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(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
- du projet de loi organique, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer (nos 3404, 3593) ;
- du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer (nos 3405, 3593).
La conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
(La séance, suspendue, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.)
La parole est à M. le ministre de l’outre-mer.
Ces deux projets de loi, organique et ordinaire, constituent une étape importante dans la modernisation statutaire de nos collectivités ultramarines…
Mettre en œuvre les dispositions de la Constitution qui structurent le nouveau cadre institutionnel et statutaire de l’outre-mer au sein de la République, conformément aux engagements pris par le chef de l’État et inscrits par le Parlement dans notre loi fondamentale ;
Traduire en droit la volonté exprimée le 7 décembre 2003 par les populations de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy de créer deux nouvelles collectivités d’outre-mer ;
Enfin, renforcer l’État de droit outre-mer par une clarification bien nécessaire des statuts en vigueur et l’amélioration de la démocratie locale.
Cette révision constitutionnelle, pour sa partie relative à l’outre-mer, a apporté à nos collectivités deux garanties essentielles : d’abord, celle de leur appartenance à la République, consacrée de manière solennelle par la désignation nominative de chacune d’elles dans notre constitution ; ensuite, la garantie démocratique fondamentale selon laquelle aucune évolution ne pourra se faire sans le consentement des électeurs concernés.
En effet, si le principe d’identité législative est réaffirmé avec force pour les départements et régions d’outre-mer, il est prévu que les lois et règlements puissent faire l’objet d’« adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ». C’est un point très important pour appréhender l’ensemble des discussions législatives ou normatives que nous pouvons avoir sur l’évolution des responsabilités de nos collectivités en outre-mer. La Constitution prévoit que les départements et régions d’outre-mer pourront être habilités par la loi à adapter localement les lois et règlements et à fixer des règles dans un nombre limité de matières, à l’exception de celles dites de souveraineté – ordre public, défense, droit pénal, nationalité. L’habilitation préalable du Parlement ne pourra intervenir qu’à la demande des assemblées locales. Le Parlement demeurera en tout état de cause libre de sa décision.
Compte tenu de l’importance des nouveaux pouvoirs, de nature quasi législative, donnés aux assemblées départementales et régionales, il était bien naturel que quelques règles viennent en assurer l’encadrement. L’article 1er du projet de loi organique y pourvoit.
La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a, par ailleurs, érigé Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon en collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution. Il convient d’en tirer les conséquences en mettant leur statut en conformité avec cet article, qui renvoie au législateur organique le soin d’en déterminer les principales dispositions.
Il s’agit, enfin, comme je l’ai indiqué, de tirer toutes les conséquences des consultations locales du 7 décembre 2003 en ce qui concerne Saint-Barthélemy et Saint-Martin et de les ériger en collectivités d’outre-mer. C’est une étape importante.
Ces objectifs ainsi posés, je souhaite insister sur la démarche qui a animé le Gouvernement.
Tout d’abord : rendre le droit applicable plus lisible. Dans un souci de clarté, nous avons choisi de codifier les statuts des quatre collectivités concernées dans le code général des collectivités territoriales, afin de bien montrer que, pour spécifique que soit parfois leur statut, elles font partie du grand ensemble des collectivités territoriales de la République.
Deux lois vous sont présentées, une organique et une ordinaire, afin de respecter le partage opéré par la Constitution dans notre hiérarchie des normes.
Ces deux projets peuvent paraître complexes et volumineux. Ce sont indiscutablement les textes les plus « lourds » de la législature, mais c’est un aspect marginal comparé à l’objectif, à savoir un important travail de codification. Nous aurons l’occasion de procéder à des ajustements du code général des collectivités territoriales, du code électoral et du code des juridictions financières. Cela peut paraître complexe au départ, mais l’objectif est de parvenir à une plus grande transparence,…
Dans un certain nombre de domaines, des habilitations à prendre des ordonnances sont nécessaires, d’où l’article final du projet de loi.
Sont également rendues applicables des règles modernes et claires d’application et de publication locale des textes nationaux, ou encore l’harmonisation des règles de consultation des autorités territoriales sur les projets de textes législatifs et réglementaires qui éviteront de nombreux et inutiles contentieux.
La présentation détaillée des nombreuses dispositions que comportent ces deux projets demanderait beaucoup de temps. Aussi, je me limiterai à en souligner les plus importantes.
S’agissant de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, l’évolution statutaire des deux îles était attendue avec beaucoup d’impatience par les populations locales. Ce projet répond à leur attente. Il s’agissait aussi d’un engagement du Président de la République dans le cadre du mandat qu’il exerce depuis 2002.
Conformément aux documents d’orientation rédigés par les conseils municipaux des deux îles, il est prévu que deux collectivités d’outre-mer de l’article 74 de la Constitution se substitueront aux deux actuelles communes de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.
La collectivité de Saint-Barthélemy exercera les compétences dévolues aux communes, départements et régions. Ses compétences normatives propres s’exerceront notamment en matière fiscale, dans le domaine de l’urbanisme, de l’environnement, du tourisme et de l’accès au travail des étrangers. Elle sera dotée de l’autonomie définie par l’article 74 de la Constitution et pourra, à ce titre, saisir le Conseil constitutionnel, par exemple lorsqu’une disposition de nature législative ordinaire, postérieure à la loi organique statutaire, lui paraîtra menacer ses compétences propres. Pour l’essentiel, les lois et règlements continueront à s’y appliquer de plein droit,…
Saint-Martin disposera également de l’autonomie et donc d’une compétence normative propre. Les lois et règlements s’y appliqueront de plein droit, dans les mêmes conditions qu’à Saint-Barthélemy.
Les institutions de ces deux collectivités seront organisées autour d’un « conseil territorial », nom choisi par le Sénat, à l’issue du vote de ce texte à l’unanimité, toutes sensibilités confondues, après un débat de grande qualité. Ce conseil territorial sera doté des attributions des conseils municipaux, généraux et régionaux. Son président constituera l’exécutif de la collectivité.
La démocratie locale est confortée par la mise au niveau de la métropole des garanties accordées aux élus minoritaires, ou encore par la fixation des conditions d’application des consultations et des référendums locaux. Le droit des minorités est respecté, l’organisation des consultations référendaires à l’échelle locale est évidemment encadrée et le droit de pétition, conforté. Les deux nouvelles collectivités seront consultées sur les projets ou propositions de loi, d’ordonnance ou de décret comportant des dispositions qui leur seront spécifiques,
Le Sénat, vous le savez, a souhaité que ces deux collectivités soient représentées à la Haute assemblée. Je vous précise que le Gouvernement déposera une nouvelle fois, pour se conformer à la décision du Conseil Constitutionnel sur la recevabilité financière des amendements, l’article déjà adopté sur l’élection des sénateurs.
S’agissant de la création des sièges de députés, question que pose ce texte, j’écouterai avec beaucoup d’attention les propositions de chaque groupe politique et du rapporteur. À l’issue de la discussion générale, je vous indiquerai si le Gouvernement dépose un amendement tendant à la création de ces sièges.
Je voudrais à présent lever quelques malentendus concernant la fiscalité. L’autonomie qui sera accordée à Saint-Martin et Saint-Barthélemy sur ce point n’est pas exceptionnelle, contrairement à ce que j’entends dire ici ou là. Toutes les collectivités d’outre-mer, ainsi que la Nouvelle-Calédonie, disposent du droit de déterminer leur régime fiscal et douanier. Souvent, la méconnaissance de ces textes engendre des débats autour d’idées reçues très désagréables pour les élus locaux et parfaitement inadaptées à la réalité de l’encadrement du droit. Nous fonctionnons dans un État de droit et ce texte ne fera que le renforcer.
La réforme statutaire s’accompagnera simultanément d’un renforcement de la présence de l’État et d’une déconcentration accrue des moyens alloués aux services publics sur les deux îles. Sur ce point, j’ai plaisir à vous annoncer qu’un préfet délégué sera prochainement nommé, qui sera chargé de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.
Pour Saint-Martin, le nouveau statut offrira à l’État l’occasion de mieux jouer son rôle. Il y a vraiment une demande d’État, un besoin d’État formulés par les élus locaux. Nous y répondrons, notamment en ce qui concerne le traitement de la délinquance ou des conséquences directes de l’immigration clandestine massive subie par l’île.
Il s’agit là, je le répète, d’une disposition essentielle pour favoriser le rapprochement de Mayotte avec le droit commun, dans la logique de la démarche entreprise par vous-même et par d’autres élus en faveur d’une évolution progressive vers le statut de département. Je réaffirme à cette occasion, en ma qualité de ministre de l’outre-mer, que j’y suis favorable, et je salue une fois encore, cher Mansour Kamardine, votre engagement depuis toujours dans ce combat que vous gagnerez.
Enfin, les Terres australes et antarctiques françaises, les TAAF, voient leur statut, issu d’une loi de 1955, actualisé, afin que leur régime législatif et leur organisation administrative soient précisés, comme l’exige désormais l’article 72-3 de la Constitution. Les îles dites « éparses » de l’Océan indien – Tromelin, Bassas da India, Europa, Juan de Nova et les Glorieuses – sont rattachées pour leur administration aux TAAF, dans un souci de rationalisation de leur gestion et de leur statut.
Avec ces projets de loi, mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement tient son engagement, sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres – je peux même dire sur tous les autres concernant l’outre-mer pris dans le cadre de cette législature – afin de tirer tous les enseignements de la révision constitutionnelle de 2003.
Ces projets ont fait l’objet de nettes améliorations par le Sénat. Je suis donc tout à fait ouvert aux suggestions et aux compléments qui pourraient être apportés par l’Assemblée nationale. Le Gouvernement a présenté volontairement une rédaction a minima pour permettre à la représentation nationale de l’enrichir, de discuter avec les élus locaux, de travailler en commission et d’aboutir à des compromis acceptables par tous.
Je réaffirme ma reconnaissance et celle de mon ministère à M. Didier Quentin et, à travers lui, aux services de la commission des lois, qui se sont beaucoup investis dans ce texte si lourd et si important. Je peux d’ores et déjà annoncer que je serai favorable à la très grande majorité des propositions formulées par la commission.
Je souhaite que ces deux projets de loi fassent l’objet d’un accord aussi large que possible, objectif que je crois envisageable. Le débat, je le sais, sera riche et dense, témoignant de l’attention particulière que l’Assemblée nationale porte aux aspirations et aux besoins spécifiques de nos compatriotes d’outre-mer.
Je me réjouis donc, mesdames, messieurs les députés, que, une fois encore, nos échanges illustrent notre attachement aux valeurs qui nous rassemblent, en métropole comme dans l’outre-mer, et qui ne sont autres que les valeurs républicaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Les projets de loi organique et ordinaire qui nous sont soumis proposent une réforme d'ampleur de ce droit. En effet, leurs dispositions concernent les compétences normatives des départements et des régions d'outre-mer, mais elles définissent également le statut de quatre collectivités d'outre-mer, tout en modernisant les règles de droit électoral qui y sont applicables.
Ces projets ont été adoptés par le Sénat à la quasi-unanimité, le 31 octobre dernier, dans une ambiance constructive et largement consensuelle, ce qui s'explique par l'important travail de préparation et de concertation engagé à leur sujet par le ministère de l'outre-mer depuis plusieurs années.
Ces textes sont particulièrement longs, comme vient de le rappeler M. le ministre. Ils comprennent environ un millier d'articles codifiés, ce qui explique mécaniquement le grand nombre d'amendements purement techniques – amendements rédactionnels, de précision, de coordination ou corrigeant des erreurs matérielles – que je vous proposerai d'adopter. Ils compléteront utilement l'important travail déjà accompli sur ce texte par le Sénat, dont la commission des lois avait présenté 354 amendements, la plupart de nature purement technique.
Le premier axe de la réforme qui nous est proposé vise à préciser les conditions dans lesquelles les conseils généraux et régionaux d'outre-mer pourront mettre en œuvre les nouveaux pouvoirs normatifs que leur reconnaît l'article 73 de la Constitution depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003.
L'article 1er du projet de loi organique prévoit ainsi les conditions dans lesquelles les conseils généraux et régionaux des DOM-ROM pourront désormais tout d’abord adapter les lois et règlements à leurs « caractéristiques et contraintes particulières » pour les seules matières relevant de leurs compétences, puis fixer eux-mêmes des règles dans des matières relevant du domaine de la loi, sauf dans les matières précitées relatives à la souveraineté ou aux libertés publiques.
À cette fin, ils devront d'abord avoir demandé et obtenu une habilitation accordée par la loi, puis ils devront adopter à la majorité absolue de leurs membres les délibérations normatives.
Le Sénat a amélioré l'encadrement de cette procédure, premièrement en prévoyant que les conseils généraux ou régionaux devront indiquer dans leurs demandes les caractéristiques et contraintes particulières justifiant les adaptations normatives qu'ils envisagent ; deuxièmement, en accordant une plus grande publicité à ces demandes ; troisièmement, en limitant à deux ans la durée maximale des habilitations législatives ; enfin, en confiant l'ensemble du contentieux au Conseil d'État en premier et dernier ressort.
Les amendements adoptés par la commission des lois visent à aligner certaines rédactions sur celle de l'article 73 de la Constitution, ainsi qu’à compléter l'information du Parlement sur les dispositions normatives envisagées et à rappeler qu'il demeure libre d'accorder ou non l'habilitation demandée.
Il nous est ensuite proposé de définir les statuts de quatre collectivités d'outre-mer : Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, mais aussi Saint-Barthélemy et Saint-Martin, ces deux dernières collectivités n’ayant actuellement qu’un statut communal. Afin de faciliter l'accès au droit, l'ensemble des dispositions de ces statuts font l'objet de quatre livres distincts au sein d'une nouvelle sixième partie du code général des collectivités territoriales.
Le statut de Mayotte, actuellement fixé par une loi du 11 juillet 2001, sera rénové pour tenir compte des impératifs constitutionnels. En effet, de nombreuses dispositions relèvent désormais de la loi organique, et non de la loi ordinaire, en vertu de l'article 74 de la Constitution. Le régime d'application des lois et règlements à Mayotte ne sera pas bouleversé mais, pour tenir compte de la situation locale, notamment des insuffisances du cadastre, l'application du droit commun sera reportée de 2007 à 2009 en matière douanière et de 2007 à 2013 au plus tard en matière fiscale. Par ailleurs, les dispositions du statut relatives au fonctionnement des institutions, au contrôle de légalité et à la démocratie locale sont étroitement inspirées du droit commun départemental.
La commission des lois vous proposera, par amendements, de parvenir, dans ces matières, à un alignement plus complet sur le droit commun. Toutefois, pour tenir compte des spécificités mahoraises, vous serez également invités à adopter des amendements visant à renforcer la transparence des activités financières de la collectivité départementale, à permettre au préfet d'y rétablir le fonctionnement normal des services publics en cas de blocage, ainsi qu'à autoriser la collectivité d’outre-mer à promouvoir des programmes audiovisuels renforçant l'apprentissage du français.
Enfin, le conseil général de Mayotte exercera les mêmes compétences que les conseils généraux et régionaux d'outre-mer, sauf pour certaines politiques scolaires et sanitaires, en raison des difficultés locales. Le Sénat a, par ailleurs, étendu la faculté d'adaptation normative prévue pour les DOM-ROM, ce qui semble légitime.
Le statut de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui est plus ancien puisqu'il est régi par une loi du 11 juin 1985, sera également modernisé. Le régime législatif de l'archipel n'est guère modifié et les règles budgétaires, financières et institutionnelles sont, là aussi, calquées sur le droit commun départemental. En revanche, la collectivité exercera non seulement les compétences dévolues aux DOM-ROM, mais aussi de nouvelles compétences en matière de fiscalité, d'urbanisme et d'exploitation de la zone économique exclusive. Le Sénat a toutefois souhaité associer les communes de l'archipel à l'exercice des compétences fiscales et d'urbanisme. Il a également aligné la dénomination de l'organe délibérant et de son exécutif, ainsi que les règles de composition de cet exécutif sur celles prévues pour Saint-Barthélemy et Saint-Martin.
Outre des amendements de même nature que ceux prévus pour Mayotte, visant notamment à parfaire l'alignement sur le droit commun départemental, la commission des lois vous proposera de renforcer les conditions d'information des conseillers généraux sur les décisions qui leur sont soumises.
Il est enfin proposé de définir le statut des deux nouvelles collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Actuellement, Saint-Barthélemy et Saint-Martin ont le statut de communes de la Guadeloupe, mais demandent depuis longtemps à devenir des collectivités autonomes. Leur rattachement à la Guadeloupe n'est pas réellement justifié, car ces deux îles en sont éloignées de 250 kilomètres et les problèmes qui s'y posent ne sont pas les mêmes qu'en Guadeloupe. Le passage au statut de collectivité d'outre-mer, régi par l'article 74 de la Constitution, a été nettement approuvé par les habitants des deux îles, lors du référendum organisé le 7 décembre 2003. La dernière étape de leur évolution statutaire est donc la fixation de leur statut par une loi organique.
Le projet de statut prévoit la création, dans chacune des deux îles, d'une collectivité unique qui se substitue à la commune, au département et à la région. Cette collectivité sera dotée d'un conseil territorial, d'un organe exécutif collégial appelé conseil exécutif et d'un président. Celui-ci sera responsable devant le conseil territorial. À ces différences près, le fonctionnement des institutions est calqué sur le modèle départemental.
Les nouvelles collectivités bénéficient de transferts de compétences de l'État, notamment en matière de fiscalité, d'urbanisme, de logement, de tourisme, de voirie et de transports routiers. Cela leur permettra d'adopter des normes adaptées à leurs spécificités.
Par ailleurs, les projets de loi qui nous sont soumis comportent des dispositions électorales importantes. Tout d'abord, il fallait prévoir l'élection d'une assemblée délibérante pour chacune des deux nouvelles collectivités d’outre-mer que sont Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Le Sénat a souhaité appeler cette assemblée délibérante conseil territorial, pour éviter toute confusion avec les conseils généraux.
Le conseil territorial de Saint-Barthélemy compterait 19 conseillers et celui de Saint-Martin 23 conseillers. Les principales caractéristiques de l'élection au conseil territorial seraient un scrutin de liste à deux tours au sein d'une circonscription électorale unique, un renouvellement intégral tous les cinq ans et une prime majoritaire du tiers des sièges accordée à la liste arrivée en tête.
Le Sénat a souhaité que l'assemblée délibérante de Saint-Pierre-et-Miquelon, tout comme celles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, soit appelée conseil territorial. Les dispositions relatives à l'élection de ce conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon seraient quelque peu modifiées : abaissement de la durée du mandat de six à cinq ans, à compter du renouvellement de 2012 ; élection des conseillers territoriaux au sein d'une circonscription unique, composée de deux sections correspondant respectivement à la commune de Saint-Pierre et à celle de Miquelon-Langlade ; réduction au tiers des sièges de la prime majoritaire accordée à la liste arrivée en tête.
En ce qui concerne les élections au conseil territorial de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon, le Sénat a également apporté deux améliorations importantes au projet initial. Premièrement, il a remplacé la condition d'admission au second tour des deux seules listes arrivées en tête au premier tour par un seuil d'admission au second tour correspondant à 10 % des suffrages exprimés. Deuxièmement, il a confié le contentieux de l'élection en premier et dernier ressort au Conseil d'État.
Le Sénat a aussi décidé de créer un siège de sénateur de Saint-Barthélemy et un siège de sénateur de Saint-Martin, afin d'assurer une représentation sénatoriale spécifique à ces deux nouvelles collectivités d’outre-mer.
Si l'application stricte des règles de recevabilité financière empêche le dépôt d'un amendement parlementaire prévoyant la création d’un siège de député à Saint-Barthélemy et d’un autre à Saint-Martin, il serait cependant légitime de créer ces deux nouveaux sièges, sans procéder dans le même temps à une révision générale des circonscriptions législatives. En effet, cette création de sièges de députés aurait pour objet de tenir compte de la transformation de deux communes d'un département d'outre-mer en collectivités d'outre-mer.
La commission des lois vous propose, outre un certain nombre d'amendements ayant pour objet de compléter les dispositions électorales, de rétablir une prime majoritaire de la moitié des sièges pour les élections au conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon. Elle vous propose également de revenir, pour les élections à l'assemblée de la Polynésie française, au mode de scrutin antérieur à 2004, c'est-à-dire à un scrutin de liste à un seul tour, à la représentation proportionnelle et sans prime majoritaire, afin de permettre à la Polynésie de retrouver la stabilité politique dont elle a besoin.
Par ailleurs, la version initiale du projet de loi prévoyait d'harmoniser le contrôle exercé dans ces collectivités d’outre-mer par les juridictions financières, tout en prévoyant la création d'une chambre territoriale des comptes distincte dans chacune de ces collectivités. Le Sénat a décidé d'étendre cette démarche aux juridictions administratives, en prévoyant la création de deux nouveaux tribunaux administratifs à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin. La création de ces tribunaux administratifs et de ces nouvelles chambres territoriales des comptes ne sera pas une charge excessive, dans la mesure où il est prévu d'utiliser les magistrats des départements d'outre-mer les plus proches et de recourir à des systèmes de visioconférence.
Le projet modernise le statut des Terres australes et antarctiques françaises – les TAAF –, des îles Éparses de l'océan indien et de l'île de Clipperton en supprimant des dispositions devenues obsolètes.
Enfin, une partie du projet de loi est consacrée au recours aux ordonnances, qui jouent traditionnellement un rôle important dans la fixation du droit outre-mer. Ainsi, le Gouvernement est autorisé à légiférer par ordonnance pour tirer les conséquences mécaniques des réformes statutaires, mais aussi pour moderniser le droit social applicable dans les collectivités d’outre-mer et faciliter la lutte contre l'immigration clandestine outre-mer – sujet sur lequel M. Dosière et moi avons déposé un rapport concernant Mayotte il y a un an. En outre, on ne peut que se féliciter que le Gouvernement soumette à la discussion parlementaire la ratification de 27 ordonnances intéressant les matières les plus diverses, car il n'en a pas l'obligation constitutionnelle.
En conclusion, il me semble que ces projets de loi organique et ordinaire, d'apparence très technique, n'en représentent pas moins un réel progrès pour nos compatriotes d'outre-mer, car ils permettront d'y clarifier le droit applicable et d'y vivifier la démocratie locale. Tout en vous soumettant un certain nombre d'amendements, je vous proposerai donc, au nom de la commission des lois, d'adopter ces projets. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à M. René Dosière.
Quoi qu’il en soit, je tiens à préciser que mes propos n’engageront pas le Parti socialiste,…
Je respecte le point de vue de mes amis de la Guadeloupe, dont la vision locale des choses doit être prise en compte, car ils vivent au contact des réalités, qu’ils connaissent naturellement mieux que nous.
Mais si je m’exprime, c’est bien parce que je considère que la vision locale ne correspond pas toujours à l’intérêt général. Je regrette d’ailleurs que les débats relatifs à l’outre-mer soient souvent réservés aux députés ultramarins, au point que de nombreux, sinon la totalité des députés métropolitains, s’en désintéressent.
Je m’attacherai essentiellement, sinon uniquement, aux collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin – qui présentent des situations bien distinctes mais dont je relèverai toutefois les quelques traits communs.
La superficie de Saint-Barthélemy est de 24 kilomètres carrés, ce qui correspond à celle des XVIe, VIIIe et VIIe arrondissements de Paris – une référence d’ailleurs appropriée à maints égards.
« En 1957, M. David Rockefeller débarquait à Saint-Barthélemy : il y achetait une propriété de 27 hectares pour une poignée de milliers de dollars, et entraînait à sa suite ses voisins de Park Avenue et autres quartiers huppés. Ces arrivées furent l’événement déclencheur de la transformation progressive de l’île en site exceptionnel, assurant aux touristes une ambiance familiale et confidentielle en haute saison et un fort degré de sécurité, ce qui distingue cette destination des autres îles des Caraïbes. Le prix très élevé d’une résidence secondaire ou d’un séjour sur place ainsi que les difficultés d’accès par avion – l’atterrissage n’est possible que pour de petits appareils – permettent dès lors de capter la clientèle haut de gamme, soucieuse de préserver la confidentialité de la destination.
« Alors que l’île n’accueillait en 1963 que 310 touristes et quelques centaines de plaisanciers, leur nombre passait à 47 000 en 1980, puis à 282 000 en 2003. Une massification toute relative qui a fait de Saint-Barthélemy un des hauts lieux de villégiature et de plaisance de la grande bourgeoisie.
« Les vieilles familles de la côte Est des États-Unis ont été rejointes par nombre de leurs cousins et amis européens, ainsi que par les tycoons de la nouvelle économie mondiale. Lors du réveillon du jour de l’an 2005, la petite anse de Gustavia accueillait notamment les première, cinquième, douzième et vingt-cinquième fortunes mondiales, auxquelles se sont joints quelques magnats du divertissement ainsi qu’une pléiade de stars du box-office et de la mode dont le prestige contribue à conférer à l’île son statut de lieu d’élection pour la nouvelle classe de loisirs qu’est l’hyperbourgeoisie mondialisée. »
« Un entre-soi insulaire qui permet de se passer des dispositifs de protection et de ségrégation internes qui caractérisent les localités balnéaires continentales les plus huppées ; point de vigiles dans les espaces publics ou de sélection à l’entrée des boîtes de nuit à Saint-Barthélemy : y être, c’est déjà en être. Cette évolution n’a d’ailleurs pas échappé aux centaines de professionnels des services de loisirs et de proximité – gérants ou propriétaires d’hôtels, de boutiques de luxe, de restaurants ou de boîtes de nuit – venus s’établir sur l’île pour profiter de la manne du tourisme haut de gamme, ainsi qu’aux “Saint-Barths” qui se sont peu à peu constitués en classe de services et qui contrôlent la vie politique locale et les ressources économiques premières de l’île : le foncier, les bâtiments et travaux publics, l’approvisionnement en eau potable, l’activité portuaire et aéroportuaire, la location et l’entretien des moyens de transport et d’une partie des villas de luxe. De nombreuses familles locales sont à leur tour multimillionnaires en euros. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on est loin de la situation de quasi-pénurie qui caractérisait l’après-guerre. »
Si je fais cette description, c’est pour que chacun comprenne bien ce qu’est Saint-Barthélemy. L’évolution socio-économique qu’a connue l’île rend indécentes les exonérations fiscales dont elle bénéficie en fait, et non en droit.
En réalité, c’est un problème pratique qui se pose, celui de la perception de l’impôt, qui nécessite l’intervention d’un certain nombre de fonctionnaires. Il y a bien une trésorerie à Saint-Barthélemy, mais elle ne compte qu’un seul agent, travaillant à mi-temps. Quant à l’annexe de la sous-préfecture, elle ne comprend que trois agents de catégorie C – sans doute le gardien, le jardinier et un employé de bureau. Enfin, le poste de sous-préfet, situé à Saint-Martin, est souvent vacant.
La droite a, pour sa part, choisi de mettre en place une autonomie fiscale, afin de transformer la situation de fait en situation de droit. Divers projets en ce sens circulèrent, appuyés par les élus de l’île et ceux de la Guadeloupe. En octobre 1996, à l’initiative de Mme Michaux-Chevry – une référence outre-mer –…
Mais les choses évoluent et à l’initiative du député UMP de la quatrième circonscription de la Guadeloupe de l’époque, la campagne en faveur de la séparation des deux îles se poursuivit – avec l’appui de M. Nicolas Baverez, un ultralibéral qui mit sa plume au service de cette campagne en rédigeant un plaidoyer pro domo pour la commune de Saint-Barthélemy. L’idée de la séparation a été reprise lors du retour aux affaires de la droite dans le cadre de la révision constitutionnelle, appuyée d’ailleurs, ce qui peut paraître étonnant, par d’autres élus que ceux de droite. Elle débouche aujourd’hui sur le texte qui nous est soumis et que vous justifiez, monsieur le ministre, par le nécessaire respect de la parole donnée.
La parole de la France est engagée quand le Gouvernement signe un accord – par exemple, les accords de Nouméa pour la Nouvelle-Calédonie – et que le Parlement l’approuve. À ces conditions – et seulement à ces conditions – la parole de la France doit être respectée, et vous avez raison de le rappeler à votre majorité en ce qui concerne la définition du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Mais dans le cas présent, il s’agit d’une orientation politique consistant à accorder un statut d’autonomie à des communes françaises – un statut dont le détail n’est connu qu’aujourd’hui. Les populations locales ne se sont prononcées que sur des orientations, et on peut comprendre qu’elles les aient approuvées quand on en connaît les conséquences.
Tous ceux qui se sont penchés sur la situation de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin reconnaissent la nécessité d’un changement compte tenu des relations qui se sont établies ou non avec la Guadeloupe. Mais la solution que vous proposez consiste à calquer leur statut sur celui de la Polynésie, ce qui n’est pas un exemple. Pourquoi vouloir « flosséiser » l’outre-mer, alors que d’autres formules auraient pu être imaginées ? C’est pour échapper à la confidentialité d’usage des débats portant sur l’outre-mer que j’ai souhaité défendre cette motion.
Le changement de statut, on l’a dit, revient sur le plan fiscal à pérenniser la situation actuelle de fait, qui permet aux habitants de Saint-Barthélemy d’échapper à l’impôt, au mépris des principes d’égalité et d’universalité. Transférer le pouvoir fiscal à la nouvelle collectivité, c’est permettre au droit de s’aligner sur la situation de fait – une façon un peu rapide de résoudre le problème ! Le rapporteur nous explique que le texte retenu constitue, de ce point de vue, un progrès grâce à une convention fiscale à l’application de laquelle le Gouvernement français veillera comme à la prunelle de ses yeux. Autrement dit, quand il s’agit d’une commune relevant du régime commun, l’État est incapable de faire respecter le droit – puisque personne ne paye l’impôt –, mais il suffirait que la collectivité devienne autonome pour que l’État soit capable d’imposer son point de vue. J’ai, personnellement, un peu de mal à le croire : quand on voit à quel point l’État est marginalisé en Polynésie, je ne pense pas que ses pouvoirs puissent se trouver renforcés par l’instauration de ces deux nouvelles collectivités.
Si les habitants sont riches, la collectivité l’est également. Malgré l’absence de fiscalité locale directe – pas de foncier bâti, pas de taxe d’habitation pour les luxueuses propriétés des milliardaires de la jet-set –, la collectivité dispose, elle, de ressources importantes liées à son économie touristique : droits de quai, taxes sur les carburants, taxes additionnelles aux droits de mutation, taxes de séjour, et caetera… Si le nouveau statut va lui faire perdre quelques dotations minimes versées par la région et le département, il lui permettra de bénéficier de nouvelles ressources beaucoup plus productives. En outre, l’État continuera à lui accorder une dotation de fonctionnement et une dotation d’équipement. Ainsi, l’une des collectivités les plus riches de la République, qui par ailleurs exonère ses habitants d’impôts, recevra des sommes au titre de la solidarité nationale, payées par les contribuables métropolitains ! Il y a là une redistribution à l’envers qui n’est pas conforme aux valeurs de solidarité et de régulation sociale. Comment ne pas être choqué par le fait que la plus riche des communes de la Guadeloupe, une région fortement sinistrée par le chômage et la pauvreté, soit exemptée de tout effort de redistribution ? Le socialiste que je suis, même si je parle à titre personnel, ne saurait soutenir ce statut de paradis fiscal résidentiel qui considère que la façon la plus efficace de maintenir la compétitivité de l’île de Saint-Barthélemy sur le marché de la plaisance et de la villégiature de luxe consiste à favoriser l’activité de sa classe de services. Cela reviendrait à exonérer le châtelain de tout impôt sous prétexte qu’il fournit du travail à ses employés.
En réalité, les flux sont orientés. Ainsi, dans la partie française, où la population, qui augmente très régulièrement, est de l’ordre de 35 000 habitants, on trouve une immigration importante, en provenance notamment d’Haïti et de la République dominicaine, estimée à un tiers de la population. Pourtant, la France, contrairement à la Hollande, exige un visa quand on vient de ces pays. Les étrangers entrent donc par la partie hollandaise et gagnent ensuite la partie française, notamment pour se faire soigner car les soins y sont gratuits alors que dans la partie hollandaise on fait payer avant de soigner.
Est-il besoin de citer de nombreux autres exemples pour montrer les incohérences qui résultent de deux législations différentes sur un même territoire ? Les observateurs décrivent d’ailleurs une situation économique et sociale difficile. Je fais ici référence au rapport n° 329 de trois sénateurs, paru en mai 2005. Il y est fait allusion à une situation préoccupante en matière de délinquance et de drogue qui nuit au développement touristique. Il est vrai que le nombre de chambres dans les quarante-quatre hôtels de l’île, dont quinze quatre étoiles et luxe, est passé de 3 170 en 1996 à 2 763 en 2001 et à 2 571 en 2003, et que le taux d’occupation y est faible. Le rapport souligne également un taux élevé de délinquance, très supérieur à la moyenne nationale, et une présence forte de la criminalité organisée.
Je cite à cet égard le rapport : « La situation géographique de Saint-Martin au sein de l’Arc antillais, sur les axes d'approvisionnement de l'Amérique du nord et de l'Europe, en fait un lieu propice aux trafics tels que celui des stupéfiants. Le trafic de stupéfiants s'accompagne en outre d'activités de blanchiment de capitaux.
« L'absence de contrôle systématique aux ports et aéroports facilite en outre le stockage de marchandises en transit, tandis que l'enchevêtrement des eaux territoriales et la partition de l'île favorisent les mouvements des narcotrafiquants. Ainsi, les saisies de stupéfiants – cocaïne, héroïne, cannabis – à Saint-Martin et à l'arrivée à Roissy des vols provenant de Juliana se sont élevées à 162,5 kilogrammes en 2003.
« Le contrôleur principal, commandant la brigade garde-côtes des douanes, a souligné la nécessité de recourir, dans un tel contexte, à des équipements nautiques performants, les narcotrafiquants utilisant des embarcations très rapides.
« Les garde-côtes de Saint-Martin sont ainsi équipés d'une vedette destinée au travail de renseignement et de surveillance et d'un intercepteur rapide. Toutefois, ils ne disposent pas d'un budget suffisant pour assurer le fonctionnement de ces outils complémentaires, ce qui est particulièrement regrettable.
« Le commandant de la gendarmerie locale a indiqué aux membres de la mission que les ressortissants des îles environnantes – Haïti, République dominicaine, île de la Dominique, Jamaïque – séjournaient brièvement sur l'île pour commettre des délits, Sint Maarten n'appartenant pas à l'espace Schengen et ne soumettant pas les séjours de courte durée à une obligation de visa.
« Il a déclaré que les grands délinquants se retranchaient aisément dans la partie néerlandaise, grâce à l'absence de frontière et au défaut de coopération policière pour les recherches opérationnelles. À cet égard, il a souligné le manque de progrès de la coopération avec les autorités de Sint Maarten, concluant à la nécessité d'un accord de coopération bilatérale en matière de police. En effet, les procédures auxquelles sont soumises les forces de police et de gendarmerie, telles que les demandes d'entraide et les commissions rogatoires internationales, rendent difficiles les interventions rapides.
« Le travail de renseignement, essentiel dans la lutte contre la criminalité organisée, requiert également un développement des échanges avec la partie néerlandaise. »
Face à une telle situation, c’est d’une véritable présence de l’État que Saint-Martin a besoin. Or vous répondez en proposant l’autonomie, soit la disparition de l’État, en fait sinon en droit. Je considère, quant à moi, que cette réponse n’est pas adaptée. Vous-même, monsieur le ministre, avez d’ailleurs quelques doutes car l’autonomie complète de Saint-Martin n’est prévue que pour 2012. Il est vrai que le budget de la collectivité est sous tutelle de la chambre régionale des comptes depuis 1997, et ce pour diverses raisons.
Je citerai ici quelques extraits d’un rapport de la chambre régionale des comptes sur la gestion de la commune : « S’agissant du personnel, le critère de recrutement sur la base des origines saint-martinoises des candidats est trop privilégié par la commune de Saint-Martin au détriment de celui de la formation initiale ou des compétences pour l’emploi proposé, ce qui n’est pas sans influence sur les dysfonctionnements des services communaux qui ont été relevés par la chambre. » On admirera au passage le style de la chambre régionale…
Autre exemple : « Les responsables du centre de gestion de la fonction publique territoriale de la Guadeloupe ont affirmé être dans l’incapacité de reconstituer la carrière des agents municipaux de Saint-Martin. Les demandes de renseignements qu’ils ont adressées au maire sur le sujet sont demeurées sans réponse. Les rares arrêtés qui leur ont été fournis sont entachés d’illégalité. »
Enfin, je termine ce florilège par une petite remarque sur les cadres : « La chambre régionale des comptes de Guadeloupe rappelle à la commune que tous les agents qu’elle emploie, en particulier les cadres, doivent se consacrer uniquement à leur activité administrative et n’ont le droit d’avoir aucune activité salariée, commerciale et libérale, ou même bénévole, pendant leur temps de service. »
On constate également que l’eau potable est mal gérée, que le recouvrement des impôts directs locaux, qui existent à Saint-Martin,…
Tout cela explique sans doute qu’il faille attendre un peu avant de transférer des compétences. En tout cas, l’État a une grande responsabilité en la matière car il s’est quasiment désintéressé de cette commune tout comme d’ailleurs la Guadeloupe.
En tout état de cause, accorder l’autonomie à des entités d’aussi petite taille, disposant de personnels qualifiés en nombre insuffisant revient à prendre des risques en matière de gestion des fonds publics. On le voit bien en Polynésie, où pourtant les fonctionnaires métropolitains sont nombreux et alors même que le « fenua » dispose de cadres locaux compétents.
Au nom de l’autonomie, l’État se retire complètement, ou il ne pèse pas face à un personnel politique local doté de pouvoirs financiers. Du reste, les contrôles administratifs et financiers prévus sont flous. Même s’ils sont théoriquement bien organisés, la réalité est différente. Si le texte prévoit la réquisition du comptable par l’ordonnateur, il ne rend pas applicable à ces nouvelles collectivités le titre III du code des juridictions financières sur la Cour de discipline budgétaire, ce qui est dommage. En outre, la métropole se désintéresse assez largement de ce qui se passe à des milliers de kilomètres.
Dans ces conditions, comment s’étonner de voir surgir corruption, clientélisme voire financements occultes ? (Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Deux aspects communs à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin appellent de ma part des observations particulières : la représentation parlementaire et le statut des élus locaux.
Le Sénat a créé deux nouveaux sièges de sénateurs par amendement. J’ai cependant le sentiment que cette création est susceptible de censure par le Conseil constitutionnel. Vous deviez d’ailleurs le partager, monsieur le ministre, puisque, venez-vous de nous dire, le Gouvernement a déposé un amendement tendant à prévoir cette création, qui lui sera constitutionnel. Pourquoi celui du Sénat ne l’était-il pas ?
D’après le rapporteur de la commission des lois du Sénat, l’article 24 de la Constitution pose explicitement le rôle spécifique de représentation des collectivités territoriales de la République dévolu au Sénat et implique donc la création de sièges de sénateurs élus à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.
Voici ce que répond à cela la jurisprudence du Conseil constitutionnel – décision 91-290 du 9 mai 1991 – : « Si l’article 24 de la Constitution impose que les différentes collectivités territoriales soient représentées au Sénat, il n’exige pas que chaque catégorie de collectivités dispose d’une représentation propre. »
J’ai par ailleurs souligné les doutes, qui sont aussi les vôtres, sur la constitutionnalité d’un amendement ayant une incidence financière déposé au Sénat. En effet, la décision n° 2006-544 du 14 décembre 2006 du Conseil constitutionnel à propos d’une loi de financement de la sécurité sociale précise les points suivants :
« Considérant que les amendements dont sont issus les articles 115 et 117, présentés par des sénateurs, auraient dû, de surcroît, être déclarés irrecevables dès leur dépôt au motif qu'ils avaient pour conséquence l'aggravation d'une charge publique ;
« Considérant, en effet, qu'aux termes de l'article 40 de la Constitution : " Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique " ; que, si la question de la recevabilité financière des amendements d'origine parlementaire doit avoir été soulevée devant la première chambre qui en a été saisie pour que le Conseil constitutionnel puisse en examiner la conformité à l'article 40, cette condition est subordonnée, pour chaque assemblée, à la mise en œuvre d'un contrôle de recevabilité effectif et systématique au moment du dépôt de tels amendements ; qu'une telle procédure n'a pas encore été instaurée au Sénat ; »
Il est vrai que voilà plusieurs années maintenant que le Conseil constitutionnel a demandé au Sénat de mettre en place une procédure de recevabilité des amendements. Comme il ne l’a pas fait, le Conseil a censuré un certain nombre de dispositions de cette loi de financement de la sécurité sociale. Et il aurait certainement censuré l’amendement des sénateurs visant à prévoir deux sénateurs de plus, puisque cela aurait augmenté la charge publique. Mais, monsieur le ministre, vous allez sauver le Sénat de ce mauvais pas.
Le plus grave est ailleurs, cependant. En effet, le corps électoral qui va élire ces sénateurs s’élèvera à 20 à Saint-Barthélemy et à 24 à Saint-Martin.
Bien entendu, la création d’un siège de député pour chaque collectivité est réclamée par tous les élus. Notre rapporteur l’a dit, l’article 40 étant lui scrupuleusement appliqué à l’Assemblée, le Gouvernement présentera un amendement en ce sens. Il sera voté unanimement, moins ma voix cependant.
Là encore, on peut s’interroger sur la position que prendra le Conseil constitutionnel. À plusieurs reprises, en effet, il a soulevé le problème que posaient les inégalités démographiques liées à la date ancienne du découpage. Celui-ci remonte à 1982.
En attendant, et comme pour manifester l’intérêt qu’elle porte au Conseil constitutionnel, l’Assemblée va créer deux sièges de députés qui vont aggraver encore les inégalités démographiques. Je citerai là notre excellent rapporteur Didier Quentin : « La question qui se pose est donc de savoir si la création d'un ou de plusieurs nouveaux sièges de députés pour les nouvelles collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin soulève une difficulté au regard du principe d'équilibre démographique. En effet, en raison du faible nombre d'habitants de ces deux îles, les sièges ainsi créés correspondraient à la représentation d'une fraction marginale de la population nationale. En outre selon le rapporteur, la création de nouvelles circonscriptions législatives pour ces deux îles s’imputerait sur la quatrième circonscription législative de la Guadeloupe, qui compterait ainsi un nombre d’habitants nettement inférieur à celui des autres circonscriptions législatives de la Guadeloupe – cette création aurait donc un impact sur l’équilibre démographique des circonscriptions de la Guadeloupe. En effet, la quatrième circonscription ne compterait, si l’on soustrait les communes de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, qu’un peu plus de 63 000 habitants, contre plus de 105 000 pour la population moyenne par circonscription en Guadeloupe. Or, la loi de 1986 habilitant le Gouvernement à établir par voie d’ordonnance les circonscriptions législatives avait fixé comme condition que la population d’une circonscription ne devait pas s’écarter de plus de 20 % de la population moyenne des circonscriptions du département. »
Le rapporteur en conclut que les circonscriptions de la Guadeloupe ne respecteraient plus cet écart si l’on dissociait Saint-Barthélemy et Saint-Martin, à défaut d’un redécoupage de l’ensemble de ces circonscriptions.
Enfin, si le texte améliore le sort des élus locaux, il fera certainement des jaloux. Avec la substitution des communes par des conseils territoriaux, la rémunération des conseillers municipaux, qui vont devenir des conseillers territoriaux, sera quelque peu différente. La discrétion dont font preuve à cet égard nos rapporteurs, en particulier lors du débat au Sénat, m’oblige à vous apporter quelques précisions chiffrées.
Aujourd’hui, l’indemnité mensuelle du maire de Saint-Barthélemy est de 2 031 euros, et celle de chacun de ses huit adjoints de 1 117 euros ; quant aux conseillers municipaux, ils ne perçoivent rien. Demain, après le changement de collectivité territoriale, le président de la nouvelle collectivité percevra 7 496 euros,…
Le coût total pour la collectivité passera donc de 10 967 euros à 109 862 euros par mois. Cette multiplication par dix des dépenses représente une augmentation de 902 %. On atteint la croissance des dépenses de l’Élysée ! (Sourires.)
Dans la commune de Saint-Martin, réputée pour sa bonne gestion, le président de la nouvelle collectivité territoriale percevra 8 033 euros par mois, contre aujourd’hui 3 323. Chacun des vice-présidents touchera 7 756 euros, contre 1 827 aujourd’hui, et chaque conseiller 5 540 euros. La commune, qui connaît des difficultés financières, dépense aujourd’hui pour ses élus 23 420 euros par mois ; demain, elle en dépensera 139 915 ! Rappelons que l’indemnité mensuelle d’un député s’élève à 6 800 euros : bien moins que celles des présidents des futures collectivités territoriales de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin !
Alors que se prépare la prochaine rentrée scolaire, marquée par des diminutions de crédits et de personnels dans les collèges, le Gouvernement n’hésite pas à engager de nouvelles dépenses, dont il ignore ou dissimule le montant…
Monsieur le ministre, contrairement à votre prédécesseure, vous avez su parler à l’outre-mer avec votre cœur. Je regrette que vous attachiez votre nom à cette entreprise de « flosséisation ». (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Mais revenons à ces quatre collectivités. Ce qui me frappe, c’est qu’on se fixe l’objectif d’y faire régner le droit. Ce serait étonnant que nous y parvenions, puisque la loi commune ne s’y applique pas encore ! Saint-Barthélemy, par exemple – dont le maire est présent dans les tribunes – est une île très riche, et nous connaissons la genèse de cette richesse. Pourtant, ce territoire est hors la loi puisqu’il échappe à la contribution aux finances publiques, en contradiction avec la Déclaration des droits de l’homme de 1789.
Soyons reconnaissants à notre collègue Dosière d’avoir développé son argumentation. Dans l’opposition, conformément à notre philosophie politique, nous sommes par principe favorables à l’autodétermination des populations. Encore faut-il qu’elle se fasse dans la transparence et le respect des valeurs universelles !
Or, comme vous savez – et si vous ne le savez pas vous le saurez désormais – il règne à Saint-Barthélemy un apartheid de fait. Certes, il n’est pas aussi violent que celui que connût l’Afrique du Sud avant la victoire de Mandela. Mais disons la vérité : les édiles de Saint-Barthélemy veillent à maintenir la pureté ethnique de la population ! Oui, mes chers collègues, c’est ainsi que cela se passe sur le territoire de la République française, et nous le tolérons ! Certes, on y rencontre parfois des personnes qui ne sont pas blanches : ce sont celles qui travaillent au service des privilégiés. Mais les autres, en d’autres temps et en d’autres lieux, on les aurait appelé des Aryens ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Je vais vous raconter une anecdote…
J’en viens à la convention fiscale qui lie la France aux Pays-Bas. Lorsque l’administration française souhaite contrôler une filiale d’entreprise française installée aux Pays-Bas, l’administration fiscale néerlandaise demande d’abord au patron de la filiale s’il veut bien s’y soumettre ! C’est avec de telles autorités que vous allez conclure une convention fiscale ? Ce n’est pas sérieux ! Nous sommes en train de couvrir des faits extrêmement graves, nonobstant les pressions exercées sur des fonctionnaires de l’État. Mais je reviendrai sur ce point dans la discussion générale.
Je voterai donc la motion de procédure de René Dosière : lorsque l’éthique et la morale sont menacées, les parlementaires doivent réagir !
Je pourrais simplement dire que nous ne voterons pas la motion de procédure de notre collègue, mais j’ai entendu des choses qui méritent des réponses.
L’Europe a plusieurs paradis fiscaux, Monaco, l’île de Man, Jersey, Guernesey !
Je trouve, d’autre part, la logique qui a présidé à cette exception d’irrecevabilité d’une rigueur un peu cadavérique, car elle exprime le refus de la diversité. Je rappelle que le Parti socialiste a soutenu l’évolution institutionnelle de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, conformément au principe auquel la gauche est particulièrement attachée, celui de l’autodétermination. Je suis député de Guadeloupe, et j’ai soutenu cette évolution ! En outre, le groupe des sénateurs socialistes et le groupe des sénateurs communistes ont voté à l’unanimité le texte préparé par le Gouvernement et amendé par le rapporteur du Sénat, M. Cointat, comme il l’est par notre rapporteur, Didier Quentin, qui a réalisé un excellent travail. Ce vote n’a pas été acquis à la hussarde, de manière anonyme ou clandestine.
La discrimination consiste à traiter de manière identique des situations différentes. Si l’on suivait René Dosière, il faudrait appliquer intégralement la fiscalité de l’Île-de-France – l’une des régions les plus riches de France et d’Europe ! – en Guadeloupe, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin. Si l’on appliquait la discrimination positive territoriale – formule qui peut choquer –, il faudrait supprimer les zones franches urbaines en métropole ! Or je prétends que la Guadeloupe, y compris Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont les régions d’Europe les plus pauvres en termes de revenus per capita. Il faut donc un différentialisme fiscal et ce n’est pas déroger aux principes républicains que de demander, pour un temps raisonnable, des régimes adaptés, pertinents, répondant aux attentes et aux besoins des populations. Voilà pourquoi, au nom du groupe socialiste, je ne peux m’associer à cette motion de procédure.
Il faut revenir au sujet, qui est l’avenir de l’outre-mer et l’application de la révision de la Constitution. Tout autre débat est polémique et donc sans intérêt. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)
Ces projets de loi organique et ordinaire portant diverses dispositions institutionnelles et statutaires outre-mer, votés à l'unanimité au Sénat, permettront, près de trois ans après la réforme constitutionnelle, l'entrée en vigueur de l'article 73-3 de la Constitution, de moderniser les statuts de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon et de consacrer l'évolution statutaire de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, trois ans après la consultation populaire organisée dans ces îles.
C'est la raison pour laquelle, respectueux de la volonté populaire exprimée outre-mer et satisfait des clarifications proposées par ces statuts et améliorées par le Sénat, le groupe socialiste à l'Assemblée nationale – je le répète – votera ces textes.
Je tiens ici à féliciter chaleureusement Christian Cointat, rapporteur de ces textes au Sénat. Il a effectué un travail considérable, de très grande qualité, en associant toutes les parties et toutes les sensibilités. Toutes les bonnes volontés se sont conjuguées pour améliorer les textes. Notre rapporteur, Didier Quentin, a travaillé dans le même esprit. Il a consulté un très grand nombre de partenaires , ce qui donne le texte abouti soumis à notre discussion. Vous-même, monsieur le ministre, vous avez été constamment ouvert tout au long de la procédure en acceptant d'accompagner le travail parlementaire, et je vous en remercie.
Cependant, avant d’expliciter les raisons de notre approbation, permettez-moi trois critiques.
D’abord, ces textes sont tardifs. Nous avons attendu trois ans ! On aurait pu, à mon sens, être plus rapide.
Ensuite, ils sont insuffisants sur deux dispositions.
En effet, malgré la réécriture totale par le Sénat de l'article 1er de la loi organique mettant en œuvre l'article 73-3 de la Constitution, à l'initiative de son excellent rapporteur Cointat, je suis malheureusement certain, comme Claude Lise l'a magistralement démontré au Sénat, que ce pouvoir restera lettre morte. Loin de concrétiser la demande formulée par les élus d'outre-mer de l'attribution d'un pouvoir d'initiative législative dans des domaines techniques, l'article 73-3 ainsi qu'un certain nombre de dispositions du titre XII de la Constitution mériteront, demain, d'être réécrits afin que la décentralisation devienne enfin fonctionnelle et qu'une partie du pouvoir normatif soit réellement transférée aux collectivités locales.
En outre, à mon sens, les textes restent insuffisants sur les Îles du Nord, malgré les améliorations apportées par le Sénat et par notre travail en commission. Si les aspects les plus choquants, notamment le curieux différentialisme appliqué à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy ont été gommés, des insuffisances graves persistent en matière d'accompagnement au développement de ces collectivités, de prise en compte des particularités culturelles, et principalement linguistiques, de Saint-Martin, ainsi que de l'accompagnement financier de cette collectivité.
Enfin, l'extension du bénéfice de la dotation de continuité territoriale aux personnes qui doivent se rendre outre-mer pour un événement familial grave, si elle ne peut être que saluée dans son principe, mérite, pour son application effective, une augmentation de cette même dotation, faute de quoi elle grèvera un peu plus encore les finances des collectivités régionales ou restera pur effet d'annonce.
Là encore, le débat démocratique qui va s'engager dans notre pays sera l'occasion de reprendre ce sujet essentiel de la continuité territoriale qui, je n'en démords pas, ne peut être réglé par un subventionnement public déguisé aux compagnies aériennes.
Ces critiques faites, je souhaiterais naturellement, en tant que représentant, dans cette assemblée, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, faire part de ma satisfaction globale devant de ces textes.
J'ai, depuis longtemps, appelé de mes vœux, avec ferveur et, je crois pouvoir le dire, avec ardeur, une évolution statutaire des îles du Nord. Devenu, depuis 2002, leur député, ma conviction s'est renforcée. Je me permets donc d'adresser une fois de plus mes plus vives félicitations aux élus de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, présents ce soir dans les tribunes, qui ont su trouver un consensus global et présenter au Gouvernement un document d'orientation conforme à leurs aspirations, approuvé à une écrasante majorité le 7 décembre 2003.
Un nouveau statut est en effet nécessaire.
Tirant les conséquences du choix massivement exprimé par les électeurs de Saint-Barthélemy, avec 95,1 % de oui, et de Saint-Martin – 76,17 % de oui –, lors des consultations du 7 décembre 2003, en faveur de l'accession de ces deux îles au statut de collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution, évolution que le Parti socialiste a soutenue lors de ces consultations, ces projets sont légitimes et justifiés au regard de la géographie et de l'organisation administrative. Les îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ont, depuis longtemps, suivi un destin différent du reste de l'archipel guadeloupéen, auquel elles n'ont été rattachées que par commodité.
Saint-Barthélemy et Saint-Martin évoluent dans un environnement international, économique, social et culturel fort différent du « continent », comme on dit chez nous, et se trouvent adossées à une histoire singulière qui explique, s'il en était besoin, la volonté farouche et réitérée de leurs élus d'assumer leurs responsabilités et d’adopter le régime de l'autonomie prévu par l'article 74.
Mes amis ont occupé le pouvoir. On a reproché l’absence répétée de l’État à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, mais pourquoi n’avons-nous pas agi nous-mêmes ? Nous n’avons rien fait. Il faut, aujourd’hui, en tirer les conclusions : il fallait bien que Saint-Martin et Saint-Barthélemy travaillent. Et si l’État devait être encore plus présent, il devrait investir massivement dans l’île. Comment voulez-vous faire face à Sint-Maarten, où il y a un port, un aéroport international, Juliana International Airport, où des gens arrivent massivement précisément ? J’ai été invité personnellement par la reine Béatrice à inaugurer ce gigantesque aéroport ! Cette réalisation est due au bénéfice de l’autonomie et de la liberté. Et c’est ce qu’on n'a pas compris en France parce qu’on est rigide, parce qu’on refuse la diversité, la réalité !
Saint-Barthélemy et Saint-Martin évoluent dans un environnement international, et nous devons en tirer les conclusions.
Je félicite les élus de Saint-Barthélemy qui, pour pérenniser les choses, dans la transparence, proposent une convention fiscale.
La même aspiration habite Saint-Martin et a suscité réflexions et débats, nourris au surplus du sentiment d’un certain échec collectif : celui de l’État, dont la présence et l’efficacité sur place sont faibles, celui de la Guadeloupe également − ma Guadeloupe continentale − perçue localement comme différente et bien éloignée, et parfois un peu indifférente. Surtout, il existe une relation asymétrique entre les parties, française et hollandaise. Depuis 1957, deux pays européens n’arrivent pas à s’entendre pour gérer un petit espace de 90 kilomètres carrés. On laisse la partie hollandaise tailler des croupières à la partie française. Il faut se réjouir de la législation généreuse. Les gens arrivent à Princess Juliana International Airport, vont se faire soigner gratuitement à l’hôpital, se faire scolariser gratuitement, mais, lorsqu’il faut domicilier des entreprises, ils vont dans la partie hollandaise.
Si Saint-Barthélemy ne subit pas les mêmes contraintes et soutient un modèle de développement autonome tourné vers les États-Unis, le pragmatisme commande, malgré ces différences, que « les deux collectivités bénéficient pratiquement des mêmes compétences », comme le soulignait le rapport de l’inspection générale de l’administration de juin 2004 sur l’évolution statutaire des îles du nord.
Votre projet initial, entaché par un a priori qui considère que les Saint-Martinois sont incapables d’assurer leur avenir, était en cela inacceptable. Je salue, une fois de plus, les rapporteurs Cointat et Quentin qui ont su vous le faire comprendre.
Ces nouveaux statuts permettent également de régler la délicate et très ancienne question fiscale. La convention fiscale existera : inutile d’épiloguer. Le problème de l’eau est bien spécifique et stratégique. Comment le régler avec le droit commun fiscal ? Comment abaisser les prix ? Pour ma part, en tant que président de région, je versais une dotation pour avoir un prix social de l’eau. Aujourd’hui, pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy, on va supprimer 18 millions. Saint-Barthélemy ne demande rien, et je salue l’esprit de responsabilité de ses habitants.
Je voterai donc ce texte, mais je voudrais cependant dire à M. le ministre que nous risquons de nous opposer sur trois sujets.
Le premier est le changement de mode de scrutin en Polynésie. Autant je peux comprendre l’exigence de stabilité, autant le groupe socialiste ne peut pas, compte tenu de la conjoncture et de la situation actuelle en Polynésie, soutenir une telle mesure. La législature touche à sa fin : comment peut-on envisager une telle modification, demandée par le Tahoeraa huiraatira, qui se veut autonomiste et républicain, alors qu’un premier changement du mode de scrutin, réclamé par le même parti, a déjà été accordé en 2004 ? On peut ne pas être d’accord avec le Tavini de M. Temaru, mais celui-ci a été élu par le peuple. Qu’il ait des options nationalistes ou indépendantistes, il faut le respecter, car c’est un élu républicain. Il serait de bonne et de sage politique d’élargir le cercle du consensus avant de toucher au mode de scrutin.
D’autre part, je ne suis pas sûr, même si le parti socialiste a combattu ce mode de scrutin en 2004, que l’on favorisera la stabilité en supprimant la prime majoritaire de 33 %. Un rééquilibrage des forces électorales s’opère en Polynésie : il ne faudrait pas le compromettre.
Enfin, comment peut-on supprimer la prime majoritaire, passer de 3 % à 5 % pour la répartition des sièges et ne pas provoquer des élections tout de suite ? Je ne peux souscrire à aucune forme d’opportunisme politique. Si l’on veut la paix civile − et, j’allais dire, sociale − en Polynésie, il faut ne toucher aux modes de scrutin que d’une main tremblante.
Un deuxième point de désaccord concerne le droit additionnel à l’octroi de mer que l’on veut créer. J’ai eu à ce sujet des entretiens approfondis avec les maires de Pointe-à-Pitre et de Basse-Terre. Malgré les tentatives de votre direction, monsieur le ministre, venue en Guadeloupe pour nous diviser, vous avez reçu un courrier du maire de Pointe-à-Pitre qui vous demande de retirer ce projet, le temps d’organiser une véritable concertation. Cela aussi, ce serait la sagesse. Le maire de Basse-Terre lui-même a demandé que l’on revoie très sérieusement les textes.
Un exemple vous montrera les répercussions que pourrait avoir cette affaire. Le Gouvernement vient d’augmenter le prix de l’essence en Guadeloupe de 3 centimes, au moment où la région s’apprêtait à le baisser : le litre coûte désormais 1,48 euro. L’essence acquitte déjà l’octroi de mer régional et la taxe spéciale sur les carburants ; elle paiera désormais le droit additionnel à l’octroi de mer régional, ce qui portera probablement le litre de supercarburant à 1,53 ou 1,54 euro.
Vous touchez ensuite de façon indirecte à la dotation globale garantie. On ne peut pas accepter cela, monsieur le ministre, quand bien même on serait animé par un esprit de compromis, si l’on ne s’est pas organisé, en amont, avec les présidents de région et les communes. Je peux comprendre les problèmes de Pointe-à-Pitre et de Basse-Terre, mais comment peut-on songer à imposer 452 000 consommateurs contribuables pour donner entre 15 et 30 millions d’euros à 32 000 personnes ? Je suis prêt à entendre qu’il y a des charges de centralité. Mais soyons honnêtes. À Basse-Terre, c’est la région Guadeloupe qui les a payées. Nous avons augmenté les impôts sur le ramassage des ordures ménagères de 30 à 50 %, augmenté le prix de l’eau. Le marché central, la gare centrale et le boulevard maritime ont été faits par la région. Je viens de donner 1,3 million d’euros pour tenter de combler le déficit de Basse-Terre. Il en reste encore 1,3 million, plus 600 000. Il subsiste une dette de 2 millions à l’égard de la région. Nous sommes prêts à faire un geste. Je vous demande de revoir ce dossier et d’exonérer la région Guadeloupe de ce nouveau droit.
Mes collègues ont peut-être d’autres positions et le président Marie-Jeanne défendra la sienne. Mais, dans une république à organisation décentralisée, comment voulez-vous donner du pouvoir aux élu, quelle que soit leur orientation politique, et décider ensuite, à Paris, sans concertation aucune, de changer les règles et d’influer sur les budgets de toutes les collectivités ? Ce n’est pas très sérieux. Je vous demande de revoir ce dossier et d’en exonérer la Guadeloupe.
Enfin − c’est le troisième point −, si nous sommes d’accord sur le principe de la création de sièges de députés, je n’emploierai pas, même si je le comprends, l’argument démographique de mon collègue Dosière. Faudrait-il supprimer certaines circonscriptions, à Wallis-et-Futuna, par exemple ? Il s’agit d’une obligation constitutionnelle. Il faudra donc tenir les engagements qui ont été pris.
Au bénéfice de ces observations, le groupe socialiste votera ce texte.
Les projets de loi qui nous sont présentés aujourd’hui ont essentiellement pour objet de fixer le nouveau statut de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin et de permettre les conditions de mise en œuvre des nouveaux pouvoirs normatifs reconnus aux départements et régions d’outre-mer. Mon intervention portera donc sur ces deux points principaux.
Ces deux projets de loi portant sur le statut et les institutions de l’outre-mer auront d’importantes conséquences. La question institutionnelle et la question statutaire sont en effet des préalables incontournables pour le devenir de l’outre-mer, son développement économique et social. On ne peut, en outre-mer comme ailleurs, dissocier l’économique du politique. Il ne peut y avoir de développement véritable sans responsabilité politique. Encore faut-il que celle-ci soit garante de l’intérêt général, ce qui, dans certaines collectivités, restera à prouver.
La loi constitutionnelle du 28 mars 2003, relative à l’organisation décentralisée de la République, a accordé, dans le nouvel article 73 de la Constitution, de nouveaux pouvoirs normatifs aux départements et régions d’outre mer qui peuvent, après y avoir été habilités par la loi, adapter les lois et règlements à leurs caractéristiques et contraintes particulières. Il leur permet également de fixer des règles dans certaines matières pouvant relever du domaine de la loi. Le titre Ier du projet de loi organique définit les modalités d’exercice, par les assemblées délibérantes des départements et régions d’outre-mer, de ces nouveaux pouvoirs reconnus par la Constitution. La première mouture était inquiétante. Au-delà d’une procédure particulièrement lourde à suivre pour l’exercice de ce pouvoir normatif, la rédaction initiale du texte donnait pouvoir au préfet de demander à l’assemblée de procéder à une nouvelle lecture de sa délibération, prise en application de son habilitation, pour des motifs de légalité, et même pour des raisons d’opportunité. Les sénateurs sont revenus sur ce point.
Cependant, les modifications de bon sens apportées par le Sénat ne sauraient masquer que ce pouvoir normatif demeurera bien relatif si le Gouvernement décide de ne pas accorder toute l’attention nécessaire aux départements et régions d’outre-mer. Je ne prendrai qu’un seul exemple : celui de la demande d’habilitation qui devra être mise en débat au Parlement pour que celui-ci accorde, ou n’accorde pas, l’habilitation sollicitée. Pour qu’elle puisse être adoptée, il faudra donc que la demande d’habilitation soit inscrite à l’ordre du jour du Parlement. Si elle ne prend pas la forme d’un projet de loi − d’où l’importance de l’implication du Gouvernement −, elle n’a que très peu de chance de venir en discussion devant le Parlement. Les niches parlementaires restent suffisamment peu nombreuses dans le calendrier législatif pour espérer que les propositions de loi d’habilitation soient examinées dans des délais raisonnables, si elles sont examinées.
Se réjouir de ces nouveaux pouvoirs normatifs accordés aux départements et régions d’outre-mer serait donc tromper les populations ultramarines, même si nous considérons qu’ils constituent un premier pas vers l’autonomie.
J’en viens maintenant aux dispositions qui concernent le nouveau statut de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Les élus communistes ont toujours défendu le droit à l’autodétermination des départements d’outre-mer. Il revient, en effet, aux populations elles-mêmes de décider des voies à suivre quant à l’évolution de leurs institutions. Les populations de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy ont fait le choix de se transformer en collectivités uniques. Il était de la responsabilité du Parlement de traduire, sur le plan législatif, leur aspiration.
Permettez-moi cependant une première remarque. Actuellement communes de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy vont devenir collectivités d’outre-mer. Ces deux îles du nord seront les premières à expérimenter le statut de collectivité défini par l’article 74 de la Constitution. Ce changement de statut ne sera pas sans conséquence sur la situation financière guadeloupéenne. En effet, privée des 7 000 habitants de Saint-Barthélemy et des 35 000 habitants de Saint-Martin, la Guadeloupe verra diminuer les dotations de l’État et percevra moins de recettes fiscales. Nous appelons donc l’attention du Gouvernement sur ce problème, qui est de nature à aggraver les disparités entre la Guadeloupe, qui sera pénalisée, et Saint-Barthélemy, qui paradoxalement sera avantagée.
Une autre de mes remarques porte sur la question du statut fiscal de ces futures collectivités, et plus particulièrement celui de Saint-Barthélemy, petit paradis pour milliardaires qui jouit d’un statut d’exonération fiscale inique. Si certaines exonérations fiscales pouvaient se justifier par le dénuement lié à l’insularité, depuis des années, la défiscalisation de fait de cette île, devenue un des hauts lieux de villégiature et de plaisance de la grande bourgeoisie, ne se justifie plus. Comment, d’ailleurs, pourrions-nous décemment justifier le fait que les résidents cette île, la plus riche de la Guadeloupe, soient exemptés de toute forme de solidarité fiscale avec le reste du pays et, surtout, avec la Guadeloupe, département de France le plus sinistré par le chômage et la pauvreté ? Certes, Saint-Barthélemy n’est pas, au sens juridique, un paradis fiscal. Il ne deviendra pas, avez-vous dit, monsieur le ministre, l’une de ces nouvelles plateformes euro-caribéennes du blanchiment et de la grande délinquance financière. Néanmoins, le nouveau statut de l’île constitue un énième démantèlement des régulations de solidarité et de cohésion sociale. L’exemption de toute fiscalité de redistribution est contraire à tous nos principes, elle est aussi contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. J’ai noté, monsieur le ministre, que lors des débats au Sénat vous avez assuré que les ministères des finances et de la justice visaient, en étroite concertation avec vos propres services, à renforcer localement le rôle de l’État sur place. J’aurais tendance à vous croire, d’autant qu’une chronique people a mentionné la présence de M. Thierry Breton, ministre des finances, sur l’île de Saint-Barthélemy. Mais ce n’était que pour célébrer les fêtes de fin d’année ! J’aurais évidemment préféré que ce fût pour étudier les conditions d’un retour à la normalité et à la morale sur le plan fiscal.
Ces remarques étant posées, nous respecterons la volonté populaire qui s’est exprimée en approuvant ici l’évolution institutionnelle de ces collectivités. C’est pourquoi, en l’état actuel de leur rédaction et, je le précise, au nom de notre attachement au principe d’autodétermination, nous voterons ces textes, sous réserve bien entendu que d’éventuels amendements n’en dénaturent pas le sens.
Pour finir, je tiens à préciser que notre vote positif, s’il devait se confirmer, ne devrait pas être considéré comme autre chose que notre attachement à ce principe. Si les dispositions figurant dans ces textes doivent en effet être regardées comme un premier pas vers l’autonomie réelle, elles devront également être rapidement améliorées : nos territoires d’outre-mer ne sauraient se contenter de l’imparfait en matière statutaire et institutionnelle, car il en va de leur responsabilité et de leur développement. Mais ils ne sauraient non plus s’affranchir du principe de l’égalité en droit, non plus que de la garantie de la prise en compte de l’intérêt général.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, j’ai servi le miel ; la potion que servira tout à l’heure mon ami Jean-Pierre Brard risque de vous paraître plus amère. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
L’outre-mer constitue pour la France un atout extraordinaire sur le plan géostratégique. Au moment où l’on parle de modification du climat, de risques pour la biodiversité, les territoires ultramarins représentent un extraordinaire atout, ce qui confère à la métropole une responsabilité particulière à leur égard en termes de solidarité. Je le dis avec beaucoup de conviction : si les 11 millions de kilomètres carrés, qui constituent les espaces maritimes français à l’intérieur de la zone économique exclusive, nous placent en position de deuxième puissance maritime du monde, c’est grâce aux 7 millions kilomètres carrés de l’outre-mer. Les océans représentent un capital formidable, en termes de biodiversité, pour la France, pour l’Europe et pour les générations qui viennent.
C’est donc avec plaisir et avec beaucoup d’émotion que je m’exprime ce soir au nom du groupe de l’UMP sur l’outre-mer.
Les textes qui nous sont présentés ce soir étaient nécessaires ; ils résultent d’une évolution attendue, voulue, mûrie, concertée, demandée, et évidemment approuvée par le groupe de l’UMP.
Ils sont le fruit d’un travail tout à fait remarquable accompli par le Gouvernement. Ces deux textes comportent en effet plus de 1 000 articles, touchant à des domaines extrêmement variés et complexes ; ils ont été accompagnés de la ratification de plusieurs ordonnances. Votre administration, monsieur le ministre, a réalisé un excellent travail. Souvent l’on brocarde, mais lorsque c’est bien il faut le dire aussi.
Ces textes ont été utilement complétés par le Sénat ; et notre rapporteur, Didier Quentin, dont je sais l’intérêt et l’amitié qu’il porte à l’outre-mer, proposera des amendements qui parachèvent ce texte, lui permettant de se présenter devant notre assemblée dans un état satisfaisant. Nous n’aurons donc pas de difficulté, pour l’essentiel, à adopter les amendements qui nous seront proposés tant ils continuent d’améliorer un texte rendu nécessaire par l’évolution constitutionnelle de 2003.
Ils donnent de nouveaux pouvoirs normatifs aux départements et aux régions d’outre-mer – et c’est essentiel — conformément à l’article 73 de la Constitution, qui facilite l’adaptation des lois et règlements à leurs particularismes locaux. Cette innovation majeure, qui est déjà intervenue en Polynésie et la Nouvelle-Calédonie, trouve aujourd’hui son complément dans d’autres territoires.
Le Sénat a amélioré et mieux encadré le texte ; notre assemblée proposera également des amendements en ce sens. C’est une évolution très intelligente et extrêmement intéressante de notre démocratie. Il est probable que les collectivités locales de métropole revendiquent un jour la capacité de bénéficier de ce type de dispositions.
Ces textes définissent également le statut de quatre collectivités d’outre-mer : Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Ce n’est pas le fruit du hasard, mais celui d’une évolution liée à la particularité de chacun de ces territoires. Il est en effet intéressant de constater que ces quatre territoires, très éloignés les uns et les autres, et dont l’histoire avec la métropole a été très différente, ressentent le besoin de voir leur statut évoluer pour se mettre en conformité avec la Constitution. Ce statut nouveau est revendiqué dans le cadre d’un processus imaginatif, intelligent, organisé pour permettre à chacune de ces communes – Saint-Barthélemy et Saint-Martin – d’engager une nouvelle relation avec la République. C’est un processus intéressant, novateur, imaginatif et qui mérite d’être salué au-delà des polémiques, somme toute peu intéressantes, sur quelques particularismes…
Les textes ont ceci de très intéressant et significatif, monsieur le ministre, que la démarche qu’ils proposent est finalement la même : sa portée dépasse le cas particulier d’une collectivité pour proposer une vision globale de la politique française menée outre-mer, à la fois cohérente, solidaire, intelligente, moderne. En cela, ils constituent une avancée, non seulement de la relation avec la métropole, mais aussi de celle qui lie ces territoires à l’Europe et au monde.
Au-delà des polémiques qui n’épargnent aucun texte, nous aurons à cœur, les uns et les autres, de faire triompher la République sur les particularismes en contribuant à une évolution conforme aux principes républicains auxquels nous sommes tous attachés. Nous n’avons pas supporté les paillotes en Corse ; de la même façon, nous n’accepterons outre-mer aucune conduite contraire à l’esprit de la République, ni plus ni moins qu’en métropole. Il ne s’agit pas de stigmatiser l’outre-mer, mais de lui permettre d’avancer dans la bonne direction. Tel est votre souci, et le Parlement le partage.
Je veux également évoquer les modifications du droit électoral proposées. J’approuve là encore le souci du Gouvernement d’assurer aux assemblées de ces collectivités la possibilité de délibérer dans des conditions satisfaisantes, qui concilient l’expression efficace d’une majorité et la représentation des minorités.
Je veux ajouter qu’ayant eu l’honneur de rapporter le texte relatif au statut d’autonomie de la Polynésie française, j’avais eu à me prononcer à propos de la modification du mode de scrutin proposée à cette occasion. Je reconnais que je me suis trompé en la matière – il n’est jamais mauvais de reconnaître son erreur.
L’objectif absolu est de permettre qu’une majorité de gouvernement se dégage tout en assurant la représentation des minorités. Cet équilibre très subtil est d’autant plus difficile à atteindre en Polynésie que, comme j’ai pu le constater lors de mes visites, les problématiques des îles australes ne sont pas celles des Marquises, et celles des Îles sous le vent sont différentes de celles des Tuamutu. Nous devons, en tant que démocrates, avoir le souci que la majorité, même si ce n’est pas celle que nous soutenons, puisse gouverner dans l’intérêt des Polynésiens, et donc de la France. Notre volonté est de rétablir un mode de scrutin conforme à cet intérêt.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, les raisons qui valent à ces textes l’aval, l’appui, et même le soutien actif du groupe de l’UMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Cette qualité indéniable ne masque pas cependant un défaut considérable, et les centaines d’amendements de correction, de cohésion, de coordination qui ont été déposés révèlent à quel point ces textes ont besoin d’être revus. Cela n’est pas attribuable à la précipitation, puisque, comme cela a été rappelé, ces projets sont la conséquence d’un référendum intervenu il y a trois ans déjà. Nous sommes bien obligés de nous accommoder de ces corrections nécessaires, mais il est indiscutable qu’elles viendront alourdir nos débats, même si j’imagine que ces amendements de correction et de cohésion seront, comme d’habitude, examinés à un rythme très soutenu.
La circonstance que nous examinons ce texte vingt-quatre heures plus tôt que prévu est aggravante si on veut bien se souvenir que nous venons pour la plupart d’assez loin et qu’une telle modification de calendrier est une contrainte incontestable : certains ont même failli n’être pas là avant demain matin.
Mais restons-en aux avancées les plus importantes. Les textes que nous examinons n’ont pas seulement une portée institutionnelle, même si les dispositions de cette nature y sont majoritaires : elles visent également à redresser des situations économiques et sociales étant extrêmement diverses et à répondre à des demandes politiques différentes.
En ce qui concerne en particulier les relations entre les outre-mers et l’Union européenne, nous avons ces dernières années été frustrés du dynamisme volontariste que nous étions en droit d’attendre du Gouvernement. Nous aurions pu obtenir de l’Europe certains aménagements susceptibles d’améliorer la situation outre-mer si les dossiers avaient été plaidés avec pugnacité. C’est le cas, entre autres, du dossier de la pêche. Vous n’ignorez pas, monsieur le ministre, à quel point les dispositions européennes visant à limiter le développement, la modernisation et le renouvellement de la flottille risquent de pénaliser ce secteur d’activité pourtant essentiel pour la Guyane, et dont le développement, par l’accroissement de la production et des captures, serait extrêmement stimulant pour l’économie guyanaise dans son ensemble.
La continuité territoriale en matière de desserte intérieure est l’autre dossier lourd qui risque de pâtir de l’absence de feu vert final de la Commission européenne. Vous savez combien l’enclavement de la Guyane est pénalisant en ce qu’il remet en cause, non seulement la liberté de circuler du littoral à l’intérieur des terres, mais également l’égalité d’accès de tous aux services publics et aux prestations nécessaires de la vie quotidienne. J’espère que nous pourrons avancer sur ce dossier dont vous savez à quel point il nous pèse.
Par ailleurs, ces dispositions, en dépit de leur diversité extrême, ne répondent pas à la totalité des besoins tant ceux-ci sont immenses, d’autant que la nature même des relations entre l’État et l’outre-mer les a encore renforcés. En effet celles-ci sont marquées par certaines anomalies, notamment dans le domaine financier. Les relations entre l’État et l’outre-mer sont en la matière marquées par un particularisme qui est absent des relations que celui-ci entretient avec les autres territoires français. Ainsi lorsque les décisions de l’État réduisent les ressources de ces collectivités, c’est le principe même de leur libre administration qui est remis en cause. La considération des rapports habituels entre l’État et les outre-mers suffit à se convaincre qu’il ne manifeste pas le même respect qu’à d’autres régions de France.
Autrement dit, ces relations sont marquées par une contractualisation de la pénurie qui ne date pas, malheureusement, de votre gouvernement : depuis un certain nombre d’années, le désengagement de l’État et l’affaiblissement des ressources sont de plus en plus manifestes. L’État n’admet pas la nécessité d’adapter ses dotations aux réalités particulières, qu’il s’agisse de réalités géographiques d’enclavement, de sous-équipement ou d’insuffisances en matière d’infrastructures. Ces réticences expliquent les besoins criants dont souffrent les outre-mers, et ces textes ne sont pas susceptibles de les satisfaire tous.
Certaines villes centrales sont à l’origine d’une proposition contestable et qui fera l’objet d’un débat assez vif, comme vous l’imaginez, au moment de l’examen des amendements. La question fondamentale sera celle de la solidarité, qu’il s’agisse de la responsabilité de l’État ou des collectivités. Vous avez, monsieur Lurel, posé avec clarté les termes de ce débat. J’y apporterai néanmoins la précision que ces villes sont accablées de charges qui émanent de l’ensemble de nos territoires. En effet, ceux-ci n’ont pas été désenclavés et équipés au rythme de la croissance de leur population et de l’évolution de leurs activités, parfois extrêmement concentrées du point de vue géographique, du fait notamment de la disproportion entre le secteur des services et celui de la production.
L’accumulation au fil des années de tous ces manquements, imputables à des gouvernements différents, quoique selon des proportions différentes, est à l’origine de besoins d’une ampleur et d’une urgence telles que certaines collectivités, faute d’obtenir une augmentation des dotations de l’État et une réforme radicale des finances locales, ont poussé le sens de la responsabilité jusqu’à assumer la décision extrêmement impopulaire d’instaurer un droit additionnel à l’octroi de mer.
Certains amendements nous donneront l’occasion de revenir sur cette disposition, et nous ne manquons pas de chiffres, d’arguments et de principes à avancer dans cette discussion. Nous espérons bien que l’État nous apportera quelque réponse, non pas seulement en autorisant ces collectivités à infliger ce sacrifice supplémentaire à leurs citoyens, mais en assumant ses responsabilités en matière de solidarité, ce qui suppose qu’il abonde les budgets des collectivités locales.
Pour légitime qu'elle soit, cependant, l'inspiration démocratique n'est pas tout et nous devons regarder en face un certain nombre de données et de faits préoccupants concernant ces deux communes. Rappelons d'abord que si les électeurs de Saint-Barthélemy ont massivement approuvé l'évolution, avec 95,5 % des suffrages exprimés, soit 77 % des inscrits, il n'en est pas de même à Saint-Martin, où elle a été soutenue par 76,2 % des suffrages exprimés, mais seulement 42 % des inscrits, dans un débat d’une rare confusion, il faut le souligner – et, hélas, cela n’est pas dit.
Personne n’a nié les propos que j’ai tenus tout à l’heure sur l’apartheid qui règne de facto à Saint-Barthélemy – sur le territoire de la République française ! Une majorité qui valide de telles pratiques n’est pas légitime au regard des valeurs universelles qui font notre État depuis la Révolution française.
Sur le statut fiscal, tout d’abord. Saint-Martin a le statut de port franc, où les droits de douane ne sont pas perçus. La TVA ne s'y applique pas, alors que la loi ne prévoit pas cette exception. Bien que l'impôt sur le revenu et les « quatre vieilles » doivent être payés, les bases sont très imparfaites et le recouvrement délicat. Le prédécesseur du fonctionnaire que j’évoquais tout à l’heure, voulant faire son travail convenablement, n’a d’ailleurs pas tenu une année. À Saint-Barthélemy existe une exemption de fait des impôts locaux et de l'impôt sur le revenu.
En matière de contrôle, la tâche des fonctionnaires de l'État est délicate à Saint-Martin et il n'existe pas de contrôle sur place à Saint-Barthélemy.
Quant à la souveraineté partagée sur Saint-Martin, je rappelle que la frontière est, depuis l'origine, dépourvue de tout dispositif de contrôle. Aujourd'hui, faute de coopération entre les autorités des deux parties de l'île, de nombreuses fraudes peuvent se développer. Ainsi, monsieur le ministre, vous ne pouvez ignorer qu’un salarié résidant dans la partie hollandaise peut bénéficier du RMI dans la partie française en s’y domiciliant fictivement dans sa famille. À l’inverse, des bénéficiaires du RMI résidant dans la partie française de l’île peuvent travailler sans contrôle dans la partie hollandaise. Ce sont des faits. Il faut le dire.
Évoquons aussi l'écart entre la déclaration du Gouvernement du 7 novembre 2003 et les dispositions proposées : il était prévu que Saint-Martin pourrait « adapter les lois en matière d'urbanisme, de logement, de domanialité publique et d'enseignement ».
En matière financière, les transferts à la commune de Saint-Barthélemy sont, en fonctionnement, de 1,37 million d'euros provenant de l'État et de 1,26 million d'euros du département, soit au total 4,8 millions d'euros pour l'année 2005. En investissement, les montants versés en 2005 s’élèvent à 0,215 million d'euros de la région, 0,09 million d'euros du département et 0,13 million d'euros de l'État, auxquels s'ajoute 1,88 million d'euros du FEDER, soit un total proche de 2,3 millions d'euros.
Il convient d'ajouter à ces transferts les rémunérations de 118 agents de l'État, dont 81 au titre de l'éducation nationale pour un montant inconnu.
Les données relatives aux transferts à la commune de Saint-Martin ne sont pas isolées dans les comptes de la Guadeloupe. À l'avenir, les transferts du département et de la région ne seraient pas maintenus, mais ceux de l’État le seraient, notamment la dotation forfaitaire, la dotation globale de décentralisation et le fonds national de péréquation, ainsi que les transferts prenant la forme des traitements des fonctionnaires de l'État. Les propos de Victorin Lurel sur la situation de la Guadeloupe sont, à cet égard, tout à fait légitimes et fondés.
Globalement, il convient de veiller avec la plus grande attention au maintien et au renforcement de l'état de droit dans ces communes. Aujourd’hui, l’état de droit n’existe ni à Saint-Martin, ni à Saint-Barthélemy, et vous savez bien que les nouvelles dispositions risquent de nous en éloigner davantage.
Vous êtes, monsieur le ministre, quoique jeune, un homme d’expérience. Vous êtes assez habile et assez sage pour savoir que la convention fiscale que vous évoquez – pour ne pas dire : que vous invoquez –comme une sorte de potion magique relève de l’illusion. Seriez-vous Merlin l’enchanteur ?
Faute de la volonté politique que vous n’avez pas encore montrée, les règles républicaines continueront de ne pas s’appliquer.
Je souhaite que vous répondiez clairement à la question de l’apartheid qui règne à Saint-Barthélemy.
Questions au Gouvernement ;
Suite de la discussion :
- du projet de loi organique, n° 3404, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer ;
- du projet de loi, n° 3405, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer ;
Rapport, n° 3593, de M. Didier Quentin, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
(Ces deux textes faisant l’objet d’une discussion générale commune.)
À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :
Suite de l’ordre du jour de la première séance.
La séance est levée.
(La séance est levée, le mercredi 24 janvier 2007, à zéro heure dix.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l'Assemblée nationale,
Jean-Pierre Carton