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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 7 novembre 2006

36e séance de la session ordinaire 2006-2007

discussion générale (P.

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ DOSIÈRE,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

Énergie

Transmission et discussion du texte de la commission mixte paritaire

M. le président. M. le président de l’Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

En conséquence, l’ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire (n° 3424).

La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, monsieur le ministre délégué à l’industrie, mes chers collègues, nous voici à la dernière étape de la discussion du projet de loi relatif au secteur de l’énergie que nous avons commencée le 7 septembre dernier et qui a fait l’objet de longues semaines d’examen, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. La commission mixte paritaire, qui s’est réunie hier, est parvenue à un compromis sur lequel je vais vous donner des précisions.

S’il y a eu compromis, c’est parce qu’il y a eu une volonté, partagée par nos collègues sénateurs et par la délégation de l’Assemblée nationale, d’aboutir à un texte commun. Ce compromis doit beaucoup à l’ouverture d’esprit de mon collègue et ami Ladislas Poniatowski, rapporteur de ce texte au Sénat, mais également à Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale que je tiens à remercier pour sa présence assidue et pour avoir tant contribué à enrichir ce projet.

M. Jean Proriol. Tout à fait !

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Je vous remercie !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. …ainsi qu’au président de la commission des affaires économiques du Sénat, M. Jean-Paul Emorine.

Trois points essentiels se dégagent au terme de cette commission mixte paritaire.

Le premier concerne la réforme de la Commission de régulation de l’énergie, la CRE. Nous avons largement modifié sa composition, en souhaitant que soit pris en compte le point de vue des consommateurs. Nous avions estimé, en effet, que certains des avis qu’elle avait rendus et propositions qu’elle faisait ne tenaient pas suffisamment compte du fait que le marché devait d’abord profiter aux consommateurs.

Au terme du mandat de ses membres actuels, la CRE ne sera plus constituée que de trois membres permanents, un président et deux vice-présidents, les autres commissaires ayant vocation à devenir des vacataires.

Le collège actuel sera d’ores et déjà complété par deux représentants des consommateurs qui pourront exprimer un point de vue que nous jugeons important.

Le Sénat avait introduit au sein de cette commission un comité de règlement des différends et des sanctions. Nous avons souhaité le maintien de ce comité, qui aura vocation à prendre des décisions à caractère juridictionnel.

La commission mixte paritaire a souhaité également que le régulateur soit totalement indépendant des producteurs mais pas forcément du pouvoir politique. Ainsi, le président de la Commission de régulation de l’énergie sera désormais nommé après avis et vote des deux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

M. Daniel Paul. C’est révolutionnaire !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. On peut effectivement avancer ce qualificatif et on peut même espérer que cet exemple sera suivi pour la nomination d’autres autorités indépendantes. Cette formule, inspirée d’un système appliqué aux Etats-Unis, a été suggérée par Nicolas Sarkozy.

M. François Brottes. Quel gage de réussite !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La CMP a également retenu la possibilité, pour le conseil des ministres mais aussi pour les deux présidents des commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, de révoquer les membres de la CRE.

Deuxième point essentiel : les deux assemblées se sont accordées sur la nécessité de créer un médiateur public indépendant des fournisseurs. Ce médiateur exercera une magistrature d’influence sans aucun pouvoir décisionnel. Afin d’assurer son indépendance, le financement du médiateur sera assuré par la contribution du service public de l’électricité.

Le troisième point concerne le tarif transitoire d’ajustement du marché. Nous avions adopté un dispositif prévoyant une majoration de 30 % pour les entreprises dès lors qu’elles déclaraient opter pour ce système avant le 1er juillet 2007. Nous avions également précisé que ce dispositif était renouvelable. Le Sénat a, quant à lui, proposé une majoration de 25 % sans que la procédure soit renouvelable. Nous vous proposons aujourd’hui une mesure très proche de celle adoptée par le Sénat, avec notamment un plafond de majoration du tarif de 25 %. J’insiste sur le fait que ce n’est pas au Parlement de fixer les tarifs : ce n’est pas lui qui détermine, par exemple, le prix du timbre. Le dispositif retenu est exactement celui qui avait été proposé par la commission des finances de l’Assemblée nationale en première lecture.

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Dans le cadre d’un amendement du rapporteur pour avis.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Par ailleurs, la commission mixte paritaire a souhaité que le dispositif soit mis en œuvre rapidement. Ainsi, elle a adopté un amendement visant à ce que le Gouvernement le fasse dans un délai d’un mois.

Nous vous proposons également de reprendre le dispositif retenu par le Sénat instituant un financement partiel de la compensation de la fourniture de ce tarif par la CSPE. Je tiens à préciser qu’il s’agit d’utiliser l’excédent existant de CSPE et que le dispositif que nous avons adopté ne pourra en aucun cas avoir pour conséquence d’augmenter la CSPE due par les consommateurs. Un amendement adopté par la CMP le précise d’ailleurs très clairement.

La CMP vous propose de retenir des articles additionnels issus d’amendements sénatoriaux, et notamment : l’article 2 bis A relatif au délai de changement de fournisseur de gaz ; l’article 2 octies introduisant une comptabilité séparée pour l’activité de fourniture aux tarifs ; l’article 5 bis A étendant le bénéfice de l’obligation d’achat aux installations valorisant des énergies de récupération ; l’article 5 quater organisant une procédure dérogatoire d’alimentation dans des zones de fragilité des réseaux ; l’article 6 quater prévoyant un contrôle sur le tarif des prestations annexes à l’utilisation des réseaux ; l’article 8 bis organisant la participation des opérateurs de communications électroniques aux frais de terrassement pour l’enfouissement des lignes ; l’article 9 bis A relançant la coopération intercommunale en matière de distribution d’électricité ; l’article 9 bis D organisant le financement par les collectivités des extensions de desserte gazière ; enfin l’article 13 bis reprenant une disposition que nous appelions de nos vœux en première lecture et qui étend aux petits consommateurs professionnels le bénéfice des dispositions relatives à la fois à l’information et à la protection des consommateurs.

De même, la CMP a réécrit, dans un souci de lisibilité, l’article 4 du projet de loi relatif aux conditions d’accès des consommateurs aux tarifs. Il ressort notamment de cette nouvelle rédaction que, pour les ménages et les petits consommateurs professionnels, une offre de fourniture proposée par un opérateur historique ne pourra être valable que si elle est au tarif pour l’énergie traditionnellement fournie au tarif par cet opérateur, sauf si le client a renoncé par écrit au tarif pour cette énergie. Ainsi, un client pourra contracter avec EDF une offre combinant fourniture d’électricité au tarif et fourniture à un prix libre de gaz naturel. En revanche, la même offre bi-énergie sera nulle si elle n’est pas, pour l’électricité, au tarif, sauf si le consommateur a renoncé par écrit à ce tarif.

Enfin et surtout, la commission mixte paritaire a adopté l’article 10 qui prévoit la privatisation de Gaz de France, rendant ainsi possible une opération industrielle sur laquelle nous avons longuement débattu.

Mes chers collègues, nous sommes parvenus, je crois, à un compromis satisfaisant, à un point d’équilibre qui nous rassemblera et sur lequel l’Assemblée aura à se prononcer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, nous sommes heureux, avec François Loos, de nous retrouver une fois de plus parmi vous, pour discuter de ce texte. Je tiens à remercier, au nom du Gouvernement, toutes celles et tous ceux siégeant sur tous les bancs de cet hémicycle pour leur présence et la qualité des débats tout au long de l’examen du texte. Je félicite votre rapporteur, Jean-Claude Lenoir, travailleur acharné, et le président Ollier, qui, en permanence, a recherché un équilibre, au sein de la commission des affaires économiques et au-delà, pour parvenir au meilleur compromis possible. Vous avez accompli, monsieur le président, un travail remarquable dans l’intérêt de nos compatriotes.

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Je vous remercie.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je suis également reconnaissant au rapporteur pour avis, M. Novelli, de sa contribution à nos travaux. Je remercie enfin MM. Paul, Bataille, Cohen et Brottes, pour leur présence, ainsi que les députés de la majorité, en particulier Serge Poignant, qui ont été assidus et qui ont apporté au Gouvernement un soutien sans faille.

Le projet de loi tel qu’il ressort de la commission mixte paritaire reflète bien les équilibres que doit respecter notre politique de l’énergie. Dans la préparation du projet de loi comme lors de la discussion à l’Assemblée nationale puis au Sénat, François Loos et moi-même avons toujours privilégié la protection des consommateurs. Or qui dit consommateurs dit aussi entreprises consommatrices d’électricité. Confrontée à la forte hausse du prix des hydrocarbures et à la disparition des surcapacités de production, l’Europe a vu les prix de l’électricité s’accroître considérablement depuis 2004. C'est pourquoi le texte a été enrichi, à l'initiative de votre assemblée, d'un dispositif qui prévoit un tarif dit « de transition » en faveur des entreprises ayant opté pour le marché libre. Ce sujet a fait l'objet de vifs débats, l’enjeu consistant à trouver un équilibre entre la nécessité de mettre en place un dispositif de protection, qu’appelait la situation critique de certaines entreprises consommatrices, et celle de maintenir un niveau élevé d'investissements, comme l'a rappelé l'incident de samedi soir, lequel a apporté la preuve que le système fonctionnait. J’ai moi-même vécu le black-out de New York à la fin des années soixante-dix : je vous rappelle que, là, il avait fallu trois jours pour rétablir le courant sur toute la côte Est alors que nous avons eu besoin d’une heure et demie pour remédier à une panne couvrant l’ensemble du continent européen. Cela étant, nous avons demandé une enquête sur ce qui s’est passé en Allemagne, afin d’éviter que cela ne se reproduise, et de mieux anticiper.

Pour en revenir au tarif de transition, je suis heureux qu’un compromis ait été trouvé entre l’Assemblée et le Sénat. Le Gouvernement n’entend pas modifier le texte issu de la CMP, l’équilibre trouvé – à savoir un plafonnement du tarif de transition à 25 % de plus que le tarif réglementé – respecte l’intérêt des entreprises et la nécessité de préserver l’investissement. Il s’agit bien d’un plafond, j’y insiste,...

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Très bien !

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. ...en dessous duquel le Gouvernement interviendra avec pragmatisme, au cas par cas, lorsqu’il sera amené à fixer par arrêté le niveau de chaque composante du tarif de transition, en gardant à l’esprit le double objectif qui est le sien. Il me semble qu’un large consensus pourrait être recueilli autour du texte qui vous est soumis ce matin.

La représentation nationale a par ailleurs souhaité, s’agissant de la Commission de régulation de l’énergie, améliorer le texte du Gouvernement sur deux points : d’une part, le renforcement des pouvoirs de la CRE en matière de surveillance des marchés organisés et de vérification de l'indépendance d'exploitation des réseaux de transport pour améliorer le fonctionnement du marché de l'énergie, renforcement auquel je suis favorable ; d’autre part, la composition du collège de la CRE.

La commission mixte paritaire a trouvé une solution qui me semble satisfaisante, donnant un plus grand rôle au Parlement dans le processus de désignation du collège, sans remettre en cause l’essentiel, à savoir son indépendance et sa neutralité.

Enfin, l’Assemblée Nationale et le Sénat ont adopté des amendements réaffirmant utilement l'importance des collectivités concédantes dans l'organisation de notre système énergétique.

La deuxième partie du projet de loi consiste à donner à Gaz de France la flexibilité nécessaire sur son capital afin que l’entreprise puisse se développer à armes égales avec ses concurrents. Cette partie du projet de loi a peu évolué par rapport au projet initial qui part d’un constat simple : face au mouvement de consolidation des acteurs de l'énergie en Europe, Gaz de France n'est qu'un acteur de taille moyenne par rapport aux géants du secteur. En conséquence, Gaz de France doit pouvoir s'adapter et trouver les alliances qui seront les meilleures pour l'entreprise et ses clients. Gaz de France doit pouvoir s'allier pour investir massivement en amont, de l’ordre de 1 000 milliards d’euros sur vingt-cinq ans. Le projet de loi est destiné à lui donner les capacités d’aller de l’avant et de nouer la ou les alliances industrielles pour relever le défi.

La seule question qui se pose au plan législatif était de savoir, compte tenu des enjeux et des récentes évolutions de l’environnement énergétique, s’il fallait autoriser ou non, selon quelles modalités et avec quelles garanties, Gaz de France à bouger au rythme de ses concurrents et à se renforcer en prenant part au puissant mouvement de consolidation de son secteur industriel.

Le projet de loi prévoit en particulier l'obligation de détention du tiers au moins du capital de Gaz de France par l'État, et la mise en place d’une action spécifique portant sur les actifs essentiels à la sécurité d'approvisionnement. Comme nous l'avons toujours dit, l'action spécifique que nous proposons est strictement compatible avec la jurisprudence communautaire.

Comme pour Air France ou Renault, le Parlement est donc appelé à se prononcer sur un principe : celui de donner, s’agissant de la part de l’État dans son capital, de la flexibilité à l'entreprise. Ce sera à elle qu’il reviendra de choisir et de mettre en œuvre le meilleur projet.

Après le temps du Parlement viendra celui des entreprises et des actionnaires. Je souhaite que Gaz de France y apporte le même soin que celui qui a marqué les étapes précédentes. Au président de Gaz de France de faire le meilleur usage de la liberté de manœuvre que la loi, comme je l’espère, lui accordera, conformément à la demande qu’il a exprimée auprès des pouvoirs publics il y a quelques mois. Je réitère mon engagement de venir devant la commission des affaires économiques exposer les éventuelles évolutions du projet de Gaz de France telles qu’elles résulteront des décisions que le président de l’entreprise prendra, dans son intérêt comme dans celui de ses clients, de ses salariés et de ses actionnaires.

Telles sont, mesdames, messieurs les députés, les principales garanties et les réponses aux principales questions qui nous ont été posées pendant nos débats. Il s'agit de donner à Gaz de France les moyens de choisir le projet industriel qui répondra le mieux aux intérêts de la France, de l'entreprise, de ses salariés et de ses consommateurs. Il convient de préparer le grand marché européen du gaz et de l'électricité, au bénéfice de la compétitivité de nos entreprises, tout en assurant à nos concitoyens que ces évolutions se feront toutes au service de leur pouvoir d'achat et de leur sécurité d'approvisionnement. La France se doit de défendre son excellence industrielle dans le domaine de l'énergie et le texte de consensus qui résulte des travaux de la commission mixte paritaire est à la hauteur des enjeux. Je vous remercie toutes et tous d’y avoir, à des niveaux divers, apporté votre contribution. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Exception d’irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. François Brottes, pour une durée qui ne peut excéder quinze minutes.

M. François Brottes. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, monsieur le vice-président de la commission mixte paritaire, mes chers collègues, je me dois tout d'abord, n’en déplaise à certains, de rappeler que, si nous sommes ici pour mettre un point final à nos débats en votant le texte issu de la commission mixte paritaire, c'est avant tout pour entériner la trahison de la parole donnée, une parole exprimée très solennellement dans cet hémicycle il y a quelques mois par M. Nicolas Sarkozy en personne, alors ministre des finances. On m’a dit qu’il fallait que je dise « monsieur », je m’exécute donc, par courtoisie. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je le cite : « je l'affirme, parce que c'est un engagement du Gouvernement : EDF et GDF ne seront pas privatisées. Le Président de la République l’a rappelé solennellement lors du conseil des ministres. » Ils s’y étaient donc mis à plusieurs pour donner des garanties, conformes d'ailleurs à ce moment-là à la Constitution !

Sachant qu’il faut toujours replacer les reniements dans leur contexte, c'est bien ainsi que je commençai la rédaction de mon intervention samedi vers vingt-deux heures. Je restais ce soir-là sous l’influence de l'hommage rendu à Georges Brassens pour le vingt-cinquième anniversaire de sa disparition et je me remémorais sa fameuse chanson : La Non-demande en Mariage. « Nous avons fait davantage de concessions que nous l'imaginions » disait le fiancé Gaz de France, et le poète de considérer que ce n'était pas bien de se déshabiller comme cela, de lettre de griefs en lettre de griefs, à la demande de la commissaire Nelly Kroes. J'imaginais donc M. Cirelli, le président de GDF, chanter le refrain de Brassens à M. Mestrallet, son homologue de Suez : « J'ai l'honneur de/Ne pas te demander ta main,/ Ne gravons pas/Nos noms au bas/D'un parchemin ». L’inspiration s'arrêta là : ce fut le noir total, la grosse panne d'électricité,...

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. N’éxagérons pas !

M. François Brottes. ...comme un sort lancé par l'absence de politique européenne sérieuse de l'énergie. Mon lyrisme de pacotille – j’en conviens – s’est trouvé contrarié au moment où je m'étais mis à rêver que le Gouvernement était en passe de renoncer à privatiser une grande entreprise publique de l'énergie, qui distribue un bien de première nécessité et qui relève bien du service public. Cette fameuse panne qui a concerné une grande partie de l'Europe est arrivée à point nommé. Alors que la nuit était avancée et qu'il faisait à peine quelques degrés au-dessus de zéro, les coups de téléphone de mes administrés inquiets, à qui je n’ai pu répondre ni sur la cause ni sur la durée de la panne, sont venus me rappeler que l'énergie était un bien de première nécessité.

Un black-out total évité de justesse, messieurs les ministres, grâce aux précautions techniques prises par des professionnels encore sous statut public, est en fait un dur rappel à la réalité pour ceux qui n'ont comme obsession que l'ouverture des marchés, et qui ne se préoccupent guère de la qualité et de la continuité du service rendu aux usagers.

Beaucoup de questions sur l’origine de la panne restent encore sans réponse : consommons-nous trop d'énergie ? La production nucléaire française dédouane-t-elle certains pays qui se défaussent de leur part du fardeau de la production d'énergie ? Manquons-nous vraiment d’interconnexions et nos capacités d'arbitrage démocratique ne nous permettent-elles pas de mesurer convenablement tous les enjeux ? Est-ce parce que les traders du marché de l'énergie profitent un peu trop des situations de crise, des déséquilibres entre l'offre et la demande, pour faire monter les enchères au point d'empêcher de prendre à temps les bonnes décisions ? L'intérêt du marché et des actionnaires n'est-il pas finalement d'organiser la pénurie et de prendre en otage les usagers pour faire monter les prix ? Est-ce parce que les régulateurs ne coordonnent pas leurs actions en Europe ou que la Commission européenne ne s'intéresse pas à autre chose qu'aux parts de marché de chaque opérateur, au point de préconiser la casse de ce qui marche bien, comme EDF-GDF ? Est-ce parce que nous manquons de moyens de production d'énergie ? Beaucoup de questions restent en suspens auxquelles les enquêtes qui ont été lancées permettront sans doute de répondre.

Franchement, avouez que ce n'est pas le moment de privatiser Gaz de France dans l'urgence, et au forceps !

Cette disposition tourne le dos à la Constitution, je vais y revenir. L'avis définitif de la Commission européenne n'est toujours pas connu. Autant l’attendre avant de venir en commission des affaires économiques, monsieur le ministre, cela vous évitera de nous donner un périmètre qui sera modifié aussitôt après ! L’Autorité des marchés financiers ne s'est pas prononcée, les actionnaires de Suez continuent à faire monter les enchères. À propos, est-il acceptable que le contribuable subventionne l’actionnariat de Suez, composé pour l'essentiel de fonds de pension et d'investissement étrangers, surtout qu'il lui sera demandé de payer jusqu'à dix fois plus, pour obtenir moins, que ce qui était prévu à l'origine ?

Le périmètre des activités gaz et électricité de ce fameux champion ne ressemble en effet plus beaucoup à celui qui était présenté dans les arguments qui nous ont été assénés pendant des mois et des mois, avec le renfort de pleines pages de publicité, ou lors de l'audition des ministres devant les caméras.

Le personnel de GDF n’a pas été consulté sur la fusion, vous l’avez avoué vous-même au cours de nos débats, monsieur le ministre de l’économie. Par ailleurs, le Conseil supérieur consultatif de GDF a engagé une action pour vous rappeler que vous n'aviez pas respecté les formes, notamment concernant l'avenir de EDF-GDF service.

Les fantômes d’ENEL ou de Pinault rôdent toujours autour du démantèlement de Suez, et Gazprom est en embuscade pour acquérir le nouvel ensemble GDF-Suez... Et ce n'est pas l'action spécifique, dite golden share, qui l'en empêchera.

Franchement, avouez que ce n'est pas non plus le moment de laisser l'indépendance nationale aux bons soins du régulateur, comme le propose votre texte. M. le rapporteur ne s’est pas attardé sur cet aspect de la question, bien qu’il s’agisse d’une disposition prise par le Sénat et maintenue par la commission mixte paritaire : « Les programmes d'investissements des transporteurs de gaz naturel sont soumis à l'approbation de la Commission de régulation de l'énergie, qui veille à la réalisation des investissements nécessaires au bon développement des réseaux et à leur accès transparent et non discriminatoire. » Bref, c’en est fini de la desserte de certains de nos territoires ruraux !

Le groupe socialiste considère qu'il n'est ni opportun, ni nécessaire, ni conforme à la Constitution de privatiser Gaz de France. Le recours que nous déposerons devant le Conseil constitutionnel portera exclusivement sur l’article 10, lequel constitue depuis l'origine la clef de voûte idéologique d'une politique de l'énergie improvisée, puisque à peine six mois après avoir promulgué une loi d'orientation sur l'énergie prescrivant qu’il appartient à nos entreprises publiques de l'énergie, EDF et GDF, de garantir le service public de l'énergie, vous avez décidé de brader un de nos fleurons afin de parer à une OPA inamicale, ce qui révèle un vrai manque de sang-froid et un sens étrange de l'État ; l'histoire jugera et les Français paieront !

Nous dénonçons essentiellement trois conséquences de l'article 10 du projet de loi, qui donne au Gouvernement la possibilité de privatiser Gaz de France.

Premièrement, nous considérons que l'article 10 n'est pas conforme au neuvième alinéa de préambule de la Constitution de 1946, qui prescrit que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir » – et a fortiori rester – « la propriété de la nation ».

Deuxièmement, nous considérons que l'article 10 n'est pas conforme aux deux principes constitutionnels de libre administration des collectivités locales et de liberté contractuelle.

Troisièmement, nous considérons que l'article 10 n'est pas conforme au principe constitutionnel de continuité du service public.

Sur le premier point, il est clair – vous le confirmez vous-mêmes, messieurs les ministres – que votre projet de loi privatise une entreprise publique disposant de la qualité d'un service public national ou de monopole de fait sur son périmètre d'action, puisqu’elle possède près de 88 % du réseau de transport et distribue cette énergie à près de 96 % des clients desservis par une concession.

Une telle entreprise doit donc, de notre point de vue, et en vertu même de la Constitution, appartenir au secteur public, à moins que vous ne lui retiriez les qualités évoquées, mais ce serait pour vous un nouveau reniement.

Sur le premier point encore, nous considérons également pour plusieurs autres raisons que le transfert au secteur privé de la société à majorité publique GDF est contraire au neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.

Tout d’abord, votre projet de loi a pour effet de conférer à une entreprise privée un monopole à l'échelon national – celui de la distribution publique de gaz – comme concessionnaire des communes déjà desservies en gaz naturel, monopole qui, en réalité, est un bien national, étant donné la part très réduite laissée aux distributeurs non nationalisés, les DNN.

Ensuite, Gaz de France, comme monopole de fait, continuera à jouer un rôle en matière de péréquation des tarifs d'utilisation des réseaux.

Enfin, dans le contexte d'ouverture du marché, la loi de 2006 renforce la mission de service public national de Gaz de France, notamment en lui demandant explicitement d'assumer seul et pour une durée indéfinie la fourniture de gaz naturel à un tarif réglementé à tous les clients domestiques qui le souhaitent et à certains clients non domestiques qui le revendiquent.

Sur le deuxième point, qui concerne les deux principes de la libre administration des collectivités locales et de liberté contractuelle, il convient de rappeler qu'ils ont tous les deux une valeur constitutionnelle : couplés l'un à l'autre, ils signifient clairement que le législateur ne peut adopter de disposition ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la liberté contractuelle des collectivités territoriales, notamment la faculté de contracter avec les partenaires de leur choix, après publicité et mise en concurrence, surtout lorsque ces partenaires changent de nature et que, du secteur public, ils passent au secteur privé – suivez mon regard !

Il est difficile d'admettre qu’on puisse déroger ainsi au droit commun de la commande publique, surtout dans un contexte où le groupe GDF-Suez deviendrait le partenaire privé obligé en matière de gaz, alors que les collectivités territoriales conduiraient avec lui des négociations concurrentielles pour l'attribution de leurs autres délégations de service public – l'eau, l'assainissement, le chauffage urbain ou le traitement des déchets –, sans compter ce que j'ai dénoncé à plusieurs reprises au cours de nos longs débats, messieurs les ministres, à savoir l'illégalité de cette situation au regard du droit communautaire, laquelle risque de fragiliser, voire de remettre à plat toutes les concessions de distribution de gaz, comme le démontre la jurisprudence de la Cour européenne de justice.

Le troisième point, quant à lui, qui concerne la garantie de la continuité du service, pose les termes du débat sur la capacité réelle que s’assure l'État et sur la pertinence effective des moyens qu'il se donne à cet effet, de garantir que des biens irremplaçables et indispensables à l'exercice du service public, comme le réseau de transport de gaz, resteront affectés au service public, en vue notamment de les réquisitionner si besoin est. Or votre projet de loi ne donne aucune garantie en la matière. Il envisage simplement la définition assez floue d’une action spécifique dont l’usage – il convient de le rappeler – est très encadré puisqu’il ne peut être mis en œuvre qu’a posteriori – c'est-à-dire éventuellement trop tard – et dans des conditions exposées à toutes sortes de recours, ce qui ne fait pas de cette action spécifique une garantie suffisante, c’est l’évidence même, d’autant que sa mise en œuvre est strictement subordonnée au pouvoir discrétionnaire du Gouvernement, qui ne doit pas rater « la fenêtre de tir » pour l’utiliser, sa validité juridique étant de ce fait très incertaine.

C’est à ce titre que nous considérons que l’article 10 méconnaît les exigences constitutionnelles qui s’attachent à la nécessaire continuité du service public.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, les raisons de déclarer irrecevable l’article 10 du projet de loi qui, en tendant à privatiser Gaz de France, annonce la fin du service public de l’énergie, ne manquent pas. C’est la raison pour laquelle, avec le groupe socialiste, je vous invite à voter la présente exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission mixte paritaire.

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Votre exception d’irrecevabilité, force est de le constater, n’a fait que confirmer le caractère constitutionnel du texte !

M. François Brottes. C’est que vous ne m’avez pas écouté !

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Je vous ai au contraire écouté avec la plus grande attention. J’ai même noté ce que vous avez dit afin d’être certain de ne pas l’oublier. Or je n’ai rien entendu qui confirmerait l’inconstitutionnalité du texte, ce qui me rassure.

M. François Brottes. Vous avez écrit votre réponse avant de m’écouter !

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Vous avez tellement répété vos arguments durant un mois, monsieur Brottes, que je n’ai même plus besoin de les entendre pour y répondre !

Trêve d’ironie : il n’y a rien dans vos propos qui, je le répète, puisse confirmer l’impression que le texte serait inconstitutionnel, ce qui est plutôt rassurant pour nous, messieurs les ministres,…

M. Patrick Roy. Nous n’avons pas les mêmes oreilles !

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. …puisque, nous le savons très bien, le Conseil constitutionnel sera saisi. Il est donc important de constater qu’aucun argument ne permet d’étayer l’exception d’irrecevabilité.

Je souhaite surtout remercier le Gouvernement des avancées réalisées dans le cadre de la commission mixte paritaire, qui s’est réunie hier. M. le ministre de l’économie et M. le rapporteur les ayant déjà évoquées, je me contenterai de revenir sur une seule d’entre elles, qui concerne la Commission de régulation de l’énergie. La décision que nous avons prise hier à son propos et que le Gouvernement a acceptée – il n’a pas déposé d’amendement sur ce sujet – va faire parler d’elle ! En effet, tous ici, sur ces bancs, à gauche comme à droite, monsieur Brottes, nous sommes soucieux de voir le Parlement non seulement mieux respecté, mais également doté de pouvoirs de contrôle renforcés. Nous ne pouvons donc que nous réjouir du fait que le président de la CRE ne pourra être nommé par le Gouvernement qu’après avis des commissions parlementaires compétentes : c’est un grand progrès pour la démocratie et pour la transparence. Que les membres de la CRE ayant gravement manqué à leurs obligations puissent être révoqués par le Gouvernement sur proposition de ces mêmes commissions constitue un autre grand pas en avant.

M. François Brottes. Et l’article 10 ?

M. Patrick Roy. M. Brottes a exclusivement parlé de l’article 10 !

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Ces deux décisions – je le répète – renforcent le pouvoir du Parlement.

En ce qui concerne l’article 10, monsieur Brottes,…

M. François Brottes. C’était le sujet de mon intervention !

M. Patrick Roy. Cet article est essentiel !

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. …vous avez longuement développé vos arguments. Sur ce point nous avons pris notre décision en notre âme et conscience.

M. Patrick Roy. Nous n’avons pas la même conscience !

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Cette décision s’appuie sur la réflexion qui a conduit Thierry Breton et François Loos à présenter ce projet de loi à la demande du Premier ministre. Nous avons en effet le souci de préserver Gaz de France en permettant à cette société qui, aujourd'hui, achète le gaz à l’extérieur – nous n’en produisons plus – et le revend à un tarif fixé par le Gouvernement aux consommateurs, de disposer des moyens nécessaires à son développement.

Monsieur Brottes, la panne électrique que le ministre de l’économie a évoquée permet au parlementaire que je suis de se réjouir que le système ait fonctionné ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) S’il n’avait pas fonctionné – Thierry Breton l’a rappelé –, nous aurions, comme les Américains, été privés d’électricité durant trois jours, et nous aurions vécu ce qu’ils ont subi à New York, à savoir des actes d’une grande violence et des pillages. Notre système européen interconnecté a bien fonctionné...

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Exactement !

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. …et je m’en réjouis.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. La démonstration est faite !

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Vous avez raison, monsieur le rapporteur : la démonstration est faite.

M. François Brottes. En somme, vous êtes fiers de vous !

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. S’agissant du gaz, l’opposition omet complètement de rappeler que, pour éviter la fermeture brutale de gazoducs pour des raisons géopolitiques, comme cela est arrivé récemment à un pays voisin de la Russie, le développement, demain, du groupe Gaz de France-Suez, sera notamment fondé sur le gaz naturel liquide. Or cet élément est une des raisons essentielles qui ont conduit le Gouvernement à vouloir cette fusion. À ce sujet, je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir annoncé votre venue devant la commission des affaires économiques, probablement le 14 novembre prochain dans l’après-midi, et nous invitons d’ores et déjà tous les députés qui le souhaiteront à assister à cette réunion.

Monsieur Brottes, le gaz naturel liquide étant, au plan énergétique, un élément indiscutable de l’équilibre géostratégique, le groupe Gaz de France-Suez pourra, grâce à la constitution d’une des premières flottes de méthaniers du monde et grâce à ses usines de liquéfaction – dont la première du monde est en cours de construction – assurer notre indépendance en matière d’approvisionnement gazier : c’est ce que nous recherchons.

C’est pourquoi, monsieur Brottes, nous ne saurions accepter tous les faux procès qui nous sont intentés. Je suis aussi soucieux que vous de la préservation des services publics et nous nous sommes battus au plan européen pour que des mesures soient prises en vue de préserver les services d’intérêts généraux. C’est fait. En l’occurrence, alors que nous ne produisons pas de gaz mais que nous devons l’acheter à l’extérieur aux conditions fixées par ceux qui nous le vendent et que nous devons le revendre aux consommateurs à des tarifs fixés par nous, le service public du gaz est assuré grâce au tarif social du gaz que je félicite le Parlement d’avoir adopté. Du reste, monsieur Brottes, vous auriez pu nous rendre hommage à propos de cette mesure que vous ne sauriez qu’approuver, n’est-ce pas ?

M. François Brottes. Exprimez-vous sans vous émouvoir !

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Je ne suis pas ému, mais je connais votre tripe sociale et je sais que vous ne pouvez pas ne pas être favorable au tarif social du gaz. Je regrette simplement que vous n’ayez pas voté en faveur de cette disposition. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

En dépit de toutes les polémiques ouvertes, en dépit de tous les faux procès qui nous ont été intentés et de tous les arguments développés à la faveur des 137 000 amendements examinés durant près d’un mois, nous arrivons aujourd'hui au terme de ce débat et je tiens à remercier de nouveau la majorité de nous avoir soutenus jour et nuit : c’est un honneur pour le Parlement et sa majorité d’avoir eu le courage d’aller jusqu’au bout ! Monsieur Brottes, les arguments que vous nous présentez et que, du reste, nous connaissons déjà, M. le ministre et M. le rapporteur les ont démontés mieux que je n’aurais jamais su le faire, ne faisant qu’apporter ma modeste contribution. C’est pourquoi je souhaite que la majorité rejette votre exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. Nous avons eu l’occasion de souligner à plusieurs reprises que, d’un point de vue technique, la constitutionnalité du texte a été examinée par le Conseil d’État. Nous ne sommes par conséquent pas inquiets sur cette question que vous soulevez à chaque occasion, monsieur Brottes. Ensuite, comme Thierry Breton et Patrick Ollier viennent de le rappeler, l’étape suivante sera présentée à la commission des affaires économiques. Le Parlement sera donc dûment informé de la suite des opérations. Enfin, vous avez fait allusion, monsieur Brottes, à ce qui s’est passé samedi soir et qui trouve son origine en Allemagne. Vous aurez noté que la France a décidé d’investir 40 milliards d’euros dans le domaine électrique à la fois pour produire plus d’électricité en période de pointe et pour mettre en chantier davantage de réseaux de transport.

Nous avons d’ailleurs déposé un mémorandum auprès des instances bruxelloises, au début de l’année, pour que l’Union européenne demande à chaque pays membre de prendre des mesures après avoir établi un scénario prospectif de la consommation et de la production. Une telle analyse révélera probablement la nécessité d’importants investissements dans tel ou tel pays. J’ignore quels seront les résultats d’une telle enquête pour l’Allemagne, mais nous allons probablement nous rendre compte que les mesures prises en France en vertu des lois de 2003, 2004 et 2005 sont tout à fait à la hauteur des enjeux.

Par ailleurs, monsieur Brottes, vous avez commencé par Le Déserteur de Boris Vian et vous continuez avec La Non-demande en Mariage de Brassens. Si je donne un coup de chapeau au poète que vous êtes et aux choix que vous faites,…

M. François Brottes. C’est pour que vous m’écoutiez, monsieur le ministre !

M. le ministre délégué à l’industrie. …qui, sur le plan littéraire, correspondent à mes goûts, je regrette néanmoins vos « non-engagements ». Nous prenons, quant à nous, le taureau par les cornes.

M. Bernard Derosier. Pauvre bête !

M. le ministre délégué à l’industrie. Nous tâchons de nous engager et nous proposons des mesures qui nous permettent d’assurer la sécurité de l’approvisionnement. Si l’on peut s’accorder sur vos choix littéraires, ce n’est vraiment pas le cas en matière de politique énergétique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Proriol, pour expliquer son vote.

M. Jean Proriol. Nous avons entendu une nouvelle fois François Brottes dans son exercice favori, avec son talent habituel.

M. Bernard Derosier. Il a été excellent !

M. Jean Proriol. Il a essayé – cette fois-ci en quelques minutes –…

M. François Brottes. Je n’ai pas été assez long !

M. Jean Proriol. …de ressortir tous les arguments qu’il nous avait assénés pendant trois semaines et demie. C’était donc du réchauffé, mais nous l’avons écouté avec la même patience que celle dont nous avons fait preuve lors de précédentes et nombreuses répétitions. M. Brottes ne nous a rien appris de nouveau.

Je lui rappelle néanmoins, au nom de l’UMP, que ce projet vise d’abord à ouvrir les marchés et à permettre le libre choix des consommateurs ; cela en application du premier alinéa de l’article 22 de la loi du 10 février 2000, qui précise que tout consommateur final d’électricité peut librement choisir son fournisseur.

M. François Brottes. Vous ne parlez pas de l’article 10 !

M. Jean Proriol. C’est ce que prévoit le texte et, même si l’article 10 constitue en effet, selon M. Brottes, le noyau dur du projet, et nous allons y revenir, il ne faudrait pas oublier l’essentiel. En effet, comme l’a dit le vice-président de la commission mixte, ce texte comporte un certain nombre de dispositions fondamentales ; or si nous votions cette exception d’irrecevabilité, nous en différerions l’application.

Avec un égal talent, Jean-Claude Lenoir a rappelé que nous avons apporté une contribution positive à la composition de la CRE, que nous avons enrichi le dispositif initial par la création d’un comité des différends de quatre membres, indépendant de la CRE, chargé de régler les litiges éventuels entre consommateurs et fournisseurs, enfin, que nous avons créé un médiateur, comme il en existe dans les autres pays.

J’en viens à l’article de bravoure – l’article 10 – pour rappeller à M. Brottes et à ceux d’entre-nous qui auraient oublié les dispositions du texte, que nous avons certes prévu la privatisation de Gaz de France, mais aussi les modalités de contrôle de l’État qui, avec un tiers du capital, détient une minorité de blocage dans les assemblées générales d’actionnaires,…

M. François Brottes. Cette minorité est inefficace !

M. Jean Proriol. …puisque les décisions y requièrent une majorité des deux tiers. Or relèvent de la compétence des assemblées générales des actionnaires toute modification de l’objet social, tout transfert du siège social, toute décision entraînant une modification immédiate ou à terme du capital social, toute opération de rapprochement de l’entreprise avec une autre. Avec une participation de l’État à hauteur de 34 %, un pôle de stabilité sera assuré au sein de l’entreprise. Ainsi, ceux qui représenteront l’État pourront préserver les intérêts nationaux dans le secteur de l’énergie.

Aussi ne faut-il pas considérer cet article 10 comme un danger pour l’approvisionnement de Gaz de France. Ce matin, à la radio, l’ancien président de Gaz de France démontrait que l’ouverture du capital d’Électricité de France, la participation de l’État demeurant à 70 % du capital, a permis à l’entreprise d’emprunter 7 milliards d’euros sur le marché, de faire face à des investissements, de lancer un programme de 5 000 mégawatts pour les cinq années à venir. Or il me semble que nous en aurons bien besoin dans le contexte actuel, et pour la France et pour la solidarité énergétique européenne. Je vous propose donc de repousser l’exception d’irrecevabilité présentée par François Brottes, rejet dont je ne doute d’ailleurs pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Derosier. Il ne faut préjuger de rien !

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Je souhaite développer deux remarques, deux évidences avant de conclure, monsieur le ministre.

On remarque dans un premier temps que l’on est passé en quelques années – en très peu de temps au fond – de GDF entreprise nationale à GDF entreprise publique, promise au maintien de ce statut il n’y a pas longtemps – hier – à l’échelle de la vie de GDF. Cette promesse avait été faite par une personnalité éminente du gouvernement de l’époque et qui l’est restée dans le gouvernement actuel. GDF se trouve aujourd’hui déclassé par votre majorité, ravalé au statut d’une entreprise privée absorbée par un groupe privé et soumise aux exigences de la Commission européenne et aux prétentions d’actionnaires parmi lesquels des fonds de pension anglo-saxons.

La deuxième remarque porte sur le fait qu’après avoir livré GDF à Suez, vous prétendez à présent limiter les dégâts en consentant de petites modifications marginales. Vous le savez pourtant, monsieur le ministre : c’est celui qui possède qui décide. C’est donc le point de départ de toute l’opération qui est condamnable.

J’en viens à mes deux évidences. D’abord, monsieur le président de la commission des affaires économiques, vous évoquez régulièrement la flotte de méthaniers qui, demain, va garantir l’approvisionnement énergétique de notre pays en gaz…

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Contribuer à garantir !

M. Daniel Paul. « Contribuer » à garantir, soit. Je vais moi aussi répéter ce que j’ai dit à plusieurs reprises au cours du débat de septembre : les méthaniers, ce sont des navires qui, lorsqu’ils se trouvent au milieu de l’Atlantique, peuvent mettre le cap à tribord comme à bâbord.

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. C’est faux !

M. Daniel Paul. À tribord, vers Zeebrugge, ou bien Montoir,…

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Quand il s’agit d’une commande ferme, ils respectent leur contrat !

M. Daniel Paul. Permettez, monsieur le président.

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Non ! Je connais votre argumentation : elle est fausse !

M. Daniel Paul. Lorsque ces navires sont au milieu de l’Atlantique, disais-je, ils peuvent aller à tribord vers Zeebrugge ou Montoir…

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Non ! Pas si la cargaison est sous contrat !

M. Daniel Paul. …et éventuellement, demain, vers Antifer si le port méthanier se réalise. Ils peuvent également mettre le cap à bâbord si, dans cette direction, les prix sont plus rémunérateurs.

M. François Brottes. Voilà qui casse la démonstration !

M. Daniel Paul. C’est ainsi que cela se passe actuellement, y compris avec d’autre produits que le gaz, et que l’on constate des fluctuations de tarifs sur les marchés spots.

La seconde évidence concerne ce que vous appelez la minorité de blocage, dont vient de parler notre collègue Proriol. Vous aviez une majorité de blocage il y a encore quelques semaines ; la maintenir vous aurait permis de respecter la parole donnée par le Gouvernement il y a deux ans. Vous pouviez fort bien soutenir que vous deviez respecter une promesse faite par les plus hautes personnalités de l’État, par celles, même, qui aspirent à diriger l’État. Or n’ayant pas tenu cette promesse de garder la majorité de blocage, comment voulez-vous que l’on croie une seconde à votre capacité de faire usage de la minorité de blocage que vous donneraient les 34 %, pour vous opposer à un éventuel coup de force des actionnaires de Suez dans le nouveau groupe ?

En conclusion, nous considérons pour notre part qu’il est toujours temps de faire marche arrière. La messe n’est pas dite,…

M. François Brottes. Même en latin !

M. Daniel Paul. …si je puis m’exprimer familièrement sur un sujet aussi important. Ce qu’une majorité de droite qui abandonne l’intérêt national aux intérêts privés a su faire, nous pensons qu’une majorité de gauche courageuse aura l’opportunité et l’audace de le défaire.

M. Patrick Roy. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Un peu de sobriété fera du bien dans ce débat un peu excessif, hors normes. À l’UDF, nous avons lu l’avis positif du Conseil d’État sur la constitutionnalité du texte. Nous en prenons acte et ne voterons donc pas l’exception d’irrecevabilité. Cette décision ne change d’ailleurs rien à notre position sur l’inopportunité du texte, selon nous, et sur la CMP, comme je vais avoir l’occasion de l’expliquer pendant les dix minutes qui me seront imparties dans la discussion, ce qui sera amplement suffisant.

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. François Brottes nous a éclairés de manière convaincante malgré la panne dont il a été victime au moment de rédiger son intervention. Il a fort opportunément rappelé que nos débats se fondent sur le reniement de M. Sarkozy. La promesse qu’il avait faite de ne pas privatiser Gaz de France, suivie de la privatisation effective de cette entreprise, prouve bien que, quand on aspire aux plus hautes fonctions, on peut parfois tout dire et son contraire. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Roy. Ce n’est pas beau de mentir !

M. Christian Bataille. Le contexte évoqué par François Brottes mérite qu’on y revienne. Il s’agit du contexte constitutionnel de 1946, année de la refondation républicaine, qui a rappelé un certain nombre de notions essentielles qui fondent la République – la laïcité, par exemple – mais aussi le droit pour l’État, pour la nation, de se préoccuper des grands dossiers économiques.

Socialistes, communistes, centristes du MRP, gaullistes, toutes les formations politiques qui participèrent au gouvernement étaient d’accord sur ce point. Pour elles, Gaz de France devait être une société nationale. Aujourd'hui, la majorité considère que les amarres avec la Constitution de 1946 et avec l’esprit qui y a présidé sont rompues.

François Brottes eu raison de fonder l’irrecevabilité sur l’article 10 du projet de loi, c'est-à-dire sur l’article qui privatise GDF. Dans le monde difficile qui est le nôtre, le gaz n’est pas un produit comme les autres. C’est autre chose que des caramels mous ou de la camomille ! C’est un produit essentiel à la vie, et un enjeu décisif pour la nation.

Au-delà de ses usages courants, il sert aussi à produire de l’électricité de façon souple et vient donc en complément d’une production électrique pour l’essentiel issue du nucléaire. Les énergies renouvelables ne répondant pas aujourd'hui, malheureusement, aux espoirs que l’on avait placés en elles – qu’il s’agisse de l’éolien, du gaz de production animale ou de l’énergie solaire –, le gaz est bel et bien l’énergie qui permet de répondre aux baisses brutales de production et d’empêcher un effondrement du réseau. Il est donc légitime que la nation ait la main sur la fourniture de ce produit, afin que nous ne soyons pas dépendants des autres via des contrats commerciaux échappant au contrôle de l’État.

Pour toutes ces raisons, nous voterons l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le service public de l’énergie, encore à l’œuvre aujourd'hui dans notre pays, est le produit d’une longue histoire qui a commencé avant même la République et au cours de laquelle les pouvoirs publics se sont vu attribuer un rôle d’organisation économique.

Ce rôle de l’État s’est précisé et transformé au xxe siècle, en particulier au moment du Front populaire et après la Seconde Guerre mondiale, lorsque les gouvernements ont assorti cette fonction de rationalisation des services d’un souci de justice sociale, de garantie de service, de maîtrise des prix et de lutte contre la vie chère.

Était-il utile, dans ce contexte positif, de démonter sous prétexte d’harmonisation européenne un secteur de l’économie qui donne satisfaction ? Pourquoi remplacer Gaz de France, qui marche bien, par autre chose sans savoir si cela fonctionnera ? C’est selon nous bien inutile. La construction européenne supposait certes la fin des monopoles et l’ouverture à la concurrence, mais en aucun cas le Conseil des ministres européens ou la Commission de Bruxelles n’ont réclamé la privatisation des entreprises publiques ! À aucun moment les autorités européennes n’ont demandé aux gouvernements nationaux de se dessaisir de leurs prérogatives au bénéfice d’une Commission de régulation de l’énergie dont il a été encore beaucoup question en commission mixte paritaire et qui est, je le répète, une fausse commission indépendante et un vrai instrument du libéralisme, porteur d’inégalités.

Cette loi privera les citoyens d’un instrument républicain, auquel elle substituera une entreprise commerciale. La notion de service public sera remplacée par celles de marché et de profit.

Le service public du gaz avait pourtant bien des avantages, au premier rang desquels une meilleure prévision à long terme grâce à des contrats dont GDF bénéficiera longtemps encore. Il est à peu près certain qu’une société privatisée ne prendra pas les mêmes précautions et sera portée par le marché à s’inscrire dans le court, voir le très court terme.

L’entreprise publique avait également le souci d’investir dans les réseaux, de les entretenir régulièrement, de les moderniser et d’assurer la desserte en gaz des secteurs ruraux les plus éloignés. Je vous donne rendez-vous dans quelque temps, mes chers collègues : nous verrons bien si, sous la houlette de la CRE et d’une société privatisée, les secteurs éloignés continueront d’être équipés comme ils le sont aujourd'hui !

Enfin, GDF était une société forte et indépendante, ce qui est indispensable dans un environnement international difficile.

Dans un contexte géopolitique et économique dangereux, en effet, la transformation du secteur gazier devrait être d’autant plus prudente que les bases des besoins européens sont fragiles. Les risques de pénurie en gaz et en pétrole, bien réels, provoquent une tension sur les prix. Nous ne sommes plus à l’âge de l’énergie abondante et bon marché. En outre, au coût de l’énergie s’ajoutent désormais des coûts externes : ceux des guerres. De ce point de vue, la guerre en Irak est un épiphénomène de la guerre de l’énergie.

Dans un tel contexte, on ne peut soutenir que la fourniture en énergie s’apparente à une simple transaction commerciale. La survie des pays développés économiquement en dépend. Or nos approvisionnements en gaz ne sont ni totalement sûrs ni suffisamment garantis contre la hausse des prix.

Certes, les ressources en gaz sont mieux réparties géographiquement que le pétrole, mais l’augmentation de la production de gaz naturel n’est pas aussi aisée qu’on a pu le penser. Il est difficile d’accroître les rendements d’extraction : ainsi, les États-Unis ne parviennent pas, en dépit de leurs efforts, à augmenter leur production. Il faut désormais réaliser des investissements colossaux en infrastructures, gazoducs, flottes et terminaux méthaniers.

Les prix du gaz continuent d’être indexés sur ceux du pétrole et le danger immédiat est celui d’une pénurie organisée dans le but de faire monter les prix, avant que ne se profile la pénurie physique due à l’épuisement des gisements et des réserves. Et la pénurie, le « robinet fermé », les pays de l’Est de l’Europe savent ce que cela veut dire !

La panne électrique du 4 novembre a quelque chose à voir avec la fourniture de gaz, puisque, comme je l’ai expliqué, notre pays dépend pour une partie de sa production de centrales à gaz qui apportent, en pointe, l’énergie nécessaire lors des défaillances du réseau de base. Cette maladie des grandes pannes, venue des États-Unis, me semble être le propre de la dérégulation. Sans doute avons-nous assisté à la première du genre en Europe. Les tensions instantanées sur le marché, la volonté de faire grimper les prix, la surenchère, sont sans doute les raisons pour lesquelles nous sommes passés tout près d’un effondrement du réseau semblable à ceux qui ont eu lieu, avec les mêmes causes, aux États-Unis.

M. Hervé Novelli. Fantasme !

M. Christian Bataille. Le deuxième défaut d’un système dérégulé est le manque d’investissements, en production comme en réseaux. La tentation, bien évidemment, est plus de distribuer des dividendes, d’empocher immédiatement les bénéfices, que de mener une politique de prévision à long terme. Une entreprise comme EDF doit penser ses investissements à soixante ou quatre-vingts ans, en incluant le démantèlement des centrales nucléaires. Je ne crois pas que les entreprises privatisées qui vont désormais détenir les clefs du marché de l’énergie soient en mesure de se projeter dans l’avenir de cette manière !

La panne de samedi pose le problème de l’Europe de l’électricité. Si l’harmonisation des réseaux européens s’impose évidemment, la France n’a en revanche aucun intérêt à une harmonisation des prix dans l’Union. L’avantage compétitif du nucléaire, grâce auquel nous bénéficions d’une énergie à un prix relativement modéré, serait dilué dans un contexte global et aligné sur le prix mondial du pétrole et du gaz. En d’autres termes, le prix du kilowattheure produit à Gravelines serait aligné sur celui du baril de pétrole extrait en Arabie Saoudite. Nous ne pouvons envisager cela. Notre pays doit conserver l’avantage compétitif qu’il détient sur des voisins imprévoyants qui, ne disposant pas des mêmes atouts, sont complètement dépendants de leurs importations de gaz et de pétrole.

Il n’en reste pas moins qu’il faut investir en France, tant pour la production de base que pour la production en régime de pointe. Le président d’EDF lui-même en convenait ce matin : il manque des réseaux et des interconnexions dans notre système électrique. Pour ces investissements, il faut des sommes considérables. Nos collègues de la majorité veulent-ils vraiment faire confiance à un système qui ne sera peut-être pas en mesure de les réaliser ou qui les négligera mais ne l’annonce pas ?

S’agissant des prix, on peut d’ores et déjà annoncer sans se tromper que ceux du gaz vont augmenter, non pas seulement à cause de la variation non maîtrisable par nous du prix mondial, mais du fait de la nécessité de rémunérer l’actionnaire. Le prix du gaz ne sera plus calculé de façon juste par une entreprise publique, mais variera et inclura les bénéfices que l’entreprise voudra redistribuer à ses actionnaires. C’est donc le porte-monnaie de la ménagère qui va souffrir de la privatisation de Gaz de France ! Aux divers théorèmes que nous avons énoncés peut donc s’en ajouter un autre : dérégulation = pannes + vie chère !

Je ne veux pas terminer mon propos sans m’arrêter un moment sur la CRE, dont nous avons beaucoup débattu à l’Assemblée nationale, au Sénat puis en commission mixte paritaire hier. Alors que la loi de 2000, votée sous le gouvernement de Lionel Jospin, avait assigné à la CRE un rôle strictement défini – veiller à la régularité et à la loyauté de la concurrence –, vous allez la doter de pouvoirs beaucoup plus étendus. Cet organisme prétendument indépendant va détenir une partie des pouvoirs politiques jusqu’alors réservés à l’État. Au nom de quoi ? Vous ne l’avez jamais expliqué.

Parce que cela se fait ailleurs, en particulier aux États-Unis, la CRE rassemblera des personnalités reconnues pour leur rôle juridique, économique et technique, mais qui seront surtout des défenseurs acharnés du libéralisme ! Voilà ce que sera la Commission de régulation de l’énergie, qui récupérera une partie des prérogatives de l’État, du ministère de l’industrie en particulier : elle fonctionnera désormais seule et ira même jusqu’à donner son avis sur la construction des réseaux. M. Lenoir a dit que la CRE ne ferait pas de politique, mais justement, si !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je n’ai jamais dit cela !

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Nous ne l’avons pas entendu !

M. Christian Bataille. Moi, j’ai bien entendu. Or la fourniture de gaz, le réseau, la production de gaz ne sont pas de simples actes commerciaux mais des fonctions éminemment politiques qui relèvent de l’État.

J’ajoute que l’article consacré à la CRE est un véritable habit d’Arlequin : c’est un texte brouillon, qui empile trois organismes issus de compromis confus, et seulement destiné à arranger la mise de la dérégulation et de la libéralisation.

Pourrons-nous encore sauvegarder notre indépendance nationale et défendre l’approvisionnement en énergie de la France, en particulier en gaz ? Avec Gaz de France, l’État disposait d’un outil qui garantissait les intérêts de la France sur les marchés internationaux. Une entreprise privée ne pourra pas faire valoir de tels arguments face à Gazprom et à une Russie conquérante, dont le chef de l’État a dit vouloir utiliser le gaz comme instrument de domination. Si le moyen est plus pacifique que les armes, il est aussi sans doute plus efficace ! Dans notre situation de dépendance, nous n’aurons plus d’entreprise nationale pour nous défendre, mais une autre qui sera forcément moins respectée. Votre initiative de privatisation intervient donc au plus mauvais moment !

La privatisation de Gaz de France est par conséquent une mauvaise action pour l’intérêt national. Elle entraînera la hausse des prix à la consommation et réduira nos moyens de protection. C’est une décision doctrinale, sans intérêt pour le citoyen et qui ne réjouit que les marchés financiers. Pour toutes ces raisons, je vous invite, mes chers collègues, à adopter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. le ministre délégué à l’industrie. Je voudrais répondre aux préoccupations dont M. Bataille s’est fait l’écho, et d’abord aux inquiétudes suscitées par l’immensité des réserves de Gazprom. Précisément, avec ce texte, nous apportons une réponse.

M. Patrick Roy. Une réponse mauvaise et dangereuse !

M. le ministre délégué à l’industrie. Il est illusoire de croire que la propriété publique de la clientèle française garantirait de meilleures conditions de prix, de quantités ou d’accès aux gisements. Seule la réponse que nous apportons est susceptible d’apporter la sécurité des approvisionnements.

La privatisation de GDF n’est pas exigée par la Commission européenne, dites-vous, monsieur Bataille. En effet, et nous faisons même beaucoup de choses qu’elle ne demande pas ! En cela, le Gouvernement témoigne de sa capacité à déterminer lui-même ce qui est important pour notre pays et à éviter les écueils européens.

M. Christian Bataille. Vous vous en êtes servi comme d’un prétexte !

M. le ministre délégué à l’industrie. Nous transposons l’ensemble de la directive, mais nous le faisons à la française. En quelque sorte, nous naviguons entre ses différents aspects. Nous avons l’obligation de respecter les décisions européennes, mais nous le faisons avec nos méthodes, dans le respect de nos propres spécificités et en veillant à conserver certaines manettes et la responsabilité du choix.

S’agissant de l’élargissement des compétences de la CRE, la question doit être examinée avec précision. C’est dans une directive européenne de 1990 qu’est apparue pour la première fois une commission de régulation. Il s’agissait de créer un collège indépendant, non pas de l’État mais des électriciens et des gaziers, c’est-à-dire de ceux qui ont intérêt à produire et à vendre plus de gaz et d’électricité. La CRE dépend donc de l’État : elle est financée par une ligne budgétaire et ses membres sont nommés par les autorités publiques. Le texte conforte cette nécessaire indépendance par rapport aux intérêts du secteur, notamment en étendant au gaz ce qui existe déjà pour l’électricité.

Le texte tel qu’il ressort de la CMP me paraît au contraire très recevable. Je suis donc absolument défavorable à l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Serge Poignant, pour expliquer son vote.

M. Serge Poignant. Dans sa question préalable, M. Bataille prétend que le service public sera remplacé par le marché. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Mais nous n’avons pas cessé de prouver notre attachement au service public. La différence qui nous sépare, c’est que, pour nous, celui-ci peut parfaitement être assuré par des entreprises qui ne sont pas publiques à 100 %.

M. Patrick Roy. Elles ne le seront même pas à 50 % !

M. Serge Poignant. D’ailleurs, c’est aussi l’avis de certains de vos éminents collègues socialistes candidats potentiels à la présidence de la République !

Dans le monde concurrentiel où nous vivons aujourd’hui, nos entreprises doivent disposer des moyens financiers adaptés. Ce projet de loi a vocation à les y aider. M. Bataille demande s’il fallait légiférer. Oui. Et nous en avons donné les raisons, notamment la pénurie potentielle et les difficultés d’approvisionnement.

M. le ministre s’est exprimé sur la privatisation demandée ou non par la Commission européenne et sur la CRE, je n’y reviens donc pas.

M. Bataille attribue la récente panne électrique à la dérégulation. Sans vouloir préjuger les résultats de l’enquête, quel rapport la coupure d’une ligne pour laisser passer un bateau a t-il avec la dérégulation ? La vraie question, et nous sommes nombreux à la partager sur ces bancs, est : faut-il une politique européenne de l’énergie ? Pour ma part, je réponds oui.

M. Daniel Paul. Bien sûr, mais laquelle ?

M. Serge Poignant. Si vous votez toujours contre l’Europe,…

M. Daniel Paul. Contre la vôtre !

M. Serge Poignant. …quand fera-t-on une politique énergétique européenne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. André Gerin. Quel mépris du peuple !

M. Serge Poignant. Oui, il y a un manque d’investissements et, oui, nous nous en préoccupons ! D’ailleurs, il faudra bien que les autres pays, comme l’Allemagne qui envisage la sortie du nucléaire, réfléchissent aux moyens de doter l’Europe des capacités de production suffisantes.

Les arguments apportés à l’appui de cette question préalable ne m’ont pas convaincu. M. Bataille n’a fait que réaffirmer nos différences : vous êtes contre le libéralisme, nous souhaitons adapter notre économie. Quant à notre prétendue indifférence vis-à-vis des consommateurs, nous la contestons. Tout au long de ce projet de loi, les consommateurs sont présents !

M. Patrick Roy. Ils vont souffrir !

M. Serge Poignant. Voilà pourquoi le groupe UMP votera contre la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Nous avons tous connu le temps où EDF et GDF appliquaient les prix coûtants. Ceux-ci intégraient, d’une part, les coûts d’approvisionnement – pour le gaz, des contrats de long terme passés d’État à État assuraient une sécurité d’approvisionnement et des prix rémunérateurs pour le vendeur et l’acheteur – et, d’autre part, la prise en charge des infrastructures de transport et de distribution, dont nous connaissons les risques qui les menacent actuellement. Les prix coûtants couvraient aussi la maintenance, les investissements et la prévision des investissements. C’est ainsi que, depuis les difficultés du début des années soixante-dix, nous avons su nous doter d’un parc électronucléaire qui a fait de la France l’un des pays les plus autonomes en matière énergétique. Les prix coûtants permettaient enfin de consentir des tarifs sociaux à un certain nombre de nos concitoyens en difficulté. Voilà quelle était la vocation des entreprises nationales, publiques même, qu’étaient EDF et GDF.

Aujourd’hui, vous ajoutez à la constitution des prix un cinquième élément : la rémunération des actionnaires. En plus de l’augmentation des coûts liée à la raréfaction des ressources fossiles, vous allez augmenter les prix pour les usagers du fait des exigences des actionnaires en matière de dividendes. Voilà un premier point.

Deuxième point : vous prenez la décision de privatiser GDF, d’ouvrir le marché de l’électricité à la concurrence totale à partir du 1er juillet, au moment précisément où, à travers le monde, les inquiétudes quant au réchauffement climatique et à l’effet de serre se renforcent. En fait, vous êtes en contradiction totale avec les actions qu’il conviendrait de mener aujourd’hui pour lutter efficacement contre tous les effets dévastateurs de l’évolution climatique, qui met en jeu l’avenir même de l’humanité.

Troisième point, jusqu’à présent – je l’ai rappelé à de nombreuses reprises au cours des débats au mois de septembre –, nous avions réussi, à gauche comme à droite, à préserver les entreprises publiques EDF et GDF des appétits des milieux financiers. Vous les livrez aujourd’hui comme terrain de jeu aux actionnaires, pour qu’ils obtiennent des profits supplémentaires.

Monsieur le ministre, vous avez vanté l’indépendance des spécialistes et la compétence des personnes en place au sein de la Commission de régulation de l’énergie. Ce sont les mêmes – je ne les citerai pas – qui ont poussé un certain nombre d’entreprises publiques, dans lesquelles ils travaillaient, à délaisser, il y a quelques mois, le tarif régulé d’EDF, pour choisir le prix du marché. Je déplore que l’on considère encore ces personnages comme une élite. En effet, toute élite qu’elle soit, elle est inféodée aux règles du marché. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Son objectif est de faire en sorte que l’on cède de plus en plus devant les règles du marché.

Pardonnez-moi, mais je ne crois pas à cette Commission de régulation de l’énergie indépendante dont vous parlez. Elle est soumise, comme vous, aux règles du marché, dont justement nous ne voulons pas aujourd’hui.

M. le président. La parole est à M. Patrick Roy.

M. Patrick Roy. Cette longue histoire, qui nous a occupés durant tout le mois de septembre et que nous reprenons ce matin, démarre par un mensonge, que l’on pourrait qualifier de mensonge d’État. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) En effet, chacun se rappelle la promesse récente, faite la main sur le cœur, par un ministre influent – que l’on dit appelé à d’autres fonctions –, avec tout le talent oratoire qu’on lui connaît, qu’EDF ne serait jamais privatisée.

On constate que les retournements de veste sont très rapides dans ce gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. C’est un expert qui parle !

M. Patrick Roy. Tout démarre par un mensonge et je comprends que cela ne vous fasse pas plaisir qu’on vous le rappelle. En général, d’ailleurs, vous faites la sourde oreille, mais, je le répète, le postulat de départ repose sur un mensonge du Gouvernement.

Vous voudriez nous faire croire aujourd’hui à une nouvelle promesse : la minorité de blocage. J’avoue avoir beaucoup de mal à y croire. Je suis un peu mathématicien et je pensais que, pour bloquer, il valait mieux être majoritaire.

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Quand on connaît le droit, on sait ce que cela veut dire !

M. Patrick Roy. Nous étions majoritaires. Mais vous avez décidé de faire de cette majorité de blocage une minorité de blocage. J’avoue ne rien y comprendre !

M. Jean Proriol. Il est mathématicien mais pas juriste !

M. François Brottes. Pas juriste mais lucide !

M. Patrick Roy. Au-delà, les Français n’y comprennent rien non plus et, surtout, ils ne croient pas davantage à ce deuxième mensonge.

De plus, nous pensons, avec d’autres, que les grands secteurs comme la défense nationale, l’école et l’énergie doivent échapper au marché. C’est sur ce postulat que, en 1946, après la Seconde guerre mondiale, s’est construite la République. À l’époque, tout le monde était unanime pour considérer que quelques secteurs devaient rester aux mains de l’État. Vous décidez aujourd’hui de brader le service public et de le remplacer par le service du profit. C’est en effet de cela qu’il s’agit.

Vous avez fait le choix, avec l’UMP, du profit de quelques-uns (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et de la disparition du service public. Je suis très inquiet de cette régression et du décalage constaté entre ce que pense la majorité de l’Assemblée nationale et les inquiétudes ressenties par l’opinion devant vos décisions.

Trois dangers majeurs pèsent sur l’entreprise GDF privatisée.

Premièrement, M. Bataille a rappelé avec talent – mais vous ne l’avez pas écouté davantage que M. Brottes – que nous nous situions dans un contexte de pénurie d’énergie. En privatisant, on prend le risque « du robinet fermé ». Nous ne sommes pas à l’abri, à l’avenir, de grandes pannes bien plus longues que celle que nous venons de connaître. Voilà bien vos promesses !

Deuxièmement : les prix. M. Poignant nous disait tout à l’heure que l’UMP avait à cœur de défendre le consommateur.

M. Serge Poignant. Autant que vous !

M. Patrick Roy. Nous le savons bien : dès que la privatisation aura eu lieu, les prix s’envoleront. Cela relève de la simple logique économique. Il faut rémunérer les actionnaires. Partout où cela a été fait, les prix ont explosé. C’est ce qui se produira demain, grâce à vous. Les Français s’en souviendront dans un contexte de baisse chronique du pouvoir d’achat. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. C’est faux ! Le Gouvernement fixe les tarifs. Cessez d’asséner des contrevérités !

M. Patrick Roy. Le pouvoir d’achat baissera encore plus. Ce sera une catastrophe pour les ménages français qui connaîtront cette réalité. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Troisième danger : la sécurité. On sait parfaitement que sécurité et entretien des réseaux ne riment pas avec secteur privé. Nous avons vu, partout dans le monde où le privé gère les réseaux, à quels drames cela pouvait aboutir.

Votre texte est brouillon, dangereux, purement idéologique. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nous avons, nous, une volonté de modernité. C’est pour ces raisons que le groupe socialiste votera l’excellente question préalable de M. Christian Bataille, qui, si vous ne l’avez pas bien écouté, est prêt à répéter ses propos pour vous convaincre de la réalité. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

MODIFICATION DE L’ORDRE DU JOUR

M. le président. Je vous informe, mes chers collègues, que la Conférence des Présidents vient de décider que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur le texte de la commission mixte paritaire auront lieu cet après-midi, après les questions au Gouvernement.

ÉNERGIE

Reprise de la discussion du texte de la commission mixte paritaire

M. le président. Nous reprenons la discussion du texte proposé par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au secteur de l’énergie (n° 3424).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. DAVID HABIB, premier orateur inscrit.

M. David Habib. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l’industrie, mes chers collègues, M. Breton a conclu son propos en énumérant les garanties apportées par ce texte. L’utilisation même de ce terme démontrait les difficultés ressenties pour justifier la démarche du Gouvernement. Il se place dans une posture défensive, qui, monsieur Loos, vous a à la fois fait déserter le camp de l’opinion depuis que ce projet est public et déserter progressivement le camp des industriels et des chefs d’entreprise français.

Votre texte – toutes les enquêtes le confirment – inquiète les Français, les salariés de Gaz de France, d’EDF, mais aussi, je l’ai dit, l’ensemble des chefs d’entreprise français. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Il restera comme le principal mauvais coup porté par votre majorité à notre périmètre public bien sûr, mais plus encore à notre économie.

Vous avez, messieurs les ministres, multiplié les précautions oratoires au cours du débat, mais vous n’avez réussi à apporter aucune des garanties réclamées par les Français. Le Sénat, fidèle à son inertie libérale (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), accentue encore la fragilité du dispositif industriel que vous vous apprêtez à adopter.

Nous avons évoqué la CRE. Est-il utile de rappeler que le Sénat a exclu de la Commission de régulation de l’énergie les parlementaires, qui auraient pu porter témoignage de l’intérêt du peuple français à la régulation de l’énergie et faire prendre en compte l’intérêt général dans les décisions prises, en faisant entendre la voix de la majorité et de l’opposition ?

Vous avez du mal à nous rassurer et plus de mal encore à justifier l’opportunité d’une telle fusion. Ce texte est effectivement inopportun à maints égards.

Il est inopportun au regard de la nécessité de maîtriser l’approvisionnement énergétique et au regard des enjeux énergétiques du moment. Tous les observateurs étrangers s’étonnent que nous puissions nous lancer dans un tel abandon de la souveraineté nationale alors que, aujourd’hui, le gaz et le pétrole, et plus largement l’ensemble des approvisionnements énergétiques, sont un sujet de préoccupation majeur pour les pouvoirs publics dans tous les pays.

Il est inopportun également au regard de la question des prix. Nous avons fait de nombreuses fois allusion, au cours de ce débat, aux 200 euros supplémentaires que chaque famille française a été amenée à débourser l’an passé du fait du renchérissement des matières énergétiques.

Il est inopportun au regard des questions de sécurité. L’ensemble des orateurs de gauche ont rappelé que le gaz naturel était un produit vital pour notre économie, mais également dangereux, qui nécessitait des assurances en matière de sécurité.

Il est inopportun au regard de l’impérieuse nécessité d’engager nos entreprises énergétiques dans un effort approfondi en matière de recherche.

Il est inopportun au regard de l’absence de consultation des salariés de Gaz de France.

Il est inopportun également en l’absence de réponses apportées par l’Union européenne. Durant tout ce débat, nous avons demandé à connaître le périmètre défini par l’Union européenne.

Il est inopportun au regard de l’insuffisance de garanties données quant à l’« opéabilité » du nouveau périmètre. Nous n’avons pas été les seuls à nous exprimer de la sorte. Des orateurs venus du camp de l’UMP ont multiplié les interventions pour indiquer que le dispositif de la golden share, de l’action spécifique, n’était pas de nature à rassurer dans la durée celles et ceux qui souhaitaient voir conserver en l’état le périmètre du nouvel ensemble.

Je suis, monsieur le ministre, député de Lacq, dans le Béarn. Dans ma communauté de communes se situe un site de Total. J’ai la charge d’une ville construite par Elf et ses prédécesseurs. Je sais combien une golden share est davantage un argument politique avancé dans cette assemblée plutôt qu’une réponse juridique. Je voulais citer l’exemple – beaucoup de députés UMP s’en félicitaient – de François Bayrou, qui y croyait à l’époque. Il était ministre et chaque week-end, quand il rentrait, il disait : « J’ai des assurances, n’ayez aucune crainte, Elf ne sera jamais menacée, M. Balladur me l’a dit. »

M. Jean Dionis du Séjour. C’était Bayrou jeune ! Il a beaucoup progressé depuis.

M. Serge Poignant. Pas sûr !

M. David Habib. Il nous disait, rassurant, avec l’accent béarnais et toute la naïveté qu’on lui connaît : « J’ai obtenu la golden share ! »

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

François Bayrou a même convaincu Jean Dionis du Séjour, qui n’est pourtant pas le moins libéral de son groupe,…

M. Jean Dionis du Séjour. C’est vrai !

M. David Habib. …de l’inefficacité de ce type de dispositif. Aujourd’hui, Jean Dionis du Séjour nous rejoint lorsque nous dénonçons la fragilité de l’action spécifique. Nous sommes nombreux, à droite comme à gauche, à penser que les assurances que vous nous donnez sur la golden share ne tiennent pas.

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Bien sûr que si !

M. David Habib. Nous serons nombreux à regretter d’avoir ainsi fragilisé un outil industriel qui concourt à l’indépendance de notre pays, mais peut-être davantage encore à la vitalité de notre économie. Nous l’avons fait, de surcroît, sans protection juridique en nous réfugiant derrière cette action spécifique dont nous savons tous à quel point elle est précaire.

Ce texte, monsieur le ministre, est également inopportun eu égard aux conditions financières de l’opération. La presse et les experts évoquent abondamment les exigences de l’actionnariat de Suez et les difficultés que vous connaîtrez, ce vote passé, pour contenir ses demandes. Vous ne vous êtes pas exprimé à ce sujet, considérant que la fusion serait la séquence d’après. Quant à nous, nous observerons avec attention ce qui adviendra. Mais, disons-le d’emblée, nous n’accepterons pas que le bien public soit spolié au bénéfice de quelques actionnaires, aujourd’hui propriétaires de Suez.

Le débat qui s’achève aujourd’hui a montré que le Gouvernement et sa majorité avaient basculé. L’UMP a abandonné son double héritage, gaulliste et démocrate-chrétien, pour courir derrière les plus libéraux. Vous détruisez une architecture industrielle et énergétique conçue à la Libération et que tous les gouvernements, de gauche comme de droite, avaient pérennisée.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Et Charbonnages de France ?

M. David Habib. Pourtant, vous aviez affirmé que jamais l’État n’engagerait, au cours de cette législature, la privatisation d’EDF et de Gaz de France. Patrick Roy a rappelé que l’engagement de Nicolas Sarkozy était aussi celui du Président de la République et du Premier ministre. La majorité, dans son ensemble, a basculé dans cette dérive libérale et notre débat nous permet de le révéler à l’opinion publique.

Ce débat a également montré qu’ENEL n’était qu’un leurre et que la protection des consommateurs, individuels ou industriels, n’est pas votre priorité.

Enfin, ce texte laisse bien des questions sans réponse : la fragilité, que j’ai soulignée, de la golden share ; l’avenir des concessions de distribution de gaz naturel, dont François Brottes a abondamment parlé ; l’« opéabilité » du nouveau périmètre, évoqué par Christian Bataille ; l’imputabilité, même partielle, à Gaz de France, du coût de démantèlement des centrales nucléaires belges. La question essentielle de l’emploi est elle aussi restée sans réponse, comme celle des stock-options, importante en termes de morale.

Vous allez priver l’État d’un instrument capital, alors que l’Union européenne a enfin considéré qu’une politique énergétique ne pouvait se définir exclusivement par des mesures de libéralisation des marchés et justifiait qu’un certain nombre d’instruments restent dans le domaine de la sphère publique. Devant la Commission qui va se saisir du futur paquet énergétique, vous allez vous présenter les mains liées derrière le dos, sans arguments, sans outils, sans capacité réelle d’intervention dans ce dossier.

Le Monde d’hier, tirant les enseignements de la panne survenue ce week-end, rappelait que la première exigence européenne était la construction d’une politique énergétique, non pas, monsieur Poignant, fondée sur la démission libérale, mais reposant sur un engagement volontariste, qui privilégierait l’intérêt général plutôt que les intérêts particuliers et favoriserait le moyen et le long terme plutôt que la rentabilité immédiate. Nous aurons le devoir, demain, lorsque les réalités politiques seront différentes, de reprendre ce texte afin que la politique énergétique demeure un outil de la nation au service des intérêts du pays.

Permettez-moi de vous rappeler, messieurs les ministres, qu’il n’y a presque plus de gaz à Lacq. En 1951, les réserves s’élevaient à 200 milliards de mètres cubes, que l’on doit à nos chercheurs, femmes et hommes d’une compétence remarquable, qui ont su en outre résoudre une des questions les plus difficiles en matière d’extraction gazière : celle de la désulfurisation. Aujourd’hui, il reste 15 milliards de mètres cubes.

Cette situation impose une mutation que les collectivités locales s’efforcent d’opérer en ayant le sentiment que l’État n’est pas au rendez-vous, voire qu’il joue à contre. Nous l’avons vu au printemps dernier, à propos d’une misérable affaire qui a opposé deux territoires béarnais. Je souhaite que nous puissions, dans un souci d’unité nationale et animés par le désir d’aller vers l’essentiel, mobiliser davantage la puissance publique – qui a tant bénéficié de l’extraction gazière – afin que la réussite de cette mutation engagée sans elle soit complète. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, messieurs les ministres, c’est bizarre, une CMP ! Débarquant de mon Sud-Ouest profond et déchargé de toute responsabilité, puisque ni l’UDF ni le parti communiste ne peuvent voter en commission mixte paritaire… 

M. Daniel Paul. En effet !

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. C’est que vous êtes suppléants !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous sommes suppléants parce que nous appartenons à l’UDF et que nous ne sommes pas assez nombreux !

Après la tension des débats en séance publique, la CMP est beaucoup plus calme. Cela ressemble un peu aux dernières négociations sur les options ou la carte grise après l’achat d’une voiture. Bref, une CMP, c’est un peu un OVNI, un objet démocratique non identifié !

Naïvement, je pensais que la CMP se saisissait de toutes les divergences entre l’Assemblée et le Sénat. En fait, elle aplanit les derniers écarts entre le cabinet du ministre et les deux rapporteurs. Ainsi, l’Assemblée avait adopté un amendement offrant à tout consommateur qui en faisait la demande une facturation fondée sur sa consommation réelle. Le Sénat – et c’était son droit – est revenu sur cet amendement. Je pensais donc que nous pourrions nous prononcer à ce sujet ; les associations de consommateurs l’avaient du reste souhaité. Eh bien non ! Rapporteurs et services du ministère en ont décidé autrement.

M. Patrick Ollier, mixte paritaire Il y a eu vote !

M. Jean Dionis du Séjour. Non ! J’étais là !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Contre-vérité !

M. Jean Dionis du Séjour. Bref, ce fut une erreur et le jour viendra où le Parlement se réveillera et secouera la tutelle sous laquelle la VRépublique l’a placé ! Ce jour-là, il faudra sérieusement s’occuper des CMP et en faire un véritable outil démocratique.

En attendant ce jour béni, monsieur Ollier, je vous propose plus modestement que la commission des affaires économiques puisse se réunir après les travaux du Sénat sur les textes particulièrement importants. En l’occurrence, sur ce texte, nous avons été obligés d’examiner des amendements très lourds de conséquences lundi matin à neuf heures trente sans avoir le recul nécessaire pour nous prononcer en connaissance de cause.

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Il faut faire confiance aux rapporteurs !

M. Jean Dionis du Séjour. Certes, mais il aurait été utile que la commission se réunisse auparavant : cela aurait contribué à éclairer sa réflexion.

Vous avez su, monsieur le président, et je vous rends hommage à cet égard, faire vivre votre commission et en faire un lieu de démocratie. Mais, il y a encore du chemin à faire.

Cela dit, la CMP a traité de deux problèmes importants : le rôle du régulateur et le tarif de retour.

L’UDF considère que la concurrence ne peut fonctionner correctement sans un régulateur fort. Or la France, vieux pays jacobin, n’aime pas les régulateurs. Jacobins de droite comme de gauche s’en sont donné à cœur joie dans le débat. Et on rajoute les parlementaires, et on rajoute les consommateurs, et on charge la CRE des problèmes de médiation. Ce fut un festival anti-européen !

Le Sénat que l’on vilipende souvent, vieux bastion girondin, a remis à peu près les choses en place. S’en est suivie une négociation difficile qui accouche aujourd’hui d’une usine à gaz, même si, monsieur le ministre, le pire fut évité. Il n’y a plus de parlementaires, lesquels essaieront de faire leur travail avant de faire celui de la CRE. Ensuite, exit la médiation avec les consommateurs, qui n’avait rien à voir avec la régulation des activités de transport et de distribution. L’UDF salue ces deux corrections, mais l’usine à gaz demeure : une CRE pour surveiller les marchés doublée d’un comité de règlement des différends doté d’un pouvoir de sanction : quel facteur d’affaiblissement ! Bonjour les litiges entre la CRE et le comité !

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Le comité fait partie de la CRE !

M. Jean Dionis du Séjour. Si j’ai bien compris, monsieur le président, il y a, d’un côté, la CRE pour surveiller les marchés et, de l’autre, le comité de règlement des différends pour sanctionner. C’est pour le moins complexe, voire pervers.

M. Daniel Paul. Aucun problème : ils sont tous deux pour le marché !

M. Jean Dionis du Séjour. La CRE est soupçonnée d’être anti-tarif, peut-être d’ailleurs à raison.

M. François Brottes. Enfin un moment de lucidité !

M. Jean Dionis du Séjour. L’État, plutôt que de signifier clairement à la CRE qu’elle n’a rien à dire sur les tarifs et n’a à s’occuper que du transport et de la distribution, va lui mettre deux consommateurs dans les pattes ! L’UDF a le plus grand respect pour le mouvement des consommateurs et entend soutenir son essor. C’est la raison pour laquelle nous entendons dénoncer une telle confusion.

La justification d’une commission de régulation nationale réside d’abord, reconnaissons-le, dans la consanguinité entre l’opérateur historique et l’État. Mais la légitimité de la CRE est d’abord européenne avant d’être nationale. Elle constitue un révélateur de nos convictions européennes et, en la matière, mes chers collègues communistes, vous avez encore du chemin à faire.

M. Daniel Paul. C’est vous qui vous fourvoyez !

M. Jean Dionis du Séjour. Arrêtons de prendre la CRE pour bouc émissaire. Un jour, c’est vrai, nous devrons dépasser le stade des régulateurs nationaux pour aller vers un régulateur européen, comme le soulignait François Brottes, ou encore pour rendre son pouvoir de régulation à l’État. Mais, pour l’heure, nous disposons d’une instance nationale : respectons-la.

Le deuxième problème est le tarif de retour. C’est peu dire d’avouer que j’ai mal vécu la CMP sur ce point. Le débat est honorable : il porte sur la rente nucléaire et son appropriation. Nous étions tous d’accord, quelles que soient nos sensibilités politiques, pour dire qu’il fallait qu’EDF fasse de lourds investissements dans le renouvellement de ses capacités de production et de son réseau de transport et pour reconnaître en même temps qu’une solution devait être apportée aux entreprises qui subissent des hausses de tarif de plus de 60 %.

Quels n’ont pas été mon malaise et ma déception en entendant une personnalité aussi respectée et respectable que Pierre Méhaignerie déclarer : « Je ne crois plus aux chiffres de Bercy, je ne crois plus aux chiffres d’EDF. » Nous ne disposions pas de données transparentes et je dénonce la confusion entretenue sur les chiffres clés qui nous auraient permis de parvenir à un bon compromis. Quid du prix de revient du mégawattheure nucléaire ? Quelqu’un peut-il me le dire ici ? 20, 30 ou 40 euros ?

La CMP s’est arrêtée à un compromis, ce qui n’est jamais facile. Je me mets à la place des membres du cabinet du ministre et des rapporteurs qui ont eu à l’établir. La solution retenue est de plus 25 % par rapport aux tarifs intégrés. La commission des finances, quant à elle, avait proposé plus 20 %, en mettant 300 millions à la charge de l’entreprise, ce qui nous paraissait raisonnable, et nous trouvons dommage que cette solution n’ait pas été retenue.

Pour le reste, monsieur le ministre, l’essentiel est l’article 10, dont nous n’avons pas parlé lors de la CMP.

M. François Brottes. Mais si, nous avons déposé un amendement !

M. Jean Dionis du Séjour. Vous savez l’opposition de notre groupe à cet article ; nous en exposerons à nouveau les motifs lors des explications de vote. C’est la principale raison pour laquelle nous maintiendrons notre vote contre ce texte.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, quelques semaines après que nous eûmes mis en évidence les dangers de la déréglementation du secteur énergétique, la panne d'électricité de samedi soir retentit comme une alerte face à la fuite en avant que constitue votre texte relatif à la généralisation de la concurrence et à la privatisation de GDF.

Cette coupure d'électricité a touché 10 millions d'usagers – aux dires des techniciens, elle aurait pu se transformer en black-out total – et elle s'inscrit dans la lignée des incidents qui ont marqué le paysage électrique européen ces dernières années, en Italie, en Grande-Bretagne, dans le sillon de la libéralisation, c'est-à-dire de la déréglementation du secteur.

M. Hervé Novelli. Fantasme ! Paranoïa !

M. Daniel Paul. Réalité, monsieur Novelli.

Voilà une preuve de plus que la décision politique de soustraire le secteur énergétique à la puissance et au contrôle publics n'est pas à même de répondre aux enjeux actuels.

Vous prétendrez qu'il n'y a pas de lien de cause à effet entre la déréglementation et la panne de samedi, pudiquement dénommée « incident ». Mais comment croire en une fatalité imprévisible ? La presse allemande parle de défaillance du réseau de lignes à haute tension et la Fédération allemande des consommateurs d'énergie a dénoncé « l'état déplorable du réseau ». Des responsables politiques allemands ont exhorté les groupes énergétiques à investir davantage dans ce réseau. Le manque d'investissements et la gestion trop parcimonieuse des dépenses de l'entreprise pourraient donc être en cause.

Quelles que soient les explications techniques, cette panne s'inscrit dans un contexte marqué par des évolutions profondes du secteur énergétique, qui touchent également notre pays. EDF a longtemps assuré une surcapacité de production en matière d’électricité afin de faire face aux imprévus climatiques et de garantir l’approvisionnement continu de l'ensemble du territoire. Aujourd’hui, elle préfère une gestion à flux tendu, à l’instar de l’industrie automobile, des capacités de production, renonçant ainsi à la logique de prévoyance, pourtant constitutive du service public : rappelons que la continuité d'approvisionnement a été élevée au rang d'élément inhérent au service public par le Conseil d’État.

L'objectif est à présent la recherche d'une baisse constante des coûts de production. Dans le système concurrentiel que vous imposez à marche forcée, la production de surcapacités électriques serait d'ailleurs désormais une hérésie contraire aux lois du marché, car lourde en investissements et source de baisse des prix : l'horreur économique en quelque sorte ! Les pointes de consommation deviennent dès lors ingérables dans ce système de production à flux tendu. Des ruptures d'approvisionnement sont d'ailleurs aussi prévisibles dans certaines régions françaises.

La question que posent l'incident de samedi soir et les évolutions plus globales du secteur se résume donc de façon simple : le marché est-il apte à organiser un secteur économique aussi vital et complexe que celui de l'énergie ? La course à la rentabilité est-elle à même de répondre aux défis du secteur énergétique que sont la gestion à long terme des capacités de production, la recherche permanente du plus haut degré de sécurité sur les réseaux et les investissements en recherche et en maintenance ? Nous disposons depuis samedi d'un nouvel exemple illustrant parfaitement les dangers et les incohérences de la politique actuelle.

Nous renouvelons notre demande de soumettre de toute urgence à un examen critique sérieux les mécanismes qui se mettent en place dans le cadre concurrentiel et privatisé organisé par les institutions communautaires et les autorités des États membres. Comment pouvez-vous maintenir votre refus de dresser un bilan du processus en cours depuis le début des années 2000 ? Il risquerait certes de ne pas être très flatteur mais il éclairerait nos concitoyens : nous demandons qu’un tel bilan soit établi avant l'ouverture à la concurrence au 1er juillet 2007.

Les hausses vertigineuses des prix constatées sur le marché de l'électricité et du gaz pour les entreprises ont entraîné de grandes difficultés pour celles qui ont fait l’erreur de croire que le marché était synonyme de baisse des prix. La multiplication des dysfonctionnements depuis que les opérateurs entrent dans la course aux parts de marché sont autant d'indices montrant que la recherche constante de la hausse des profits, la course à la baisse des coûts de production, la recherche de la rentabilité à court terme ne répondent pas à une logique susceptible d’assurer un approvisionnement énergétique continu, à bas coût et sécurisé sur le long terme.

Mais l'événement de samedi soir n'aura pas été négatif pour tout le monde : les vendeurs d'électricité sur le marché spot s’en seront donné à cœur joie, aux dires de ceux qui travaillent dans les centrales nucléaires et thermiques. J’attends pour ma part avec beaucoup d’intérêt les analyses que l’on ne manquera pas de consacrer aux profits engrangés par les opérateurs, pour juger des conséquences de cette crise : certains auront payé, d’autres auront encaissé.

M. Hervé Novelli. Comme partout !

M. Daniel Paul. Votre projet de loi, qui sacralise la poursuite de l'ouverture des marchés en l'étendant à l'ensemble des particuliers à partir du 1er juillet prochain, promet un bel avenir aux marchands d'énergie lors de tels pics de consommation et autres défaillances du système de production qui ne manqueront pas de se reproduire ! Et face à la volatilité des prix, aux pressions commerciales, les tarifications spéciales de gaz et d'électricité inscrites dans votre texte ne changeront rien au fond de l'affaire : quelle gestion souhaitons-nous pour ce bien commun de l'humanité qu'est l'énergie ?

Les leçons à tirer de cette crise permettent de répondre en partie à cette question. Si une politique européenne est bien à l'ordre de jour, elle ne peut s'organiser sur la casse des opérateurs publics au profit exclusif des actionnaires privés, au prétexte fallacieux de constituer des géants, comme vous le prétendez. C’est sur une coopération entre les différentes entreprises et sur une maîtrise publique axée sur la satisfaction des besoins des usagers et non sur la recherche de profits financiers qu’elle doit se bâtir.

J'ai bien dit « fallacieux », tant la fusion de GDF avec Suez apparaît comme un projet de casse d'un opérateur public performant et un projet financier au profit des seuls actionnaires de Suez. Ainsi, comment admettre, au moment où des investissements colossaux sont nécessaires et alors que GDF dispose de réserves budgétaires permettant d’y faire face, que le souci des actionnaires de Suez soit de s'approprier le plus possible de cette cagnotte ? Allez-vous laisser faire, monsieur le ministre ? Nous demandons que le dernier mot sur le devenir de cette entreprise encore publique reste au Parlement, non aux actionnaires de Suez !

Une agence européenne de coopération énergétique permettrait par ailleurs de mutualiser les résultats de recherche, les bonnes pratiques écologiques, les interrogations sur les anticipations des besoins de production, tout en favorisant le développement des coopérations frontalières et des interconnexions.

Mais la création d'autoroutes de l'énergie ne suffira pas à garantir une sécurité d'approvisionnement que seuls le principe d'autosuffisance de chaque pays et les interconnexions sont à même d'assurer. Dans le secteur gazier, ce sont des contrats de long terme, fondés sur les relations entre États, et non des tractations entre actionnaires, qui permettront de répondre à ce défi.

En livrant le secteur au marché, en privatisant GDF et en menaçant EDF de subir le même sort, ce qui se profile, c’est la volonté d’organiser la raréfaction des ressources énergétiques pour mieux alimenter la rentabilité, au profit des actionnaires. L'exemple californien fournit une triste illustration de ce scénario. En Europe, déjà, les évolutions font de plus en plus de place au marché spot, qui vient compléter de façon bancale et hasardeuse les capacités de production.

Seule une maîtrise publique de l'énergie permet de réguler le secteur, en anticipant sur le long terme les besoins de consommation et les capacités de production ou d'achat de matières premières. Nous plaidons pour un contrôle public mêlant l'État, les opérateurs concernés, des représentants d'élus, de syndicats, de consommateurs. Nous plaidons pour un contrôle des investissements consacrés à de nouvelles capacités de production afin de mieux surveiller et entretenir les réseaux actuels. C'est ce processus démocratique qui est seul susceptible d'imposer une gestion différente de celle à flux tendu qui caractérise le marché actuel.

En poursuivant l'ouverture à la concurrence du secteur énergétique, vous persistez dans votre volonté d'en faire un secteur purement commercial, où traders et boursicoteurs des marchés spot se réjouiront des pics de consommation et des flambées intempestives de prix, qu’au besoin ils organiseront.

En l’absence de tout bilan, vous enfoncez notre pays dans une logique dangereuse : vous le livrez toujours plus aux intérêts privés, les commerçants, les artisans, les petites entreprises et les particuliers constituant les nouvelles proies des marchands d'énergie, avec l’ouverture à la concurrence en juillet prochain. Soumis aux dogmes libéraux, vous balayez d'un revers de main la fusion de GDF et d'EDF et vous refusez d'imaginer les coopérations possibles. Vous fragilisez toujours plus des millions de personnes aux bas revenus, pour lesquelles l'énergie risque de devenir progressivement un bien de luxe.

Au moment où l'évolution du climat est une préoccupation internationale, vous sortez l'énergie de la maîtrise publique au profit des intérêts financiers : ce n'est pas la voie de l'intérêt général.

Nous tenions à réaffirmer ces évidences, même si les débats du mois de septembre nous avaient déjà permis des mises en garde que vous ne jugez toujours pas utile de prendre en compte. Soyez assurés que pour nous, comme je l’ai dit tout à l’heure, ce n’est pas la fin de l’histoire qui s’écrit actuellement : nous ferons tout pour qu’une action progressiste courageuse bâtisse – ou rebâtisse – une politique française et européenne adaptée aux enjeux de notre temps.

M. le président. La parole est à M. Serge Poignant.

M. Serge Poignant. Messieurs les ministres, chers collègues, après un long débat commencé le 7 septembre, nous nous prononcions le 3 octobre dernier sur le projet de loi qui nous revient aujourd'hui après l’examen au Sénat et l’accord majoritaire trouvé en commission mixte paritaire.

Comme l'Assemblée nationale, le Sénat a estimé, face à l'ouverture complète des marchés européens de l'énergie à partir du 1er juillet 2007 et au constat de l'augmentation des prix, qu'il ne serait guère responsable de ne pas légiférer. La majorité des sénateurs, dans leur sagesse, ont partagé notre souhait que les nouveaux consommateurs professionnels comme les nouveaux consommateurs domestiques puissent demeurer au tarif réglementé s'ils le demandent.

Chacune et chacun se souvient que le groupe de l’UMP avait largement défendu, pour ne pas dire exigé, l'instauration du tarif de retour pour l’électricité, appuyé en cela par les présidents de la commission des affaires économiques et de la commission des finances, Patrick Ollier et Pierre Méhaignerie, ainsi que leurs rapporteurs, Jean Claude Lenoir et Hervé Novelli. Il s'agissait de faire en sorte que les PME et PMI ayant opté pour la sortie des tarifs et subi une large augmentation de leurs coûts énergétiques puissent revenir à un tarif que nous avons avec vous, messieurs les ministres, défini comme un « tarif transitoire d'ajustement », compatible avec les règles européennes. Nous ne pouvons que nous féliciter que l'amendement, accepté par vous et voté dans cet hémicycle, ait été repris et amélioré par le Sénat dans un sens favorable aux PME et PMI. Je veux rappeler les termes de la rédaction adoptée par l’Assemblée : « Le tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché, qui ne peut être inférieur au tarif réglementé de vente hors taxes applicable à un site de consommation présentant les mêmes caractéristiques, est établi par arrêté du ministre chargé de l'énergie. Ce tarif ne peut être supérieur de plus de 30 % au tarif réglementé de vente hors taxes applicable à un site de consommation présentant les mêmes caractéristiques. »

Le Sénat a descendu le plafond à 25 %, ce que vous avez accepté. Je me dois néanmoins de préciser que certains de nos collègues de l’UMP, selon un dessein parfaitement louable, auraient souhaité un plafond plus bas pour protéger davantage le développement desdites PME. La commission mixte paritaire a tranché, estimant que le plafond de 25 % était un bon point d'équilibre entre le souci de bonne santé des PME et les besoins financiers de l’opérateur pour investir, avis que je partage personnellement.

Pour ce qui est de la composition de la CRE, nos deux rapporteurs et nos deux présidents des commissions des affaires économiques de l'Assemblée et du Sénat se sont entendus sur un compromis, car les positions divergeaient. Je ne reprendrai pas l’ensemble des dispositions de ce compromis, qui ont déjà été détaillées par Jean-Claude Lenoir, sinon pour dire que, si les parlementaires ne siégeront pas à la commission de régulation de l’énergie – comme nous l’avions souhaité à l’Assemblée –, son président viendra recueillir l’avis de nos commissions parlementaires : cela me semble répondre à l'objectif de contrôle par le Parlement que nous nous étions fixé.

Le texte issu de la CMP, nonobstant par ailleurs certaines réécritures, souvent de précision, voire quelques articles additionnels, m'apparaît donc suivre et favorablement compléter le texte que nous avons voté le 3 octobre dernier, qu’il s’agisse du tarif social de vente du gaz ou du statut des IEG, de la protection du consommateur, des DNN ou d’autres aspects. L'article 10, en particulier, n'a guère été modifié, si ce n'est pour préciser que « l'action spécifique du capital de GDF a pour objet de préserver les intérêts essentiels de la France », ce sur quoi nous ne pouvons qu’être pleinement d’accord.

Nous arrivons donc au bout du processus parlementaire qui va permettre à GDF, dans le contexte de concentrations sans précédent que nous connaissons aujourd'hui, de nouer efficacement des alliances et de ne pas rester dans l'immobilisme. Je rappelle à nos collègues de l'opposition que, pour nous, le service public ne passe pas nécessairement par une entreprise publique, bien que nous ayons toujours affirmé la spécificité de l'électricité, qui tient notamment à notre large production d'énergie par le nucléaire.

Rappelons enfin l’instauration d’une minorité de blocage avec plus du tiers du capital détenu par l'État, et d’une action spécifique dite golden share, garanties auxquelles nous étions et demeurons très attachés, et en l’efficacité desquelles nous croyons.

Je ne reviens pas sur toutes les solutions alternatives qui ont pu être étudiées depuis le mois de juin et n’ont pas été retenues. Pour ma part, je pense que le projet de fusion entre GDF et Suez est un bon projet industriel. Je sais qu’il avance et que vous vous êtes engagé, monsieur le ministre de l’économie et des finances, à revenir devant le Parlement en temps utile – et peut-être rapidement –, comme l’a rappelé le président Ollier.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Tout à fait !

M. Serge Poignant. Messieurs les ministres, les députés de l’UMP, dans leur grande majorité, et au-delà des quelques voix divergentes qui se sont librement exprimées tout au long du débat, voteront le texte issu de la commission mixte paritaire.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. Serge Poignant. Ils le voteront en considérant qu’il tient compte de l’intérêt des consommateurs particuliers et professionnels dans la transposition des directives européennes. Ils le voteront enfin, comme ils l’avaient fait le 3 octobre dernier, en considérant qu’il permet de préparer l’avenir de Gaz de France tout en garantissant des leviers d’action efficaces pour l’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Yves Simon.

M. Yves Simon. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, la commission mixte paritaire s’est réunie hier au Sénat. Il faut saluer le travail remarquable et consensuel des présidents et des rapporteurs des commissions de nos deux assemblées : ils ont proposé un texte qui marque des avancées tout en prenant en compte les réalités économiques.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Merci, monsieur Simon.

M. Yves Simon. Sans relancer le débat des mois de septembre et d’octobre, pour lequel nos concitoyens ne se sont pas passionnés et dont ils ne retiendront certainement que l'image des piles d'amendements, je veux souligner plus sérieusement que notre pays s'est toujours préoccupé de ses approvisionnements énergétiques. Si l’année 1946 avait exigé une nécessaire organisation, les gouvernants des années 60 et 70 ont eu le mérite de mettre en œuvre une politique volontaire dans le domaine du nucléaire. De nos jours, la France est totalement bénéficiaire de cette politique.

En revanche, les années de la fin du XXe siècle ont été marquées par l'absence d'une grande politique énergétique française, d’où les retards aujourd’hui constatés. Il serait intéressant de connaître les programmes de certains candidats aux plus hautes fonctions de l'État en 2007. Durant nos débats, les représentants de la gauche ont sans cesse vanté les bienfaits du nucléaire. Les journalistes qui interrogent les trois candidats de gauche ont-ils l'autorisation de les interviewer à ce sujet ?

Samedi soir, suite aux intempéries dans le Nord de l'Allemagne, l'Europe a été victime d'une panne d'électricité. Certains pointent du doigt les interconnexions des réseaux européens et leurs éventuelles faiblesses. Sans être un spécialiste, je suis très favorablement surpris par la rapide gestion de cet incident : bravo aux agents et à l’organisation d’EDF ! Nul doute que cette panne contribuera à renforcer le réseau européen. Il semble toutefois évident que les capacités de production énergétique européennes sont à la limite de l'insuffisance : si la majorité gouvernementale actuelle a choisi de développer ITER, nos amis allemands font les frais de l'influence du lobby vert.

Pour en revenir au gaz, il est illusoire de penser que la défense des consommateurs et de nos entreprises puisse se faire dans le cadre national. Gazprom, à défaut d'interlocuteurs de poids économique international, pourrait décider de l'approvisionnement de tel ou tel pays : nous en avons déjà des exemples dans certaines anciennes Républiques soviétiques devenues indépendantes.

Le texte proposé est équilibré, sachant qu’il est difficile de bouger certains curseurs. Tout en plaçant au cœur de nos débats un certain nombre de garanties pour le consommateur privé, public ou industriel, il faut en mesurer l'impact pour nos opérateurs. Certes, une saine concurrence entre les opérateurs est nécessaire, mais le gaz, ne l’oublions pas, s'achète et se vend. Les meilleures garanties pour le consommateur résident donc dans les capacités et la pertinence des investissements des opérateurs.

Enfin, je terminerai mon propos en saluant le courage de notre majorité et du Gouvernement. Les engagements concernant l'ouverture du marché ont été pris sous M. Jospin en 2002, et l’échéance de juillet 2007 se situe quelques jours après les élections nationales. Fallait-il ne rien faire et ne laisser qu’une dizaine de jours aux élus de juin 2007 pour légiférer ? En permettant un large débat de plusieurs mois, messieurs les ministres, le Gouvernement a fait vivre notre démocratie participative : je vous en remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. J’ai lu votre déclaration avec attention, monsieur le ministre de l’économie et des finances, et je vous en remercie. Je voudrais rappeler la position de la commission des finances, dont s’est aussi fait l’écho Hervé Novelli. Celle-ci, lors de l’audition de M. Gadonneix il y a quelques semaines, avait exprimé à l’unanimité son inquiétude et sa désapprobation quant aux prix imposés par EDF aux entreprises ayant quitté le tarif régulé, ces prix dépassant parfois ceux proposés par EON, ce qui entraîne de lourdes conséquences, à commencer par l’érosion des marges des PMI concernées. Que reste-t-il de l’avantage compétitif – et de ses répercussions pour les foyers et les entreprises – que l’effort de la collectivité tout entière en faveur du nucléaire a permis ?

La commission des finances, à l’unanimité, a défini un juste équilibre.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est vrai !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Celui-ci doit être à la fois suffisant pour permettre à EDF de réaliser les investissements nécessaires, dont on sait l’ampleur, et raisonnable pour les PME-PMI, afin de ne pas nuire à leur compétitivité. La commission avait alors proposé que les prix du marché ne puissent pas être supérieurs de 20 % aux tarifs régulés, transport inclus, ou de 25 %, transport non inclus, dans la mesure où celui-ci reste sur le marché régulé. Le prix du mégawattheure aurait ainsi pu être ramené de 64 à 61 euros, alors que notre proposition initiale avait été de 57 euros. Hier, en commission mixte paritaire, Hervé Novelli et moi-même avons exprimé notre déception que cet équilibre n’ait pu être trouvé.

Suite à votre intervention de tout à l’heure, monsieur le ministre de l’économie et des finances, je voudrais aussi attirer l’attention sur deux points. J’ai bien noté que pour vous, le plafond de 25 % est impossible à abaisser, mais qu’il s’agit d’un plafond. Compte tenu de la situation très difficile de certains secteurs industriels, notamment celui des équipementiers automobiles qui devant un chiffre d’affaires en diminution de 15 % et des prix de vente baissant de 3 à 5 % par an,…

M. Lucien Guichon. C’est vrai !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. …sont très fortement tentés de délocaliser leur production, je propose que la commission des finances auditionne en janvier prochain François Loos en même temps que M. Gadonneix, afin de mesurer les conséquences concrètes du choix qui a été fait. Cela ne concerne d’ailleurs pas seulement les PMI mais aussi toutes les industries électro-intensives, dont hier encore M. Favre, président de l’Agence française pour les investissements internationaux, soulignait les risques de délocalisation, compte tenu de la part importante de l’électricité dans leurs coûts de production. Je regrette donc que l’on n’ait pas trouvé une solution plus compatible avec les exigences à la fois des PMI, de notre tissu industriel et d’EDF. Mais j’ai aussi pris bonne note, messieurs les ministres, de votre observation.

Considérant que l’application du tarif de retour ne doit pas intervenir dans six mois, nous avons déposé un amendement pour que la décision soit prise avant la fin du mois de janvier. Et compte tenu également de la nécessité de faire le bilan, la commission des finances, je le répète, convoquera M. Gadonneix avec François Loos pour examiner les conditions d’application de ce dispositif. Car la rente nucléaire française doit profiter à nos entreprises et leur permettre d’assurer leur compétitivité dans une période difficile. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

J’ajoute qu’il faut faire attention à ne pas trop complexifier l’organisation de la CRE, où il est essentiel de préserver l’unité de responsabilité. À ce sujet aussi, nous donnons rendez-vous au ministre dans le courant du mois de janvier. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission mixte paritaire.

M. Patrick Ollier, vice-président de la commission mixte paritaire. Les deux commissions des affaires économiques et des finances sont en plein accord mais, comme le président Méhaignerie y a fait allusion, je tiens à confirmer la manière dont les travaux se sont déroulés en CMP. Nous avons eu, avec Jean-Claude Lenoir, le souci de protéger au mieux les entreprises qui étaient touchées par ces augmentations de tarif inacceptables – Serge Poignant, notre porte-parole, l’a dit à maintes reprises.

Nous avons le sentiment d’avoir été entendus par le ministre et avons pu parvenir à un accord sur la majoration. À moins d’une incompréhension entre nous, elle concerne le tarif intégré, transport et production inclus.

Nous avons de bonne foi engagé le débat sur l’amendement n° 88.410, déposé par la commission des finances, estimant, après consultation de responsables d’entreprise, qu’une majoration de 30 % par rapport au tarif intégré permettait de compenser les surcoûts de 60 % à 80 % que certains subissaient. Nous pensions à l’origine – ce fut à l’époque l’objet d’un débat entre les deux rapporteurs, Jean-Claude Lenoir et Hervé Novelli – que ces 30 % constituaient un bon plafond. Mais le ministre a accepté d’aller dans le sens de la commission des finances, et le Sénat puis la commission mixte paritaire ont donc décidé de fixer ce plafond à 25 %, étant entendu que le ministre a le pouvoir, s’il le souhaite, de fixer les tarifs à un niveau inférieur pour les entreprises concernées.

C’est l’appel que nous lui avons lancé en définissant un cadre tarifaire équilibré, qui doit préserver les entreprises menacées tout en garantissant les comptes et la marge de manœuvre d’EDF. L’entreprise publique doit en effet pouvoir reconstituer sa capacité d’investissement, surtout avec le lancement du programme EPR, à Flamanville en particulier, dont le coût est estimé à 3 milliards d’euros par unité.

L’accord passé en CMP est donc un bon accord, et je m’en réjouis. Nous souscrivons à votre appel, monsieur Méhaignerie, mais il revient au ministre d’indiquer dans quelles conditions il souhaite maintenant que ces tarifs soient fixés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je voudrais confirmer ce qui vient d’être dit par le président Ollier. Nous avons été attentifs aux demandes de la commission des finances, car elles étaient légitimes. Il fallait d’abord tenir compte de la nécessaire capacité d’investissement d’EDF. Les événements du week-end nous ont confirmé à quel point il était indispensable de permettre à l’opérateur de poursuivre ses investissements au cours des années à venir. On a cité le chiffre de 40 milliards d’euros, mais il faudra sans doute faire plus si l’on veut qu’EDF puisse répondre à ses engagements sur le territoire national mais également tenir son rôle sur le théâtre européen.

Le président Méhaignerie a appelé, à juste titre, l’attention du Gouvernement sur le fait que l’écart avec les tarifs régulés avaient créé des distorsions insoutenables pour ceux qui avaient opté en faveur des prix du marché. Au cours des discussions, à l’Assemblée nationale puis au Sénat, une majoration de 30 % avait d’abord été évoquée. Mais nous avons estimé, les uns et les autres, qu’il fallait sans doute faire un effort supplémentaire pour accompagner les secteurs les plus en difficulté. Une majoration de 25 % nous a donc paru à tous un compromis acceptable, étant entendu qu’il s’agit d’un plafond et que je réitère mon engagement de tenir compte des spécificités de certains secteurs, pour lesquels nous établirons le tarif de retour clairement en dessous de ces 25 %.

Je suis par ailleurs très favorable, monsieur le président Méhaignerie, à votre proposition d’entendre François Loos et le président Gadonneix en commission des finances. Janvier me paraît une bonne date, car nous aurons alors finalisé l’ensemble des mesures qui doivent être prises par décret et qui répondront pleinement, j’en suis convaincu, à vos préoccupations.

Je salue donc la sagesse de la CMP, institution que nous devons à nos pères, à nos prédécesseurs, monsieur Dionis du Séjour, et dont le fonctionnement symbolise bien la démocratie. La décision qu’elle a prise est raisonnable, dans la mesure où elle permet de différencier les secteurs, de préserver, d’un côté, la capacité d’investissement d’EDF en soutenant davantage, de l’autre, les secteurs les plus en difficulté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) C’est cette modulation que nous examinerons au mois de janvier, lorsque nous nous rendrons, bien volontiers, à votre invitation.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie.

M. le ministre délégué à l’industrie. Je voudrais d’abord répondre à M. Habib sur l’évolution de Gaz de France. Vous êtes, monsieur le député, l’élu d’un territoire qui a vu naître, se développer, puis disparaître de nombreuses activités liées au gaz. Aujourd’hui, nous n’en produisons plus ou si peu que notre problème, c’est d’arriver à en acheter dans les meilleures conditions, avec les meilleures garanties de qualité et de sécurité pour notre approvisionnement. Cela nécessite une entreprise de la taille adéquate, et c’est la raison pour laquelle nous donnons à Gaz de France la possibilité de s’agrandir.

Je répète que nous l’avons fait en conservant le contrôle des manettes de la politique énergétique. Contrairement à la golden share qui existait sur la société Elf Aquitaine du temps de l’exploitation de gaz de Lacq, et qui était une golden share générale, l’action spécifique que nous mettons en place avec ce texte donne à l’État un pouvoir très précis, celui de décider pour tous les investissements : aussi bien en matière de terminaux méthaniers et de réseaux de transport de gaz qu’en matière de stockage souterrain. Ce droit que nous nous réservons est pleinement compatible avec les directives européennes, qui prévoient qu’un État peut conserver le contrôle des secteurs qu’il estime vitaux pour sa sécurité d’approvisionnement. La sécurité juridique du dispositif est donc bien supérieure à celle que nous avions dans le cas d’Elf Aquitaine.

Je voudrais également vous dire que, pour l’industrialisation du bassin de Lacq, le Gouvernement n’est pas inerte, comme en témoignent des décisions récentes dont beaucoup de régions en France auraient aimé être les bénéficiaires. Nous venons de permettre à Abengoa de développer la production d’éthanol, ce qui devrait générer 200 emplois ; nous soutenons également le projet de centrale à gaz à cycle combiné développée par la SNET avec ENDESA. Ces deux activités ne sont pas les seules puisque nous envisageons également – c’est une nécessité – l’extension du stockage souterrain de gaz et que SOFICAR se développe dans la fibre de carbone, secteur dont vous êtes très fier.

Le Gouvernement a donc engagé toute une série d’actions très positives pour le développement du bassin et pris les mesures nécessaires en accompagnant le pôle chimique Chemparc pour prévoir l’échéance de la fin 2013.

Jean Dionis du Séjour a longuement parlé du fonctionnement de la CMP sur lequel il a émis quelques critiques. Ce fleuron de la procédure parlementaire n’est pas du ressort du Gouvernement, qui n’y participe pas.

Il a également insisté sur l’importance du régulateur. Nous avons, là-dessus, une vision assez proche et souhaitons comme lui que la CRE prenne toute sa place dans le domaine de l’électricité et du gaz. Je n’étais pas favorable à l’introduction des consommateurs dans la composition de cette instance, mais c’est finalement le choix qui a été fait.

M. Hervé Novelli. Hélas !

M. le ministre délégué à l’industrie. Il permettra probablement des débats intéressants au sein des collèges. Reste à voir comment le dispositif fonctionnera, mais il me semble que nous sommes parvenus à un équilibre qui devrait permettre à la CRE de fonctionner de façon durable et sereine.

Quant au comité chargé de régler les différends, nous en faisions la demande, car l’institution d’une instance nationale chargée de les résoudre nous paraît la meilleure formule, pour éviter les difficultés qui existent dans d’autres secteurs. Au moment où leur liberté de choix risque d’exposer les consommateurs à des opérateurs qui auraient oublié leurs obligations de service public, la mise en place d’un collège de médiateurs est plus que jamais indispensable.

Je partage avec Daniel Paul le souci du long terme. C’est la raison pour laquelle nous demandons à EDF de poursuivre ses investissements.

Je remercie Serge Poignant et, à travers lui, l’ensemble du groupe UMP, pour sa participation à nos débats et pour la hauteur de vue dont il a fait preuve. Il a rappelé que, si nous transposons les directives européennes, nous nous engageons en même temps fortement en faveur du service public. C’est ce que j’ai appelé une « transposition à la française ». Nous avons sans doute, par rapport à nos voisins européens, une vision originale de la politique énergétique, mais nous faisons ce qui nous semble bon pour le consommateur et pour l’économie française.

Enfin, je remercie M. Simon, qui a mis le doigt sur les retards qu’ont certains d’entre vous dans le domaine de la politique énergétique. Il ne faut pas toujours regarder vers le passé, mais au contraire avoir le courage de s’engager. C’est ce qu’il a fait, tout en saluant le courage de la majorité, et je lui en sais gré. C’est en effet une véritable bataille que nous avons dû mener. Nous arrivons à son terme. Restent les engagements que nous devrons remplir dans les prochaines semaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi auraient lieu cet après-midi, après les questions au Gouvernement.

Ordre du jour des prochaines séances

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi relatif au secteur de l’énergie ;

Suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2007, n° 3341 :

Rapport, n° 3363, de M. Gilles Carrez, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

Sécurité ; sécurité civile :

Rapport spécial, n° 3363, annexe 30, de M. Marc Le Fur, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan,

Rapport spécial, n° 3363, annexe 31, de M. Georges Ginesta, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan,

Avis, n° 3367, tome X, de M. Philippe Folliot, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées,

Avis, n° 3368, tome VII, de M. Guy Geoffroy, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République,

Avis, n° 3368, tome VIII, de M. Thierry Mariani, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

Administration générale et territoriale de l’État :

Rapport spécial, n° 3363, annexe II, de M. Jean-Pierre Gorges, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du plan,

Avis, n° 3368, tome I, de M. Pierre Morel-A-L’Huissier, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures quinze.)