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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 27 juin 2006

254e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Décès d’un député

M. le président. Mes chers collègues, c’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris le décès de notre collègue Édouard Landrain, député de la cinquième circonscription de la Loire-Atlantique.

En hommage à notre collègue, j’invite l’Assemblée à observer une minute de silence. (Mmes et MM les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et observent une minute de silence.)

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe socialiste.

EADS

M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt, pour le groupe socialiste.

M. Gérard Bapt. Je voudrai d’abord, monsieur le président, exprimer, au nom du groupe socialiste, l’émotion que nous avons éprouvée à observer cette minute de silence à la mémoire d’Édouard Landrain, que nous regretterons tous sur ces bancs. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Monsieur le Premier ministre (« Il n’est pas là ! » sur les bancs du groupe socialiste), la situation que connaît le groupe EADS, fleuron de l’industrie aéronautique nationale et européenne, engagé dans le projet, d’une ampleur inégalée, de l’Airbus 380, inquiète au plus haut point l’opinion publique. Dans le contexte d’une concurrence féroce avec Boeing, les enjeux sont énormes sur le plan économique et sur celui de l’emploi. Nos concitoyens sont d’autant plus profondément choqués, tant par le comportement du groupe Lagardère et de son premier actionnaire, qui se désengagent en optimisant leurs intérêts financiers, au détriment notamment de la Caisse des dépôts, que par celui des dirigeants d’EADS qui, dans un contexte industriel déjà troublé par l’hypothèse de retards de livraison, ont vendu des paquets d’actions au moment où leur cours était au plus haut. L’Autorité des marchés financiers enquête sur ce point.

Dans la mesure où M. le Premier ministre s’était fortement impliqué dans la nomination de l’actuel coprésident français d’EADS, je souhaite savoir s’il conserve sa confiance aux actionnaires et au management français de l’entreprise.

La crise d’EADS est morale ; elle est aussi industrielle. La semaine dernière, M. Breton, votre ministre de l’économie, a déclaré ici même que des évolutions du pacte d’actionnaires et des structures managériales pourraient être envisagées en accord avec les partenaires allemands. M. Breton avait même indiqué présomptueusement que ces questions seraient tranchées dans les 72 heures : tel n’a pas été le cas.

C’est pourquoi je demande également à M. le Premier ministre quelle est la position précise du Gouvernement en la matière. Est-il opportun notamment, dans un contexte difficile pour le partenaire français, de remettre en question le subtil équilibre franco-allemand au sein d’EADS, au risque de mettre en péril son avenir industriel ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Jean Glavany. Le spécialiste des stock options.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je voudrais d’abord préciser, monsieur le député, que les propos que j’ai tenus ici même la semaine dernière ne sont pas tout à fait ceux que vous me prêtez.

Je répondrai cependant très précisément à votre question, notamment du point de vue industriel. Airbus et EADS sont effectivement une très grande réussite européenne, même s’ils traversent aujourd’hui, comme cela arrive parfois, des difficultés industrielles : celles-ci frappent notamment la réalisation de l’Airbus 380, dont je rappelle qu’il ne s’agit rien moins que du plus gros porteur au monde.

Je rappelle que l’État français est actionnaire à hauteur de cette entreprise à hauteur de 15 %, par le biais d’un pacte d’actionnaires négocié sous le gouvernement de M. Jospin. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ce pacte confie aux actionnaires industriels, Lagardère et le groupe Daimler, le soin des choix opérationnels, en réservant à l’État français la possibilité d’agréer ou non les propositions qui lui sont faites.

Je le dis très clairement : c’est dans ce contexte qu’à la demande du Premier ministre, que j’ai sans délai rencontré à de nombreuses reprises les deux actionnaires industriels. Au cours de ces entrevues, ceux-ci ont exposé la nature des problèmes et proposé des solutions. Celles-ci sont en cours de finalisation par ces mêmes actionnaires, conformément au pacte, et c’est eux qui les annonceront. Je peux d’ores et déjà vous rassurer de la façon la plus claire : Airbus et EADS ont un très bel avenir devant eux.

Quant aux problèmes de personnes que vous avez évoqués, je vous invite à la plus grande prudence : même si je comprends vos interrogations, je vous demande d’attendre les conclusions de l’enquête diligentée par l’AMF avant de tirer les vôtres. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

financement de la politique familiale

M. le président. La parole est à M. Yvan Lachaud, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Yvan Lachaud. Monsieur le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, le Gouvernement vient de prendre une décision qui risque de mettre en péril la politique familiale de notre pays. En effet la Caisse nationale d’allocations familiales a décidé de diminuer, à partir du 1er juillet 2006, de diminuer sa participation au financement par les communes des centres aérés, des crèches et des haltes-garderies. (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

En effet son taux de participation, qui jusqu’à présent, pouvait théoriquement varier de 50 à 70 %, et s’élevait en fait à 60, 70 % en moyenne, vient d’être ramené à 55 % : cela représente une perte moyenne de 1,3 million d’euros par département. Cette décision va pénaliser les communes qui ont consenti un gros effort d’investissement en faveur de la famille et de la petite enfance. (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Elle est d’autant plus injuste que l’État s’était engagé, par le biais de conventions signées entre les communes et les caisses d’allocations familiales, à pérenniser ses engagements.

Pour nous, députés de l’UDF, comme pour tous les parlementaires qui sont très attachés à la politique familiale, il est impensable que les familles fassent les frais de ce désengagement de l’État.

Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour préserver la politique familiale de notre pays ?

Plusieurs députés du groupe socialiste. Rien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Monsieur le député, le gouvernement de Dominique de Villepin a fait de la famille une de ses priorités. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Michel Delebarre. C’est faux !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Avec 807 000 naissances enregistrées l’année dernière, nous avons le taux de natalité le plus élevé d’Europe continentale. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Michel Delebarre. Ce n’est pas grâce à vous ! (Rires.)

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Or notre pays a également un des taux d’activité des femmes les plus élevés. Cela prouve que le travail des femmes, loin d’être l’ennemi de la natalité, y contribue au contraire : il vaut toujours mieux qu’un ménage puisse disposer de deux salaires pour élever des enfants. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Quel talent !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Si on veut que les parents puissent élever leurs enfants dans de bonnes conditions tout en continuant à travailler, il faut permettre aux familles d’accéder à de meilleures prestations.

Vous avez, sur l’initiative de Christian Jacob, voté la création d’une prestation d’accueil du jeune enfant.

M. Michel Delebarre. Répondez à la question !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Aujourd’hui, cette prestation bénéficie à 250 000 familles supplémentaires par rapport au dispositif antérieur, au lieu des 200 000 prévues. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Bernard Roman. Mais répondez donc à la question !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Dans ce dispositif, un couple de smicards bénéficie de 254 euros par mois par enfant, au lieu de 164 dans le dispositif en vigueur à l’époque du gouvernement socialiste, soit une augmentation de 54 %. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Roman. Il ne répond pas à la question !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Nous aurons créé 72 000 places de crèches entre 2002 et 2008. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Michel Delebarre. La réponse !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Alors qu’en 2000, Ségolène Royal a ouvert 264 places de crèche, nous en avons ouvert 7 850 l’année dernière. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. On se calme !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Et nous en ouvrirons plus de 10 000 cette année.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Répondez à la question !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Je me suis engagé, au nom de l’État, à augmenter de 7,5 % par an pendant quatre ans les crédits consacrés aux crèches : cette promesse sera tenue.

C’est vrai que nous avons pris, en accord avec les partenaires sociaux, des mesures de bonne gestion destinées à éviter l’inflation des dépenses. Je tiens à vous rassurer, monsieur le député : en dépit de ces mesures, 75 % du coût de la place de crèche resteront à la charge des caisses d’allocations familiales.

M. Michel Delebarre. C’est faux !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Loin de rougir d’avoir fait de la famille une priorité, nous entendons bien continuer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

expulsions d'élèves sans papiers

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Patrick Braouezec. Monsieur le Premier ministre (« Il n’est pas là ! » sur les bancs du groupe socialiste), je veux revenir sur la situation des enfants et des jeunes migrants scolarisés qui sont arrivés très tôt en France ou qui y sont nés, leur famille ayant été contrainte à l'exil par la guerre, la répression ou tout simplement la misère. Rien ne les distingue des autres élèves, sinon leur situation administrative et la pression qu'ils subissent quotidiennement. Beaucoup d'entre eux sont décrits par les équipes enseignantes comme de bons éléments, qui font preuve d'une véritable volonté d'apprendre et de réussir.

Depuis quelques mois est apparue en France une résistance citoyenne et républicaine d'un genre nouveau : organisée par le réseau « Éducation Sans Frontières », elle fédère de manière exceptionnelle des parents d'élèves, des associations, des enseignants et leurs syndicats, des élus, des citoyens, pour s'opposer aux expulsions programmées par votre gouvernement et organisées par les services préfectoraux dès la fin de cette semaine.

Nous avons même entendu dans cet hémicycle M. Pinte ou encore Mme Boutin vous demander d'humaniser une loi jugée liberticide.

Mais la circulaire en date du 6 juin ne règle en rien la situation des élèves et de leurs parents, qui, dans nos circonscriptions, demandent de l’aide à bon nombre d'entre nous, quelle que soit notre appartenance politique. Cette circulaire exige en effet le respect d’un grand nombre de critères cumulatifs.

C'est au nom d'une certaine idée de la République française, c’est surtout au nom de Liwei, vingt ans, chinois, Sergyi, dix-huit ans, ukrainien, Anifa, douze ans, congolaise, Nemanja, dix ans, yougoslave, et de centaines d'autres enfants, que je vous demande instamment de régulariser leur situation et celles de leurs familles, selon l'esprit et la lettre de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme, et selon le principe fondamental du droit à l'éducation.

Au moment où le Président de la République et Gouvernement se targuent de la bonne santé politique, économique et sociale de notre pays et de son influence dans le monde, serait-il impossible d’offrir des conditions de vie décentes aux quelque 8 000 personnes concernées sur notre territoire ?

M. Bernard Roman. Très bien !

M. Patrick Braouezec. Confirmez-vous les propos d’un avocat à la cour, publiés aujourd’hui dans la presse, selon lesquels les services préfectoraux auraient indiqué à ceux qui se massaient aux portes de leurs bureaux que les familles devaient obligatoirement signer le formulaire d'acceptation de retour au pays d'origine pour obtenir un rendez-vous à la préfecture en vue d'une hypothétique régularisation sur la base de cette circulaire, alors même que signer un tel document interdit tout recours ?

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Monsieur le député, un sujet aussi sensible mérite qu’on s’abstienne de tout esprit de polémique. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Patrick Braouezec. Ma question n’était pas polémique.

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Il s’agit d’abord de savoir pourquoi on en est arrivé là. En six ans, de 1997 à 2002 (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Plusieurs députés du groupe socialiste. et ça, ce n’est pas de la polémique ?

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. …le nombre de demandeurs d’asile est passé, en France, de 20 000 à 80 000 par an – et cela ce n’est pas de la polémique. Le nombre de dictatures dans le monde ne s’est pas accru en six ans !

M. Patrick Braouezec. La misère si !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. C’est la démission, c’est le laxisme qui ont conduit à la misère et à l’impasse de ces situations ingérables. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Voilà qui n’a rien de polémique !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Face à cette situation, que faire ? Il y a trois solutions – pas quatre ! – et les Français doivent les connaître.

La première solution, qui est celle que présente l’extrême-droite, consiste à expulser tout le monde, à ne régulariser personne et à ne faire preuve d’aucune humanité. Cette solution est une impasse. Elle est le contraire de ce que veut faire le Gouvernement en vertu des principes de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

La deuxième solution, parfaitement républicaine, est également irresponsable, comme je vais m’en expliquer : elle consisterait à dire à toutes les familles de ces enfants qu’elles sont régularisées. Elle est irresponsable, car si l’inscription dans nos écoles est un droit, y ajouter le droit à la régularisation reviendrait à créer une nouvelle filière d’immigration légale que plus personne ne pourra contrôler ni maîtriser. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.) À l’arrivée, on obtiendrait l’augmentation du racisme et de la xénophobie. Nul ne peut donc contester que, si cette solution est républicaine, elle est aussi irresponsable. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

La troisième solution consiste à traiter tous ces cas avec fermeté et humanité. J’ai donc demandé qu’on étudie chaque cas un par un et que les personnes qui sont en France depuis longtemps puissent être acceptées et régularisées. Les préfets ont tous les pouvoirs pour examiner chaque cas et, pour être sûrs que dans chaque département on traitera ces situations avec humanité, je nommerai demain un médiateur national qui harmonisera la politique dans l’ensemble des départements. Être fermes et humains : voilà la seule façon d’agir.

Monsieur Braouezec, vous n’avez pas été polémique ; ma réponse ne l’est pas non plus. Je suis sûr que le Parti socialiste, qui a très largement contribué par son laxisme à créer cette situation (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste) ne se permettra pas de donner des leçons, parce qu’en la matière, il en a beaucoup à recevoir et aucune à donner. (Applaudissements vifs et prolongés sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Roman. Cet homme est dangereux !

délinquance des mineurs

M. le président. La parole est à M. Pierre Lang, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Pierre Lang. Monsieur le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, depuis 2002, la majorité mène une action déterminée contre toutes les formes d’insécurité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Le succès de cette politique est indéniable. La délinquance baisse : en quatre ans, les faits constatés par les services de police et de gendarmerie ont diminué de 8,8 %, alors qu’ils avaient augmenté de 14,5 % entre 1998 et 2002.

Nos concitoyens sont bien conscients des résultats de l’action efficace que vous menez en tant que ministre de l’intérieur. Chacun se sent plus en sécurité (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) dans les transports en commun, dans les quartiers et à l’école. Ce droit fondamental avait été bafoué sous le gouvernement Jospin. Cependant, comme l’a rappelé hier soir le président de la République dans son intervention, il reste encore beaucoup à faire. (« Ça, oui ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

En particulier, la lutte contre la délinquance des mineurs constitue une priorité. Les actes de violence sont commis par une toute petite minorité, mais ces délinquants sont de plus en plus jeunes, ce qui appelle des réponses adaptées en matière de prévention et de sanctions. Notre arsenal législatif semble parfois dépassé et doit être repensé face à la violence de certains mineurs multirécidivistes.

D’autres phénomènes apparaissent, tels que les agressions filmées ou photographiées, qui banalisent la violence et l’assimilent à un jeu. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Il nous faut donc réagir fermement pour rappeler les règles de la vie en société. À cette fin, vous présenterez demain au Conseil des ministres un projet de loi de prévention de la délinquance. (« Allô ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Je souhaiterais connaître les grandes orientations de ce projet et les mesures concrètes que vous préconisez pour répondre au défi de la délinquance des mineurs. (« Très bonne question ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur Pierre Lang, la délinquance des mineurs n’est pas un sujet tabou et n’appartient pas à certaines organisations syndicales minoritaires. C’est un sujet qui concerne la nation dans son ensemble et devant lequel il nous faut réagir. C’est donc à très juste titre qu’hier, dans son intervention, le président de la République en a fait une priorité. Le texte qui y sera consacré viendra devant le Parlement dès la rentrée, au cours de la session extraordinaire, et sera une priorité.

Nous avons trois objectifs. Nous voulons d’abord, avec le garde des Sceaux, individualiser les réponses pour les mineurs – toutes les réponses. Quand un mineur casse, il est normal qu’il soit condamné à réparer. Des solutions de substitution à l’enfermement, dont les internats, doivent être étudiées et mises en place : cela s’appelle de l’individualisation.

Le deuxième élément est la rapidité. À quoi sert-il, en effet, d’arrêter un mineur récidiviste s’il doit être convoqué sept mois – voire deux ans – plus tard devant un tribunal ? La sanction n’a plus aucun sens pédagogique. La composition pénale que nous avons voulue avec le garde des Sceaux sera donc dans le texte que nous présenterons.

Enfin, je demande qu’on puisse débattre de l’excuse de minorité. On sait en effet que celle-ci fait diviser la peine de moitié. La question doit être posée devant la société française : l’excuse de minorité ne doit pas être appliquée systématiquement à un mineur récidiviste âgé de seize à dix-huit ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Quand on est récidiviste et qu’on ne veut pas comprendre, la société doit appliquer une sanction plus sévère. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Voilà, monsieur Lang, les réponses du Gouvernement à une question dont l’importance est primordiale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Augmentation du SMIC et revalorisation
de la prime pour l’emploi

M. le président. La parole est à Mme Marcelle Ramonet, pour le groupe de l’UMP.

Mme Marcelle Ramonet. Monsieur le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, le Gouvernement a fait le choix de mobiliser toutes les volontés et toutes les énergies pour gagner la bataille de l’emploi et répondre aux attentes de nos compatriotes. Cette politique de l’emploi porte sur tous les aspects s’y rapportant, comme l’emploi des jeunes et des seniors, les nouveaux contrats ou les services à la personne, mais aussi sur le niveau des salaires, notamment des plus modestes. Le Gouvernement s’est ainsi attaché à mettre fin à la multiplication des SMIC que nous avaient léguée la gauche et les lois Aubry.

Notre majorité aura ainsi établi l’égalité des salariés dans notre pays. De plus, en 2003, 2004 et 2005, le SMIC a été revalorisé et vous avez annoncé qu’il devrait connaître, le 1er juillet prochain, une nouvelle augmentation.

Pouvez-vous donc nous confirmer cette hausse, nous indiquer son montant et nous expliquer les effets que vous en attendez ?

Par ailleurs, vous avez décidé la revalorisation de la prime pour l’emploi pour 2006 et 2007. Pouvez-vous également nous confirmer cette hausse, qui concerne plus de huit millions de foyers fiscaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, madame Ramonet, après la grande période dite pudiquement de « modération salariale », le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, sous l’impulsion de François Fillon, a voulu rétablir l’égalité de tous les SMIC vers le haut. Pendant quatre années, la convergence des SMIC s’est traduite par une augmentation de 17 % des SMIC les plus bas. Voilà une chose faite !

Pour cette année, nous revenons dans le droit commun, avec enfin un SMIC unifié sur le plan national. Comme tous les ans au 1er juillet, il faut arrêter le niveau du SMIC – ce qui se fait en tenant compte l’inflation, qui est de 1,9 %, et de l’évolution des salaires. En réponse aux manifestations de mars 2005, le Gouvernement avait engagé la relance des négociations par branche professionnelle avec les partenaires sociaux, pilotées par Gérard Larcher. Ces négociations ont permis de très importantes augmentations – supérieures à 4 % – du salaire minimal dans ces branches. Ainsi, le salaire moyen ouvrier est aujourd’hui en augmentation de 3 %. Mécaniquement, donc, la conjugaison du taux d’inflation et de l’augmentation obtenue par le travail de Gérard Larcher et du Gouvernement conduisait à une augmentation du SMIC de 2,75 %.

Le Gouvernement a choisi d’aller au-delà de ce chiffre et proposera demain en Conseil des ministres une revalorisation de 3,05 %. Le SMIC s’élève désormais à 15 000 euros par an, soit 1 254,28 euros par mois pour un temps plein. Si l’on continuait ainsi pendant cinq ans, le SMIC dépasserait légèrement le montant promis par M. Fabius. Voilà donc ce que fait le Gouvernement en matière de pouvoir d’achat. Jamais il n’y a eu globalement autant d’augmentation depuis les accords de Grenelle de 1968.

M. Maxime Gremetz. Ce n’est pas vrai ! C’était 32 % !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Je vous confirme en outre que le montant de la prime pour l’emploi passera en septembre de 500 à 700 euros annuels pour les salariés qui en bénéficient.

Avec la convergence des SMIC, l’augmentation du SMIC, la prime pour l’emploi et le texte sur la participation, nous avons choisi clairement l’augmentation du pouvoir d’achat, quand d’autres avaient choisi la « modération ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

information sur les retraites

M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin, pour le groupe de l’UMP.

Mme Christine Boutin. Monsieur le ministre de la santé et des solidarités, ma question porte sur la mise en application de la réforme des retraites.

En 2003, devant la réalité le Gouvernement a réformé avec lucidité et courage notre système de retraites afin de le sauver. Notre majorité a voté cette indispensable réforme, fondée sur le principe d’équité, qui préserve à la fois le système de répartition et le lien si fragile entre les générations. Nous avons également fait à cette occasion le choix de la solidarité en proposant le principe d’une retraite minimum pour garantir à tous la dignité après une vie de travail.

Il était prévu d’autre part que l’on donnerait à chacun la possibilité de savoir quand il pourrait prendre sa retraite et, surtout, quel serait le montant de sa pension – que l’intéressé relève du privé ou du public, ou qu’il soit indépendant. Cette possibilité d’information est une innovation capitale, qui permettra à chaque citoyen d’organiser sa retraite en connaissance de cause.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser le calendrier et les modalités de mise en œuvre des décrets d’application ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et des solidarités.

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités. La réforme des retraites votée en 2003 contenait effectivement une avancée importante, qui est aujourd’hui devenue réalité : le droit à l’information sur la retraite. La Suède s’était montrée pionnière en Europe ce domaine avec la fameuse « enveloppe orange ». La France est désormais au même niveau.

Depuis la semaine dernière, toute personne qui le souhaite peut trouver sur le site Internet « info-retraite » toutes les informations permettant de répondre aux trois questions que vous avez posées : quand ? comment ? combien ? – c’est-à-dire : quand est-ce que je veux partir ? comment cela se passera-t-il ? et combien toucherai-je ?

En moins d’une semaine, ce site a connu une fréquentation sans précédent, avec plus de 207 000 connexions et 205 900 simulations précises de retraites. Cela montre bien que ce que vous avez voté correspondait à un besoin, qui doit être couvert par un service public. Longtemps, en effet, ce service était offert par des sociétés privées qui le faisaient payer en l’accompagnant de diverses offres. Aujourd’hui, il est de la responsabilité de la puissance publique et de toutes les caisses que d’offrir ce service.

Autre nouveauté : alors qu’après avoir travaillé sous plusieurs régimes – public, privé, indépendant – au cours de sa carrière, obtenir ces renseignements auprès de toutes les caisses était un véritable parcours du combattant, c’est aujourd’hui ce portail unique qui fait le travail à la place de l’assuré social.

À partir du 1er juillet 2007, nous irons plus loin : sans aucune démarche de leur part, les salariés et les indépendants recevront à leur domicile, à cinquante et à cinquante-huit ans, tous les éléments leur permettant de savoir à quoi s’attendre pour leur retraite. Nous allons ensuite descendre en âge jusqu’en 2010 pour qu’on puisse disposer de ces informations à partir de trente-cinq ans.

Voilà un point important, qui garantit plus de souplesse et plus d’information à tous les assurés sociaux et représente l’une des avancées de la réforme des retraites. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

arcelor

M. le président. La parole est à M. Michel Liebgott, pour le groupe socialiste.

M. Michel Liebgott. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre et, en son absence, à M. le ministre de l’économie.

Ça y est, c'est fait : Mittal Steel et Arcelor ne forment plus qu'un seul groupe. Les actionnaires vont en décider ainsi. Il est vrai qu'en cinq mois, ceux-ci auront gagné autant qu'en deux ans. Mais ce n'est pas tant cette issue qui est surprenante – on pouvait la prévoir –, que la volte-face du Gouvernement qui nous laisse béats d'incompréhension et d'inquiétude.

II y a à peine trois semaines, votre ministre délégué à l'industrie ne répondait-il pas à mon collègue Arnaud Montebourg ici présent :…

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Il n’est pas là !

M. Michel Liebgott. …« Le projet Severstal est amical et sa méthode est bonne. L'industrie ne se résume pas à des batailles boursières : elle concerne des usines, des emplois et permet la création de richesse. » ? Quel revirement ! Aujourd'hui, la plus haute autorité de l'État et vous-même affirmez que cette décision est fondée sur une garantie en ce qui concerne l'emploi et le maintien des centres de recherche.

Les 27 000 salariés français d'Arcelor, les élus locaux des multiples régions concernées – Lorraine, Pays de la Loire, Rhône-Alpes, Nord-Pas-de-Calais, Île de France, PACA, Bourgogne et d’autres encore – aimeraient partager votre optimisme et être parfaitement informés de ce qui le fonde afin de ne pas être trompés. Vous dites aujourd'hui qu'il y a un vrai projet de groupe qui respecte la gouvernance des deux entreprises.

M. Jean Leonetti. Quelle est la question ?

M. Michel Liebgott. Qu'en est-il exactement ? De quelles garanties disposez-vous pour que dans les années qui viennent ce ne soit pas à nouveau les seuls rendements financiers qui décident de tout, combinant gains de productivité certes, mais aussi restructuration et fermetures de sites au-delà de ce qui est déjà programmé ? Nous vous demandons une fois de plus de la transparence sur les informations que manifestement vous possédez et que vous nous cachez, et dont ni nous, la représentation nationale, ni les élus locaux, ni les salariés et leurs syndicats ne disposent. Mais il est vrai que du côté de votre gouvernement, c’est devenu une habitude que de nous cacher la vérité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Sur ces questions industrielles, sans vouloir polémiquer, qui a vendu les actions d’Arcelor ? C’est vous ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Qui a négocié le pacte avec Lagardère que vous dénoncez aujourd’hui ? C’est vous ! Qui n’a pas préparé l’avenir de Gaz de France en laissant les tarifs augmenter de 30 % en 2000 ? C’est vous ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) S’agissant des affaires industrielles, vous êtes partisans du « on laisse faire et on verra plus tard ».

M. Paul Giacobbi. C’est grotesque !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Mesdames, messieurs les députés, je voudrais revenir à un peu de sérieux sur ces affaires importantes pour les salariés et pour la France. Oui, c’est exact et je le redis : en ce qui concerne les opérations de fusion, le Gouvernement a exprimé très clairement sa position : nous préférons des concertations et des opérations amicales à des opérations hostiles. Nous l’avons affirmé à maintes reprises : nous préférons des opérations qui s’appuient sur des projets industriels.

Cela étant dit, nous constatons aujourd’hui dans l’affaire que vous venez d’évoquer qu’après plusieurs mois de discussions,…

M. Paul Giacobbi. Grotesque !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …une offre amicale a été proposée au conseil d’administration d’Arcelor, qui l’a approuvée. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Pendant cette période, l’État a joué son rôle de partie prenante en rencontrant à de très nombreuses reprises les partenaires et en leur demandant la nature du projet industriel. (Mêmes mouvements.) Celui-ci figure désormais sur le site Internet du ministère, avec les réponses aux questions posées, y compris en matière industrielle et de recherche et développement.

Nous avons fait le travail ; il appartiendra aux actionnaires de se décider. Mais en ce qui concerne les opérations industrielles, vous avez raison, monsieur le député : il faut les prendre au sérieux…

M. Paul Giacobbi. Comment peut-on être aussi nul ?

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. …et ne jamais les laisser se dérouler sans intervenir ; ce que pourtant vous avez fait ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

sommet france-océanie

M. le président. La parole est à M. Michel Buillard, pour le groupe de l’UMP.

M. Michel Buillard. Monsieur le ministre de l’outre-mer, hier s'est tenu à l'Élysée le deuxième sommet France-Océanie, qui a réuni, autour du Président de la République, les chefs d'État ou de gouvernement des seize États membres du Forum du Pacifique sud, dont l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Étaient naturellement présentes les collectivités françaises du Pacifique : Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et la Polynésie française, et j'associe tout naturellement à ma question mes collègues de Wallis et de Nouvelle-Calédonie.

Ce sommet, ainsi que la récente ouverture du musée des arts premiers du Quai Branly, montrent l'importance que la France accorde aux populations de l'Océanie. De même, la présence française est reconnue et appréciée dans la région. Je tiens ici solennellement, devant la représentation nationale, à réaffirmer l'attachement de nos peuples à la République et à souligner avec force le rôle majeur joué par la France afin d'assurer la stabilité politique, économique et sociale de la région Pacifique.

Dans le domaine de la stabilité politique, des menaces réelles existent. Il en est de même dans le domaine de l'environnement, où nous estimons que les mesures de protection face au réchauffement climatique, et donc à la montée des eaux qui menace plusieurs îles du Pacifique, ne sont pas envisagées de manière concrète.

Témoin, lors de ce sommet, de l'expression unanime de la gratitude de ces pays envers la France et l'Union européenne, je demande au Gouvernement quelles initiatives il compte prendre pour adapter notre système d'aides, tant sur le plan national qu'européen, aux besoins particuliers exprimés par les nations du Pacifique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’outre-mer.

M. François Baroin, ministre de l’outre-mer. Monsieur le député, il est vrai que nous avons participé à un moment important hier, en présence des seize délégations des pays de la zone Pacifique. C’était d’abord le respect de la parole donnée par Jacques Chirac lui-même, à Papeete – chez vous, cher Michel Buillard –, d’inviter l’ensemble des États membres de cette zone. C’était également l’occasion de mettre en perspective l’importance du développement économique de cette zone, et d’en mesurer toutes les conséquences, comme vous nous l’avez dit, sur le plan de la stabilité politique, de la stabilité économique et des perspectives de maîtrise de l’environnement.

Stabilité politique parce que la présence de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie, grandes puissances de la région, la présence de nos collectivités territoriales et celle de ces micro-Etats justifient pleinement le renforcement de la coopération. Il est loin le temps où la Nouvelle-Zélande ne nous parlait plus. Il est loin le temps où l’Australie nous considérait comme un rival. Aujourd’hui, l’un des enseignements majeurs de ce sommet, c’est le réchauffement significatif, profond et durable des relations entre la France et ces deux grands pays.

Vous avez également évoqué la stabilité économique : cette zone est poussée par la croissance chinoise à deux chiffres et dopée par le développement de l’économie indienne, à laquelle elle fournit les matières premières dont elle a besoin. Les enjeux autour du nickel sont majeurs pour la Calédonie. Nous souhaitons donc poursuivre le renforcement de l’intégration de nos collectivités territoriales dans la zone par la signature d’accords, tel celui signé hier, au ministère de l’outre-mer, entre Vanuatu et la Nouvelle-Calédonie.

Enfin, s’agissant de l’environnement, du réchauffement de la planète, la situation géographique de ces États est évidemment connue : ce sont des îles. Si les premiers États à être concernés par une augmentation du niveau de l’eau se trouvent quelque part, c’est bien dans le Pacifique. C’est pourquoi la ratification et le renforcement de l’application du protocole de Kyoto, souhaité par le Président de la République, font partie des priorités. Des initiatives en ce sens seront prises par la France et, à travers elle, par l’Union européenne.

Un dernier mot – avec la bienveillance du président – : j’ai reçu, à la demande du Président de la République, les délégations au musée du Quai Branly. Le Premier ministre de Papouasie Nouvelle-Guinée, qui faisait office de guide lors de la visite du département océanien, a montré sa culture, et a terminé sa visite en expliquant que c’était le plus beau message de paix que la France pouvait offrir au monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

chiffres du chômage

M. le président. La parole est à Mme Josette Pons, pour le groupe de l’UMP.

Mme Josette Pons. Ma question s’adresse au ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement.

Monsieur le ministre, depuis maintenant plus de douze mois consécutifs, le chômage recule dans notre pays. Le taux de chômage est passé en dessous des 10 %.

M. Paul Giacobbi. C’est le Gouvernement qui recule, pas le chômage !

Mme Josette Pons. Le chômage des jeunes a commencé à reculer, de même que le chômage de longue durée, qui a reflué de façon considérable.

Le plan de cohésion sociale, la relance de l’apprentissage ou bien encore le développement des services à la personne sont la marque de la mobilisation du Gouvernement pour l’emploi. Les contrats d’avenir et les contrats d’accompagnement vers l’emploi connaissent aujourd’hui un réel succès, tout comme le CNE.

M. Paul Giacobbi. Quel grand succès !

Mme Josette Pons. Le nombre des chômeurs et celui des emplois salariés dans le secteur concurrentiel, dont les chiffres ont été publiés récemment par la DARES et l’INSEE, illustrent cette tendance. Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer ces chiffres pour le premier trimestre 2006 et nous faire part de votre analyse sur la poursuite de ce mouvement ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Madame la députée, il y a eu les chiffres du chômage : un peu plus de 200 000 chômeurs de moins ; il y a maintenant les chiffres de l’activité, des créations d’emplois : c’est un peu plus de 200 000 emplois en plus.

M. Alain Vidalies. Et le RMI ?

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Voilà la réalité, et tant pis pour tous ceux qui essayaient de désinformer l’opinion publique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Ces chiffres sont-ils dus au hasard ? (« Non ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Oui !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Non : c’est le résultat de la volonté du Gouvernement. Nous avons décidé de nous occuper individuellement des demandeurs d’emploi, de rapprocher l’offre et la demande, de mieux orienter. Pratiquement, ce sont les contrats d’apprentissage, enfin en augmentation – plus 45 000 – ; ce sont les contrats de professionnalisation, ; ce sont les maisons de l’emploi (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains)

M. Maxime Gremetz. Arrêtez !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …où tous les partenaires se regroupent pour anticiper, préparer, former et mettre en contact ; c’est bien entendu le dossier unique du demandeur d’emploi. Nous sommes à la veille de la révolution des services à la personne. Songez qu’en septembre de l’année prochaine, il y aura autant de salariés qui auront accès aux services à la personne, grâce à l’aide de leur entreprise, que de salariés qui bénéficient des tickets restaurant.

Madame la députée, je vous le dis de manière absolument formelle : nous sommes sortis du chômage de masse et entrés…

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Dans le RMI !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …dans un cercle vertueux qui nous amènera à 8,9 % dans les mois qui viennent, et j’espère à 7 % dans les meilleurs délais. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

bilan de l’action gouvernementale

M. le président. La parole est à M. Didier Migaud, pour le groupe socialiste.

M. Didier Migaud. « Inadéquation persistante des hypothèses de croissance » ; « des finances publiques fortement dégradées » (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) ; « Un déficit structurel très élevé » (Vives exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) ; « Une dynamique de dégradation » ; « La spirale du déficit et de l'endettement » ; « Ce qui frappe c'est que la situation de la France s'aggrave alors que celle de nos voisins s'améliore ». (Mêmes mouvements.)

M. Guy Geoffroy. C’était du temps de Jospin !

M. Didier Migaud. Ce n'est pas seulement l'opposition qui le dit. Les propos que je viens de tenir sont des citations tirées directement du rapport de la Cour des comptes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) et des déclarations de son Premier président, Philippe Séguin, qui fut un de vos principaux responsables politiques, chers collègues de l’UMP.

Et pourtant, si l'on en croit le Président de la République, tout irait bien et mieux. Il nous dit que le Gouvernement remplit parfaitement sa mission. Quel décalage avec la réalité que les Français subissent ! Comment comprendre ou justifier une telle autosatisfaction, un tel aveuglement, alors que depuis 2002 tous les indicateurs économiques et sociaux se sont dégradés ? Le déficit public est aggravé, la dette publique a explosé de près de dix points de produit intérieur brut, le nombre d'allocataires du RMI a progressé de 20 %, les impôts ont augmenté, le pouvoir d'achat stagne, et même le chômage demeure à un niveau supérieur à juin 2002 malgré, monsieur Borloo, le traitement statistique et la réactivation tardive des contrats aidés que vous aviez alors supprimés.

La culture de responsabilité et de résultat que nous avons tous souhaitée dans notre nouvelle constitution financière vous impose de rendre compte de vos résultats et de les assumer. Ce n'est assurément pas ce que vous faites : au contraire, vous rejetez la responsabilité sur vos prédécesseurs, alors que l’UMP est en charge des affaires depuis maintenant quatre ans !

La mauvaise polémique que vous avez déclenchée en donnant un chiffrage farfelu du projet socialiste (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) ne peut pas non plus vous exonérer de votre responsabilité dans la dégradation de nos finances publiques.

M. Jean-Michel Fourgous. Parlez-nous du chiffrage des trente-cinq heures !

M. Didier Migaud. J’ai donc deux questions à vous poser. Comment pouvez-vous contester ce triste bilan dressé par la Cour des comptes et son premier Président ? Comment pouvez-vous être satisfait d'un bilan qui ne comprend pas un seul indicateur plus favorable aujourd'hui qu’en juin 2002 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Vous avez cité le rapport de la Cour des comptes, monsieur Migaud, en oubliant une phrase essentielle, (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), qui précise en toutes lettres que les comptes pour 2005 sont réguliers, (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) c’est-à-dire conformes au droit.

M. Jean-Pierre Blazy. Encore heureux !

M. Augustin Bonrepaux. C’est bien le moins !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous avez passé tant de temps à lire le rapport de la Cour des comptes que vous avez omis celui d’Eurostat,…

M. Augustin Bonrepaux. C’est minable !

M. le président. Monsieur Bonrepaux, calmez-vous.

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. …lequel indique, en toutes lettres, que, des quatre grands pays européens, seule la France a ramené son déficit sous la barre des 3 % du PIB. Si vous voulez être convaincant, monsieur Migaud, soyez objectif ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous nous parlez de la dette : « C’est terrible, dites-vous, elle s’est accrue ». Je vous rappelle que nous avons longuement évoqué devant vous, la semaine dernière, notre stratégie, claire, en matière de désendettement, notamment en ce qui concerne la baisse de la dépense publique et la modernisation de l’État.

M. François Hollande. Pour après 2007 !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Vous prétendez nous donner des leçons de bonne gestion, mais entre 1997 et 2001, sur 70 milliards d’euros de plus-values fiscales, vous n’avez consacré que 9 milliards au désendettement ! Les temps ont changé, et le Gouvernement aussi : aujourd’hui, c’est chaque euro supplémentaire de plus-value fiscale qui est consacré au désendettement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Néri. Menteur !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Dernier point, que je n’avais pas prévu d’aborder, mais vous m’incitez à le faire : « farfelu », le chiffrage du projet du parti socialiste ? Reparlons-en quand vous voulez ! Je persiste et signe : ce projet implique 115 milliards d’euros de dépenses publiques supplémentaires ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Henri Emmanuelli. Et pourquoi pas 500 milliards ?

M. Jean Glavany. Mille milliards !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Quelle différence avec le projet que nous avons pour la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Charte des stages

M. le président. La parole est à M. Francis Falala, pour le groupe de l’UMP.

M. Francis Falala. Monsieur le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche, en avril dernier, le Gouvernement a mis en place une charte des stages très attendue par l'ensemble des étudiants de nos universités et grandes écoles, et qui pose pour la première fois les règles et principes encadrant le recours et le déroulement des stages.

Suite à la signature de cette charte, vous avez annoncé l'adoption de différentes mesures en vue d'optimiser l'encadrement des stages des étudiants. Je pense notamment à l'obligation de rémunérer les stages au-delà de trois mois.

Par ailleurs, vous avez souhaité que le stage se positionne clairement dans un parcours d'acquisition des connaissances. L’été arrive, monsieur le ministre, et les étudiants partent en stage. Pouvez-vous donc nous dire quelles sont les garanties réelles que vous êtes en mesure de leur apporter ? Cette charte constitue le texte de référence, mais où en est-on en ce qui concerne les décrets d’application ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche.

M. François Goulard, ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Vous avez raison, monsieur le député, d’aborder cet important sujet pour nos étudiants.

Notre volonté est de rapprocher l’Université de l’emploi. À cette fin, les stages sont déterminants dans les parcours pédagogiques, car ils permettent une première expérience et une découverte de l’entreprise. Encore faut-il, monsieur le député, qu’il s’agisse de vrais stages, et non d’emplois déguisés, d’emplois au rabais.

Pour la première fois, dans la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, vous avez donné un statut aux stages et aux stagiaires. Comme vous l’avez rappelé, Gérard Larcher et moi-même avons signé avec les représentants des employeurs, ceux des universités et trois organisations représentatives des étudiants, une charte des stages instituant l’obligation de conclure une convention de stage.

Cette charte prévoit aussi – c’est là un point essentiel – qu’un stage s’inscrit obligatoirement dans un parcours de formation. Il ne peut donc être déconnecté d’un cursus dans une université ou une école. Les stages, je le répète, ne sont pas des emplois au rabais mais des étapes dans un parcours pédagogique.

La signature de cette charte sera obligatoire dès les prochains jours, et le décret paraîtra dans le courant du mois de juillet : dès cet été, monsieur le député, les étudiants qui accomplissent des stages bénéficieront donc des nouvelles dispositions que vous avez adoptées, et qui seront perfectionnées. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

solidarité entre les générations

M. le président. La parole est à M. Bernard Perrut, pour le groupe UMP.

M. Bernard Perrut. Monsieur le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, en vous accueillant vendredi dernier dans ma circonscription du département du Rhône, j’ai pu mesurer combien vous étiez le « ministre des âges de la vie ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

L’enfance, la famille, les personnes handicapées et les personnes âgées sont en effet au cœur des engagements et des priorités du Gouvernement. Face au défi de la longévité, nous devons adapter notre modèle social afin d’apporter des améliorations concrètes à la vie de nos aînés. Dès 2003, le plan « Vieillissement et solidarité » a permis de faire évoluer considérablement la prise en charge. Dans quelques jours, monsieur le ministre et chers collègues, la conférence de la famille consacrée à la solidarité entre les générations reconnaîtra le rôle des aidants familiaux et donnera toute sa place au nouvel âge actif. Il convient en effet de favoriser toutes les actions qui renforcent la solidarité entre les générations, et d’encourager le bénévolat et la vie associative.

Puisque vous avez présenté ce matin les grands axes du plan « Solidarité grand âge », nous souhaiterions avoir des précisions sur les priorités que nous éprouvons sur le terrain : la lutte contre les maladies du grand âge, en particulier les affections neuro-dégénératives, le maintien des personnes âgées dans leur cadre de vie, notamment grâce au renforcement de l’offre de soins à domicile, et enfin l’adaptation de notre système de santé, qui doit désormais comprendre une véritable filière gériatrique offrant des places de court séjour, mais aussi de soins de suite et de réadaptation.

Quels sont enfin, monsieur le ministre, vos objectifs pour améliorer l’accueil des personnes dépendantes, créer de nouvelles places, renforcer le taux d’encadrement et moderniser nos établissements ? En un mot, quelle est votre vision de la maison de retraite de demain ? La solidarité envers nos aînés est une valeur forte, et le groupe de l’UMP vous apporte tout son soutien en ce domaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Je connais, monsieur le député, votre engagement auprès des personnes âgées, et je vous remercie de votre question.

Dominique de Villepin a en effet annoncé, le 26 mai dernier, la mise en œuvre du plan « Solidarité grand âge », dont j’ai présenté les détails aujourd’hui même. Ce plan vise à répondre à une lame de fond, que dis-je, un véritable tsunami : celui du vieillissement de la population. Au cours des dix prochaines années, le nombre de personnes de plus de quatre-vingt cinq ans va en effet doubler, pour s’établir à deux millions. Nous devons nous préparer dès à présent à ce défi.

Le plan « Solidarité grand âge » contient un fil directeur qu’il faut suivre : qu’il s’agisse des hospitalisations ou de l’entrée en maison de retraite, nous devons éviter les ruptures,…

M. Maxime Gremetz. « Éviter les ruptures » ? Dites-le donc à Nicolas Sarkozy !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. …qui sont autant de causes de déstabilisation accélérant la dépendance.

Le plan repose sur trois axes. Le premier consiste à favoriser le libre choix de la personne âgée dépendante en multipliant les services à domicile. Ainsi, le nombre de places d’hospitalisation à domicile doublera presque d’ici à 2010 ; les places offertes en soins infirmiers à domicile passeront de 87 000 à 120 000 ; enfin, les autres services à domicile seront encouragés dans le même esprit.

Deuxième axe : inventer la maison de retraite de demain. Celle-ci devra garder des liens avec le domicile, au lieu de lui tourner le dos comme elle le fait aujourd’hui : la famille qui s’occupe d’une personne âgée dépendante bénéficiera ainsi, grâce à l’accueil de jour et à l’hospitalisation temporaire, d’un « droit au répit ». En outre, les maisons de retraite devront gérer elles-mêmes des services de soins infirmiers à domicile. Les personnes âgées pourront ainsi se familiariser avec le personnel, ce qui dédramatisera une éventuelle entrée en maison de retraite.

Le troisième axe, non moins essentiel, consiste à créer une véritable filière de gériatrie à l’hôpital : 70 % des malades traités aux urgences sont en effet des personnes âgées, pour lesquelles l’hospitalisation est la première cause de dépendance. Si l’on traite aujourd’hui l’organe ou la fracture, on oublie la personne dans toute sa fragilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. . La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de Mme Hélène Mignon.)

PRÉSIDENCE DE MME HÉLÈNE MIGNON,
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

remplacement d’un député décédé

Mme la présidente. J’ai reçu, en application des articles L.O. 176-1 et L.O. 179 du code électoral, une communication de M. le ministre de l’intérieur, en date du 26 juin 2006, m’informant du remplacement de notre collègue Édouard Landrain par M. Robert Diat.

adhésion de la république de bulgarie et de la roumanie à l’union européenne

Discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne (nos 3110, 3171).

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi, en saluant la présence de Mme Boagiu, ministre roumaine à l’intégration européenne, de témoigner de l’amitié de la France à l’égard de la Roumanie.

Il y a trois ans, le Parlement français approuvait l’entrée de dix nouveaux États membres dans l’Union européenne. Il vous est demandé aujourd’hui d’achever ce cinquième élargissement de l’Union, en lui permettant d’accueillir prochainement la Bulgarie et la Roumanie. Comme l’a confirmé récemment le Conseil européen des 15 et 16 juin, ces deux pays devraient pouvoir adhérer à la date prévue du 1er janvier 2007, à condition toutefois qu’ils répondent à un certain nombre de conditions précises.

Avec ces deux adhésions, l’Union européenne achèvera la perspective qu’elle avait ouverte au lendemain de la chute du mur de Berlin, en permettant aux pays d’Europe centrale et orientale de rejoindre la famille européenne. Cette étape majeure a scellé la fin de la Guerre froide et marqué la réconciliation du continent européen avec son histoire, avec sa culture, avec sa mémoire.

En étendant à de nouveaux partenaires les « solidarités de fait » nées de la construction européenne, l’élargissement renforce la paix, la stabilité et la prospérité sur le continent. En contribuant à l’union des peuples européens, il renforce le poids de l’Europe dans le monde et rend chacun de ses États plus fort et plus influent. Cette perspective d’adhésion ouverte à Copenhague en 1993 s’est déjà réalisée depuis le 1er mai 2004 pour les dix nouveaux États membres. Il vous est proposé aujourd’hui – je vous le propose avec Catherine Colonna – d’achever cette étape historique, en accueillant la Bulgarie et la Roumanie.

Mesdames et messieurs les députés, cet élargissement à la Bulgarie et à la Roumanie, nous l’avons réalisé en défendant plusieurs exigences :

Exigence, tout d’abord, quant à la qualité du processus d’élargissement : la Roumanie et la Bulgarie ont déposé leur demande d’adhésion en 1995 et décidé d’accélérer le rythme des réformes pour se rapprocher de l’Europe.

Les négociations avec ces pays, reconnus candidats en 1997, ont été ouvertes en 2000, lorsqu’il a été constaté qu’ils étaient suffisamment préparés. Au moment où l’Union concluait, en décembre 2002, ses négociations avec les dix nouveaux États membres, elle a décidé de les poursuivre avec la Bulgarie et la Roumanie. Ces pays avaient alors un chemin important à parcourir pour réaliser les réformes nécessaires. Ce n’est donc qu’en décembre 2004 que les négociations ont été achevées, après que des garanties suffisantes ont été obtenues.

La date prévue pour l’adhésion de ces deux pays a été fixée au 1er janvier 2007. Mais, comme vous le savez, l’Union s’est réservé la possibilité de reporter leur adhésion d’une année, soit au 1er janvier 2008, si l’état de leur préparation ne s’avérait pas satisfaisant.

Au total, c’est donc près de cinq ans de négociations qui ont été nécessaires pour déterminer les modalités de l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie et aboutir à la signature du traité d’adhésion, le 25 avril 2005, à Luxembourg.

Tout au long de ces négociations, la France a été particulièrement vigilante. Nous avons notamment veillé à ce que ces pays assurent un haut niveau de contrôle à leurs frontières, qu’ils réforment leur système judiciaire, qu’ils en assurent l’indépendance et la fiabilité, qu’ils luttent enfin de manière efficace contre la corruption, le crime organisé et la traite des êtres humains. Des progrès considérables ont été réalisés dans ces domaines qui sont indissociables des valeurs humanistes et des principes politiques qui sont au cœur du projet européen.

Toutefois, certaines difficultés persistent et des dispositions exigeantes en matière de sécurité alimentaire, de protection de l’environnement et de sécurité nucléaire ont également été introduites à la demande de l’Union. Il ne s’agit pas, vous le voyez, de sacrifier l’acquis communautaire au nom d’une réconciliation historique ou de l’intérêt géopolitique.

M. Jacques Myard. C’est bien dommage !

M. le ministre des affaires étrangères. Il s’agit, au contraire, de renforcer l’Europe par la diffusion des principes politiques qui sont au cœur du projet de ses fondateurs.

La deuxième exigence porte sur le respect de l’intégrité de la construction européenne : tout au long de ces cinq années de négociations, les candidats ont dû accepter les avantages mais aussi les contraintes de leur participation à l’Union européenne. Dès le premier jour de leur adhésion, la Bulgarie comme la Roumanie devront appliquer près de 90 000 pages d’acquis communautaire !

M. Jacques Myard. Un scandale !

M. le ministre des affaires étrangères. Pour cela, les deux adhérents ont entrepris des réformes considérables, afin d’adapter leurs économies, mais aussi de se doter d’une administration et d’une justice capables d’appliquer la législation européenne. M. Myard et M. Lambert, qui se sont récemment rendus respectivement en Roumanie et en Bulgarie, l’ont d’ailleurs constaté.

M. Jacques Myard. C’est vrai !

M. le ministre des affaires étrangères. Le traité de Luxembourg garantit que ces deux nouveaux États devront, dès le premier jour, remplir l’ensemble des obligations qui incombent à un État membre. Des périodes de transition ont cependant été prévues dans des secteurs sensibles comme la libre circulation des travailleurs. Ces pays ne pourront, d’autre part, adhérer à la zone Euro et à l’espace Schengen qu’une fois remplies les conditions requises. Enfin, des mesures de sauvegarde pourront être prises si des perturbations devaient apparaître.

Troisième exigence, enfin, pour veiller à ce que l’Union ait la capacité d’accueillir ces deux nouveaux membres : la Bulgarie et la Roumanie participeront à l’ensemble des politiques communes, selon les mêmes principes que ceux qui ont été appliqués aux dix nouveaux États membres. Elles bénéficieront ainsi progressivement de la politique agricole commune et de la politique régionale. Le coût de leur adhésion a, par ailleurs, été strictement encadré. Ce choix de l’élargissement, ce n’est ni celui de la facilité, ni celui de la convenance. C’est au contraire un choix de raison, un choix mûrement réfléchi qui s’appuie sur des principes et des exigences fortes.

Cette exigence, nous continuerons à l’exercer en suivant avec une très grande vigilance la préparation de ces pays à l’adhésion.

Comme vous le savez, le Conseil européen, lors de sa dernière réunion, a marqué son plein soutien aux conclusions du rapport de la Commission du 16 mai dernier. Ce rapport confirme que ces deux pays devraient pouvoir adhérer à l’Union le 1er janvier 2007, sous réserve qu’ils remédient aux dernières difficultés qui ont été identifiées, notamment dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. La Commission confirmera au plus tard début octobre le maintien ou le report de cette date.

Les deux pays ont adopté des plans d’action pour résoudre à temps les difficultés soulevées. Par ailleurs, le Conseil européen est convaincu que ces pays, s’ils font preuve de la volonté politique nécessaire, devraient venir à bout de ces difficultés d’ici le 1er janvier 2007, date envisagée pour leur adhésion, et à laquelle, je le sais, M. de Charette tient beaucoup. Le Gouvernement partage pleinement cette conviction. C’est pourquoi il a décidé de vous soumettre, dès à présent, le projet de loi autorisant la ratification de leur traité d’adhésion.

Grâce à ces exigences, cet élargissement de l’Union préservera l’intégrité de la construction européenne et la cohésion de ses citoyens autour de valeurs partagées.

À vingt-sept, l’Europe comptera désormais plus de 480 millions d’habitants et sera la première puissance économique du monde. Elle se traduira dès lors par la mise en œuvre d’une culture de paix, garante du respect des valeurs démocratiques sur un territoire allant de l’Atlantique aux confins de la mer Noire. Plus qu’une péninsule confinée dans un rôle exclusivement moral, l’Union européenne pourra alors se flatter d’être un ensemble politique uni et rassemblé, pour prendre toute sa place sur la scène internationale, au-delà des clivages hérités de l’histoire, au-delà des frontières culturelles ou religieuses.

L’Europe va donc accueillir deux partenaires avec lesquels nos relations politiques et culturelles sont anciennes et denses. Je pense en particulier aux liens qu’entretiennent plus de huit cents communes, institutions et associations françaises avec leurs homologues roumains, et qui font de la Roumanie l’un des tout premiers pays avec lesquels les relations entre les citoyens sont aussi fortes.

Pays de langue latine, la Roumanie a entretenu avec la France des relations de confiance et d’amitié d’une grande intensité : je pense au théâtre d’Eugène Ionesco, aux travaux de Cioran ou à ceux de Mircea Eliade, qui ont tant apporté à la littérature et à la connaissance des cultures européennes.

L’élargissement à la Bulgarie et à la Roumanie, qui connaissent une croissance économique soutenue, constitue aussi une opportunité pour les entreprises européennes, notamment françaises. Le processus d’adhésion a déjà eu un impact positif sur nos exportations et nos investissements, qui ont connu une croissance très importante ces dernières années. Ainsi, nos échanges avec la Bulgarie ont plus que doublé depuis six ans. Ils ont triplé avec la Roumanie dans les quatre dernières années, assurant ainsi avec ces deux pays un solde global positif pour notre balance. Les entreprises françaises sont, par ailleurs, déjà bien implantées dans ces pays. Elles y ont investi massivement, principalement dans des activités de service qui visent à répondre à la forte augmentation de la demande locale. La France est ainsi l’un des premiers investisseurs en Roumanie.

Cette tendance est appelée à s’inscrire dans la durée et sera renforcée avec l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans le grand marché unique. Leur participation à la politique régionale constituera également une opportunité pour nos entreprises qui pourront répondre à de nombreux appels d’offre financés sur fonds communautaires. N’oublions pas que les secteurs concernés, comme les travaux publics, la gestion de l’eau, de l’énergie et des déchets, sont ceux où les entreprises françaises sont très compétitives. En témoignent les investissements dans le domaine des services en Pologne ou en Slovaquie, deux États intégrés à l’Union européenne en 2004. En permettant un accès plus aisé à ce « nouveau front » de l’économie européenne, nous permettons à nos entreprises de bénéficier des opportunités qui seront offertes demain.

Enfin l’Europe à vingt-sept sera plus forte pour peser sur les affaires du monde. Avec l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, la diversité linguistique et culturelle de l’Europe sera renforcée. La place du français en Europe sera également plus forte avec ces deux nouveaux États, membres de la francophonie, dont nombre de citoyens parlent notre langue. La Roumanie accueillera ainsi en septembre prochain le onzième Sommet de la francophonie, traduisant ainsi la profondeur des liens culturels qui unissent nos deux pays.

Madame la présidente, monsieur le Premier ministre Balladur, mesdames et messieurs les députés, au-delà de l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, je veux revenir devant vous sur la stratégie d’élargissement de l’Union européenne. Nos concitoyens ont exprimé, notamment lors de la campagne référendaire sur le Traité constitutionnel, de nombreuses préoccupations quant à la poursuite de l’élargissement. Ils ont exprimé des interrogations sur son rythme, son périmètre, mais aussi sur l’impact de ces nouvelles adhésions sur le projet européen. Ils ont parfois eu le sentiment que ce processus leur échappait et prenait l’allure d’une fuite en avant. Une chose est certaine : l’Europe ne se fera plus sans les peuples.

M. Jean-Claude Lefort. Ah !

M. Jacques Myard. Il est temps !

M. le ministre des affaires étrangères. S’il s’agit de relancer le processus de construction, il est essentiel de le faire avec les peuples, en accord avec les opinions et en sollicitant leur adhésion. Les futurs élargissements ne doivent plus être vécus comme des choix imposés, mais comme des résolutions partagées. C’est pourquoi notre pays a décidé de les soumettre désormais à référendum. Il est aujourd’hui indispensable de répondre à ces préoccupations en offrant des solutions à cette « fatigue de l’élargissement », comme l’a souligné le Commissaire européen à l’élargissement. Il convient aussi de renforcer le contrôle politique de ce processus afin d’apporter aux citoyens des réponses claires et précises.

C’est dans cette perspective que la France a demandé – et obtenu – que cette réflexion occupe davantage de place dans le débat européen. Le Conseil des 15 et 16 juin a engagé un débat de fond sur la stratégie d’élargissement et sur la capacité de l’Union à accueillir de nouveaux membres. C’est un point auquel la France accorde une importance primordiale. Car l’élargissement ne concerne pas seulement les pays candidats, mais aussi l’Union elle-même. Il a des conséquences sur sa nature, son identité et sur son fonctionnement.

Afin que ce processus reste maîtrisé et soit un facteur de réussite, il importe que le rythme de l’élargissement tienne compte de la capacité d’assimilation de l’Union et que l’Europe réponde aux questions concrètes qui se posent à l’ensemble des citoyens résidant dans l’Union. Quelles seront les politiques communes d’une Union élargie ? Quels seront son budget et son financement ? Quelles seront ses institutions ? Comment s’assurer du soutien des citoyens européens à ce processus, dans la mesure où ils souhaitent être mieux associés aux décisions qui engagent leur avenir ?

L’ensemble de ces points a été entériné, à notre demande, par le Conseil européen des 15 et 16 juin. Celui-ci a souligné la nécessité d’approfondir ce débat majeur lors du prochain Conseil qui aura lieu en décembre 2006. C’est dans cette perspective que la Commission rendra à l’automne un rapport spécial sur la « capacité d’assimilation » de l’Union.

Mesdames et messieurs les députés, si vous donnez aujourd’hui votre accord à ces adhésions, le cinquième élargissement de l’Europe sera pleinement achevé. N’oublions pas en effet que la Bulgarie et la Roumanie font partie intégrante de ce cinquième élargissement : elles se sont vu reconnaître une perspective européenne en même temps que les dix nouveaux États membres ; elles ont commencé leurs négociations en même temps qu’eux et se sont vu appliquer les mêmes principes et conditions. Le cinquième élargissement de l’Union ne pourra donc être pleinement achevé qu’avec l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie.

L’Europe est prête à accueillir ces deux pays. Je suis convaincu que, de leur côté, ils sauront remédier aux difficultés qui subsistent, pour pouvoir entrer dans la famille européenne dès le 1er janvier 2007. Je suis persuadé qu’ils sauront contribuer utilement à la poursuite du projet politique européen, un projet fondé sur des valeurs fortes, profondément respectueux de l’identité des peuples et résolument moderne, où les nations décident librement de faire prévaloir ce qui les unit sur ce qui les divise.

L’Europe n’est pas seulement le fruit d’un héritage, elle est aussi le produit de notre volonté collective et de notre capacité à nous projeter dans l’avenir. C’est en étant guidé par cette conviction que le Gouvernement continuera à agir pour faire avancer l’Europe politique, mais aussi pour unir les hommes et les citoyens à partir de liens renforcés entre les États. Le devoir qui s’impose à nous aujourd’hui, intimement lié à la question de l’élargissement, est de créer un lien social et politique de plus en plus fort au sein de l’espace européen…

M. Jean-Pierre Dufau. Enfin du social !

M. le ministre des affaires étrangères.…pour assurer au projet européen, que nous conduisons depuis cinquante ans, toute sa cohérence, et pour permettre à chacune de nos nations de se développer au sein d’une communauté pleinement assumée et mutuellement bénéfique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères.

M. Hervé de Charette, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis dans cet hémicycle pour répondre à une question très simple : souhaitons-nous que la Bulgarie et la Roumanie deviennent membres de l’Union européenne ? Disons-le d’emblée, la commission des affaires étrangères vous invite à y répondre par l’affirmative. Oui, la Bulgarie et la Roumanie doivent devenir les vingt-sixième et vingt-septième membres de l’Union européenne.

Je voudrais éclairer cette position dépourvue d’ambiguïté par plusieurs considérations.

La première concerne la situation de crise dans laquelle l’Europe se trouve plongée depuis l’échec du funeste référendum français de mai 2005 sur le Traité constitutionnel.

M. Jérôme Lambert. L’Europe était en crise bien avant !

M. Hervé de Charette, rapporteur. Force est de reconnaître que ce nouvel élargissement – le cinquième depuis 1957 – intervient dans un contexte franchement défavorable.

La crise est si profonde et la paralysie des institutions européennes est telle qu’il serait raisonnable de suspendre tout nouveau projet d’élargissement de l’Union européenne à plusieurs conditions, qui sont loin d’être réalisées. Il faudrait que soit fixée une doctrine commune aux États membres s’agissant des frontières extérieures de l’Union qui ne peut pas être un processus permanent et indéfini d’élargissement vers l’Est !

M. Jacques Myard. Pourquoi pas jusqu’en Chine ?

M. Hervé de Charette, rapporteur. Il faudrait que les institutions européennes aient été réformées de sorte que l’Union retrouve une capacité à prendre des décisions dans des conditions démocratiques et respectueuses du poids spécifique des États membres. Il conviendrait enfin que l’Union parvienne à exprimer une appréciation partagée et réaliste sur l’avenir du projet européen.

Or c’est tout le contraire qui se produit. Le projet européen est au point mort ; la question turque jette un trouble qui ne cesse de croître dans la vie quotidienne de l’Union ; les États membres sont divisés sur le concept même de l’élargissement, de sorte qu’aucune doctrine claire ne s’exprime à l’égard des Balkans occidentaux – en phase d’éclatement durable – et de l’Ukraine. Dans la confusion générale, les représentants de la Commission se permettent même de faire connaître leur point de vue sur un sujet qui ne relève pas de leur compétence.

Dans ces conditions, ma conviction est que poursuivre l’élargissement de l’Union serait aujourd’hui contraire à l’intérêt du projet européen. S’il en va différemment pour la Roumanie et la Bulgarie, c’est qu’il s’agit d’achever un processus entamé au bénéfice de l’ensemble des pays de l’Europe centrale et orientale lors du sommet de Copenhague les 21 et 22 juin 1993 et qu’il convient de tenir les derniers engagements pris dans ce cadre. L’Europe de l’Ouest avait alors tendu la main à cette autre Europe, occupée par l’Armée Rouge et soumise aux dictatures communistes, qui avait retrouvé la liberté quatre ans plus tôt. L’Union européenne a fixé un cap et pris des engagements. Le traité qui vous est soumis aujourd’hui n’est que l’achèvement de ce processus, son ultime étape et, d’une certaine façon, la fin d’un cycle marqué par la réconciliation de l’Europe avec elle-même, rassemblée pour la première fois de son histoire autour d’un projet fédérateur commun.

Si la commission des affaires étrangères vous propose d’autoriser la ratification du traité d’adhésion de ces deux pays, c’est au bénéfice de cette observation fondamentale : il ne s’agit pas de poursuivre la marche folle de l’élargissement perpétuel de l’Union, mais de sceller l’achèvement d’un processus spécifiquement destiné à l’Europe centrale et orientale.

Ma deuxième observation concerne l’état de préparation de ces deux pays. L’Assemblée s’en souvient, lors du sommet de Copenhague en décembre 1993, les chefs d’État et de gouvernement ont décidé que tous les pays d’Europe centrale et orientale avaient vocation à adhérer à l’Union européenne. Mais, en même temps, ils ont fixé les critères auxquels devaient répondre les pays candidats. Ces critères, devenus célèbres sous le nom de « critères de Copenhague », sont les suivants : les pays candidats doivent avoir des institutions démocratiques stables et obéir aux prescriptions de l’État de droit, en particulier le respect des Droits de l’homme et des droits des minorités ; ils doivent avoir une économie de marché viable et être en mesure d’affronter les conséquences de l’entrée dans l’Union ; ils doivent, enfin, avoir intégré dans leur droit interne la totalité des directives et règlements de l’Union et souscrire à ses objectifs politiques, économiques et monétaires.

C’est parce que la Roumanie et la Bulgarie ne remplissaient pas ces critères que le Conseil européen les a séparées du lot des dix autres pays – pour lesquels les négociations, ouvertes en 1999 et en 2000, ont été achevées fin 2002 – et n’a accepté d’ouvrir la négociation avec elles qu’à la fin de l’année 2002. Clôturée fin 2004, la négociation a débouché sur le traité qui vous est soumis et qui a été signé à Luxembourg le 25 avril 2005. Il fixe, en principe au 1er janvier 2007, la date de l’adhésion, soit près de douze ans après que ces deux pays ont fait acte de candidature. C’était en 1995.

Ce traité contient le même dispositif que celui concernant les dix États précédents et, en particulier, des clauses concernant l'adhésion future – et obligatoire – à la monnaie unique ; des clauses spéciales dites « Schengen », maintenant les contrôles aux frontières actuelles de l’Union et limitant, pour une période maximale de sept ans, la liberté d'établissement des ressortissants de ces deux pays ; et des clauses de sauvegarde permettant à l'Union, pendant trois ans à compter de l’adhésion, de suspendre le versement des aides agricoles ou régionales en cas de non-respect de leurs obligations par les pays candidats.

S'y ajoute un dispositif supplémentaire, conçu spécialement pour la Roumanie et la Bulgarie et qui marque la crainte de l'Union devant les retards pris par ces deux pays : le traité prévoit, en effet, que la date d'adhésion peut être reportée d'un an, c'est-à-dire au 1er janvier 2008, sur proposition de la Commission. La décision finale revient au Conseil, statuant à l'unanimité pour la Bulgarie ou à la majorité qualifiée pour la Roumanie. C'est dire si la négociation a été menée avec sérieux et entourée d'un luxe de précautions.

Enfin, la clôture de la négociation et la signature du traité, en avril 2005, ont été suivies d'une période de près de deux ans pendant laquelle les deux pays devaient achever leurs préparatifs sous le contrôle de la Commission, à laquelle désormais il revient de dire si, oui ou non, l'adhésion peut avoir lieu au 1er janvier 2007 ou si elle propose au Conseil le report d'un an prévu dans le traité.

Dans ce cadre, la Commission a remis le 25 octobre 2005 un premier rapport dans lequel elle sonnait l'alarme, après avoir constaté que la situation était gravement préoccupante dans plusieurs domaines importants : le piratage et la contrefaçon, le contrôle des frontières extérieures de l'Union, la corruption, la sécurité vétérinaire, l'insuffisance des structures administratives appelées à gérer les fonds de la politique agricole commune et les fonds structurels.

La Commission a donc décidé de reporter au 16 mai 2006 son avis sur l’état de préparation des deux pays. Sans être conclusif, ce nouveau rapport est encourageant. D'un côté, il note les progrès importants accomplis ; de l'autre, il constate que la situation reste préoccupante en Bulgarie pour ce qui est de la lutte contre la corruption et la criminalité organisée et du contrôle financier des fonds européens. La situation en Roumanie est jugée nettement meilleure. La Commission a donc décidé de reporter à l'automne l'avis qu'elle doit donner.

C'est dire la pression – tout à fait exceptionnelle – exercée sur les deux pays. J'ai reçu dernièrement une délégation de parlementaires bulgares et ils ont évoqué le plan d'action que leur pays va mettre en œuvre pour être prêt au 1er janvier prochain. La mobilisation des forces politiques et du gouvernement bulgares est évidente.

Il en est de même en Roumanie, où je me suis rendu en janvier avec nos collègues Geneviève Colot, Jean-Pierre Dufau et Philippe Folliot. Nous avons tous été marqués, à cette occasion, par l'engagement des autorités publiques roumaines dans la lutte contre la corruption.

On peut donc raisonnablement estimer que la Roumanie et la Bulgarie ont mobilisé beaucoup d'énergie pour mener avec succès leur projet d'adhésion et qu'ils seront prêts, autant qu'ils peuvent l'être, pour cette grande échéance. Ratifier le traité est donc possible et souhaitable.

J'ajoute que cette ratification laisse entière la question de savoir si la clause de report doit ou non être mise en œuvre. L'application de cette disposition suppose évidemment la ratification du traité, mais sa mise en œuvre ne sera pas, en tout état de cause, soumise aux parlements nationaux. Nous n'aurons donc pas l'occasion d'en débattre : il s'agit, je le rappelle, d'un pouvoir conféré à la Commission et au Conseil. C'est en octobre que cette question devra être tranchée et il serait souhaitable, monsieur le ministre, que, le moment venu, le Gouvernement consulte le Parlement selon les procédures existantes avant de se prononcer.

J’en viens aux conséquences prévisibles de l'entrée de ces deux pays dans l'Union. Sur le plan institutionnel, la Roumanie et la Bulgarie disposeront d'un commissaire chacun, ce qui va obliger le président de la Commission à réorganiser le collège des commissaires. Le Parlement européen accueillera dix-huit députés bulgares et trente-cinq députés roumains jusqu'en 2009, puis dix-sept et trente-trois à compter de 2009. Au conseil, la Roumanie disposera de 14 voix et la Bulgarie de 10 voix sur un total de 345. Pour mémoire, la France en compte 29, comme l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie. Bien entendu, ces deux pays seront représentés aussi dans les autres instances communautaires : Cour de justice, Cour des comptes, Banque centrale européenne. Tout ceci résulte du traité de Nice et témoigne de ce que nos institutions sont véritablement « encalminées » par l'élargissement.

L'impact économique sur l'Union est, quant à lui, difficile à évaluer. La Bulgarie et la Roumanie bénéficient cependant d'une croissance annuelle moyenne de 6 %, soit le double du taux moyen de croissance de l’Union. Leur entrée ne peut donc que contribuer au développement général de l’activité.

D'un point de vue budgétaire, la question de l'intégration de ces deux pays est réglée depuis le dernier élargissement en 2004. Pour la période 2007-2009, ils bénéficieront de 16 milliards d'euros, dont près des trois quarts pour la Roumanie : 5,4 milliards d'euros seront consacrés à l'agriculture, avec une montée en puissance progressive, 8,2 milliards d'euros pour la politique régionale et 1,3 milliard pour les politiques internes et transitoires.

Quel sera enfin l'impact géopolitique de l'entrée de ces deux pays dans l'Union ? On peut en attendre plusieurs effets. D'abord, nous voyons bien qu'une fois la Roumanie et la Bulgarie dans l'Union, le prochain objectif sera d'assurer la stabilisation durable des Balkans. Ces deux pays peuvent y contribuer, grâce aux liens qu'ils ont noués avec les États de la région, mais il faudra se méfier de leur propension prévisible à plaider en faveur de l'adhésion des États balkaniques, laquelle ne me paraît nullement souhaitable pour le moment. Par ailleurs, l'Union sera désormais présente en mer Noire, ce qui est une bonne chose, s'agissant d'un espace stratégique de premier plan, notamment en matière énergétique.

M. Jacques Myard. Bof !

M. Hervé de Charette, rapporteur. Enfin, il est prévisible que tant la Bulgarie que la Roumanie maintiendront des liens privilégiés avec les États-Unis. Comme la plupart des pays d'Europe centrale et orientale, les deux États ont de l'Europe une vision plutôt économique et c’est vers l'Alliance atlantique et les États-Unis qu'ils se tournent pour leur sécurité et leur défense.

Cependant ces deux pays souhaitent nouer avec la France – comme les membres de la commission des affaires étrangères peuvent en témoigner – une relation forte, qu'il nous appartient d'encourager. C'est vrai de la Bulgarie. Et c'est encore plus vrai de la Roumanie, où la présence française est importante : de nombreuses entreprises y ont investi ; la langue française est largement développée parmi les élites ; à l'automne prochain, Bucarest recevra le sommet de la francophonie. La France doit donc rester attentive à l’évolution de ces deux pays.

Pour toutes ces raisons, et tout bien pesé, l'intérêt bien compris de la France et de l'Europe est donc d'accueillir ces deux pays dans l'Union. C'est pourquoi la commission des affaires étrangères vous invite à adopter le projet de loi n° 3110 autorisant la ratification du traité d'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a plus de quinze ans que le mur de Berlin est tombé. L'Europe a changé. D'une communauté économique à douze, elle est passée à une union à vingt-cinq, bientôt vingt-sept, dont la vocation n’est pas seulement économique mais est aussi politique.

Le grand élargissement de 2004 s'achève. L'Union européenne s'apprête à s'ouvrir à deux nouveaux États : la Bulgarie et la Roumanie. Pour ces deux pays, l'entrée dans l'Union refermera une trop longue parenthèse. Notre assemblée va contribuer à cette réunion historique de l'Est et de l'Ouest de l'Europe. Je forme d'ailleurs le vœu que la Roumanie et la Bulgarie rejoignent l'Union dès le 1er janvier prochain. Ces pays ont accompli de grands progrès. Ils ont parcouru le chemin qui leur incombait – même si quelques efforts sont encore nécessaires. En les accueillant, nous aurons, de notre côté, tenu notre promesse.

Reste à l'Europe à faire face à toutes ses responsabilités.

Il s'agit de construire une union forte de ses valeurs et capables de faire prévaloir ses intérêts et non un simple espace de libre-échange, ouvert à une mondialisation dénuée de règles et aux trafics de tous ordres. À quelles conditions cet objectif peut-il être atteint ?

La réponse est simple. L'Union européenne doit se réformer pour fonctionner efficacement et surmonter la paralysie. Pour cela, elle doit cesser, pour un long moment, de s'élargir. Cela peut paraître injuste pour les pays qui sont aujourd'hui candidats, mais c'est l'intérêt de tous. Serait-ce d'ailleurs rendre un réel service aux futurs candidats que de les accueillir dans une Europe incapable de décider, de financer ses politiques, de sortir de la crise ?

Il faut regarder la réalité en face. Après l’entrée de la Roumanie et la Bulgarie – que je souhaite la plus rapide possible, je le répète –, l'Union ne sera plus, pour longtemps, en mesure d'accueillir de nouveaux candidats.

D’abord, pour des raisons institutionnelles. Peut-on imaginer que les institutions de l'Union puissent fonctionner avec six, voire sept nouveaux pays des Balkans, et avec la Turquie ou l'Ukraine, qui comptent respectivement 71 et 50 millions d'habitants ? Nous savons que le fonctionnement d'une commission européenne à vingt-sept posera déjà de réelles difficultés ; comment imaginer qu'elle puisse agir avec efficacité avec plus de trente commissaires ? Que dire d'un parlement pléthorique et, plus encore, d'un conseil des ministres où l’unanimité est encore très largement la règle ?

J'ai proposé récemment le lancement d'un débat autour de deux questions qui me paraissent incontournables : l'extension du domaine du vote à la majorité qualifiée, qui suppose le rééquilibrage du poids de chaque État membre au sein des institutions européennes en fonction de sa population et de sa capacité économique, et la question des rôles respectifs du Conseil et de la Commission. Je suis, pour ma part, favorable à un large passage à la majorité qualifiée même si celle-ci, je le sais, effraie certains ; je suis également partisan d'une certaine prééminence du Conseil, organe ayant la capacité d’engager politiquement l'Union. Avant tout nouvel élargissement, il est nécessaire de régler ces questions.

L'Union doit aussi marquer une pause dans l'élargissement pour des raisons budgétaires et financières. En accueillant dix nouveaux membres en 2004, elle s'est agrandie de 15 % de sa population et de 20 % de sa superficie mais son PIB s'est accru de moins de 5 %. La richesse de ces dix nouveaux membres était en moyenne inférieure à la moitié de la moyenne de celle de l'Union à quinze. L'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie ne modifie pas cet état de fait.

On compare souvent l'entrée des pays de l'Europe centrale et de l'Est à celle de la Grèce, de l'Espagne et du Portugal. Mais rappelons que ces trois pays avaient, lors de leur adhésion, un PIB correspondant à 60 % de la moyenne de celui de la Communauté européenne. En outre, l'acquis communautaire à appliquer est aujourd'hui sans commune mesure avec celui qu'ont dû assimiler la Grèce, l'Espagne et le Portugal.

C'est dire les efforts considérables que l’Union devra consentir pour permettre à ces douze nouveaux membres de se rapprocher de notre niveau de vie : dans le budget de l'Union, 46 milliards d'euros ont été prévus en crédits d'engagement pour les dix nouveaux membres pour la période 2004-2006. Pour l'intégration de la Bulgarie et de la Roumanie, il est prévu, pour 2007-2009, 16 milliards en crédits d'engagements.

Je ne crois pas que l'Union puisse supporter financièrement de nouveaux élargissements, massifs, nombreux, alors qu'elle a éprouvé tant de difficultés à s'accorder sur son budget pour 2007-2013. Connaissant, en outre, l’état des finances publiques de plusieurs États importants de l’Union, ne croyons pas qu’une augmentation du prélèvement sur les budgets nationaux suffirait à résoudre tous les problèmes.

Enfin, tout nouvel élargissement me paraît impossible tant que l'Union n'aura pas surmonté la crise morale dans laquelle elle est plongée. Le rejet du traité constitutionnel me paraît, à cet égard, plus un symptôme qu'une des raisons de la crise.

M. Marc Dolez et M. Jean-Pierre Dufau. C’est juste !

M. Jean-Claude Lefort. Vous progressez !

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Nos concitoyens s'interrogent toujours sur le sens de la construction européenne ; ils perçoivent assez clairement qu'un élargissement irréfléchi constituerait une fuite en avant et ferait perdre les principaux acquis d’une entreprise nourrie par cinquante ans d’efforts.

Lors du dernier Conseil de Bruxelles, notre pays a obtenu que la question de la « capacité d'absorption » – concept nouveau qu’il reste d’ailleurs à définir avec précision – fasse rapidement l'objet d'un débat au plan européen. Si nous souhaitons que l'Europe devienne réellement cette union des peuples sans cesse plus étroite qu'évoquent les traités, nous devons savoir dire non à une fuite en avant qui nous plongera dans l'incertitude.

Je suis donc tout à fait partisan de l’entrée rapide de la Bulgarie et de la Roumanie et, vous l’avez compris, tout à fait hostile à ce que l’on aille plus loin avant d’avoir résolu les problèmes fondamentaux qui se posent à nous. On nous a beaucoup dit, lors du dernier référendum, qu’il fallait que la politique européenne tienne mieux compte du désir des peuples. Manifestement, ceux-ci ne souhaitent pas des élargissements complémentaires avant que certains problèmes importants n’aient été résolus. Je conclus donc en souhaitant que le Gouvernement entende et comprenne les aspirations des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Lefort, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jean-Claude Lefort. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour effectuer un acte important, solennel : donner ou non notre accord à l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne. Cet acte solennel est toutefois largement entaché : on nous demande, en effet, de ratifier le principe de l’adhésion de ces deux pays à l’Union et non pas de ratifier leur adhésion formelle, à une date fixe, le 1er janvier prochain. Le dernier Conseil européen a, en effet, considéré qu’un délai supplémentaire d’un an serait sans doute nécessaire pour que cette adhésion soit effective, donc, peut être en janvier 2008. C’est là une procédure tout à fait surprenante, sans aucun équivalent juridique : on vote pour une adhésion de principe et non pas pour une adhésion de fait ! Cela n’a rien à voir avec la révision de notre Constitution qui contient un article devenu obsolète, à savoir que notre pays peut ratifier le projet de Constitution européenne. Cette révision était nécessaire pour que se tienne le référendum. Ce dernier a eu lieu et le résultat est sans appel : ce projet est caduc. S’il devait y avoir similitude, ainsi que cela a été évoqué en commission des affaires étrangères, entre l’exercice auquel on se livre aujourd’hui et la procédure que nous avons suivie à propos du projet de traité constitutionnel, alors je crains très fort pour ces deux pays.

Je crains d’autant plus que l’article 1er du traité d’adhésion de ces deux pays indique clairement que ceux-ci deviennent parties du traité constitutionnel et précise que, si ce traité n’est pas ratifié à la date d’adhésion de ces deux pays, les dispositions du protocole adjoint au traité de leur adhésion seront annexées aux traités actuels, mais ne seront pleinement appliquées que lorsque le traité portant Constitution sera ratifié. Autrement dit, toujours et encore cette lancinante volonté s’agissant de ce projet constitutionnel : on ne désespère pas de le faire ratifier. C’est insupportable. Il convient que nos amis le sachent : ce traité est mort ; j’y reviendrai.

Il en va de même s’agissant de cette adhésion qu’on nous demande de voter aujourd’hui pour un peu plus tard, ce qui, de plus, n’est pas certain. Ainsi, des aberrations en résultent. Par exemple, il est expressément prévu dans le traité d’adhésion de ces deux pays, à l’article 21 de l’annexe, qu’« avant le 31 décembre 2007, la Bulgarie et la Roumanie procèdent chacune à l’élection au suffrage universel direct du nombre de représentants de leur peuple au Parlement européen ». Cela n’a aucun sens si leur adhésion doit intervenir de fait, et en réalité, le 1er janvier 2008. Vont-ils faire voter pour des députés européens avant leur adhésion formelle ? Cela n’a aucune valeur juridique. Faudrait-il voter ce texte en total décalage avec les réalités et faire croire des choses fausses à ces pays ? Nous ne sommes pas de cet avis. Faudrait-il « aller au secours » de cette aberration juridique ou la taire ? Ce n’est ni sérieux ni responsable. On ne s’amuse pas, ou plus exactement, on ne devrait pas s’amuser de la sorte avec des traités internationaux et nous demander de ratifier des clauses qui ne seront pas tenues ou qui sont obsolètes.

Tout ce bâclage renforce nos craintes pour ces deux peuples. Nous craignons, en particulier, très vivement que l’aide financière qui leur sera accordée soit très insuffisante pour qu’ils puissent être comparés à la moyenne européenne. Il est d’ailleurs écrit dans le traité d’adhésion que ce sont les mêmes critères qui ont été pris en compte pour ces deux pays que pour les dix nouveaux membres de l’Union. On recommence donc les mêmes erreurs que celles commises pour l’élargissement des dix. Tout cela aboutit à tirer l’ensemble des peuples vers le bas. Ce n’est bon ni pour les vingt-cinq peuples européens ni pour ces deux peuples amis. Accroître le fossé entre les uns et les autres n’est pas l’idée que nous nous faisons de l’Europe. Cela constituera une source de tensions supplémentaires entre les vingt-sept peuples, ce qui est très malsain en termes social et économique. Ce n’est pas bon non plus – et cet aspect n’est pas le moindre –, pour l’idée européenne elle-même qui est déjà bien mal en point du fait des politiques suivies et rejetées. Nous allons donc, un jour, accueillir ces deux pays amis qui ont en effet toute leur place dans l’Union – cela ne fait aucun doute pour nous –, mais dans des conditions d’incertitudes juridiques doublées de certitudes dangereuses quant aux conséquences de cette entrée sur leur situation sociale et économique. En revanche, et cela vient d’être rappelé, on se focalise sur le déroulement de cette hypothétique, mais supposée, entrée de deux nouveaux pays dans l’Union résultant du traité de Nice. D’aucuns en profitent pour poser à nouveau et fortement la question des institutions de l’Union. Et, suivez mon regard, on nous ressort l’idée d’un nouveau traité concentré sur ces seules questions institutionnelles. La ficelle est un peu grosse ! Faut-il redire ici que le vote des Français, en particulier, contre le projet constitutionnel avait d’abord trait aux finalités de l’Europe et non au fait de savoir s’il fallait plus ou moins de commissaires ? Franchement ! C’est principalement la partie III du traité qui a été rejetée. Et c’est cette partie – du moins son équivalent dans le traité de Nice, aujourd’hui –, qu’il faut aussi revoir pour établir un nouveau traité. De cela personne ne parle, qui a voté « oui » au référendum.

Plus grave, on apprend que le Parlement européen, le 14 juin dernier, dans une résolution portant sur «les étapes futures de la période de réflexion et d’analyse sur l’avenir de l’Europe » a très majoritairement refusé un amendement majeur.

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. Jean-Claude Lefort. Cet amendement était ainsi rédigé : « Pour pouvoir être appliqué, le traité établissant une Constitution pour l’Europe, signé à Rome le 29 octobre 2004, doit être unanimement ratifié. »

Cette idée toute simple, mais fondamentale, de droit internationale inscrite dans le projet lui-même, qu’il faut l’unanimité pour qu’un traité soit adopté, les députés européens appartenant aux deux grandes familles présentes dans cette institution ont voté contre. C’est invraisemblable ! C’est dire l’entêtement et l’autisme des « ouistes » !

M. Marc Dolez. C’est vrai !

M. Jacques Myard. Il a raison !

M. Jean-Claude Lefort. C’est dire aussi les dangers qu’ils font courir à l’Europe en foulant ainsi aux pieds le droit et le suffrage universel.

M. Marc Dolez. Absolument !

M. Jean-Claude Lefort. Les peuples roumains et bulgares, tout comme les autres peuples européens, n’ont rien à attendre de bon d’une Europe ultralibérale rejetée dans les luttes et les votes par les peuples européens.

Selon le dernier eurobaromètre réalisé en mai dernier par la Commission, 70 % des Européens trouvent que l’Union européenne est trop technocratique ; la grande majorité la trouve inefficace en matière de lutte contre le chômage et en matière sociale ; ils sont très majoritaires à exiger des niveaux de vie comparables en Europe ; plus de 40 % de Français se demandent même pourquoi notre pays est membre de l’Union. Enfin, une immense majorité d’Européens considèrent que la mondialisation est un danger contre lequel l’Europe ne les protège pas. Excusez du peu ! Décidément il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre ! Il est aujourd’hui recherché soit la reprise à l’identique du projet de Constitution, soit un traité institutionnel qui rendrait plus aisée et plus rapide la mise en œuvre de la politique libérale de l’Union au cœur de la partie III. Inutile de dire que ce chemin ressemble à celui qui mène à l’enfer : il est tellement pavé de bonnes intentions que nos concitoyens, comme ceux d’autres pays, ne manqueront pas de dénoncer prochainement ces volontés malignes ou franchement antidémocratiques. Je veux naturellement parler des échéances électorales qui s’annoncent et de ces politiques qui entendent séparer la politique qu’il faut suivre en France en s’affranchissant de l’obstacle libéral qui la corsète au sein de l’Europe.

Dans ces conditions, si nous réitérons notre accord pour l’entrée de ces deux pays dans l’Union, deux raisons nous ont conduits à ne pas prendre part au vote en commission, en signe de solidarité avec les peuples bulgares et roumains : les conditions juridiques incongrues de cette vraie fausse ratification, d’une part, et les volontés ultra-libérales qui s’arc-boutent pour empêcher que l’Europe change de voie, d’autre part. Ces deux peuples retiendront ainsi qu’ils ont en France des amis sincères et déterminés, qui leur tendent réellement la main ! Comme le dit un proverbe bulgare, « La vie est une échelle, les uns montent, les autres descendent. »

M. Jacques Myard. Bravo !

M. Jean-Claude Lefort. C’est précisément ce qui se passe dans l’Europe actuelle, et c’est de cela dont nous ne voulons plus, comme la majorité des Français. Comme le dit cette fois un proverbe roumain, « On balaie un escalier en commençant par le haut. » Voilà le travail qui est devant nous aujourd’hui, peuples de ces deux pays amis : balayer l’Europe de son libéralisme, en commençant par le haut ! Bienvenue donc à la Roumanie et à la Bulgarie pour aller dans cette voie salutaire !

M. Marc Dolez. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laffineur, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Marc Laffineur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux ans et demi après le plus grand élargissement auquel l’Europe ait été confrontée, nous voici en passe d’achever la réunification de notre continent avec l’adhésion au 1er janvier 2007 de la Roumanie et de la Bulgarie. Un an après le rejet par référendum de la Constitution européenne par le peuple français, cette adhésion montre que l’année 2006 a aussi été une année utile pour l’Europe : en effet, même si le processus de ratification de la Constitution européenne a connu une pause, l’Europe continue néanmoins de se construire au quotidien, tandis qu’un effort d’explication de l’Europe en direction des peuples s’est fait jour. En témoigne, monsieur le ministre, l’initiative du Gouvernement d’organiser un débat préalable à la tenue de chaque conseil européen au sein de la représentation nationale.

Désormais, nous sommes davantage partie prenante à la vie de l’Europe, mais il nous faut encore relayer sur le terrain ce besoin d’Europe. Il nous reste six mois pour expliquer à nos concitoyens que l’Union européenne comptera à partir du 1er janvier prochain deux États supplémentaires. Sur l’ensemble des bancs de cette assemblée, mes chers collègues, nous devons nous unir, au-delà de toute division partisane, pour convaincre les Français que cet élargissement est juste et nécessaire, parce que c’est un devoir de l’ancienne Europe de l’Ouest envers l’ancienne l’Europe de l’Est que de refermer une blessure de presque cinquante ans provoquée par la deuxième guerre mondiale puis la guerre froide, parce que c’est aussi une opportunité pour l’Europe d’être plus forte et plus unie dans le monde de demain, parce que ce sont enfin de nouveaux marchés qui s’ouvrent à nos industries.

M. Jean-Claude Lefort. Ah, les marchés !

M. Marc Laffineur. Mais cet élargissement ne doit pas nous éloigner de ce qui doit être notre principale préoccupation des années à venir : la réforme de notre architecture institutionnelle, pour des institutions plus efficaces, plus transparentes et plus démocratiques. Nous ne pourrons aller plus loin dans la construction européenne, qu’il s’agisse aussi bien de l’élargissement que de l’approfondissement des politiques communautaires, tant que le chantier institutionnel ne sera pas achevé. C’est l’avenir même de l’Europe qui est en jeu.

L’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie est une promesse que nous devons tenir afin de parachever la réunification du continent européen, avant d’engager une pause durable du processus d’élargissement.

L’adhésion au 1er janvier prochain de la Bulgarie et de la Roumanie est une promesse de réconciliation sur laquelle nous n’avons pas le droit de revenir sans nous déconsidérer et nous trahir, au nom des valeurs d’humanisme qu’ensemble nous partageons. L’Europe est un héritage que nous avons tous en partage, et nous autres, nations fondatrices de la CEE puis de l’Union européenne, nous n’avons pas le droit de nous l’approprier ni de le confisquer.

Le Conseil européen qui s’est tenu à Bruxelles les 15 et 16 juin dernier a réaffirmé l’objectif de l’Union d’accueillir la Roumanie et la Bulgarie à l’horizon du 1er janvier 2007. Les rapports d’information parlementaire de nos collègues Jacques Myard et Jérôme Lambert, au nom de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne, vont largement dans ce sens et se prononcent pour une adhésion dès l’année prochaine de ces deux pays francophones – Bucarest accueillera d’ailleurs à l’automne prochain le sommet de la francophonie –, renonçant à mettre en œuvre la clause de sauvegarde générale qui autorise la Commission à reporter d’un an leur adhésion.

M. Jacques Myard. Excellente lecture !

M. Marc Laffineur. En effet, lors de la dernière année écoulée, la Roumanie comme la Bulgarie ont accompli d’énormes efforts en matière de lutte contre la corruption, d’intégration et de protection des minorités, de surveillance des frontières extérieures de l’Union,…

M. Jacques Myard. C’est vrai !

M. Marc Laffineur. …d’indépendance de la justice, soit les points litigieux sur lesquels les différents rapports d’étape demandaient une accélération des réformes.

Un tel report serait d’autant plus préjudiciable qu’en tout état de cause, il ne pourrait être supérieur à une année. Or de tels problèmes ne peuvent se régler en un an. En outre, une telle mesure ne pourrait être appliquée de la même manière aux deux pays dans la mesure où les règles de vote sont différentes. Enfin, la Roumanie a désormais rattrapé le retard qu’elle avait sur la Bulgarie.

En revanche, rien n’empêche les États qui le souhaitent, à l’instar de ce qui existe pour les dix nouveaux États membres depuis 2004, d’établir des clauses de sauvegarde sectorielles.

Le débat qui nous occupe aujourd’hui doit donc clairement être distingué de celui relatif aux limites de l’élargissement, aux frontières de l’Europe. Le dernier Conseil européen vient d’ailleurs d’avaliser, parmi les conditions d’élargissement de l’Europe, en sus des critères dit de Copenhague, la capacité de l’Union d’absorber de nouveaux membres. Autrement dit, toute acceptation de nouvelle candidature à l’Union devra tenir compte de la préservation de la cohésion et de l’efficacité de l’Union. Cette condition est indissociable de la question de la perception de l’élargissement par les citoyens et de la nécessité pédagogique de bien expliquer le processus de l’élargissement aux peuples européens.

À cela, la France ajoute des garde-fous puisque, depuis la réforme constitutionnelle du 1er mars 2005 modifiant le titre XV de la Constitution, toute nouvelle adhésion d’un État à l’Union européenne, après celles de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie, sera soumise à référendum. Aussi, il appartiendra aux citoyens français de s’exprimer et de prendre en main leur destin dans l’Europe. C’est donc le peuple français qui décidera en dernier recours si, oui ou non, et à quel rythme, les Balkans occidentaux – dont le Monténégro qui, à peine son indépendance proclamée, vient de déposer sa candidature à l’Union européenne – pourront être membres de l’Union.

En ce qui concerne la Turquie, qui est manifestement en dehors des frontières de l’Europe, si les négociations d’adhésion ont officiellement débuté en octobre dernier, nous sommes opposés, à l’UMP, à une adhésion pleine et entière. En revanche, nous sommes ouverts à un partenariat privilégié, qui pourrait s’adresser à d’autres pays aux marges de l’Europe, qui pourrait prendre la forme d’accords économique réciproques sur le modèle du Marché commun qui a prévalu au début de la construction européenne.

Doter l’Europe de frontières et rénover l’architecture institutionnelle européenne, voilà les deux priorités qui doivent être les nôtres avant d’engager tout nouvel élargissement et tout nouvel approfondissement des politiques communautaires.

L’utilisation du référendum n’éloigne pas pour autant du débat qui doit être le nôtre sur les frontières : où s’arrête l’Europe, quels sont les pays de notre environnement immédiat qui ont vocation à y entrer, quel type de relation privilégiée doit-on nouer avec les autres ? Cette question est d’autant plus urgente à trancher que le monde s’accélère et ne nous attend pas.

M. Jacques Myard. Exact !

M. Marc Laffineur. Il nous appartient donc de la résoudre en toute indépendance et sans tenir compte des pressions extérieures. Ce qui importe, c’est de prendre notre destin, le destin de l’Europe, en main, et rapidement, car rien n’est plus pernicieux que l’incertitude qui peut donner le sentiment à notre voisinage immédiat que nous tergiversons.

La question des frontières de l’Europe dépend aussi de la nature que nous entendons donner au projet européen : Europe politique ou bien simple zone de libre-échange. Suivant le choix qui sera opéré, l’étendue de l’Europe ne sera pas la même.

Si nous entendons bien que les Français ont dit non à l’Europe telle que la Constitution la proposait, je suis pour ma part intimement persuadé qu’ils ne sont pas hostiles à une Europe politique, mais ils demandent à cette Europe d’être davantage protectrice et proche de leurs préoccupations quotidiennes.

Cette demande n’est pas incompatible avec la nécessité d’engager au plus tôt une réforme de nos institutions car, sans institutions fortes et efficaces qui garantissent un fonctionnement efficient de l’Europe, nous ne serons pas en mesure de renforcer le désir de protection des citoyens par l’Europe. Nous ne pouvons donc pas faire l’impasse sur cette réforme, et ce n’est pas revenir sur le vote des Français…

M. Jean-Claude Lefort. Si !

M. Marc Laffineur. …que de reprendre à notre compte les principales innovations institutionnelles apportées par le titre I du projet de Constitution.

M. Jean-Claude Lefort. Attention au boomerang !

M. Marc Laffineur. Nous savons tous que les institutions telles qu’elles existent aujourd’hui, si elles étaient satisfaisantes pour un fonctionnement à six ou neuf, ne le sont plus dans une Europe à vingt-cinq et le seront encore moins demain à vingt-sept puis à vingt-huit. Aussi, avant même d’engager un débat sur l’élargissement et les frontières de l’Europe, il faut se mettre d’accord sur des institutions plus stables, plus efficaces, plus proches des citoyens européens.

Une présidence stable qui incarne l’Europe sur la scène internationale et auprès des citoyens européens, un ministre des affaires étrangères, une Commission réduite et collégialement responsable devant le Parlement, un Parlement européen et des Parlements nationaux aux pouvoirs renforcés, gages de démocratie et de proximité, voilà quelques pistes de réflexion qui méritent d’être reprises sans crainte de trahir le vote des Français.

M. Jean-Claude Lefort. Si !

M. Marc Laffineur. Le groupe UMP est favorable à l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, et peut-être aussi plus tard à celle de la Croatie, mais doit leur succéder une longue pause dans le processus d’élargissement. La réflexion doit se déplacer sur la question des frontières de l’Europe, toute capacité d’absorption supplémentaire étant liée à l’environnement institutionnel que se donnera l’Europe dans les années à venir.

Là est le principal enjeu des prochaines années : approfondir les politiques déjà existantes, réformer l’architecture institutionnelle pour davantage d’efficacité, définir nos relations avec nos voisins et inventer avec eux de nouveaux types de partenariats à mi-chemin entre accord d’association et adhésion pleine et entière. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne.

M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la délégation pour l’Union européenne a donné un avis favorable à l’unanimité à l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne, comme vont vous l’indiquer tout à l’heure nos rapporteurs, Jérôme Lambert pour la Bulgarie et Jacques Myard pour la Roumanie, qui ont suivi depuis le début de la législature le processus d’adhésion de ces deux pays, et je voudrais saluer l’excellent rapport d’Hervé de Charette,…

M. Hervé de Charette, rapporteur. Merci !

M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne. …qui nous a bien expliqué la situation dans laquelle nous sommes.

En procédant à la ratification du traité d’adhésion, la France qui, depuis le dépôt de leur candidature, est l’un de leur plus ferme soutien, respecte son engagement et permet à ces deux pays amis de réintégrer la famille européenne. Parallèlement, l’Union poursuit, avec succès, la réunification du continent.

Le traité d’adhésion a été signé le 25 avril 2005 et doit être ratifié par les deux pays adhérents et les vingt-cinq États membres. La décision finale sera prise, en principe, au Conseil européen du 20 octobre 2006, sur recommandation de la Commission, qui doit intervenir à la fin du mois de septembre prochain.

La Commission européenne a publié régulièrement un rapport de suivi et, comme nous l’avons demandé, a su faire preuve d’objectivité et même d’une fermeté plus stricte que pour certaines adhésions précédentes. Elle a encore la possibilité d’activer la clause de sauvegarde générale, qui conduirait à reporter l’adhésion au 1er janvier 2008.

D’ici là, les deux pays doivent encore fournir des efforts.

Pour la Roumanie, des progrès considérables ont déjà été accomplis dans des domaines aussi essentiels que la réforme de la justice, la lutte contre la corruption de haut niveau et la criminalité organisée. Des améliorations sont encore à fournir dans des domaines techniques relevant surtout de la capacité administrative. À cet égard, on peut saluer ici la coopération menée depuis deux ans entre l’Assemblée nationale et la Chambre des députés de Roumanie dans le cadre d’un programme Phare de pré-adhésion.

S’agissant de la Bulgarie, la Commission a relevé des insuffisances dans le domaine judiciaire et dans la lutte contre la corruption. Néanmoins, il faut souligner l’engagement européen des autorités politiques bulgares et noter le récent changement du procureur général, homme clé de l’organisation judiciaire.

Pour les deux pays, le processus d’adhésion ne se terminera pas le 1er janvier 2007…

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne. …et devra donner lieu à des adaptations continues aux règles européennes, notamment dans le domaine agricole. Nous savons, en effet, que la population rurale de ces deux États est très nombreuse et qu’elle vit sur des exploitations dont la compétitivité ne correspond évidemment pas encore au marché actuel.

En ratifiant aujourd’hui le traité d’adhésion, nous espérons que les derniers États membres qui ne l’ont pas encore fait suivront rapidement notre exemple. L’idéal serait, bien sûr, que le processus soit quasiment achevé avant le sommet de la francophonie, qui se tiendra à Bucarest, en Roumanie, à la fin du mois de septembre 2006.

Avec l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, un cycle de la réunification s’achève. L’Union doit maintenant prendre son temps, Marc Laffineur l’a très bien dit, avant d’intégrer les autres pays de la famille européenne.

L’Union doit s’atteler à la réforme de ses institutions pour éviter la paralysie. C’est d’ailleurs ce qu’a affirmé le dernier Conseil européen des 15 et 16 juin, tous les chefs d’État et de gouvernement s’étant accordés à reconnaître qu’il n’était pas possible d’en rester au traité de Nice, insuffisant pour permettre à l’Europe élargie de fonctionner correctement.

M. Jean-Claude Lefort. Ça recommence !

M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne. Je voudrais souligner l’acte positif très important qu’ont accompli le Président Jacques Chirac et la Chancelière, Mme Merkel, lorsqu’ils se sont rencontrés à Rheinsberg,…

M. le ministre des affaires étrangères. Absolument !

M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne. …en fixant le début des négociations de cette réforme des institutions lors de la présidence allemande au premier semestre 2007 et la fin lors de la présidence française au second semestre 2008.

L’Union doit aussi définir un modèle de relations privilégiées avec son voisinage, point d’arrivée ultime du rapprochement des voisins sans perspective d’adhésion. Pour moi, cela doit viser la Turquie, avec laquelle les négociations engagées sont très difficiles, comme on l’a vu notamment avec son refus de reconnaître Chypre, un membre postulant refusant de reconnaître un membre de l’Union européenne. Je pense donc que l’entrée de la Turquie est incompatible avec les exigences de l’union politique.

Je suis favorable à la réunification, qui n’est pas l’élargissement pour l’élargissement, contraire à l’ambition française d’une Europe politique, mais pas à la dissolution de l’Europe dans la précipitation de l’élargissement. Les Balkans ont évidemment vocation à intégrer l’Union, c’est la réunification, mais l’Europe a le droit et le devoir, et c’est le sens de la notion de capacité d’absorption proposée par la France, de décider d’une pause de façon à changer ses institutions, à se renforcer, à définir le partenariat privilégié, avant d’accepter l’achèvement de la réunification de l’Europe que nous appelons de nos vœux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Lambert.

M. Jérôme Lambert. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons ratifier aujourd’hui le traité d’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne. Cette ratification marque le terme d’un processus commencé il y a plus de dix ans et qui concerne, bien entendu, ces deux nations mais aussi la France et l’ensemble de l’Europe. Ce processus a été accompagné par la délégation pour l’Union européenne de notre assemblée. François Loncle, sous la précédente législature, et moi-même, au cours de celle-ci, nous nous sommes intéressés plus particulièrement à la Bulgarie et nous avons présenté à la délégation des rapports de suivi du processus de ratification. Plus récemment, nous avons approuvé le rapport d’adhésion de la Bulgarie et celui de la Roumanie présenté par Jacques Myard.

Deux ans et demi après le précédent élargissement, qui avait concerné dix pays, l’Europe va, une nouvelle fois, changer de visage et de contours. Nous allons intégrer à notre Union deux autres États du sud-est de l’Europe, permettant ainsi à notre continent de poursuivre son union, de rechercher son homogénéisation. Des peuples européens rejoignent d’autres peuples européens pour construire un projet politique commun.

Examinons les conditions dans lesquelles s’opère ce nouvel élargissement. Ces deux pays comptent 30 millions d’habitants, soit 6 % de la population européenne. Leur poids économique est assez faible et leur revenu par habitant modeste, mais leur développement est manifeste. Ils bénéficient d’un fort taux de croissance, environ trois fois supérieur au nôtre cette année.

Dans un contexte où l’Union semble frappée, jour après jour, d’une vague de morosité et de scepticisme face aux questions qui se posent, la symbolique de leur adhésion est très forte. Elle nous rappelle d’abord la foi en l’Europe, alors que nous avons parfois tendance à oublier tout ce que l’Europe a pu, et doit encore, nous apporter.

Certes, nous rencontrons des problèmes et des questions restent encore sans réponses, mais qu’en serait-il si nos différents pays devaient affronter seuls les problèmes que pose, dans le contexte politique mondial, une économie libérale qui s’affranchit de plus en plus de l’intérêt des peuples et des travailleurs au profit des intérêts financiers ? L’Europe subit elle aussi de plein fouet cette situation, mais n’avons-nous pas, compte tenu de notre histoire, de notre culture, de nos règles de vie en société, les bases nécessaires pour trouver un nouveau chemin face à la logique toute libérale qui domine aujourd’hui le monde ?

Certes, la construction de l’Europe est imparfaite, et cette dernière est à la croisée des chemins, dans un monde, lui aussi, en pleine mutation. Pourtant, notre seule alternative est d’y croire et de faire en sorte que nos espoirs deviennent des réalités. La volonté d’adhérer de peuples qui sont encore en marge de l’Union démontre que nous avons eu raison, même dans l’adversité, de poursuivre cette politique de construction depuis maintenant près de cinquante ans.

Ce n’est pas parce que nous serons plus nombreux que nous aurons davantage de difficultés à trouver la voie politique, économique et sociale qui conduira les peuples européens vers la réussite. Notre union c’est aussi notre force, et la réflexion qui s’engage sur l’avenir de cette Union – réflexion qui nous anime et qui provoque des débats – va nous permettre, parce que c’est nécessaire, de trouver les réponses les plus appropriées aux défis que nous devons affronter dans ce monde en devenir. Cela va nous permettre, avec la sagesse et l’audace nécessaires, de faire bouger le monde pour que chacun puisse y trouver sa place, dans un équilibre et une harmonie au service des hommes.

En menant à terme leur processus d’adhésion, la Roumanie et la Bulgarie manifestent le désir de participer pleinement à cet avenir commun, en le construisant avec nous tous. Leur place est parmi nous, en Europe, comme la géographie et les racines culturelles partagées le démontrent. Mais c’est surtout en me rendant sur place, en Bulgarie, dans le cadre de la mission de la délégation pour l’Union européenne, que j’ai pu constater, à plusieurs reprises, la forte volonté populaire et politique manifestée par ces nations. Cela rend le processus engagé évident et inéducable.

Cependant, nous devrons répondre demain, avec eux, aux questions qui se posent, compte tenu du nouveau visage de l’Europe résultant de l’intégration de dix nouveaux membres en 2004. À l’évidence, cette nouvelle Europe politique est loin de ressembler à l’Europe des fondateurs. C’est pourquoi elle ne peut en être le simple prolongement. D’ailleurs, le projet de Constitution européenne, qui reprenait pour l’essentiel les mêmes schémas et préconisait l’application des mêmes politiques, a montré les limites de l’exercice. Les peuples de deux pays fondateurs qui ont engagé une consultation populaire ont demandé à leurs dirigeants de revoir leurs propositions afin d’apporter de nouvelles réponses aux questions qui se posent dans un contexte nouveau au plan économique et social. Cette nouvelle Europe politique est loin d’être aussi homogène et harmonieuse que l’était, en grande partie, celle de la fin des années 50.

Bienvenue donc à la Roumanie et à la Bulgarie, deux nations européennes, proches amies de la France, à l’égard desquelles notre politique d’investissement et de développement des échanges doit progresser pour atteindre le niveau auquel nos relations historiques, politiques et culturelles nous permettent légitimement d’aspirer.

Cependant, cette grande occasion de renforcer le pôle européen auprès des Balkans est parfois considérée comme une nouvelle menace pour l’Europe. D’aucuns mettent en avant la situation de ces deux nations dans certains domaines pour demander un report de leur adhésion. À ce titre, je regrette que le débat en cours à la Commission européenne interfère avec la ratification du traité d’adhésion, car il s’agit de deux questions de nature différente. Si l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie est en discussion devant la Commission européenne – principalement d’ailleurs à propos de la Bulgarie –, ce n’est en aucune manière pour remettre en cause le processus d’adhésion lui-même, qui a été acté par un traité européen approuvé par le Parlement européen et qui doit faire l’objet d’une ratification par chacun des États membres. De ce point de vue, nous ne sommes pas les premiers, ni les derniers non plus d’ailleurs, à procéder à l’examen d’un texte de ratification de ce traité, près d’une vingtaine d’État membres y ayant déjà procédé.

M. Hervé de Charette, rapporteur. Dix-sept !

M. Jérôme Lambert. Ce qui est aujourd’hui en jeu à la Commission, et peut-être demain au Conseil européen – organisme statuant à l’unanimité sur ces questions –, ce sont d’éventuelles mesures d’accompagnement de l’adhésion. En cas de réelles difficultés – certaines ont été pointées du doigt, mais sont en passe d’être réglées –, la Commission pourrait proposer au Conseil de procéder au gel des accords européens dans certains domaines, ceux dans lesquels il n’aurait pas été encore possible, début 2007, de trouver de solutions. C’est ce qu’on appelle la mise en pratique de clauses de sauvegarde particulières. De telles clauses existent déjà, sous une autre forme, pour les dix derniers arrivants, par exemple s’agissant de la restriction en matière d’installation de leurs ressortissants dans d’autres pays de l’Union. De même, des pays européens ne participent pas, pour diverses raisons, à la politique monétaire ou douanière, ou ne font pas partie de l’espace Schengen. Certains exemples nous montrent à l’évidence que des exceptions temporaires n’empêchent pas l’Union de travailler.

Une autre possibilité, plus préoccupante il est vrai, est aussi évoquée, sans que je puisse y croire pleinement : la mise en place d’une clause de sauvegarde générale, qui ne concernerait pas des questions particulières, mais qui pourrait avoir pour effet de retarder d’une année, jusqu’au 1er janvier 2008, la mise en pratique du traité d’adhésion. Certes, si des difficultés sont identifiées, il importe alors de leur trouver des solutions, mais une telle mesure, loin de rassurer et de permettre à l’Union de progresser, serait un frein important – un de plus – au développement du climat de confiance nécessaire à l’aboutissement des futures réformes nécessaires au bon fonctionnement de l’Union européenne.

Qu’en sera-t-il donc pour la Roumanie et la Bulgarie ? Nous le verrons après l’examen par la Commission des résultats des dernières recommandations qui leur ont été faites – et je sais qu’elle y travaille activement. Nous apprécierons alors la situation et les éventuelles propositions formulées, qui devront faire l’objet d’une décision unanime du Conseil, à laquelle notre Parlement devra être associé, comme cela est maintenant l’usage, dans un dialogue avec notre gouvernement.

Toujours est-il que ces considérations techniques, qui montrent le sérieux mis à l’examen des conditions d’adhésion, ne sont pas un frein à l’adhésion elle-même, qui doit être ratifiée par notre assemblée. Ne nous trompons pas de débat. Aujourd’hui, les représentants du peuple français vont, par un vote solennel, accepter l’adhésion de deux nouveaux pays européens au sein de l’Union européenne. Alors je dis – comme, je le pense, l’ensemble de la représentation nationale – bienvenue parmi nous à la Roumanie et à la Bulgarie ! Et je dis aussi, compte tenu des liens déjà forts unissant notre pays et ces deux nations, qui comptent encore beaucoup de francophones et où l’enseignement de notre langue est au tout premier plan, que nous ferons en sorte de consolider ces liens entre nos nations et également entre nos peuples, dans le cadre de l’Union, afin de poursuivre ensemble la recherche de l’harmonie et du progrès commun. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jacques Myard. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’élargissement de l’Union européenne à la Roumanie et à la République de Bulgarie est engagé depuis 2004. L’appartenance de ces deux pays à la zone Europe n’est plus contestée aujourd’hui ; je salue leur adhésion à l’Union européenne qui pourra ainsi bénéficier de leurs nombreux atouts.

Ces deux pays ont déjà bénéficié d’aides européennes importantes afin d’intégrer l’acquis communautaire et de réussir leur entrée dans l’espace européen. De 1990 à 2006, la Bulgarie a pu bénéficier de 3,53 milliards d’euros d’aides de pré-adhésion tandis que la Roumanie a reçu près de 6,8 milliards d’euros.

L’effort fourni pour que leur intégration soit réussie ainsi que l’importance de ces deux pays plaident en faveur de l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne. En effet, ces deux pays sont des partenaires économiques importants, tant de la France que des autres pays européens, et leur position géographique leur confère naturellement une dimension européenne.

Cependant, des efforts restent encore à faire, notamment en ce qui concerne certains aspects de consolidation de leur démocratie et de contrôle de leurs frontières.

En outre, compte tenu de la crise institutionnelle que traverse l’Union européenne, je tiens à rappeler que l’UDF est attachée à privilégier l’approfondissement des institutions plutôt que l’élargissement de l’Union.

L’adhésion de ces deux pays n’en est pas moins positive pour la France et pour l’Europe. En effet, les exportations et les investissements français sont largement dynamisés par l’activité économique de la Roumanie et de la Bulgarie. Cette tendance sera d’autant plus renforcée par la constitution du grand marché unique de plus de 480 millions d’habitants que sera l’Union européenne à vingt-sept.

Les échanges commerciaux de la France avec la Bulgarie et la Roumanie ont connu ces dernières années une croissance très importante : ils ont doublé en six ans avec la Bulgarie et triplé avec la Roumanie depuis 2002.

La France est le troisième fournisseur et le troisième client de la Roumanie, où elle détenait plus de 7 % des parts de marché en 2004. En Bulgarie, nous occupons la sixième place en ce qui concerne la part des exportations – environ 3,9 % des parts de marché en 2004 – et des importations – près de 6 %. En outre, le solde global de notre balance commerciale reste positif avec les deux pays candidats.

De nombreuses entreprises françaises sont déjà implantées en Bulgarie et en Roumanie et y emploient environ 78 000 personnes dans des secteurs aussi stratégiques que les services – notamment les banques et les télécommunications –, les services publics – eau et énergie –, la grande distribution, l’automobile, les biens d’équipements, le textile, l’industrie pharmaceutique ou l’agroalimentaire.

La France, avec 11 % du stock des investissements directs étrangers, est ainsi un des tout premiers investisseurs en Roumanie.

L’enjeu géopolitique de l’intégration de ces deux pays est également fondamental. La Bulgarie est membre de l’OTAN et remplit un rôle de stabilisateur dans la zone des Balkans, au même titre que la Roumanie d’ailleurs.

J’aimerais aussi souligner l’importance de ces deux pays pour la francophonie. Du reste, le XIe sommet de la francophonie se déroulera en septembre prochain en Roumanie, où près de 20 % de la population parlent le français.

Lors du déplacement de la délégation parlementaire en Roumanie, dont je faisais partie, les rencontres successives avec les responsables nationaux se sont presque exclusivement déroulées en langue française. La France cultive de nombreux partenariats avec la Roumanie, notamment par le biais de la coopération décentralisée, dans des domaines aussi variés que l’éducation, la protection de l’enfance, la gestion locale ou la coopération intercommunale. C’est un véritable atout pour notre langue, dont l’influence au sein de l’Union européenne n’en sera que renforcée.

Cependant, des problèmes subsistent. L’adhésion de ces deux pays à l’espace européen n’a pas été sans poser certaines difficultés au regard du contrôle aux frontières et de la lutte contre la corruption institutionnelle. Comme le démontre le rapport de la Commission européenne, publié le 25 octobre 2005, des efforts restent à fournir dans la lutte contre le blanchiment des capitaux, mais aussi dans le domaine de la pêche, de l’environnement et de la politique sociale.

Ce rapport souligne les retards accumulés par les deux pays en matière d’application des politiques communautaires relatives au visa et à la lutte contre la drogue. Les mécanismes de coopération judiciaire européenne ne sont pas suffisamment intégrés, ce qui pourrait fragiliser la sécurité intérieure de l’Union.

La Commission a également identifié des secteurs « particulièrement préoccupants » pour lesquels les candidats doivent impérativement redoubler d’effort. Je citerai le piratage et la contrefaçon, les structures d’accueil de la PAC, la sécurité en matière vétérinaire, le contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne, la corruption, les capacités de contrôle et d’absorption des fonds européens et la criminalité organisée s’agissant de la Bulgarie.

Ces sujets sont fondamentaux pour la stabilité de la zone Europe. À cet égard, il convient de poser des réserves importantes. Je vous engage, monsieur le ministre, à veiller à ce qu’ils soient correctement abordés.

De même, le rapport de la commission des affaires étrangères du Parlement européen a observé que, dans plusieurs domaines, les progrès n’ont pas été suffisants. Faisant état de « retards persistants » dans la lutte contre la corruption et dans l’application de la législation dans les domaines de l’agriculture, des marchés publics et de l’environnement, la commission parlementaire invite la Roumanie à prendre des « mesures immédiates pour combler ces lacunes » afin de pouvoir adhérer à l’Union le 1er janvier 2007.

Les députés ont également déploré les mesures discriminatoires encore relevées dans les lois électorales roumaines et répétées dans le projet de loi sur les minorités. Ils ont réclamé l’adoption dans les plus brefs délais possibles de la législation concernant les minorités, conformément aux critères de Copenhague.

La problématique du peuple Rom, ou tzigane, est également de grande ampleur puisqu’il représente une importante communauté en Bulgarie et en Roumanie ainsi que dans d’autres pays de l’ex-Yougoslavie et de l’ancien bloc communiste. Le droit de se déplacer librement dans l’Union européenne n’est pas un droit d’installation dans les différents pays européens.

J’en viens à la question de la définition de l’Europe et de ses élargissements futurs. Aujourd’hui, l’adhésion de ces deux pays candidats à l’Union européenne n’est plus contestable, et le report de leur adhésion d’une année supplémentaire semble peu acceptable, voire inacceptable. Pourtant, je voudrais profiter de ce vote pour souligner combien il est urgent de mener une réflexion sur l’identité européenne et de s’interroger sur l’opportunité de procéder à un nouvel élargissement.

Une fois que la Roumanie et la Bulgarie auront intégré l’Union européenne, il faudra se concentrer sur la réussite de leur intégration et sur la coordination de leurs systèmes internes avec ceux des autres États membres. À ce titre, je souhaite que la transition de cinq ans qui leur est accordée pour intégrer certaines politiques communes leur soit salutaire. Je pense notamment à la politique sociale et à la nécessaire harmonisation des politiques fiscales au sein de l’Union européenne dans son ensemble. Cela, dans l’optique d’éviter tout type de dumping.

De même, l’adhésion de ces nouveaux pays n’ira pas sans provoquer des blocages au sein du fonctionnement institutionnel européen. On sait les difficultés qu’a suscitées l’adhésion des dix Pays d’Europe Centrale et Orientale en mai 2004 et il convient d’en prendre acte pour réformer en profondeur le mode de fonctionnement des institutions européennes.

L’Union européenne traverse une grave crise politique depuis le rejet du traité constitutionnel. À cet égard, tout élargissement supplémentaire serait inconsistant Depuis longtemps, l’UDF souhaite que soit posée la question de l’identité de l’Europe et de ses frontières. Si la Bulgarie et la Roumanie ont vocation à rentrer dans l’Europe, il n’en va pas de même pour tous les pays candidats, notamment à l’est de ces deux pays. À ce titre, des partenariats privilégiés constitueraient des solutions satisfaisantes.

L’Europe doit s’approfondir. Elle doit d’abord se définir en tant que telle et réformer ses institutions, si l’on souhaite qu’elle puisse constituer un espace social et politique réussi.

Je rappellerai ici le souhait de l’UDF qu’à l’avenir, le Parlement soit consulté sur les futurs élargissements avant une ratification par référendum. Une adhésion de cette importance aurait d’ailleurs dû faire l’objet d’un vote solennel à l’Assemblée, symbole à la hauteur de la volonté, de l’espérance et du besoin d’Europe de ces deux nations. Il y va de l’avenir de nos concitoyens, et il paraît légitime que leurs représentants soient associés à ce processus. Dans ce cadre-là, l’UDF approuvera ce projet et souhaite la bienvenue à la Roumanie et à la Bulgarie dans l’Union européenne. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Philip.

M. Christian Philip. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je crois à l’idée européenne. Je crois en une Europe forte, qui permet en son sein une France forte. Je crois en une Europe élargie parce que facteur de paix et de démocratie, parce que nous ne pouvons refuser l’adhésion de pays incontestablement européens même s’ils sont éloignés du nôtre : l’Europe ce n’est pas seulement l’Europe de l’Ouest.

Je crois à l’idée européenne. J’ai consacré comme universitaire près de quarante ans, toute ma vie professionnelle, à son étude et à son enseignement. L’Europe a également été la raison de mon engagement en politique auprès de Raymond Barre.

Je crois à l’idée européenne. J’ai vécu le 1er mai 2004 comme une fête, comme un moment historique. L’élargissement a été pour moi une réunification, l’aboutissement d’un combat de cinquante ans pour mettre fin à la coupure de l’Europe due aux circonstances de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. J’ai été déçu que nous ne sachions pas faire partager à nos compatriotes ce sentiment.

Je crois à l’idée européenne et, en ce sens, je ne peux mettre en cause la présence de la Bulgarie et de la Roumanie à la table européenne. Je devrais donc me réjouir que ces deux pays puissent rejoindre ceux entrés il y a deux ans, qu’ils n’avaient pu accompagner alors, faute d’une préparation suffisante. Je devrais m’en réjouir d’autant plus que ces deux pays ont des liens étroits avec la France. C’est à Bucarest, cet automne, que se tiendra la Conférence des chefs d’État et de Gouvernement de l’Organisation internationale de la francophonie.

Mais parce que je crois à l’idée européenne, je ne peux que m’interroger sur le moment et les conditions de la ratification de ces deux traités d’adhésion. Le moment n’est pas bien choisi, en effet. Faute d’un référendum en 2003 sur l’élargissement de 2004, nous n’avons pu avoir le débat citoyen qui nous aurait, je l’espère, permis de convaincre que ce défi était une chance à saisir. L’an dernier les Français en votant « non » n’ont pas refusé l’idée européenne, mais ont dit clairement qu’ils ne comprenaient plus ce qu’était devenue l’Europe d’aujourd’hui.

M. Jean-Pierre Dufau. C’est vrai !

M. Christian Philip. Ils ne savaient pas où et avec qui elle voulait aller. Il n’y avait certes aucun plan B malgré ce que certains ont affirmé, mais les Français attendaient, et attendent toujours, qu’on leur explique pourquoi nous avons besoin d’un nouveau traité constitutif et avec quels pays nous entendons le faire. Ils souhaitent qu’on définisse les frontières de l’Union. Nous n’avons pu encore répondre à cette double question.

M. Jérôme Lambert. Ce sont eux qui ont la réponse, il faut les écouter !

M. Christian Philip. Dans le même temps, nous décidons d’ouvrir des négociations d’adhésion avec deux nouveaux pays, dont l’un d’entre eux n’appartient pas à l’Europe pour une majorité de nos concitoyens. Et aujourd’hui, nous ratifions l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie.

Tant de la part de mes étudiants que de mes électeurs, j’entends les mêmes interrogations. L’Union a décidé de marquer une pause de réflexion sur le traité constitutionnel, même si l’on a demandé à l’Allemagne, et je m’en réjouis, de préparer une relance du processus à la fin de sa présidence, dans un an. Il aurait été logique de marquer la même pause en matière d’élargissement. J’entends que l’Europe n’a rien compris au non de l’an dernier, pire qu’elle donne l’impression de ne pas vouloir comprendre, de ne pas vouloir tenir compte des réactions enregistrées. J’entends, et je le regrette, que nos compatriotes s’écartent encore davantage de cette Europe.

Soyons clairs. Si nous soumettions aujourd’hui à référendum ces deux traités d’adhésion, la réponse des Français serait incontestablement « non ». Notre ratification ne sera donc pas comprise et ne va pas aider les Français à se réapproprier l’idée européenne. L’Europe ne peut plus se faire sans les peuples, a dit fort justement notre ministre en introduisant notre débat. Mais, et je le regrette d’une certaine manière, nous allons encore l’oublier aujourd’hui.

Je sais les promesses faites à la Bulgarie et la Roumanie, les engagements pris, le processus déjà engagé. Je sais que revenir sur ces promesses n’aurait pas été compris. Je mesure l’attente qui existe dans ces deux pays. Je suis heureux et fier qu’ils croient encore que l’entrée dans l’Union leur permettra de résoudre les problèmes institutionnels auxquels ils font face et accélérera leur développement économique.

Je sais que la responsabilité d’un Gouvernement et la nôtre, mes chers collègues, est non pas de suivre nécessairement l’opinion, mais d’apprécier la décision à prendre en fonction de l’intérêt du pays. Je sais que fermer la porte à la Bulgarie et à la Roumanie n’aurait pas été accepté par nos partenaires et aurait ouvert avec deux pays amis et francophiles une crise dont nous serions les premiers perdants. Mais nous devons savoir que le moment est vraiment mal choisi !

Il en est de même pour les conditions de la ratification de ces deux traités d’adhésion. Des critères ont été fixés pour l’adhésion d’un pays. Le non-respect de ces critères par la Bulgarie et la Roumanie explique qu’il n’a pas été possible pour eux d’adhérer dès 2004. Des progrès importants ont été enregistrés depuis, et je ne le nie pas. Mais toutes les conditions requises ne sont pas encore remplies. La Commission le savait quand elle a donné un avis favorable à la conclusion des négociations. Le Conseil le savait quand il a autorisé la signature des traités. Mais on n’a pas eu le courage de repousser encore.

Aujourd’hui, des problèmes subsistent. Aussi, la Commission a reporté à septembre son avis sur l’opportunité d’une adhésion dès le 1er janvier 2007. Mais qui doute qu’à cette date elle ose, à quelques semaines de l’échéance, les Vingt-cinq ayant ratifié les traités, se prononcer sur un report, même d’un an ? Qui doute que le Conseil se réfugiera derrière cet avis pour donner son aval ? Pour donner l’impression de ne pas céder, il sera sans doute décidé de mettre en œuvre certaines clauses de sauvegarde, reconnaissant de fait qu’il y a toujours problème. En tout cas, ne nous y trompons pas, c’est ce que l’opinion publique retiendra.

Elle retiendra surtout que ce que nous faisons maintenant, nous le referons de la même façon avec les autres pays qui frappent à la porte de l’Union et avec la Turquie. Elle a compris qu’un processus engagé est un processus irréversible. Certes, la révision constitutionnelle introduisant le référendum pour la ratification de toute nouvelle adhésion, après celle de la Croatie, changera les choses. Mais en ne se montrant pas aujourd’hui suffisamment ferme, l’Europe saura-t-elle manifester demain la fermeté requise par rapport aux autres pays candidats, notamment la Turquie ? Elle prépare là une nouvelle crise.

Voilà pourquoi j’avoue mon hésitation. Pourtant, comme d’autres collègues qui se sont exprimés avant moi, j’ai envie de dire bienvenue à la Roumanie et à la Bulgarie. J’avoue mon hésitation à choisir entre deux votes – dire oui ou non à cette ratification demandée – dont ni l’un ni l’autre ne me satisferont. Pendant longtemps, je me suis convaincu qu’en tant que militant européen et député français, il fallait voter cette ratification, parce que la Bulgarie et la Roumanie sont naturellement des pays européens, parce qu’il serait injuste d’en faire les victimes de la crise actuelle de l’Union.

Mais parce que je crois à l’Union européenne, j’ai aussi de plus en plus conscience que nous ne pouvons pas laisser davantage se creuser un fossé entre les Français et l’Europe que nous construisons. Il faut, d’une manière ou d’une autre, dire à nos compatriotes que nous entendons leur message, et leur proposer d’urgence un nouveau contrat avec l’idée européenne. Il faut que la déclaration prévue pour le 25 mars 2007, cinquante ans après la signature des traités de Rome, ne soit pas une nouvelle déclaration sans contenu, mais introduise ce que pourraient être nos objectifs communs pour les années à venir.

Voilà pourquoi, avec une grande tristesse mais sans hésiter, parce que je crois à l’Europe, parce que nous ne poursuivrons pas notre combat pour l’Europe contre les Français, parce que l’Europe doit se ressaisir, ce soir, à titre personnel, je ne pourrai pas voter la ratification demandée. Je vous remercie. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Dufau.

M. Jean-Pierre Dufau. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, par un heureux hasard de calendrier parlementaire, ce matin encore j’étais à Bucarest. En effet, président du groupe d’amitié franco-roumain, j’ai eu le plaisir et l’honneur de clôturer le programme de jumelage européen PHARE. Ce programme de formation des parlementaires et hauts fonctionnaires roumains avait été confié à la France.

Vous imaginez l’attente impatiente des autorités roumaines et bulgares concernant le vote de notre assemblée. Vous mesurez aussi leur espérance.

La ratification du traité d’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie est un moment décisif pour l’histoire de ces pays. Elle est aussi un moment clé pour l’avenir de l’Union européenne. Elle est enfin une décision majeure pour les relations bilatérales entre la France et chacun de ces pays francophones et amis.

Je me bornerai, dans cette intervention, à développer deux points : l’aboutissement d’un engagement réciproque entre la Bulgarie, la Roumanie et l’Union européenne ; le renforcement des relations entre la France et ces deux nouveaux pays entrants.

Il s’agit bien de l’aboutissement d’un engagement réciproque au terme d’un long processus : l’adhésion n’est pas un long Danube tranquille !

Il convient de rappeler que la Bulgarie et la Roumanie sont liées à la Communauté européenne depuis les accords européens entrés en vigueur en février 1995 et que leur candidature à l’adhésion date de la même année. Les négociations ont été ouvertes le 15 février 2000 pour aboutir le 25 avril 2005 au traité de Luxembourg, signé par les deux pays comme par les vingt-cinq États membres actuels de l’Union européenne. Pendant cette période, les crédits européens pré-adhésion ont été acquis dans le cadre des programmes PHARE, ISPA et SAPARD. À ce titre, la Bulgarie a bénéficié au total de 3,5 milliards d’euros, la Roumanie de 6,8 milliards d’euros. Enfin, le Conseil européen des 16 et 17 décembre 2004 a entériné la conclusion des négociations et confirmé l’adhésion au 1er janvier 2007. Conformément au traité de Luxembourg, les vingt-sept États concernés doivent se prononcer avant le 31 décembre 2006.

Aujourd’hui, tous les observateurs, unanimes, reconnaissent les efforts considérables et les progrès sensibles accomplis par la Bulgarie et la Roumanie sur les trente et un chapitres qui faisaient l’objet des négociations, y compris les plus délicats : justice et affaires intérieures, contrôle financier, protection des consommateurs et santé, environnement, union douanière, institutions. Pour autant, tout est-il parfait ? Non, sans aucun doute.

Cependant, la situation de la Bulgarie et de la Roumanie est comparable à celle de certains des dix pays déjà membres de l’Union européenne. Attendre le 1er janvier 2008 n’apporterait rien de fondamental. Ce serait même une suprême humiliation, qui laisserait des blessures profondes et un réel ressentiment à l’encontre de ceux qui en prendraient la responsabilité. Il faudra accompagner pendant plusieurs années la Bulgarie et la Roumanie dans leur développement économique, mais pas uniquement : il faudra le faire aussi pour le progrès social et pour le respect des droits de l’homme. Et peut-être a-t-on eu tort de considérer l’Union européenne simplement comme un grand marché économique. Derrière, il y a des hommes, des femmes, des sociétés.

La Commission européenne, pourtant encourageante, a choisi de différer sa décision au mois d’octobre. J’y vois la marque d’une ultime pression pour que la Bulgarie et la Roumanie ne relâchent pas leurs efforts. Je ne doute pas de la décision finale qui pourrait être – mais rien n’est moins sûr – assortie de clauses de sauvegarde générales – je n’y crois pas – ou particulières – cela reste possible.

Ce qui me paraît probable, c’est l’adhésion, dans un même élan et sans les dissocier, de la Bulgarie et de la Roumanie au 1er janvier 2007, comme prévu. Ce qui me paraît certain, cette étape étant franchie, c’est la nécessité du suivi post-adhésion, du contrôle de l’utilisation pertinente des fonds structurels dans les années à venir.

C’est donc bien à une étape importante de l’histoire de la Roumanie et de la Bulgarie que nous sommes conviés, une étape pour un nouveau départ qui attend le parrainage de la France.

J’en viens aux relations privilégiées de la Roumanie et de la Bulgarie avec la France. Les liens historiques sont connus, spécialement avec la Roumanie. Notre ami Jacques Myard l’a rappelé dans son rapport, l’expression « C’est la famille », que le général Berthelot adressait à Foch lors du passage d’un détachement roumain pour le défilé du 11 novembre 1919, est symbolique. N’oublions pas non plus les liens culturels, par exemple ce que la littérature française doit à Ionesco, la philosophie à Cioran. Et nos oreilles résonnent encore de la voix familière d’Elvire Popesco. Mais au-delà de ces liens anciens, n’oublions pas les liens actuels. La France est le troisième partenaire économique de la Roumanie, et nos entreprises y occupent des secteurs importants dans l’industrie automobile, la grande distribution, ou encore le secteur bancaire. Environ 20 % de la population roumaine est francophone. Le français est la deuxième langue étrangère enseignée en Roumanie, et l’on reconstruit actuellement le lycée Anne de Noailles pour étendre sa capacité à 900 élèves.

Si l’influence de la France est déjà enviable en Roumanie – je connais un peu moins bien le cas de la Bulgarie –, cette influence comporte encore des marges de progression. Des pays où la croissance oscille entre 4 et 8 % ces dernières années offrent des débouchés importants à nos entreprises. Les liens historiques et culturels deviennent alors des atouts pour les relations économiques et commerciales. Il appartient à la France de ne pas les négliger.

Dans cet esprit, le sommet de la francophonie, qui rassemblera soixante-trois délégations en septembre prochain, à Bucarest, constitue un moment fort. La ratification du traité d’adhésion par notre assemblée en fera un sommet historique, celui du soutien de la France à son allié roumain et de l’amitié franco-roumaine. Il aura un impact décisif dans cette partie du monde.

En effet, la situation géopolitique et géostratégique de la Bulgarie et de la Roumanie en Europe, dans cette partie du monde, n’échappe à personne.

Il me paraît tout d’abord nécessaire de rappeler quelques précisions. Le dispositif des périodes transitoires sur la libre circulation des travailleurs a été appliqué à la Bulgarie et à la Roumanie par l’Union européenne. Compte tenu de la situation de son marché de l’emploi, la France appliquera aux ressortissants bulgares et roumains, comme aux dix autres États, son système d’autorisation administrative pendant une durée de cinq ans après l’adhésion. Il faut le rappeler pour que certains fantasmes ne se développent pas.

Je tiens également à rappeler que la Bulgarie et la Roumanie, même après adhésion, n’intégreront pas automatiquement l’espace Schengen. Les contrôles aux frontières intérieures de l’Union européenne entre la Bulgarie et la Roumanie et les États membres de l’espace Schengen seront maintenus. L’entrée future des deux pays dans cet espace sera conditionnée par la mise en œuvre des critères adéquats et par une décision prise à l’unanimité des États membres. Tout cela va mieux en le disant.

Mais la Bulgarie et la Roumanie constitueront la frontière extérieure de l’Union européenne, aux confins de l’Ukraine et de la Russie, d’une part, et du Proche-Orient, d’autre part. Ce sont également des États maritimes, qui bordent la Mer Noire dont chacun connaît l’intérêt stratégique. Ainsi, renforcer les liens entre la France et ses alliés francophones n’est pas anodin. L’axe Paris-Bucarest ou Sofia-Paris a vocation à devenir un axe politique et diplomatique majeur en Europe.

Cela devient d’autant plus vrai qu’après l’élargissement de l’Union européenne à la Bulgarie et à la Roumanie, il convient de mon point de vue – et plusieurs orateurs l’ont également exprimé – de prendre le temps de la réflexion et de marquer une pause dans le processus d’élargissement. S’il importe, je le confirme, de réfléchir sur les institutions, il nous faut également réfléchir sur les harmonisations fiscales et sociales, et sur la réalité de ces pays. Une fois de plus, l’Europe ne doit pas être réduite à un grand marché. Le principe de la concurrence libre et non faussée ne me semble pas être une valeur suffisante pour fonder une idée européenne : il faut aussi des valeurs autres que marchandes.

Je dirai pour conclure qu’on ne peut, à ce stade, laisser la Bulgarie et la Roumanie au milieu du gué. J’ai essayé de démontrer que notre décision traduit la fidélité à un engagement européen, dans lequel la France a toujours été aux côtés de la Bulgarie et de la Roumanie, en accord avec notre tradition, notre histoire commune et l’idée que nous avons d’une Europe indépendante dont les valeurs ne se réduisent pas à celles d’un grand marché.

J’ai voulu souligner l’intérêt supérieur de la Bulgarie, de la Roumanie et de la France dans le renforcement de leurs liens, pour ces pays d’abord, mais aussi pour une Union européenne mieux équilibrée. À ce propos, je regrette vivement la timidité de l’engagement des États membres pour doter l’Union européenne du budget dont elle a besoin, quelles que soient les difficultés. Ce n’est pas avec 1,049 % du PIB des États membres que l’Europe pourra être à la hauteur des défis de l’emploi, du progrès social et des grands chantiers européens capables de la mobiliser et de la relancer, et dont les vingt-sept pays ont besoin pour relancer la dynamique européenne et peut-être donner davantage confiance à l’Europe et aux citoyens qui la composent.

M. Jean-Louis Idiart. Très juste !

M. Jean-Pierre Dufau. La Roumanie et la Bulgarie ont besoin de l’Europe, leur famille. La France se doit de leur ouvrir la porte. C’est pourquoi le groupe socialiste votera pour la ratification du traité d’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne. Il le fera en conscience, avec lucidité et en assumant ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Brunel.

Mme Chantal Brunel. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, c’est à titre personnel que je souhaite vous faire part de mes réserves quant à l’adhésion à la Communauté européenne de la Roumanie et de la Bulgarie au 1er janvier 2007.

C’est trop tôt, pour trois raisons : ces pays ne sont pas prêts, c’est alourdir le fonctionnement de l’Europe, et enfin les Français, dans leur grande majorité, n’y sont pas favorables.

Première raison : c’est trop tôt car ces pays ne sont pas prêts. De sérieux manquements aux règles communautaires y ont été constatés par le rapporteur à l’élargissement : pour la Bulgarie, dans les domaines de la criminalité organisée, de la lutte contre la fraude, la corruption et le blanchiment d’argent ; pour la Bulgarie et la Roumanie, au niveau de la gestion des fonds structurels pour l’agriculture, l’environnement et la sécurité alimentaire, sans parler de certains droits de l’homme, qui sont bafoués.

Par ailleurs, je crois que personne ne peut négliger les problèmes que nous allons rencontrer en matière de fraudes avec des États dont l’ossature juridique et administrative est insuffisante.

Deuxième raison : le fonctionnement d’une Europe à vingt-cinq est déjà chaotique. Qu’adviendra-t-il d’une Europe à vingt-sept où chaque État, grand ou petit, fondateur ou nouveau, a le même pouvoir de blocage, a le souci, légitime, de défendre les intérêts de son pays ?

Pourquoi accueillir si vite deux nouveaux pays lorsque l’on constate déjà, chez des États membres, des pratiques de dumping fiscal ou social et, trop souvent, le non-respect des droits de propriété industrielle et commerciale ?

Le refus d’un élargissement non maîtrisé et insuffisamment préparé lors du passage à vingt-cinq a d’ailleurs été une des causes du rejet par les Français de la Constitution européenne. Je pense qu’il aurait fallu se doter d’une nouvelle Constitution avant de procéder à l’élargissement à de nouveaux pays.

Il est clair que le traité de Constitution, présenté au référendum, apportait des améliorations certaines par rapport au traité de Nice, mais la majorité de nos concitoyens n’a pas voulu entrer dans ces subtilités. Ils ont considéré que la place de la France était insuffisamment garantie, qu’elle allait se diluer dans un ensemble incertain et mouvant. Pour ma part, je pense donc qu’il est indispensable d’aboutir sur le plan des institutions, avant d’admettre de nouveaux pays et de rendre encore plus complexe la future négociation.

Troisième raison : beaucoup de Français ne sont pas favorables à l’élargissement. Il y a bien sûr chez eux la grande peur des délocalisations, peur très présente, mais il y a aussi la crainte de la compétition au « moins-disant social ». Donc, là aussi, avant d’admettre de nouveaux membres, il me paraît indispensable de progresser et de se mettre d’accord sur des objectifs et sur un calendrier au sujet d’une harmonisation minimale sur le plan social et fiscal.

Je sais bien que les travailleurs salariés bulgares et roumains ne bénéficieront pas de la libre circulation des personnes dans l’Union élargie pendant une période transitoire pouvant aller jusqu’à sept ans après l’adhésion. Mais qu’en sera-t-il réellement ? Comment pourrons-nous faire des contrôles efficaces ?

M. Jean-Pierre Dufau. Et maintenant ?

Mme Chantal Brunel. Certes, des promesses envers certains pays ont été faites, mais nous nous devons de privilégier la solidité de l’édifice qu’est la construction européenne. Pour ce faire, l’Europe doit trouver un consensus sur des problèmes cruciaux, tels que ses frontières, ses institutions, son budget, sa vision du social et de l’économique.

Nous devons être intransigeants quant aux conditions d’entrée de tout pays candidat à l’élargissement et veiller à ce que cette entrée ne provoque aucun déséquilibre.

Après la Bulgarie et la Roumanie, viendra le problème de l’adhésion de la Turquie. Bien sûr, le chef de l’État s’est engagé à demander aux Français de se prononcer par référendum. Mais, là aussi, des promesses ont été faites, des négociations ont été engagées, et on nous expliquera qu’il est difficile de refuser un pays qui a commencé à se réformer. L’entrée dans l’Union européenne pour ces pays est une source d’enrichissement et de développement économique, mais cette Europe, pour beaucoup de Français, est synonyme de mondialisation, d’ultralibéralisme, de menaces pour nos emplois, de menaces pour nos acquis sociaux.

En conclusion, je suis pour ma part convaincue qu’en retardant à 2008 l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, en mettant cette période à profit, de part et d’autre pour progresser, nous servirons la cause européenne à laquelle nous sommes attachés.

M. Jean-Pierre Dufau. Ce n’est pas la question qui est posée !

Mme Chantal Brunel. Il ne s’agit pas de frilosité, il s’agit d’avancer de manière réaliste et acceptable pour nos concitoyens. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Loncle.

M. François Loncle. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, contrairement à ce que je viens d’entendre – mais chacun est libre de s’exprimer –, il va de soi que nous ratifierons le traité relatif à l’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne, en particulier pour toutes les raisons évoquées par Jérôme Lambert et Jean-Pierre Dufau et pour celles mentionnés dans les excellents rapports de nos collègues Hervé de Charette, au nom de la commission des affaires étrangères, Jérôme Lambert et Jacques Myard.

À l’origine, le grand élargissement à l’est de l’Europe prévoyait, vous le savez, douze pays. Dix d’entre eux, dont huit appartenaient à l’ancien bloc soviétique, ont rejoint l’Union le 1er mai 2004. La Bulgarie et la Roumanie ont attendu trois années supplémentaires, en admettant que l’Union validera pour 2007 ces deux nouvelles adhésions.

Le travail accompli dans ces deux pays est considérable, beaucoup d’entre nous ont pu le vérifier à maintes reprises. Restent, bien entendu, les problèmes évoqués au cours de ce débat, mais d’ores et déjà, parce que l’identité européenne est forte en Bulgarie comme en Roumanie, parce que ce sont des pays du Sud de notre continent – et nous avons besoin d’un équilibre Nord-Sud en Europe –, parce que la dimension francophone y est incontestable, nous pensons qu’en rejoignant l’Europe, ces deux pays amis vont conforter notre Union.

Cet élargissement complémentaire à celui qui fut la conséquence historique de la chute du Mur de Berlin ne peut souffrir de contestation, mais il doit ouvrir la voie à la réflexion et à l’action sur le devenir de l’Europe. Si l’on observe la géographie, et l’on sait que celle-ci détermine souvent l’histoire, il va de soi, là aussi, que les pays de l’ex-Yougoslavie, au sud de l’Autriche, au nord de la Grèce, ont vocation à nous rejoindre, comme l’a fait la Slovénie en 2004, comme le fera la Croatie dont le niveau de préparation, permettez-moi de le faire observer, n’est pas tellement inférieur à celui des deux pays concernés par notre débat.

Mais bien des progrès doivent être accomplis, bien des questions devront trouver des réponses et des solutions appropriées, aussi bien de la part des futurs candidats qu’au sein même de l’Union. D’ici là, il faudra aussi faire la démonstration devant nos peuples que l’Union protège, que l’Union vise en particulier le mieux-disant social, que l’Europe se construit par le haut. Et nous sommes loin du compte !

En attendant, il me paraît indispensable que soit menée une vraie réflexion, un grand débat public sur les frontières ultimes et l’organisation future de notre continent. Il n’est plus possible de poursuivre notre quête européenne dans le flou, dans l’incertitude, dans l’ambiguïté, dans le malentendu permanent. Pour aller de l’avant, tout en rassurant les opinions publiques, il ne suffit pas de déclarer qu’il faut « une pause dans l’élargissement », qu’« il faut arrêter », comme je l’ai entendu tout à l’heure, conception bien frileuse de la construction européenne. Il convient évidemment de mieux prendre en compte les intérêts et les capacités de l’Union. Mais il faut surtout débattre, encore débattre, informer et proposer.

En 1991, la commission des affaires étrangères de notre assemblée, présidée alors par Michel Vauzelle, avait lancé un travail approfondi sur la question des limites géographiques à partir d’un rapport de l’excellent géographe Michel Foucher. Quinze ans plus tard, aux yeux de certains responsables politiques français, il semblerait que cette question soit toujours plus ou moins taboue. Il serait urgent d’attendre… comme d’habitude s’agissant des problèmes cruciaux et forcément difficiles.

Évidemment, cette attitude attentiste aboutit à la pire des solutions, celle que nous vivons depuis quelques années en Europe, faute de volonté politique, faute de vision claire et audacieuse. Cela s’appelle, mes chers collègues, la fuite en avant.

La question des élargissements permanents et, par conséquent, du refus de répondre aux préoccupations, aux interrogations on ne peut plus justifiées de nos compatriotes, a participé du rejet français et néerlandais de la Constitution européenne en mai 2005.

Permettez-moi de citer un partisan du « oui » : l’ancien ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, l’un de vos prédécesseurs, monsieur le ministre. Il écrivait récemment : « Ce que les Français et les Néerlandais ont clairement rejeté, c’est une forme de la construction européenne telle qu’elle a été progressivement imposée aux peuples et aux nations depuis de nombreuses années : prédominance du seul marché comme système de régulation sociale, nivellement bureaucratique des spécificités nationales en tant qu’elles sont obstacles à la libre circulation, élargissements successifs et rapides mal préparés diluant la possibilité d’une Europe politique, éloignement des décisions par rapport aux peuples, et sentiment partagé d’une tromperie de la part des défenseurs du “oui” continuant à affirmer que l’Europe protège un modèle social en réalité miné de l’intérieur et à bout de souffle […] Et plus profondément encore, derrière ce rejet d’une forme politique, s’est exprimé le refus d’admettre que ce qui fait l’identité de la nation et de ceux qui la peuplent soit devenu illégitime sous prétexte que l’intégration supranationale européenne, supposée conforme au sens de l’histoire, postule l’effacement des nations. »

Si l’on veut mettre fin à la panne européenne, si l’on veut sortir d’une crise larvée, au fil de présidences atones, comme celle que nous venons de vivre, si l’on souhaite promouvoir, dessiner une « Europe levier » à la fois ambitieuse et harmonieuse et, j’ajouterai, une Europe différenciée, cela nous conduit à évoquer la fameuse idée des « trois cercles », imaginée par François Mitterrand, Laurent Fabius et d’autres responsables politiques de gauche, du centre ou de droite.

Je dessine très rapidement ce que devraient être ces cercles : « Au centre, » indiquait, par exemple, Laurent Fabius dans un récent article, « les pays les plus euro-volontaires, » – peut-être, tout simplement, la zone euro – « unis autour de projets communs et partageant une conception commune de leur action dans la mondialisation ; au-delà, les États-membres de l’Union ; à la périphérie, les États avec lesquels un partenariat privilégié s’impose – je pense à la Turquie, à l’Ukraine, aux pays de la zone méditerranéenne aujourd’hui malheureusement délaissés –, sans qu’ils fassent à proprement parler partie de l’Union. Nous devons le leur dire clairement. »

Cela me permet de conclure en trois phrases.

Oui au traité d’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne parce que c’est le sens de l’histoire.

Non à la fuite en avant.

Oui à un grand débat sur les finalités géographiques et politiques de l’Union. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, j’ai eu le privilège d’effectuer, pour la Délégation pour l’Union européenne de notre assemblée, deux missions en Roumanie : la première en décembre 2003, la seconde début mars 2006. J’atteste qu’entre ces deux dates, la Roumanie a accompli des progrès économiques et politiques considérables qui font d’elle un État qualifié pour entrer dans l’Union européenne. Il n’y a donc aucune raison de différer son entrée dans l’Union européenne.

La Commission le confirme dans son rapport, puisqu’elle écrit elle-même, le 16 mai de cette année : « La Roumanie satisfait aux critères politiques d’adhésion à l’Union européenne. » Et elle ajoute : « La Roumanie est une économie de marché viable. » Elle reconnaît également que « la Roumanie a atteint un niveau très élevé d’alignement de sa législation sur l’acquis » communautaire. Les mêmes conclusions ont été formulées à propos de la Bulgarie.

Connaissant un peu mieux le cas de la Roumanie que celui de la Bulgarie, je constate qu’elle est qualifiée pour entrer dans l’Union européenne dès le 1er janvier 2007. Toutefois, la Commission a prétexté de quelques secteurs techniques et secondaires pour différer à octobre sa recommandation d’entrée au 1er janvier 2007. Elle indique par exemple comme étant insuffisants l’agrément d’organismes payeurs entièrement opérationnels pour la PAC, le système intégré de gestion et de contrôle dans l’agriculture, la mise en place d’installations d’équarrissage − c’est en effet vital pour la survie de l’Union −, la mise en place, en matière fiscale, de systèmes informatiques pouvant fonctionner en interopérabilité avec ceux du reste de l’Union. À l’évidence, avec ces remarques décalées par rapport aux enjeux, on atteint le paroxysme d’une vision technocratique. Cela pose en outre la question de la place de la Commission dans le système européen. M. le président Balladur disait à cette tribune, en décembre, qu’il fallait placer la Commission sous l’autorité du Conseil. En effet, il va falloir le faire.

Les enjeux de l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie sont politiques et géostratégiques et s’inscrivent dans la logique de la reconstruction du continent européen après la chute du mur de Berlin et la disparition du rideau de fer. Cela va donc bien au-delà d’une vision du monde technocratique et réductrice. Certes, tout ne sera pas réglé le 1er janvier 2007. La Roumanie et la Bulgarie auront encore beaucoup d’efforts à faire et devront même continuer à se mettre au niveau, comme nous, d’ailleurs. Je me suis souvent fait la réflexion que, si l’on nous avait obligés au strip-tease auquel on force les États candidats, il n’est pas certain que nous aurions été qualifiés dans tous les domaines. (Sourires.)

Mais il est de notre intérêt politique de faire entrer ces pays dans l’Union européenne, et, même, notre intérêt est double. Sur le plan national − car, si nous ne parlons pas de nos intérêts, qui le fera ? −, la Roumanie est l’un des États des Balkans qui, depuis toujours, cultive des liens avec la France. « Foch, saluez ! C’est la famille » : l’apostrophe du général Berthelot, sur les Champs-Élysées, le 11 novembre 1919, est restée dans la mémoire populaire roumaine.

Pays grandement francophone, la Roumanie accueillera en septembre le Sommet de la francophonie. Il est d’ailleurs assez inadmissible, monsieur le ministre, que la Commission ait imposé l’anglais comme langue des négociations. Je lui en ai fait la remarque, mais je regrette que le gouvernement français n’ait pas protesté, car la multiplicité des langues est une richesse pour l’Europe et nous ne devons pas nous contenter d’une espèce de globish réducteur, décalé et totalement aliénant. J’attends donc quelques explications sur ce point.

Sur le plan économique, la France est le premier investisseur en Roumanie et en Bulgarie, selon les secteurs et les années. C’est dire combien les liens qui unissent nos pays sont importants, intenses et globaux.

L’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union européenne constitue à mes yeux une chance historique pour l’organisation du continent. Cet élargissement intervient quelques années après l’entrée de dix autres États − certains, qui ne regardent pas la réalité du monde, ont pu le regretter −, et j’espère qu’il va ramener un peu de raison dans la construction européenne dont la dérive a été sanctionnée par les peuples. Jusqu’à aujourd’hui, l’Europe s’est construite dans une logique d’intégration : c’était le mot magique, le credo d’ayatollahs intégristes dont l’objectif était d’intégrer l’ensemble des nations européennes dans une superstructure supranationale gérant tout. Tout devait être régi selon les mêmes normes juridiques, non plus de Dunkerque à Tamanrasset, comme l’avait répété un autre credo qui a fait faillite, mais d’Helsinki à Salonique. L’esprit jacobin centralisateur avait gagné Bruxelles. Mais ce qui est possible dans un cadre national devient une incongruité dans le cadre multinational de la réalité européenne.

Il faut cesser de penser l’Europe comme un bloc, de rêver à des chimères comme l’Europe puissance − je m’adresse ici à certains de mes collègues, avec qui j’ai déjà eu cette conversation, mais la réalité me donne chaque jour raison, cher Christian Philip (Sourires). Cette idéologie est obsolète, car elle correspond à une époque révolue, celle d’un monde bipolaire, celui de la conférence de Messine qui voyait dans l’Europe un nouveau bloc destiné à contrecarrer le bloc soviétique et le bloc nord-américain. Il nous appartient de repenser l’Europe en fonction des réalités et non selon l’esprit de système qui bâtit un modèle dans lequel on veut contraindre les réalités nationales. L’Europe, c’est tout autre chose.

Partir des réalités nous impose une double démarche. En premier lieu, il faut prendre conscience que le quantitatif pose un problème qualitatif. L’élargissement est inéluctable. Nous sommes aujourd’hui vingt-sept : il faut donc tenir compte des réalités d’une Europe à vingt-sept et non plus d’une Europe à six − et, déjà, lorsque nous n’étions que six, les différences étaient fortes. Il y a quelques années, j’ai écrit un article intitulé « L’Europe doit s’élargir et s’amaigrir ». Nous avons franchi la première étape : il faut entamer la seconde avant que tout ne s’écroule, avant que l’Union ne soit frappée d’apoplexie.

Il y a deux ans, à l’époque de mon premier rapport sur l’entrée de la Roumanie, ce pays devait reprendre 80 000 pages d’acquis communautaires. Aujourd’hui, nous en sommes à 90 000 pages, et la machine continue de mouliner des textes. L’Europe doit s’en tenir à l’essentiel. Le principe de subsidiarité doit être au cœur de la reconstruction et prévaloir avec fermeté. La montée de la réglementation européenne doit être arrêtée.

Le deuxième élément à prendre en compte − et je ne suis pas certain que cela ait pénétré beaucoup d’esprits −, c’est la globalisation, qui, par certains côtés, a transcendé la construction européenne et bouleversé notre vision de la géographie. On nous expliquait jadis qu’il fallait bien s’entendre avec les Allemands, les Belges, les Italiens, parce qu’ils étaient nos voisins. Aujourd’hui, avec la révolution de la technologie et de la communication, on constate que nous sommes parfois aussi proches, dans certains domaines, des Américains et des Japonais que nous ne l’étions, au xixe siècle, des Belges et des Allemands. Nous vivons dans un village planétaire, mais cette évidence tarde à gagner les esprits. On poursuit aujourd’hui un projet européen comme s’il était exclusif dans nos choix, mais telle n’est pas la réalité. Sur le plan économique, nos entreprises, qu’elles soient françaises ou allemandes, doivent faire des choix mondiaux. Lorsque Renault a voulu se marier, il est allé chercher une geisha : Nissan. Snecma s’est mariée avec General Electric, Daimler a épousé Chrysler, Pechiney s’est fait racheter par Alcan, Alcatel rejoint Lucent, sans parler d’Euronext et du New York Stock Exchange. La réalité européenne a été transcendée par la globalisation.

Sur le plan politique également, il faut regarder la réalité en face. Lors de la crise irakienne, la France a trouvé davantage d’alliés hors d’Europe que dans l’Union, la plupart des États membres s’alignant sur les Américains. Il y a quelques jours, la presse française annonçait que l’Allemagne était en train de modifier sa carte des Goethe-Instituts, pour les redéployer en Asie, ce qui est conforme à ses intérêts, car ces pays sont des marchés émergents. Tout cela prouve que, tout en étant européens − ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit −, nos intérêts sont également mondiaux et ne sont pas bornés à un système européen qui serait l’alpha et l’oméga de notre avenir. Ces vérités sont têtues. Les nier, c’est courir à coup sûr à l’échec. Ce n’est pas le monde qui doit s’adapter à l’Europe, c’est le projet européen qui doit s’adapter au monde.

Il n’existe pas une solution, mais plusieurs. Les relations transnationales que sont les échanges économiques doivent bien sûr s’adapter et retrouver une certaine préférence communautaire, aujourd’hui complètement dissoute dans une mondialisation un peu trop rapide. Il faut fixer des normes, des standards, voire définir des politiques communes, sous l’autorité d’une Commission. Mais cette Commission doit être placée sous l’autorité du Conseil et élaborer une politique industrielle qui fait défaut.

Un autre niveau est celui des États souverains : sur ce marché régulé, organisé, il y a place pour une réelle union d’États, qui développe les coopérations en tant que de besoin, parfois entre Européens, mais sans exclure les autres. Cette union d’États devra certainement tendre à devenir à moyen terme une sorte de conseil de sécurité européen, en incluant la Russie. Car la Russie fait partie de l’équilibre européen : rien de stable, rien de durable ne se fera sans coopération avec elle, sans qu’elle soit incluse dans un système beaucoup plus lâche, beaucoup plus souple que le dogme de l’intégration européenne.

Telles sont les raisons qui militent pour l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie, dès le 1er janvier 2007, dans l’Union européenne. L’Europe intégriste de papa est morte, monsieur le ministre. Elle a été rejetée par les peuples. Elle ne correspond plus à la réalité du monde d’aujourd’hui. Seule une Europe des nations, une Europe des coopérations multiples − l’expression « Europe des projets » me paraît fondée − peut répondre à la nécessité de développer le dialogue entre toutes les nations du monde, dans une mondialisation maîtrisée et dans le respect de la souveraineté et de la liberté des peuples.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le Premier ministre Balladur, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’essentiel de la mécanique de l’intégration a été parfaitement développée et il n’est nul besoin d’y revenir, sauf pour insister sur le fait que cette double adhésion apparaît ici isolée, mais qu’elle appartient à un vaste mouvement d’ensemble, voulu et réfléchi, d’élargissement de l’Union dans le cadre d’un travail long et rigoureux.

Il est cependant, me semble-t-il, trois arguments forts qui méritent que l’on s’y attarde. Le premier, c’est l’antériorité de nos liens. À juste titre, notre collègue, l’excellent rapporteur Hervé de Charette, rappelle dans son rapport que la Bulgarie, ancienne Thrace, déjà citée par Homère, constitue un pont vers le monde slave. Aussi fort, sinon plus, est l’ancrage de la Roumanie à l’Europe, et singulièrement à la France. Car la Roumanie est encore plus francophile que francophone. Les liens culturels entre nos deux pays sont pluriséculaires. La diffusion de la langue française en Roumanie remonte au xviiie siècle, quand les fils des grandes familles roumaines venaient faire leurs études et se former à Paris. Sur le plan politique, les relations entre nos deux pays prennent leur origine dans le rôle joué par Napoléon III dans la création du jeune État roumain sur la scène européenne au xixe siècle. L’ancien président de l’Assemblée nationale, Philippe Séguin, se souvient avec émotion de l’accueil qui lui fut réservé à Bucarest, à l’occasion de la publication de son ouvrage sur Napoléon III.

Sous le régime communiste, les liens se sont malgré tout maintenus, notamment avec la visite du général de Gaulle en Roumanie, en 1968, à une époque où beaucoup de pays tournaient le dos à ce pays, ignorants, de fait, les souffrances du peuple roumain.

M. Jérôme Lambert. Giscard y allait pour des parties de chasse !

M. Christian Kert. Les événements de décembre 1989 ont scellé les retrouvailles entre nos peuples, en ces instants impérieux où l’un recouvrait sa liberté cependant que l’autre, médusé, découvrait des Roumains qui parlaient notre langue avec amour et perfection.

M. le ministre des affaires étrangères. Absolument !

M. Christian Kert. Parce que l'histoire explique le présent et l'avenir, parce que l’histoire guide sur leur chemin les faiseurs de paix, notre histoire commune nous fait exigence de vivre ensemble l’avenir au sein d'une Communauté européenne élargie à ces deux pays européens et francophones.

Il est d’autant moins question de baisser les bras que, sur le plan économique, la Roumanie est déjà dans l'Europe, puisqu'elle exporte 70 % de ses produits vers les pays de la Communauté. La France ne peut que s'en réjouir, elle qui est déjà – ainsi que le rappelait le président du groupe d’amitié, Jean-Pierre Dufau – le troisième partenaire économique de ce pays et qui a participé à la recréation de son tissu industriel grâce à Renault Dacia, à Carrefour, à Gaz de France, à Alcatel, à Lafarge, à Saint-Gobain, à Bouygues, à Colas ou encore à la Société Générale, pour ne citer que les principales entreprises qui me viennent à l'esprit.

Après celui de l’antériorité, le deuxième argument est celui de nos frontières.

Contrairement à certains pays qui frappent à la porte de l'Europe sans avoir avec elle de continuité territoriale certaine, Bulgarie et Roumanie ne sont pas à nos frontières, elles sont nos frontières. Proches culturellement et politiquement, elles le sont aussi géographiquement. Du fait de sa position à nos frontières géostratégiques, la Roumanie entend assumer un nouveau rôle sur le plan international avec comme objectif prioritaire d'inscrire la problématique de la région élargie de la Mer noire sur l'agenda euro-atlantique. Elle entend également instituer des relations de partenariat avec la Moldavie, ce pays pauvre et oublié où la démocratie progresse pourtant.

M. Jean-Pierre Dufau. C’est vrai !

M. Christian Kert. Plus au Nord, les relations nouvelles organisées sur le modèle franco-allemand, laissent espérer un apaisement entre Roumanie et Hongrie, même si certaines catégories de la population n'y inclinent pas.

Par ses relations privilégiées avec les États-Unis, par ses relations qualifiées de respectueuses avec la Russie et, je le crois vraiment, par le rôle qu'elle entend jouer dans la stabilisation des Balkans, la Bulgarie nouvelle me paraît quant à elle susceptible d’aider l'Europe à asseoir le territoire d'une communauté apaisée.

En poussant plus loin les frontières d'une Europe pacifiée, l'entrée de ces deux pays nous incite à une autre réflexion sur les frontières. Cette entrée, l'une des dernières à s'organiser sans référendums nationaux, à l’exception peut-être de celle de la Croatie, nous laisse penser qu'un temps de pose dans l'élargissement est désormais nécessaire. L'Europe aura bien travaillé, ces dernières années, aux processus d'intégration, mais tant les résultats du référendum sur le traité constitutionnel que les inquiétudes nées de la perspective de certaines entrées annoncées doivent nous inciter à un travail de réflexion sur l'avenir sans pour autant tout paralyser. Cette réflexion n’exige pas en effet de geler les perspectives, mais, selon la formule consacrée, de savoir donner du temps au temps.

Le troisième argument, enfin, est celui de la réponse à des inquiétudes nées des problématiques spécifiques aux pays entrants.

C'est probablement l'afflux d'immigrés en provenance de Bulgarie et de Roumanie qui aura suscité le plus d'inquiétude dans notre population, alors que les décideurs politiques – on a pu le constater avec la sincérité de Chantal Brunel – s'émeuvent plutôt des questions de stabilité intérieure, de lutte contre la corruption, de défense commune et de respect des accords Schengen.

D’autres avant moi – au premier rang, vous-même, monsieur le ministre – ont déjà dit ici le travail de remise en ordre qu'ont effectué, dans ces domaines, les deux pays entrants. Encouragés à résoudre certains problèmes en suspens, leur travail a ainsi porté sur des sujets d'une extrême sensibilité pour eux, qu’il s’agisse de la réforme judiciaire, de la lutte contre la corruption et la criminalité, du sort des minorités et du combat contre les discriminations, de la sécurité sanitaire ou du régime fiscal.

En améliorant les conditions de vie, en confortant les droits de l'homme et en sécurisant les populations, l'intégration dans la Communauté européenne sera vraiment de nature à enrayer le mouvement d'immigration que les mauvaises conditions de vie, notamment celles faites aux minorités – et l'on pense ici à la minorité Rom –, avaient favorisé.

Plus largement, on peut espérer que l'intégration européenne enrayera un autre mouvement, celui de la fuite des jeunes cerveaux vers des pays où l'université, la recherche, la réussite économique sont plus tentantes voire plus alléchantes, une fuite qui a pris, à la fin des années 90, notamment en direction des États-Unis, une tournure préoccupante. L'Europe nouvelle n’a pas le droit de se priver de ses propres cerveaux.

Il y a trois ans, alors que nous étions, avec le président du groupe d’amitié, quelques parlementaires français habitués de la Roumanie, à participer, à Bucarest, à une session de formation, des étudiants déployèrent à l'entrée de leur université une banderole sur laquelle ils avaient inscrit en français, en grandes lettres bleues : « J'ai fait un rêve, il s'appelle Europe ». Pour autant, cela ne doit pas nous faire oublier le recul de la pratique du français dans les jeunes générations.

Le sommet de la francophonie au mois de septembre prochain arrive à point nommé pour enrayer le processus qui se développe depuis quelques années avec l’apparition de très nombreuses chaînes de télévision étrangères et la quasi-absence de programmes français. Monsieur le ministre des affaires étrangères, l’avènement de la future chaîne internationale française aidera peut-être à l’indispensable reconquête.

« J’ai fait un rêve, il s’appelle Europe », pouvait-on donc lire sur cette banderole. Nous sommes heureux, au groupe de l’UMP, de participer aujourd'hui à la réalisation d'un rêve. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. le ministre des affaires étrangères. Monsieur le Premier ministre Balladur, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie tout d’abord de la qualité de vos interventions, qui témoignent de votre engagement pour l’Europe et de l’accueil à la fois chaleureux et exigeant de notre pays envers ceux qui adhèrent à l’Union européenne.

Ainsi que plusieurs d’entre vous l’ont rappelé, l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie permet d’achever le cinquième élargissement, qui a débuté avec l’entrée de dix nouveaux États membres, le 1er mai 2004. Avec cet élargissement qui scelle l’unification du continent, l’Europe retrouve sa géographie politique, ainsi que l’ont souligné M. Laffineur, M. Lequiller, M. Lambert et M. Loncle.

Mes réponses distingueront au sein de vos interventions trois ensembles de remarques.

S’agissant, d’abord, des conditions d’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, celles-ci ont été définies de manière rigoureuse. Plusieurs d’entre vous l’ont souligné : les efforts consentis par ces deux pays ont été considérables et ils ne doivent pas être sous-estimés. Rien n’aurait été possible sans l’engagement politique déterminé des autorités roumaines et bulgares ces dernières années et ces derniers mois.

En Roumanie, la coalition issue du changement de majorité qui a eu lieu à la fin de l’année 2004 a mené une politique de réformes entièrement axée sur l’achèvement de sa préparation à l’adhésion. Je tiens d’ailleurs à saluer ici le travail remarquable accompli par les ministres roumains de la justice et de l’intérieur, ainsi que l’action de mon homologue, M. Ungureanu, et de la ministre de l’intégration européenne, Mme Boagiu.

En Bulgarie, le gouvernement issu du changement de majorité d’août 2005 a déclaré d’emblée que l’adhésion était sa priorité absolue, et il a su maintenir les efforts de l’équipe précédente au pouvoir de 2001 à 2005. Sa détermination est forte, comme l’a montré sa réaction immédiate aux remarques de la Commission européenne du 16 mai avec l’élaboration d’un plan d’action qui devrait lui permettre de régler d’ici la fin de l’année les six questions soulevées les plus importantes.

Plusieurs d’entre vous, en particulier Mme Brunel, M. Folliot et M. Kert, ont évoqué les lacunes qui persistent en matière de lutte contre la corruption, la fraude et le crime organisé. Le rapport de la Commission du 16 mai montre effectivement que la Bulgarie doit encore obtenir des résultats en matière de lutte contre la corruption et le crime organisé, tandis que la Roumanie doit consolider les avancées qu’elle a déjà réalisées en ces domaines.

S’agissant des flux migratoires en provenance de Bulgarie et de Roumanie, lorsque ces pays seront devenus membres de l’Union européenne, Mme Brunel et M. Folliot ont fait état de remarques sur lesquelles je voudrais revenir.

Les ressortissants bulgares et roumains ne sont plus soumis depuis 2002 à une obligation de visa pour entrer sur le territoire de l’Union européenne. Une fois que ces deux pays seront entrés dans l’Union, les règles strictes sur les modalités de circulation et de séjour de leurs ressortissants continueront à s’appliquer. Comme cela est le cas pour les huit nouveaux États membres d’Europe centrale, les travailleurs bulgares et roumains souhaitant exercer une activité salariée se verront appliquer une période transitoire. Pour répondre plus précisément à Mme Brunel, je dirai que leur accès à notre marché du travail sera régi par notre droit du travail.

Pour ce qui est des contrôles aux frontières, la Bulgarie et la Roumanie ne seront pas dès leur adhésion, comme l’ont souligné M. Dufau et M. Kert, membres de l’espace Schengen. Les contrôles aux frontières seront donc maintenus entre ces pays, d’une part, et les pays membres de l’espace Schengen, d’autre part. La Bulgarie et la Roumanie devront néanmoins, comme le prévoit l’acquis communautaire, assurer un niveau élevé de sécurité aux futures frontières extérieures de l’Union dont elles auront la charge, ainsi que l’a fait remarquer à juste titre M. Kert.

L’ensemble des orateurs, et tout particulièrement M. le Premier ministre Balladur, M. de Charette et M. Philip, ont évoqué le calendrier de l’élargissement et la clause de report de l’adhésion. Un tel report au 1er janvier 2008 peut intervenir si la Commission le propose et que le Conseil l’approuve. La Commission, je le rappelle, a réaffirmé à plusieurs reprises qu’elle n’hésiterait pas, si nécessaire, à proposer ce report, conformément au rôle que lui confère le traité d’adhésion. Elle se fondera à cet effet sur une évaluation précise de l’état de préparation de ces pays, établie sur la base de ses propres informations et de celles apportées par les pays candidats et les États membres.

Je rappelle cependant, monsieur Myard, que ce n’est pas la Commission qui décidera in fine de la date d’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, mais bien les États membres, ainsi que l’a rappelé M. de Charette.

M. Jacques Myard. Faites preuve d’autorité politique !

M. le ministre des affaires étrangères. Un deuxième ensemble de remarques me conduit à insister, comme la plupart des orateurs d’ailleurs, sur les opportunités que représente l’élargissement tant pour ces deux pays que pour l’Europe et la France.

Le coût de leur adhésion est connu et parfaitement encadré. Le traité d’adhésion prévoit en effet que, dans les trois premières années suivant leur entrée dans l’Union, la Bulgarie et la Roumanie se verront allouer, comme l’a rappelé M. de Charette, un peu plus de 16 milliards d’euros. Nous avons veillé, lors du Conseil européen de décembre 2005, à une juste répartition de cet effort de solidarité. À cet égard, la réduction du chèque britannique permet un partage équitable des conséquences budgétaires de l’élargissement entre les contributeurs nets de l’Union.

Au-delà des arguments économiques et de la chance que représente l’entrée de ces deux pays pour la croissance et l’Europe, ces adhésions sont aussi une chance pour la conception de l’Europe que nous défendons.

Mme Brunel a fait allusion aux délocalisations. Prenons à cet égard l’exemple de Peugeot : l’ouverture par cette firme de l’une des plus grandes usines automobiles en Slovaquie se traduira par la création de 5 000 emplois en France.

Pour montrer que ces adhésions sont bien une chance, je ne citerai que quelques autres exemples qui rappelleront, d’abord, notre conception de la diversité culturelle et notre attachement à la place du français.

La Roumanie est aujourd’hui le pays le plus francophone de la région avec 20 % de sa population parlant le français. Plus de la moitié des élèves roumains, comme l’ont rappelé M. Folliot et M. Kert, apprennent notre langue.

La Bulgarie, quant à elle, se place au deuxième rang des pays d’Europe centrale et orientale enseignant le français, 10 % des effectifs de l’enseignement secondaire étant concernés.

Ces adhésions viennent, enfin, conforter notre conception de la place de l’Europe dans le monde. Je pense, en particulier, à la coopération dans le domaine de la défense. La Roumanie et la Bulgarie ont engagé une profonde restructuration de leurs forces armées depuis la fin des années quatre-vingt-dix. la France y participe par une coopération très importante, en particulier, monsieur le président du groupe d’amitié, en Roumanie.

J’évoquerai enfin notre conception de la nécessité d’une Europe agricole forte, que vient aussi conforter l’adhésion de ces deux pays.

Concernant l’importance du français et l’utilisation de la langue française dans les instances européennes, je voudrais ajouter, monsieur Myard, que si les documents de travail sont en effet le plus souvent rédigés d’abord en anglais au niveau de la Commission, avant d’être bien sûr traduits en toutes les langues, le français et l’anglais sont les deux seules langues utilisées au sein de la commission Élargissement à Bruxelles tandis que, dans les réunions intergouvernementales, toutes les langues officielles de l’Union sont utilisées et tous les documents disponibles dans toutes les langues. Le Gouvernement, monsieur Myard, veille scrupuleusement à ce que la place du français soit respectée à Bruxelles.

M. Jacques Myard. C’est son intérêt !

M. le ministre des affaires étrangères. Et je suis sûr que, dans quelques semaines ou quelques mois, nos partenaires roumains et bulgares vont nous y aider.

J’en viens à la troisième série de remarques. Monsieur le Premier ministre Balladur, vous avez rappelé les deux grandes questions qui se posent aujourd’hui concernant l’élargissement : le vote à la majorité qualifiée et le rôle du Conseil et de la Commission.

Une réforme du cadre institutionnel européen reste, nous le savons, plus que jamais nécessaire. Avec l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie, cette réforme du cadre institutionnel devient obligatoire. Il reviendra à la présidence allemande de faire des propositions et à la présidence française d’obtenir des décisions à la fin du deuxième semestre de 2008, comme l’a rappelé M. Lequiller.

Quant à l’avenir des politiques communes et de leur financement, je rappelle que nous aurons en 2008-2009 un nouveau rendez-vous sur la base d’un rapport de la Commission. Comme prévu lors de l’accord sur le budget en décembre dernier, la future présidence française aura une part active dans l’organisation de ce rendez-vous.

Ce débat est appelé à se poursuivre lors du conseil européen de décembre 2006 et la Commission rendra à l’automne un rapport spécial sur la capacité d’assimilation de l’Union. M. Balladur a rappelé l’importance de ce concept.

Cette capacité d’assimilation, qui est une condition essentielle pour l’adhésion de ces pays, comprend, comme l’a souligné le conseil européen des 15 et 16 juin, trois dimensions.

D’abord, une dimension institutionnelle. L’Union doit se doter d’institutions adaptées lui permettant de fonctionner de manière efficace, transparente, et démocratique – on le voit aujourd’hui à vingt-cinq ou à vingt-sept.

Ensuite, une dimension politique et financière, à travers le contenu et le financement des politiques communes, question essentielle aux yeux des citoyens.

Enfin, une dimension démocratique. Je suis totalement d’accord avec vous, monsieur Loncle, l’élargissement ne pourra se poursuivre que s’il a le soutien des opinions publiques.

Mesdames et messieurs les députés, après vous avoir écoutés, permettez-moi de tirer trois conclusions.

Premièrement, l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie permettra de sceller l’unification du continent.

Deuxièmement, cette adhésion ne rend que plus indispensable la réforme des institutions selon le calendrier que nous avons décidé au dernier conseil européen.

Troisièmement, et je veux insister à nouveau sur ce point, les élargissements futurs dépendront de la capacité d’absorption de l’Union. Cette condition est essentielle pour l’avenir de l’Union. Le Gouvernement s’est attaché à la faire reconnaître par le Conseil européen et continuera à la défendre et à la préciser dans les mois qui viennent. Ce n’est qu’à cette condition que les Français pourront se réapproprier l’idée même de l’Europe, comme l’ont très bien rappelé M. Balladur et M. Philip. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Article unique

Mme la présidente. J’appelle maintenant l’article unique du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

Personne ne demande la parole dans les explications de vote sur l’article unique ?...

Je mets aux voix l’article unique du projet de loi.

(L’article unique est adopté.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jérôme Lambert. Très bien !

M. Jacques Myard. Adopté à l’unanimité !

Mme la présidente. Je constate en effet que le vote est acquis à l’unanimité.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à dix-neuf heures dix, sous la présidence de M. Jean-Luc Warsmann.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LUC WARSMANN,
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

rendements des vins aoc
pour la campagne 2006-2007

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Antoine Herth relative à la fixation des rendements des vins à appellation d’origine contrôlée pour la campagne 2006-2007 (nos 3172, 3181).

La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Antoine Herth, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’agriculture et de la pêche, chers collègues, permettez-moi, avant de présenter brièvement cette proposition de loi, de saluer la mémoire de René Renou, décédé le 19 juin dernier et auquel l'ensemble de la profession viticole a rendu un dernier hommage aujourd'hui même.

Dans sa fonction de président du Comité national des vins et eaux-de-vie de l'INAO, il a su défendre avec un talent incomparable les couleurs des appellations d'origine française. Il voulait avant tout que nos vins soient l'expression d'un terroir et il œuvrait sans relâche afin que leur qualité progresse vers l'excellence.

Je veux aussi souligner son sens des responsabilités qui l'a poussé, lors de la réunion du dernier comité national, les 1er et 2 juin, à faire adopter une résolution préconisant le maintien des rendements plafonds pour la campagne 2006-2007.

En effet, la viticulture française connaît actuellement une situation difficile, dans un contexte de surproduction mondiale. En 2005, le revenu agricole moyen par actif a ainsi baissé de 6,5 %, en raison de cette crise viticole essentiellement. Les stocks invendus s'accumulent dans nos caves et menacent de déséquilibrer le marché.

Les raisons de la crise sont multiples : augmentation des importations de vins du nouveau monde ; baisse tendancielle de la consommation ; difficultés d'adapter les produits au goût fluctuant du consommateur ; variabilité des rendements – le vin reste un produit naturel soumis aux caprices du climat.

M. Patrice Martin-Lalande. Et aux lourdeurs de l’administration !

M. Antoine Herth, rapporteur. II devient impératif de réagir pour sauver un pan essentiel de notre économie agroalimentaire, grande pourvoyeuse d'emplois.

Les mesures européennes d'élimination des stocks par la distillation, qui ont été mises en œuvre lors de la dernière campagne, reconduites, après d’âpres négociations, je le sais, monsieur le ministre,…

M. Hugues Martin. C’est vrai.

M. Antoine Herth, rapporteur. …pour cette année…

M. Hugues Martin. C’est du durable !

M. Antoine Herth, rapporteur. …et fortement encouragées par le Gouvernement, n'ont pas produit leurs effets optimaux.

Une nouvelle récolte excédentaire fragiliserait encore plus la viticulture sous appellation d'origine, alors que la Commission européenne propose une réforme radicale, et sur bien des points inacceptable, de l'organisation commune des vins.

Dans la perspective des négociations futures, qui s'annoncent serrées, la France serait en position de faiblesse si elle assistait, impuissante, à un affaiblissement économique de ses AOC.

Ce contexte a motivé l'initiative du dépôt de cette proposition de loi, et je veux remercier le président de l'Assemblée nationale, le ministre chargé des relations avec le Parlement et le président de la commission des affaires économiques d'avoir fait en sorte que le calendrier nous permette d’examiner ce texte dès aujourd'hui. Je remercie également le ministre de l'agriculture de s'être personnellement déplacé pour nous répondre sur ce sujet.

M. Patrice Martin-Lalande. Excellent ministre !

M. Antoine Herth, rapporteur. Selon la règle en vigueur, il appartient à l'INAO de fixer annuellement les rendements plafonds de chaque appellation. Le Gouvernement entérine cette proposition sans avoir la possibilité légale, s'il l'estimait nécessaire, de diminuer les rendements proposés.

Cette proposition de loi tend à combler cette lacune du code rural pour la prochaine campagne. En cela, elle anticipe les dispositions qui seront prises dans le cadre de l'ordonnance sur les signes officiels de qualité, dont le principe a été voté dans la loi d'orientation agricole.

Les débats en commission ont essentiellement porté sur la bonne articulation entre les actions éventuelles du Gouvernement et l'INAO.

II convient en effet de rappeler que le législateur souhaite le renforcement du rôle des organisations professionnelles ainsi que de celui de l'Institut des appellations.

La mise en œuvre éventuelle de cette disposition ne peut se concevoir sans une étroite concertation entre le ministère et les professionnels concernés. Il vous appartient, monsieur le ministre, de nous éclairer sur ce sujet.

Telle est, monsieur le président, chers collègues, la proposition de loi que j'ai l'honneur de soumettre au débat, en vous remerciant de lui accorder toute l'attention qu'elle mérite.

Grâce à cette disposition, le Gouvernement pourra garantir une équité dans l'effort demandé aux différents bassins viticoles afin de lutter contre la crise récurrente. Il sera également en mesure de contribuer, en amont, au rétablissement d'une économie viticole performante. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Feneuil.

M. Philippe Feneuil. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, permettez-moi, avant d’intervenir sur le sujet d’aujourd’hui de constater qu’il est parfois des hasards difficiles. Je reviens des obsèques du président de l’Institut national des appellations d’origine, lequel est directement concerné par la proposition de loi dont nous allons discuter. J’étais un des amis de René Renou – du fait de nos fréquentes disputes, il m’appelait son meilleur ennemi – et veux dire ici un mot à sa mémoire. C’est un homme qui a beaucoup fait pour la viticulture française, et il me semble que nous devrions continuer à réfléchir en nous inspirant de ses idées. Il a montré un chemin à la viticulture, et ce chemin, nous devons le prendre ensemble.

Nous discutons aujourd’hui d’une proposition de loi importante pour les prochaines vendanges. Elle vise en effet à offrir au Gouvernement un instrument permettant de fixer, à titre exceptionnel, les rendements autorisés pour les vins à appellation d’origine contrôlée et donc, le cas échéant, de limiter ces rendements dans les régions qui n’auraient pas joué le jeu en matière de distillation.

Ces termes de « fixation de rendements autorisés » et de « distillation » sonnent à la fois tristement et résolument à l’oreille du viticulteur que je suis. Tristement, car cette crise jette dans le désespoir nombre de vignerons qui aiment leur travail, leur vigne et leur vin. Résolument, car ces mesures, qui visent à assainir le marché avant les prochaines vendanges et à assurer le succès de la distillation, montrent la volonté de la France de faire face à cette crise et surtout d’en sortir.

M. Patrice Martin-Lalande. Ce n’est pas une crise, mais une mutation !

M. Philippe Feneuil. La proposition de loi dont nous discutons doit être considérée dans le vaste programme de réformes de la filière viticole, tant au plan national qu’au plan européen.

Si la consommation de vin s’accroît au niveau mondial, force est de constater qu’aux niveaux européen et français elle diminue – il n’est pas ici dans mon propos de revenir sur les causes de cette diminution. Face à ce constat, le gouvernement français a agi avec détermination, conscient de la grande valeur du vin tant comme patrimoine culturel que comme richesse économique. Je souhaite qu’on se souvienne à l’avenir de ce double enjeu.

Vous avez, monsieur le ministre, lancé récemment le « plan viticulture », qui organise des réformes structurelles fondées sur les conclusions du rapport Pomel et met en place, dans son volet conjoncturel, des aides financières : 38 millions d’euros pour des actions de restructuration, 40 millions d’euros pour des prêts de consolidation.

De même, au niveau communautaire, a été proposée une réponse adaptée à la régulation du marché, notamment à travers le mécanisme de la distillation de crise. Afin de résorber une partie des excédents de vins, la Commission européenne a accepté, le 7 juin 2006, à la suite d’une demande formulée par la France en décembre 2005, de recourir à une distillation de crise dans la limite de 3 millions d’hectolitres pour notre pays. Cette distillation de crise sera ouverte à compter du 29 juin 2006 pour 1,5 million d’hectolitres de vins de qualité et 1,5 million d’hectolitres de vins de table.

La Commission a proposé que les viticulteurs recourant à cette mesure reçoivent 3 euros par degré hecto pour les vins de qualité et 1,914 euros par degré hecto pour les vins de table.

Le Gouvernement a souhaité renforcer ce dispositif en accordant une aide supplémentaire aux viticulteurs qui souscriront à la distillation européenne avant fin août. Pour les vins de table, il s’agira d’un complément de prime de 1 euro, permettant d’atteindre le prix de 2,90 euros ; pour les vins d’appellation et les vins de qualité, l’aide se montera à 3,35 euros par degré hecto. Une enveloppe de 15 à 20 millions d’euros est prévue pour financer ces aides.

Néanmoins, le succès de la distillation et son impact sur les volumes excédentaires dépend en grande partie de la participation de tous les producteurs concernés. Dans ce contexte, et afin d’assainir le marché avant les prochaines vendanges, il apparaît nécessaire de prévoir le recours à un instrument permettant de donner toutes ses chances de succès à la distillation de crise. C’est l’objet de la présente proposition de loi. Et, puisque les députés repartent dans leurs circonscriptions à la fin de la semaine et que les vendanges ne pourront pas attendre notre retour, nous sommes disposés, monsieur le ministre, à vous donner ce soir les moyens dont vous avez besoin.

Permettez-moi d’insister sur quelques aspects de ce dispositif. En premier lieu, je tiens à rappeler qu’en l’état actuel du droit, les rendements plafonds pour les vins bénéficiant d’une AOC sont fixés par l’Institut national des appellations d’origine, le Gouvernement ne pouvant qu’accepter ou refuser la décision de l’INAO mais non la modifier ; il s’agit là du pouvoir régalien de l’Institut.

Or ce système a connu quelques difficultés lors de la dernière campagne marquée par d’importants excédents de production, ce qui justifie le fait que le ministère souhaite se donner les outils juridiques lui permettant d’agir sur la fixation des rendements des vins à appellation d’origine contrôlée. Sur ce point, la proposition de loi est remarquable.

Dans ce cadre, il me semble fondamental de rappeler que la fixation des rendements est loin d’être un acte anodin. Jusqu’à ce jour, les rendements étaient définis par la qualité de la récolte, sans toujours tenir compte de la réalité économique. Or, fixer des rendements trop bas peut avoir plusieurs conséquences néfastes : cela fait implacablement augmenter les coûts de production et peut brider la capacité de commercialisation d’exploitations performantes. Par ailleurs, la nature ayant horreur du vide, nos collègues européens ou du reste du monde n’hésiteraient pas à occuper la place laissée par nos vignerons. Ce qui m’incite à dire ici qu’il faudra surtout éviter la vinification de moûts provenant de pays tiers.

Le groupe de l’UMP, ainsi que tous les professionnels soutiennent la mesure proposée.

M. François Liberti. Pas tous les professionnels !

M. Philippe Feneuil. Tout ceux que j’ai rencontrés en tout cas. Et il ne s’agit pas d’un dossier politique !

M. André Chassaigne. Mais si !

M. Philippe Feneuil. Dans ce cas, c’est que je ne comprends plus rien à la politique, ce qui est peut-être préférable quand il faut prendre des mesures radicales et performantes.

Il faut donner aujourd’hui au ministre le moyen de pouvoir agir quand les professionnels ne peuvent pas le faire. Mais il est essentiel de respecter le pouvoir de ces derniers, et j’ai déposé un amendement en ce sens. Les mesures prises devront être soumises à un avis de l’INAO. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. André Chassaigne. Votre amendement révèle bien le problème !

M. le président. La parole est à M. Kléber Mesquida.

M. Kléber Mesquida. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour, je voudrais, au nom du groupe socialiste, rendre un hommage appuyé au président René Renou. Il était propriétaire en Languedoc et avait un attachement certain pour cette terre comme pour l’ensemble de la viticulture.

Si le Parlement est enfin saisi sur un des facteurs de la crise – la mévente et le surstock qu’elle génère –, je regrette l’examen précipité de cette proposition de loi, tout en soulignant qu’elle intervient également un peu tard.

Il faut se souvenir en effet que, lors de la campagne de distillation 2001-2002, les viticulteurs n’ont pas souscrit à hauteur de ce que nous avait accordé l’Europe. Lors de la campagne 2003-2005, à peine 1 million d’hectolitres a été distillé, alors que nous avions obtenus un peu plus. Si l’on totalise le résultat de ces deux campagnes, ce sont 2 millions d’hectolitres perdus que des mesures coercitives auraient pu éviter.

Elle intervient également un peu tard, car la diminution du rendement passe en amont par une conduite de la vigne qui occasionne un surcoût global, notamment en matière de commercialisation.

Le problème se pose enfin, eu égard à l’organisation de la distillation. Comment les viticulteurs, qui pour certains ont déjà des problèmes de stockage d’alcool, de stockage de vins invendus et non retirés, vont-ils s’organiser pour avoir la capacité de distiller aussi rapidement ?

Sur le fond, nous sommes d’accord, car il faut des mesures contraignantes pour empêcher, comme cela s’est produit, que certains bassins attendent tandis que d’autres distillent à leur place.

La baisse de rendement va-t-elle pour autant induire une remontée des cours ? Les résultats de l’expérience menée dans les années récentes, en vallée du Rhône ne sont pas, à ce titre, concluants.

D’autre part, quelle instance sera consultée lorsque le Gouvernement décidera de baisser les rendements dans telle ou telle région ? Ces baisses s’appliqueront-elles de manière uniforme à l’ensemble des productions françaises ? Beaucoup d’interrogations demeurent sur les modalités d’application de la loi, et nous nous déterminerons en fonction des engagements que vous prendrez pour inciter à la distillation d’une manière équitable, tenant compte des bassins qui ont déjà consenti beaucoup de sacrifices.

A ce sujet, je voudrais attirer votre attention sur la manière dont sont analysées les données, car ce n’est pas sans incidence dès lors que l’on étudie les surstocks par bassin. La fédération Sud des producteurs AOC a ainsi saisi vos services, ayant constaté qu’ils avaient intégré les Côtes du Rhône et les Costières de Nîmes dans le domaine du Languedoc-Roussillon, alors qu’il s’agit d’appellations qui relèvent du champ de compétence d’Inter-Rhône. Il conviendra donc de les y rattacher, sinon les chiffres seront faussés.

Le surstock du Languedoc-Roussillon représente 3 % en volume AOC des surstocks nationaux, soit 40 à 45 000 hectolitres de distillation, selon un calcul mécanique. Ces chiffres, si on les compare aux revenus viticoles tels qu’ils figurent dans l’étude de l’Observatoire de la production viticole régionale, révèlent l’ampleur de la crise. Fin 2004, en effet, 61 % des exploitations étaient en situation difficile ; en 2005, ce pourcentage est passé à 72 %, tandis que les prévisions pour fin 2006 indiquent que 89 % seront dans le rouge. Ces chiffres publiés lundi par votre ministère corroborent la baisse de revenu de la viticulture estimée à 56 %.

Il y a donc un problème d’adéquation entre la production et la demande. Certes, la production française représente environ 30 % de la production européenne. Mais il faut ici regarder les performances des pays de l’hémisphère sud qui produisent près de 50 millions d’hectolitres et en exportent près de 17 millions, soit 34 % de leur production, alors que l’Union européenne n’exporte, elle, que 7,5 % de sa production.

Dans l’hémisphère sud, la part de l’exportation est passée de 1,7 % en 1980 à 21 % en 2005, quinze ans après. Ces pays ont connu une progression énorme : ils ont multiplié par dix leur vecteur de pénétration. Nous sommes, en quelque sorte, les victimes de cette situation puisque ces pays concurrencent nos vins à l’export.

Sur les vins français, nous avons constaté une baisse de 6,5 % environ tant en volume qu’en valeur. L’Union européenne n’exporte que 7,5 % du volume de production, mais 28 % de notre production a trouvé un débouché à l’export. Toutefois, cela n’est pas suffisant puisque nous avons aujourd’hui des excédents.

Le rapport donne une estimation des stocks, des baisses de récolte pour la saison 2005-2006. Pour les stocks, l’on observe des variations entre 9 % et 39 %. Le Languedoc-Roussillon connaît une augmentation de 33 % malgré une récolte en baisse de 11 % environ. Lorsque vous avez évoqué la distillation, la profession y était favorable, mais elle attendait une distillation massive, plus importante, avec des prix décents, rémunérateurs. Vous aviez demandé 2 millions d’hectolitres pour les AOC et la même chose pour les vins de table, avec des prix de 4 euros et de 2,50 euros. Nous avons obtenu 1,5 million pour les AOC et 1,5 million pour les vins de table. En additionnant la participation française, vous portez la rémunération des AOC à 3,35 euros et celle des vins de table à 2,90 euros. Pour certains, cela constituera une trésorerie, mais qui ne compensera pas le prix de revient. Ils subiront une perte par rapport à leur travail, aux frais d’exploitation et de vinification.

Vous avez dit, monsieur le ministre : « Bruxelles ne m’a pas entendu, la référence des prix des vins italiens et espagnols l’ayant emporté ». Je connais votre pugnacité et je ne mets pas en doute votre volonté, mais peut-être n’avez-vous pas crié assez fort !

M. Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture et de la pêche. Je me suis égosillé !

M. Kléber Mesquida. S’agissant des plantations, l’Espagne, la France et l’Italie regroupent 86 % des plantations de l’Union européenne. Celle-ci propose un plan prévoyant l’arrachage de 400 000 hectares. Je rappelle que la France a déjà donné dans ce domaine puisque, en vingt ans, 240 000 hectares ont été arrachés dont 120 000 en Languedoc-Roussillon, ce qui a provoqué la disparition de la moitié des exploitations. Si 400 000 hectares devaient être arrachés en Europe, il faudrait en arracher 120 000 en France, ce qui entraînerait la suppression de 30 000 emplois directs et induits. Avec 270 000 hectares de surfaces actuellement plantés, soit 30 % du vignoble français, le Languedoc-Roussillon, dont la situation économique est déjà précaire, devrait participer à l’arrachage à hauteur de 35 000 hectares, ce qui mettrait en péril 10 000 emplois.

Il faudra insister avec beaucoup d’énergie sur les plantations de vignobles dits « irréguliers » ou « illicites », dont la régularisation a été refusée pour 68 000 hectares. Il faudra exiger qu’ils soient concernés par la première vague d’arrachages.

Ensuite, il faudra analyser l’impact de l’arrachage sachant que les surfaces arrachées induisent un surcroît de charges sur le reste de l’exploitation, car il y a des charges fixes : frais financiers, impôts, taxes, assurances, frais de fermage. Nous observons une chute de la valeur foncière de 40 % en deux ans. Les mesures d’arrachage sont actuellement considérées par certains comme un accompagnement social. Ils vont souscrire à l’arrachage pour faire face à leurs besoins de trésorerie immédiate. Ils vont se démunir de leur patrimoine et de leur capacité de production et aller ainsi, petit à petit, vers des accompagnements sociaux de manière institutionnelle. Dans le département de l’Hérault, plus de 300 RMIstes et 400 personnes éligibles au fonds de solidarité mis en place par le département viennent ainsi du secteur agricole.

L’arrachage aura aussi un impact sur les paysages, l’aménagement du territoire, le débroussaillement, les risques d’incendies. Tout cela aura un coût. Qui financera la reconversion ? Comment les collectivités qui subiront des pertes seront-elles aidées ? Comment les vignerons pourront-ils se reconvertir ? Nous nous interrogeons, monsieur le ministre. Pourquoi nos vins sont-ils diabolisés en France alors qu’ils jouissent d’une excellente notoriété mondiale ? Nos campagnes publicitaires sont telles qu’elles suscitent la réticence des étrangers. Quant au sujet du bac dont le titre était malheureux – « Le vin et ses dangers » –, vous l’avez dénoncé, monsieur le ministre, et je vous en remercie. Il ne faut surtout pas diaboliser le vin et aller vers la prohibition. La modération est une exigence, mais la communication doit être positive.

J’en profite pour vous signaler que des retards de paiement sur la distillation 2005 et sur les primes de plantation aggravent les difficultés financières des viticulteurs.

S’agissant de la réglementation, pourquoi les produits phytosanitaires interdits en France sont-ils autorisés en Espagne ? Ne pourriez-vous pas installer des contrôles sanitaires aux frontières ? La santé est une exigence, et nous devons veiller à ce que les vins qui entrent sur notre territoire respectent les critères établis en la matière. Pourquoi des vins extracommunautaires qui entrent dans ce pays deviennent-ils automatiquement européens ? Pourquoi un pays impose-t-il ses règles chez lui et pourquoi la France subit-elle celles de l’Europe ? Nous continuons à importer des vins, des moûts, ce qui alimente la surproduction et conduit à taxer les producteurs français à la distillation.

Par ailleurs, je vous demande, monsieur le ministre, d’engager une véritable négociation avec les metteurs en marché et les distributeurs. Nous ressentons en effet un vide dans l’action du Gouvernement, qui se réfugie derrière le projet de la Commission européenne pour se dédouaner. Pourquoi ne pas promouvoir une politique européenne coordonnée ?

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Nous l’avons fait !

M. Kléber Mesquida. « Le projet manque du souffle et de l’ambition dont la filière a besoin », c’est vous qui le dites, monsieur le ministre ! Pourquoi ne proposez-vous pas d’autres mesures ? Qu’avez-vous à nous dire sur ce sujet ?

Pour nous, l’Europe ne doit pas être une variable d’ajustement du marché mondial. La France ne doit pas être la variable d’ajustement par rapport aux options très libérales de la Commission européenne. Le Languedoc-Roussillon, par rapport aux efforts et aux sacrifices consentis, ne doit pas être la variable d’ajustement eu égard à la politique nationale.

Monsieur le ministre, face à l’ampleur de la crise, qui rejoint en beaucoup de points celle qu’ont connue les vignerons en 1907 qui a conduit à des révoltes, un bain de sang et à l’issue de laquelle des mesures ont été prises, il nous faut travailler ensemble – vignerons, socioprofessionnels, négociants, élus de la nation et, bien sûr, ministères concernés – pour construire un véritable plan ambitieux pour une reconquête des marchés.

Il faut retrouver la cohésion, la cohérence et l’unité dont a besoin la profession viticole qui ne veut pas de la charité, mais veut vivre dignement de ses productions. Monsieur le ministre, vous le savez, chez les vignerons la désespérance est à son comble, la colère monte. La situation est comparable à celle de 1907.

Nous devons comprendre et trouver des solutions avant que l’irréparable ne survienne. C’est pourquoi je vous demande solennellement d’organiser au Parlement un débat de fond sur l’avenir du vignoble et de la viticulture. Nous y sommes prêts et y contribuerons activement.

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi touche à l’un des symboles de la France qui fait la fierté de notre pays : la viticulture.

En ces temps de mondialisation. deux conceptions s’affrontent : d’un côté, ceux pour qui le vin est une affaire de marques, donc de publicité et d’argent ; de l’autre, ceux pour qui le vin est une question de tradition et de terroir. Bien entendu, nous défendons cette seconde conception.

Malheureusement, en dépit de cette longue tradition, la filière viticole connaît aujourd’hui une crise sans précédent dont l’issue est encore incertaine et pourrait bien être dramatique.

Sur le marché intérieur européen comme sur le marché mondial, le problème est le même : l’offre croît, mais la demande ne suit pas. Les chiffres sont inquiétants. La consommation de vins de l’Union européenne baisse de 750 000 hectolitres par an. Nous n’exportons que 7,5 % de notre production alors que, dans le même temps, nous recevons 10 % des exportations des pays du Nouveau Monde. Dans une telle situation, les stocks ne peuvent qu’augmenter. Ils sont aujourd’hui estimés à 15 millions d’hectolitres, soit 8,4 % de la production communautaire.

Les raisons de ce déclin sont nombreuses. On peut pointer du doigt la concentration de la distribution qui fait souffrir toute l’agriculture en général, et donc la viticulture. D’autant que face à cette « hyper-organisation », la filière viticole apparaît parfois comme peu ou mal organisée et inutilement complexe.

Le rapporteur parlait de manque de lisibilité. Je crois qu’il y aurait effectivement des efforts à faire de ce côté-là. On peut également mentionner les modes de vie qui changent : l’alcool est de plus en plus stigmatisé que ce soit dans le cadre des campagnes de la sécurité routière, devenue une priorité nationale, ou dans le cadre de la santé et des nécessaires économies à réaliser. Je tiens à rappeler que le vin ne doit pas être assimilé à d’autres alcools et que ses bienfaits, lorsqu’il est consommé avec modération, sont reconnus. Les Anglo-saxons ne parlent-ils pas du french paradox ?

Les difficultés viennent également de l’ouverture des marchés et de la très forte concurrence mondiale avec des pays comme l’Argentine, l’Afrique du Sud ou l’Australie, qui exportent en quantité croissante des vins de qualité. Ainsi, par exemple, la part de marché à l’exportation des pays de l’hémisphère sud est passée de 1,7 % au début des années 80 à 21 % aujourd’hui.

Une telle situation a des conséquences très graves pour nos viticulteurs : les stocks s’accumulent dans tous les vignobles, Rhône-Alpes détenant le funeste record d’une augmentation de 39 % de ses stocks. Les prix baissent, les revenus aussi.

Face à une telle crise, le groupe UDF avait demandé, dès décembre 2005, la création, au sein de la commission des affaires économiques, d’une mission d’information sur la crise viticole en France. La singularité du phénomène nécessite en effet que soit établi un constat précis et sincère sur les causes de la crise avant d’envisager des mesures de soutien. Cet état des lieux devrait être réalisé en étroite collaboration avec les professionnels du secteur et les responsables politiques d’autant qu’il s’agit de bien plus que d’une « simple » crise conjoncturelle et sectorielle.

Les difficultés du monde viticole ont des conséquences lourdes sur les économies locales, en particulier en termes d’emploi, du fait de l’interconnexion des économies. Certaines régions ont une viticulture dynamique, dont les retombées économiques sont très diffuses sur tous les secteurs de l’économie locale. Élu du département du Tarn, proche du reconnu vignoble gaillacois, je ne peux qu’en mesurer l’importance.

Malheureusement, après quelques péripéties, cette mission d’information, qui aurait dû associer plusieurs députés de différentes régions, de différentes tendances et de différentes sensibilités, s’est finalement transformée en une simple remise de rapport confiée à un député, brillant certes, mais qui aurait pu bénéficier de l’aide et du soutien de certains de ses collègues. Le groupe UDF aurait souhaité être associé à ce travail. Nous regrettons que ce n’ait pas été le cas.

Mais l’important, bien sûr, est que ce constat soit enfin établi et serve de base à des propositions concrètes et efficaces. Car il existe, certes, des mécanismes de régulation du marché au niveau communautaire. La commission européenne a mis en place des mesures spécifiques dans ce domaine. Mais elles s’avèrent souvent insuffisantes pour remédier aux difficultés auxquelles font face les producteurs.

On le voit avec la proposition de réforme de l’OCM vin faite par la commissaire européenne à l’agriculture Mme Fischer Boel, il y a quelques jours. Il n’y est question que d’arrachage et d’aides à la reconversion. Est-ce vraiment la solution ?

M. Philippe Armand Martin. Elle parle aussi d’exportation !

M. Philippe Folliot. Comme vous, monsieur le ministre, nous pensons que non. Il s’agit non d’aller au plus simple en arrachant des plants ou en encourageant les viticulteurs à changer d’activité, mais de rendre notre vin plus compétitif et de lui donner les moyens de s’adapter aux évolutions du marché mondial. Il a des siècles d’existence derrière lui, je veux croire qu’il en a autant devant lui.

Quant à l’ouverture d’une distillation de crise, que nous avons obtenue, cette solution doit permettre de réguler le marché, mais elle doit rester exceptionnelle. Il ne peut s’agir d’une solution pérenne.

D’ailleurs, la faiblesse du prix proposé par la Commission a poussé le Gouvernement à organiser le versement d’aides complémentaires, afin que les viticulteurs soient réellement incités à choisir cette solution. Mais, on le voit bien, c’est une solution imparfaite, qui ne peut être que ponctuelle. C’est dans cet esprit et dans ce cadre que s’inscrit la proposition de loi.

Vous proposez, mon cher collègue, une procédure exceptionnelle, qui doit permettre d’utiliser au mieux ce mécanisme exceptionnel. Il est vrai que le choix de recourir à la distillation de crise reste facultatif et que l’on constate de réelles disparités dans son utilisation. La discipline collective n’est pas partout respectée et, si le Gouvernement a proposé une carotte, vous proposez ici un bâton. Dans une situation aussi grave que celle que nous connaissons, il faut utiliser tous les moyens à notre disposition pour s’assurer que les niveaux de rendement qui seront proposés soient adaptés et pour que le marché retrouve progressivement un fonctionnement plus sain. Nous vous suivons tout à fait sur ce chemin : à situation exceptionnelle, procédure exceptionnelle.

Néanmoins, un point très important reste à éclaircir en l’état actuel du texte. Procédure exceptionnelle ou pas, il ne nous semble absolument pas justifié de se passer d’un avis de l’INAO. Nous avons eu en commission un débat sémantique sur la différence entre « avis » et « consultation ». Nous espérons vous entendre à ce sujet, monsieur le ministre, afin que soit retenu le meilleur des termes, le plus approprié en tout cas.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Bien sûr !

M. Philippe Folliot. Quoi qu’il en soit, l’essentiel est que les ministres qui disposeront du pouvoir de fixer les rendements pour la campagne à venir puissent décider et agir en toute connaissance de cause, c’est-à-dire en s’appuyant sur des éléments concrets fournis par les professionnels. À eux, ensuite, de suivre ou non les conseils donnés, c’est-à-dire d’exercer leur responsabilité politique. Mais il serait très difficilement concevable de se passer des experts et des professionnels pour prendre une telle décision. Cet avis ou cette consultation permet également de responsabiliser les professionnels et de leur conserver leur rôle dans la gestion du marché du vin.

Cet avis ou cette consultation est donc aussi utile que nécessaire. Nous devons absolument les réintroduire dans la procédure. Il y va, à bien des égards, du maintien de notre système national bien spécifique d’appellations d’origine contrôlée, lié en grande partie à la capacité des acteurs de l’ensemble de la filière de participer à ses décisions et de donner leur avis quand il s’agit de questions aussi importantes pour l’avenir.

Ainsi précisée, votre proposition sera un outil tout à fait bienvenu pour notre filière vitivinicole.

M. Antoine Herth, rapporteur. Merci !

M. le président. La parole est à M. François Liberti.

M. François Liberti. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, cette proposition de loi, qui vise à permettre au Gouvernement de baisser les rendements autorisés par les organismes de filières, pointe du doigt – reconnaissons-le – les AOC, qui, dans certaines régions, notamment en 2005, n’ont pas distillé suffisamment et, de ce fait, n’auraient pas contribué à assainir le marché de manière solidaire.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. C’est exact.

M. François Liberti. Indiscutablement, ce texte est perçu d’une manière différenciée et apparaît, pour certains, comme un texte de division opposant les appellations. De plus, donner à l’État la maîtrise de fixer le rendement, en lieu et place des organismes interprofessionnels, ne va pas sans poser problème, dans la mesure où cette mise à niveau peut tout à fait s’inscrire demain dans les projets de liquidation de la viticulture amenés par la communauté européenne.

C’est donc à regret et avec réserve que les députés communistes et républicains apprécient cette proposition de loi.

M. Patrice Martin-Lalande. Et que proposent-ils ?

M. François Liberti. Il y a deux raisons à cela. Tout d’abord, le texte divise le monde viticole.

M. Philippe Feneuil et Mme Arlette Franco. Ce n’est pas vrai !

M. François Liberti. Si ! Pour assainir le marché du vin, il faut que la distillation soit attractive, avec des mesures incitatives, et non pas qu’elle recoure à la sanction des rendements adaptés. Si l’on ne perd pas de vue la position de Bruxelles, qui préconise la suppression de la distillation, on court le risque que l’assainissement du marché se fasse demain par la réduction des rendements, et la France aura sa loi pour le faire. De plus, cette proposition de loi me paraît être en contradiction avec le rapport Pomel, qui propose la création d’un Conseil national de la viticulture, lequel aurait en charge les réflexions, les observations, les propositions, la coordination et les arbitrages entre les dix comités de bassin.

La deuxième raison qui justifie nos réserves est que cette proposition de loi ne répond pas aux problèmes de fond. Mercredi 7 juin, lors de la séance des questions au Gouvernement, j’ai, au nom du groupe des député-e-s communistes et républicains, rappelé que la viticulture était aux prises avec la crise la plus grave de son histoire. La réponse négative de Bruxelles, refusant un volume de distillation suffisant pour assainir le marché – les instances professionnelles avaient tablé sur 8 millions d’hectolitres – et à un prix réellement rémunérateur, témoigne d’un profond mépris pour l’économie viticole et la viticulture.

M. Robert Lecou. Vous n’avez rien compris !

M. François Liberti. Chacun sait que le volume accordé ne permettra pas d’assainir le marché avant la prochaine campagne. Non seulement le prix fixé ne permettra pas non plus de rémunérer le travail, mais il risque de tirer vers le bas le prix du marché. Son effondrement reste donc, hélas, l’horizon immédiat.

Je vous avais demandé dans ces circonstances, monsieur le ministre, que la France prenne la mesure de la crise et reprenne la main. Hélas, les mesures d’accompagnement que vous avez annoncées ne sont pas au niveau des enjeux de cette crise et leur mise en œuvre suscite, de plus, beaucoup d’interrogations.

En raison de la règle de minimis, les subventions par exploitation sont bloquées à 3 000 euros, plafond européen. Beaucoup de viticulteurs, qui ont bénéficié ou vont bénéficier des premières mesures, ne pourront aller sur l’offre de distillation.

La crise, ne nous y trompons pas, n’est pas technique. Elle appelle plus que des ajustements à la marge. Elle est politique. C’est la conséquence des choix qui conduisent la viticulture et toute l’agriculture à l’ultralibéralisme qui, de l’OMC à la PAC, ne connaît qu’une règle : la rentabilité des groupes financiers, fût-ce sur la dépouille de tous ceux qui produisent et veulent vivre de leur travail.

Mme Arlette Franco. Ce n’est vraiment pas le sujet !

M. François Liberti. Les viticulteurs sont attachés à leurs terres et à leurs vignes. Ce sont des bâtisseurs, des aménageurs de territoires. Ils ont fait de cette culture ancestrale un fleuron de la France dans le monde. Là où on arrache aujourd’hui, c’est la friche qui prend le dessus, la désertification, les incendies et, au bout du compte, la spéculation foncière et souvent l’urbanisme débridé.

Le projet de réforme de l’organisation commune des marchés du vin, qui se prononce pour la suppression totale de la distillation et qui préconise, au lieu de les aider, l’élimination des exploitants en difficulté, notamment par des incitations financières, et le plan d’arrachage fixé à 400 000 hectares de vignes sur cinq ans, qui, pour une large part, vise le vignoble français, s’apparentent au plan de liquidation de la sidérurgie mis en œuvre il y a vingt ans. On voit aujourd’hui, avec Arcelor, où il nous a menés.

L’arrachage massif des vignobles vise officiellement les viticulteurs les moins « compétitifs », les viticulteurs près de la retraite et les jeunes viticulteurs qui ont investi et doivent faire face aux emprunts.

Il ne s’agit plus de mesures qualitatives, mais d’un véritable dépeçage à la tronçonneuse. La cessation d’activité est le but. La fin de la viticulture dans notre pays est programmée si on laisse faire et qu’on courbe l’échine. L’objectif est clairement affiché : il faut laisser le champ libre à l’affairisme financier.

Enfin, le projet finalisé par Mme Fischer Boel dessaisit le Conseil des ministres européen de ses compétences sur les étiquetages et les pratiques œnologiques, pour les transférer à la Commission. Cette disposition, avec la volonté de la Commission de lever l’interdiction de vinifier les moûts importés et de mélanger les vins communautaires avec les vins non communautaires, ouvre grande la porte à la fraude et aux trafics en tous genres. C’est la fin du vin comme produit de terroir, comme produit de qualité résultant d’une vinification élaborée.

Alors, que faut-il faire ? Crier « Vive le vin Coca-Cola ! », pour assurer les meilleurs taux de rentabilité aux groupes financiers qui investissent et plantent sans contrôle dans les pays dits émergents ? Au reste, il s’agit, pour une large part, des groupes français, notamment de groupes de spiritueux. Quant à l’Espagne, elle nous renvoie sa surproduction : cinq millions d’hectolitres arrivent ainsi sur le marché français.

M. Philippe Feneuil. Sur ce point, nous sommes d’accord.

M. François Liberti. Dans la région Languedoc-Roussillon, la viticulture pèse un milliard d’euros. Les viticulteurs devraient pouvoir en vivre dignement, ce qui n’est pas le cas. Ils ne veulent pas que leur travail permanent vers plus de qualité, soit jeté aux orties, piétiné par la libéralisation des marchés, par l’arrogance de la grande distribution, par le « laissez-faire » des institutions aux niveaux européen et mondial, et par la loi d’orientation agricole française, votée par votre majorité, qui s’attaque au statut du fermage, aux structures collectives et à l’exploitation familiale.

Mme Arlette Franco. Ce n’est pas possible d’entendre cela !

M. François Liberti. Il est urgent de construire, en la réformant, une politique agricole commune qui garantisse un revenu rémunérateur aux viticulteurs, comme il est utile d’investir dans l’aide à la pérennisation des exploitations et à l’installation des jeunes, plutôt que de subventionner des mesures qui n’assurent pas l’avenir et n’ont résolu aucun des problèmes depuis trente ans.

Il faut que la France assume ses responsabilités, en se donnant les moyens financiers nécessaires, et change de braquet en matière de promotion du vin. Qu’elle soit donc dégagée des critères fixés par la grande distribution et d’une communication nationale clouant le vin au pilori !

Enfin, il est impératif de réformer en profondeur les règles qui régissent la production et le commerce mondial, en s’attaquant aux tabous de la finance, en ne confondant pas échanges économiques et marchandisation des produits de la terre, et en respectant la dignité de celles et de ceux qui la travaillent. C’est cela que les élus communistes et républicains vous demandent de faire pour que vive la viticulture. Notre pays doit retrouver sa dignité et la fierté du savoir-faire de ses viticulteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bascou, dernier orateur inscrit.

M. Jacques Bascou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons une proposition de loi qui vise à contraindre les producteurs à souscrire à la distillation au titre de l'article 30, pour assainir le marché avant la campagne 2006-2007. L'objectif est louable, mais je crains qu'un texte ne suffise pas et que, en l’occurrence, il arrive trop tard. La crise est aujourd'hui sans précédent, notamment en Languedoc-Roussillon, où des vignerons qui ont investi dans le vignoble, dans les outils de vinification, pour produire des vins dont la qualité est reconnue, sont en faillite.

Ce retard est, certes, imputable à la Commission européenne, qui n'a répondu que le 7 juin à votre demande de décembre 2005. Mais le manque de réactivité du Gouvernement, qui n’a pas pris conscience de l’ampleur de la crise, est également en cause. Depuis plus de deux ans, avec mes collègues du Languedoc-Roussillon, nous vous alertons. On ne compte plus les colloques, les livres blancs, les nominations de « Monsieur Vin » et les créations de conseils – conseil de la modération, Conseil national de la viticulture, conseil de bassins de production –, les plans Bussereau, les rapports et les missions d'informations parlementaires. Certes, des mesures sociales et fiscales ont été prises, mais elles n'ont pas été à la hauteur de la situation.

Il est vrai que, lors de la dernière campagne, moins de 1 million d'hectolitres ont été distillés, dont seulement 180 000 hectolitres dans le Bordelais, alors que la Commission européenne avait ouvert une distillation pour 1,1 million d'hectolitres, et que la profession doit utiliser les instruments dont elle réclame l'application à la Commission européenne. Cette proposition de loi de notre collègue Herth devrait donc permettre au Gouvernement d'agir.

Toutefois, il est évident que, dans la mesure où elle n'est pas obligatoire, la distillation n'est efficace que si elle porte sur un volume important et si elle s'opère à un prix incitatif. Or vous n'avez pas pu obtenir de Bruxelles ce que vous aviez demandé pour les AOC : une distillation de 4 euros minimum pour 2 millions d'hectolitres. Le prix de 3,35 euros reste faible et a pour conséquence, pour une appellation comme le Corbières, qui est dans une spirale de baisse des prix, d’être cotée quasiment au prix de cette distillation. Si la France n'est pas mieux entendue à Bruxelles, cela laisse mal augurer des futures négociations sur l'OCM vitivinicole, lesquelles sont liées au texte que nous examinons. Il est évident que l'arrachage de 400 000 hectares proposé touchera en priorité les régions qui font appel aujourd'hui à la distillation et dont les producteurs sont les plus fragiles. Je rappelle que, ces dernières années, le Languedoc-Roussillon a arraché 100 000 hectares quand 140 000 hectares étaient plantés de manière illicite en Europe, dont seulement 40 000 ont été régularisés.

Aujourd'hui, les organisations professionnelles, les pouvoirs publics et les élus s'élèvent contre les propositions de Mme Fischer Boel. Celles-ci sont en effet inacceptables, car la France doit conserver son potentiel viticole. Malheureusement, certains sont dans une situation telle qu'ils sont obligés de cesser leur activité, et 5 000 hectares ont été arrachés cette année dans l'Aude.

M. Philippe Feneuil. C’est temporaire !

M. Jacques Bascou. Des dispositions sociales significatives, tant au niveau national qu’européen, doivent permettre à ceux qui le souhaitent de partir dignement. À cet égard, je m'étonne que le gouvernement français n'ait inscrit aucune ligne budgétaire dans le plan de développement rural pour les préretraites prévues dans l'OCM, qui nécessitent un co-financement.

Parmi les propositions de la Commission européenne, outre l'abandon de la distillation, figurent la vinification de jus et moûts provenant des pays tiers ou le coupage des vins, qui consacrent le vin industriel, à l'origine incertaine, contraire à notre tradition viticole et à l'intérêt des consommateurs. Aujourd'hui, vous déclarez vous opposer à la Commission européenne – ce que je souhaite –, mais n'avez-vous pas ouvert la voie, en ne vous opposant pas au Wine Accord signé entre l'Union Européenne et les USA, qui reconnaît les pratiques comme le mouillage, l'aromatisation ou l'utilisation de copeaux ?

Enfin, je reconnais la qualité du rapport de notre collègue Herth, mais je regrette qu’il ne mentionne pas l'augmentation de la consommation du vin dans le monde et les potentialités de croissance de ce secteur. En effet, si la crise en Europe est due à la surproduction, elle est aussi due à la sous-commercialisation. Contrairement aux pays producteurs concurrents, notamment l'Espagne et l'Australie, qui consacrent des crédits importants à la promotion et au soutien à l'exportation, la France ne supporte pas sa viticulture. Ainsi, le budget consacré par la région du Languedoc-Roussillon à la promotion des vins est supérieur à celui la France.

M. François Liberti. Eh oui !

M. Jacques Bascou. Cette conquête de nouveaux consommateurs sur le marché européen comme sur les marchés d'export passe par une meilleure organisation et une meilleure coordination de la profession, mais elle ne peut être efficace qu'avec un soutien très fort de l'État. Plus que la distillation et l'arrachage, c'est ce que les viticulteurs vous demandent pour avoir confiance en l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche.

M. Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture et de la pêche. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je me félicite que nous puissions débattre de cette proposition de loi importante pour la situation de la viticulture, sur laquelle vous avez porté des jugements de cœur et de raison. Il s'agit, en effet, de nous donner les moyens d'accompagner le mouvement de restructuration qui a été lancé. Je remercie donc vivement Antoine Herth, dont la mobilisation en faveur de l'agriculture française est permanente, ainsi que nous l’avions vu lors de l’examen du projet de loi d’orientation agricole dont il était le rapporteur.

Comme tous les orateurs l’ont indiqué – qu’ils appartiennent à la majorité, à l’opposition ou à l’UDF –, l’économie des marchés viticoles français est actuellement très dégradée. Le léger mieux constaté en début d'année n'a pas suscité une reprise solide. Au contraire, depuis quelques semaines, dans certains vignobles, les prix recommencent à baisser. Ainsi, pour les vins de table, les prix, qui étaient de 3 euros par degrés et par hectolitre en janvier, ont commencé à baisser. La majorité des transactions se fait désormais autour de 2,80 euros par degré et par hectolitre, prix généralement insuffisant – M. Mesquida l’a dit – pour couvrir les coûts de production.

Pour les appellations, la situation est très contrastée, y compris au sein d’un même vignoble. Certaines d'entre elles ont su tirer leur épingle du jeu, avec un millésime 2005 de très bonne qualité, voire exceptionnel. Mais, pour la plupart, les prix et les volumes restent à la baisse, ce qui se répercute par ricochet sur l'ensemble des marchés.

Au total, beaucoup de producteurs ne couvrent plus leurs coûts de revient et, vous l’avez tous dit, nous avons le devoir d’éliminer au plus vite les stocks excédentaires, afin d'éviter une nouvelle chute des prix et une campagne 2 006 catastrophique.

Ainsi que MM. Feneuil, Mesquida, Bascou, Liberti, Folliot et M. le rapporteur l’ont rappelé, en 2005, pour les vins à appellation d'origine, une distillation de crise a été obtenue pour 1,5 million d'hectolitres. Malheureusement, elle n'a été souscrite que pour un peu plus de 1 million d'hectolitres. Nous avons obtenu une nouvelle distillation de crise en 2006 : 1,5 million d'hectolitres pour les AOC, 1,5 million pour les vins de table. La Commission a réagi beaucoup trop tard. La France s’est battue, mais nos voisins italiens et espagnols n’ont pas transmis leurs dossiers à temps. Or la Commission attendait de connaître l’ensemble des besoins pour décider les financements.

Pour assurer le succès de la distillation, le Gouvernement a décidé d'apporter une aide en trésorerie complémentaire aux exploitations afin d'aboutir à une souscription qui correspondrait à 3,35 euros par degré et par hectolitre pour les vins d'appellation – contre 3 euros assurés par la Commission – et à 2,90 euros par degré et par hectolitre pour les vins de table, contre 1,91 euros assurés par la Commission. Pour les vins de table, le prix offert à la distillation est suffisant pour permettre de remplir le contingent. Pour les vins d'appellation, il ne l'est sans doute pas, car il représente environ la moitié du prix de vente actuel des appellations régionales.

M. Patrice Martin-Lalande. C’est vrai !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Le phénomène de l'année dernière risque donc de se reproduire : plutôt que de distiller, certains producteurs préféreront vendre à prix cassés sur le marché, entraînant potentiellement une spirale à la baisse.

Il n'était pas possible d'augmenter le prix de la distillation ni d'accorder des aides de trésorerie dans des proportions suffisantes. Pourtant, il faut assurer le succès de la distillation afin d'assainir le marché. L'échec partiel de l'année dernière ne doit pas se répéter. Je précise d’ailleurs à l’intention de MM Bascou et Mesquida, qui ont soulevé ce problème, que nous irons au-delà des minima prévus pour l’aide de trésorerie : 5 000 au lieu de 3 000.

Il faut maintenant que toutes les régions livrent des volumes importants de façon à débuter la campagne 2006 sur de bonnes bases. Nous avons évalué les stocks excédentaires et déjà transmis aux grands bassins les volumes estimés qu'il serait nécessaire de distiller. Les chiffres sont connus de votre rapporteur et de votre commission des affaires économiques et ils ont été communiqués à la filière viticole le 14 juin dernier.

Que pouvons nous faire désormais pour assurer le succès de la distillation ? Les interprofessions ont un grand rôle à jouer et je les ai invitées à mettre en œuvre tous les moyens juridiques dont elles disposent. Je me suis rendu mardi dernier à l'assemblée générale du Comité national des interprofessions de vins à appellation d'origine et j'ai demandé aux présidents des interprofessions viticoles de tout mettre en œuvre pour favoriser la distillation. Je pense notamment à la constitution de réserves, qui seraient libérées en cas de baisse des stocks. À cet égard, les appellations de Bordeaux ont pris des initiatives courageuses qu'il reste à concrétiser.

Le Gouvernement a également consenti un effort financier important pour encourager la distillation, et je vous remercie de l’avoir noté. Nous prévoyons 24 millions d’euros supplémentaires si les 1,5 million d'hectolitres de vins de table et les 1,5 million d'hectolitres de vins d'appellation sont souscrits.

Face à la situation, il faut aller plus loin. C'est pourquoi je rends hommage à l’initiative d’Antoine Herth, qui vise à donner au Gouvernement le pouvoir de fixer les rendements de certaines appellations au-dessous du rendement de base.

M. André Chassaigne. C’est une initiative téléguidée !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Monsieur Chassaigne, quand le Parlement et le Gouvernement travaillent ensemble, toutes tendances politiques confondues, pour aider les producteurs en difficulté, il ne s’agit pas de téléguidage, mais de bon sens et d’intelligence politique. Au reste, si le président de l’Assemblée nationale et celui de la commission acceptent que ce texte vienne en discussion au cours de la dernière semaine de la session, qui est très chargée, c’est bien qu’il y va de l’intérêt général. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Naturellement, il ne s'agit pas d'utiliser cette mesure pour toutes les appellations et d'user de ce pouvoir exceptionnel de manière générale : comme l’arme nucléaire, c’est une arme de dissuasion avant toute chose. Il s'agit de suivre avec attention la procédure générale de fixation des rendements qui se déroule à l'Institut national des appellations d'origine et d’intervenir si les décisions proposées pour certaines appellations risquent d'aggraver la crise.

Les débats sur les rendements ont déjà commencé au sein des interprofessions. Le sujet a été évoqué au Comité national vins et eaux-de-vie du mois de mars, les syndicats et les comités régionaux de l'INAO ont fait remonter leurs propositions, qui ont été examinées au Comité national vins et eaux-de-vie des 1er et 2 juin. Plusieurs appellations avaient maintenu des rendements identiques à ceux de 2005, mais d'autres souhaitaient, à tort, augmenter fortement les leurs.

Le débat a été rapide et clair. Sous l'impulsion courageuse du président Renou, qui a été inhumé aujourd’hui dans sa terre d’Anjou et dont je salue la mémoire, le Comité national vins et eaux-de-vie a voté une motion indiquant qu'il refuserait toute augmentation des rendements par rapport à l'année précédente, sauf dans des cas très exceptionnels, si la bonne santé économique de l'appellation était démontrée. Les appellations qui n'ont pas de problèmes de vente, ont des stocks normaux et ne participent pas à la dépression générale, ne seront pas touchées par la mesure.

Le but de la proposition de loi est donc de donner les moyens au Gouvernement de s'assurer que ces orientations seront bien respectées et d'intervenir au-delà si besoin est. Dans les bassins où se pose un problème d'excédent de l'offre, il pourra intervenir si les appellations concernées ne font pas des propositions de rendements de nature à équilibrer le marché. Nous fixerons alors, après consultation – nous arrêterons la bonne formule dans un instant –, les rendements en fonction de la participation à la distillation, de l'état des stocks, du niveau des prix, de l'abondance de la récolte attendue. Notre objectif est d'éviter à nouveau des stocks pléthoriques qui déséquilibreraient le marché pour les années à venir.

Pour conclure, je veux dire un mot des propositions de la Commission. Celle-ci a raison de vouloir réformer l’organisation commune de marché vitivinicole – et nous en sommes tous conscients –, mais ce n’est pas en proposant, dans cette période difficile, l’arrachage de 400 000 hectares – tout en précisant que l’on permettrait de libérer les plantations – ou en annonçant la diminution des financements que l’on trouvera des solutions.

M. Patrice Martin-Lalande. Très juste !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. La France a élaboré des propositions et signé dès le mois de mars un mémorandum avec l’Italie, la Grèce, l’Espagne et le Portugal, que je tiens à disposition de la représentation nationale, contenant des propositions constructives pour une réforme vitivinicole. En préférant, quant à elle, jeter un pavé dans la mare, la Commission européenne a sans doute eu tort, car elle a suscité un état d’esprit qui va rendre les discussions plus difficiles.

Il faudra tout de même mener cette réforme. La France y participera et ses parlementaires travailleront à la mise au point des idées qu’elle a bien l’intention de défendre lorsque la question sera débattue devant la Commission et le Conseil des ministres européen – vraisemblablement dès l’automne. Nous devons faire en sorte que les vendanges et la récolte de l’automne se passent le mieux possible. C’est la raison pour laquelle je remercie par avance tous ceux d’entre vous qui voudront bien adopter cette proposition de loi qui constitue un instrument de bon sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Article unique

M. le président. J'appelle maintenant l'article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.

La parole est à M. Philippe Feneuil, premier orateur inscrit sur l’article.

M. Philippe Feneuil. Je voudrais faire deux observations relatives à des interventions de nos collègues de l’opposition.

J’espérais que l’on ne ferait pas de politique sur un tel sujet, mais force est de constater que c’est pourtant le cas. Nous sommes actuellement en train d’auditionner, sous le contrôle de notre collègue Martin, les responsables professionnels de toutes les régions de France. Comment l’opposition, qui n’a pas souhaité participer à ce groupe de travail et à ces auditions, peut-elle aujourd’hui nous reprocher de ne pas avoir entendu les professionnels ? Je pense notamment à Denis Verdier ou à Jean Huillet – ce dernier n’ayant pour réputation de soutenir farouchement le Gouvernement – ,…

M. Patrice Martin-Lalande. Ou alors il le cache bien ! (Sourires.)

M. Philippe Feneuil. …qui ont invité les politiques à aider les professionnels à prendre des décisions.

Le présent texte va dans le bon sens et permet à chacun de prendre ses responsabilités. La crise n’est pas de droite ou de gauche, non plus que la défense de la viticulture française. J’ai pour ma part la chance d’appartenir à une région qui n’est pas en crise, mais je parle au nom de l’ensemble de la viticulture française…

M. Philippe Dubourg et M. Hugues Martin. Ah oui ?

M. Philippe Feneuil. Parfaitement, messieurs les Bordelais ! Ce n’est pas en tant que Champenois, mais en tant qu’ancien responsable des vignerons de France, que j’affirme aujourd’hui que nous avons une crise grave à régler.

Je voudrais encore dire un mot, que l’on pourra trouver un peu dur, à l’égard des viticulteurs du Languedoc-Roussillon en général et de l’Hérault en particulier. Notre collègue Liberti a dit que la distillation volontaire n’était jamais payée assez cher pour que les professionnels soient incités à la pratiquer. Mais si l’on augmentait le prix de la distillation volontaire, il y a fort à parier que dès l’année suivante, les rendements, donc les excédents, augmenteraient également.

Soyons pragmatiques et ayons le courage de poser cette question : du fait des excédents, ne devrons-nous pas entrer, un jour, dans une logique de distillation obligatoire, pour faire redémarrer le secteur sur des bases solides ? Il faut écouter les professionnels. Chacun en tirera un grand profit.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Je ne reviendrai pas sur le fond, c’est-à-dire sur l’intervention qui a été faite par mon collègue François Liberti. Je voudrais simplement faire une observation : cette proposition de loi ne va pas résoudre les problèmes de fond de la viticulture française.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Elle n’est pas faite pour ça !

M. André Chassaigne. Et, pour tous ceux qui ne sont pas élus du Bordelais, elle ne propose aucune solution durable.

Mme Arlette Franco. Personne n’a prétendu le contraire !

M. Patrice Martin-Lalande. Il s’agit d’un dispositif temporaire !

M. André Chassaigne. Il conviendra donc de se méfier de l’effet boomerang de la décision qui sera prise aujourd’hui.

La deuxième observation que je veux faire est relative à la forme. Cette proposition de loi ne doit pas nous surprendre, dans la mesure où M. le ministre avait lui-même annoncé très clairement dès le 29 mars 2006 dans son plan d’action que « au vu des premiers éléments concernant les évolutions de marché, et notamment le résultat des dispositions prises pour réaliser les mesures de distillation qui auront été décidées, le Gouvernement arrêtera une indication pour le niveau des rendements par segment de marché. En tant que de besoin, il fixera ces niveaux de rendements, afin de ne pas aggraver la saturation du marché et veillera à ce qu'ils soient fixés en tout état de cause avant fin juillet. »

M. Patrice Martin-Lalande. C’est logique !

M. André Chassaigne. Cette proposition de loi ne constitue donc, en fait, que la mise en œuvre d’orientations précédemment annoncées.

Dans la très intéressante discussion que le Sénat avait conduite sur la crise de la filière viticole française à partir d’une question orale avec débat, vous disiez encore, monsieur le ministre : « Je vous l’indique clairement aujourd’hui : si, pour la distillation de crise à venir, toutes les régions de France ne participent pas à hauteur de leurs stocks excédentaires, j'en tirerai toutes les conséquences lors de la fixation des rendements de la campagne 2006-2007 ».

M. Patrice Martin-Lalande. C’est clair !

M. André Chassaigne. Lors de la présentation de votre plan d’action du 29 mars 2006, vous indiquiez enfin : « Pour suivre la mise en place de cette stratégie nationale, il sera créé un Conseil national de la viticulture française, chargé de coordonner au niveau national les propositions et les actions des bassins, qui s'organiseront au travers notamment de conseils de bassin. Ce conseil se réunira avant le 1er juillet afin de proposer au ministre les conditions de réalisation de la campagne 2006-2007. »

Dès lors, il aurait été plus simple de faire appel audit conseil pour examiner les conditions des rendements des AOC ; il aurait été plus simple de solliciter les partenaires par le biais de ce conseil. Quoi qu’il en soit, la présente proposition de loi vaut mieux qu’une ordonnance – je pense en particulier à celle qui a été prise en application de la loi d’orientation agricole en vue de réformer l’INAO, notamment les procédures d’agrément et de contrôle du nouvel institut.

M. le président. La parole est à M. Jacques Bascou.

M. Jacques Bascou. Je souhaite répondre amicalement à mon collègue Philippe Feneuil, qui nous reproche de politiser le débat. J’aimerais lui faire remarquer qu’avant 2002, lorsqu’il y avait des problèmes dans la viticulture, l’ensemble des élus étaient reçus sans distinction à Matignon et au ministère. Depuis, ce n’est plus le cas…

M. André Chassaigne. Eh oui ! Il faut montrer patte blanche !

Mme Arlette Franco. Ça ne doit pas être facile quand elle est rouge !

M. Jacques Bascou. Ainsi, dans le Languedoc-Roussillon, il faut se contenter de lire dans la presse le compte rendu des rencontres entre les élus de droite et les ministres. Et je pense que l’on peut difficilement me soupçonner de vouloir politiser le débat, alors que j’ai pris part à la création de l’association des élus du vin, qui avait pour objectif de fédérer l’ensemble des élus sur ce thème.

Par exemple, s’agissant de l’Aude – mon département – , tous les élus étant socialistes, la porte du ministère nous est rarement ouverte, et il a fallu, monsieur le ministre, que je vous relance pour que vous me répondiez que nous serions reçus. En tout cas, il a fallu attendre votre visite à Nîmes pour pouvoir vous rencontrer. En revanche, pour ce qui est de l’Hérault, tel député de la majorité aime à se présenter comme le premier interlocuteur du ministre et n’hésite pas, situation inédite, à accompagner les professionnels dans leurs entrevues avec le Gouvernement.

En outre, si nous avons refusé de participer à la mission en cours, c’est que les viticulteurs, dans un contexte qui conduit certains au suicide, veulent autre chose que des colloques. Après celui qui a réuni 580 professionnels à la Maison de la Chimie sur le thème de l’avenir de la viticulture, après plus de huit mois d’auditions qui ont donné lieu à la rédaction d’un livre blanc, après l’émission par la profession de propositions par bassins de production, après plusieurs missions parlementaires, après la nomination d’un « Monsieur Vin » dont j’ai oublié le nom, après la publication du rapport Pomel, les viticulteurs attendent que des décisions soient prises avant les vendanges, pour que la région Languedoc-Roussillon ne soit pas, une fois de plus, injustement montrée du doigt. Jusqu’à présent, les manifestations sont restées pacifiques. Proposons collectivement des solutions concrètes et non partisanes pour qu’elles ne dégénèrent pas.

Nous assumons une responsabilité collective qui doit aujourd’hui nous inciter, non pas à nous conduire en politiciens, mais à chercher des solutions. J’aimerais en convaincre notre collègue Philippe Feneuil.

M. le président. Nous en arrivons aux amendements.

Je suis saisi de deux amendements, nos 1 rectifié et 2, pouvant être soumis à une discussion commune.

M. Herth a déposé un sous-amendement n° 3 à l’amendement n° 1 rectifié.

La parole est à M. Hugues Martin, pour soutenir l’amendement n° 1 rectifié.

M. Hugues Martin. Nous regrettons que dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi, la région de Bordeaux se trouve une nouvelle fois désignée comme le mauvais élève de la classe. Gardons-nous, en toute occasion, de mettre au pilori telle ou telle région.

L’amendement n° 1 rectifié, adopté, je crois, par la commission, vise, pour ce qui concerne la fixation des rendements, à ne pas passer outre la consultation de l’INAO.

M. le président. La parole est à M. Philippe Feneuil, pour présenter l’amendement n° 2.

M. Philippe Feneuil. J’ai appris en descendant du TGV que la commission des affaires économiques était revenue sur le consensus qui s’était dégagé en son sein au terme d’une semaine de discussion et qui tendait à ce que soit recueilli l’avis – et non à organiser une simple « consultation » – de l’INAO. On comprendra que je ne pouvais être présent à la fois en commission et aux obsèques du président Renou. Je maintiens donc mon amendement 2, en précisant qu’il n’a évidemment pour objet que de demander un avis simple.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Garant de la qualité du travail de notre commission, je me dois de dire à M. Feneuil que sa présentation des choses ne correspond pas à la réalité. Votre amendement n° 2, monsieur Feneuil, a été rejeté par la commission dans sa séance de jeudi dernier.

M. Philippe Feneuil. On m’a demandé de le représenter !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Dès lors, il ne pouvait être représenté dans le cadre de la réunion tenue au titre de l’article 88 de notre règlement. La commission a alors adopté l’amendement n° 1 rectifié de M. Hugues Martin, lequel retient le principe d’une consultation de l’INAO.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour donner l’avis de la commission sur les amendements nos 1 rectifié et 2, et présenter son sous-amendement n° 3 à l’amendement n° 1 rectifié.

M. Antoine Herth, rapporteur. Je vous rassure, monsieur Martin : il ne s’agit pas de stigmatiser telle ou telle appellation, mais d’aider un ministre qui a le courage de mettre tout son cœur à sortir, aux côtés de la profession, la viticulture française de la crise qu’elle traverse.

Cela dit, je propose de modifier l’amendement n° 1 rectifié, qui a été adopté par la commission, pour tenir compte des remarques de M. Feneuil. S’il est clair que la consultation, fruit de cette collaboration que nous souhaitons tous, doit déboucher sur un avis, nous ne devons pas tomber dans le piège de l’« avis conforme », souhaité par certains juristes : cela reviendrait à enfermer le ministre dans la situation actuelle, où il ne peut pas modifier les rendements qui lui sont proposés.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ce sous-amendement et sur les amendements en discussion ?

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Vous avez réussi là, monsieur le rapporteur, une de ces synthèses intelligentes auxquelles vous nous avez accoutumées. Quel congrès radical du XIXsiècle n’aurait approuvé cette trouvaille de la « consultation pour avis » ? (Rires.)

Toute plaisanterie mise à part, la formule concilie parfaitement l’impératif juridique de ne pas lier la décision qui sera prise par le ministre à l’avis de l’INAO. Cela étant, il est nécessaire de consulter les professionnels avant de prendre une décision qui a une incidence forte sur leurs revenus. J’approuve donc totalement l’intelligence de votre solution, monsieur le rapporteur.

M. le président. Vous ralliez-vous à cette solution, monsieur Feneuil ?

M. Philippe Feneuil. J’accepte bien entendu de me rallier à cette proposition. Nous aurions également pu proposer la solution d’une « consultation pour avis après concertation » !

M. le président. L’amendement n° 2 est retiré.

La parole est à M. Philippe-Armand Martin.

M. Philippe-Armand Martin. Il n’y a pas grand-chose à ajouter à ces débats. Je me félicite, monsieur le ministre, que vous acceptiez que le mot « avis » soit inscrit dans la loi. L’essentiel est de responsabiliser les professionnels, comme l’a fait la notion de « bassins de production » introduite dans un rapport récent. Vous avez bien compris, monsieur le ministre, le souci des professionnels : ils doivent continuer à donner un avis. Ce dispositif oblige l’INAO à exprimer un point de vue, au travers d’un avis formalisé.

En acceptant ainsi, monsieur le ministre, une synthèse de ces deux amendements propre à satisfaire tout le monde, notamment les professionnels, vous leur envoyez un message fort, ce dont je tiens à vous remercier.

M. le président. La parole est à M. Kléber Mesquida.

M. Kléber Mesquida. Je comprends, monsieur le ministre, vos craintes que le terme « avis », sans plus de précision, soit interprété comme imposant l’obligation d’un avis conforme. Cela dit, une « consultation pour avis » ressort du pléonasme : quand on est consulté, on émet un avis !

Je préférerais pour ma part, avec d’autres collègues, que le texte impose un « avis motivé » de l’INAO. Une telle précision laisse en effet au ministre toute latitude pour réfuter les motifs avancés. La formule a en outre le mérite de la clarté.

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Je voudrais dire brièvement, monsieur le président, avant que l’hémicycle ne soit saisi de « mondialite » aiguë, que, bien que je sois l’élu d’une circonscription qui ne compte pas un pied de vigne, je participe avec plaisir à ces débats. Et ce n’est pas non plus au titre, que vous m’aviez attribué, mon cher collègue de Béziers, à l’occasion d’un colloque que vous aviez organisé dans votre belle ville, de représentant des consommateurs, que je n’ai pas la prétention de représenter à moi tout seul.

Cela étant dit, ces débats de sémantique me paraissent quelque peu surréalistes. La proposition du rapporteur me semble une solution de sagesse, dont le bon sens est susceptible de faire consensus. Nous ne pouvons donc que l’approuver.

Comme je l’ai déjà dit à la tribune, la philosophie même de l’appellation d’origine impose la consultation de l’INAO en cette matière. En imposant l’avis de l’Institut après consultation, le texte satisfera pleinement cette logique.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Peu importe, monsieur le ministre, que le texte parle d’une consultation ou d’une consultation pour avis : chacun a bien compris qu’il s’agit dans tous les cas que vous ne soyez pas lié par l’avis rendu par l’Institut national des appellations d’origine. Dans cet esprit, c’est l’amendement proposé par M. Fenueil qui me semble le plus pertinent. C’est pourquoi je reprends cet amendement n° 2, afin qu’il soit mis au vote.

Je profite de cette occasion, monsieur le ministre, pour vous demander quel rôle jouerait dans cette procédure d’avis de l’INAO le Conseil national de la viticulture, que vous nous avez souvent présenté comme le « Parlement » de la profession.

M. le président. L’amendement n° 2 est repris par M. Chassaigne.

La parole est à M. Robert Lecou.

M. Robert Lecou. Dans ce débat passionné, comme il sied s’agissant du vin et de la vigne, nous savons aussi, sur tous les bancs de l’hémicycle, faire preuve de mesure, conscients que nous sommes que la crise de la viticulture appelle des solutions techniques pour assainir le marché, par le biais notamment de la distillation.

C’est pourquoi je trouve la solution de la « consultation pour avis » très bienvenue. Elle laisse en effet au Gouvernement, qui en a le courage, la possibilité de s’engager, tout en prévoyant la consultation des professionnels, qui ont leur mot à dire.

Je crois que nous devons en rester à cette solution consensuelle. En effet, au-delà d’un assainissement conjoncturel du marché, l’union sacrée sera nécessaire si on veut réformer structurellement la commercialisation, le « marketing », si j’ose dire, de notre vin, afin de lui faire gagner des parts de marché à l’exportation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Philippe-Armand Martin.

M. Philippe-Armand Martin. Ce dispositif étant valable, si nous le votons, pour la récolte 2006-2007, j’aimerais, monsieur le ministre, que vous nous précisiez si c’est l’ancien dispositif qui s’appliquera ensuite, ou si la représentation nationale sera à nouveau appelée à réformer son fonctionnement.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Il reviendra, monsieur Martin, à une ordonnance, en application de la loi, de régler ce problème. Si cette ordonnance n’a pas encore été prise, c’est que nous prenons le temps de procéder, conformément au souhait que vous aviez exprimé au moment de l’examen du projet de loi d’orientation, à toutes les consultations nécessaires : Parlement, rapporteurs ou organisations professionnelles. Cette ordonnance sera prise et ratifiée par le Parlement d’ici à la récolte de l’an prochain.

Quant au Conseil national de la viticulture, monsieur Chassaigne, s’il lui revient d’assurer la coordination des comités de bassin, afin qu’il y ait une réflexion commune, il est dénué des pouvoirs exécutifs, qui appartiennent aux interprofessions et à l’INAO.

M. le président. La parole est à M. Philippe Feneuil.

M. Philippe Feneuil. Vous ne pouvez pas, monsieur Chassaigne, être plus têtu que moi ! (« Si ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Je me suis rallié à la solution de la « consultation pour avis », parce que c’est le mot « avis » qui compte.

M. le président. Je crois pressentir, monsieur Feneuil, que l’amendement n° 1 rectifié va être adopté…

M. Philippe Feneuil. Je sais bien, monsieur le président, qu’il y a le match de foot.

M. le président. Vous ne m’avez pas compris…

M. Philippe Feneuil. Bien que je sois moi-même un « footeux » acharné, la viticulture est à mes yeux plus importante qu’un match de l’équipe de France !

Je voulais simplement préciser à mon collègue Chassaigne, pour lequel j’éprouve une grande estime, que cette solution de la « consultation pour avis » satisfait tout le monde, et que ce qui compte, c’est que le mot « avis » ait été retenu.

M. le président. Ce n’est pas pour des raisons footballistiques que je vous pressais, monsieur Feneuil : je pressens simplement qu’une adoption triomphale de l’amendement n° 1 rectifié fera en tout état de cause tomber l’amendement n° 2. Le fait qu’il ait été repris par M. Chassaigne n’aura donc aucune conséquence.

Je mets aux voix le sous-amendement n° 3.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié, modifié par le sous-amendement n° 3.

M. Kléber Mesquida. Je m’abstiens !

(L’amendement, ainsi modifié, est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’amendement n° 2 tombe.

Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’article unique de la proposition de loi.

(L’article unique de la proposition de loi est adopté.)

ordre du jour
des prochaines séances

M. le président. Mercredi 28 juin 2006, à dix heures, première séance publique :

Discussion de la proposition de résolution, n° 3107, de M. Philippe Vuilque et plusieurs de ses collègues tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs :

Rapport, n° 3179, de M. Georges Fenech, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Discussion du projet de loi, n° 3134, de modernisation de la fonction publique :

Rapport, n° 3173, de M. Jacques-Alain Bénisti, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures quarante.)