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(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
Nous allons poursuivre la discussion générale, commencée le 18 mai dernier.
Je rappelle au public présent dans les tribunes qu’il se doit de rester silencieux et que notre règlement interdit toute marque d’approbation ou de désapprobation.
En cas de manifestation troublant le déroulement des débats, je me verrai dans l’obligation de suspendre la séance, ce qui ne serait pas de nature à assurer l’achèvement rapide de nos travaux.
« Mesdames, messieurs, nous avons été sensibilisés à la question du racisme et de la paix dans le monde. Nous avons appris que le danger des génocides n’avait pas disparu, comme l’ont montré les événements en ex-Yougoslavie et au Rwanda. Pour prévenir de nouveaux génocides, il faut garder en mémoire ceux qui ont déjà eu lieu, et empêcher que leur existence soit niée par les négationnistes. En tant que Français d’origine arménienne, nous sommes particulièrement touchés par ce travail de mémoire. » […] Qui, parmi nous, peut rester indifférent à cette demande ? Qui, parmi nous, voudrait se soustraire à l’interpellation de ces enfants, qui sont les descendants des rescapés du génocide de 1915 et qui nous demandent, à nous, de tenir notre promesse et de concrétiser notre engagement ?
Comme l’ont souligné, avant moi, mes collègues socialistes qui m’ont précédé à cette tribune – notre rapporteur Christophe Masse, et les signataires du texte Didier Migaud et Martine David –, je veux vous dire, à mon tour, la nécessité de voter ce texte pour aller au bout du processus que nous avions lancé le 18 mai dernier, pour combler le vide juridique, aussi cruel qu’inutile, qui subsiste, et pour punir ceux qui contestent la vérité historique, reconnue et établie par la loi de la République !
Double langage, lorsque le Président de la République déclare à Erevan qu’il faudrait subordonner l’adhésion européenne de la Turquie à sa reconnaissance du génocide – j’applaudis, nous applaudissons tous ici –,…
Double langage, encore, lorsqu’on essaie de nous détourner de notre objectif par le subterfuge d’un amendement en dirigeant, cette fois, le débat, sur la capacité des politiques à écrire ou non l’Histoire, ou sur l’opportunité qu’il y aurait à laisser ce soin aux seuls historiens, avec le risque de voir continuer d’insulter la mémoire du peuple arménien par ceux-là mêmes qui l’ont tant blessée – rappelons-nous Bernard Lewis et Gilles Veinstein !
Mes chers collègues, ce n’est pas que nous doutions de la sincérité de l’amendement qu’on va nous présenter aujourd’hui. Mais que chacun mesure bien le risque d’une telle démarche : en excluant du champ d’application de la loi les recherches historiques qui se pareraient des qualificatifs d’universitaires ou de scientifiques, cet amendement dénature l’esprit de la loi ! Il en diminue sa portée et sa force ! Il aurait pour conséquence de la vider de son efficacité au profit de ceux qui propagent des thèses négationnistes sous couvert de recherches historiques ! Si nous sommes tant opposés à cet amendement, c’est qu’il créerait un précédent : il permettrait d’épargner les auteurs de thèses révisionnistes, et ouvrirait, dès lors, la voie à toutes les dérives, y compris celles de tous ceux qui nient la Shoah !
Comme il doit vous sembler long ce chemin, à vous tous, descendants des rescapés du génocide, ultimes espoirs d’une mémoire qui ne veut pas s’éteindre et qui reste debout : toi, Keretsigh, qui m’avait tout appris du drame de ton peuple ; toi, Boghos, qui aurait tant voulu être des nôtres aujourd’hui ; toi, Varkes, mon vieux camarade, qui m’a initié à la cause arménienne ; et vous tous, mes amis, qui avez tant attendu !
Aujourd’hui, chers collègues, je vous lance un appel : je vous demande de voter cette proposition de loi, et vous en remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des député-e-s communistes et républicains, du groupe Union pour la démocratie française et sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
La loi de 2001 a, en soulignant les liens de solidarité et d’amitié qui unissent la France et l’Arménie, rappelé l’attachement de la France aux valeurs humanistes et au respect du droit des peuples. La France, amie de l’Arménie de longue date, a su accueillir sur son sol des rescapés des horribles massacres perpétrés par le gouvernement Jeune Turc de l’époque.
La loi de 2001 est un geste symbolique. La France rend ainsi publiquement justice au peuple arménien, trop longtemps abandonné à son triste sort de victime oubliée. Aujourd’hui, il est nécessaire de compléter son dispositif en réprimant toute négation du génocide. Comment admettre que l’on puisse nier encore aujourd’hui la réalité du processus d’extermination, qui caractérise le génocide, et qui préfigurait ce que fut, deux décennies plus tard, la Shoah ? La mémoire ne peut être sélective.
La responsabilité de l’État turc de l’époque est directement et indiscutablement engagée. Monsieur le Président de la République, Jacques Chirac, a, le 30 septembre dernier, lors de sa visite d’État à Erevan pour le lancement de l’Année de l’Arménie, eu des paroles fortes lorsque, avec émotion, il a évoqué ce que le monde démocratique attendait de la Turquie. À la question posée : « Faut-il que la Turquie reconnaisse le génocide arménien pour entrer dans l’Union ? », il a répondu : « Honnêtement, je le crois. »
La France, qui s’est placée à l’avant-garde du combat pour la reconnaissance du génocide arménien dans une belle unanimité, ne faiblira pas aujourd’hui devant des menaces aussi dérisoires que celles qui nous sont adressées depuis quelques jours. Cependant, ne rejouons pas le triste spectacle du 18 mai dernier, d’où le Parlement et le Gouvernement ne sont pas sortis grandis !
Aujourd’hui, la Turquie est bien mal placée pour donner des leçons. Il existe de grandes différences entre nos deux pays, notamment dans la manière dont les tribunaux répressifs interprètent le droit pénal et mettent en œuvre les libertés publiques. À nouveau, on nous menace de rétorsion au plan commercial : les sociétés françaises seraient exclues des appels d’offres, notamment pour la construction de centrales nucléaires, les contrats militaires, etc.
Certes, le sujet fait débat au sein de chaque famille politique – y compris à l’UDF. L’histoire du peuple arménien est encore méconnue pour certains de nos collègues, et il peut leur paraître superflu d’introduire dans notre code pénal une disposition spécifique, limitée à la seule négation du génocide arménien. Mais je souhaite que nous ayons le courage, ce matin, d’aller au bout du débat sur cette proposition de loi et que chacun de nous prenne ses responsabilités en son âme et conscience. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française, ainsi que sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe socialiste.)
La loi du 29 janvier 2001 instaure la reconnaissance officielle par la France du génocide arménien, le premier génocide du XXe siècle. Comme je l’ai déjà dit ici même, elle demeurera toutefois imparfaite tant que le génocide arménien, ce crime contre l’humanité, pourra être impunément contesté ou démenti. Dans le respect du travail de recherche des historiens et de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la représentation nationale a non seulement le droit, mais aussi le devoir de considérer que le négationnisme n’est pas un mode d’expression comme les autres : son objectif est en effet de falsifier l’histoire pour effacer de la mémoire collective toute trace des génocides.
La France, dans son histoire, a été fréquemment à la tête des combats pour les droits de l’homme. Au nom de ces valeurs universelles et de leur rayonnement, sans vouloir donner la leçon à qui que ce soit, elle a la responsabilité de faciliter activement l’expression des devoirs de mémoire à travers le monde, sans exclusive – et bien évidemment sans oublier de se regarder en face.
L’histoire de chaque pays est une partie de l’histoire de l’humanité tout entière. À l’ère de la mondialisation, comment ne pas travailler dans le respect de chacun à une compréhension mutuelle de l’histoire de chaque nation, pour que le respect de l’autre soit le ciment d’un monde libre qui assume son passé ?
La loi de la République peut ainsi conférer toute sa portée à la reconnaissance du génocide arménien et autoriser à son propos l’invocation du délit de négationnisme. Oui, la négation du génocide arménien doit être sanctionnée par les mêmes peines que celles qui prévalent pour la négation de la Shoah. La reconnaissance du génocide arménien et la condamnation pénale de sa contestation composent une même entité.
La proposition de loi, que je vous invite à mon tour à voter en l’état, envoie un signal clair à toutes les ferveurs communautaristes qui cherchent à manipuler des femmes et des hommes – souvent des jeunes, parfois des enfants – avec des idéologies racistes et négationnistes. Cette proposition de loi, dont le rapporteur est mon ami Christophe Masse, est donc un progrès immense pour la cause arménienne et plus généralement pour la cause de l’humanité.
Elle est aussi un premier pas qui en appelle d’autres. La France doit agir concrètement, voire, peut-être, prendre avec l’Union européenne l’initiative d’organiser une grande conférence internationale réunissant les deux États concernés, des historiens et des représentants de la société civile. Bien que tout le monde y soit favorable, cette conférence ne voit jamais le jour. Notre pays doit intensifier son action internationale afin de favoriser l’émergence de règles communes, notamment sous l’égide de l’Organisation des Nations unies, en faveur de la reconnaissance de tous les génocides perpétrés après le génocide arménien de 1915 et, d’une façon plus générale, en faveur de la criminalisation internationale de toutes les formes de négationnismes.
Je le redis aujourd’hui, la France s’honorerait d’universaliser son message pour cette avancée essentielle dans la voie de l’émancipation de l’homme. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
Tout d’abord, le texte qui nous est soumis n’a pas pour objet d’écrire l’Histoire.
Il me semble d’abord que la Turquie n’a pas de leçons à nous donner sur la répression d’une opinion.
M. Olli Rehn, commissaire à l’élargissement, juge inopportune cette proposition de loi, du fait des négociations en cours avec la Turquie et des progrès réalisés par ce pays.
C’est pourtant le même M. Olli Rehn qui, il y a quelques semaines, déclarait que les négociations avec la Turquie se grippaient de plus en plus du fait d’une absence totale de progrès dans les domaines liés aux droits de l’homme et à la démocratie – et je ne parle pas seulement du génocide.
Est-ce ou non au Parlement d’écrire l’Histoire ? Comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas l’objet de notre débat. Mais en tout état de cause, quelque chose a changé depuis que nous avons reconnu le génocide en 2001 : non seulement la Turquie persévère dans son attitude, mais elle exporte son négationnisme, notamment dans notre pays. (« C’est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Quant à l’amendement que j’ai déposé, il propose que soient exemptées des poursuites les recherches universitaires ou scientifiques. Je fais cette proposition en connaissance de cause, puisque, en ma qualité d’avocat, j’ai fait condamner M. Bernard Lewis pour avoir nié le génocide arménien – je crois d’ailleurs être le seul à l’avoir fait –, tout historien qu’il était.
Chacune et chacun d’entre nous se souvient d’ailleurs des réserves du Président de la République comme de celles du gouvernement de l’époque, réserves et débats qui ont pu faire que cette reconnaissance par la loi apparaisse peut-être pour certains comme un accomplissement.
Mais, si cette reconnaissance est fondamentale, elle demeure aujourd’hui encore insuffisante en France, puisqu’il est toujours possible de nier l’existence du génocide en toute impunité.
Un travail législatif reste donc indiscutablement à accomplir à partir de la loi de 2001, pour en tirer toutes les conséquences. Je suis intimement convaincue qu’il convient d’intégrer dans notre droit pénal la négation de ce crime contre l’humanité que constitue le génocide de 1915. C’est d’ailleurs l’objet de la loi Gayssot sur la contestation des crimes contre l’humanité, loi qui ne pouvait inclure le génocide arménien, puisqu’il n’était pas alors reconnu officiellement. Désormais, c’est chose faite. Pour le Gouvernement, la législation serait donc suffisante. Or ce n’est pas exact : notre droit actuel permet de réprimer l’apologie du génocide mais pas d’en sanctionner la négation.
Nous ne pouvons pas accepter cette situation, car nous avons la responsabilité politique et le devoir moral de mémoire de ne pas accepter que l’histoire officielle soit établie par ceux-là mêmes qui ne veulent pas reconnaître une réalité historique.
Si la liberté de conscience et d’expression est totale, la liberté ne peut être absolue. C’est le socle même de toute démocratie. D’ailleurs, la reconnaissance, comme la qualification juridique de la Shoah, n’a jamais entravé le travail des historiens.
De plus, sur la question purement juridique, dans le procès qui oppose le Comité de défense de la cause arménienne au consul général de Turquie à Paris pour négationnisme du génocide arménien sur le site Internet, le jugement rendu par la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris le 15 novembre 2004 est clair : il démontre que la contestation en France du génocide arménien n’est pas un délit.
Ces démonstrations me permettent de confirmer au Président de la République que la proposition de loi défendue par Christophe Masse, Didier Migaud et Martine David dans cette nouvelle niche n’est pas polémique. Elle est au contraire utile et conforme à nos idéaux, à nos valeurs, à notre éthique, à la position de la France surtout, que Jacques Chirac a lui-même rappelée au cours de son récent voyage en Arménie. Pour m’y être rendue moi-même, avec une délégation régionale de Provence-Alpes-Côte d’Azur, j’ai pu mesurer la portée de ses propos, l’espoir et la confiance qu’ils ont suscités. Le président de l’UMP, ministre de l’intérieur, n’est d’ailleurs pas en reste, comme en témoigne son courrier du 24 juillet 2006, adressé aux associations arméniennes.
En adoptant cette proposition de loi, la France n’agit nullement contre la Turquie, pays avec lequel elle entretient une amitié traditionnelle, fondée sur des liens très anciens, pas plus qu’elle n’agit contre la communauté turque de France. Bien au contraire, la France, comme les Arméniens d’Arménie, à l’image de leur ministre des affaires étrangères, M. Oskanian, souhaite participer à l’établissement de relations durables entre les Turcs et les Arméniens.
Alors, mes chers collègues, fidèles à notre éthique, votons avec conviction et sans les restrictions inutiles que suggèrent vos explications alambiquées, monsieur Devedjian, cette proposition de loi, qui garantit le respect de la dignité humaine.
Je serais heureuse une nouvelle fois, avec mon supplément, Garo Hovsepian, maire des 13e et 14e arrondissements de Marseille, d’annoncer aux Français d’origine arménienne que nous avons tous ensemble contribué à protéger de façon définitive la mémoire de nos martyrs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Depuis trente ans, je partage les actions de la cause arménienne, parce que, comme l’a dit tout à l’heure, notre collègue René Rouquet, il faut voter avec son cœur, mais il faut aussi militer avec sa raison. Même si je n’y siégeais plus à l’époque, l’examen de cette proposition n’est pas sans me rappeler le débat qui s’est déroulé au sein de cette même assemblée durant le mois de janvier 2001. Défendre les positions que nous soutenons aujourd’hui était alors difficile, parce que le Premier ministre les bloquait et que certains, parmi nous, éprouvaient de la gêne. Pourtant, le plus dur semble avoir été fait lors du vote de la loi de janvier 2001, la représentation nationale ayant, avec beaucoup de volonté, permis à la France de reconnaître enfin le génocide arménien.
Le génocide arménien a été perpétré à partir de 1915, il devait être le premier génocide du XXe siècle. Accusés de participer à un vaste complot, les Arméniens de la Sublime Porte ont été massacrés parce qu’on pensait qu’ils étaient du côté de la France, de la Grande-Bretagne. Cela a suffi à les faire arrêter, torturer, déporter. Au final, près de 1 200 000 personnes ont péri, soit les deux tiers de la population arménienne de l’empire Ottoman.
Le caractère massif, planifié et ciblé de ces massacres démontre bien qu’il s’agissait d’un génocide. Les massacres systématiques d’hommes et de femmes au nom d’une appartenance ethnique et selon un plan concerté correspondent bien au terme de génocide tel que l’a défini pour la première fois le juriste Raphaël Lemkin. La primauté du génocide explique que celui-ci n’est pas l’affaire d’un seul peuple, mais bien de l’humanité tout entière.
J’entends bien les critiques que nous avons tous reçues ces derniers jours, et je regrette, madame la ministre, les propos d’une de vos collègues du Gouvernement, qui, ce matin, a dénoncé sur une chaîne de radio les visées strictement électoralistes qui sous-tendaient ce dossier. (Protestations sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
La falsification de la mémoire ne facilite pas le deuil : elle l’entrave et elle nuit aux réconciliations de l’avenir.
Lors du vote de 2001, nous avons reconnu dans cet hémicycle l’existence du génocide arménien. La France reconnaissait ainsi, avec force de loi, l’existence de cette tragédie historique, manière de s’associer à la douleur des victimes et de leurs familles.
À l’époque, nous pensions avoir décidé d’un acte solennel, faisant l’objet d’un vaste consensus et nous espérions que le temps atténuerait les réticences et les oppositions. Notre discussion d’aujourd’hui démontre que cela ne fut pas toujours le cas. Même pour des questions si douloureuses et pour des faits si établis, de simples déclarations de principe ne suffisent pas : il faut des prescriptions juridiques.
Il ne nous arrive pas souvent de voter des propositions de loi socialistes, mais il s’agit de sanctionner dans notre pays les velléités négationnistes des plus extrémistes ; il s’agit, au sein de notre communauté nationale, de reconnaître la douleur de ces frères et sœurs originaires d’Arménie ; il s’agit de passer de la reconnaissance morale et politique à la prescription légale et juridique.
C’est que le texte dont nous discutons aujourd'hui n'a pas véritablement de couleur politique. S'il a en effet été déposé par le groupe socialiste, il l’a également été de l'autre côté de l'hémicycle, puisque Roland Blum et moi-même avons déposé un texte identique en avril dernier, texte qui a recueilli près de cent signatures dans notre groupe.
La reconnaissance du génocide était certes attendue de longue date par la communauté arménienne française, et le 29 janvier 2001 a marqué un grand pas en avant. Pour autant, la course n’était pas terminée. On ne peut en effet accepter que, alors même que la loi porte désormais la reconnaissance publique des crimes commis en 1915, les négationnistes puissent continuer à agir en toute impunité. Ces malfaisants doivent être sanctionnés.
Si les critiques ont été nombreuses sur une telle initiative, elles sont toutefois pour la plupart infondées. Car la France a déjà reconnu le génocide arménien le 29 janvier 2001, et il s'agit d'être cohérent. Le négationnisme n'est pas une opinion comme les autres : son but est d'achever le crime de génocide en effaçant sa trace de la mémoire collective. Et c'est ce second crime, cette seconde mort, qu'une loi anti-négationniste veut sanctionner, pas la liberté des historiens et des chercheurs. C'est pourquoi, cher Patrick Devedjian, il me semble non seulement inutile mais surtout incohérent d'amender le présent texte afin de les exclure du dispositif, comme certains de mes collègues le souhaitent.
Je ne suis pas non plus de ceux qui peuvent se montrer réceptifs, sensibles, à l'innommable pression que tentent de mettre actuellement les autorités turques, et leurs entrepreneurs, sur les pouvoirs publics français.
Nous ne sommes pas les seuls en Europe à défendre cette position. Les deux principaux partis politiques des Pays-Bas, le parti conservateur, le CDA – Christian Democrat Appel – et le parti socialiste, le PvdA – Partij van de Arbeid – ont récemment exclu de leurs listes électorales des candidats issus de l’immigration turque à l’approche des élections communales de novembre. Le CDA a ainsi exclu M. Ayhan Tonca et M. Osman Elmaci, tandis que le PvdA a exclu M. Erdinc Sacan. Ces exclusions ont toutes trois été prononcées en raison des propos négationnistes tenus par ces personnes sur le génocide des Arméniens.
Pour conclure, permettez-moi de vous rappeler, mes chers collègues, que notre pays est le berceau des droits de l’homme. Quand j’assiste, impuissant, à des événements tels que ceux que nous avons connus le 18 mars dernier à Lyon, j’ai honte. J’ai profondément honte de constater qu’en 2006 de telles atteintes à l’Histoire, à la mémoire, peuvent encore être commises en toute impunité. Alors oui, comme Jean-Claude Gaudin (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), et tous les parlementaires UMP de Provence-Alpes-Côte d’Azur ici présents, je voterai ce texte pour que, au nom de tous les Arméniens, justice soit enfin rendue. («Très bien ! » et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nous ne pourrons être cohérents avec la démarche engagée le 29 janvier 2001 que si la justice a la possibilité de sanctionner les négationnistes. Et cela, seul le législateur peut le prévoir. Alors, allons cette fois jusqu’au bout, et n’oublions pas, mes chers collègues, de voter le passage à la discussion de l’article unique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire ainsi que sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe socialiste.)
Le chef de l’État, en déplacement en Arménie en septembre dernier, a souligné à juste titre l’importance de la reconnaissance de la réalité du génocide arménien par la Turquie, avant son entrée dans l’Union européenne. Mais, interrogé par un journaliste sur le texte que nous examinons aujourd’hui, il a déclaré que la France avait officiellement reconnu le génocide par la loi qui « s’impose à tous » et que « le reste », notre proposition de loi donc, relèverait plus « de la polémique que de la réalité juridique ».
Il faut voter cette proposition de loi pour garantir le caractère effectif de la loi de 2001 en la dotant des instruments juridiques propres à assurer son caractère normatif et pas seulement déclaratif. Notre proposition vise à ce que le négationnisme à l’égard du génocide arménien ne puisse s’exprimer en toute impunité. Je pense, par exemple, à la manifestation du 24 avril dernier à Lyon, à l’occasion de l’inauguration d’un mémorial arménien, où l’on a vu fleurir des pancartes « il n’y a pas eu de génocide ». Ces propos haineux ne sont plus tolérables. Donnons-nous les moyens de les sanctionner.
L’Histoire doit être faite par les historiens, personne ne le conteste, et certainement pas moi en tant qu’ancien enseignant d’histoire. Ce n’est pas au Parlement d’écrire l’histoire. Qui pourrait prétendre le contraire en démocratie ? Pourtant, je juge que cette critique n’est pas recevable concernant la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, car cette dernière ne cherche pas à imposer une histoire officielle.
Les historiens ont suffisamment démontré la réalité des massacres perpétrés en Arménie. En 2001, le Parlement a finalement reconnu par la loi l’histoire des historiens, mais les termes du débat étaient et sont toujours essentiellement de nature juridique et politique : les éléments de la définition du génocide, à savoir une intention explicite visant à une extermination systématique en raison de l’appartenance des victimes à une ethnie déterminée sont-ils réunis ? Ce sont les représentants de la nation qui ont tranché ce débat. Et ce n’est pas risquer d’effacer le caractère exceptionnel de la Shoah, comme le prétend l’historien René Rémond, que de reconnaître que les massacres de 1915 ont constitué le premier génocide du XXe siècle.
Je voudrais revenir sur les critiques formulées par les historiens qui dénoncent les lois mémorielles. Ils se sont mobilisés autour de René Rémond pour manifester leur opposition à l’article 4 de la loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Ils ont également demandé l’abrogation de la loi Gayssot, de la loi Taubira et de la loi reconnaissant le génocide arménien.
Une pétition a été lancée en décembre 2005 à la suite de la mise en accusation de l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau pour un livre sur les traites négrières qui contestait l’appellation de génocide appliquée à l’esclavage. Si l’on ne peut pas cautionner ce genre d’attaques, aujourd’hui abandonnées, contre le travail sérieux et reconnu d’un historien qui n’est pas un négationniste et si l’on comprend l’émotion que cela a pu susciter, la pétition des historiens se justifie-t-elle pour autant ? M. Devedjian a prétendu tout à l’heure avoir fait condamner Bernard Lewis, spécialiste de l’histoire du Moyen-Orient. C’est une contre-vérité : vous ne l’avez pas fait condamner.
Il ne s’agit pas de conforter ou de flatter une communauté particulière : cela fait un siècle que les Arméniens sont en France et ils se sont parfaitement intégrés. Il ne s’agit donc pas de cultiver je ne sais quel communautarisme de la mémoire.
Nous voulons sanctionner la négation d’une réalité historique. La proposition de loi que nous examinons ne cherche ni à imposer une histoire d’État, ni à stigmatiser la Turquie. Au contraire, elle veut contribuer à la réconciliation entre les deux communautés, en rendant justice aux victimes du génocide arménien. Nous avons un devoir de vérité et non de revanche. Seule cette préoccupation doit nous guider aujourd’hui.
Parce que je crois que nous ne pouvons plus tolérer que soient diffusés, dans un climat de haine et de tensions communautaires, des thèses et des propos niant une réalité historiquement avérée, celle du génocide subi par les Arméniens au début du XXe siècle, je voterai en conscience cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Car ce qui est en jeu dans ce débat, ce n’est pas l’Histoire : elle est suffisamment prouvée, attestée, et le dernier déplacement du Président de la République en a témoigné avec une particulière intensité. Ce qui est en jeu, ce n’est pas le droit, puisque nous ne saurions faire ici le droit des autres États. Ce qui est en jeu, c’est le rapport du droit à l’Histoire, sur lequel des voix aussi autorisées que celles de René Rémond, de Pierre Nora et de bien d’autres, nous ont récemment mis en garde : « L’Histoire n’est pas un objet juridique. Dans un État libre »…
Et puisque l’Histoire n’est jamais complète, permettez-lui au moins d’être multiple, hors du champ de la loi. N’avons-nous pas aussi appris de l’Europe des tranchées que ce qui sépara la mémoire des uns et des autres ne fut souvent que le point de vue d’où ils ont vu, entendu, vécu les mêmes événements. N’est-ce pas précisément l’Europe d’aujourd’hui, diverse et pacifiée, qui nous dit que les victoires des uns furent aussi les défaites des autres ?
Parce que la mémoire n’est pas donnée, mais construite, elle est fragile. Et parce qu’elle est fragile, elle requiert d’abord un travail de vérité, celui de l’historien. Or l’historien a dit et décrit le génocide arménien sans qu’il soit nécessaire de recourir à la loi.
Les lois changent. La vérité, elle, ne change pas. Il y a donc un grand danger à vouloir faire dépendre la vérité de l’Histoire de la loi. Voilà pourquoi, mes chers collègues, en mon âme et conscience, je crois que, si nous votions le texte qui nous est proposé, loin de servir la cause arménienne et celle de la vérité universelle, nous ne ferions que les affaiblir. Nous desservirions autant l’Histoire que la loi. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Comme beaucoup d'entre nous, mes chers collègues, j'attache une importance toute particulière à la question du génocide arménien. On dit qu'il a servi de modèle à Hitler pour organiser la Shoah.
Pour les historiens, il est aujourd'hui clair que la politique de déportation, de destruction et d'assassinats mise en œuvre par le gouvernement Jeune Turc à l'encontre des populations arméniennes entre 1915 et 1916 constitue bel et bien un génocide. Sur ce point, le débat scientifique est clos, les preuves sont innombrables et accablantes. On est naturellement en droit de s'interroger sur les causes ou les responsabilités des uns et des autres dans cette tragédie, mais non de nier son existence.
S'interroger est la démarche légitime de l’historien ; nier, une atteinte insupportable à la mémoire. Nous le savons, mes chers collègues : la manipulation de la mémoire est un outil aux mains des régimes les plus abjects et les plus douteux.
Nier l’existence du génocide arménien, c'est participer à sa perpétuation. Nier la réalité de ces assassinats, c’est ajouter aux souffrances des survivants, des témoins et des descendants des victimes de ce drame.
La France a officiellement et courageusement reconnu le génocide par la loi du 29 juillet 2001. Mais ce geste politique fort avait des effets juridiques nuls, faute de sanction du négationnisme comme la loi du 13 juillet 1990 en instaure dans le cas de la Shoah.
Je comprends parfaitement les craintes que cette pénalisation peut susciter. J'ai, comme vous tous, la volonté de respecter la loi du 29 juillet 1881 chevillée au corps. Elle est le fondement de notre démocratie, et j'aurais souhaité que rien ne puisse lui faire entorse.
Mais nous sommes ici face à des réalités qui dépassent le simple exercice de la liberté d'expression et méritent un traitement particulier. Ce n'est pas à la loi d'écrire l'Histoire. Mais la liberté, et celle du scientifique notamment, ne rime pas avec l’irresponsabilité. Tel est le sens de mon engagement. C'est pourquoi, avec Patrick Devedjian et d’autres, nous avons adopté un amendement tendant à faire échapper à toute pénalisation les travaux à caractère scientifique. Pour quelles raisons devrions-nous craindre les historiens alors que les preuves du génocide arménien sont accablantes ? Mais nous ne pouvons pas tolérer les manifestations violentes dans lesquelles sont brandies des pancartes niant le génocide arménien et proclamant qu'il n'est qu'un mensonge.
Contrairement à ce qui s'écrit ici où là, je ne pense pas que cette loi puisse attiser les haines. Au contraire, elle ouvrira la voie à une réconciliation entre un peuple turc auquel on dit, depuis près d'un siècle, qu'il n'y a pas eu de génocide, et un peuple arménien qui a souffert, et souffre encore, dans sa chair.
La France, patrie des droits de l'homme, va adresser aujourd'hui, je l'espère, un nouveau signe fort au peuple turc : oui, il y a eu génocide et le nier est absurde.
Il y a quelques mois, j’étais à Erevan, avec laquelle est jumelée la ville dont je suis maire, pour les cérémonies officielles du quatre-vingt-onzième anniversaire du génocide arménien. J'y ai vécu des moments très forts. Le peuple arménien est derrière nous et attend notre vote avec impatience et gratitude. Il n'aspire aujourd'hui qu'à la paix avec son voisin turc et il nous remercie de l'y aider.
Mes chers collègues, parce que nous le devons à la mémoire des victimes et à leurs descendants, et pour aider la Turquie à regarder son passé en face, je vous invite à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Mais ce texte « constitue seulement une prise de position officielle, particulièrement solennelle, puisqu’adoptée sous forme de loi, du pouvoir législatif français sur cet événement historique », comme l’affirme un jugement, du 15 novembre 2004, de la dix-septième chambre du tribunal de grande instance de Paris.
Force est donc de constater que cet acte connaît des limites juridiques. En effet, le tribunal relève que « singulièrement, cette loi n'a pas entendu incriminer la contestation du génocide arménien au même titre que l'est celle des autres crimes contre l'humanité ». Elle ne constitue pas « un droit positif » et « ne met aucune obligation à la charge des particuliers ». Or la dix-septième chambre du tribunal correctionnel de Paris vient de condamner un ex-professeur de littérature à trois mois de prison avec sursis et 7 500 euros d'amende pour avoir nié la réalité du génocide juif.
Devons-nous rester muets et démunis de règles de droit contre ceux qui, en toute impunité, continuent à nier le génocide arménien ? Non ! Il appartient à la représentation nationale de corriger cette inégalité qui n'a que trop duré et de nous mettre en conformité avec l'article 1er de notre Constitution, qui pose l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion.
Nier le génocide, c’est attenter à la dignité des 1 500 000 Arméniens, hommes, femmes et enfants, déportés dans les déserts de Mésopotamie et de Syrie, morts sans sépulture, comme s'ils n'avaient jamais existé. Par le vote de cette proposition de loi, nous permettrons qu’ils « retrouvent la vie », nous leur rendrons leur existence humaine et nous accompagnerons leurs descendants dans l’indispensable travail de deuil individuel et collectif.
Si la liberté d'expression doit être préservée, nous ne pouvons plus tolérer que, sur le sol de France, des groupuscules extrémistes, comme à Lyon en avril dernier, profanent par des graffitis et des slogans négationnistes le mémorial dédié « au génocide des Arméniens de 1915 et à tous les génocides ». Présent à Lyon ce jour-là, je peux témoigner de ces événements.
Il n’est pas juste de dire, comme l'a récemment déclaré le Président de la République, que cette loi est « inutile » et « polémique » ou, comme nous l'entendons sur les bancs de cette assemblée, qu’elle légifère sur l'Histoire. Il ne s'agit pas non plus, par cette loi, « d'agir de façon unilatérale » pour soutenir la seule cause arménienne, comme l’a prétendu le ministre des affaires étrangères le 18 mai.
Parce qu’elle est l'amie de l'Arménie comme de la Turquie, parce que son modèle républicain a inspiré la construction de ces deux républiques, il appartient à la France de poursuivre son travail d’inspiration fraternelle en œuvrant à la nécessaire réconciliation arméno-turque, car c'est en acceptant leur passé que les pays parviennent à construire leur avenir.
Enfin, pour convaincre nos collègues de l'UMP qui seraient encore réticents, permettez-moi de lire un extrait d'une lettre adressée le 24 juillet 2006 par le président de l'UMP au Conseil de coordination des organisations arméniennes de France (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) : …
J'espère, mes chers collègues, que vous ne contredirez pas ces engagements pris par Nicolas Sarkozy.
En 2001, la reconnaissance du génocide a été accueillie comme un témoignage de solidarité de la France envers le peuple arménien. Mais le débat n’était pas clos : restait la question de la sanction du négationnisme.
Le 18 avril dernier, des inscriptions niant le génocide arménien ont été découvertes sur les stèles d'un mémorial qui devait être inauguré à Lyon. Des profanations identiques avaient eu lieu à Marseille quelque temps auparavant. Cinq ans après avoir reconnu ce génocide, pouvons-nous laisser ces exactions impunies ?
En 2001, la reconnaissance du génocide arménien avait été votée à l'unanimité. Aujourd'hui, pourtant, la proposition de loi dont nous sommes saisis fait débat.
Premier argument : les relations franco-turques pâtiraient de son adoption. Rappelons que nous n'entendons pas rendre l'actuelle Turquie responsable du génocide.
Second argument, le Parlement ne doit pas légiférer pour écrire l’Histoire. C’est vrai, et c’est pour cette raison que certains députés de la majorité ont signé l’amendement déposé par M. Devedjian tendant à faire échapper à toute pénalisation les travaux à caractère scientifique. Mon cher collègue, j’ai écouté vos arguments avec le plus grand intérêt. Cette loi laissera donc les historiens et les scientifiques travailler en liberté. La liberté d’expression ne doit pas souffrir de compromis au moment même où elle est remise en cause par certains, comme le montre l’actualité.
Cette proposition de loi est donc, pour nous, l’occasion d’affirmer à nouveau que la France est un État garantissant la paix civile, dont un des éléments fondateurs est le rejet des affrontements communautaires, rejet dans lequel s’inscrit la condamnation particulière qui frappe les crimes génocidaires. « Vivre ensemble » doit aussi signifier que les vérités peuvent être assumées et qu’il faut savoir regarder en face.
Je voterai donc cette proposition de loi qui me paraît cohérente avec notre histoire et avec notre conscience. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Le Président de la République a commémoré l’an dernier à Paris aux côtés du Président Kotcharian, le quatre-vingt-dixième anniversaire de cette tuerie.
En effet, c’est le travail des historiens et des chercheurs (Protestations sur divers bancs)…
Le Président de la République, au nom de la France, a pris une position suffisamment forte sur le nécessaire travail de mémoire de la Turquie pour que nous n’ayons pas à légiférer de nouveau sur ce sujet douloureux.
La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Tout d’abord, notre pays s’est d’ores et déjà doté, le 29 janvier 2001, il y a peu, d’une législation qui reconnaît officiellement le génocide arménien. Le Président de la République l’a encore exprimé avec force et émotion à Erevan, il y a deux semaines à peine : la France reconnaît pleinement la tragédie du génocide arménien commis en 1915.
Permettez-moi, mesdames, messieurs les députés, de saluer chaleureusement avec vous nos compatriotes d’origine arménienne, qui sont une composante active et remarquable de notre communauté nationale.
Nous disposons donc d’une loi sur le génocide arménien. Elle s’impose à tous. La France est en pointe dans ce domaine.
Il nous faut d’ailleurs relever que ces intellectuels, dont certains ont été accusés et même condamnés pour avoir évoqué la question du génocide, ont lancé un appel pour que cette proposition de loi ne soit pas adoptée. Ils sont convaincus qu’elle nuirait à leur combat.
Après le Président de la République, après le ministre des affaires étrangères, je vous le redis : ce n’est pas à la loi d’écrire l’Histoire. (Exclamations sur divers bancs.)
Conformément aux dispositions du même article du règlement, si l’Assemblée vote contre le passage à la discussion de l’article unique, la proposition de loi ne sera pas adoptée.
Je mets donc aux voix le passage à la discussion de l’article unique de la proposition de loi.
(L’Assemblée décide de passer à la discussion de l’article unique de la proposition de loi.)
La parole est à M. Thierry Mariani.
J’ai entendu, monsieur le rapporteur, certains s’enorgueillir d’avoir été les artisans de cette proposition de loi.
La loi française est ainsi faite. L’apologie de tous les crimes contre l’humanité est punie, mais seul le négationnisme des crimes contre l’humanité de la Deuxième Guerre mondiale est condamné.
Aujourd’hui, mes chers collègues, je vais voter cette proposition de loi, mais sous deux conditions et avec un regret.
Première condition : que nous adoptions l’amendement de Patrick Devedjian protégeant les recherches scolaires, universitaires et scientifiques. Il convient, en effet, de permettre aux historiens de poursuivre leurs recherches en toute liberté. Ce n’est pas à la loi d’écrire l’Histoire, c’est vrai. Ce qui doit être poursuivi par la loi, ce sont les manifestations à caractère politique pouvant constituer de véritables provocations, ou bien encore des manifestations organisées par un État étranger entraînant des troubles à l’ordre public.
Seconde condition : que nous adoptions l’amendement no 3 de M. Masse, qui s’inspire notamment de ma proposition de loi du 3 mars 2005 sur le génocide arménien. Nos collègues socialistes ont en effet déposé une proposition de loi qui, si elle est adoptée en l’état, ne sert à rien. Il est bien prévu de faire du négationnisme du génocide arménien un délit, mais ils ont oublié de donner aux associations de victimes la possibilité de porter plainte avec constitution de partie civile.
Un regret, enfin. Aujourd’hui, nous votons un texte qui ne pénalise que la négation du génocide arménien. C’est un geste indispensable, mais peut-être aurions-nous pu aller plus loin. Lorsque la loi entrera en vigueur, il sera impossible de nier l’existence du génocide arménien, comme de nier l’existence de la Shoah, mais il sera toujours possible en France de nier en toute impunité l’existence des autres crimes contre l’humanité.
Nous avons été nombreux, sur tous les bancs de cet hémicycle, à déposer ou à cosigner des propositions de loi.
Nous aurions dû aujourd’hui adopter une proposition de loi créant le délit de contestation de l’existence de tous les crimes contre l’humanité…
L’adoption d’une telle proposition de loi nous aurait permis de sanctionner la contestation des crimes contre l’humanité : la Shoah et le génocide arménien, c’est indispensable, mais aussi le génocide rwandais ou les crimes perpétrés en ex-Yougoslavie. Peut-être le ferons-nous dans une autre législature, peut-être même aujourd’hui si la présidence accepte de lever la forclusion. J’ai à sa disposition le texte de mon amendement.
Une nation est d’autant plus grande qu’elle sait reconnaître les pages sombres de son histoire. La lucidité sur son passé est une valeur commune des États de l’Union européenne. Comme d’autres l’ont déjà affirmé dans cette assemblée, notamment Richard Mallié, la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie me semble être un acte préalable indispensable à l’entrée de ce pays dans l’Union européenne. Ce serait un acte de réconciliation et de paix devant l’Histoire.
Ce texte n’est pas inutile, il n’est pas de circonstance, il rappelle les valeurs qui nous sont chères. C’est aussi parfois au Parlement de remplir ce rôle. Enfin, bien longtemps après, il rend justice aux victimes arméniennes du génocide.
J’avais déposé un texte allant dans le même sens. Je voterai donc bien sûr cette proposition de loi, comme j’ai voté celle de 2001, parce que l’histoire de l’Arménie, à travers ses descendants de France, c’est aussi une part de notre histoire. Ce vote par le Parlement me semble indispensable. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
Mes chers collègues, rien ne serait pire que de nous livrer dans cette enceinte à une compétition compassionnelle envers les Français d’origine arménienne ou les Arméniens vivant en France. Je crois que nous devons dépasser ce débat. Pour être très clair, je n’ai jamais eu la moindre hésitation sur la reconnaissance du génocide, et je suis même d’accord pour que nous ne nous demandions pas ce matin si la loi doit faire l’Histoire : ce n’est pas ce qui est en cause aujourd’hui.
Quand une communauté nationale, la nôtre, décide de reconnaître un génocide, ce devrait être d’abord pour se créer des obligations. Cela pourrait être une obligation de solidarité ou de réparation si nous étions coupables de quelque chose. Nous pourrions être obligés de subordonner tel ou tel accord avec tel ou tel pays, peut-être la Turquie, à la reconnaissance par ce pays du génocide et du passé. Cela aurait eu « de la gueule », mais nous n’en sommes pas là. Nous préférons réduire le débat à la condamnation du négationnisme. Je crois que ce n’est pas de bonne méthode.
J’étais déjà réticent devant la stigmatisation du négationnisme à propos de la Shoah, et, aujourd’hui, par souci de cohérence, on va continuer. Le négationniste que l’on veut poursuivre, c’est un dangereux imbécile ou un salopard, nous sommes bien d’accord, mais qui ne voit tout de même que nous sommes sur une pente dangereuse en voulant pénaliser un désaccord avec une vérité officielle ?
Il est question d’apologie dans le rapport qui nous est soumis. L’apologie, c’est clair, doit être poursuivie car elle s’apparente à de la complicité. L’appel à la violence, c’est un délit, voire un crime, nous sommes d’accord, parce que c’est soit la complicité avec ce qui vient de s’accomplir, soit la préparation d’autres crimes. Mais, quand on fait une sorte d’amalgame entre apologie et négation, j’ai un peu froid dans le dos. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Elle est d’abord logique. Lorsqu’on a voté une loi sur la reconnaissance du génocide arménien en 2001, on aurait dû prévoir alors une sanction. (« Bien sûr ! » sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) C’était la conséquence logique. Rien n’est plus grave à mes yeux que de pérorer sur des principes sans avoir le courage de prévoir des conséquences pour ceux qui les bafouent. C’est donc logique, même si c’est un peu tardif, et je regrette que ce débat n’ait lieu qu’en 2006 – je n’étais pas là en 2001. Ou alors on nie la validité de la loi de 2001.
La proposition de loi est également légitime. La députée que je suis s’étonne que l’on dénie à la représentation nationale le droit de légiférer sur une cause qui appartient à la conscience collective. (« Très bien ! » et applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Cela relève de la sphère publique, nous sommes bien d’accord. Nous sommes les seuls à être démocratiquement élus et, à ce titre, responsables devant nos concitoyens. Nous avons donc le droit et le devoir d’assumer des prises de position très claires au nom des Français puisque nous les représentons. À eux de nous juger aux prochaines élections. Nous avons le devoir de le faire, et pas uniquement le droit, et c’est très important.
J’entends dire que l’Histoire ne peut être faite que par les historiens, mais la santé ne devrait alors concerner que les médecins, l’économie les économistes, l’environnement les géographes.
Le Parlement français est donc le seul lieu légitime pour parler d’une cause qui est nationale. Je suis l’une des milliers de descendants des rares survivants du génocide arménien. Ils sont français, comme je suis française, ils ont contribué avec les autres à la richesse et au bonheur de notre pays. Mais c’est aussi une cause universelle, et c’est à ce titre que le Parlement français peut s’en occuper, car, lorsque l’on porte atteinte à l’essence même de l’homme, ce qui est le cas d’un crime de génocide, cela concerne les droits de l’homme.
Enfin, cette proposition de loi est salutaire, d’autant plus qu’elle est très tempérée grâce à l’amendement de M. Devedjian. Il est à mes yeux fondamental pour l’avenir de notre société de rendre inacceptables des pratiques négationnistes, racistes, xénophobes. Elles sont à l’opposé des valeurs humanistes de notre République. Ne rien faire, ce serait offrir une prime aux criminels de demain puisque tout s’oublie, y compris le pire, puisque quelques intérêts économiques et stratégiques peuvent gommer l’horreur du passé – Hitler s’en est bien servi en son temps.
Ne soyons pas les complices de ce crime du silence ! La Française que je suis, Arménienne de cœur également, voudrait rester fière de son pays, qui est la patrie des droits de l’homme. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
Je me souviens encore du combat que nous avons dû mener à l’époque contre le Président de la République, Jacques Chirac, et contre le Premier ministre de l’époque, Lionel Jospin, et des pressions auxquelles nous avons été soumis. Je me souviens de mails qui arrivaient à peu près toutes les secondes, de menaces de toutes sortes. On parlait de la raison d’État, il fallait sauver les intérêts majeurs de la France car, après la reconnaissance du génocide arménien, on allait voir ce qu’on allait voir. Or on n’a rien vu ! La Turquie a pris acte de notre décision. Nous avons en effet ici un pouvoir souverain, Dieu merci.
Les mêmes arguments reviennent aujourd’hui avec la même force, parfois même un peu davantage, mais je crois que notre honneur veut que nous résistions encore une fois. Le premier vote, qui nous permet de discuter des articles, est déjà une très grande victoire, et je ne doute pas maintenant de l’issue de notre débat.
Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit et bien dit, parce que nous sommes à peu près d’accord sur les arguments qui ont été développés. Nous sommes un certain nombre ici, et pour ne pas dire la quasi-totalité, à être aux côtés de nos frères d’origine arménienne le 24 avril pour rappeler la mémoire de ceux qui sont tombés.
L’an dernier, pour le quatre-vingt-dixième anniversaire du génocide arménien, je le dis à la communauté arménienne de Nice, je n’étais pas présent à Nice. Avec François Rochebloine et François Bayrou, nous étions à Erevan. Tous les ans, le 24 avril, dans ce pays de 4 millions d’habitants, une foule immense de 1,5 million de personnes vient déposer une fleur sur le mémorial en béton gris sur lequel les noms des victimes sont gravés. En voyant cette ferveur et ce recueillement, nous avions, nous, parlementaires français, un sentiment de fierté d’avoir voté la loi de 2001. Aujourd’hui, il s’agit simplement de la compléter.
Voyez-vous, mes chers collègues, le vote que nous allons émettre tout à l’heure, comme celui que nous avons émis en 2001, n’est rien d’autre qu’un acte qui permet de donner enfin une sépulture aux 1,5 million de victimes du premier génocide du XXe siècle. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
(L’amendement est adopté.)
La parole est à M. Patrick Devedjian, pour le soutenir.
Avec ce texte, les citoyens français d’origine arménienne demandent la protection de la République. En France, dans ce pays qui fut pour nos parents une terre d’exil, les Arméniens continuent d’être persécutés par un État qui, non seulement ne reconnaît pas le génocide arménien, mais qui organise, sur le territoire national, la négation de ce génocide. Les manifestations qui ont lieu à Lyon, à Marseille ou dans d’autres villes, sont intolérables et blessent des citoyens français qui veulent oublier leurs souffrances.
Les préfets ne disposent pas aujourd’hui de la base juridique qui leur permettrait d’empêcher ces manifestations. Tel est pour moi l’objet principal du débat.
Les controverses d’ordre intellectuel existent, elles peuvent poser des problèmes, mais elles sont secondaires.
Je considère que la Turquie de M. Erdogan, qui a institué dans son code pénal un article 301 qui interdit d’affirmer le génocide arménien en Turquie, ne doit pas nous servir d’exemple. Hrant Dink, intellectuel arménien de Constantinople, pourtant poursuivi pour avoir affirmé courageusement l’existence du génocide arménien en Turquie, s’adressant au Parlement français, nous supplie, de ne pas faire, en France, pays de la liberté, pays dont nos familles ont toujours rêvé, la même chose que les Turcs, en adoptant une disposition qui vient limiter la recherche et la liberté intellectuelle.
C’est pourquoi je propose de compléter l’alinéa 2 de l’article unique par la phrase suivante : « Ces dispositions ne s’appliquent pas aux recherches scolaires, universitaires ou scientifiques. » Je précise qu’il s’agit bien de protéger les travaux et non les personnes. Il ne suffit pas d’avoir la qualité d’historien pour avoir le droit de dire n’importe quoi.
Comme une jurisprudence constante de la justice française l’a établi, un travail universitaire doit obéir à des critères rigoureux, d’honnêteté intellectuelle et d’objectivité, et faire une place aux points de vue adverses. Ce n’est pas parce que l’on est un universitaire que l’on peut être négationniste : Faurisson pourra toujours être condamné parce qu’il n’aura pas obéi à la déontologie de l’universitaire, à la déontologie de l’historien, …
Et je soutiens cette proposition de loi pour une seule raison, qui se suffit à elle-même : c’est une loi de paix civile, destinée à permettre la paix en France. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Par conséquent, je suggère de rectifier l’amendement pour n’exclure que les « recherches universitaires ou scientifiques », qui relèvent à la liberté traditionnelle reconnue aux universités et aux scientifiques.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cet amendement ?
Toutefois, après m’en être entretenu avec vous, monsieur Devedjian et avec le président Accoyer, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.
Cet amendement dénature la proposition de loi en discussion.
Comme l’ont dit plusieurs orateurs, il altère la portée du texte. Le débat se situant dans la majorité, chacun prendra ses responsabilités en conscience.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse, l’Assemblée est consultée pas assis et levé.)
(L’amendement n’est pas adopté.)
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.
(L’amendement est adopté.)
(L’article unique, ainsi modifié, est adopté.)
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l’amendement no 3 rectifié.
(L’amendement est adopté.)
(L’amendement est adopté.)
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre cet amendement.
(L’amendement est adopté.)
Bien sûr, ces textes ont vocation à être votés très largement, mais je souhaite simplement dire ici, comme vous l’avez souligné dans beaucoup de vos interventions, que, pour que nous les votions, encore faut-il qu’on les inscrive à l’ordre du jour, ce qui n’est jamais facile. Nous l’avons fait, au groupe socialiste, après un débat, parce que nous pensons qu’il est nécessaire d’aller jusqu’au bout du travail de reconnaissance qui avait été entamé. Nous devions donc aujourd’hui parachever ce travail par ce texte, déposé à l’initiative du groupe socialiste et qui, je l’espère, sera voté à l’unanimité.
Nous l’avons tous rappelé, le génocide arménien est un fait établi. Ce qui nous manquait, c’était les instruments juridiques qui permettront demain de condamner sa négation. Le génocide arménien n’est plus un débat : c’est une tragédie qui a marqué à jamais le peuple arménien, et que nul ne peut nier, sauf à travestir l’Histoire.
Aujourd’hui, mes chers collègues, nous avons fait un double travail. C’est d’abord en législateurs que nous avons agi, pour que ce qui s’est passé le 24 avril dernier ne puisse plus se reproduire, et que la justice française puisse à l’avenir faire son travail et sanctionner la négation du génocide arménien. Mais au-delà de ce travail de législateurs, c’est en responsables politiques véritables que nous agissons. Je vous demande, monsieur le ministre, de présenter les excuses du Gouvernement pour les propos inadmissibles de Mme Lagarde, qui a ce matin qualifié d’électoralistes nos travaux d’aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
Je souhaite que cette loi, qui vise à pénaliser la négation du génocide arménien, ne soit qu’un début, et que la négation de tout génocide soit également pénalisée. Le devoir de mémoire que nous allons accomplir aujourd’hui en votant cette loi contribuera également au progrès de l’humanité dans la voie de l’émancipation : il ne s’agit pas d’un acte de solidarité avec la seule communauté arménienne, mais avec l’ensemble de l’humanité, et c’est pourquoi nous ne pouvons que nous féliciter du vote de cette loi.
Je demande toutefois au Gouvernement de l’inscrire au plus tôt à l’ordre du jour du Sénat, afin qu’elle puisse rapidement entrer en vigueur : cela ne pourra qu’inciter l’ensemble de la communauté internationale à aller dans ce sens.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. André Santini, pour le groupe Union pour la démocratie française.
Aujourd’hui nous allons enfin sortir de l’ambiguïté en reconnaissant réellement le génocide, c’est-à-dire en interdisant à quiconque de nier ce que nous avons voté. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
Il ne s’agit pas pour nous d’accaparer ce dossier : même si, comme l’a rappelé Thierry Mariani de l’UMP, notre ami François Rochebloine en a été à l’origine, l’initiative en revient aussi à certains députés socialistes.
Il est donc temps que nous donnions à ce peuple, à cette civilisation, à nos frères, dont nous connaissons l’engagement, l’intelligence, la capacité de se dévouer avec abnégation, de mourir pour la cause qu’ils ont choisie, autre chose que notre mesquinerie.
Aujourd’hui votons ensemble, comme cela nous a été demandé sur tous ces bancs. Laissons à d’autres les calculs économiques, diplomatiques, ou autres. C’est avec le cœur, madame la présidente, que le groupe de l’UDF votera aujourd’hui pour nos frères arméniens. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
La France a reconnu, le 29 janvier 2001, le génocide arménien, désormais incontesté. Les paroles fortes du Président de la République lors de son récent voyage en Arménie ont rappelé toute l'atrocité du crime dont a été victime le peuple arménien dans l'Empire ottoman, avant la chute de celui-ci à la fin de la Première Guerre mondiale.
Nul ne saurait nier les centaines de milliers de morts causés par le génocide arménien de 1915 : les estimations les plus crédibles font état d’1,5 million de victimes. Il n’y a aucune divergence entre nous sur cette reconnaissance. Toute la représentation nationale s’incline devant la souffrance subie par le peuple arménien.
Mes chers collègues, le groupe socialiste nous propose de légiférer une nouvelle fois sur le génocide arménien, pour en incriminer la négation. Chacun avait pourtant reconnu lors du débat de l'an dernier sur la colonisation que ce n'était pas à la loi d'écrire l'histoire, tentation à laquelle notre assemblée a peut-être trop cédé depuis quinze ans, même si ses intentions ont toujours été louables. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Beaucoup de députés de notre groupe pensent que c’est le rôle de la loi : nous respectons cette divergence d’appréciation, et c’est la raison pour laquelle les députés de notre groupe auront une totale liberté de vote. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Je vais donc mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.
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Voici le résultat du scrutin :
L'Assemblée nationale a adopté.
(De très nombreux députés se lèvent et applaudissent longuement.)
La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
Est-il besoin de rappeler une nouvelle fois que l'accord du 26 juin 2003, qui régit encore aujourd'hui les annexes VIII et X, est un mauvais accord, quand 80 % des intermittents gagnent au mieux 1,1 SMIC ? Comment ne pas penser, à cet instant, à ces femmes et à ces hommes passionnés par leur choix de vie professionnelle, ces « travailleurs de la culture » pour reprendre la belle formule de Jean Zay, qui, depuis plus de trois ans, ont été précarisés de façon inacceptable ? Comment ne pas mesurer à quel point, dans notre pays, le cœur de la création culturelle a été gagné par le découragement grandissant, bien qu’invisible sur l'instant, de professionnels qui n'ont eu d'autre solution pour survivre que d'abandonner un engagement artistique qui était toute leur vie.
Car cet accord, il faut le redire, n'a en rien réduit, bien au contraire, le déficit qui lui servait de justification première ; il n’a fait qu’engendrer des inégalités criantes et des effets pervers, dénoncés dès mars 2004 par l’unanimité de la mission d'information sur les métiers artistiques, présidée par notre collègue Dominique Paillé et dont le rapporteur était notre collègue Christian Kert.
Parce que nous ne nous résignons pas à ce qui serait alors la vraie victoire de ceux qui veulent, à l’instar du MEDEF, liquider les annexes VIII et X, ou tout du moins tuer la solidarité interprofessionnelle, nous avons été nombreux dans cet hémicycle, au-delà des clivages politiques traditionnels, à vouloir le débat parlementaire de ce matin.
Malgré l’intensité de la crise de l’emploi culturel, qui révèle plus profondément une crise globale des politiques culturelles dans notre pays, malgré la mobilisation très forte et constante de ceux qui en sont les victimes et de ceux qui les représentent – dont vous avez pu, monsieur le ministre, prendre une nouvelle fois la mesure cet été au Festival d’Avignon –, le dossier de l’intermittence a été, somme toute, peu évoqué dans cet hémicycle au cours des trois dernières années.
Or, en deux ans, qu’avons-nous constaté ? Le fonds « provisoire » s’est transformé en fonds « transitoire » fin 2004, puis en « Fonds permanent de professionnalisation et de solidarité » en mai dernier, avec une dotation de 120 millions d’euros en 2006, la solidarité nationale se substituant progressivement à la solidarité interprofessionnelle.
Le « système pérenne et équitable » que vous aviez annoncé pour le 1er janvier dernier, monsieur le ministre, se fait toujours attendre et vous avez dû dépenser une énergie considérable pour remettre les partenaires sociaux autour de la table des négociations afin d’aboutir au projet de protocole du 18 avril 2006, qu’aucune centrale syndicale n’a encore signé six mois plus tard, la CGT et FO ayant en outre déjà exprimé leur désaccord. Ce constat est la meilleure preuve que, signé ou non un jour, le projet de protocole est un très mauvais projet qui ne pose pas les bases d’un « système pérenne et équitable ».
De fait, nous vous avons pris au mot, monsieur le ministre. N’est-ce pas vous-même qui, dans cet hémicycle, le 30 mars 2005, affirmiez en réponse à une question de notre collègue Christian Kert : « Nous saurons à ce moment-là prendre nos responsabilités ensemble, c’est-à-dire par voie législative » ?
Ce moment est arrivé, monsieur le ministre. Il faut mettre un terme à cette course de lenteur qui nous a été imposée. C’est aujourd’hui la dernière opportunité offerte à l’initiative parlementaire avant la fin de la législature, et si cela se fait dans l’urgence après avoir tant attendu, c’est qu’il y a urgence sociale.
Dès le 31 mai de cette année, les parlementaires du comité de suivi avaient d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme et indiqué leur volonté de voir examiner la présente proposition de loi en affirmant : « Nous sommes allés au bout du processus. Il est temps maintenant de répondre à l’attente de tous les artistes et techniciens, il faut que le Parlement prenne ses responsabilités. »
À cet égard, il n’est pas acceptable de faire le procès de l’intervention du législateur au prétexte qu’il est question de droit du travail. La loi, nous le savons, est très régulièrement à l’origine de la négociation collective – il s’agit même là d’une pratique courante, encadrée par la Constitution. Ainsi, la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 a créé la convention de reclassement personnalisé, renvoyant à la négociation le soin d’en préciser les modalités.
Plus précisément, la loi est intervenue à deux reprises à propos du dossier de l’intermittence, et il n’y a pas si longtemps de cela. Au début de l’année 2002, en effet, nous avons été amenés à pérenniser les annexes VIII et X, alors privées de tout fondement conventionnel. Quelques mois plus tard, dans le courant de l’été, les gestionnaires de l’UNEDIC eux-mêmes nous demandaient de modifier le code de travail – je tiens à préciser que l’opposition avait alors voté contre –, mettant à mal, au passage, la solidarité interprofessionnelle, pour permettre le doublement des cotisations chômage, avec les conséquences négatives que l’on devine sur le pouvoir d’achat des salariés concernés et sur les finances des entreprises et associations culturelles.
Ces rappels étant faits, je devine que vous allez nous dire, monsieur le ministre, que la loi nuit à une négociation collective qui n’est pas encore finalisée.
Au-delà du fait que le groupe socialiste, par respect du rôle des partenaires sociaux, a fait volontairement le choix de ne pas faire usage de sa niche parlementaire dès le printemps dernier, comme le groupe UDF en début d’année,…
Qui plus est, monsieur le ministre, l’enjeu n’est pas dans la forme mais sur le fond. En ne modifiant qu’à la marge le protocole de 2003, les rédacteurs du projet de protocole du 18 avril 2006 balaient du revers de la main tout le travail d’expertise et de propositions mené depuis trois ans : celui du comité de suivi – sur lequel je reviendrai –, le rapport de Jean-Paul Guillot et celui de la mission d’information sur les métiers artistiques. On ne peut que constater l’absence des principales revendications : 507 heures nécessaires en douze mois à date anniversaire fixe, délai préfixé de douze mois d’indemnisation en lieu et place de la capitalisation, indemnité journalière plancher égale au SMIC, prise en compte des heures de formation et des congés de maladie hors contrat.
Ce que propose le MEDEF n’est pas acceptable en l’état. L’abandon progressif du régime particulier, qui sous-tend ses propositions, aboutirait en fait à remettre en cause le statut de salarié de nombreux travailleurs du secteur culturel. La logique du contrat commercial ou de la prestation de service pourrait ainsi peu à peu supplanter la présomption de salariat garantie par l’article L. 762-1 du code du travail.
D’où la claire alternative que constitue la proposition de loi dont nous débattons ce matin, produit du travail réalisé au sein du comité de suivi créé à l’Assemblée nationale en décembre 2003 à l’initiative de notre collègue Noël Mamère et au sein duquel M. Étienne Pinte joue le rôle déterminant que l’on sait – sans oublier le lyrisme salvateur de Jack Ralite ! Le comité de suivi est un collectif original réunissant, outre des députés et des sénateurs de tous les groupes, des représentants des syndicats – la CGT-Spectacle, Sud –, de la Coordination des intermittents et précaires d’Île-de-France et d’organisations professionnelles.
Le comité de suivi, qui joue un rôle clé dans le conflit des intermittents depuis trois ans, est donc à l’origine de cette proposition de loi déposée simultanément et dans les mêmes termes en mars 2005 sur les bureaux des deux assemblées. Pour l’Assemblée nationale, il s’agit des propositions n° 2140 de Pierre Albertini et du groupe UDF, n° 2141 du groupe socialiste, n° 2142 de Noël Mamère et des députés Verts, n° 2143 de Frédéric Dutoit et du groupe communiste et républicain et n° 2144 d’Étienne Pinte et d’une centaine de députés UMP. Cette proposition de loi, signée par 472 parlementaires à ce jour, dont plus de 300 députés appartenant à tous les groupes politiques, soit la majorité de notre assemblée, fixe un nouveau cadre pour pérenniser les annexes VIII et X au sein de la solidarité interprofessionnelle, mais ne se substitue pas aux partenaires sociaux qui devront la décliner par une négociation.
L’article 1er de la proposition de loi dispose ainsi que le protocole d’accord sur l’assurance chômage des intermittents devra clairement préciser les conditions dans lesquelles sont assurées la solidarité, l’égalité de traitement et la transparence des données.
Ce protocole s’inscrit dans le cadre des mesures d’application des dispositions du régime d’assurance chômage.
L’article 2 de la proposition de loi vise bien à la gager et, principalement, à éviter d’imposer aux régimes sociaux des charges supplémentaires si, comme nous le souhaitons, cette loi est appliquée.
Pour conclure, il me revient de vous informer qu’à l’issue d’un débat, la commission des affaires culturelles familiales et sociales a décidé, lors de sa réunion du 4 octobre dernier, de suspendre l’examen de la proposition de loi avant la discussion des articles et de ne pas présenter de conclusions.
Messieurs les ministres, chers collègues, la crise de l’été 2003 a montré la solidité du lien entre la nation et ses artistes. Dans l’attente d’une loi d’orientation qui posera les nouvelles bases de l’emploi culturel dans notre pays, il importe aujourd’hui que la représentation nationale affirme sa volonté de pérenniser les principes sur lesquels repose l’assurance chômage des artistes et des techniciens qui font vivre ce lien essentiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
…il est temps, chers collègues, de répondre à l’attente de tous les artistes et de tous les techniciens. Nous ne pouvons revenir sur notre parole si nous pensons, comme c’est le cas de la plupart d’entre nous, que l’artiste est au cœur de la société. Finissons-en avec les hésitations et les volte-face, et prenons enfin, ensemble, nos responsabilités.
Comme au théâtre, il y a un temps pour les coulisses et il y a un temps pour la représentation au grand jour. Les parlementaires doivent dire clairement ici ce qu’ils pensent, et ils ne doivent pas dire le contraire de ce qu’ils disent en coulisses. Ne laissons pas de place aux arrière-pensées.
Je compte sur vous tous pour que, comme nous avons si souvent sur le faire ensemble, nous nous accordions sur l’essentiel et que, cette fois encore, vous soyez à la hauteur de l’enjeu auquel nous sommes tous confrontés : la vision du théâtre, de la musique et de la culture dans ce pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
La plus grande erreur a été d’agréer le protocole du 26 juin 2003. Nous ne serions pas là, mes chers collègues, si ce protocole néfaste...
Il ne faut pas oublier à cet égard la plus grande vulnérabilité des jeunes qui entrent dans la profession. Ces jeunes artistes et techniciens sont encore plus menacés que ceux qui s’y trouvent depuis longtemps et qui ont réussi à se faire un nom, à gagner une notoriété. C’est ce qui explique également la grande vigilance que nous devons avoir vis-à-vis du projet de protocole qui nous est soumis.
À cet égard, deux grandes questions dominent le débat.
D’abord, le protocole du 18 avril 2006, proposé par les partenaires sociaux mais non signé, est-il équitable, « pérenne et vertueux », pour reprendre vos propres termes, monsieur le ministre ? La réponse est non.
Il comporte certes quelques éléments positifs, notamment la suppression de l’indemnité journalière, mais le dispositif est globalement défectueux. Il n’est en aucune manière à la hauteur des attentes et des aspirations du monde du spectacle, ni d’ailleurs des propositions qui ont été avancées par différents rapports et par la mission d’information conduite par nos collègues Christian Kert et Dominique Paillé.
Ensuite, est-il légitime et opportun de demander à la représentation nationale de légiférer ?
Depuis l’été 2003, la situation des intermittents, artistes et techniciens, n’a cessé de se dégrader, au point, monsieur le ministre, que vous avez dû intervenir par le biais d’un fonds d’abord qualifié de fonds provisoire spécifique, appelé ensuite fonds transitoire puisqu’il se perpétuait dans le temps. Aujourd’hui, vous proposez aux partenaires sociaux de le rendre pérenne sous le nom de fonds de professionnalisation et de solidarité. Ce faisant, nous sommes déjà passés de la solidarité interprofessionnelle, sur laquelle reposait l’accord du 26 juin 2003, à la solidarité nationale.
Les partenaires sociaux nous présentent aujourd’hui une situation de carence. Depuis le 18 avril 2006, nous attendons une signature qui n’intervient pas. La patience du législateur n’a-t-elle pas atteint aujourd’hui la limite raisonnable ?
La question est trop sérieuse pour être laissée aux rapports subtils – trop subtils pour moi et, sans doute, pour nombre d’entre nous – entre le MEDEF, la CFDT et sans doute aussi le Gouvernement – pardonnez-moi de le dire. La question doit être maintenant tranchée par le législateur sous l’angle des principes.
Ce premier pas, il faut l’accomplir sans esprit de victoire ni de revanche. Il s’agit simplement de corriger ce qui a été mal fait en juin 2003. Nous invitons donc les partenaires sociaux à remplir leurs responsabilités.
Nous préférons tous, bien sûr, le contrat consensuel à la loi, mais lorsque le contrat n’existe pas, il faut que la loi reprenne ses droits. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française, du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
L’objectif central de la réforme que s’assignait le MEDEF, ce n’est pas la réduction du déficit, mais celle du périmètre de la profession. Pour lui, il y a trop d’artistes, comme il y a trop d’enseignants, de médecins, de cheminots, trop de tout, sauf de profits, bien sûr.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, ne croyez-vous pas qu’un lourd discrédit pèse sur votre parole ? Vous serez peut-être amené à renoncer à vos engagements. Vous ne défendez même plus les 507 heures annuelles avec date anniversaire – ou alors vous n’avez plus la maîtrise du dossier. Trois ans après la signature d’un protocole d’accord minoritaire sur ce régime d’assurance chômage, on a l’impression que votre action n’a eu pour seul objectif que de calmer les esprits, histoire de pouvoir passer les étés tranquillement.
Pourtant, une profession est en danger et, sans elle, il n’y a pas de culture. Les artistes et techniciens du spectacle vivant, de l’audiovisuel et du cinéma expriment aujourd’hui encore une colère justifiée et une indignation légitime. Nous sommes à leurs côtés et nous les soutenons sans réserve.
La culture est fragilisée. Le comité de suivi des intermittents du spectacle, du cinéma et de l’audiovisuel, composé notamment de parlementaires de toutes les sensibilités politiques, a toujours joué le jeu de la concertation pour sortir de la crise par le haut.
La culture est en danger. Elle est prise dans le glissement d’une société de civilisation vers une société de comptes d’exploitation. Du dossier dit des intermittents dépend en fait l’avenir de l’exception culturelle française.
C’est la reconnaissance des professionnels de la culture qui est en jeu, celle de femmes et d’hommes confrontés chaque jour à la complexité et, le plus souvent, à la précarité de leur métier, celle d’artistes et de techniciens qui ont le droit de vivre de leur passion communicative, de créer, d’inventer, de travailler sereinement sans la peur du lendemain. Ce sont les artistes et les techniciens qui contribuent directement à offrir aux publics de nouveaux espaces de divertissement et d’évasion par la culture en général, les arts de la scène et de la rue, en particulier, et à créer cette culture qui participe de la formation de la personnalité des êtres humains.
Il est grand temps que nous assumions aujourd’hui nos responsabilités. Comme les 471 parlementaires, UMP, UDF, socialistes, communistes et Verts, je soutiens cette proposition de loi qui précise les bases d’un régime spécifique d’assurance chômage dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle au sein de l’UNEDIC, et qui ouvre les droits à indemnisation selon une période de référence de douze mois, avec une date d’anniversaire fixe et le versement d’une indemnité sur l’ensemble de cette même période de référence.
Vous avez toujours refusé, monsieur le ministre, d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et du Sénat. Je suis enclin à penser que l’ensemble des parlementaires la votera et même que d’autres les rejoindront.
La France de la démocratie doit être respectée : les intermittents, qui souffrent de ce manque de reconnaissance, les femmes et les hommes sensibles à l’essor de la liberté de création, le public citoyen, les élus de toutes tendances qui engagent leurs collectivités sur les chemins des arts et du spectacle, attendent de nous un élan nouveau pour la culture dans notre pays.
Comme le comité de suivi, constatant l’inexistence d’un accord sur un nouveau protocole après trente-quatre mois de dialogue et en dépit d’un diagnostic partagé et de propositions réalistes, j’appelle solennellement tous mes collègues à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
Oui, la question fait jouer des ressorts subtils parce qu’elle est au carrefour entre la solidarité nationale et la solidarité interprofessionnelle, entre la politique nationale et les champs de compétences des partenaires sociaux. La complexité de ces interactions explique pour beaucoup les malentendus et les dialogues de sourds qui ont marqué le conflit de 2003.
De la même manière, cette crise a permis l’émergence d’un état d’esprit nouveau, celui du dialogue et de la mobilisation de tous autour d’un diagnostic partagé. Cet état d’esprit s’est concrétisé par une mobilisation parlementaire sans précédent, qui a réuni, c’est assez rare pour le souligner, l’ensemble des groupes politiques représentés ici. Elle a également débouché sur une coordination inédite entre le ministère de la culture et celui de la cohésion sociale.
Messieurs les ministres, votre présence commune aujourd’hui sur le banc du Gouvernement illustre ce travail que vous avez mené ensemble depuis avril 2004, et je tiens à vous en remercier au nom des membres de la commission des affaires culturelles.
Quant à la mobilisation parlementaire, elle s’est traduite par une mission d’information qui a débouché sur le rapport de Christian Kert voté à l’unanimité ; la représentation des élus de tous bords au sein du comité de suivi présidé par notre collègue Étienne Pinte ; la tenue du premier débat inédit au Parlement sur le spectacle vivant ; l’organisation enfin des états généraux du spectacle vivant en septembre 2004, qui a dressé l’état des lieux de la diversité des conditions d’emploi dans ce secteur.
Cet environnement nouveau a donné ses chances à un dialogue social rénové, qui s’est caractérisé par votre travail commun, messieurs les ministres. Il a permis une discussion très large et très ouverte avec le concours des présidents des commissions des affaires culturelles des deux assemblées.
C’est dans ce climat de diagnostic partagé que les partenaires sociaux, éclairés par de véritables expertises, ont abouti au protocole du 18 mars dernier. Quel que soit le jugement que l’on puisse porter sur ce projet, le groupe UMP se réjouit que deux objectifs politiques majeurs soient aujourd’hui atteints : d’une part, le maintien d’un régime spécifique pour nos artistes et techniciens au sein de la solidarité interprofessionnelle et la prise en compte de la saisonnalité spécifique au secteur ; d’autre part, l’engagement fort de l’État pour permettre une véritable articulation avec ce protocole – pour la première fois, la solidarité nationale accompagne la solidarité interprofessionnelle. J’espère que nos collègues de gauche voteront vos crédits, messieurs les ministres, qui permettront à nos artistes et à nos techniciens de bénéficier de garanties supplémentaires, je pense notamment à l’allocation de fins de droits.
C’est à l’aune de cette articulation globale, fruit d’un engagement durable de l’État, que le groupe UMP formule son appréciation du futur système équitable et pérenne que nous appelons de nos voeux.
Parallèlement, mes chers collègues de la majorité, j’aimerais souligner que ce Gouvernement que nous soutenons ne s’est pas contenté de rapports et d’expertises pendant cette dernière législature. Je veux rappeler à l’ensemble de la communauté artistique que c’est cette majorité présidentielle qui a agi concrètement avec des résultats en sa faveur.
C’est cette majorité, notre majorité, qui a doublé les moyens consacrés à la culture ces cinq dernières années : entre 1997 et 2002, le gouvernement Jospin a augmenté les moyens de la culture de 300 millions d’euros ; entre 2002 et 2007, les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin, soutenus par la majorité parlementaire, ont augmenté ces crédits de 600 millions d’euros.
C’est également notre majorité qui a voté les crédits d’impôts en faveur du cinéma et de l’audiovisuel. Combinée à votre décision, monsieur le ministre, d’ouvrir les monuments historiques aux tournages, cette décision a permis d’augmenter de 35 % le nombre de tournages dans nos régions !
Ma seconde remarque a trait au moment et à la méthode. Si je salue le travail et l’originalité de la composition du comité de suivi, je refuse qu’ils soient réduits à la simple expression d’une proposition de loi. Parce que votre méthode a été fondée sur le dépassement des clivages et l’association de la société civile, la moindre des choses eût été d’engager un véritable dialogue avec les partenaires sociaux, mais aussi avec le groupe UMP, pour proposer un cadre qui soit bien plus large que la proposition de loi qui nous est soumise.
Ce ne fut pas le cas une seule seconde. Nous ne pouvons donc que constater qu’il s’agit de la part du groupe socialiste d’une manœuvre politique, qui lui permettra d’afficher un soutien de façade aux artistes et aux techniciens.
Le vote d’une loi présente, à ce stade, trop d’incertitudes pour nos artistes et nos techniciens et pour le maintien de la solidarité interprofessionnelle. Ce n’est que si nous constatons un échec que nous devrons et que nous saurons prendre nos responsabilités.
Et puis, en face, il y a une proposition de loi quasi unanime, votée par près de 500 députés.
Ma seule conclusion, monsieur Herbillon, sera celle-ci : ne pas faire la loi aujourd’hui, ici, c’est laisser le MEDEF faire la sienne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Depuis trois ans, les gouvernements de MM. Raffarin et de Villepin ont joué à faire semblant d’encourager le dialogue social, censé pouvoir remédier aux ravages sociaux du funeste accord UNEDIC de juin 2003.
Aujourd’hui encore, dans cet hémicycle, sans aucun souci de vraisemblance, le chœur des godillots, il est vrai très dégarni, reprend, avant le ministre, le grand air du dialogue social qui va aboutir incessamment sous peu.
Le dernier oracle censé justifier la rengaine serait une lettre de la CFDT annonçant qu’elle n’exclut pas de signer le mauvais accord d’avril dernier, resté depuis cette époque en déshérence tant il est insatisfaisant. Cette même CFDT qui se croit autorisée à exiger, avec une incroyable arrogance, que le législateur soit bâillonné en demandant « la levée de toute hypothèque d’intervention du législateur dès lors que l’accord sera signé et agréé ».
Vous en êtes donc réduits à vous livrer à une périlleuse exégèse d’un courrier de M. Chérèque, qui a l’habitude, messieurs les ministres, d’être votre porte-hallebardes comme les figurants dans les spectacles, ce M. Chérèque, dont il faut d’ailleurs rappeler que la centrale syndicale n’est absolument pas représentative des professions qui sont concernées par l’accord qu’il s’agit éventuellement de parapher.
Derrière ces manigances, et cela depuis 2003, on discerne sans peine que c’est le MEDEF, dont M. Chérèque a toujours été le loyal supplétif, qui tire les ficelles. Les promoteurs de la marchandisation de la culture et les actionnaires de leurs sociétés n’ont que faire de la richesse de la création artistique dans le spectacle vivant, le cinéma et l’audiovisuel. Ce sont simplement des vendeurs de temps de cerveau humain disponible aux annonceurs publicitaires, selon la remarquable formule de dirigeant de TF1, M. Le Lay, qui précisait : « Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances... ».
Après plus de trois années de tergiversations, de faux-semblants, il faut cesser de jouer avec les nerfs, avec la vie professionnelle et avec l’avenir de milliers de travailleurs qui se demandent, jour après jour, nuit après nuit, s’ils ne vont pas basculer hors du système d’indemnisation et qui tentent de préserver leurs droits au prix d’un parcours souvent kafkaïen. Cela est inhumain et condamne à la faillite de nombreuses structures de création et de diffusion artistique.
C’est à cette situation que nous voulons mettre fin avec cette proposition de loi qui résulte du travail original du comité de suivi. C’est la voie du réalisme, de la justice et de la solidarité que nous vous invitons aujourd’hui à choisir.
Madame la présidente, vous nous avez invités à ne pas dépasser notre temps de parole, mais je ne résiste pas à la tentation de vous faire part de la création au Journal officiel de ce matin d’une nouvelle association…
…Ghislain Bray, François Calvet, Richard Cazenave, Hervé de Charrette,… Une bonne partie d’entre eux était là tout à l’heure pour l’autre proposition de loi ! Où sont-ils ? Vous allez les voir arriver, sortant de la buvette, se reniant, mais en douce, d’une façon fugace. Ils vont venir lever la main pour montrer qu’ils n’ont pas d’arthrose dans le bras, uniquement pour enfoncer le dernier clou sur le cercueil des intermittents du spectacle ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Tout cela sous la houlette de M. Donnedieu de Vabres et de M. Larcher, qui veillent à ce que le protocole funèbre se déroule selon la règle qu’ils ont édictée !
Eh bien nous, nous sommes fidèles à notre signature. Je n’ai pas le temps d’énumérer les noms des autres membres de l’association des relaps, mais je les tiens à votre disposition. Nous, nous sommes fidèles à notre parole, parce que nous croyons au foisonnement de la vie culturelle, alors que la majorité n’a les yeux de Chimène que pour Mme Parisot ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
Nous avions constitué, il y a trois ans, un comité de suivi qui présentait l’avantage non seulement de rassembler des députés de droite et de gauche, mais aussi de permettre un échange entre des syndicats et des coordinations peu habitués à travailler ensemble. Ce comité, qui a travaillé sous la responsabilité de M. Pinte, a réussi à aménager le scandaleux protocole de 2003. Mais les ministres, complices du mensonge de nos collègues de la majorité, sont venus à deux pour nous expliquer que la loi n’a pas à s’occuper de ce qui est l’affaire des partenaires sociaux et pour nous dire qu’un protocole vaut mieux que la loi. Vous savez pourtant que celui qui se prépare, avec la complicité du Gouvernement, sera pis encore, puisque ce sera celui de 2003 moins 33 000 intermittents. Vous savez aussi, messieurs les ministres, que la CFDT, qui était partenaire du MEDEF, n’est pas d’accord pour signer le nouveau protocole ! Elle l’a dit et a imposé des conditions qui montrent bien sa volonté de ne pas signer. Et vous n’écoutez pas le Président de la République, qui a déclaré récemment devant le Conseil économique et social que lorsque les partenaires sociaux n’arrivent pas à un accord, le dernier mot devait revenir à la représentation nationale. Eh bien oui, le dernier mot doit revenir à la représentation nationale, et je trouve scandaleux et méprisant vis-à-vis des techniciens et artistes des métiers du spectacle et de la culture que l’on nous oblige à travailler sur un sujet aussi important en une heure et demie à peine. Agir dans une telle précipitation est une incitation à légiférer dans des conditions hasardeuses. Je me demande qui gouverne.
Nous législateurs, représentants du peuple, ne pouvons pas accepter que des lobbies d’État, industriels ou financiers, fassent la loi à notre place. Nous sommes là pour fixer un cadre que les intermittents attendent depuis maintenant trois ans. Nous savons tous ici que cette exception française est la preuve de la vitalité de notre culture. Tous autant que nous sommes, députés, élus locaux, nous savons le rôle que jouent les intermittents dans la vitalité de la culture française. C’est la raison pour laquelle nous devons tout à l’heure voter le passage à la discussion des articles. Sinon, que se passera-t-il ? On renverra encore une fois à plus tard. Or, nous sommes à la veille d’échéances électorales et il n’y aura plus d’ici là de « niche » parlementaire pour examiner la situation des intermittents. La trahison sera cette fois flagrante. J’espère que les électeurs vous le ferons payer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Vous savez bien, mes chers collègues, que les risques dont je parle existent. Pourtant, nous avons une volonté identique de traiter le problème de l’intermittence. Les travaux au sein du comité de suivi ont permis aux parlementaires et aux intermittents de mieux se comprendre, de mieux se connaître.
Tel est aussi le cas de la situation des artistes et des techniciens, tant ils sont précieux à toute la nation. Cette proposition de loi, vous le savez, a une histoire bien particulière. Issue d’un travail collectif, puisqu’elle a été rédigée par des parlementaires de toutes les sensibilités politiques réunis au sein d’un comité de suivi, elle a d’abord été conçue pour montrer la mobilisation des parlementaires aux côtés des artistes et des techniciens, et leur détermination pour qu’un nouveau régime d’assurance chômage soit mis en place. Elle a aussi pour objectif de restaurer un régime qui préserve le statut de l’intermittence, qui soit adapté aux pratiques de l’emploi dans ce secteur et qui instaure un système vertueux. Ce signal a été suffisamment fort pour être pris en considération par le Gouvernement et les partenaires sociaux.
Je rends hommage au travail que vous avez entrepris, monsieur le ministre de la culture. Depuis votre nomination, vous avez été d’une grande disponibilité à l’écoute des uns et des autres et vous n’avez pas ménagé vos efforts pour rapprocher les points de vue. Vous avez initié un certain nombre de travaux – notamment la remarquable expertise de Jean-Paul Guillot – qui ont permis une meilleure connaissance des pratiques de l’emploi et des difficultés rencontrées par les artistes, les techniciens et leurs employeurs.
Vous avez, en partenariat avec le ministre de l’emploi, que je salue, entrepris un travail de fond pour améliorer les conditions d’emploi dans ce secteur de la culture, en luttant contre les abus et en accompagnant les négociations sur les conventions collectives. Vous avez fait beaucoup, même si nous ne pourrons mesurer les fruits de votre travail que dans quelques mois ou quelques années.
Le dépôt et l’inscription de cette proposition de loi ne sont pas des gestes de défiance vis-à-vis de vous. À maintes reprises, vous avez appelé de vos vœux la signature d’un nouveau protocole. Vous avez tout fait pour créer les conditions d’un tel accord. Mais aujourd’hui, trois ans après la signature du funeste protocole de juin 2003, après des mois de discussion, de concertation et de tergiversation, il n’y a toujours pas d’accord et j’ai la conviction qu’il n’y en aura pas.
En dépit des rapports et des expertises qui ont tous dénoncé l’accord de 2003 et préconisé la mise en place d’un nouveau régime basé sur les propositions du comité de suivi, nous ne sommes pas arrivés à nos fins. Malgré les heures passées à tenter de convaincre les partenaires sociaux, nous ne sommes parvenus à obtenir ni la prise en compte de nos arguments ni l’élaboration d’un nouveau régime.
Nous y avons pourtant consacré beaucoup de temps, beaucoup d’effort et beaucoup d’énergie. Il faut le reconnaître en toute humilité : nous sommes aujourd’hui dans une impasse. Rien ne permet de dire avec certitude qu’un accord sera signé. Il nous a été trop souvent promis ou annoncé comme imminent – en vain.
Messieurs les ministres, Vous espérez encore une issue avant la fin du mois d’octobre. J’en doute. La CGC vient de déclarer qu’elle ne signerait pas et la CFDT pose encore de nouvelles conditions.
Rappelons les termes d’une déclaration de la CGC, début octobre : « Depuis trois ans, rien n’a concrètement bougé. À ce jour, force est de constater que les garanties demandées depuis 2003 par la confédération et les syndicats CGC ne sont pas atteints. Ce ne sont pas, messieurs les ministres, les menaces brandies çà et là par vous qui feront qu’elles le soient en deux mois. »
De surcroît, ce fameux protocole du 18 avril, proposé aujourd’hui à une signature qui n’interviendra vraisemblablement pas, est décevant. Il fait l’impasse sur des évidences démontrées de multiples fois, comme le bien-fondé de la date anniversaire. Il n’incite pas à la déclaration de toutes les heures.
Aujourd’hui, il est de la responsabilité des parlementaires d’adresser un signe fort aux artistes et techniciens qui comptent sur nous, aux partenaires sociaux et aux centaines d’élus réunis au sein de la Fédération nationale des collectivités pour la culture, qui nous ont adressé hier leur communiqué de soutien, et à nos concitoyens qui ne comprennent pas que, depuis trois ans, ce dossier n’ait pas encore abouti.
Le temps est venu de prendre nos responsabilités, de respecter nos engagements et de voter cette proposition de loi. Il y va de notre crédibilité et de notre honneur. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Union pour la démocratie française, ainsi que sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
À l’issue de ce débat général, il est temps de faire le point.
Cette proposition de loi sur la pérennisation du régime d’assurance chômage des professions du spectacle est une étape décisive dans une négociation qui dure, rappelons-le, depuis trois ans.
Nous savons tous que l’accord du 26 juin 2003, toujours en vigueur, n’a rien résolu, bien au contraire. Il a creusé un peu plus le déficit de l’UNEDIC et n’a pas été en mesure d’enrayer les abus ni de protéger les plus vulnérables. En outre, il a précarisé bon nombre d’artistes du spectacle vivant et de compagnies de théâtre, de danse et d’arts de la rue, structures qui constituent le maillage culturel profond de notre territoire et de nos villes.
Pour permettre l’ouverture de nouvelles négociations sur la base de propositions communes à l’ensemble des parties concernées, un comité de suivi a été créé dans notre enceinte. Signe fort, il rassemble des parlementaires de toutes les formations politiques, la coordination des intermittents, les partenaires sociaux du secteur, ainsi que les confédérations professionnelles. Il a élaboré une proposition de loi donnant de nouvelles bases de négociation pour mettre fin à une situation de blocage. Vous connaissez ce texte qui, on l’a rappelé, a été déposé dans les mêmes formes par ses différents signataires.
Les négociations ont duré des mois. Les partenaires sociaux allaient – nous annonçait-on, dans une dimension virtuelle – signer un nouveau protocole d’assurance chômage des artistes et techniciens. Vous-même, monsieur le ministre de la culture, vous nous l’assuriez, il y a encore quelques mois. En décembre 2005, répondant à une question d’actualité dans notre hémicycle, Jean-Louis Borloo, ès qualités de ministre de l’emploi, nous promettait à son tour une issue : « les partenaires sociaux trouveront, je n’en doute pas, un accord qui convienne à la profession, sur la base du rapport Guillot, le pilotage étant assuré par M. Donnedieu de Vabres et M. Larcher », que je remercie de leur présence.
En fait, le nouveau projet de protocole intervenu le 18 avril dernier, après de multiples reports, est tout aussi mauvais : il ne tient pas compte de ce que préconisent de nombreux rapports traitant de cette question. D’ailleurs, depuis cette date, aucun syndicat ne l’a signé.
En dépit des efforts déployés par le comité de suivi, du travail d’expertise, des rapports parlementaires et du dialogue, aucun résultat n’est intervenu.
Nous en sommes là, mes chers collègues. Nous sommes au bout du processus de négociation. C’est le moins qu’on puisse dire : au bout du bout, et même au-delà !
La proposition de loi offre l’occasion de sortir de cette impasse. Répétons-le : loin de faire obstacle à la négociation entre les partenaires, elle fixe un cadre éthique, ce qui est conforme à notre rôle. Elle prévoit le quota de 507 heures en douze mois et le retour à la date anniversaire.
Aux partenaires sociaux, bien sûr, de la décliner : cette proposition n’empêche pas la négociation de se poursuivre, mais elle l’accompagne et lui fixe un cadre acceptable par tous. Nous sommes bien là dans notre rôle de législateurs.
Pour terminer, je rappelle que la question de l’intermittence est essentielle au développement de la culture en France. Sur le plan local ou national, je peux affirmer, avec bien d’autres, que, après un réel développement, la crise est terrible dans tous les centres de création, qu’il s’agisse des arts de la rue – les derniers à avoir fait irruption dans le champ du spectacle vivant –, des compagnies, petites ou grandes, des artistes ou des metteurs en scène.
Voter cette proposition de loi, c’est permettre à tous les acteurs du spectacle vivant de poursuivre le travail de développement artistique, culturel et éducatif qu’ils mènent quotidiennement dans des milliers de villes en France, ainsi que leur engagement dans la lutte contre toutes les exclusions et les inégalités d’accès à la culture.
Pour finir, j’adresse un message à nos collègues de l’UMP : allez chercher, dans les couloirs et les salons, tous les signataires de la proposition de loi. Il serait bon qu’ils viennent la voter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Avons-nous perdu notre temps ? Assurément, non !
Tout d’abord, ce comité s’est avéré être un lieu de dialogue constructif et respectueux de chacun – parlementaire, artiste ou technicien –, un lieu où un certain nombre de préjugés entre deux mondes qui ne se connaissent pas bien ont pu être levés, ce qui a permis à tous de se découvrir une même passion pour la vitalité de la culture dans notre pays. Et ce n’est pas le moindre des succès que d’avoir démystifié le syndrome d’incompréhension révélé par la cérémonie des Césars de 2003.
Ensuite, c’est par notre persévérance commune, et grâce à votre écoute bienveillante, monsieur le ministre, que nous avons pu, tous ensemble, franchir des étapes décisives qui ont permis la reconnaissance des congés de maternité et de maladie, la réintégration de milliers d’intermittents grâce au fonds de transition, la prise en compte des heures de formation, la création du fonds de professionnalisation et l’abandon de la journée de référence.
Ces avancées nous permettent d’offrir actuellement aux intermittents une situation plus favorable que celle de l’ancien protocole, puisque l’UNEDIC – présidée par la CFDT, dois-je le rappeler – interprète de façon bienveillante la période de référence.
Aujourd’hui, le groupe socialiste, humant le fumet des élections qui s’approchent (Protestations sur les bancs du groupe socialiste),…
Notre engagement n’a jamais varié. Il a été, est et sera de donner toutes ses chances à la négociation, ne serait-ce que pour ne pas fragiliser l’indispensable appartenance des intermittents à la solidarité interprofessionnelle, qui est à la fois la garantie de la pérennité de leur protection et la reconnaissance du rôle éminent qu’ils jouent au sein de la collectivité nationale.
Or, à ce jour, seules deux organisations syndicales sur cinq ont signifié leur refus de signer le projet de protocole.
On peut, comme M. Mamère, nous reprocher le fait que nous n’avons pas assez de temps, mais la niche de ce matin est le seul espace d’initiative parlementaire qui reste au groupe socialiste avant la fin de la législature. Nous, nous avons pris nos responsabilités. Je ne voudrais pas que, par tactique, les ministres fassent en sorte que nous ne puissions pas voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Dans ces conditions, madame la présidente, je vous demande d’abord une suspension de séance d’une heure (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains),…
Je veux dire également à quel point les députés UMP sont hypocrites. Nombre d’entre eux ont signé des pétitions et notre proposition de loi…
Le groupe UDF avait lui-même renoncé, dans le consensus, à utiliser sa niche parlementaire parce que l’on nous prédisait à l’époque que l’accord des partenaires sociaux était imminent. C’était en janvier 2005 ! La patience des parlementaires a des limites.
(La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à treize heures vingt-cinq.)
La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.
Rien ne m’a échappé de certaines arrière-pensées politiciennes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains)…
La culture – personne ne me contredira sur ce point – doit rassembler au-delà des clivages. Elle est un lien, elle est une fierté pour notre pays.
Le travail de réconciliation auquel je m’emploie sans relâche depuis mon arrivée…
Je n’oublie pas non plus le rapport rendu par la mission d’information parlementaire remarquablement présidée par Christian Kert.
Je veux remercier une nouvelle fois, au nom du Gouvernement, le président de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, et le président du Sénat, Christian Poncelet, qui les ont présidés de bout en bout, comme les présidents des commissions Jean-Michel Dubernard et Jacques Valade, qui les avaient préparés et qui ont, par leur participation régulière au Conseil national des professions du spectacle, continûment manifesté leur soutien au secteur du spectacle.
Bref, nous avons agi. Les décisions prises par l’État et les votes du Parlement des budgets qui les ont concrétisées, ont permis d’atténuer certains effets négatifs du protocole de 2003 pour 34 000 artistes et techniciens.
Nous l’avons fait. Nous continuons de le faire aujourd’hui. Et nous le ferons demain dans le nouveau système puisqu’il s’agira de la solidarité interprofessionnelle articulée avec la responsabilité de l’État.
Mais surtout, mesdames et messieurs les députés – et j’avais eu l’honneur de l’annoncer devant vous le 9 décembre 2004 –, sur la base des travaux de Jean-Paul Guillot, l’expert désigné par le Gouvernement et dont le concours a été apprécié, je crois, de chacun, une politique ambitieuse de l’emploi dans le spectacle est engagée par le Gouvernement, avec constance et détermination. Et c’est ça le plus important. S’il faut, en effet, un système pérenne et équitable d’assurance chômage pour les artistes et les techniciens, l’essentiel est leur activité. Soyez fiers, par exemple, pour ceux qui les ont votées, des mesures de crédits d’impôt car elles ont permis de relocaliser sur le territoire national un certain nombre d’activités dans le domaine du cinéma, de l’audiovisuel, de la musique…
Devant vous tous, je remercie mon collègue Gérard Larcher. Nous faisons équipe tous les deux.
Nous sommes mobilisés pour parvenir à des résultats concrets.
Il garantit le maintien du régime spécifique d’assurance chômage des artistes et techniciens au sein de la solidarité interprofessionnelle. Ce vieux débat, qui a parfois eu lieu, est clos aujourd’hui. Plus personne, et c’est une grande victoire que nous partageons d’ailleurs, ne remet en effet en cause la nécessité de la solidarité interprofessionnelle et d’un système spécifique.
Le projet en cours de signature prend en compte le rythme d’activité et la saisonnalité spécifiques au secteur du spectacle (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains)…
Il maintient un niveau d’indemnisation élevé, de 51 euros en moyenne par jour pour les artistes et de 60 euros pour les techniciens, quand ce niveau est, en moyenne, dans le régime général, de 33 euros.
Il maintient un seuil de 507 heures sur douze mois pendant un an après la conclusion des conventions collectives. Il est important que cela soit su hors de cette enceinte.
Il encourage à déclarer toutes les heures travaillées.
Au terme d’ultimes échanges et demandes de précisions, plusieurs confédérations ont fait connaître au Gouvernement leur intention de signer le projet de protocole,…
Dans ces conditions, le moment est très inopportun pour une initiative législative, alors que le travail commun de plusieurs années est sur le point d’aboutir, alors que le Président de la République vient de rappeler solennellement, devant le Conseil économique et social, notre attachement au dialogue social et le respect dû aux responsabilités des partenaires sociaux.
Sauf à vouloir, dans une attitude de Gribouille,…
Il n’est pas question, pour le Gouvernement, d’en rester à l’équilibre du protocole de 2003, fût-il complété par les mesures prises par l’État. Comme nous l’avons fait de manière continue, avec votre concours mesdames et messieurs les députés, si l’échec et le refus de signature du nouveau système devaient être avérés, le Gouvernement prendrait alors toutes ses responsabilités, avec le triple objectif du soutien à la politique d’emploi des artistes et techniciens, de leur protection concrète, professionnelle et sociale, et du maintien de leur régime d’assurance chômage spécifique au sein de la solidarité interprofessionnelle.
Je veux le dire solennellement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) en terminant : aucun d’entre nous, qui sommes également attachés à la cause des artistes et des techniciens, ne devrait, à la légère, prendre le risque de couper leur situation de celle de l’ensemble des salariés français.
Parce que ce risque existe avec la démarche législative d’aujourd’hui, je vous demande, simplement et gravement, de ne pas voter, dans les circonstances actuelles, la proposition de loi qui vous est soumise. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Voilà des axes de travail forts, que les partenaires sociaux ont accueillis de manière très positive. Ces mêmes partenaires s’étonneraient probablement, n’en déplaise à M. Mamère, que la présente proposition de loi soit votée alors que la négociation est à son terme. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Je ne pense donc pas qu’il soit opportun d’adopter cette proposition de loi pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, je ne crois pas opportun de légiférer aujourd’hui dans un domaine qui relève tout particulièrement de la compétence des partenaires sociaux.
Le régime d’assurance chômage est en effet le seul lieu où existe un véritable paritarisme dans notre pays, et ce depuis de nombreuses années. Les partenaires sociaux ont montré, récemment encore, qu’ils savaient prendre leurs responsabilités lorsqu’ils sont en situation de le faire.
Ensuite, je ne crois pas opportun de légiférer sur un sujet qui a donné lieu à de longues négociations. Nous avons souhaité que ces négociations soient approfondies et elles l’ont été puisque autant de réunion de négociations ont été consacrées au seul régime des artistes et techniciens du spectacle qu’au régime général d’assurance chômage.
Nous avons également souhaité que la mise en œuvre d’un nouvel accord fasse l’objet de vérifications techniques préalables. Cela a été fait de manière approfondie.
Enfin, nous avons souhaité que la solidarité nationale et la solidarité interprofessionnelle interviennent, chacun dans leur rôle, de façon coordonnée et articulée. Certains partenaires sociaux nous ont fait part de leurs préoccupations. Il leur a été répondu. Il fallait clarifier les choses et c’est désormais chose faite.
Il serait donc tout à fait prématuré de considérer qu’il y a aujourd’hui échec du dialogue social. Les potentiels signataires n’ont donné aucun signe négatif. Au contraire, si certains avaient fait part de préoccupations, ils n’ont pu que constater que la politique menée par le Gouvernement en faveur de l’emploi dans le secteur du spectacle répondait à leurs attentes.
Alors, et c’est une raison supplémentaire de ne pas voter ce texte, il n’est pas opportun de rouvrir aujourd’hui une période de grande incertitude alors qu’une sortie de crise se dessine enfin.
En outre, ce dispositif sera complété par l’intervention de l’État, dans le cadre d’un fonds de professionnalisation et de solidarité. Nous nous efforçons également de passer de quarante-trois conventions et accords à huit conventions collectives. Nous espérons aboutir dans les prochaines semaines. Nous suivons ce travail avec détermination car, assurer l’emploi, la reconnaissance de cet emploi et sa qualité fait partie de nos préoccupations. Le dernier rapport devant le Conseil national du spectacle a montré, le 3 octobre dernier, nos avancées en la matière. La prévoyance constitue également un élément fort de nos travaux.
Si elle était adoptée, la proposition de loi aurait pour conséquence de rouvrir des discussions, qui ne pourraient sans doute pas aboutir dans de telles conditions. Nous nous imposerions en fait la contrainte de retirer l’agrément de l’accord actuel ou de ne pas pouvoir agréer un nouvel accord. Les conséquences seraient réellement disproportionnées, M. Richard l’a dit tout à l’heure.
Ce n’est ni le moment, ni la manière, ni la solution. Le ministre de la culture et moi-même partageons la même volonté : assurer aux métiers du spectacle, au spectacle vivant, aux métiers de la culture et à tous ceux qui bordent le champ conventionnel – qui nous préoccupent également – une vraie protection sociale et une assurance chômage, car ce sont des acteurs du développement économique et de la cohésion sociale de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Je constate que le quorum n’est pas atteint.
Compte tenu de l’heure, ce vote est renvoyé à une date ultérieure.
Mais, avant de lever la séance, je vais donner la parole successivement à M. Jean-Marc Aurault pour le groupe socialiste, à M. Frédéric Dutoit pour le groupe des député-e-s communistes et républicains, et à M. Noël Mamère pour les non-inscrits.
Certes, le ministre du travail vient de rappeler solennellement à la tribune que le Président de la République, s’exprimant récemment devant le Conseil économique et social, vantait le dialogue social et indiquait que toute modification du code du travail devait être précédée d’une longue négociation. C’est très intéressant, mais je vous fais observer, monsieur Larcher, que M. Jacques Chirac termine son mandat et que c’est après douze ans passés à la tête du pays qu’il découvre le dialogue et la négociation sociale !
Messieurs les ministres, votre politique n’est-elle pas de dire : discutons, discutons, pourvu qu’il n’en reste rien ? Depuis trois ans, vous mettez en avant la discussion, la négociation, et vous saluez l’excellent travail que nous avons fourni dans le cadre du comité de suivi des intermittents du spectacle et lors de missions parlementaires qui furent, selon vos propos, d’une très grande qualité. À quoi sert tout ce travail, puisque vous nous proposez de poursuivre la discussion ? Quand cesserons-nous de discuter pour prendre des décisions ? Je reconnais que le dialogue social est utile, encore faut-il qu’il débouche sur des décisions !
Messieurs les ministres, quand le dialogue social n’a pas abouti au bout de trois ans, il faut, comme le souhaite le Président de la République, que les représentants de la Nation assument toutes leurs responsabilités ! C’est leur rôle, c’est leur devoir et c’est leur droit ! Vous avez trahi votre parole. Il faut que cette proposition de loi soit votée pour que le dialogue social soit fécond.
Enfin, monsieur Accoyer, vous nous reprochez sans cesse de poursuivre des objectifs politiciens. Sur les deux propositions de loi que nous avons examinées ce matin, l’opposition s’est prononcée unanimement, ainsi que le groupe de l’UDF, le groupe UMP étant partagé. Ces deux textes nous ont permis de faire honneur à l’Assemblée nationale car nous avons dépassé les clivages politiciens. Mais vous utilisez une manœuvre technique et de procédure…
C’est également révoltant, pour tous les intermittents qui sont présents mais, au-delà, pour tous ceux qui vivent de la culture, avec parfois bien des difficultés. Révoltant également par rapport à l’idée que nous nous faisons de la politique. Alors que vos amis vont pleurer dans des émissions de radio et de télévision sur les dérives de la politique et la montée de l’extrême droite, vous venez encore une fois de donner du grain à moudre aux marchands d’illusions et de creuser un peu plus le fossé de la défiance entre les citoyens et leurs responsables politiques. J’espère que les électeurs vous le feront payer. Nous, sur les bancs de la gauche, nous sommes en paix avec notre conscience et nous avons tenu nos engagements. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Suite de la discussion du projet de loi, n° 2972, adopté par le Sénat, relatif à la fonction publique territoriale :
Rapport, n° 3342, de M. Michel Piron, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République ;
Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, n° 3356, relatif au contrôle de la validité des mariages :
Rapport, n° 3359, de M. Patrick Delnatte, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
À vingt et une heures trente, troisième séance publique :
Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.
La séance est levée.
(La séance est levée à treize heures cinquante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l’Assemblée nationale,
Jean-Pierre Carton