
No 634
__
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
_____________________________________________________________________________________________
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 février
2003.
Document
mis en distribution le 20 mars 2003
|
DÉCLARATION
DU GOUVERNEMENT
sur la question de l’Iraq,
par M. Jean-Pierre RAFFARIN,
Premier ministre
______________________________________________________
[ Politique
extérieure.]
Monsieur le
président,
Mesdames,
messieurs les députés,
Vous avez souhaité ce
débat. Légitimement.
Depuis le début de
cette nouvelle crise au Proche-Orient, le Gouvernement a veillé à
informer aussi régulièrement et complètement que possible la représentation
nationale.
Un premier débat au
Parlement, en octobre dernier, a permis de présenter les enjeux de
cette crise et la position de la France. Chacun a pu s’exprimer et
toutes les voix ont pu rappeler la nécessité de rechercher la paix
et d’assurer le respect du droit international.
Ce nouveau débat
s’inscrit dans un contexte bien particulier. La crise
d’aujourd’hui, c’est peut-être la guerre de demain. Cette
perspective mobilise les opinions publiques. Pour la première fois
peut-être, la communauté internationale des États rassemblés dans
l’Organisation des Nations unies agit sous les yeux vigilants
d’une opinion publique mondiale.
Au-delà de la crise
actuelle, ce qui est en jeu, c’est la confiance des peuples dans
l’avenir du droit international.
En aucun cas et en
aucun lieu le droit de la force ne saurait supplanter la force du
droit. Voilà le sens profond de l’engagement de la France et de sa
diplomatie dans cette crise. Notre combat, c’est le combat du droit,
et nous avons conscience de la responsabilité que nous portons.
Le sens de notre débat
d’aujourd’hui, mesdames, messieurs les députés, est de montrer
la position de notre pays et de ses différents responsables
politiques dans cette situation internationale tendue.
Notre cadre de réflexion
est déterminé par la résolution 1441, adoptée le 8 novembre
dernier à l’unanimité des membres du Conseil de sécurité. Vous
savez à cet égard le rôle déterminant qu’a joué le chef de
l’État, et je souhaite aussi saluer l’action résolue du ministre
des affaires étrangères, Dominique de Villepin.
Les inspections ont
repris ; elles se déroulent sans incident depuis le 27 novembre
et commencent à produire des résultats. C’est un progrès considérable
au regard de la situation qui prévalait en octobre dernier.
Mais une question est
aujourd’hui posée au Conseil de sécurité de l’ONU : le
chemin de la force ne serait-il pas plus court et plus sûr que celui
des inspections ?
Dans ce débat, la
France est fidèle au choix qu’elle a fait dès le départ, le choix
de la légitimité internationale et de la responsabilité collective.
C’est un choix
qu’elle assume aussi face à l’ensemble des menaces globales
auxquelles nous sommes confrontés. Nous voulons dire que nous ne
pensons pas que le chemin de la force serait plus court et plus sûr.
Qu’il s’agisse du terrorisme, de la prolifération des armes de
destruction massive ou du crime organisé, la lutte contre ces
nouveaux fléaux nous paraît imposer des démarches collectives et
internationales.
Ces menaces ne peuvent
se réduire à la seule question de la destruction des armes de
destruction massive dont disposerait l’Irak, aussi indispensable que
soit cette destruction. Ne nous méprenons pas sur leur réalité :
ces menaces se nourrissent des rancœurs et des frustrations suscitées
par des crises persistantes, elles appellent une réponse alliant la
fermeté dans la lutte et la volonté de s’attaquer aux racines du
mal.
Prenons garde à ne
pas nous tromper dans le choix des moyens pour parvenir à ce monde
plus sûr, plus équitable et plus prospère que nous recherchons
tous. C’est avec ces préoccupations et ces objectifs à l’esprit
que, dès l’origine, la France a pris le parti du droit
international et qu’elle a décidé d’assumer ainsi ses
responsabilités.
Nous avons fait le
choix de la légalité et de la responsabilité.
La résolution 1441
offre la possibilité de désarmer l’Irak dans la paix. C’est
notre conviction ; c’est notre détermination.
L’objectif de la
communauté internationale est le désarmement de l’Irak. Nous avons
de bonnes raisons de penser que l’Irak a poursuivi des programmes
d’armes de destruction massive prohibés, même si nous n’en avons
pas la preuve.
La résolution 1441
propose une méthode légitime et efficace pour obtenir le désarmement.
Cette méthode est légitime
car elle a pour cadre le Conseil de sécurité et se situe dans le
prolongement de toutes les résolutions adoptées sur l’Irak depuis
1990.
Cette méthode est
efficace parce qu’elle donne aux inspecteurs des pouvoirs sans précédent.
Mais l’efficacité
de cette méthode tient également au fait qu’elle a été adoptée
à l’unanimité par le Conseil de sécurité des Nations unies, ce
qui constitue un moyen de pression déterminant sur l’Irak.
La France avait proposé
une démarche en deux temps préservant les prérogatives du Conseil
de sécurité. C’est l’approche retenue par la résolution 1441 :
le désarmement par la voie des inspections et, en cas d’échec et
« sur la base motivée d’un rapport des inspecteurs »,
l’examen par le Conseil de sécurité « d’autres moyens des
conséquences à en tirer sans en exclure aucune option y compris
l’usage de la force ».
Pour nous, le temps
est toujours aux inspections.
Dans ce contexte, la
question qui se pose aujourd’hui est simple : doit-on considérer
que le désarmement par la commission de contrôle des Nations unies
est désormais dans l’impasse ou estimons-nous que les possibilités
en matière d’inspection offertes par la résolution 1441
n’ont pas encore été toutes exploitées ?
Nous considérons que
les inspections ont donné des résultats et qu’elles peuvent encore
en donner. En effet, elles ont repris alors que, jusqu’en novembre
dernier, les Irakiens les refusaient. En outre, MM. Blix et
El Baradei se rendent régulièrement à Bagdad pour faire le point
avec les autorités irakiennes. Ces inspections se sont déroulées
sans aucun incident depuis le 27 novembre 2002, ce qui
constitue un réel progrès.
Les rapports de MM. Blix
et El Baradei ont fait état le 14 février d’informations
significatives transmises par l’Irak. Même si ces informations
restent encore insuffisantes, nous le savons bien, elles n’en dénotent
pas moins des progrès incontestables.
Dans le secteur
balistique, l’Irak doit maintenant procéder au démantèlement
complet de son programme non-autorisé, comme l’a demandé la
semaine dernière M. Blix en exigeant qu’il commence dès le 1er mars.
Dans les domaines
chimique et biologique, les Irakiens ont remis de nouveaux documents -
significatifs - aux inspecteurs.
Dans le domaine nucléaire,
le directeur général de l’Agence internationale pour l’énergie
atomique a confirmé que l’AIEA estimait être en mesure de
certifier dans les prochains mois le démantèlement du programme nucléaire
irakien.
Des progrès dans la
conduite des inspections ont eu lieu : le survol de l’Irak par
des appareils de reconnaissance aérienne a débuté le 17 février
et des entretiens privés ont pu avoir lieu avec des scientifiques
irakiens.
Mais nous devons aller
beaucoup plus loin encore. Dès le 10 février, la France a fait
des propositions pour renforcer l’efficacité des inspections, et
nous pressons les Irakiens de coopérer pleinement.
Nous venons de déposer
à New York un deuxième mémorandum qui avance de nouvelles
propositions. Notre objectif est double : hiérarchiser les
questions de désarmement à ce jour non résolues, et établir des échéanciers
qui nous permettent, domaine par domaine, d’accélérer le désarmement.
Les autorités irakiennes doivent maintenant comprendre qu’on attend
d’elles une coopération totale et sans délai.
Le recours à la force
ne saurait être selon nous que la dernière extrémité.
Maintenir la pression
exercée par la détermination de la communauté internationale est un
impératif. L’unité manifestée par le Conseil de sécurité lors
de l’adoption de la résolution 1441, soutenue par l’ensemble
de la communauté internationale, a fait plier l’Irak. Le déploiement
militaire américain en cours a joué évidemment un rôle déterminant
dans cette pression.
Toutefois, la guerre
ne doit pas être aujourd’hui le moyen d’action de la communauté
internationale. Personne ne peut affirmer que le chemin de la guerre
serait plus court que celui des inspections.
Personne ne peut
affirmer non plus qu’il pourrait déboucher sur un monde plus sûr,
plus juste et plus stable.
Car la guerre est
toujours la sanction d’un échec.
La France n’a pour
autant jamais exclu l’usage de la force pour faire respecter le
droit. Comme le Président de la République l’a récemment souligné,
la France n’est pas un pays pacifiste, et notre engagement
aujourd’hui sur de multiples terrains le prouve.
Mais l’usage de la
force ne se justifie pas dans les circonstances actuelles car il y a
une alternative crédible et efficace à la guerre : désarmer
l’Irak par les inspections.
La position française
a vocation à préserver l’unité de la communauté internationale.
Notre indépendance de
jugement, qui est dans notre histoire, est pleinement compatible avec
le souci de rassembler la communauté internationale. La France s’y
est constamment, inlassablement, employée.
Sur une question aussi
lourde de conséquences, la France a constamment recherché le
maintien de l’unité du Conseil de sécurité et, plus largement, de
la communauté internationale.
La France s’appuie
sur les Nations unies et refuse l’unilatéralisme.
Notre démarche
s’appuie, vous le savez, sur les principes mêmes qui fondent
l’ordre international et autour desquels la communauté
internationale est rassemblée :
Le multilatéralisme
est synonyme de responsabilité collective, c’est une nécessité
morale pour les démocraties, mais aussi une nécessité politique
pour la cohérence et l’organisation de l’action internationale ;
Le respect de la légalité
internationale qu’incarnent la Charte des Nations unies et les résolutions
du Conseil de sécurité est pour nous un postulat.
Nos objectifs sont
ceux de la communauté internationale. Ainsi, le désarmement de
l’Irak et la garantie de son non-réarmement doivent être certifiés.
Face à la montée de
l’intolérance, face à l’aggravation des tensions, le
rapprochement des peuples passe par la patiente affirmation d’une
communauté de valeurs et de règles partagées. C’est un message
qui nous vient des peuples du monde entier. Partageons nos valeurs et
partageons ces règles, cette nouvelle gouvernance internationale.
La position de la
France a le soutien de la majorité des États et des opinions
publiques. Le récent débat public au Conseil de sécurité l’a de
nouveau confirmé : la très grande majorité des États ont des
positions convergentes avec les nôtres. Plusieurs organisations régionales
se sont prononcées depuis lors dans le même sens, je pense à
l’Union africaine et à la Ligue des États arabes.
Notre position est le
point d’équilibre de la communauté internationale. Elle concilie
la fermeté et le respect de la légalité internationale et propose
d’explorer jusqu’au bout la possibilité d’une solution
pacifique.
Les opinions publiques
en Europe et dans la plupart des pays du monde soutiennent également
l’approche française, qu’il s’agisse de la priorité qui doit
être accordée à la voie pacifique ou du respect de la légalité
internationale.
Nous avons adopté la
même démarche avec nos partenaires. La force de notre position et
l’écho qu’elle recueille résultent aussi de sa cohérence :
nous tenons à tous le même langage.
Avec les États-Unis,
nos divergences sur l’Irak ne sauraient remettre en cause la force
de notre relation.
Comme l’a rappelé récemment
Colin Powell, nous sommes de vieux alliés, nous coopérons sur de
nombreux dossiers essentiels, à commencer par la lutte contre le
terrorisme.
Je veux dire ici
devant la représentation nationale que le vaste mouvement de
sympathie et de solidarité du peuple français avec le peuple américain
qui s’est manifesté depuis le 11 septembre 2001, et qui
ne s’est jamais démenti depuis, en est un éloquent témoignage.
Nous partageons en ce
qui concerne l’Irak les mêmes objectifs que tous ceux qui ont voté,
en conscience, la résolution 1441. Nous divergeons sur les
moyens de les atteindre. Nous avons un devoir de vérité entre alliés
qui se respectent.
Quelles que soient les
évolutions, disons-le clairement à tous, la communauté
internationale devra rester engagée en Irak. La question des
sanctions, celle du désarmement, celle aussi, bien sûr, du programme
humanitaire, resteront posées en un lieu qui est le Conseil de sécurité
des Nations unies.
Avec l’Union européenne,
le Conseil européen extraordinaire du 17 février a permis, là
aussi, de constater que nous pouvions nous retrouver sur l’essentiel :
objectif commun du désarmement, reconnaissance du rôle du Conseil de
sécurité de l’ONU, volonté de privilégier la voie pacifique et
mention de l’usage de la force comme dernier recours. Les clivages
qui se sont exprimés lors du Conseil Affaires générales du 24 février
n’ont porté, encore une fois, que sur des questions de méthode.
Assumons ces divergences.
La construction de
l’Europe politique ne doit pas être l’otage de cette crise ;
l’Union a su faire face à d’autres difficultés.
Au sein de l’OTAN,
tout en refusant la logique de guerre, la France reste solidaire de
ses alliés, notamment de la Turquie au cas où cette dernière
viendrait à être affectée par un conflit en Irak. Le Président de
la République a multiplié les contacts avec son homologue turc pour
s’en expliquer avec lui. Les autorités d’Ankara partagent notre
position.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les députés, aujourd’hui, une intervention
militaire, alors que toutes les chances d’une solution pacifique
n’ont pas été explorées, diviserait la communauté
internationale.
Ne nous trompons pas :
elle serait perçue comme précipitée et illégitime. Démentant les
critiques et les injures grossières adressées par certains à la
France et à son Président, les débats des derniers jours aux
Nations unies et les récentes manifestations à travers le monde ont
montré que la décision de recourir à la force dans la situation
actuelle susciterait une vague d’incompréhension et de suspicion.
Elle accentuerait les
fractures et les tensions dans un pays et une région dont nous
connaissons la complexité. Plusieurs fois centre du monde arabe,
l’Irak est à la fois un pays riche de ressources naturelles
fondamentales, un carrefour des religions et une entité nationale
profondément partagée entre ses populations d’origines et de
confessions fort diverses.
Le régime irakien est
évidemment un sujet de grave préoccupation, mais il ne doit pas
masquer d’autres problèmes, tout aussi fondamentaux : le
Proche-Orient ne connaîtra jamais la paix tant que le conflit israélo-palestinien
n’aura pas trouvé une juste et harmonieuse solution.
Regardons avec une
vision large l’ensemble de la région. Comme le Président de la République
a déjà eu l’occasion de le dire, elle n’a pas besoin d’une
nouvelle guerre mais d’un règlement politique, fondé sur le droit,
seul à même de réduire les tensions et les frustrations, d’isoler
les terroristes et ainsi d’ouvrir le chemin de la paix.
Au moment où la
communauté internationale entend régler la question du désarmement
irakien, elle doit manifester la même détermination pour régler la
crise du Proche-Orient qui est, nous le savons bien, centrale.
La guerre affaiblirait
évidemment la coalition contre le terrorisme ; c’est l’élément
majeur de notre réflexion. Une communauté internationale contre le
terrorisme s’est créée au lendemain du 11 septembre. La
guerre affaiblirait cette coalition. Elle provoquerait - que
chacun y réfléchisse - la recrudescence de ce phénomène
alors qu’il s’agit justement de combattre ce fléau qui nous
menace tous, là-bas comme ici.
Au-delà, la guerre ébranlerait
l’ordre international, par la remise en cause de la sécurité
collective, par la primauté accordée à la doctrine préemptive sur
le principe, auquel nous sommes attachés, de légitime défense. Nous
ne voulons pas que la doctrine préemptive s’impose au détriment du
principe de légitime défense.
Dans les circonstances
actuelles, une deuxième résolution au Conseil de sécurité de
l’ONU n’a pas de justification.
Ces raisons vont
au-delà des enjeux immédiats de la crise irakienne, car, quand nous
défendons le Conseil de sécurité, nous défendons un lieu de droit
et, quand nous défendons la méthode des inspecteurs, nous défendons
aussi une méthode pour régler des conflits qui pourrait
s’appliquer à d’autres pays. Cette cause-là est celle qui nous
paraît devoir s’imposer aujourd’hui.
Une deuxième résolution,
par laquelle le Conseil de sécurité autoriserait le recours à la
force, ne saurait être justifiée alors que tous les moyens de
parvenir au désarmement de l’Irak dans la paix n’ont pas été
explorés. Le projet déposé lundi 24 février par les Anglais,
les Américains et les Espagnols, formulé en des termes généraux,
est bien une autorisation de recourir à la force. De la même manière
que nous avons rejeté le recours automatique à l’usage de la
force, la France, comme l’a dit le Président de la République,
rejette le recours automatique à cette deuxième résolution. C’est
la raison pour laquelle nous ne pouvons soutenir cette initiative.
Cette position est
partagée par une majorité des membres du Conseil de sécurité. Elle
nous semble pouvoir être soutenue par l’essentiel de la communauté
internationale. La déclaration tripartite franco-germano-russe, à
laquelle s’est jointe la Chine, a permis à chacun de constater
notre détermination. Nous avons préparé le moyen de renforcer les
inspections comme méthode d’obtenir le désarmement de l’Irak
sans être obligés de passer par la guerre. C’est ce qui nous anime
et c’est pour cela que nous avons déposé un mémorandum devant le
Conseil. L’accueil qui a été fait à notre proposition, le 14 février
dernier, par les autres membres du Conseil montre que celle-ci trouve
un écho favorable.
Telle est notre ligne.
Telle est, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés,
la position du Gouvernement français dans la crise irakienne.
Plus que jamais, nous
souhaitons progresser dans cette voie, celle du désarmement dans la
paix, celle de la sagesse de la France.
|