homme intelligent.

M. Céleste Lett. Il faut qu’il le reste !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Certes, quand on regarde l’évolution de cette dernière année, il y a encore des manques, mais je considère que cette première étape pour maîtriser la dépense publique est une réussite, même si elle n’est pas complète, et je me dois de le dire très honnêtement.

Dans un pays drogué à la dépense publique, comme on le dit souvent, les efforts du Gouvernement ne reçoivent pas beaucoup de soutien de la part de l’opposition. M. Jack Lang parle depuis des mois et des mois de la casse sociale…

M. Didier Migaud. Il a raison !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. …alors que la France a augmenté ses dépenses sociales de 24 % en euros constants,…

M. Jean-Pierre Gorges. C’est une catastrophe !

M. Céleste Lett. C’est de l’assistance !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. …la moyenne européenne étant inférieure à 19 %.

Monsieur Migaud, vous parlez de la croissance comparée. C’est un refrain qui revient en permanence pour défendre votre politique de l’emploi. Reconnaissez que, lorsque vous étiez au pouvoir, l’Europe avait une croissance supérieure à celle que nous avons connue depuis lors.

M. Didier Migaud. Pas du tout !

M. Jean-Pierre Gorges. Si !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Les emplois publics que vous avez créés, les 35 heures que vous avez instituées, nous avons dû subir…

M. Michel Bouvard. Les Français aussi !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. …leur coût extraordinairement élevé.

M. Céleste Lett. Nous payons leur dette !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Évitons la schizophrénie, elle existe partout. Quand je vois le projet socialiste et que vous osez nous donner une leçon sur la maîtrise de la dépense publique, je vous suggère de commencer par vous mettre d’accord entre vous.

M. Didier Migaud. Nous aurons ce débat !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. C’est alors seulement que vous pourrez nous donner des leçons avec un peu plus de modestie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Didier Migaud. Je ne donne pas du tout de leçons !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je souhaite abonder dans le sens de ce que vient de dire M. Méhaignerie et donner une raison supplémentaire de rejeter cette motion de procédure.

Vous indiquez, dans le programme du Parti socialiste, que vous abrogerez la loi sur les retraites. Or, je viens d’apprendre que le gouvernement libéral-conservateur danois avait décidé, au regard de l’allongement de la durée de la vie, de porter l’âge de la retraite à soixante-sept ans, et que cette décision a été prise avec le soutien du parti socialiste danois.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Voilà un parti responsable !

M. Michel Bouvard. Il faut envoyer Ségolène Royal en stage au Danemark !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je vous livre cette information afin que vous méditiez, lors des autres motions de procédure, l’exemple de ces pays socialistes d’Europe qui ont fait résolument le choix de la modernité dans l’intérêt de leur pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Jean-Claude Sandrier, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jean-Claude Sandrier. Si j’ai bien compris, nous avons bien fait de ne pas être socialistes !

Monsieur le ministre, pour ma part, je citerai le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Pas besoin de vous fatiguer !

M. Jacques Desallangre. Il est éclairant !

M. Jean-Claude Sandrier. Absolument !

Je n’utiliserai qu’un seul argument qui milite en faveur de l’adoption de l’exception d’irrecevabilité, et je le prendrai sur votre terrain, celui du déficit budgétaire.

La Cour des comptes précise, pages 20 et 21 de son rapport, qu’à fin 2005 « c’est le déficit le plus élevée, en volume et en pourcentage des dépenses, de l’ensemble des administrations publiques ». Plus loin, il est indiqué que le solde primaire du budget de l’État reste négatif et qu’il ne continue de se réduire légèrement en 2005 que grâce à la modification du calendrier de perception de l’impôt sur les sociétés et qu’il se détériore hors cette mesure.

Il ne s’améliore donc légèrement que grâce à un subterfuge ponctuel de dernière heure que nous n’avons même pas examiné lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2006. Telles sont les précisions apportées par la Cour des comptes. Je ne comprends pas ces grands discours aux termes desquels vous vous dites les champions du monde de la baisse du déficit. En revanche, vous cachez que le déficit et l’augmentation de la dette sont dus à vos choix politiques, que l’on pourrait certes discuter et que la Cour des comptes détaille dans son rapport : baisse des recettes, notamment les impôts frappant les catégories les plus favorisées, augmentation des exonérations de cotisations sociales et baisse de l’investissement, d’où affaiblissement de la croissance. Seuls vos choix politiques créent cette situation.

Enfin, lorsqu’il vous faut trouver une dernière explication, vous invoquez les 35 heures.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. C’est vrai !

M. Jean-Claude Sandrier. Ne les servez pas à toutes les sauces ! Cela n’a aucun sens !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Si, cela coûte !

M. Jean-Claude Sandrier. Je vais vous citer un certain nombre de chiffres que vous pourrez vérifier. Les heures travaillées dans notre pays entre 1993 et 1997 ont baissé de 0,1 % en moyenne par an ; pour augmenter de 0,5 % de 1997 à 2002 avant de baisser de 0,25 % depuis 2002. Ne nous dites pas que les 35 heures mettent les finances de l’État en difficulté ! Ce n’est pas vrai ! Tous les chefs d’entreprise reconnaissent que cela a entraîné un accroissement de la productivité du travail. Si l’on admet toutefois que les 35 heures justifient tout, expliquez-nous pourquoi le CAC 40 a battu des records de profits en 2003, en 2004, avec un record absolu en 2005 ! Comment MM. Messier, Bernard, Zacharias, voire M. Forgeard, ont-ils pu enregistrer de telles performances ? Visiblement, les 35 heures ne gênent pas tout le monde, c’est le moins que l’on puisse dire ! Comment demander à la caissière de Carrefour de limiter ses revendications en matière de pouvoir d’achat ou de service public, sous le faux prétexte que le budget de l’État serait en péril, lorsque s’étale insolemment une richesse qui ne sent pas toujours l’honnêteté, reconnaissons-le !

Mme la présidente. La parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour le groupe socialiste.

M. Augustin Bonrepaux. Je suis surpris, monsieur le ministre, que vous ne reconnaissiez pas la réalité de la situation de notre pays, pourtant décrite par la Cour des comptes. Didier Migaud n’a fait que reprendre le rapport de la Cour des comptes et celui du rapporteur général.

Vous dénoncez notre manque d’objectivité, considérant que nous pourrions trouver au moins quelques points positifs dans vos actions.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Eh oui !

M. Augustin Bonrepaux. Comparons donc ! La dette représentait 58 %, contre 66,6 % aujourd’hui. Alors que le déficit se situait aux alentours de 2 %, il atteint aujourd’hui 3,5 %, même si vous l’estimez à 2,9 %, car vous tenez compte d’artifices tels que la soulte d’EDF. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Pousset. Et les 35 heures ?

M. Augustin Bonrepaux. Souvenez-vous que vous êtes aux affaires depuis quatre ans ? Vous rendez-vous compte de la situation dans laquelle se trouve notre pays ?

Qu’y a-t-il de mieux ? La sécurité sociale : elle était en excédent…

M. Céleste Lett. Ah bon ?

M. Augustin Bonrepaux. …et aujourd’hui, elle est en déficit durable dans toutes ses branches. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Concernant les prélèvements obligatoires, vous étiez les champions de la baisse des impôts : il est vrai que vous les avez baissés, mais pour les plus aisés ! Et, certainement par un tour de prestidigitation, les prélèvements obligatoires ont augmenté ! Cela signifie que s’ils ont baissé pour les plus aisés, ils ont fortement augmenté pour tous les autres. Le pouvoir d’achat : on est loin de la période précédente, lorsqu’il était en hausse de 3,2 % en moyenne. Comment avez-vous réduit le chômage ? Vous avez procédé à des régulations statistiques. Mais y a-t-il, en réalité, des créations d’emplois, même publics, alors que je vous ferai remarquer, monsieur le président de la commission, que, sous la législature précédente, de nombreux emplois privés étaient créés. Où peut-on trouver mieux ? Le RMI explose et vous le réduisez artificiellement en demandant aux collectivités locales de signer des contrats d’avenir.

M. Jean-Pierre Gorges. Et les emplois-jeunes ?

M. Augustin Bonrepaux. Vous considérez, de ce fait, que ce ne sont plus des RMIstes, mais les collectivités locales continuent toujours à les payer.

Faites-vous mieux en matière de pauvreté et de surendettement ? Vous rendez-vous compte que la pauvreté et le surendettement s’aggravent ? Enfin, les services publics se portent-ils mieux ? Vivez-vous dans notre pays ? Vous apercevez-vous que l’État ne dispose plus de moyens de les faire fonctionner et d’investir puisque la plupart des investissements sont paralysés ? Peut-être donnerez-vous, cette année, un coup de pouce pour prouver que vous tenez une partie de vos engagements !

Dans quel domaine faites-vous mieux qu’il y a quatre ans ? La situation de notre pays ne s’est-elle pas dégradée depuis cette époque ?

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Non !

M. Augustin Bonrepaux. Cela justifie donc tout à fait le réquisitoire de Didier Migaud et cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’exception d’irrecevabilité.

(L’exception d’irrecevabilité n’est pas adoptée.)

Question préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une question préalable, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Jean-Claude Sandrier, pour une durée maximale de quarante-cinq minutes.

M. Jean-Claude Sandrier. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, la question préalable est la procédure par laquelle une assemblée décide qu’il n’y a pas lieu d’engager la discussion du texte soumis à son examen pour un motif d’opposition qui rend inutile toute délibération au fond. C’est bien dans cet esprit que j’entends défendre, au nom du groupe des député-e-s communistes et républicains, la présente procédure.

Le projet de loi de règlement définitif du budget de 2005 soulève, en effet, des questions concernant les orientations de la politique budgétaire et économique de notre pays, telles qu’elles sont mises en œuvre depuis plusieurs années. Mais ce qui est étonnant, c’est que vous organisiez ce débat sur un tel sujet sans avoir entendu les verdicts successifs du suffrage universel depuis trois ans et les avertissements de la Cour des comptes. Alors, à quoi cela servirait-il de débattre ?

La majorité ne manquera pas de saluer une nouvelle fois, à l’occasion de la discussion de ce projet de loi, les prétendues vertus de sa politique, nous assénant son unique slogan : tenir la dépense. Or, non seulement les faits contredisent très largement ces déclarations, réitérées chaque année avec la plus parfaite constance et une réelle dose de mauvaise foi, mais l’objectif que vous vous fixez, comme l’apologie que vous faites de l’austérité, ne conduit au fond à rien d’autre qu’à condamner notre pays à une aggravation des inégalités, lourdes d’explosions sociales et de violences dont vous êtes incapables de combattre les causes profondes. Enfin, votre politique de cadeaux aux riches et d’austérité pour la dépense utile porte en elle le développement d’une croissance molle qui n’a pour résultat que de faire gonfler les profits aux dépens de la majorité de nos concitoyens. Je vais m’appliquer à vous en faire la démonstration.

Vous avez les yeux rivés sur une calculette, provoquant chez vous ce que le dernier rapport de la Cour des comptes « sur la situation et les perspectives des finances publiques » appelle, « un défaut de vision » qui vous conduit à oublier que les finances publiques ne sont pas un exercice purement comptable, mais essentiellement un instrument politique authentique.

Mais revenons tout d’abord sur le bilan de votre politique sur le plan économique et budgétaire et en particulier sur celui de cette année 2005. Je noterai, avant tout, un élément de taille : le budget de 2005 est celui du président de l’UMP, M. Sarkozy. Les résultats de ce budget nous donnent un avant-goût des glorieux lendemains économiques et sociaux que préparerait son élection ! Plus de précarité, plus d’inégalités, moins de service public… C’est le règne du chacun pour soi, du sacrifice des valeurs de la République sur l’autel d’une rentabilité financière à court terme en faveur de quelques-uns. En fait, ce « budget Sarkozy » est un échec complet au regard même des objectifs qu’il s’était fixés : faiblesse de la croissance, augmentation du chômage et de la précarité, accroissement de la dette de 6,7 %. Vous pleurez sur la dette, alors que cela fait quatre ans que vous ne cessez de l’accroître. Vous tentez ainsi de masquer ce quasi-fiasco derrière le pseudo-argument de la « dépense tenue » qui coûte cher à la France !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Moins que si on ne la tenait pas !

M. Jean-Claude Sandrier. Chacun a ses explications !

Si l’on entre dans le détail de votre « dépense tenue », qu’observe-t-on depuis quatre ans ? Le déficit pour l’année 2005 n’a pas diminué, puisque, comme le note la Cour des comptes, il s’élève, à 43,5 milliards d’euros, soit un montant supérieur à celui enregistré de 1997 à 2001. Votre politique d’austérité s’avère donc non seulement désastreuse sur le plan économique, mais elle ne parvient même pas à satisfaire vos objectifs hautement prioritaires ! Avouez qu’il n’y a pas de quoi se glorifier d’un tel résultat ! Vous vous acharnez à réduire les marges de manœuvre de l’État, sans pour autant parvenir à assainir les finances publiques.

Votre politique est perdante sur tous les plans et il y a quelques bonnes raisons à cela ; certaines sont pointées par la Cour des comptes depuis plusieurs années. Vos cadeaux à fonds perdus aux plus riches constituent, selon la Cour de comptes « un élément majeur de l’évolution des finances publiques ». C’est votre politique qui est responsable de la dette, et non le nombre de fonctionnaires ! Les exonérations de charges sociales privent l’État de ressources, sans créer de richesse. Depuis vingt ans, le choix politique et idéologique de la baisse des cotisations sociales est demeuré sans effet sur l’emploi et la croissance. La Cour des comptes s’exprime moins brutalement que moi, car elle est plus encline à manier l’euphémisme, et souligne les « effets incertains sur l’emploi de ces baisses », ce que je traduis par « aucun effet ». La semaine dernière, devant la commission des finances, le Premier président de la Cour des comptes s’en est pris à nouveau à cette baisse des cotisations « censée » créer des emplois ! On ne saurait être plus clair !

Depuis tout ce temps, vous auriez pu tout de même vous apercevoir qu’une politique fondée exclusivement sur l’offre et sur la réduction des missions de l’État est condamnée à n’avoir d’autre effet que l’accroissement des profits des actionnaires. Vous ne créez donc pas de richesses, pas plus qu’en consentant des cadeaux fiscaux aux plus aisés dont l’efficacité économique est nulle. Ces cadeaux ont été également présentés par la Cour des comptes comme éléments du déficit.

Les entreprises ont utilisé les ressources offertes par la réduction de l’impôt sur les entreprises et des cotisations sociales pour élargir leurs marges et se redéployer à l’étranger où les perspectives de débouchés étaient nettement plus attrayantes, preuve supplémentaire que, dans une économie dite ouverte, la politique de l’offre est incapable de contrebalancer les avantages compétitifs des pays à bas salaires et qu’elle ne suffit pas à stimuler l’investissement.

À vouloir accroître, par ailleurs, les bénéfices d’une oligarchie financière en réduisant les recettes prélevées sur les plus favorisés, vous conduisez également le pays à une impasse.

Vous avez souvent exprimé le souhait de simplifier l’impôt, jamais celui de le rendre plus juste, certes, mais tout de même, comment expliquer que vous n’ayez jamais engagé la réforme indispensable de la fiscalité dérogatoire ? S’il y a un enjeu de simplification, c’est bien celui-là. Cette réforme aurait dû primer sur celle du barème de l’impôt sur le revenu proposée lors de la discussion du dernier projet de loi de finances.

Le manque à gagner qu’engendrent les niches fiscales représente un coût démesuré, près de 50 milliards d’euros selon la Cour des comptes. Je ne nie pas que certaines de ces niches présentent un caractère social, comme les mesures prenant en compte les frais liés à la dépendance ou les frais de scolarité,…

M. Jacques Desallangre. Mais d’autres ont un intérêt électoral !

M. Jean-Claude Sandrier. …mais un très grand nombre de dispositifs fiscaux dérogatoires ont été institués à des fins un peu plus problématiques, en raison notamment de leurs effets d’aubaine.

S’agissant des seules mesures en faveur de la création et de la transmission des entreprises, le manque à gagner est aujourd’hui pour l’État de 2,5 milliards d’euros. Or, vous le savez, l’efficacité de ces dispositifs est largement sujette à caution. Le Conseil des impôts l’a souvent noté. Pourtant, rien n’est fait pour en envisager la refonte et leur substituer un dispositif plus efficace.

Les effets de la financiarisation de l’économie trouvent une traduction fiscale dans les enjeux de la fiscalité de l’épargne, qui pose maintes questions. En 2001, le Conseil des impôts rappelait que, du fait du grand nombre de régimes dérogatoires, sur 111,5 milliards d’euros de revenus de capitaux mobiliers, seuls 14,4 étaient imposés selon le barème progressif de l’impôt sur le revenu et 13,3 étaient soumis au prélèvement libératoire.

Comment ne pas voir là une question décisive en termes de rendement budgétaire et une source d’injustice fiscale ? Une question analogue nous est posée par l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune. L’argent, si l’on veut en chercher, il y en a.

Pourtant, rien n’est fait. Curieux, alors que vous dites vouloir réduire le déficit. Là encore, vous n’êtes pas à une contradiction près, puisque vous avez encore aggravé la situation en défiscalisant un peu plus les revenus des placements mobiliers comme immobiliers.

Même constat s’agissant de l’impôt sur le revenu.

L’impôt sur le revenu est un facteur décisif de lutte contre les inégalités. Or, tout à votre foi libérale, qui fait de la TVA, impôt injuste par excellence, le prélèvement ordinaire – 48 % de nos recettes fiscales –, vous vous êtes livrés depuis 2002 à une attaque en règle contre les quelques vertus encore redistributives de l’impôt sur le revenu.

Le bilan des baisses du barème de l’impôt intervenues ces quatre dernières années, sans parler de celles actées dans le dernier projet de loi de finances, qui ne prendront effet que l’an prochain, est éloquent : la baisse de 5 % en 2002 a profité pour 69 % à 10 % des foyers les plus riches, la baisse de 2004 pour 45 % aux 2 % des foyers les plus riches. Des chiffres qui se passent de commentaires et qui montrent aux Français les résultas de ce que Nicolas Sarkozy appelle la « droite décomplexée ».

Votre politique aggrave en fait les inégalités, alors que vous continuez à penser que les riches seraient créateurs de richesses, quand, au contraire, ils engrangent des fortunes aussi vaines que colossales par l’exploitation, décomplexée elle aussi, de ceux qui n’ont d’autres ressources que le fruit de leur travail.

Le capital est en train d’asphyxier le travail, et vous continuez à favoriser les prédateurs adeptes d’une course au profit suicidaire pour l’économie et le progrès social.

Pourtant, Patrick Artus vous prévient dans son livre Le capitalisme est en train de s’autodétruire : « La chasse au rendement du capital investi va-t-elle aveugler encore longtemps les grandes firmes et les grands investisseurs au point de leur faire perdre de vue leur principale mission, imaginer des axes et des projets de développement pour créer des richesses et de l’emploi ? » C’est la question de Patrick Artus, mais un communiste la fait sienne, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Il aurait pu écrire sur les ravages du communisme !

M. Jean-Claude Sandrier. En laissant faire, pire, en entretenant cette dérive, vous êtes pleinement responsables du mode de fonctionnement d’un système dont je ne sais pas si, comme le dit Patrick Artus, il est en train de s’autodétruire mais dont je suis sûr qu’en instaurant de plus en plus la dictature du profit et des marchés financiers, il multiplie inégalités, égoïsmes, frustrations et, en fin de compte, violences.

Pour satisfaire aux exigences du profit, vous ne voulez pas toucher aux recettes et vous décidez de comprimer les dépenses, mais pour quels résultats économiques et sociaux ? C’est bien la question que nos concitoyens se posent, eux qui voient clairement que la situation économique de notre pays s’aggrave, que leur situation ou celle de leurs proches est de plus en plus difficile.

Dressons un peu le bilan de l’année 2005.

La croissance pour 2005, 1,4 %, est le résultat de vos choix.

La situation de l’industrie est restée difficile, avec une croissance des activités manufacturières inférieure à 1 %. Si les entreprises du CAC 40 se portent bien, les PME trinquent : le ralentissement économique et la flambée des prix du pétrole ont provoqué une augmentation de 3 % des défaillances d’entreprises. Du coup, l’industrie a perdu 100 000 emplois par an. La construction et le tertiaire se sont mieux portés et ont permis de dégager un solde positif de 62 000 emplois, alors que le Gouvernement annonçait en mai dernier une baisse de 200 000 chômeurs sur un an.

Les chiffres du chômage ne correspondent manifestement pas à la réalité. Pouvez-vous nous dire, par exemple, combien de personnes ont été radiées de l’ANPE sans retrouver un emploi ? Il serait intéressant de le savoir et de connaître l’évolution sur plusieurs années. Le nombre d’emplois précaires explose. En 2005, les contrats d’une durée inférieure à six mois ont représenté 52 % des offres d’emploi. Enfin, la remontée des contrats aidés, dont vous ne vouliez plus et qui sont eux-mêmes très précaires, explique une récente embellie statistique, qui ne trompe personne quant à la situation difficile de millions de nos compatriotes, sans parler des premiers effets du papy-boom, qui libère des dizaines de milliers d’emplois. Les 97 000 emplois créés dans les services à la personne chers à M. Borloo entrent pour la plupart dans cette catégorie des emplois précaires, comme les embauches réalisées dans le cadre de la signature de contrats nouvelles embauches.

Voilà comment se réduit d’une manière assez factice le chômage, en développant la précarité absolue.

Sur le CNE, quelle propagande avons-nous entendue sur le nombre d’engagements signés ! À vous entendre, des centaines de milliers de contrats auraient été signés. En fait, la montagne a accouché d’une souris, une étude des services de l’État eux-mêmes venant de préciser que, pour l’essentiel, ces emplois auraient été créés et qu’ils sont d’une extrême fragilité.

Une baisse artificielle du chômage, un emploi marchand qui stagne et une précarité en perpétuelle augmentation, avec la multiplication des travailleurs pauvres, voilà ce que les Français retiendront de votre gestion.

Comment ne pas parler ici d’échec ? Comment ne pas stigmatiser l’injustice qui gouverne vos choix et nous a conduits à cette situation ?

Votre politique se solde par un échec flagrant, à moins qu’il ne s’agisse plus probablement, derrière l’objectif de simplifier l’impôt, de masquer la réalité de l’accroissement des injustices fiscales, domaine dans lequel vous êtes passés maîtres, au point d’ailleurs de subir les reproches de vos collègues de l’UDF que, pour punir peut-être de l’exercice de leur liberté critique, vous avez décidé, par l’intermédiaire du président du CSA, de vouer aux gémonies, c’est-à-dire de condamner à apparaître comme un parti d’opposition.

J’en viens maintenant, si vous le voulez bien, à la lecture de votre politique au regard de nos critères budgétaires et économiques. Abordons ainsi à titre liminaire la question de la dette publique.

Depuis la publication du rapport Pébereau, le 14 décembre dernier, que n’a-t-on entendu sur le poids de la dette publique ! La charge de la dette serait le deuxième poste de dépenses de l’État et absorberait la presque totalité des recettes de l’impôt sur le revenu. La France vivrait à crédit depuis trente ans. Chaque nouveau-né en France hériterait d’une dette de l’ordre de 17 500 euros.

Outre que vous avez, pendant quatre ans, contribué à accroître cette dette, ce qui ne vous donne que peu de légitimité pour la combattre efficacement, cette présentation catastrophiste a malgré tout un grand mérite pour vous : servir les intérêts des partisans de l’austérité à géométrie variable que j’évoquais à l’instant et demander aux Français et à tout ce qui est à leur service de se serrer la ceinture, tout en continuant d’épargner vos amis les plus chers – et quand je dis les plus chers, c’est dans tous les sens du terme – de M. Zacharias à la victime du dernier mauvais tour joué par le hasard, en passant par l’augmentation de plus de 30 % des profits du CAC 40 en 2005 et les quelque 10 milliards d’euros de dividendes supplémentaires qu’ils ont permis de verser à d’heureux actionnaires.

Bien sûr que la dette publique est une question importante mais, pour cette raison même, nous devons nous interdire de lui greffer un discours simpliste comme celui que nous entendons sur les bancs de la majorité.

Ce discours simpliste, qui fait volontiers référence aux règles du bon père de famille, se borne à expliquer qu’on ne peut dépenser plus qu’on ne gagne. C’est d’une logique implacable sauf, que s’agissant de l’État, c’est totalement absurde, d’une part, parce que l’État dispose de la faculté de fixer lui-même ses recettes – et je vous dirai dans un instant quelles recettes il est possible de mobiliser – et, d’autre part, parce que ses dépenses sont susceptibles de créer des richesses, que l’on pense à la recherche, à l’école, aux grandes infrastructures ou à de grands investissements industriels.

Ce qui est le plus éminemment mensonger dans le discours qui consiste à nous expliquer qu’il faut dépenser moins et ajuster les recettes aux dépenses, c’est que l’on omet sciemment d’expliquer aux Français que l’accroissement de la dette de notre pays n’est pas lié essentiellement au solde primaire, la différence entre le montant des recettes et le montant des dépenses, hors intérêts. Le solde primaire n’a jamais conduit à un déficit supérieur à 1,5 % du PIB, sauf en 1993 et 1994. Il a même été excédentaire entre 1989 et 1991. Ce solde est tributaire de la conjoncture, à laquelle les recettes sont plus sensibles que les dépenses.

Depuis vingt ans, ce ne sont pas les dépenses de l’État qui sont cause de dérapage budgétaire, mais le montant de ses recettes, qui a connu une baisse aussi régulière que rapide ou une insuffisante augmentation.

En d’autres termes, la montée de la dette, qui s’aggrave encore par l’effet boule de neige de l’augmentation du taux d’intérêt réel, n’est pas le résultat d’une croissance immodérée des dépenses mais du choix consistant à faire payer de moins en moins d’impôts aux couches sociales auprès desquelles il faut ensuite s’endetter à des taux d’intérêt prohibitifs.

Ce ne sont pas les générations futures qui sont aujourd’hui sous pression, mais tous les contribuables modestes ou moyens, contraints de payer de leur poche les rentes que l’État verse à ses créanciers, eux-mêmes bénéficiaires de baisses d’impôt.

Bien sûr, il est pour vous hors de question de refiscaliser les catégories de revenus à l’origine des déficits, de prélever sur les patrimoines, de taxer le capital. Pourtant comme l’écrit et le démontre Patrick Artus, « l’argent coule à flots ».

Vous préférez, et de loin, nous expliquer qu’il y a trop de fonctionnaires, qu’il y a trop de RMIstes et qu’il nous faut traquer les fraudeurs, que notre système de santé coûte trop cher et qu’il va falloir de nouveau dérembourser des médicaments car vous venez de vous apercevoir, par hasard aussi sans doute, qu’ils sont inefficaces. Bref, on est dans l’extravagance la plus totale.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. C’est vous qui êtes extravagant ! C’est une caricature invraisemblable !


M. Jean-Claude Sandrier
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Si l’on se rend compte seulement aujourd’hui que des médicaments que l’on utilise depuis des années sont inefficaces, c’est qu’il y a eu des fautes médicales gravissimes, à moins que ce soit uniquement pour faire des économies, mais alors annoncez la couleur !

Bref, on ne peut pas à la fois faire des cadeaux aux plus riches et mener une politique sociale. Selon vous les Français vivraient au-dessus de leurs moyens, que ce soit de leur faute ou de celle de leur voisin, chômeurs, RMIstes ou immigrés. Par contre ce n’est jamais de la faute de ces PDG qui défilent régulièrement dans l’actualité ou encore des fonds de pension ou autres marchés financiers qui exigent des rendements d’actions à 15 %, ce qui est proprement suicidaire pour toute économie. Et comme vous n’êtes pas à une incohérence près, vous invitez du même mouvement nos compatriotes à s’endetter pour que la consommation permette de grignoter quelques points de croissance.

Ce que nous disons depuis deux ou trois ans se confirme donc : si c’est bien la consommation qui, dans notre pays, tire la croissance, ce n’est pas en raison de l’augmentation du pouvoir d’achat qui, d’après l’INSEE et le CREDOC, baisse ou stagne depuis 2003, mais bien du fait d’une nouvelle et importante augmentation de l’endettement des Français et d’une baisse de l’épargne de 7,6 %. Et ne venez pas dire que c’est parce qu’ils ont confiance que les Français se permettent de piocher dans leur épargne, cela ne passerait pas.

En faisant pression sur les salaires et le pouvoir d’achat du plus grand nombre vous détruisez progressivement le premier des leviers de la croissance : la consommation des ménages. Ainsi, pour faire des cadeaux fiscaux à quelques-uns, vous n’avez pas hésité à acculer le plus grand nombre à l’endettement ou à restreindre le pouvoir d’achat, à réduire voire à démolir des services publics, à opérer des reculs sociaux en matière de santé, de retraite et de droit du travail. Car ce que vous avez fait en matière de retraite ce n’est pas une réforme, mais une régression sociale.

Non seulement cette politique tue la croissance mais elle développe une dette pernicieuse, fruit d’un choix politique erroné pour mieux faire oublier vos cadeaux fiscaux en faveur des plus hautes tranches de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt de solidarité sur la fortune, en particulier pour aider ces malheureux patrons du CAC 40 qui bénéficieront, à partir de cette année, d’une nouvelle exonération sur leurs actions, ce qui plombe notre économie et le développement de la France.

Vous expliquez, la main sur le cœur, pour mieux imposer l’austérité au plus grand nombre, que nous ne devons pas laisser de dettes aux générations futures. Vous ne manquez pas d’un certain aplomb !

M. Jacques Desallangre. Et de cynisme !

M. Jean-Claude Sandrier. Mais c’est oublier que la dette n’est pas une maladie et qu’elle peut être justifiée. Lorsque les recettes sont optimisées et socialement justes, que l’État dépense pour créer de la richesse, soutenir ou impulser une dynamique de croissance qui lui permettra ensuite de réduire son déficit et de rembourser ses dettes, oui, la dette peut être vertueuse.

Mais une dette peut, de la même manière, s’expliquer pour de très mauvaises raisons et donc être pernicieuse, d’une part, lorsque les recettes sont insuffisantes et fruit de l’injustice fiscale et que les dépenses ne soutiennent pas l’investissement utile et, d’autre part, lorsque l’État, impécunieux, attend que la croissance vienne – comme le dirait notre rapporteur général – comme si celle-ci était une sorte de phénomène extraterrestre répondant à des règles inconnues. Or la croissance se crée, entre autres, par le budget.

Tel est à ce propos l’avis exprimé par cette noble institution qu’est la Cour des comptes, à la page 67 de son rapport : « Au-delà de l’attention qu’il est souhaitable de porter au poids de la dette dans l’économie et dans les charges des administrations publiques, il importe de se préoccuper plus fondamentalement de l’utilisation qui est faite des ressources procurées par voie d’endettement. En effet, celui-ci n’est pas en soi contestable, s’il permet de financer des investissements directement ou indirectement productifs de richesses – comme la réalisation d’infrastructures – ou des investissements susceptibles de relever le niveau de croissance potentielle de l’économie – formation, éducation, recherche par exemple. »

Je voudrais bien que la majorité cesse de prétendre toujours décrire des réalités incontournables là où il est question de choix politiques.

M. Jacques Desallangre. Très bien.

M. Jean-Claude Sandrier. Il faut cesser de faire croire aux Français qu’aux problèmes incontournables correspondent des solutions incontournables. Cela est faux. Il faut mettre fin à cette dictature de la pensée née, selon le prix Nobel d’économie, M. Stiglitz…

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Remarquable !

M. Jean-Claude Sandrier. …dans les années 1970, au sein de la célèbre école de Washington.

Se donner des marges de manœuvre pour réduire le déficit budgétaire et la dette publique et pour retrouver le chemin de la croissance ne passe pas nécessairement par cette politique d’austérité – austérité pour les uns et profits pour les autres – que vous essayez de vendre aux Français.

On résorbera le déficit et la dette d’une part par une autre répartition des richesses, c’est-à-dire des recettes prélevées sur « un capitalisme que ne fait rien d’utile de ses milliards, qui n’investit guère, qui ne prépare pas assez l’avenir » pour rependre la formule de Patrick Artus. Il est de la responsabilité de l’État de faire en sorte que ce capitalisme investisse dans l’avenir, utilise ces milliards à bon escient ; mais c’est une responsabilité politique que vous ne voulez pas assumer. On résorbera le déficit et la dette d’autre part par des mesures impulsant la croissance.

Or, contrairement à votre dogme, ce ne sont pas les riches ou les marchés financiers qui créent la croissance, mais le développement de l’ensemble des capacités humaines. Dynamiser l’économie par la promotion des emplois qualifiés et le renforcement de la structure productive du pays permettrait de créer des marges de manœuvres utiles. Ainsi, dans le cadre d’une autre répartition des richesses, nous proposons – et je ne serai pas exhaustif, vous m’en excuserez – l’annulation de toutes les baisses pour les plus hautes tranches de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur la fortune et de l’impôt sur les sociétés ; la création de neuf tranches d’imposition, au lieu de cinq, pour permettre une meilleure progressivité, donc une plus grande justice ; le doublement, voire le triplement pour les plus hautes tranches, de l’impôt de solidarité sur la fortune ; la taxation des produits pétroliers et celle des actifs financiers à 0,5 %, ce qui pourrait rapporter environ 20 milliards d’euros. Ces actifs qui, je le précise, représentent deux à trois fois le produit intérieur brut du pays, ont augmenté de 107 % en dix ans et 80 % de ces sommes n’ont pas été réinvesties dans la production.

M. Jacques Desallangre. Quel gâchis !

M. Jean-Claude Sandrier. De l’argent il y en a : il coule à flots, comme l’a dit Patrick Artus.

Dans le cadre d’une utilisation plus efficace de l’argent, nous proposons d’accroître le pouvoir d’achat des classes les moins aisées et des classes moyennes, par exemple en portant immédiatement le SMIC à 1 500 euros par mois ; d’accorder des crédits bonifiés aux PME pour les investissements utiles à l’emploi et à la formation ; de redynamiser l’investissement public par le budget, qui est extrêmement bas ; d’inscrire les crédits nécessaires à la recherche pour atteindre, dans un premier temps, l’objectif fixé à Lisbonne car nous en sommes loin ; de donner les moyens de développer la formation à tous les niveaux, la santé, le logement et les infrastructures ; et enfin d’inscrire la nation dans une relance de la croissance par la promotion des capacités humaines.

Par ailleurs, il est contradictoire d’afficher de nouvelles ambitions industrielles tout en privatisant les entreprises publiques, mêmes les plus productives, voire les services publics eux-mêmes. Il est totalement illusoire de considérer que l’affectation des recettes des privatisations permettra de réduire la dette publique.

Certes, d’un point de vue comptable, à courte vue, cela permet d’afficher un déficit budgétaire plus faible et de faire illusion auprès des institutions européennes. Mais cela ne change en rien le bilan patrimonial de l’État, puisqu’à un passif moindre se substitue un actif moindre. De plus, cela accentue les handicaps structurels et affaiblit le potentiel productif de notre pays. D’ailleurs, le premier président de la Cour des comptes a insisté devant la commission des finances sur l’urgence d’arrêter la vente des actifs patrimoniaux qui constitue une destruction de valeurs dangereuse pour la nation, estimée en près de vingt ans à 370 milliards d’euros.

En définitive ces exemples d’incohérence posent la question du choix de société et des priorités à mettre en œuvre pour établir une croissance forte, solide, pérenne. Votre gestion depuis quatre ans se solde par un fiasco dont la majorité des Français paient le prix fort. Ils le manifestent à chaque élection.

La multiplication des exonérations accordées aux entreprises, la réduction des impôts pour les hauts revenus, les privatisations n’ont aucunement permis de dynamiser notre économie. La prétendue ouverture au marché s’est traduite par des hausses de prix, de 30 % en deux ans pour le gaz et de 48 % pour l’électricité, secteur libéralisé. En revanche, cela a contribué à aggraver une situation de l’emploi où la précarité est en passe de devenir le lot commun, à dégrader le pouvoir d’achat de la plupart de nos compatriotes et les services publics, pourtant partout salués, jusqu’à une période récente, comme les plus performants.

Par pure idéologie, par choix politique vous considérez que l’avenir appartient aux actionnaires, que leurs désirs sont des ordres, et que les besoins d’une majorité de Français passent après. Ce vous appelez réforme, nous le nommons régression.

Pour tous ces motifs, nous estimons, monsieur le ministre, qu’il n’y a pas lieu de débattre de l’exercice de votre budget et nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme la présidente. Je vous remercie, monsieur Sandrier, d’avoir respecté votre temps de parole.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je suis évidemment en désaccord profond avec M. Sandrier, du moins sur la politique économique car, pour le reste, nous avons parfois des goûts en commun.

Vous avez brossé, monsieur Sandrier, un tableau catastrophique de la situation économique et sociale du pays qui ne correspond en rien avec la réalité.

Pourquoi ne pas avoir rappelé la baisse continue du chômage depuis un an, le retour de la croissance – comme le montrent les dernières prévisions de l’INSEE – et la maîtrise significative de nos déficits publics ?

Pour le reste, vous avez une vision très franco-française alors que le monde est ouvert et que nous devons regarder ce qui se fait de mieux ailleurs pour en faire bénéficier notre pays. Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, j’invite l’assemblée à rejeter cette motion de procédure.

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Jacques Desallangre, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jacques Desallangre. Monsieur le ministre, votre budget se fonde sur une idéologie libérale qui se veut décomplexée et qui est agressive. Vous ne vous étonnerez donc pas que nous n’adhérions pas à ses choix et que nous n’approuvions pas son exécution. Il a servi les intérêts des plus favorisés ; il est faible avec les forts et dur avec les faibles. Il est injuste par nature et nocif pour l’intérêt général. Il n’a pourtant pas la franchise dont se prévalent ceux qui le votent et se réclament de cette droite décomplexée. Il use d’artifices comptables et de dissimulation.

Enfin il met en danger la paix sociale par l’injustice faite aux classes fragiles, qui supportent les conséquences de vos choix budgétaires, désastreuses pour leur vie quotidienne, leur santé, l’éducation de leurs enfants, leur emploi, leur dignité.

En votant en faveur de cette question préalable, c’est un acte civique que nous accomplirons.

Mme la présidente. La parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour le groupe socialiste.

M. Augustin Bonrepaux. Je me contenterai d’attirer votre attention, monsieur le ministre, sur la page 9 du rapport de Gilles Carrez, qui modère quelque peu l’optimisme de votre présentation.

Il y est écrit en effet que « la croissance de l’économie française s’est établie à 1,2 % en moyenne annuelle », et que « cette performance a situé la France en deçà de la moyenne de la zone euro (+ 1,4 %) ». Le rapport précise un peu plus loin que « pour la quatrième année consécutive, la performance française a été inférieure à la moyenne de l’OCDE ». Le tableau de la page 13 montre clairement que le pouvoir d’achat est bien inférieur à la dépense de consommation, et le rapporteur général écrit que « c’est – pour la troisième année consécutive – en réduisant leur épargne que les ménages ont financé une partie de leur consommation ». C’est dire que le pouvoir d’achat est insuffisant.

Heureusement « l’investissement des administrations publiques accélère à + 3,5 % ». Il ne s’agit pas de l’investissement de l’État puisque, vous le savez bien, monsieur le ministre, l’État n’investit plus : ce sont surtout les collectivités locales, dont vous voulez d’ailleurs réduire les dépenses, qui investissent. Ne secouez pas la tête ainsi, monsieur le ministre : y a-t-il aujourd’hui des crédits pour le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire, le FNADT ? Non ! Autre exemple, les crédits consacrés à l’entretien des monuments historiques de la région Midi Pyrénées sont passés de dix à un millions d’euros, soit, pour votre information, monsieur le ministre, le tiers des crédits consacrés à la réintroduction des ours en Midi-Pyrénées !

M. Michel Bouvard. Quelle chute !

M. Augustin Bonrepaux. Voilà à quoi vous utilisez les crédits !

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Charles de Courson. Nous ne voterons pas cette motion, qui est sans portée réelle, mais j’exposerai longuement la position du groupe UDF dans la discussion générale.

Mme la présidente. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n’est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Augustin Bonrepaux, premier orateur inscrit.

M. Augustin Bonrepaux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un bref panorama des piètres performances économiques de l’année 2005 montre que les choix économiques et sociaux des gouvernements et de la majorité ont été catastrophiques sur tous les fronts depuis quatre ans.

Au lieu des 2,5 % de croissance annoncés au projet de loi de finances pour 2005, le PIB n’a progressé que de 1,2 %, soit une croissance inférieure à celle de la zone euro, qui a été de 1,4 : cela marque votre incapacité à maintenir une croissance stable et vigoureuse en dépit d’un contexte mondial favorable. La France voit ainsi son différentiel de croissance par rapport à la zone euro s’aggraver depuis 2002.

Le chômage, que vous tentez de colmater à coups de contrats précaires, frappe 9,6 % de la population active. Le pouvoir d’achat des ménages, qui fait les frais d’une politique fiscale injuste, n’a progressé que de 1,1 % en 2005, ce qui est bien en deçà des résultats enregistrés sous la précédente législature, où il a alors progressé de 3,2 % en moyenne.

Les prélèvements obligatoires atteignent un niveau insoutenable pour la croissance et surtout pour les ménages modestes, qui en supportent tout le poids puisque vous avez allégé uniquement les impôts des plus aisés. Les ménages, toujours plus endettés de ce fait – les situations de surendettement se multiplient – sont inquiets pour leur avenir.

Pour conclure ce triste bilan, le déficit du commerce extérieur contribue désormais à amputer encore la croissance.

C’est dans un tel contexte, et à la lumière du rapport présenté par la Cour des comptes, que nous examinons aujourd’hui la loi de règlement du budget 2005. Si le Gouvernement a notifié à l’Union européenne un déficit de 2,9 % pour 2005, ce chiffre n’a pu être obtenu qu’au moyen d’artifices budgétaires et comptables. La Cour des comptes a sévèrement rendu compte de l’opacité de ces pratiques, de l’insincérité des budgets votés et des expédients auxquels la majorité a eu recours pour boucler péniblement le budget pour 2005.

Le déficit du budget général atteint à la fin de 2005 43,5 milliards d’euros, chiffre qui, même s’il traduit une légère amélioration par rapport à 2004, reste très élevé, surtout au regard des performances du gouvernement Jospin.

En ce qui concerne les comptes sociaux, la Cour des comptes constate que « les quatre branches de la sécurité sociale sont simultanément déficitaires cette année, ce qui constitue un triste record ». Si le déficit global de la sécurité sociale a été ramené à 3,8 milliards d’euros, ce résultat doit être considéré avec circonspection : outre qu’il résulte du versement de la soulte d’EDF, d’un montant de 8,2 milliards d’euros, on reste loin de l’excédent constaté en 2001. Le déficit du régime général pour l’année 2005 s’élève à 11,6 milliards d’euros, au lieu des 8,6 milliards prévus. La légère amélioration du solde de la branche maladie est due aux nouveaux prélèvements à la charge des ménages, et non à une baisse des dépenses. Plus grave, la Cour des comptes estime que même si le déficit de la branche maladie se stabilise, l’évolution des comptes des autres branches est telle que le solde du régime général est durablement dégradé.

La dette publique a atteint en 2005 66,6 % du PIB, alors qu’elle était de 56,2 % en 2001. Depuis 2002, la dette publique se creuse de deux points par an en moyenne, et alors que les taux d’intérêt ont été historiquement bas, la charge de la dette a elle aussi augmenté de 2 % par an ! Tous les économistes s’accordent à dire que la dette française n’est plus soutenable à moyen terme. Au moment où les taux d’intérêt sont sur le point de remonter, que de multiples engagements doivent être honorés, et que le taux des prélèvements obligatoires a atteint un seuil critique, les perspectives, monsieur le ministre, sont loin de justifier l’optimisme dont vous faites preuve. Elles les justifient d’autant moins que l’État, loin d’engager le redressement des finances publiques, poursuit au contraire sa politique suicidaire de baisses d’impôts, à laquelle le rapport Pébereau comme celui de la Cour des comptes recommandent pourtant de mettre fin. On se demande comment, dans de telles conditions, le Gouvernement a réussi à notifier à la Commission européenne un déficit de 2,9 % seulement.

Ce solde est d’abord dû à des recettes exceptionnelles d’un montant très élevé, qui échappent largement à l’autorisation parlementaire. Ainsi son calcul inclut le versement de la soulte des industries électriques et gazières d’un montant de 8,2 milliards. Le Gouvernement a eu aussi recours à des artifices aussi grossiers que le versement de trois milliards d’euros de la CADES au budget général, alors que cette recette est la contrepartie d’une dépense qui n’a jamais été faite sur ce même budget.

La modification du système d’acomptes de l’impôt sur les sociétés a également « joué un rôle important dans l’ajustement des recettes », selon la Cour des comptes. La Cour évalue ainsi le déficit public, hors soulte et réforme du système d’acomptes de l’IS, à 3,5 %, et non 2,9 % du PIB.

Plus grave, le Gouvernement a choisi de recourir aux pratiques opaques, à l’insincérité budgétaire, aux artifices comptables, à tous les expédients pour boucler péniblement ce budget. Il nous démontre ainsi que quelques tours de passe-passe suffisent pour faire dire ce que l’on veut aux chiffres. Il n’hésite pas par exemple à exclure du budget des dépenses qui devraient légitimement s’y trouver, telles que la dette du Fonds de financement des prestations sociales agricoles, le FIPSA, résultant de l’insuffisance des subventions versées par l’État au BAPSA, qui aurait dû être incluse dans le solde budgétaire à hauteur de 2,5 milliards d’euros. Ou bien il minore artificiellement des dépenses au détriment des organismes de sécurité sociale : c’est près de 1,3 milliard d’engagements que l’État n’a pas honorés en 2005.

L’exécution budgétaire a été marquée par des pratiques de régulation peu respectueuses de l’autorisation parlementaire. On nous a annoncé, dès l’examen de la loi de finances des « mises en réserve » – en réalité des gels de crédits – destinées à faire face à des imprévus, qui se sont régulièrement soldées par des annulations, celles-ci atteignant un montant de 4,2 milliards sur l’année, sans compter les redéploiements de crédits. Je citerai quelques exemples assez probants : pour le budget de la ville, déjà évoqué par Didier Migaud, les annulations ont porté sur 20 % des crédits initiaux, au mépris des crédits votés, qui eux, sont en hausse. Or c’est précisément dans ce domaine que les problèmes sont les plus graves ! Mais vous préférez agir à l’inverse des attentes du pays.

Concernant le ministère de l’équipement, certains gels ont porté sur 25 % de la dotation des crédits déconcentrés, ce qui a entraîné, d’après la Cour des comptes, une « dégradation des conditions de renouvellement de certains matériels et de maintenance des bâtiments, au moment où les services sont engagés dans une réorganisation et où une partie des locaux doit être cédée prochainement aux collectivités locales ». Cela signifie que vous avez fait des économies au détriment des collectivités locales, auxquelles ces bâtiments doivent revenir.

On en arrive à une situation ubuesque, où le gel des crédits entraîne des retards de paiement, et donc des intérêts moratoires : pour le seul ministère de la défense, ceux-ci se sont élevés en 2005 à 33,5 millions d’euros. Afficher une norme de dépenses intenable à partir de prévisions de croissance fantaisistes finit par coûter cher à la collectivité et aux contribuables.

Je voudrais particulièrement attirer votre attention sur la remarque suivante de la Cour des comptes, dont vous devriez vous inspirer quelque peu : « l’opportunité de baisser les impôts devrait être appréciée par exemple à l’aune des niveaux d’endettement ». Vous persistez pourtant dans cette politique, puisque vous avez voté dès 2006 une baisse des impôts pour 2007. Il est rare d’ailleurs qu’une collectivité prenne une décision pour l’année suivante : je ne crois pas, monsieur le ministre, que vous agissiez ainsi dans votre commune.

Si vous persistez dans cette voie, c’est que vous avez décidé de faire supporter aux autres, aux collectivités locales principalement, les efforts nécessaires pour corriger vos erreurs. Il y a en effet beaucoup d’hypocrisie à proposer aux collectivités locales un pacte pour sceller des engagements réciproques en fin de législature. Je vous ai entendu vous en féliciter, monsieur le rapporteur général : mais une attitude responsable aurait été de le proposer au début de la législature, avant la décentralisation, avant le plafonnement des impôts et le bouclier fiscal.

Ce pacte n’est en réalité qu’un prétexte, et les engagements n’ont rien de réciproque, puisque vous ne les tenez pas. Il a pour seul objectif de mettre les collectivités locales à contribution, alors qu’elles ont déjà subi des réductions de crédits au titre de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, du Fonds national de développement des adductions d’eau, le FNDEA, ainsi que les effets des transferts de compétences non compensés ou du plafonnement de leurs recettes. Voilà maintenant que le Gouvernement voudrait, sous prétexte de ce pacte, encadrer leurs dépenses et réduire les dotations de l’État, alors que celles-ci ne sont que la compensation promise de prélèvements opérés dans le passé sur leurs recettes.

À quoi bon un pacte de plus, alors que l’État ne respecte pas les engagements qu’il a déjà pris dans le cadre des contrats de plan Etat-régions ? Après nous, la Cour des comptes dénonce à son tour le lamentable taux de réalisation par l’État de sa part des contrats. L’année 2005 n’a pas permis de combler le retard pris dans la réalisation de ces contrats de plan, et le taux d’exécution des crédits ne dépasse pas 67 %. Le grand perdant est une fois de plus le volet « équipement, transports, logement », avec 58,5 % seulement de taux d’exécution. Le grand perdant est surtout notre pays, particulièrement ses zones rurales excentrées, dont l’équipement est sacrifié.

Comment pouvez-vous parler d’amélioration de l’attractivité de notre territoire avec de tels retards sur les équipements structurants ?

Un pacte de plus, comme si le dépassement régulier des 3 % de déficit public était du fait des collectivités locales – dont le ministre compétent a observé ce matin qu’elles n’étaient responsables que de 0,1 % de ce déficit – et comme si l’endettement des collectivités locales n’était pas maîtrisé et réservé à l’investissement et à l’équipement du pays. Alors que l’État procède à une destruction de valeur du patrimoine national, selon l’expression de l’INSEE, les collectivités locales en accroissent la valeur par leurs investissements.

Cependant, le poids des transferts non compensés plombe les comptes des collectivités territoriales, et particulièrement des régions et départements. La compensation à l’euro près, pourtant inscrite dans la Constitution, n’est plus qu’un mythe. D’après les estimations de l’Assemblée des départements de France, l’État doit, pour le seul RMI, 850 millions d’euros qui n’ont pas été reversés aux départements.

Or la montée de la pauvreté, la réforme des filières d’indemnisation de l’assurance chômage et l’insuffisance des recettes de la TIPP sont des réalités qu’aucun artifice ne peut masquer. Le Gouvernement décide qu’il faut faire des contrats d’avenir dans l’enseignement élémentaire – 40 000 ? 50 000 comme il me semble l’avoir entendu annoncer ? Toujours est-il que ce sont les départements qui payent, et chacun de ces contrats a un surcoût non compensé.

La question que j’ai posée voici quelques jours en commission des finances, puis à la direction générale des collectivités locales, n’a toujours pas obtenu de réponse : pour les nombreux contrats d’avenir que nous établissons et dont l’initiative revient, par obligation, aux départements, les RMIstes sont-ils toujours comptabilisés comme tels ou disparaissent-ils des statistiques ? Il y a là un phénomène mystérieux : on nous dit que le nombre de RMIstes diminue, alors que nous voyons augmenter les comptes du RMI. Je souhaiterais que vous répondiez, monsieur le ministre, à cette question que j’ai déjà posée deux fois.

Les collectivités seraient, à en croire le Gouvernement, de mauvaises élèves, alors qu’elles ne s’endettent que pour investir et soutiennent ainsi la croissance du pays, et que la maîtrise de leur endettement et de leur solde budgétaire est saluée par tous – à l’exception du Gouvernement.

À la lecture de la loi de règlement et de l’analyse critique qu’en a faite la Cour des comptes, on ne peut qu’être consterné par la mauvaise foi dont vous faites preuve : la situation économique, la perte de marges de manœuvre en matière de finances publiques et l’endettement croissant appellent des solutions vigoureuses que vous n’êtes pas prêts à envisager – au contraire, votre préoccupation essentielle paraît être de vous défausser sur les collectivités locales et de les mettre à contribution. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion du projet de loi portant règlement définitif du budget de 2005 est un moment privilégié pour vérifier a posteriori si les résultats de la gestion du budget de l’État sont conformes aux objectifs affichés lors de la discussion du projet de loi de finances.

Or, non seulement le Gouvernement s’est montré trop optimiste dans ses prévisions économiques de cadrage, mais il n’a géré avec assez de rigueur ni les dépenses, ni les recettes de l’État, ce qui se traduit par le maintien du déficit du budget de l’État à un niveau très élevé.

Tout d’abord, le Gouvernement a surestimé de moitié la croissance en volume de la richesse nationale et sous-estimé la perte de compétitivité de notre pays. Deux chiffres l’illustrent : le groupe UDF avait souligné que la prévision de croissance de 2,5 % retenue par le Gouvernement pour 2005 n’était pas raisonnable et qu’il valait mieux s’en tenir à l’estimation, bien inférieure, qui faisait l’objet d’un consensus ; de fait, la croissance est, à la fin de 2005, de 1,2 %, alors que les prix se sont révélés à peu près conformes à la prévision.

Il est facile de mesurer la perte de compétitivité de la France : le rythme de ses importations est à peu près le double de celui des exportations – soit, pour les importations, 6,1 % en 2005 contre 6,4 % en 2004 et, pour les exportations, une progression de 3,1 % en 2005 contre 3,9 % en 2004.

La consommation des ménages a tenu, quant à elle, grâce à une ponction sur le taux d’épargne, mais ce mécanisme a une limite.

Deuxième constat : du fait d’un concept inadapté de mesure de la dépense de l’État, la croissance de la dépense globale de l’État est plus que deux fois et demie plus rapide que celle qu’affiche le Gouvernement. Selon celui-ci, à structure constante, la dépense nette du budget général est passée de 283,6 milliards d’euros en 2004 à 288,8 milliards en 2005, soit une hausse de 1,8 %. Hélas, mes chers collègues, cela est totalement contraire à la vérité.

Pour ce qui est, tout d’abord, de la dépense fiscale, il est certes vrai que transformer toutes les dépenses de l’État en dépenses fiscales permettrait d’afficher une baisse de la dépense ! Or les dépenses fiscales sont passées de 381 mesures en 2004 à 420 en 2005, et leur coût de 51,6 à 54,8 milliards d’euros.

En deuxième lieu, les fonds de concours sont passés de 4,8 à 5,8 milliards de 2004 à 2005, et une partie de cette forte hausse, d’un milliard d’euros, est due à la création de cette usine compliquée qu’est l’AFITT – ainsi, on vend des actifs publics pour doter l’AFITT, qui finance les dépenses de l’État par des rétablissements de fonds de concours. Quelle inventivité budgétaire ! – et pas dans le sens de la réduction, malgré les apparences.

En troisième lieu, les remboursements et dégrèvements sur les impôts locaux sont passés de 9,4 milliards d’euros en 2004 à 11,1 milliards en 2005. Transformez donc, pendant que vous y êtes, la DGF en dégrèvement, et vous obtiendrez une contraction de la dépense de l’État !

Il en est de même pour la prime pour l’emploi, pour la partie afférente à nos concitoyens non imposables : 1,9 milliard en 2004 contre 2,4 milliards en 2005.

En quatrième lieu, les prélèvements au bénéfice des collectivités locales de l’Union européenne, qui sont de vraies dépenses malgré le fait qu’elles soient considérées comme des prélèvements, ont augmenté de 6,7 %, passant de 61,2 à 65,3 milliards.

Quant aux opérations à caractère définitif et de gestion du patrimoine de l’État effectuées à partir des comptes spéciaux du Trésor, elles doublent quasiment, passant de 6,4 milliards d’euros en 2004 à 11,1 milliards en 2005. Ces dépenses sont en grande partie pérennes : il s’agit de dotations à des établissements publics créés ad hoc – comme l’AFITT, pour 4,1 milliards d’euros, l’Agence nationale pour la recherche, ou ANR, pour 1,3 milliard, l’Agence pour l’innovation industrielle, pour 1,7 milliard –, ou à des entreprises déficitaires ou en difficulté, comme la SNCM, Charbonnages de France, la DCN, l’Imprimerie nationale ou GIAT Industries

Si l’on additionne aux dépenses nettes du budget général, à structures constantes – ce qui est le concept retenu par le Gouvernement – ces cinq catégories de dépenses, on parvient à un total de 417 milliards d’euros en 2004, et de 436,9 milliards en 2005. La hausse est donc de 19,9 milliards, soit de 4,8 %, ce qui représente 2,7 fois plus que le taux affiché par le Gouvernement. Même si l’on ne tient pas compte des dépenses fiscales, la hausse est encore de 4,6 %.

En comptabilité nationale, les chiffres avancés par le Gouvernement sont tout à fait démentis. Les résultats, qui viennent de sortir, sont les suivants : 388,1 milliards d’euros en 2005 pour le budget État, soit une hausse de 3 % par rapport à 2004. Si on ajoute les organismes divers d’administration centrale, ou ODAC, qui sont un faux nez de l’État, l’augmentation est de 3,4 %, soit un point de plus que la croissance de la richesse nationale, pour une augmentation du PIB en valeur de 2,7 % en 2005.

Trois autres facteurs aggravent sensiblement les résultats ci-dessus.

Tout d’abord, la charte de budgétisation n’a pas été respectée, ce qui représente une augmentation de 1,3 milliard d’euros. Le rapporteur général du budget partage d’ailleurs l’analyse de la Cour des comptes pour 440 millions d’euros de remplacements des exonérations de la redevance audiovisuelle par des dégrèvements. J’irai plus loin : la Cour des comptes a également raison pour ce qui concerne la suppression de la dotation de l’État versée aux organismes d’assurance maladie en contrepartie d’une affectation de taxes au titre de la convention maladie universelle complémentaire, qui représente 370 millions d’euros, ainsi que pour la suppression des dotations budgétaires versée aux régions pour le financement de l’apprentissage en contrepartie d’une majoration de la taxe d’apprentissage. Ces dispositions dissimulent bien de fausses économies et de vraies dépenses.

En deuxième lieu, deux comptabilisations de dépenses importantes sont regrettables ou contestables.

Tout d’abord, les traditionnelles annulations de créances sur les États étrangers devraient plutôt être comptabilisées en dépenses budgétaires – qui représentent près de 600 millions d’euros dans la loi de règlement.

Ensuite et surtout, le cas d’insincérité le plus grave soulevé par la Cour des comptes est la non-comptabilisation en dépenses de la reprise de 2,5 milliards d’euros de dette du FIFSA, héritier du BAPSA, et de ses 3,2 milliards de dettes au 1er janvier 2005, portés à 5 milliards à fin 2005 du fait d’un déficit de l’ordre de 1,8 milliard d’euros en 2005. Le BAPSA faisant partie du budget de l’État, cette opération, transformant une opération budgétaire en opération de trésorerie, est manifestement une dissimulation de dépenses. Il convient de rappeler que fin 2004, l’État a transféré au FIFSA le déficit cumulé du BAPSA, qui atteignait 3,2 milliards d’euros, soulageant d’autant le déficit 2004 et que fin 2005 il a repris la moitié du déficit cumulé, qui atteignait 5 milliards d’euros. Il reste donc au Gouvernement à expliquer ce qu’il entend faire des 4,2 milliards résiduels du FIFSA à fin 2006. Je suis prêt à parier que, lors de la loi de règlement du budget de 2006, on nous proposera la même procédure. J’ai déposé un amendement sur ce sujet et il conviendrait que le Gouvernement s’explique sur le fond et sur les moyens de redresser le FIFSA.

En troisième lieu, il faut évoquer l’accumulation des impayés. Je rappelle que les dettes de l’État envers la sécurité sociale ont augmenté de 1,4 milliard d’euros en 2005, pour atteindre 4,4 milliards, mais que celles du ministère de la défense connaissent une légère réduction, puisqu’elles s’élèvent à 2,1 milliards à la fin de 2005, contre 3 milliards à la fin de 2004.

On pourrait citer d’autres impayés, comme ceux qui correspondent à la sauvegarde du patrimoine, pour un montant de l’ordre de 0,3 milliard d’euros, selon les services du ministère.

On voit quels efforts considérables de redressement du budget de l’État doivent encore être réalisés si l’on veut revenir à une véritable croissance nulle en volume, voire à une croissance nulle en valeur, qui devrait être la règle pour redresser les finances de l’État.

Les recettes, quant à elles, s’accroissent beaucoup plus vite que la richesse nationale, avec, comme à l’ordinaire, quelques recettes exceptionnelles. Globalement, toutefois, les recettes brutes, fiscales et non fiscales, c’est-à-dire incluant les dégrèvements sur les impôts locaux, les fonds de concours, la part de la prime pour l’emploi relative aux citoyens non imposables, mais hors dépenses fiscales, atteint 5,5 %, soit le double du taux de croissance de la richesse nationale.

Enfin, le solde du budget de l’État ne se réduit pratiquement pas. Le déficit, de 43,5 milliards d’euros en 2005, reste pratiquement identique à celui de 2004, qui était de 43,9 milliards. En termes de comptabilité nationale, les comptes de l’INSEE font apparaître un déficit de 51,8 milliards d’euros de déficit du budget de l’État en 2005, soit un milliard d’euros de moins qu’en 2004, mais si on y ajoute le solde positif des ODAC, le déficit passe de 42,8 milliards en 2004 à 44,4 milliards en 2005.

Comme le montre d’ailleurs le rapport du rapporteur général, le surplus spontané des recettes atteint 11,9 milliards en 2005 et a été consacré pour 82 % à des dépenses nouvelles, pour 15 % à des dépenses fiscales nouvelles et pour 3 % à réduire le déficit !

Enfin, en termes de sincérité budgétaire, on peut constater qu’aucun commissaire aux comptes n’accepterait de certifier de tels comptes.

Pour conclure sur la position du groupe UDF, je rappelle que notre groupe n’a pas voté le projet de loi de finances pour 2005. J’ai par ailleurs démontré que si cette loi de règlement était régulière au sens du respect des règles budgétaires existantes, elle n’était pas sincère, même si ce concept ne doit s’appliquer, du fait de la nouvelle loi organique, que l’année prochaine. Enfin, la saisine du Conseil constitutionnel sur la sincérité des comptes n’aura de réelle portée que l’année prochaine, ce qui retire beaucoup de signification à notre vote de cette année.

En conclusion, parce que le Gouvernement a surestimé la croissance et sous-estimé la perte de compétitivité de l’économie française, parce qu’il tend à dissimuler la hausse des dépenses publiques, qui progresse 2,5 fois plus vite qu’il ne le prétend, parce que les recettes fiscales et, plus encore, non fiscales croissent beaucoup plus vite que la richesse nationale, parce que la réduction du déficit du budget de l’État ne constitue pas une priorité gouvernementale, le groupe UDF ne participera pas au vote.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre. Madame la présidente, monsieur le ministre, me chers collègues, ce projet de loi est révélateur de l’échec de la politique économique et budgétaire du Gouvernement, au regard tant de ses propres critères d’évaluation que de la situation de notre pays.

Le projet de loi fait ainsi tout d’abord apparaître une aggravation du déficit du budget, qui s’est élevée à 43,5 milliards d’euros, soit un montant supérieur aux déficits des années 1997 à 200l, et un accroissement de la dette financière de l’État, qui s’est accrue de 43,3 milliards d’euros. Pour atteindre ce piteux résultat vous avez néanmoins usé de nombreux artifices – acompte exceptionnel de 2,3 milliards d’euros, ponctionné sur les entreprises, et revenus exceptionnels provenant des privatisations – évoqués par M. Sandrier.

Cette année encore, vous bradez les entreprises publiques pour masquer, au moins partiellement, l’échec de votre politique de recettes fiscales.

Votre budget est dans le rouge, car vous refusez de vous attaquer énergiquement aux délocalisations massives qui détruisent nos emplois et notre tissu économique. Nous avons fait des propositions réalistes en ce sens, mais il est vrai qu’elles ne répondent pas au dogme ultra-libéral qui guide vos choix.

Le ralentissement conjoncturel de la croissance a eu pour effet un accroissement des recettes fiscales plus faible qu’en 2004. La hausse des recettes fiscales est due pour une grande part à la croissance de la TVA, pour 5,6 milliards d’euros, à celle, moindre, de l’impôt sur le revenu, pour 2,5 milliards, et à celle, plus faible encore, de l’impôt sur les sociétés, pour 1,9 milliard. La TIPP, en particulier, a vu son produit chuter d’un milliard d’euros.

Sur le volet des dépenses, un premier constat s’impose : la réduction drastique des dépenses de personnel – 44 % des départs à la retraite n’ont pas été remplacés. Ce sont plus de 15 000 postes que le Premier ministre va supprimer.

Qu’auriez-vous dit si une entreprise annonçait un tel plan social ? Sans doute auriez-vous hypocritement dénoncé un tel comportement et appelé le patron voyou à plus de mesure. Qu’en est-il alors quand le Gouvernement annonce un tel dégraissage sans avoir informé ni les fonctionnaires, ni leurs syndicats, ni le Parlement ?

D’autre part, vous venez nous expliquer que les suppressions de postes, en particulier dans l’éducation nationale – au moins 8 700 postes – se justifient au regard de critères démographiques : la population scolaire diminuant, il serait naturel de réduire les postes d’enseignant. C’est faire peu de cas des difficultés que rencontre déjà notre système éducatif. Que signifie le fait de supprimer autant de postes dans l’éducation nationale, quand les événements qui se sont déroulés dans nos banlieues à l’automne dernier devraient nous inciter à nous saisir des évolutions démographiques pour parfaire l’encadrement éducatif ? Que signifie amputer l’éducation nationale de sa substance, lorsque l’on sait que les défis que la France devra à l’avenir relever reposent sur le savoir, sur le niveau de connaissance acquis par l’ensemble de la population ? Vous saignez l’un des ministères chargés de préparer l’avenir de la France, car les élèves d’aujourd’hui c’est, demain, la puissance et l’adaptabilité de notre économie.

Cet exemple illustre le caractère étroitement comptable de votre approche des enjeux économiques et sociaux. Il atteste en outre une certaine mauvaise foi : comment faire croire que l’État dépense trop dans un contexte où tant de besoins demeurent insatisfaits et quand l’enjeu est à l’évidence aussi celui d’une meilleure gestion des recettes ? Vous consentez près de 4 milliards d’euros – 27 milliards de francs – de cadeaux fiscaux démesurés aux ménages les plus aisés, aux détenteurs de gros patrimoines, le tout à fond perdu ; et on vient nous expliquer ensuite qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses et qu’il faut faire des économies. Ce raisonnement, je le qualifie d’hypocrite. Pourquoi se soucier aussi peu de maîtriser les recettes ?

Les dépenses doivent être maîtrisées grâce notamment à l’évaluation de leur efficacité économique et sociale. Or pas un mot non plus sur la maîtrise des dépenses européennes, qui ont cru de plus de 16 %. Et quel bénéfice notre pays en a-t-il tiré ? Que fait l’Europe de plus, de mieux grâce à cette hausse considérable ? Qui évalue réellement la pertinence et l’efficacité de cette dépense ? Pour l’instant nous voyons une hausse de 16 % d’impôts sans aucun retour. De même, je le rappelle encore, vous n’avez de cesse de multiplier les cadeaux et niches fiscales pour le plus grand profit d’une caste.

Le même raisonnement vaut pour la question de la dette que Jean-Claude Sandrier a évoqué ou pour celle de la réforme de la fiscalité dérogatoire, réforme sur laquelle nous nous interrogeons – comment ne pas s’interroger ? Vous vous dites attaché à simplifier l’impôt, et vous n’avez pour l’heure proposé aucun dispositif visant à résorber le manque à gagner de quelque 70 milliards d’euros que représente l’existence des niches fiscales. Un chiffre qu’il convient de mettre en parallèle avec les quelque 50 milliards d’euros de recettes engrangées au titre de l’impôt sur le revenu. Les dégrèvements représentent donc plus d’une fois et demi l’impôt sur le revenu.

Vous faites la promotion d’une fiscalité dite « efficace », faisant passer au second plan les effets régulateurs de l’impôt. Mais vous oubliez, ou vous feignez d’oublier, que la fiscalité n’est pas un objectif en soi, que c’est un outil au service d’une politique, d’un projet ; vous oubliez que l’efficacité de la fiscalité ne peut se mesurer qu’au regard des inégalités sociales qu’elle permet de résorber et du dynamisme économique qu’elle favorise. Or sur ces deux critères vous êtes contraint d’avouer votre échec : la croissance est faible, inférieure à l’inflation ; les inégalités sociales sont criantes, croissantes !

La première leçon que nous pouvons tirer des mauvais résultats de 2005 en termes de déficit et de dette publics, c’est que la logique d’austérité que vous avez menée contre les plus pauvres, contre l’emploi, contre le service public n’a pas porté ses fruits puisque la dette s’accroît, que l’économie stagne et que le pouvoir d’achat des Français est en baisse.

L’accent doit au contraire être mis sur des dépenses socialement efficaces et suffisamment créatrices de richesses pour permettre de relancer la croissance, de favoriser la consommation et, ensuite, l’emploi.

La croissance pour 2005, pour insuffisante qu’elle reste, aura finalement été moins mauvaise que l’on pouvait le craindre. Mais il faut garder à l’esprit que cette croissance est, d’une part, inférieure à l’inflation, et, d’autre part, fondée presque exclusivement sur la consommation des ménages. C’est la demande intérieure qui tire la croissance, mais au prix d’une réduction de l’épargne et d’un surendettement inquiétant – tous les orateurs qui se sont succédé ici l’ont remarqué. Tout ce qui altère et affaiblit cette consommation risque d’être catastrophique pour notre économie. Cela ne vous a pas empêché, par respect d’une idéologie étroite, de concentrer vos énergies pour précariser les emplois. C’est une absurdité sociale qui vous fut rappelée par les grandes manifestations anti-CPE et CNE ; mais c’est aussi une absurdité économique : en précarisant les emplois vous plongez les Français dans l’insécurité sociale, et celle-ci se traduit immédiatement par une restriction de la consommation. Votre politique antisociale tue la croissance, et vous ne pouvez même pas compter sur vos amis grands patrons car ils préfèrent toujours investir à l’étranger ; votre prétendu patriotisme économique les laisse de marbre.

La seule mesure de votre gouvernement en faveur de la consommation fut de pousser les Français qui avaient une épargne à la dépenser et d’inciter ceux qui n’en avaient pas à s’endetter. En conséquence, le taux d’épargne des ménages français a diminué, le nombre de ménages plongés dans le surendettement a explosé ! Et les ménages, demain, vont donc subir le contrecoup de cette politique à courte vue.

Les entreprises sont, elles aussi, en situation difficile : dans le secteur industriel, la croissance des activités manufacturières est inférieure à 1 %. Celles du CAC 40 se portent bien, mais les PME luttent courageusement pour survivre dans un contexte difficile. Le ralentissement économique et la flambée des prix du pétrole ont provoqué une augmentation de 3 % des défaillances d’entreprises et une perte de 100 000 emplois dans l’industrie en un an, non compensés par le secteur tertiaire.

Enfin, les emplois créés en 2005 – est-il besoin de vous le rappeler ? –, sont d’une grande précarité : 52 % ont une durée inférieure à six mois, plus de 50 000 sont des CNE, c’est-à-dire qu’ils sont résiliables pendant deux ans sans motif.

Une croissance qui stagne, des Français qui se voient donc de plus en plus condamnés à venir grossir les rangs des travailleurs pauvres : quel bilan ! Les faits continueront, malgré votre optimisme de façade, de vous opposer avec insistance leur réalité : le chômage est toujours là, l’emploi précaire progresse, les inégalités sociales se creusent, nos PME sont dans la difficulté. Seuls triomphent les profits de la rente – rentiers, personnes morales et physiques –, à qui profite la pénétration toujours plus croissante des logiques libérales dans les moindres interstices de notre économie.

Pour toutes ces raisons, nous ne pourrons voter votre projet de budget définitif. Mais vous n’en doutiez pas, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. En effet !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, la loi de règlement du budget 2005 est la dernière qui est examinée selon les règles de l’ordonnance de 1959, par chapitres budgétaires. Par contre, elle marque déjà l’entrée dans la loi organique sur les lois de finances avec le dépôt, par la Cour des comptes, du rapport conjoint à ladite loi de règlement faisant état de l’exécution de l’exercice et des comptes associés. Dans cette année de transition, le Gouvernement a accepté, esquisse de ce que devra être le débat futur, de procéder en format LOLF à l’analyse des crédits exécutés en 2005 dans le périmètre de la mission « Ville et logement » et des programmes « Équipements des forces » et « Administration générale et territoriale de l’État ». Je veux vous en remercier, monsieur le ministre. Sans méconnaître la portée limitée de cet exercice, celui-ci permettra néanmoins pour la première fois d’approfondir la qualité de la gestion publique et de ne pas s’en tenir, comme les années précédentes, aux seuls aspects comptables de la loi de règlement.

Je tiens de ce point de vue à rappeler, en espérant être entendu au-delà de l’hémicycle, compte tenu du nombre de parlementaires présents,…

M. Jean-Claude Sandrier. Mais il y a la qualité ! (Sourires.)

M. Michel Bouvard. …que le budget est une intention alors que la loi de règlement constitue, elle, la réalité de la politique menée en matière budgétaire, raison pour laquelle elle mérite une attention soutenue, ce que ne permettait pas le débat précédent contenu dans la limite de deux heures.

De plus, intervenant immédiatement avant le débat d’orientation budgétaire, elle est de nature à éclaircir celui-ci à la fois sur le respect des équilibres et sur le respect des priorités fixées par chaque ministère au niveau des missions et des programmes.

Avant d’en venir aux chiffres de la loi de règlement, je souhaite, monsieur le ministre, comme la Cour des comptes l’a fait elle-même dans son rapport, évoquer les conditions de mise en œuvre de la loi organique qui a fait l’objet du quatrième rapport de la mission LOLF que j’ai l’honneur d’animer, avec mes collègues Didier Migaud, Charles de Courson et Jean-Pierre Brard. Nous avons fixé comme champ pour les travaux de ce rapport deux aspects de la réforme : le renouvellement attendu du débat parlementaire d’une part, et la mise en œuvre de la LOLF dans les services déconcentrés de l’État d’autre part. S’y est ajouté, au fur et à mesure de l’avancée de nos travaux, un troisième sujet, qui concerne la mise en œuvre des systèmes d’information, outils indispensables au pilotage de la réforme, aussi bien au niveau de l’engagement de la dépense qu’à celui de la gestion des ressources humaines ou à celui de la mesure de la performance, et cela tant au niveau national qu’au niveau local.

Notre mission a formulé comme à l’habitude des propositions dont je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous y apporterez la même attention qu’à l’accoutumée avec le souci d’écoute et d’ouverture qui est le vôtre comme l’a été celui de vos prédécesseurs pour la réussite de la réforme. Ces propositions ont été élaborées après de nombreux échanges menés aussi bien dans les auditions conduites avec les administrations centrales qu’au niveau des services déconcentrés de l’État lors de quatre déplacements en région.

Nos premières propositions concernent la présentation du projet de loi de finances, pour lequel, afin d’améliorer encore l’information du Parlement et d’assurer une plus grande transparence, nous souhaitons : la ventilation des crédits par programme au sein de chaque mission dans l’état B ; la présentation, dans les informations annexes, des échéanciers prévus de consommation de crédits de paiement correspondant aux autorisations d’engagement ; la ventilation des plafonds d’autorisation d’emplois par mission et programme pour l’année passée, l’année en cours et l’année à venir ; la mise en place d’une nouvelle annexe reprenant mission par mission et programme par programme la liste des opérateurs de l’État, les dotations ou les recettes affectées dont ils bénéficient et l’ensemble des emplois rémunérés par eux.

J’ai déposé avec mes trois collègues de la MILOLF un amendement dans ce sens à la présente loi de règlement approuvé à l’unanimité de la commission et soutenu avec enthousiasme par le rapporteur général qui partage notre préoccupation par rapport à la multiplication des opérateurs – plus de 700 –, dont le volume des interventions, dans le cadre des politiques publiques, ne peut échapper au contrôle du Parlement comme au développement de la culture de la performance, opérateurs qui doivent aussi être pleinement intégrés dans les stratégies mises en œuvre au niveau des missions et des programmes. Cet amendement s’inscrit dans la continuité directe et constitue en quelque sorte la suite de la mise en œuvre des propositions que nous avons faites à l’occasion de la modification de la loi organique il y a un an, s’agissant par exemple de la place des opérateurs dans les plafonds d’autorisation d’emplois, sur lesquels le ministre Nicolas Sarkozy avait bien voulu nous répondre. Je voudrais à ce sujet prendre un seul exemple, pour ne pas être trop long : celui qui figure en page 271 du rapport de la Cour des comptes, où est évoqué le problème de la gestion des emplois chez des opérateurs dépendant du ministère de l’écologie. Il y est écrit qu’une grande confusion peut même être relevée au ministère de l’écologie, où l’on dénombre entre 1 557 et 1 624 équivalents temps plein travaillé pour les opérateurs du programme « Recherche dans le domaine des risques et des pollutions », entre 2 112 et 6 922 équivalents temps plein travaillé pour ceux de la mission « Écologie et développement durable », pour laquelle l’Assemblée nationale a dénombré 15 291 emplois rémunérés. La Cour ajoute que plusieurs ministères ne disposent que des données en équivalent temps plein et non en équivalent temps plein travaillé. Je pense qu’il y a là, s’agissant des opérateurs publics, une véritable nécessité d’approfondir nos connaissances.

Nous souhaitons également différentes améliorations s’agissant des projets annuels de performance.

Tout d’abord, la stratégie de chaque mission doit être articulée en priorités claires et hiérarchisées : nous souhaitons ainsi que le PAP récapitule les échéanciers prévisionnels des crédits de paiement correspondant aux autorisations d’engagement. Et pour vous faciliter le travail, monsieur le ministre, nous avons imaginé que les PAP pourraient comporter six parties : une présentation des crédits et des dépenses fiscales associées, une présentation de l’objet, de la stratégie et des actions du programme, la justification au premier euro, la présentation des opérateurs s’il y en a, les objectifs et indicateurs de performance et, enfin, l’analyse des coûts.

Nous rappelons par ailleurs – et comptons en cela sur l’engagement du Gouvernement et sur votre force de conviction auprès de vos collègues, monsieur le ministre – qu’il faut une justification au premier euro précise, claire, complète et objective pour l’ensemble d’une même action, ainsi qu’une hiérarchisation des objectifs de performance autour de priorités claires, ce qui suppose qu’elles soient, bien évidemment, moins nombreuses : trop de priorités tuent les priorités !

De même, les indicateurs de performances doivent porter sur toutes les actions ou masses de crédit importantes et il convient d’en rééquilibrer le nombre entre les trois catégories au bénéfice de la qualité de service et de l’efficience de gestion. Au demeurant, ces indicateurs n’ont de sens que s’ils sont renseignés et dotés d’une valeur cible permettant d’établir des comparaisons, non seulement avec d’autres services de l’État, mais, le cas échéant, avec des services étrangers du même secteur. L’analyse des coûts doit aussi être renforcée grâce à la mise en œuvre d’une véritable comptabilité analytique.

Par ailleurs, les PAP doivent être l’occasion de présenter les opérateurs financés par le budget de l’État ou bénéficiant de recettes affectées, de préciser leurs activités, dépenses, emplois et crédits en associant, à chaque fois que c’est possible, des objectifs et des indicateurs de performances.

Au-delà du stock d’opérateurs existant, nous souhaitons que tout projet de loi prévoyant la création d’un nouvel opérateur fasse l’objet d’une étude d’impact quant aux effets budgétaires administratifs, économiques, sociaux et financiers. De même, l’intégration des opérateurs dans la logique des programmes suppose la systématisation des contrats d’objectifs et de moyens passés avec les responsables des programmes, afin que ceux-ci puissent exercer leur rôle de pilotage de la mise en œuvre de la politique dont ils ont la charge. Les administrations déconcentrées de l’État connaissent en effet des problèmes dans les relations qu’elles entretiennent avec les opérateurs qui accompagnent la mise en œuvre de politiques telles que celle de l’emploi. Nous l’avons constaté en nous rendant à quatre reprises sur le terrain.

La mission a également évoqué l’organisation de nos débats. Nous y reviendrons avec notre président et avec le ministre des relations avec le Parlement. Je me limite donc à rappeler, à l’approche de l’envoi des questionnaires budgétaires, la nécessité d’une coordination du travail entre rapporteurs spéciaux et rapporteurs pour avis, ainsi que, pour ce qui vous concerne, monsieur le ministre, l’obligation de délai pour les réponses.

Les déplacements en province nous ont d’abord permis de vérifier la mobilisation de l’administration déconcentrée et de l’administration centrale dans la mise en œuvre de la LOLF. Je tiens à rendre hommage à cette tâche au quotidien, qui a représenté, durant cette période transitoire, une surcharge de travail souvent amplifiée par la faiblesse des systèmes d’information, de même que par une certaine bureaucratisation des indicateurs dans un trop grand nombre de ministères – plusieurs d’entre eux en sont d’ailleurs conscients. À l’avenir, il serait souhaitable d’engager au plus tôt les dialogues de gestion entre responsables de programmes et de BOP, de mieux associer le niveau départemental à l’élaboration de ceux-ci, dès lors que le niveau régional est le niveau pertinent pour leur mise en œuvre. De ce point de vue, il convient de réaffirmer le rôle du préfet de région, et de conforter le nouveau rôle du contrôle financier dans sa tâche de conseil.

Il convient aussi d’apporter plus de souplesse dans cette gestion déconcentrée, qui doit disposer d’une matière suffisante pour bénéficier pleinement des possibilités ouvertes par la fongibilité asymétrique. Il faut donc limiter au minimum les BOP de fonctionnement au niveau central, déconcentrer l’ensemble des dépenses, y compris les dépenses de personnel, et réduire les fléchages de crédits trop répandus.

Il apparaît aussi souhaitable de mieux associer le personnel et ses représentants à la procédure d’élaboration des BOP, afin qu’ils apprécient les avancées permises par la LOLF : celle-ci, je le répète, n’est qu’un outil au service de la nouvelle gestion de l’État. Elle n’est donc porteuse d’aucune idéologie. Le contexte budgétaire dans lequel la LOLF est mise en œuvre ne doit pas faire oublier aux gouvernants, non plus qu’aux partenaires locaux, qu’il ne faut pas lui faire porter d’autres responsabilités que les siennes, même s’il est clair qu’ayant souvent permis de révéler des problèmes plus anciens – comme le décalage entre les autorisations de programme et les crédits de paiement nécessaires – elle en a parfois été jugée responsable. C’est un peu comme à l’époque de Pharaon, où l’on exécutait le porteur de mauvaises nouvelles ! (Sourires.)

J’achèverai ce propos un peu long, monsieur le ministre, en évoquant l’indispensable accélération à apporter à la mise en œuvre des systèmes d’information, à commencer par Chorus, mais aussi, comme l’a fait la Cour des comptes, en souhaitant que cette accélération s’accompagne d’une analyse des économies attendues et d’une meilleure maîtrise du coût de développement et d’implantation du système : 270 millions d’euros d’autorisations d’engagement ont en effet été prévus dans la loi de finances pour 2006.

Quelques mots, enfin, sur la loi de règlement de 2005 stricto sensu. Celle-ci nous permet de constater que, cette année-là encore, la dépense aura été contenue et l’autorisation parlementaire respectée, avec 288,5 milliards d’euros, au niveau d’une croissance zéro du volume de la dépense. Ce résultat est d’autant plus méritoire que la croissance aura été inférieure de moitié à la prévision – 1,2 % au lieu des 2,5 % prévus, la prudence de la prévision de recettes ayant toutefois permis que ces dernières soient au rendez-vous, avec un bonus de 500 millions d’euros, dont – cela mérite d’être rappelé – 270 millions d’euros supplémentaires par rapport à la prévision pour l’impôt sur la fortune.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Et 60 000 contribuables supplémentaires !

M. Michel Bouvard. Ces chiffres, qui méritent d’être rappelés, sont mentionnés par la Cour des comptes, et ils doivent mettre un terme à certains canards qui ont circulé lors du vote du budget, selon lesquels la majorité voulait faire disparaître le produit de l’impôt sur la fortune, ou l’amputer fortement.

M. Jacques Desallangre. Vous y avez pensé, mais vous n’avez pas osé !

M. Michel Bouvard. Pour autant, ces résultats doivent nous inciter à plus d’efforts, car si le déficit de l’État s’est réduit de 0,4 milliard d’euros, pour s’établir à 43,5 milliards, il est en partie utilisé pour financer des dépenses de fonctionnement, quand seulement 30 milliards d’euros sont consacrés à l’investissement.

Pour parvenir à ce résultat, une régulation plus forte qu’en 2004 a été nécessaire,…

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Absolument !

M. Michel Bouvard. …dont nous avons pu mesurer les effets en matière de gestion de la part des différents responsables que nous avons rencontrés, notamment à l’occasion de nos déplacements intervenus à la moitié de l’année de mise en œuvre de la LOLF.

De ce point de vue, les nouvelles règles mises en œuvre dans le cadre de la loi de finances pour 2006 constituent un incontestable progrès. Une partie des gels intervenus a été dégelée en cours d’exercice ; une autre partie a gagé le financement des décrets d’avances. Si un certain nombre de dépenses n’étaient pas prévisibles – ce dont nous donnons acte au Gouvernement –, ces décrets d’avances sont, pour certains, révélateurs de la sous-dotation persistante de certaines dépenses : il en est ainsi des OPEX – j’y reviendrai ce soir.

Ce budget est encore marqué par des rigidités en matière des dépenses de personnel, dont l’accroissement est moins lisible qu’en 2005 du fait des expérimentations consenties dans le cadre de la LOLF, qui représentaient 22 milliards d’euros, essentiellement en personnel. Il est également marqué par une faiblesse structurelle des dépenses d’investissements, faiblesse soulignée par la Cour des comptes, et qui nécessitera une véritable rupture. Cela passe par la réduction de la dépense de fonctionnement, de la dépense de personnel et par celle de la charge de la dette, qui, année après année, rognent inexorablement nos capacités d’équipement, et donc de préparation de l’avenir.

D’autres dépenses ont continué à s’accroître, qui imposent, mes chers collègues, courage et responsabilité collective de notre part : les allégements de charges en faveur des entreprises dont l’efficacité économique en matière d’emplois n’est pas démontrée ; les remboursements et dégrèvements d’impôts au bénéfice des collectivités locales. Je salue à ce sujet l’excellent tableau figurant page 74 du rapport de Gilles Carrez, où l’on voit la progression des dégrèvements d’impôts locaux acquittés par l’État : 24 % pour la taxe professionnelle ; 3,9 % pour la taxe d’habitation et 11% pour la taxe foncière.

M. Charles de Courson. C’est une dépense !

M. Michel Bouvard. De 9 432 millions d’euros en 2004, nous sommes ainsi passés en 2005 à 11 111 millions d’euros de remboursements et dégrèvement d’impôts locaux. Une telle progression est loin d’être négligeable.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, si cette loi de règlement montre bien les progrès accomplis, elle doit aussi nous inciter à aller plus loin dans des réformes de structures, qui seules peuvent permettre d’inverser les tendances observées depuis vingt ans, sous toutes les majorités, avec des amplitudes plus ou moins fortes en fonction de la conjoncture économique et quelques occasions manquées, comme celle d’un fort désendettement dans les années 1998-2001.

C’est sur cette voie de l’effort que nous devons nous engager, et c’est parce que j’ai la conviction qu’il s’agit de la seule voie possible que nous devons amplifier nos efforts et repousser les promesses irréalistes – et irréalisables – que la proximité des élections pourraient encourager. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Balligand.

M. Jean-Pierre Balligand. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le projet de loi de règlement du budget de 2005 dont nous débattons aujourd’hui, l’Assemblée nationale – et particulièrement sa commission des finances – ouvre un cycle de dates importantes pour elle. Ce projet de loi est en effet le dernier de ce type présenté par ce gouvernement et défendu – même si nous ne sommes plus sûrs de rien – par cette majorité au cours de la législature entamée en 2002. Le dernier débat d’orientation budgétaire de la mandature va d’ailleurs s’engager dans les prochains jours.

C’est donc, en quelque sorte, au Jugement dernier que le Gouvernement va devoir se prêter aujourd’hui devant les élus du peuple, en ce qui concerne sa conduite du budget de la France en 2005, lequel solde définitivement les comptes d’un budget préparé par Nicolas Sarkozy au nom de Jean-Pierre Raffarin, et assumé un temps par Hervé Gaymard.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Et moi, je fais quoi ?

M. Jean-Pierre Balligand. Cette caractéristique ne rend pas le Gouvernement actuel irresponsable face aux choix de son prédécesseur. Disons simplement qu’elle éclaire d’un jour particulier l’action de l’actuel ministre de l’intérieur et président de l’UMP, auquel on découvre une main malheureuse en matière budgétaire.

M. Michel Bouvard. Ah bon ?

M. Jean-Pierre Balligand. J’y viendrai.

Disons aussi qu’à l’insincérité d’hier – que j’avais dénoncée lors du vote de la loi de finances initiale – vient s’ajouter l’insincérité d’aujourd’hui.

L’insincérité d’hier, c’est d’abord et avant tout le taux de croissance du PIB, devenu dans tous les projets de loi de finances une variable politique d’ajustement de l’équilibre budgétaire,…

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Pierre Balligand. …et non pas l’anticipation d’une donnée exogène. En ce sens, il ne faut pas dire que Nicolas Sarkozy avait anticipé 2,5 % de croissance française en 2005, mais plutôt qu’il avait besoin de 2,5 % de croissance pour financer les baisses d’impôts qu’il avait programmées.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. En 2004, nous avions prévu 1,7 % de croissance et nous avons obtenu 2,4 % !

M. Jean-Pierre Balligand. Comme nous le craignions, le projet de loi de règlement entérine aujourd’hui le chiffre de 1,4 % de croissance du PIB en 2005 – l’INSEE et l’OCDE ayant même récemment ramené ce chiffre à 1,2 %. Le principe de la sincérité des prévisions économiques et budgétaires a donc été une fois de plus entaché d’irrespect, et ce dans la plus parfaite impunité.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Ce qui compte, c’est la sincérité des dépenses !

M. Jean-Pierre Balligand. « Maîtrise des dépenses » et « bonne tenue des recettes de l’État » seraient, à vous lire, les maîtres mots d’une diminution de 0,9 % du déficit budgétaire.

Malheureusement, il faut lire cette prose à la lumière de l’analyse qu’en ont faite les magistrats de la Cour des comptes dans leur rapport annuel sur les résultats et l’exécution budgétaire de l’État en mai 2006. Au-delà des critiques relatives à une mise en œuvre encore non totalement satisfaisante de la LOLF, ce document est accablant pour le Gouvernement. Je le cite : « la dette financière de l’État […] s’est accrue de 43,3 milliards d’euros, mais ce résultat a été exceptionnellement minoré par la hausse de l’encours de correspondants du Trésor – 5,1 milliards d’euros ». Je cite encore : « le partage entre opérations budgétaires et opérations de trésorerie ne répond pas à des règles suffisamment claires et a donné lieu en 2005 à certaines anomalies. »

M. Gilles Carrez, rapporteur général. C’est ce que disaient chaque année les rapports sous la précédente législature !

M. Jean-Pierre Balligand. Je vais y venir.

Ainsi, plusieurs opérations – la reprise par l’État d’une partie de la dette du fonds de financement de la protection sociale agricole, ou encore les versements effectués par la CADES –…

M. Gilles Carrez, rapporteur général. C’est le cas depuis 1996 !

M. Jean-Pierre Balligand. …ont été considérées à tort comme des opérations de trésorerie, alors qu’elles auraient dû être comptées comme des charges budgétaires, et peser sur le déficit de l’État. La différence s’élève tout de même à 5,5 milliards d’euros,…

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Pourquoi ne l’avez-vous pas dit entre 1997 et 2002 ?

M. Jean-Pierre Balligand. …et elle porte le déficit réel de l’année 2005 à 49 milliards d’euros.

Rapporté au déficit inscrit en loi de finances initiale, ce résultat aboutit à un niveau de dégradation record de 8,4 %, et non à une amélioration de 0,9 % ! Comme l’a reconnu Philippe Séguin : « Ce n’est pas irrégulier, mais on peut considérer que ça n’est pas sincère ». Quel euphémisme dans ce doux réquisitoire !

Sur le plan fiscal, il est clair également que la mise en œuvre précipitée, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2005, d’un nouvel acompte de l’impôt sur les sociétés, versé en décembre de la même année, a permis à l’État d’enregistrer par anticipation 2,3 milliards d’euros de rentrées fiscales. Comme le note avec beaucoup de tact la Cour, ces sommes ont « joué un rôle important dans l’ajustement des recettes et du solde budgétaire ».

Je devrais également mentionner la soulte de 8,4 milliards d’euros versée à l’occasion du rattachement au régime général des retraites des industries électriques et gazières : une amélioration directe mais artificielle du déficit public équivalant à 0,5 % de PIB ! Sans compter les quelque 10 milliards d’euros de recettes non fiscales liées aux cessions de titres, privatisations ou reprises de dettes d’entreprises publiques intervenues en 2005 : France Telecom – 1,8 milliard d’euros –, Gaz de France – 2,4 milliards d’euros –, la SNECMA – un milliard d’euros –, l’ERAP – 4 milliards d’euros –, Bull – 0,5 milliard d’euros. Voilà une manne précieuse pour l’État, mais qui signifie l’appauvrissement du patrimoine industriel public et qui n’aura nullement servi à abonder le fonds de réserve pour les retraites, qui appartient à tous les Français, et encore moins à réduire le montant préoccupant de la dette.

Au final, je pense que ce budget aura largement dépassé la simple insincérité : nous sommes, ou plutôt vous êtes à deux doigts de la manipulation budgétaire !

M. Jacques Desallangre. Accablant !

M. Jean-Pierre Balligand. Il n’y a pas d’autre manière d’expliquer la progression vertigineuse de la dette publique française depuis 2002, une dette qui s’établit pour 2005 à 1 138 milliards d’euros, soit 66,8 % du PIB.

Le comble, c’est que ce gouvernement s’est paré précisément de toutes les vertus pour diligenter une commission spéciale sur le niveau de la dette publique et s’est érigé en parangon de la bonne gestion publique face aux collectivités territoriales, convoquées début 2006 lors de la conférence nationale des finances publiques.

M. Jacques Desallangre. Oui, parlons-en !

M. Jean-Pierre Balligand. Il va de soi que le procès médiatique sur le niveau de la dette n’a été instruit qu’à des fins partisanes et démagogiques, de manière à préparer l’opinion publique aux annonces unilatérales de diminution du nombre de fonctionnaires et de contraction de la dépense publique. Pourtant, la cause en est votre politique de diminution des rentrées fiscales et de cadeaux aux ménages les plus aisés, amorcée dès 2002 et accentuée pour 2006 et 2007. Ces décisions lient aujourd’hui les mains du Gouvernement et de sa majorité pour la préparation du budget 2007 et elles préempteront également les marges de manœuvre de leurs successeurs.

Autre but visé : instruire à charge contre des collectivités locales prétendument responsables de la dérive des comptes publics, thèse chère à M. Méhaignerie.

M. Jacques Desallangre. Scandaleux !

M. Jean-Pierre Balligand. En vérité – et vous le savez bien – la situation financière des collectivités locales s’est améliorée en 2005, à l’opposé de toutes vos manœuvres de dénigrement systématique contre des présidents de régions et de départements majoritairement à gauche depuis 2004.

M. Jacques Desallangre. Ils ont du mérite !

M. Jean-Pierre Balligand. En effet, la progression de leurs dépenses d’investissement – 6,3 % – a été plus forte que celle de leurs dépenses totales – 5,2 % –, ces dernières ayant elles-mêmes progressé deux fois moins vite en 2005 qu’en 2004 ; la progression de leurs charges de fonctionnement a été divisée par 2,5 entre 2004 et 2005 ; enfin, le besoin de financement des administrations publiques locales, certes inconnu avant 2004, a été ramené en un an de 2,3 milliards d’euros à l,8 milliard d’euros en 2005. Et cela, alors que les prestations sociales en espèces ont progressé de 9,6 % en 2005 – de 7,4 % pour le seul RMI au niveau des départements – et compte tenu des charges transférées dans les conditions que l’on sait par l’acte II de la décentralisation !

Dans ces conditions, les propos tenus le 13 juin dernier par le Premier ministre devant une assemblée de représentants de PME apparaissent comme une véritable provocation. Je cite M. de Villepin : « Il ne sert à rien de diminuer les dépenses de l’État, si celles des collectivités locales dérapent parallèlement ».

Cette réflexion partisane…

M. Jacques Desallangre. Irresponsable !

M. Jean-Pierre Balligand. …vient s’ajouter à la remise en cause, l’an prochain, du contrat de croissance et de solidarité entre l’État et les collectivités, annoncée lors du comité des finances locales du 31 mai 2006. Elle participe d’une volonté aveugle de condamnation financière et de sanction politique.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Nous avons dit le contraire ce matin !

M. Jean-Pierre Balligand. La position adoptée par le Premier ministre est même proprement scandaleuse, lorsque l’on sait que les collectivités locales représentent aujourd’hui 69,4 % de l’investissement public dans notre pays et alors que l’État est responsable de 78,1 % de la dette publique totale !

M. Jacques Desallangre. C’est malhonnête !

M. Jean-Pierre Balligand. Le Gouvernement a donc beau jeu de se poser en redresseur de torts vis-à-vis des collectivités territoriales.

La Cour des comptes vient, d’ailleurs, une nouvelle fois au secours de notre argumentation, puisqu’elle estime que les administrations locales « sont aujourd’hui moins confrontées que l’État et les administrations de sécurité sociale à un problème de solde ou d’endettement ».

M. Michel Bouvard. Elle ne dit pas pour autant qu’il ne faut rien faire !

M. Jean-Pierre Balligand. Elle estime, d’autre part, que « les engagements de l’État dans le cadre des contrats de plan seront difficilement respectés ».

M. Jacques Desallangre. Ça, on s’en doutait !

M. Jean-Pierre Balligand. Le taux de réalisation des contrats de plan État-régions pour la période 2000-2006 s’élevait à 66,5 % fin 2005, bien loin des 86 % attendus.

Certes, au-delà de leurs recommandations, il n’appartient pas aux magistrats de la rue Cambon de sanctionner le pouvoir en place. Ce pouvoir appartient aux élus de la nation – puis au peuple tout entier, dans peu de temps – auxquels il revient de tirer les conclusions politiques d’un échec gouvernemental évident. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je répondrai brièvement aux orateurs car beaucoup de choses ont déjà été dites.

En ce qui concerne les observations relatives au rapport de la Cour des comptes, je rappelle qu’il existe des éléments de divergence. J’ai déjà eu l’occasion de répondre sur tout cela avec Thierry Breton.

Ainsi, en ce qui concerne la CADES, il n’y a rien de nouveau : ce prélèvement existe depuis 1996. Pour ce qui est de la reprise de la dette du FIPSA, on peut en discuter, mais il s’agissait d’une vraie décision de gestion que j’assume : elle consistait à absorber une part importante du stock de dettes. Cela ne résout pas totalement le problème, j’en ai d’ailleurs convenu au moment où nous en avons discuté, mais il fallait donner un signal fort sur la responsabilité qui est la nôtre en ce domaine, sachant qu’un groupe de travail doit nous permettre de dégager une solution pour l’automne prochain concernant l’avenir du fonds de financement des prestations sociales agricoles.

En ce qui concerne la norme de dépense, monsieur de Courson, vous êtes très critique, et je ne crois pas pouvoir vous convaincre, cet après-midi. Sur tous ces sujets, nous avons fixé des règles du jeu. Je trouve dommage que vous n’ayez à aucun moment reconnu que cet effort a tout de même permis de maîtriser la dépense à zéro volume.

M. Charles de Courson. Mais non !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je ne veux évidemment pas préjuger de ce que nous dirons, dans deux jours, à propos de l’avenir de la dépense publique.

Monsieur Desallangre, nous ne sommes vraiment d’accord sur rien du tout ! Vous avez tapé sur le grand capital avec un enthousiasme qui était – ne prenez pas cela en mauvaise part – d’un autre temps et d’un autre monde.

M. Jacques Desallangre. Comme c’est facile !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je n’ai pas eu le sentiment que vous ayez donné dans le difficile, à la tribune !

Monsieur Bouvard, je vous remercie pour le travail remarquable que vous avez accompli au sein de la MILOLF. Vous savez combien j’attache du prix à l’œuvre que vous accomplissez avec l’ensemble de vos collègues. Nous avons besoin de vous pour explorer cette mine de propositions qui permettront d’enrichir l’information du Parlement. Nous aurons l’occasion d’y revenir, notamment lors du débat d’orientation budgétaire.

Monsieur Balligand, je vais vous répondre, bien que vous n’ayez pas jugé utile de citer mon nom lorsque vous avez évoqué les différents ministres en charge du budget.

M. Jacques Desallangre. C’était pour vous épargner !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je vous informe que, depuis le début de l’après-midi, je suis présent, écoutant sagement. J’ai eu l’impression de jouer au passe-muraille ; cela m’a fait de la peine ! Au reste, vous seriez le premier à me considérer comme tel ! (Sourires.) Sachez que si vous recommenciez, je pourrais envisager de quitter l’hémicycle, au risque de bloquer la discussion et de donner une très mauvaise image du Parlement ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Balligand. Je ne vois vraiment pas à quoi vous faites allusion !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Sur le fond, nous n’avons pas de leçons à recevoir de vous. En effet, tel Louis de Funès dans La Folie des grandeurs, vous avez croulé sous l’argent à la fin des années quatre-vingt-dix : 70 milliards d’euros de recettes supplémentaires, la fameuse « cagnotte », mais vous n’en avez rien fait !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Si, des dépenses !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous auriez dû consacrer toutes ces sommes au désendettement, comme nous le faisons, nous !

M. Jean-Pierre Balligand. Faites donc plutôt de la croissance ! Dommage que vous ne sachiez pas !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous n’avez fait que dépenser sans compter et il a fallu, comme d’habitude, que nous tentions de rembourser. Nous y travaillons mais il faudrait bien que nous puissions continuer pendant le prochain quinquennat ; sans quoi, il faudra tout recommencer à zéro ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Rappels au règlement

M. Augustin Bonrepaux. Rappel au règlement !

Mme la présidente. La parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour un rappel au règlement.

M. Augustin Bonrepaux. Monsieur le ministre, pour la quatrième fois, je vous pose la même question qui ne réclame qu’une réponse simple : les RMIstes bénéficiant de contrats d’avenir figurent-ils toujours dans les statistiques du RMI, oui ou non ?

J’aimerais obtenir une réponse à cette question posée quatre fois !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Non ! Trois fois ! Mais je vous dois une réponse, monsieur Bonrepaux, et vous l’aurez jeudi prochain, promis, juré !

M. Augustin Bonrepaux. Pourquoi jeudi ?

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Il faut bien vérifier avant de vous répondre !

M. Augustin Bonrepaux. Je veux bien attendre jeudi ! Mais sachez que je serai là ! Je regretterais d’avoir à retarder les débats faute d’avoir obtenu une réponse ! Nous pourrions bien y passer la journée et la nuit ! (Sourires.)

M. Charles de Courson. Rappel au règlement !

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour un rappel au règlement.

M. Charles de Courson. Un rappel au règlement qui concerne le déroulement de la séance. En effet, si le ministre prend la parole après les orateurs, c’est bien pour leur répondre. Or, monsieur le ministre, je vous ai dit que le concept que vous utilisez de « dépenses nettes », qui affiche une hausse de 1,8 %, n’est absolument pas représentatif de la dépense. Il y a cinq autres catégories de dépenses qui n’y figurent pas. Si vous les additionniez, vous arriveriez au même résultat que moi.

Je suis d’autant plus étonné que, dans la réponse que vous avez faite à la Cour des comptes, en annexe au rapport de celle-ci, vous vous déclarez ouvert à une éventuelle intégration des dépenses fiscales dans le plafond. Ce serait la moindre des choses car, je vous l’ai dit, si vous transformez toutes les dépenses de l’État en dépenses fiscales, vous pourrez vous targuer d’avoir réduit de 4 % les dépenses de l’État, alors que, en réalité, vous les aurez augmentées !

Sur les fonds de concours, vous ne m’avez pas répondu : est-il sérieux de vendre des actifs qui appartiennent à l’État, de verser le produit à l’AFITT, puis d’en faire un fonds de concours pour financer les investissements routiers de l’État ?

Je vous ai posé des questions sur les cinq catégories de dépenses. J’aimerais avoir une réponse !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Le périmètre tel qu’il est défini là date de la charte de budgétisation, fixée en 2000. La loi de règlement n’a pas vocation à changer la règle du jeu. En revanche, comme je l’ai dit à la Cour des comptes, je ne suis pas hostile à l’envisager pour l’avenir. Mais cela n’a pas sa place dans le présent débat sur la loi de règlement, puisqu’il s’agit d’un travail ex post. Pour l’avenir, je le répète, je suis d’accord.

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission, déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. Didier Migaud.

M. Didier Migaud. Je ne défendrai pas cette motion de renvoi en commission. Pourtant, je pourrais reprendre certains des propos de M. le ministre pour dénoncer, à nouveau, le décalage qui existe entre les intentions affichées, la réalité de l’exécution budgétaire, l’optimisme béat du Gouvernement et de sa majorité, et la lucide et rigoureuse analyse de la Cour des comptes, qui rejoint nos propres observations sur la situation actuelle. Le décalage est manifeste aussi avec ce que nous vivons sur le terrain. Il est évident que le Gouvernement et une bonne partie de la majorité UMP ont de plus en plus de difficultés à comprendre la réalité de la situation tant du pays que de nos concitoyens : ils souffrent des conséquences de la politique désastreuse menée par ce gouvernement.

Et malheureusement, la réalité, c’est l’accentuation de la dégradation de nos finances publiques.

Je déplore aussi le formidable décalage entre certaines déclarations écrites du rapporteur général et ses observations orales, qui participent du même optimisme béat et de la même autosatisfaction exprimés par le Gouvernement.

Compte tenu de cet état d’esprit, il est vraisemblable qu’une nouvelle réunion de la commission des finances ne serait guère utile. Pourtant, la question très pertinente d’Augustin Bonrepaux pourrait à elle seule justifier le renvoi en commission, sans oublier une certaine « incapacité » du ministre à y répondre.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Je répondrai jeudi.

M. Didier Migaud. Nous avons bien compris que vous aviez besoin d’un peu de temps pour préparer cette présentation…

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Pédagogique.

M. Didier Migaud. Ce n’est pas le mot que j’utiliserai. Je parlerais plutôt d’un affichage supplémentaire…

Par ailleurs, je m’étonne que l’on puisse traiter avec aussi peu de considération le rapport, si lucide et rigoureux, de la Cour des comptes, et que l’on puisse « s’asseoir » avec une telle facilité, une telle désinvolture…

M. Jacques Desallangre. Une telle outrecuidance !

M. Didier Migaud. …sur certaines de ses observations. J’estime que cette attitude n’est pas à la hauteur de l’enjeu auquel notre pays est confronté.

Je ferai enfin une suggestion au président de la commission des finances. Nous souhaitons que ce projet de règlement – le ministre partage sans doute notre point de vue – soit un temps fort, quelle que soit la majorité, permettant d’apprécier la réalité d’une politique budgétaire. Nous avons là, manifestement, une marge de progrès…

M. Michel Bouvard. C’est incontestable.

M. Didier Migaud. …y compris au niveau du Parlement. Je suggère que nous travaillions davantage en commission élargie sur ce projet de loi de règlement, ne serait-ce que pour mieux impliquer nos collègues des autres commissions.

D’une certaine façon, j’ai présenté la motion de censure. Je souhaite donc, madame la présidente, que vous fassiez procéder immédiatement au vote, afin de décider le renvoi – ou non – du texte en commission. (« Ce serait une bonne idée ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

La désertion de nos collègues de l’UMP, alors même qu’il s’agit de leur propre bilan, ne fait que traduire une nouvelle fois l’absence de confiance, voire la défiance que leur inspire la politique conduite par ce gouvernement et par le Premier ministre. Afin d’en faire la démonstration, je vous demande, madame la présidente, de bien vouloir faire procéder au vote.

Mme la présidente. Monsieur Migaud, il s’agit d’une motion de renvoi en commission et non d’une motion de censure…

M. Didier Migaud. L’esprit est le même !

Mme la présidente. Monsieur le ministre, voulez-vous intervenir ?

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Oui, je vais intervenir (Rires), d’abord pour confirmer à M. Bonrepaux qu’il va bien me falloir quarante-huit heures pour trouver la réponse à sa question sur les contrats aidés Mais il l’aura et, comme d’habitude, il en aura pour son argent !

M. Jacques Desallangre. À l’euro près ! (Sourires.)

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Bien entendu, comme tout ce que je m’engage à faire…

M. Jean-Pierre Balligand. Et sans langue de bois !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. …et sans langue de bois, comme M. Bonrepaux en a eu la preuve tout à l’heure !

Je déplore, moi aussi, qu’il y ait peu de monde dans l’hémicycle. Mais c’est de tradition sur un tel sujet, et vous le savez, monsieur Migaud. D’ailleurs il y avait plus de députés tout à l’heure. Peut-être y a-t-il lieu de suspendre la séance quelques minutes. (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Ce n’est pas la peine, monsieur le ministre, nos collègues de la majorité arrivent !

M. Didier Migaud. Madame la présidente, je ne demande pas de vote, je retire la motion !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. M. Migaud, avec une certaine élégance, ne demande pas de vote, ce qui règle le problème. Je vois d’ailleurs les renforts arriver ! (Rires.) Je vais donc pouvoir rendre l’antenne !

Mme la présidente. M. Migaud ayant retiré sa motion de renvoi en commission, nous ne passons pas au vote.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, n° 3109, portant règlement définitif du budget de 2005 : discussion générale :

Rapport, n° 3155, de M. Gilles Carrez, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan ;

Avis, n° 3163, de M. Guy Teissier, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)