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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 16 novembre 2006

53e séance de la session ordinaire 2006-2007

PRÉSIDENCE DE M. YVES BUR,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

Loi de finances pour 2007

SECONDE PARTIE

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2007 (nos 3341, 3363).

justice

M. le président. Nous abordons l’examen des crédits relatifs à la justice.

Je rappelle que la discussion des crédits de cette mission a eu lieu, à titre principal, en commission élargie. Le compte rendu de cette réunion sera annexé à celui de la présente séance.

La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, voilà cinq ans que la justice est entrée dans une nouvelle ère. La représentation parlementaire avait pris l'engagement devant les Français de renforcer les fonctions régaliennes de l'État et de fournir un effort significatif en faveur de la justice. Elle l'a fait : le budget de la justice a augmenté de près de 1,8 milliard d'euros, soit 38 % de plus qu'à la fin de la législature précédente grâce à la loi d'orientation et de programmation de la justice que vous avez votée.

Pour 2007, le budget de la justice augmente de 5 %, après 4 % en 2005 et 4,6 % en 2006. Il s'élève au total à 6,271 milliards d'euros, ce qui représente 2,34 % du budget de l'État ; il est important de comparer ce chiffre avec le pourcentage de 1,69 % en 2002.

Ces moyens importants serviront à respecter ce triple engagement que le Gouvernement prend aujourd'hui devant vous : la modernisation, l'accessibilité et l'efficacité de la justice.

La modernisation, tout d'abord, parce que la justice avait besoin de responsabiliser ses acteurs. En témoigne ainsi la maîtrise nouvelle des frais de justice. Ils connaissaient une augmentation de 15 à 20 % par an et avaient atteint – vous vous en souvenez, c’était le grand sujet abordé l’année dernière – 487 millions d'euros en 2005. Ils seront en 2006, conformes aux prévisions, soit d’environ 420 millions d'euros. Je crois que l’on peut dire que personne ne croyait un mot de ce chiffre plafond, lancé l’année dernière.

Ce changement de mentalité et de procédure a été rendu possible par la très forte implication des chefs de cour, des magistrats et fonctionnaires de justice qui gèrent de manière décentralisée les budgets des juridictions dans le souci de l'économie et de la performance.

J'avais assuré que cette maîtrise ne se ferait pas au détriment de la liberté d'initiative des magistrats et de la recherche de la vérité. Je crois pouvoir affirmer que nous y sommes arrivés.

Dans la continuité de cette démarche de modernisation, je souhaite que la justice s'appuie sur les nouvelles technologies pour être plus performante. J'ai ouvert, pour l'année qui vient, un chantier important : celui de la numérisation des procédures pénales. Il s'agit en effet de profiter de l'évolution des technologies pour assurer une plus grande fluidité dans le déroulement de ces procédures et l'accès en temps réel aux dossiers, tant pour les magistrats que pour les auxiliaires de justice.

D'ici à la fin d'année, plus d'une centaine de tribunaux de grande instance seront choisis pour la première vague de cette numérisation, dont la mise en œuvre sera progressive.

Enfin, l'ensemble des juridictions et les principaux établissements pénitentiaires devraient être équipés en visioconférence d'ici à la fin de cette année. Cette modernisation générera des économies importantes en termes de déplacements d'experts et de magistrats, notamment dans les DOM-TOM, mais également en matière de transfèrement de détenus. Elle permettra, notamment lors des auditions des détenus, de limiter les risques liés à ces déplacements.

Je souhaite également que la justice soit plus accessible pour tous les citoyens. L'accès au droit doit être favorisé, et particulièrement le droit à disposer d'un avocat pour les plus démunis.

Sur ma proposition, M. le Premier ministre a décidé un effort important en faveur des crédits de l'aide juridictionnelle qui progresseront de 6,6 %, soit 20 millions d'euros. Il s'agit là d'un effort financier important dans un contexte budgétaire toujours contraint, comme vous le savez.

Sur ces 20 millions d'euros, plus de 16 millions seront consacrés exclusivement à la revalorisation de l'unité de valeur, qui permet de fixer la rétribution des avocats. Le solde servira à financer la poursuite des actions d'amélioration d'une défense de qualité engagées avec de nombreux barreaux, compte tenu de la stabilisation du nombre d'admissions à 881 000 bénéficiaires – ce chiffre explique tout. Nous sommes le champion de l’ensemble des pays du Conseil de l’Europe. J’insiste sur ce point, parce que je crois que tout le monde ne le sait pas. Le budget total de l'aide juridictionnelle sera ainsi de 323 millions d'euros en 2007.

Depuis 2001, plusieurs réformes sont venues améliorer la rétribution de l'avocat au titre de l'aide juridictionnelle par des revalorisations de l'unité de valeur et par une revalorisation du barème de leurs interventions. Il ne serait donc pas complet de se référer uniquement à la seule augmentation du montant de l'unité de valeur.

Ces réformes ont abouti, depuis 2001, à une revalorisation de plus de 50 % de la contribution de l'État aux missions d'aide juridictionnelle.

L'accessibilité de la justice doit aussi concerner les victimes, en leur garantissant une prise en charge concrète. Ainsi, la forte progression, depuis 2002, des crédits destinés aux associations d'aide aux victimes a permis d'augmenter de 38 % le nombre de victimes suivies, soit plus de 100 000 en 2005.

Près de 3,7 millions d'euros seront consacrés au développement de l'accès au droit, par l'intermédiaire des maisons de la justice et du droit et des conseils départementaux de l'accès au droit. Ces structures sont, en effet, désormais présentes dans quasiment tous les départements. Les maisons de la justice et du droit ont vu leur nombre passer de 43 en 2002 à 118 en 2005. Nous pouvons tous nous en réjouir.

L'accessibilité signifie aussi de continuer à réduire les délais de justice qui, trop souvent, empêchent nos concitoyens de se tourner vers l'institution judiciaire. Les délais moyens de traitement dans les juridictions du premier degré ont déjà été réduits de 28 %, passant en moyenne de 9,4 à 6,7 mois. Il nous faut maintenant aller encore plus loin.

C'est pourquoi, au-delà des efforts de modernisation entrepris, la justice a besoin de recruter de nouveaux personnels. Les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2007 nous permettront de recruter 1 548 emplois supplémentaires. Je suis heureux de préciser, à cette occasion, le chiffre des recrutements sur la législature, pour que les députés l’aient bien présent à l’esprit. Sur la législature, cela signifie que 7 700 emplois nouveaux auront été créés. Cet effort est considérable et sans précédent. En 2007, il permettra aux juridictions d'augmenter leurs effectifs de 160 magistrats et de 360 personnels de greffe supplémentaires afin de rendre notre système judiciaire plus efficace.

Je souhaite enfin que l'année 2007 soit, pour la justice, placée sous le signe de l'efficacité.

La protection judiciaire de la jeunesse voit ses crédits augmenter très fortement cette année, à hauteur de plus 8,6 %, au bénéfice de tous les modes de prise en charge. Elle sera renforcée grâce au recrutement de 290 agents spécialisés dans les métiers de l'éducation et de l'insertion. Ils auront à cœur de répondre aux nouvelles formes de délinquance des mineurs sur l'ensemble du territoire national. Pour y contribuer, vingt centres éducatifs fermés supplémentaires ouvriront cette année, portant le nombre de places disponibles dans ces établissements à 465 fin 2007, sachant qu’il y a une douzaine de mineurs par centre.

L'administration pénitentiaire bénéficiera de 703 emplois supplémentaires en 2007. Cela permettra notamment de recruter les 458 agents nécessaires à l'ouverture des nouveaux établissements pénitentiaires. Il était logique que cela se répercute dans le budget en termes de personnels.

Les années 2002 à 2006 ont été des années de construction et de réhabilitation. En 2007, commenceront les années de mise en service des nouveaux établissements pénitentiaires et des palais de justice. Les opérations de rénovation se poursuivront. L'investissement du ministère de la justice dans ce programme immobilier représentera 1,1 milliard d'euros en autorisations d'engagement.

Parmi ces crédits, 890 millions d'euros permettront à l'administration pénitentiaire de respecter l'objectif de la loi d’orientation et de programmation pour la justice – la LOPJ – de créer 13 200 places réparties sur trente établissements afin de faire face à la surpopulation carcérale et à la vétusté de nombre d’établissements.

Notre pays disposera ainsi d'environ 60 000 places, correspondant à nos besoins quantitatifs et qualitatifs et conformes aux nouvelles règles pénitentiaires européennes – ligne d’horizon du Conseil de l’Europe –auxquelles les pays signataires sont priés de se conformer. Ces nouvelles règles sont du reste beaucoup plus exigeantes que la législation actuelle. L’administration pénitentiaire les a publiées en de nombreux exemplaires, à l’intention de ses personnels et des détenus.

La construction de dix établissements pour détenus majeurs est d'ores et déjà lancée dans le cadre de contrats en partenariat public-privé – les PPP. L'ensemble des établissements prévus par la LOPJ sera construit d'ici à 2010. Les inaugurations commenceront en 2007 pour se terminer en 2010 : si c’est par une nouvelle majorité, qu’elle se garde donc de s’en flatter ; si c’est la même, tant mieux !

L'effort immobilier se poursuivra également en faveur des juridictions, grâce à un programme de construction-rénovation de 190 millions d'euros.

Ces recrutements et ces constructions nous permettront d'assurer la bonne exécution des décisions de justice. En quatre ans, le taux de réponse pénale a augmenté de plus de 10 % – pourcentage dont on peut tirer fierté –, la justice apportant une réponse pénale dans 78 % des dossiers qui lui sont transmis. Pour les mineurs, ce taux est aujourd'hui de 86 %. J'ajoute que notre politique active de diversification de la réponse pénale a permis d'accroître le nombre de mesures alternatives aux poursuites de 45 %, rendant la justice plus effective et plus variée dans ses réponses.

L'an dernier, j'avais fait de la mise en place des bureaux d'exécution des peines – les BEX – l'une de mes priorités pour 2006. Aujourd'hui, j’ai la grande joie de vous annoncer que soixante-sept BEX ont été créés dans les tribunaux de grande instance. Cette mesure sera généralisée à tous les tribunaux de grande instance d'ici à la fin de l'année. L’implantation des BEX sera étendue aux tribunaux pour enfants afin d'assurer une réponse pénale plus efficace à l'égard des mineurs.

Je souhaite également tout mettre en œuvre pour éviter les «sorties sèches » de prison, sans suivi et sans soutien adapté, qui sont l’une des causes principales de récidive. Ainsi, nous devons poursuivre nos efforts en faveur des mesures d'aménagements de peine, qui ont augmenté de 27 % entre 2003 et 2005. À la fin de l'année 2007, nous compterons près de 3 000 placements simultanés en bracelet électronique fixe. Qui l’aurait cru à l’époque ? Nous sommes donc très loin du « tout carcéral » comme certains voudraient le faire croire – à tort – à l’opinion publique.

Les juges pourront également recourir progressivement au bracelet électronique mobile, qui a pour origine la proposition de loi sur la récidive et qui permet de concilier protection de la société, respect des victimes et réinsertion des condamnés à de longues peines ou présentant un risque de récidive. Une quinzaine de placements sera réalisée dans ce cadre d'ici à la fin de cette année. Il y en a d’ores et déjà deux ou trois, puisque deux cours d’appel l’expérimentent.

Mesdames et messieurs les députés, le budget de la justice est un budget ambitieux qui répond aux défis auxquels est confrontée l'institution judiciaire. La justice aura les moyens de s'atteler aux trois engagements que je prends devant vous : la modernisation, l'accessibilité et la réforme.

Le mois prochain, nous prendrons ensemble un nouvel engagement, celui de la réforme de la justice, pour apporter les premières réponses au drame de l'affaire Outreau sur lequel nombre d'entre vous se sont penchés. Ainsi, nous pourrons mieux lutter contre les détentions provisoires injustifiées, renforcer les droits de la défense et moderniser le régime de la responsabilité des magistrats. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guy Geoffroy. Le groupe UMP, cela ne surpendra personne, adoptera bien évidemment les crédits de la mission « Justice » pour 2007. À cela, plusieurs raisons qui tiennent à la fois aux chiffres et à la démarche qui est suivie depuis le début de la législature en faveur de la justice. M. le garde des sceaux vient de rappeler un certain nombre d’éléments marquants à cet égard.

Rappelons tout d’abord les chiffres essentiels. L’augmentation des crédits de la justice, qui s’est opérée de manière régulière, atteint 38 % sur la durée de la législature. La progression pour 2007 – 5 % – est supérieure à celle, déjà appréciable, de l’an passé qui était de 4,6 %. Et nous devons comparer cette augmentation à l’augmentation générale des dépenses de l’État, qui n’est que de 0,8 %. L’écart est considérable et traduit la volonté du Gouvernement et de la majorité d’assumer ses engagements, ainsi que de préparer l’avenir.

Assumer ses engagements, c’est mettre en oeuvre l’ensemble des dispositions prévues dans les lois successives adoptées sous la législature, à commencer par la loi d’orientation et de programmation pour la justice, afin que notre justice progresse dans tous les secteurs concernés. Et elle en a bien besoin !

Elle en avait bien besoin en 2002 ; elle en aura encore besoin après 2007, mais le mouvement est engagé dans des proportions significatives et, pour certaines d’entre elles, considérables.

Elles sont significatives particulièrement en ce qui concerne les personnels. Le nombre de fonctionnaires du ministère de la justice, aura, durant ces cinq dernières années, le ministre l’a rappelé, crû de 11 %.

Permettez-moi, à cet égard, de faire une comparaison. Une autre grande loi d’orientation et de programmation a été votée et mise en œuvre, dans des conditions tout à fait exemplaires durant cette législature : celle concernant la sécurité intérieure. Les effectifs de la gendarmerie ont augmenté de 6 %, et ceux de la police de 5 %. Tout le monde s’en est félicité : syndicats professionnels de la police nationale et gendarmes l’ont noté avec satisfaction. L’augmentation du nombre de fonctionnaires du ministère de la justice est donc deux fois plus importante que celle, déjà importante, de la sécurité intérieure. C’était la première chose que je tenais à faire remarquer, d’autant que cette année, le ministre l’a rappelé, l’augmentation se poursuivra avec la création nette de 160 postes de magistrats, ce qui est loin d’être négligeable eu égard aux charges qui pèsent sur les actions déjà engagées et qui continueront à peser sur celles qui sont prévues.

Concernant les investissements, nous avions, et nous avons encore, un très lourd programme à conduire en faveur des palais de justice, mais aussi de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse. S’agissant de l’administration pénitentiaire, il faut vous rendre cet hommage, monsieur le garde des sceaux, de n’avoir pas attendu d’être entré au gouvernement pour vous en préoccuper. J’ai, en effet, le souvenir, comme tous les commissaires aux lois, que, dès le début de la législature, vous avez, en tant que président de la commission des lois, manifesté votre inquiétude et votre volonté de remédier à la situation dramatique de nos prisons. Cela prendra du temps : construire une prison suppose d’abord d’en prendre la décision, ce que toutes les majorités ne font pas, certaines se contentant de les inaugurer. Le Gouvernement, celui que nous soutenons, a pris des décisions ! Et dans ce domaine, l’effort devrait être continu.

L’effort engagé sous cette législature en matière d’établissements pénitentiaires est considérable en volume. Il s’agit d’abord de rénover nos prisons, qui en ont bien besoin. Combien de drames qui surviennent dans certaines prisons ? Combien de déséquilibres liés au taux de remplissage de certaines d’entre elles ? Mais il s’agit aussi de construire de nouveaux établissements pénitentiaires, ce qui ne signifie pas vouloir enfermer plus, mais faire en sorte que les conditions de détention soient dignes d’un grand pays démocratique. Ce mouvement aussi est engagé : de nombreux établissements vont être construits – après ceux qui vont ouvrir en 2007 –, et l’ensemble de la représentation nationale devrait s’en féliciter.

Nous avions beaucoup débattu – le débat est maintenant apaisé – au sujet de la création des centres éducatifs fermés. Tout le monde reconnaît qu’ils sont nécessaires. C’était le maillon qui manquait à la gradation et à l’adaptation de la réponse pénale pour les jeunes délinquants. Cela figure désormais dans notre panoplie et nous serons à plus de 60 % de l’objectif de la loi. En tant qu’élu local, je sais combien il est difficile de convaincre nos populations de la nécessité de construire des centres éducatifs fermés, car il faut bien en construire quelque part. En tout état de cause, l’effort qui aura été réalisé sera tout à fait considérable.

Je tiens à souligner combien, dès le budget 2007, nous verrons s’inscrire dans la réalité l’effort que nous allons encore demander à notre justice pour mieux répondre aux attentes de la population. Beaucoup de mes collègues ici présents ont fait partie, sous la houlette du président Vallini et du rapporteur Philippe Houillon, de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau. Nous allons bientôt débattre d’importants projets de loi qui constitueront une première étape de la réforme de la justice qu’attendent nos concitoyens.

Le projet de budget pour 2007 fournit les réponses quantitatives qui permettront d’accompagner l’évolution de notre justice à travers les lois que nous allons voter. L’ensemble est cohérent, l’ensemble est conséquent. Ce dernier budget de mise en œuvre de la loi d’orientation et de programmation pour la justice est un bon budget. Le groupe UMP, fier d’avoir accompagné le Gouvernement pendant toute la législature, le votera sans hésitation et avec beaucoup de satisfaction. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. André Vallini, pour le groupe socialiste.

M. André Vallini. Monsieur le garde des sceaux, en 2007, votre budget progresse de 5 %, et je me dois de saluer à cette tribune, en toute objectivité, l’effort du Gouvernement pour la justice, dans un contexte budgétaire difficile. Il faut avoir l’honnêteté politique de reconnaître que vous avez tiré votre épingle du jeu, ce qui n’était pas évident. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Cependant, cet effort, tout le monde en conviendra, reste insuffisant car le budget de la justice est trop faible depuis trop longtemps, comparé à ceux des grands pays d’Europe : la France dépense pour sa justice moitié moins que l’Allemagne.

J’ajoute que cette augmentation doit être relativisée : le gouvernement Raffarin puis le gouvernement Villepin nous ont habitués depuis 2002 à des gels et des reports de crédits suivis d’annulations. Aussi les budgets votés sont-ils loin des budgets réellement exécutés, ce qui pose d’ailleurs la question de la sincérité des lois de finances soumises à la représentation nationale. À titre d’exemple, en mars dernier, monsieur le ministre, un simple arrêté de votre collègue des finances a purement et simplement amputé de plus de 27 millions d’euros les crédits nécessaires au fonctionnement de vos services, notamment dans le domaine informatique.

En outre, la LOLF a entraîné de nombreux problèmes qui nuisent à l’efficacité de notre système judiciaire, au point que, passée une certaine date dans l’année, les expertises, les recherches d’ADN ou les écoutes téléphoniques ne sont plus financées dans certains tribunaux, sans parler des indemnités à verser aux jurés d’assises, qui se font toujours longtemps attendre.

L’administration pénitentiaire représente 35,7 % des crédits de votre budget. Depuis quatre ans, les textes votés par votre majorité, notamment les lois Sarkozy et Perben, ont engendré une situation carcérale encore plus difficile que celle que nous connaissions auparavant, avec actuellement 59 500 personnes incarcérées, dont 31 % en détention provisoire. Toutefois, il faut le reconnaître, et c’est peut-être un effet de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, le recours à la détention provisoire a tendance à diminuer depuis quelques mois avec 17 487 prévenus au 1er septembre contre 21 000 en 2005.

L’essentiel des crédits en ce domaine est consacré à la construction de nouvelles prisons – il en faut –, sans pourtant, hélas, que soient prévus les personnels nécessaires, notamment les conseillers d’insertion et de probation. S’il importe de construire de nouvelles prisons pour remplacer les plus vétustes et de moderniser les établissements existants, il faut aussi et surtout développer des alternatives à l’incarcération et éviter le plus possible les sorties sèches.

S’agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, la construction et l’ouverture prévue en 2007 de cinq nouveaux centres éducatifs fermés publics mobilisent la majorité des crédits, ce qui conduira plusieurs directions régionales de la PJJ à différer leurs projets, notamment le renouvellement de leur équipement – mobilier, matériel, véhicules.

Enfin, un mot, monsieur le ministre, sur la loi d’orientation et de programmation pour la justice, votée par la majorité en 2002. Vous avez cité le chiffre de 38 % d’augmentation du budget de la justice depuis 2002. Sous le gouvernement Jospin, nous avions atteint 30 % en cinq ans. Vous poursuivez donc l’effort que nous avions amorcé, mais, comme je l’ai dit, il faut encore l’amplifier car la justice est restée pendant trop longtemps le parent pauvre du budget de l’État. D’autant que le taux d’exécution de la LOPJ sera seulement de 58 % pour les fonctionnaires des services judiciaires et de 80 % pour les postes de magistrats. Surtout, les créations de postes sont loin de compenser et d’anticiper les départs en retraite massifs de magistrats et de greffiers qui vont avoir lieu d’ici à 2010. Ce n’est pas l’annonce de 160 créations de postes de magistrats qui suffira, d’autant que la pénurie de greffiers est annonciatrice d’une aggravation des lenteurs de la justice dues à la saturation de la chaîne pénale, que nous connaissons tous.

M. le garde des sceaux. Cela s’améliore !

M. René Dosière. Lentement !

M. André Vallini. Le rapport entre le nombre de magistrats et celui de fonctionnaires des services judiciaires va donc encore se détériorer.

En outre, la tâche des greffiers se voit compliquée et alourdie par l’arrivée des juges de proximité, situation sur laquelle j’avais attiré l’attention de M. Perben. Autant, monsieur Geoffroy, je suis d’accord pour dire que nous avons peut-être eu tort de nous opposer frontalement aux centres éducatifs fermés, autant je suis convaincu que nous avons eu raison de dire que la création des juges de proximité était une fausse bonne idée. Les tribunaux d’instance fonctionnaient bien, c’est même la juridiction qui fonctionne le mieux et où les délais sont les plus courts. La vraie justice de proximité, ce sont les juges d’instance et non les juges de proximité, qui contribuent à compliquer le système, comme les magistrats et les greffiers eux-mêmes le soulignent. Les juges de proximité constituent un échec. D’ailleurs, alors que M. Perben en annonçait 3300, vous en êtes à 700 aujourd’hui, ce qui est bien la preuve, monsieur le ministre, que vous-même reconnaissez que cela ne marche pas.

Ce budget intervient quelques mois après les travaux de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, commission au sein de laquelle un consensus politique fort, des communistes à l’UMP, en passant par les socialistes et l’UDF, s’est dégagé sur la nécessité de donner davantage de moyens à la justice. Nous avons voté à l’unanimité – j’y ai personnellement beaucoup contribué car ce n’était pas gagné d’avance – un rapport qui préconise de passer de 28 euros à 40 euros par an et par habitant de dépenses pour la justice. Nous en sommes encore loin. J’espère que la prochaine législature donnera à la majorité parlementaire, quelle qu’elle soit, même si j’ai une préférence, la possibilité de mettre en œuvre cet impératif majeur. La justice en a besoin, les Français l’attendent.

Puis, pour finir sur une notre d’humour, monsieur le ministre, je vous promets que s’il revenait à la gauche de mettre en œuvre cette augmentation des crédits de la justice, nous vous inviterions à l’inauguration des prisons dont vous avez lancé la construction. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Ferry. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault, pour le groupe UDF.

M. Michel Hunault. Monsieur le garde des sceaux, depuis maintenant dix ans, nous assistons à une augmentation des crédits alloués à la justice, et ce dernier budget de la législature connaît la hausse la plus forte, avec de 5 % de progression. Nous devons nous en féliciter, et le groupe de l’UDF le votera. Toutefois, nous considérons qu’une revalorisation s’impose car la part du budget de la justice au sein du budget de la nation reste en France l'une des plus faibles d'Europe.

Cette discussion se déroule après l'affaire d'Outreau, dont les dysfonctionnements ont suscité une prise de conscience sans précédent : au Parlement, à travers les travaux de la commission d'enquête parlementaire, et dans les médias, particulièrement la presse télévisée et la chaîne parlementaire, qui ont fait entrer la justice dans les foyers français. Les conclusions de la commission d’enquête, après une concertation et une écoute sans précédent, ont donné lieu à des propositions unanimes dont nous aurons l'occasion de discuter ici même dans les prochaines semaines.

Mais nous savons qu'aucune mesure, aucune action ne permettra d'améliorer le fonctionnement de la justice, si nous n'y consacrons pas les moyens financiers nécessaires. Le groupe UDF considère que seul le vote d'une nouvelle loi de programmation permettra d’allouer la part nécessaire du budget de la nation à une amélioration du fonctionnement de la justice dans le cadre d'une nouvelle législature. Certes, on peut se féliciter du taux d'exécution de la loi d'orientation de 2002, en particulier pour les crédits d'investissement, mais des incertitudes demeurent concernant les créations d'emplois, dont on peut redouter qu’ils ne soient tous pourvus.

À tous les niveaux de la chaîne pénale – magistrats greffiers, auxiliaires de justice, service de protection –, il est indispensable de procéder à des recrutements afin d’alléger le travail des magistrats, des greffiers et de remédier à la surcharge des audiences.

Au groupe UDF, nous souhaitons que l'accès au droit soit amélioré, question que vous avez évoquée, monsieur le ministre. Des initiatives ont vu le jour, avec les Maisons du droit, mais il faut aller plus loin ! La revalorisation de l'aide juridictionnelle est indispensable pour couvrir le coût d'intervention des avocats et assurer à chacun une défense et un conseil de qualité. Mon collègue Pierre Albertini a proposé un amendement en ce sens, et vous avez apporté une réponse à ce sujet, monsieur le garde des Sceaux, en annonçant une importante revalorisation.

La discussion budgétaire, au travers de l’examen des crédits de l’administration pénitentiaire, est aussi l'occasion d'évoquer la situation des prisons françaises, maintes fois dénoncée. Je voudrais à cette tribune d’abord rendre hommage à toutes ces femmes et tous ces hommes qui concourent à la bonne marche de la justice et de l'administration pénitentiaire. Dans un amalgame trop facile, leur fonction est trop souvent déconsidérée et critiquée. Nous souhaitons, monsieur le garde des sceaux, qu’une véritable loi pénitentiaire soit rapidement discutée.

Vous avez publié les règles pénitentiaires européennes, sous la pression du Conseil de l'Europe.

M. le garde des sceaux. Il ne s’agit pas de pression !

M. Michel Hunault. Disons : à l’initiative du Conseil de l’Europe. Celui-ci a adopté, en avril 2004, une recommandation sur la situation des prisons en Europe et en, mai 2006, les bases d’une charte pénitentiaire, qui pourraient être utilement reprises dans une loi sur les prisons. Les règles que vous avez publiées en matière pénitentiaire n’ont pas de valeur normative, elles restent indicatives ; or la Cour européenne des droits de l’homme ne peut sanctionner d’éventuels manquements à ces règles. Nous avons besoin d’un texte normatif, comme l’a rappelé le comité de prévention de la torture. Toutefois, je salue le fait que, grâce aux travaux du Conseil de l’Europe, vous ayez publié ces règles, dont la mise à jour n’a été faite qu’en 2005, dix-neuf ans après la précédente.

Vous avez récemment renforcé le rôle du médiateur dans sa fonction de contrôle. À ce propos, permettez-moi d’évoquer à cette tribune le témoignage d’un ancien détenu de Fleury-Mérogis, paru dans Le Parisien le 14 novembre dernier : il y porte de graves accusations et fait part de profonds dysfonctionnements dans cette maison d’arrêt. Monsieur le garde des sceaux, je suis certain que vous veillerez à ce que cette affaire ne reste pas sans lendemain et que vous ferez en sorte que les responsabilités soient clairement établies.

Enfin, je rappellerai que l’ordonnance de 2004 a permis, dans le cadre du partenariat public-privé, d’accélérer la rénovation et la reconstruction des établissements les plus vétustes.

Monsieur le garde des sceaux, votre budget connaît une augmentation que je salue à mon tour, mais il ne peut constituer qu'une étape, qui devra être dépassée, vers une ambition nationale forte pour la justice, dont l'indépendance, le respect doivent être réaffirmés avec détermination. La justice est en effet une composante essentielle de notre vie démocratique. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce dernier budget de la justice nous donne donc l'occasion de dresser un bref bilan de la politique gouvernementale en la matière.

Adoptée au début de cette législature, la loi d'orientation et de programmation pour la justice prévoyait de porter les crédits de la justice à 8 milliards d'euros d'ici à 2007 et annonçait l'objectif de 10 100 emplois. Nous en sommes loin car il manque 1,8 milliard d'euros et 2 800 emplois pour que vos engagements soient respectés.

Si nous apprécions la hausse de 5 % de votre budget et si nous saluons l’opiniâtreté que vous avez manifestée pour y parvenir, monsieur le ministre, convenez qu’il est en retrait par rapport aux promesses faites par votre prédécesseur en 2002. De plus, il reste bien trop modeste au regard des besoins de la justice française, mauvaise élève parmi les pays membres du Conseil de l'Europe. En effet, le dernier rapport de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice place la France, compte tenu de la part de PIB qu’elle affecte à la justice, au trente-septième rang des quarante-cinq pays membres. Si la France devait aujourd'hui demander son adhésion à l'Union européenne, elle ne satisferait pas aux critères budgétaires judiciaires imposés sur ce point aux nouveaux entrants !

Vous comprendrez donc que, même si ce budget est celui qui enregistre la plus forte progression de tous les ministères, nous partagions l'analyse de l'Union syndicale des magistrats, qui dénonce son indigence eu égard aux besoins.

Le rapport de la commission d'enquête dite d'Outreau rappelle que, pour hisser la part de la justice à 3 % du budget de l'État, il faudrait augmenter les crédits de ce ministère de 34 % chaque année. Malgré vos efforts, que nous reconnaissons et saluons, monsieur le ministre, vous ne parvenez pas à donner à la justice française des moyens dignes d'une grande démocratie.

Pour faire suite à cette commission d'enquête, vous nous proposez d'examiner dans les semaines à venir une réforme de la justice censée tirer les enseignements de la triste affaire d'Outreau. Ce projet de réforme aurait pu être le grand chantier de votre ministère. Hélas, cette réforme non financée ne sera ni à la hauteur des enjeux, ni à la mesure des attentes des acteurs et des usagers de la justice. À vouloir présenter dans la précipitation un texte avant les prochaines échéances électorales, le Gouvernement a manqué un rendez-vous historique.

J’en viens maintenant à quelques remarques plus précises sur votre budget.

Nous constatons qu'en dépit des observations faites par la Cour des comptes en janvier dernier, la plus grande partie des crédits alloués à l’administration judiciaire seront consacrés à la garde et au contrôle des personnes placées sous main de justice, au détriment de l’aide à la réinsertion. Vous annoncez que votre Gouvernement lutte contre la récidive, mais démonstration est faite ici que vos choix budgétaires infirment vos déclarations.

Et là n'est pas la seule contradiction. Vous allez devoir défendre, dès la semaine prochaine, un projet de loi prétendument relatif à la prévention de la délinquance, alors que dans le même temps vous nous demandez aujourd’hui d'adopter un budget qui, cette année encore, donne la priorité aux mesures pénales au détriment des mesures éducatives. Ainsi, dans le programme « Protection judiciaire de la jeunesse », le budget affecté aux mesures éducatives et au milieu ouvert est-il sacrifié au profit des mesures mises en œuvre en direction des mineurs délinquants. En 1990, les mesures pénales représentaient 30 % des mesures de la projection judiciaire de la jeunesse, contre 75 % aujourd’hui. Ces seuls chiffres témoignent du peu d'intérêt que le Gouvernement porte à la définition et à la mise en œuvre d'une véritable politique de prévention.

Concernant l'aide juridictionnelle, nous saluons l'augmentation de 6 % de la rétribution des avocats intervenant au profit des justiciables les plus démunis. Toutefois, il est loin de répondre aux exigences d'une défense de qualité pour tous qui ne peut être portée que par une grande réforme de l'aide juridictionnelle. Je reste donc convaincu que ce budget sert une politique dans laquelle nous ne pouvons nous reconnaître. C'est pourquoi le groupe des députés communistes et républicains ne le votera pas.

MISSION « JUSTICE »

M. le président. J’appelle les crédits de la mission « Justice », inscrits à l’état B.

Article 34

M. le président. Sur l’article 34, je suis saisi d’abord de deux amendements identiques, nos 204 et 255.

La parole est à M. le rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du plan, pour soutenir l’amendement n° 204.

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Cet amendement, qui a été adopté par la commission des finances, visait à augmenter le montant des crédits accordés à l’aide juridictionnelle. Toutefois, il est apparu, après coup, que les transferts proposés auraient créé une difficulté majeure pour la CNIL, la Commission nationale informatique et liberté, dont les crédits auraient été très largement amputés. Je dois dire, avec humilité mais aussi insistance, que je ne pouvais pas détecter ces difficultés dans la mesure où il n’a pas été répondu de façon exhaustive au questionnaire qui a été envoyé au début de l’été : il était question d’un déménagement à venir, sans plus d’information. J’en avais déduit, sans doute un peu hâtivement, en tout cas en toute ignorance, que ces crédits pourraient être amputés sans trop de dommages.

Cela étant, en accord avec le président de la commission des finances, je retire l’amendement.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour soutenir l’amendement n° 255.

M. Georges Fenech. Monsieur le garde des sceaux, comment faire comprendre et accepter à la profession d’avocat à laquelle vous êtes particulièrement attaché – vous êtes vous-même avocat, et nous connaissons votre souci d’équilibre dans une procédure pénale des droits de la défense – que les engagements qui avaient été pris par votre prédécesseur en 2004 ne seront pas tenus ? Certes, le budget de la CNIL est important, mais une défense de qualité l’est tout autant. Vous savez, comme moi, que les avocats ont le sentiment d’être les parents oubliés de ce budget et ils le feront savoir dans les prochaines semaines.

L’amendement n° 255 correspondait à l’engagement du Gouvernement à leur égard. Le projet de loi de finances pour 2007 prévoit une augmentation de 6 % de l’unité de valeur de l’aide juridictionnelle, ce qui devrait la faire passer de 20,84 euros à 22,09 euros, pour un montant de 20 millions d’euros. Ce n’est pas négligeable, mais si le programme de revalorisation du Gouvernement avait été respecté, le montant de cette unité de valeur aurait été de 22,97 euros en 2006.

Pour augmenter l’unité de valeur de 15 %, comme le Gouvernement s’y était engagé, et la porter ainsi à 23,96 euros, il aurait fallu dégager une somme de 25 millions d’euros supplémentaires dans les programmes de la mission « Justice » hors programme « Accès au droit et à la justice ».

Monsieur le garde de sceaux, votre réponse est très attendue par la profession, non par corporatisme mais dans un souci de défendre l’accès au droit. Une réforme de l’aide juridictionnelle est également attendue, la dernière datant de 1992.

Vous avez indiqué tout à l’heure que nous sommes les champions de l’ensemble des pays du Conseil de l’Europe, avec 881 000 admissions à l’aide judiciaire. Il faudra sans doute faire un effort très important de filtrage de l’admission et empêcher les abus.

Tout cela pose aussi le problème de la réforme globale de la protection juridique, et je crois que vous y êtes favorable. Vous savez que la majorité des avocats sont opposés à la suppression du libre choix, qu’ils souhaitent un système privilégiant le volontariat et, à défaut, la désignation de jeunes confrères. Ils semblent également toujours extrêmement réticents à constituer un groupe d’avocats d’État qui seraient spécialement affectés à l’aide judiciaire.

Telles sont les quelques observations que je souhaitais faire sur ce qui me paraît être une légitime revendication.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour la justice judiciaire, l’accès au droit et la politique de la justice.

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour la justice judiciaire, l’accès au droit et la politique de la justice. La commission des lois a repoussé cet amendement. Il n’est pas question de méconnaître le rôle essentiel de l’avocat dans le procès en général et dans le procès pénal en particulier.

En ce qui concerne l’aide juridictionnelle, des efforts importants ont été consentis par le Gouvernement. Le projet de loi de finances pour 2007 prévoit d’en porter les crédits de 303 à 323 millions d’euros et d’augmenter de 6 % l’unité de valeur de référence permettant de fixer la contribution de l’État à la rétribution des avocats pour les missions d’aide juridictionnelle.

La mesure proposée nécessite une somme supplémentaire de 25 millions d’euros pris sur les crédits alloués pour régler les frais résultant du gardiennage des scellés, ainsi que notamment sur ceux destinés à l’établissement public du Palais de justice de Paris, à la réalisation d’une campagne d’information gouvernementale en direction du grand public sur le fonctionnement de la justice en 2007, au groupement d’intérêt public « Mission de recherche droit et justice », au nettoyage de locaux, à de petits travaux d’entretien, à des travaux de ravalement du site Vendôme à Paris et au lancement des travaux de création d’une cantine sur le site Vendôme à Paris.

L’amendement prévoit de prélever une somme de 11,9 millions d’euros sur les crédits destinés à régler les frais résultant du gardiennage des scellés. Or, des efforts importants d’économies ont déjà été consentis par les juridictions en matière de frais de justice.

M. le garde des sceaux. C’est vrai !

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis, pour la justice judiciaire, l’accès au droit et la politique de la justice. On nous demande donc de faire des économies sur les économies, ce qui est absolument impossible.

L’amendement prévoit aussi de prélever plus de 2 millions d’euros sur les crédits alloués à l’établissement public du Palais de justice de Paris, alors que c’est un sujet très sensible.

Même si elles ne sont pas considérables, nous savons tous que ces sommes sont indispensables au bon fonctionnement des juridictions.

Il y a sans doute d’autres pistes à explorer pour améliorer l’aide juridictionnelle. Il conviendrait peut-être d’effectuer quelques contrôles en ce qui concerne l’admission à l’aide juridictionnelle car tous les professionnels de la justice savent qu’il y a des abus en la matière. Les sommes ainsi récupérées pourraient être utilement redistribuées.

Enfin, il faudrait engager une réflexion sur la ventilation des unités de valeur, en fonction des missions qui sont confiées aux avocats.

La commission des lois est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l’amendement restant en discussion ?

M. le garde des sceaux. Je suis heureux de pouvoir répondre, sachant combien l’ensemble des barreaux français est mobilisé sur cette question de l’aide juridictionnelle et de l’accès au droit.

Comme les quelque 50 000 avocats de notre pays, je considère que une grande démocratie comme la France doit trouver les moyens de faciliter l’accès au droit de nos compatriotes les plus modestes.

M. René Dosière. Très bien !

M. le garde des sceaux. S’agissant d’un principe auquel nous sommes tous attachés, examinons sa mise en œuvre. En général, les classements du Conseil de l’Europe donnent lieu chez nous soit à auto-flagellation, soit à contestation, et je n’ai pas échappé à cette règle.

M. René Dosière. Pas de contrition !

M. le garde des sceaux. Eh bien, non pour une fois, un peu d’autosatisfaction ! La commission européenne pour l’efficacité de la justice, la CEPEJ, qui dépend du Conseil de l’Europe et qui est chargée de ce classement nous place, en matière d’aide juridictionnelle, deuxième sur les quarante-six pays membres. À quoi tient le décalage entre ce constat et le ressenti des avocats – qui peut se comprendre quand on rapporte les heures de travail à leur rétribution ?

M. René Dosière. Ils sont au RMI !

M. le garde des sceaux. Il incombe au Parlement d’examiner le problème dans sa globalité pour mieux le comprendre.

Nous dépensons 320 millions d’euros, ce qui est tout de même beaucoup, pour 880 000 bénéficiaires de l’aide juridictionnelle. C’est ce dénominateur qui nous propulse au deuxième rang des pays européens, alors que le résultat de la division, qui, lui, représente la rémunération moyenne de l’avocat, est bien modeste et se rapproche des sommes que vous avez mentionnées, monsieur le député.

Je rappelle qu’un accord avait été trouvé en l’an 2000...

M. René Dosière. Heureuse époque !

M. le garde des sceaux. J’en conviens puisqu’il s’était soldé par une rallonge budgétaire de 50 millions d’euros. Le protocole d’accord a été complété en 2003 par une revalorisation du barème. Pour entrer dans les détails, il faut distinguer l’unité de valeur, c’est-à-dire le point, et le barème de cotation des actes. Mettons qu’un divorce vaille dix points et un crime quinze points. C’est la valeur du point qui sera revalorisée de 6 %. Quant au revenu de l’avocat, il résulte du produit des deux paramètres. Le barème de cotation de plusieurs procédures a été revalorisé en 2003, pour un coût de 11,3 millions d’euros. En 2004, nous avons augmenté de 2 % l’unité de valeur, ce qui a coûté 4,5 millions. Tant et si bien que, depuis 2001, les réformes ont abouti à une revalorisation de la contribution de l’État aux missions d’aide juridictionnelle de plus de 50,2 %.

M. René Dosière. Moins que le budget de l’Élysée ! (Sourires.)

M. le garde des sceaux. Sans doute ne faut-il pas se borner à une approche trop statistique, mais les chiffres sont un préalable nécessaire.

Quand j’ai annoncé cette année à la conférence des bâtonniers une augmentation de 6 %, je vous assure, quitte à vous surprendre, que j’ai été très applaudi. C’est à leur retour dans leurs barreaux respectifs que leurs confrères leur ont réservé un accueil plus froid. Mais, au départ, avec une hausse prévue de 6,6 % ventilée, soit une progression de 6 % de l’unité de valeur et 0,6 % pour le reste, nous pensions être en phase avec l’ensemble des avocats français. Nous serions aujourd’hui, semble-t-il, loin du compte.

Cela étant, si nous annonçons une augmentation du budget de l’aide juridictionnelle de 10 % à 15 % par an, personne – ni moi, ni mes successeurs – ne pourra tenir un tel rythme pendant cinq ans. Que faut-il faire alors ? En année préélectorale, on peut promettre ce que l’on veut, mais au-delà ? Il faut donc trouver une solution pérenne à un problème structurel. Ce n’est forcément facile à trouver, mais il faut explorer des pistes.

Pour ce faire, j’ai donc décidé de tenir les assises de l’aide juridictionnelle et de l’accès au droit, destinées à prolonger les travaux d’une commission ad hoc que j’ai créée début 2005. Elle réunit des spécialistes des barreaux et est chargée de trouver une solution à l’explosion structurelle de ce type de dépense. Au fond, le problème n’est pas très différent de celui des frais de justice dont nous pensions au départ que nous ne le réglerions jamais. Ayons le courage de nous attaquer à la réforme des structures, au lieu de nous contenter de solutions dilatoires – et indignes du Parlement – consistant à donner de l’argent. Ces assises devront traiter la question du nombre des entrées et le cas – difficile à concevoir à l’origine et douloureux pour l’avocat que je suis – de mes nombreux confrères qui vivent essentiellement de l’aide juridictionnelle, laquelle représente plus de 50 % de leur rémunération. Vue sous cet angle, leur colère est légitime : ils font un travail exigeant dévouement et professionnalisme en contrepartie du SMIC, pour reprendre votre exemple, monsieur le député. N’étant ni aveugle ni sourd aux revendications des avocats, je tente de leur apporter une vraie réponse.

Il faut donc aboutir à l’assurance de protection juridique. Actuellement, les compagnies d’assurance, outre qu’elles assurent leurs clients, leur fournissent également un avocat : le leur. Sur le plan déontologique, la démarche est plus que douteuse : l’avocat doit être attaché à l’assuré, pas à la compagnie d’assurance. Je propose donc que celle-ci verse au justiciable une somme pour payer un avocat qu’il choisira librement, ce dernier ayant toutefois la possibilité de réclamer des honoraires supplémentaires. Il faut introduire un peu de liberté dans un système, disons, socialisé.

M. René Dosière. Collectivisé, plutôt.

M. le garde des sceaux. Je reprends le terme, car j’aspire au consensus sur cette question.

J’ai obtenu l’accord du ministère des finances, qui est la tutelle des compagnies d’assurance, lesquelles ne sont pas folles de joie, vous vous en doutez, car fournir leur propre avocat leur coûte beaucoup moins cher. Dans les prochaines semaines, le groupe UMP aura l’occasion, dans le cadre des séances réservées à l’examen des textes d’origine parlementaire, de présenter une proposition de loi allant dans le sens que j’ai dit. Ce serait incontestablement un grand progrès pour les justiciables qui ont des ressources un peu supérieures au plafond fixé pour l’aide juridictionnelle, et qui, aujourd’hui, ne peuvent pas accéder au droit. Cette proposition, sans résoudre tous les problèmes, ouvre une vraie perspective.

Je ne peux que me rallier à l’avis défavorable de votre rapporteur spécial Jean-Paul Garraud, compte tenu des postes budgétaires que vous demandez d’amputer pour gager l’amendement. Du reste, je ne peux pas accepter une réduction des crédits de l’établissement public chargé de la construction du tribunal de grande instance de Paris. À cet égard, je n’arrive pas à comprendre comment, depuis cinq ans, nous n’avons pas réussi à nous mettre d’accord avec la mairie de Paris. Les conditions de travail actuelles des magistrats et des fonctionnaires sont effarantes, a fortiori celles des avocats. Il est absolument indispensable de construire un TGI à Tolbiac, et non pas sur le site inepte – entre deux périphériques – qui nous a été proposé. Quant aux économies sur les frais résultant du gardiennage des scellés, nous les avons déjà faites.

Je suis bien conscient du problème des avocats. S’ils ne sont que 5 % à Paris à vivre de l’aide juridictionnelle, en province, ils sont plus de 50 %.

M. René Dosière. 80 % à Laon !

M. le garde des sceaux. Je propose donc, outre la hausse de 6 % d’augmentation du budget consacré à l’aide juridictionnelle, une réflexion structurelle sur la question légitime de l’accès au droit et de l’aide juridictionnelle, et qui ne peut être balayée d’un revers de main.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Je prends acte avec satisfaction de l’organisation d’assises, qui se tiendront en janvier, pour dégager une solution structurelle sur l’aide juridictionnelle. Nous ne pouvons en effet plus nous contenter d’une fuite en avant budgétaire. Les avocats seront sûrement sensibles à une telle approche. Dans ces conditions, je retire mon amendement.

M. le président. Les amendements identiques, nos 204 et 255 sont retirés.

Je suis saisi d’un amendement n° 250.

La parole est à M. le rapporteur spécial, pour le défendre.

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Nous n’avions sans doute pas mesuré toutes les implications de notre amendement précédent.

L’amendement n° 250 est un amendement de repli, qui procède, lui aussi, à un redéploiement de crédits dans le cadre d’une enveloppe constante, ce qui est un exercice difficile. La difficulté est la même puisqu’il s’agit aussi de faire des économies sur les crédits destinés à régler les frais de gardiennage des scellés, ou sur ceux alloués à l’établissement public qui a pour mission d’aménager un nouveau palais de justice à Paris, objectif auquel tout le monde souscrit. Il est temps en effet qu’un accord intervienne avec la ville de Paris sur le site de Tolbiac, seul à même d’assurer la solennité qui sied à la justice et conforme à l’intérêt, non seulement des professionnels de la justice, mais aussi et surtout des justiciables ! Les autres budgets visés concernent notamment la campagne d’information et de communication sur le fonctionnement de la justice et la création d’une cantine sur le site Vendôme.

L’objectif de cet amendement est de majorer l’unité de valeur d’environ 10 %, au lieu de 15 % dans l’amendement précédent.

Cela étant, je souhaite développer deux observations, avant de retirer l’amendement.

Nous avons tout d’abord besoin d’une aide juridictionnelle suffisamment ouverte car c’est la condition de l’accès au droit. Toutefois, les bureaux d’aide juridictionnelle ont, à mon sens, au fil du temps, quelque peu été pervertis dans leur fonctionnement de mécanisme d’accès au droit – un mécanisme dont l’existence est souhaitable et auquel nous sommes tous attachés – du fait que de nombreux recours sont manifestement infondés. Aussi me paraît-il important d’instaurer à la source un filtrage, non pas en vue d’exercer un contrôle strict et drastique de ces recours, mais afin de s’assurer de leur sérieux et d’évacuer les manœuvres dilatoires, trop nombreuses, qui entravent le bon fonctionnement de la justice et ne permettent pas de garantir la sécurité qui doit s’attacher aux situations juridiques.

Le second point – vous l’avez rappelé à l’instant, monsieur le garde des sceaux – concerne la majoration de l’unité de valeur et, surtout, le barème de l’intervention des avocats, la juste rétribution de l’avocat étant une condition du bon fonctionnement non seulement de la justice pénale, mais également de la justice civile, ne l’oublions pas. Je crois que nous allons pouvoir progresser sur ce point.

Vous avez également évoqué la question de l’équilibre à trouver entre le libre choix de l’avocat et les exigences des compagnies d’assurance. C’est un problème difficile, et je vous souhaite beaucoup de courage et de détermination pour le résoudre dans le respect des intérêts des uns et des autres, lesquels sont plutôt antagonistes – il ne s’agit pas de le nier.

Monsieur le garde des sceaux, vous souhaitez une réforme structurelle et vous appelez notamment à la tenue d’assises sur l’accès au droit, dont l’aide juridictionnelle n’est que l’un des mécanismes – il n’est pas le seul, en effet. C’est pourquoi, afin de laisser parvenir à son terme la réflexion que vous avez entamée sur le sujet, réflexion que, je tiens à le rappeler, l’amendement n° 204 de la commission des finances, ne tendait qu’à accélérer, je retire l’amendement de repli n° 250.

M. le président. L’amendement n° 250 est retiré.

Je suis saisi d’un amendement n° 251.

La parole est à M. le rapporteur spécial, pour le soutenir.

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Cet amendement vise à revaloriser de quelque 10 % les crédits, qui sont de l’ordre d’1,5 million d’euros, destinés à rémunérer les aumôniers des prisons, dans le respect de la diversité confessionnelle – soit une augmentation de 150 000 euros.

Certes, un redéploiement de crédits a toujours des inconvénients. Toutefois la modestie de la somme ne saurait être mise en balance avec l’importance que constitue l’intervention de ces aumôniers de diverses confessions, laquelle est une des conditions du maintien du lien entre le détenu et son environnement religieux et philosophique. Ce petit effort financier s’impose donc à mes yeux, même si, naturellement, il peut avoir des conséquences pour d’autres chapitres des crédits de la justice, conséquences qui seront toutefois mineures.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse.

Mme Michèle Tabarot, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse. Dans le cadre de mon rapport, j’ai été conduite à auditionner les quatre aumôniers nationaux. Je dois rendre hommage à l’action qu’ils mènent en termes à la fois de lien social et de réinsertion, sujets sur lesquels les aumôniers travaillent avec les détenus. Ils aident également des détenus à comprendre le sens de leur peine, ceux du moins qui ont besoin d’aumônier de leur confession pour évoquer cette question.

Par ailleurs, je tiens à appeler votre attention, mes chers collègues, sur des éléments inquiétants visant à confirmer la montée de l’intégrisme religieux dans les établissements pénitentiaires. C’est ainsi qu’une centaine de détenus intégristes dangereux ont été identifiés – l’administration pénitentiaire les surveille activement – et que les services des renseignements généraux ont recensé plus de 300 actes prosélytes durant l’année 2005. Cela rend l’absence des aumôniers d’autant plus préjudiciable, car ils font passer, sur le plan cultuel, un message de modération auprès des détenus.

En conséquence, pour le bien du détenu durant sa détention, en vue de favoriser sa réinsertion et afin d’éviter la montée de l’intégrisme religieux, il est nécessaire de fournir ce petit effort financier, d’autant que, je le rappelle, les aumôniers des prisons ne reçoivent que 800 euros par mois lorsqu’ils travaillent à temps plein, qu’un grand nombre d’entre eux sont à temps partiel et que leurs frais de déplacement ne sont même pas pris en charge.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Je suis très sensible à cet amendement, notamment sur le fond parce que j’ai moi-même rencontré les quatre aumôniers nationaux – les aumôniers catholiques et protestants étant plus nombreux que les aumôniers juifs et musulmans, mais la présence d’aumôniers de ces quatre confessions est assurée dans les prisons françaises et ils sont généralement bien accueillis par les détenus qui souhaitent en rencontrer un. Ces détenus sont du reste très bien suivis par leurs aumôniers et participent régulièrement aux activités qu’ils leur proposent et aux rendez-vous qu’ils leur fixent.

En ce qui concerne leur rémunération, l’enveloppe ayant été augmentée de 14 % en 2006, l’actuel projet de loi de finances ne prévoit aucune nouvelle augmentation pour 2007. En revanche, il a été convenu avec le directeur de l’administration pénitentiaire que celle-ci pourra consacrer une partie de son budget à augmenter l’enveloppe dédiée à la rémunération des aumôniers.

Je tiens à ajouter qu'à la demande des aumôniers catholiques cette enveloppe a été régionalisée, l’aumônier régional assurant la redistribution par aumônier – la rémunération n’est donc pas égale entre eux et tient compte de leur activité. Je le répète, cette demande était la leur, afin d’assurer une rémunération « sur mesure ».

Je suis tout à fait favorable au principe d’une augmentation. Toutefois, il faut tenir compte du fait qu’il s’agit d’une indemnité et non d’un salaire. En effet, les aumôniers des prisons n’exercent jamais leurs fonctions à plein-temps,…

Mme Michèle Tabarot, rapporteure pour avis. Si !

M. le garde des sceaux. …exception faite naturellement des aumôniers nationaux,…

Mme Michèle Tabarot, rapporteure pour avis. Et des aumôniers régionaux.

M. le garde des sceaux. …encore que l’aumônier national musulman, à ma connaissance, est professeur de physique dans un collège, ce qui signifie qu’il travaille à mi-temps – c’est du moins, si ma mémoire est bonne, ce qu’il m’a expliqué. L’aumônier national catholique, qui doit coordonner les activités d’un plus grand nombre d’aumôniers, est, lui, à plein-temps. Il a du reste une vertu particulière, puisqu’il est de Saint-Étienne. (Sourires.)

M. René Dosière. Il a donc toutes les vertus !

M. le garde des sceaux. Je vous remercie de le dire !

Je ne souhaite pas que l’amendement soit voté, d’autant que vous l’avez gagé, une fois de plus, au détriment de l’action 02 du programme « Justice judiciaire », à savoir au détriment du gardiennage des scellés, qui a déjà été mis à contribution – il n’est pas possible de le faire trente-six fois. Votre amendement aura eu en revanche le mérite d’appeler l’attention du directeur de l’administration pénitentiaire et la mienne – c’est fait – sur la nécessité, en 2007, de revaloriser la rémunération des aumôniers des prisons dans le cadre du budget de l’administration pénitentiaire.

Je vous demande donc, monsieur le rapporteur spécial, de bien vouloir retirer votre amendement.

M. le président. Monsieur le rapporteur spécial, retirez-vous votre amendement ?

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Non, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 251.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les crédits de la mission « Justice », modifiés par l’amendement n° 251.

(Les crédits de la mission « Justice », ainsi modifiés, sont adoptés.)

M. le président. J’appelle maintenant l’article 49 du projet de loi de finances, rattaché à cette mission.

Article 49

M. le président. Sur l’article 49, je suis saisi d’un amendement n° 203.

La parole est à M. le rapporteur spécial, pour le soutenir.

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Il s’agit d’un amendement rédactionnel, monsieur le président.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 203.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 49, modifié par l'amendement n° 203.

(L'article 49, ainsi modifié, est adopté.)

M. le président. Nous en venons à deux amendements portant articles additionnels après l’article 49.

Après l’article 49

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 193.

La parole est à M. le garde des sceaux, pour le soutenir.

M. le garde des sceaux. Cet amendement, qui vise à mettre en place une bourse commune des greffiers des tribunaux de commerce, tend à rectifier un problème matériel qui s’est produit lors de la refonte du code de l’organisation judiciaire en juin dernier : en effet, au cours de celle-ci, cinq alinéas de l’ancien article L. 821-4 de ce code ont disparu. Il s’agit donc de restituer cet article dans sa rédaction intégrale afin de permettre à la profession des greffiers des tribunaux de commerce de mener à bien des projets d’intérêt commun au sein d’une bourse commune financée par une contribution obligatoire des greffiers en exercice.

L’adoption de cet amendement permettra donc au conseil national représentant la profession auprès des pouvoirs publics de mettre en place les financements d’intérêt commun à la profession.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 193.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 194 rectifié.

La parole est à M. le garde des sceaux, pour le soutenir.

M. le garde des sceaux. Cet amendement vise à permettre la désignation de nouveaux premiers avocats généraux près la Cour de cassation – il n’y en a actuellement qu’un seul.

Alors que la Cour européenne des droits de l’homme, qui siège à Strasbourg, permettait auparavant aux avocats généraux de s’appuyer sur l’examen approfondi du rapport du conseiller rapporteur, la jurisprudence de celle-ci leur interdit désormais de l’entendre. Il est donc nécessaire de renforcer le nombre des avocats généraux et de créer un premier avocat général par chambre.

Le présent amendement vise à financer les conséquences budgétaires, limitées, de cette disposition, puisqu’elles sont de l’ordre de 100 000 euros.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 194 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Nous avons terminé l’examen des crédits relatifs à la justice.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures cinquante-cinq, est reprise à onze heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Pouvoirs publics – Conseil et contrôle
de l’État

M. le président. Nous abordons l’examen des crédits relatifs aux pouvoirs publics et au conseil et au contrôle de l’État.

La parole est à M. le rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du plan.

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué aux relations avec le Parlement, chers collègues, il y a un an, un jeudi matin aussi, je faisais état devant vous de l'observation, approuvée sur ma proposition par la commission des finances, pour s'élever contre le refus obstiné opposé par la Présidence de la République à toute velléité du rapporteur spécial d'en savoir un peu plus sur ses crédits.

M. René Dosière. Quelle surprise !

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. En effet, il ressortait peu de choses des maigres documents budgétaires d'alors : ni le questionnaire que j'avais adressé à qui de droit ni la lettre de relance de l'automne n'avaient trouvé le moindre écho.

M. René Dosière. Encore une surprise !

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. Cette année, l'observation de la commission des finances porte sur l'insuffisante adaptation à la LOLF de la présentation des crédits du Conseil économique et social, en dépit des suggestions que je lui avais faites.

Comme vous le voyez, le simple rapprochement de ces deux observations, à un an d'intervalle, illustre assez les progrès accomplis. L'effort de pédagogie dont je me voulais le porteur a commencé de porter ses fruits, et je m'en réjouis, non pas tant pour moi-même d’ailleurs, que pour le bon fonctionnement démocratique de nos institutions, dont la transparence budgétaire me semble être un excellent indicateur.

Permettez-moi, par conséquent, de citer les quelques motifs de satisfaction qu’apporte la lecture du « bleu » budgétaire de cette année, concernant la mission « Pouvoirs publics ». Je parlerai par la suite des crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

En premier lieu, le « bleu » relatif aux crédits des pouvoirs publics a pris, en un an, beaucoup de poids : j’entends par là que, conformément à la suggestion que j'avais faite et que mon homologue au Sénat, le président Jean Arthuis, avait bien voulu appuyer, on a ajouté au « bleu » des informations contenues jusqu'alors dans deux annexes « jaunes ». Il s’agit de ces « jaunes » que, depuis bien longtemps, les assemblées parlementaires publiaient en application de l'ordonnance du 17 novembre 1958, et, pour les annexes jaunes relatives aux autres pouvoirs publics, depuis la loi de finances pour 2002.

En changeant de couleur – certes pas encore de couleur politique, car vous aurez compris que ce matin je me situe au-dessus de ces considérations –, les informations qui nous sont fournies se sont modestement étoffées. Je vais en citer, rapidement, quelques-unes.

À tout seigneur tout honneur, intéressons-nous d’abord à la dotation de la Présidence de la République.

M. René Dosière. Ah !

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. Si elle baisse, d'une année sur l'autre, de 2,1 %, pour atteindre 31,8 millions d'euros, c'est en quasi-totalité, comme le précise le « bleu », grâce à mon interrogation de l'an dernier sur le paiement par la Présidence de la taxe sur les salaires, contraire à la lettre de l'article 231 du code général des impôts.

M. René Dosière. Très juste !

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. L'économie réalisée sur la dotation grâce au respect du principe d'exonération de cette taxe est de 665 000 euros ! Par ailleurs, conformément au vœu que j’avais formé, le reliquat de l'exécution de 2005 vient bien en déduction des crédits demandés pour 2007.

M. René Dosière. La cagnotte va disparaître !

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. Divers autres éléments laissent à penser que l'exercice pédagogique de l'an dernier n'a pas été inutile. En effet, un tableau des 957 effectifs en poste à la Présidence de la République est enfin publié cette année. S’il devra être enrichi, il constitue un réel progrès puisqu’y figurent des détails sur les contractuels employés par la Présidence, sur son parc immobilier ou sur son parc automobile. Si vous me permettez une métaphore, le parc de l'Élysée n'est pas encore un jardin à la française, tant il reste à faire pour que le « coût complet » de la Présidence apparaisse réellement. Il faudrait, en effet, y inclure les très nombreuses mises à disposition supportées par les budgets des différents ministères, dont la performance – au sens de la LOLF – se trouve réduite d'autant.

Mieux justifiées dans le document budgétaire, les trois dotations relatives aux assemblées parlementaires sont en hausse. Celle de l'Assemblée nationale s'établira à près de 530 millions d’euros, compte tenu du coût de son renouvellement, celle du Sénat à près de 315 millions d'euros et celle de la chaîne parlementaire – très dynamique – à plus de 26 millions d'euros.

J'ajoute à ces dotations une nouveauté pour 2007 : l'inclusion dans le périmètre de la mission « Pouvoirs publics » des indemnités des représentants de la France au Parlement européen, pour un peu plus de 8 millions d'euros. Ces crédits figuraient l'an dernier au sein de la mission « Action extérieure de l'État », comme crédits de fonctionnement, ce dont la commission des finances s'était légitimement étonnée puisqu'il s'agit de rémunérations dont la gestion incombe à l'Assemblée et au Sénat. L'imputation nouvelle est donc la bonne. L'hypothèse la plus logique – celle d'un versement de ces indemnités par le budget de l'Union européenne – devrait finir par se réaliser, mais pas avant 2009.

Autre illustration, non pas du prix mais du coût de la démocratie, que j'explique dans mon rapport : la dotation du Conseil constitutionnel passera l'an prochain à 7,24 millions d'euros, soit une hausse de plus de 26 %. Ce pourcentage n'a toutefois pas grand sens et mieux vaut, comme le fait le Conseil lui-même, qui fait preuve, comme l'an dernier, d'une louable volonté de transparence et d'un bel effort de gestion,…

M. René Dosière. Très bien !

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial …distinguer entre opérations courantes et opérations exceptionnelles. Les crédits consacrés aux premières augmenteront de 4,3 %, compte tenu des changements à prévoir dans la composition du Conseil, et une dotation exceptionnelle de 1,7 million d'euros permettra de faire face aux dépenses occasionnées par l'élection présidentielle du printemps prochain.

Enfin, la dotation de la Cour de justice de la République sera inférieure à 887 000 euros, en baisse de près de 60 000 euros, ce qui témoigne d'un ajustement des frais de justice. Le loyer de l'immeuble qui abrite le siège de la Cour accapare désormais presque la moitié de la dotation, ce qui justifie que je persiste à demander une réflexion visant par exemple à mettre en place une location avec option d'achat.

Suivant mon avis favorable, en raison des progrès enregistrés en matière de transparence pour certaines dotations de la mission « Pouvoirs publics », la commission des finances a adopté les crédits de cette mission, et je vous invite à faire de même.

J'en viens aux crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

J'avais, l'an dernier, fait part de ma perplexité face au nouvel agencement que constituait cette curieuse mission, composite à bien des égards, et qui devait concrétiser une forme d'autonomie budgétaire accrue par rapport au droit commun des programmes du budget général. Pour autant, j'avais suggéré de « laisser vivre » cet attelage en 2006.

Après six mois d'exécution – puis, de nouveau, cet automne –, j'ai consulté les principaux intéressés, à savoir les responsables des programmes « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et « Cour des comptes et autres juridictions financières », ainsi que les trois syndicats représentant les juges administratifs et les magistrats financiers, le statut dérogatoire du Conseil économique et social ne suscitant pas le même type d'interrogation.

De ces entretiens, il est ressorti que, pour le Conseil d'État et les juridictions administratives, le principe d'autonomie, dans la gestion des personnels comme dans celle du budget, n'était que la confirmation de la situation existante. Tout juste peut-on noter que, conformément aux engagements pris, la régulation budgétaire en cours d'exercice pèse moins qu'auparavant sur la conduite des projets d'investissements.

S'agissant de la Cour des comptes, le changement est plus perceptible, et je dirais volontiers que la Cour a adopté une conception militante de son indépendance renforcée. En effet, jusqu'à présent, la gestion de ses ressources humaines et de celles des chambres régionales et territoriales des comptes relevait essentiellement du ministère des finances. L'autonomie budgétaire acquise se traduit donc dans les structures comme dans les moyens.

Pour 2007, les crédits demandés pour le programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives » sont en progression de 5,3 % par rapport à 2006, dont 0,1 point par transferts de crédits. Ils représenteront 252,9 millions d'euros en autorisations d'engagement et 250,7 millions d'euros en crédits de paiement.

Pour l’essentiel, les crédits de personnel représentent 82 % du total du programme. Trois millions d’euros sont censés concrétiser la mise en œuvre de la dernière tranche de la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, mais, outre le fait que tous les postes sont créés « en demi-année », il resterait encore à recruter à la fin de 2007, pour solder la programmation : 54 magistrats – sur 210 prévus – ; 84 agents de greffe – sur 270 prévus – ; et 22 assistants de justice –, sur 230 prévus !

La loi d’orientation est donc loin d’être honorée pour les juridictions administratives, alors que le contentieux qui leur est soumis n’a cessé d’augmenter sur la période : de 14 % en 2003, de 16 % en 2004 et de 5 % en 2005. Il serait grave que le non-respect de la loi de programmation se traduise, en dépit des remarquables efforts de productivité des personnels, par une moindre qualité des décisions, par des délais de jugement accrus ou par un développement excessif des procédures à juge unique.

Dans le programme « Cour des comptes et autres juridictions financières », la hausse des crédits de paiement atteindra 5,8 %, dont 0,5 point de transferts de la part du ministère des finances, traduction concrète de l’autonomie de gestion acquise l’an dernier et qui continue de représenter un important chantier législatif et réglementaire. C’est bien avec une nouvelle jeunesse que la Cour des comptes se prépare à entamer en 2007 son troisième centenaire, et les chambres régionales des comptes leur deuxième quart de siècle.

Les crédits de personnel justifient les trois quarts de la progression des moyens du programme, qui atteindront 181,7 millions d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement. Dix postes seront créés, dont deux par redéploiement interne, notamment pour mener à bien la mission nouvelle que constitue la certification des comptes de la sécurité sociale. Celle des comptes de l’État, l’an prochain, est également un rendez-vous très attendu.

Pour les deux programmes que je viens d’évoquer, le respect des exigences de la LOLF s’impose de lui-même, quoique de façon différenciée. En effet, le Conseil d’État a choisi de ne constituer qu’un seul budget opérationnel de programme, mais sa pratique désormais bien rodée des contrats d’objectifs et de moyens avec les juridictions est tout à fait conforme à l’esprit de la LOLF, et l’activité contentieuse du juge administratif se prête bien à la mesure de la performance.

La Cour des comptes, pour sa part, a constitué vingt-six budgets opérationnels de programme et dessiné des actions où se mêlent l’échelon national et l’échelon local. Elle est consciente de devoir encore améliorer son dispositif d’indicateurs de performance pour rendre plus cohérente et plus efficace la mesure de l’action menée, délicate à apprécier il est vrai, comme toute activité de contrôle.

Après le rappel de cette démarche constructive, je dois regretter, cette année encore, que le Conseil économique et social peine à accepter de jouer le jeu de la LOLF. Il persiste en effet à refuser un découpage de ses crédits en actions ou le développement d’indicateurs qui mesurent mieux la performance de sa gestion. Je n’ignore pas la spécificité de cette institution, et je veux souligner ici, comme je l’ai dit encore récemment au président Jacques Dermagne, son utilité comme instance de réflexion et de prospective auprès des pouvoirs publics. Cependant les suggestions précises que j’ai formulées et répétées dans mes rapports spéciaux successifs me paraissent de nature à surmonter l’obstacle. Je les développe et les affine encore cette année dans mon rapport écrit, en espérant fermement que cette pédagogie, assortie du rappel à l’ordre que constitue l’observation adoptée par votre commission des finances, sera suivie d’effet.

Les crédits du programme « Conseil économique et social » s’élèveront en 2007 à 35,9 millions d’euros, en hausse de 0,7 % sur un an, uniquement sous l’effet des mesures générales propres à la fonction publique, et à effectif inchangé, les dépenses de fonctionnement étant en très légère diminution.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les remarques et les questions que je souhaitais vous faire partager. Dans sa sagesse, à laquelle je m’en remets, la commission des finances a adopté les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l’État », je dirais plutôt des trois programmes rassemblés, pour leur examen, dans une même mission. Ces institutions feront d’autant plus honneur à notre République qu’elles sauront mettre l’outil de la LOLF au service d’une utilisation toujours plus pertinente des deniers publics. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Nous allons maintenant entendre les orateurs inscrits dans la discussion.

La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes invités à nous pencher sur la mission « Pouvoirs publics – Conseil et contrôle de l’État ». Je tiens d’abord à exprimer, au nom du groupe UMP, notre gratitude envers M. le rapporteur spécial, dont nous avons apprécié la profonde honnêteté intellectuelle.

M. René Dosière. Cela commence mal !

M. Guy Geoffroy. Il n’est pas fréquent, en effet, de voir des rapporteurs…

M. Éric Jalton. Honnêtes ? (Sourires.)

M. Guy Geoffroy. …issus des rangs de l’opposition faire valoir, en plus de leur opinion, celle qui a été exprimée par la commission. Il est légitime que l’on puisse faire appel, sur certains sujets, à des rapporteurs de l’opposition, légitime aussi que ceux-ci expriment leur opinion, légitime enfin qu’ils n’oublient pas de faire état de la position de la commission.

Votre exposé, monsieur le rapporteur spécial, était d’ailleurs plus que nuancé sur chacune des deux missions, et même, m’a-t-il semblé, globalement positif. Vous vous attribuez certes une part de responsabilité dans cette évolution. Le rôle d’un rapporteur est en effet de formuler des observations et l’on ne peut qu’être satisfait lorsque l’on constate que le Gouvernement, dans la plus grande transparence, a tenu compte de celles-ci et que le projet de l’année suivante est plus conforme aux attentes de la représentation nationale.

Vous avez émis un avis favorable à l’adoption des crédits des pouvoirs publics, y compris ceux de la Présidence de la République, et avez laissé la commission exercer sa sagesse – ce dont elle ne s’est pas privée ! – en ce qui concerne les crédits relatifs au conseil et au contrôle de l’État.

Le rapport étant très complet – un peu technique peut-être, mais c’est la loi du genre –, je concentrerai mon intervention sur certains points de la mission, en commençant par le budget pour 2007 des assemblées parlementaires.

Si le budget de nos collègues sénateurs reste sage, avec une augmentation d’à peine plus de 2 %, la hausse de celui de notre assemblée est beaucoup plus sensible. Nos concitoyens – ceux qui nous écoutent et ceux qui liront les comptes rendus de ces débats – doivent comprendre que cette augmentation tient à l’organisation des élections législatives et à d’éventuels changements dans la composition de l’Assemblée. Je les souhaite, bien entendu, les plus réduits possible,…

M. René Dosière. Pas nous !

M. Guy Geoffroy. …mais c’est une sage précaution que de solliciter des crédits permettant l’éventuel licenciement –il faut appeler un chat un chat ! – de collaborateurs de parlementaires qui ne seraient pas réélus.

Il convient également de prévoir d’accompagner par des moyens correspondants l’arrivée de nouveaux parlementaires et l’ouverture de nouveaux droits en matière de fonctionnement administratif, notamment pour la mise à disposition de matériels informatiques. Comme l’a remarqué le rapporteur spécial et comme cela est clairement exposé dans le bleu, la consommation des crédits de renouvellement du matériel informatique pour chaque député a lieu, la plupart du temps, en début de mandat, ce qui explique l’importance des crédits prévus pour 2007 en la matière.

Que nos concitoyens se rassurent : les indemnités de leurs représentants, qu’il s’agisse des députés, des sénateurs ou des députés européens, n’augmenteront pas plus que les rémunérations des fonctionnaires, puisque leur évolution est calée sur celle des salaires de la fonction publique. Du reste, j’en appellerais volontiers à la démocratie participative pour demander à nos concitoyens de contribuer à une faible utilisation de nos crédits en veillant à ce que la physionomie de notre assemblée dans la deuxième partie de l’année 2007 ne soit pas trop différente de celle d’aujourd'hui. (Sourires.)

M. René Dosière. Tout le monde n’est pas obligé de partager ce point de vue !

M. Guy Geoffroy. S’agissant des chaînes LCP Assemblée nationale et Public Sénat, l’accès à la TNT est probablement une bonne chose, et l’on doit se féliciter en 2006 de la retransmission d’un événement important dont LCP a fait bénéficier la nation : les quelque deux cent vingt heures de débats et d’échanges de la commission d’enquête sur l’affaire dite d’Outreau. Si, avec la TNT, la connaissance de nos institutions parlementaires est ouverte à un nombre grandissant de nos concitoyens, il faut espérer aussi que, le jour venu – j’espère le plus tôt possible –, nous disposions d’un seul et unique outil de communication télévisuel. On peut en effet former le vœu que ces deux chaînes, qui ont démontré l’une et l’autre leurs qualités, prouvent qu’en unissant leurs efforts elles peuvent faire encore mieux.

M. Jean-Claude Flory. Excellente proposition !

M. Guy Geoffroy. Pour ce qui est des crédits de la Présidence de la République, je n’attends aucune révolution dans les appréciations de M. Dosière : il dira certainement, comme chaque année, tout le mal qu’il faut penser de la façon dont la Présidence bâtit, gère et rend compte de son budget. J’observe cependant – tout comme le rapporteur spécial, qui a eu l’honnêteté de le reconnaître – que ce budget est en baisse pour 2007. Les raisons en sont aisément compréhensibles, mais cette diminution substantielle de 2 % traduit aussi la volonté que l’on a, au sommet de l’État, de faire connaître en toute transparence les besoins légitimes de cette institution majeure, sans rien cacher à nos concitoyens de ce qui concerne le palais de l’Élysée.

M. René Dosière. Vous êtes sérieux en disant cela ?

M. Guy Geoffroy. Certes, la transparence peut toujours être améliorée et c’est ce que nous souhaitons, mais je vous invite, monsieur Dosière, à faire œuvre encore plus utile à propos des crédits de la Présidence de la République. S’il advenait que vous disposiez d’un peu de temps disponible dans la deuxième partie de 2007, vous pourriez mettre à profit la science considérable que vous avez acquise en la matière pour produire à la nation, qui en sera sans nul doute très friande, un texte à la fois synthétique et approfondi sur la transparence et le volume des crédits consacrés à la Présidence de la République durant les deux septennats de François Mitterrand.

M. René Dosière. La plaisanterie est facile !

M. Guy Geoffroy. Surtout n’y voyez pas malice, mon cher collègue !

M. Jean-Claude Flory. On pourra même vous aider !

M. Guy Geoffroy. Pour le reste, le groupe UMP, se conformant tant à l’avis du rapporteur spécial qu’à celui de la commission des finances, invite l’Assemblée à voter les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est une nouveauté sous la Ve République de débattre à l'Assemblée nationale du budget de la Présidence de la République. Depuis cinquante ans, et quelle que soit la majorité au pouvoir, aucune remarque n'était formulée, pas même par le rapporteur spécial de la commission des finances dont c'est pourtant la fonction. Ce temps du silence est révolu.

M. Guy Geoffroy. Grâce à nous !

M. René Dosière. L'Assemblée a retrouvé ses prérogatives,…

M. Guy Geoffroy. C’est la France d’après Mitterrand !

M. René Dosière. …comme en témoigne l'excellent rapport de mon collègue et ami Pierre Bourguignon, dont on appréciera les observations pertinentes et critiques, critiques parce que pertinentes.

Je ne dissimulerai pas, monsieur Geoffroy, ma satisfaction d'avoir contribué, par un travail d'investigation mené depuis cinq ans, à revaloriser le rôle de l'Assemblée dans un domaine limité mais ô combien symbolique. Les Français attendent en effet du Président de la République, premier personnage de l'État, un comportement exemplaire en matière de gestion des fonds publics, et l’étranger voit dans le chef de l’État l'image de la France, découvrant avec étonnement les curiosités de la gestion financière de l’Élysée.

On sait désormais que le budget soumis à notre vote – 32 millions d'euros – ne représente qu'un tiers des dépenses de la Présidence, les deux autres tiers étant disséminés – voire dissimulés – dans les budgets d'une dizaine de ministères mis à contribution par l'Élysée. Les quatre-vingt-quinze questions écrites que j'ai posées à une dizaine de ministres m’ont permis d'évaluer le budget global à 90 millions d'euros. Jusqu'à présent, j'avançais le chiffre de 85 millions, mais des précisions supplémentaires sont apparues récemment : le coût des trente-sept gendarmes qui surveillent jour et nuit, 365 jours par an, la propriété privée du chef de l'État en Corrèze – où il ne séjourne jamais – s'élève à 2 millions d'euros ; ses déplacements en hélicoptère coûtent en moyenne 500 000 euros ; 142 personnes travaillent pour l'Élysée sans qu’on sache qui les rémunère.

La Présidence a enfin indiqué que les effectifs en poste à l'Élysée s'élèvent à 957, dont 91 recrutés directement par contrat. La différence, soit 866, correspond aux personnes mises à disposition par les ministères. Or, selon les réponses des ministres, elles seraient en fait 724. J'ai donc demandé au Premier ministre d'expliquer cette différence. Dans l'attente de sa réponse, on considérera qu'il s'agit de militants bénévoles de l'UMP !

On peut comprendre que les ministères de la défense et de l'intérieur en particulier participent au fonctionnement de la Présidence, mais pourquoi le dissimuler ? Cette participation doit apparaître en toute clarté, ce qui serait le cas si l'on nous présentait un budget vérité.

On m'objectera qu'il en est ainsi depuis que la République a été refondée dans les années 1880. Cependant les pouvoirs dévolus au Président de la République par la Constitution de 1958, renforcés en 1962 par l'élection au suffrage universel et en 2001 par la réduction à cinq ans du mandat présidentiel, sont sans commune mesure avec ceux des Républiques précédentes. Si la Présidence a changé, son régime financier doit évoluer et s'adapter aux nouveaux pouvoirs du Président. L'action politique consiste non pas à regarder dans le rétroviseur, mais à tracer la route à suivre.

M. Yannick Favennec. C’est un peu facile !

M. René Dosière. Or le budget de l'Élysée échappe à l’effort de clarification engagé par la LOLF, qui impose le regroupement de l'ensemble des dépenses, en particulier celles de personnel là où travaillent les personnes. Ainsi des situations étonnantes perdurent : les magistrats qui travaillent au cabinet du Président figurent toujours dans les effectifs de leurs tribunaux d'affectation, ce qui empêche leur remplacement puisque les postes ne sont pas officiellement vacants. Il est grand temps de mettre un terme à ces situations équivoques et floues en utilisant des procédures administratives mieux adaptées.

S'agissant des dépenses courantes de fonctionnement, une légère remise en ordre a été réalisée : le ministère de la culture ne paie plus les gommes et les crayons, mais le ministère des affaires étrangères continue à supporter le coût des réceptions et des petits fours. Rappelons-nous le slogan de 1968 : ce n'est qu'un début, continuons le combat !

D'ailleurs, d'autres améliorations sont intervenues depuis que la représentation nationale s'intéresse au budget de l'Élysée. Ainsi, le budget officiel, qui avait augmenté au rythme vertigineux de 20 % par an de 1995 à 2003, progresse depuis 2004 au rythme de l'inflation, de 1 % à 2 %. S'il diminuera faiblement en 2007, monsieur Geoffroy, c'est grâce à une observation du rapporteur spécial, …

M. Guy Geoffroy. Je l’ai rappelé !

M. René Dosière. …qui s'est étonné, l'an dernier, du paiement d'une taxe sur les salaires de 665 000 euros à laquelle l'État n'est pas soumis. Songez aux économies qui auraient pu être réalisées si cette observation pertinente avait pu être faite cinq ans ou dix ans auparavant !

M. Guy Geoffroy. Et même vingt ans !

M. René Dosière. J'ai demandé au Premier ministre si l'Élysée allait réclamer les sommes indûment versées aux impôts. Là aussi, j'attends la réponse.

Il est vrai que l'année 2007 sera particulière puisque nous changerons de Président. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Le Guen. Ce n’est pas sûr !

M. Guy Geoffroy. La messe n’est pas dite !

M. René Dosière. En 1995, le Président nouvellement élu augmenta de 50 % la dotation votée dans la loi de finances initiale et fixée par son prédécesseur. Voilà un exemple à ne pas suivre !

La diminution relative prévue pour 2007 ne doit pas faire oublier que, sous les deux mandats de Jacques Chirac, le budget de la Présidence est passé de 3 millions en 1995 à 27 millions en 2006, compte non tenu, pour rester comparable au précédent, de la dotation qui a compensé la suppression des fonds secrets. Une telle multiplication par neuf est pour le moins excessive, surtout pour un Président qui promettait un « État modeste ».

Encore ne s’agit-il que de la partie visible, à laquelle s'ajoutent les financements des ministères. Si l'on connaît aujourd'hui avec précision les détails de la contribution de chaque ministère, il n'en va pas de même pour le budget officiel, sur lequel les informations restent fragmentaires malgré les modestes améliorations qui se font jour en 2007.

La Constitution interdisant de s'adresser directement au Président, j'ai interrogé le Premier ministre, pour y voir plus clair. On connaît l'estime qu'il porte aux élus du suffrage universel. C’est sans doute pourquoi il a manifesté la plus mauvaise volonté à faire la lumière sur cette partie du budget. Une quinzaine de mes questions attendent une réponse, depuis plusieurs mois pour certaines.

Que cherche-t-on à dissimuler au peuple français ? Cette opacité est une exception française, comme je l'ai vérifié en étudiant la situation des chefs d'État d’autres pays démocratiques : ici, l'information est accessible ; là, le contrôle du Parlement s'effectue sans complexe ni tabou ; même le Président des États-Unis doit rendre des comptes au Congrès sur son budget.

Puisque nous élirons un nouveau Président en 2007, espérons qu'un terme sera mis à ces pratiques d'un autre âge et que notre démocratie sera modernisée de ce point de vue. Si le budget de la Présidence de la République, avec 90 millions d'euros, est modeste au regard des 285 milliards du budget de l'État et n’en représente que 0,05 % , il est le plus symbolique de tous, car il est celui du premier personnage de l’État. S'il veut combattre le discrédit qui frappe les responsables politiques, y compris la fonction présidentielle, le prochain chef de l'État devra être exemplaire en matière d'utilisation des fonds publics.

Comment expliquer aux 36 000 maires de France et à tous les acteurs publics, qui doivent justifier le moindre euro de dépense dont, au surplus, la régularité est vérifiée par un comptable public et par la chambre régionale des comptes, que le Président de la République peut dépenser sans compter des sommes dont il fixe lui-même le montant et qui ne sont soumises à aucun contrôle ?

À l'Assemblée nationale, pourtant dotée de l'autonomie financière, un encadrement des dépenses existe : un règlement budgétaire est applicable à tous les services, une commission pluraliste vérifie les comptes, et nous procédons à la publication détaillée de notre budget. Cette publication très complète de 150 pages n'a rien à voir avec les quatre pages du document élaboré par les services de l'Élysée.

Rien ne justifie cette absence totale de contrôle sur le budget de la Présidence. Des procédures existent à l'étranger dont on pourrait utilement s'inspirer. L'autorité et la confiance que le peuple français accordera au prochain Président sont à ce prix. En faisant la transparence sur son budget, le chef de l’État passera d’une autorité de commandement à une autorité de compétence, pour reprendre une distinction chère à Charles Péguy. Aujourd’hui plus qu’hier, l’autorité du chef de l’État doit reposer sur la confiance. Or celle-ci ne se décrète pas : elle se mérite !

En conclusion, je vous poserai, monsieur le ministre, les trois questions dont j’avais fait part au Premier ministre, m’étonnant des distorsions qui ressortaient des documents budgétaires entre les affirmations de l’Élysée et la réalité.

La Présidence envisage-t-elle de réclamer aux services fiscaux les sommes indûment payées au titre de la taxe sur les salaires ?

L’Élysée affirme rembourser aux ministères et organismes publics 1,5 million d’euros pour les personnels mis à disposition. Comment se fait-il, alors, que le total s’élève, selon les réponses des ministères, à 2,3 millions ?

Enfin, l’Élysée déclare 866 personnes mises à disposition par les ministères ; selon les ministères, elles sont 724. Où sont les 142 personnes qui ne sont rémunérées ni par l’Élysée ni par les divers ministères ?

Monsieur le ministre, vous avez été un élu et vous portez, à ce titre, un grand intérêt à la représentation nationale. J’espère que vous pourrez lui apporter les précisions que le Premier ministre se refuse à lui donner. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement.

M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, en cette deuxième année d'application de la LOLF, et conformément au souhait exprimé par votre assemblée, les deux missions « Pouvoirs publics » et « Conseil et contrôle de l'État » font l'objet d'une discussion commune.

La mission « Pouvoirs publics » regroupe, je le rappelle, la plupart des organes constitutionnels de la République. Elle bénéficie d'une dérogation au droit commun établi par la LOLF : les dotations qui leur sont versées sont dispensées de contraintes de performance et de régulation budgétaire.

Pour respecter le principe de séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, je n’évoquerai ni les budgets des assemblées ni celui de la Cour de justice de la République. Je souhaite néanmoins préciser un point concernant le Conseil constitutionnel et répondre globalement à M. Dosière…

M. René Dosière. Vous pouvez être précis !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. …qui s’est plus spécialement exprimé sur le budget de la Présidence de la République.

Je me réjouis naturellement du constat positif qu’a dressé le rapporteur spécial, M. Bourguignon. J’ai été très sensible à ses propos. Je pense d’ailleurs que M. Dosière et M. Bourguignon devraient accorder leurs violons.

Quant à M. Dosière, je me contenterai de lui répondre que tout ce qui est excessif est dérisoire.

M. René Dosière. Vous l’avez déjà dit l’année dernière !

M. Guy Geoffroy. C’est toujours valable !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. En conséquence, je laisserai aux militants de votre circonscription le soin de disséquer et d’interpréter vos propos puisqu’il semble que vous ayez quelque difficulté à les convaincre. J’espère que vous parviendrez, d’ici au mois de juin prochain, à inverser la vapeur.

M. René Dosière. Ne vous inquiétez pas !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. L’augmentation de 26,3 % des crédits du Conseil constitutionnel dans ce projet de loi de finances s’explique essentiellement par la nécessité de financer les opérations liées à l’organisation de l’élection présidentielle pour un montant de 1,7 million d’euros. Quant aux crédits de la Présidence de la République, je me contenterai de rappeler ce que chacun sait aujourd’hui depuis longtemps, à part M. Dosière, semble-t-il. Il y a – mais personne ne s’en est ému jusqu’en 1995 – une spécificité constante de la Présidence de la République : son autonomie financière.

M. Guy Geoffroy. Eh oui !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. M. Geoffroy a, tout comme lors de l’examen du budget précédent, évoqué ce point avec brio. C’est également le cas des autres pouvoirs publics. Le Conseil constitutionnel, cher monsieur Dosière à l’idée fixe, a rappelé cette spécificité dans sa décision du 27 décembre 2001 sur la loi de finances pour 2002. Si ce principe pouvait être admis une fois pour toutes, le débat pourrait se concentrer sur l’essentiel.

M. René Dosière. Cela ne justifie pas l’opacité !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. L’opposition, en la personne du rapporteur spécial, a justement apprécié cette année les réels efforts de transparence de cette dotation. L’Assemblée dispose, comme elle l’avait souhaité en 2005, de précisions utiles sur les effectifs de la Présidence de la République et du détail des résidences qui lui sont affectées. Ces éléments d’information viennent donc s’ajouter à ceux fournis l’an passé sur son budget de fonctionnement.

Stabilité, effort de modération des dépenses et bonne gestion caractérisent une nouvelle fois cette dotation, qui est, en effet, en baisse de 2,10 % dans ce projet de loi de finances. Les charges de service diminuent également de 1,67 %. Cela s’explique, pour une large part, par l’exonération de la taxe sur les salaires, en application de l’article 231 du code général des impôts. M. Bourguignon pourra ainsi constater qu’il a été tenu compte de son intervention de l’an passé. Qu’il en soit remercié !

Il est par ailleurs utile de noter la stabilité, depuis quatre ans, des charges de services qui représentent plus de 50 % du budget ; la hausse modérée de la dotation du Président de la République et des charges de personnel : plus 0, 8 %, soit le taux retenu pour l’évolution générale du budget de l’État.

Enfin, je crois indispensable par souci de pédagogie, de répéter ce que j’ai déjà dit l’an passé, s’agissant de la prise en charge des personnels mis à disposition, des frais de déplacements, des travaux sur les immeubles affectés qui sont, chacun le sait, des monuments historiques.

M. Guy Geoffroy. Eh oui !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Les moyens en personnels restent fournis à la Présidence par certains ministères, conformément, monsieur Dosière, à une tradition constante depuis la IIIRépublique : il n’y a jamais eu de corps de fonctionnaires propres à l’Élysée.

M. Guy Geoffroy. Exactement !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Par ailleurs, monsieur Dosière, les déplacements du chef de l’État font traditionnellement l’objet de dotations spécifiques apportées par différents ministères : les affaires étrangères, l’intérieur, l’outre-mer et la défense.

M. Jean-Claude Flory. C’est historique !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Enfin, dans un souci de cohérence administrative, les crédits liés aux travaux sur les immeubles affectés ont toujours été rattachés au ministère de la culture, au titre de la conservation du patrimoine de l’État.

M. René Dosière. Pourquoi tout cela n’est-il pas public ?

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Je crois que vous êtes autiste, monsieur Dosière !

M. Guy Geoffroy. Et avant 1995 ?

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Pour conclure sur cette première mission, je tiens à remercier votre rapporteur spécial qui a apprécié que les indemnités des représentants français au Parlement européen soient cette année très clairement identifiées. C’est une réponse au souhait qu’avaient formulé les rapporteurs spéciaux des commissions des finances des deux assemblées l’an passé à l’occasion de l’examen de la mission « Action extérieure de l’État ». Cela constitue une preuve supplémentaire de l’écoute attentive du Gouvernement

Ces précisions étant apportées, j’aborde maintenant la mission « Conseil et contrôle de l’État ».

Je présenterai successivement les programmes 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières », 165 « Conseil d’État et autres juridictions administratives » et 126 « Conseil économique et social ».

Le programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières» est inscrit depuis le 1er janvier 2006 dans la mission « Conseil et contrôle de l’État » rattachée au Premier ministre. Cette inscription est un gage d’indépendance pour les juridictions financières qui doivent jouer leur rôle d’assistance du Parlement et du Gouvernement avec le souci constant « de faire en sorte que l’équilibre voulu par le constituant ne soit pas faussé au détriment de l’un de ces deux pouvoirs », comme l’a rappelé le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 25 juillet 2001.

Cette indépendance est d’autant plus nécessaire que l’article 58 la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 a élargi les missions de la Cour en lui confiant deux nouvelles missions d’assistance au Parlement : le dépôt d’un rapport conjoint au dépôt du projet de loi de règlement qui, en particulier, analyse par mission et par programme l’exécution des crédits et la certification de la régularité, de la sincérité et de la fidélité des comptes de l’État ; en outre, la loi du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale a étendu aux comptes du régime général de la sécurité sociale la mission de certification des comptes confiée à la Cour des comptes.

Au total, les missions de la Cour ont été élargies et son rôle de contrôle externe de l’État a encore gagné en importance, afin de permettre la mise en œuvre la plus efficace possible de la LOLF et d’informer de façon très complète le Parlement et l’opinion publique sur le fonctionnement de l’exécutif. Il est donc essentiel que l’indépendance et l’impartialité de la Cour soient garanties, tant par son positionnement institutionnel que par son organisation budgétaire.

En 2007, la démarche stratégique proposée pour ce programme restera la même qu’en 2006, ainsi que les quatre actions : « Contrôle externe et indépendant des comptes publics », « Contrôle externe et indépendant de la régularité et de l’efficacité de la gestion publique », « Missions de conseil et d’expertise », « Soutien aux activités des juridictions financières ».

Deux éléments caractérisent néanmoins le projet de loi de finances 2007 en ce qui concerne ce programme dont le montant s’élève à 181,710 millions d’euros. D’abord ce budget consolide l’autonomie de gestion engagée en 2006 en matière de personnels. C’est la conséquence du changement de rattachement ministériel des nombreux agents qui relevaient précédemment du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie.

Ensuite il reflète le développement des missions des juridictions financières. En effet, la nouvelle mission de certification des comptes du régime général de la sécurité sociale nécessite également un renforcement des moyens humains se traduisant par une création nette de huit emplois, lesquels s’ajoutent aux trente-cinq postes d’expert déjà créés en 2005 et 2006. Ces évolutions confortent une caractéristique de ce budget dédié aux moyens humains, puisque 86 % des crédits sont consacrés au financement de dépenses de personnel.

J’ajouterai deux points pour conclure sur ce programme.

Le premier concerne la volonté forte du Premier président de poursuivre l’amélioration des indicateurs de performance au cours de l’année à venir. Elle est complexe à mettre en œuvre, car elle nécessite de réfléchir à une harmonisation des indicateurs utilisés par la Cour, d’une part, les chambres régionales et territoriales, d’autre part. Ces nouveaux indicateurs devraient figurer dans le document budgétaire du projet de loi de finances pour 2008.

Le second, évoqué par votre rapporteur est que 2007 sera l’année de célébration du bicentenaire de la création de la Cour des comptes et du vingt-cinquième anniversaire de la création des chambres régionales et territoriales des comptes. De très nombreuses manifestations seront organisées, qui seront financées par le mécénat et un fonds de concours ouvert à cet effet.

Le programme 165 « Conseil d’État et autres juridictions administratives » est marqué par deux données importantes.

En premier lieu, il continue de s’inscrire dans un contexte d’augmentation de l’activité du Conseil d’État et des autres juridictions administratives. Les tribunaux administratifs ont ainsi dû faire face à un accroissement de 14 % en 2003, 16 % en 2004 et 5 % en 2005 du nombre d’affaires dont ils ont été saisis. L’activité consultative du Conseil d’État a également fortement augmenté en raison de l’activité normative du Gouvernement.

En deuxième lieu, ce programme s’inscrit dans le cadre de l’application de la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, qui se concrétise par la poursuite des contrats d’objectifs et de moyens conclus entre le Conseil d’État et les cours administratives d’appel. Ces contrats ont déjà permis de réduire le délai moyen de jugement de moitié entre 2002 et 2005, pour le ramener à un an et quatre mois. On se rapproche ainsi du délai souhaité par le Parlement.

Le projet de budget du Conseil d’État s’élève à 252,88 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 250,73 millions d’euros en crédits de paiement, soit une progression de 5,3 % en crédits de paiement. Ainsi, soixante emplois pourront être créés pour faire fonctionner le nouveau tribunal administratif de Nîmes ouvert le 1er novembre 2006, dans le cadre de l’application de la loi d’orientation et de programmation pour la justice. Plusieurs mesures catégorielles pourront également être mises en œuvre, avec notamment pour objectif de récompenser les efforts de productivité des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel demandés dans le cadre du projet annuel de performance. Depuis 2003, la productivité des magistrats des tribunaux administratifs a augmenté de plus de 15 %.

Ce budget permettra aussi de s’assurer que la dotation pour le paiement des frais de justice sera suffisante pour faire face à une augmentation du contentieux en 2007.

Le Conseil d’État s’est lancé dans une politique volontariste pour maîtriser ces coûts, qui correspondent, pour l’essentiel, à des frais d’affranchissement puisque, dans la procédure administrative, le juge dirige l’instruction en envoyant les différents mémoires à la partie adverse. Le Conseil d’État a modifié ses règles de procédure afin de diminuer ces coûts, tout en respectant les règles du procès équitable. Il expérimente également, depuis un an, l’envoi des pièces de procédure par Internet, ce qui assurera une maîtrise de ces coûts tout en améliorant le service rendu aux justiciables.

Le Conseil d’État et les autres juridictions administratives sont engagés depuis longtemps dans la démarche de performance encouragée par la nouvelle loi organique relative aux lois de finances en diminuant les délais de jugement, en augmentant la productivité des magistrats et des agents de greffe tout en maintenant, naturellement, la qualité des décisions juridictionnelles. Cette année, le Conseil d’État a souhaité étendre cette démarche de performance à son activité de conseil du Gouvernement en s’engageant sur des objectifs chiffrés quant à la proportion des textes examinés en moins de deux mois : le Conseil d’État a pour objectif d’examiner 80 % des projets de loi et d’ordonnance dans ce délai. Le Gouvernement maintient donc son effort budgétaire en faveur de la justice administrative.

Cet effort peut s’appuyer sur la démarche entreprise par le Conseil d’État, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs pour améliorer leur performance par des réformes de procédure, par une recherche accrue de productivité et par une gestion efficiente des deniers publics.

Troisième et dernier programme, le programme 126 « Conseil économique et social ».

Les crédits demandés pour 2007 atteignent 35 856 000 euros, en progression de 0,65 % par rapport à 2006. Cette hausse modérée s’explique exclusivement par l’augmentation de la valeur du point de la fonction publique. Les dépenses de personnel représentent en effet 87 % de la totalité du budget du Conseil économique et social.

Je précise, pour répondre à l’une des préoccupations de certains membres de votre assemblée, en particulier de votre rapporteur spécial, que le Conseil économique et social a tenu compte de la demande des assemblées sur les délais d’émission des avis, mais la fonction conseil se prête mal à la mesure de la performance. Les indicateurs sont peu évidents à construire et les cibles par nature difficiles à déterminer. Le Conseil économique et social demeure cependant ouvert à toute proposition permettant de mieux appréhender son action et son impact.

Il a également bien pris en compte vos observations sur l’absence de présentation d’actions au sein du programme et mettra à profit l’année 2007 pour y répondre. La présentation d’actions devrait donc figurer dans le PLF pour 2008.

Pour conclure, je veux souligner que le CES a très largement contribué cette année à la réflexion dans de nombreux domaines tels que le dialogue social, la représentativité syndicale ou encore la réforme des tutelles, le dispositif « défense, deuxième chance », la gestion des matières et déchets radioactifs, le travail dominical, autant de thèmes sensibles pour le Parlement et le Gouvernement. Il répond en cela parfaitement à la mission que le Président de la République avait rappelée qui est d’animer le débat et de créer les conditions de la modernisation de la nation.

Telles sont, mesdames, messieurs les députés, les observations que je voulais présenter sur les missions « Pouvoirs publics » et « Conseil et contrôle de l’État ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

mission « pouvoirs publics »

M. le président. J’appelle les crédits de la mission « Pouvoirs publics » inscrits à l’état B.

État B

M. le président. Sur l’état B, je suis saisi d’un amendement n° 253.

La parole est à M. René Dosière, pour le défendre.

M. René Dosière. Malheureusement, monsieur le ministre, je n’ai pas eu de réponse à la question précise que je vous ai posée sur l’écart de 142 personnes, ce qui n’est pas mince, entre les chiffres fournis par l’Élysée et ceux donnés par les divers ministères. Or on a des raisons d’être inquiet quand on sait quelle était la pratique des emplois fictifs au sein du RPR et de la mairie de Paris. (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Il est plus facile de répondre par l’ironie ou par le flou. Répondez à la représentation nationale de manière plus précise.

M. Alain Cousin. C’est l’hôpital qui se moque de la charité !

M. René Dosière. Mon amendement a pour objet de remédier à l’une des anomalies de notre République : le fait que le chef de l’État est le seul responsable public dont la rémunération n’est pas fixée par la loi. En effet, alors que la loi fixe la rémunération des maires, des députés, des ministres – celle des ministres a d’ailleurs augmenté de 77 % après les élections de 2002 – pour celle du Président de la République, c’est lui qui décide. Cela constitue une anomalie, et nos compatriotes ne comprennent pas qu’il en soit ainsi. Je ne doute pas que la majorité aura à cœur d’y mettre fin.

Comme je considère que le traitement que ce président ou ses prédécesseurs se sont fixé d’office est trop modeste (Sourires), je propose de le fixer à trois fois l’indice G de la fonction publique, c’est-à-dire un niveau de rémunération égal à celui du Premier ministre. On ne comprendrait pas que, dans notre pays, le Président, qui nomme le Premier ministre, soit payé trois fois moins que lui, et même moins qu’un secrétaire d’État.

Je propose donc d’augmenter ce crédit de 200 000 euros puisque, 100 000 euros sont actuellement prévus, et de prélever la somme correspondante sur les crédits de la chaîne parlementaire, sur l’action « Public Sénat », dont chacun aura pu voir qu’ils augmentaient de 26 %. Il restera une progression de 19,5 % ce qui n’est tout de même pas mal.

M. Patrick Braouezec. Et ce n’est pas partisan puisque c’est la chaîne qui a retransmis le débat socialiste. (Sourires.)

M. René Dosière. Tout à fait, mais je suis beaucoup moins partisan que le ministre veut bien le dire !

M. le président. Concluez, monsieur Dosière.

M. René Dosière. Je souhaite donc que l’Assemblée fasse en sorte que, désormais, la rémunération du Président de la République, premier personnage de l’État, soit déterminée par la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Dumont. Voilà une excellente proposition !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. La commission des finances n’a pas examiné cet amendement.

M. Jean-Louis Dumont. C’est un tort !

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. Je m’exprimerai donc à titre personnel.

Allouer au Président de la République un traitement substantiel et suggérer en même temps qu’un texte en détermine le montant afin d’éviter tout débat inutile et polémique,…

M. René Dosière. Tout à fait !

M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial. …est un objectif très louable, et l’augmentation de crédits proposée n’est pas démesurément généreuse. Je pense que ce serait une bonne manière d’aller au bout de la logique entamée lors de la clarification du traitement du Premier ministre et des ministres dans la loi de finances rectificative d’août 2002.

La réduction de crédits proposée, qui porte sur l’action « Public Sénat », me paraît assez judicieuse et assez cohérente. J’ai d’ailleurs parlé à la tribune, et c’était une litote, de l’évolution « très dynamique » des crédits demandés par la chaîne parlementaire, qui ne seraient pas en l’occurrence terriblement amoindris.

En tout cas, au nom de la pédagogie que j’ai évoquée tout à l’heure, je voterai personnellement cet amendement.

M. René Dosière. Merci, monsieur le rapporteur. (Sourires.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. Je vous rappelle simplement la règle selon laquelle les pouvoirs publics constitutionnels fixent eux-mêmes les crédits nécessaires à leur fonctionnement. Le Gouvernement ne peut donc pas être favorable à cet amendement.

Cela étant, monsieur Dosière, c’est un véritable bonheur de débattre avec vous : tantôt, les crédits de la Présidence de la République sont insuffisamment abondés, tantôt ils le sont excessivement. Où est la cohérence ?

Je note en tout cas, en guise de conclusion, que, cette année, vous ne déposez qu’un amendement. Cela signifie donc que les choses se sont considérablement améliorées. Je crains que vous n’ayez bientôt plus de sujet à approfondir de la manière partisane dont vous le faites.

M. Jean-Louis Dumont. Faites-nous confiance !

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Je trouve que l’argumentation du rapporteur est excellente.

Oui, monsieur le ministre, l’autonomie financière implique que les pouvoirs publics déterminent eux-mêmes leur dotation, mais, à partir du moment où vous refusez que la rémunération propre du Président de la République soit fixée par la loi et rentre dans le cadre de sa dotation, nous ne sommes plus dans une situation républicaine. En fait on accorde au souverain une véritable liste civile. Ce sont en effet les 32 millions que nous allons voter qui sont à la disposition personnelle du Président de la République et qu’il utilise en petite partie pour se rémunérer, en partie pour engager des fonctionnaires ou des collaborateurs, etc.

Je ne remets pas du tout en cause l’autonomie financière des pouvoirs publics. Je propose que, de manière républicaine, comme c’était le cas en 1848, monsieur Geoffroy, ce soit le Parlement qui fixe la rémunération du chef de l’État, la dotation, elle, bénéficiant d’une autonomie financière.

Encore une fois, vous vous défilez et vous ne répondez pas aux problèmes qui sont soulevés. Rassurez-vous, je vais publier au mois de janvier un ouvrage qui fera concrètement le point sur l’ensemble de ces crédits. Il s’appelle L’argent caché de l’Élysée et il paraîtra aux éditions du Seuil. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Dumont. Quel suspense !

M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement. On vous en achètera un : cela fera au moins deux vendus !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 253.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les crédits de la mission « Pouvoirs publics ».

(Les crédits de la mission « Pouvoirs publics » sont adoptés.)

mission « conseil et contrôle de l’état »

M. le président. J’appelle les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l’État », inscrits à l’état B.

État B

M. le président. Je mets aux voix les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l’État ».

(Les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l’État » sont adoptés.)

M. le président. Nous avons terminé l’examen des crédits relatifs aux pouvoirs publics et au conseil et contrôle de l’État.

mission « ville et logement »

M. le président. Nous abordons l’examen des crédits relatifs à la ville et au logement.

La parole est à M. François Grosdidier, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du plan pour la rénovation urbaine et pour l’équité sociale et territoriale et le soutien.

M. François Grosdidier, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du plan pour la rénovation urbaine et pour l’équité sociale et territoriale et le soutien. Monsieur le président, madame la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, mes chers collègues, la politique de la ville a un quart de siècle. Elle a affiché les meilleures intentions, incarné l’angélisme et parfois la naïveté, cultivé l’inefficacité en même temps que la bonne conscience.

Vingt années de soutien aux associations de quartier, dont certaines étaient devenues de véritables délégations de service public sans cahier des charges ni évaluation.

Vingt années de prévention spécialisée, parfois même, – hélas ! – anti-éducative quand elle développait un discours de victimisation des délinquants plutôt de responsabilisation des jeunes et de leurs familles.

Vingt années d’éducation où l’idéologie du « il est interdit d’interdire » et celle du collège unique, insuffisamment rectifiées par les trop faibles moyens accordés aux ZEP, ne pouvaient pas prendre en compte la diversité des niveaux, la diversité des élèves.

Vingt années de laxisme, même sous une police de proximité qui consistait plutôt à aligner des emplois jeunes à dix heures du matin ou à transformer des policiers en animateurs sportifs, et dont la pseudo-connaissance du quartier aboutissait au taux d’élucidation le plus faible.

M. Patrick Braouezec. Quelle caricature !

M. François Grosdidier, rapporteur spécial. Pendant ces vingt ans pourtant, la politique de la ville n’a pas été inutile : insuffisante oui, mais inutile, certainement pas. Sans elle, cela aurait été pire, mais elle n’a pas atteint ses objectifs. Insuffisance de moyens ou problème de méthode ? Les deux certainement.

Depuis quatre ans et demi, nous avons augmenté les moyens et changé de méthode. Le Gouvernement a agi sur les causes profondes : l’économie souterraine, la dévitalisation économique, l’urbanisme concentrationnaire, la discrimination. Il a pris le taureau par les cornes.

Sur la sécurité d’abord, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, il a mobilisé comme jamais les moyens de la police, de la gendarmerie, mais aussi, par les GIR, de la douane et de l’administration fiscale.

M. Jean-Louis Dumont. La violence explose !

M. François Grosdidier, rapporteur spécial. Cette action fait mal là où il faut, au cœur de l’économie souterraine qui pourrit la vie de quartiers entiers et sape tout le travail d’insertion.

Droit à la sécurité pour tous, mais aussi et surtout droits sociaux pour tous. Sous l’impulsion de Jean-Louis Borloo et avec vous, madame la ministre, est menée une action sans précédent dans l’histoire de la République pour la faire entrer dans les quartiers, pour la faire entrer dans le concret, pour que tous les habitants des zones urbaines sensibles se sentent enfin des citoyens à part entière.

M. Denis Jacquat. Très bien !

M. François Grosdidier, rapporteur spécial. Le projet de loi de finances pour 2007 en témoigne et confirme la montée en puissance de cette politique. Les dotations budgétaires proposées pour 2007 sont à la hauteur des enjeux : 1 156 millions d’euros en autorisations d’engagement et 1 182 millions d’euros en crédits de paiement sur ces deux programmes.

Ils sont en forte augmentation par rapport à la loi de finances pour 2006, qui atteignait déjà des records dans sa version initiale et qui fut majorée encore après les annonces du Premier ministre consécutives aux troubles de novembre.

Ces droits sociaux pour tous, c’est d’abord le droit à un logement et à un cadre de vie dignes en changeant physiquement les quartiers, en les désenclavant, en abattant des tours et des barres pour les remplacer par un habitat à taille humaine. C’est l’objet du programme « Rénovation urbaine » dont l’opérateur unique est 1’agence nationale pour la rénovation urbaine. Au 18 septembre 2006, l’ANRU a engagé pour plus de 7 milliards d’euros de subventions, ce qui représente plus de 23 milliards d’euros de travaux programmés sur les cinq années à venir, dans 355 quartiers et pour deux millions d’habitants.

Le présent projet de loi de finances prévoit de lui affecter 400 millions d’euros en autorisations d’engagement et 386 millions d’euros en crédits de paiement. Cette dernière dotation excède, au demeurant, ses besoins de trésorerie immédiats.

Sont engagées la construction de 84 000 logements locatifs sociaux, la démolition de 86 000 logements et la réhabilitation de 182 000 logements locatifs sociaux. Citons encore la création ou la rénovation de nombreux équipements commerciaux, sociaux et culturels, ainsi que de plus de 200 écoles.

Il faut aussi mentionner le droit à l’intégration culturelle, à l’insertion sociale et professionnelle en surmontant les handicaps et en combattant les discriminations, le droit à l’éducation en accompagnant et en aidant davantage les élèves les plus en difficultés. Tout cela est l’objet du programme « Équité sociale et territoriale » auquel 756 millions d’euros sont affectés pour 2007. L’agence nationale de cohésion sociale et d’égalité des chances – ANCSEC – sera l’opérateur unique du programme.

Au cours de ces dernières années, nous avions privilégié une approche moins étatique et davantage joué la responsabilité des communes, en dopant la dotation de solidarité urbaine, devenue enfin, sous ce gouvernement, une vraie allocation redistributive entre communes.

M. Patrick Braouezec. Ce n’est pas bien de doper !

M. François Grosdidier, rapporteur spécial. J’avais souvent déploré devant vous la non-affectation de cette dotation. J’avais même dénoncé l’absence de compte rendu de son utilisation, pourtant imposé par la loi aux communes bénéficiaires. Je pense qu’on a atteint le comble en novembre 2005 quand des maires ont critiqué la modeste diminution du fonds interministériel à la ville en loi de finances initiale en oubliant de dire que la DSU avait augmenté trois fois plus.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Exactement !

M. François Grosdidier, rapporteur spécial. Des maires pleuraient avec les acteurs de terrain sur la diminution du FIV, mais en se gardant bien de leur parler de la hausse de la DSU qu’ils gardaient manifestement pour eux. C’est la limite du tout DSU que, pour ma part, en tant que maire responsable, je regrette.

Avec l’ANCSEC, nous revenons à un système plus étatique, certes partenarial, mais forcément donc plus complexe.

M. Jean-Louis Dumont. Et avec un manque d’efficacité !

M. François Grosdidier, rapporteur spécial pour la rénovation urbaine et pour l’équité sociale et territoriale et le soutien. L’ANCSEC sera, dès 2007, chargée de la mise en œuvre des contrats urbains de cohésion sociale, qui remplaceront les anciens contrats de ville. D’une durée reconductible de trois ans, ils se déclineront selon cinq priorités : l’emploi et le développement de l’activité, l’habitat et le cadre de vie, la réussite éducative, la prévention de la délinquance et la citoyenneté, enfin la santé.

Au titre du programme « Équité sociale et territoriale », 120 millions d’euros seront ainsi affectés à la prévention de la délinquance, 93 millions d’euros au dispositif essentiel des adultes-relais et 112 millions d’euros au programme de réussite éducative, un dispositif révolutionnaire d’actions sur mesure pour les enfants les plus en difficulté.

Au total 370 projets de réussite éducative et 450 équipes pluridisciplinaires, prenant en charge près de 80 000 enfants et adolescents, auront été labellisés d’ici à la fin de l’année 2006, pour un montant de 85 millions d’euros. Au regard des objectifs fixés par le plan de cohésion sociale qui prévoyait la création de 750 équipes pluridisciplinaires de réussite éducative à son terme, fin 2009, on peut considérer que 60 % du chemin est déjà parcouru.

Les zones franches urbaines, leviers de la revitalisation économique, sont désormais au nombre de cent et représentent une dépense de 333 millions d’euros en 2007.

La cartographie de la politique de la ville est donc en train d’évoluer. Les contrats urbains de cohésion sociale eux-mêmes se fonderont sur une géographie prioritaire révisée à partir de critères objectifs. C’est le meilleur signe des bons résultats de la politique de la ville, même si cela pose des difficultés particulières pour mesurer la performance de la dépense publique, placée au centre d’attention de la réforme budgétaire.

Plus le programme national de rénovation urbaine montera en puissance, plus la mixité sociale s’accroîtra dans les quartiers sensibles comme dans les autres, moins l’approche territoriale sera pertinente et plus il faudra suivre familles et individus. Cette approche « populationnelle » est moins aisée. Le secret du travail social, et souvent le refus de la confidentialité partagée, même entre professionnels soumis aux mêmes obligations, ou encore le droit à la protection des données personnelles, tout cela gêne cette approche. Cela empêche même d’en effectuer le suivi statistique, comme en souffrent toutes les politiques d’insertion, et bien sûr aussi la politique de la ville, qui est non seulement une politique territoriale, mais aussi une politique de population.

En conclusion, mes chers collègues, je vous demande d’adopter les crédits qui permettent au Gouvernement de rendre effectifs nos si chers principes d’égalité et de fraternité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du plan, pour l’aide à l’accès au logement et pour le développement et l’amélioration de l’offre de logement.

M. François Scellier, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du plan, pour l’aide à l’accès au logement et pour le développement et l’amélioration de l’offre de logement. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon propos s’insérera nécessairement dans celui de mon collègue François Grosdidier car le logement s’intègre naturellement dans la ville, même si l’étendue du problème la dépasse.

Le projet de loi de finances pour 2007 s’inscrit dans la politique volontariste que mène le Gouvernement en consolidant les moyens budgétaires importants consacrés à la politique du logement depuis 2002. Le budget du logement devrait s’élever en 2007 à 6,15 milliards d’euros en autorisations d’engagement et à 5,98 milliards d’euros en crédits de paiement.

Cependant ces moyens budgétaires ne sont que partiellement représentatifs du financement de la politique du logement. En effet, les dépenses fiscales, notamment depuis la réforme du prêt à taux zéro en 2005, constituent une part croissante de l’effort financier de l’État en faveur du logement. En 2007, elles devraient s’élever à 10,6 milliards d’euros, soit une augmentation de 4 % par rapport à 2006, à périmètre constant.

Ce budget permettra de financer les priorités du Gouvernement, qui sont au nombre de cinq. La première est d’aider les ménages à faire face à leurs dépenses de logement : 4,9 milliards d’euros seront consacrés au financement des aides à la personne en 2007. À compter du 1er janvier 2007, le barème des aides personnelles au logement sera revalorisé de 1,8 %. Grâce à l’actualisation de ces différents barèmes, les prestations augmenteront de 259 millions d’euros en 2007, dont 127 millions d’euros seront pris en charge sur le budget de l’État.

Il s’agit en second lieu de développer le locatif social. Le plan de cohésion sociale a donné une véritable impulsion à la construction de logements sociaux. En 2005, 80 000 logements sociaux ont été financés, soit 42 % de plus qu’en 2002. En 2006 et 2007, le Gouvernement s’est fixé pour objectif de financer 100 000 logements sociaux.

De nombreuses mesures adoptées par la loi relative à l’engagement national pour le logement vont faciliter la mise en œuvre du plan de cohésion sociale. Je pense tout particulièrement aux mesures visant à lutter contre la rétention foncière. Élu d’Île-de-France, je suis bien placé pour constater que la difficile mobilisation de la ressource foncière constitue un obstacle majeur à la construction de logements sociaux.

En 2007, 481 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 458 millions d’euros de crédits de paiement seront consacrés au développement du parc locatif social. Les avantages fiscaux dont bénéficient les bailleurs sociaux devraient s’élever à 1,2 milliard d’euros. De plus, une nouvelle baisse de taux des prêts au logement social de 0,2 % sera appliquée aux opérations locatives sociales actuellement en cours d’instruction. Pour ces opérations, cette nouvelle baisse du taux des prêts correspond à une subvention de 2 % du prix d’opération.

La troisième priorité de la politique du logement est le développement de l’offre locative privée.

L’ANAH a vu son rôle étendu par la loi sur l’engagement national pour le logement. Désormais, elle a pour mission de promouvoir le développement du parc locatif privé ne nécessitant pas de travaux. Le conventionnement permet de bénéficier d’avantages fiscaux. La location d’un logement à un loyer intermédiaire permet au propriétaire de bénéficier d’une déduction de 30 % de ses revenus fonciers. Pour une location à loyer social, ce taux atteint 45 %.

Parallèlement, la réforme du dispositif Robien et la mise en place d’un dispositif d’investissement locatif intermédiaire Borloo permettent de développer l’offre de logements locatifs privés neufs.

En 2007, l’ANAH bénéficiera de 527 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 353 millions d’euros en crédits de paiement. L’agence devrait ainsi contribuer à la construction de 37 500 logements à loyers maîtrisés, et à la remise sur le marché de 18 000 logements vacants ; financer les travaux de 35 600 logements insalubres, et subventionner l’amélioration du logement de 36 000 propriétaires-occupants.

Il a été fait remarquer, lors de l’audition du président de l’ANAH – et cette remarque est importante – que, sur un parc de 30 millions de logements, en ne tenant compte que d’une obsolescence de 1 %, on arrive à 300 000 logements. Cela montre la nécessité de construire des logements neufs, mais également celle de maintenir, pour son utilisation la meilleure, le parc existant.

La quatrième priorité de la politique du logement est le développement de l’accession sociale la propriété.

En la matière le projet de budget finance les derniers prêts à taux zéro ancienne formule, émis jusqu’en février 2005, à hauteur de 3 millions d’euros en autorisations d’engagement et 10 millions d’euros en crédits de paiement. La réforme du prêt à taux zéro porte déjà ses fruits : en 2006, près de 250 000 ménages seront aidés par l’État à devenir propriétaires d’un logement contre 80 000 en 2004.

La loi sur l’engagement national pour le logement a augmenté le montant du prêt à taux zéro pour les ménages accédant à la propriété dans les zones où le marché immobilier est le plus tendu et a mis en place un taux de TVA réduit pour les opérations d’accession à la propriété dans les zones urbaines sensibles. Elle a aussi prévu la possibilité de sortir du plan d’épargne retraite populaire en capital et non plus en rente, pour financer l’achat d’une résidence principale. Cette mesure, que j’ai proposée a plusieurs reprises et qui a été adoptée dans le cadre de ce projet de loi, devrait, lorsque les décrets d’application seront parus, conforter le niveau de vie des retraités modestes qui deviendront désormais plus facilement propriétaires de leur logement.

La dernière priorité de la politique du logement est la lutte contre l’insalubrité.

Les crédits consacrés à la lutte contre l’habitat indigne devraient atteindre 26 millions d’euros en autorisations d’engagement, soit une hausse de 30 % par rapport à 2006, et 23 millions d’euros en crédits de paiement soit une augmentation de 27,8 % par rapport à 2006.

Ces moyens, en forte augmentation, devraient permettre de conduire des actions plus nombreuses dans le cadre de la nouvelle réglementation, issue de l’ordonnance du 15 décembre 2005 relative à l’habitat indigne. Ce dispositif constitue une boite à outils très efficace à la disposition des maires pour leur permettre de lutter contre l’insalubrité des logements.

Toutefois, compte tenu de la complexité de ces réglementations, je pense qu’il est aujourd’hui indispensable de renforcer l’information des maires sur les nouveaux outils dont ils disposent.

En conclusion, je vais formuler trois remarques.

En premier lieu, je constate que la politique du logement s'appuie de plus en plus sur des dispositifs fiscaux, comme en témoigne la réforme du prêt à taux zéro et des dispositifs d'investissement locatif. Le projet annuel de performances devrait en conséquence accorder une place plus grande à l'évaluation de cette dépense fiscale.

Par ailleurs je suis persuadé que les maires sont des acteurs essentiels de la construction de logements sociaux et qu'un système plus incitatif et plus simple pour eux permettrait d'améliorer l'efficacité des dispositifs. Il pourrait prendre, par exemple, la forme d'une majoration de la dotation globale de fonctionnement des communes qui construisent des logements sociaux.

Je tiens enfin à saluer la politique du Gouvernement, qui s’est inscrit dans la durée ; c’est une bonne démarche car l’instabilité des dispositifs freine le développement du logement. Il a également su agir sur l’ensemble des maillons de la chaîne du logement, public et privé. Je suis persuadé, en effet, qu'une politique du logement efficace dépasse cette distinction entre parc public et parc privé, qui n'a plus beaucoup de signification. Les résultats de la politique du Gouvernement en témoignent aujourd'hui.

La commission des finances a approuvé les crédits des programmes « Aide à l'accès au logement » et « Développement et amélioration de l'offre de logement », et je vous invite, chers collègues, à faire de même.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire pour la rénovation urbaine et pour l’équité sociale et territoriale et le soutien.

M. Philippe Pemezec, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire pour la rénovation urbaine et pour l’équité sociale et territoriale et le soutien. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les choses commencent enfin à bouger sur le terrain. Alors que la politique de la ville a déjà trente ans, c’est aujourd’hui que les quartiers prioritaires pour cette politique, le plus souvent constitués de grands ensembles, commencent seulement à sortir de l’ombre où ils étaient jusqu’alors confinés, au ban de la société et en marge de notre territoire.

Ces quartiers cumulaient tous les handicaps : un urbanisme délirant doublé d'un habitat dégradé, un tissu commercial de plus en plus réduit, une faible activité économique, et un manque d'équipements et de services publics. Cette triple carence explique le chômage qui sévit dans ces quartiers. À cela s’ajoute une école qui peine à jouer son rôle traditionnel d'intégration, de formation et d'ascenseur social, dans des territoires où la délinquance, notamment la délinquance juvénile, est décuplée.

Dans le cadre de mes fonctions de rapporteur budgétaire et de rapporteur de la loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, j’ai récemment eu l'occasion de me rendre dans ces quartiers, à Boulogne-sur-Mer, à Aulnay et ailleurs. J'y ai vu des quartiers qui ressuscitent, des paysages urbains qui se transforment, des cadres de vie qui se métamorphosent grâce à une rénovation urbaine fondée sur un urbanisme intelligent et sensible, et à la mesure de l’homme, un urbanisme qui respecte ses habitants, instaurant un pacte social fort entre l'urbain et l'humain.

M. Jean-Louis Dumont. Et qui déplace les populations !

M. Philippe Pemezec, rapporteur pour avis. Tout cela passe d'abord par la démolition-reconstruction, pour faire table rase d'un habitat dégradé, voire délabré, et reconstruire des logements plus accueillants, où il fait bon vivre.

Cette opération d'envergure a surtout eu le mérite de mettre tous les acteurs autour de la table pour qu’ils travaillent dans le même sens, tout en amplifiant l’engagement de l'État dans la transformation de nos villes et de nos quartiers.

La loi de 2003 prévoit ainsi la sanctuarisation de moyens conséquents : plus de 465 millions d'euros par an pour l'État. L’État joue aussi son rôle de facilitateur puisque la loi vise également à simplifier la gestion des dossiers des communes par la création d’une structure légère faisant fonction de guichet unique : l'agence nationale pour la rénovation urbaine.

Pour 2007, conformément aux dispositions de la loi de programmation de 2003, le programme « Rénovation urbaine » de la mission « Ville et logement » connaît une hausse importante de ses crédits, destinée à financer la montée en charge des opérations gérées par l'ANRU. Il se voit en effet doté de 400 millions d'euros en provenance des ressources budgétaires de l'État, auxquels s'ajoutent 200 millions d'euros de ressources extrabudgétaires.

Cette analyse en termes budgétaires serait incomplète si l'on ne tenait pas compte de l'effort fourni par l'État en matière fiscale. En effet l'application d'un taux réduit de TVA aux opérations d'accession sociale à la propriété réalisées dans les quartiers en rénovation urbaine, ou à proximité de ces quartiers, représente un effort fiscal estimé à 300 millions d'euros en 2007. Cet allégement permettra de diversifier l'habitat de ces quartiers, et de favoriser les parcours résidentiels.

Toutefois, ainsi que je l’ai évoqué à l'instant, la rénovation urbaine ne passe pas seulement par la mobilisation des crédits ; elle doit faire appel à tous les acteurs – collectivités locales, bailleurs sociaux, services déconcentrés et agence nationale de rénovation urbaine – au profit d'un projet commun.

L'ANRU a joué à cet égard un rôle de catalyseur. Je tiens à saluer le formidable effet de levier des subventions de l'agence. Il est vrai que l'ANRU a connu certains dysfonctionnements lors de sa mise en place ; on a pu ainsi déplorer le manque de stabilité de la règle juridique, ou encore évoquer le risque de voir cette structure légère et efficace se transformer en une grosse administration, exigeant sans cesse de nouvelles pièces avant d’accepter un dossier. Néanmoins les résultats des premières opérations sont là, et l'avis unanime des maires, des bailleurs, et des préfets plébiscite l'ANRU.

La politique de la ville doit aussi se préoccuper de l’aspect social et humain.

La réconciliation de l'humain et de l'urbain passe par une politique de proximité et d'accompagnement des familles en difficulté sur le terrain. À ce titre, les crédits de ce programme ont été considérablement augmentés en 2006, atteignant un montant de 181 millions d'euros, dont 80 millions d'euros destinés à soutenir les associations. Cette politique de soutien sera poursuivie en 2007, malgré un contexte contraint pour nos finances publiques : les crédits du programme s'élèveront à 795 millions d'euros en crédits de paiement en 2007, contre 793 millions d'euros en 2006.

Au sein de ce programme, 121 millions d'euros seront affectés aux dispositifs de prévention de la délinquance, à travers, notamment, le programme « Ville, vie, vacances », et le programme « Adultes-relais » ; et 232 millions d'euros seront affectés au développement social des quartiers : ils permettront de financer le dispositif « École ouverte », les ateliers santé-ville, le volet social des contrats urbains de cohésion sociale et le fameux programme de réussite éducative.

Ce volet social est également renforcé sur le plan de l'organisation de l'administration d'État et de la gestion de ses subventions par la mise en place de l'agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, créée en 2006.

J’en viens enfin au troisième aspect de la politique de la ville : la redynamisation économique des quartiers.

Le programme des zones franches urbaines, les ZFU, mis en place en 1996, a été relancé en 2006, dans le cadre de la loi pour l'égalité des chances : le nombre de ZFU a par conséquent doublé depuis 2002, pour atteindre les 100 ZFU en 2006. L'objectif est d’inciter à la création d'entreprises dans ces quartiers, non seulement pour trouver un emploi aux habitants, mais également pour y faire venir des personnes de l'extérieur, afin de changer l'image négative dont souffrent ces quartiers. La politique d'exonérations fiscales et sociales coûtera à l'État 333 millions d'euros en 2007, ce qui est considérable.

Ces trois volets, urbain, économique et humain, de la politique de la ville font désormais l'objet d'un partenariat contractualisé entre l'État et les collectivités territoriales, à travers la signature de conventions avec l'agence nationale de rénovation urbaine, d'une part, et de contrats urbains de cohésion sociale, d'autre part.

Au total, les crédits de la mission « Ville et logement » affectés à la politique de la ville s'élèvent à l, 150 milliard d'euros en autorisations d'engagement, et l, 180 milliard d'euros en crédits de paiement, soit une progression de 15 % par rapport à 2006.

Au-delà de ces moyens, la plupart des ministères concourent à la politique de la ville. La contribution totale de l'État à cette politique est ainsi estimée à 3,7 milliards d'euros en 2007. En effet les politiques de l'emploi, de l'éducation, de sécurité, et de santé, ainsi que le ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative, participent activement à la politique de la ville.

Ce triptyque, urbanistique, social et économique, devrait permettre de diversifier l'habitat des quartiers prioritaires de la politique de la ville et, par là même, de favoriser la diversité sociale, de renforcer l'insertion professionnelle et l'intégration des populations, de redynamiser l'économie de ces quartiers.

Dans cette perspective, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne peux donc émettre qu'un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Rénovation urbaine » et « Équité sociale et territoriale et soutien » de la mission « Ville et logement ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, pour l’aide à l’accès au logement et pour le développement et l’amélioration de l’offre de logement.

M. Jean-Pierre Abelin, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, pour l’aide à l’accès au logement et pour le développement et l’amélioration de l’offre de logement. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'année 2006 est un cru excellent pour le secteur du logement : alors que les chiffres du secteur de la construction enregistrent des niveaux historiques, cette année a aussi été marquée par l'adoption de la loi relative à l’engagement national pour le logement et par le lancement du programme des maisons à 100 000 euros.

Avant d'analyser plus en détail ce projet de budget, je vais revenir un instant sur deux points : la croissance du secteur de la construction, et la modernisation du cadre législatif dans lequel s'inscrit la politique du logement.

Les chiffres des mises en chantier et des délivrances de permis de construire atteignent des niveaux historiques. Le nombre des logements autorisés et commencés a connu une forte hausse au cours du premier semestre de l’année 2006 : plus de 550 000 autorisations et 430 000 logements commencés sont comptabilisés en glissement annuel, soit des hausses de 13,8 % et 12 % en rythme annuel. Ce sont des niveaux d'activité jamais enregistrés depuis 1980.

Compte tenu de ces excellents résultats, la croissance de l'activité restera très soutenue : elle a connu une hausse de 10 % en 2006. L'ensemble des secteurs du logement, individuel et collectif, privé et social, auront progressé en 2006, que ce soit en termes de nombre de logements mis en chantier ou en termes d'activité. Les premiers effets du plan de cohésion sociale sur les mises en chantier de logements sociaux commencent à se faire sentir – 93 000 logements auront été mis en chantier en 2006 – et se répercutent sur le nombre d'emplois nets créés par le secteur du bâtiment : 40 000 créations nettes d’emplois.

Je me félicite d’autant plus de ces résultats que la politique gouvernementale vise tous les maillons de la chaîne du logement, notamment dans le cadre de la loi ENL : le logement social, l'hébergement d'urgence, la résorption de l'habitat indigne, la lutte contre la vacance, le logement conventionné, le logement intermédiaire, la rénovation urbaine et la relance de l'accession à la propriété.

Les maires bâtisseurs sont dotés de nouveaux outils de mobilisation de la ressource foncière. Les autorisations d'urbanisme ont été sécurisées. Dans le sillage de la création du prêt social location-accession en 2004 et de la réforme du prêt à taux zéro en 2005, l'accession sociale à la propriété est renforcée, avec la possibilité de majorer le prêt à taux zéro sous certaines conditions, et l'application d'un taux réduit de TVA aux opérations réalisées dans un quartier en rénovation urbaine.

D'un point de vue budgétaire, le Gouvernement s'est efforcé d'inscrire la politique du logement dans la durée, dans le cadre pluriannuel du plan de cohésion sociale et du programme national de rénovation urbaine. Cette programmation pluriannuelle présente de nombreux avantages, parmi lesquels une plus grande lisibilité et, surtout, une plus grande pérennité des financements. Les crédits du plan de cohésion sociale et du programme de rénovation urbaine sont, comme chaque année, au rendez-vous.

Je veux à cet égard revenir brièvement sur les grandes lignes de ce budget.

En 2007, le budget du logement devrait s'élever à 6,15 milliards d'euros d'autorisations d'engagement, soit une baisse de 2,53 % par rapport à 2006, et à 5,98 milliards d'euros de crédits de paiement, soit une diminution de 5,49 % par rapport à 2006. Le budget du logement se répartit entre les aides personnelles au logement, constituant un programme de près de 5 milliards d'euros de crédits, et les aides à la pierre, programme doté de plus d'un milliard d'euros.

La contribution de l'État au financement des aides personnelles au logement sera dotée de 4,911 milliards d'euros en 2007, soit une baisse de 3,84 %. Vous avez, madame la ministre, confirmé à la commission que cette baisse s'explique par l'amélioration de la situation économique des ménages grâce, en particulier, à la baisse du chômage, à l'augmentation des cotisations en provenance des employeurs, et à une moindre augmentation des loyers, du fait de l’effet de modération exercé par le nouvel indice de révision des loyers entré en vigueur le 1er janvier 2006.

Par ailleurs les ressources du fonds national d’aide au logement, le FNAL, augmenteront grâce à un alignement de la cotisation des employeurs publics sur celle des employeurs privés.

Enfin la contribution exceptionnelle des sociétés anonymes de crédit immobilier à la politique du logement se traduira en 2007 par un apport de 150 millions d'euros au FNAL.

En ce qui concerne les aides à la pierre, 479 millions d'euros seront consacrés à la construction de logements locatifs sociaux, en dehors des zones urbaines sensibles qui bénéficieront des crédits affectés au programme de rénovation urbaine. Dans le cadre du plan de cohésion sociale, 100 000 logements locatifs sociaux devraient être financés en 2007, dont 6 500 logements en prêt locatif aidé d’intégration, PLAI, 56 500 logements en prêt locatif à usage social, PLUS, et 37 000 en prêt locatif social, PLS.

L'État contribuera au budget de l'agence nationale de l'habitat à hauteur de 480 millions d'euros, soit une augmentation de 5,6 %, tandis que les recettes de la taxe sur les logements vacants affectés à l'agence s'élèveront à 20 millions d'euros , il est vrai la loi ENL a renforcé ses missions.

Il convient également de souligner que, si la dépense fiscale globale connaît une légère baisse, celle-ci ne concerne en réalité que les exonérations d'intérêts et les primes versés dans le cadre de l'épargne logement. D’autres dépenses fiscales sont au contraire nettement en hausse. Je pense notamment à la montée en puissance du crédit d'impôt pour les dépenses d'équipement génératrices d’économies d'énergie – alors qu’il représentait 400 millions d'euros en 2005, un montant d’un milliard d’euros est prévu en 2007 – ; à celle du prêt à taux zéro, dont le nombre de bénéficiaires accédants a plus que doublé et dont le coût passe de 515 millions d'euros à 770 millions d'euros en 2007 : à celle du dispositif Robien, dont le coût s'élèvera à 400 millions d'euros en 2007, contre 350 millions d'euros en 2006.

Je n'oublierai pas les 5 milliards d'euros que coûte l'application de la TVA à 5,5 % aux travaux d'amélioration de logements achevés depuis plus de deux ans. Grâce à notre combat commun, l’Europe a prorogé l’application de ce taux réduit jusqu'en 2010.

Globalement, l’effort pour le logement – en crédits et en dépenses fiscales – approchera 17 milliards d’euros et permettra, je le souhaite, de nouveaux progrès pour le logement de nos concitoyens.

Nous allons entrer, madame la ministre, dans la troisième année d’exécution du plan de cohésion sociale. J’ai salué, tout à l’heure, la très forte mobilisation des acteurs du logement, dont vous êtes l’un des principaux artisans, ainsi que les premiers résultats que nous constatons. Nous n’en avons pas moins tous l’ardente obligation d’entretenir cette mobilisation, pour éviter que le soufflé ne retombe ou que les acteurs ne fatiguent.

Sur le terrain, nous constatons un risque de télescopage entre la montée en puissance des opérations de rénovation urbaine qui se concrétisent et l’effort simultané et nécessaire de la production de nouveaux logements sociaux. Les fonds propres et les personnels des bailleurs sociaux sont largement sollicités, tout comme les collectivités territoriales avec la nouvelle demande de participation financière de 25 à 30 % pour les opérations ANRU.

Vous avez prévu des mesures favorables pour les uns et pour les autres : la baisse de 0,2 % des prêts, la prolongation de l’exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les bailleurs, le remboursement dès la première année des exonérations de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les nouveaux logements sociaux construits, ainsi que la taxe facultative sur les terrains devenus constructibles pour les collectivités locales.

Il reste qu’il faudra entretenir la motivation des acteurs par de nouvelles mesures adaptées, si nous voulons accélérer le rythme de production jusqu’aux 120 000 logements sociaux souhaités par le président de la République.

M. Patrick Braouezec. Il reste du chemin à faire !

M. Jean-Pierre Abelin, rapporteur pour avis. D’autres interrogations portent sur l’incertitude sur la montée des taux d’intérêt, dont témoigne la double hausse du livret A, laquelle aura un impact sur le coût des emprunts des bailleurs.

Une autre incertitude concerne également l’avenir du livret A, qui est au cœur du financement du logement social en France et qui est un outil d’épargne populaire particulièrement apprécié. Le Gouvernement a défendu le duopole de sa distribution auprès des autorités européennes. Merci de nous faire part de votre sentiment et de vos informations les plus récentes sur ce dossier.

Je ne reviendrai pas sur le niveau du prix du foncier et sur l’insuffisance de production en région Île-de-France. Merci, cependant, de nous dire où en est l’État dans la cession des terrains qui lui appartiennent. Comment ces ventes se concrétisent-elles en programmes de logements sociaux ? Où en sont les projets nationaux pour l’Île-de-France prévus par la loi ENL

Enfin, je tiens à insister sur le taux d’effort supporté par les ménages pour leur logement.

Comme vous le savez, au cours des dernières années, l’augmentation de l’indice du coût de la construction, des loyers et des charges locatives a été plus rapide que celle des aides personnelles au logement ou des revenus. Le Gouvernement a mis en place, à compter du 1er janvier 2006, un changement d’indice qui s’est traduit par une moindre augmentation des loyers. Il a aussi prévu la revalorisation de 1,8 % des aides personnelles au logement en septembre 2006 et une augmentation de 1,8 % des barèmes de l’APL et du forfait charges au 1er janvier 2007. Vous prévoyez ainsi une stabilisation du taux d’effort pour l’année prochaine.

Depuis plusieurs années, cependant, la part du coût du logement a augmenté dans le budget des ménages.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Abelin, rapporteur pour avis. À l’unanimité, la commission des affaires économiques a voulu faire un geste en direction des locataires, en reprenant sous forme d’amendement prévu par la LOLF un souhait exprimé à deux reprises pendant la discussion de la loi ENL et défendu par le médiateur de la République : la suppression du seuil mensuel de 24 euros au-dessous duquel les aides personnelles ne sont plus versées depuis 2004. Le coût de cette mesure est estimé à 34 millions d’euros. Merci madame la ministre, d’entendre cette demande répétée de la commission.

M. Jean-Louis Dumont. Très bien !

M. Jean-Pierre Abelin, rapporteur pour avis. Le Gouvernement présente un budget qui contribuera à la poursuite de l’effort national en faveur du logement,…

M. Jean-Louis Dumont. Il y a beaucoup à faire !

M. Jean-Pierre Abelin, rapporteur pour avis. …au rééquilibrage de l’offre et de la demande, à l’amélioration que nous constatons sur le terrain.

La commission des affaires économiques, par la voix de son rapporteur, vous propose, mes chers collègues, d’adopter ce projet de budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, premier orateur inscrit dans la discussion, mais qui sera le dernier à s’exprimer ce matin.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Madame la ministre, c’est, une fois de plus, un plaisir d’examiner avec vous un texte consacré au logement en l’absence de M. Borloo !

Nous entamons aujourd’hui la discussion d’un budget situé au carrefour de deux crises majeures de notre société. Le budget de la mission « Ville et logement » doit répondre en effet aux défis lancés par la ségrégation urbaine et à ceux que provoque la pénurie de logements.

Depuis 2002, les députés socialistes n’ont cessé d’alerter la majorité sur l’insuffisance des moyens dégagés pour lutter contre ces deux crises. À l’heure où nous examinons le dernier budget présenté par la douzième législature, l’échec de la politique conduite depuis quatre ans sur ces fronts est patent.

L’échec de la majorité en matière de politique de la ville vient d’être publiquement établi dans le dernier rapport de l’observatoire national des zones urbaines sensibles, qui met en évidence le fait que « le processus de décrochage dans les zones urbaines sensibles n’est pas enrayé » et que « l’on constate même le creusement d’écarts entre les quartiers classés en ZUS et les autres quartiers des agglomérations auxquels ils appartiennent ». La dégradation de la situation frappe tous les aspects de la vie dans ces quartiers : qu’il s’agisse d’emploi, de sécurité ou de réussite scolaire, tous les curseurs pointent vers le bas.

Le Gouvernement explique que ce rapport n’intègre pas les mesures prises à la suite des émeutes urbaines de l’automne 2005. Cependant chacun sait que ces mesures ont essentiellement consisté en un rattrapage d’annulations, de gels et de réductions de crédits survenus lors des budgets précédents.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Et vous, qu’avez-vous fait ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Cet échec rappelle qu’il est urgent de donner enfin un véritable pilote à la politique de la ville. Le ministère de la ville a plusieurs fois perdu son nom et changé de périmètre depuis 2002. À chaque nouvelle appellation a correspondu un nouveau ministre : en quatre ans, quatre titulaires – ce ne sont, bien sûr, pas leurs personnes que vise ma critique – se sont ainsi succédé à sa tête.

Mme Annick Lepetit. C’est très symbolique !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. La création d’une nouvelle agence pour la cohésion sociale et l’égalité des chances fait craindre une dilution complète des responsabilités au niveau national.

Dotée d’un vrai pilote, la politique de la ville devra d’abord reprendre le chantier de la rénovation urbaine. La réussite de ce grand projet, auquel nous voulons rester associés, exige une mobilisation de ressources financières exceptionnelles. À cet égard, le budget de la mission « Ville et logement » n’est pas à la hauteur en 2007. Comme l’année dernière, l’obligation de verser 465 millions d’euros à l’ANRU ne sera honorée que par le concours de recettes extrabudgétaires. Sachant que ces recettes ne peuvent pas être sollicitées d’une année sur l’autre, il est à craindre que le Gouvernement vienne de racler ses derniers fonds de tiroir.

M. Jean-Louis Dumont. C’est vrai !

Mme Annick Lepetit. Tout à fait !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Que faites-vous de l’annualité budgétaire ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Au-delà de l’année 2007, les perspectives restent en effet particulièrement sombres.

Au 1er septembre 2006, l’ANRU a déjà engagé 7,2 milliards d’euros, soit 70 % de ses ressources totales, pour subventionner 190 projets de rénovation. Or 280 projets sont encore en attente de financement. Yazid Sabeg, président du comité d’évaluation et de suivi de l’ANRU, juge ainsi qu’« il n’y a pas assez d’argent » et que « l’essentiel des crédits a été consommé ».

Menacée par l’insuffisance de son financement, la politique de rénovation urbaine n’atteint pas aujourd’hui les résultats espérés. Si les démolitions de logements sociaux se multiplient, les reconstructions se font beaucoup plus rares. L’indicateur de reconstitution de l’offre locative précise que le taux de couverture des démolitions par les reconstructions n’a atteint que 53,6 % en 2005 et ne devrait pas dépasser 76 % en 2006 : on est loin du 100 % érigé en impératif absolu lors de la discussion de la loi de 2003.

Néanmoins il y a pire : non seulement la politique de rénovation urbaine contribue aujourd’hui à aggraver les tensions du marché locatif, mais elle n’atteint pas sa principale mission, qui est de briser les ghettos urbains. Selon les évaluations de l’Union sociale pour l’habitat, que reprennent d’ailleurs plusieurs de nos rapporteurs, la moitié des reconstructions ont lieu sur le site du quartier démoli et l’autre moitié sur le reste de la commune. Ce n’est pas en reconstituant les quartiers sur eux-mêmes au sein de villes paupérisées que l’on luttera efficacement contre la ségrégation urbaine. Pour faire avancer la mixité sociale, il est essentiel que la reconstruction des logements sociaux se fasse à l’échelle des agglomérations. Cette ambition, il est vrai, ne pourra être portée que par une majorité fermement attachée au principe de solidarité posé par l’article 55 de la loi SRU.

Les résultats de la politique conduite par le Gouvernement ne sont malheureusement pas meilleurs en matière d’accompagnement social.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. En tout cas, ils sont meilleurs que les vôtres !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. À en croire le Gouvernement, un effort exceptionnel de 100 millions d’euros aurait été consenti en faveur des associations à l’automne 2005, à la suite des violences urbaines. En réalité, cet « effort exceptionnel » n’a fait que ramener les financements au niveau qu’ils avaient atteint à la fin de la précédente législature. Entre 2002 et 2005, les crédits versés aux associations avaient en effet subi une baisse drastique de 40 %.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Nous en reparlerons cet après-midi !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Madame la ministre, vous contesterez ces chiffres,…

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Bien sûr !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. …mais je vous assure que ce sont ceux qui ressortent des budgets 2002-2005.

M. François Grosdidier, rapporteur spécial. Il ne s’agit pas de donner pour donner, ni de donner pour se donner bonne conscience !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le bilan des mesures prises en faveur de la relance économique des quartiers sensibles est, lui aussi, plus que mitigé. S’il est incontestable que les zones franches urbaines attirent des entreprises grâce à leurs avantages fiscaux,…

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Merci de le reconnaître !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. …leur effet contre le chômage reste fort médiocre. La moitié des entreprises établies dans les 41 ZFU créées en 2004 n’emploient aucun salarié. Le dispositif des ZFU n’a donc pas eu d’impact suffisant pour compenser le handicap de départ affectant ces territoires. Sachant le coût exorbitant des avantages fiscaux consentis – 333 millions d’euros en 2007 –, la pertinence des ZFU doit donc être réexaminée.

L’échec du Gouvernement dans la lutte contre la crise du logement est tout aussi manifeste. Un seul chiffre suffit à l’établir : depuis 2002, le nombre de demandeurs de logements sociaux, loin d’avoir diminué, a poursuivi sa progression.

M. Jean-Louis Dumont. Ils sont de plus en plus nombreux !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il est proche désormais de 1,4 million. Or le nombre de demandeurs de logements est bien un critère sur lequel on peut juger une politique d’État.

Pour ce qui est des aides à l’a personne, le budget de la mission « Ville et logement » ne permettra malheureusement pas d’inverser la tendance, car l’enveloppe consacrée au financement de ces aides est encore en baisse. Anticipant sur la baisse du chômage, le Gouvernement diminue les crédits de 3,82 %,…

M. Jean-Louis Dumont. Eh oui !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. …alors même que 300 000 nouveaux ménages arrivent chaque année sur le marché locatif. Cette mesure d’économie est d’autant moins acceptable que l’État sollicite les ressources des employeurs publics et des SACI pour alimenter le fonds national d’aide au logement.

Surtout, l’actualisation de 1,8 % des loyers plafonds et du forfait charges au 1er janvier 2007 reste largement inférieure aux besoins des locataires. Au cours de cette année, les loyers ont augmenté en moyenne de 2,4 %, tandis que les charges ont grimpé de 5 %. Pourquoi, mes chers collègues, ne pas indexer dès cette année les aides personnelles sur les loyers, comme le propose M. Sarkozy ?

Mme Annick Lepetit. Eh oui !

M. François Grosdidier, rapporteur spécial. On ne peut pas tout faire en même temps !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Rappelons enfin le scandale relatif au seuil de non-versement, qui a déjà été évoqué.

Face à l’indignation provoquée par son relèvement à 24 euros en 2004, le Gouvernement a annoncé à plusieurs reprises son intention de le ramener à 15 euros. Pourtant, toutes les tentatives concrètes faites en ce sens par les parlementaires de cet hémicycle – sur quelque banc qu’ils siègent, je le reconnais – se sont vu opposer l’irrecevabilité au titre de l’article 40. Nous verrons donc bien, madame la ministre, si vous acceptez l’amendement que la commission a adopté à l’unanimité sur ce point.

Toutes ces restrictions budgétaires ont en effet des conséquences sensibles sur le pouvoir d’achat des locataires. Depuis quatre ans, la part des ressources qu’ils consacrent au paiement de leurs loyers ne cesse d’augmenter, quelle que soit leur catégorie sociale. Selon les chiffres fournis par le bleu budgétaire, entre 2003 et 2007, le taux d’effort des bénéficiaires de minima sociaux devrait passer de 15 % à 19,5 %, tandis que celui des salariés devrait augmenter de 25 % à 27,4 %.

En érodant ainsi le budget des locataires modestes – je vous rappelle en effet que près des trois quarts des bénéficiaires des aides personnelles ont des revenus inférieurs au SMIC –, le Gouvernement les expose au risque du surendettement et, dans les cas les plus graves, à celui de l’expulsion.

M. Jean-Louis Dumont. Ils sont de plus en plus nombreux !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le programme consacré au développement et à l’amélioration de l’offre de logement pâtit lui aussi de mauvais choix budgétaires.

À bon droit, les organismes de logement social se sont d’abord étonnés de constater la diminution d’un million d’euros des autorisations d’engagement qui leur seront accordées en 2007.

Plus grave encore : les crédits de paiement qui leur sont destinés chutent de 77 millions d’euros par rapport à ceux qui ont été versés en 2006 et de 152 millions par rapport aux prévisions affichées par le plan de cohésion sociale. Tout laisse donc craindre que la dette de l’État à l’égard des bailleurs sociaux, que vous aviez pourtant réduite, comme nous l’avions constaté et apprécié, ne se reconstitue rapidement alors même qu’elle n’avait pas été totalement apurée l’année dernière.

M. Jean-Louis Dumont. 440 millions !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. La réduction de ces subventions est d’autant moins justifiable qu’explosent dans le même temps les avantages fiscaux accordés sans contrepartie sociale aux investisseurs privés.

Mme Annick Lepetit. Eh oui ! C’est scandaleux !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je n’évoque là, mais on pourrait citer encore de nombreux autres exemples, que les 400 millions d’euros que coûtera, selon les estimations, le dispositif Robien en 2007, contre 300 millions l’année dernière.

Enfin, avec des choix budgétaires aussi contestables, les objectifs du plan de cohésion sociale ne pourront être tenus. Dès l’année dernière, alors qu’il était prévu de financer 90 000 logements sociaux, seuls 80 000 agréments ont été délivrés.

sCette année, d’après les chiffres de votre ministère, les agréments accordés entre janvier et septembre 2006 sont en recul de 46 % par rapport à ceux délivrés au cours de la même période en 2005. J’espère que ce chiffre sera différent à la fin de l’année,…

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Et vous, qu’est-ce que vous aviez fait ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. …mais le nombre d’agréments délivrés sera en deçà de l’objectif des 100 000 logements sociaux que, comme nous, vous considériez comme nécessaires, et que vous n’atteindrez pas.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Nous avons fait le double de ce que vous aviez fait !

M. François Grosdidier, rapporteur spécial. Absolument !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et quand bien même cet objectif serait-il tenu, nous savons par ailleurs – et c’est la critique la plus importante que nous faisons – que seulement 25 % des demandeurs de logements sociaux rentrent dans les critères du PLS. La proportion de ceux-ci au sein de l’offre nouvelle atteindra pourtant 37 % en 2007. Votre offre de logement social est donc totalement inadaptée à la réalité de ceux qui demandent du logement social.

Je termine en soulignant que l’offre locative sociale est en recul là où elle est la plus attendue. Selon les chiffres du bleu budgétaire, donc selon vos chiffres, le pourcentage de logements sociaux financés en zone tendue est en diminution : 22,5 % en 2005 pour 24 % en 2004, alors que le Gouvernement espérait qu’il atteindrait 30 % en 2009. Là où il y a du besoin en logement social, vous en construisez de moins en moins.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe socialiste juge essentiel de revoir l’enveloppe et la répartition des crédits de la mission « Ville et logement », et n’approuvera donc pas les propositions de votre budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Madame la ministre, je sais que vous n’êtes pas surprise.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Pas vraiment !

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour de LA prochaine séance

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2007, no 3341 :

Rapport, no 3363, de M. Gilles Carrez, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du plan.

Ville et logement ; article 62 (suite) :

Rapport spécial, no 3363, annexe 40, de M. François Grosdidier, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du plan,

Rapport spécial, no 3363, annexe 41, de M. François Scellier, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du plan,

Avis, no 3365, tome XV, de M. Philippe Pemezec, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,

Avis, no 3365, tome XVI, de M. Jean-Pierre Abelin, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures.)


COMPTE RENDU D’UNE COMMISSION ÉLARGIE

Commission des finances, de l’économie générale et du plan

commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Réunion du 9 novembre 2006

(en application de l’article 117 du règlement)

Mission Justice

Sommaire

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis de la commission des lois.

M. le garde des sceaux.

Mme Michèle Tabarot, rapporteure pour avis de la commission des lois.

M. le garde des sceaux.

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial de la commission des finances.

M. le vice-président de la commission des finances.

M. le garde des sceaux.

M. Michel Vaxès.

M. Christophe Caresche.

M. le garde des sceaux.

M. Christophe Caresche.

M. Étienne Pinte.

M. Émile Blessig.

Mme Marylise Lebranchu.

M. Jérôme Lambert.

M. Pierre Cardo.

M. le rapporteur spécial.

M. le garde des sceaux.

M. le vice-président de la commission des finances.

Coprésidence
de M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan,
et de M. Philippe Houillon, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. Je suis heureux de coprésider cette réunion avec le président Houillon. Je rappelle que la formule de la commission élargie vise à permettre souplesse et réactivité. J’invite donc chacun à intervenir brièvement, en privilégiant les questions, de façon à éviter les interventions courtes et les questions, en évitant les monologues académiques. Le débat en commission élargie doit en effet apporter une valeur ajoutée par rapport à la séance publique. Nous ne sommes pas très nombreux : M. le garde des sceaux pourra donc répondre immédiatement à chaque intervenant, qui aura même la possibilité de l’interroger à nouveau si, par extraordinaire, ses premières réponses n’étaient pas satisfaisantes…

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le garde des sceaux, la commission des lois a le plaisir de vous retrouver une nouvelle fois après l'audition d'hier sur le projet relatif à la prévention de la délinquance et avant celle qui nous réunira – je le précise dès maintenant – le mercredi 29 novembre sur les projets relatifs à la réforme de la justice. La réunion d'aujourd'hui, en formation « élargie », a trait pour sa part à votre budget, plus exactement aux crédits de la mission justice, qui fait l'objet à la commission des lois de deux rapports pour avis : le premier, présenté par M. Jean-Paul Garraud, consacré à la justice et à l'accès au droit, regroupe les programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice » et « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et s'intéresse également à la justice administrative, qui ne relève plus de votre ministère ; le second, présenté par Mme Michèle Tabarot, consacré à l'administration pénitentiaire et à la Protection judiciaire de la jeunesse, regroupe les programmes du même nom.

Ces crédits, et il convient d'emblée de s'en féliciter, sont en hausse sensible, puisqu’ils augmentent de 5 %. Mais ils doivent accompagner l'indispensable mutation de la justice attendue de nos concitoyens, comme ont pu le démontrer les travaux de notre commission d'enquête sur l'affaire dite d'Outreau. Et vous comprendrez aisément que mes interrogations soient relatives aux moyens nécessaires pour mettre en œuvre, sinon l'ensemble des propositions que nous avons faites, du moins celles que vous avez reprises dans les projets de loi que nous examinerons prochainement, qu'il s'agisse des pôles de l'instruction, de l'accélération et de l'amélioration des procédures, ou, bien sûr, de la formation des magistrats.

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Messieurs les présidents, madame et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, la justice sera en 2007, une nouvelle fois, une des priorités budgétaires du Gouvernement.

Le budget de la justice augmente en effet de 5 %, après 4 % en 2005 et 4,6 % en 2006. Cette nouvelle augmentation pour 2007 est à comparer à celle – 0,8 % – du budget de l'État. Le budget de mon ministère est celui qui connaît la plus forte progression cette année. Il s'élève au total à 6,271 milliards d'euros, ce qui représente 2,34 % du budget de l'État. Je rappelle que cette part n'était que de 1,69 % en 2002. Depuis 2002, le budget de la justice a ainsi augmenté de près de 1,8 milliard d'euros, soit 38 %. Cette priorité, continue depuis la loi d'orientation et de programmation de la justice, marque la volonté du Gouvernement de renforcer les fonctions régaliennes de l'État, en donnant à la justice les moyens d'assurer efficacement ses missions.

Cette année, la justice doit relever trois défis : celui de sa modernisation, celui de son accessibilité et celui de son efficacité.

J'ai l'ambition d'une justice modernisée, dans son fonctionnement et dans ses procédures. C'était le défi que nous assignait la représentation nationale l'an dernier, lorsqu'il s'agissait de mettre en place la loi organique relative aux lois de finances. Ce rendez-vous, nous l'avons honoré.

Les responsables locaux des services judiciaires, de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse se sont vu attribuer une enveloppe de crédits et des objectifs dans le cadre de dialogues de gestion. Ils ont été en mesure d'exercer, au plus près des besoins, les arbitrages nécessaires entre leurs crédits de fonctionnement et leurs crédits de rémunérations.

Les chefs de cour sont désormais, conjointement, ordonnateurs des dépenses et responsables des marchés. Ils portent sur la gestion un regard nouveau, intéressé, responsable. Je rappelle que les ordonnateurs des dépenses des juridictions étaient auparavant – et on a du mal à le croire – les préfets. Les chefs de cour exercent désormais pleinement leurs responsabilités juridiques et financières. Ils sont maintenant de véritables managers du service public de la justice, comme en témoigne la gestion décentralisée des budgets des juridictions, réalisée avec le souci de l'économie et de la performance.

Avec mon collègue Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, nous avons souhaité approfondir cette démarche de modernisation. J'ai ainsi voulu que la justice joue un rôle moteur dans les audits de modernisation de l'État. À la lumière d'un audit sur ce sujet, je souhaite que la visioconférence soit utilisée chaque fois que l'acte à accomplir pourra se satisfaire de cette technique, sans présentation physique de la personne devant le juge ou la juridiction.

L'ensemble des juridictions et les principaux établissements pénitentiaires devraient être équipés en visioconférence d'ici la fin de cette année. Cette modernisation générera des économies importantes en termes de déplacements d'experts et de magistrats, notamment outre-mer, mais également en matière de transfèrement de détenus. Son utilisation dans le fonctionnement courant des services génère déjà des économies significatives de temps et de crédits, tout en instaurant une plus grande proximité entre des services répartis sur l'ensemble du territoire.

Dans la continuité de cette démarche de modernisation, je souhaite que la justice s'appuie sur les nouvelles technologies pour être plus performante. J'ai ouvert, pour l'année qui vient, un chantier important : celui de la numérisation des procédures pénales.

Il s'agit en effet de profiter de l'évolution des technologies pour assurer une plus grande fluidité dans le déroulement de ces procédures et l'accès en temps réel aux dossiers, tant pour les magistrats que pour les auxiliaires de justice. Le rapport de la mission d'audit de modernisation vient de m'être remis. D'ici la fin de l'année, plus de la moitié des tribunaux de grande instance mettront en œuvre la première vague de cette numérisation.

Le ministère de la justice a relevé un autre défi. Le cinquième de son budget est passé du statut de crédits évaluatifs à celui de crédits limitatifs. Ces crédits concernaient les frais de justice, l'aide juridictionnelle, le financement du secteur associatif de la protection judiciaire de la jeunesse et la prise en charge de la santé des détenus. Dans chacun de ces cas, il convient à présent de rester dans l'enveloppe des crédits votés.

Il y a un an, je vous présentais un programme de maîtrise des frais de justice. J'ai rencontré un certain scepticisme, avant que chacun ne constate que la justice s'était donné les moyens de mieux maîtriser son budget. Cette démarche a produit des résultats concrets. Alors que les frais de justice connaissaient une augmentation de 15 à 20 % par an et avaient atteint 487 millions d'euros en 2005, ils seront en 2006 conformes aux prévisions, soit environ 420 millions d'euros.

J'avais assuré que cette maîtrise ne se ferait pas au détriment de la liberté d'initiative des magistrats et de la recherche de la vérité. Je crois pouvoir affirmer que nous y sommes parvenus. Nous poursuivrons donc nos efforts en 2007, pour contenir la progression de ces dépenses, en nous assurant notamment que les tarifs de nos fournisseurs sont compétitifs et que l'attention des prescripteurs, magistrats et officiers de police judiciaire reste mobilisée. Ce sont donc 423 millions d'euros en autorisations d'engagement que nous avons décidé d'inscrire en loi de finances pour 2007, pour les frais de justice. Si l'enveloppe de ces crédits est donc limitativement définie, elle l'est de façon réaliste et raisonnable.

Je souhaite, en second lieu, que la justice soit plus accessible pour tous les citoyens. C'était un des objectifs que vous nous aviez assignés en 2002 en votant la loi d'orientation et de programmation de la justice.

L'accessibilité, c'est avant tout donner aux citoyens une réponse rapide lorsqu'ils s'adressent à la justice. Entre 2002 et 2005, les délais moyens de traitement ont baissé pour toutes les affaires, même si des délais anormalement longs peuvent encore être constatés. Ainsi, les délais moyens de traitement dans les juridictions du premier degré ont été réduits de 28 %, passant en moyenne de 9,4 à 6,7 mois. Pour prendre un exemple plus précis, en matière de divorce, les délais étaient de douze mois en 2004, de dix mois en 2005, et devraient être réduits à neuf mois en 2006. Ces efforts doivent bien sûr être poursuivis, afin de parvenir à des délais de jugement acceptables par nos concitoyens.

Le ministère de la justice doit également s'assurer que chacun puisse connaître et exercer ses droits. L'accès au droit doit être favorisé et, tout particulièrement, le droit des plus démunis à disposer d'un avocat. Ainsi, j'ai décidé, en accord avec le Premier ministre, d'une augmentation des crédits consacrés à l'aide juridictionnelle de 6,6 % – un effort remarquable par rapport aux années précédentes. Cette mesure représente 20 millions d'euros, dont plus de 16 millions consacrés à la revalorisation de l'unité de valeur, qui permet de fixer la rétribution des avocats. Le budget total de l'aide juridictionnelle sera ainsi de 323 millions d'euros en 2007. Il s'agit là, dans un contexte budgétaire toujours contraint, d'un effort financier conséquent que la CEPEJ, la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, a d’ailleurs apprécié à sa juste valeur. Cette mesure ambitieuse est néanmoins nécessaire et témoigne de la volonté du Gouvernement d'assurer une juste rétribution des avocats, conforme à l'exigence d'une défense de qualité.

L'accessibilité de la justice doit aussi concerner les victimes, en leur garantissant une prise en charge concrète. Ainsi, la forte progression des crédits destinés aux associations d'aide aux victimes depuis 2002 a permis d'augmenter de 38 % le nombre de victimes suivies, soit plus de 100 000 en 2005. L'effort budgétaire consacré à l'aide aux victimes est maintenu en 2007, avec 9,7 millions d'euros. Près de 3,7 millions d'euros seront consacrés au développement de l'accès au droit, par l'intermédiaire des maisons de la justice et du droit et des conseils départementaux de l'accès au droit. Ces structures sont en effet désormais présentes dans presque tous les départements. Les maisons de la justice et du droit ont vu leur nombre passer de 43 en 2002 à 118 en 2005.

Enfin, la Commission nationale de l’informatique et des libertés disposera d'un budget fortement renforcé. Près de 10 millions d'euros lui sont attribués, soit une hausse de 13 % en 2007, après celle de 26 % l'an dernier.

Je souhaite enfin que l'année judiciaire 2007 soit placée sous le signe de l'efficacité. Cette efficacité s'appuie tout d'abord sur de nouveaux recrutements et l'aboutissement du programme immobilier lancé il y a quatre ans.

Les crédits inscrits dans le PLF pour 2007 nous permettront de recruter 1 548 emplois supplémentaires. Sur la législature, 7 700 emplois nouveaux auront été créés. Cet effort considérable, quasiment sans précédent, permettra aux juridictions d'augmenter leurs effectifs de 160 magistrats, 160 greffiers et 200 fonctionnaires de greffe supplémentaires afin de rendre notre système judiciaire plus efficace.

La protection judiciaire de la jeunesse sera renforcée par le recrutement supplémentaire de 290 agents spécialisés dans les métiers de l'éducation et de l'insertion. Ils auront à cœur de répondre aux nouvelles formes de délinquance des mineurs sur l'ensemble du territoire national. L'installation, en 2008, de l'école nationale de la PJJ à Roubaix permettra, en outre, de renouveler la formation de ses personnels, dans la fidélité à ses principes fondateurs.

L'administration pénitentiaire bénéficiera de 703 emplois supplémentaires en 2007. Cela lui permettra notamment de recruter les 458 agents nécessaires à l'ouverture des nouveaux établissements pénitentiaires.

En effet, les années 2002 à 2006 ont été des années de construction et de réhabilitation. En 2007 commencera la mise en service des nouveaux établissements pénitentiaires et des palais de justice. Les opérations de rénovation se poursuivront. L'investissement du ministère dans ce programme immobilier représentera en effet 1,1 milliard d'euros en autorisations d'engagement. Parmi ces crédits, 890 millions d'euros permettront à l'administration pénitentiaire de respecter l'objectif de la LOPJ, en créant 13 200 places réparties sur trente établissements afin de faire face à la surpopulation carcérale et à la vétusté de certains établissements.

Notre pays disposera ainsi d'environ 60 000 places conformes à nos besoins quantitatifs et adaptées aux nouvelles règles pénitentiaires européennes. Six établissements pénitentiaires pour mineurs seront livrés en 2007 et un septième début 2008. Dix établissements pour détenus majeurs sont d'ores et déjà lancés dans le cadre de contrats en partenariat public-privé – les célèbres PPP. L'ensemble des établissements prévus par la LOPJ sera construit d'ici 2010.

L'effort immobilier se poursuivra également pour les juridictions, grâce à un programme de construction et de rénovation de 190 millions d'euros. Dès 2007, les palais de justice de Thonon-les-Bains, d’Avesnes-sur-Helpe et de Toulouse, ainsi que la cour d'appel de Bordeaux, seront livrés. Les travaux se poursuivront ou commenceront à Annecy, Bobigny, Dijon, Le Havre, Nanterre et Pointe-à-Pitre. Deux opérations seront réalisées en partenariat public-privé : le palais de justice Bourgoin-Jallieu dans l’Isère et l'extension de celui de Toulon. Plusieurs centaines de juridictions bénéficieront, elles aussi, d'améliorations ou de rénovations de leur patrimoine immobilier.

Enfin, pour la protection judiciaire de la jeunesse, l'ouverture de vingt centres éducatifs fermés supplémentaires est programmée, portant le nombre de places disponibles dans ces établissements à 465 à la fin de 2007.

Ces recrutements et ces constructions nous permettront d'assurer la bonne exécution des décisions de justice. Déjà, en quatre ans, le taux de réponse pénale a augmenté de plus de 10 %, la justice apportant une réponse pénale dans 79 % des dossiers qui lui sont transmis. Pour les mineurs, ce taux est même de 87 %. J'ajoute que notre politique active de diversification de la réponse pénale a permis d'accroître de 45 % le nombre de mesures alternatives aux poursuites, rendant la justice plus effective.

J'avais fait l'an dernier de la mise en place des bureaux d'exécution des peines l'une de mes priorités pour 2006. Aujourd'hui, 67 bureaux ont été créés dans les tribunaux de grande instance. Cette mesure sera généralisée à tous les TGI d'ici la fin de l'année. Ils seront dotés des moyens humains et matériels nécessaires à leur mission. Leur implantation sera étendue aux tribunaux pour enfants afin d'assurer une réponse pénale plus efficace à l'égard des mineurs.

Je souhaite aussi poursuivre la politique de sécurisation des établissements pénitentiaires engagée depuis 2002. La France se prévaut désormais d'un des taux d'évasion les plus faibles d'Europe. Conforter ce résultat nécessite une adaptation permanente des dispositifs de sécurité. Le programme d'équipement des prisons en moyens de protection contre les intrusions par voie aérienne, tout comme l'installation de brouilleurs de portables, seront poursuivis. L'équipement de protection des personnels pénitentiaires sera, par ailleurs, renforcé.

La sûreté des juridictions est également une de mes priorités. Vous vous souvenez sans doute de l’attentat perpétré contre une greffière à la cour d’appel de Rouen : il m’avait personnellement bouleversé. Ainsi, 18 millions d'euros sont consacrés à ce programme dans le budget 2007. Dans les juridictions les plus sensibles, j'ai décidé de faire appel, en complément du gardiennage, à des professionnels particulièrement adaptés. Aussi déploierons-nous, aux côtés de réservistes de la police nationale, d'anciens surveillants de l'administration pénitentiaire. Les expériences menées à Rouen, Aix ou Toulouse ont montré combien leur savoir-faire permettait de pacifier les juridictions. Ils seront 260 sur le terrain à partir du début 2007. Par ailleurs, nous équipons progressivement les juridictions qui ne l'étaient pas de portiques de détection, de vidéosurveillance et d'alarmes afin de réduire les risques d'agression.

Si la justice doit être ferme avec ceux qui croient disposer d'une impunité, elle a également vocation à réinsérer dans la société les mineurs suivis par la PJJ et les détenus ayant purgé leur peine.

La protection judiciaire de la jeunesse voit ses crédits augmenter très fortement cette année, à hauteur de 8,6 %. L'effort en faveur des centres éducatifs fermés, que j'ai mentionné précédemment, ne se fera pas au détriment des prises en charge classiques. Les crédits du secteur associatif progressent de 43 millions d'euros, au bénéfice de l'ensemble des structures de prise en charge des mineurs.

Je souhaite également tout mettre en œuvre pour éviter les « sorties sèches » de prison, sans suivi et sans soutien adapté. Ainsi, nous devons poursuivre nos efforts en faveur des mesures d'aménagement de peine, qui ont augmenté de 27 % entre 2003 et 2005. Aucune mesure ne doit être négligée, mais je souhaite insister cette année sur le bracelet électronique mobile. Je vous rappelle que de nombreux observateurs étaient critiques ou sceptiques lorsque nous nous étions fixé l'objectif de 3 000 placements simultanés pour la fin de l'année 2007, mais nous sommes en train de gagner ce pari. L'expérimentation du bracelet électronique mobile, décidée à l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur la prévention de la récidive, offre au juge la possibilité de concilier protection de la société, respect des victimes et réinsertion des condamnés à de longues peines ou présentant un risque de récidive. Une quinzaine de placements seront réalisés dans ce cadre d’ici à la fin de l’année. Le décret nécessaire à la généralisation progressive du dispositif sera publié dès janvier prochain.

Nous devons enfin avoir l'ambition de la réforme. Le débat sur la réforme de la justice a été un des temps forts de cette année. Je souhaite que l'année 2007 soit l'année des premières réponses à l'affaire dite d’Outreau. À la suite de ce drame, l'équilibre entre les droits de la défense et l'efficacité de la procédure nécessitait d'être repensé.

La justice est confrontée aujourd'hui à trois enjeux : lutter contre les détentions provisoires injustifiées, renforcer les droits de la défense, moderniser le régime de la responsabilité des magistrats. Mes propositions ont été adoptées il y a deux semaines par le conseil des ministres.

Cette réforme nécessitera en particulier la création de 70 emplois nouveaux de magistrats et de 102 emplois de fonctionnaires de greffe. Les postes de magistrats seront pourvus par redéploiement et un recrutement de fonctionnaires devra être organisé. Ce projet comporte, comme pour tous les projets de loi, une étude d'impact financier, lequel est estimé pour le ministère de la justice à 30 millions d'euros. Ce financement ne figure pas dans le projet de loi de finances pour 2007 puisque le chiffrage précis de cette réforme en 2007 dépend du périmètre définitif de la loi et de son calendrier de mise en œuvre. Dès que la loi sera promulguée, le Gouvernement abondera en tant que de besoin les crédits du ministère.

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. On aimerait que tous les projets de loi soient assortis d’une étude d’impact financier !

M. le garde des sceaux. Nous sommes exemplaires !

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. La parole est à M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis de la commission des lois.

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République pour les programmes « Justice judiciaire » et « Accès au droit et à la justice ». Messieurs les présidents, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le budget de la justice, qui s’élève à 6,271 milliards d’euros, connaît, comme cela a été dit, une progression notable : 5 % en 2007, après avoir connu une augmentation de 4 % en 2005 et de 4,6 % en 2006.

La réforme de la procédure pénale, qui fait suite aux travaux de la commission parlementaire d’enquête sur l’affaire dite d’Outreau, à laquelle j’ai eu l’honneur de participer, a dégagé des objectifs clairs : assurer la cohérence de l’organisation territoriale de l’instruction afin de favoriser le travail en équipe, améliorer le contrôle de la chambre de l’instruction sur le déroulement des informations et sur la détention provisoire, et enfin renforcer le caractère contradictoire des expertises.

Un certain nombre de dispositions budgétaires ont déjà été prises pour répondre à ces préoccupations, notamment en faveur de la mise en place des pôles de l’instruction. Mais – je l’ai noté car ma circonscription compte un tribunal dans cette situation – on ne revient pas sur la présence d’un juge d’instruction par tribunal de grande instance. C’est un point important, qu’il faut souligner. L’objectif est de créer 125 pôles et de développer la co-saisine. Dans ce schéma, la place du juge des libertés et de la détention peut susciter des interrogations. La majorité des membres de la commission d’enquête avait d’ailleurs préconisé la suppression pure et simple. Le pôle de l’instruction pourrait avoir compétence pour l’ensemble de ce qui concerne la détention provisoire et donc remplacer le JLD, juge unique – et peut-être inique, selon l’adage bien connu. Beaucoup de députés, dont je suis, s’intéressent à cette question et une évolution est peut-être envisageable. Quant au renforcement du contrôle par la chambre de l’instruction et à la réforme de l’expertise, en particulier psychiatrique, ce sont deux sujets primordiaux que j’ai eu l’occasion d’aborder dans le rapport que j’ai récemment remis au Premier ministre.

L’an dernier, nous étions très inquiets de l’évolution des frais de justice, qui augmentaient de 15 à 20 % chaque année. À la suite des travaux de la mission que vous avez instituée sous l’autorité du secrétaire général de la Chancellerie, des efforts importants ont été réalisés. Un nouvel article du code de procédure pénale – l’article R. 213-1, qui renvoie à l’arrêté du 22 août 2006 – a notamment permis d’encadrer les tarifs de réquisition des opérateurs téléphoniques, qui ont baissé de 40 % depuis. C’était une mesure indispensable à la maîtrise des frais de justice, et le sujet semble réglé.

Je dirai un mot des juges de proximité, sujet auquel je m’intéresse particulièrement pour avoir été rapporteur de la loi du 26 janvier 2005. Leur nombre augmente, puisque 530 étaient en activité au 30 juin. En réponse aux critiques formulées sur cette institution, je rappelle que seules huit de leurs décisions ont été annulées par la Cour de cassation. Leurs compétences ont été accrues, aussi bien au civil qu’au pénal. En revanche, un problème semble se poser au sujet du remboursement de leurs frais de déplacement.

L’accès au droit et à la justice regroupe l’aide juridictionnelle, l’accès au droit et l’aide aux victimes. Ses crédits connaissent une progression notable, de 6,9 %, par rapport à 2006. L’aide juridictionnelle, notamment, passe de 303 à 323 millions d’euros, avec une augmentation de six points de l’unité de valeur de référence pour la rétribution des avocats.

J’en viens aux questions que m’inspirent les auditions auxquelles j’ai procédé lors de la préparation de mon rapport. La première concerne la détérioration du ratio entre le nombre de magistrats et celui des fonctionnaires des services judiciaires, qui était de 2,87 en 1992 et de 2,63 en 2005, alors que les missions confiées à la justice ont été alourdies. Il y a certes eu des créations de postes de magistrats, mais qui n’ont pas été accompagnées de créations de postes de fonctionnaires. Or, un magistrat n’est rien sans son greffier ! Il est important de maintenir une corrélation entre les deux.

Ma deuxième question concerne l’application des peines. Les travaux de la commission d’enquête parlementaire, les réflexions qui ont conduit au rapport que j’ai remis le 18 octobre au Premier ministre, mes travaux en tant que rapporteur pour avis : tout cela plaide en faveur d’une augmentation des moyens dans ce domaine, alors que les peines d’emprisonnement assorties d’un sursis avec mise à l’épreuve ont progressé de plus de 20 % en quatre ans et que nous souhaitons développer les mesures de sûreté, telles que le bracelet électronique. Il convient donc de faire un effort.

Si les primes au mérite ont fait couler beaucoup d’encre, elles me semblent tout à fait justifiées, et sont d’ailleurs parfaitement entrées dans les mœurs. En revanche, il me paraît tout à fait anormal que seuls les magistrats puissent en bénéficier, et non les greffiers, alors qu’ils travaillent en équipe.

Enfin, il me semble qu’il faut consacrer des moyens à l’amélioration de la gestion des ressources humaines du ministère. C’était une grande préoccupation de la commission d’enquête parlementaire : sans vouloir en aucune façon mettre en cause le travail des agents, il faut parvenir à placer la bonne personne au bon endroit. Avant d’élaborer de nouvelles lois, l’application de celles qui existent pourrait s’en trouver améliorée. Cette préoccupation rejoint celle de nombreux agents du ministère.

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Les réflexions de M. Garraud pourraient me conduire à parler plus d’une heure…

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. Malheureusement, ce n’est pas possible : plusieurs rapporteurs doivent encore s’exprimer.

M. le garde des sceaux. Vous avez évoqué la réforme qui a été présentée en conseil des ministres. Une de ses dispositions, en particulier, a une incidence budgétaire : celle qui vise à améliorer le contrôle des chambres de l’instruction sur l’activité des juges d’instruction. En clair, dans toute la France, les assesseurs des chambres de l’instruction seront des juges à plein temps. Les 42 postes que cela requiert sont inscrits dès à présent dans le projet de loi de finances. Cela devrait permettre de grands progrès dans le suivi des juges d’instruction. Avec ces moyens supplémentaires, les chambres de l’instruction vont perdre leur réputation, au demeurant injustifiée, de « chambres des évêques » et prendre toute leur place.

S’agissant de la présence d’un juge d’instruction dans chaque tribunal de grande instance à chambre unique, il va de soi qu’il est tout à fait inutile de prévoir une co-saisine dans les affaires simples. En revanche, les affaires criminelles ou complexes seront adressées aux pôles d’instruction – qui seront le plus souvent départementaux, même si certains départements, comme le Nord ou le Pas-de-Calais, en comprendront plusieurs, tandis que d’autres, plus petits, en seront dépourvus. La co-saisine est l’amorce de la collégialité : celle-ci est extrêmement difficile à mettre en place, sauf à accepter que les recrutements soient d’une qualité moindre qu’aujourd’hui, ce que personne ne souhaite. La mise en place de cette collégialité supposerait en effet le recrutement, d’un seul coup, de 250 magistrats supplémentaires. C’est une véritable difficulté pratique, pas seulement budgétaire, et toute suggestion sera la bienvenue.

J’en viens aux questions d’ordre strictement budgétaire que vous avez posées, et, d’abord, à celle relative au ratio entre magistrats et fonctionnaires de greffe et au manque de greffiers.

Nous avons particulièrement ressenti cette insuffisance en 2005 pour une raison d’ordre technique que les membres des commissions des lois et des finances ne peuvent ignorer, à savoir l'allongement de la scolarité des greffiers, qui est passée, à partir de cette année-là, de douze à dix-huit mois, retardant d’autant l’arrivée de la nouvelle promotion. C'est ce qui explique que 2005 ait pu être qualifié d’annus horribilis dans nombre de juridictions qui n’ont accueilli aucun greffier pour compenser les départs à la retraite alors qu’elles connaissaient déjà un déficit. Aujourd’hui, les choses vont tout de même un peu mieux.

C’est ainsi que l'année 2006 a permis de retrouver un rythme normal d'arrivée des greffiers dans les juridictions puisque plus de 360 auront pris leurs fonctions cette année. Quant à l'année 2007, elle verra l'arrivée de 260 greffiers sortant d'école, soit 160 de plus que les départs à la retraite. La situation, qui va déjà mieux fin 2006, ira donc encore mieux fin 2007, avant de revenir à la normale d’ici deux à trois ans. Il est vrai, en tout cas, qu’elle a été extrêmement difficile en 2005, et les critiques que l’on a pu entendre à cet égard, les uns ou les autres, étaient entièrement fondées.

Le ratio était, en 1990, de 2,8 fonctionnaires de greffe pour un magistrat. Il est aujourd’hui un peu inférieur, puisqu'il est de 2,6 pour un, cela depuis 2001. J’espère que nous arriverons très vite à 3 pour un, ce qui réglera le problème.

Votre deuxième question portait sur les moyens mis en œuvre pour permettre aux juges d’application des peines de remplir leurs missions. Depuis 2002, où leur manque était en effet criant, leur nombre aura doublé, passant de 176 à 352. Un gros effort a donc été accompli en la matière, et l’on n’entend d’ailleurs plus de plaintes sur le manque, partout en France, de juges d’application des peines.

La troisième question avait trait à la généralisation des primes modulaires. À cet égard, vous avez souhaité que la modulation soit étendue aux fonctionnaires des services judiciaires. J’y suis favorable, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle une première enveloppe, d'un million d'euros, a été inscrite dans le projet de loi de finances. Pour 2007, les modalités de répartition des primes et le choix des catégories d'agents qui pourraient être concernées dans un premier temps, seront arrêtées par le directeur des services judiciaires. Les propositions qui seront faites feront l'objet, dès qu'elles seront établies, d'un dialogue avec les organisations professionnelles.

Votre quatrième question concernait la fusion des grands corps de fonctionnaires. Au ministère de la justice, la gestion des corps est répartie entre quatre directions – la direction de l’administration pénitentiaire, la direction de la protection judicaire de la jeunesse, la direction des services judiciaires et l’administration centrale.

Pour les catégories A, nous avons engagé la fusion des différents corps d'attachés. Le nombre d'agents concernés étant relativement limité, la réalisation de ce projet n’a pas rencontré de difficultés particulières.

La question se pose différemment pour les corps de catégorie B et C.

La fusion des corps de catégorie B est à l'étude. Elle devrait aboutir courant 2007.

S'agissant des corps de catégorie C, le nombre très important d'agents concernés – plus de 33 000 – ne permettra pas de réaliser leur fusion dans les délais prévus par le protocole sur la fonction publique de janvier dernier. Une dérogation a été accordée au ministère de la justice pour réaliser cette fusion en deux temps : il faudra parvenir à un maximum de deux corps de catégorie C par direction avant la fin de cette année, dès la parution du décret interministériel, puis se limiter à deux corps de catégorie C pour l’ensemble du ministère au 1er janvier 2009.

L'ensemble de ces fusions sera réalisé par la direction de l'administration générale et de l'équipement, qui sert de direction des ressources humaines au ministère, sous l'autorité du secrétaire général.

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. La parole est à Mme Michèle Tabarot, rapporteure pour avis de la commission des lois.

Mme Michèle Tabarot, rapporteure pour avis de la commission des lois, de la législation et de l’administration générale de la République pour les programmes « Administration pénitentiaire » et « Protection judiciaire de la jeunesse ». Messieurs les présidents, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai le plaisir de suivre, pour la deuxième année consécutive, les programmes « Administration pénitentiaire » et « Protection judiciaire de la jeunesse » du budget de la justice, ce qui m’a permis d’apprécier les efforts sérieux consentis par le Gouvernement en faveur de la mission « Justice ».

Des inquiétudes s’étaient exprimées l’année dernière quant aux renforts en personnel rendus nécessaires par la montée en puissance des programmes immobiliers. Il ressort de mes différentes visites et auditions que ces craintes sont aujourd'hui dissipées. Ce budget, conforme aux objectifs définis par la loi d'orientation et de programmation pour la justice, fait preuve en effet d’une réelle ambition, tant en matière de recrutement que de créations et réhabilitations d’établissements.

En ce qui concerne l'administration pénitentiaire, tout d'abord, les crédits de paiement progressent de 5 % par rapport à la loi de finances de 2006, ce qui représente un effort considérable. Avec la création de 277 équivalents temps plein travaillé supplémentaires, le plafond de recrutement est porté à près de 2 000 emplois, ce qui permettra de doter les premiers établissements du programme « 13 200 » qui seront livrés en 2007.

Les conditions de détention pourraient être meilleures, mais je tiens très sincèrement à souligner l’effort entrepris par le Gouvernement et, en particulier, par le garde des sceaux, à la fois pour créer de nouveaux établissements et pour lancer une véritable réhabilitation.

L'enquête très médiatique menée par l'Observatoire international des prisons, à paraître prochainement, fait état d’éléments qui, ajoutés à ceux que vous nous avez fournis, monsieur le garde des sceaux, sont particulièrement frappants. La création, que vous encouragez, et la réhabilitation en cours de nouveaux établissements sont donc bien la première réponse à apporter pour améliorer la situation des personnes incarcérées.

On peut cependant aussi saluer d’autres décisions, telles que la généralisation des unités de visite familiale. C'est là un effort important que vous réalisez pour le maintien du lien familial, si important à la fois pour les familles et pour les détenus.

De même, il convient de souligner le renforcement de la médiation, le développement des solutions alternatives ou encore la création d'établissements pour courtes peines.

Dans le contexte de l'« après-Outreau », le rapport de la commission d'enquête a mis en avant deux difficultés : la mixité entre présumés innocents et condamnés, mais aussi la mise en contact de certains prévenus soupçonnés de faits lourds avec des détenus condamnés à de courtes peines. Il est essentiel de limiter au maximum la cohabitation entre des profils pénaux très divers. Quelles mesures, monsieur le garde des sceaux, comptez-vous mettre en œuvre pour répondre à ce défi ?

Dans le cadre de mes différentes auditions et visites sur le terrain, j'ai également été sensibilisée à la question de la formation professionnelle en détention. II s'agit d'un élément essentiel de la réinsertion, mais également de l'occupation des personnes en détention. Des dysfonctionnements se sont produits cette année, mais je crois savoir que le ministère de la cohésion sociale a pris des engagements pour qu’ils ne se reproduisent plus.

Par ailleurs, la religion occupe une place importante dans l'univers carcéral. Nombre de détenus y trouvent un espace de dialogue et d'échange qui leur permet de donner du sens à leur détention. Or, il ressort des divers entretiens que j'ai pu avoir avec les aumôniers nationaux que le maillage territorial est insuffisant pour certaines religions.

La montée des intégrismes est un phénomène qui inquiète. Il est encore plus inquiétant à l'intérieur des prisons. Étant convaincue que les prosélytes ne peuvent occuper que le terrain laissé libre par les ministres officiels des cultes, il me semble que les aumôniers sont les meilleurs garants du respect de nos valeurs républicaines. Dans le cadre du dialogue entre l'administration pénitentiaire et les aumôneries, qu’envisagez-vous de faire pour garantir la modération du discours religieux en prison ?

Concernant la protection judiciaire de la jeunesse, je tiens, là encore, à souligner l’effort très conséquent fourni par le Gouvernement et votre ministère, qu’il s’agisse des renforts en personnels, de l'ouverture des premiers établissements pour mineurs ou encore, avant la fin de l’année, de celle de vingt-huit nouveaux centres éducatifs fermés.

Je tiens ici à saluer les efforts entrepris par la direction de la PJJ depuis 2003, aidée en cela par la mise en place de la LOLF, pour rationaliser son organisation et la gestion de ses effectifs, pour établir des outils de suivi statistique performants et pour diversifier ses modes d'intervention.

Je souhaiterais, monsieur le garde des sceaux, connaître à cet égard votre position sur trois points qui ont plus particulièrement retenu mon attention.

Tout d'abord, les délais de prise en charge des mineurs par la PJJ, malgré des progrès, restent trop longs. Les statistiques concernant cet objectif de performance retenu dans le cadre de la LOLF, montrent que la part imputable à la PJJ dans ce retard diminue alors que celle imputable aux magistrats progresse. Quoi qu’il en soit, dix-huit mois après le prononcé de la peine, un pourcentage très élevé de mineurs condamnés n'ont pas effectué leur peine de prison. Quels moyens mettrez-vous en œuvre pour réduire ce délai de prise en charge et améliorer la qualité de la réponse pénale ?

J'ai par ailleurs été particulièrement sensible à la très belle initiative que constitue le parrainage. Ce dispositif, auquel je vous sais très attaché, souffre d'un manque de notoriété alors qu’il mériterait d’être mieux connu. Les éducateurs ne sont pas toujours en mesure de répondre aux interrogations des chefs d'entreprise sur les dispositifs d'aide dont ils pourraient bénéficier. Peut-on envisager l’intervention du service public de l'emploi ou, éventuellement, des missions locales ?

Enfin, je reste, comme l'an dernier, très inquiète de voir que sont mélangés différents publics – comme des mineurs victimes et des jeunes délinquants – au sein d'un même établissement. Comment faire pour les séparer, pour protéger au mieux ceux qui ont déjà vécu une situation difficile et pour donner une réponse adaptée à chacun – je sais que nous aurons l’occasion d’y revenir prochainement lors de la discussion du texte relatif à la prévention de la délinquance et à la protection de l’enfance.

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Les travaux lancés en application de la loi d’orientation et de programmation pour la justice présentée par la nouvelle majorité en 2002, sont considérables et sans précédent. On comptait en effet 47 000 places quand nous sommes arrivés aux responsabilités, contre 50 000 aujourd’hui. Sachant que 13 200, voire 13 300 places, sont programmées – il y en avait eu 13 000 sous M. Chalandon –, nous serons au-delà des 60 000 places, étant entendu que 5 000 places devraient être totalement réhabilitées, notamment aux Baumettes à Marseille, à la Santé au centre de Paris, et à Fleury-Mérogis qui est, comme chacun sait, la plus grande prison d’Europe.

Les crédits de rénovation d’établissements pénitentiaires s’élèvent à 120 millions d’euros pour 2007 et représentent annuellement, sur la période 2002-2006, le double de ceux votés sous la précédente législature. Nous disposerons donc, avec les 3 000 places que nous avons créées et avec celles qui seront issues des programmes de constructions nouvelles et de réhabilitation, d’un peu plus de 60 000 places, pour 56 000 détenus environ – je rappelle que le pic avait été atteint en 1984 avec un peu moins de 62 000 détenus.

Notre pays, avec ses 62 millions d’habitants, compte ainsi 91 détenus pour 100 000 habitants. Il figure ainsi, contrairement à ce que les gens croient ou aux sottises que l’on peut lire, parmi ceux où la proportion de détenus est la plus faible : l’Allemagne compte 95 détenus pour 100 000 habitants, l’Italie et l’Espagne 97 ou 98, la Grande-Bretagne et le Portugal 134. Certes, on pourra toujours me faire remarquer que l’on trouve ailleurs des proportions moindres qu’en France. Tel est le cas en Finlande, en Norvège et au Danemark – mais non en Belgique, où cette proportion est également très supérieure à celle de la France. Cependant, je ne crois pas que l’on puisse nous comparer avec ces pays plus petits, ne serait-ce que du fait de l’importance de notre population. J’y insiste donc, par rapport aux grands pays européens, la France est le pays qui compte le moins de détenus par rapport au nombre de ses habitants. Si l’on pouvait éradiquer cette idée reçue, y compris chez certains élus, selon laquelle la France détiendrait un nombre record de détenus, le débat sur la justice gagnerait déjà en objectivité !

Je suis à cet égard favorable à ce que la presse et la télévision fassent, comme ces jours derniers, le point sur la situation dans les prisons. Cependant, lorsqu’un metteur en scène se vante à la radio d’être « de parti pris », où est l’information ? Son film, c'est un film à thèse. Son intervention était donc d’autant plus malheureuse qu’elle n’aboutissait en fait qu’à critiquer la France, au motif que nous n’aurions rien fait en la matière, ignorant le programme « 4 000 » de Pierre Méhaignerie – auquel j’aurais été heureux de rendre hommage aujourd’hui s’il avait été présent –...

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. Vos propos lui seront transmis.

M. le garde des sceaux. ...ainsi que le programme « 13 000 » d’Albin Chalandon, et occultant le fait que rien n’a été fait sous les majorités précédentes.

Je souhaite que soit mené, quelle que soit la couleur politique des prochaines majorités, un programme continu de réhabilitation et de construction. Faire des émissions de télévision et tenir des discours la main sur le cœur n’est en effet pas une fin en soi. Beaucoup plus qu’aux beaux discours, je crois en une dépense budgétaire concrète qui nous permette de nous conformer, en matière de prisons, aux normes du Conseil de l’Europe.

À ce propos, si j’ai critiqué le rapport de M. Gil Robles, c'est parce qu’il ne représentait que lui-même, et non pas le Conseil de l’Europe. Ses responsables m’ont d’ailleurs eux-mêmes indiqué, après avoir entendu ma critique sur le caractère quelque peu partial de son rapport, qu’ils n’avaient absolument pas validé celui-ci. Son auteur n'est d’ailleurs plus commissaire aux droits de l’homme auprès du Conseil de l’Europe..

M. Christophe Caresche. Aurait-on eu affaire à un mystificateur ?

M. le garde des sceaux. Pour en revenir à cet égard à une analyse quantitative de la justice – j’ai fait allusion au classement élaboré par la CEPEJ –, je m’inscris en faux contre l’idée que la France serait, comme je peux le lire ici ou là, au 42e rang s’agissant de l’effort consacré au système judiciaire. Il faut en effet comparer ce qui est comparable. Le budget des pays qui intègrent la justice administrative dans la justice judiciaire ne peut ainsi être le même que le nôtre ! Et il en va de même s’agissant des prisons.

En tout cas, si les modalités sont différentes, la finalité est identique dans tous nos pays, et nul à cet égard ne peut plus prétendre aujourd’hui que le budget de la justice – qui est passé, comme je l’ai rappelé, de 1,60 à 2,30 ou 2,40 % du budget d’État – est ridicule. Nous avons fourni un effort continu ces dernières années, et nous le poursuivons avec ce cinquième budget de croissance. Il faut en effet éviter les à-coups, avec un beau budget une année suivi d’un budget en forte baisse l’année suivante. Un bon travail budgétaire, c'est un travail continu avec un budget en augmentation de 5 % et plus si possible, sachant que la conjoncture économique ne permet pas toujours de se montrer très généreux. Je suis en tout cas très heureux et très fier de présenter un budget de la justice qui, pour la première fois, connaît la plus forte progression.

Par ailleurs, il n’est plus question de mélanger les courtes peines et les longues. Les primo-délinquants exécutant une courte peine seront hébergés dans des quartiers réservés, où des programmes de réinsertion en lien avec leur délit –délinquance routière ou violence domestique, par exemple – leur seront proposés. Autrement dit, il ne s’agit plus de prison simplement privative de liberté. Deux de ces quartiers courte peine ouvriront dès 2007 à Fleury-Mérogis et à Toulouse.

De même, la séparation entre les prévenus et les condamnés sera rendue possible grâce au programme immobilier dont j’ai fait état et des budgets que vous avez eu la bonté, mesdames et messieurs les députés, de voter ces dernières années.

S’agissant de la rémunération de la formation professionnelle en prison, qui dépend non pas de la justice, mais du ministère chargé de la cohésion sociale, les crédits étaient passés de 13 à 10 millions d’euros entre 2005 et 2006. Je me suis battu pour retrouver 3 millions en 2006, et j’espère que cette décision permettra un ajustement pérenne. M. Borloo m’a assuré que les crédits nécessaires seraient dégagés cette année.

Pour ce qui est du prosélytisme, les 900 aumôniers sont en grande majorité catholiques, avec une forte minorité protestante, et seulement quelques rabbins et quelques aumôniers musulmans. La bonne nouvelle à cet égard est que le Conseil français du culte musulman a finalement nommé M. Talabi, après être revenu une première fois sur cette nomination, aumônier national des prisons.

Je croyais, à mon arrivée au ministère, que les aumôniers étaient des prêtres ou des imams. En fait, ce sont des laïcs pour la plupart. L’aumônier catholique, par exemple, est presque toujours un diacre et non un prêtre. Les choses se passent bien en général, même si, s’agissant de l’islam, il existe une centaine de détenus à tendance islamiste, donc dangereux. C'est d’ailleurs pourquoi il a été créé au sein de l’administration pénitentiaire un bureau du renseignement, qui connaît très bien le passé, l’histoire, les relations de ces personnes. Nous savons tout sur eux, si bien que lors des passages d’une prison à une autre, ils ne sont jamais placés ensemble. Grâce au travail formidable entrepris par ce bureau, aucune erreur n'est plus commise : ce n'est plus le hasard qui préside aux placements de cette centaine de détenus particulièrement sensibles parce qu’islamistes. J’espère que ces précisions seront de nature à rassurer la représentation nationale. De surcroît, les personnels pénitentiaires sont désormais formés à la pratique des cultes et à la lutte contre les prosélytismes en établissement.

Pour ce qui est des délais de prise en charge des mineurs par la PJJ, ils sont restés quasi constants depuis 2001, alors que le nombre de mesures a augmenté de 25 %. Quant au nombre de mesures en attente de plus de quinze jours, il a diminué de 30 %.

Si le délai moyen de prise en charge des investigations est de onze jours, il peut cependant être moindre pour les plus urgentes d’entre elles. En outre, une enquête lancée auprès des magistrats des six cours d’appel montre que 71 % des magistrats sont satisfaits, voire très satisfaits des conditions de prise en charge pour l’ensemble des investigations. Enfin, les délais de placement dans un foyer ou une famille d’accueil sont de moins de trois jours en moyenne.

La réduction des délais est une préoccupation centrale de la direction de la PJJ. C’est un objectif assigné à ses services, qui figure du reste parmi les indicateurs de performance. La prochaine création de bureaux spécialisés de l’exécution des peines devrait permettre de prendre en charge immédiatement les mineurs qui le nécessitent. Les moyens inscrits au projet de loi de finances permettront à la PJJ de réduire de 150 le nombre des emplois vacants, notamment dans les services de milieux ouverts.

Je vous remercie d’avoir abordé la question du parrainage, qui me tient particulièrement à cœur, puisque c’est un projet que j’ai lancé à partir d’une expérience que j’ai menée dans la Loire et que j’ai adaptée aux jeunes placés sous main de justice.

Nous comptons aujourd’hui 700 parrains, ce qui n'est pas rien, même si cela paraît peu à l’échelle nationale. Le Premier ministre a réuni cette semaine, sur ma suggestion, l’ensemble des préfets, des recteurs, des procureurs généraux, réunion au cours de laquelle il était prévu que le directeur général du groupe Revue Fiduciaire, M. de Lavilleguérin, leur présenterait le dispositif. Son intervention a été très applaudie par cet aréopage de hauts fonctionnaires et de magistrats. Et dans cette enceinte même, M. Guy Geoffroy, votre collègue ici présent, m’a appris hier que le jeune qu’il parrainait venait de décrocher un contrat d’embauche. Nous pouvons donc vraiment, si nous nous occupons d’un jeune placé sous main de justice, faire des merveilles.

Ainsi, Pierre Gagnaire, originaire de Saint-Etienne et aujourd’hui devenu parisien, grand chef étoilé au Michelin, a adressé une lettre, que j’ai cosignée, à tous les chefs des Relais et Châteaux, réseau où, a priori, l’on ne songerait pas à envoyer ces jeunes. Pourtant, c'est là où l’on en recrute le plus aujourd’hui, et cela avec de bons résultats. Ainsi, le jeune filleul de Pierre Gagnaire, placé au beau milieu de la brigade qui n’aurait pas hésité à s’en séparer s’il avait été mauvais, est aujourd’hui en apprentissage chez Gagnaire, avant de devenir demain, pourquoi pas ? un chef étoilé – je rappelle qu’il sort de prison. Comme quoi l’on peut faire des miracles, à condition que la société s’implique.

Votre remarque sur ce point, madame la rapporteure, est en tout cas un encouragement pour la protection judiciaire de la jeunesse à faire preuve d’encore plus de dynamisme dans ce domaine – et je me réjouis que son directeur puisse faire savoir que le sujet intéresse le Parlement.

J’en viens à la question de la séparation des mineurs délinquants et des mineurs victimes au sein des établissements.

D’une façon générale, l’important n'est pas de savoir si l’on est pour ou contre la prison. Ce qu’il faut, en matière de délinquance, en particulier des mineurs, c’est disposer d’une palette de réponses. À cet égard, les centres éducatifs fermés, tant critiqués à leur création, sont un succès complet. Les jeunes y passent environ six mois, renouvelables une fois, dans un milieu complètement fermé, sous l’autorité de pédagogues, d’éducateurs de la PJJ, de surveillants. Eh bien sachez que, sur plus de cinquante jeunes, plus d’un sur deux n'a plus jamais affaire au juge des enfants après sa sortie. Ce résultat est sans précédent.

La prison, pour un mineur, doit selon moi avoir la vertu de permettre à un jeune – encore que cela vaille aussi pour les moins jeunes – de faire le point, de faire retraite, de se calmer, d’en finir avec un comportement de derviche tourneur, passant de la drogue au vol de voiture, le tout dans un climat criminogène. Une fois apaisé, ce qui peut prendre plusieurs semaines, le temps qu’un nouveau rythme biologique s’instaure, on peut alors demander à ce jeune – question qu’on ne lui a jamais posée de sa vie – s’il n’aurait pas par hasard envie d’être heureux, ce qu’il finit généralement par admettre. Une fois cette finalité définie, il peut alors trouver avec ses éducateurs le moyen de parvenir à ce bonheur grâce à la découverte de notions aussi banales que celles de métier, de mariage et d’enfants. C'est alors le début de la guérison, confortée par une insertion professionnelle s’appuyant sur des stages rémunérés.

On peut assister ainsi à une véritable résurrection de ces jeunes, qui ne sont pas tous bêtes, tant s’en faut, mais qui, autrement, ne s’en seraient pas sortis du fait de la faillite de l’autorité parentale, du climat de délinquance sur leur lieu de vie voire quelquefois de leur sortie du système scolaire. C'est ce qui explique l’importance qu’ont pour moi les centres éducatifs fermés, qui, d’une manière générale, sont très bien animés.

Les centres éducatifs renforcés sont, pour leur part, des structures moins dures que les centres éducatifs fermés, et, dès cet été, fonctionneront les établissements pour mineurs, qui sont plus sévères – il s’agit d’une salle de classe entourée de murs, pourrait-on dire, et non d’une prison pourrissoir – et qui accueillent des mineurs condamnés à des peines plus longues. Cette prison, puisque c'est de cela qu’il s’agit, sera totalement distincte des prisons pour majeurs, cela afin d’éviter toute contagion.

La palette du juge est donc vaste, au-delà de l’avertissement solennel, que vous avez voté dans la loi relative à la prévention de la délinquance, et de la composition pénale, qui sera étendue des majeurs vers les mineurs et qui permet des réparations immédiates.

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. Emporté par votre passion, je crains, monsieur le garde des sceaux, que vous n’allongiez par trop votre réponse !

M. le garde des sceaux. Je saisissais l’occasion de parler de l’action du ministère de la justice, et non pas simplement de chiffres. Il est vrai que je suis également auditionné par la commission des finances et non par la seule commission des lois... (Sourires.)

J’en terminerai donc par la question complexe de la séparation des mineurs délinquants et des mineurs victimes. À cet égard, les mineures des foyers de l’école Le Nôtre et de Saint-Quentin, qui ont commis des viols et des actes de barbarie sur d’autres mineures de ces foyers, étaient toutes placées au titre de l’assistance éducative. Elles sont donc à la fois victimes et délinquantes.

Afin de tenir compte de cette complexité, le projet de loi réformant la protection de l’enfance prévoit que les mineurs et les jeunes majeurs doivent être accueillis dans des unités de vie distinctes « en fonction du projet individualisé éducatif de chacun d’eux » et que les établissements doivent garantir leur « sécurité ».

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. La parole est à M. Pierre Albertini, rapporteur spécial.

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Messieurs les présidents, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les chiffres : je soulignerai simplement que l’effort de rattrapage se poursuit. Cette action publique a été trop longtemps négligée, et nous souhaitons tous que cet effort ne soit pas interrompu dans les années qui viennent, car tout phénomène de stop and go serait préjudiciable à la bonne efficacité de la justice, service public auquel nous sommes tous attachés.

Après avoir abordé la question de l’exécution, qui doit s’achever en 2007, de la loi d’orientation et de programmation pour la justice, je présenterai quelques brèves observations à propos des difficultés persistantes de la mise en œuvre de la LOLF – sans oublier cependant de faire part de certaines améliorations –, avant de terminer par quelques observations plus personnelles.

Selon le rapport rendu en octobre 2006 sur la loi d’orientation et de programmation pour la justice, « l’exécution est globalement respectée pour les crédits et, dans une moindre mesure, pour les créations d’emploi ». Ce rapport extrapole les données arrêtées à 2005 pour les projeter sur 2006 et 2007, ce qui permet d’avoir une bonne vision de l’exécution de cette loi.

Le taux d’exécution sera donc satisfaisant pour les crédits d’investissement, notamment grâce à la montée en puissance des contrats de partenariat public-privé, qui sont certainement l’une des clés du financement des grands équipements non seulement de l’État, mais également des collectivités territoriales. Il en ira de même des autres crédits.

En revanche, l’exécution sera insuffisante en matière de créations d’emplois. L’objectif initial de 10 000 emplois ne sera pas atteint, notamment pour les fonctionnaires des services judiciaires puisque le taux d’exécution prévisible de cette catégorie sera de 58 %, c’est-à-dire que seulement 2 000 emplois seront créés sur les 3 500 prévus, ce qui est tout à fait insuffisant.

Au-delà des chiffres, la justice s’apprécie aussi sur un plan qualitatif. À cet égard, des améliorations sont à relever.

Ainsi, les délais de traitement des affaires n’ont cessé de s’améliorer, lentement, mais de manière continue. C'est là le résultat d’un long effort initié par le Président de la République qui avait souligné à juste titre – opinion que chaque Français pouvait partager – que l’un des problèmes de la justice tenait à sa lenteur relative, sans qu’il faille pour autant aller vers une justice expéditive.

De même, l’effectivité de la réponse pénale – sujet important de préoccupation – s’améliore grâce, notamment, à la généralisation des bureaux de l’exécution des peines, qui concerneront également les mineurs prochainement.

Pour ce qui est d’ailleurs des mineurs, les objectifs fixés quant au nombre de places en centres éducatifs fermés ou en centres éducatifs renforcés ne seront pas atteints. Ce constat conduira peut-être à les réviser.

Une telle révision s’avérera en tout cas nécessaire pour les juges de proximité. Alors que 3 300 juges de proximité avaient été annoncés, 530 sont en fonction aujourd’hui. Nous serons donc très loin de l’objectif initial, qui avait du reste été fixé de manière assez « pifométrique », et très au-delà des besoins des juridictions. Mieux vaudrait se concentrer sur l’amélioration de la formation des juges de proximité déjà en place plutôt que de laisser croire que leur recrutement pourrait se poursuivre. Une plus grande qualité de ces juges de proximité induira d’ailleurs d’elle-même une raréfaction des candidatures intéressantes.

Concernant la mise en œuvre de la LOLF, je voudrais, sans revenir sur le rapport que j’ai présenté à la commission des finances le 5 juillet dernier, signaler quelques améliorations, mais aussi quelques difficultés persistantes.

Il convient tout d’abord de saluer, au sein du ministère de la justice, la création – dont tout le monde a pu souligner les bienfaits – du secrétariat général, ainsi que l’instauration d’un dialogue de gestion assez fructueux avec les contrôleurs financiers. Enfin, la quasi-maîtrise de l’évolution des frais de justice est à mettre à l’actif des efforts réalisés conjointement par l’administration centrale et par les chefs de cour.

Certaines difficultés subsistent cependant. Tout d’abord, les services administratifs régionaux ont dû supporter une augmentation considérable de leur charge de travail, sans que leurs moyens en personnels suivent. Une réflexion approfondie mérite d’être conduite sur les moyens et le statut de ces services.

D’autres difficultés persistent en matière de gestion déconcentrée du personnel, ce qui ruine l’idée de fongibilité des crédits.

Enfin, je tiens à appeler particulièrement l’attention de mes collègues sur la petite révolution culturelle que devraient s’imposer à leur tour les services du ministère de l’économie et des finances. La justice a fait beaucoup d’effort pour s’imprégner des règles de gestion de la LOLF, mais je n’en dirais pas autant de ces services.

Dès lors qu’un budget opérationnel de programme est validé, un véritable contrat de confiance doit s’établir entre le ministère de l’économie et des finances et les gestionnaires responsables du programme. Or, en dépit de cette validation, qui intervient en début d’année, les verrous se maintiennent, certains aspects de gestion sont recentralisés, ce qui est totalement contraire à l’esprit de la LOLF. Là encore, si l’on veut que les différentes missions soient mises en œuvre correctement, il faut que l’exemple vienne d’en haut, c’est-à-dire du ministère lui-même.

Je terminerai par quelques observations, à commencer par l’évolution des dépenses de l’aide juridictionnelle.

Nous sommes tous attachés, comme vous-même, monsieur le garde des sceaux, à ce que l’aide juridictionnelle permette aux gens les plus vulnérables et les plus modestes d’accéder au droit, mais 886 000 admissions à l’aide juridictionnelle ont été enregistrées en 2005. Même si les chiffres les plus récents font apparaître une relative stagnation, nous ne pourrons faire l’économie d’une réflexion sur un éventuel « filtrage » des demandes déposées au titre de l’aide juridictionnelle. Nous risquerions sinon d’assister à une explosion de la demande.

Ma deuxième observation porte sur le financement du secteur associatif habilité au sein de la protection judiciaire de la jeunesse. Ce secteur, qui est de plus en plus contrôlé, souffre d’une sous-budgétisation récurrente, bien que la PJJ ait consenti un très gros effort pour améliorer sa performance après le rapport de la Cour des comptes qu’elle a perçu comme étant un vrai défi. En tout cas, les reports d’année en année ne permettent pas d’avoir un dialogue sain avec les associations.

Concernant les prisons, la situation devrait s’améliorer dans les prochaines années. J’ai été très sensible à la baisse de la détention provisoire ces derniers mois, mais je crains que la réforme envisagée, visant à la limiter, ne soit homéopathique. Il faudrait aller plus loin. Néanmoins, cette baisse est encourageante, même si les efforts qualitatifs sont à poursuivre en matière de santé, de travail dans les prisons et de lutte contre les « sorties sèches », qui sont vécues comme un véritable drame par nombre de détenus.

Je salue la mission confiée au médiateur de la République sur le contrôle des prisons à partir de l’année qui vient, et la généralisation, après une première expérience qui s’est révélée fructueuse, des délégués du médiateur.

Enfin, les normes pénitentiaires européennes ont fait l’objet d’une recommandation actualisée, adoptée en janvier dernier par le Conseil de l’Europe. Le respect de ces normes est un vrai défi à relever pour notre pays. C’est de toute façon un objectif salutaire, que l’administration pénitentiaire est prête à poursuivre.

Il est enfin nécessaire de faire évoluer de manière parallèle les primes des magistrats de la Cour de cassation et celles des magistrats du Conseil d’État et de la Cour des comptes. Je sais que le Conseil d’État et la Cour des comptes, d’ailleurs arbitrairement soustraits à la mission « Justice »...

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. Absolument !

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. ... bénéficient d’une proximité singulière avec le Premier ministre, les cabinets ministériels et les directeurs d’administration centrale, mais je pense que les magistrats de la Cour de cassation n’ont pas moins de mérite que les autres et que leurs primes doivent évoluer au même rythme.

Je sais, monsieur le garde des sceaux, que vous y êtes sensible, mais je tenais à présenter cette remarque dans un souci d’équité et non, je le précise, de corporatisme.

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. J’ajouterai quatre questions au nom de la commission des finances, en complément de celles de Pierre Albertini.

Les deux premières ont trait à la LOLF.

Premièrement, nous nous interrogeons sur le caractère opérationnel de la fongibilité asymétrique, notamment pour les chefs de cour, qui n’ont pas le sentiment de pouvoir jouer de cette possibilité ouverte par la loi. Nous sommes, bien évidemment, prêts à soutenir les démarches de la Chancellerie auprès du ministre de l’économie et des finances à ce sujet.

Deuxièmement, les indicateurs du programme 166, qui est le programme principal, sont plutôt quantitatifs – délais, nombre de dossiers traités, etc. Serait-il possible d’y introduire un peu de qualitatif ? L’exercice est difficile mais les chefs de cour que nous avons rencontrés dans le cadre des travaux de la LOLF y sont prêts. Sans augmenter le nombre d’indicateurs, cela pourrait être intéressant.

Mes deux questions suivantes concernent les moyens.

Vous avez annoncé, monsieur le ministre, un usage croissant des nouvelles technologiques. Ne pourrait-on pas profiter notamment de la visioconférence pour éviter, lorsqu’il y a des demandes de mise en liberté, d’avoir à transférer à chaque fois les détenus ? Cela pèse lourdement sur les frais de fonctionnement de la gendarmerie et des services de police car ce sont des brigades entières qui sont mobilisées en ces occasions.

Ma dernière question est plus délicate. La commission des finances s’est obligée à un droit de suite sur les travaux réalisés par la mission d’évaluation et de contrôle. Mme Marie-Hélène des Esgaulx, sous l’autorité de nos collègues Yves Deniaud et Augustin Bonrepaux, a travaillé sur la prise en charge des demandeurs d’asile. A cette occasion est apparu le problème de la salle d’audience de Roissy. Le président de la commission des finances a interrogé le Premier ministre, le 12 avril, sur les suites données au rapport de la MEC, mais nous n’avons pas eu de réponse. Nous avons répété en vain notre question le 5 juillet. La commission, en examinant les crédits de la mission concernée, il y a quelques jours, a adopté une observation en la matière. Quand peut-on espérer que la salle d’audience de Roissy soit mise en service ? Les travaux de la MEC sur ce même sujet avaient conclu à la nécessité d’améliorer l’indemnisation des médecins et interprètes requis d’office lorsque des problèmes se présentent aux frontières et dans les aéroports. Cette question concerne les frais de justice. Peut-on espérer une amélioration ?

Vous avez la parole, monsieur le ministre.

M. le garde des sceaux. Vous êtes très aimable de me poser des questions qui relèvent de mon collègue de l’intérieur…(Sourires.)

M. Christophe Caresche. Qui avait pris des engagements très précis en la matière!

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. Ces questions concernent les deux ministères conjointement!

M. le garde des sceaux. Les affaires étrangères ont également leur mot à dire : c’est un aéroport ! (Sourires.)

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. Les transports également, si vous voulez aller par là ! (Sourires.)

M. le garde des sceaux. S’agissant de l’exécution de la LOLF, chacun voit un peu midi à sa porte ! Pour ma part, je constate que nous atteignons presque les 80 %, soit 2,8 milliards d’euros et 7 700 emplois dont 776 de magistrats. Peu de lois de programmation ont été respectées dans ces proportions. Je ne dis pas que je m’en contente mais je suis très heureux de voir que la loi d’orientation et de programmation ait été plus qu’aux trois quarts respectée. C’est une bonne nouvelle et d’autres ministères doivent nous envier ce résultat.

Des délais anormalement longs de traitement des affaires sont toujours constatés, mais les délais moyens ont été réduits de 28 % dans les juridictions du premier degré.

Le taux de réponse pénale, je le rappelle, a augmenté de dix points, et les mesures alternatives aux poursuites de 45 %. La poursuite du programme de construction de 13 200 places de prison permet de réduire l’encombrement carcéral. Le calendrier est tenu. Les livraisons du programme voté en 2002 interviendront entre 2007 et 2010. Nous disposerons de 6 000 places en détention dans un état digne des normes pénitentiaires européennes, dont je vais maintenant dire quelques mots.

Les normes pénitentiaires européennes que nous avons signées avec quarante-cinq autres pays du conseil de l’Europe le 11 janvier 2006 n’ont pas de valeur impérative, mais nous les faisons nôtres, et nous avons distribué à tous les personnels une charte d’action de l’administration pénitentiaire qui rappelle le cadre éthique dans lequel nous travaillons et fixe les orientations. Je l’ai présentée récemment à la presse. Les nouvelles normes, je vous les rappelle, sont l’encellulement individuel, tout en sachant qu’il faut garder un pourcentage de l’ordre de 10 % de cellules à trois pour les détenus qui ne peuvent pas se faire à la solitude absolue. Mettez-vous à la place de quelqu’un qui vit pendant des années totalement seul ! Je me demande même si un pourcentage de 10 % est suffisant, mais cette question relève surtout des psychologues. J’ai visité à Fleury-Mérogis, la semaine dernière, une cellule réhabilitée : les toilettes et la douche sont à l’intérieur de la cellule, et une croix en guise de fenêtre permet de ne plus avoir l’impression d’être éclairé par un soupirail. Je ne prétends pas qu’on s’y voie vivre, mais cela permet des conditions plus humaines. Je remercie l’administration pénitentiaire d’avoir été aussi réactive sur cette question.

Concernant le problème de l’admission de l’aide juridictionnelle, j’avoue être un peu déçu. Lorsque j’ai annoncé devant la conférence des bâtonniers le chiffre que m’avait accordé le Premier ministre, à savoir 6,6 % d’augmentation, j’ai été applaudi avec vigueur, mais je n’ai pas reçu le même accueil en province et je constate, ici et là, des grèves dans les barreaux. Il est vrai que nous sommes le pays européen où il y a le plus grand nombre d’admissions : 886 000. Cela a d’ailleurs été salué par la CEPEJ. La rémunération pour chaque affaire est inversement proportionnelle à ce nombre et je comprends que les avocats se plaignent de ne pas être bien payés, puisqu’ils le sont souvent très en dessous du SMIC horaire. Peut-on continuer à prévoir une progression annuelle de 15 à 20 %, étant donné que le montant actuel est de 323 millions d’euros par an ? Il faudra faire comme pour les frais de justice. Nous avions décidé l’année dernière de les bloquer à 420 millions d’euros. Nous y sommes parvenus. Nous devons poursuivre le dialogue avec les avocats.

Je veux également faire progresser le dossier de l’assurance protection juridique. Vous connaissez le débat : les assureurs veulent faire travailler leurs avocats, tandis que l’ensemble des avocats et la Chancellerie leur demandent de verser un forfait en laissant au justiciable la liberté de choix de l’avocat. J’espère avoir gain de cause et faire comprendre aux assureurs que cela ne leur coûtera pas plus cher : ils verseront une somme forfaitaire, nous choisirons les avocats et ceux-ci fixeront leurs honoraires en fonction de la somme allouée. Cela me paraît la solution. Nous avons déjà les médecins de la sécurité sociale. Nous n’allons pas avoir les avocats de la sécurité sociale !

Tout le monde sent bien qu’une progression annuelle de 20 % des crédits ne sera pas tenable. Toutes ces questions feront l’objet d’un dialogue approfondi avec les avocats, sachant, encore une fois, que, sur ce sujet, nous sommes bien placés au niveau européen.

A propos des sorties sèches, je veux insister sur le rôle des unités de visite familiale, qui va bien au-delà de l’aspect humain, car une personne ne peut se réinsérer que si elle n’a pas perdu le contact avec sa famille. La réinsertion sociale et humaine passe, en effet, par la réinsertion familiale. Cela concerne évidemment les longues peines, mais c’est quand même formidable. Pour ceux qui n’en ont jamais visité, imaginez une petite maison avec chambre à coucher, salon, salle à manger, cuisine et un petit jardin pour les enfants, à l’intérieur, certes, de l’établissement pénitentiaire mais sans que cela se sente trop, où un détenu peut passer deux jours ou trois jours avec sa femme et ses enfants – pour prendre cet exemple qui est le plus parlant. Chacun reconnaît que les détenus s’en trouvent changés psychologiquement, que leur désir le plus cher est de revivre cette scène au plus vite. Le resserrement des liens familiaux permet une réinsertion beaucoup plus facile. Sachez que toutes les nouvelles prisons seront équipées de telles unités et qu’un système moins perfectionné mais équivalent sera installé dans les vieux bâtiments des centrales.

Dans la mesure où les normes du Conseil de l’Europe imposent un contrôle externe sur les prisons, il appartiendra désormais, en plus des nombreuses commissions existantes et du parquet, au médiateur de la République, autorité indépendante, de vérifier si les choses se passent bien comme les textes le prévoient.

Concernant la question qui relève du ministère de l’intérieur et qui est posée, si j’ai bien compris, à tous les ministres, à savoir la salle d’audience de Roissy, le projet a un peu tardé pour deux raisons. Le ministère de l’intérieur a dû régler une situation foncière et immobilière complexe liée à la zone d’attente de Roissy, avant de pouvoir lancer la construction de cette annexe dédiée à la justice. Je rappelle qu’il doit s’agir d’une véritable annexe du palais de justice de Bobigny, respectant à ce titre toutes les caractéristiques d’un lieu de justice : ouverture au public et accueil de ce public, possibilité de tenir des audiences en parallèle, visioconférence, liaison informatique adéquate avec le TGI de Bobigny.

Aujourd’hui, ces problèmes de principe sont réglés. Le ministère de l’intérieur prévoit de notifier le marché de conception-réalisation en juillet 2007 et de livrer les locaux fin 2008. Le coût de l’investissement, intégralement à sa charge, est de 1,5 million d’euros.

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. Les transferts représentent 1,3 million d’euros par an. C’est tout l’intérêt de l’opération !

M. le garde des sceaux. Vous avez raison.

De plus, comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, tous les tribunaux seront équipés de systèmes de visioconférence, de même qu’une quarantaine d’établissements pénitentiaires. La généralisation de ce dispositif nous permettra de réaliser des économies importantes. Les transfèrements posent un réel problème, je le reconnais, non seulement pour le ministère de la justice, mais également pour le ministère de l’intérieur. Je suis tout à fait prêt à en assumer la charge, mais à condition d’en être averti avant le vote du budget. Il faudrait 2 000 surveillants pénitentiaires supplémentaires pour remplacer les policiers et les gendarmes lors des transferts. Cela ne se fait pas en un an, mais doit s’étaler sur plusieurs années.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. J’ai quatre questions à vous poser, monsieur le garde des sceaux.

Premièrement, par rapport aux objectifs de la LOPJ, vous avez confirmé qu’il manquera 2 milliards d’euros sur les 8 milliards promis et que, sur les 10 100 emplois annoncés, il n’y en aura que 7 300, ce qui signifie un déficit de près de 3 000 emplois.

Deuxièmement, lors de la présentation à la presse de votre projet, vous vous êtes félicité du programme de maîtrise des frais de justice. Pourtant, il y a six mois, les journaux faisaient état de retards considérables dans le paiement des jurés, des experts et de centaines de milliers de factures. La satisfaction que vous exprimez prend-elle en considération ces retards de paiement ?

Troisièmement, dans son rapport de janvier dernier sur la gestion des prisons, la Cour des comptes a souligné que les dysfonctionnements constatés dans la prise en charge par les services pénitentiaires d’insertion et de probation des personnes qui leur sont confiées, tant en milieu ouvert qu’en milieu fermé, s’expliquaient principalement par les problèmes d’effectifs de ces services. La hiérarchisation des priorités et des urgences conduisent, de fait, à privilégier la sécurité, et l’insuffisance des moyens se répercute sur les résultats de la mission d’aide à la réinsertion. La plus grande partie des crédits sera absorbée par la garde et le contrôle des personnes placées sous main de justice. N’est-il pas regrettable, monsieur le garde des sceaux, que votre budget ne prenne pas en compte les observations de la Cour des comptes ?

Quatrièmement, le 14 octobre dernier et hier encore a été annoncée une mobilisation des avocats et du Barreau pour le mois de décembre à propos de l’aide juridictionnelle. Au-delà de la demande de réévaluation des prestations dont vous avez reconnu la légitimité, c’est une véritable réforme en profondeur de l’aide juridictionnelle qui est réclamée. Il n’en est pas question dans le projet de loi portant réforme de la justice qui viendra en discussion devant la représentation nationale dans quelques semaines. Êtes-vous prêt à ajouter cette réforme à votre projet ?

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Ce budget s’inscrit dans un contexte un peu particulier, suite aux travaux de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, au sein de laquelle un consensus assez fort s’est dégagé sur la nécessité de donner davantage de moyens à la justice. Il ne s’agit pas de contester les efforts réalisés, mais force est de constater qu’on est encore loin du compte et que les objectifs de la loi d’orientation et de programmation ne sont que partiellement atteints.

Concernant les moyens humains, nous reconnaissons également qu’un effort est accompli puisque 160 emplois de magistrats sont prévus, dans la continuité des créations des deux années antérieures. Mais nous n’oublions pas que des départs à la retraite vont avoir lieu. C’est pourquoi nous aimerions savoir s’il s’agit réellement de postes supplémentaires ou si une partie viendra simplement compenser des départs en retraite.

S’agissant des greffiers, je rappelle qu’il n’y a pas eu de concours en 2006 et qu’il n’y aura pas de créations de postes en 2007. Ceux dont vous avez parlé correspondent donc simplement à des fins attendues de scolarité.

Pour la justice de proximité, j’ai noté comme M. Albertini que l’objectif des 3 300 recrutements ne sera pas atteint, puisque 585 seulement étaient intervenus au 15 octobre 2006. Là encore, l’écart est important entre la réalisation et les objectifs avancés.

Ces quelques points montrent que, si un effort a été accompli, il reste encore beaucoup à faire pour donner à la justice des moyens correspondant à ses besoins et aux préoccupations mises en exergue par la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau.

En ce qui concerne les prisons et l’administration pénitentiaire, il me semble que le débat porte moins sur le nombre de places de détention que sur les conditions d’incarcération, et je ne fais pas partie de ceux qui mènent un combat idéologique contre la prison. L’enquête réalisée par l’Observatoire international des prisons apporte un certain nombre d’éléments intéressants, mais qui ne sont pas nouveaux, puisque la commission d’enquête parlementaire les avait soulignés. On observe que l’essentiel des crédits va à la sécurisation des conditions d’incarcération. On peut le comprendre dans la mesure où le taux d’agressions contre les personnels pénitentiaires reste très élevé : 158 pour 10 000 détenus , alors que l’objectif de la loi de programmation était de passer en 2005 à moins de 100 agressions pour 10 000 détenus. La dégradation des conditions de sécurité est liée, nous le savons bien, aux mauvaises conditions d’incarcération, qui favorisent l’agressivité et la violence. Nous avons le sentiment d’être dans un cercle vicieux, c’est-à-dire que, plus on incarcère, plus les difficultés augmentent.

Il est certes nécessaire de moderniser un certain nombre d’établissements et de créer des places nouvelles qui se substituent à celles des établissements dégradés, mais il faut aussi développer considérablement les alternatives à la prison et tous ce qui peut faire que l’incarcération ne soit plus l’unique voie de la sanction. Nous avons, sur ce point, une divergence avec la majorité, car le dispositif de peine-plancher que le ministre de l’intérieur veut introduire dans son projet sur la prévention de la délinquance se traduira à l’évidence par une inflation carcérale.

La situation préoccupante des détenus en prison apparaît clairement dans les indicateurs du document budgétaire, qui sont un acquis très intéressant de la LOLF. L’indicateur 3.1, par exemple, page 80, qui donne le pourcentage de personnes placées sous écrou et condamnées bénéficiant d’un aménagement de peine, montre une dégradation entre 2005 et 2006 puisqu’il est passé de 6,8 % en réalisation en 2005, ce qui est déjà faible, à 6,4 % en prévision pour 2006. Nous ne disposons pas encore du taux de réalisation.

M. le garde des sceaux. Je ne sais pas quel savant a rédigé cette partie du document, qui est absolument incompréhensible du fait qu’elle mêle prévision et réalisation.

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. Si l’indicateur n’est pas pertinent, il faut le changer !

M. le garde des sceaux. Ce qui compte, ce n’est pas la prévision, mais ce qui est effectivement réalisé. Retenez donc plutôt ce chiffre, compréhensible par tous : 15 000 aménagements de peine en 2002, 20 000 aujourd’hui.

M. Christophe Caresche. C’est votre ministère qui a fourni les chiffres, monsieur le ministre, et cet indicateur montre quand même que la situation se dégrade.

C’est aussi le cas de l’indicateur 6.1, page 82, qui montre que le pourcentage des détenus bénéficiant d’une formation générale et professionnelle – ce qui est quand même un élément important de la réinsertion – passe d’une réalisation de 29,7 % en 2005 à une prévision de 27,4 % en 2006.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. Je vais maintenant donner la parole à M. le garde des sceaux pour répondre à MM. Vaxès et Caresche.

M. Christophe Caresche. Laissez-moi terminer, monsieur le président. Je note que, depuis neuf heures trente qu’elle est là, l’opposition n’a pris la parole qu’il y a un quart d’heure.

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. C’est comme en séance publique, monsieur Caresche : le ministre et les rapporteurs s’expriment en premier !

M. Christophe Caresche. Plus accablant encore, l’indicateur 6.3 sur le pourcentage de détenus bénéficiant d’un projet de préparation à la sortie, qui permet en fait de mesurer le taux de sorties sèches, passe d’une réalisation de 31,7 % en 2005 – ce qui marque un effort important par rapport à la prévision affichée de 21 % –, …

M. le garde des sceaux. Merci de le reconnaître !

M. Christophe Caresche. …à une prévision de 22% en 2006.

M. le garde des sceaux. C’est une prévision. Ce qui compte, c’est la réalisation !

M. Christophe Caresche. Que je sache, c’est bien votre ministère qui affiche des prévisions en retrait par rapport aux réalisations de l’année antérieure.

M. Jérôme Lambert. C’est inquiétant !

M. Christophe Caresche. M. Warsmann a fait un rapport intéressant sur cette question et nous nous accordons tous sur la nécessité qu’il y ait moins de « sorties sèches ». Or, nous nous apercevons qu’il y a un recul sur ce plan.

D’ailleurs, nous avons le sentiment qu’il y a plus un recul qu’une avancée en matière d’accompagnement des détenus, à l’intérieur comme à l’extérieur des prisons. Cela s’explique par le fait que les moyens sont concentrés sur la construction d’établissements et sur la sécurisation des conditions carcérales.

Nous nous trouvons là dans une logique infernale et nous ne voyons pas comment les mesures que vous nous proposez permettront d’ en sortir.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. La parole est à M. Etienne Pinte.

M. Étienne Pinte. Je ne reviendrai pas sur les chiffres, qui ont été amplement commentés, mais centrerai mon intervention sur la place de la justice dans notre État de droit.

Au printemps dernier, après le séisme provoqué par l’affaire dite d’Outreau, j’ai pris la décision de m’immerger plusieurs semaines dans le fonctionnement du tribunal de grande instance de Versailles. Ce fut pour moi une expérience enrichissante et très instructive.

J’ai tiré de mes échanges avec les magistrats et, plus généralement, avec les personnels des juridictions, deux réflexions que je vous livre.

Premièrement, nous pourrons, encore et toujours, discuter du bien-fondé d’une réforme de la justice. Pour certains magistrats, une remise à plat de notre système judiciaire s’impose. Pour d’autres, s’atteler à appliquer les textes existants serait amplement suffisant. D’autres encore se demandent si une réforme de la justice est bien opportune à quelques mois d’échéances électorales importantes.

Partisans du statu quo et « réformateurs » s’affrontent donc. Gardons bien à l’esprit que l’inflation législative – et j’ai pu le constater au tribunal de grande instance de Versailles – entraîne une grande insécurité juridique, qui a pour corollaire un risque élevé d’erreur. Quoi qu’il en soit, ne l’oublions pas, une « réformette » ou, a fortiori, un « toilettage de fond » de notre institution judiciaire n’aura aucun sens sans les moyens budgétaires correspondants. Que de textes n’ont pas été appliqués faute de moyens financiers !

Deuxièmement – et cette fois, c’est une certitude pour moi – après ce que j’ai vu et entendu, ce dont souffre le plus notre justice pénale, c’est du manque de moyens, tant humains que matériels.

Les efforts budgétaires faits en 2007 en faveur de la justice ne m’ont pas échappé. Ils sont importants, il faut le reconnaître, même si nous sommes amenés à rattraper un grand retard. Dois-je le rappeler ? En dépit, encore une fois, de l’augmentation des crédits, notre pays occupe un rang très médiocre en Europe au regard de la dépense par habitant en faveur de la justice.

Permettez-moi de vous donner quelques exemples des insuffisances que j’ai pu constater dans le fonctionnement du tribunal de grande instance de Versailles.

Première insuffisance, qui est reconnue : les magistrats sont en nombre insuffisant. Toutefois, ce sont les personnels de greffe qui manquent le plus cruellement. Il en résulte un nombre de dossiers par magistrat parfois vertigineux. Les juges d’instruction de la juridiction de Versailles traitent en moyenne plus de cent dossiers.

Deuxième insuffisance : les locaux sont exigus, ce qui fait que les dossiers s’entassent dans les bureaux et les couloirs. Permettez-moi, monsieur le ministre, d’ouvrir une parenthèse à ce sujet. J’ai été très surpris que, dans la présentation de votre programme patrimonial pour 2007, vous n’ayez pas cité le commencement des travaux de la cour d’appel et de la cour d’assises de Versailles, que vous m’aviez pourtant promis l’année dernière.

Troisième insuffisance : le matériel fait défaut. Comment obtenir une copie des pièces d’un dossier de plusieurs centaines de pages quand il n’y a pas assez de photocopieuses ?

Cette insuffisance des moyens a son cortège de conséquences redoutables, au nombre desquelles une justice pénale lente – quel sens revêt un jugement rendu des mois, voire des années, après les faits ? – et une inexécution trop fréquente des peines – quelle est alors la valeur de la peine prononcée ?

Face à ce constat, je m’interroge sur les priorités de notre société. Je me demande quelle place est accordée aux victimes d’infractions, quels moyens sont consacrés à la réinsertion des délinquants ou, enfin, quel regard nous portons sur les conditions pénitentiaires des détenus.

Il est préoccupant de constater que la justice n’est malheureusement pas encore une de nos préoccupations principales, alors que la France a toujours été considérée comme un État de droit exemplaire.

Vous le savez bien, monsieur le ministre, lorsque la crédibilité de notre justice est entachée, c’est l’une des fondations de notre démocratie qui vacille.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. La parole est à M. Émile Blessig.

M. Émile Blessig. La LOLF a entraîné une approche budgétaire radicalement différente, et je vais en donner deux exemples.

J’observe, tout d’abord, que la culture des indicateurs peut être la meilleure comme la pire des choses. Il me paraît personnellement impératif de distinguer entre les indicateurs de situation et les indicateurs d’évolution.

Ainsi, si nous parlons souvent du nombre de personnes détenues, j’aimerais, pour ma part, connaître le nombre de celles qui entrent et sortent de prison chaque année. Aborder la problématique de sortie de prison en termes de flux m’apparaît plus pertinente que par le biais d’un indicateur de situation.

Deuxièmement, nous avions voté en 2004 une loi assez générale instituant un mécanisme dit de « sas de sortie » ou « nouvelle procédure d’aménagement de peine ». J’aimerais savoir, notamment à la suite du rapport Warsmann du 15 juin 2005 et du rapport thématique de la Cour des comptes de janvier 2006, comment a évolué la situation, quelles ont été les mesures prises et quelle est la mobilisation des services en vue de la mise en œuvre de cette nouvelle procédure d’aménagement de peine.

Je souhaite également témoigner, à propos de la mission justice judiciaire, d’une évolution culturelle intéressante. Dans le ressort de la cour d’appel de Colmar, comme partout, la prise de conscience de la nécessité de la maîtrise budgétaire a été très forte. Une rencontre réunissant l’ensemble des parlementaires – députés et sénateurs –, le procureur général, le premier président et tous les bâtonniers a été organisée pour faire le point des problèmes budgétaires qui se posent sur le ressort de la cour. Cette démarche me paraît très intéressante, car elle permet une connaissance réciproque des problèmes qui se posent aux auxiliaires de justice et de ceux que rencontrent les magistrats. C’est une rupture par rapport aux pratiques anciennes.

Je ferai à ce sujet deux observations.

La première met l’accent sur le déficit en postes de fonctionnaires, dans un contexte tout à fait particulier. Le service public de la justice en Alsace-Moselle doit tenir compte de la mise en œuvre du droit local : livre foncier, registre du commerce, registre des nantissements. 25 % des effectifs sont dédiés à ces tâches, correspondant à 20 équivalents temps plein. Cela pose un véritable problème de gestion du personnel, qui n’a pourtant pas été pris en considération.

Ma seconde observation concerne la finalisation des postes de fonctionnaire, notamment de catégorie C. Il serait utile d’organiser rapidement des concours de recrutements locaux afin d’éviter une rotation préjudiciable au bon fonctionnement des juridictions.

Ma dernière remarque concerne le traitement des frais liés aux dépenses de sécurité des bâtiments judiciaires et à l’organisation des procès exceptionnels. Dans le ressort de la cour d’appel de Colmar, trois grands procès devront être organisés en dehors des locaux judiciaires en 2007 : le procès en appel du crash du mont Sainte-Odile, le procès de l’affaire Bodein et le procès de la catastrophe du parc de Pourtalès où des arbres s’étaient écrasés, lors d’une tempête, sur des spectateurs. A titre d’exemple, j’indique que, pour le procès de l’affaire Bodein, le seul poste des frais de gardiennage et de mise en sécurité s’élève à 166 000 euros pour le site de Strasbourg, parce qu’il faut louer des locaux en dehors des tribunaux. Il me semble que ces frais exceptionnels devraient faire l’objet d’une dotation particulière.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. En 2000 et 2001, des parlementaires, des magistrats, des fonctionnaires, des avocats ont réfléchi de manière consensuelle à la façon de mieux faire fonctionner l’institution judiciaire avant de songer à faire d’autres lois. Il en est ressorti que notre pays avait besoin, compte tenu des nombreux détachements, d’une part de 8 000 magistrats effectivement en poste, et d’autre part d’un taux de trois fonctionnaires de greffe pour un magistrat. Si ce double objectif était atteint, l’institution judiciaire fonctionnerait mieux et les conditions seraient plus propices à une autre réforme.

En multipliant les petites réformes – quand bien même elles s’accompagnent d’études d’impact – et en superposant les mesures, on rend illisibles les conditions dans lesquelles l’institution s’adapte à ce qui lui est demandé. Nous pourrions nous mettre au moins d’accord sur l’objectif à atteindre en termes d’organisation de l’institution judiciaire et de budget de fonctionnement. Je remarque par ailleurs qu’on ne dit pas assez que l’institution judiciaire demande à mieux fonctionner. Or il est nécessaire de conforter l’image que celle-ci peut donner d’elle-même.

Je comprends votre irritation, monsieur le garde des sceaux, sur la question des prisons, notamment vis-à-vis de certains articles de presse. Pour autant, si la nécessité de la détention mériterait de faire l’objet d’un débat collectif, il faut bien voir ce qui ne va pas aujourd’hui en France et qui masque les efforts accomplis. Compte tenu des programmes de construction et de réhabilitation, les centres de détention ont un taux d’occupation de 97, 98 ou 99 % ; dans les centres de peines aménagées, les taux sont inférieurs à 80 %. Mais dans les maisons d’arrêt, ils atteignent 144 %, voire 200 % dans cinq ou six d’entre elles ! Il y est impossible d’accompagner les détenus condamnés à de petites peines. Les maisons d’arrêt deviennent ainsi des centres de recrutement pour la criminalité organisée.

Je ne me lancerai pas dans une polémique concernant les constructions, puisque celles-ci sont désormais lancées. Mais il me semble que si l’on gérait mieux les petites peines, si l’on utilisait les centres aménagés, si l’on parvenait à diminuer le nombre des détenus de 10 000, on obtiendrait une meilleure prise en charge. Il existe des centres de détention qui fonctionnent bien, avec des sorties de qualité. Seulement, personne n’en parle parce que chacun a en tête la situation, dénoncée à la télévision, des maisons d’arrêt.

Enfin, s’agissant des mineurs et des jeunes majeurs, je pense que la sanction constitue une reconnaissance de leur citoyenneté et de leur responsabilité. Cela ne me fait pas du tout peur. Les centres éducatifs, fermés ou non, peuvent jouer un rôle important. Nous manquons de centres de placement immédiat. Si nous sommes amenés à adopter des peines-planchers pour les jeunes récidivistes, c’est aussi parce qu’on ne sait pas comment prendre en charge ceux qui ne vont pas, et c’est heureux, en détention provisoire. Mais il faut savoir que les jeunes en difficulté peuvent être aussi dangereux pour eux-mêmes que pour les autres.

Pour toutes ces raisons, je suis très attachée à ce que nous ayons un grand débat pénitentiaire.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. La parole est à M. Jérôme Lambert.

M. Jérôme Lambert. Comme Etienne Pinte, je me suis immergé dans un TGI, celui d’Angoulême et j’ai pu y constater la qualité du travail des magistrats, travail qu’ils accomplissent dans des conditions difficiles. La discussion d’aujourd’hui doit être pour nous l’occasion de marquer la confiance que nous leur faisons.

Je ne reviendrai pas sur la question des moyens, qui a été abondamment traitée par mes collègues, et je m’associe à ce qu’ils ont dit à ce sujet. Je souhaite plutôt savoir, monsieur le garde des sceaux, si vous poursuivez la réflexion sur la réorganisation de la carte judiciaire et sur la disparition de certains petits tribunaux. Je ne vous entends pas en parler, et c’est tant mieux, mais j’ai besoin d’être rassuré.

La maison d’arrêt d’Angoulême n’est pas sale, elle a bon aspect et des travaux y ont été faits. Mais les détenus se trouvent encore parfois à six, si ce n’est à huit, par cellule. La situation est donc très difficile et je tenais à appeler votre attention sur ce point.

Pourriez-vous être plus précis, enfin, s’agissant des revendications des avocats ? Vous avez dit que tout s’était bien passé avec les bâtonniers. Je ne comprends pourquoi cela se passerait mal avec la base. Je sais qu’au barreau d’Angoulême, en Charente, l’environnement socio- économique est tel que beaucoup d’avocats ont un revenu très modeste et travaillent pour des clients qui n’ont pas les moyens. On peut donc comprendre leurs inquiétudes s’agissant de la fixation du montant de l’aide juridictionnelle.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. La parole est à M. Pierre Cardo.

M. Pierre Cardo. Des efforts ont été faits pour les mineurs en milieu carcéral. Néanmoins, je voudrais faire remarquer que certains parents ne vont pas voir leurs enfants en prison et les rejettent quand ils en sortent, parce qu’il n’y a eu aucun contact ni aucun travail de proximité. J’insiste donc sur la nécessité d’organiser un maillage du territoire, de créer un réseau de tout petits établissements qui permettent justement ce travail de proximité. Pour l’instant, c’est très difficile.

S’agissant par ailleurs des CER et des centres éducatifs fermés, je m’interroge sur l’idée de charger les services de la PJJ de mener eux-mêmes une inspection quantitative et qualitative : est-il souhaitable qu’un malade fasse lui-même le diagnostic et rédige l’ordonnance ? C’est un peu comme lorsque l’éducation nationale fait ses propres analyses sur ses propres dysfonctionnements… Et pourtant, comme il est mentionné dans le rapport, une inspection est nécessaire.

Pourriez-vous enfin nous indiquer les raisons qui font que l’on envoie les jeunes plutôt en CER, en CEF ou dans le système carcéral ? Est-ce lié à un projet pour le jeune concerné, ou est-ce seulement fonction du nombre de places disponibles ?

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. La commission des finances a demandé un rapport à la Cour des comptes sur la situation des majeurs sous tutelle ou curatelle. Je voudrais savoir si un projet de loi de réforme sur ce sujet est susceptible d’être déposé avant la fin de la présente législature, car tout le monde l’attend.

M. le garde des sceaux. MM. Vaxès et Caresche ont tous deux parlé chiffres, avec toutefois une approche légèrement différente l’un de l’autre. Je confirme que la LOPJ est réalisée à 80 % : 2,8 milliards d’euros sur 3,5 milliards, ainsi qu’il ressort de tous les bons ouvrages sur le budget. Le SPIP a gagné un millier de fonctionnaires ; nous sommes passés de 1 800 à 2 800, ce qui correspond à un effort considérable pour combler notre retard. Nous consacrons 186 millions d’euros à la réinsertion, soit 30 % des moyens du SPIP. Cela correspond à une augmentation de 4 % et non à une diminution. Ce chiffre est loin d’être ridicule, et illustre la place que nous accordons à la réinsertion dans notre politique.

M. Caresche, après avoir fait un commentaire plutôt positif de ce projet de budget, ce dont je le remercie, a émis plusieurs observations. Il a soulevé un problème que j’ai déjà souligné en séance, à savoir que nous allions être confrontés au départ à la retraite des « classes pleines ». Je m’en suis ouvert à Bercy dès l’an dernier, faisant remarquer que le nombre des magistrats allait chuter fortement. Nous saurons demain ou après-demain si j’ai été écouté… Quoi qu’il en soit, le problème est grave : nous sommes incapables de recruter le nombre de magistrats de qualité qui serait nécessaire, aussi bien pour assurer la collégialité que pour compenser les départs à la retraite. Ces départs à la retraite affecteront d’ailleurs toute la fonction publique, qui risque d’être désorganisée à tous les échelons.

Mme Lebranchu a indiqué qu’il fallait pouvoir compter sur environ 8 000 magistrats effectivement en poste – actuellement, nous en sommes à 7 900. Je sais qu’il sera très difficile d’atteindre et de conserver un tel niveau.

Ma réponse n’est pas satisfaisante, je le reconnais, mais je suis prêt à recevoir des conseils. L’ENM forme de 220 à 240 élèves par an. Je me suis rendu à la cour d’appel de Rennes et j’ai demandé aux magistrats s’ils étaient assez nombreux ; ils m’ont répondu qu’ils manquaient surtout de greffiers, comme partout. J’indique à ce propos à M. Caresche qu’il n’y a pas eu d’année sans concours : le passage de la scolarité de douze à dix-huit mois a fait qu’en 2005 il y a eu une promotion en moins. Le taux souhaitable de fonctionnaires par magistrat sera atteint d’ici un ou deux ans.

S’agissant des alternatives à l’incarcération, je conviens que les tableaux figurant dans le « bleu » ne sont pas clairs. S’il y a un tel écart entre les prévisions et la réalité, c’est parce que nous avions anticipé un nombre de détenus plus élevé qu’il ne l’a été – plus de 60 000 au lieu de 56 000 –, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. En 2002, 15 000 détenus avaient bénéficié de ces alternatives à l’incarcération ; aujourd’hui, il sont 20 000.

Vous avez voté le bracelet électronique mobile. Actuellement, il est expérimenté dans le ressort de deux cours d’appel, celles de Rennes et de Caen. Il le sera ensuite dans celle de Marseille, avant d’être généralisé. Son utilisation permet au juge de procéder à des libérations conditionnelles.

Le nombre de mineurs en détention est passé de 860 en 2002 à 560 aujourd’hui : il y en a donc moins qu’il y a cinq ans, contrairement à ce que j’entends ici ou là. Je vous ai donné les bons chiffres, chacun sera ensuite libre de ses commentaires.

Monsieur Caresche, s’agissant de l’enquête de l’Observatoire international sur les prisons, je m’en suis tenu à une stricte neutralité. J’aurais pu l’empêcher, je ne l’ai pas fait. Comme vous avez dit ne pas être défavorable par principe à l’incarcération, sachez que ses membres y sont, eux, totalement opposés. L’OIP a d’ailleurs été fondé et est présidé par un ancien détenu condamné pour crime. Ce parti pris explique qu’aucun surveillant de l’administration pénitentiaire n’ait accepté de répondre au questionnaire. J’ai d’ailleurs dû, pour le faire distribuer dans les établissements, recourir au médiateur de la République, qui s’est chargé de cette mission avec le talent que chacun lui connaît. Je considère que dans cette affaire, je n’ai rien à me reprocher. Cela dit, si le questionnaire avait été moins partial, ce n’aurait pas été plus mal…

Madame Lebranchu, la surpopulation des maisons d’arrêt est certes insupportable, mais vous savez comme moi qu’il faut des années pour sortir d’une telle situation. Ce devrait être fait d’ici à 2008 ou 2010, ce qui permettra à mon successeur de couper quelques rubans…

Je remercie et félicite M. Pinte et M. Lambert de s’être volontairement immergés un certain temps dans le fonctionnement de leurs TGI respectifs. Je ne doute pas que les magistrats y auront été sensibles. Que M. Pinte se rassure : l’appel d’offres pour les travaux de la cour d’appel et la cour d’assises de Versailles sera lancé dès 2007, et la livraison est prévue pour 2010.

Je n’ai jamais vu une seule réforme de la justice, quelle que soit son ampleur et son contenu, qui ait été bien accueillie. J’ai été le leader de la querelle contre le texte « Sécurité et liberté » de M. Peyrefitte, qui prétendait enfermer le juge dans une fourchette de peines, avec une peine-plancher et une peine-plafond. Et je m’amuse quand on cite en exemple cette réforme, qui n’était pas du tout bien accueillie à l’époque. Le projet de loi a été voté dans la souffrance. Jacques Chirac, qui était alors député, était tout à fait contre. Et Etienne Pinte était le suppléant de M. Peyrefitte ! (Sourires.)

Je n’ai donc pas la prétention de vous proposer une réforme parfaite. J’ai tenté de répondre à quelques questions simples. Que faire en matière de détention provisoire, car celle-ci est insupportable ? Que faire contre la lenteur des expertises ? Que faire contre la solitude du juge ? Sur ce dernier point, je vous ferai remarquer que nous avions voté à l’unanimité, en 1985, en fin de législature, la réforme Badinter qui généralisait la collégialité. Après l’alternance de 1986, M. Chalandon, qui était un chef d’entreprise avisé à défaut d’être un grand juriste, s’est aperçu qu’il n’en avait pas les moyens. Nous avons alors voté pour la suppression de la loi – mais pas à l’unanimité, cette fois… Si la collégialité était rétablie, mes successeurs, tout en reconnaissant que l’idée est bonne, diraient qu’ils n’ont pas les effectifs pour cela, surtout dans un contexte de départs massifs à la retraite.

La vision que l’on a de la carte judiciaire varie grandement selon que l’on est élu de province, comme moi, ou dans le « PNBC » – Paris-Nanterre-Bobigny-Créteil –, auquel cas on a tendance à considérer qu’un tribunal par département suffit. Selon moi, la solution aux inconvénients de la carte actuelle, qui ne correspond pas toujours à la population, réside dans la spécialisation de la justice. Nous avons créé des juges antiterroristes, un parquet antiterroriste. J’ai moi-même créé un JAP antiterroriste. De la même manière, il y a deux pôles santé à Paris et à Marseille et un pôle financier au parquet de Paris. De la même manière, mon prédécesseur a créé les JIRS – juridictions interrégionales spécialisées – qui permettent de traiter les problèmes de grand banditisme et de grande délinquance. C’est ainsi qu’on ne juge pas ce genre d’affaires à Saint-Etienne mais à Lyon, alors qu’il existe trois TGI dans mon département. Pour corriger la carte judiciaire, on peut donc passer par la spécialisation plutôt que par la suppression de juridictions. Commençons donc par cette spécialisation, lorsque c’est possible. Si trois de mes prédécesseurs, dont Mme Lebranchu ici présente, ont eu le courage de supprimer quelques tribunaux de commerce, je n’ai pas pu continuer car les choses devenaient plus difficiles. Je ne nie pas qu’il soit possible d’améliorer les choses ici ou là, mais cela n’ira pas très loin. Quant à la Révolution, ou au Grand Soir, c’est avec un sourire amusé que j’attends d’en voir les résultats…

Monsieur Blessig, vous avez demandé combien de personnes passaient par la prison. Il y en a 85 000 par an, ce qui est considérable. Vous imaginez le travail que cela représente pour les personnels de l’administration pénitentiaire, que je tiens à saluer. Ils sont en effet tout à fait remarquables. Je vous rappelle que, dans l’affaire d’Outreau, ce sont les surveillants qui ont aidé certains des accusés à tenir le coup, à résister à la tentation du suicide, voire qui ont tiré le signal d’alarme pour dire que l’on était en pleine erreur judiciaire. Ils connaissent bien le milieu et leur comportement, sur le plan psychologique ou humain, n’a rien à voir avec l’image que certains voudraient donner d’eux.

Mme Marylise Lebranchu. En effet.

M. le garde des sceaux. Nous pouvons être fiers d’eux. Je tenais à le dire au passage.

À Colmar, les choses s’arrangent grâce au « dialogue de gestion ». Le directeur des services judiciaires reçoit les chefs de cour, qui viennent dialoguer avec eux. Le système fonctionne assez bien et ils sont contents de part et d’autre.

Votre idée d’un recrutement local des catégories C était bonne. Pourquoi demander à des Alsaciens d’aller, par exemple, à Douai ? (Sourires) Vous avez lieu d’être satisfait car les concours régionaux commenceront en 2007.

Pour la tenue des grands procès, un crédit spécifique de 3 millions d’euros a été inscrit.

S’agissant des frais de justice, j’ai montré tout à l’heure que nous avons fait d’immenses progrès cette année, je n’y reviens pas.

La moyenne nationale d’occupation des prisons est de 111 %, mais je reconnais que cela ne veut rien dire puisqu’il y a des endroits où l’on atteint 250 %.

Nous allons construire des quartiers pour les courtes peines. Comme on l’a souligné à juste titre, c’est à ce moment que se joue l’avenir de gens qui deviendront, ou non, des récidivistes. Nous allons ouvrir dans les mois qui viennent 2 000 places de courtes peines, soit autonomes, soit dans des quartiers particuliers. Cela évitera tout mélange avec d’autres catégories de gens.

Il me semble très important de faire un « arrêt sur image » s’agissant des CEF et des CPI. Je ne reviens pas sur ce que j’ai dit tout à l’heure.

Merci, monsieur Lambert, d’avoir eu le courage de vivre plusieurs jours au TGI d’Angoulême. Je vous ai déjà répondu, par ailleurs, à propos de la carte judiciaire.

Une commission est en train de travailler à la question de l’aide juridictionnelle. Celle-ci est très mal rémunérée. Il suffit, pour s’en rendre compte, de diviser les 323 millions d’euros qui lui sont alloués par 880 000 admissions. Je conçois donc que les avocats expriment leur mécontentement. La réflexion est à mener, notamment, à la lumière de l’assurance juridique. Je pense que c’est l’avenir. Il est difficile de faire passer aux assureurs l’idée de la liberté du choix de l’avocat ; mais j’espère qu’on y parviendra.

Monsieur Cardo, nous ouvrirons d’ici début 2008 sept établissements pour mineurs, d’une capacité de 60 places chacun, et 700 places seront par ailleurs rénovées dans des quartiers pour mineurs existants. Au total, on peut donc dire que, sous cette législature, il aura été répondu de façon diversifiée à la délinquance des mineurs, de façon à éviter cette abomination que sont les prisons-pourrissoirs.

Je conclurai mon propos sur des chiffres, en rappelant que le nombre de créations nettes de postes seront cette année de 555 pour les services judiciaires : 160 magistrats, 160 greffiers, 200 fonctionnaires de greffe et 35 juges de proximité. Je rappelle, s’agissant de ces derniers, que le Conseil constitutionnel avait fait des réserves d’interprétation avant la promulgation de la loi et que, par ailleurs, le Conseil supérieur de la magistrature s’est montré très exigeant sur les recrutements. Il y a eu beaucoup de candidats et peu d’élus. Certains, malgré leur curriculum vitae, ont été écartés à l’issue du stage – par exemple des commissaires de police très compétents en droit pénal mais ne connaissant rien au droit civil. Si l’on compte les 703 emplois créés à la direction de l’administration pénitentiaire et les 290 créés à la protection judiciaire de la jeunesse, on obtient un total de 1 548 créations nettes au budget 2007. Je souhaite à mes successeurs d’être aussi bien lotis !

M. Michel Bouvard, vice-président de la commission des finances. C’est l’une des premières fois que des collègues font référence, au cours du débat, aux indicateurs des projets annuels de performance. Il est certes normal que nous tâtonnions puisque nous n’en sommes qu’aux débuts de la LOLF, et il est possible que certains indicateurs n’aient pas été construits de manière satisfaisante ou que certains objectifs aient été surévalués ou sous-évalués. Mais le fait que l’on y fasse référence est quelque chose de légitime, d’utile et de nécessaire, car toute la loi organique est construite de façon à permettre le débat à partir de données et d’objectifs sur lesquels les ministères se sont engagés au niveau des missions et des programmes.

Il me reste, monsieur le garde des sceaux, à vous remercier.

(La séance de la commission élargie est levée à douze heures vingt-cinq.)