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N° 3174

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DÉCLARATION

DU GOUVERNEMENT

sur la situation au Proche-Orient,

PAR M. PHILIPPE DOUSTE-BLAZY,

ministre des affaires étrangères.

DÉCLARATION DU MINISTRE

DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Monsieur le Président,

Mesdames et messieurs les députés,

Permettez-moi tout d'abord de vous féliciter, et tout particulièrement de remercier M. le président de la commission des affaires étrangères, pour avoir demandé et obtenu l'organisation de ce débat qui nous offre l'occasion de réfléchir ensemble à la situation au Proche-Orient.

Le conflit israélo-palestinien est l'un des conflits les plus anciens et les plus douloureux de l'histoire contemporaine. Depuis soixante ans, sur cette terre, nous voyons les périodes de répit alterner avec de nouvelles escalades de la violence, dont les populations, de part et d'autre, sont toujours les premières victimes. Personne ici n'a oublié les guerres israélo-arabes, le cortège des réfugiés palestiniens, l'occupation des Territoires en 1967, la survenue de l'Intifada puis celle enfin, plus récente, des attentats suicides. Face à une situation qui paraît aujourd'hui inextricable, chacun de nous connaît les questions en suspens. Quel statut pour Jérusalem ? Quels droits pour les réfugiés palestiniens, qui représentent plus de quatre millions de personnes ? Quelles frontières pour l'État d'Israël ? Et quel horizon tracer pour la création d'un véritable État palestinien ?

Bien sûr, la France et la communauté internationale sont plus que jamais résolues à agir pour aboutir à un règlement juste et équitable du conflit israélo-palestinien. Faire prévaloir l'espoir de paix, nous le savons, c'est avant tout faire progresser l'objectif de deux États viables et vivant côte à côte dans la paix et la sécurité. Il s'agit là d'un impératif majeur, tant les implications stratégiques de ce conflit, qu'elles soient politiques, culturelles, économiques ou encore religieuses, dépassent largement le cadre régional dans lequel il s'inscrit.

Mais si le conflit israélo-palestinien est l'un des plus anciens, c'est aussi, bien évidemment, nous en avons tous conscience, parce qu'il est l'un des plus complexes et des plus difficiles à résoudre. Toutes les tentatives de résolution de ce conflit ont reposé sur deux démarches parallèles : la première consiste à définir les bases d'un accord qui soient acceptables par l'ensemble des parties ; la seconde vise à établir un processus de restauration de la confiance qui, de part et d'autre, permette enfin la mise en œuvre durable et effective de cet accord.

Sur le premier point, disons-le franchement : la dynamique lancée à partir d'Oslo a porté ses fruits.

Nous savons aujourd'hui quels sont les contours d'un accord définitif : les accords d'Oslo de 1993 et de 1995, tout comme ceux de Wye Plantation en 1998 en ont fourni les bases ; les négociations menées à Camp David en l'an 2000 puis à Taba en 2001 ont permis de préciser le contenu d'un accord final. Quant à la feuille de route adoptée par le Quartet en 2003, elle définit clairement les étapes successives de la négociation.

Sur le fond, nous savons donc de quoi la paix sera faite, ou pourrait l'être. Il n'en reste pas moins qu'aucun accord ne saurait aboutir sans la volonté politique pleinement assumée et exprimée par les deux parties. Nous savons que la paix ne se construira ni dans la violence, ni dans l'exclusion. L'esprit de responsabilité demeure la seule voie vers la paix, mais cette exigence-là appartiendra toujours, en dernier ressort, aux seuls Israéliens et aux seuls Palestiniens.

L'immense majorité d'entre eux n'aspirent d'ailleurs à rien d'autre qu'à vivre ensemble dans cette région du monde. Ils peuvent compter pour cela sur le soutien de la communauté internationale dont l'implication à ce jour ne s'est jamais démentie. C'est vrai tout particulièrement de la France et de l'Union européenne : toutes deux n'ont pas ménagé leurs efforts, depuis près de trente ans, pour favoriser les tentatives de réconciliation dans une région où elles sont fortement impliquées sur le plan politique mais aussi sur les plans économique et stratégique.

Mais au-delà de l'histoire récente, la situation actuelle présente de nouveaux défis, étant donné la victoire du Hamas aux élections législatives et la tentation unilatéraliste de certains en Israël, notamment depuis le désengagement de Gaza. Dans ce contexte difficile, la France et l'Union européenne ne sont pas démunies. Bien au contraire, leurs liens anciens avec la région font qu'elles disposent aujourd'hui d'une capacité de proposition et d'action spécifique. Ce sont ces marges de manoeuvre qu'il importe aujourd'hui d'utiliser et de mieux valoriser.

Je souhaite vous exposer plus en détail la situation actuelle et les initiatives que nous pouvons mettre en œuvre au service d'une sortie de crise. Permettez-moi néanmoins, au préalable, de vous rappeler les données de base qui expliquent la position spécifique de la France et de l'Union européenne sur ce conflit stratégique.

La France, et c'est le premier élément que je veux souligner devant vous, entretient des liens historiques et politiques étroits aussi bien avec les Israéliens qu'avec les Palestiniens. Sans doute le devons-nous, pour partie, au fait que notre pays est en Europe celui qui a la plus grande communauté juive ainsi que la plus forte communauté arabo-musulmane.

Il demeure que, concernant le conflit israélo-palestinien, notre position est claire et bien connue. Nous considérons que sa résolution est la clé de la stabilité au Proche-Orient et que cette résolution ne peut s'accomplir qu'à deux conditions : en garantissant le droit à la sécurité d'Israël, droit que nous devons toujours avoir à l'esprit, et en reconnaissant aux Palestiniens leur droit légitime à l'autodétermination.

Après la signature des accords d'Oslo, la France n'a jamais cessé d'œuvrer en faveur de la création d'un État palestinien viable et vivant en paix aux côtés d'Israël. C'est elle qui avait préconisé la création de cet État devant la Knesset dès 1982. Vingt ans plus tard, en juillet 2002, la France a aussi été à l'origine de l'adoption par le Conseil européen de Séville d'une déclaration qui reconnaît le droit des Palestiniens à édifier un État dans les frontières de 1967.

Par ailleurs, notre pays est attaché à une position légaliste sur ce conflit, et nous plaidons pour qu'il soit inscrit dans le cadre des résolutions pertinentes des Nations unies. En effet, les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale forment un véritable corpus politique et juridique qui permet de dégager les contours d'un règlement du conflit. Je pense tout d'abord aux résolutions de portée générale les plus importantes : la résolution 181 de l'Assemblée générale des Nations unies, adoptée en 1947, qui définit le « plan de partage » de la Palestine mandataire ; la résolution 242 du Conseil de sécurité, adoptée le 22 novembre 1967 à la suite de la guerre des six jours ; la résolution 1515 du Conseil de sécurité, adoptée le 19 novembre 2003, qui approuve la feuille de route du Quartet et demande aux parties de coopérer à sa mise en œuvre pour parvenir à un règlement définitif du conflit.

Au-delà de la France, l'Union européenne joue un rôle spécifique considérable à l'égard du conflit israélo-palestinien, étant donné l'importance de ses liens avec cette région du monde. L'Union européenne est en effet le premier partenaire commercial d'Israël, loin devant les États-Unis, et le premier investisseur en Israël. Sa contribution aux actions de coopération, essentiellement dans les Territoires palestiniens, est considérable. Sur le seul plan financier, l'Union est ainsi le premier contributeur avec 280 millions d'euros pour la seule année 2004.

Sur le plan politique, l'apport de l'Union européenne à la région est tout aussi remarquable, comme en témoignent la continuité et la cohérence de ses prises de position depuis la déclaration de Venise en 1980 jusqu'à celle de Berlin en 1999. Cette unité européenne n'a d'ailleurs pas été affaiblie avec l'élargissement de l'Europe, bien au contraire. La plupart des grandes initiatives marquantes de ces dernières années sont d'origine européenne. C'est aux Européens que l'on doit, pour l'essentiel, l'initiative d'instituer un Quartet et de mettre en œuvre la feuille de route. C'est l'Union qui a joué un rôle majeur au service des réformes palestiniennes et du bon déroulement des dernières élections dans les Territoires. C'est enfin l'Union qui réfléchit aujourd'hui à la mise en place d'un mécanisme d'aide internationale capable de porter assistance à la population palestinienne.

Aujourd'hui, l'Union européenne est guidée par deux objectifs d'égale importance : traduire dans la réalité des faits la création d'un État palestinien viable et démocratique ; assurer la sécurité d'Israël. Ces deux objectifs conduisent l'Union à souhaiter et promouvoir le développement de ses relations aussi bien avec Israël qu'avec l'autorité palestinienne et à fournir une aide humanitaire dans les Territoires palestiniens.

Sur le plan stratégique, enfin, les Européens ont développé des instruments spécifiques : le partenariat euro-méditerranéen lancé à Barcelone en 1995 ; la politique européenne de « nouveau voisinage », lancée dans le cadre de l'élargissement, qui a permis la conclusion d'accords d'association renforcés avec Israël en 2000 comme avec les Territoires palestiniens en 1997. Quant au « plan Solana », adopté par le Conseil européen du 5 novembre 2004, il prévoit des actions concrètes de l'Union dans quatre domaines : la sécurité, les réformes de l'Autorité palestinienne, les élections et la reconstruction économique.

Tout cela explique que l'Union ait apporté son soutien au bon déroulement des élections palestiniennes en 2005, ainsi qu'aux réformes engagées pour le renforcement de l'État de droit et au sein de l'administration. L'Union a aussi récemment déployé sur le terrain deux missions dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense, l'une de soutien à la réforme de la police civile palestinienne, l'autre d'assistance au contrôle de la frontière à Rafah.

L'ensemble de ces actions menées par la France, l'Union européenne et la communauté internationale ont permis de nouvelles avancées sur le terrain. En témoignent les accords d'Oslo ; les négociations de Camp David et de Taba, où la paix semblait si proche ; l'adoption, bien évidemment, de la feuille de route, qui reste à ce jour le seul plan de paix international reconnu par les deux parties ; enfin, à l'été 2005, le désengagement israélien de la bande de Gaza.

Mais aussi importantes soient-elles, ces avancées n'ont pas suffi, à ce jour, pour mener le processus de paix à son terme. Le conflit israélo-palestinien est de nouveau dans l'impasse après la victoire du Hamas aux élections législatives du 25 janvier et la formation d'un nouveau gouvernement palestinien, sans oublier la tentation de l'unilatéralisme qui apparaît aujourd'hui en Israël, notamment depuis le désengagement de la bande de Gaza.

Quels sont les enjeux et les perspectives de la situation actuelle ? Comment sortir de la crise ?

Le fait est que, cinq mois après la victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes, la situation actuelle est très préoccupante. La violence est devenue quasi-quotidienne. Dans les Territoires palestiniens, le gouvernement dirigé par le Hamas campe toujours sur une position de refus des principes du Quartet, à savoir la renonciation à la violence, la reconnaissance de l'État d'Israël et la reconnaissance des accords passés entre Israël et l'OLP.

Cette position d'intransigeance est regrettable. Elle est néfaste. Elle est pour partie la cause, sur le terrain, de nouvelles tensions interpalestiniennes qui menacent de déboucher sur l'atomisation de fait des Territoires et le délitement des institutions palestiniennes. Certes, un début de dialogue national a pu s'instaurer entre les différentes parties palestiniennes. Mais l'issue de ce dialogue en cours dans les Territoires reste totalement incertaine. Quant au projet de référendum proposé par le Président Mahmoud Abbas pour sortir de la crise, s'il peut enrayer cette évolution, il peut aussi, malheureusement, l'accélérer.

De son côté, Israël a marqué son souhait de donner sa chance à la négociation. Mais l'utilisation répétée de tirs d'artillerie lourde en direction de zones habitées, avec son cortège de victimes civiles palestiniennes, la poursuite de la colonisation, en particulier autour de Jérusalem, l'achèvement programmé de la barrière de sécurité sur un tracé jugé illégal par la communauté internationale continuent de nourrir, inéluctablement, les tensions sur le terrain.

Conséquence de cette double dérive : le manque de confiance entre les parties est aujourd'hui tel que l'hypothèse d'une négociation paraît problématique, du moins à court terme. L'unilatéralisme continue de progresser dans les esprits, en Israël comme du côté palestinien. Il s'agit là, mesdames et messieurs les députés, d'une position dangereuse, tant elle fait le lit de possibles violences futures, au Proche-Orient mais aussi en dehors, y compris sur le territoire européen.

Dans ce contexte aussi sensible que difficile, la communauté internationale a naturellement le devoir d'agir, en assumant une double responsabilité.

La première est d'enrayer l'effondrement de l'Autorité palestinienne et l'aggravation de la situation humanitaire dans les Territoires. Le Président de la République l'a clairement exprimé : l'aide internationale doit parvenir au peuple palestinien, pour des raisons non seulement humanitaires, mais aussi, tout simplement, de justice. Nous nous devions donc d'agir de manière urgente pour empêcher une crise grave dans les Territoires, d'autant plus que la communauté internationale, et non le Hamas, en aurait été jugée première responsable.

Comme je l'ai déjà indiqué, un mécanisme temporaire d'assistance a donc été défini par l'Union européenne, permettant à la communauté internationale de reprendre des financements nécessaires dans les Territoires. Ce mécanisme a recueilli l'agrément du Quartet et le Conseil européen des 15 et 16 juin a donné son accord au déblocage par l'Union d'un paquet financier d'une centaine de millions d'euros, montrant ainsi l'implication et la détermination des Européens. Ce paquet permettra de reverser aux Palestiniens trois types d'aides : des fournitures de base pour la santé et l'éducation, un approvisionnement en énergie, et enfin un « filet de protection sociale » pour les plus pauvres, sous la forme de paiements directs à des Palestiniens dans le besoin. Je me réjouis que l'Union européenne ait permis au Quartet de prendre cette décision, en particulier pour le paiement de fonctionnaires dans le domaine hospitalier, afin que les médecins, les infirmières et les aides-soignantes puissent soigner les Palestiniens.

La mise en place de ce mécanisme répond à des considérations à la fois stratégiques, économiques et morales. Si nous voulons relancer le processus de paix et promouvoir la création d'un État palestinien, les structures de l'Autorité palestinienne doivent être préservées. Nous devons aussi continuer de soutenir une population dépendante de l'assistance internationale. Enfin, il importe d'agir de manière à ne pas exacerber les tensions et afin de préserver les partisans d'une ligne modérée au sein de la population palestinienne.

Je tiens en revanche à le souligner : tout cela n'induit en aucune manière une inflexion de notre position politique vis-à-vis du Hamas et du gouvernement de l'Autorité palestinienne. Celui-ci doit et devra adhérer aux trois principes posés par le Quartet. Ces principes ne sont pas négociables.

Seconde responsabilité de la communauté internationale : favoriser une relance à la fois efficace et réaliste du processus de paix. Nous sommes aujourd'hui devant un double défi, constitué par l'absence totale de confiance entre les parties, mais aussi par la tentation unilatéraliste qui prévaut des deux côtés.

Dans ce contexte difficile, l'Union européenne détient pourtant une capacité d'action spécifique de par ses liens anciens dans la région. Elle doit aujourd'hui mieux les valoriser.

Cette marge de manœuvre suppose de maintenir une approche équilibrée et dynamique de la situation. L'Union doit redire clairement son refus du terrorisme. Elle doit également manifester son refus de tout unilatéralisme et souligner son attachement à la négociation comme seul mode de règlement de ce conflit. La visite du Premier ministre Ehud Olmert les 14 et 15 juin à Paris a été pour nous l'occasion de lui rappeler ces principes.

Naturellement, il n'existe pas de solution unique à la crise actuelle. Mais nous avons un impératif : ramener les parties autour de la table de négociation. L'organisation d'une conférence internationale sur le statut final des Territoires palestiniens pourrait être un moyen de relancer le dialogue. La France et l'Union européenne doivent être prêtes à promouvoir une telle initiative, qui offrirait un nouvel horizon politique aux Palestiniens et à Israël. Il faut en effet trouver une sortie à la crise actuelle, et nous entendons naturellement nous mobiliser à cette fin avec nos partenaires au sein de l'Union.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, aujourd'hui plus que jamais, notre pays a le devoir, avec l'Union européenne, de redoubler d'efforts pour faire avancer la stabilité et la paix au Proche-Orient. Il y va de notre responsabilité, et c'est la vocation même de notre pays d'aider à trouver le chemin de l'avenir dans cette région du monde, trop longtemps meurtrie par tant de violence et de haine. Il appartient à la France de ne pas baisser les bras et de faire vivre l'espoir face à ce qui reste, pour nous tous, le défi majeur de la vie internationale. À nous de faire entendre notre voix et celle de l'Europe ; à nous de tenir notre rang sur la scène internationale pour faire prévaloir les valeurs de dialogue et de respect que nous défendons en permanence et qui sont indispensables si nous voulons mettre fin à ce trop long conflit.

Imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-121366-7
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 3174 - Déclaration du Gouvernement sur la situation au Proche-Orient