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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Troisième séance du mardi 5 décembre 2006

80e séance de la session ordinaire 2006-2007

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LUC WARSMANN,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

MODERNISATION DU DIALOGUE SOCIAL

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi de modernisation du dialogue social (nos 3456, 3465).

Cet après-midi, l’Assemblée s’est arrêtée après le rejet de la question préalable.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Soisson.

M. Jean-Pierre Soisson. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons met un terme à la crise issue du CPE. Mais c’est aussi un point de départ. Il constitue en effet le socle sur lequel, demain, le Gouvernement mais aussi les formations politiques engageront les discussions sur la représentativité des syndicats, sur leur financement, sur la place qu’ils doivent occuper dans notre société.

Faut-il « changer les pratiques », s’interroge notre collègue Bernard Perrut dès les premiers mots de son excellent rapport ? Je crois en tout cas qu’il faut revenir à une certaine pratique des relations sociales, que certains, à gauche puis à droite, ont oubliée. Permettez-moi de me référer à mon expérience de ministre du travail, qui a constitué l’un des points forts de ma vie, en particulier à la loi de juillet 1990 sur l’emploi précaire. Cette loi reprenait l’accord national interprofessionnel signé en mars 1990. « Tout l’accord, rien que l’accord », tel était l’engagement que j’avais pris devant les partenaires sociaux. Cet accord prévoyait même une clause d’autodestruction si le Parlement venait à apporter des modifications substantielles au texte. De fait, hormis deux modifications ultérieures mineures, l’accord de mars 1990 et la loi de juillet 1990 régissent toujours le travail précaire. C’est l’une de mes fiertés.

Le vrai problème, comme l’ont souligné les rapports de Dominique-Jean Chertier et de Raphaël Hadas-Lebel, c’est le partage des compétences entre la loi et les partenaires sociaux. Dominique-Jean Chertier écrit ainsi avec raison : « La question du domaine réservé aux partenaires sociaux n’est pas tant une question juridique qu’une question pratique de juxtaposition des temps de la délibération sociale et de la délibération parlementaire ». Devant le Conseil économique et social, le Président de la République a souhaité – et je suis d’accord avec lui – que cette juxtaposition soit en quelque sorte déterminée par la loi et que soit franchie « une nouvelle étape ». C’est d’ailleurs sur la base de sa déclaration du 10 octobre dernier que se fonde le présent projet de loi : « Il ne sera plus possible de modifier le code du travail sans que les partenaires sociaux aient été mis en mesure de négocier sur le contenu de la réforme engagée, et aucun projet de loi ne sera présenté au Parlement sans que les partenaires sociaux aient été consultés sur son contenu ».

À nouveau, je me réfère à mon expérience de ministre du travail, fonction à propos de laquelle j’ai pu écrire : « L’État, pour ce qui le concerne, doit tout faire pour élargir l’espace ouvert au dialogue social. Le ministre du travail – je le dis à M. Larcher, qui remplit ses fonctions avec compétence –, s’il veut efficacement jouer son rôle de garant et préserver sa capacité d’impulsion, ne doit pas s’effacer. L’histoire des relations sociales en France procède d’un tripartisme de fait : l’action des pouvoirs publics s’est toujours conjuguée avec celle des organisations patronales et syndicales. Plus on s’éloigne de l’époque où l’essentiel était de donner un statut minimum à tous les salariés, plus cette interaction joue dans le sens de la complémentarité. L’initiative en matière sociale n’est l’apanage exclusif ni de l’État ni des partenaires sociaux. Le tripartisme est une nécessité pour l’équilibre de notre système de relations sociales. Cet équilibre n’est jamais acquis : à des périodes de fort engagement contractuel peuvent succéder – et ont succédé – des périodes d’atonie ».

Avec ses interlocuteurs, le ministre du travail forme un réseau dont il est le seul point de passage obligé. Autrement dit, les négociations avec les organisations ne peuvent s’engager qu’avec vous et ne pourront être conduites que par vous, monsieur le ministre. C’est la base du droit social français et la raison pour laquelle nous ne pouvons accepter les amendements de M. Vidalies qui, pour l’essentiel, reprennent des propositions présentées hier publiquement par MM. Thibault et Chérèque. Seul le ministre du travail est responsable devant la nation des conditions dans lesquelles s’engagent les négociations. Quant aux formations politiques, elles auront l’occasion de préciser leurs positions en matière sociale au cours des campagnes présidentielle et législative, mais elles devront bâtir leurs propositions sur le socle que nous aurons établi. Le ministre du travail est ainsi l’accoucheur de l’inévitable entente des partenaires sociaux.

M. Bernard Perrut, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Très bien !

M. Jean-Pierre Soisson. Faut-il préciser ce qui relève de la loi et ce qui relève du contrat ? Je le pense et c’est l’objet de notre réunion.

J’ai entendu tout à l’heure que ce texte survenait en fin de législature et en fin de mandat présidentiel. C’est vrai ! Mais on pourrait le lui reprocher s’il était en quelque sorte une conclusion ou une clause de rattrapage – si j’ai bien entendu MM. Vidalies et Gorce. Je crois qu’il faut le prendre autrement. Je le dis simplement : ce projet de loi est un point de départ. C’est ainsi que le groupe UMP le considère. Nous aborderons, comme le parti socialiste le fera, le problème de la représentativité syndicale en des termes qui ne seront peut-être pas très éloignés. Je considère que, demain, la représentativité des syndicats devra s’appuyer sur leur représentativité nationale, que la règle majoritaire pourra être retenue. Je pense aussi que d’autres critères, qui tiennent à l’histoire des relations sociales de notre pays, devront être maintenus et que l’équilibre sera difficile à définir.

Dans un texte provenant de M. Bernard Thibault et de M. François Chérèque, il nous est demandé d’amender le projet afin que soient modifiées les règles de la représentativité et du financement des organisations syndicales. Nous sommes d’accord sur le principe. Mais ils ajoutent que la représentation syndicale doit être fondée sur des élections professionnelles généralisées à tous les salariés. Ils nous laissent la liberté de définir les conditions et ils nous demandent de réserver le champ de la négociation que demain le ministre du travail engagera avec eux.

M. Chérèque ajoute que, « sur la base de représentativités mesurées, le principe de l’accord majoritaire devra être appliqué aux différents niveaux de la négociation collective ». Cela ne nous permet pas, en quelques heures ou en quelques jours, de définir et de voter les principes d’une nouvelle représentativité syndicale.

Je cite encore M. Chérèque : « Une compilation des résultats des élections professionnelles d’entreprises permettra seule de mesurer le poids respectif de chaque organisation syndicale. » Une compilation ? Ce qui veut dire qu’il incombera aux uns et aux autres, formations politiques et Gouvernement, de peser les conditions d’un nouveau progrès et d’une marche vers une meilleure représentativité syndicale ? Je vous donne l’accord de ceux que je représente là-dessus.

Mais nous ne pouvons pas décider, dans l’instant, « une représentativité irréfragable », selon les termes de l’arrêté de mars 1966, qui est contestée comme un privilège réservé à certains syndicats. Souhaitons que puisse être obtenue demain dans l’entreprise une autre représentativité, irréfutable Il nous faut réfléchir aux conditions dans lesquelles un accord peut être obtenu, au moins sur la base de la négociation avec l’ensemble des syndicats. J’ai repris tout à l’heure l’avis du Conseil économique et social.

Je suis d’accord, monsieur Vidalies, des procès ont lieu entre les syndicats et parviennent devant la Cour de cassation. La jurisprudence de la Cour de cassation doit être également prise en considération.

Cela étant, je maintiens que l’avis du Conseil économique et social n’a été obtenu qu’à une majorité relative et que plusieurs syndicats, dont Force ouvrière, la CFTC, la Confédération générale des cadres, les entreprises privées, ont voté contre ou n’ont pas – pour reprendre l’expression utilisée tout à l’heure par M. Vidalies – participé au vote d’ensemble ou n’ont pas donné leur accord au vote d’ensemble.

Nous sommes, je le répète, à un point de départ. Nous devons constituer ce socle. Nous devrions être tous d’accord sur la part réservée au dialogue social. Ce n’est plus dans l’exposé des motifs, mais dans le corps de la loi que se trouveront gravées les règles que nous pouvons, les uns et les autres, adopter.

Je crois que nous rendrons service aux uns et aux autres, parce que – je l’ai dit là aussi tout à l’heure – les syndicats attendent ce signe pour s’engager dans la réforme de la représentativité, devant laquelle ils sont pour la plupart réticents parce que ce que l’on donnera à d’autres, on le prendra forcément à certains et aux cinq organisations du décret de 1966.

Monsieur le ministre, nous allons voter ce texte sans aucune réserve et avec la conviction qu’il marque une étape nécessaire dans la volonté qui anime, en commun, le Gouvernement et la majorité de rechercher un dialogue et des relations apaisées, nouvelles, approfondies avec les organisations syndicales.

Mes chers collègues, le droit du travail et la pratique des relations sociales sont en constante évolution. Ayons l’humilité de le reconnaître. Nous franchissons une étape. Nous ne réglons pas un dossier. Mais cette étape, demain, sera portée au crédit de tous ceux qui se sont associés à la volonté qui est la nôtre d’approfondir le dialogue social dans ce pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les députés, les sociétés qui savent conjuguer démocratie politique et démocratie sociale sont les mieux armées pour l’avenir. C’est ce qu’affirmait avec raison le président du Conseil économique et social, Jacques Dermagne, il y a maintenant six ans.

La pertinence de ce propos conserve toute son actualité alors que nous commençons l’examen de ce texte dont l’objectif est d’organiser les rapports entre les partenaires sociaux et le Gouvernement, quand celui-ci envisage une réforme du droit du travail.

L’UDF a toujours manifesté son attachement à la démocratie sociale. En effet, il n’y a pas, pour nous, de fatalité de la confrontation sociale. Les réformes sont acceptées quand leur objectif et leurs modalités sont partagés par le plus grand nombre. Il faut pour cela que la réforme soit juste, comprise, et qu’elle repose sur un diagnostic partagé de la situation qu’elle entend corriger. Ces trois conditions sont rarement réunies quand la loi trouve son origine dans la volonté réformatrice d’un seul. La certitude d’incarner l’intérêt général ou de détenir la bonne solution ne suffit pas ou ne suffit plus à persuader de la justesse de l’action.

De fait, ce projet de loi témoigne d’une indéniable évolution des mentalités. À la conception traditionnelle de l’État arc-bouté sur la défense de l’intérêt général se substitue l’esquisse d’un État ouvert, garant de l’ordre public social, mais qui reconnaît que la norme peut être définie grâce aux contributions des partenaires qui lui sont extérieurs.

On peut regretter que cela n’ait pas été affirmé plus tôt et plus clairement. Le constat est en effet ancien.

Déjà, en 2000, le Conseil économique et social, par la voix de son président, recommandait d’associer les partenaires sociaux à l’élaboration et à la mise en œuvre de la décision publique, car l’application des lois dépend largement de leur accord. Un an plus tard, une étape nouvelle est franchie.

« Ce qu’il faut éviter c’est un État qui légifère sans concertation préalable et sans ouvrir le champ à la négociation et aux contrats. Je souhaite que l’État s’impose à lui-même de saisir d’abord les partenaires sociaux, afin qu’ils puissent trouver les points d’équilibre permettant de concilier les intérêts et de faire converger les énergies. » Ce n’est plus le président Dermagne qui s’exprime, mais le Président de la République lui-même, le 19 décembre 2001, devant le Conseil économique et social.

Ne doutons pas que cette phrase a dû être méditée, cinq ans plus tard, l’hiver dernier, pendant la crise du CPE. Car, hélas ! en cinq ans, aucune disposition législative n’est venue préciser clairement l’articulation des rôles de l’État et des partenaires sociaux dans l’élaboration des règles du droit du travail, hormis l’engagement solennel, si peu respecté, pris dans l’exposé des motifs de la loi du 4 mai 2004 sur la formation professionnelle et le dialogue social.

À l’époque, l’UDF regrettait que cette volonté de renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle toute réforme de nature législative ou relative au droit du travail n’ait pas alors trouvé une portée juridique plus forte. Ceci aurait d’abord permis d’envoyer aux partenaires sociaux un signe de confiance dans leur capacité à produire du droit. Notre pays aurait ensuite peut-être échappé à l’épisode déplorable du CPE, qui, tant sur le fond que sur la forme, s’est révélé la négation même de la recherche du dialogue social. Avec le texte qui nous est soumis aujourd’hui, le Gouvernement fait donc en quelque sorte acte de contrition.

Revitaliser la démocratie sociale est un chantier majeur. Il s’agit d’un préalable incontournable si nous voulons que notre pays mène les réformes dont il a besoin avec l’efficacité et le sens des responsabilités propres aux démocraties avancées. Ce n’est peut-être pas, en effet, un hasard si les pays qui ont adapté leurs modèles sociaux à une économie mondiale ouverte, au point d’être cités en exemple jusque chez nous, sont souvent des pays où le dialogue social est développé. Je pense au Danemark, aux Pays-Bas ou aux pays scandinaves, que vous avez vous-même cités.

À l’image d’une démocratie sociale d’affrontement, où les organisations syndicales et patronales s’opposent ou se confrontent au Gouvernement, nous souhaitons substituer la conception d’une démocratie sociale apaisée. Les enjeux des relations individuelles ou collectives du travail peuvent être exposés aux partenaires sociaux dans le respect des valeurs qui fondent chacun d’entre eux pour trouver, avec esprit de responsabilité, des solutions acceptables aux problèmes qui leur sont soumis.

Certains pensent que notre pays n’a pas cette culture de la responsabilité sociale. L’UDF fait le pari inverse. C’est la raison pour laquelle nous sommes mitigés devant ce texte, qui, pour intéressant qu’il soit, laisse un sentiment d’inachevé face aux enjeux multiples d’une modernisation du dialogue social qui nous semble devoir être bien plus vaste.

Le texte lui-même suscite en effet des interrogations. Tout d’abord, nous ne sommes pas convaincus qu’une simple loi ordinaire suffise à garantir l’articulation décrite entre les partenaires sociaux et le Gouvernement. Ce qu’une loi fait, une autre loi peut le défaire.

La négociation collective et la saisine des partenaires sociaux doivent être un préalable inviolable à l’élaboration du droit du travail. Cette règle doit donc figurer dans la Constitution. Il ne s’agit pas de porter atteinte à l’autonomie des décisions du Gouvernement ou du Parlement, mais d’inscrire de façon intangible cette règle dans le processus normal du fonctionnement des pouvoirs publics.

Par ailleurs, la notion d’urgence à laquelle le texte fait explicitement référence ne manque pas d’inquiéter les partenaires sociaux sur le risque de passage en force, et nous partageons leur crainte. Comment l’urgence est-elle appréciée ? Selon quels critères ? Dans quelles circonstances l’urgence peut-elle être décrétée ? Autant de questions qui ne trouvent pas de réponse dans l’état actuel du texte et qui laissent craindre une appréciation purement subjective de l’urgence.

Les violences urbaines justifiaient-elles l’urgence qui n’a pas manqué d’être invoquée pour imposer aux partenaires sociaux et au Parlement le contrat de première embauche ? L’urgence, qu’elle soit déclarée ou avérée, relève d’une attitude discrétionnaire du pouvoir exécutif qui cadre mal avec le champ d’application de ce projet de loi, à savoir les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle.

Nous souhaitons que le Gouvernement renonce au recours à l’urgence ou du moins que cette notion soit aménagée afin de préserver l’esprit de concertation qui doit présider à l’examen d’un tel projet de loi. S’il est question des projets de réforme du Gouvernement, les textes qui émaneraient du Parlement sont passés sous silence. Le Gouvernement ayant la maîtrise de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, il peut réduire ses initiatives. Mais, mêmes rares, elles existent, et permettent à l’occasion au Gouvernement de se sortir du piège dans lequel il s’est enfermé, comme dans le cas du CPE, en lui offrant une porte de sortie dans le cadre d’une proposition de loi d’un genre nouveau, d’origine gouvernementale ! Recourir à ce type d’acrobatie pour imposer une réforme du droit du travail en contournant la phase de concertation avec les partenaires sociaux serait du plus mauvais effet et équivaudrait à faire bien peu de cas du dialogue social et du rôle du Parlement !

À cet égard, la récente réintroduction au Sénat, dans le projet de loi sur la participation et l’actionnariat salarié, de dispositions relatives à l’indemnisation des conseillers prud’homaux, contestées par les partenaires sociaux et supprimées par l’Assemblée nationale, est le modèle de ce qu’il ne faut pas faire.

En outre, il doit être clair que c’est l’ensemble du Gouvernement, et non le seul ministre du travail, qui doit se soumettre à la procédure de consultation des partenaires sociaux. En effet, il arrive souvent que des mesures modifiant le droit du travail – et dont les conséquences sont loin d’être négligeables – soient introduites par le Gouvernement par voie d’amendements – soit qu’il les présente lui-même, soit qu’il leur apporte son soutien quand il n’en est pas l’auteur – dans des textes apparemment bien éloignés de ce domaine. C’est une habitude avec laquelle il faut rompre !

À l’heure où de nombreuses voix réclament la revalorisation du rôle du Parlement, il convient de reconnaître à ce dernier une véritable autonomie de réflexion et de proposition, et de lui confier une véritable initiative, parallèle à celle du Gouvernement. Or votre texte n’en dit rien. À aucun moment, le rôle des deux assemblées n’est précisé. Chacun aura remarqué le flou qui encadre la démarche de consultation prévue en termes de délais. Or, si nous voulons que nos concitoyens retrouvent confiance en la démocratie sociale, il est nécessaire que la procédure de saisine et de consultation des partenaires sociaux s’inscrive dans des délais qui s’imposent tant au Gouvernement qu’aux organisations syndicales et professionnelles.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. On sent poindre le chef d’entreprise !

M. Maxime Gremetz. Le Medef aussi !

M. Francis Vercamer. Enfin, nous regrettons que ce projet de loi n’engage pas un travail de simplification des instances de la négociation collective, à l’instar des recommandations du rapport Chertier. Le conseil du dialogue social, un temps envisagé, et destiné à remplacer la Commission nationale de la négociation collective, le conseil supérieur de l’emploi, le comité du dialogue social pour les affaires européennes et internationales ainsi que le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, est resté sans suite. C’est dommage parce que la vitalité du dialogue social passe également par sa visibilité et sa lisibilité pour le plus grand nombre. Nous déplorons vivement de ne pas le trouver dans votre projet de loi.

Rien n’apparaît non plus sur la nécessaire rénovation des règles de représentativité. À cet égard, le Conseil économique et social vient de rendre un avis remarqué. Si l’appréciation de la représentativité en fonction des élections nous paraît un critère qu’il convient de prendre davantage en compte, il ne nous semble pas devoir être le seul. L’importance des effectifs, l’implantation territoriale, la présence dans le secteur public et privé, et une diffusion suffisante dans les branches professionnelles sont autant de facteurs permettant d’apprécier la représentativité.

Fonder celle-ci sur plusieurs critères, c’est à la fois respecter le pluralisme syndical, hérité de notre histoire sociale, mais aussi éviter une dispersion trop grande en acceptant une représentativité appréciée sur les seuls résultats des élections et avec des seuils trop bas. Une chose est sûre : il faut désormais prendre en compte l’émergence, ces dernières années, de nouveaux acteurs syndicaux.

J’observe par ailleurs que vous n’abordez pas non plus la répartition entre les domaines législatif et réglementaire, et celui de la négociation collective. Or clarifier ce qui relève de l’un ou de l’autre est encore ce qui redonnera le plus de lisibilité et de contenu tant à la loi qu’à la négociation collective. À quoi servirait-il en effet de prévoir la consultation de partenaires sociaux préalablement à tout projet de réforme si le champ d’intervention du législateur s’accroît sans cesse comme il fait depuis trop longtemps ?

Pourtant, la position commune sur les voies et moyens de l’approfondissement de la négociation collective, signée en 2001 avec les partenaires sociaux, dessine une articulation dont il nous semble qu’elle peut permettre d’établir une clarification et une complémentarité entre la loi et la négociation collective.

Votre projet de loi passe également sous silence le financement des organisations syndicales. Le système actuel est opaque et il convient de le réformer. Le Conseil économique et social comme le rapport Hadas-Lebel ont émis des propositions visant à tenir compte à la fois du nombre d’adhérents et des résultats aux élections.

Enfin, votre texte n’aborde pas la question de la revalorisation de l’engagement syndical. Le taux de syndicalisation, qui s’élève à 8 % dans notre pays, est l’un des plus faibles d’Europe. Développer la négociation collective, associer les partenaires sociaux à l’élaboration des règles du droit du travail, organiser des élections de représentativité n’a de portée que si l’engagement syndical retrouve son sens pour nos concitoyens. Il ne peut se mesurer à l’aune de la seule participation aux élections. Le principe de la libre adhésion des salariés aux organisations syndicales nous semble devoir être maintenu.

M. Maxime Gremetz. Encore heureux !

M. Francis Vercamer. Mais il faut inciter nos concitoyens à adhérer davantage.

À titre personnel, il me semble que le développement d’un système de négociation collective où les accords conclus ne valent que pour les adhérents des organisations signataires mérite au moins d’être examiné. Il diverge évidemment d’avec notre histoire sociale, mais il a le mérite de placer chacun devant ses responsabilités. Le salarié tout d’abord, qui peut bénéficier aujourd’hui de décisions prises dans le cadre des accords collectifs ou d’entreprise sans s’être à aucun moment intéressé aux négociations en cours, à leurs enjeux, serait incité à adhérer. Si les accords ne valent que pour les adhérents et les syndicats signataires, les salariés sont davantage incités à adhérer. Ce système responsabilise également les syndicats, qui ont parfois tendance à ne pas signer un accord sachant que la signature par d’autres organisations représentatives rend de toute façon l’accord applicable à tous les salariés.

Au moins, la réduction fiscale bénéficiant aux salariés qui adhèrent doit pouvoir profiter aux plus bas revenus. L’instauration d’un crédit d’impôt aurait l’avantage de bénéficier aux salariés syndiqués non imposables. Nous pensons également qu’il convient de développer la représentation des salariés dans les petites entreprises, en particulier de moins de cinquante salariés.

Une représentation qui s’établirait à l’échelon territorial en fonction du site ou du bassin d’emploi nous paraît un moyen efficace de développer le dialogue social dans les PME et les TPE.

Enfin, il convient de prendre les mesures qui permettent un exercice serein du mandat syndical. Le maintien et l’évolution normale de la rémunération des élus syndicaux, la sécurisation des parcours professionnels du militant syndical, la validation des acquis de l’expérience accumulés par le salarié dans l’exercice de ses fonctions syndicales sont autant de pistes concrètes pour assurer au plus près du terrain et dans la réalité quotidienne le développement du dialogue social.

Comme vous le constatez, la modernisation du dialogue social est un vaste chantier à peine entamé par ce projet de loi. Nous attendons du Gouvernement qu’il fasse des propositions, sur la base des travaux existants sur chacun des points qui ont été évoqués. C’est en fonction des engagements qu’il prendra au cours du débat que le groupe UDF, attaché à la démocratie sociale, se prononcera sur ce texte.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Cette fois, je ne vous applaudis pas ! J’apprécie peu ce mélange de Medef et de Bayrou !

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz.

M. Maxime Gremetz. Monsieur le président de la commission, depuis que vous êtes arrivé, vous perturbez vos collègues ; or je pense que débat a besoin de sérénité.

Que le Gouvernement présente un projet de loi relatif à la modernisation du dialogue social en fin de législature, à quelques mois de la fin des travaux de notre assemblée, est tout un symbole, car ce projet émane d'un gouvernement qui a excellé dans l'art de l'évitement, qu’il s’agisse du CPE, des 39 heures dans la branche hôtellerie-cafés-restaurants, ou de la remise en cause de la définition du temps de travail effectif pour les salariés agricoles.

Ce gouvernement a tout fait pour que le dialogue social n’ait pas lieu. Je pense en particulier à la loi du 4 mai 2004 qui a consacré le droit d'opposition comme principe de validation d'accord, ou encore au bouleversement de la hiérarchie des normes et à la remise en cause de l'ordre public social. Mais il y a aussi toutes les mesures qui visent à exclure certains salariés du décompte des effectifs, ce qui empêche la mise en place de toute institution représentative du personnel capable de mener le dialogue social.

Toutefois, ce texte, bien qu’inabouti, constitue tout de même une étape vers la réforme qu'il convient de mener en la matière. En effet, les appels des organisations syndicales, le rapport du CES examiné et voté la semaine passée, y compris par les parlementaires qui y siègent, tout indique que le temps est venu de changer la donne.

Il nous incombe de donner une dimension supplémentaire au texte qui nous est proposé aujourd'hui, sinon ce projet de loi de modernisation du dialogue social risque de faire beaucoup de bruit pour rien. Il ne serait pas à la hauteur des engagements du Président de la République tels qu'il les a exprimés devant le Conseil économique et social, ni des exigences de démocratisation de la négociation collective. Tout le monde espère une loi qui aille jusqu'au bout de la démarche. En l'état, la démocratie sociale reste bancale.

Il faut absolument introduire dans ce texte la légitimité de la négociation fondée sur l'expression démocratique du vote des salariés. Le suffrage universel reste la meilleure garantie démocratique. Libre à vous d’inventer autre chose si vous n’en êtes pas convaincus ! Mais, pour moi, la démocratie, c’est un salarié, une voix, même si sans scrutin proportionnel, le système est quelque peu biscornu. La preuve, c’est que vous êtes minoritaires dans le pays, mais majoritaires à l’Assemblée nationale ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Et vous, monsieur Gremetz, où êtes-vous majoritaire ?

M. Maxime Gremetz. Nous sommes majoritaires dans le pays ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Vous représentez 3 % !

M. Maxime Gremetz. Nous le voyons tous les jours : 92 % des députés ont appelé à voté oui au référendum sur le Traité constitutionnel, alors que 55 % des Français ont voté non ! Et pourtant, vous disposiez de tous les moyens ! Reconnaissez la réalité. Il ne suffit pas de remporter un scrutin majoritaire. Dès que le peuple est consulté, tout change et cela vous fait peur.

Un citoyen, une voix : voilà la démocratie. Malheureusement, la pratique en est loin !

Pour ce qui nous concerne, nous voulons introduire la légitimité de la négociation par l’expression démocratique du vote des salariés. À cette fin, la réforme du dialogue social doit reposer sur quatre piliers importants.

Premier pilier : la réforme de la représentativité, que tout invite à faire avancer. Elle est en effet attendue par des organisations syndicales représentant une grande majorité de salariés, recommandée par un rapport du Conseil économique et social et réclamée par une partie du patronat, car le problème ne se pose pas seulement pour les organisations ouvrières mais pour tous les acteurs sociaux. L’UPA, par exemple, n’entend pas que le MEDEF prétende parler au nom de tous les employeurs.

Preuve supplémentaire de la nécessité d’une initiative législative, les secrétaires généraux de la CFDT et de la CGT demandent, dans une déclaration commune, que les propositions du Conseil économique et social à ce sujet trouvent une traduction dans ce projet de loi. Soulignons ce qu’une telle démarche a d’exceptionnel. Habituellement, quand le législateur demande aux organisations syndicales de faire des propositions d’amendements, elles refusent, considérant qu’elles ne sont pas des partis politiques. Le fait que deux syndicats, qui constituent deux grandes forces sociales, demandent solennellement au Gouvernement d’introduire un amendement sur la représentativité est donc historique.

Nous qui menons ce combat depuis une vingtaine d’années, sous quelque gouvernement que ce soit – il suffit de consulter le Journal officiel pour le constater – nous avons entendu cet appel et nous vous soumettrons un amendement en ce sens.

En effet, on ne peut plus se satisfaire des règles actuelles. La représentativité ne se décrète pas, elle ne saurait relever d'une décision administrative ou réglementaire comme ce fut le cas avec le décret de 1966. Depuis, les choses ont bien changé et il est aberrant que des fédérations syndicales comme le FSU ou l’UNSA ne puissent être considérées comme des organisations représentatives et ne soient pas habilitées à participer à des négociations au plan national. Il faut bouger : la représentativité doit être le fruit de la démocratie par la participation des salariés grâce au vote.

Nous proposons donc de retenir l'idée d'une élection nationale de représentativité, le même jour, dans toutes les entreprises, pour tous les salariés, quelle que soit la nature de leur contrat de travail.

Deuxième pilier : la validation des accords selon le principe majoritaire en voix, et non en nombre d’organisations. Nous réclamons la mise en œuvre de ce principe depuis 1982 et avons été les premiers à le faire inscrire dans la loi à l’occasion de l’examen des lois Aubry. Nous avons mené la bataille et abouti à un premier progrès en soumettant le passage à la réduction du temps de travail à un accord majoritaire. Toutefois, depuis la réforme Fillon du 4 mai 2004, un accord est considéré comme majoritaire s'il est signé par la majorité des syndicats en nombre. Des syndicats minoritaires peuvent imposer leur volonté aux syndicats représentant la majorité des salariés : on peut se retrouver avec des accords dits « majoritaires », mais en réalité minoritaires car ils ne correspondent qu’à une minorité de salariés.

Du point de vue de la démocratie sociale, un tel principe ne peut fonctionner. Imaginez, chers collègues, qu’il nous soit appliqué : le groupe socialiste, le groupe UDF et le groupe communiste pourraient faire échouer vos projets de loi puisque ce serait le nombre de groupes et non le nombre de voix qui compterait.

M. Jean-Pierre Soisson. Chiche !

M. Maxime Gremetz. Comment réagiriez-vous ? Vous hurleriez et vous auriez bien raison ! Pourtant, quand il s’agit de la représentativité des salariés, vous ne hurlez pas. Le monde du travail n’est pas différent du nôtre, même si peu de personnes en sont issues dans cet hémicycle. Un même principe doit s’appliquer partout en démocratie. Si l’on touche à ses fondements mêmes, où va-t-on ?

II est impératif, comme nous le proposons depuis plusieurs années, que la majorité d'engagement soit fondée sur le nombre de salariés pour que l'accord soit valide. Représentativité et validité sont inséparables. Il faut pouvoir mesurer la représentativité des syndicats au plan national, au niveau des branches, des collectivités et des entreprises. Incontestablement, notre approche va dans le sens de la modernisation de nos rapports sociaux.

Troisième pilier : le respect de l'ordre public social et de la hiérarchie des normes. Depuis la loi Fillon du 4 mai 2004, l'accord peut être supplétif à la loi. Ainsi, un accord peut déroger de façon moins favorable à un autre accord, qui lui-même aurait dérogé à la loi de façon défavorable. Il faut mettre un terme à ces accords dérogatoires et rétablir le principe de faveur ainsi que l'interdiction de l'inversion de la hiérarchie des normes dans un sens moins favorable pour les salariés.

Enfin, quatrième pilier : le temps du Parlement. Quels doivent être les échanges entre Parlement et syndicats ? Quel équilibre trouver entre négociations sociales et textes législatifs ? La question se pose car certaines organisations syndicales nous demandent parfois de ne pas toucher aux accords qu’elles ont négociés avec le patronat, sur la formation par exemple, parce qu’elles les estiment bons. Il ne s’agit pas de se battre sur la primauté de l’un ou de l’autre. Nous avançons une proposition novatrice et, nous semble-t-il, équilibrée qui consisterait à renforcer la relation entre monde syndical et monde politique, à introduire un lien plus fort entre partenaires sociaux et législateurs, dans le respect des prérogatives de chacun.

Il s’agirait de faire auditionner par les commissions permanentes saisies au fond les différents partenaires sociaux afin de leur laisser présenter chacun leur analyse de la négociation et de l'accord, s'il y en a un. À l'issue de ces auditions, le rapporteur de la commission saisie au fond ferait un compte rendu des diverses positions des partenaires sociaux et le Gouvernement ferait une déclaration pour exprimer son sentiment sur la négociation et son résultat. Les groupes parlementaires donneraient ensuite leurs analyses et exprimeraient leurs propositions. Les partenaires sociaux prendraient connaissance de ces remarques et jugeraient s'il y a lieu de modifier le résultat de cette négociation. Enfin, il reviendrait au Gouvernement de présenter un projet de loi-cadre au Parlement qui engagerait alors la procédure classique d’examen législatif.

J’entends déjà certains dire : « Quelle perte de temps ! ». Mais souvenez-vous, pour le CPE, nous n’avons pas perdu beaucoup de temps au Parlement, c’est après que les choses se sont gâtées. Je soutiens que ce processus est nécessaire si l’on veut bien se comprendre et être plus efficace. Les organisations syndicales à qui nous l’avons présenté ont d’ailleurs apprécié ce schéma dans sa globalité.

En conséquence, monsieur le ministre, nous abordons ce texte dans un esprit constructif, soucieux d'aboutir à une véritable réforme du dialogue social. Mais jusqu'où êtes-vous prêt à aller ?

Quelques éléments du texte méritent des correctifs : je pense à l'élargissement des thèmes de la négociation à la protection sociale, à la motivation de l'urgence déclarée pour échapper à la procédure de consultation – point sur lequel nous avons obtenu satisfaction dans un amendement commun avec le rapporteur. Espérons que le Gouvernement ne s'y opposera pas car il s'agit là encore d’une attente forte exprimée par toutes les organisations syndicales lors de leurs auditions. Il faudra également progresser sur les conditions du déclenchement de la négociation, notamment pour ce qui concerne le moment où elle commence et sa durée, ou encore faire en sorte que chaque texte législatif soit soumis à une concertation pour éviter les cavaliers introduits par voie d'amendement. Tous ces aspects feront l'objet d'amendements déposés par notre groupe, qui a auditionné l'ensemble des organisations syndicales de salariés sur ces propositions.

Pour finir, monsieur le ministre, monsieur le président, j'espère que nos débats permettront d'avancer sur tous ces points, car une réforme ne peut être réussie si elle n'est pas partagée. Et il serait dommage que la modernisation du dialogue social souffre d'une absence de consensus au sein de la représentation nationale.

Pour garder cet espoir, peut-être minime, je veux m'inspirer des propos de M. Fillon, ancien ministre de l'emploi et actuel conseiller de M. Sarkozy, lors du débat de la réforme de 2004 : « Avec ce texte, j'ai fait le choix de l'expérimentation et de la construction d'une démarche. Mais s'il repose sur un engagement solennel, il ne constitue toutefois, sur bien des aspects, qu'un premier pas vers un dialogue social plus responsable et plus moderne. C'est seulement à l'issue d'une période de fonctionnement que d'autres réformes pourront venir ». Je me référerai aussi au président de la commission des affaires sociales, qui indiquait, lors de la deuxième séance du 16 décembre 2003 consacrée à la réforme du dialogue social, que, « dans une société démocratique, les organisations professionnelles traditionnelles restent indispensables à l'équilibre des rapports sociaux et au respect des employés, mais aussi à l'évolution des entreprises. Toutes les parties prenantes sentent bien qu'il faut faire évoluer le panorama actuel » ; et il ajoutait que « tous sont las d'être prisonniers d'un système qui a atteint ses limites ». Ce temps est venu, brisons les chaînes et donnons aux relations sociales l'élan dont elles ont besoin !

M. le président. La parole est à M. Robert Lecou.

M. Robert Lecou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec satisfaction que j’ai vu arriver sur le bureau de l’Assemblée nationale le texte sur le dialogue social. Le dialogue, c’est l’écoute, l’expression libre, la discussion, l’échange. Le social, c’est l’organisation d’un groupe d’individus, ce sont les rapports, les relations des hommes entre eux. Et si le langage est un acte social, le dialogue social doit être reconnu dans l’entreprise comme la méthode organisée et efficace qui, en prenant en compte dans la négociation les intérêts communs du salarié et de l’entreprise, permet aux salariés de travailler en s’épanouissant et à l’entreprise de s’adapter et de réussir.

Le dialogue social dans l’entreprise oui, mais sans oublier le dialogue social dans la société ! L’État est présent dans les relations des partenaires sociaux. La loi s’impose dans les relations du travail. Il est donc logique, il est même utile que le législateur intervienne aujourd’hui pour favoriser le dialogue social qui, reconnaissons-le, peine à tenir sa place.

Depuis 2002, nous avons eu l’occasion à plusieurs reprises, à travers des textes de loi ou des rapports, de parler des relations des partenaires sociaux, de traiter d’une nouvelle organisation du travail, de légiférer pour faire évoluer le code du travail. Nous sommes intervenus à plusieurs reprises, mais avons-nous pour autant modifié au fond les relations, les mentalités, les méthodes ? Avons-nous changé cette exception française qui fait que chez nous plus qu’ailleurs en Europe les relations dans l’entreprise sont souvent tendues et fondées sur l’affrontement ?

Permettez-moi, mes chers collègues, de me référer à un rapport que j’ai commis en 2003 pour mieux apprécier la situation. Un regard sur l’Europe est utile car il peut éclairer notre débat.

En Allemagne, les principales décisions des entreprises sont souvent prises en accord avec les salariés. Cette situation découle de la représentation accordée aux organisations syndicales dans les organes de direction : pas de cogestion, mais le principe de codécision entre employeurs et employés. Il s’ensuit que les représentations syndicales s’impliquent pour empêcher les conflits, et la grève chez nos voisins allemands est considérée comme un échec.

Le Danemark est marqué par une longue tradition de concertation entre les partenaires sociaux sur les conditions salariales et de travail au travers des conventions collectives. Les partenaires sociaux jouent un rôle central et pratiquent une concertation très positive sur le marché du travail, qui est l’un des plus tranquilles du monde. Ils ont une grande responsabilité en ce qui concerne la conclusion de conventions, et bien que leurs intérêts puissent être perçus comme opposés, ils ont pour tradition de se faire confiance et de dialoguer.

Le dialogue social en Irlande a été largement intensifié depuis la mise en place du « partenariat social », qui repose sur des négociations collectives se déroulant tous les trois ans. Depuis, cette méthode a largement limité les conflits collectifs. Ainsi, il y a eu vingt-six grèves seulement en 2002 dans le pays, contre 192 en 1984, avant la mise en place du partenariat social. De même, le nombre de journées de travail perdues pour cause de grève, qui était en moyenne de 584 000 par an dans les années soixante-dix, est tombé à 21 000 en 2002.

En France, nous nous singularisons par le caractère relativement limité du dialogue social et une forte conflictualité des rapports sociaux. Cette exception française ne satisfait personne, elle est frustrante pour toutes les parties concernées.

Pour les entreprises, d’abord, qui pâtissent des conflits et voient leurs performances réduites. Pour les usagers, ensuite, qui sont souvent victimes et otages des conflits et des grèves. L’État lui-même est perdant puisqu’il n’est plus garant de la continuité du service, et notamment du service public. L’image des institutions républicaines à l’égard du citoyen est donc atteinte. Pour les syndicats, enfin, qui, dans le conflit, ne voient pas toujours aboutir leurs revendications mais voient leur image ternie. J’en veux pour preuve la très faible représentativité française. En France, 8 % des salariés sont syndiqués. Au Danemark, la place du dialogue social est d’autant plus forte que les syndicats de salariés sont très représentatifs, le taux de syndicalisation avoisinant 80 %.

Oui, monsieur le ministre, il est bon de faire évoluer nos façons de concevoir les relations dans le monde du travail. Oui, il est indispensable de moderniser le dialogue social. Concentration, consultation, information offriront un nouveau souffle et c’est tant mieux !

Oui, il est bon de faire précéder tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement et portant sur les relations individuelles et collectives du travail d’une concertation préalable avec les organisations syndicales qui, de leur côté, doivent aussi évoluer dans leur approche de la négociation.

Voilà une loi-cadre qui nous fait progresser. Je plaiderai donc avec d’autres collègues pour que l’urgence ne dénature pas votre juste volonté politique. Il faudra la limiter et la justifier. Ainsi, le dialogue social se modernisera au profit de tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Depuis quatre ans et demi, le Gouvernement a présenté pratiquement tous les projets de loi modifiant le code du travail dans le cadre de la procédure d'urgence, certains même sans aucune concertation préalable avec les partenaires sociaux. Il n'a pas hésité à recourir à une proposition de loi UMP ou à des cavaliers législatifs sur des lois qui portaient sur un tout autre sujet. Nous avons tous en mémoire l'épisode du passage en force du CPE par voie d'amendement gouvernemental sur la loi pour l’égalité des chances, finalement adopté dans son entier avec le recours à l’article 49, alinéa 3. Nous n'oublions pas non plus l'ordonnance sur le CNE, ni l'apprentissage à quatorze ans, ni l'élargissement du travail de nuit, ni les amendements surprises modifiant le calcul du temps de trajet ou du temps des astreintes, ni la généralisation de l'annualisation et du forfait jour, ni la modification du temps de travail dans les transports au détour de la transposition d’une directive européenne.

Nous avons eu aussi les lois Fillon adoptées en urgence : celle sur le démantèlement des 35 heures et celle du 4 mai 2004 qui, certes, transposait, de manière d’ailleurs incomplète, l'accord interprofessionnel sur la formation, mais comprenait aussi cette fameuse partie intitulée « dialogue social », laquelle contenait l’engagement solennel d’y procéder, dans la même rédaction que celle retenue dans le texte d’aujourd’hui, mais prévoyait aussi la mise en œuvre d’accords d'entreprise dérogatoires plus défavorables que les accords de branche. Le dialogue avait été à sens unique puisque cette régression faisait contre elle l’unanimité des syndicats de salariés.

On ne peut donc qu’être dubitatif devant la soudaine découverte de l’importance du dialogue social. Serait-ce l’approche d’échéances électorales nationales qui, tout à coup, feraient découvrir les vertus du dialogue à ceux-là mêmes qui l’ont piétiné pendant des années ? Après tout, si ce texte permet d’éviter de recommencer les mêmes erreurs, pourquoi ne pas s’en féliciter ? Mais chat échaudé craint l’eau froide, comme le dit un vieux dicton. Or les engagements de la loi Fillon de 2004 ont été immédiatement bafoués et la pratique des cavaliers législatifs sans négociation avec les partenaires sociaux a de nouveau fonctionné dans le texte voté en début d’après-midi par notre assemblée.

Et, comme tous les syndicats vous l'ont fait remarquer, monsieur le ministre, devant la commission nationale de la négociation collective, la procédure d'urgence étant toujours possible, rien ne garantit que ce qui s'est passé pendant toute cette législature ne se reproduira pas.

On me répliquera certainement que le Gouvernement est constitutionnellement maître de l'ordre du jour du travail législatif et qu’il dispose du droit d'amendement à tout moment. Quelle sera alors la portée normative de ce projet de loi ? Ne risquons-nous pas d’être dans un cas avéré de loi bavarde et de tentative d’effacer cinq années de pratiques exactement inverses à celles proclamées par ce texte ?

Surtout, fallait-il se précipiter pour faire voter ce texte de loi incomplet ? Après le rapport Hadas-Lebel consacré à la question de la représentativité et au financement des organisations syndicales, remis au Gouvernement au mois de mai de cette année, après le rapport Aurelli-Gautier intitulé « Consolider le dialogue social » adopté la semaine dernière par le Conseil économique et social, quelle est l’utilité de vouloir absolument un projet de loi qui reprend très peu des préconisations de ces deux excellents rapports donnant tous les bases nécessaires à une réforme de fond ?

Comment peut-on considérer que les conditions du dialogue social sont définies lorsque l’on ne précise pas qui sont les partenaires possibles, quel est le cadre de définition d’ouverture de négociations, ni quelles sont les conditions de la validation ? Je fais ici référence au flou de l'alinéa 7 du projet de loi.

Pour les Verts, une véritable modernisation sociale dans le domaine du dialogue social doit porter sur la représentativité syndicale, avec l'abrogation de l'arrêté de 1966, la mise en place d'élections dans les branches pour mesurer la représentativité à ce niveau et, par déduction, au niveau national, la signature d'accords sur la base d'une majorité d’engagement fondée sur le choix majoritaire des salariés – je défendrai des amendements en ce sens – mais elle doit aussi porter sur la question du financement des activités syndicales car, si l’on veut empêcher les pratiques opaques, il faut que les syndicats aient les moyens de financer leurs obligations de représentation et de négociation à des niveaux supérieurs à celui des entreprises.

Or, monsieur le ministre, alors que le débat sur le caractère obsolète du fameux arrêté de 1966 portant sur le caractère irréfragable de la représentativité des cinq confédérations syndicales est sur la place publique, alors que le Conseil économique et social, qui regroupe l'ensemble des partenaires sociaux, vient de rendre son rapport recommandant à tout le moins de modifier cet arrêté, vous refusez d'intervenir et vous maintenez la représentativité syndicale telle qu’elle a été définie dans un contexte vieux de quarante ans.

Le rapporteur comme le ministre nous demandent de ne pas déposer d'amendements proposant des solutions fondées sur les recommandations du CES pour cause de dialogue social. Mais quel meilleur dialogue social que ce qui vient de se dérouler ces derniers mois à travers la préparation de l’avis du CES ? Aujourd’hui, il existe des confédérations syndicales, l’UNSA, la FSU, le G10 qui, non seulement ne peuvent pas être considérées comme représentatives au niveau national à cause de ce fameux arrêté de 1966, mais qui de surcroît sont obligées de se pourvoir régulièrement en justice pour faire reconnaître leur représentativité dans les entreprises et sont confrontées à des procès constants. Cette situation n’est plus tenable.

Le CES a fixé des principes. Il était donc possible de les reprendre dans le présent texte et de renvoyer les précisions à des décrets pris après négociation, dont les modalités pourraient être proposées par le texte soumis au vote aujourd’hui.

En conséquence, les insuffisances de ce projet de loi ne permettent pas aux députés Verts de donner un avis positif, mais tout au plus de s’abstenir.

M. Michel Piron. C’est déjà encourageant !

M. le président. La parole est à M. Jean Le Garrec.

M. Jean Le Garrec. Décidément, notre journée sera bien remplie ! Après avoir parlé cet après-midi d’intéressement, il s’agit maintenant de dialogue social sujets qui, d’une certaine manière, se rejoignent. En tout cas, c’est avec grand plaisir que j’interviens à nouveau devant vous.

Je ne reprendrai pas les propos qu’ont tenu M. Vidalies et M. Gorce. Ils ont fait preuve de talent, de précision et de compétence juridique.

M. Michel Piron. N’en jetez plus !

M. Jean Le Garrec. De même, j’ai écouté avec attention M. Soisson. Je me souviens d’avoir travaillé avec lui, lorsqu’il était ministre du travail, et avec M. Vidalies, pour faire aboutir un projet de conseiller des salariés, et nous étions en avance sur notre temps. Nous avions alors forcé la porte, car les réticences étaient grandes de tous les côtés, et en particulier de la part des organisations syndicales. Cela prouve qu’il faut aller de l’avant et faire preuve de courage et d’opiniâtreté.

C’est ce qui est en train de se passer et c’est important. Nous assistons à une double maturation, politique et syndicale, qui prouve que les faits sont contraignants. Elle n’est pas le fruit du hasard, elle se produit parce que certains faits pèsent suffisamment lourd, surtout dans un pays comme la France qui est tout sauf un pays de réforme : nous n’avons pas de tradition réformiste.

M. Michel Piron. C’est vrai.

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Jean Le Garrec. Nous sommes capables de coups de gueule, de passions, et même de révolutions, mais notre culture n’est pas réformiste. Il a donc fallu des faits très contraignants pour que cette double maturation se fasse.

J’en ai d’ailleurs fait l’expérience en 2001, monsieur le ministre, ce que vous ne savez probablement pas. Nous avions, Henri Emmanuelli, président de la commission des finances et moi-même, alors président de la commission des affaires sociales, bâti un projet concernant le financement public des organisations syndicales.

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Je sais, et j’ai même essayé de le reprendre.

M. Jean Le Garrec. Vous êtes au courant de beaucoup de choses, monsieur le ministre, et je vous en félicite.

Nous savions bien que l’obligation d’agir finirait par s’imposer étant donné la fragilité des financements actuels. Nous sommes allés de l’avant, passant notre temps en consultations, négociations et renégociations, mais nous nous sommes heurtés à un seul obstacle : la question de la représentativité.

Il était donc essentiel que la double maturation se fasse. Le plus étonnant, c’est que M. Fillon ait bien perçu, lui aussi, cette nécessité, puisqu’il déclarait en 2004 : « Le Gouvernement prend l’engagement solennel de renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle toute réforme de nature législative relative au droit du travail. Par conséquent, il saisira officiellement les partenaires sociaux avant l’élaboration de tout projet de loi portant réforme du droit du travail afin de savoir s’ils souhaitent l’engager. » Cette déclaration était de toute première importance, mais hélas ! trois fois hélas ! il ne s’est rien passé ensuite.

Vous n’avez cessé, depuis cette déclaration solennelle, de revenir sur le code du travail, avec des textes aussi importants que le CNE et le CPE – de triste mémoire pour vous. Bref, vous n’en avez fait qu’à votre tête. Grosse erreur politique ! Qui plus est, vous persévérez en déclarant l’urgence sur certains textes, et la réforme sur le développement de la participation et de l’actionnariat salarié en est l’illustration. Quand vous revenez sur des prérogatives des comités d’entreprise telles que le droit d’alerte, ce n’est pas rien ! Surtout dans la conjoncture actuelle car ce droit permet à un syndicat ou un comité d’entreprise d’anticiper les difficultés quand ils les voient poindre à l’horizon.

Au risque de me répéter, mais il le faut parfois, je rappelle les conseils de prud’hommes : seize décrets sont prévus, dont trois au moins en Conseil d’État ; balayés ! Personne n’est consulté, ou alors, quand les syndicats sont consultés, vous passez outre leur opposition, même si elle est unanime. Les décrets ne sont pas soumis pour information au Parlement alors qu’ils remettent en cause les conditions d’exercice d’une juridiction extrêmement importante pour les salariés. Je cite deux chiffres : 50 % des décisions des conseils de prud’hommes font l’objet d’un appel, mais 70 % d’entre elles sont confirmées, ce qui prouve la qualité du travail fourni. Pourtant, vous limitez leur champ d’action. C’est énorme ! D’ailleurs, je reconnais que je ne comprends pas et je me demande qui a eu cette idée saugrenue. Comment en est-on arrivé là, ou plutôt sous quelle pression ?

Je n’irai pas plus loin car je ne suspecte pas M. le ministre Larcher, avec lequel j’entretiens des relations cordiales.

M. Michel Piron. C’est justifié !

M. Gaëtan Gorce. C’est louche !

M. Jean Le Garrec. Je le lui ai déjà dit, notamment dans le cadre de nos travaux sur les maladies professionnelles.

La maturation syndicale a, elle aussi, été tardive puisque, en 2001, nous n’avions pas réussi à passer le cap. Mais les choses sont en train de bouger. Pour des organisations syndicales, même divisées, revenir sur le texte de 1966 sur la présomption irréfragable de représentativité intangible, c’est une véritable révolution conceptuelle !

Les choses évoluent parce que le capitalisme a pris de nouvelles formes, qui n’ont plus rien à voir avec celles du milieu des années soixante. Nous sommes passés d’un capitalisme patrimonial, industriel, à un capitalisme purement financier.

M. Michel Piron. C’est vrai.

M. Jean Le Garrec. Ainsi, 40 % du capital des grandes entreprises sont détenus par des fonds de pension qui n’ont pas de passeport. L’intérêt prime tout et chacun d’entre nous, dans sa circonscription, peut en mesurer les ravages. Ce sont les organisations syndicales qui ont le mieux perçu ce qui était en train de se passer. Outre les délocalisations, il y a aussi la pression permanente sur les salariés, le stress, les maladies professionnelles.

M. Maurice Giro. L’effet des 35 heures !

M. Jean Le Garrec. Je ne dis pas qu’il ne faille pas examiner le problème, mais ce serait une erreur de croire qu’il existe une cause unique. Cela étant, il est certain que, la négociation ne s’étant pas déroulée dans de bonnes conditions, les conditions de travail se sont détériorées.

M. Michel Piron. Dont acte !

M. Jean Le Garrec. Je le reconnais d’autant plus volontiers que, si vous faites des recherches, vous verrez qu’au cours des débats, où j’ai joué mon rôle, j’ai mis en garde quant aux conditions de négociation ; je me sens donc très à l’aise.

Il faut aussi se pencher sur les rapports entre les donneurs d’ordres et les entreprises sous-traitantes : les premiers règlent à soixante-six jours, les secondes doivent payer comptant, sachant que, dans l’industrie automobile, les entreprises mères emploient 180 000 salariés là où la sous-traitance en emploie 360 000. Citons encore les relations commerciales entre les grandes surfaces et leurs fournisseurs, empoisonnées par la pratique des marges arrière qui provoquent des catastrophes en termes d’emploi, et les conditions de travail très éprouvantes qui règnent dans ce secteur. J’ai eu connaissance du plan d’une grande entreprise appelée Axa qui prévoit 4 500 départs à la retraite : 1 500 postes seront remplacés, 1 500 délocalisés et les 1 500 autres purement et simplement supprimés. Et les exemples abondent.

La pression sur l’ensemble des salariés est extrêmement forte. Nous sommes comptables vis-à-vis d’eux dans la mesure où le seul moyen pour résister réside dans cette double maturation, à la fois politique et syndicale. Si la prise de conscience n’a pas lieu, nous n’aurons aucun moyen d’agir.

Monsieur le ministre, votre projet de loi me fait l’effet d’être un texte sur la méthode.

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur. On en a parfois besoin.

M. Jean Le Garrec. Il faut parfois procéder ainsi avant de concrétiser les choses, mais j’ai quelques raisons de penser que nous en sommes restés à la déclaration de M. Fillon de 2004, déclaration dans laquelle il définissait une méthode. Et je ne comprends pas pourquoi vous revenez, deux ans après, avec un nouveau discours de la méthode ! Je reste perplexe. Pourquoi avoir perdu autant de temps ?

M. Michel Piron. C’est de la maturation !

M. Jean Le Garrec. Elle avait déjà eu lieu avec M. Fillon. Cherchez-vous à vous protéger de vous-mêmes ? De votre environnement ? Est-ce par opportunité politique ? (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je n’irai pas plus loin, pour ne pas porter un jugement de valeur que je m’interdis.

En tout état de cause, votre discours de la méthode arrive avec beaucoup de retard. Un grand économiste, Schumpeter, parlait du processus de destruction créatrice. Je crains que, pour qualifier la situation actuelle de notre pays, il ne faille inverser les termes. Et j’en reviens au livre de Daniel Cohen soulignant la rupture entre l’économique et le social, qui constitue un réel problème.

Nous sommes en présence de deux événements majeurs : je tiens à les évoquer. Le premier, c’est la création du syndicat mondial. La déclaration de son futur secrétaire général, Guy Ryder, un Britannique, est très forte : l’objectif sera d’obtenir un changement profond dans les règles et le fonctionnement de l’économie mondiale. Vous le reconnaîtrez avec moi, il s’agit là d’un objectif qui n’est pas mince !

Le second événement majeur,…

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. C’est Ségolène !

M. Jean Le Garrec. Non ! Nous n’en sommes pas encore là !

Le second événement majeur est le rapport du Conseil économique et social, voté à une large majorité – 132 voix pour, 57 contre –, ce qui montre excellemment la maturation syndicale. Certes, on aurait pu espérer une majorité plus large encore, d’autant qu’elle a été obtenue grâce à des voix provenant notamment de représentants de l’UPA. Toutefois, vous connaissez comme moi suffisamment la nature profonde du mouvement syndical pour ne pas ignorer qu’il ne s’agit pas, là non plus, d’un mince événement !

Monsieur le ministre, si je reconnais que le projet de loi n’est pas un texte d’intention, ce qui serait désagréable, je considère néanmoins que, pour avoir insuffisamment pris en considération la maturation politique de 2004, vous arrivez beaucoup trop tard et commettez une très grave erreur stratégique.

Dès lors, que puis-je faire d’autre, pour conclure, que de vous recommander de prendre en considération l’amendement du groupe socialiste,…

M. Alain Vidalies. Voilà une bonne méthode !

M. Jean Le Garrec. …visant à inscrire dans le texte de modernisation du dialogue social au moins le principe consistant à évaluer la représentativité à partir d’une élection nationale ? Cela ne vous coûterait pas cher et, puisque vous êtes d’accord, faites-le donc, que diable ! Vous passeriez du discours sur la méthode à un début de réalisation.

M. Jean-Pierre Soisson. Nous n’en ferons rien en raison de son origine !

M. Jean Le Garrec. Voilà une remarque désagréable, monsieur Soisson ! Du reste, si vous n’êtes pas suffisamment sûr de votre fait pour dépasser l’origine des amendements, c’est que vous faites preuve d’une très grande faiblesse politique !

M. Jean-Pierre Soisson. Il ne s’agit pas de vous ! Je parle de l’origine syndicale de cette proposition !

M. Jean Le Garrec. Je le répète : acceptez cet amendement ! Assurément, il ne réglera pas tous les problèmes et je sais combien il sera difficile de définir les modalités d’une élection nationale en la matière – j’ai suffisamment évoqué ce problème, y compris avec vous-même, en d’autres temps, sous d’autres cieux et d’autres couleurs. Toutefois, si vous le faisiez, ce texte ne serait plus un simple discours sur la méthode, mais ouvrirait un début de réalisation. Après tout, un gouvernement est d’abord jugé non sur ce qu’il dit mais sur ce qu’il fait ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, refonder le socle des rapports entre pouvoirs publics et partenaires sociaux, proposer une nouvelle méthode pour écrire le code du travail, c’est l’engagement du Président de la République en ce centenaire du ministère du travail.

Désormais, chacun le sait, un gouvernement ne pourra plus procéder à une réforme touchant au marché du travail ou à l'emploi sans avoir auparavant proposé aux partenaires sociaux d'engager une négociation sur le sujet. Libre à eux de s'emparer de cette faculté, s'ils pensent parvenir à un accord, ou de laisser le Gouvernement travailler seul s'ils redoutent de ne pas s'entendre.

Le texte instaure également une rencontre annuelle entre les organisations syndicales et patronales et le Gouvernement, dans le cadre de laquelle les premières « présentent l'état d'avancement des négociations interprofessionnelles en cours ainsi que le calendrier de celles qu'elles entendent mener ou lancer dans l'année à venir » et le second présente les orientations de sa politique sociale ainsi que « le calendrier envisagé pour leur mise en œuvre ».

À l’évidence, comme la démocratie politique, la démocratie sociale doit définir de nouveaux modes de régulation et de participation.

En matière sociale, l'État a trop longtemps adopté une position ambiguë entre, d'une part, sa volonté de favoriser la négociation collective nationale, et, d’autre part, celle de régler par voie législative les grandes questions sociales. Ce penchant a été renforcé par l'émiettement syndical qui a donné au pouvoir politique de bonnes raisons d'intervenir. Les syndicats, déjà trop nombreux, étaient en outre capables, quoique minoritaires, de troubler le jeu social. Il s'agit d'une situation dont la responsabilité incombe à tous – mouvement syndical, organisations patronales, État –, mais tous sont aujourd'hui conscients de la nécessité de faire évoluer le panorama actuel du fait que tous se sentent prisonniers d'un système qui a atteint ses limites. Cette situation est profondément dommageable car elle nuit à la fois au fait syndical, pourtant indispensable dans une société démocratique, à l'équilibre des rapports sociaux, au respect des employés comme à l'évolution même des entreprises.

Cette réforme, née des constatations que Dominique-Jean Chertier a recueillies dans son rapport, qu’il a écrit parallèlement aux travaux de Raphaël Hadas-Lebel, a été également inspirée par plusieurs exemples étrangers, notamment néerlandais et espagnol. Elle repose, comme l'indiquait récemment le Président de la République, sur le « pari du dialogue et de la responsabilité ». Son application doit se traduire par un changement rapide et substantiel des pratiques et par une amélioration des cadres législatifs et conventionnels régissant le champ des relations du travail.

Ce projet s'inscrit dans la perspective ouverte par la position commune adoptée par les partenaires sociaux dès juillet 2001. De plus, le Gouvernement, dans la loi du 4 mai 2004 sur la formation professionnelle tout au long de la vie et le dialogue social, s'était également engagé dans cette voie. Il est vrai que les principes posés alors étaient restés sans valeur normative. Toutefois, au ministère de la défense, Michèle Alliot-Marie a su faire appliquer dès 2005 une charte du dialogue social qui instaure le temps du débat avant tout changement au sein de cette administration : chacun, en amont, avant que la décision ne soit prise par le responsable, a le temps de partager son constat de la situation et celui de faire des propositions. Le temps est venu de changer les mentalités,…

M. Gaëtan Gorce. Et la majorité avec !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. …dans le cadre d’un respect mutuel qui seul permet d’instaurer des relations de confiance. Le temps joue un rôle majeur, monsieur Gorce, et le respecter c’est, in fine, en gagner, tout en profitant de la valeur économique d’un dialogue social de qualité.

Inscrite désormais dans la loi, la nouvelle règle du jeu du dialogue social que nous étudions aujourd'hui transformera nos façons de penser et d'agir. Le texte, volontairement court et simple, propose un équilibre harmonieux entre le maintien d'une hiérarchie des normes et la responsabilisation à tous niveaux de la représentation professionnelle.

M. Bernard Accoyer. Très bien !

Mme Martine Billard. Je n’ai pas bien compris ce que vous avez dit !

M. Gaëtan Gorce. Mais quel enthousiasme !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Il redonne à l'État un rôle de régulateur qui éclaire l'avenir et fixe un cadre au monde social. Il ne compromet en rien la primauté de la loi, puisque le Parlement conserve l'intégralité de ses prérogatives – droit d'initiative et droit d'amendement, et donc droit d'adopter ou non les dispositions proposées, y compris lorsqu'elles résultent d'un accord interprofessionnel. Cette réforme prévoit simplement une meilleure répartition des rôles entre les acteurs politiques et sociaux tout en visant à réarticuler le syndicalisme à sa base sociale par la recherche de nouvelles formes de légitimation.

Notons enfin que notre rapporteur, dont chacun connaît les grandes qualités, a su trouver des réponses à la question de l'urgence.

M. Jean-Pierre Soisson. Très bien !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. D'aucuns craignaient une utilisation abusive de cette disposition : c'est pourquoi, nous avons prévu d'encadrer davantage le recours à l'urgence, en prévoyant une procédure solennelle de motivation. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mes chers collègues, notre objectif fondamental est d'aller vers une pacification sociale, facteur de compétitivité, tout en favorisant évidemment un syndicalisme puissant et des relations contractuelles fortes en vue de quitter enfin la culture de la seule protestation sociale pour celle de la « coopération conflictuelle », prônée en son temps par Edmond Maire. Je veux croire que tous les élus, quelle que soit leur appartenance, soutiendront ce projet. Comme lors de l'examen du texte sur la participation, je citerai Jean Auroux : nous devons « quitter une société de conflits pour aller vers une société de contrats. […] Dans une société qui se transforme de façon considérable et très rapide dans tous les domaines, notre salut viendra de notre capacité à dialoguer, c'est-à-dire à partager nos connaissances et à déboucher sur des compromis. »

M. Gaëtan Gorce. Il aurait fallu le dire plus tôt !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Jean Auroux, monsieur Le Garrec, est une référence déjà ancienne, qui date d’avant la révolution culturelle de 2004 que vous avez évoquée.

M. Jean Le Garrec. Je vous remercie de lui rendre hommage !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Tel est l’objectif de cette réforme. Naturellement, ce texte n'a pas la prétention de tout résoudre. Le prochain rendez-vous concernera les conséquences que nous tirerons tous ensemble du rapport de M. Raphaël Hadas-Lebel. Sur tous ces points essentiels et éminemment sensibles, rien ne pourra se faire sans que soit achevée une large concertation préalable avec les partenaires sociaux, celle que vous souhaitez susciter, monsieur le ministre. À cet égard, je tiens à saluer le travail remarquable du Conseil économique et social,…

M. Gaëtan Gorce. C’est pour cela que vous ne voulez pas en reprendre l’essentiel !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. …et de son président, Jacques Dermagne, qui s'est attelé aux difficiles questions du ou des critères de la représentativité, de la question de la validité des accords, des modalités de la négociation dans les très petites entreprises, des questions du financement des organisations représentatives et de la sécurisation des parcours professionnels de ceux qui s’y impliquent.

Je suis très intéressé par le rapport du CES, notamment par ce qu’il dit de la représentativité. Je comprends la démarche de M. Chérèque et de M. Thibault, mais je comprends également la position du ministre délégué à l’emploi. Laissez du temps au temps, monsieur Le Garrec, pour que la maturation que vous souhaitez puisse se produire. Nous en sommes tous d’accord : le présent texte n'est qu'une première étape, la seconde viendra inéluctablement, quelle que soit la majorité qui présidera aux destinées de la France dans quelques mois. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Le Garrec. Voilà une remarque importante !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, après être brièvement intervenu pour répondre à deux motions de procédure, je souhaite revenir sur plusieurs points abordés durant la discussion générale.

Je remercie M. Dubernard d’avoir souligné la cohérence de ce projet : la position commune signée par les partenaires sociaux en juillet 2001 et, à la suite de la loi du 4 mai 2004, les réflexions engagées sur l’adaptation des règles de la validité et le rendez-vous prévu sur la validité des accords. Car il s’agit de savoir comment on fait fonctionner le dialogue social, au plan financier, notamment pour les petites et moyennes entreprises – sujet essentiel quand on se rappelle que 8 millions de salariés travaillent dans les PME.

Ce texte réalise un équilibre entre partenaires sociaux, Parlement et Gouvernement : c’est pourquoi je reviendrai aux propos de M. Soisson sur le rôle et la place du Gouvernement, et plus précisément du ministre de l’emploi, dans la construction de nouvelles relations sociales.

Monsieur le président Dubernard, vous avez insisté sur le temps du dialogue social, du débat et, parfois aussi, de la confrontation : ce n’est pas du temps perdu car c’est précisément un temps de maturation, comme disait M. Le Garrec. À ce propos, la double maturation étant un phénomène biologique bien connu, je souligne qu’il ne faut pas confondre, dans l’inspection des viandes, maturation et attendrisseur ! (Sourires.) Prenons donc le temps de respecter les fibres des uns et des autres, notamment les fibres du cœur ! (Sourires.)

Je reviendrai sur le sujet, ne puisant pas mes citations parmi les auteurs étrangers, mais dans mon ancienne pratique professionnelle.

M. Jean Le Garrec. Ça, c’est une vacherie ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Entre chirurgiens, nous nous comprenons, n’est-ce pas, monsieur Dubernard ?

Monsieur le rapporteur, vous avez appliqué la méthode que nous cherchons à promouvoir. Sans changer les règles propres à chaque assemblée, votre commission a accompli un travail remarquable d’audition des partenaires sociaux afin de recueillir leurs réactions et de chercher à respecter les équilibres atteints au terme de près d’une année de concertation.

Je rappelle que nous travaillons d’abord sur le rapport de Dominique-Jean Chertier, avant d’aborder le rapport Hadas-Lebel qui constituera l’étape suivante.

M. Gaëtan Gorce. Il faudrait nous donner votre calendrier !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Le rapport de Dominique-Jean Chertier, commandé le 12 décembre 2005 – je le précise à l’intention de ceux qui ont prétendu qu’il était la conclusion des événements de ce printemps autour du contrat première embauche – ne manque pas d’intérêt dans ses références historiques non dépourvues de lien avec notre sujet et selon lesquelles les temps social, économique et politique étaient discordants.

Mme Marylise Lebranchu. Et ils resteront discordants !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Dans cette optique, les affrontements sociaux sont certes imputables à un déficit de dialogue social, mais aussi à l’absence d’harmonie entre ces différents temps. Je signale au passage que la Commission nationale de la négociation collective, associée à ces travaux, a examiné ce rapport.

Je souhaite d’emblée, monsieur le rapporteur, apporter quelques éclaircissements sur les amendements adoptés par la commission.

M. Alain Vidalies. Ah !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. D’abord, je ne conteste pas que le titre du chapitre unique du titre nouveau inséré dans le code du travail – « Dialogue social » – puisse paraître flou. Par ailleurs, le Gouvernement émettra un avis favorable à l’amendement de la commission relatif à l’encadrement de l’urgence grâce à laquelle le Gouvernement peut, dans le respect des principes constitutionnels, passer outre à la concertation. Cette proposition permet d’éviter les risques de dérive puisque les partenaires sociaux auront le droit d’obtenir des informations sur la décision de recourir à l’urgence. Cet amendement, comme celui prévoyant un rapport annuel destiné à informer le Parlement sur la mise en œuvre de la nouvelle méthode pour le dialogue social, ou comme celui relatif à la publicité des échanges devant la Commission nationale de la négociation collective, enrichissent sensiblement le texte.

Monsieur Soisson, vous avez pour votre part évoqué le rôle de l’État, et plus particulièrement celui du Gouvernement. Vous avez parlé du tripartisme, c’est un sujet de débat. En fait, à l’issue de la première organisation des relations du travail dans le monde – M. Le Garrec a fait allusion à la grande décision du rassemblement mondial des représentations syndicales de salariés –, c’est un Français, Albert Thomas, qui, à la tête du Bureau international du travail, en 1919, donna au tripartisme une impulsion décisive.

Mme Marylise Lebranchu. Albert Thomas était de gauche !

M. Alain Vidalies. Il était même socialiste !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Le tripartisme n’est d’ailleurs pas un sujet traité de la même manière dans les différents pays. Prenons par exemple ceux de l’Europe du Nord. L’État y fixe les grands principes – dans la logique d’un article 34 de notre Constitution épuré –, laissant aux partenaires sociaux le soin de régler ensuite l’ensemble de la vie sociale sans procédures d’extension voire de contrôle, une fois obtenu l’accord entre partenaires sociaux. C’est le cas notamment en Suède.

Dans notre pays, l’État me paraît au contraire devoir impulser lui-même la négociation collective. Sa mission est d’assurer l’ordre public social, ne l’oublions pas – j’ai eu l’occasion de le rappeler ce matin devant les représentants d’une organisation professionnelle, qui entendaient sans doute pour la première fois parler de cette manière, à son siège, avenue Bosquet. Je pense par exemple à la nécessité de moderniser l’inspection du travail en matière de santé ou de renforcer son rôle dans la lutte contre le dumping social et contre le travail illégal. Cette responsabilité de l’exécutif implique que le rôle du ministre évolue. Il lui appartient par exemple, dans le cadre de la politique décidée par le Premier ministre, de définir les thèmes qui constitueront le point de départ de la procédure de concertation entre l’État et les partenaires sociaux ou entre les partenaires sociaux eux-mêmes s’ils souhaitent se saisir des sujets retenus.

La procédure de concertation comporte la procédure de consultation. C’est l’État, donc le ministre, qui préside la Commission nationale de la négociation collective. J’attire d’ailleurs votre attention sur le fait que cette commission ne s’est jamais autant réunie que depuis 2002, puisque, au lieu de l’être une fois par an, elle est saisie de tous les grands sujets. La CNNC, à laquelle le texte confie davantage de responsabilités, déploiera sans doute une activité plus intense qu’aujourd’hui, alors qu’elle a déjà triplé en volume depuis trois ans. Le Conseil supérieur de l’emploi relève aussi de la responsabilité ministérielle, comme le Conseil national de la formation tout au long de la vie, même si le ministre y est représenté par un vice-président. Il n’en demeure pas moins qu’il conviendra, chaque année, de définir les conditions d’un échange d’informations – à la fois régulier et loyal – devant la Commission nationale de la négociation collective ; il s’agira d’une sorte d’échange d’agendas. Donc, monsieur Soisson, un nouveau dialogue social doit naître.

M. Vercamer, pour sa part, a évoqué le « pacte de confiance ». Comme les autres pays, la France va devoir évoluer en matière de relations du travail, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne et du Livre vert, objet d’un premier débat tenu vendredi dernier au sein du Conseil des ministres de l’emploi à Bruxelles : il va notamment falloir concilier qualité de l’emploi et compétitivité des entreprises.

À cet effet, le projet donne une place particulière aux partenaires sociaux dans l’évolution même de notre modèle social. Le Gouvernement ne pense pas – M. Vercamer y a fait allusion – qu’on doive pour autant modifier la Constitution. Il suffit de changer de pratique, comme aux Pays-Bas où il n’a nullement été nécessaire de changer la Constitution, pas plus qu’en Espagne, exemples qui montrent bien que le dialogue social est avant tout une question d’attitude.

À propos du recours à l’urgence, je me suis déjà exprimé.

Monsieur Gremetz, si je me souviens de vos propos en commission, vous avez qualifié le projet d’étape importante. Vous considérez néanmoins que la réforme est inaboutie. J’en prends acte. Ce texte représente, il est vrai, une étape importante ; et plutôt que d’employer l’expression « réforme inaboutie », je parlerais d’un élément essentiel dans un cycle de réformes qui se poursuivra. Cet élément s’inscrit en effet dans un processus qui a donné une place sans précédent à la négociation.

Nous devons par ailleurs mettre en œuvre l’autre volet de la réforme, défini par le rapport Hadas-Lebel. Vous avez évoqué la validité des accords, monsieur Gremetz. Or, en la matière, mesdames, messieurs les députés, la loi Fillon du 4 mai 2004 a constitué une étape majeure en instituant le principe majoritaire : je vous rappelle qu’il était jusque là possible pour une organisation ultra-minoritaire de signer un accord. Reste que, dans son avis sur le rapport Hadas-Lebel, le Conseil économique et social préconise dans un premier temps un « processus progressif » passant par la majorité relative, une fois établi le bilan prévu par la loi du 4 mai 2004, qui devrait être présenté le 31 décembre 2007.

M. Jean-Yves Hugon. Excellent !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Vous avez insisté, monsieur Lecou, sur les comparaisons internationales, citant notamment l’Irlande. Les déplacements que nous avons effectués à La Haye puis à Madrid ont joué un rôle important dans l’élaboration finale du projet. Nous n’avons toutefois pas cherché à transposer un système étranger – qu’il s’agisse du modèle de l’Europe du Nord ou du modèle espagnol –, tant il est vrai qu’il ne serait pas le produit de notre histoire, notamment de notre histoire syndicale. Nous avons vu, par exemple, que les commissions ouvrières espagnoles avaient évolué très vite entre l’époque où elles constituaient le creuset de la résistance démocratique au franquisme et aujourd’hui, où elles négocient avec tout gouvernement dans le cadre d’un dialogue social approfondi.

Madame Billard, vous avez regretté que ce texte ne soit pas suffisamment normatif. Je prends le pari inverse : on s’apercevra très vite des effets de cette loi sur le dialogue social et certains la trouveront alors trop contraignante.

M. Alain Vidalies. Oh !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Mais si, monsieur Vidalies, vous verrez que ce texte apparaîtra rapidement trop contraignant si nous ne changeons pas nos habitudes et si nous ne donnons pas du temps au dialogue social.

M. Alain Vidalies. Au moins votre engagement sur la grève n’est-il pas contraignant !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Vous avez, monsieur Le Garrec, parlé de maturation, mais elle est toujours l’effet d’inducteurs de maturation. Quels sont-ils en l’occurrence, sinon le Gouvernement, sinon la majorité depuis une année ?

M. Jean Le Garrec. Oh !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. C’est la vérité, personne d’autre ne l’avait fait avant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Qu’on me prouve le contraire ! Je le répète : après l’adoption de la « position commune » en juillet 2001, vous auriez eu le temps de la transposer dans la loi de modernisation sociale.

Mme Marylise Lebranchu. Je ne suis pas d’accord avec lui mais il faut reconnaître que M. Larcher est un bon ministre !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Or c’est ce gouvernement qui, en décembre 2005,…

Plusieurs députés du groupe socialiste. Seulement en 2005 !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. …au-delà du discours sur la méthode, s’est engagé sur un texte précis.

M. Alain Vidalies. Et l’engagement de 2004 sur la grève !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Et ce texte sur la méthode est adaptable en fonction des évolutions, j’ai eu l’occasion de le dire devant la commission, qu’il s’agisse de la validité des accords ou de la représentativité.

M. Alain Vidalies. Veillez à respecter la hiérarchie des normes !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Voilà donc un gouvernement qui a décidé d’aller de l’avant.

M. Jean Le Garrec. Ce n’était pas mal jusqu’à présent !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. C’était même très bien ! Et c’est encore mieux maintenant que je rappelle la chronologie.

Mesdames, messieurs les députés, on peut considérer ce texte comme une étape « importante mais inaboutie ».

Mme Martine Billard et Mme Marylise Lebranchu. Tout à fait !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Je pense plutôt qu’il représente une étape fondamentale…

M. Jean-Yves Hugon. Historique !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. …que nous allons franchir ensemble si vous votez ce texte qui constituera un vrai tournant dans les rapports entre les partenaires sociaux. En donnant à ceux-ci la possibilité de s’emparer de certains dossiers, nous faisons un pari de confiance sur leur capacité à s’entendre à six, huit ou dix et non pas à deux. Nous avons le sentiment que la modernisation des relations sociales ne nécessite pas que l’on touche aux pouvoirs du Parlement ou du Gouvernement, mais qu’elle passe par la modification de notre pratique du dialogue social.

Cela signifie qu’il faudra se donner du temps et qu’on ne trouvera pas du jour au lendemain la formule magique.

M. Daniel Prévost. Très bien !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Il faudra prendre le temps du dialogue, de la confrontation dans le but de converger vers des synthèses. Chacun d’entre-nous devra donc mûrir dans son regard sur la société et sur l’évolution des rapports sociaux. Ce soir, nous parvenons donc à l’aboutissement d’un temps de maturation ; il y en aura d’autres. Il importe qu’elle se réalise sans dégradation de la matière première.

Nous pensons ce soir franchir une étape décisive : mesurez-le bien ! Qui, en effet, aurait imaginé il y a dix-huit mois que nous serions en mesure, avec l’ensemble des partenaires sociaux, de vous présenter un tel texte ?

M. Jean-Pierre Soisson. C’est vrai !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Eh bien, cette maturation est peut-être le fruit de certains événements, mais que le Gouvernement a su transformer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Il n’est aucune difficulté qu’un homme d’esprit ne puisse transformer en succès ; c’est ce rendez-vous que nous vous donnons ce soir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés de l’Union pour un mouvement populaire. Bravo ! Quel ministre !

M. Jean Le Garrec. Depuis notre époque, vous êtes le meilleur ! (Sourires.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. Maxime Gremetz.

M. Maxime Gremetz. Monsieur le président, monsieur le ministre, le projet de loi de modernisation du dialogue social qui nous est soumis cette semaine, est à vos yeux, vous venez de le dire, une seconde étape après la réforme dite Fillon et la loi du 4 mai 2004. Celle-ci avait laissé un goût plus qu'amer aux organisations syndicales car elle représentait la vision écornée d'une véritable réforme de la négociation sociale.

Aujourd'hui, à la veille de la fin de nos travaux parlementaires et de celle de la législature, vous présentez un projet de loi pour donner – dites-vous – un nouveau souffle à la démocratie sociale. Au passage, vous ne prenez pas beaucoup de risques dans la mesure où les projets de réforme du droit du travail – sauf surprise – ne seront pas légion.

C’est donc au prochain gouvernement qu’il reviendra de mettre en musique ces nouvelles règles du jeu. J’ai déjà eu l’occasion de le souligner, nous n’irons pas jusqu’à qualifier ce texte de fondateur et d’innovant, comme le fait le Gouvernement, nous considérons qu’il s’agit d’une étape importante, certes (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire)

M. Bernard Perrut, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales et plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Très bien !

M. Maxime Gremetz. Cela fait vingt ans que nous nous battons en ce sens, je ne vais donc pas dire qu’on recule lorsqu’on avance enfin ! Cette réforme est toutefois inaboutie. Le dialogue social a besoin d'être modernisé, redynamisé et rénové. Ce sont des objectifs sur lesquels la réforme de mai 2004 a échoué, comme ce gouvernement d'ailleurs. Depuis cinq ans, vous avez tout fait pour vous affranchir du dialogue social, avec comme témoin privilégié l'épisode pathétique du CPE pour vous et pour le pays. Le syndicalisme souffre et les accords collectifs ont été conclus dans un esprit négatif avec la prédominance de l'opposition et non de la démarche positive. Nous avons donc vécu des situations regrettables et graves où des organisations syndicales ont dû faire jouer leur droit d'opposition pour garantir le respect des droits des travailleurs et éviter, dans la mesure du possible, des reculs sociaux. Cela a également entraîné le recours récurrent au juge qui, de ce fait, est devenu de plus en plus l'arbitre du dialogue social, ce qui est fort regrettable. Cette réforme a également sacralisé l'accord dérogatoire et saboté le principe de faveur. Dans ce contexte, ce projet nous offre aujourd’hui l’opportunité d'engager enfin une véritable modernisation du dialogue social. Je dis « enfin », car cette attente est forte depuis de nombreuses années et le monde du travail est mûr pour y parvenir.

Toutes les organisations syndicales reconnaissent les limites actuelles de la négociation sociale. En juillet 2001, souvenons-nous : quatre confédérations syndicales – CFDT, FO, CGC, CFTC – et trois organisations patronales – MEDEF, UPA, CGPME – amorçaient un changement profond, avec les limites qu'il convenait de souligner, ce que nous avions d'ailleurs fait, dans le système en vigueur depuis la Libération. Dans une «position commune », les signataires affirmaient vouloir renforcer le dialogue social. Ils indiquaient alors, je le rappelle pour mémoire : « La volonté d'élargir les attributions conférées à la négociation collective et d'assurer son développement nécessite la définition d'un mode de conclusion des accords qui, sans remettre en cause la capacité de chaque organisation syndicale représentative d'engager l'ensemble des salariés, renforce la légitimité des accords et garantit l'équilibre de la négociation. »

M. Jean-Pierre Soisson. Utile rappel !

M. Maxime Gremetz. Cette exigence est toujours d'actualité. Cette réforme doit nous pousser à y parvenir. Ces encouragements sont d'ailleurs nourris par le rapport du Conseil économique et social adopté la semaine dernière, notamment avec les voix des représentants de votre majorité. Pour cela, je le répète, il faut avancer sur trois points : la représentativité, le principe de l'accord majoritaire en voix pour la validation des accords et, enfin, la remise en ordre de la hiérarchie des normes avec le respect de l'ordre public social.

Premier point : la France est le pays industrialisé où l’on compte le moins de personnes syndiquées.

M. Robert Lecou. Eh oui !

M. Maxime Gremetz. Ce taux a le plus fortement baissé au cours du dernier quart du XXe siècle, n’excédant guère 5 %. Le débat sur la représentativité syndicale n'est pas nouveau. Pierre Rosanvallon notait déjà en 1988 que «la faiblesse endémique du nombre d'adhérents du syndicalisme français et les équivoques engendrées par le fait du pluralisme se sont conjuguées pour rendre progressivement très confus les critères définissant la représentativité ». Nous sommes ainsi convaincus qu'il est nécessaire d'avancer sur cette question. Nous proposerons de lier l'actualisation de la représentativité à l'introduction de l'accord majoritaire au sens d'organisation syndicale représentant la majorité des salariés, principe que, je le rappelle, nous portons depuis 1982. Ce n’est donc pas d’aujourd’hui.

Il est, nous semble-t-il, nécessaire de dépoussiérer certaines données. Si les organisations syndicales sont les garantes des droits des salariés, à ce titre habilitées à négocier avec les représentants des employeurs, il serait opportun de se pencher, à échéances raisonnables et régulières, sur leur représentativité réelle. Ainsi, la négociation collective ne peut simplement avoir comme unique repère une décision administrative prise il y a quarante ans, comme c'est le cas à propos des cinq organisations syndicales qualifiées de « plus représentatives ».

Cette proposition a pour objectif de favoriser la coopération syndicale et de donner aux salariés une raison nouvelle de participer au choix de leurs représentants. M. Fillon reconnaissait d'ailleurs cet impératif. Son intervention en réponse à notre amendement lors de la séance du 16 décembre 2003 allait en ce sens : « Encore une fois, je pense que c'est une étape. Ce texte ne fait que mettre en mouvement une dynamique qui devra aboutir un jour ou l'autre à la mise en place de ces élections de représentativité. Je n'ai pas réussi cependant à trouver le minimum d'accord pour les introduire comme M. Gremetz le souhaite dans son amendement. » Les organisations syndicales y sont maintenant prêtes. Elles revendiquent cette réforme de la représentativité qui doit s'appuyer sur des instruments nouveaux et précis de mesure. Nous défendons donc l’idée d’organiser, le même jour et pour tous les salariés, des élections de représentativité. Pourquoi ? Quand on analyse la participation aux élections prud’homales, par exemple, on constate que moins d’un salarié sur deux y participe. Comment, dès lors, mesurer la réelle représentativité ? De plus, dans de nombreuses entreprises, les petites et moyennes en particulier, les conditions pour faciliter le vote ne sont pas réunies. L’organisation d’une journée nationale de vote permettrait de s’adresser à tous les salariés, de les mobiliser et de présenter grâce à des débats l’ensemble des organisations syndicales : leurs propositions et leur action… Ce serait une journée d’élections à l’image des journées d’élections citoyennes, politiques. Je ne dis pas que c’est la bonne solution, mais nous devons agir si nous voulons faire connaître les syndicats. Ne nous contentons pas de constater qu’il n’y a que 5 % de syndiqués ! Cela tient aussi à la positivité ou à la négativité des débats et des accords. Un salarié ne se syndiquera jamais s’il ne voit pas l’utilité concrète d’un syndicat, par exemple en matière de salaires et de conditions de travail. J'ai même cru voir qu'au niveau patronal, il y avait le même genre d'exigence. Il faudra en tenir compte. Comme quoi cette révision de la représentativité est vraiment une évidence qu’il faut mettre en pratique.

D'une façon générale, on ne peut plus se satisfaire du système actuel qui décourage toutes celles et tous ceux qui veulent pour notre pays une négociation collective vivante, au contenu plus riche, plus efficace, portée par des acteurs vraiment légitimes aux yeux des salariés et devant déboucher sur des accords eux aussi légitimes.

Cette dimension incontournable doit intégrer la réforme proposée aujourd’hui. Le Conseil économique et social en a accepté le principe dans son rapport. Monsieur le ministre, je l’ai dit cet après-midi en m’adressant au Premier ministre, nous devons avancer sérieusement sur ce sujet bien précis. Entendez l'appel historique lancé par les deux secrétaires généraux de la CFDT et de la CGT à l'occasion d'une initiative conjointe demandant que la réforme de la représentativité syndicale s'inscrive dans le projet de loi que nous examinons ! L’attente est grande et nous devons y répondre rapidement. La future loi doit prendre en compte le vote du CES. Vous pourriez accepter notre amendement ou tout au moins reprendre celui suggéré par les organisations syndicales, et qui a le même objectif. Ne remettez pas cette décision à demain. Pourquoi attendre un futur projet de loi qui ne sera pas examiné avant la fin de la législature ? Les deux grandes centrales de notre pays attendent cette réforme, le CES la recommande, les parlementaires de tous les bancs la soutiennent, le Premier ministre vient d'affirmer qu'il y était personnellement favorable. Qu'attend-on pour négocier ? J’ai réfléchi à ce problème, monsieur le ministre. D'ici à la lecture définitive du texte, vous avez largement le temps de procéder à des consultations permettant d’amender ce projet de loi. Le Sénat examinera ce projet au mois de janvier, puis nous nous en saisirons de nouveau. Vous pourriez alors présenter cette réforme, puisque le chemin serait alors largement débroussaillé. Dois-je vous rappeler que vous avez su agir vite sur d’autres sujets ?

C'est indéniable, la consolidation du dialogue social et sa modernisation obligent à réactualiser la loi du 11 février 1950 sur la négociation collective et à abroger l'arrêté du 31 mars 1966 qui fixe immuablement la liste des cinq confédérations bénéficiant d'une présomption «irréfragable » de représentativité, devenue, n'ayons pas peur de le dire, obsolète. Les orientations données par le rapport sur les nouveaux critères nous agréent et nous sommes prêts à les suivre. Cette réforme ne doit naturellement pas conduire à laisser accéder à la représentation des organisations non républicaines. Voyez à quoi je fais allusion. Nous devons nous en prémunir en retenant des critères adaptés et en prenant en compte la jurisprudence existante.

S’agissant du deuxième point, nous avons été les premiers à exiger que la validité des accords soit subordonnée à la signature d'une ou plusieurs organisations syndicales représentant la majorité des salariés. Les relations sociales, tout particulièrement les négociations entre les partenaires sociaux, méritent d'être actualisées au regard de cette double exigence : celle du développement de l'expression citoyenne dans l'entreprise, comme je viens de le souligner, et celle de sa reconnaissance à tous les niveaux de négociation. Aussi convient-il tout simplement d'adapter le code du travail aux réalités d'aujourd'hui. En effet, l'expression syndicale des salariés lors des élections professionnelles, pour qu'elle soit valorisée et encouragée, doit évidemment être accompagnée par la reconnaissance du principe majoritaire.

Réfléchissez-y, mes chers collègues, à quoi bon voter, donner son point de vue, exprimer ses préférences syndicales si le code du travail autorise une organisation syndicale minoritaire à passer outre aux choix majoritaires des salariés ? Il n’est pas acceptable qu’un accord signé par des partenaires sociaux minoritaires, voire ultra-minoritaires, puisse, par exemple, engager l’ensemble du monde du travail.

Il est proposé ici de favoriser une réelle démocratisation de la négociation collective, qui doit s’inspirer du principe majoritaire, ignoré par la loi du 4 mai 2004.

Nous avons déjà utilisé l’accord majoritaire. Lors de l’examen des lois Aubry sur la RTT, nous avons été les seuls à le proposer et sommes parvenus à introduire ce principe pour la conclusion des accords et le conditionnement des aides, et il n’y a pas eu de blocage. Rien n’interdit aujourd’hui de le généraliser.

D’ailleurs, le CES, encore une fois, avance sereinement sur ce sujet. Son rapport propose de mettre fin au système, unique en Europe, du droit d’opposition. Il suggère d’aller dans un premier temps vers la majorité d’engagement en fonction des syndicats disposant d’une majorité relative. Je comprends ce compromis, qui constitue déjà une prise de conscience incontestable de notre proposition. Le Gouvernement ne peut pas y rester insensible et s’en tenir au projet de réforme qu’il nous présente aujourd’hui, mais je reste persuadé qu’il faut aller plus loin dès maintenant. Pourquoi rester au milieu du gué ? Nous avons l’expérience des accords majoritaires. Certaines entreprises les pratiquent déjà, le groupe Thales par exemple.

La semaine dernière, dans la presse, son DRH expliquait que, dans le souci de voir reconnaître aux accords de groupe ou de société une forte légitimité, la direction s’engageait à ne conclure que des accords majoritaires, c’est-à-dire signé par des syndicats représentants au moins 50 % des salariés. Même si cette procédure n’est pas encore généralisée, un pas est franchi.

Une nouvelle fois, de façon générale, que ce soit au niveau d’une entreprise, d’une branche professionnelle ou de la nation, une négociation portant sur des conditions d’emploi, de rémunération, de travail, aux conséquences importantes sur les droits sociaux et économiques des salariés, ne doit plus pouvoir se conclure par un accord signé par des organisations ne représentant qu’une minorité des salariés concernés. On ne peut plus se satisfaire de ce qu’a mis en place la loi du 4 mai 2004 avec l’exercice d’un droit d’opposition qui, s’il est exercé par des organisations représentant une majorité de salariés, invalide l’accord. Les syndicats qui y recourent sont conduits à s’opposer à des dispositions qu’ils ont éventuellement contribué à obtenir dans la négociation, sans parvenir à faire retirer celles qui leur apparaissent inacceptables. Cela les oblige à s’opposer non seulement à la direction, mais aussi aux autres syndicats, ce qui alimente dangereusement la division. C’est pourquoi nous ne pouvons pas avoir un syndicalisme plus constructif. Les syndicats disent toujours non, peut-on entendre, mais on les y oblige, même s’il y a des dispositions positives qu’ils voudraient soutenir. Pour s’opposer à quelque chose de négatif dans un ensemble qui peut être positif, il faut utiliser son droit d’opposition. C’est tout à fait regrettable.

Cette situation permet au patronat de conduire les négociations sans se soucier de répondre aux attentes de la majorité des salariés concernés, voire de faire passer ses propres revendications sans avoir à lâcher de véritables contreparties. Le lourd déficit de la démocratie sociale dans notre pays est un indéniable facteur de régression sociale, expliquent avec raison certains responsables syndicaux.

L’exemple du bras de fer qui a opposé la CGT à Perrier, sur le site de Vergèze, dans le Gard, en septembre 2004, l’atteste. Un accord prévoyant 1 047 départs anticipés à cinquante-cinq ans d’ici à 2007, dont 356 à Vergèze, sur un total de 4 100 emplois chez Nestlé Waters France, avait été bloqué par la CGT, qui avait alors fait usage du droit d’opposition accordé par la loi Fillon à une organisation syndicale majoritaire. Ce veto syndical avait finalement été levé face à la menace agitée par Nestlé d’une cession de l’activité de Perrier ainsi que de la filialisation de tous ses sites français et au chantage à l’emploi qui en découlait. La filiale française de la branche eau du géant agroalimentaire suisse avait tout au plus accepté de reprendre les discussions sur le maintien des activités de Perrier. La CGT avait été obligée d’utiliser le droit d’opposition, même si cette situation a entraîné un vide juridique empêchant toute négociation. Vous voyez bien que le dispositif actuel de la primauté du droit d’opposition n’est pas satisfaisant.

Enfin, il faut impérativement préserver le principe de faveur. C’est un passage incontournable pour donner de la crédibilité au dialogue social dans notre pays. Pour cela, il faut une nouvelle fois revenir sur les principes de la loi du 4 mai 2004.

L’actuelle articulation, qui a pour objet et pour effet de généraliser l’accord dérogatoire, est à la fois simple et vicieuse. Est posé le principe selon lequel l’accord ne peut comporter de clauses défavorables aux salariés, par rapport à l’accord de niveau supérieur, dans les domaines du salaire minimum, des classifications et de la protection complémentaire. Dans tous les autres domaines, les accords d’entreprise pourront prévoir des clauses défavorables aux salariés par rapport aux garanties négociées dans un accord collectif de niveau supérieur.

Or tout accord, par principe, doit apporter du mieux. Ce projet de loi doit être l’occasion de remettre les choses en ordre. Vous le voyez, il faut aller beaucoup plus loin dans la réforme du dialogue social.

Comme l’écrivait le professeur Lyon-Caen, citation que j’avais déjà mentionnée dans mon intervention sur la réforme Fillon et qui s’adapte parfaitement au présent projet de loi, ce texte est « pertinent dans son sujet et impertinent dans son état ». M. Lyon-Caen n’est pas contesté et son apport au droit du travail a été considérable.

À l’occasion de l’examen des articles, nous serons de nouveau porteurs de propositions que vous connaissez et dont nous soutenons certaines depuis vingt-cinq ans. Comme quoi il ne faut jamais cesser d’y croire ! Nous avons assez perdu de temps. Elles sont, peu ou prou, reconnues comme indispensables par les partenaires sociaux.

Depuis 1982, nous portons l’idée du principe de l’accord majoritaire, que nous avions réussi à intégrer pour la première fois dans la législation à l’occasion de la réforme du temps de travail, il y a plus de six ans. Nous avons été parmi les premiers à exiger une révision des critères de la représentativité. Toutes ces propositions sont d’actualité et dessinent les contours d’un dialogue social moderne et progressiste.

Je disais en commission qu’une réforme sur un tel sujet mériterait que toute la représentation nationale se retrouve. Je caressais l’espoir que nous pourrions aboutir à une réforme totale et conforme à l’aspiration des organisations syndicales et des salariés qu’elles représentent. Ne me laissez pas croire plus longtemps que ce choix est prématuré pour le Gouvernement. Ce texte en l’état souffre de trop d’insuffisances pour que l’on puisse s’en satisfaire. On ne peut pas imaginer en rester là et renoncer à réviser la loi de 2004 afin d’intégrer dans la législation les trois piliers de la réforme complète que je viens de décrire.

Je ferai donc mien le vœu exprimé par le CES dans son avis : « Il ne s’agit pas dans cet avis de renvoyer à des réformes hypothétiques, mais bien de retenir des priorités. » Nous les connaissons, nous les proposons, nous les avons formalisées dans des amendements. Adoptons-les et donnons à ce projet l’ambition qui doit être la sienne.

Pour ces raisons, il y a lieu de retourner en commission, non parce que la commission a mal travaillé, mais afin d’approfondir notre réflexion et de proposer ensemble au Gouvernement des améliorations sensibles pour une réforme ambitieuse, notamment à la lumière des conclusions du rapport du CES qui a été remis au Premier ministre lundi et porté à la connaissance des parlementaires seulement hier.

M. Bernard Perrut, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. C’est vrai !

M. Maxime Gremetz. Il nous faut prendre le temps de l’examiner, d’en discuter, pour envisager les modalités d’introduction dans le projet de loi de ses principales recommandations.

Il faut également intégrer un fait nouveau : l’amendement proposé hier par les responsables syndicaux de la CGT et de la CFDT, qu’ils ont transmis à chacun de nos présidents de groupe. Pour notre part, nous sommes prêts à le défendre. Encore faut-il que la commission l’examine. En dépit des dépêches que j’ai pu lire cet après midi, il n’a pas été débattu dans la mesure où le délai de dépôt des amendements était forclos. Je demande donc au président de la commission, M. Dubernard, éminent président, et au Gouvernement…

M. Michel Piron. Éminent ministre !

M. Maxime Gremetz. …de lever la forclusion pour que nous puissions réellement en discuter.

Vous le voyez, mes chers collègues, les raisons sont nombreuses pour renvoyer le texte en commission, non pour toucher à ce qui est bien mais pour parfaire la réforme.

M. Michel Piron. Pas mal !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. J’ai particulièrement apprécié la tenue de vos propos, monsieur Gremetz. Vous avez fait un discours très intéressant sur la manière de définir le dialogue social, de le conduire et de le faire avancer dans notre pays, mais de là à retourner en commission…

Au cours des deux réunions que nous avons tenues sur ce projet de loi, cinquante-six amendements ont été discutés et six ont été adoptés à l’initiative du rapporteur sur les deux articles que comporte le projet.

J’ai indiqué ce que je pensais du rapport du Conseil économique et social. C’est un travail magnifique, j’ai eu l’occasion de le dire à M. Dermagne. C’est formidable qu’il soit remis au moment où nous discutons de ce projet. C’est une source de réflexion qui va nous apporter beaucoup.

L’amendement dont vous parlez n’a pas été examiné en commission. Il est tombé brutalement, parce que M. Chérèque et M. Thibault ont pensé que c’était nécessaire. Ils l’ont même publié : on peut le lire dans les journaux. Moi, je pense qu’il ne faut jamais agir sous la pression. Il faut du temps dans ce domaine si l’on veut aboutir.

M. Gaëtan Gorce. Vous avez eu cinq ans !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Je tiens pour ma part à souligner l’esprit qui a animé les réunions de notre commission. L’audition du ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes a permis de véritables échanges au cours desquels ont pu être posées toutes les questions suscitées par une analyse détaillée des dispositions proposées. L’examen des amendements a été également l’occasion de débats approfondis. Enfin, il faut relever un signe qui ne trompe pas : un certain nombre des amendements proposés par le rapporteur ont été cosignés par les commissaires membres de l’opposition, un amendement ayant même été adopté à l’unanimité. Cela atteste l’esprit constructif qui a présidé à nos travaux et dont je me félicite. J’en remercie l’ensemble des commissaires. Sur ce thème, il est assez important et significatif que nous nous rapprochions : cela prouve que nous ne sommes pas si éloignés que certains peuvent le prétendre.

Pour l’ensemble de ces raisons, il me semble particulièrement peu opportun de provoquer une nouvelle réunion de la commission, et c’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à rejeter la motion de renvoi.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Soisson, pour une explication de vote.

M. Jean-Pierre Soisson. M. Gremetz vient de manifester une telle volonté de débattre de ce texte et de présenter ses propositions qu’il nous sera certainement reconnaissant de rejeter sa motion de renvoi en commission. (Sourires.)

M. le président. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission n’est pas adoptée.)

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz.

M. Maxime Gremetz. Monsieur le président, je demande une suspension de séance.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à minuit, est reprise le mercredi 6 décembre 2006 à zéro heure dix.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant les articles du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

Nous commençons par une série d’amendements portant articles additionnels avant l’article 1er.

Avant l’article 1er

M. le président. Les amendements nos  30 rectifié, 13 et 45 peuvent être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Alain Vidalies, pour soutenir l’amendement n° 30 rectifié.

M. Alain Vidalies. Cet amendement dispose : « La représentativité au niveau national des organisations syndicales légalement constituées est appréciée en retenant les résultats d’une élection de représentativité organisée tous les cinq ans dans l’ensemble des entreprises de chacune des branches professionnelles et permettant à tous les salariés d’y participer. »

Nous touchons là à la question de fond qui nous divise et qui porte à la fois sur le principe de la représentativité établie par l’élection et surtout sur l’opportunité de l’introduire dans le présent projet de loi.

Je n’ai entendu personne défendre le maintien du droit actuel, mais je n’ai pas non plus entendu le Gouvernement dire expressément que la représentativité déterminée par les suffrages des salariés – ce qui est aujourd’hui, à quelques variantes près, la position de presque toutes les organisations syndicales, et surtout celle du Conseil économique et social – pourrait s’appliquer.

Vous nous dites à la fois, monsieur le ministre, que le moment n’est pas venu de réformer et qu’il faut engager d’autres réflexions, mais vous ne trouvez pas d’argument pour justifier le maintien du droit positif. Vous nous présentez un projet de loi sur le dialogue social s’appuyant sur les conclusions du rapport Chertier, qui prévoit un temps réservé à la concertation, mais vous renvoyez – jusqu’à quand ? – la question de la représentativité et éventuellement celle de l’accord majoritaire, pourtant traitées par le rapport Hadas-Lebel.

C’est le Gouvernement qui a organisé cette situation. Pourquoi ces deux rapports ? Pourquoi, dès le départ, faire le choix de scinder ces deux questions alors que chacun sait qu’elles sont inséparables et qu’il est impossible d’arriver à une solution en matière de rénovation de la démocratie sociale sans traiter à la fois du temps réservé au dialogue social et de la validité des accords, donc de la représentativité des organisations syndicales ? Pourquoi les scinder, sinon parce que votre stratégie est de traîner les pieds ?

Monsieur le ministre, le 31 octobre, dans une interview accordée à La Tribune, à la question : « N’aurait-il pas été préférable de traiter au préalable le problème de la représentativité des organisations syndicales ? », vous répondiez, s’agissant de votre projet de loi : « Ce texte s’adaptera spontanément aux évolutions de la représentativité. »

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Bien sûr !

M. Alain Vidalies. « Le Conseil économique et social doit formuler fin novembre des pistes de réforme sur la représentativité syndicale. Elles seront prises en compte par le Gouvernement. »

Aujourd’hui, vous nous dites que vous le ferez plus tard. De son côté, ce matin, le Premier ministre s’est déclaré d’accord avec les propositions du Conseil économique et social sur la question de la représentativité et a parlé d’un avant-projet. On se demande alors quel débat subsiste ! Nous sommes début décembre ; nos travaux parlementaires devraient se terminer aux alentours du 20 février. Ce projet aboutira-t-il avant la fin de la législature ? L’affaire traîne depuis des années puisque nous avons déjà eu ce débat en 2004 lors l’examen de la loi Fillon. Nous avons maintenant un avis unanime du Conseil économique et social. Nous serions très heureux, après l’engagement pris ce matin par le Premier ministre, d’entendre le Gouvernement nous donner un calendrier prévisionnel, d’abord pour l’achèvement de ce texte, puis sur la manière dont il compte faire la jonction avec le second texte.

Nous nous interrogeons d’autant plus sur la sincérité d’une telle proposition qu’elle est formulée en fin de législature plutôt comme un regret que comme un projet, ainsi que nous l’avons déjà dit. Quoi qu’il en soit, vous devriez être en mesure d’apporter une réponse, au moins de principe, à la question de la représentativité.

Je pressens que vous m’opposerez l’argument que les organisations syndicales, si elles sont d’accord sur le principe, ne le sont pas quant aux modalités de calcul de la représentativité. En quoi cela doit-il vous empêcher d'inscrire le principe dans la loi ? Nul besoin pour cela d’un avant-projet, qui se limitera lui-même à poser le principe de l’élection de représentativité en laissant aux partenaires sociaux le soin d’en déterminer les modalités. On peut voter dès aujourd’hui une telle disposition, et il est absurde de nous faire espérer un autre projet de loi. Même si vous refusez nos amendements, le souci de cohérence devrait vous conduire à accepter d’inscrire dans la loi un principe d’ores et déjà accepté par tous. Quant aux modalités, vous aurez, en tant que Gouvernement et en tant que majorité, toute latitude pour les définir. Vous ne pouvez pas nous dire que vous êtes d’accord sur le principe, alors que depuis des années vous en refusez systématiquement toute traduction législative.

Vous avez prétendu démontrer tout à l’heure, de façon un peu étonnante, monsieur le ministre, que ce gouvernement était à l’écoute et que le projet de loi que nous examinons était issu de la mobilisation très importante qui avait sanctionné sa gestion des rapports sociaux. Puisque vous aimez à citer de grands auteurs, vous auriez pu rappeler ces mots de Malraux, selon lesquels il faut transformer l’expérience en conscience : je souhaite que ces événements permettent au Gouvernement de prendre conscience qu’on ne doit pas s’arrêter au milieu du gué. Il nous faut aujourd’hui une réponse au moins sur le principe de la définition de la représentativité des organisations syndicales par le vote des salariés.

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz, pour défendre l’amendement n° 13.

M. Maxime Gremetz. Je me suis déjà longuement exprimé sur la nécessité d’avancer dans la réforme de la représentativité syndicale. C’est une volonté partagée par les secrétaires généraux de deux grandes organisations, qui ont lancé un appel commun en faveur de cette disposition, ce qui, à ma connaissance, est une première. Ils ont ainsi exprimé leur volonté de défendre non pas des intérêts de boutique, mais un principe général. On ne pourra pas sortir du régime fixé par l’arrêté de 1966 sans adopter le principe d’élections professionnelles de représentativité. Si la recommandation sérieuse, documentée et solidement argumentée du Conseil économique et social reste sans effet et ne fait l’objet d’aucune traduction législative, nous allons vers une situation de blocage.

Je veux bien qu’on « donne du temps au temps », mais il faut savoir, quand les conditions sont réunies, imprimer l’impulsion décisive qui permet au principe de se traduire dans les faits. C’est pourquoi, si j’approuve la démarche suivie aujourd’hui, je vous mets sincèrement en garde : faute d’une traduction concrète, on risque d’aller au-devant de graves déceptions, et surtout de prendre du retard.

En ce qui concerne les modalités de mise en œuvre du principe, les organisations syndicales explorent déjà plusieurs pistes, notamment pour déterminer quelles élections serviront de base au calcul de représentativité. Certains proposent les prochaines élections prud’homales. Je ne suis pas favorable à un tel choix, qui serait un dévoiement de la fonction de ces élections. D’autres proposent de rétablir l’élection pour le choix des administrateurs des caisses de sécurité sociale. De telles élections constitueraient selon nous la meilleure mesure de la représentativité puisque tous les actifs pourraient voter, même les demandeurs d’emploi, qui ne peuvent pas participer aux élections professionnelles. Rétablir de telles élections serait faire d’une pierre deux coups, puisque cela permettrait de rendre à la sécurité sociale son caractère démocratique, mis à mal par l’excès de centralisme, ce qui n’est pas rien. Surtout, on couvrirait ainsi tout le champ de la représentativité.

Voilà pourquoi je pense que le Gouvernement devrait saisir l’occasion que lui offre l’accord de deux organisations syndicales aussi importantes que la CGT et la CFDT, qui partagent la volonté de voir ce principe inscrit dans la loi. On peut le faire sans bousculer quoi que ce soit. Qu’on ne perde plus de temps et que le Gouvernement saisisse cette chance !

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l’amendement n° 45.

Mme Martine Billard. Notre amendement vise également à asseoir la représentativité syndicale sur l’élection, afin que ce projet, sous prétexte de permettre une avancée du dialogue social, ne contribue pas au contraire à figer la situation.

Monsieur le ministre, vous avez précisé quelle forme devrait prendre la concertation avec les partenaires sociaux devant la Commission nationale de la négociation collective : « Il sera demandé aux organisations syndicales et professionnelles les plus représentatives au niveau national si elles envisagent de négocier un accord interprofessionnel. Concrètement, cette demande sera adressée aux cinq confédérations syndicales reconnues représentatives. » Il y a donc bien un risque de rester dans la situation figée par le fameux arrêté de 1966, alors que tout le monde condamne cet immobilisme.

Quelle est la meilleure solution pour mesurer la représentativité syndicale ? Cette question a fait l’objet de nombreux débats – d’une « maturation », pour reprendre votre mot. On ne peut pas se contenter de modifier à la marge l’arrêté de 1966, en faisant bénéficier de la présomption de représentativité d’autres organisations syndicales. L’architecture imaginée par la loi Fillon de 2004 s’y oppose. Surtout, il est aujourd’hui inimaginable de laisser au Gouvernement le soin de décider à la place des salariés quelles organisations syndicales doivent les représenter.

Je ferai d’autant plus preuve d’humilité que les Verts ont évolué sur cette question, et les propositions qu’ils font aujourd’hui ne sont pas forcément celles qu’ils auraient formulées il y a un an, puisque nous étions alors favorables à la formule des élections prud’homales, avant d’en mesurer les limites. Selon nous, deux points fondamentaux doivent être pris en considération.

Dans l’entreprise, la représentativité peut être mesurée selon les critères actuels du fameux article de représentativité. Reste à la mesurer au niveau des branches, ce qui est indispensable pour déterminer les organisations habilitées à signer les accords de branche, et enfin au niveau national.

Deuxièmement, étant donné la structure du salariat français, si on retient la solution des élections professionnelles, c’est-à-dire l’élection des délégués du personnel ou des représentants des salariés au comité d’entreprise, la négociation collective continuera à privilégier les salariés des grandes ou des moyennes entreprises au détriment des salariés des PME et des TPE, qui seront laissés de côté et dont la spécificité ne sera toujours pas suffisamment prise en compte. Une démarche de modernisation du dialogue social doit résoudre ce problème.

La prise en compte de ces deux types de contrainte conduit à la seule solution possible pour calculer la représentativité : organiser des élections de branche, qui devront avoir lieu au même moment dans toutes les entreprises, et dont la totalisation permettra de déterminer la représentativité au niveau national. La périodicité de ces consultations électorales doit favoriser la stabilité de la représentation syndicale : on peut imaginer de l’aligner sur celle des élections prud’homales, c’est-à-dire tous les cinq ans.

Il restera à définir quel syndicat aura le droit de se présenter à ces élections : il ne faudrait pas que les candidatures nationales ne représentent pas les syndicats qui existent réellement au niveau des entreprises.

La solution proposée par cet amendement concilie donc l’ensemble de ces conditions, en fixant une périodicité de cinq ans et en renvoyant à un décret la définition des conditions de présentation aux élections. Ce décret pourra faire l’objet d’une négociation entre l’ensemble des partenaires sociaux, dans le cadre fixé par le présent texte.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur ces trois amendements ?

M. Bernard Perrut, rapporteur. Nous sommes, mes chers collègues, aussi attentifs que vous aux recommandations du Conseil économique et social et nous partageons son point de vue quant à la nécessité de réformer le système actuel. Les propositions contenues dans les amendements que vous avez déposés sont autant de contributions au débat, qu’il s’agisse de la mise en œuvre d’élections professionnelles spécifiques pour répondre à la question de la représentativité syndicale ; des règles de validité des accords collectifs de travail, fondées sur le principe majoritaire à tous les niveaux de la négociation ; des règles particulières de conclusion des accords dans les plus petites entreprises ; ou encore de la remise en cause des principes établis par la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

Vos propositions ne sont pas les seules sur des sujets aussi discutés. Le présent projet de loi, vous le savez, ne prétend pas à l’exhaustivité : il n’a pas vocation à traiter toutes les questions qui relèvent du dialogue social. Ce n'est d’ailleurs pas un hasard si deux rapports distincts ont été demandés à M. Dominique-Jean Chertier sur la modernisation du dialogue social, et à M. Raphaël Hadas-Lebel sur la question de la représentativité syndicale.

Vous savez également que l'avis du CES vient de faire l'objet d'un vote et d’être remis officiellement au Premier ministre. Cette étape, qui s'achève tout juste, étant désormais passée, il n'est pas envisageable que des réformes aussi importantes, aux enjeux aussi considérables, puissent intervenir sans une concertation préalable avec les partenaires sociaux. Vous n'ignorez pas les tensions particulièrement vives auxquelles les débats ont donné lieu.

Pour reprendre, monsieur le ministre, les mots que vous avez prononcés devant la Commission nationale de la négociation collective le 6 novembre dernier, « nous serons d'autant plus armés pour aborder les questions délicates du rapport Hadas-Lebel que le socle des rapports entre pouvoirs publics et partenaires sociaux aura été posé par le texte qui vous est aujourd'hui soumis ».

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Premier ministre a annoncé ce matin même, lors de la remise de l'avis du CES, qu'il demandait à Jean-Louis Borloo et à vous-même, monsieur Larcher, de travailler, avec l'ensemble des organisations syndicales et professionnelles, à régler les questions qui restent ouvertes. Le critère de l'élection doit-il être exclusif ou couplé avec d'autres critères ? Sur quelles élections fonder la représentativité ? Quel seuil faut-il retenir ? Quelle organisation et quel financement ? Ces interrogations majeures doivent être approfondies et supposent que soient encore rapprochés les points de vue.

À propos de tous ces amendements, qui tendent à établir une élection de représentativité en se fondant plus ou moins directement sur l’avis du Conseil économique et social, j’ajoute que s’il semble effectivement qu'un consensus commence à se dégager sur la nécessité de réformer le système actuel, les modalités sont encore largement en discussion. C’est le cas de la périodicité de l'élection, pour laquelle le CES envisage une hypothèse de cinq ans, mais seulement à titre d’exemple.

Le CES évoque par ailleurs la possibilité de charger une instance indépendante d’apprécier la situation des organisations syndicales à l'aune des résultats issus de l’élection de représentativité et qui déciderait ensuite de la représentativité nationale. C’est là aussi une solution à envisager.

Le CES précise aussi que l’élection pourrait n’être qu’un critère parmi d’autres et insiste sur la nécessité de réviser les critères permettant de faire acte de candidature et sur celle de mettre en œuvre les nouvelles technologies pour l’organisation du scrutin.

La question, vous le voyez, est complexe et nécessite, comme cela a été évoqué en commission, la mise en œuvre d’une véritable procédure de concertation. Le travail commun réalisé par le Gouvernement et les partenaires sociaux, tel qu’il a été annoncé par le Premier ministre, me semble donc aller dans le bon sens.

M. le président. Sur le vote de l’amendement n° 13, je suis saisi par le groupe des député-e-s communistes et républicains d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Dans son avis, le Conseil économique et social pose des principes et ne règle pas les conditions d’application. On lit ainsi, à la page 14 de cet avis, qu’« afin d’installer la légitimité des organisations syndicales dans la durée, il importe que les consultations permettant d’asseoir la représentativité des organisations interviennent à des intervalles de temps suffisamment longs ». Et plus loin : « Pour notre assemblée, c’est sur ces bases que devraient être définis le ou les scrutins permettant de mesurer la représentativité des organisations. Il conviendrait également de préciser, à cette occasion, le seuil de représentativité à retenir pour permettre de sélectionner sans exclure (un seuil égal ou supérieur à 5 % pourrait être retenu), et en tenant compte de la spécificité reconnue à la CFE-CGC pour la représentation de l’encadrement. »

Je prends le temps de lire ces lignes, car nous avons plusieurs sujets à régler. Monsieur Vidalies, la loi ne peut se contenter de poser un principe : le législateur doit épuiser sa compétence en la matière, et donc préciser les règles.

Les élections seront-elles le seul critère de représentativité, ou doit-on prendre en compte d’autres critères cumulés ? Quant au critère de respect des valeurs républicaines, comment s’applique-t-il ? À quel niveau les élections auront-elles lieu ? Quelles seront les candidatures ? Quels seront les financements ? Qu’adviendra-t-il des contestations ?

Madame Billard, vous avez évoqué les notions de seuil et de critères en évoquant des questions qui ne sont pas éclaircies aujourd’hui – ce qui est naturel dans la vie du Conseil économique et social.

Voilà pourquoi, monsieur Gremetz, j’en reviens à une formule qui distingue des étapes. Le Premier ministre nous a demandé, lors de la remise de l’avis du CES, de travailler avec l’ensemble des organisations sociales, syndicales et professionnelles à un projet concret pour régler les questions en suspens. Cela s’impose d’autant plus que les membres du CES qui n’ont pas voté l’avis proposent eux aussi des ouvertures. Sans doute en effet certains membres auraient-ils exprimé un vote plus positif si ces questions avaient été éclaircies, et notamment celle des seuils. De fait, au cours des débats, et notamment à la faveur de certains amendements, la valeur proposée pour ces seuils est passée de 5 % à 15 %.

Nous allons entamer dans les semaines qui viennent des consultations très larges avec les partenaires sociaux. Si, en effet, ce texte a été préparé avec les « 5 + 3 », le Gouvernement a aussi consulté d’autres partenaires sociaux - représentants des entreprises et des entrepreneurs, des professions libérales ou des agriculteurs, mais aussi d’autres organisations syndicales non reconnues comme représentatives au niveau interprofessionnel au titre du décret de 1966. J’ai, bien évidemment, reçu l’UNSA, la FSU, et G10 Solidaires pour aborder ces sujets avec eux. Voilà l’état d’esprit qui sera le nôtre dans la poursuite de ce débat.

Avis défavorable aux trois amendements.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Soisson.

M. Jean-Pierre Soisson. M. Vidalies, M. Gremetz et Mme Billard ont une lecture différente de la proposition d’amendement des secrétaires généraux de la CGT et de la CFDT. Les propositions de modification des règles diffèrent elles aussi entre le Parti socialiste, le Parti communiste et Mme Billard. Ces différences de lecture appellent un complément. Le projet n’est en effet qu’un point de départ : la mission confiée au Gouvernement de négocier une meilleure représentativité syndicale fait l’objet, dans son principe, d’un accord profond au sein de l’UMP.

Je tiens aussi à souligner que si l’avis du Conseil économique et social a été adopté par les deux syndicats que vous avez cités, il ne faut pas oublier que d’autres n’ont pas voté l’avis d’ensemble. On ne peut passer par pertes et profits Force ouvrière, la CFTC, la Confédération générale des cadres et les organisations patronales ! Vous donnez tout, ce soir, à la CGT, et selon des modalités différentes d’un groupe à l’autre !

Nous recherchons une meilleure représentativité syndicale, et voulons le faire selon un programme que le Gouvernement va définir. Nous ne voterons pas n’importe quoi dans l’urgence !

M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. Nous convenons tous qu’il est temps de réformer cette présomption irréfragable de représentativité des cinq syndicats de salariés décrits dans l’arrêté de 1966. Le Conseil économique et social a rendu dans ce sens un avis qu’il convient de prendre en considération, et le résultat d’élections professionnelles peut être un critère à prendre en compte.

Néanmoins, plusieurs éléments me conduisent à ne pas donner crédit à ces trois amendements. D’abord, les résultats d’élections ne sont pas le seul critère à retenir. Il importe que les syndicats représentatifs soient harmonieusement répartis sur le plan géographique. De fait, un certain « aménagement du territoire » des représentants syndicaux s’impose, car il ne serait pas très judicieux que des représentants syndicaux soient appelés à négocier des accords sur des territoires qu’ils ne connaissent pas bien.

En deuxième lieu, les syndicats doivent aussi disposer d’effectifs suffisants. Il ne suffit pas, en effet, de dire qu’on va négocier des accords : encore faut-il avoir dans les entreprises des gens pour le faire.

En troisième lieu, le texte de la position commune du 16 juillet 2001, signé notamment par la CFDT, précise bien que cette représentation collective doit se faire d’abord par branche.

Face à ces arguments, il me semble inopportun de voter de tels amendements, qui me rappellent d’ailleurs un précédent récent : parce qu’elle était majoritaire à l’Assemblée nationale, l’UMP a estimé que le CPE était une bonne idée et l’a donc imposé par amendement contre l’avis de tous les autres groupes. Nous nous trouvons ici dans un cas un peu semblable : la CGT et la CFDT, qui s’estiment majoritaires, viennent de déposer un amendement contre l’avis de tous les autres syndicats. Reste à savoir si l’ensemble des salariés est d’accord sur ce genre de dispositions.

Je propose, quant à moi, un autre amendement, qui sera examiné plus tard, visant à ce que le Gouvernement fasse, comme cela a d’ailleurs été le cas pour les consultations autour de ce projet de loi sur le dialogue social, des propositions aux partenaires sociaux. Ceux-ci, après y avoir réfléchi, nous donneront leur avis sous forme de consensus, de sorte que les nouvelles règles de représentativité prennent en compte à la fois les différents critères que je viens d’évoquer et l’émergence de nouvelles organisations, comme l’UNSA ou d’autres, dans le paysage syndical.

Le groupe UDF ne votera donc pas ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. Nous avons tendance, dans ce débat, à mélanger l’approche de fond et la question d’opportunité.

Le problème de fond qui nous est posé est le suivant : faut-il modifier les règles de représentativité ? Je souhaiterais d’ailleurs que le Gouvernement nous dise si, comme le Premier ministre – qui s’est exprimé à titre personnel –, il est favorable à l’idée qu’une refondation de ces règles doit se faire sur la base de l’élection. Ce principe a été posé par l’avis du Conseil économique et social.

Le problème de fond mérite d’être examiné complètement, compte tenu du nouveau contexte dans lequel se déroulent aujourd’hui la négociation et le dialogue social. Il me semble d’ailleurs que ce point est rappelé dans l’avis.

Pendant des décennies, l’idée qu’un accord applicable à l’ensemble des salariés puisse n’être signé que par une minorité d’organisations représentant une minorité de salariés – pour autant qu’on puisse le mesurer – ne posait pas véritablement de problème, puisqu’il s’agissait de partager des avantages et des bénéfices. Depuis une vingtaine d’années, le contexte a radicalement changé. La négociation porte désormais sur des dérogations aux avantages existants ou conduit à envisager des réformes dont le caractère positif ou négatif ne se mesure pas en claquant des doigts mais mérite d’être apprécié.

La réforme est donc devenue plus difficile et fait entrer en ligne de compte des éléments beaucoup plus compliqués à peser dans la balance de la justice, du progrès, de la solidarité ou de l’efficacité. Il est dès lors nécessaire de poser de nouvelles règles de représentativité pour que, précisément, l’implication des salariés dans ces réformes soit incontestable. Si nous sommes de plus en plus nombreux aujourd’hui à vouloir modifier ces règles, c’est pour redonner au dialogue social un élan, une dynamique et une légitimité.

Pour ce qui est de l’opportunité, vous nous dites d’abord que, puisque ce texte de loi organise le dialogue social, il est une bonne occasion de débattre de la représentativité. Soit. Mais quand le faites-vous ? Et comment ? Qu’un gouvernement en fin de législature et qui n’a plus devant lui que deux mois à peine de débats parlementaires nous dise que nous n’en sommes qu’à la première étape et que nous verrons la seconde un peu plus tard, revient à nous demander de signer sur l’avenir un chèque sans provision. Vous n’avez pas les moyens politiques de vous engager au-delà du texte que vous nous présentez aujourd’hui.

Vous nous dites aussi à propos d’opportunité – M. Soisson en tête – que l’amendement proposé ferait droit aux revendications d’une organisation professionnelle au détriment des autres. Or ce n’est pas une seule organisation syndicale qui réclame cette modification des règles de représentativité, mais au moins deux, puisque la CFDT s’est associée à cette demande. Cette entente, cette déclaration commune à la CFDT et à la CGT est, dans un paysage syndical marqué par les événements que nous avons connus, une donnée importante, qui doit faire réfléchir tout gouvernement et tout responsable politique. En outre, d’autres organisations, et non des moindres, qui ne sont pas représentatives selon les règles d’aujourd’hui, sont également favorables à cette évolution. Nous ne sommes donc pas dans un rapport qui consisterait à opposer telle organisation à telle autre.

Enfin, toujours à propos de l’opportunité, je rappelle que le problème a été posé dans les mêmes termes au Conseil économique et social, où certains jugeaient qu’il ne convenait pas de voter sur un tel sujet et qu’un consensus devait se dégager. Le consensus était cependant impossible, et cela pour des raisons souvent différentes, une fois encore exactement semblables à celles que vous avancez dans cet hémicycle. Certains n’ont pas voté l’avis parce qu’ils ne veulent pas de l’accord majoritaire, d’autres parce qu’ils désapprouvent les règles de représentativité proposées, d’autres encore parce qu’ils sont en désaccord sur la mesure de la représentativité ou le type d’élection. Vient un moment où il faut bien trancher si l’on veut avancer. Le Conseil économique et social s’est donc résolu au vote pour vérifier s’il y avait en son sein une majorité pour cette réforme.

C’est aujourd’hui notre responsabilité politique de procéder de la même manière, en rappelant qu’un principe a été posé. Ce principe, l’acceptons-nous ou le refusons-nous ? Telle est en effet la question que nous soulevons avec ces amendements. Si vous acceptez de poser le principe et de considérer que les modalités d’application seront définies ultérieurement par la négociation, les amendements proposés permettront de répondre à cette question.

Oui, nous validons ce principe, parce qu’il faut que le changement s’amorce. Oui, nous respectons la négociation et les partenaires sociaux, y compris ceux qui ont des réserves, parce que nous renvoyons à la négociation.

Vous nous dites, monsieur le ministre, que nous ne pouvons pas aujourd’hui poser simplement le principe sans fixer les modalités. Or l’article 34 de la Constitution habilite le Parlement à fixer les principes fondamentaux, notamment du droit syndical. Je serais curieux de savoir quelles sont les dispositions qui empêchent le Parlement de poser aujourd’hui par la loi le principe de détermination de la représentativité, en renvoyant à une négociation ultérieure la définition des modalités. Votre argument ne me semble donc pas recevable.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Si nous avons ce débat aujourd’hui, ce n’est pas en raison du courrier commun adressé par deux organisations syndicales qui, tout de même, ne sont pas les moindres. Je ferai remarquer à M. Soisson que nos amendements ont été déposés lundi soir, c’est-à-dire avant cette lettre, et qu’il n’en sont donc pas la conséquence comme il semble le croire. Qui plus est, j’avais déposé un amendement du même type lors de l’examen de la loi Fillon.

Ce débat ne date pas d’il y a quelques jours, voire quelques mois, il est en cours depuis longtemps, même s’il a effectivement pris plus d’ampleur suite à la crise du CPE, puis avec la demande adressée par le Gouvernement au Conseil économique et social. C’est très positif, et cette fenêtre qui s’est ouverte ne doit pas être refermée sur les doigts des syndicats. Il faut continuer à avancer, trouver des solutions négociées. Mais s’il n’y a pas consensus des partenaires sociaux sur une proposition de réforme, à un moment donné il faudra aussi que le législateur prenne ses responsabilités et entérine la proposition la plus intéressante possible et qui corresponde le mieux à ce début de XXIe siècle et à ce qu’est le paysage syndical et salarié en France.

S’agissant de la représentativité territoriale, il est fréquent, au moins dans les petites entreprises, que des accords soient signés par des syndicats que les salariés n’ont jamais vus. C’est une réalité de notre paysage syndical.

La différence avec d’autres pays, ce n’est pas que, pour d’obscures raisons, les salariés français ne voudraient pas se syndiquer, c’est qu’il y a des pays où les salariés syndiqués bénéficient de droits supplémentaires. Chez certains de nos partenaires ne bénéficient des accords passés que les salariés adhérents aux syndicats qui les ont signés. Ce n’est pas notre tradition républicaine. En France, quand des accords sont signés, ils bénéficient à l’ensemble des salariés, soit d’une entreprise, soit d’une branche, soit au niveau national. Comme il n’y a pas non plus d’avantages sociaux réservés aux syndiqués, les salariés français ont peut-être moins de raisons qu’ailleurs de se syndiquer. Mais je crois aussi que l’état actuel de la représentativité, avec ce fameux arrêté, ne favorise pas la syndicalisation. En plus, il ne faudrait tout de même pas oublier la répression antisyndicale dans les entreprises.

Nous ne pouvons donc pas continuer à attendre encore des années. Au nom des Verts, je regrette que le Gouvernement n’essaye pas d’aller plus loin, ne pose pas le principe d’une réforme de la représentativité, quitte à renvoyer ses modalités à la négociation. Si certains syndicats, salariés ou patronaux, font un blocage sur la réforme, il faudra que nous prenions nos responsabilités et que nous avancions parce qu’il est tout de même peu supportable de maintenir la situation actuelle. Ce ne sont pas seulement deux syndicats qui ont approuvé l’avis de réforme du CES. Un autre syndicat, l’UNSA, l’a également voté. Quant au G10 Solidaires, s’il avait eu des représentants au CES, il s’y serait joint. C’est donc au moins quatre confédérations syndicales contre trois qui pensent qu’une modification s’impose. Et je pense que la FSU en est au même point.

Côté patronal, il y a d’ailleurs les mêmes problèmes : on parle souvent de la faible représentativité des syndicats de salariés, mais quelle est celle des syndicats patronaux ? On peut se poser la question. Par exemple, le patronat du secteur de l’économie sociale et solidaire n’est absolument pas représenté.

Nous voyons donc bien que c’est un sujet sur lequel il faut avancer, et que nous ne pourrons pas en rester à terme au diktat de quelques organisations, soit syndicales, soit patronales, s’opposant à la non-modification de l’arrêté de 1966.

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz.

M. Maxime Gremetz. Il y a une recommandation du CES, avec laquelle plusieurs organisations sont d’accord, qui pose un principe. Et c’est ce principe qui doit trouver son application. Il faut tout de même rappeler de quoi il s’agit : introduire des modifications dans la représentativité des organisations syndicales au plan national. Le CES indique plusieurs façons de faire. Mais il faut déterminer cette représentativité au plan national parce qu’à ce niveau les organisations ont la possibilité de discuter de tous les accords nationaux et d’avoir des rapports avec le Gouvernement, avec le MEDEF, etc.

Dès lors, il faut évidemment une élection de représentativité. J’ai rencontré toutes les organisations syndicales, y compris la CFTC, qui dit qu’elle est d’accord avec notre proposition. J’ai participé à de multiples débats, y compris intersyndicaux, avec de multiples acteurs, dont Gaëtan Gorce ici présent, et, pendant des mois, nous avons fait avancer cette idée.

Après l’accord sur le principe, il y a des éléments précis à déterminer. C’est aux organisations syndicales de trouver les points d’accord. Le taux minimal exigible, 5 % par exemple, c’est leur affaire. Mais le principe des élections, de la démocratie, doit-il être inscrit dans la loi ou pas ? La réponse est « oui ». Tout cela est dans la recommandation. Comment la représentation nationale pourrait-elle ne pas décider de faire sienne ce principe exprimé par le CES et approuvé au moins par la majorité de ses membres ?.

Il y a différentes méthodes. Par exemple, certains préfèrent des élections par branche. On peut même aller plus bas, au niveau de tel secteur local. Les élections politiques ont lieu au plan national, mais aussi par région, par canton, etc. C’est exactement la même chose pour les syndicats. L’essentiel, c’est que tous les salariés de France puissent exprimer leur choix, décider qui est représentatif et qui ne l’est pas. Mais il faut introduire dans la loi le principe même, parce qu’on ne peut pas parler d’accord majoritaire s’il n’y a pas d’élections de représentativité. Comment voulez-vous savoir si un accord est majoritaire ou minoritaire dans une branche ou dans telle entreprise s’il n’y a pas d’organisations capables de déterminer par des élections leur représentativité ?

Sinon, la solution au problème est repoussée à après-demain, alors que tout le monde est tombé d’accord sur le principe de la représentativité. Et quand je dis après-demain, je ne sais pas quand, avec les élections… Je pense qu’on va prendre du retard si on ne l’inscrit pas dans ce texte, ce qui ne va pas encourager à progresser dans le sens voulu par tous.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 30 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Nous allons procéder au scrutin public, précédemment annoncé, sur l’amendement no 13.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 32

Nombre de suffrages exprimés 32

Majorité absolue 17

Pour l’adoption …6

Contre ..26

L'Assemblée nationale n'a pas adopté l’amendement no 13.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 45.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. En conséquence, les amendements nos 31, 32 rectifié et 47 rectifié, ainsi que les amendements nos 33, 34 et 35, tombent.

Je suis saisi d’un amendement n36.

La parole est à M. Alain Vidalies, pour le soutenir.

M. Alain Vidalies. L’amendement vise à modifier les dispositions de l’article L. 133-2 du code du travail, lequel précise les critères pour la représentativité des organisations syndicales, à savoir aujourd’hui : les effectifs, l’indépendance, les cotisations, l’expérience et l’ancienneté du syndicat, et l’attitude patriotique pendant l’Occupation. L’objectif est de substituer au sixième alinéa, c’est-à-dire à « l’attitude patriotique pendant l’Occupation », deux autres critères : l’audience et l’activité, ainsi que le respect des valeurs républicaines.

Il ne s’agit pas d’une création ex nihilo, mais de l’inscription dans la loi de critères aujourd’hui très largement dégagés par la jurisprudence, et d’ailleurs repris dans l’avis du Conseil économique et social. L’objet n’est pas seulement d’organiser des élections de représentativité puisque l’amendement no 30 rectifié précisait que les élections étaient ouvertes aux organisations syndicales légalement constituées par rapport aux critères définis dans le présent amendement, pour éviter que ne se développent, soit des organisations syndicales qui n’auraient pas tant pour objectif de défendre les salariés que d’empêcher la création d’organisations concurrentes, soit surtout – cas de figure auquel nous avons été confrontés dans le passé avec le Front national – des organisations syndicales inspirées par des partis politiques.

Les critères que j’ai cités doivent donc rester dans le code du travail, sauf, bien entendu, celui sur l’attitude pendant l’Occupation qui n’a plus aujourd’hui de véritable réalité. La jurisprudence a été amenée à former ces deux critères : l’audience et l’activité, parce qu’ils sont extrêmement importants pour éviter des syndicats créés de toutes pièces. Quant au respect des valeurs républicaines, je pense aussi qu’il serait indispensable de l’inscrire dans la loi.

Enfin, monsieur le ministre, sur la question de la représentativité, des arguments concordants ont été développés par de nombreux magistrats, y compris devant le Conseil d’État. Je vous lis les conclusions du commissaire du Gouvernement Jacques-Henri Stahl : « La composition du paysage est également en cause dans la mesure où elle reflète encore les héritages politiques de la Libération et de la guerre froide, et où il peut être soutenu que les diverses règles régissant la représentativité syndicale tendent davantage à conforter cet héritage, voire à figer le paysage, plutôt qu’à favoriser son renouvellement. On peut être tenté dans ces conditions de prendre position et d’inciter à des évolutions novatrices. »

Le Conseil économique et social, le Conseil d’État, les juges, les partenaires sociaux, tout le monde est donc décidé à passer à l’action, sauf le Gouvernement et l’UMP. Il serait tout de même utile, même si vous n’êtes pas d’accord pour inscrire immédiatement dans la loi cette réforme de la représentativité, d’adopter au moins ces critères nouveaux concernant les conditions de légalité des organisations syndicales.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bernard Perrut, rapporteur. Cet amendement part peut-être d’un bon sentiment, mais est en tout cas imparfait. Si le CES estime effectivement qu’il convient d’insérer dans la liste des critères de représentativité les critères jurisprudentiels que sont l’audience et l’activité, et de substituer à la notion d’attitude patriotique pendant l’Occupation celle du respect des valeurs républicaines, il considère parallèlement que l’ensemble des autres critères doivent aussi être réévalués et pris en compte : les effectifs, l’indépendance, les cotisations, l’expérience, l’ancienneté du syndicat, de manière à ce qu’ils revêtent un caractère objectif, facilement contrôlable et non soumis à interprétation possible par le juge en cas de contentieux. Par conséquent, la commission a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Permettez-moi, à cette heure tardive, un petit clin d’œil à M. Vidalies : que je sache, le Conseil d’État n’a pas annulé l’arrêté de 1966, dont le caractère légal est incertain…

Par ailleurs, nous n’avons pas du tout abordé le sujet, effleuré par le Conseil économique et social, de l’outre-mer et de l’adaptation territoriale de la représentativité.

M. Alain Vidalies. Il suffit d’amendements sur ce point.

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Certes, mais le sujet mérite un débat de fond. D’ailleurs, des organisations qui défendent le principe de la représentativité et souhaitent l’inscrire dans la loi par voie d’amendement n’ont pas le même sentiment lorsqu’il s’agit de l’outre-mer.

Il importe donc plus que jamais que Jean-Louis Borloo et moi-même puissions, à partir de l’avis du Conseil économique et social, continuer à définir certains critères et à chercher des convergences que je crois possibles. Je rencontre souvent les partenaires sociaux : je prépare actuellement avec eux une conférence sur l’emploi et les revenus, mais il nous arrive d’évoquer d’autres dossiers. Je ne vous demande donc pas de différer ces dispositions, mais de franchir une étape supplémentaire dans la maturation qu’évoquait M. Le Garrec lors de la discussion générale.

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz.

M. Maxime Gremetz. Laissez-moi vous donner mon sentiment sur cette affaire.

Je n’irai pas dans le sens de l’amendement car c’est aux organisations syndicales qu’il appartient de régler le problème. Autant je suis favorable au principe d’une réforme de la représentativité – j’ai argumenté tout à l’heure en ce sens –, autant je considère que les modalités de sa mise en œuvre doivent être laissées aux organisations syndicales : c’est d’ailleurs ce qu’elles nous demandent, et nous n’avons pas à décider à leur place. J’ai fait une proposition : libre à chacune, ensuite, de l’accepter ou non, et de trouver d’éventuels compromis avec les autres. Par exemple, la CFDT souhaite plutôt déterminer la représentativité par la base, avec des élections de proximité. Nous proposons, à l’inverse, de partir de l’échelon national mais, en tout état de cause, ce n’est pas à nous de répondre à la question. Laissons les organisations syndicales trouver un compromis sur la représentativité et ses critères.

Il est évident que nous partageons tous le principe du respect des valeurs républicaines mais, je le répète, nous ne pouvons pas nous substituer aux organisations : le syndicaliste que j’ai été n’aurait pas beaucoup aimé que l’on marche sur ses plates-bandes !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Soisson.

M. Jean-Pierre Soisson. Si, comme l’a bien expliqué le ministre, cet amendement est prématuré, il est aussi inutile, puisque la jurisprudence a interprété l’attitude patriotique pendant l’Occupation dans le même sens.

Pour ces deux raisons, nous ne voterons pas l’amendement.

M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. On voit une fois encore les dérives du parti socialiste, qui reproche au Gouvernement de légiférer sans ouvrir le dialogue social, et dépose un amendement sans avoir davantage consulté.

On retrouve les mêmes pratiques que lors de la loi sur les 35 heures : les donneurs de leçons seraient bien inspirés de s’appliquer à eux-mêmes les principes qu’ils défendent !

Mme Martine Billard. Que faites-vous de l’avis du CES ?

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Personne n’a dit que le Parlement n’avait pas son mot à dire dans cette affaire. Méfions-nous des arguments qui ont été avancés. Quand nous avons vu émerger des organisations issues de partis d’extrême droite, nous nous sommes réjouis que la loi leur refuse la qualité de syndicats. Heureusement que ce n’est pas la base qui a fixé les critères !

M. Maxime Gremetz. Faisons confiance aux organisations syndicales !

M. Alain Vidalies. Ce que nous voulons modifier, c’est la loi, et non une disposition conventionnelle. M. Soisson a raison : nous n’avons pas inventé les deux critères proposés, puisqu’ils sont repris dans de nombreux arrêts de la Cour de cassation.

M. Jean-Pierre Soisson. Absolument !

M. Alain Vidalies. Ils le sont aussi, d’ailleurs, dans l’avis du Conseil économique et social.

Si vous y voyez quelque exubérance, ce ne sont donc pas les socialistes qu’il faut incriminer, mais les quelque 25 arrêts de la Cour de cassation et l’avis du Conseil économique et social dans sa grande majorité. Du point de vue de l’ordre juridique, il ne me paraît pas absurde de supprimer la référence à l’Occupation, qui n’a plus aucune utilité juridique, pour lui substituer les critères utilisés depuis des décennies par la Cour de cassation.

Je vous laisse la liberté de préférer un texte qui ne correspond plus au droit positif, mais ne voyez aucune malice dans notre amendement, qui vise simplement à accorder la loi avec l’avis du CES et la jurisprudence. Nous sommes entre républicains : compte tenu de la nature des critères que nous proposons, il ne devrait donc pas y avoir, ce me semble, de divergences idéologiques entre nous sur cette question.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 36.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz, pour soutenir l’amendement n° 14.

M. Maxime Gremetz. Pourriez-vous nous indiquer, monsieur le président, à quelle heure vous comptez lever la séance ?

M. le président. Je souhaiterais, si chacun en est d’accord, que nous terminions ce soir l’examen des amendements avant l’article 1er.

M. Maxime Gremetz. Merci de l’information.

Avec l’amendement n° 14, nous abordons le second volet d'une réforme ambitieuse et utile du dialogue social : l’accord majoritaire. Comme je l'indiquais lors de la discussion générale, nous formulons cette proposition depuis 1982 et l'avons introduite dans la législation pour la première fois à l’occasion des lois relatives à la réduction du temps de travail. Nous avions même déposé, je le rappelle, une proposition de loi en ce sens. Malheureusement, le principe n’en a pas été repris par la réforme de M. Fillon en 2004.

La question de la légitimité des accords est essentielle pour assurer la modernité de notre dialogue social, laquelle ne peut pas rimer avec le maintien du droit d'opposition, et ce pour deux raisons. La première est qu'il inscrit le syndicalisme dans la contestation et l'opposition plutôt que l'élaboration d'accords progressistes, soutenus par des organisations syndicales représentant la majorité des salariés en voix. La seconde tient au caractère antidémocratique du principe de majorité tel qu'il est conçu par la réforme de 2004. Dire qu'un accord est majoritaire parce qu'il est signé par une majorité de syndicats, sans se soucier du nombre de salariés que ceux-ci représentent, n'est pas sensé du point de vue démocratique.

Transposez ce principe à notre assemblée, et votre loi de finances ne passe pas ! S'il fallait trois groupes politiques sur quatre pour faire adopter une loi, vous seriez ultra-minoritaires, et beaucoup de lois n’auraient pas été adoptées ! Il ne vous resterait plus que le droit d'opposition. Trouvez-vous que cette démarche soit juste et constructive ? Assurément non. Pourquoi donc la maintenir pour ce qui concerne les accords collectifs ?

Il faut donc modifier la règle. Le rapporteur de la loi de mai 2004, notre collègue Jean-Paul Anciaux, invitait à y réfléchir. En première lecture, lors de la deuxième séance du 16 décembre 2003, il déclarait ceci : « Nos collègues de l'opposition expliquent […] qu'il faudrait passer immédiatement à l'accord majoritaire d'engagement pour tous les types d'accords. Je me permettrai d'abord de leur faire remarquer que les partenaires sociaux ne sont pas demandeurs d'un changement aussi brutal. Faudra-t-il aller plus loin ? Probablement. »

Aujourd'hui, les choses ont changé. D'ailleurs, les rapporteurs du CES, MM. Aurelli et Gautier, avançaient sérieusement dans cette voie de l'accord majoritaire, avec leur pré-rapport que je cite : « La perspective doit bien être d'aller, à terme, vers une approbation majoritaire par les salariés des accords qui les concernent, c'est-à-dire une majorité d'engagement ou positive. » Et d’ajouter : « La majorité d'engagement devra être fondée sur le nombre de salariés. »

Toutes les conditions sont réunies pour redéfinir les contours de la validation des accords. Il est un moment où l'idéologie doit laisser la place à l'efficacité et au pragmatisme, avait souvent l'habitude de dire François Fillon lorsqu'il était ministre. C'est le sens de cet amendement.

Comment voter ce projet de loi sans revisiter les aspects essentiels de la loi de 2004 ? Ce n'est pas cohérent et seule cette démarche d'ensemble, attendue par les partenaires sociaux, donnera l'envergure espérée à votre texte.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bernard Perrut, rapporteur. La question de la validité des accords a fait l’objet d’une réforme importante et qui n’est pas si ancienne, en l’occurrence la loi du 4 mai 2004 : le CES, d’ailleurs, en fait état dans son avis. Par ailleurs, un accord de branche – dit de « méthode » – peut d’ores et déjà fixer la règle de la majorité.

En outre, la loi du 4 mai 2004 relative au dialogue social a prévu, dans son article 56, qu’avant le 31 décembre 2007, le Gouvernement présenterait au Parlement, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, un rapport sur l’application des dispositions du dialogue social. Il existe donc bien une clause de rendez-vous.

Le CES, dans son avis, affirme d’ailleurs se féliciter « du principe de cette évaluation et considère qu’il convient de respecter l’échéance prévue avant d’envisager toute nouvelle réforme du droit. » Il estime, comme vous le voyez, que le passage du droit d’opposition majoritaire – qui prévaut aujourd’hui – à une règle de majorité d’engagement doit être évalué avant toute mise en application. Il précise aussi que, sur cette question de la représentativité, il convient de laisser à la réflexion le temps d’aboutir. En tout état de cause, monsieur Gremetz, le CES préconise, au moins dans un premier temps, le passage à une majorité relative, et non absolue.

Vous conviendrez que l’ensemble de ces éléments atteste, s’il en était besoin, que la réflexion est loin d’être achevée.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Je crois avoir déjà dit à plusieurs reprises qu’il conviendra, d’ici au 31 décembre de l’année prochaine, de dresser un bilan de l’application de la loi du 4 mai 2004 et de voir, comme François Fillon s’y était engagé, si les lignes ont bougé.

D’ailleurs, ainsi que le montre l’avis du Conseil économique et social au sujet de la majorité relative, il convient sans doute de procéder par étapes : le texte sur le dialogue social, qui va changer nos pratiques en la matière, était un préalable nécessaire pour que nous puissions évoluer sur la question de la validité des accords. Rien ne serait pire, ni plus paradoxal, que de créer un blocage par une transition trop brutale pour les relations sociales.

L’évolution, je le répète, doit se concevoir par étapes : j’évoquais celle de la loi du 4 mai 2004 ; nous en franchissons une autre avec le présent texte, et nous préparerons la prochaine grâce aux discussions avec les organisations syndicales et professionnelles.

M. Gaëtan Gorce. Pour qui et à quelle échéance ? Vous ne serez plus aux affaires depuis longtemps !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Peut-être qu’en effet je ne serai plus là, mais je prends le pari que ce texte changera profondément la nature et la manière de pratiquer le dialogue social dans ce pays. Je ne vois en effet personne revenir sur le principe que nous sommes en train de fixer.

M. Gaëtan Gorce. Ce pari, vous auriez pu le prendre plus tôt.

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. J’interviens sur la question de l’accord majoritaire, étant entendu que l’amendement de principe déposé par le groupe socialiste est tombé au motif qu’il se référait à l’élection de représentativité. Je prends acte de cette lecture des choses, que je juge néanmoins extrêmement rigide.

Monsieur le ministre, l’existence des accords minoritaires remet en cause la nature même du dialogue social. En effet, ces accords créent de la norme et constituent donc le seul cas de figure connu dans lequel une minorité peut donner une base légale à des dispositions qui s’appliqueront à l’ensemble des salariés. C’est le contraire de la démocratie !

Lorsque nous avons débattu de la loi de 2004, nous avons discuté des heures durant de cette question. A l’époque, vous avez tourné autour du pot, pour arriver au bout du compte à mettre en place une extraordinaire usine à gaz. Elle vous permet de mettre en avant des évolutions, mais rappelons à quel résultat nous sommes parvenus : le principe d’un accord majoritaire en nombre d’organisations, avec la possibilité, au niveau de l’entreprise, d’un accord majoritaire en nombre de suffrages exprimés par les salariés, à condition que l’accord de branche ait prévu cette possibilité, ce dernier fonctionnant lui-même selon l’ancien système de la majorité de trois syndicats représentatifs sur cinq. Et vous voulez que les organisations syndicales et les salariés y comprennent quelque chose !

Cette œuvre collective de la majorité et du Gouvernement, lorsque nous la qualifiions en 2004 d’usine à gaz, vous nous répondiez que nous serions démentis par la signatures d’accords. Il serait donc intéressant que le Gouvernement nous communique le bilan des accords majoritaires en nombre de voix exprimées qui sont intervenus dans les entreprises sur la base d’accords de branche.

La réalité, c’est qu’il ne s’est rien passé du tout. L’accord majoritaire est pourtant indispensable, et il est incompréhensible qu’aujourd’hui, alors que ce principe est reconnu partout et demandé par tous, vous n’acceptiez pas de franchir ce pas. Cela montre bien que vos réticences sont des réticences de fond, et qu’il ne s’agit pas uniquement de gagner du temps.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Mon amendement sur l’accord majoritaire est tombé, comme celui de mes collègues socialistes. La loi de 2004 n’a fait que remplacer un déni de démocratie : la possibilité pour un seul syndicat de signer un accord, par un autre : une majorité de syndicats, mais qui peuvent représenter une minorité de salariés en voix, est suffisante pour la signature de l’accord.

Cela donne l’impression que vous n’avez en fin de compte pas trop envie d’évoluer. Nos débats en 2004 laissaient déjà bien voir qu’il s’agissait d’un système verrouillé, et ce malgré la possibilité, au niveau de l’entreprise, de ratifier les accords par un référendum auprès des salariés ; compte tenu des conditions exigées pour la rendre possible, cette procédure n’a, à ma connaissance, été appliquée que pour un seul accord. Le bilan sera donc assez vite fait.

Pour revenir à votre processus par étapes, monsieur le ministre, espérons que votre loi sur le dialogue social permettra l’application dans les faits de la concertation – encore faudrait-il déterminer si cette obligation se rapporte à une simple consultation des organisations syndicales ou à une véritable négociation. Pour le reste, vous nous dites qu’il faudra attendre décembre 2007 pour faire le bilan de la loi de 2004 ; la question de la représentativité reste en suspens ainsi que celle du financement des activités syndicales, notamment pour les négociations au niveau des branches et au niveau national.

Cette manière de morceler la démocratie sociale en cinq ou six textes de loi ne me paraît pas la meilleure méthode pour redonner aux syndicats tout leur rôle dans notre pays et fonder sur de meilleures bases les rapports entre le salariat et le patronat, afin de permettre les négociations et la signature d’accords.

Mieux vaudrait une architecture unique qui englobe l’ensemble des problèmes existants. Ceux-ci ont été mis en lumière par le rapport du Conseil économique et social ou les rapports précédents, lesquels sont aujourd’hui au cœur de tous les colloques regroupant les partenaires sociaux sur la question du dialogue social. Ce véritable travail d’expertise et d’échange aurait dû permettre de trouver des solutions, ce qui semble désormais impossible, compte tenu de l’année très particulière que nous abordons.

Une porte a été ouverte ; mieux vaudrait ensuite procéder en une seule fois pour reconstruire le dialogue social, en évitant le morcellement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 14.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 15 rectifié et 23, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Maxime Gremetz, pour soutenir l’amendement n° 15 rectifié.

M. Maxime Gremetz. Cet amendement reprend le troisième pilier de notre proposition de réforme. Après la représentativité et les accords majoritaires vient la réhabilitation du principe de faveur. La loi du 4 mai 2004 – encore elle ! – a saboté cet élément fondamental de notre droit social. Au prétexte que le principe des accords dérogatoires existait déjà dans notre droit, vous en avez profité pour le généraliser.

Faisons un peu d'histoire : formalisé en 1973 par un arrêt du Conseil d'État, le principe de faveur signifie que l'on peut négocier une convention ou un accord s’ils améliorent les droits du salarié, mais en aucun cas s’ils rognent sur les garanties minimales offertes par le code du travail. Une convention collective ou un accord de branche doivent, pour être valables, être plus favorables que la loi, de même qu'un accord d'entreprise doit améliorer la protection offerte aux salariés par l'accord de branche ou le code du travail. C'est ce minimum intangible qu'on appelle « l'ordre public social ».

En 1982, le législateur a déjà écorné cet ordre public social, en rendant possible la conclusion d'accords dérogatoires, négociés sous ce seuil de protection. Mais, depuis deux ans, la négociation collective a changé de fonction : alors qu'elle était conçue comme un moyen d'améliorer le sort des salariés, elle est devenue un outil de gestion de l'entreprise, destiné à assouplir son organisation, à l’adapter à l'environnement économique avec des garanties au rabais pour les salariés.

Les accords « donnant-donnant » se sont généralisés – je pense notamment au chantage aux 35 heures –, entretenant le mythe selon lequel les deux parties, l'employeur et les salariés, auraient un égal pouvoir. La réalité est tout autre. Le salarié est dans une situation d'infériorité fondamentale par rapport à l'employeur, que la négociation, en principe, devrait contribuer à corriger.

Il faut rétablir le principe de faveur, d'autant que la réforme Fillon était d'interprétation très large. En effet, l'accord devait préciser « s'il ne pourrait y être dérogé ». Autrement dit, en cas de silence, on déroge ! Un oubli dans l'accord pour le préciser, et c’est tout le champ de la dérogation qui s'ouvre.

En effet, le changement de rapport entre les accords collectifs eux-mêmes est désormais inscrit dans la loi. La hiérarchie qui existait entre l'accord d'entreprise, l'accord de branche et l'accord interprofessionnel n'existe plus. Ainsi, la protection est devenue l'exception, et la possibilité de dérogation, la règle.

Il faut donc réintégrer dans le droit social ce qui a fait l'originalité de notre législation, arrachée de haute lutte par les salariés. Cet amendement qui le propose est fondamental pour rétablir les bases sereines d'un dialogue social modernisé. A défaut, la réforme que vous nous proposez aujourd'hui, si elle reste en l'état, ne sera qu'un coup d'épée dans l'eau, sans grande ambition, bien loin de la révolution annoncée.

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies, pour soutenir l’amendement n° 23.

M. Alain Vidalies. L’objectif de cet amendement est d’abroger les dispositions de la loi Fillon qui ont remis en cause le principe de faveur, principe fondamental de notre droit du travail.

Dans le cadre du dialogue social dont nous sommes en train de débattre, vous ne cessez, monsieur le ministre, de nous répéter que priorité doit être donnée au dialogue avec les organisations syndicales de salariés. Si vous voulez donc les mettre de bonne humeur, vous devriez donner un avis favorable à notre amendement : il n’y a qu’à lire leurs réactions officielles à l’annonce de la suppression du principe de faveur pour s’en convaincre.

Selon la CFTC, « on peut prédire sans crainte de se tromper un véritable cataclysme. Si le projet était adopté en l'état, il serait possible de revenir sur les acquis de la loi, de la convention collective, par un accord dérogatoire au sein de l'entreprise. Les réalistes que nous sommes prédisent un démantèlement du droit du travail, appelé de ses vœux depuis longtemps par le MEDEF. »

« Force Ouvrière s'insurge contre la partie du projet de loi qui ferait du principe de faveur un objet de négociation alors qu'il devrait en être l'instrument. Le rôle économique de la branche, qui empêchait que la concurrence ne se fasse sur le dos des salariés, sera réduit à néant. Dans ce contexte, on ne peut parler que de régression sociale. »

La CGC s’interroge : « Est-il utile de revenir sur cette loi scélérate au titre mensonger de loi sur le dialogue social ? Si par malheur cet immense recul social n'est pas amendé, la négociation de branche serait vidée de toute substance. Nos accords de branche nous garantissent au minimum le pain et le beurre. Avec la loi Fillon nous aurons droit au quignon de pain sec. »

M. le président. Je me permets de vous interrompre pour informer l’Assemblée que, sur le vote de l'amendement n° 15 rectifié, je suis saisi par le groupe des député-e-s communistes et républicains d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

M. Alain Vidalies. Monsieur le président, le groupe socialiste demande également un scrutin public sur l’amendement que je défends.

M. le président. J’en prends acte, monsieur Vidalies.

Le scrutin sur l’amendement n° 23 est également annoncé.

Veuillez poursuivre.

M. Alain Vidalies. La CFDT, quant à elle, exprime « un désaccord de fond sur le rôle et la place de chaque niveau de négociation. Le Gouvernement a satisfait les demandes patronales en accordant une place excessive à la négociation d'entreprise. C'est une mesure libérale qui risque de conduire à l'appauvrissement de la branche. Celle-ci doit au contraire rester le pivot de la négociation collective. »

Pour la CGT, enfin, « le projet bouleverse les principes actuels du droit du travail. Cette perspective est à ce point scandaleuse qu'elle a suscité un désaccord unanime et argumenté de toutes les organisations syndicales de salariés qui, une nouvelle fois, sont mises devant le fait accompli. Il est temps que le Gouvernement prenne conscience que son parti pris en faveur des revendications du MEDEF devient indécent et provocateur à l'égard des salariés. »

Telles sont les réactions qu’avait suscitées l’abrogation du principe de faveur de la part de toutes les organisations syndicales. Aujourd’hui, vous voulez revenir au dialogue social pour prendre en compte leurs opinions. Pour y parvenir, monsieur le ministre, il n’y a qu’une seule solution : essayez de réparer l’erreur fondamentale qui a été commise en 2004 et soutenez notre amendement !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bernard Perrut, rapporteur. Défavorable.

Je ne reprendrai pas l’argumentation qui a été développée en faveur de la révision – inopportune – de la loi du 4 mai 2004 avant même qu’elle ait été évaluée. Mais je tiens à dire aux auteurs des deux amendements que cette loi ne remet pas en cause le principe de faveur. Je vous rappelle en effet un certain nombre d’éléments que vous semblez avoir oubliés.

D’abord, cette loi s’inscrit dans la démarche générale prônée par la position commune du 16 juillet 2001 sur les voies et moyens de la négociation collective, qui a été adoptée par la majorité des partenaires sociaux et qui vise à une articulation dynamique et maîtrisée des niveaux de négociation.

M. Alain Vidalies. Pas du tout !

M. Bernard Perrut, rapporteur. Par ailleurs, cette loi ne remet pas en cause les éléments essentiels de la hiérarchie des normes, c’est-à-dire la répartition constitutionnelle des compétences et la soumission de l’ensemble des normes aux exigences constitutionnelles…

M. Alain Vidalies. Encore heureux !

M. Bernard Perrut, rapporteur …ou encore le rôle central de la loi dans l’articulation des normes et, bien sûr, le maintien du principe de faveur, s’agissant de l’articulation des normes conventionnelles et du contrat de travail.

Enfin, les dérogations au principe de faveur remontent à 2002, et la loi de 2004 autorise les dispositions dérogatoires – donc éventuellement défavorables – dans la seule mesure où la norme supérieure ne s’y oppose pas expressément.

M. Alain Vidalies. Ce n’est pas très convaincant !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Défavorable. Je ne sais pas s’il s’agit de me mettre de bonne humeur, le dialogue social n’étant pas une affaire d’humeur, mais un état d’esprit ; je partage cependant l’analyse du rapporteur, qui a démontré que le principe de faveur n’avait pas disparu. Je vais dresser le bilan de l’année 2005 concernant l’application des principes fixés dans la loi du 4 mai 2004.

Depuis la mise en œuvre de cette loi, dix-huit conventions collectives ont été conclues, dont la moitié autorisaient la dérogation et la moitié l’excluaient. C’est donc bien au cours du dialogue social qu’a été décidée l’application du principe de faveur. En 2005, le nombre d’accords auxquels les entreprises ne peuvent en tout état de cause déroger a augmenté, en partie grâce aux nouveaux textes sur les salaires minima. Ces accords portaient tous sur des points essentiels : salaire minimum, justement, mais aussi classifications, choix d’un OPCA – organisme paritaire collecteur agréé –, formation professionnelle ou encore âge de la retraite. Le dialogue social est donc au cœur de l’application de la loi de 2004. Le rapport de la Commission nationale de la négociation collective nous éclaire d’ailleurs sur l’application de cette loi, qui fera de surcroît l’objet d’une évaluation à la fin de l’année prochaine, comme l’a rappelé M. le rapporteur.

Tels sont les éléments d’information que je souhaitais vous apporter sur l’application de la loi du 4 mai 2004. Comme l’usine à gaz que vous dénonciez, monsieur Vidalies, les accords dérogatoires – strictement encadrés – sont issus, je le rappelle, de la position commune signée par la CFDT. Chacun est responsable de ses engagements et de sa signature.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Le raisonnement est biaisé d’emblée puisque seules les cinq organisations syndicales dites représentatives au plan national peuvent signer de tels accords. Compte tenu des modifications apportées à la loi de 2004 et de ses limites, il suffit d’une majorité en nombre de syndicats. Ce ne sont donc pas à proprement parler des accords majoritaires.

Par ailleurs, le Conseil économique et social souligne l’importance des accords de branche, qui sont généralement plus favorables aux salariés des PME, en permettant notamment aux employés des petites et très petites entreprises de bénéficier d’avantages similaires à ceux des grandes entreprises. Or la loi de 2004, en permettant aux entreprises de conclure des accords moins favorables que les accords de branche, creuse encore les inégalités entre les salariés des grandes entreprises, qui bénéficient d’une meilleure protection sociale, d’un salaire plus élevé et des avantages offerts par les comités d’entreprise, et les salariés des petites entreprises. Les statistiques sur les montants des salaires indiquent qu’ils sont plus bas dans les petites entreprises, et que les discriminations envers les femmes y sont plus importantes. Avec les accords dérogatoires, vous ouvrez une brèche qui ne fera qu’aggraver ces inégalités et porter préjudice à la compétitivité des entreprises en introduisant un effet de concurrence contre lequel les petites entreprises ne peuvent pas lutter.

Voilà pourquoi, au nom des députés Verts, je voterai les amendements de nos collègues socialistes et communistes.

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. Après les remarques de M. le ministre, je ferai deux observations.

D’abord, le bilan de l’application de la loi de 2004 est éclairant : aucun accord n’a été signé pour mettre en place un autre système que celui de l’opposition majoritaire. (M. le ministre lève le poing, pouce tendu.) Un seul accord de méthode, en effet : dans la biscuiterie. Je comprends qu’à cette heure de la soirée, vous puissiez avoir envie de gâteaux, monsieur le ministre, mais cela ne suffit pas à justifier votre texte !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Il y a eu un accord, et non zéro !

M. Gaëtan Gorce. Quant au principe de faveur, monsieur le rapporteur, les syndicats n’ont pas réclamé sa remise en cause. Bien au contraire, ils l’ont condamnée. Je vous le rappelle, monsieur le ministre, jusqu’au vote de cette loi, l’impossibilité de déroger à une disposition plus favorable d’un accord de branche était acquise. Vous en avez fait un élément de la négociation et, de ce fait, vous avez modifié l’équilibre de celle-ci au détriment des syndicats. Nous vous demandons de revenir sur ces dispositions, qui ont été adoptées sans l’accord des syndicats et que nous combattons. Saisissez donc la perche que vous tend M. Vidalies afin d’avancer sur le terrain de la représentativité et de vous gagner les faveurs des syndicats. Mais, manifestement, ce n’est pas le souci qui vous anime.

M. le président. Rapidement, monsieur Vercamer.

M. Francis Vercamer. Je vais essayer, monsieur le président, mais je dois bien rappeler la position de l’UDF. En 2004, notre groupe avait indiqué qu’il n’était pas opposé aux dérogations au principe de faveur, à condition qu’elles soient expressément autorisées au niveau supérieur. Nous ne jugions pas suffisant qu’elles ne soient pas interdites, mais c’est la solution qui a été finalement retenue. Autrement dit, aux termes de la loi, ce qui n’est pas interdit est autorisé.

Cependant, si je prends l’exemple du secteur textile, qui est en difficulté après l’ouverture des quotas, nous sommes favorables à ce qu’une négociation interprofessionnelle puisse expressément autoriser, pendant une période donnée, une dérogation au principe de faveur pour faire face à des problèmes ponctuels. Nous ne voterons donc pas les amendements proposés par les groupes communiste et socialiste.

M. Alain Vidalies. Sur ces questions, l’UDF est toujours à droite !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Soisson.

M. Jean-Pierre Soisson. Il s’agit d’un projet de modernisation du dialogue social, présenté par le Gouvernement. Vous tentez de grignoter toujours plus de terrain sur tous les aspects de ce texte. Vous allez maintenant jusqu’à remettre en cause la loi du 4 mai 2004 !

M. Maxime Gremetz. Elle est en contradiction avec ce projet ! Soyez cohérent !

M. Jean-Pierre Soisson. Le Gouvernement vous en a promis un bilan, dont il a déjà présenté les grandes lignes : vous verrez qu’il n’est pas aussi noir que vous le prétendez !

Nous ne voterons donc pas ces amendements.

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public, précédemment annoncé, sur l’amendement n° 15 rectifié.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

L'Assemblée nationale n'a pas adopté l’amendement n° 15 rectifié.

Nous en venons au scrutin sur l’amendement n° 23.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

L'Assemblée nationale n'a pas adopté l’amendement n° 23.

Je suis saisi d’un amendement n° 25.

La parole est à M. Alain Vidalies, pour le soutenir.

M. Alain Vidalies. Il est défendu.

M. le président. La commission et le Gouvernement y sont défavorables.

Je mets aux voix l'amendement n° 25.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 26.

M. Alain Vidalies. Défendu !

M. le président. La commission et le Gouvernement y sont également défavorables.

Je mets aux voix l'amendement n° 26.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 27.

M. Alain Vidalies. Défendu !

M. le président. Mêmes avis défavorables, même vote.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies pour soutenir l’amendement n° 29.

M. Alain Vidalies. Cet amendement vise à abroger l’article 3 de la loi de 2005 portant réforme de l’organisation du temps de travail dans l’entreprise. En introduisant dans notre droit positif l’accord individuel du salarié avec le chef d’entreprise, cet article remet en cause les dispositions relatives au contingent annuel d’heures supplémentaires.

Une telle scorie sans précédent ne peut demeurer dans notre droit. C’est la première fois qu’on introduit dans le droit du travail ce terrible concept, que vous combattez d’ailleurs, monsieur le ministre, lorsque vous débattez, à Bruxelles, de l’évolution de la directive sur le temps de travail, qui oppose aujourd’hui la France à d’autres pays, et notamment aux pays anglo-saxons. Certains de nos partenaires en effet défendent l’opt out, une clause dérogatoire individuelle qui permet de se dégager de la norme légale afin de travailler plus – plus de quarante-huit heures par semaine, par exemple. Cette clause dérogatoire doit être exclue du champ des relations sociales. Puisque nous parlons de dialogue social, et donc d’organisation des relations collectives, mieux vaut ne pas maintenir cette scorie dans la loi, car elle n’a pas sa place dans notre code du travail et elle pourrait donner de mauvaises idées.

Si vous êtes, comme vous le prétendez, dans une démarche de gestion collective des droits, le moment est venu de corriger au moins cette erreur, à défaut des autres. Vous n’en serez que plus fort pour vous opposer au maintien de l’opt out dans la directive européenne.

M. Gaëtan Gorce. Il y a décidément beaucoup de cadavres dans le placard !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bernard Perrut, rapporteur. Défavorable : cet amendement, qui tend à supprimer le régime des heures dites choisies, n’a que peu de rapport avec la présente discussion, et cette seule raison suffirait à en justifier le rejet.

En outre, il est paradoxal d’affirmer, comme le fait l’exposé sommaire, que la loi portant réforme de l’organisation du temps de travail dans l’entreprise a introduit un accord individuel du salarié, en contradiction avec les règles de la négociation collective. L’application du dispositif des heures choisies est, certes, subordonnée à un accord individuel, mais aussi à la signature d’un accord collectif de travail ouvrant cette possibilité : convention, accord de branche, de groupe ou d’entreprise.

Enfin, deux accords de branche ont été signés – l’un en 2005 dans la promotion-construction, l’autre en 2006 dans la métallurgie – qui ouvrent expressément la possibilité d’effectuer des heures choisies. En avril 2006, 15 % des entreprises faisant partie du panel analysé par le ministère du travail avaient conclu un accord sur ce thème, notamment pour fixer un nombre hebdomadaire maximal d’heures choisies ainsi que l’ampleur de la majoration du paiement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Le rapporteur a rappelé certains éléments du rapport d’étape que j’ai eu l’occasion de présenter devant la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Je n’y reviens donc pas.

Monsieur Vidalies, il existe une vraie différence entre l’accord des parties, visé par votre amendement, et l’opting out individuel qui a été soutenu avec acharnement par vos amis du parti travailliste britannique ou du SPD allemand. Ce dernier permet, par un accord individuel, de porter le temps de travail jusqu’à soixante-cinq heures par semaine ! Sans la minorité de blocage conduite par la France, ce système continuerait d’être appliqué à l’échelle européenne.

M. Gaëtan Gorce. À Bruxelles, vous êtes un véritable gauchiste, monsieur le ministre ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. L’opting out est un accord individuel entre le salarié et l’employeur, tandis que l’accord entre les parties est le fruit du dialogue social. Il convient donc d’éviter toute confusion à ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Je suis prêt à tout entendre, monsieur le ministre, mais vous ne pouvez nier que l’on a inscrit dans la loi la possibilité d’un accord individuel. Certes, cette possibilité est encadrée par un accord collectif, ce qui la différencie du droit britannique. Il n’en reste pas moins que le salarié se retrouve, à un moment donné, tout seul face à la demande de l’employeur. Or cette évolution n’a pas de précédent dans notre droit du travail. Quelle que soit la façon dont vous présentez les choses, c’est bien ce qui résulte de la loi de 2004.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Soisson.

M. Jean-Pierre Soisson. Je rappelle à M. Vidalies que nous avons déjà eu ce débat, et longuement, lors de l’examen de la loi portant réforme de l’organisation du temps de travail dans l’entreprise. Et s’il juge qu’une telle disposition n’a rien à faire dans le code du travail, je relève, pour ma part, que son amendement n’a rien à faire dans le projet de loi qui nous est présenté.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 29.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 28.

La parole est à M. Alain Vidalies, pour le soutenir.

M. Alain Vidalies. Nos amendements sont l’occasion de présenter un florilège des plus belles réalisations de la majorité en matière de droit social. En guise de cerise sur le gâteau, je rappelle que la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises a fait passer de deux à quatre ans, sans aucune concertation, la durée du mandat des délégués du personnel. Puisque l’heure est désormais au dialogue, supprimez donc cette disposition imposée unilatéralement : cela vous ouvrira autant d’espace de négociation pour demain.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bernard Perrut, rapporteur. Défavorable : l’amendement sort complètement du champ de notre discussion. En outre, je rappelle à notre collègue qu’un accord de branche, de groupe ou d’entreprise peut, par dérogation, fixer une durée de mandat comprise entre deux et quatre ans.

M. Alain Vidalies. Pourquoi avoir changé la règle ?

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Même avis, et je préfère éviter des rappels historiques trop douloureux.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 28.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des amendements avant l’article 1er.

La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

ordre du jour des prochaines séances

M. le président. Aujourd’hui, à onze heures trente, première séance publique :

Discussion du projet de loi, n° 3426, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, ratifiant l’ordonnance n° 2006-1048 du 25 août 2006 relative aux sociétés anonymes coopératives d’intérêt collectif pour l’accession à la propriété :

Rapport, n° 3465, de M. Gérard Hamel, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement.

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 3456, de modernisation du dialogue social :

Rapport, n° 3465, de M. Bernard Perrut, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2006 (n° 3447) :

Rapport, n° 3469, de M. Gilles Carrez, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du plan.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 6 décembre 2006, à une heure cinquante.)