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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Séance du jeudi 25 janvier 2007

123e séance de la session ordinaire 2006-2007


PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

dissolution de la société nationale
« les médaillés militaires »

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Charles Cova relative aux modalités de dissolution de la mutuelle dénommée Société nationale « Les Médaillés militaires » (nos 3482, 3587).

La parole est à M. Marc Bernier, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Marc Bernier, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué aux anciens combattants, mes chers collègues, avant de débuter mon propos, je tiens à saluer les médaillés militaires présents dans les tribunes, la nation, au travers de ses représentants élus, devant leur témoigner l’estime et la reconnaissance qui leur sont dues. Pour autant, s’agissant du texte qui est aujourd’hui soumis à notre examen – grâce à l’initiative de notre collègue Charles Cova –, on peut regretter que peu de députés soient présents dans l’hémicycle ; mais vous savez que la campagne a déjà commencé et que nos collègues sont rentrés, pour la plupart, dans leur circonscription. Cela étant, et j’en discutais tout à l’heure avec Charles Cova, je puis vous dire que nous avons reçu beaucoup de lettres montrant qu’ils soutiennent assidûment ce texte.

Notre collègue nous invite à un rendez-vous avec l’histoire, laquelle se confond depuis cent cinquante-cinq ans avec les hommes et les femmes qui se sont vu attribuer cette récompense suprême, très vite surnommée le « bijou de l’armée ».

Si « la France s’est construite au fil de l’épée », comme le rappelait à juste titre le général de Gaulle, qui n’était pas atteint de repentance chronique et convulsive, elle fut l’œuvre des chefs militaires – dont les noms sont passés à la postérité – mais aussi des sous-officiers et des hommes du rang, qui furent les piliers des armées royales, impériales ou nationales.

Pour sa part, l’Ancien Régime avait prévu une décoration spécifique – la médaille de la vétérance – afin d’honorer les sous-officiers et les hommes de troupe pour leurs actes de bravoure ou leurs faits d’armes.

En revanche, ni le pouvoir révolutionnaire, qui supprima toutes les formes de mérite, ni les différents régimes successifs qui portèrent sur les fonts baptismaux la Légion d’honneur ou la confirmèrent, n’envisagèrent une décoration spécifique pour les non-officiers. C’est donc afin de rendre justice au courage et au mérite des soldats de l’Empire ou de la Monarchie de Juillet partis combattre hors du territoire de leurs pères que Napoléon III institua la médaille militaire par le décret du 22 janvier 1852, huit jours après la promulgation du nouveau régime impérial – Charles Cova développera tout à l’heure ce passage du décret.

À la chute de l’Empire, la République conserva cette distinction qui honore la valeur et la discipline militaires, et qui est devenue la troisième décoration dans l’ordre de préséance puisque son port et sa disposition réglementaire la placent immédiatement après la croix de Compagnon de la Libération et avant l’ordre national du Mérite.

Qui plus est, spécifiquement militaire, cette décoration est, depuis l’origine, exclusivement réservée à la troupe et aux sous-officiers, mais peut exceptionnellement être concédée aux maréchaux de France et aux officiers-généraux grand’croix de la Légion d’honneur. Le prestige de cette décoration n’en est que plus grand ! Ainsi, la médaille militaire évoque des noms aussi célèbres que Foch, Joffre, Leclerc, Koenig ou Jean Moulin, mais elle rend aussi hommage à cette cohorte de soldats inconnus du grand public qui ont écrit les pages de notre histoire militaire, des champs de bataille de la Grande Guerre à ceux de la Libération, de l’Indochine à l’Algérie, ou bien encore, aujourd’hui, dans le cadre des opérations extérieures où nos troupes sont engagées.

Lors de sa création, et contrairement à la Légion d’honneur, la médaille militaire n’a pas été constituée en un ordre spécifique, son administration et sa discipline étant confiées à la grande chancellerie de la Légion d’honneur. Privés d’une organisation chargée de les soutenir et de cultiver leur solidarité, les médaillés militaires s’organisèrent donc eux-mêmes en créant, en 1904, une société de secours mutuels, qui devint la Société nationale des Médaillés militaires, reconnue d’utilité publique en 1931. En 1909, la Société nationale des Médaillés militaires accentua son effort social en créant l’Association de l’orphelinat et des œuvres, dont le rôle fut de prendre en charge les familles des médaillés militaires en difficulté, et dont la pleine mesure de sa vocation allait tristement se confirmer au cours de la Grande Guerre.

Les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945, créant la sécurité sociale obligatoire sur la base d’un système unifié, obligèrent la Société nationale des Médaillés militaires à se concentrer sur ses œuvres et à délaisser son rôle initial d’assurance sociale. Bien qu’ayant cessé depuis plus de soixante ans son activité d’assurance, elle a conservé – malgré elle – son statut de mutuelle puisqu’elle avait été créée sous le régime de la loi du 1er avril 1898, relative à la charte de la mutualité.

Mais, en 2001, à la suite de la transposition des directives communautaires sur les assurances, le secteur mutualiste a été contraint de se restructurer et de se concentrer sur ses missions principales. La Société nationale des Médaillés militaires n’a pas échappé à cette réforme et a été enjointe de se conformer aux exigences du nouveau code français de la mutualité. Cependant, ce code est uniquement conçu pour des structures, soit qui pratiquent une activité d’assurance, soit qui gèrent des œuvres sociales, alors que la Société nationale des Médaillés militaires a surtout une mission de lien entre ses membres et ne gère qu’une seule maison de retraite. De plus, le code de la mutualité impose aux mutuelles d’être des entités centralisées alors que la Société nationale compte près de 1 000 sections départementales ou locales, qui bénéficient d’une certaine autonomie. Enfin, l’activité de défense des intérêts de ses 70 000 membres entre difficilement dans le champ du nouveau code.

Il est donc apparu – vous en conviendrez, mes chers collègues – que le choix de la forme mutualiste, opéré il y a plus d’un siècle, ne répondait plus aux activités de la Société nationale des Médaillés militaires.

Aussi, le statut associatif serait plus approprié à la réalité de ses activités, à l’instar des associations d’entraide des membres de l’ordre de la Légion d’honneur et de l’ordre national du Mérite, qui ont des missions identiques aux siennes. La loi sur les associations de 1901 lui offrirait un cadre juridique bien défini qui lui permettrait de disposer librement de son patrimoine pour atteindre le but qu’elle poursuit et de fixer des règles de démocratie interne mieux adaptées à son organisation et à son histoire. Pour ce faire, elle compte transférer ses activités à l’Association de l’orphelinat et des œuvres des médaillés militaires, association reconnue d’utilité publique qui lui est liée et dont les missions ont été fixées par son assemblée générale extraordinaire, qui s’est tenue à l’École militaire le 11 décembre dernier. Désormais, l’objet de l’association est de procurer aux médaillés militaires le concours matériel dont ils peuvent avoir besoin à travers différentes aides : aides à l’éducation et aux conditions de vie des pupilles et orphelins de la nation — dont les parents ou tuteurs sont médaillés militaires —, attribution de bourses d’études annuelles, aides ponctuelles aux enfants handicapés et aux sinistrés de catastrophes naturelles.

La fusion de la Société nationale des Médaillés militaires et de l’Association de l’orphelinat et des œuvres se heurte toutefois aux dispositions de l’article L. 113-4 du code de la mutualité, qui prévoit qu’en cas de dissolution d’une mutuelle, le patrimoine de celle-ci doit être nécessairement affecté à une autre structure mutualiste ou au fonds national de garantie des mutuelles. Appliqué à la Société nationale des Médaillés militaires, ce principe aurait pour effet de priver l’ensemble des sociétaires de son patrimoine, constitué notamment de son siège sis 36, rue de la Bienfaisance, à Paris, et de la maison de retraite d’Hyères. Or ce patrimoine, dans le cadre d’une association reconnue d’utilité publique, ne saurait servir à d’autres buts que ceux poursuivis par l’association. Il serait donc pour le moins paradoxal que, à la suite de ce transfert, l’Association des Médaillés militaires ne dispose plus des moyens nécessaires à la poursuite de son action et que les biens constitués par la générosité de ses sociétaires, dont les mérites ont été honorés par la patrie, leur soient tout simplement confisqués en raison d’une application restrictive et inappropriée du code de la mutualité.

Aussi, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’objet de l’article unique de la proposition de loi est de permettre, par dérogation aux dispositions du code de la mutualité, la dévolution du patrimoine de la Société nationale à l’association d’utilité publique qui exercera à l’avenir ses missions. Cette mesure, qui me paraît foncièrement légitime et à l’égard de laquelle un vote contraire aurait pour effet de spolier les médaillés militaires du patrimoine commun qu’ils ont constitué, appelle donc, mes chers collègues, un vote unanime de votre part.

De plus, il est à noter que cet article dérogatoire n’est en aucun cas contraire au droit européen, et ne fait pas courir le risque d’une démutualisation puisque le principe de distribution désintéressée est parfaitement respecté.

Enfin, j’ajouterai que les effets juridiques de cette loi ne coûteront pas un centime à la collectivité publique, ce qui est suffisamment rare pour être souligné.

Je terminerai par une réflexion.

Le décret du 22 janvier 1852 instituant cette « médaille des braves » fut également celui par lequel l'Empire prononça la confiscation des biens de la famille d'Orléans, qui avait été déchue du trône. Pour ce qui est des « braves de notre République et de ses armées », aucune déchéance ne pourrait indirectement leur être infligée qui les priverait du plein usage de leurs biens sous statut associatif.

Hier, alors que je regardais les informations à la télévision, j'ai vu les visages en pleurs d'une mère et d'une fille dont le père, sous-officier au GIGN, avait été tué par un forcené il y a quelques jours. Au cours de la cérémonie au cours de laquelle les honneurs militaires lui furent rendus, Michèle Alliot-Marie a décoré ce gendarme de la médaille militaire à titre posthume, le faisant ainsi entrer dans cette cohorte prestigieuse des « braves » qui sont prêts à faire le sacrifice suprême de leur vie par fidélité à la valeur et à la discipline militaires. Si cette proposition de loi est adoptée, vous saurez que les médaillés militaires subviendront aux besoins matériels de cette veuve et de ses enfants.

Après avoir évoqué cet exemple dicté par l'actualité que vivent nos soldats, légionnaires, aviateurs, marins, gendarmes ou sapeurs-pompiers de Paris ou de Marseille, j'en arrive à ma conclusion.

Dans mon propos liminaire, j'avais voulu saluer les médaillés militaires présents dans notre hémicycle. Aussi, pour conclure, me permettrez-vous de saluer la mémoire de M. Micislas Orlowski, président général de la Société nationale « Les Médaillés militaires », décédé subitement à la fin de l'année dernière. J'assure tous les médaillés militaires de ma respectueuse compassion.

Voilà en substance, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma position sur cette proposition de loi que j'ai l'honneur de présenter en lieu et place de Charles Cova, qui n'a pu le faire car il n’est pas membre de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, saisie au fond, alors qu'il est lui-même titulaire de la médaille militaire.

Je suis une fois de plus très honoré de la tâche qui m'a été ainsi confiée, et de défendre dans cet hémicycle la cause du monde combattant. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe socialiste.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Charles Cova.

M. Charles Cova. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l'excellent exposé de Marc Bernier, il m'appartient, davantage en ma qualité de médaillé militaire qu'en celui d'orateur du groupe de l’UMP, d'apporter à notre séance la note émotionnelle qui convient et de vous sensibiliser à ce que représente, pour nous, notre décoration.

« Au nom du Président de la République, nous vous conférons la médaille militaire. » Le soldat ou le sous-officier à qui cette phrase est adressée est saisi par la solennité de l'instant. La fierté l'envahit. Pourtant, trop peu de nos concitoyens connaissent la valeur que les médaillés militaires accordent à cette prestigieuse décoration, au ruban vert et jaune, qui symbolise la reconnaissance de la nation et l'attachement qu'ils lui portent.

Parmi les diverses décorations françaises, la médaille militaire occupe le troisième rang dans la préséance, après les ordres de la Légion d'honneur et de la Libération, ce qui la place juste avant l'ordre national du Mérite.

Lorsqu’en 1852 le Prince-Président Louis-Napoléon Bonaparte créa la médaille militaire, il entendait récompenser les mérites des meilleurs soldats et sous-officiers. Le 22 mars 1852, face au carrousel du Louvre, à l’occasion de la première remise de l'insigne, il s'adresse aux quarante-huit récipiendaires en ces termes : « Soldats, […] combien de fois ai-je regretté de voir des soldats et des sous-officiers rentrer dans leurs foyers sans récompense, quoique, par la durée de leur service, par des blessures, par des actions dignes d’éloges, ils eussent mérité un témoignage de satisfaction de la patrie ! »

À l'inverse de la Légion d'honneur et de l'ordre national du Mérite, la médaille militaire n’est attribuée qu’aux seuls militaires ou à des personnalités étrangères illustres. C'est une véritable Légion d'honneur du sous-officier. Elle peut être remise dans des conditions très strictes, comme l’a rappelé Marc Bernier, aux maréchaux de France et aux officiers généraux grand’croix de la Légion d’honneur ayant commandé en chef devant l'ennemi ou rendu des services exceptionnels à la défense nationale. C'est le cas des maréchaux Pétain, Joffre, Foch, Lyautey, Juin, de Lattre de Tassigny, Leclerc, mais aussi de Jean Moulin ou, à titre étranger, de Sir Winston Churchill, du général Eisenhower – j'en oublie volontairement car la liste est trop longue.

Si la médaille militaire a trouvé sa signification lors des guerres et sur les théâtres d'opérations extérieures, elle est aujourd'hui décernée à des hommes et des femmes ayant fait preuve de courage ou servi notre pays avec un dévouement exemplaire. « Valeur et discipline », telle est la devise de la médaille militaire. Cette devise illustre bien tout ce qui fait la grandeur de cette décoration.

Dans les diverses opérations extérieures auxquelles participent nos militaires, un nombre significatif de médailles militaires ont été décernées à titre posthume à ceux qui ont payé de leur vie l'exécution de la mission. Qu'ils soient morts en Côte d'Ivoire, au Kosovo, en Afghanistan ou ailleurs, qu'ils aient péri au cours d'opérations de sécurité intérieure comme gendarmes ou pompiers militaires, sur les cercueils de ces soldats et sous-officiers, c'est la médaille militaire qui est déposée solennellement par les hautes autorités de la République.

Sans revenir à l'histoire de la médaille militaire, vous me permettrez d'insister, mes chers collègues, sur le lien de solidarité indéfectible qui unit ses titulaires entre eux. Cette solidarité est évidemment renforcée par le fait que la médaille militaire est dépourvue de toute hiérarchie. Elle est unique, et l’on ne peut prétendre à aucun grade quand on la reçoit. Elle est la seule manifestation honorifique qui mette sur un pied d'égalité ceux auxquels elle est attribuée, du plus humble des soldats au plus prestigieux des chefs militaires.

Cette solidarité se traduit par une aide financière substantielle apportée aux familles de nos membres, aux veuves, aux enfants de nos sociétaires décédés en service, et par l'hébergement de quelques-uns de nos anciens, lesquels seraient peut être devenus SDF sans notre aide. Elle se manifeste aussi par l'assistance juridique apportée aux sociétaires dans la défense de leurs intérêts. L'actuelle Société nationale « Les Médaillés militaires » veille également sur l'honneur, la dignité et la valeur de la décoration. Enfin, par les actions de leur mille sections en France et à l’étranger, par leur présence effective dans les manifestations patriotiques de nos villes, les médaillés militaires assurent la promotion du devoir de mémoire cher à M. le ministre délégué aux anciens combattants.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, en proposant cette loi à votre bienveillante attention, ce sont bien sûr les raisons techniques et juridiques qui ont prévalu dans ma démarche afin de préserver l'avenir de la Société nationale « Les Médaillés militaires » et lui permettre de poursuivre sa tâche sous la forme associative. Mais c'est aussi, vous l'aurez compris, mon attachement personnel à cette décoration qui a motivé mon action.

Enfin, vous me permettrez d'avoir une pensée pour Micislas Orlowski, qui nous a quittés il y a trois mois. Président général de la Société nationale « Les Médaillés militaires », il m'avait sensibilisé à leur situation, et a su me faire partager ses inquiétudes. Hommage lui soit rendu.

Bien entendu, le groupe de l’UMP votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe socialiste.)

M. le président. C’est évidemment toute l’Assemblée nationale qui s’associe, monsieur Cova, à ces condoléances et à cet hommage.

La parole est à M. Alain Néri.

M. Alain Néri. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le moment est important et solennel, puisque nous avons à légiférer sur le sort des médaillés militaires. Lorsque nous évoquons ces derniers, notre émotion est toujours forte, et je m’associe aux propos de M. le rapporteur et de M. Cova.

La médaille militaire revêt une importance toute particulière. Permettez-moi de saluer, outre ceux qui ont pris place dans nos tribunes, tous les médaillés militaires. Je veux leur dire notre admiration, notre estime et notre reconnaissance. En plus de leur valeur au service de la France, de leur courage – certains d’entre eux ayant été jusqu’au sacrifice suprême, puisque la médaille militaire est parfois attribuée à titre posthume –, les médaillés militaires ont su s’organiser pour défendre la mémoire de leurs membres et mettre en œuvre les actions sociales indispensables.

Nous sommes tous d’accord pour les aider, en particulier dans la gestion de la maison de retraite d’Hyères : la proposition de loi répond d’abord, en effet, à des impératifs juridiques et techniques. Le groupe socialiste approuve donc l’objectif de ce texte qui vise à donner les moyens aux médaillés militaires de faire fonctionner cette maison de retraite et de poursuivre leur œuvre de mémoire et de solidarité.

Toutefois, la méthode proposée, notamment pour assurer le bon fonctionnement de la maison de retraite dans la durée, n’est peut-être pas la plus pertinente : elle implique en effet une dérogation législative au code de la mutualité, c’est-à-dire à ce qui a été voté par la représentation nationale. Pour pérenniser la gestion de la maison de retraite, il aurait été possible, me semble-t-il, que des mutuelles d’anciens combattants plus importantes se substituent à celle des médaillés militaires.

Sans doute se serait-il agit de la bonne méthode, car nous sommes tous attachés au développement de ces mutuelles. Lors de l’examen d’un projet de loi de finances, j’avais d’ailleurs déposé un amendement, qui fut adopté, visant à leur réserver la gestion de la rente mutualiste : on sait qu’un certain nombre de sociétés d’assurance se seraient volontiers emparées de ce secteur, mais nous tenons à l’idée que les anciens combattants restent seuls compétents dans la gestion de ce qui les concerne.

Bref, du point de vue technique et juridique, la voie proposée ne nous semble pas opportune : nous aurions préféré, je le répète, que des mutuelles de retraite d’anciens combattants se substituent à celle des médaillés militaires. On aurait ainsi répondu au problème posé tout en confortant l’action des mutuelles d’anciens combattants.

Il ne saurait cependant être question d’entraver la mise en place de la mesure proposée. L’intérêt des médaillés militaires et de leurs familles dépassant ces considérations d’ordre juridique, le groupe socialiste ne s’opposera pas à la proposition de loi. Il s’abstiendra donc, afin de ne pas ouvrir la porte à des dérogations successives au code de la mutualité.

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani, dernier orateur inscrit.

M. Thierry Mariani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureux de soutenir ici devant vous, cette proposition de loi que les médaillés militaires attendent avec impatience. Après l’exposé clair et précis de notre rapporteur, Marc Bernier, après l’intervention pleine d’émotion de notre collègue et ami Charles Cova, je tenais à mon tour à apporter ma contribution dans ce débat.

Je sais que les médaillés militaires attendent cette loi. Jean-Pierre Lemaire, vice-président de la Société nationale et président de la 252section et avec qui j’ai eu l’occasion de travailler, me faisait encore part la semaine dernière de l’impatience de ses adhérents.

En soutenant ce texte, nous permettrons enfin à la Société nationale des Médaillés militaires d’avoir un statut adapté à l’évolution de son activité et de son action. En effet, créée sous la forme d’une mutuelle, elle a aujourd’hui cessé cette activité d’assurance et se donne désormais pour mission de resserrer les liens entre les titulaires de la médaille militaire, de défendre leurs intérêts et de leur apporter secours et assistance.

Avec la récente évolution du droit de la mutualité, nous sommes donc bien conscients que son statut de mutuelle n'est plus adapté. Pourtant, sans cette proposition de loi, le changement de statut oblige, si la Société devient une association, à transférer tout son patrimoine à une autre structure mutualiste ou au fonds national de garantie des mutuelles.

Je soutiens donc cette proposition de notre collègue Charles Cova, car il faut permettre à la Société nationale de transférer ses activités à l'Association de l'orphelinat et des œuvres des médaillés militaires – association reconnue d'utilité publique – tout en gardant son patrimoine.

Il est de notre devoir de préserver l'avenir d'une telle organisation, qui œuvre depuis maintenant plus d'un siècle à défendre les intérêts des femmes et des hommes qui ont combattu pour notre pays avec force et courage, parfois au péril de leur vie, et à soutenir leurs familles.

Je vous rappelle d'ailleurs que, parmi toutes leurs activités d'utilité publique, le travail remarquable qu’effectuent les 70 000 membres en faveur des orphelins est irremplaçable. Ainsi, avec l'Association de l'orphelinat et des œuvres, ce sont plus de 100 000 euros qui sont distribués chaque année pour le soutien aux pupilles ou aux adhérents, et pour venir en aide à ceux qui subissent des coups durs, comme celui qui vient de frapper la famille d’un gendarme du GIGN. N'oublions pas également qu'au-delà de ces objectifs l'Association de l'orphelinat et des œuvres s'emploie à intervenir dans des situations exceptionnelles. Elle a répondu présente lors de la canicule de l'été 2003, ou encore à l'occasion des inondations qui ont affecté certaines de nos régions, et notamment Vaison-la-Romaine, dans ma circonscription.

N'oublions pas non plus qu'en cette période où le devoir de mémoire est encore affirmé comme l'une des valeurs de cohésion de notre République, remercier ainsi ces militaires, qui ont souvent combattu dans des conditions difficiles et dangereuses, fait parti de notre devoir.

L’orateur du parti socialiste vient de nous expliquer que cette proposition de loi constitue une dérogation au code de la mutualité. Il a raison. Je pense cependant que, lorsqu’on n’a cessé de servir le pays au péril de sa vie et quel que soit le mérite des uns et des autres, on peut mériter que, par rapport aux autres travailleurs, l’Assemblée admette une petite dérogation.

En votant cette loi, nous permettrons aujourd'hui aux médaillés militaires de continuer leur activité, dont l'utilité publique n'est plus à démontrer. Nous nous devons de faciliter le travail et l'engagement de ces hommes et de ces femmes qui n'hésitent pas à se consacrer aux autres et à notre pays en plus de risquer leur vie pour notre nation. C’est donc bien volontiers que je m’associe à ce texte et que je le voterai avec enthousiasme.

Vous me permettrez d’ajouter pour finir un mot plus personnel.

En 1993, Charles Cova et moi sommes arrivés ensemble dans cet hémicycle, où nous avons effectué trois mandats. Notre collègue ne se représentera pas, et c’était aujourd’hui sa dernière intervention. J’en profite donc pour lui rendre hommage, en évoquant les trois textes dont il a été, en gardant toujours à l’esprit ses origines, le rapporteur.

Je me souviens aussi, mon cher Charles, d’avoir eu l’honneur, jeune député, d’être le rapporteur de ta proposition de loi « Français par le sang versé », soutenue par Pierre Messmer et qui visait à accorder la nationalité française aux légionnaires blessés au combat.

Pendant quatorze ans, tu as été fidèle à tes idées et à tes convictions ; tu le montres une fois de plus aujourd’hui en ayant réussi à obtenir « à l’arraché » l’inscription de cette ultime proposition de loi à un ordre du jour très chargé en cette fin de session. Elle permettra de faciliter le travail d’une institution qui sert, comme toi, les anciens militaires. Merci donc, cher Charles, pour tout ce que tu as accompli dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Charles Cova. Merci !

M. le président. Qu’il me soit permis, comme député d’une circonscription voisine de celle de Charles Cova, de m’associer, monsieur Mariani, à votre hommage, car, comme on le dit en Seine-et-Marne, et tout particulièrement à Chelles : « Quand Cova est là, ça va. »

La présence de M. Geoffroy, lui aussi élu de Seine-et-Marne, qui a tenu à revenir ce matin de son département pour être parmi nous, témoigne de l’attachement que l’Assemblée porte à Charles Cova, qu’elle gardera toujours dans son cœur.

C’est au nom de tous les groupes – même si le groupe des député-e-s communistes et républicains et le groupe UDF ne sont pas représentés – que je veux lui témoigner à mon tour cet attachement.

La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué aux anciens combattants.

M. Hamlaoui Mekachera, ministre délégué aux anciens combattants. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, la proposition de loi de votre collègue Charles Cova a un premier mérite : celui de nous permettre de rendre un hommage appuyé aux médaillés militaires.

À mon tour, et au nom du Gouvernement, je veux saluer celles et ceux qui sont titulaires de cette prestigieuse distinction. Chacun connaît, dans cet hémicycle, la valeur des cadres de notre armée. Au cours des siècles, ils se sont magnifiquement illustrés sur tous les théâtres d'opération. Il est donc juste et légitime que notre pays puisse leur manifester sa reconnaissance par une décoration spécifique et exceptionnelle : telle est la médaille militaire. Depuis le Second Empire, elle exprime cette gratitude envers ceux qui ont servi la patrie avec abnégation et dignité, parfois jusqu'au sacrifice suprême.

Je veux aussi saisir l'occasion de ce débat pour saluer la mémoire de M. Orlowski, qui a présidé la Société nationale « Les Médaillés militaires » pendant des années avec dynamisme, sagesse et compétence. Sa disparition soudaine a endeuillé le monde combattant.

La proposition de loi dont nous discutons ce matin vise à mieux répondre à la situation de la mutuelle des titulaires de la médaille militaire.

Comme à l'accoutumée, votre rapporteur, M. Marc Bernier, vous a parfaitement exposé les termes de notre débat. Je ne reviendrai donc que brièvement sur l'objet de la proposition de loi qui vous est soumise.

Les responsables de la mutuelle dénommée Société nationale « Les Médaillés militaires » estiment que l'évolution des règles de la mutualité rend sa gestion plus difficile, tant dans son organisation que dans le fonctionnement de la maison de retraite dont elle a la charge. Son assemblée générale a donc souhaité la dissolution de la mutuelle, avec affectation de son actif à une association reconnue d'utilité publique.

Cette solution suppose une dérogation aux dispositions de l'article L. 113-4 du code de la mutualité. En effet, dans le droit commun, lors de la dissolution d'une mutuelle, l'actif net excédant le passif est dévolu soit à une autre mutuelle, soit au fonds national de solidarité et d'action mutualistes, soit, enfin, au fonds national de garantie des mutuelles.

Votre rapporteur a très bien souligné les raisons qui motiveraient cette dérogation. La solution envisagée est, en effet, l'une des façons de répondre aux besoins de la Société nationale « Les Médaillés militaires ».

Toutefois, le Gouvernement, que je représente, et en particulier le ministre en charge de la sécurité sociale soulignent que ce type de dérogation doit rester exceptionnel. En effet, il ne faudrait pas fragiliser le fonds national de garantie des mutuelles, dont la finalité est d'assurer la couverture des droits de ses adhérents en cas de défaillance d'une mutuelle. J'indique d'ailleurs que la Fédération nationale des mutuelles de France peut utilement conseiller et accompagner la direction de la mutuelle des médaillés militaires, ou toute autre mutuelle, dans ses démarches.

Mesdames et messieurs les députés, lui-même titulaire de cette décoration emblématique, votre collègue Charles Cova souhaite donc que la loi permette de donner satisfaction à la demande des médaillés militaires. Monsieur Cova, cette préoccupation illustre, une nouvelle fois, l'attention que vous portez aux militaires et à ceux qui servent notre pays sous l'uniforme.

Compte tenu des éléments fournis à l'occasion du débat et du respect que nous avons pour tous les médaillés militaires, le Gouvernement s'en remet à la sagesse de votre assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Charles Cova.

M. Charles Cova. Je voudrais remercier l’assistance de tout ce qui a été dit à mon propos. Il m’a semblé assister par moment à mon enterrement (Sourires), mais il va de soi que j’ai été très sensible aux paroles prononcées. Merci donc à mes collègues pour l’estime qu’ils me portent et qu’ils portent aux médaillés militaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Au nom de l’Assemblée, je vous redis notre gratitude.

J’appelle maintenant l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Article unique

M. le président. L’article unique de la proposition de loi ne fait l’objet d’aucun amendement.

Je le mets aux voix.

(L’article unique de la proposition de loi est adopté.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je vais suspendre la séance pour quelques instants.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue, est reprise.)

M. le président. La séance est reprise.

2

action extérieure
des collectivités territoriales

Discussion d’une proposition de loi
adoptée par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et de leurs groupements (nos 2624, 3610).

La parole est à M. Christian Decocq, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Christian Decocq, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, madame la ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, monsieur le vice-président de la commission des lois, chers collègues, en dépit du monopole traditionnel de l'État dans la conduite des relations internationales, les collectivités territoriales françaises ont su trouver, depuis longtemps, les moyens de mener une action extérieure, généralement qualifiée de « coopération décentralisée ».

Néanmoins, l'absence de base juridique solide à l'action extérieure des collectivités territoriales est une source de préoccupations pour celles-ci. En effet, le cadre juridique actuel est le résultat pragmatique d'évolutions successives, mais n'a pas levé toutes les ambiguïtés. Cette situation a conduit le sénateur Michel Thiollière à déposer une proposition de loi dont l'objet était précisément de donner une base juridique solide à la coopération décentralisée.

Parallèlement, le Conseil d'État, a rendu un rapport, le 7 juillet 2005, qui concluait également à la nécessité d'une adaptation législative. Le Sénat a décidé de tenir compte des travaux du Conseil d'État en s'inspirant de la rédaction qu'il suggérait lorsqu'il a adopté la proposition de loi dont nous sommes aujourd'hui saisis, lors de sa séance du 27 octobre 2005.

Pour commencer, il n'est pas inutile de faire un bref rappel historique du développement de la coopération décentralisée. Ainsi, les premiers jumelages, souvent conclus dans le cadre du rapprochement franco-allemand dans l'immédiat après-guerre, se sont noués en l'absence de tout cadre juridique ad hoc, par le biais d'initiatives spontanées, et souvent fort sympathiques, avant qu'un décret du 24 janvier 1956 ne prévoie que tout projet de jumelage devait faire l'objet d'une déclaration au préfet.

De la même façon, la coopération transfrontalière s'est développée dans un cadre principalement empirique, au gré des réalisations de terrain – en tant qu’élu lillois, je suis bien placé pour le savoir –, même si la convention cadre du Conseil de l'Europe sur la coopération transfrontalière des collectivités ou des autorités locales du 21 mai 1980 a permis de donner une base juridique a posteriori de ce phénomène.

Par la suite, alors que les lois de décentralisation ne font – étonnamment – que très peu de place à la coopération décentralisée, celle-ci obtient une véritable consécration législative avec la loi du 6 février 1992 d'orientation relative à l'administration territoriale de la République.

Cette consécration législative était indispensable pour donner une véritable portée juridique aux actes liés à l'action extérieure des collectivités territoriales : il est ainsi prévu que cette action doit s'inscrire dans le cadre de « conventions » conclues avec des « collectivités territoriales étrangères », mais pas directement avec des États étrangers, sauf le cas particulier de l'outre-mer, que nous avons rappelé hier en commission.

La coopération décentralisée prend trois formes principales : l'aide au développement, l'action humanitaire d'urgence et la coopération transfrontalière.

Les actions d'aide au développement constituent un volet essentiel de la coopération décentralisée. D'après la commission nationale de la coopération décentralisée, près de 3 500 collectivités territoriales mènent de telles actions dans 120 pays, ce qui représente un effort financier évalué à 115 millions d'euros. Dans ce domaine, la coopération prend souvent une forme très concrète, avec un savoir-faire particulier des collectivités territoriales françaises dans des domaines dont les plus classiques sont le traitement des déchets urbains, la question de l'eau et de l'assainissement, qui a fait l'objet d'une loi spécifique en 2005.

Les collectivités territoriales sont également de plus en plus présentes dans un domaine proche de celui de l'aide au développement, soit l'aide d'urgence, principalement après des catastrophes naturelles de grande ampleur, comme le tsunami de décembre 2004.

Dans le domaine de la coopération transfrontalière, la mise en place de structures juridiques est généralement nécessaire. Les outils disponibles sont très nombreux : société d'économie mixte locale, groupement d'intérêt public, autorisation de participation à des structures de droit étranger, groupement local de coopération transfrontalière, district européen et, dernièrement, groupement européen de coopération territoriale, créé par un règlement communautaire du 5 juillet 2006. Ce règlement, qui est donc directement applicable en droit français sans mesure de transposition, a une particularité : il autorise la participation d'États de l'Union européenne, et non seulement de collectivités territoriales.

J’en viens maintenant à l'objet de la proposition de loi, qui est de lever l'interrogation principale liée à l'action extérieure des collectivités territoriales : quelle légitimité ont-elles pour intervenir au plan international, surtout quand elles le font dans des domaines qui ne relèvent pas directement de leurs compétences ? Certes, la clause générale de compétence permet à l'organe délibérant de chaque collectivité de régler par ses délibérations les « affaires de la collectivité ». Afin de préciser cette notion « d'affaire de la collectivité », le juge administratif recherche s'il existe un « intérêt public » pour la collectivité territoriale, ce qui passe généralement par la recherche d'effets de l'intervention publique en question pour les habitants de la collectivité.

Pour autant, cette règle n'interdit pas, par principe, à une collectivité territoriale d'intervenir en dehors de ses limites géographiques. En effet, une action menée en dehors, voire à l'étranger, comme c'est le cas pour la coopération décentralisée, peut engendrer des retombées bénéfiques pour la collectivité qui en a pris l'initiative et pour ses habitants ; le Conseil d'État a eu l'occasion de le reconnaître.

Il existe néanmoins des situations où l'action extérieure menée par une collectivité territoriale peut être, sinon désintéressée, du moins sans conséquence directe pour ses habitants. Par essence, le domaine de l'aide au développement relève de la solidarité internationale et peut rendre plus difficile la manifestation d'une retombée positive pour la collectivité territoriale et ses habitants. Il est cependant clair que le concept même de coopération décentralisée perdrait beaucoup de son sens si les actions autorisées dans ce cadre devaient automatiquement produire un « intérêt local » pour la collectivité qui en est à l'origine.

Or, comme nous l’avons vu hier en commission, des jugements récents de certains tribunaux administratifs ont fait naître une grande inquiétude pour les collectivités territoriales qui mènent des actions de coopération décentralisée, en retenant une interprétation très rigoureuse de la notion d'intérêt local de l'intervention.

Face à ces incertitudes, le Sénat a donc adopté la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, dont les dispositions permettront de donner un cadre juridique adapté aux actions de coopération décentralisée.

En premier lieu, il nous est proposé de remplacer la notion de « collectivités territoriales étrangères et leurs groupements » par celle, plus neutre, « d'autorités locales étrangères », afin de lever toute ambiguïté sur la possibilité de conclure avec des États fédérés, comme les Länder allemands.

En second lieu — et c'est le cœur du dispositif —, afin de répondre aux incertitudes juridiques liées à la nécessité de rattacher les actions de coopération décentralisée à une compétence de la collectivité territoriale, la proposition de loi suggère tout simplement de supprimer toute référence aux compétences des collectivités locales au sein de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales. Ainsi, la coopération décentralisée ne serait plus un prolongement, en dehors de nos frontières, de l'action de droit commun des collectivités territoriales, mais une compétence d'attribution supplémentaire. Si cette rédaction peut sembler audacieuse, il faut néanmoins préciser qu'elle ne fait qu'entériner une pratique bien installée, qu'il convenait de sécuriser juridiquement.

En troisième lieu, la proposition de loi ne modifie pas le principe posé en 1992 : toute action de coopération décentralisée doit être menée dans le cadre fixé par une convention préalablement conclue entre les collectivités locales françaises et leurs homologues étrangères. L'article unique propose même de préciser le contenu de ces conventions, afin que celles-ci ne soient pas purement formelles, mais permettent réellement d'éclairer la population et les élus, ainsi que les autorités en charge du contrôle de légalité, sur « l'objet des actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers ».

Tout en maintenant le principe de la convention préalable, la proposition de loi innove en prévoyant un cas de dispense à cette convention : l'urgence humanitaire. En effet, face à des catastrophes de grande ampleur, comme le tsunami en Asie du Sud-Est fin 2004 ou le passage de l'ouragan Katerina en 2005, de nombreuses collectivités territoriales ont souhaité venir en aide dans l'urgence à des populations en détresse. Dans ces conditions, il est évidemment impossible d’imaginer la conclusion d’une convention préalable.

Compte tenu des améliorations réelles qu'apporte cette proposition de loi par rapport au droit existant, la commission des lois vous demande, mes chers collègues, de l'adopter sans modification. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie.

Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement se réjouit que vienne aujourd'hui en séance publique – à l’initiative du groupe UMP dans le cadre d’une « niche » parlementaire – la discussion de la proposition de loi, déposée à l'origine par M. le sénateur Thiollière, tendant à introduire dans le code général des collectivités territoriales des dispositions nouvelles permettant de compléter et de préciser notre droit de la coopération décentralisée.

Le texte qui vous est proposé aujourd'hui est issu d'une étroite collaboration entre le Gouvernement et le Parlement pour permettre aux collectivités territoriales françaises de nouer, sans risque juridique, des partenariats avec d'autres autorités locales étrangères.

Depuis longtemps, en effet, les collectivités territoriales françaises ont manifesté leur souhait de pouvoir développer une action extérieure en Europe, mais aussi à destination des pays en développement ou des pays émergents. Elles le font dans le respect des engagements de la France, et en s'appuyant sur leurs compétences et leurs savoir-faire pour nouer des relations durables, qui mettent en jeu un large éventail d'acteurs de leurs territoires. Dans ce cadre, elles conduisent des programmes de coopération utiles et complémentaires à l'action menée par l'État, comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, dans votre excellente analyse. C'est pourquoi mon ministère soutient résolument ces initiatives.

À l'occasion de cet examen par votre assemblée, je voudrais souligner devant vous, d'abord, l'apport de ce texte pour rendre juridiquement plus sûres les actions de coopération décentralisée, puis resituer cette proposition dans le cadre plus large du dispositif que le Gouvernement a mis en place pour accompagner et soutenir l'action extérieure des collectivités territoriales.

La loi du 6 février 1992 qui a autorisé la signature, par les collectivités territoriales françaises, de conventions avec d'autres autorités locales, avait omis de préciser quel type d'action pouvait y être intégré ; en particulier, elle n'avait pas fait mention de l'aide au développement que pouvaient apporter les collectivités territoriales. De même, le législateur de 1992 n'avait pas songé à donner un socle juridique aux nombreuses subventions accordées par les collectivités territoriales lorsque surviennent des catastrophes naturelles, au titre de l'aide humanitaire d'urgence. C'est d'ailleurs l'impressionnante mobilisation française, qui a suivi la catastrophe du tsunami dans l'Océan indien, en décembre 2004, qui avait motivé la proposition initiale du sénateur maire Michel Thiollière.

Pour sa part, le Gouvernement avait saisi le Conseil d’État pour évaluer les risques encourus par les collectivités territoriales du fait de l'imprécision du cadre législatif existant. Dans son rapport adopté en assemblée générale le 7 juillet 2005, celui-ci avait conclu à la nécessité de modifier la loi pour éviter des annulations au motif de défaut d'intérêt local à agir, comme certains tribunaux administratifs l'avaient déjà fait en première instance. Je précise que ces décisions ont fait l'objet d'appels, toujours en cours d'instruction à ce jour.

Le texte qui vous est aujourd'hui proposé, après avoir été adopté à l'unanimité par le Sénat le 27 octobre 2005, est le fruit de cette réflexion collective. Il reprend mot pour mot les formulations suggérées par le Conseil d'État. Les collectivités territoriales ont donc désormais la possibilité de mener des actions d'aide au développement dès lors qu'elles auront été prévues par une convention entre les deux partenaires locaux.

En tant que ministre en charge de la coopération, je me félicite de cette importante avancée, car je sais tout l’apport de nos collectivités territoriales au développement des pays du Sud, en particulier dans l'Afrique francophone. Elles participent chaque année pour 50 millions d’euros à l'effort de la France en matière d'aide publique au développement.

Avec ce texte, les subventions accordées après des catastrophes naturelles seront également légalisées. Cependant, les collectivités territoriales prennent peu à peu conscience qu’un accompagnement dans la durée pour la reconstruction – nombre d’entre elles ont fait ce choix en faveur de l'Indonésie, de l'Inde ou du Sri Lanka – est souvent plus efficace que de simples dons aux associations caritatives.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement appelle de ses vœux l'adoption de cette proposition par votre assemblée dans des termes identiques à ceux du Sénat, afin qu’elle soit définitivement adoptée avant la fin de la législature. Elle viendra ainsi s’ajouter au dispositif de soutien et d'accompagnement à l'action extérieure des collectivités territoriales que je me suis attachée à rénover et à développer.

Sur le plan juridique, ce texte a été précédé de la loi dite Oudin-Santini, qui prévoit un financement innovant de la coopération dans le domaine de l'eau et de l'assainissement, dans la limite de 1 % du budget des collectivités territoriales. Par ailleurs, l’inclusion dans notre droit interne de la notion de district européen permet d'associer des collectivités étrangères à des syndicats mixtes de droit français.

S'agissant par ailleurs du dialogue et de la concertation entre l'État et les collectivités territoriales, je tiens à rappeler que le Gouvernement a rénové la composition de la Commission nationale de la coopération décentralisée, désormais pleinement opérationnelle, et que j’ai réunie le 3 octobre 2006, pour la première fois depuis trois ans. À cette occasion, de nouveaux chantiers ont pu être engagés, telles la mise en place de commissions de coordination pour la Chine, le Brésil et les pays émergents, ou l'instauration de groupes de travail sur la coopération décentralisée et les communautés de migrants.

Enfin, notre dispositif de cofinancement a été réformé, à la suite d'une large consultation avec les associations de collectivités territoriales, afin de le rendre plus simple, plus lisible, mais aussi d’en faire un instrument au service de nouveaux partenariats entre l'État et les collectivités. Le nouveau dispositif favorise l’appui institutionnel, le développement durable, la mutualisation et l'intégration des jeunes, et privilégie les démarches coordonnées. Il s’appuie sur trois appels à projets, proposant notamment une contractualisation sur trois ans avec les principales collectivités territoriales présentes à l'étranger. J'attends de cette réforme une meilleure articulation de l'action des collectivités entre elles, mais aussi avec l'État, grâce à la prise en compte de leurs actions dans les documents cadres de partenariat que le Gouvernement met en place avec tous les pays de notre zone de solidarité prioritaire. J'espère par la même occasion répondre au souci, que je sais partagé par les élus locaux, d'une meilleure coordination, dans le respect de l'autonomie des collectivités territoriales.

C'est donc sur des bases nouvelles, solides et dynamiques que s'exerce désormais la coopération décentralisée, dans un climat de confiance entre l'État et les collectivités territoriales.

Dans un monde globalisé, où les enjeux de développement territorial ne peuvent s'envisager sans ouverture vers l'extérieur, je crois au rôle de nos collectivités. C'est donc avec plaisir que je vois aboutir cette proposition, qui apporte une sécurité juridique très attendue et permettra à de nombreuses collectivités territoriales d'apporter leur contribution – toujours appréciée – à notre politique d'aide au développement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe socialiste.)

M. Philippe Edmond-Mariette. Très bien !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Bourg-Broc.

M. Bruno Bourg-Broc. Depuis toujours, la France mène une politique extérieure, réelle et reconnue, dont l'influence s'étend à travers le monde. Des périodes sombres des Croisades jusqu’aux Lumières, de l'après-guerre à aujourd'hui, nombreuses sont les nations dont nous pouvons dire que la France a participé à leur émancipation ou à leur développement. En ces temps où l'on écoute plus volontiers ceux qui accusent la France de fautes inexcusables et impardonnables, il est bon de le rappeler.

Notre voix, en effet, compte à travers le monde. Elle résonne tant aux oreilles des gouvernements qu'à celles des peuples. Nous pouvons être fiers de notre « certaine idée du monde », une conception dont l’originalité et l’utilité se sont manifestées au temps du général de Gaulle et ne se sont pas démenties depuis. Ce dernier fut l'initiateur visionnaire de notre politique de coopération.

Ce n'était pas seulement pour la France que le Général voulait faire de la coopération une « grande ambition », mais pour tous les pays « comblés ». C'est à mon avis une très belle définition de la solidarité internationale et de la responsabilité des peuples du Nord, qui ont connu un développement plus important que d’autres.

Les Français l'ont bien compris. Les catastrophes naturelles, les famines, les guerres civiles sont autant de causes pour lesquelles nos concitoyens se mobilisent massivement, et désormais très vite. Les mouvements de solidarité internationale sont aussi réactifs que la médiatisation des drames vécus aux quatre coins de la planète.

Les Français, choqués et émus par les images du tsunami en Asie du Sud-Est, par celles de l’ouragan et des inondations qui ont dévasté La Nouvelle-Orléans, par celles du drame humanitaire du Darfour, n’ont jamais attendu le législateur pour marquer leur générosité envers les peuples qui souffrent. Bien souvent, ils nous précèdent. Ainsi, dans les domaines de la coopération, de l’aide au développement et de l’aide humanitaire, le droit a toujours été devancé par les pratiques.

Tout comme la société civile et l'État, les collectivités territoriales font preuve de générosité et de solidarité : en 2004, leurs actions extérieures représentaient 230 millions d'euros, dont 115 millions au titre de l'aide au développement. Depuis les premiers jumelages de l’après-guerre, les communes ont développé de nombreux partenariats avec les pays étrangers. Les collectivités territoriales ont ainsi acquis une expérience structurée et diverse au service de la coopération. Elles disposent souvent d'une véritable expertise en ces domaines.

Le cadre juridique de ces actions est relativement récent. Elles interviennent dans la limite des compétences qui leur sont attribuées, dans le respect des engagements internationaux de la France, et à condition que leurs initiatives présentent un intérêt général. Or cette dernière notion a fait l'objet d'appréciations divergentes dans la jurisprudence et il convenait d'y apporter une nécessaire clarification. Comme l’a rappelé Mme la ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, il ne faudrait pas que ces hésitations juridiques affaiblissent des initiatives qui contribuent au rayonnement de la France.

La proposition de loi présentée par le sénateur Michel Thiollière tend à lever toute incertitude juridique, et vise à sécuriser ces actions d'aide au développement et d'aide humanitaire d'urgence. Elle représente une étape importante dans le développement de la coopération décentralisée, à laquelle sont de plus en plus attachés les élus locaux de notre pays.

Son article unique s'inspire, tout en les complétant, des dispositions de la loi du 9 février 2005 relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement.

Dans leur sagesse, nos collègues sénateurs ont apporté quelques modifications au texte initial : d'une part, pour donner une base légale incontestable à l'aide au développement accordée par les collectivités territoriales et leurs groupements, tout en exigeant que cette aide soit formalisée dans le cadre de conventions avec des autorités locales étrangères ; d'autre part, pour les autoriser à se passer de convention lorsque l'urgence l'exige, soit en agissant directement, soit en finançant des organisations non gouvernementales ou des associations.

Alors, pour le bien des collectivités territoriales et de leurs groupements, pour une présence active de la France à l'étranger, mais surtout pour toutes les nations qui bénéficient de notre aide, vous pouvez naturellement compter, madame le ministre, sur le soutien entier du groupe UMP à ce texte, d’autant qu’il servira utilement l’action que vous menez au nom du gouvernement français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Alain Néri.

M. Alain Néri. Il est vrai que, depuis des siècles, la France a un statut particulier à travers le monde : elle s’est toujours montrée solidaire de l’émancipation des peuples et a veillé à porter les valeurs inscrites au fronton de ses édifices : liberté, égalité et fraternité.

L’aide aux peuples pour gagner leur liberté est aujourd’hui encore un vecteur fondamental du respect de notre pays ; des peuples se battent en se référant à nos valeurs. Mais la conquête de la liberté n’est qu’une partie du chemin : il faut également, par notre solidarité, aider ces peuples à se développer.

Les collectivités territoriales ont vite compris la nécessité de s’engager dans la bataille – c’est le mot, tant sont importantes les difficultés. Sans contester le monopole traditionnel de l’État dans la conduite des relations internationales, elles se sont donné les moyens de mener une action extérieure ; c’est ce qu’on appelle la coopération décentralisée. À l’heure où mondialisation et construction européenne sont des réalités quotidiennes pour l’ensemble des acteurs de la société, les collectivités territoriales ne pouvaient se désintéresser de ce champ d’action, même s’il ne fait pas expressément partie de leurs compétences.

L’aide au développement menée par les collectivités territoriales se caractérise par une grande diversité d’action : elle concerne des domaines aussi importants que la santé, l’éducation, la culture, l’adduction d’eau, l’assainissement ou l’agriculture. Ces actions ne sont pas nouvelles, depuis les premiers jumelages de l’après-guerre jusqu’aux initiatives actuelles, beaucoup plus audacieuses. Néanmoins, l’absence d’une base juridique solide est une source de préoccupations pour les collectivités territoriales qui ont mis en œuvre des projets importants comme pour celles qui souhaiteraient aller encore plus loin.

En effet, le cadre juridique actuel, résultat d’évolutions successives, n’a malheureusement pas levé toutes les ambiguïtés. Il est temps de le faire. Cette proposition de loi nous permettra effectivement de progresser d’une façon particulièrement positive et intéressante. Cette modification législative répondra à l’inquiétude provoquée par des jugements censurant des actions de coopération décentralisée pour absence d’« intérêt local ».

Le dispositif juridique actuel est contestable. Un véritable risque d’insécurité juridique pèse sur les actions de coopération décentralisée. En effet, aux termes des dispositions en vigueur, la coopération décentralisée constitue un mode d’exercice des compétences locales et non une compétence particulière des collectivités territoriales. Il en résulte que la notion d’« intérêt local » permet de fixer le cadre d’intervention des collectivités en matière de coopération décentralisée. Or cette notion n’est pas légalement définie et il revient à la jurisprudence d’en ébaucher, au cas par cas, une définition et, donc, de consacrer ou non la validité des actions de coopération décentralisée. La difficulté concrète posée par l’« intérêt local » a été particulièrement révélée par un jugement du tribunal administratif de Poitiers, en date du 18 novembre 2004, rendu à la requête d’un élu du Front national, et qui a annulé deux aides financières attribuées par le département des Deux-Sèvres à Madagascar et au Burkina Faso. C’est tout à fait regrettable, car ces actions initiées par des élus locaux parfaitement conscients de la nécessité d’apporter la solidarité et l’aide de la France au travers du département ne pouvaient pas être contestées. Certains ont une conception de la solidarité qui n’est sûrement pas la nôtre ! En l’espèce, les deux opérations envisagées bénéficiaient du crédit de l’État et de la région Poitou-Charentes dans le cadre du fonds de solidarité pour l’une et de la coopération décentralisée pour l’autre. Elles ont été jugées illégales par le tribunal administratif, qui a considéré que ces actions présentaient un intérêt essentiellement humanitaire – ce qui aurait dû amener à les considérer, au contraire, comme prioritaires – et a estimé qu’elles ne correspondaient pas à un besoin de la population deux-sévrienne, ce qui est également contestable, puisque cette population peut avoir une vision du monde qui dépasse largement les limites de son département. La vision humanitaire fait aussi la grandeur de notre pays et de notre peuple. Le juge a, dans cette affaire, refusé que des actions à caractère humanitaire soient conduites par une collectivité territoriale en faveur d’une collectivité en voie de développement, malgré l’implication de femmes et d’hommes dans le projet.

La modification envisagée, en faisant de la coopération décentralisée une compétence particulière des collectivités territoriales, permet de mettre un terme au débat sur l’« intérêt local ». La sécurité juridique, ainsi apportée, permettra de faciliter la coopération décentralisée telle qu’elle est pratiquée par de nombreuses collectivités, ce dont nous pouvons tous nous réjouir.

En outre, cette proposition de loi vise également à autoriser des actions à caractère humanitaire hors convention dans l’urgence. Si personne ne conteste, bien entendu, la nécessité de travailler dans le cadre de conventions, nous sommes malheureusement confrontés à des situations d’urgence. Vous avez évoqué le tsunami, monsieur le rapporteur : comment aurait-on pu raisonnablement prendre le temps de signer une convention avec les pays concernés, face à un tel état d’urgence humanitaire ? Ce texte bienvenu lève une ambiguïté et nous y apporterons tout notre soutien.

Enfin, cette modification législative permet d’atténuer l’interdiction actuelle faite aux collectivités territoriales de contracter avec des États étrangers. La rédaction de l’article L. 1115-5 du code général des collectivités territoriales interdit aux collectivités territoriales de signer des conventions avec les États étrangers. Le maintien de cette interdiction de principe ne permettrait pas à la France d’accepter le projet de règlement communautaire portant création du Groupement européen de coopération territoriale dont les collectivités territoriales et l’État pourraient être membres.

La modification proposée, qui transpose le dispositif introduit outre-mer par la loi d’orientation du 7 décembre 2000 sans porter atteinte aux prérogatives extérieures de l’État, permettra aux collectivités de négocier au nom et sous le contrôle de l’État – ce qui est bien naturel – des accords internationaux. La France pourra, en conséquence, accepter le projet de règlement communautaire.

Sécuriser l’action des collectivités territoriales permettra d’engager des actions de développement plus raisonnées et davantage efficaces.

Mes chers collègues, en adoptant cette proposition de loi, nous aurons fait, ce matin, un grand pas pour l’action humanitaire et pour le rayonnement de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Edmond-Mariette.

M. Philippe Edmond-Mariette. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, grâce au texte que nous examinons ce matin, nous nous engageons résolument vers une simplification des mécanismes de coopération, ce dont nous nous réjouissons.

Je lèverai immédiatement toute ambiguïté : j’avais déposé un amendement, que je retire dès maintenant pour une double raison. En premier lieu, la célérité obéit, n’est-il pas vrai, madame la ministre – nous avons eu un court entretien sur ce point –, au souci de faire en sorte que ce texte soit voté dans les mêmes termes qu’au Sénat pour permettre, face à la situation d’urgence que nous connaissons, de mettre très rapidement un terme aux contentieux.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Très bien !

M. Philippe Edmond-Mariette. En second lieu, comme vous me l’avez expliqué, madame la ministre, avec la technicité particulière avec laquelle vous traitez chacun de vos dossiers, le terme même de coopération peut parfaitement satisfaire mon souci.

Si je partage assez largement ce qui a été dit, les propos du premier intervenant à la tribune sur les bienfaits de la position française de par le monde peuvent parfois prêter à débat. Les régions ultramarines sont dispersées sur dix-huit fuseaux horaires et bordées par l’océan Indien, l’océan Atlantique et l’océan Pacifique. Le fait que nous soyons ancrés dans nos zones, au plus près des réalités de bon voisinage, nous impose aussi une certaine forme de coopération qui dépasse l’idée d’une aide au développement et se situe dans le « donnant-donnant », le « gagnant-gagnant » et le partage.

Je citerai, à cette tribune, deux exemples. Premier exemple : l’hôpital de la ville du Lamentin, dont je suis l’adjoint au maire, a mis en place avec des médecins cubains hautement qualifiés une coopération en chirurgie ophtalmologique. Grâce à leur concours, de grosses difficultés opératoires ont pu être résolues. Le second exemple peut, lui, être tiré de ce que l’on pourrait appeler l’aide humanitaire. Nous avons reçu, voici moins d’un an, un haut fonctionnaire cubain, en charge de la sécurité pour l’ensemble des provinces du nord de Cuba, et intervenant auprès de l’ONU. Il a pu avec nous vérifier la procédure que nous avons instituée en cas de cataclysme cyclonique ou de séisme, et Dieu seul sait si cette zone peut, demain, connaître un séisme de magnitude très importante !

Dans le cadre de ces relations, nous ne pouvons pas uniquement restreindre cette coopération à une simple aide au développement. Elle doit être un véritable développement.

Nous devons donc nous réjouir que le texte d’aujourd’hui, s’il ne fait pas disparaître les coopérations qui pourront se faire au titre de l’intérêt local et sur lesquelles on pourra toujours revenir, offre une perspective beaucoup plus large. Nos actions en la matière ne prêteront plus à confusion. Encore faut-il souligner que les départements d’outre-mer ont un avantage sur les collectivités métropolitaines. Si les articles de la loi d’orientation pour l’outre-mer de 2000 permettant aux présidents des exécutifs généraux et régionaux de signer des conventions avec les États ont été censurés par le Conseil constitutionnel – qui avait alors considéré qu’ils remettaient notamment en cause les prérogatives appartenant essentiellement au Président de la République –, une possibilité a tout de même subsisté : les exécutifs locaux, en signant, agissent pour le compte et ès qualités de représentants de l’État. Nous devons donc nous réjouir que l’initiative de Michel Thiollière ait permis de proposer un texte sécurisé et beaucoup plus large. Nous n’aurons donc aucune difficulté à voter cette proposition de loi.

Pour conclure, il me plaît à dire et à répéter que, le 6 avril dernier, c’est de vos mains que le maire de la ville du Lamentin en Martinique a reçu, dans le cadre du programme URB-AL, un prix de sensibilisation à la coopération internationale : ainsi, de jeunes lamentinois en collaboration avec quatre autres pays de la grande région Caraïbe avaient mis en place le budget participatif des villes de ces différentes régions. C’est vous dire à quel point cette coopération est essentielle pour nous. Ce texte nous permettra, demain, de poser la première brique d’une grande loi de coopération internationale que j’appelle de mes vœux. « Heureux qui, comme Ulysse, a fait un long voyage » !

Nous espérons, de plus, pouvoir tenir prochainement en Martinique ou en Guadeloupe une conférence des ambassadeurs de Caraïbe. Ainsi, au plus près de la réalité de notre grand voisinage, l’image de la France sera-t-elle encore plus belle et plus rayonnante ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

J’appelle maintenant l’article unique de la proposition de loi dans le texte du Sénat.

Article unique

M. le président. L’amendement n° 1 a été retiré.

M. Philippe Edmond-Mariette. En effet, monsieur le président !

M. le président. Je mets aux voix l’article unique de la proposition de loi.

(L'article unique de la proposition de loi est adopté.)

3

Ordre du jour des prochaines séances

M. le président. Mardi 30 janvier 2007, à neuf heures trente :

Questions orales sans débat.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Discussion du projet de loi constitutionnelle, n° 3596, relatif à l’interdiction de la peine de mort :

Rapport, n° 3611, de M. Philippe Houillon, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République ;

Discussion du projet de loi, n° 3460, adopté par le Sénat, relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur :

Rapport, n° 3604, de M. Emmanuel Hamelin, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à onze heures.)