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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 30 janvier 2007

125e séance de la session ordinaire 2006-2007

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

questions au gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe socialiste.

Impartialité de l'État

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, la direction centrale des renseignements généraux (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) a reconnu avoir diligenté une enquête sur des membres de l’entourage de la candidate Ségolène Royal. (Mêmes mouvements.)

M. Pierre Lellouche. Écrivez plutôt votre programme !

M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie !

M. Jean-Marc Ayrault. Cette surveillance viole la loi, qui interdit à ce service du ministère de l’intérieur de contrôler les activités des formations démocratiques et, a fortiori, de leurs candidats aux élections.

M. Alain Gest. Cinéma !

M. Jean-Marc Ayrault. C’est une faute d’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.– Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Lellouche. Vous n’avez rien d’autre en magasin ? Où est votre programme ?

M. Jean-Marc Ayrault. Cette faute d’État est d’autant plus grave qu’elle met en cause le ministre de l’intérieur, ministre des élections, qui dirige les préfets et la police et qui est lui-même candidat à l’élection présidentielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.– Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Cette confusion de fonctions porte gravement atteinte à l’impartialité de l’État.

M. François Grosdidier. Et Jospin ?

M. Jean-Marc Ayrault. Elle jette le trouble sur la neutralité des agents publics. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les députés, est-il moral qu'un candidat puisse utiliser les moyens techniques de transport ou de surveillance de son ministère lors de sa campagne électorale ? (Huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Un peu de calme, s’il vous plaît !

M. Jean-Marc Ayrault. Lors des trois dernières élections présidentielles, la cohabitation avait empêché que l'État soit mis au service d'un candidat. (Protestations continues sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Qu'advient-il donc de l’engagement du ministre de l'intérieur de quitter sa fonction ? (Mêmes mouvements.)

Monsieur le Premier ministre, je sais que vous êtes préoccupé par cette situation (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), qui altère l'impartialité des pouvoirs publics.

M. Alain Gest. Cinéma !

M. Jean-Marc Ayrault. C'est pourquoi je veux vous poser trois questions. (Vives protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Allez-vous demander au ministre de l'intérieur de quitter ses fonctions afin de lever le doute sur le rôle de l'État et de ses services ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Êtes-vous prêt à demander à votre majorité d'appuyer la demande des parlementaires socialistes d'une commission d'enquête sur le rôle des services de renseignement dans cette campagne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.– Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Enfin, êtes-vous disposé à saisir, comme nous venons de le faire, le Conseil constitutionnel, qui, selon notre droit, doit juger de la régularité du processus électoral ?

Il faut que les Français aient confiance dans l’État. C’est une question d’exemplarité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.– Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Pierre Brard. Un ami de Nicolas va parler !

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur le président Ayrault (« Zéro ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), vous me permettrez de prendre un peu de hauteur.

M. Lucien Degauchy. Ce n’est pas un héros !

M. le Premier ministre. L’impartialité de l’État s’impose à tous et peut-être davantage encore au chef du Gouvernement.

M. Jean-Marie Le Guen. Oh ! Que c’est bien !

M. le Premier ministre. C'est mon exigence d’une République irréprochable...

M. Michel Delebarre. Faites-la partager !

M. le Premier ministre. ...et exemplaire.

M. Jean-Pierre Brard. Tout ça, c’est du discours !

M. le Premier ministre. Une telle exigence doit interpeller chacun d’entre nous dans cette période électorale où nous avons des devoirs – faut-il le rappeler ? – vis-à-vis des Français.

M. Jean-Marie Le Guen. C’est clair !

M. le Premier ministre. Ces devoirs nous conduisent à aborder les questions et les difficultés de la vie politique...

M. Jean-Marie Le Guen. Oh ! Très bien !

M. le Premier ministre. ...avec expérience,...

Mme Martine David. Mais encore ?

M. le Premier ministre. ...avec mesure et, toujours, avec le souci de l’équité.

M. Jean-Pierre Brard. C’est un exposé philosophique !

M. Noël Mamère. Pourrait-on en revenir au sujet ?

M. le Premier ministre. L’impartialité de l’État, monsieur Ayrault, c’est d’abord l’indépendance.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. En l’occurrence, ce n’est pas le cas !

M. le Premier ministre. J’ai fait le choix de défendre cette indépendance dans une période difficile. C’est le choix de la sérénité et de la transparence.

M. Jean-Pierre Brard. Une transparence opaque !

M. le Premier ministre. Sur l’affaire que vous avez évoquée, tout a été dit.

M. Jean-Marie Le Guen. Par qui ?

M. le Premier ministre. Tout a été dit par le Gouvernement,...

M. Paul Giacobbi. Sauf la vérité ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le Premier ministre. ...et, comme chacun sait, on peut soulever les pierres dans le désert, on n'est jamais sûr de trouver ce que l’on cherche, monsieur Ayrault !

M. Jean-Pierre Brard. On tombe parfois sur des scorpions ! Nicolas ?

M. le Premier ministre. La deuxième exigence de l’impartialité de l’État, au-delà de l’indépendance, c’est le travail. Or jamais, dans l’histoire de la Ve République, un gouvernement n’a eu à cœur d’en faire autant preuve. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés socialistes. Répondez à la question !

M. le Premier ministre. J’ai tiré les leçons du gouvernement Balladur, du gouvernement Jospin, et j’en suis arrivé à la conclusion que la bataille contre le chômage méritait d’être menée jusqu’au bout ; les résultats d’aujourd’hui en témoignent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.– Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Lamy. Ce n’est pas la question !

M. le Premier ministre. Les batailles de la croissance et du désendettement méritaient d’être menées jusqu’au bout, les résultats obtenus par le Gouvernement en témoignent. C’est l’intérêt des Français. (« La question ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. Vous ne répondez pas à la question !

M. le Premier ministre. La question est si petite qu’il faut bien que je lui donne un contenu ; voyez d’ailleurs les efforts que je consens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.– Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

L’impartialité de l’État – qui a des exigences que votre question ne prend pas tout à fait en compte, monsieur Jean-Marc Ayrault –, c’est aussi le respect de la règle de droit.

M. Bernard Roman. Justement ! Elle n’est pas respectée !

M. le Premier ministre. Je l’ai dit dans une circulaire et je l’ai rappelé hier lors d’un séminaire gouvernemental :...

M. Bernard Roman. Vous êtes obligé de les rappeler à l’ordre !

M. François Hollande. Il est où Sarkozy ?

M. le Premier ministre. ...je suis soucieux que ce gouvernement, chacun à sa place, remplisse sa mission, conformément à l’intérêt national.

Enfin, l’impartialité de l’État – et je suis bien placé pour vous en parler, monsieur Ayrault, parce que j’en ai souffert personnellement –...

Un député socialiste. Des noms !

M. le Premier ministre. ...c’est le refus des polémiques stériles, qui diminuent ceux-là mêmes qui les lancent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) En effet les polémiques sont un peu comme les boomerangs : elles vous reviennent en pleine figure ! Les polémiques ne sont pas à la mesure de la démocratie. (Mêmes mouvements.)

M. Jean-Marie Le Guen. Grotesque !

M. le Premier ministre. Dans une élection dont je souhaite qu’elle soit marquée de part et d’autre, au cours de la campagne électorale qui s’annonce, par la dignité, par l’honneur, par la responsabilité, par l’engagement (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste), je demande que chacun se tienne debout, et non dans les coins, sous les portes, dans les endroits les plus humides de la République, où personne ne se grandit !

M. François Hollande. Sarkozy !

M. le Premier ministre. Croyez-moi : la République se tient droit, les membres du Gouvernement sont debout, et nous ferons notre travail jusqu’au bout ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.– Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

compensations de l’État à la sécurité sociale

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe UDF.

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, vous avez annoncé, mardi 23 janvier, devant la commission des finances, que les dépenses de l'État avaient été strictement maîtrisées en 2006, « à l'euro près ».

Cette apparente maîtrise des dépenses suppose que les comptes de l'État soient sincères. Hélas, l'État s'est de nouveau montré un bien mauvais payeur à l’égard de la sécurité sociale. Dans sa note de janvier 2007, qui dresse le bilan de 2006, le président de la commission financière et statistique de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale souligne que la dette de l'État envers le régime général s'accroît constamment depuis 2004 : elle aurait augmenté de 2,5 milliards d'euros en 2005 et de 1 milliard en 2006...

M. Lucien Degauchy. C’est Hollande qui vous a écrit la question ?

M. Charles de Courson. ...pour atteindre un montant total de 5,9 milliards d'euros à la fin du mois de décembre 2006.

Cette nouvelle hausse est principalement liée, à hauteur de 700 millions, à des exonérations de cotisations que l'État s'est engagé à prendre à sa charge sans verser les montants nécessaires, et, à hauteur de 400 millions, à la non-prise en charge de prestations sociales, comme l’aide médicale d'État ou l’allocation de parent isolé, versées pour le compte de l’État sans que, là encore, les budgets votés suffisent à couvrir la dépense.

Ces dettes croissantes ont ainsi permis de sous-évaluer le déficit budgétaire de l’État de 2,5 milliards en 2005 et de 1 milliard en 2006, ce qui pèse sur les comptes du régime général qui doit emprunter davantage. Les coûts de trésorerie associés à la dette de l'État ont d'ailleurs représenté 160 millions d'euros pour la seule année 2006.

Ma question est double, monsieur le ministre : pouvez-vous confirmer les chiffres avancés par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale d'une dette non comptabilisée dans les comptes de l'État de 5,9 milliards d'euros ? Estimez-vous qu'une telle situation est conforme au principe de sincérité posé par l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, dont la Cour des comptes aura à assurer le contrôle avant la fin du mois de mars ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État («Et à l’euro près ! » sur les bancs du groupe socialiste) porte-parole du Gouvernement.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député de Courson, nous avons régulièrement tous deux des échanges passionnants et passionnés sur ces sujets techniques. Aussi, permettez-moi aujourd’hui de n’apporter que quelques précisions, sans entrer dans le détail.

Étant spécialisé dans le procès à charge, cela vous oblige à ne pas parler des mesures qui vont dans le bon sens. Je rappelle donc que l’État a pris en charge les frais financiers de cette dette, laquelle est d’ailleurs moins élevée que celle que vous avez indiquée puisqu’elle est beaucoup plus proche de 3 milliards que de 5, même si c’est encore trop. Ensuite, lorsque nous avons transféré le financement des allégements de charges sociales, nous avons également transféré des recettes fiscales très dynamiques qui sont autant de recettes supplémentaires pour la sécurité sociale. Voilà qui rééquilibre les faits sur le plan technique. Nous en avions pourtant parlé tout l’automne et vous en aviez parlé avec mon prédécesseur et avec les prédécesseurs de mes prédécesseurs, mais telle est la tradition de Courson ! (Sourires.)

Cela étant, vous êtes tellement focalisé sur votre critique, monsieur le député, que, du coup, vous avez oublié certains éléments...

M. Jean-Pierre Brard. Parce qu’il est sans doute moins intelligent que vous !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. ...que je ne peux que rappeler à votre assemblée.

D’une part, s’agissant de l’exécution budgétaire, nous avons respecté à l’euro près (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) le plafond des dépenses autorisées par le Parlement.

D’autre part, nous avons diminué le déficit dans des proportions inégalées au regard du PIB, atteignant le meilleur score jamais enregistré pour l’État depuis 1991. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Et tout cela, nous l’avons réalisé en finançant l’ensemble des programmes sur lesquels le Président de la République et le Premier ministre s’étaient engagés devant les Français, en matière de sécurité, de justice, de défense, d’éducation, de recherche.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Ce n’est pas la question !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Ces résultats, nous allons les chercher ensemble, et si je vous dis tout cela, c’est parce que Thierry Breton revient de Bruxelles avec une très bonne nouvelle, que vous connaissez peut-être : désormais, la France est sortie de la procédure de déficit excessif. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Nous sommes le premier des quatre grands pays concernés par cette procédure à bénéficier de la validation d’une réduction massive des déficits et je m’adresse à vous tout spécialement, monsieur de Courson, vous qui siégez au centre mais qui êtes profondément un homme de droite (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) : j’aurais aimé que vous soyez à nos côtés pour voter ces budgets successifs qui correspondent à des valeurs communes à nos électeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

sommet de madrid

M. le président. La parole est à M. Jacques Desallangre, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jacques Desallangre. Monsieur le Premier ministre, à Madrid, la France vient d’être exclue du processus de redéfinition des contours de l’Europe. C’est une première historique ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Lucien Degauchy. À qui la faute ?

M. Jacques Desallangre. C’est la première fois, depuis que l’Europe existe, qu’une réunion sur les institutions se déroule en l’absence de la France. C’est une insulte à la France et à son peuple. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Lellouche. C’est de votre faute !

M. Jacques Desallangre. N’a-t-on pas voulu punir le peuple français d’avoir dit non à ce projet de Constitution européenne libéral et réclamé une Europe sociale, attentive à la préservation des emplois des Français, de leurs services publics, de leur protection sociale, de leurs salaires, en mot de leur avenir ?

M. Jean-Marc Nudant. Quel culot !

M. Jacques Desallangre. Quel affront pour notre pays ! Quel mépris pour son gouvernement, souffleté sans réagir !

En fait, votre absence de réaction ne serait-elle pas la traduction d’un acquiescement silencieux, d’une adhésion hypocrite à cette démarche insultante, menée comme si la France était mineure pour les tenants d’une Europe libérale qui enrage de la résistance du peuple français ?

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Et Fabius, il est où ?

M. Jacques Desallangre. Y aurait-il deux Europe : celle des bons élèves, qui ont voté oui, et celle des peuples récalcitrants au dogme libéral ? Pourtant, ce n’est pas en montant les pays contre les pays, les peuples contre les peuples que l’on construira un avenir commun. Nous avons besoin d’un projet totalement refondé ; c’est cela que les Français réclament, et pas que l’on nous impose un projet maintenu en l’état, en écartant peut-être le peuple de la prise de décision.

Face à une machination méprisant le peuple français et tous les peuples européens qui ont refusé le carcan ultralibéral,…

M. Maxime Gremetz. Scandaleux !

M. Jacques Desallangre. …monsieur le Premier ministre, je vous demande solennellement de condamner avec la plus grande fermeté cette conspiration de Madrid qui divise les peuples et insulte les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, permettez-moi de vous dire que vous ne connaissez pas l’actualité européenne. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

En effet, l’Allemagne, qui préside le conseil européen pendant le premier semestre de 2007, vient de faire une proposition très concrète sur le calendrier de la réforme institutionnelle.

M. Jacques Desallangre. Et alors ? Cela n’a rien à voir avec la question !

M. le ministre des affaires étrangères. À la présidence allemande de faire des propositions et d’écouter les vingt-sept États membres. À la présidence française d’en faire ensuite la synthèse, au second semestre de 2008.

Dans ce cadre, il n’est pas anormal que des pays qui ont accepté le traité constitutionnel puissent parler entre eux.

M. Maxime Gremetz. Oh ! De Gaulle n’aurait jamais accepté ça !

M. le ministre des affaires étrangères. Je formulerai simplement deux remarques.

D’une part, je tiens à souligner l’importance d’aller vite. Il y a une nécessité, une urgence à adopter la réforme institutionnelle, tout simplement pour améliorer l’efficacité de l’Union européenne.

D’autre part, je vous rappelle qu’il n’y aura pas de nouveau traité institutionnel s’il n’y a pas un accord entre les vingt-sept États membres,…

M. Maxime Gremetz. Oui, et alors ?

M. le ministre des affaires étrangères. …qu’ils aient voté ou qu’ils n’aient pas accepté encore le traité constitutionnel. Il y aura l’accord des vingt-sept membres ou rien.

Pour terminer, permettez-moi de vous dire que toute tentative qui laisserait entrevoir une opposition nous éloignerait d’une éventuelle solution. C’est ce que nous avons dit à la présidence allemande et je suis heureux qu’Angela Merkel et mon homologue, M. Steinmeier, aient repris nos propositions.

M. Jacques Desallangre. Et vous êtes content d’être resté à la porte ?

M. le ministre des affaires étrangères. Je le répète, cela ne peut se faire qu’ensemble parce que nous croyons, nous, à l’avenir européen de notre pays. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. C’est honteux !

M. Jacques Desallangre. On se couche !

M. Maxime Gremetz. C’est grave !

conférenCe de paris
sur la reconstruction du liban

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Nesme, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Marc Nesme. Monsieur le ministre des affaires étrangères, ma question, à laquelle j'associe mon collègue Étienne Pinte, président du groupe d'amitié parlementaire France-Liban, porte sur la situation économique de ce pays.

Les événements des derniers mois et les destructions massives qui en ont résulté ont replongé le Liban dans une situation économique désastreuse pour ce pays, pour ses activités industrielles et commerciales et pour l’ensemble de sa population.

Face à cette situation, et fidèle aux liens très étroits qui unissent nos deux pays et nos deux peuples, le Président de la République a convoqué et présidé, jeudi dernier, une conférence internationale de soutien au Liban, dite « Paris III ».

Cette conférence a réuni les représentants de trente-six pays, notamment la secrétaire d'État américaine, et de quatorze institutions internationales, dont le nouveau secrétaire général des Nations unies, le président de la Banque mondiale ou encore le chef de la diplomatie européenne.

L’objectif de cette conférence était de mobiliser une aide financière pour le Liban et de créer une dynamique de relance de son économie et de maîtrise de sa dette qui s’élève à 41 milliards de dollars, ce qui fait du Liban un des pays les plus endettés au monde par rapport à son nombre d’habitants.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, pouvez-vous nous faire part des engagements pris à l’occasion de cette conférence en particulier ceux de la France au nom de l’amitié et de la solidarité qui unissent les Français aux Libanais ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Jean-Pierre Brard. Encore Ravaillac ?

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, sur cette conférence de Paris III concernant la reconstruction du Liban, je ferai deux remarques.

La première, c’est qu’elle a été un succès, d’abord, un succès financier puisque la contribution financière qui a été annoncée et acceptée par la communauté internationale est de 7 600 millions de dollars, la France ayant donné quant à elle 500 millions d’euros, ce qui répond directement à votre question. Il s’agit soit d’aides budgétaires directes pour désendetter le pays, soit d’aides qui concernent des projets économiques et sociaux.

Elle a ensuite été un succès politique autour du Chef de l’État. Une cinquantaine de pays et d’organisations internationales, vous en avez rappelé certaines, comme la Banque mondiale, comme le FMI, ont en effet montré qu’il y avait, au plus haut niveau, une mobilisation et une solidarité de l’ensemble de la communauté internationale sur le Liban.

Ma seconde remarque, c’est qu’au moment où nous parlons, sur le terrain, la situation est de plus en plus tendue, en particulier à Beyrouth, avec une majorité et une opposition qui n’arrivent pas à se réconcilier sur deux sujets, évidemment très importants.

Le premier touche à la possibilité de donner à un tiers du gouvernement une minorité de blocage, ce qui est inacceptable car cela entraînerait une inefficacité du gouvernement.

Le second problème concerne le tribunal à caractère international, seule solution pour éviter l’impunité de tous ceux qui veulent atteindre le Liban dans sa propre chair.

M. Jacques Desallangre. Quelle lucidité !

M. le ministre des affaires étrangères. Il est très important, monsieur le député, que nous soyons aux côtés du Liban aujourd’hui, aux côtés du gouvernement de M. Siniora.

M. Gérard Bapt. Aux côtés de tous les Libanais !

M. le ministre des affaires étrangères. C’est la raison pour laquelle, quelques jours après la conférence de Paris III, nous appelons tous les Libanais, quels qu’ils soient, à surmonter leurs divisions et à faire passer avant tout les intérêts supérieurs du Liban. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Il s’est surpassé !

agriculture

M. le président. La parole est à M. Jean Proriol, pour le groupe UMP.

M. Jean Proriol. Monsieur le ministre de l’agriculture et de la pêche, jusqu’à demain soir, le monde rural se rend aux urnes. Les agriculteurs actifs, les retraités, les propriétaires ruraux, les mutualistes renouvellent leurs représentants aux chambres départementales d’agriculture. Ils sont 3 millions à voter.

L’Assemblée permanente des chambres d’agriculture est votre interlocutrice habituelle. Vous êtes un bon ministre de l’agriculture. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Cela est reconnu ici, où vous avez porté la loi d’orientation agricole du 6 janvier 2006, où vous avez fait face à de nombreuses crises, aviaire, ostréicole, viticole, mais également dans le secteur des fruits et légumes. Cela est reconnu également à Bruxelles où, hier encore, vous avez défendu avec énergie la position française face au négociateur de l’OMC, M. Mandelson.

Pouvez-vous faire le point de votre action tant au plan national qu’à l’échelon européen ?

M. Jacques Desallangre. Cela prendrait trop de temps !

M. Jean Proriol. Nous savons tous que l’agriculture est le maillon indispensable de nos territoires ruraux.

Ma deuxième question porte sur les défis que les agriculteurs et agricultrices tentent de relever au quotidien dans la gestion de leur entreprise pour concilier au mieux l’efficacité économique par les prix, la sécurité alimentaire et le respect de l’environnement.

Pouvez-vous donner à nos campagnes des perspectives et à nos paysans des raisons d’espérer pour que leurs terres à vivre restent des terres d’avenir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Jean-Pierre Brard. Et de la paille pour leurs sabots ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche.

M. Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture et de la pêche. Je vous remercie, monsieur le député, pour le ton amical de votre question. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

En réalité, c’est tous ensemble, sous l’impulsion de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin, que nous avons œuvré. Sur des textes importants, comme la loi d’orientation agricole ou la loi sur les territoires ruraux, cette majorité a travaillé et voté ; l’UDF a également participé à un vote positif et l’opposition a joué un rôle constructif dans le débat parlementaire. Chacun a exercé son métier avec son cœur et avec, je l’espère, efficacité.

L’an passé, le revenu de nos agriculteurs a été bon, mais cela n’a fait que compenser des années précédentes qui avaient été plus difficiles. Les crises conjoncturelles ont été moins nombreuses, en dépit des aléas de la grippe aviaire ou de la fièvre catarrhale ovine dans l’est de la France.

Nous avons également essayé de simplifier les démarches administratives des agriculteurs, ce qui est très important.

Nous avons aussi pensé aux anciens et je remercie les parlementaires qui se sont engagés sur ce dossier. Ainsi, dans quelques jours, les feuilles de MSA prendront en compte l’augmentation des retraites agricoles.

Le monde agricole est en train de voter. C’est une affaire très importante.

M. Maxime Gremetz. Laissez-le voter !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Le vote se fait par correspondance, bonne méthode qui a marché pour la MSA. J’espère que la participation sera forte.

M. Maxime Gremetz. Et l’indépendance syndicale ?

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. L’agriculture est confrontée à trois enjeux.

Le premier est celui des biocarburants. Alors qu’ils représentaient 1,75 % des carburants vendus l’année dernière, ce pourcentage s’élèvera à 3,50 % cette année. Ils sont l’avenir de l’agriculture. Les agriculteurs vont produire ce que nous mangeons, exporter, donner des emplois et produire une grande partie de l’énergie des Français.

Le deuxième enjeu est Bruxelles, car nous avons le devoir de conforter la PAC. À cet égard, ce que j’entends, dans certains programmes, sur l’avenir de la politique agricole commune, m’inquiète. J’aimerais que, à ce sujet, les vraies questions soient posées et en particulier, Mme Royal dise clairement ce qu’elle pense de la politique agricole. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Le troisième enjeu est l’OMC à propos de laquelle Dominique de Villepin et le Président de la République nous ont donné des instructions très claires de fermeté. Mme la ministre déléguée au commerce extérieure, Mme Lagarde, s’est, à juste titre, inquiétée de ce qui s’est passé ce week-end à Davos et la France a lancé, hier, un cri d’alarme. Nous ne souhaitons pas que la libéralisation remette en cause l’existence de l’agriculture européenne. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

télévision du futur

M. le président. La parole est à M. Frédéric Soulier, pour le groupe UMP.

M. Frédéric Soulier. Monsieur le ministre de la culture et de la communication, notre assemblée examine à partir de ce soir un projet de loi qui touche une activité particulièrement importante de la vie quotidienne des Français : la télévision.

Depuis 2005, près de 7 millions de foyers se sont équipés et ont découvert la TNT, c'est-à-dire la possibilité de bénéficier de dix-huit chaînes gratuites en numérique, au lieu de six actuellement.

Dans nos circonscriptions, le succès de la TNT, sa simplicité, son offre nouvelle ont créé un élan économique et technologique réel. Nous sommes passés de la question « la TNT, c'est quoi ? » à la question « la TNT chez moi, c'est quand ? » Là est le cœur du problème.

La commission des affaires économiques, dont je suis le rapporteur, mais également Emmanuel Hamelin, rapporteur de la commission des affaires culturelles, ainsi que les élus de montagne ont beaucoup travaillé pour que la télévision numérique terrestre soit éligible à tous et partout sur le territoire, pour qu’elle devienne une réalité tangible pour les habitants, y compris pour ceux des zones rurales et de montagne, bref pour que le territoire national soit couvert à 100 %.

Ma question sera triple.

Pouvons-nous assurer les Français que nos décisions ne laisseront personne au bord du chemin du numérique ?

Comment les consommateurs seront-ils informés et combien cela peut-il leur coûter pour s'équiper ?

Enfin, en quoi l'offre nouvelle de chaînes fera-t-elle la place aux services locaux de proximité ? Je pense notamment aux déclinaisons régionales de France 3 ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député, vous êtes un passionné de l’égalité des Français pour la réception de la télévision sur l’intégralité du territoire national, et vous avez raison ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

L’objectif du Gouvernement de Dominique de Villepin est de multiplier par trois l’offre de télévision gratuite sur l’ensemble du territoire national. Il n’y aura pas de laissés-pour-compte de l’évolution numérique : 100 % des Français et 100 % du territoire national seront couverts avant la date butoir du 30 novembre 2011.

Pour que personne ne reste au bord du chemin, pour que l’information soit totale, une campagne nationale d’information sera lancée et, dans tous les lieux de vente et de commerce, il y aura un étiquetage pour que personne ne soit pris au dépourvu et pour que chacun sache si le poste qu’il achète est compatible avec cette révolution technologique. En outre, comme le Président de la République et le Premier ministre ne veulent pas d’une France à deux vitesses, nous avons créé un fonds d’aide à l’équipement pour faire face à d’éventuels problèmes financiers concrets.

Vous êtes très attentifs, notamment dans les zones de montagne et dans les zones blanches, à la reprise des chaînes de proximité. Je vous confirme officiellement que toutes les chaînes de France 3 seront reprises gratuitement sur le satellite. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Enfin, je veux mettre un terme aux rumeurs que j’entends. Il n’est pas question d’une taxe payée par les internautes : c’est de la désinformation ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

franchise santé

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Bacquet, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Paul Bacquet. Monsieur le ministre de la santé et des solidarités, nous vous avons interrogé à plusieurs reprises sur les inégalités d’accès aux soins qui ne cessent de s’aggraver, sur les 10 % à 15 % de médecins qui refusent de dispenser des soins aux bénéficiaires de la CMU, sur les pratiques trop fréquentes de dépassement d’honoraires, sur l’aspect inacceptable du secteur optionnel qui accentuera la discrimination.

Vous n’avez répondu qu’en créant un « gentillet » comité de suivi de l’application de la CMU sans évoquer la moindre sanction. Vous avez même justifié, dans cet hémicycle, le 10 janvier dernier, le secteur optionnel, censé « donner un coup d’arrêt aux dérives en développant les tarifs opposables », alors qu’il sera de toute évidence un obstacle supplémentaire au libre accès aux soins.

Monsieur le ministre, le bulletin épidémiologique hebdomadaire nous rappelle que l’espérance de vie augmente, certes, régulièrement dans notre pays, mais que les inégalités de santé ne se réduisent pas et que certaines ont même tendance à s’aggraver, que l’espérance de vie d’un sans-domicile-fixe est de quarante-cinq ans, que de très nombreuses maladies touchent en priorité les populations les plus défavorisées et qu’il existe même des disparités socio-économiques dans le dépistage prénatal des maladies génétiques. Et le conseiller d’État, président d’Emmaüs France, Martin Hirsch, de conclure : « Autrefois, la pauvreté tuait brutalement. Aujourd’hui, elle tue tout aussi sûrement, mais plus lentement. La réduction des inégalités de santé devrait être la priorité des politiques de santé ».

Monsieur le ministre, vous qui êtes porte-parole du candidat de l’UMP à l’élection présidentielle, comment pouvez-vous justifier, dans un tel contexte, la mise en place, pour tous les Français, de la franchise annuelle non remboursable sur la consommation de soins que propose votre candidat ? Cette franchise rendra encore plus difficile l’accès aux soins des plus faibles, alors que, déjà aujourd’hui, 13 % des Français refusent ou retardent leurs soins, faute de moyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gilbert Biessy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et des solidarités.

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités. Que cette question provienne justement de ceux qui ont inventé la première franchise dans le système de santé ne manque pas de sel ! Le forfait hospitalier, c’est vous qui l’avez créé. Vous n’avez jamais cessé de l’augmenter et cela ne vous a pas gêné ! (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Gilbert Biessy. Et vous, vous continuez !

M. le ministre de la santé et des solidarités. Parlons maintenant des inégalités de santé.

Vous auriez pu présenter des propositions, mais cela n’est pas votre fort, nous le constatons tous les jours ! C’est en effet nous qui avons mis en place l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé. C’est nous qui avons décidé de rembourser de nouveaux actes et de relever le défi de la démographie médicale, et certainement pas, comme veut le faire votre candidate, en obligeant les jeunes médecins à s’installer à tel endroit, parce que c’est une faute politique majeure et une faute pour notre système de santé. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous, nous croyons à l’incitation.

A vous, qui êtes les inventeurs de la franchise, je réponds que nous avons décidé de mettre en place un bouclier santé, afin de mieux rembourser les soins dentaires, les soins d’optique, les prothèses auditives. Sur tous ces sujets, il est temps également de donner de la lisibilité. En tout état de cause, cette franchise dont vous parlez n’est pas nouvelle. Elle se substitue à ce qui existe et elle permettra de garantir aux Français qu’ils seront mieux remboursés et que le « reste à charge », qui ne vous a visiblement jamais dérangé, n’augmentera pas comme cela a été le cas avec vous.

Cela dit, je comprends que vous me posiez des questions sur ce que nous voulons faire, car le projet socialiste montre, une fois encore, que vous n’êtes que des marchands de vent, en l’occurrence d’un vent mauvais ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

politique budgétaire

M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, pour le groupe UMP.

M. Alain Joyandet. Ma question s’adresse à Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État.

Le déficit du budget de l’État est en nette diminution. Il s’établit à 36 milliards d’euros pour 2006, alors même que les impôts ont baissé.

M. Michel Lefait. Pour qui ? Pour les riches !

M. Alain Joyandet. C’est une bonne nouvelle pour les Français. C’est d’ailleurs un peu le fruit de leur travail. C’est aussi la conséquence d’une gestion rigoureuse des deniers publics. C’est surtout la démonstration que l’on peut réduire les déficits sans pour autant augmenter les impôts.

M. Michel Lefait. Et les prélèvements obligatoires ?

M. Alain Joyandet. C’est donc le contraire de ce que propose la gauche et de ce que font les socialistes dans les régions qu’ils dirigent (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), où les impôts ont augmenté sans justification, dans des conditions incroyables, qu’il s’agisse des impôts locaux ou de la TIPP, dont ils se servent pour accroître un peu plus leurs recettes.

En 2002, la gauche plurielle et M. Jospin nous avaient légué un déficit budgétaire beaucoup plus important et des prélèvements records. C’est donc un très long chemin qui a été parcouru par les gouvernements successifs et par la majorité qui les a fidèlement soutenus pendant ces cinq ans. Nous pensons que, pour réhabiliter le travail, il faut laisser à nos concitoyens une part de plus en plus importante du fruit de leur travail, et non le leur confisquer.

M. Maxime Gremetz. La question !

M. Alain Joyandet. Quelles sont donc, monsieur le ministre délégué au budget, les grandes orientations de la politique budgétaire de la France qui nous permettent d’obtenir ces résultats très positifs pour les Français ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Joyandet, le résultat que nous obtenons en matière de déficit budgétaire mérite en effet d’être souligné : 36,16 milliards d’euros, c’est le meilleur résultat, rapporté au PIB, depuis une bonne quinzaine d’année, depuis 1991. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Hollande. Depuis 2001 !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. C’est même légèrement mieux qu’en 2001, alors qu’il y avait eu quatre années de croissance ininterrompue que, il est vrai, vous avez largement bradée, vous socialistes et communistes, avec des dépenses publiques considérables et non financées.

Il est vrai, monsieur Joyandet, que nous avons une politique très différente de celle de la gauche. Avec une croissance un peu inférieure à celle des années Jospin, nous avons ramené le déficit budgétaire de 49 à 36 milliards. Nous avons réussi à maîtriser complètement la dépense publique en luttant contre les gaspillages, tout en finançant nos programmes. (« Menteur ! Menteur ! » sur les bancs du groupe socialiste.) En même temps, nous avons diminué les impôts des gens qui travaillent.

M. Patrick Roy. Mensonge !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Nous avons rendu du pouvoir d’achat aux Français pour qu’ils puissent consommer – cela nous a rapporté de la TVA –, pour que le chômage diminue – cela rapporte davantage d’impôt sur le revenu – et pour que les bénéfices des entreprises accroissent le produit de l’impôt sur les sociétés. Il est vrai que cela est radicalement différent de ce que propose la gauche.

Notre idée est simple : nous avons fait la démonstration que, quand on baisse les impôts des gens qui travaillent, quand on rend de l’argent aux Français, cela crée une dynamique de croissance. C’est d’ailleurs très exactement ce que font les grands pays européens, notamment les gouvernements socialistes des autres pays européens. M. Prodi ne fait rien d’autre en Italie et M. Zapatero fait exactement la même chose en Espagne.

M. Maxime Gremetz. Et Johnny fait mieux !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l’État. Quant à notre bouclier fiscal, il est identique à celui des Allemands, des Espagnols et des Suédois.

En clair – c’est sans doute cela qui fait la différence – nous avons en France le parti socialiste le plus archaïque qui soit. (Rires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Il faudra le dire aux Français, car ce qui est présenté est contraire à la réalité. Nous, nous sommes là pour rappeler ce que l’on peut faire pour poursuivre le redressement de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Auclair. M. Hollande s’en va ! Il est dégoûté ! (Huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Ça suffit !

contrats d’accueil et d’intégration

M. le président. La parole est à M. Bernard Schreiner, pour le groupe UMP.

M. Bernard Schreiner. Madame la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, le Président de la République avait, à Troyes, défini l’insertion des immigrés comme l’une des priorités de la politique d’immigration, et il avait annoncé l’instauration d’un « contrat d’intégration », avec, notamment, l’apprentissage de la langue française et une sensibilisation au mode de vie français.

La loi de programmation pour la cohésion sociale a concrétisé ce contrat d’accueil et d’intégration, et elle en a défini les modalités. Ce dispositif a pour objectif de contractualiser les engagements réciproques du nouvel arrivant et de l’État dans un contrat individuel d’accueil et d’intégration d’une durée d’un an, renouvelable une fois. Il comporte deux volets principaux : d’une part, le respect des lois et des valeurs de la République par le suivi d’une formation civique pour les nouveaux arrivants ; d’autre part, la mise en place par l’État français d’une organisation pour l’information et l’accès aux droits individuels et à l’apprentissage de la langue.

Ce dispositif est expérimenté depuis 2005, et il est obligatoire pour les étrangers extra-communautaires depuis le 1er janvier 2007. Pouvez-vous, madame la ministre, nous faire part des enseignements que vous tirez de sa mise en place et nous dire combien de contrats d’accueil et d’intégration ont été signés à ce jour ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Monsieur le député, vous avez raison : le Président de la République avait souhaité, à Troyes, le 14 octobre 2002, que notre pays mette un terme à l’indifférence et instaure un contrat pour tous les primo-arrivants.

Le contrat d’accueil et d’intégration présente le grand avantage d’offrir une formation à ceux qui ne parlent pas notre langue. Pour la première fois, il y aura obligation de parler notre langue pour résider à terme dans notre pays. Cela constitue une chance importante, notamment pour les femmes, qui pourront ainsi enfin connaître leurs droits.

Par ailleurs, ces contrats nous permettent de demander aux intéressés qu’ils s’engagent à respecter les valeurs de notre République. Puisque vous voulez connaître leur nombre, monsieur le député, je vous indique que 200 000 ont été signés avant le 31 décembre.

Je rappelle que, grâce à la loi du 26 juillet 2006, proposée par le ministre de l’intérieur, ils sont obligatoires. Toute personne qui arrive dans notre pays pourra désormais, pour recevoir un titre de long séjour, connaître ses droits et surtout ses devoirs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Contrat nouvelle embauche

M. le président. La parole est à M. Éric Besson, pour le groupe socialiste.

M. Éric Besson. Je veux d’abord, en quelques mots, m’adresser à M. Copé. (« Il est parti ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Mes propos lui seront répétés et le Journal officiel fera foi.

M. Copé est très content de ses résultats, mais la dette publique a augmenté de 300 milliards d’euros depuis 2002.

M. Richard Mallié. Vous êtes jaloux !

M. Guy Teissier. La question !

M. Éric Besson. Soyons justes : il n’est pas responsable de la totalité de cette somme, mais seulement d’une dette de 150 milliards contractée depuis qu’il est ministre du budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Par ailleurs, mesdames et messieurs les députés de la majorité, vous l’avez applaudi vigoureusement quand il a dit que la France était sortie du processus de déficit excessif. Il est vrai que nous nous en réjouissons tous. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Peut-être faut-il néanmoins vous rappeler que c’est sous votre gouvernement et votre majorité que la France y était entrée. ((Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et qu’elle s’était placée sous la surveillance de la Commission européenne, ce qui invite à relativiser vos applaudissements. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

J’en viens à ma question.

Monsieur le Premier ministre, beaucoup de Français, notamment les plus modestes, s’inquiètent de l’évolution de leur situation personnelle en voyant leur pouvoir d’achat amputé par la hausse très forte des loyers, du prix du gaz et de l’électricité, des produits de première nécessité.

Nos concitoyens sont aussi très préoccupés par le chômage,…

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Il baisse !

M. Éric Besson. …soit parce qu’ils n’arrivent pas à trouver de travail, soit parce que leur emploi est précaire, au point qu’un Français sur deux – chiffre hallucinant – déclare qu’il craint de se retrouver un jour sans domicile fixe.

M. Jean-Marc Roubaud. Quelle est la question ?

M. Éric Besson. En août 2005, sans concertation avec les syndicats, vous avez instauré par ordonnance le CNE, le contrat nouvelle embauche. Puis, vous avez voulu créer le CPE, le contrat première embauche, mais les Français, notamment les jeunes, vous ont fait reculer.

Aujourd’hui, le ministre de l’intérieur, par ailleurs candidat à l’élection présidentielle, déclare que le CNE est « un progrès auquel il ne faut pas toucher »…

M. Jean-Marc Roubaud. Quelle est la question ?

M. Éric Besson. …et « une occasion de simplifier beaucoup le droit du travail français ».

M. Jean-Marc Roubaud. C’est faux !

M. Éric Besson. Je cite ses propos ! Il est inutile de les contester !

M. Jean-Marc Roubaud. C’est faux !

M. Éric Besson. M. Sarkozy a aussi affirmé vouloir s’en inspirer pour créer le fameux contrat unique, introduisant la précarité généralisée, que les plus libéraux au sein de votre majorité appellent de leurs vœux.

M. le président. Merci, monsieur Besson.

M. Jean-Marc Roubaud. La question !

M. Éric Besson. Le CNE est une régression sociale, puisqu’il permet de licencier un salarié, après une période d’essai de deux ans,…

M. le président. Les députés bénéficient tous du même temps de parole. Posez votre question, monsieur Besson.

M. Éric Besson. …et cela sans aucun motif.

Monsieur le Premier ministre, alors que les Français craignent pour leur emploi et s’inquiètent de la montée de la précarité, n’est-il pas dangereux de leur expliquer que le CNE va être généralisé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Monsieur le député, vous aimez les chiffres ; moi aussi. Depuis le mois d’août 2005, 775 000 personnes ont trouvé une activité professionnelle grâce au CNE. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jérôme Lambert. Ce n’est pas grâce au CNE !

M. Alain Néri. C’est de la substitution !

M. Patrick Roy. Manipulation !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Par ailleurs, 200 000 petites entreprises de moins de vingt salariés n’auraient pas créé d’emploi si elles n’avaient pas eu ce contrat à leur disposition. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Le Garrec. Vous n’en savez rien !

M. Lucien Degauchy. C’est ça qui les dérange !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Vous évoquez l’inquiétude de nos concitoyens face à une certaine précarité, mais la première précarité est précisément celle de l’emploi. Ce contrat y remédie, puisqu’il permet de bénéficier d’une solution plus pérenne que la très grande précarité.

Ce matin, le Premier ministre et M. Larcher ont annoncé que le CNE – qui est un CDI apportant un meilleur accompagnement lors d’un licenciement et davantage de souplesse à l’entreprise – ferait l’objet de modifications importantes, notamment en matière d’accompagnement personnalisé. Cette nouvelle évolution ramènera nos concitoyens vers l’emploi.

M. Jean-Pierre Blazy. Tu parles !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Il est certain que notre vision de la situation est très différente. La vôtre relève incontestablement de l’immobilisme. Vous voulez qu’on ne touche à rien. C’est le meilleur moyen de rester dans le chômage, donc dans la précarité ! (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Attractivité de la france

M. le président. La parole est à M. Sébastien Huyghe, pour le groupe UMP.

M. Sébastien Huyghe. Madame la ministre déléguée au commerce extérieur, vous revenez de Davos où vous avez porté haut les couleurs de la France (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et où vous avez rencontré de nombreux dirigeants étrangers.

M. Jean-Pierre Soisson. Il était temps !

M. Sébastien Huyghe. Vous avez aussi participé hier au conseil stratégique de l’attractivité, présidé par le Premier ministre. La capacité de la France à être attractive est essentielle car elle permet d’attirer plus d’entreprises dans notre pays et de créer plus d’emplois pour nos concitoyens.

En 2003, j’avais remis à Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, un rapport sur l’attractivité de notre territoire, qui pointait les forces et les faiblesses de notre pays en la matière et formulait des propositions. Depuis lors, la France a conduit un certain nombre de réformes, mais le chemin de l’attractivité suit un parcours long et sinueux, et des efforts doivent être réalisés en permanence. Si la France obtient en ce moment de bons résultats statistiques en matière d’accueil des investissements étrangers, notre pays souffre parfois d’une image négative auprès de nos partenaires. Il est impératif de la modifier, car la France a absolument besoin de leurs investissements.

M. Jérôme Lambert. Pour améliorer l’image de la France, changeons de Gouvernement !

M. Sébastien Huyghe. Pouvez-vous nous indiquer quelle image les participants au sommet de Davos se font de la France ? Par ailleurs, que comptez-vous faire pour améliorer la perception de notre pays à l’étranger et donc lui faire gagner des points en termes d’attractivité ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée au commerce extérieur.

Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur. Monsieur le député, ce sujet concerne aujourd’hui un salarié sur sept : telle est la proportion de ceux qui travaillent pour un employeur étranger.

En 2005, les investissements directs étrangers se sont élévés à 55 milliards d’euros pour 33 000 nouveaux emplois créés. En 2006, selon les chiffres récemment publiés par la CNUCED, nous avons fait au moins 30 % de mieux. La France se trouve ainsi placée au troisième rang pour l’accueil des investissements directs étrangers, ce qui constitue une excellente performance, puisqu’elle arrive juste derrière les États-Unis et la Grande-Bretagne.

M. Jean-Pierre Brard. Et les délocalisations ?

Mme la ministre déléguée au commerce extérieur. Qu’avons-nous fait à Davos ?

Avec l’Agence française pour les investissements internationaux, nous avons organisé, Christian Estrosi et moi-même, des rendez-vous avec des investisseurs étrangers. En trois jours, nous avons reçu environ quatre-vingt-dix employeurs potentiels. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Quant aux employeurs étrangers, nous les avons remercié d’avoir choisi la France.

Aujourd’hui, grâce aux 147 mesures pour l’attractivité du territoire français prises sous la direction du Premier ministre, avec le conseil stratégique pour l’attractivité de la France et à la lumière de votre excellent rapport relatif notamment à l’amélioration de la situation fiscale des quartiers généraux, aux modifications concernant la taxe professionnelle et la taxation des plus-values sur les cessions d’actions, nous rendons notre territoire encore plus attractif.

Il n’y a pas beaucoup d’efforts à faire pour convaincre les investisseurs étrangers…

M. Jacques Desallangre. Commencez par convaincre ceux qui délocalisent de rester chez nous !

Mme la ministre déléguée au commerce extérieur. …que nous avons une excellente géographie, un territoire attractif, une bonne infrastructure et une excellente productivité. En revanche, les employeurs étrangers nous disent que notre droit devrait être plus favorable à la création, à la flexibilité, à la mobilité, à l’employabilité et à l’agilité des entreprises.

M. le président. Merci, madame la ministre.

Mme la ministre déléguée au commerce extérieur. Loin de prétendre tout savoir, je reconnais volontiers que je sais fort peu de chose. Cependant il en est une au moins que j’ai apprise depuis dix-huit mois : lorsqu’on est à l’étranger, on défend les entreprises de France, l’entreprise France et on porte haut les couleurs de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

conseil national du littoral

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour le groupe UMP.

M. Jérôme Bignon. Monsieur le ministre délégué à l’aménagement du territoire, l’INSEE prévoit trois millions d’habitants supplémentaires sur le littoral français de métropole d’ici à 2020. Chacun comprend bien que les enjeux sont considérables. Réchauffement climatique et montée des océans, pression très forte sur le foncier littoral, multiplication des conflits d’usage sur des zones extrêmement fragiles, tout cela est devant nous.

Pour relever ces défis, dont il a pris la juste mesure, le Gouvernement a engagé une ambitieuse politique du littoral, qui s’appuie sur un nouvel outil de concertation, le Conseil national du littoral, et sur une nouvelle gouvernance du littoral : la gestion intégrée de la zone côtière. À ce titre, vingt-cinq expérimentations se poursuivent depuis plus de dix-huit mois.

Cette politique a pour ambition de répondre à toutes les exigences du développement durable. La protection des zones sensibles et des milieux naturels doit, à terme, favoriser la qualité de vie des habitants du littoral, tout en les aidant à assurer le développement économique et social des territoires où ils vivent.

Un bilan interministériel des vingt ans de la loi Littoral est en cours d’élaboration et devrait aboutir avant le 30 juin. Après sa première réunion à Matignon, à l’initiative du Premier ministre, puis une deuxième en baie de Somme, la commission permanente du Conseil national du littoral se réunira demain Place-Beauvau à votre invitation. Quel message entendez-vous lui adresser pour introduire ses travaux ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire. Monsieur le député, les prévisions de l’INSEE sont fondées sur l’attractivité du littoral français, mais je sais à quel point, en votre qualité de président de la commission permanente du Conseil national du littoral (« Allô ! Allô ! » sur les bancs du groupe socialiste), vous partagez, comme moi, le sentiment de beaucoup d’élus qui siègent dans cet hémicycle : la démocratie qui s’exerce dans notre pays ne prévoit pas que les statisticiens fixent la politique d’aménagement du territoire de la France.

C’est à nous de décider ensemble si nous voulons qu’il y ait trois millions d’habitants de plus sur le littoral dans dix ans. Or, à mes yeux, ce serait une catastrophe environnementale et écologique. Oui, je suis opposé à ce que nous touchions à la loi Littoral, qui a permis de lutter contre l’urbanisation galopante et désordonnée du littoral français. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

En revanche, je suis favorable au développement de l’aménagement d’autoroutes maritimes. L’année dernière, à Barcelone, le Premier ministre et moi-même avons signé un premier engagement avec l’Espagne pour l’ouverture d’une telle liaison entre Bilbao, la côte Atlantique et la Manche.

Nous devons développer des projets de ce type entre Rome, Savone, Marseille, Barcelone, Tanger, Bilbao, Saint-Nazaire et Dunkerque, sans oublier Le Havre 2 000. Ils permettent en effet de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre le long de notre littoral, par les charrois de poids lourds que les Français ne supportent plus. Un navire de 350 mètres représente à lui seul l’équivalent de 58 kilomètres de poids lourds.

En termes d’attractivité, puisque Christine Lagarde en parlait il y a un instant, nous devons, pour répondre à certains investisseurs internationaux, développer des plateformes logistiques, comme nous l’avons fait au Havre 2 000 ou à Marseille Fos 2 XL, parce que nous savons que c’est en créant des intermodalités que nous développerons des activités économiques fortes.

Enfin, il faut lutter pour défendre la biodiversité, élément d’attractivité touristique important, et développer des pôles d’excellence autour de pôles touristiques. C’est ainsi qu’à Canet-en-Roussillon, un pôle d’excellence s’est constitué autour d’un port touristique très important.

Tel est le message que je compte adresser au Conseil national du littoral. Vous pouvez, comme tous ceux qui y participeront, nous faire des propositions. Elles nous permettront de trouver un juste équilibre entre la protection de la biodiversité et le développement économique le long du littoral.

Que les statisticiens, et tous ceux qui, aujourd’hui, proposent d’y installer trois millions d’habitants de plus, sachent que nous ne le voulons pas. Nous entendons au contraire préserver la richesse que constitue le littoral français, sans pour autant le priver du développement économique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

2

interdiction de la peine de mort

Discussion d’un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à l’interdiction de la peine de mort (nos 3596, 3611).

La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, la peine de mort n'est pas un acte de justice, mais une pratique barbare. Je mesure le poids de ces mots, car je n'ai pas toujours partagé cet avis. Je me souviens en effet être monté à cette tribune, il y a plus de vingt-cinq ans, pour inviter la représentation nationale à s'opposer à l'abolition de la peine capitale

Cependant, je ne vous présente pas ce texte, si essentiel en ce qu'il symbolise, par devoir, mais par conviction. Je n'aurai d'ailleurs pas pu faire autrement.

Comme tant d'autres Français, j'ai évolué sur cette question. Une majorité d'entre eux est désormais favorable à l'abolition de la peine de mort, mais cette majorité reste précaire. J’en fais maintenant partie, mais je sais que nous ne sommes pas encore tous sur cette ligne. Je veux donc me tourner en priorité vers ceux d'entre vous qui croient que la peine de mort est le meilleur instrument de prévention du crime, qu'elle inspire la peur et pousse à réfréner les pulsions. Ce n'est pas vrai : les taux de criminalité ou de décès par mort violente dans les pays ayant conservé la peine de mort sont là pour nous le prouver. La peine de mort ne réduit pas la criminalité ; elle se contente d'habiller la loi du talion sous un paravent légal et démocratique.

M. Michel Hunault. Très juste !

M. le garde des sceaux. J'ai cru, par le passé, que la peine de mort pouvait sauver la vie d'innocents et j'étais prêt à accepter de détruire une vie pour en sauver d'autres. En fait elle est inefficace et satisfait simplement un esprit de vengeance.

Je connais la douleur des familles de victimes. Je sais qu'elles n'oublient jamais le drame qu'elles ont vécu. Je sais que certaines appellent de leurs vœux les sanctions les plus radicales en réponse à l'horreur des actes commis. Toutefois la vengeance est un instinct que combat la justice. La vengeance abaisse la société qui l'emploie. La vengeance nous éloigne de l'État de droit. La vengeance doit être proscrite.

M. Michel Hunault. Très bien !

M. le garde des sceaux. Je ne vous parle pas du sens de l'histoire et je me garderai bien de donner des leçons de morale. Je n'invoquerai pas non plus la mémoire de Jaurès, qui intervint en ces lieux il y a près d'un siècle, même si la tentation est grande. Je veux simplement évoquer devant vous les principes qui guident notre conception de la justice et de la place qu'elle occupe dans nos institutions. En effet, comme l'écrivait le célèbre auteur du Traité des délits et des peines, Cesare Beccaria « Si je prouve que cette peine n'est ni utile ni nécessaire, j'aurai fait triompher la cause de l'humanité ».

D’abord, la vie humaine a un caractère inviolable et sacré. Ce point n’est pas négociable. Chaque femme, chaque homme ne peut être réduit aux atrocités qu’il a pu commettre. Il détient avant tout une part d’humanité que nous devons protéger, entretenir, parfois sauver. On juge une société à ses membres, mais aussi à ses règles. Éliminer d’autres hommes n’est pas une règle propre à une société évoluée.

Cela est d’autant plus justifié que la justice humaine est faillible. Elle est nécessaire, mais elle conserve une capacité d’appréciation, qui, parfois, peut mener à une erreur. Le juge, dans sa difficile mission de dire le droit et le juste, peut se tromper. Chacun d’entre vous peut en peser les conséquences. L’erreur judiciaire est un scandale. La peine de mort ne se contente pas d’en aggraver les effets ; elle transforme fondamentalement la condamnation en crime de la société, en temps de paix comme en temps de guerre.

C’est pourquoi la peine la plus grave encourue par l’auteur d’une infraction doit être la réclusion criminelle à perpétuité. La prison à vie, même si elle est réduite à une peine de sûreté, est une épreuve terrible pour les condamnés et suffit largement à faire craindre la justice aux criminels. C’est la liberté qui fait rêver les hommes ; c’est pour elle qu’ils peuvent réaliser ce qu’il y a de meilleur en eux. C’est aussi pour cela que je crois en la capacité de tout être, quelles que soient ses fautes, à s’amender.

Le temps des supplices est terminé : la peine sert à écarter le danger que fait peser un criminel sur la société, à due proportion de ses actes, et à réinsérer ceux qui en ont la volonté. Ce sont les objectifs de notre système carcéral. Celui-ci n’a pas vocation à être un lieu de souffrance.

La France veut porter ses valeurs dans le monde entier. C’est là sa mission, et c’est son honneur. C’est pourquoi elle est favorable à l’abolition universelle de la peine de mort. Ce choix n’est pas seulement celui du Président de la République, qui s’en est fait l’avocat inlassable depuis toujours et qui a personnellement voulu que ce projet aboutisse. C’est celui de la collectivité nationale tout entière, fière et rassemblée autour des droits de l’homme, quelles que soient les frontières politiques.

L’abolition de la peine de mort par la loi du 9 octobre 1981 a permis à la France, en 1986, de ratifier le protocole n° 6 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme concernant l’abolition de la peine de mort en temps de paix. Ce protocole permet néanmoins le rétablissement de la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre.

La France souhaite maintenant que tous les pays puissent écarter cette hypothèse. Chaque événement international est l’occasion pour le Président de la République, pour l’ensemble des membres du Gouvernement et des représentants du Parlement de rappeler le caractère inviolable et sacré de la vie humaine. Vous savez à quel point cette mission est difficile et courageuse, tant la valeur de la vie humaine est encore trop différemment perçue dans certains pays.

Ce mouvement international en faveur de l’abolition continue d’avancer. Il se traduit par deux nouvelles conventions : le protocole n° 13 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, abolissant la peine de mort en toutes circonstances, et le deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté à New York le 15 décembre 1989.

La France n’a ratifié aujourd’hui aucun de ces deux textes. Elle ne souhaite pourtant pas rester à l’écart de ces initiatives qui portent un message conforme à ses valeurs. En effet, dans sa décision du 13 octobre 2005, le Conseil constitutionnel a jugé qu’une révision constitutionnelle était nécessaire pour que la France puisse ratifier le deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans la mesure où celui-ci ne comporte pas de clause de dénonciation et prescrit une abolition définitive de la peine de mort. Il méconnaît donc les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale, car cet engagement serait irréversible.

Il n’existe qu’un seul dispositif juridique pour répondre à la décision du Conseil constitutionnel, celui consistant à modifier notre loi fondamentale, comme nous l’avons fait par le passé pour d’autres textes internationaux, notamment lors de la ratification par la France du traité de Rome instituant une cour pénale internationale.

La révision constitutionnelle prendra place à l’article 66-1 de la Constitution au sein du titre VIII sur l’autorité judiciaire. Il y sera inscrit : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ». Notre pays rejoindra ainsi les seize pays de l’Union européenne qui ont inscrit dans leur texte fondamental l’abolition de la peine de mort.

À tous ceux qui s’interrogent sur la présence d’un tel article dans notre loi fondamentale, je veux dire qu’ils peuvent être rassurés, puisque nous ne serons que le quarante-cinquième État dans le monde à manifester cette volonté ! Tel n’est malheureusement pas encore le cas de tous les pays membres de l’Organisation des Nations unies où les États abolitionnistes « en toutes circonstances » demeurent minoritaires. Il sera donc de notre devoir d’œuvrer à l’avenir, par notre action diplomatique, à la proscription de la peine de mort.

Ces terres de mission, nous les connaissons. Ce sont en priorité les pays qui condamnent et qui exécutent des condamnés. La plupart savent qu’ils seront amenés bientôt à réviser leurs positions et ils veulent que nous accompagnions leur évolution. Nous le ferons. D’autres restent persuadés que la mort n’est qu’une peine normale et banale. Notre exemple ne suffira pas à les convaincre et la société civile engagée dans ce combat doit savoir qu’elle n’est pas seule à lutter pour le respect des droits de l’homme.

Nous devons également aider les pays qui ne sont abolitionnistes qu’en pratique, ceux où la peine de mort reste prononcée mais n’est pas exécutée, à mettre en accord leurs lois et leurs choix. Nous ne pouvons qu’inciter leurs dirigeants à nous rejoindre et à garantir le respect de la vie humaine dans leur droit pénal.

Enfin, l’adoption de ce projet de loi constitutionnelle montrera que les crimes de guerre, aussi terribles soient-ils, ne doivent pas être punis de la peine de mort.

M. Jacques Myard. Inadmissible !

M. le garde des sceaux. On ne répond pas à l’horreur par la barbarie.

M. Jacques Myard. Par la justice !

M. le garde des sceaux. Vous le voyez, mesdames, messieurs les députés, ce texte n’est pas un symbole vain ; il est un symbole qui fait avancer la cause des droits de l’homme partout dans le monde.

Il est des débats dont on se persuade un peu rapidement qu’ils sont clos. L’abolition de la peine capitale en fait partie. La peine de mort ne doit plus être un débat politique en France. Nous devons clairement et définitivement l’exclure du champ des discussions et des propositions. Nous devons montrer qu’elle n’a de place que dans les livres d’histoire et marquer cette volonté en l’inscrivant au cœur de notre pacte fondamental, dans le texte même de notre Constitution.

M. Pierre Bourguignon. Très bien !

M. le garde des sceaux. Par-delà nos débats nationaux, cette révision constitutionnelle a valeur d’exemple pour le monde entier. Elle renforcera notre poids et notre crédibilité dans nos discussions internationales.

C’est pourquoi j’invite chacun de vous, en conscience, à voter ce projet de loi qui mettra un terme définitif à ce point si débattu de notre législation criminelle. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Union pour la démocratie française, du groupe des députés-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a cent cinquante ans, Victor Hugo lançait, de la tribune de l’Assemblée nationale, son cri contre ce « signe spécial et éternel de la barbarie » que constitue la peine capitale.

Que l’on sonde l’imaginaire de nos représentations ou que l’on rappelle à nous les images d’exécutions bien réelles qui nous ont frappés, cette vérité s’impose.

Il suffit, pour s’en convaincre, de songer à la pathétique Exécution de Maximilien d’Édouard Manet ou au terrifiant Tres de Mayo de Goya. Il suffit pour s’en convaincre de convoquer le cortège des condamnés à mort des grands opéras italiens : Aïda emmurée vivante, les admirateurs décapités de la princesse chinoise Turandot, Andrea Chénier, le poète guillotiné, l’amant de Tosca fusillé au château Saint-Ange, Norma brûlée vive, autant de victimes de l’arbitraire. De manière bien réelle, on pourrait convoquer aussi à notre macabre inventaire les époux Ceausescu et, plus récemment, Saddam Hussein.

L’effroi suscité par ces exécutions politiques n’est pas moindre que celui provoqué par les exécutions judiciaires. Ainsi, il y a cinquante ans, en 1957, l’essayiste anglais d’origine hongroise Arthur Koestler publiait en français ses Réflexions sur la potence. Il y faisait, sans concession, l’autopsie de l’usage de la peine de mort par la justice anglaise, qui tuait pour un oui ou pour un non, pour le vol d’un objet valant plus de 12 pence comme pour le meurtre le plus sanglant.

Dans le même mouvement, Albert Camus nous livrait ses Réflexions sur la guillotine, un texte à la fois beau et juste dans lequel l’auteur analysait minutieusement, au crible de la raison la plus scrupuleuse, son dégoût le plus instinctif pour la peine capitale. Dans cet essai, qui résonna de manière si forte dans le silence d’une France où la question n’était plus réellement mise au débat mais où les exécutions continuaient, Albert Camus nous raconte l’histoire de ce père qu’il n’a pas connu et qui assista, un peu avant la guerre de 1914, à l’exécution publique de l’auteur d’un crime odieux. Justement indigné par ce crime, Lucien Camus fut bouleversé par l’image de ce corps supplicié, coupé en deux, saisi par l’inutilité de cette mort supplémentaire, préméditée, organisée, exécutée au nom de toute la société. La violence extirpée par la violence n’engendrait que la violence.

L’histoire de Lucien Camus, c’est l’histoire de notre pays indigné par le crime puis bouleversé par la peine capitale, cette peine qui porte, dans son étymologie même, la trace de ce corps coupé en deux. Fille des Lumières, la République française vécut pendant près de deux cents ans à l’ombre de la guillotine, dressée telle une survivance de l’antique loi du Talion, masquant les insuffisances de la politique pénale, exutoire malheureux d’une peur collective mal contrôlée.

Il y a cent ans, en 1908, une offensive était lancée par Aristide Briand, qui fut avocat à Pontoise et qui était alors garde des sceaux,…

M. le garde des sceaux. Il fut également député !

M. Philippe Houillon, rapporteur. …une offensive en faveur de l’abolition de la peine de mort, sans résultat.

Il y a environ trente ans, sur le rapport de Philippe Séguin, votre commission des lois proposait d’abolir la peine de mort. La proposition ne fut jamais inscrite à l’ordre du jour.

En abolissant, par la loi du 9 octobre 1981, la peine de mort en toutes circonstances, voilà plus d’un quart de siècle – et il faut rendre dès cet instant hommage à Robert Badinter –, nous vidions enfin notre droit criminel de sa plus ancienne, inutile et unique marque de barbarie. À son tour et après tous les autres pays d’Europe occidentale, notre pays s’est alors libéré de cette entrave, de plus en plus dénoncée par nos partenaires européens, de moins en moins acceptée par les jurys d’assises eux-mêmes.

Vingt-cinq ans après, le bilan est clair : nous n’avons pas besoin de la peine de mort. Nous n’en avons pas besoin parce nous n’avons pas peur. Notre conscience collective est libérée de l’agressivité et de la crainte qui indissolublement, pendant des siècles, fondaient, aux yeux de ses défenseurs, le maintien dans notre droit répressif de la peine capitale, offrant le coupable en victime expiatoire aux inquiétudes réelles ou supposées de la société.

Nous n’en avons pas besoin, parce que notre politique criminelle est devenue plus efficace. Les progrès accomplis ces dernières années dans la traque des assassins, plus souvent démasqués, plus souvent appréhendés, nous dispensent a fortiori de recourir à ce châtiment d’un autre âge, dont l’exécution nous libérait de manière illusoire de tous les autres crimes non élucidés. La meilleure garantie contre le crime, le meilleur service à rendre aux victimes et à leurs familles, c’est une police efficace et une justice juste, prononçant des peines de manière équitable et des peines effectivement exécutées.

De la peine capitale, nous n’en avons pas besoin, car nous lui préférons une peine alternative…

M. Jacques Myard. Il n’y en a pas !

M. Philippe Houillon, rapporteur. …et nous avons pris, en conséquence, collectivement et à bras-le-corps, la question pénitentiaire. Certes, la situation n’est pas celle que l’on pourrait espérer, mais les avancées ont été considérables et les efforts budgétaires sans précédent – notamment ceux engagés sous cette législature – sont la marque indélébile de notre volonté en la matière.

Le garde des sceaux lui-même a fait observer que ces efforts doivent être poursuivis et qu’une nouvelle loi de programme s’avère nécessaire. Je le répète, il est fini le temps où l’on pouvait se cacher derrière la peine de mort pour ne pas évoquer la question pénitentiaire. En tant que rapporteur de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, je suis personnellement engagé sur cette question, qui doit faire partie des débats auxquels donneront lieu les prochaines échéances électorales.

De la peine capitale, enfin, nous n'en avons pas besoin, parce que tous nos voisins européens n'en ont pas besoin, sur un continent libéré de toute sinistre exécution, si l'on fait exception de la Biélorussie. Le Royaume-Uni, pourtant confronté au terrorisme de l’IRA, n'a jamais voulu la rétablir, malgré des initiatives répétées en ce sens mais qui ont été repoussées avec des majorités toujours plus fortes. L'Espagne, libérée de la dictature mais confrontée au terrorisme aveugle de l'ETA, a maintenu elle aussi l'abolition, comme témoignage intangible de son attachement aux valeurs démocratiques.

Ces exemples extrêmes doivent être confortés par un examen attentif du contexte européen et international.

Les pays membres du Conseil de l'Europe ont signé le protocole n° 6 de 1983 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme concernant l'abolition de la peine de mort en temps de paix. Tous sauf un – la Russie, qui a cependant déclaré un moratoire – l'ont ratifié.

Ainsi, la peine de mort est éradiquée de notre continent pour tous les crimes hors période de conflit. Trente-sept États européens, dont quasiment tous les pays de l'Union européenne, ont déjà ratifié le protocole n° 13 abolissant la peine de mort en toutes circonstances, signé à Vilnius, en mai 2002. Nous ne l'avons pas encore fait mais nous devrons le faire.

Au plan international, tous les États de l'Union européenne ont également ratifié le deuxième protocole facultatif élaboré sous l'égide des Nations unies et se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort et adopté à New York, le 15 décembre 1989. Seule la Pologne l'a signé sans le ratifier, tandis que notre pays ne l'a encore ni signé ni ratifié. Or il est entré en vigueur le 11 juillet 1991.

Une autre victoire de la communauté internationale est l'adoption du statut de Rome de la Cour pénale internationale, chargée de réprimer les crimes les plus odieux qui soient, sans avoir à recourir au châtiment légal le plus odieux qui soit. Comme pour le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, et comme pour le Tribunal pénal international pour le Rwanda, la prison à vie effective constitue la peine ultime, à l'exclusion de toute peine capitale. Maintenir vivant le coupable de crimes contre l'humanité et de génocides, c'est avoir le courage de conserver le souvenir permanent du mal absolu pour le combattre et mieux s'en défaire. Faire disparaître ce coupable, c'est en faire inutilement un martyr de la cause perdue qu'il défendait par ses forfaits.

M. Jacques Myard. Oh !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Et l'on ne peut s'empêcher de penser une fois encore, en l'espèce, à la récente exécution de Saddam Hussein.

M. Jacques Myard. Oh !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Aujourd'hui, le Président de la République nous propose d'inscrire dans un nouvel article 66-1 de la Constitution le principe selon lequel « nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

À l'issue de cette rapide présentation, chacun peut légitimement se poser la question suivante : pourquoi inscrire aujourd'hui l'interdiction de la peine de mort dans notre Constitution, alors que, en droit, elle est d'ores et déjà acquise ? Je suis tenté de répondre, d'abord, par une question : pourquoi ne pas l'inscrire ?

En effet, la nature même de la Constitution appelle, aujourd'hui, cette inscription. Notre loi fondamentale est constitutive de notre corps politique, de notre corps social. Elle porte haut toutes les valeurs essentielles que nous partageons. Or, aujourd'hui, nous partageons sans conteste la valeur de l'abolition de la peine de mort, versant pénal du droit à la vie. Nous la partageons en France même. Les études d'opinion – même si on hésite toujours à les évoquer – se sont renversées. Les Français sont désormais majoritairement opposés à son rétablissement. De plus nous partageons aussi cette valeur en Europe, devenue en vingt-cinq ans, je le répète, le seul continent totalement abolitionniste.

Passée de la sphère limitée de la politique pénale à la sphère universelle des droits de l'homme, l'interdiction de la peine de mort mérite à ce seul titre de figurer dans notre norme suprême. D'ailleurs, de très nombreux pays européens ont d'ores et déjà inscrit l'interdiction de la peine de mort dans leur Constitution…

M. Jacques Myard. Ce n’est pas une raison !

M. Philippe Houillon, rapporteur. …qu'il s'agisse de l'Allemagne, de l'Autriche, de la Finlande, de la Suède, du Portugal, des Pays-Bas, mais aussi de la Croatie, de la Slovénie, de la Roumanie. En Italie, la Chambre des députés vient d'adopter un projet supprimant la réserve constitutionnelle qui était faite pour l'application de la peine de mort en temps de guerre.

La seconde réponse, c’est que nous avons le devoir d'inscrire l'interdiction de la peine de mort dans notre Constitution parce que c’est l’une des valeurs de notre République.

M. Pierre Bourguignon. Très bien !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Je passerai sur les impérieuses raisons morales et politiques qui le commandent. Elles sont évidentes. Mais, il y a aussi des raisons juridiques à cette constitutionnalisation de l'interdiction.

Protégés par la norme suprême de notre hiérarchie des normes et sans considération des traités internationaux qui lient pourtant déjà aujourd'hui la France en temps de paix, nous ne pourrions revenir sur l'interdiction de la peine capitale, sauf à nous lancer dans une nouvelle révision constitutionnelle.

L'inscription de l'interdiction dans notre Constitution permettra aussi d'assurer l'articulation entre notre volonté nationale et l'ordre juridique international abolitionniste, assurant un continuum cohérent et sans ambiguïté des règles de droit auxquelles se soumet notre pays.

En effet, si nous souhaitons participer pleinement au concert des nations qui ont renoncé à l'usage de la peine capitale – et on ne comprendrait pas que la France n'y participe pas, de la même manière que notre refus d'abolir la peine de mort ne laissait d'interroger pendant des décennies nos partenaires européens –, si nous souhaitons donc participer à ce concert, nous devons ratifier à la fois l'instrument le plus universel de l'abolition, à savoir le deuxième protocole se rapportant au Pacte des Nations unies relatif aux droits civils et politiques, et l'instrument européen le plus abouti d'abolition, à savoir le protocole n° 13 à la Convention européenne des droits de l'homme.

Ces deux protocoles n'admettent quasiment aucune réserve et, par là, confèrent à l'abolition un caractère irréversible.

Or, on le sait, le principe de la souveraineté, proclamé dans notre Constitution, exige précisément de permettre à celui qui est souverain de faire et de défaire. Sur ce fondement, le peuple souverain décide de son destin et peut revenir demain sur ce qu'il a proclamé irréversible hier.

M. Jacques Myard. Alors il faut lui poser la question !

M. Jérôme Rivière. C’est le cœur du débat !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Reprenant la formule du doyen Vedel, on peut dire que la souveraineté doit rester « à l'intérieur du territoire un pouvoir qui n'a point d'égaux, mais seulement des subordonnés ; à l'extérieur un pouvoir qui ne peut être lié que de son propre consentement ».

Or, saisi sur le fondement de l'article 54 de la Constitution par le Président de la République de la question de la compatibilité avec notre Constitution des deux protocoles, le deuxième protocole onusien et le treizième protocole européen, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 octobre 2005, a, certes, relevé que les deux protocoles ne contenaient pas de clauses directement contraires à la Constitution, mais il a également souligné que ces textes ne mettaient pas en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis.

En revanche, il a conclu que le deuxième protocole onusien, à l'inverse du protocole n° 13, portait atteinte…

M. Jérôme Rivière. À la souveraineté nationale !

M. Philippe Houillon, rapporteur. …aux « conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ».

En effet, s'il était ratifié, ce protocole ne pourrait pas être dénoncé, car il ne contient aucune clause de retrait, pas plus, d'ailleurs, que le Pacte de 1966 auquel il est adossé. Cette impossibilité lui confère un caractère d'irréversibilité qui entre en contradiction avec le principe constitutionnel de souveraineté.

Quant à la question de savoir si le fait d'abolir ou de rétablir la peine de mort lorsque la nation est menacée dans son existence même est inhérent à l'exercice de la souveraineté, il n'y a, sur la réponse à donner, aucun doute possible.

M. Lionnel Luca. Et alors ?

M. Philippe Houillon, rapporteur. En conséquence, pour accepter une telle limite à notre souveraineté, seule la Constitution peut le prévoir. Affirmant le caractère irréversible de l’abolition de la peine de mort, le présent projet de loi constitutionnelle endosse l'irréversibilité du deuxième protocole onusien, lequel pourra, en conséquence, être ratifié sans difficulté.

Néanmoins, soyons honnêtes : le deuxième protocole est moins exigeant en termes de droit, que le protocole n° 13. Il réserve, en effet, la possibilité de recourir à la peine de mort en temps de guerre…

M. Jacques Myard. Mais non !

M. Philippe Houillon, rapporteur.… si une législation existe en ce sens dans le pays au moment de sa ratification, ce qui n'est d'ailleurs pas le cas de la France. Toutefois, je le répète, sa portée universelle nous impose de le ratifier.

Quant à la ratification du protocole n° 13, si le Conseil constitutionnel n'y a vu aucun obstacle parce que cet instrument peut être dénoncé dans les mêmes conditions que sa convention mère, c’est-à-dire la Convention européenne des droits de l'homme, il faut bien reconnaître que les délais qu'impose une procédure de retrait et l'impossibilité politique d'y recourir – sauf à ne pas respecter les traités internationaux –, lui confèrent, en pratique, une indéniable irréversibilité.

C'est pourquoi, pour ratifier le protocole n° 13, inscrire dans notre Constitution l'irréversibilité de l'interdiction de la peine de mort apporte aussi une indubitable sécurité juridique.

En inscrivant l'interdiction de la peine capitale dans notre Constitution, nous disons deux choses : d'abord, que la peine de mort ne fait plus et ne fera plus partie des moyens d'action de l'État ;…

M. Pierre Bourguignon. Eh oui !

Mme Marylise Lebranchu. Très bien !

M. Philippe Houillon, rapporteur. …ensuite, que notre démocratie est plus forte que le crime, que notre République est plus forte que les terroristes, que notre justice est plus forte que la pire des injustices.

M. Lionnel Luca. On verra !

M. Philippe Houillon, rapporteur. À la veille du troisième congrès mondial contre la peine de mort qui se tiendra précisément à Paris, notre législature, collectivement, s'honorera en inscrivant son nom à la suite de la prestigieuse théorie des artisans les plus talentueux de l'abolition que furent Beccaria, Lepelletier de Saint-Fargeau, Duport ou Condorcet ; qu'ont été, plus proches de nous, Lamartine, Hugo, Jaurès, et Briand ; et, plus proches de nous encore, Albert Camus, Eugène Claudius-Petit, Pierre Bas ou Robert Badinter.

C'est pourquoi, à l'instar de votre commission des lois, je vous invite à adopter, en l’état, le présent projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire, et sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Union pour la démocratie française, du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Exception d’irrecevabilité

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Pierre Bourguignon.

M. Pierre Bourguignon. Cette motion est défendue.

M. le président. Je mets aux voix la motion d’irrecevabilité…

M. Jérôme Rivière. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. Le vote est commencé, monsieur Rivière. Vous pourrez intervenir après, quand je l’aurai décidé. Je fais respecter le règlement et j’ai enregistré votre demande.

Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Rappel au règlement

M. Jérôme Rivière. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Rivière, pour un rappel au règlement.

M. Jérôme Rivière. L’exception d’irrecevabilité est déposée au titre de l’article 91, alinéa 4, de notre règlement.

M. le président. En effet, et il ne peut en être déposé qu’une. Celle qui concerne le texte dont nous débattons a été défendue par M. Bourguignon.

M. Jérôme Rivière. Cette motion de procédure a pour objet de montrer que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles. Or, mais j’ai peut-être un problème auditif, je n’ai pas entendu dans la défense de l’exception d’irrecevabilité de références aux dispositions constitutionnelles. De là à en conclure que nous serions censurés dans cet hémicycle, il n’y a qu’un pas.

Je souhaiterais, monsieur le président, que vous le démentiez.

M. le président. Monsieur Rivière, pour être attentif à ce qui se passe dans cet hémicycle, vous aurez noté qu’il y a bien longtemps que l’exception d’irrecevabilité ne sert plus – dans la plupart des cas – à soulever des problèmes de constitutionnalité.

Reprise de la discussion

M. le président. Nous en revenons à l’examen du projet de loi constitutionnelle relatif à l’abolition de la peine de mort.

Question préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Pierre Bourguignon.

M. Pierre Bourguignon. Cette motion est également défendue.

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

M. Jérôme Rivière et M. Jacques Myard. Pour !

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Folliot.

(M. Yves Bur remplace M. Jean-Louis Debré au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. YVES BUR,
vice-président

M. Philippe Folliot. « Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne », écrivait Victor Hugo dans Actes et Parole. La longue marche vers l'abolitionnisme est d'abord, et avant tout, l'une des plus belles démonstrations des progrès de notre civilisation.

Le premier débat officiel sur la peine de mort en France date du 30 mai 1791, avec la présentation d'un projet de loi visant à l'abolir. Son rapporteur, Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau est soutenu notamment par Maximilien de Robespierre.

L’Assemblée nationale constituante, le 6 octobre 1791, refuse d’abolir la peine de mort, mais elle supprime la torture. Avec l’arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte, la peine de mort est rétablie le 12 février 1810 dans le code pénal impérial français.

Depuis la Révolution, de nombreux projets de loi ont été déposés pour abolir la peine de mort, mais ils ont tous échoué. Il a fallu attendre le 9 octobre 1981 pour qu’une loi abolissant la peine de mort soit votée. François Mitterrand et Robert Badinter ont défendu l’abolition alors que les Français ne la voulaient pas. Et c’est cela la grandeur du politique : ne pas suivre systématiquement l’opinion publique, être un précurseur, prendre une décision parce qu’on a la conviction qu’elle est bonne pour la communauté dont on a la charge. Le lendemain du vote de la loi d’octobre 1981, un sondage du Figaro indiquait que 62 % des Français étaient favorables au maintien de la peine de mort !

Ironie du sort, hasard des coïncidences ou facéties de l’histoire : lors du débat sur l’abolition de la peine de mort à l’Assemblée nationale, le 17 septembre 1981, un parlementaire déclarait à la tribune : « La réalité, c’est le meurtre, les victimes, les criminels qui, loin d’être touchés par la grâce ou de s’amender, récidivent. Notre devoir, c’est de répondre à la légitime exigence de la société qui entend être défendue. Au nom de quelle logique n’aurions-nous pas le droit de défendre la société contre l’individu qui l’agresse, en allant même s’il le faut jusqu’à lui ôter la vie ? La société a donc le droit de donner la mort pour se défendre. Nous n’abolirons pas la peine de mort sans être sûrs que nous possédons les moyens de décourager le crime, d’empêcher les récidives ».

M. Jacques Myard. Oui !

M. Philippe Folliot. Ainsi s’exprimait à l’époque un député de la Loire, M. Pascal Clément, actuel garde des sceaux !

Vous avez aujourd’hui raison, monsieur le ministre, de vouloir empêcher les tentations de retour en arrière en inscrivant l’abolition de la peine de mort dans le marbre de la Constitution.

Les abolitionnistes avancent quatre arguments.

D’abord la peine de mort est irréversible alors que la justice est faillible. On a ainsi vu des condamnés à mort innocentés après leur exécution. Or la mort ne permet aucun retour en arrière ; une erreur judiciaire, une mauvaise application de la justice sont totalement irréparables, alors qu’une personne emprisonnée à tort peut toujours sortir de prison et être indemnisée.

Ensuite la réhabilitation et la deuxième chance sont impossibles. On refuse ainsi aux criminels le droit de s’améliorer, de regretter leur action et de reprendre une place dans la société.

M. Jacques Myard. Oh là là !

M. Philippe Folliot. On débat actuellement aux États-Unis de la pertinence d’exécuter des criminels qui, vingt ans après les faits, ont parfois totalement changé. Une justice qui applique la peine de mort se situe dans une logique de punition et non de rééducation.

En outre, la peine de mort n’a aucun effet sur la criminalité. Toutes les études démontrent en effet qu’elle ne dissuade pas plus du crime que la prison. S’il en allait autrement, il n’y aurait pas proportionnellement trois fois plus de crimes aux États-Unis qu’en France.

Enfin, la peine de mort constitue une violation des droits fondamentaux de l’être humain, selon les articles 3 et 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. En effet, donner la mort pour punir un meurtrier rabaisse la société à son niveau, ce qui n’est pas compatible avec les valeurs humaines.

Selon Amnesty International, plus de la moitié des États membres des Nations unies ont aboli la peine de mort en droit ou de fait. Néanmoins, elle est toujours utilisée aux États-Unis, par trente-huit États sur cinquante et un.

D’après le quotidien Le Monde du 25 juin 2005, 5 476 personnes ont été exécutées dans le monde en 2004, la Chine arrivant largement en tête, suivie de l’Iran et du Vietnam. Quelle tristesse d’avoir reçu ici même le président Hu Jintao, dans une assemblée qui, depuis 1789, véhicule des valeurs universelles de tolérance, de justice, de liberté, d’égalité et de fraternité.

L’abolition de la peine de mort est un acquis éthique de l’Union européenne, comme le rappelle l’article 2 de la Charte européenne des droits fondamentaux, proclamée à Nice en décembre 2000.

Quant au Conseil de l’Europe, en adoptant le 28 avril 1983 le protocole n° 6 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales concernant l’abolition de la peine de mort, il a franchi un pas considérable en passant de la tolérance de la mort légale à sa prohibition, dont il fait l’une de ses valeurs cardinales, au même titre que le respect du pluralisme démocratique et que l’État de droit.

Sans prévoir l’abolition de la peine de mort, l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966, dispose que le droit à la vie est inhérent à la personne humaine, que ce droit doit être protégé par la loi et que nul ne peut être arbitrairement privé de la vie.

M. Jacques Myard. À bas la guerre !

M. Philippe Folliot. L'ONU affirme clairement sa position avec l’adoption, le 15 décembre 1989, du deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort.

Compte tenu de cet arsenal juridique, rétablir la peine de mort dans notre pays est quasi impossible.

M. Jacques Myard. Alors pourquoi ce texte ?

M. Philippe Folliot. Bien que plusieurs responsables politiques français se déclarent en faveur de la peine de mort, son rétablissement est impossible, sauf à rejeter plusieurs traités internationaux, ce qui ne manquerait pas de dégrader l’image de la France à l’étranger, en particulier au sein de l’Union européenne.

Le 20 décembre 1985, la France a ainsi ratifié le protocole additionnel n° 6 à la Convention européenne des droits de l’homme. Nous ne pouvons donc plus rétablir la peine de mort, sauf en temps de guerre ou en dénonçant l’ensemble de la Convention, dans le respect des contraintes de son article 58.

Le 3 mai 2002, notre pays a signé avec trente autres États le protocole n° 13 à la Convention européenne des droits de l’homme qui interdit la peine de mort en toutes circonstances, même en temps de guerre. Il est entré en vigueur le 1er juillet 2003 après le dépôt de dix ratifications, mais nous ne l’avons pas encore ratifié.

J’en viens à l’incompatibilité constitutionnelle du deuxième protocole.

Dans l’ordre international, sur le fondement du protocole n° 6 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, ratifié par la France en 1986, la peine de mort ne peut être rétablie sauf en cas de guerre ou de danger imminent de guerre.

Pour respecter la hiérarchie des normes, ces ratifications ne peuvent se faire que si elles sont compatibles avec notre Constitution. Or, si le Conseil constitutionnel a confirmé la conformité des protocoles n° 6 et n° 13, il a, en revanche, estimé que le deuxième protocole facultatif portait atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale définies par la Constitution, dès lors que cet engagement régit des situations dans lesquelles l’existence même de la nation serait en cause et que sa ratification serait irrévocable. Il convient donc d’admettre l’impossibilité de ratifier aujourd’hui cette convention et c’est pourquoi la ratification du deuxième protocole facultatif de 1989 exige une révision de la Constitution.

Le long combat contre la peine de mort sera bientôt gagné dans la loi, mais il ne l’est pas encore dans les têtes, comme l’illustre le récent débat qui a eu lieu en France sur l’exécution de Saddam Hussein.

Depuis Voltaire et Hugo, deux cents ans après que Le Peletier de Saint-Fargeau a demandé l’abolition de la peine capitale dans la première assemblée parlementaire qu’a connue la France, le vote par le Parlement de l’inscription de l’interdiction de la peine de mort dans notre Constitution est le dernier pas d’une longue marche. Refuser la peine de mort est un acte d’espoir dans l’homme qui s’amende et s’améliore, mais c’est également un acte de raison.

Cette inscription est aussi un message : aux Chinois qui exécutent allègrement les opposants politiques…

M. Jacques Myard. Ils vous entendront sûrement !

M. Philippe Folliot. …à certains pays du Golfe qui lapident des femmes coupables d’avoir été amoureuses, mais aussi aux États-Unis qui ont oublié qu’ils sont également un pays des droits de l’homme.

Ce projet répond à une triple exigence : morale, politique et juridique.

Morale, car personne n’ose plus soutenir que la peine de mort aurait une valeur morale. À l’inverse, son abolition, par l’hommage insigne qu’elle rend au droit à la vie, témoigne du refus d’une justice qui utiliserait les mêmes armes que ceux qu’elle condamne. Pour une démocratie, utiliser la peine de mort contre ceux qui tuent, c’est faire siennes les valeurs de ces derniers. L’abolition mérite bien d’être élevée au rang des valeurs constitutionnelles.

Politique, car sur le plan international, l’inscription de l’interdiction de toute peine capitale dans notre Constitution, par son caractère quasi irréversible, rapprochera la France de toutes les nations qui, à titre individuel et collectif, ont rejeté l’exécution.

Juridique enfin, car pour participer pleinement au concert des nations abolitionnistes, la France se doit de ratifier les instruments internationaux qui bannissent le recours à la peine de mort. Or, en ce qui concerne le deuxième protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Conseil constitutionnel a estimé que sa ratification exigeait une révision de la Constitution.

Après l’adoption de ce texte, l’utilisation de l’article 16 de la Constitution – le pouvoir constituant doit être bien clair sur ce point – ne pourra en aucun cas servir à rétablir la peine de mort, même de manière temporaire.

En conclusion, le groupe UDF approuve ce projet de loi constitutionnelle même si sa portée est plus symbolique que juridique et politique. En effet, comme je l’ai souligné, l’état actuel du droit international rend quasi impossible le rétablissement de la peine de mort. Un tel choix nous conduirait à quitter l’Union européenne.

M. Jacques Myard. N’en rajoutez pas !

M. Philippe Folliot. Par ailleurs, bien que favorable à l’inscription dans la Constitution de l’abolition de la peine de mort, le groupe UDF et apparentés vous met néanmoins en garde contre la tentation grandissante d’inscrire de plus en plus de choses dans notre norme suprême. En effet, la multiplication excessive de dispositions à portée symbolique dans les articles du texte constitutionnel – et non dans son préambule, dont la portée normative reste très incertaine – pourrait se révéler contre-productive. Notre Constitution ne doit pas devenir une pétition de principe, un fourre-tout dénué de toute portée normative. Elle doit au contraire organiser la séparation des pouvoirs et garantir le respect des droits fondamentaux.

Cette mise en garde étant faite, le groupe UDF ne peut qu’apporter son soutien à ce projet de loi, qui se justifie sur les plans moral, politique et juridique.

La seule chose qui mérite la peine capitale, c’est la peine de mort ! Comme le disait Dostoïevski dans Crime et châtiment : « Quand on met à mort un meurtrier, la peine est incommensurablement plus grave que le crime. Le meurtre juridique est infiniment plus atroce que l’assassinat ».

M. Jacques Myard. C’est de la littérature !

M. Philippe Folliot. Inscrire son abolition dans notre norme suprême permet à la fois d’affirmer une valeur fondamentale et intangible de notre société et de souscrire à des engagements internationaux incontestables. Nous voterons donc en faveur de cette révision constitutionnelle qui consolide le choix abolitionniste fait par le législateur national en 1981.

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, lorsque le président de mon groupe m'a demandé d'intervenir, au nom des députés communistes et républicains, sur le projet de loi visant à inscrire l'interdiction de la peine de mort dans notre Constitution, j'ai reçu cette sollicitation comme un honneur. Sans doute comme beaucoup d'autres, je suis, en effet, de ceux qui auraient aimé être présents dans cet hémicycle, le 18 septembre 1981, pour voter la loi historique abolissant la peine de mort dans notre pays.

M. Pierre Bourguignon. J’y étais !

M. Michel Vaxès. Ce jour-là, la voix de la France rejoignait celle des plus grands noms de notre histoire, celle, notamment, de Jaurès pour qui la peine de mort était contraire à ce que l'humanité a pensé de plus haut et rêvé de plus noble, contraire à la fois à l'esprit du christianisme et à l'esprit de la Révolution ; celle, aussi, de Victor Hugo – abondamment cité par notre rapporteur dont je salue l'excellent travail – lequel, dans son dernier roman, Quatrevingt-Treize, imagine un dialogue entre deux révolutionnaires, Cimourdain le prêtre et Gauvain le noble, et fait dire à celui auquel nous nous identifions : « Voici la différence entre nos deux utopies. Vous voulez la caserne, moi je veux l'école. Vous rêvez de l'homme soldat, je rêve l'homme citoyen. Vous le voulez terrible, je le veux pensif. Vous fondez une république de glaives, je fonderai une république d'esprit. » Tout était dit.

Le combat des communistes pour l'abolition de la peine de mort rejoint la conception de la société d'Hugo et de Jaurès réunis, une société qui croit en l'humanité des hommes, à leur capacité à devenir plus humains encore dans un processus historique d'avancées de civilisation pour lequel nous nous battons, sans pour autant verser dans l'angélisme.

Les tristes bégaiements de l'histoire témoignent de ce que rien n'est jamais définitivement acquis, d'autant que, comme le disait Babeuf, « nous avons encore les mœurs que nos maîtres nous ont faites ». Quelques décennies plus tard Victor Hugo renchérissait avec ces mots : « Une plaie de l'ancien régime dont le nouveau n'a pas eu le temps de guérir ».

La société que nous voulons construire exige que le progrès social, l'égalité des droits, la solidarité, la démocratie, l'éducation et la justice soient les seules armes dignes d'être opposées à la violence que des hommes font subir à d'autres hommes. Les châtiments censément exemplaires, les vendettas sans fin, la loi du talion, comme toutes les oppressions, devraient appartenir à des temps révolus. L'expérience témoigne qu'ils se sont avérés totalement inefficaces. Pire encore, ils entrent en contradiction avec cet esprit de civilisation dont nous aimerions être les hérauts.

Depuis des décennies, les parlementaires communistes se sont associés aux abolitionnistes à travers le monde en œuvrant à l'abolition universelle de la peine de mort. Nous n'avons malheureusement pas toujours été suivis, même quand nous souhaitions simplement que notre pays porte cet espoir. Ainsi, la proposition de loi de nos collègues sénateurs, pourtant adoptée en 2002 à l'unanimité, et qui tendait à créer une journée nationale pour l'abolition universelle de la peine de mort, n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de notre assemblée.

Cependant il n'est jamais trop tard pour qui veut avancer. Dans le prolongement du Congrès qui constitutionnalisera l'abolition, il serait sans aucun doute très positif que cette proposition aboutisse. J'y vois en effet le moyen de faire du combat pour l'abolition universelle de la peine capitale l'affaire de notre peuple, et pour notre pays le moyen de prendre la tête de ce combat qui vise à faire triompher la cause de l'humanité.

Certains ne veulent voir dans la constitutionnalisation de l'interdiction de la peine de mort qu'un symbole. À ceux-là, je veux répondre, d'abord, qu'il ne faut pas mésestimer la force des symboles ; ensuite que cette constitutionnalisation est, à plusieurs égards, éminemment nécessaire.

Elle est d’abord nécessaire pour des raisons juridiques.

La première est de satisfaire aux exigences juridiques de la ratification du deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort en toutes circonstances.

Selon le Conseil constitutionnel, dans une décision rendue le 13 octobre dernier, l'autorisation de ratifier ce protocole ne peut intervenir qu'après une révision de la Constitution, dans la mesure où ce protocole prévoit l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, c'est-à-dire même dans le cas où un danger exceptionnel menacerait l'existence de la nation. Grâce au nouvel article 66-1 qui disposera que : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort », la France sera liée irrévocablement. Il ne pourra pas être dérogé à cette abolition, quel que soit le contexte.

La seconde raison juridique, plus discutable, serait de rendre l'abolition de la peine de mort irréversible.

L'inscription de l'interdiction du recours à la peine de mort dans notre loi fondamentale empêchera, certes, de rétablir cette peine inhumaine par une loi simple. Cependant, notre Constitution restera évidemment révisable, et rien n'empêchera de supprimer ce nouvel article 66-1. Néanmoins, au-delà de la garantie de nos engagements internationaux, et parce que nous constatons l'évolution encourageante du positionnement de la majorité de notre représentation nationale, nous avons la faiblesse de croire cette évolution irréversible et nous voulons faire confiance aux représentants de la nation pour penser que la France ne rétablira jamais la peine de mort.

Je parle de faiblesse car je n'ignore pas que, depuis 1981, 22 propositions de loi demandant le rétablissement de la peine de mort ont été déposées à l'Assemblée nationale, mais une seule, heureusement, lors de la présente législature. La tentation d'un recul demeure et notre vigilance ne doit donc pas faiblir.

Les raisons juridiques, pour importantes qu'elles soient, ne sont pas pour autant déterminantes dans la démarche que nous entamons aujourd'hui et qui s'achèvera devant le Congrès.

Je pense que la révision de notre Constitution doit avoir avant tout valeur d'exemple. Le Président de la République l'a dit lui-même ; sur ce point nous partageons totalement sa conviction : « Cela permettra à la France de poursuivre son action en faveur de l'abolition universelle, alors que 78 pays appliquent encore ce châtiment ». Sur ces 78 pays, 4 comptabilisaient 94 % des exécutions recensées en 2004 : la Chine, l'Iran, l'Arabie Saoudite et les États-Unis.

Comme le relève le dernier rapport d'Amnesty International, 2 148 personnes ont été exécutées et 5 186 ont été condamnées à la peine capitale en 2005. Ajoutons que les chiffres réels sont sans doute plus élevés.

Aujourd'hui, 86 pays ont totalement aboli cette peine, et chaque nouvelle abolition est une victoire pour l'ensemble de l'humanité. Depuis 1990, plus de 40 pays ont aboli la peine de mort pour tous les crimes. En 2005, deux nouveaux pays, le Mexique et le Liberia, sont entrés dans la liste des pays abolitionnistes.

Cependant, le combat sera encore long et difficile, car chaque nouvelle avancée dans le sens de l'abolition est assombrie par des reculs. Le dernier, et certainement le plus préoccupant, est la déclaration faite par le nouveau secrétaire général de l'ONU au lendemain de la pendaison de Saddam Hussein : « Concernant la peine capitale, c'est à chaque pays de prendre sa décision », commentait Ban Ki-moon, rompant ainsi avec la position constante de l'ONU contre la peine de mort.

M. Lionnel Luca. C’est une évidence !

M. Michel Vaxès. Chaque année, la commission des droits de l'homme de l'ONU vote, depuis 1997, une résolution condamnant la peine de mort et l'ONU invite ses membres à ratifier le protocole 2 du Pacte des droits civils et politiques qui interdit les exécutions et invite les pays à abolir la peine capitale.

La France doit donc mener son combat avec la plus grande détermination, même auprès des démocraties et des États de droit.

Les États-Unis, rappelons-le, exécutent régulièrement des condamnés à mort. Au 1er janvier 2006, pas moins de 3 373 citoyens américains attendaient leur exécution dans un couloir de la mort. Permettez qu'à cette occasion, et de cette tribune, je salue le combat abolitionniste de Mumia Abu-Jamal qui est assuré de notre indéfectible soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Depuis que la Cour suprême a levé le moratoire sur les exécutions en 1977, 1 015 condamnés ont été exécutés à la date du 25 avril 2006 : 847 par injection létale, 152 par électrocution, 11 par empoisonnement en chambre à gaz, 3 par pendaison et 2 par un peloton d'exécution.

Le combat pour la vie peut aussi parfois permettre quelques avancées. La Cour suprême a, par exemple, aboli la peine de mort pour les handicapés mentaux. En outre, Amnesty International écrit dans son rapport : « Dans un arrêt encourageant rendu le 1er mars 2005, la Cour suprême des États-Unis a jugé inconstitutionnel le recours à la peine de mort contre des mineurs de moins de dix-huit ans, ce qui a permis à plus de soixante-dix mineurs condamnés à mort de bénéficier d'une commutation de leur peine. Il est toujours à craindre, néanmoins, que cet arrêt ne s'applique pas aux détenus de Guantanamo Bay qui étaient mineurs au moment de leur incarcération ».

Convaincre les quelque 78 pays n'ayant pas encore rayé de leur politique pénale le recours à la peine capitale ne sera pas chose facile. La tâche sera d'autant plus ardue que la lutte contre le terrorisme a servi de prétexte pour renforcer la législation en faveur de la peine de mort dans certains pays.

La menace terroriste tend ainsi à la démocratie le piège de la violence, l'encourageant à adopter les méthodes que celle-ci prétend combattre au nom de ses valeurs. On assiste alors à une parodie de justice humaine où les fins, censément nobles, s'effacent au profit de moyens détestables et mortifères. Les images de l'exécution de Saddam Hussein en ont fourni encore récemment un exemple affligeant.

La peine de sang n'a jamais compensé le sang d'un crime, ni apaisé les victimes. La vengeance procède de l'instinct ; la justice doit procéder de la raison et de la morale. Plus largement encore, la peine de mort, en tuant un homme, entretient tous les hommes dans la peur de l'autre. Elle nie la part d'humanité que chaque être recèle. Plus fondamentalement, elle ignore que l'essence humaine n'est pas inhérente à l'individu pris isolement, mais éclôt dans son rapport aux autres hommes. En en tuant un, c'est une part de notre humanité à tous qui meurt.

En 1981, la France a aboli la peine de mort. En 2007, elle inscrit de manière solennelle cette abolition dans la Constitution. Longtemps, notre pays a retardé cet acte de foi en l'humanité par crainte de l'opinion publique. Foyer de la pensée humaniste et des idéaux des Lumières, il a pourtant été l’un des derniers pays d'Europe occidentale à renoncer à la peine capitale. Il est désormais de son devoir d'œuvrer à son abolition universelle.

Dans deux jours, le troisième congrès mondial contre la peine de mort se tiendra dans notre capitale. Soyons-en fiers. Espérons et œuvrons pour que les citoyennes et les citoyens de notre pays soient nombreux à participer à la grande marche organisée pour clore cette rencontre internationale.

S'il est vrai que la vie se définit comme l'ensemble des forces qui résistent à la mort, alors nous nous situons délibérément, avec ce projet de loi constitutionnelle, du côté de la vie, du côté d'une lutte perpétuelle pour que l'humain ne meure pas, ni en nous ni en l'autre. La part d'humanité que nous reconnaissons en autrui n'est jamais acquise. Pour l'accroître, il faut la cultiver, et l'inscription dans la loi fondamentale de l'abolition de la peine de mort, en toutes circonstances, en sera le plus sûr tuteur.

Avec ce texte, le choix politique s'érige en morale et, à ce titre, ne peut souffrir d'aucun compromis. En le votant, nous faisons un pas vers plus d'humanité. D'autres, nombreux, restent à faire pour que nous devenions plus humains encore. Les communistes seront de ce cheminement-là. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Gaillard.

M. Claude Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « La France est grande, non seulement par sa puissance, mais, au-delà, par l'éclat des idées, des causes, de la générosité qui l'ont emporté aux moments privilégiés de son histoire. »

Ces mots de Robert Badinter, qui font écho aux combats de Condorcet, Hugo, Briand, Jaurès et tant d'autres encore, sont au cœur du contrat social républicain. Plus de vingt-cinq ans après le vote de la loi « ordinaire » de l'automne 1981 – et il est vrai que le chemin de l’abolition fut long, difficile et sinueux –, le Président de la République a souhaité inscrire dans le marbre de notre loi fondamentale, dans la norme suprême qu'est notre Constitution, une disposition selon laquelle « nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

Cette décision, qui honore notre démocratie, rappelle notre attachement aux valeurs humanistes de la République, permet de respecter nos engagements internationaux et confirme la place de la France aux côtés des défenseurs de l'abolition universelle.

Avec le triomphe des valeurs humanistes, avec la Révolution française de 1789, la peine de mort va entrer dans le débat politique pour ne plus jamais le quitter. Depuis plus de deux siècles, des hommes et des femmes de cœur et de courage se sont élevés contre cette ignominie que constituent les exécutions capitales, considérées par les philosophes des Lumières comme l’un des tout premiers freins à l’établissement de sociétés pacifiées, à la victoire de la civilisation.

Dès 1764, dans Des délits et des peines, Beccaria s’appuyait sur des valeurs de raison et d’humanité pour dénoncer ce qui n’était, pour lui, qu’une justification de la loi du talion : « En vertu de quel droit les hommes peuvent-ils se permettre de tuer leurs semblables ? Ce droit n’est certainement pas celui sur lequel reposent les souverainetés et les lois. Si je prouve que cette peine n’est ni utile ni nécessaire, j’aurai fait triompher la cause de l’humanité. » Un régime où règnent la paix et la légalité, dit-il, n’a pas besoin de la peine de mort, et « l’expérience des siècles » montre que « le dernier des supplices n’a jamais empêché les hommes résolus de nuire à la société ».

Tout est là, déjà : la valeur suprême et inaliénable de la vie humaine, la générosité et l’absence de caractère dissuasif imposent aux sociétés civilisées de renoncer aux exécutions capitales. Néanmoins il faudra plus de deux siècles pour que, de la Convention à la Ve République, le Parlement soit effectivement ce « phare qui ouvre la voie de l’ombre ».

Pour que la loi du talion, contraire à celle du cœur et de la raison, étrangère à nos valeurs, ne soit jamais plus appliquée dans notre pays, il nous est aujourd’hui demandé d’assurer la pérennité de l’abolition en la gravant dans le marbre de notre loi fondamentale. Pour éviter un hypothétique retour en arrière − car rien n’est jamais totalement acquis dans la pratique, particulièrement en situation de crise −, il est indispensable de l’inscrire dans notre Constitution. À cet égard, et parce que le peuple souverain peut revenir demain sur ce qu’il a proclamé hier, ce texte apporte une indubitable sécurité juridique.

Oui, monsieur le rapporteur, « notre justice est plus forte que la pire des injustices » et cette décision qui émane du gardien de la Constitution et de ses valeurs, nous la soutenons avec notre cœur et notre raison. Notre décision s’inscrit dans le vaste mouvement deux fois séculaire d’une humanisation continue des valeurs républicaines. En nous prononçant en faveur de ce nouvel article 66-1, nous affirmons solennellement l’inviolabilité de la personne humaine, notre confiance dans les valeurs humanistes de la démocratie, notre lucidité et notre vigilance pour l’avenir ; c’est aussi cela, le rôle du phare.

L’abolition de la peine de mort est inscrite dans le marbre de la loi. À nous, législateurs, de franchir un pas supplémentaire en la gravant aujourd’hui dans le texte suprême pour respecter nos engagements internationaux et l’esprit de notre démocratie.

Pour respecter nos engagements internationaux et la récente décision du Conseil constitutionnel, cette révision constitutionnelle interdira de rétablir une peine qui, comme l’a souligné le chef de l’État le 30 mars 2001, dans son discours de Genève devant la commission des droits de l’homme des Nations unies, ne peut en aucun cas être regardée comme un acte de justice.

Elle permettra à la France de ratifier le deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté à New York le 15 décembre 1989, qui prescrit une abolition définitive de la peine de mort. En effet, par sa décision du 13 octobre 2005, le Conseil constitutionnel a jugé que la ratification de ce protocole ne pouvait intervenir qu’après révision de la Constitution.

Le 22 septembre 2005, le Conseil constitutionnel a été saisi par le Président de la République de deux engagements internationaux relatifs à l’abolition. Dans le cas du protocole n° 13, la Convention européenne des droits de l’homme rend quasi obligatoire la signature de la France, mais aussi, par voie de conséquence, sa ratification. C’est pourquoi il était important d’ajouter ce nouvel article qui confirme l’engagement français en faveur de l’abolition universelle.

Il convient en outre de réaffirmer la place de la France aux côtés des défenseurs de l’abolition universelle. Il ne s’agit en aucun cas d’un combat national, mais de valeurs humanistes partagées à travers tout le continent européen et au-delà, et qui ne cessent de progresser dans le monde entier. En la matière, l’Union européenne est un modèle. Un traité international de 1983, le sixième protocole à la Convention européenne des droits de l’homme, interdit aux États qui l’ont ratifié de recourir à la peine de mort.

En ce qui concerne le reste du monde, la cause de l’abolition a grandement progressé depuis vingt ans. En 1981, la France était le trente-sixième État à abolir la peine de mort. Aujourd’hui, sur les 192 États que comptent les Nations unies, 125 sont abolitionnistes, de fait ou de droit. L’abolition est devenue majoritaire dans le monde. À travers elle, une certaine idée de l’homme s’est imposée.

L’action en faveur de l’abolition universelle de la peine de mort est indéniablement un vecteur de pacification et d’humanisation des sociétés comme des relations internationales. La France, patrie des droits de l’homme, s’inscrit donc résolument aux côtés de ses partenaires européens en procédant à cette modification. La France, que le monde entier regarde, la France, que le monde entier observe, la France, qui reste un exemple pour beaucoup, pose un acte fort sur le chemin de l’abolition universelle et définitive de la peine capitale. Comme l’a dit Jacques Chirac, « les droits de l’homme ne valent que parce qu’ils sont universels ».

Cet acte est aussi un symbole : la réaffirmation de la grandeur de l’homme et de sa capacité à dépasser la haine et la vengeance.

« Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées », disait encore Robert Badinter en 1981.

À nous, mes chers collègues − par cette révision −, de poser le point final qui ancrera définitivement notre République du côté du cœur et de la raison, de l’humanisme et de la civilisation. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. André Vallini.

M. André Vallini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en conférant une valeur constitutionnelle à l’abolition de la peine capitale, nous allons affirmer le caractère inviolable et sacré de la vie humaine. Nous allons mettre aussi la France en état de ratifier le deuxième protocole auPacte international relatif aux droits civils et politiques adopté à New York le 15 décembre 1989. Le Conseil constitutionnel a en effet jugé que la ratification de ce protocole ne pouvait intervenir qu’après révision de la Constitution.

La question de la réglementation du droit de vie et de mort de l’État sur ses citoyens appartient bien, en effet, au domaine de la souveraineté. Y renoncer définitivement en signant des traités internationaux, c’est accepter une limitation de cette souveraineté. Ce renoncement doit donc, pour être légitime, être inscrit dans le texte constitutionnel. Ce sera pour nous l’occasion de proclamer avec Albert Camus que « la personne humaine est au-dessus de l’État » et de souscrire aux engagements internationaux les plus incontestables en faveur de l’abolition de cette peine en toutes circonstances.

Je veux donc apporter le soutien résolu, total et enthousiaste du groupe socialiste à cette révision de notre Constitution, et dire, avec Victor Hugo, que, ce soir, nous votons « l’abolition pure, simple et définitive de la peine de mort ».

Cela étant je souhaite profiter aussi de ce débat pour élargir la perspective de notre discussion au combat international que nous devons mener pour l’abolition universelle de la peine de mort. Certains ont parlé ou vont parler de la Chine, d’autres du Japon, d’autres des dictatures du Nigeria, de l’Iran. Je vais, pour ma part, évoquer les États-Unis.

Depuis que la Cour suprême a décidé, en 1976, que l’application de la peine de mort n’était pas contraire à la constitution américaine, des centaines de personnes ont été exécutées aux États-Unis et des milliers sont aujourd’hui en attente de leur sort final dans les couloirs de la mort.

Partout, la peine de mort est inhumaine : le respect de la vie est une valeur universelle. Partout, la peine de mort est inefficace : il est démontré qu’elle n’a aucun effet dissuasif. Aux États-Unis, elle est de surcroît une injustice sociale et une injustice raciale. Les statistiques prouvent en effet que, d’une part, un noir est plus exposé qu’un blanc à la condamnation à mort, et, d’autre part, que la capacité financière d’un accusé à s’offrir une bonne défense influe beaucoup sur la peine prononcée.

C’est en fait le système judiciaire américain qui est en cause, avec sa procédure accusatoire. Sa fameuse et illusoire « égalité des armes » n’est en fait accessible à l’accusé que s’il dispose d’importants moyens financiers.

Nous savons tous que les Américains sont en majorité partisans de la peine capitale. Pendant la campagne présidentielle américaine qui s’annonce, pas un candidat, pas même une candidate, ne se risquera à braver l’opinion publique, comme François Mitterrand eut le courage de le faire en France en 1981.

Certes, le soutien des Américains à la peine de mort a diminué au cours des dernières années, mais il reste fort, de l’ordre de 70 % selon un récent sondage de Newsweek. Quelques signes d’espoir apparaissent avec le développement d’un mouvement de protestation contre la peine de mort outre-Atlantique. En outre, avec leurs innocents très médiatiques, qui sont parfois arrachés à leur cellule quelques heures avant l’injection fatale, des contre-enquêtes citoyennes font davantage que sauver des vies. Plus efficaces que toutes les conventions internationales, plus éloquentes que les pressions des nations abolitionnistes, elles ébranlent le consensus, fissurent les certitudes et dynamitent silencieusement la confiance des Américains dans leur justice.

Nous devons donc amplifier les initiatives contre cette pratique d’un autre temps que les États-Unis ont en commun avec les dictatures les plus sanglantes de la planète telles que l’Iran, l’Arabie Saoudite, la Chine ou le Nigeria.

En France, notamment, ce combat doit être le nôtre, car, depuis plus de deux siècles, la France et les États-Unis ont en partage le même amour de la liberté. Depuis La Fayette jusqu’aux soldats américains qui tombèrent en juin 1944 sur les plages de Normandie, la France et les États-Unis entretiennent des liens d’amitié qui permettent la franchise due à ceux que l’on aime parce qu’ils ont versé leur sang pour notre liberté.

C’est donc en toute franchise que nous devons dire inlassablement aux Américains que la peine de mort n’est plus tolérable dans leur pays et qu’il est indigne d’être le dernier pays occidental à l’appliquer, alors que tous les États respectueux des droits de l’homme ont banni ce châtiment. Il faut leur dire qu’il y a une insupportable contradiction à pratiquer la peine de mort et, dans le même temps, à s’ériger partout dans le monde en pourfendeurs de la barbarie, en champions de la démocratie et des droits de l’homme. Il faut leur dire qu’il y a une intolérable hypocrisie à pratiquer chez soi la loi primitive du talion et à vouloir enseigner la morale au reste du monde.

En tant que président du groupe d’amitié France-États-Unis à l’Assemblée nationale, j’ai pris, en 2000, l’initiative de lancer une action des députés français en direction des parlementaires américains. Vous avez été nombreux, sur tous les bancs, à la soutenir. Nous avons donc interpellé les représentants américains par le biais d’une pétition, mais sans grand succès : que cela ne nous dissuade pas de recommencer. Foin de précaution ou de prudence diplomatique, et tant pis si M. Sarkozy se croit obligé d’aller, à Washington, excuser l’arrogance française. C’est au nom du premier des droits de l’homme, celui de vivre, que ce devoir d’ingérence vis-à-vis des États-Unis s’impose à nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre débat se déroule à la veille du troisième congrès mondial contre la peine de mort, qui se tiendra à Paris. Le Président de la République a souhaité donner à l’abolition une valeur constitutionnelle afin de consacrer, au sommet de notre ordre juridique, l’engagement de la France à abolir la peine capitale. La formule : « Nul ne peut être condamné à mort » sera désormais inscrite au cœur de notre Constitution. Juridiquement, on ne peut donner à l’abolition une plus grande valeur.

Si la révision constitutionnelle témoigne de notre attachement aux valeurs de la dignité humaine, c’est aussi un signal pour le monde entier et un encouragement adressé à tous les militants abolitionnistes des pays où la peine capitale est une triste réalité. Outre le cas des États-Unis, qu’André Vallini vient d’évoquer, il faut citer tout particulièrement la Chine, et rappeler que la peine capitale est encore en vigueur dans soixante-huit pays du monde.

Mme Marylise Lebranchu. Très juste.

M. Michel Hunault. De cette tribune, je tiens à saluer l’apport considérable du Conseil de l’Europe, qui a adopté successivement les protocoles nos 6 et 13 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatifs à l’abolition de la peine de mort. Le Conseil a fait de cette abolition une de ses valeurs cardinales, au même titre que le respect du pluralisme démocratique et l’état de droit.

M. François Loncle. C’est vrai.

M. Michel Hunault. Le refus de la peine de mort est également un des critères d’adhésion à l’Union européenne. La Charte européenne des droits fondamentaux, qui constitue l’engagement le plus fort de l’Union en faveur des droits fondamentaux, énonce clairement que « toute personne a droit à la vie » et que « nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté ».

Les Nations unies affirment elles aussi le caractère sacré et inviolable de la vie humaine dans leur charte constitutive de 1948. La déclaration universelle des droits de l’homme précise que « nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants ». Enfin, le Pacte international des droits civils et politiques adopté par l’assemblée générale des Nations unies en décembre 2006 affirme que « le droit à la vie est inhérent à la personne humaine » et que « ce droit doit être protégé par la loi ».

Monsieur le garde des sceaux, alors que la France est sur le point de signer un traité d’extradition avec la Chine, pays qui exécute plusieurs milliers de condamnés par an, je souhaiterais vous entendre réaffirmer le principe que jamais un extradé ne puisse être condamné à mort.

Mme Marylise Lebranchu. Très bien !

M. Michel Hunault. Ce faisant, vous réaffirmeriez avec force les lignes directrices adoptées par le conseil des ministres du Conseil de l’Europe le 11 juillet 2002 et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a confirmé le principe selon lequel les États membres du Conseil de l’Europe ne peuvent, quel que soit le caractère odieux des crimes commis, extrader des personnes qui risquent la peine de mort dans le pays réclamant l’extradition.

Mme Marylise Lebranchu. Très juste.

M. Michel Hunault. L’abolition de la peine de mort pose nécessairement la question de l’échelle des peines et celle, plus difficile encore, de la sanction des crimes les plus graves. La définition du dernier échelon de l’échelle des peines et l’abolition de la peine de mort exigent que l’on reconsidère les procédures d’application des peines et de libération anticipée. Monsieur le rapporteur, vous avez eu raison d’évoquer l’état de vétusté des prisons et la nécessité de tout mettre en œuvre pour la réinsertion des prisonniers.

Rarement l’actualité internationale aura donné autant de sens à un projet de loi, une telle dimension à la ratification constitutionnelle de l’abolition. Alors que jamais la criminalité organisée et le terrorisme n’ont constitué un tel défi pour nos démocraties, c’est l’honneur de la France que de vouloir y répondre dans le respect de la dignité humaine.

Certains au sein de cette assemblée ont souhaité amender le texte en excluant du champ de l’abolition les crimes commis par les auteurs d’actes terroristes. Je tiens à m’élever contre cette idée. J’ai eu en effet l’honneur de présenter à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe un rapport sur la lutte contre le terrorisme et le respect des droits de l’homme. Si la lutte contre le terrorisme, qui est un combat complexe et un formidable défi, doit être universelle, elle ne doit pas pour autant nous amener à bafouer nos valeurs humanistes. Il est tout à l’honneur de nos démocraties de répliquer aux auteurs d’actes terroristes non pas avec les mêmes armes, mais dans le strict respect du droit.

La France a été la première en Europe à abolir la torture et parmi les premiers pays du monde à abolir l’esclavage. Dans cette enceinte, les partisans de l’abolition de la peine de mort ont, depuis deux siècles, su faire avancer la cause de l’humanisme. Dès 1791, la question a été soulevée. Au xixe siècle, Lamartine et Victor Hugo avaient jugé la peine de mort inutile. En 1908, un premier projet de loi d’abolition a même été discuté dans cet hémicycle. Enfin, nous devons à Robert Badinter l’abolition votée en 1981.

En adoptant le projet de loi constitutionnelle voulu par le Président de la République, nous ne ferons que prolonger les valeurs qui nous rassemblent et qui, à travers le monde, sont à porter à l’honneur de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, aussi ancienne et universelle que celle du droit, la question de la peine de mort nous est aujourd’hui reposée dans sa dimension historique, juridique et philosophique.

D’un point de vue historique tout d’abord, il n’est peut-être pas inutile de rappeler, à la suite de notre rapporteur, quelques jalons et quelques noms dans la marche parfois chaotique, souvent hésitante, mais malgré tout convaincante, de la cause abolitionniste. De Beccaria à la Constituante, avec Le Peletier de Saint-Fargeau, du « compromis de 1832 » à sa dénonciation par Jules Favre en 1865, en passant par l’appel, hélas vain, de Victor Hugo et la révolution de 1848, du grand débat des années 1906-1908, portant la marque de Barrès et de Jaurès, à la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et à l’engagement de Claudius-Petit en 1962,…

M. le garde des sceaux. Député de la Loire !

M. Michel Piron. …il aura donc fallu attendre 1981 et M. Badinter pour que la France soit le trente-sixième État à abolir la peine de mort.

Aujourd’hui, ce sont quatre-vingt-seize États membres des Nations unies qui ont franchi ce pas, l’Europe entière ayant exclu, en droit ou en fait, la peine de mort, à la seule exception de la Biélorussie. Tel est le mouvement d’une histoire dans laquelle l’Europe en effet, au sortir de tant d’épreuves, a institué pour la première fois un système de protection supranationale des droits de l’homme, sanctionné par la Cour européenne.

Et c’est encore l’Europe qui, à travers les deux protocoles successifs de 1985 et surtout de 2003, a juridiquement posé le principe de l’abolition de la peine de mort à laquelle nous souscrivons aujourd’hui. La nécessité d’une modification constitutionnelle pour respecter la hiérarchie des normes dans l’ordre interne et dans l’ordre international est établie. Cette modification permettra la ratification du deuxième protocole facultatif de 1989 en fondant son irréversibilité juridique.

Mais ce serait sans doute passer à côté de l’essentiel que de poser la question de la peine de mort sous ses seuls aspects juridiques. Puis-je le dire ici ? Je suis de ceux que l’expression onusienne de « droit à la vie » laisse interrogatifs. « Droit à la vie », ou « droit de la vie » ? Car la vie n’est-elle pas, non seulement matière, mais source même du droit en deçà du droit qui en traite ? Tant il est vrai que c’est l’homme qui se pense quand il parle de crime et de châtiment – l’homme qui parle de tout l’homme, y compris de la part sombre dont son histoire témoigne, l’homme qui parle de l’inhumain dans l’humain, mais aussi l’homme qui parle de cette autre part qui, parce qu’elle aspire précisément à la justice, refuse la loi du talion et n’accepte pas de faire disparaître l’humain avec l’inhumain.

Mme Muguette Jacquaint. Très bien !

M. Michel Piron. Non, monsieur Harouel, l’abolitionnisme n’est pas « l’amour de l’assassin », mais l’amour de l’homme, de tout l’homme ! Non, la tombe ne guérit personne !

M. Dominique Richard. Bravo !

M. Michel Piron. Parce que tout est en l’homme, chacun sait que la peine de mort n’est ni exemplaire ni nécessaire, et j’ai aimé, monsieur le rapporteur, votre évocation de Camus rejetant « une mesure définitive, irréparable, qui fait injustice à l’homme tout entier puisqu’elle ne fait pas sa part à la misère de la condition commune ».

C’est le même Albert Camus qui, dans sa lettre au garde des sceaux du 5 décembre 1946, nous propose cette belle conclusion en forme d’interrogation : « Où serait aussi bien la supériorité de ce que nous défendons si nous n’étions pas capables de surmonter notre plus légitime ressentiment ? » (Applaudissements sur de très nombreux bancs de l’Union pour un mouvement populaire, sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française, du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la France a aboli la peine de mort en 1981 et le combat pour l’abolition fait partie des heures les plus marquantes de la vie parlementaire. Notre pays fut du reste un des derniers en Europe occidentale à abolir la peine capitale. Lors de la séance du 17 février 1981, à cette tribune, Robert Badinter rappelait ce retard, alors même que notre pays avait été parmi les premiers à abolir la torture et l’esclavage. Il rappelait également les grandes voix, « celles qui ont résonné le plus haut et le plus loin dans la conscience humaine, celles qui ont soutenu avec le plus d’éloquence la cause de l’abolition », avant que la sienne ne vienne, de manière déterminante, contribuer au succès de cette cause. Les avocats de l’abolition sont à compter parmi les plus grandes figures du génie français : Hugo, Gambetta, Clemenceau, et peut-être surtout Jaurès.

Longtemps l’abolition fut le combat de la gauche humaniste, au sens le plus large et le plus généreux du terme. Ce fut une longue marche, où la passion des hommes prit souvent le pas sur le droit et la raison. La première Constituante a posé la question de la peine de mort avec un courage audacieux. La Convention, le 4 brumaire an IV de la République, a proclamé l’abolition. Mais celle-ci était, d’une certaine manière, conditionnelle, puisqu’elle ne devait s’appliquer qu’une fois la paix rétablie.

Puis Bonaparte vint, et avec lui l’inscription de la peine de mort dans le code pénal. Il fallut donc attendre le début du xxe siècle pour que la question soit à nouveau abordée dans cette enceinte. Souvenons-nous de la phrase de Jaurès dans le débat : « La peine de mort est contraire à ce que l’humanité depuis deux mille ans a pensé de plus haut et rêvé de plus noble. Elle est contraire à la fois à l’esprit du christianisme et à l’esprit de la Révolution. » Et puis ce fut au tour de Briand, en 1908, de demander à la Chambre l’abolition. Il choisit une autre méthode, discrète mais tout aussi déterminée. Sans succès.

C’est la victoire de la gauche, en 1981, qui rend possible enfin l’abolition. Celle-ci figurait en effet dans le programme législatif de la majorité élue. Robert Badinter était un abolitionniste convaincu et convaincant : sa nomination à la chancellerie fut la confirmation que l’engagement serait tenu.

À l’heure où la démocratie d’opinion semble régner sans partage sur la vie politique, il est à noter que l’abolition de la peine de mort marque une étape fondamentale non seulement dans l’histoire du droit, mais également dans notre histoire politique.

Mme Marylise Lebranchu. Il est bon de le rappeler.

M. Noël Mamère. Il est rare en effet que le législateur ose voter contre l’opinion et les sondages. En 1981, l’opinion publique était en faveur de la peine capitale, ce qui prouve bien aux représentants de la République que le peuple n’a pas toujours raison et que la démocratie représentative a encore un sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Loncle. Très bien !

M. Noël Mamère. La tentation d'y revenir taraude l'opinion à chaque fois qu'un crime choque par sa brutalité, par sa nature ou par l'identité de la victime, sans compter les velléités des pays où populisme et extrême droite se renforcent. Il en est ainsi de la Pologne, dont le gouvernement affiche sa volonté démagogique de restaurer une pratique éradiquée dans les autres États de l'Union européenne.

Nous vivons donc un moment particulier, et le vote auquel nous allons procéder revêt une portée historique. Notre pays a ratifié, le 17 février 1986, le protocole n° 6 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatif à l'abolition de la peine de mort. Par ailleurs, la France a soutenu le projet de résolution relatif à la peine de mort présenté par l'Union européenne et adopté par la Commission des droits de l'homme des Nations unies, lors de sa 56e session.

Ce projet de loi constitutionnelle marque à mes yeux un progrès en droit, et le dépassement du clivage partisan. L'abolition est un acquis pour la République et pour l'ensemble des familles politiques qui la composent. L'adoption de ce projet de loi nous permettra de signer et de ratifier le deuxième protocole au Pacte international sur les droits civils et politiques, qui, parce qu'il interdit toutes réserves et ne peut être dénoncé, fait obstacle au rétablissement de la peine capitale en cas de guerre ou de circonstances exceptionnelles. Il ferme ainsi définitivement la porte que le protocole n° 6 à la Convention européenne laissait ouverte en maintenant la possibilité de prévoir la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre, et qui, lui, pouvait être dénoncé.

C'est pourquoi il ne faut pas considérer ce projet de loi constitutionnelle comme inutile. Inscrire l'abolition de la peine de mort dans notre Constitution est nécessaire. C'est une décision historique de bannir définitivement cette peine barbare, incompatible avec une démocratie digne de ce nom. En ces temps troubles, où le terrorisme frappe de manière ignoble dans le monde, où la guerre demeure malheureusement une forme de règlement des conflits, elle marque la volonté de notre République de ne pas céder aux sirènes de la loi du talion et d'écarter à jamais la peine capitale. C'est une manière de faire exemple alors que tant de pratiques condamnables, contraires aux droits de l'homme, se développent, qu’il s’agisse d’enlèvements arbitraires et clandestins en Europe, de détention sans jugement de prisonniers à Guantanamo ou de multiplication des exécutions en Chine.

M. Philippe Folliot. Très juste !

M. Noël Mamère. Je suis fier que notre assemblée s'apprête à faire reculer la barbarie, fier que ce vote fasse aujourd'hui l'objet d'un consensus des familles politiques républicaines, qui font de l'idéal démocratique leur objectif.

Après Strasbourg en 2001 et Montréal en 2004, Paris accueillera, du 1er au 3 février 2007, le troisième congrès mondial contre la peine de mort : « Paris 2007 » rassemblera des abolitionnistes du monde entier, décideurs et acteurs de l'abolition, mais aussi citoyens et militants, qui viendront débattre des stratégies en cours. L'abolition universelle de la peine capitale doit être désormais notre objectif. Notre vote sera un encouragement pour celles et ceux qui, aujourd'hui encore, dans de trop nombreux pays, se mobilisent contre la mise à mort par l'État. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Richard Dell'Agnola.

M. Richard Dell'Agnola. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, ce projet de loi constitutionnelle revêt un caractère exceptionnel en ce qu'il introduit dans notre Constitution l'abolition de la peine de mort votée en 1981 et confirmée en 1986 par la signature et la ratification par la France de la Convention européenne des droits de l'homme.

Pourquoi cette modification de notre constitution puisque déjà, et depuis longtemps, la France compte parmi les pays abolitionnistes ? Le débat a déjà eu lieu il y a vingt-six ans et il ne s'agit pas de revenir sur une décision dont la charge symbolique est forte et qui correspond à l'évolution générale des sociétés, les opinions publiques semblant avoir majoritairement renoncé à soutenir la peine capitale, même si les peines de substitution annoncées à l'époque de l’abolition n'ont pas été réellement mises en place. Pourquoi donc organiser le vote ici, puis en Congrès à Versailles, sur une peine qui n'existe plus dans notre droit commun ? Parce qu’il ne s’agit pas simplement de transposer dans notre loi fondamentale l'abolition décidée en 1981 ! Nous n'aurions pas, sinon, été invités à nous prononcer à nouveau un quart de siècle plus tard.

Actuellement, la Convention européenne des droits de l'homme permet aux États signataires favorables à l'abolition de recourir à la peine capitale « en temps de guerre ou de menace imminente de guerre ». Cette sauvegarde, prévue par l'article 6 du texte ratifié en 1986 par la France, participe donc de notre droit actuel et, que je sache, le Président de la République de l’époque, François Mitterrand, ne s’y était pas opposé. Certes, un nouvel article 13 de la Convention abolit la peine de mort « en toutes circonstances ». Mais si le Gouvernement français a signé ce nouveau protocole en 2002, le Parlement ne l’a pas ratifié. Nous sommes donc toujours dans la situation où la guerre ou sa menace imminente rend possible l’application de cette peine. Depuis cinq ans, ce nouveau protocole aurait pu être soumis à ratification par le Parlement français. Force est de constater qu'il n'y a pas eu d’empressement à le faire. Pourquoi alors, en cette fin de législature, procéder à une modification de la Constitution, qui est toujours un acte lourd ?

En réalité, ce projet vient en discussion parce qu'une décision du Conseil constitutionnel, consulté par le Gouvernement, y oblige. Cette décision du 13 octobre 2005 porte à la fois sur le protocole n° 13 de la Convention des droits de l'homme relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, adoptée à Vilnius le 3 mai 2002, et sur le deuxième protocole facultatif, adopté à New York le 15 décembre 1989.

Si le Conseil constitutionnel indique que le protocole de Vilnius n'est pas contraire à la Constitution, puisqu'il peut être dénoncé dans les conditions fixées par l'article 58 de cette convention, il n'en est pas de même pour le texte de 1989 relatif aux droits civils et politiques adopté à New York. Il précise que ce deuxième protocole facultatif visant à abolir la peine de mort est contraire à la Constitution puisque « cet engagement lierait irrévocablement la France même dans le cas où un danger exceptionnel menacerait l'existence de la Nation » et « qu'il porte dès lors atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ». Or c’est ce protocole qui est visé dans l'exposé des motifs du projet de loi qui nous est soumis.

La modification de la Constitution permettra la signature du protocole de New York, que la France ne pourra plus dénoncer, même en cas de danger exceptionnel menaçant l'existence de la nation, s’il n’est pas, au préalable, complété. Voilà quel est l'enjeu. Il n'est pas mince, même s’il ne s’agit pas d’ouvrir un nouveau débat général sur la peine capitale appliquée en temps de paix pour des crimes de droit commun.

Le protocole de New York est irrévocable. Or, qui peut affirmer aujourd'hui que notre pays ne sera jamais confronté à des menaces qui pourraient mettre en cause la nation ? Nous sommes dans le temps long de l'Histoire, dont nous savons malheureusement d'expérience qu'elle peut être tragique. Le protocole ouvre toutefois aux signataires une possibilité, et une seule, de déroger à cet engagement irrévocable « pour un crime de caractère militaire, d'une gravité extrême, commis en temps de guerre », à certaines conditions : cette dérogation doit être fondée sur une législation en vigueur à la date de la ratification et avoir fait l'objet d'une réserve formulée lors de celle-ci.

Une dérogation est donc possible, elle est prévue dans le Pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques et elle est en tous points conforme à ses principes et fidèle à la lettre et à l'esprit de ce texte. Elle n’est pas contraire aux droits de l’homme et c’est la raison pour laquelle il serait prudent, dans la perspective de la signature de ce pacte, de la prévoir. Nous devons, à tout le moins, ne pas renoncer à conserver cette possibilité en espérant n'avoir jamais à l'utiliser. Dans le monde d'aujourd'hui, nous sommes vulnérables, et l'humanisme et les bons sentiments ne sont pas, nous le savons, un bouclier suffisant. Une dizaine de pays ont émis des réserves, dont la Grèce, berceau de la démocratie.

Cette modification de la Constitution nous fait franchir un pas. L'abolition votée en 1981 est un acquis en temps de paix et il n'est pas proposé de revenir dessus. En revanche, la signature de la Convention de New York par la France, sans que soit affirmée et prévue juridiquement la dérogation pour des crimes militaires d'une gravité extrême et en temps de guerre, rendra irrévocable une situation que même l'abolition votée en 1981 n'avait pas imposée. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Lionnel Luca.

M. Lionnel Luca. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'inscription de l'abolition de la peine de mort dans notre Constitution prétend affirmer que « la France défendra ainsi le caractère inviolable et sacré de la vie humaine et qu'elle agira en faveur de l'abolition universelle de celle-ci ».

Dans l'absolu, on ne peut que souscrire à cette affirmation de principe, mais le réalisme impose à tous ceux qui exercent des responsabilités prudence et sens de la nuance. Car, ce faisant, on s'interdit toute possibilité de modification législative ultérieure, en considérant qu'on se protège des émotions populaires, désormais jugées irrecevables. C'est sans doute louable, à cela près que le peuple n'a jamais eu à se prononcer sur ce sujet de société particulièrement important,…

M. Noël Mamère. Mais si ! Par la voix de ses représentants !

M. Lionnel Luca. …se voyant ainsi dénier toute maturité politique. On ne peut que le regretter, car la décision prise n’en aurait eu que plus de solennité. La représentation nationale qui, il y a vingt-cinq ans, se flattait d'aller à l'encontre de l'opinion, s’y réfère aujourd'hui, expliquant que celle-ci aurait évolué pour justifier de n'avoir pas à la consulter. On sait pourtant ce que valent les sondages ; le dernier référendum sur le Traité constitutionnel européen en est la démonstration éclatante !

Nul ne peut considérer la peine de mort comme la meilleure réponse judiciaire au crime et à la barbarie, et tout doit être fait pour qu'une peine substitutive mette hors d'état de nuire ceux qui sont une menace pour la société. Le plus préoccupant dans la modification constitutionnelle qui nous est proposée, c'est qu'il ne s'agit pas seulement d'une affirmation de principe généreuse, mais surtout d'une obligation devant permettre la ratification du deuxième protocole de New York, qui prescrit l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances et de manière irrévocable, ce qui constitue un précédent. C’est en effet ce caractère irrévocable et unique dans l'histoire qui impose une révision de la Constitution.

Dans le point 7 de sa décision du 13 octobre 2005, rendue à la demande du Chef de l'État, le Conseil constitutionnel a considéré « que cet engagement lierait irrévocablement la France même dans le cas où un danger exceptionnel menacerait l'existence de la Nation » et « qu'il porte dès lors atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ». On comprend que la vraie raison de l'inscription de l'abolition de la peine de mort dans la Constitution ne vise pas seulement à proclamer une déclaration humaniste, mais avant tout à rendre possible la ratification d'un protocole qui affirme l'irréversibilité de l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances. Dans un monde où les démocraties sont en état de guerre depuis le 11 septembre 2001, et compte tenu de l'histoire des hommes depuis des millénaires, qui peut croire à l'irréversibilité de décisions prises dans le prisme étriqué de l'instant ? C'est un véritable défi intellectuel prométhéen, qui n'est pas sans rappeler celui des régimes totalitaires du XXe siècle, du Reich de mille ans au sens de l'histoire marxiste,…

M. Jacques Myard. Bien sûr !

M. Lionnel Luca. …dont la vanité n'a d'égal que la prétention.

Pour autant, le Conseil constitutionnel mentionne dans son point 2 que le deuxième protocole de New York admet une dérogation à cette règle « pour les crimes de caractère militaire, d'une gravité extrême et commis en temps de guerre » et que « cette faculté doit être fondée sur une législation en vigueur à la date de la ratification et avoir fait l'objet d'une réserve formulée lors de celle-ci ». C'est ce que Richard Dell'Agnola, une quinzaine de nos collègues et moi-même vous proposons. L’on comprendrait mal que la France des droits de l'homme et du citoyen s'interdise ce que la Grèce, mère de la démocratie, s’est autorisé depuis avril 2001.

M. Noël Mamère. La Grèce des Colonels ?

M. Lionnel Luca. Les Grecs apprécieront !

Beccaria lui-même, souvent cité comme abolitionniste, admettait la légitimité de la peine de mort quand il en allait des intérêts supérieurs de la sûreté du Gouvernement et de la sûreté publique.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Lionnel Luca. Quant à l'argument qui voudrait que l'évolution naturelle et inéluctable dans le monde entraîne vers l'abolitionnisme sans réserve, il est infirmé par le fait que les États les plus importants et les plus peuplés ne sont pas abolitionnistes, telles les démocraties japonaise, indienne ou américaine – je ne parlerai pas de la dictature chinoise, même si certain ou certaine trouvent formidable la « justice rapide » –, mais aussi par le fait que de nombreux pays abolitionnistes ont inscrit cette réserve pour le temps de guerre, comme les États sud-américains, tel le Brésil de M. Lula.

Mais, surtout, la menace d'aujourd'hui ne vient plus seulement des États ; elle vient aussi d'organisations internationales terroristes, qui ont fait d'innocentes victimes à New York, Bali, Bombay, Madrid, Londres et qui pourraient en faire demain à Paris, Moscou ou Tokyo ?

En février 1998, Oussama Ben Laden a créé le Front islamique mondial, …

M. Pierre Bourguignon. Vous ne croyez pas que vous en faites trop, que c’est excessif ?

M. Lionnel Luca. …et une fatwa fut prononcée : « La règle de tuer les Américains et leurs alliés, civils et militaires, est un devoir individuel pour chaque musulman qui peut le faire partout où il est possible de le faire. »

Leur mépris de toutes les conventions internationales, et surtout du respect de la vie et de la liberté, impose une légitime défense, des moyens appropriés et proportionnés pour protéger notre peuple, en particulier pour défendre « l'existence même de la Nation menacée ».

Dans son livre sur les religions meurtrières, Élie Barnavi, ancien ambassadeur d'Israël en France et professeur d'histoire, écrit : « Il vous faudra réapprendre à faire la guerre. Il vous faudra vous armer de patience et de conviction, et tracer bravement la ligne de défense en deçà de laquelle vous ne pourrez ni ne voudrez reculer ? Il y va de la sauvegarde de vos valeurs, de vos libertés, de votre mode de vie. » Y renoncer est impardonnable au regard de l’Histoire, qui le jugera sévèrement. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Noël Mamère. Démagogie bassement populiste !

M. Jacques Myard. Paroles d’expert !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Montchamp.

Mme Marie-Anne Montchamp. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mesdames et messieurs les députés, notre hémicycle bruit encore de la longue chaîne des orateurs qui ont construit, pas à pas et depuis si longtemps, par la loi, l'abolition de la peine de mort. Tous nous rappellent l'itération courageuse par laquelle le législateur, souvent contre l'opinion publique, a porté cette idée, fille de la Déclaration universelle des droits de l'homme, que la mort ne peut être un acte de justice.

« La peine de mort est abolie », tel est l’article 1er de la loi n° 81-908 du 9 octobre 1981. Aujourd'hui, le peuple souverain réalise la synthèse de notre histoire commune en proposant de dépasser la loi et en inscrivant dans la Constitution l'irréversibilité et l'absence totale de restriction par ce qui sera désormais un principe de notre République : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort. »

Une synthèse pour un progrès collectif selon le mot de Victor Hugo, qui s'exclamait en d’autres temps : « La Constitution faite par et pour la France est nécessairement un pas dans la civilisation. »

Une synthèse car, dans notre histoire, les droits de l'homme, le souci de l'homme et de sa dignité sont, depuis bien longtemps, une quête passionnée de la France. La France est aux avants postes du combat pour proclamer que les Droits de l'homme sont universels et sacrés.

Une synthèse enfin difficile à établir puisqu’il a fallu se réconcilier avec des temps douloureux de notre histoire, temps où, par exemple, faut-il le rappeler, le général de Gaulle a lui-même été condamné à mort pour trahison et désertion en temps de guerre.

En scellant dans notre constitution ce dernier acquis de la conscience collective, nous nous donnons la chance d'aborder une nouvelle étape pour l'avenir de notre société.

Le besoin de la force publique pour garantir nos équilibres sociaux et endiguer les violences individuelles fait place, par la loi – et nos compatriotes l'ont aujourd'hui compris –, au poids symbolique de la puissance publique, qui fonde la justice dans une démocratie moderne. Cette acception profondément nouvelle instaure une distance salutaire entre la régression des vengeances privées et l'action positive, constructive de la justice dans une société adulte qui n'a plus besoin de se référer au droit de grâce pour espérer cette intervention directe et personnelle du Chef de l'État. Cette évolution, rappelons-le, nous unit aux 110 autres nations qui ont également aboli la peine de mort en droit ou en pratique.

Mais l'inscription constitutionnelle de l'abolition de la peine de mort nous propose d'aller au-delà en confirmant notre pays dans sa voie originale sur la scène internationale.

Dans une confrontation entre les souverainetés nationales et la scène internationale des droits de l'homme, la France, sous l'impulsion décisive du Président de la République, conduit l'Europe à un engagement croissant et souligne le chemin qui reste à parcourir pour l'abolition universelle de la peine de mort.

Cette confrontation internationale, je veux, mes chers collègues, la rappeler dans cet hémicycle en évoquant la situation particulière des États-Unis qui restent l'un des derniers pays démocratiques aussi importants à recourir à la peine de mort, …

M. Jérôme Rivière. Et le Japon ? Et l’Inde ?

Mme Marie-Anne Montchamp. …la constitution fédérale laissant aux États la maîtrise de la législation pénale.

Et quand, le 1er mars 2005, la Cour suprême des États-Unis juge inconstitutionnel le recours à la peine de mort contre des mineurs de moins de dix-huit ans, reconnaissons qu'il ne s'agit là que d'une assez faible avancée, même si sa charge symbolique et les soixante-dix vies épargnées méritent d'être soulignées.

On mesure d'autant plus l'importance du présent projet de loi constitutionnelle, mes chers collègues, que nous ignorons si cet arrêt de la Cour suprême s'applique aux détenus de Guantanamo Bay mineurs au moment de leur incarcération.

Je me contenterai donc d'évoquer la résolution 14-33 du Conseil de l'Europe du 26 avril 2005, qui, après avoir rappelé son indignation face aux attaques terroristes inacceptables et scandaleuses du 11 septembre, enjoint le Gouvernement américain de faire respecter les principes de la prééminence des droits de l'homme à Guantanamo Bay. C'est avec plus de force désormais que la France agira en faveur du respect de ces droits.

Alors qu'en cette triste fin d'année 2006, le monde consterné assistait à l'exécution de Saddam Hussein, la voix de la France – qui inscrivait, si je puis dire, à notre ordre du jour, l'examen de ce projet de loi – était, à mes yeux, l'une des seules réponses crédibles et incontestables à cet événement dont l’Histoire nous révélera la portée.

C'est pour ces raisons que je suis heureuse et fière que mon pays, en responsabilité, porte le principe irrévocable de l'interdiction de la peine de mort dans notre loi fondamentale. (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire, sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française, du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, voilà la vingt- deuxième modification de la Constitution, …

M. Michel Vaxès. Et alors ?

M. Jacques Myard. …et, ces dernières semaines, vous nous en avez présentées trois d’un coup !

La Constitution est, à l’évidence, devenue une sorte de chiffon de papier (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), que l’on modifie sans cesse au gré des circonstances, …

Mme Muguette Jacquaint. Si on modifie la Constitution, vous, vous ne changez pas !

M. Jacques Myard. …des inspirations du moment.

Comment comprendre que l’on modifie cette constitution sur un point aussi essentiel, voire existentiel, que la peine de mort alors que cette assemblée n’a que quelques semaines encore à vivre ?

Est-ce la modification in extremis ou l’extrême-onction ?

Pourquoi tant de hâte ? Y a-t-il péril en la demeure ? Y a-t-il véritablement une volonté de modifier les dispositions de la loi du 9 octobre 1981 ?

Monsieur le garde des sceaux, on peut être comme vous pour l’abolition complète et totale de la peine de mort. Je respecte cette position, même si je ne la partage pas.

M. Michel Vaxès. Cela ne vous grandit pas !

M. Jacques Myard. Mais chacun sait que l’abolition de la peine de mort n’a rien résolu, car il n’y a pas de réelle peine de substitution et que le débat, malgré tout ce que vous voulez faire, continuera. Il est inutile de vouloir se retrancher derrière des textes, que ce soient les Pactes, la Convention européenne des droits de l’homme ou les protocoles additionnels et de prétendre que le débat doive s’arrêter. Cela est faux et ne correspond pas à la réalité du monde tel qu’il est.

M. Noël Mamère. Les Français ont réglé ce débat !

Mme Muguette Jacquaint. Les Français ont tranché !

M. Jacques Myard. Chacun sait qu’aujourd’hui le problème demeure. Mais, visiblement, votre volonté est de vouloir rendre les choses irréversibles, de feindre de croire qu’elles puissent devenir irréversibles. Cette question continuera de se poser tant qu’il y aura des hommes, des nations et des conflits.

Mme Muguette Jacquaint. Tant qu’il y aura des hommes comme vous, ce ne sera pas irréversible !

M. Jacques Myard. C’est en effet une chose que de vouloir abolir la peine de mort dans l’instant et c’en est une autre que de croire ou de feindre de croire que cela vaut pour l’éternité de l’humanité.

Certes, vous essayez de conférer à cette abolition une valeur symbolique en l’inscrivant dans la Constitution, mais si cela signifie dans votre esprit – c’est ce que vous avez dit – qu’en tous temps, en tous lieux, en toutes circonstances, la peine de mort doit être abolie, que messieurs les assassins commencent ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Pierre Bourguignon. Lamentable !

M. Jacques Myard. Croyez-vous que le peuple va se satisfaire d’une réponse aussi lyrique ? Qui peut dire que les temps terribles que les peuples d’Europe ont connus pendant la Deuxième Guerre mondiale sont à jamais révolus ? Personne ne peut le dire !

M. Noël Mamère. On ne lave pas le sang par le sang !

M. Jacques Myard. Cher ami, gardez-vous de paroles définitives dans ce domaine, car vous pourriez peut-être, demain, être le premier à dire le contraire.

M. Noël Mamère. Certainement pas !

M. Jacques Myard. Ces épreuves terribles peuvent revenir, et nous le savons. Et je dis, du haut de cette tribune, qu’à ce moment-là, il sera légitime de juger des assassins, comme ils le furent à Nuremberg, de les condamner à mort et de les exécuter.

Voilà pourquoi j’estime que cette question doit être posée au peuple et à lui seul. Lui seul peut effectivement dans l’instant prendre la décision d’inscrire dans la Constitution le principe de l’abolition de la peine de mort. Et il pourra y revenir, car il est le seul souverain, monsieur le garde des sceaux.

Ce débat est indispensable, mais visiblement, tout se passe comme si vous aviez peur du peuple. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Croyez-vous que le peuple épris de justice s’inclinera devant des décisions de ce type que vous voulez lui imposer ?

M. Noël Mamère. Quelle justice ! C’est la loi du talion !

M. Jacques Myard. Monsieur Mamère, Vous en êtes encore resté à des slogans,…

Mme Marylise Lebranchu. Vous aussi !

M. Jacques Myard. …mais ce n’est pas ainsi que l’on résout une question existentielle qui touche aux convictions de chacun.

M. Noël Mamère. Vous, vous êtes resté au XIXe siècle !

M. Jacques Myard. C’est oublier que le peuple est le seul souverain et que vous ne pourrez jamais l’enfermer dans des règles que vous voulez véritablement rendre irréversibles. Il est évident que, si, le moment venu, les circonstances le commandent, le peuple reprendra directement ce que voulez lui retirer aujourd’hui.

Je peux, je le répète, comprendre vos arguments. Mais je vous demande aussi d’entendre ceux qui pensent que la survie de la nation et la dignité de la vie humaine doivent sceller le sort des terroristes et des assassins.

Voilà pourquoi ce n’est pas cette assemblée qui doit trancher cette question et voilà pourquoi vous devez retirer ce projet de loi constitutionnelle et le soumettre au peuple. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Christiane Taubira. C’est dérisoire !

Mme Muguette Jacquaint. Ce discours ne vous grandit pas, monsieur Myard !

M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller.

M. Pierre Lequiller. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle, aujourd'hui soumis à notre examen, est une étape majeure, vingt-cinq ans après la suppression de la peine capitale par la loi de la République du 9 octobre 1981. Cette proposition du Président de la République, Jacques Chirac, qui, je le rappelle, avait voté la loi de 1981, constitue la dernière étape essentielle du débat sur l'abolition de la peine de mort.

Je ne peux m'empêcher ici de rendre hommage au combat courageux qu'a mené Robert Badinter pour faire abolir cette peine brutale.

M. Pierre Bourguignon. Ne vous en privez pas !

M. Pierre Lequiller. Le principe de la dignité humaine est le premier principe des droits de l'homme. De dramatiques erreurs judiciaires montrent à quel point la peine de mort doit être abolie universellement.

M. Michel Vaxès. Très bien !

M. Pierre Lequiller. La peine de mort n'est pas synonyme d'acte de justice et n'a jamais fait baisser la criminalité. C'est une violation du droit le plus fondamental, celui de voir respecter son existence par l'État.

M. Jacques Myard. Ce n’est pas vrai !

M. le président. Je vous en prie, cher collègue.

M. Pierre Lequiller. L'abolition de la peine de mort est une valeur universelle. C'est une valeur fondatrice de notre République, mais aussi de l'Europe tout entière. À ce seul titre, elle doit figurer dans notre Constitution ; elle est d’ailleurs déjà inscrite à l'article 2 de la Charte européenne des droits fondamentaux : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté ».

Aujourd'hui, l'ensemble des pays européens a procédé à l’abolition de la peine de mort, condition nécessaire pour adhérer à l'Union.

M. Jacques Myard. Tu parles !

M. Pierre Lequiller. Je prends pour exemple la Bulgarie qui a rejoint l'Union au 1er janvier 2007. Reconnue candidate à l'adhésion en 1997, elle a modifié son code pénal en 1998 afin d'entamer les négociations en 2000. Même la Turquie, qui n’en est encore qu’au simple stade de pays candidat à l'adhésion, a supprimé la peine capitale en 2004.

L'Union européenne fédère des États aux valeurs humanistes communes. Elle doit continuer à propager démocratiquement des valeurs universelles afin de corriger les injustices criantes des systèmes répressifs trop sévères.

En inscrivant l'abolition dans la Constitution, la France montrera une fois encore le chemin, à l’instar d’autres pays européens qui ont déjà inscrit cette valeur au sommet de leur hiérarchie des normes : l'Allemagne, la Suède, le Portugal, mais aussi la Slovénie ou la Roumanie.

Les chiffres actuels relatifs à la pratique de la peine de mort dans le monde font froid dans le dos ! Bien qu'il faille reconnaître que des progrès ont été faits, la route est encore longue vers l'abolition totale de la peine capitale. Je me réjouis d'ailleurs que l'abolition ait fait son chemin dans l'opinion publique.

Pour mener ce combat, les ONG locales et internationales, les institutions et les politiques doivent œuvrer de concert. La Commission européenne, outre son soutien financier aux projets des ONG, doit continuer à intervenir activement auprès des pays qui appliquent toujours la peine capitale. La stratégie diplomatique au service de l'abolition doit être renforcée, car l'abolition de la peine capitale, au-delà de sa valeur universelle, est un vecteur d'humanisation et de pacification des relations internationales.

Même si la France a une vision pacifiée sur ce sujet, cette constitutionnalisation est un acte politique très fort. Elle rendra l'abolition de la peine capitale irréversible.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Pierre Lequiller. Elle aura aussi un impact juridique significatif. En effet, la loi de 1981 et la ratification du protocole n° 6 à la Convention européenne des droits de l'homme laissaient à la France la possibilité de recourir à la peine de mort en cas de guerre.

L'élévation de l'abolition au rang de règle constitutionnelle va permettre à la France de ratifier le deuxième protocole de New York adopté le 15 décembre 1989 – traité onusien par lequel de nombreux États ont renoncé à la peine de Mort –, ainsi que le protocole n° 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui interdit le recours à la peine de mort, même en cas de guerre ou de danger public menaçant la vie de la nation.

Le Conseil constitutionnel, en 2005, avait décidé qu'une révision de la Constitution était nécessaire pour que la France ratifie ces deux traités internationaux les plus aboutis en la matière.

Il faut rappeler, comme l'a souligné notre excellent rapporteur, qu'à ce jour, la France compte parmi les sept États membres du Conseil de l'Europe à ne pas avoir ratifié le protocole n° 13, contre 37, et parmi les États membres de l'Union européenne, elle est avec la Pologne, le seul pays à ne pas avoir ratifié le deuxième protocole de New York. Il était temps que la France, pays des droits de l'homme et de la philosophie des Lumières, se décide enfin à ratifier ces deux textes fondamentaux.

M. Jérôme Rivière. Si longtemps après ?

M. Pierre Lequiller. Cette démarche a aussi une très grande portée symbolique. En accomplissant ce geste exemplaire, la France démontre à nouveau l'importance qu'elle attache à la disparition totale et inconditionnelle de la peine capitale de l'arsenal répressif de tous les États du monde.

J'ose espérer que ce geste fort de la France fera progresser la cause de l'abolition, notamment aux États-unis, en Chine, au Japon et au Moyen-Orient, et incitera d'autres États à abolir et ratifier les instruments régionaux et internationaux.

Revenons rapidement sur l'actualité des dernières semaines au Moyen-Orient, qui nous a rappelé une fois encore la brutalité de la peine capitale, aux effets contre-productifs.

M. Guy Geoffroy. Tout à fait !

M. Pierre Lequiller. Même si Saddam Hussein fut et restera dans les mémoires un dictateur sanguinaire et détestable, son exécution a été largement réprouvée et condamnée par l'Union européenne tout entière. Sa mise à mort n'a non seulement rien réglé, mais elle a, de plus, privé les victimes de leur droit de savoir, tout en attisant les violences.

M. Jacques Myard. Oh !

M. Pierre Lequiller. Enfin, je tenais ici à saluer et à soutenir l'initiative de l'Italie, qui a décidé de relancer la proposition d’un moratoire international sur la peine de mort, pendant son mandat de deux ans comme membre non permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. La France soutiendra la démarche italienne, car c'est ensemble, avec tous nos partenaires européens mais aussi avec tous les acteurs internationaux, que nous pourrons faire progresser la cause abolitionniste dans le reste du monde.

Pour toutes ces raisons, c'est avec la conviction d'être juste et la fierté de me comporter avec humanité que je voterai ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française, du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, la France du XVIIIe siècle fut sans doute celle des libertés ; celle du XXe siècle aura marqué l’Histoire, notre histoire, par l'abolition de la peine de mort, dans un combat abolitionniste qui doit devenir mondial. Le XXIe siècle confirme cet engagement de civilisation.

Si l'idée ne s'impose pas encore partout et dans chaque esprit, on ne peut que se réjouir de constater que la question commence à émerger ici et là, même aux États-unis, où les certitudes vacillent. La déclaration faite dès juillet 2001 par une éminente magistrate à la Cour suprême, Mme Sandra Day O'Connor, a montré combien nul ne peut rester indifférent devant la démonstration de l'innocence de personnes condamnées qui se sont retrouvées dans le couloir de la mort.

Outre le cas scandaleux de l’exécution d'un innocent condamné à mort, sacrilège suprême, nous devons nous pencher sur le sort réservé au coupable. Tous, nous souhaitons qu'une remise en cause plus radicale prenne forme, non plus sur le thème de l'odieuse injustice faite à l'innocent, mais sur celui du sort inacceptable réservé au coupable.

La peine de mort, quel que soit le mode d'exécution, constitue une forme certaine de torture et l'emprisonnement des condamnés à mort pendant de longues années, avec la constante perspective de leur exécution, est une forme de « traitement inhumain et dégradant » au sens de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Et pourtant, plus de vingt ans après, nous avons un devoir de vigilance, en dépit d’une sorte de consensus entre les partisans convaincus de l'abolition et ceux qui ne s'y sont que résignés, et même si nous l'avons consacrée par des instruments juridiques en principe irrévocables.

En effet, si les pulsions de mort qui exigent une punition aussi violente que le crime qu'elles dénoncent sont une réalité, la justice, elle, doit toujours se placer sur un terrain dépassionné, neutre et serein. Il me semble impératif que des initiatives soient prises et continuent à être prises pour faire vivre le combat de l'abolition dans le monde entier.

Mais après l'abolition de la peine de mort, comment sanctionner les crimes les plus graves ? La peine de mort était un acte barbare par lequel il s'agissait de troquer une indignité contre une autre. On ne remplace pas la peine de mort, on la supprime. La condamnation à perpétuité constitue la peine maximale qui peut être infligée à un condamné. Certains disent qu'à la peine de mort a été substituée, en quelque sorte, la peine de vie, lorsque celle-ci est d'une durée insupportable pour celui qui la subit, quel que soit le crime commis. Selon la formule de Gabriel Tarde, l'incarcération perpétuelle, « ce n'est plus faire mourir sans faire souffrir, mais faire souffrir sans faire mourir ».

Le combat abolitionniste pose celui de la condition pénitentiaire et du sens de la peine. Deux commissions d'enquête parlementaires, à l'Assemblée et au Sénat, ont, il y a quelques années déjà, abouti à des conclusions sans équivoque. Elles ne peuvent rester lettre morte et nous conduire seulement à régler la question de l’immobilier pénitentiaire.

Nous devons bien sûr imaginer une vraie structuration qui verra, dès la fin du procès séparer, d’une part, le temps du jugement, celui du passé, qui débouche sur la punition des actes commis et sur la réparation due à la société et à la victime, et, d’autre part, le temps de l'exécution de la peine, celui de l'avenir, qui ne peut nier l'espoir qui anime tout homme, quelle que fut l'horreur de ses crimes.

Je crois que la sécurité dépend de notre capacité à reconstituer le lien social lorsque c'est possible. Je crois qu'il faut avoir présent à l'esprit que toute peine n'a de sens que si elle a une fin, que tout détenu peut être appelé à sortir de prison et que la préparation à cette sortie est le premier gage de sécurité que nous devons offrir à nos concitoyens.

Le principe de l’abolition, que nous allons inscrire dans notre Constitution, nous incite à ne plus légiférer en étant guidés par la peur, cette peur, qui, il y a vingt-cinq ans, nous a fait troquer la peine de mort contre la perpétuité. Il est grand temps de faire une place plus grande à la raison, à la conscience et à la dignité.

Malgré le sentiment naturel de colère et même de rage que chacun peut éprouver devant l'horreur, devant les actes barbares, qu'ils soient le fait d'individus isolés ou de groupes terroristes, nous devons consacrer le choix de la justice et de la raison et rejeter tout sentiment de vengeance. La personne humaine est au-dessus de l'État et l'action de l'État doit obéir à des principes fondamentaux, je veux parler des droits de l'homme.

Nous devons avoir le courage de regarder en face la situation de nos prisons et de ceux qui y sont gardés. L'enjeu est de taille : la répression des crimes les plus graves, les plus insupportables, les plus inconcevables est ce qui interroge le plus notre conception de la justice. La justice, ce n'est pas la loi du plus fort, à moins de légitimer la violence de la nature et l'archaïque loi du talion.

Si nous voulons plus de dignité, plus de sécurité et plus de paix, nous ne pouvons pas fonder nos lois sur des sentiments ou des émotions. Établir la loi, c'est s'arracher au trouble, à la fureur et à la vindicte pour suivre des principes raisonnés et dépourvus de colère. Victor Hugo a d'ailleurs très justement dit que la société ne doit pas punir pour se venger : elle doit corriger pour améliorer. Albert Camus, plus tard, dans ses réflexions sur la peine capitale, a admirablement parlé de cette suprême justice qui donne à vomir à l'honnête homme qu'elle est censée protéger.

C'est pourquoi la justice ne peut être la mort infligée au nom de la société ou d'une prétendue sagesse collective. La justice ne peut pas tuer. Elle ne peut pas commettre l'irréparable. Je le dis solennellement, la société doit être bâtie sur des valeurs différentes de celles qu'elle condamne. La première de ces valeurs est le respect de la personne humaine, de sa vie et de son intégrité.

Saluer l'abolition de la peine de mort ne peut se faire sans saluer Robert Badinter dont le nom, avec ceux de François Mitterrand et Raymond Forni, rapporteur du texte, restera attaché à cette cause.

Le combat de Robert Badinter a trouvé son achèvement dans la loi du 9 octobre 1981 qui nous rend fiers d'être Français. La Convention européenne des droits de l'homme a également intégré l’abolition et aujourd’hui, nous répondons à un protocole international.

L'idée abolitionniste progresse, et l’on peut s’en réjouir, mais les peurs pourraient, si elles étaient exploitées avec finesse, contribuer à rouvrir un dossier que nous voulons fermer solennellement aujourd'hui. Nous ne serons sereins que lorsque la France, pays des Lumières, pourra aussi être fière d'avoir permis que la justice, quand elle condamne, porte toujours dans ses décisions le sens de la peine, donc l'équilibre de notre démocratie.

Je suis fière ce soir d’être parlementaire française ! La France accueillera avec plus encore de conviction la prochaine conférence internationale pour l’abolition de la peine de mort. Je remercie tous ceux qui ont soutenu cette initiative. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des député-e-s communistes et républicains, du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, dernier orateur inscrit dans la discussion générale.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d’abord saluer l’initiative du Chef de l'État, Jacques Chirac, qui vise à inscrire, non seulement dans la loi, comme en 1981, mais aussi dans la Constitution, l'interdiction de la peine de mort.

Laissez-moi d’abord vous dire pourquoi j'interviens dans ce débat. Le 14 mars 1980, député au Parlement européen, j'avais déposé une proposition de résolution visant à abolir la peine de mort dans ce qu'on appelait alors la Communauté européenne. À l'époque, celle-ci comptait seulement dix États. Six avaient aboli en droit le châtiment suprême. Trois autres l'avaient aboli en fait, en cessant de l'appliquer. Restait seulement notre pays avec dix-sept exécutions capitales pour faits de droit commun sous la VRépublique, dont trois sous le septennat de M. Giscard d'Estaing.

L'Europe n'est pas seulement un marché commun. C'est aussi une civilisation commune, fondée sur des valeurs communes, comme le respect de la vie et de la dignité humaine, même pour ceux qui y ont attenté. Il était donc nécessaire d'harmoniser le droit pénal dans ce qui était alors l'Europe des Dix.

Par ailleurs, l'application de la peine de mort a conduit et peut conduire à des erreurs judiciaires irréparables, irrémédiables. Victor Hugo disait : « Pour moi, la guillotine s'appelle Lesurques », se référant au nom de l'innocent guillotiné dans l'affaire du Courrier de Lyon. Aujourd'hui, pour moi, la guillotine s'appelle Ranucci, celui dont on se demande encore aujourd'hui s'il était innocent ou coupable et qui a été exécuté à la prison des Baumettes, le 28 juillet 1976, après qu'un président de la République lui a refusé sa grâce. Comment peut-on admettre le droit à l'erreur quand il s'agit du droit à la vie ?

Enfin, de nombreuses statistiques établissent que la criminalité sanglante n'a pas augmenté dans les États qui ont cessé de recourir à l'exécution capitale, car d'autres peines, comme les peines d'emprisonnement de longue durée, peuvent s'avérer aussi dissuasives que la peine capitale. Reste alors seulement un châtiment cruel, pour ne pas dire barbare, une sorte de rite primitif hérité des âges anciens et qui heurte notre conscience.

Personne, bien sûr, n'oublie les victimes. Personne n'omet le caractère odieux des crimes de sang. Mais le propre d'une civilisation, ce n'est pas de répondre à la violence par la violence, au sang par le sang. Victor Hugo disait : « La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie ».

Le 18 juin 1981, le Parlement européen a voté ma proposition de résolution visant à abolir la peine de mort dans tous les pays de l'Europe des Dix, première avancée qui précéda de quelques mois le vote de l’abolition de la peine de mort par le Parlement français en septembre 1981, à l'initiative de François Mitterrand, élu Président de la République en mai 1981, et de Robert Badinter, devenu ministre de la justice.

Quelques semaines avant mai 1981, j'avais reçu un appel téléphonique de la mère de Philippe Maurice. Sachant que ma proposition de résolution allait être prochainement examinée par le Parlement européen, celle-ci me demandait si son adoption pouvait sauver son fils de la guillotine. Je n'oublierai jamais cette voix de mère, à la fois digne et désespérée, essayant d'agir pour que son fils reste en vie. Philippe Maurice, alors âgé de vingt-quatre ans, avait été condamné à mort pour le meurtre d'un policier, qui avait eu lieu en décembre 1979, dans des circonstances confuses. À la suite d’un vol et d'une poursuite, il s’était retrouvé, avec son ami d'enfance Serge Attuil, dans une impasse près de la rue Monge. Une fusillade intervint, Attuil fut abattu alors qu'il venait de tuer un policier. Philippe Maurice, craignant d'être abattu à son tour, tira pour se dégager et tua un second policier. Finalement, le 25 mai 1981, sa condamnation à mort fut commuée en réclusion à perpétuité par le président Mitterrand. Philippe Maurice a donc été le dernier condamné à mort gracié, avant qu'intervienne le vote de l'abolition par notre Parlement en septembre 2001.

J’ai à nouveau croisé le chemin de Philippe Maurice en 2000 alors que j'étais ministre de la recherche. En prison, il s'était remis aux études, à l'histoire médiévale, et avait accompli un véritable travail de bénédictin, déchiffrant plus de 40 000 pages en latin, pour aboutir à la rédaction d’une thèse de 1 880 pages consacrée à la famille au Gévaudan au XVsiècle.

M. Jérôme Rivière. Quelle indécence ! Et que faisait la famille du policier tué pendant ce temps ?

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Pour cette thèse, soutenue à l'université de Tours en décembre 1995, il obtint la mention très honorable et félicitations du jury.

Devenu docteur en histoire, spécialisé dans le Moyen-âge, Philippe Maurice est alors devenu un scientifique reconnu dans la communauté scientifique.

M. Jérôme Rivière. Un peu de dignité !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. À l'automne 1999, il a été placé en semi-liberté, puis a bénéficié en mars 2000 d'une libération conditionnelle. En 2000, alors ministre de la recherche, j’ai été appelé à autoriser son recrutement comme chargé de recherche au département historique du CEA. Depuis, il travaille au CNRS et à l'École des hautes études en sciences sociales

Le professeur d'histoire médiévale, Bernard Chevalier, membre de son jury la thèse, a déclaré : « Les études ont permis à cet homme de se reconstruire. Il n'y a personne qui ne puisse être sauvé par la société ». Philippe Maurice a dit lui-même : « Il faut qu'un homme, quel qu'il soit, puisse changer ». La société lui a donné une seconde chance et elle a bien fait. L'histoire de Philippe Maurice, c'est l'histoire d'une métamorphose, d'un parcours exemplaire, d'une renaissance à la vie.

En inscrivant dans sa constitution l'interdiction de la peine de mort, la France enverra un message très fort à la communauté internationale, car plusieurs pays appliquent encore la peine de mort. La plupart sont des régimes autoritaires, comme la Chine, l'Iran ou l'Arabie Saoudite, mais certains sont des pays démocratiques, comme les États-unis ou le Japon.

Retrouvons donc la voix, la grande voix de Victor Hugo, de Lamartine, de Gambetta, de Clemenceau, de Jaurès, de Briand plaidant dans cet hémicycle pour l'abolition. Et étendons cette abolition à l’échelle universelle. Comme l'a fait la France en 1981, la communauté des nations tout entière doit mettre la mort hors la loi. « La peine de mort, disait Jaurès à cette tribune, est contraire à ce que l'humanité depuis deux mille ans a pensé de plus haut et rêvé du plus noble ».

En votant ce texte, nous lançons un appel à la conscience humaine, à la conscience universelle de l'humanité, pour que la vie l'emporte sur la mort, non seulement ici et maintenant mais partout et définitivement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

Motion de renvoi en commission

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. Pierre Bourguignon.

M. Pierre Bourguignon. La motion est défendue.

M. le président. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)

Rappel au règlement

M. Jérôme Rivière. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Rivière, pour un rappel au règlement.

M. Jérôme Rivière. Ce rappel au règlement est fondé sur l’article 91, alinéa 7, du règlement, qui dispose qu’« après la clôture de la discussion générale, il ne peut être mis en discussion et aux voix qu’une seule motion tendant au renvoi à la commission saisie au fond de l’ensemble du texte en discussion, et dont l’effet, en cas d’adoption, est de suspendre le débat ». Certes, on peut considérer que le règlement est respecté dans sa lettre, mais je vois dans l’intervention de nos collègues la troisième manœuvre de flibusterie parlementaire, parodie d’un débat démocratique visant à éviter la discussion. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Alain Néri. Ridicule !

M. Jérôme Rivière. Dans l’esprit de notre règlement, il va de soi que défendre une motion de procédure consiste à expliquer les raisons de fond qui justifient le renvoi en commission. Aujourd’hui, il y a eu une collusion entre adeptes de la pensée unique, qui n’honore pas notre démocratie.

M. Michel Hunault. Ce rappel au règlement est minable !

M. Jérôme Rivière. En à peine deux heures, nous avons évacué motions de procédure et discussion générale ! Les Français seront juges de cette assemblée finissante.

M. le président. Nous laisserons les Français juges, mais il n’y a pas eu de flibusterie parlementaire. Nous avons respecté le règlement à la lettre, comme nous le faisons toujours.

J’appelle maintenant, dans le texte du Gouvernement, l’article unique du projet de loi constitutionnelle.

Article unique

M. le président. La parole est à M. Jérôme Rivière, inscrit sur l’article unique.

M. Jérôme Rivière. Encore une fois, je veux dénoncer les manœuvres et les arrangements en coulisse qui, loin des Français, concourent à censurer la libre expression dans cet hémicycle. Ces trois manœuvres de flibusterie, indignes des traditions parlementaires, ont eu pour unique but de faire en sorte que seule puisse se faire entendre la pensée unique. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Michel Hunault. Ça suffit !

M. Jérôme Rivière. Vous avez tort. La majorité le sait mais reste pétrifiée par le poids croissant des partis. Du fait de ce que Nicolas Hulot appelait l’autre jour les « consignes partisanes », notre majorité n’ose pas s’exprimer avec sa conscience politique.

Personne n’est dupe : les discussions autour de ce texte reprennent les chimères d’un monde idéal où, comme le disait récemment le président de la Commission européenne, José Barroso, « aucun être humain n’a le droit de retirer la vie à un autre être humain ». À l’image du Pacte Briand-Kellogg de 1928, qui déclarait la guerre hors-la-loi, vous vous complaisez dans des illusions idéalistes.

Et pourtant, sans mettre en cause la loi Badinter, ni même rouvrir le débat sur ce sujet, des raisons majeures s’opposaient à l’adoption de ce texte constitutionnel.

Je n’insisterai même pas sur la dénaturation de notre Constitution, modifiée à dix-neuf reprises depuis sa promulgation par le pouvoir constituant, dont onze depuis 1995. Cela fait beaucoup ! La Constitution ne doit pas devenir le texte dans lequel viennent s’inscrire, au gré des désirs de nos chefs d’État de marquer l’histoire, chartes, déclarations ou postures morales. Le Conseil constitutionnel lui-même s’émeut de ses modifications incessantes. Selon ses propres termes, « La Constitution doit demeurer un cadre stable que l’on ne modifie que de façon solennelle et pour de sérieuses raisons ». De ce point de vue, la multiplication des révisions depuis 1992 est un peu préoccupante.

Deuxième raison : le terrorisme et son évolution. Le rapporteur évoque dans son rapport « la politique efficace de lutte contre le terrorisme menée ces dernières années ». Certes, cette formule sonne bien, du haut de la tribune, mais prenons garde aux affirmations péremptoires en matière de sécurité. Je ne suis pas certain que les victimes des attentats de New-York, de Madrid, de Londres, ou celles d’autres actions terroristes, se multipliant partout sur la planète – Bali, Bombay ou Casablanca –, partagent ce constat sur l’efficacité de la lutte que nous menons.

Sur tous les autres sujets – environnement, consommation –, nous défendons le principe de précaution. Au nom de ce principe, avons-nous le droit de lier ainsi notre pays ? Il me semble qu’en l’absence de certitudes quant à la nature ou à l’évolution du terrorisme, lier notre pays – et le Conseil constitutionnel le dit –, même dans le cas où un danger exceptionnel menacerait l’existence de la nation, est une décision hautement dangereuse.

Mais ce projet de loi constitutionnelle – cela a été rappelé à de nombreuses reprises – n’a pour objet que la ratification du deuxième protocole de New-York. En votant ce texte aujourd'hui, puis en l'inscrivant dans la Constitution dans quelques jours, afin de ratifier le protocole, nous votons tout simplement l'abrogation de notre souveraineté nationale.

Le rapporteur le sait bien, il a d'ailleurs tenté sans succès de s'en défendre dans son rapport. Que nous dit-il à propos de la souveraineté nationale ? « Cette dernière peut être définie comme le “caractère suprême d'une puissance pleinement indépendante” et permet que son détenteur puisse défaire ce qu'il a fait. Elle s'oppose donc à toute irrévocabilité définitive ». Bien embarrassé, il crée ainsi la notion d’« irrévocabilité temporaire ». Mais il est vrai que nous sommes dans une période où les néologismes font florès.

La décision du Conseil constitutionnel du 13 octobre 2005 est explicite : porte atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale l'adhésion irrévocable à un engagement international touchant à un domaine inhérent à celle-ci. En ratifiant le deuxième protocole nous portons directement atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté.

La loi d’octobre 1981 répondait à la triple exigence, morale, politique et juridique, que soulignait le rapporteur. Nous pouvions, sans modifier la Constitution, ratifier le protocole n° 13 si nous souhaitions aller plus loin.

M. Michel Hunault. N’importe quoi !

M. Jérôme Rivière. C’est au nom d’une certaine idée de la France que le général de Gaulle a inspiré puis proposé aux Français notre Constitution. Il était convaincu que le poids de notre histoire était tel qu’il confère à la France une position particulière au sein du concert des nations. Il avait, on s’en souvient, surnommé l’ONU « le machin ». En ratifiant le deuxième protocole facultatif de 1989, nous soumettons la souveraineté nationale de la France à un traité dont la compétence est reconnue, non pas à l’ONU, mais au comité des droits de l’homme de l’ONU, dont chacun connaît la composition fluctuante et les prises de position au radicalisme déroutant.

Tout cela pourrait prêter à sourire. Mais ces chimères nous conduisent à ligoter la France, oubliant les réalités internationales. L'illusion idéaliste de restreindre l'autonomie des États par un cadre juridique a été battue en brèche au xxe siècle. Avec ce texte, nous faisons semblant de croire à une supposée morale des États, à l'existence du mal, à la réalité d'une éthique universelle. C'est du messianisme dont la première conséquence est l'asservissement de la France.

M. Alain Néri. Quel délire !

M. Jérôme Rivière. À quelques jours de son renouvellement, notre assemblée est-elle bien légitime à s'exprimer sur ces sujets ? J'affirme que non. Seul le peuple Français, consulté par référendum, peut s'il le souhaite – mais chacun connaît sa réponse –, renoncer à la souveraineté de notre pays.

Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas ce texte.

Mme Muguette Jacquaint. On avait compris !

M. le président. Monsieur Rivière, permettez-moi de vous dire que l’Assemblée est légitime jusqu’au dernier jour de son mandat. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Nous en arrivons à l’examen des amendements à l’article unique.

Je suis d’abord saisi d’un amendement n° 1.

La parole est à M. Jacques Myard, pour le soutenir.

M. Jacques Myard. Il est défendu.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Houillon, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 2.

Cet amendement est-il défendu ?

M. Jacques Myard. Oui, monsieur le président.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Houillon, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 3.

La parole est à M. Lionnel Luca, pour le soutenir.

M. Lionnel Luca. Saisi de la question de savoir si doit être précédée d’une révision de la Constitution l’autorisation de ratifier le deuxième protocole adopté à New York, le Conseil constitutionnel a considéré, le 13 octobre 2005, « que cet engagement lierait irrévocablement la France même dans le cas où un danger exceptionnel menacerait l’existence de la nation ; qu’il porte dès lors atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ». En outre, il précise très clairement, dans sa décision, que l’autorisation de ratifier le deuxième protocole « ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution ».

Or, rappelons que, selon le comité des droits de l’homme des Nations unies « les droits consacrés dans le Pacte appartiennent aux individus qui vivent sur le territoire de l’État partie. Dès lors que des individus se voient accorder la protection des droits qu’ils tiennent du Pacte, cette protection échoit au territoire et continue de leur être due, quelque modification qu’ait pu subir le gouvernement de l’État partie, y compris du fait d’un démembrement en plusieurs États ou d’une succession d’États et en dépit de toute mesure que pourrait avoir prise ultérieurement l’État partie en vue de les dépouiller des droits garantis par le Pacte ».

Dès lors que l’on considère que la nation même est garante de la liberté et de la dignité de l’individu, il n’y a rien d’indigne, nous semble-t-il, à préciser que l’abolition de la peine de mort se conçoit « sauf lorsque l’existence même de la nation est menacée ».

Tel est l’objet de l’amendement n° 3.

M. Jacques Myard et M. Jérôme Rivière. Très bien !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Houillon, rapporteur. La commission a rejeté cet amendement, d’abord pour une raison de bon sens. Malheureusement, jamais aucun dictateur, aucun terroriste, n’a été empêché de commettre ses actes parce qu’un texte prévoyait l’existence de la peine de mort en temps de guerre.

M. Jacques Myard. C’est de la République dont on parle !

M. Michel Vaxès. Cela revient au même !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Ce n’est pas l’existence de la peine de mort dans l’État de New York qui a empêché l’organisation dirigée par M. Ben Laden de provoquer l’attentat du 11 septembre. Cela ne sert donc à rien sur le plan pratique.

Mme Muguette Jacquaint. Absolument !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Par ailleurs, le protocole de New York de 1989, dit deuxième protocole, prévoit, pour les États signataires, la possibilité d’émettre une réserve, c’est-à-dire de maintenir la peine de mort en temps de guerre pour les crimes les plus importants commis en temps de guerre, à condition que l’État qui émet cette réserve dispose au préalable d’un texte qui prévoit cette restriction, ce qui n’est pas le cas de la France. Ce serait le cas si nous adoptions l’amendement n° 4 de M. Dell’Agnola.

Je vous indique qu’aucun des États signataires de ce deuxième protocole de New York n’a émis de réserves.

M. Richard Dell'Agnola. Si, la Grèce !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Vous me répondrez, bien sûr, que cela n’empêche pas la France de le faire.

Le protocole européen n° 13 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ne prévoit, lui, aucune possibilité de réserve, c’est-à-dire que l’abolition de la peine de mort est universelle. En d’autres termes, il n’y a pas d’exception.

Par conséquent, adopter cet amendement ou le suivant empêcherait donc de signer le protocole n° 13, alors que tous les pays européens l’ont fait.

M. Jacques Myard. Et alors ?

M. Philippe Houillon, rapporteur. C’est un problème d’image !

M. Jacques Myard. Oh !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Les auteurs du présent amendement proposent une abolition « petits bras » qui ternirait l’image de la France de manière totalement inutile.

M. Jérôme Rivière. Ce n’est pas inutile !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Ce n’est pas parce qu’un texte prévoirait que la peine de mort est possible en temps de guerre que cela empêcherait un certain nombre d’actes.

M. Jacques Myard. Ce n’est pas le problème !

M. Philippe Houillon, rapporteur. En d’autres termes, pour un résultat pratique strictement inutile, vous afficheriez une image de notre pays qui n’est pas partagée par l’ensemble de nos concitoyens et qui n’est pas celle que nous voulons donner.

Voilà pourquoi la commission est défavorable à cet amendement et au suivant. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Monsieur le président, tous ces amendements ont pour objet de limiter la portée du texte.

M. Jacques Myard. Nous sommes d’accord là-dessus !

M. le garde des sceaux. Comme vient de le dire le rapporteur, le présent texte vise à nous permettre de ratifier des accords internationaux qui rendent définitive et irréversible l’abolition de la peine de mort. Il serait paradoxal d’accepter des amendements et ainsi de revenir en arrière par rapport à une loi qui a été votée en 1981 et qui prévoit l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances.

M. Alain Néri. Très bien !

M. le garde des sceaux. Il s’agit d’aller de l’avant…

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le garde des sceaux. …et de permettre la ratification du protocole n° 13, qui se traduira par un engagement international définitif.

Nous ne pouvons donc pas accepter le moindre amendement à ce texte. (Applaudissements sur divers bancs.)

M. le président. La parole est à M. Lionnel Luca.

M. Lionnel Luca. Je regrette que l’on fasse la confusion entre l’amendement que j’ai déposé et celui de Richard Dell’Agnola.

L’amendement n° 4 reprend les termes mêmes du protocole de New York que vous seriez bien inspiré de lire. J’attends donc avec impatience une réponse précise de votre part lorsque M. Dell’Agnola défendra son amendement.

Je regrette pour ma part que l’on fasse référence dans le texte, sans le citer, à la décision du Conseil constitutionnel. Voilà qui prouve que vous n’êtes peut-être pas aussi à l’aise que vous le prétendez sur le plan juridique. Cette décision dit clairement que nous devons modifier la Constitution parce que ce protocole porte atteinte à l’existence même de la nation. Dès lors, il est essentiel de préciser que la peine de mort est abolie « sauf lorsque l’existence même de la nation est menacée ».

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Houillon, rapporteur. S’agissant du bon sens dont j’ai parlé tout à l’heure, je vais lire l’exposé sommaire de l’amendement n° 3.

M. Lionnel Luca. C’est ce que vous avez critiqué !

M. Philippe Houillon, rapporteur. C’est ce que vous avez estimé utile d’écrire pour justifier votre amendement !

Je cite : « La France doit se garder la possibilité de se protéger de groupes ou États terroristes qui pourraient la menacer à grande échelle avec des armes chimiques ou nucléaires ». Vous pensez donc que cela empêcherait les actes terroristes.

M. Lionnel Luca et M. Jacques Myard. Mais non !

M. Jérôme Rivière. Caricature !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Pour notre part, nous ne le pensons pas !

Quand vous écrivez quelque chose, écrivez ce que vous pensez !

M. Jérôme Rivière. Et l’irrévocabilité définitive ?

M. Philippe Houillon, rapporteur. Je comprends que vous soyez ennuyés que l’on vous cite parce qu’on s’aperçoit que vos arguments ne sont pas pertinents !

Par ailleurs, vous faites dire au Conseil constitutionnel ce qu’il n’a absolument pas dit. En effet, il n’a jamais dit qu’il fallait inscrire cette réserve. Il a simplement constaté que la ratification du protocole de New York entraînait l’irrévocabilité, c’est-à-dire l’impossibilité de retrait. Cette impossibilité de retrait s’analyse comme quelque chose qui a à voir avec la souveraineté.

M. Jérôme Rivière. C’est un abandon de souveraineté !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Arrêtez de vociférer !

Pour permettre sa signature, il fallait donc inscrire l’abolition de la peine de mort dans la Constitution. Voilà ce qu’a dit le Conseil constitutionnel.

Je vous rappelle que les États qui ont signé ce protocole n’ont pas émis de réserve et que l’Italie, qui en avait émis une, du type de celle proposée par l’amendement de M. Dell’Agnola, l’a levée.

En 1981, Robert Badinter nous rappelait, à la tribune de cette assemblée, que notre pays était l’un des derniers à ne pas avoir encore aboli la peine de mort et que cela étonnait, la France étant considérée comme le pays des droits de l’homme. On retrouve aujourd’hui la même attitude, heureusement très minoritaire. Le protocole n° 13 a été signé par l’ensemble des pays européens, mais la France ne l’a ni signé, ni a fortiori ratifié. Or il ne permet aucune réserve. En adoptant cet amendement, vous empêcheriez notre pays de le signer.

M. Jérôme Rivière. Il n’est pas irrévocable !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Vous iriez à l’encontre de ce projet de loi constitutionnelle, à contre-courant de l’opinion publique française, européenne. (Applaudissements sur de nombreux du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Et même internationale !

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Monsieur le ministre, vous avez clairement dit que vous ne vouliez aucune modification au projet de loi constitutionnelle car vous vouliez ratifier les deux protocoles. Permettez-moi de vous mettre en garde contre un engagement au nom de la nation qui ne tient pas compte de la réalité du monde. En définitive, vous cherchez à rendre irrévocable l’interdiction de condamner des individus à mort et de les exécuter. Or je ne connais aucun texte de droit international, y compris le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, y compris le protocole n° 13 qui ne puisse être dénoncé. Et il s’agit là d’une règle de droit international général, coutumier et la Convention de Vienne sur le droit des traités n’a rien changé ! Vous vous mettez, pardonnez-moi l’expression, le doigt dans l’œil si vous croyez qu’en vous bordant de toutes parts, en signant pactes et protocoles, vous pourrez contrecarrer le peuple lassé des terroristes qui viennent poser des bombes chez nous sans être châtiés. Le peuple, ne vous en déplaise, se lèvera pour dire non et rétablir la peine de mort. Et ce jour-là, on changera la Constitution, et le peuple aura raison ! Aujourd’hui, vous faites le pari de bannir pour toute éternité la peine de mort, mais, de toute façon, la question se reposera d’ici cinq à dix ans. Nous voudrions seulement éviter d’avoir à changer à nouveau la loi fondamentale car votre pari est parfaitement irréaliste au vu de la marche du monde ! En rendant possible la ratification de ces deux pactes, vous condamnez en quelque sorte le procès de Nuremberg. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Muguette Jacquaint. Nous voulons éviter qu’il ne se reproduise ! Quel dérapage !

M. Jacques Myard. Vous pouvez parler ! Vous avez quelques condamnés à mort sur les bras !

Moi, je ne condamne pas Nuremberg, je l’applique !

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Je voudrais, non pas venir en aide au rapporteur – il n’en a pas besoin –, mais apporter mon soutien aux propos qu’il a tenus.

En regardant les collègues qui ont signé l’amendement n° 3, j’ai l’impression d’avoir en face de moi un quarteron de populistes qui recherchent désespérément une opinion qui serait prétendument favorable à la peine de mort en toutes circonstances !

M. Lionnel Luca. Vous prétendez avoir l’opinion avec vous : ne soyez pas inquiet !

M. Noël Mamère. Au fond, messieurs, vous avez des âmes de bourreaux.

M. Lionnel Luca. Quelle prétention !

M. Noël Mamère. Vous êtes d’ailleurs ceux-là même qui ont voulu écrire dans une loi que la colonisation serait porteuse de bienfaits !

M. Jacques Myard. Écoutons le père Mamère !

M. Noël Mamère. Pourtant, il est possible de faire de la politique sans pour autant verser dans la démagogie ! En fait, vous voulez, à la fin de la législature, retourner dans vos circonscriptions en vous vantant devant le bon peuple de votre glorieuse défense de la peine de mort et de la sécurité des braves gens. (Protestations sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Or, en tant que représentants de peuple, vous portez une part de la souveraineté nationale. Il n’est donc nul besoin de référendum pour savoir ce que nous avons à faire.

M. Jacques Myard. Il a peur du peuple. Le peuple ne veut pas suivre, alors il faut changer le peuple !

Mme Muguette Jacquaint. Quelle haine !

M. Noël Mamère. Contrairement à ce que vous prétendez dans l’exposé sommaire, ce n’est pas faire preuve d’humanisme que d’introduire l’abolition de la peine de mort dans la Constitution, c’est seulement faire avancer le droit. Et chaque fois que le droit avance, c’est la barbarie qui recule !

M. Michel Piron. Très bien !

M. Noël Mamère. Tout à l’heure, vous avez invoqué la nature. Mais la nature est violente, elle fait régner la loi du plus fort. Le droit est là pour civiliser, et, si nous construisons l’état de droit, c’est précisément pour se prémunir contre toutes les formes de violence et de barbarie. Une démocratie doit respecter le droit,...

M. Jacques Myard. Exactement, le droit à un procès équitable !

M. Noël Mamère. ...en se fondant sur la tolérance et la responsabilité. On ne répond pas à la barbarie par la barbarie. L’honneur des démocraties, c’est de croire en la vie, de croire en la repentance, de croire en cette idée que la société vaut mieux que l’individu et que l’individu dans la société peut se racheter de tous les crimes qu’il a commis.

M. Jacques Myard. Le père Mamère nous fait son sermon !

M. Noël Mamère. C’est au nom de ces valeurs que nous sommes réunis dans cette assemblée et que le peuple nous a mandatés pour faire avancer le droit et protéger la démocratie. Or la meilleure manière de protéger la démocratie contre la barbarie, c’est d’abolir la peine de mort dans toutes les circonstances et de se lier par des protocoles internationaux, qui, dans la hiérarchie des normes, l’emportent sur le droit français.

M. Jacques Myard. Les conventions internationales, ça se change ! Vous l’apprendrez à vos dépens.

M. Noël Mamère. Pour une fois qu’un protocole nous permet de gouverner par le haut, plutôt que par le bas, il faut saisir l’occasion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Bourguignon.

M. Pierre Bourguignon. Mes chers collègues, je m’apprête à voter avec vous l’inscription dans la Constitution de l’abolition de la peine de mort.

M. Jérôme Rivière. Alors pourquoi avoir défendu trois motions de procédure.

M. Pierre Bourguignon. J’étais ici en 1981 et j’ai voté pour l’abolition. Notre débat a été approfondi, sans étroitesse ni mesquinerie et je ne voudrais pas que des dérapages viennent polluer la discussion en fin de séance.

À Versailles, bientôt, le Parlement, c’est-à-dire les deux chambres réunies, votera définitivement l’abolition de la peine de mort, et c’est ce qui compte.

M. Jérôme Rivière. En 1938, tous les députés, sauf un, ont approuvé les accords de Munich !

M. Pierre Bourguignon. Ce n’est pas une question d’enquête d’opinion car cela va bien au-delà. Cela fait des siècles et des siècles que nos sociétés avancent : nous sommes sortis de la loi du talion – péniblement –, de la spirale de la vengeance,...

M. Jacques Myard. Par la petite porte !

M. Pierre Bourguignon. …pour en arriver au point où nous pensons que le droit et la justice doivent organiser la société, et non encadrer la vengeance d’un individu ou d’un groupe. Telle est bien la hauteur de l’enjeu de notre débat aujourd’hui. J’en appelle à chacun d’entre vous pour poursuivre dans cette voie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. François Loncle.

M. François Loncle. Monsieur le président, je voudrais à mon tour soutenir les arguments de notre rapporteur. Nous sommes en effet quelques-uns, Muguette Jacquaint, Pierre Bourguignon, d’autres sans doute, à avoir voté l’abolition de la peine de mort en septembre 1981 et c’est notre fierté.

M. Jean-Pierre Soisson. Vous n’êtes pas les seuls à l’avoir votée. Moi aussi !

M. François Loncle. Comme Jean-Pierre Soisson, bien sûr.

Nous nous souvenons des arguments échangés et des campagnes qui ont suivi.

En tout cas, l’abolition de la peine de mort est un principe si fondamental qu’il ne peut pas souffrir d’exception. Or les quatre amendements que nous examinons sont autant d’exceptions : l’amendement n° 1 commence par «, sauf si... » ; l’amendement n° 2 par «, sauf s’il... » ; l’amendement n° 3 par «, sauf lorsque... » et l’amendement n° 4 par «, à l’exception de... ». Il est inutile d’aller plus loin : l’abolition de la peine de mort a désormais une valeur universelle, sans aucune dérogation. C’est pourquoi nous devons absolument rejeter ces amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. J’approuve pleinement ce que je viens d’entendre. J’ajoute seulement que le motif invoqué est un pseudo-argument. En quoi l’absence de peine de mort pourrait-elle menacer l’existence de la nation ? En quoi la peine de mort pourrait-elle la protéger ? Je suis aussi de ceux qui pensent que, sur ce sujet, il n’est pas de demi-mesure. Je suis abolitionniste, totalement ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire, et sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Soisson.

M. Jean-Pierre Soisson. Monsieur le président, ayant été cité, je souhaite dire quelques mots.

Je faisais partie de l’assemblée qui a voté, en 1981, l’abolition de la peine de mort et je m’honore d’appartenir à l’assemblée qui va prolonger ce vote pour permettre à la France de signer les actes internationaux qui marqueront de façon définitive notre volonté d’abolir la peine de mort.

Les réserves qui sont avancées sont de pure forme, et elles ne sont pas de mise face à notre volonté de franchir un pas nouveau pour établir un véritable droit international. Je demande donc à tous mes collègues, en ce moment un peu solennel – et j’aurais souhaité un scrutin public – de s’unir dans un vote qui honorera cette assemblée et notre pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs de l’Union pour un mouvement populaire, et sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marylise Lebranchu, pour une dernière intervention.

Mme Marylise Lebranchu. Puisque l’on a parlé de Nuremberg, je rappelle qu’y fut organisée, en 2001, à l’initiative de l’Allemagne, une conférence réunissant des juristes des États membres du Conseil de l’Europe. Entre temps eut lieu le 11 septembre, catastrophe qu’il était impossible d’imaginer au moment où la décision d’organiser la conférence a été prise.

Lors de l’ouverture de la conférence, l’émotion était à son comble. Pourtant, au cours des réunions, des textes ont été lus, en provenance des États-Unis, de l’état de New York notamment, qui disaient – peut-être n’y a-t-on pas suffisamment insisté – qu’il ne fallait pas répondre à la barbarie par la barbarie. Leurs auteurs étaient américains et ils connaissaient certaines des victimes. Il était également dit que cet acte barbare avait été commis par des kamikazes qui s’étaient infligé à eux-mêmes la peine de mort et qu’ ouvrir une brèche dans notre droit parce que cette barbarie existait aurait été une décision grave pour nous tous.

Les participants ont également évoqué les crimes odieux commis sur des enfants. Tous ont prouvé que, dans les pays où se pratique la peine de mort, ces crimes sont tout aussi nombreux, sinon plus encore, que dans les autres. Chaque fois qu’un pays a changé sa législation sur le coup d’une émotion partagée, il a dû faire marche arrière, ou tenter de le faire, parce qu’il se rendait compte qu’il passait de la justice à la vengeance. Je répète ce que j’ai dit tout à l’heure : la vengeance, qu’elle soit d’État ou privée, ne conduit qu’à la barbarie.

Gardons précieusement l’idée de justice. N’y touchons pas, sinon nous aurons entrouvert la fenêtre à la barbarie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains, et sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 4.

La parole est à M. Richard Dell’Agnola, pour le défendre.

M. Richard Dell'Agnola. Ne tombons ni dans l’outrance ni dans la caricature ! C’est pourquoi je tiens à corriger ce qui vient d’être dit en rappelant que la situation actuelle prévoit toujours des exceptions.

Monsieur le garde des sceaux, je me permettrai de vous rappeler que la loi votée en 1981, sur laquelle nous ne revenons pas, ne prévoit pas l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, puisque le protocole n° 6 de la Convention européenne des droits de l’homme précise que la peine de mort est abolie sauf en temps de guerre ou de menace imminente de guerre. Cela, personne, à l’époque, ne l’a récusé, ni le président Mitterrand, ni Robert Badinter, qui ont accepté ce protocole dans toute son étendue et dans toutes ses conséquences : le temps de guerre demeure une exception. Aujourd'hui nous sommes toujours sous ce régime juridique puisque le protocole n° 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, signé à Vilnius en 2002, et qui prévoit l’abolition en toutes circonstances, n’a pas été ratifié par la France. Il n’a donc pas valeur juridique.

Je tenais à le rappeler pour l’édification de certains collègues qui ont le sentiment que je voudrais ajouter des exceptions. Je souhaite seulement maintenir le régime actuel, à savoir pérenniser l’abolition de la peine de mort en l’intégrant dans la Constitution, « à l’exception des auteurs des crimes de caractère militaire, d’une gravité extrême et commis en temps de guerre », ce qui est conforme à l’exception prévue aujourd'hui à la fois dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme et dans le protocole de New York relatif aux droits civils et aux droits politiques, dont personne ne saurait soutenir ici qu’il est contraire aux droits de l’homme, d’autant que le texte que vous nous présentez s’y réfère.

Si nous considérons que le protocole de New York ne porte pas atteinte aux droits de l’homme, nous pouvons faire jouer toutes ses dispositions, ici compris celle prévue par l’amendement : je le répète, elle ne saurait être contraire aux droits de l’homme que si on considère que le protocole des Nations unies est lui-même contraire aux droits de l’homme !

M. Michel Vaxès. Cela a déjà été dit maintes fois !

M. Richard Dell'Agnola. Rien ne nous interdit donc de préciser que la peine de mort est interdite sauf dans le cas prévu par l’amendement.

Du reste, l’argument du rapporteur est quelque peu spécieux. Il est vrai que la menace n’a jamais interdit aux tyrans de perpétrer leurs crimes, mais j’ajouterai que les peines de prison non plus n’ont jamais interdit aux délinquants d’agir ! Doit-on pour autant, monsieur le rapporteur, supprimer les peines de prison puisqu’elles n’empêchent pas non plus les actes de délinquance ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Muguette Jacquaint. Cela n’a rien à voir !

M. Richard Dell'Agnola. Quant à l’argument de fond du rapporteur, selon lequel si nous inscrivons dans la Constitution cette exception conforme au protocole de New York, nous ne pourrons plus signer le protocole n° 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, je réponds : à quoi bon le signer, dès lors que nous nous référons à un texte dont le champ est plus vaste que le champ européen, puisqu’il s’agit d’un texte des Nations unies ? Un texte universel a une portée et une force juridiques par définition plus grandes qu’un texte seulement européen. De plus, la Convention de New York a un caractère irrévocable – nous l’avons tous souligné ici – alors que la Convention européenne des droits de l’homme peut être révisée. Dès lors que nous adopterions cette exception conforme au protocole de New York, nous n’aurions pas l’obligation de ratifier le protocole n° 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.

M. Jacques Myard et M. Jérôme Rivière. Très bien !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Houillon, rapporteur. Défavorable pour les raisons que j’ai déjà exprimées. Il ne sert à rien de les répéter puisqu’il n’y a, dit-on, pire sourd que celui qui ne veut point entendre.

M. Jacques Myard. Nous vous retournons le compliment !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Monsieur Dell’Agnola, vous semblez vouloir nous faire croire que la loi prévoirait actuellement des exceptions : il n’y en a pas ! Cela n’est pas vrai ! La loi de 1981, texte du droit positif français applicable dans notre pays, ne prévoit aucune exception. Du reste, le fait qu’un traité permette des réserves ne signifie pas que des exceptions sont effectivement inscrites dans notre loi : il s’agit d’une possibilité que, de plus, le protocole n° 13 ne prévoit pas.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Défavorable.

En effet, l’Assemblée ne doit pas être induite en erreur par les propos de M. Richard Dell’Agnola. Le protocole n° 6 de la Convention ne prévoit aucune exception : ce qu’il prévoit, d’où votre erreur, c’est la possibilité au travers d’une nouvelle loi de revenir en temps de guerre sur l’abolition de la peine de mort. Il faudrait alors que le Parlement vote une disposition amendant la loi de 1981. Il n’y a donc aucune automaticité, contrairement à ce que vous prétendez.

En revanche, une fois que le Congrès de Versailles aura approuvé la révision constitutionnelle, nous ne pourrons plus revenir en arrière : c’est toute la différence entre la situation juridique actuelle et celle de demain.

M. Alain Néri. C’est bien ce que nous voulons !

M. le garde des sceaux. Nous ne nous contentons donc pas de répéter la loi de 1981 : nous y ajoutons le caractère irréversible de l’abolition. Je le répète, ne laissez pas croire que la loi de 1981 prévoyait des exceptions : elle n’en prévoyait aucune ! Encore une fois, ce qu’elle permet, c’est de revenir en arrière. Bientôt, nous ne le pourrons plus. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller.

M. Pierre Lequiller. Monsieur le président, je tiens à préciser que je refuse toutes les exceptions et que c’est la raison pour laquelle je ne voterai pas cet amendement. Comme Jean-Pierre Soisson, je suis favorable à l’abolition totale de la peine de mort. C’est un principe auquel je suis attaché et, je le répète, c’est la raison pour laquelle je voterai ce texte. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs.)

M. Guy Geoffroy. Il est en plein dans le sujet !

M. Pierre Lequiller. Je pense que, sur cette question, la France doit être exemplaire sur la scène internationale vis-à-vis de ses partenaires : ce texte lui permettant de l’être, je le voterai. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Pour une explication de vote, la parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, mes chers collègues, j’ai rappelé tout à l’heure que la première fois qu’au sein de cette assemblée la question de la peine de mort a été évoquée, c’était en 1791, période à la fois trouble, difficile et pleine d’espoir et d’aventure pour notre pays et pour la démocratie.

Depuis, plusieurs générations de parlementaires n’ont eu de cesse de relancer le débat, car ils avaient la volonté, forte et légitime, de faire avancer le droit. Aujourd'hui nous arrivons au terme de ce débat. Même si nous pouvons entendre les arguments développés par certains de nos collègues, l’UDF croit qu’un principe aussi fort et aussi fondamental ne saurait, par définition, souffrir d’exception. La France n’est grande que lorsqu’elle est entière dans ses prises de position : nous sommes aujourd'hui à un moment important, qui le deviendra encore davantage lorsque nous inscrirons l’abolition définitive de la peine de mort dans la loi suprême. Il est donc essentiel d’affirmer à l’issue d’un débat plein d’émotion, où chacun a fait preuve de conviction, que ce texte est un bon texte pour la France. C’est la raison pour laquelle les députés du groupe UDF le voteront.

M. le président. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi constitutionnelle.

(L’article unique du projet de loi constitutionnelle est adopté.)

3

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Discussion du projet de loi, n° 3460, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur :

Rapport, n° 3604, de M. Emmanuel Hamelin, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,

Avis, n° 3613, de M. Frédéric Soulier, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)