Colloques de la délégation aux droits des femmes
et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes
(XIIe législature, 23 janvier 2004)
 

Présentation de la délégation - Composition de la délégation
Les rapports de la délégation déposés sous les XIe et XIIe législatures

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Colloques tenus par la délégation aux droits des femmes
(05 janvier 2006)


Actes du colloque organisé sous le haut patronage de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président de l'Assemblée nationale « L'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE  : UN COMBAT PERMANENT » le Jeudi 27 novembre 2003 et coprésidé par Mmes Marie-Jo ZIMMERMANN, Gisèle GAUTIER et Claudette BRUNET-LÉCHENAULT Présidentes des Délégations aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique et social

SOMMAIRE

Allocation d'ouverture de M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale

Première table ronde :

« L'égalité professionnelle : une chance pour les femmes
et les entreprises »

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann,

présidente de la Délégation aux droits des femmes
de l'Assemblée nationale

Intervenants :

Mme Catherine Génisson, députée

Mme Margaret Maruani, sociologue, directrice de recherche au CNRS

M. Jean-Pierre Philibert, directeur des relations avec les pouvoirs publics du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

Mme Gisèle Monrique, secrétaire confédérale de la Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO)

M. Roger Cayzelle, président du Conseil économique et social régional de Lorraine

M. Hervé Pichon, délégué pour les relations avec le Parlement du groupe PSA Peugeot Citroën

Mme Cristina Lunghi, présidente de l'association Arborus

Deuxième table ronde :

« L'égalité salariale  : un défi à relever »

Présidence de Mme Gisèle Gautier,

présidente de la Délégation aux droits des femmes du Sénat

Intervenants :

Mme Anne-Claire Taittinger, présidente du directoire du Groupe Taittinger, directrice générale de la Société du Louvre-Groupe du Louvre

M. Alain Mustière, président du Conseil économique et social régional des Pays de la Loire

Mme Catherine Sofer, professeur de sciences économiques à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne

Mme Marie-France Boutroue, conseillère à la Confédération générale du travail (CGT)

Mme Michelle David, présidente directrice générale de Aramis Communication Marketing

M. Jean-François Veysset, vice-président chargé des affaires sociales de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)

Mme Martine Marandel-Joly, présidente de l'association nationale des femmes chefs d'entreprises, présidente des Assedic de Paris

Troisième table ronde :

« Les femmes dans les lieux de décision »

Présidence de Mme Claudette Brunet-Léchenault,

présidente de la Délégation aux droits des femmes
du Conseil économique et social

Intervenants :

Mme Michèle Cotta, membre du Conseil économique et social

Mme Françoise Milewski, rapporteure du Comité de pilotage pour l'égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques, rédactrice en chef à l'OFCE

Mme Annie Thomas, secrétaire nationale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT)

Mme Marie-Françoise Leflon, déléguée nationale de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC)

Mme Marie-Claude Tjibaou, membre du Conseil économique et social

Mme Gabrielle Simon, secrétaire générale adjointe de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)

Allocution de clôture de Mme Claudette Brunet-Léchenault, présidente de la Délégation aux droits des femmes du Conseil économique et social

Annexe : Contribution écrite de Mme Jocelyne Bournat, responsable Ressources intérimaires, Direction régionale Centre ADECCO, « L'intégration des femmes issues de quartiers populaires »

*

* *

Conclusion de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale

ALLOCUTION D'OUVERTURE


M. Jean-Louis DEBRÉ,
Président de l'Assemblée nationale

Mesdames les Présidentes,

Mesdames les Parlementaires,

Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux d'accueillir et d'ouvrir aujourd'hui à l'Assemblée nationale ce colloque consacré à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

En l'intitulant « Égalité professionnelle : un combat permanent », vous avez souligné les difficultés de l'objectif et la nécessité de se mobiliser pour cette grande ambition.

Je voudrais saluer ici les trois présidentes des Délégations aux droits des femmes qui sont à l'origine de cette initiative et les en remercier :

Madame Marie-Jo Zimmermann, à l'Assemblée nationale ;

Madame Gisèle Gautier, au Sénat ;

Madame Claudette Brunet-Léchenault, au Conseil économique et social.

Je me réjouis de vous voir aujourd'hui mettre en commun vos réflexions et faire travailler ensemble les trois assemblées constitutionnelles de notre République, les deux délibératives, l'autre consultative, sur un thème de société éminent et qui reste, comme vos travaux ne manqueront pas de le rappeler tout à l'heure, d'importance et d'actualité.

Lorsqu'on parle d'égalité professionnelle, on pense d'abord à l'égalité juridique progressivement inscrite dans les droits nationaux et européens depuis les années soixante-dix.

Mais on mesure par contraste l'insuffisance de l'égalité réelle, dont on constate les limites dans notre société, dans la vie des entreprises, dans la vie des administrations ou dans le fonctionnement des institutions politiques.

Ce constat doit nous amener à réfléchir aux actions possibles pour parcourir le chemin restant. Et je me félicite à cet égard du colloque d'aujourd'hui.

Le droit de l'égalité professionnelle a évolué de manière substantielle au cours des trente dernières années, aussi bien dans notre pays qu'au niveau européen et international.

Dans tous les pays, la revendication de l'égalité professionnelle a émergé dans la foulée d'un mouvement historique : la montée de la participation des femmes à l'activité professionnelle rémunérée, c'est-à-dire extérieure à la cellule familiale. Aujourd'hui, dans les pays développés, environ deux femmes sur trois entre 16 et 65 ans travaillent effectivement ou cherchent un emploi.

Les principes et les règles de l'égalité ont été, au fur et à mesure, précisés et affirmés : ils sont désormais plus clairs, modernes, exigeants.

En France, trente ans après la première loi sur l'égalité salariale, vingt ans après la loi de 1983, que de chemin parcouru en termes législatifs et institutionnels !

Ces règles de droit s'appuient sur des institutions ministérielles ou administratives qui acquièrent permanence et expérience. Partant de modestes commencements avec un secrétariat à la Condition féminine, passant ensuite par l'affirmation des Droits des femmes, la structure gouvernementale actuelle comprend aujourd'hui une ministre déléguée à la Parité et à l'Égalité professionnelle.

Des institutions consultatives les entourent : Conseil supérieur de l'égalité professionnelle ; Observatoire de la parité, créé par le président de la République, Jacques Chirac, en 1995.

La lutte effective contre les discriminations professionnelles devrait prendre un nouvel élan lorsque sera mise en place la Haute Autorité contre la discrimination, appelée de ses v_ux par le Président de la République. L'étude en a été confiée à Monsieur Bernard Stasi, Médiateur de la République, qui fera connaître prochainement ses propositions.

Au plan européen, le principe d'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes a acquis, par son inscription même dans les traités qui nous lient, les directives qui le mettent en _uvre et la jurisprudence qui veille avec fermeté à son application, une force quasi constitutionnelle.

On brocarde souvent la timidité de l'Europe sociale, mais je crois qu'il serait injuste de ne pas reconnaître le travail accompli par les institutions européennes en la matière.

Ce n'est pas moins d'une dizaine de directives qui, de 1975 à 2002, ont progressivement relevé le niveau d'exigence dans la mise en _uvre du principe d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes pour l'accès à l'emploi, à la formation et aux carrières.

L'Organisation des Nations Unies, elle-même, a élaboré des conventions internationales pour faire avancer dans tous les pays la mise en _uvre du principe d'égalité et des droits des femmes.

Ces textes, précisés, complétés, amendés, perfectionnés, constituent un arsenal juridique très complet. Ils sont certes nécessaires et indispensables à la progression de l'égalité entre hommes et femmes. Cependant, l'effort n'est plus demandé aujourd'hui, me semble-t-il, au législateur, mais à la société elle-même.

Si des progrès ont été accomplis, la réalisation concrète de l'égalité professionnelle n'est en effet pas encore à la hauteur de l'ambition affichée.

Dans notre pays, les femmes représentent près de la moitié (46 %) de la main d'_uvre, mais elles sont loin d'y tenir le haut du pavé.

Elles occupent proportionnellement plus d'emplois précaires que les hommes.

Leurs métiers sont, en grande majorité, concentrés dans quelques secteurs des services, et dans des emplois souvent peu qualifiés.

Elles occupent proportionnellement plus d'emplois à temps partiel et pas toujours volontairement.

Certes, les femmes sont de plus en plus nombreuses parmi les cadres et les professions intellectuelles supérieures. Mais, leur part dans les emplois de direction est bien moindre. Seulement 3 % des grandes entreprises françaises sont dirigées par des femmes. Au fur et à mesure que l'on monte dans la pyramide hiérarchique, la proportion des femmes diminue. Je ne m'attarderai pas sur les pourcentages et les chiffres qui ont parfaitement été documentés par les excellents rapports que vous avez récemment publiés, Mesdames les Présidentes. Je voudrais mentionner aussi le rapport de Madame Michèle Cotta sur la place des femmes dans les lieux de décision ainsi que celui de Madame Catherine Génisson qui a abouti à la loi de 2001.

C'est l'image du « plafond de verre » que l'on ne voit pas mais qui existe bel et bien ; qui, certes, n'empêche pas d'entrevoir le ciel mais cependant, pour la plupart des femmes, empêche bel et bien de l'atteindre.

Les inégalités salariales persistent. L'écart moyen de rémunération en France entre les femmes et les hommes est environ de 25 %. Cet écart n'est pas propre à la France qui se situe dans la moyenne européenne. Cette différence s'explique d'abord par la distorsion de l'emploi féminin vers des emplois ou des secteurs moins qualifiés. Mais, néanmoins, lorsqu'on effectue des comparaisons à conditions d'emploi identiques, l'écart de salaire inexpliqué reste autour de 10 %.

Nous avons pourtant des raisons d'espérer un resserrement des écarts en termes d'emplois qualifiés, de postes de décision, de salaires plus élevés.

Depuis les années soixante-dix, les filles ont rattrapé les garçons pour l'obtention du baccalauréat, puis, un peu après, pour les diplômes universitaires. Mais, les filières qu'elles choisissent restent moins porteuses. L'Education nationale demeure pourtant un grand vecteur d'égalité et doit encourager les jeunes filles à poursuivre des études scientifiques qui conduisent aux postes de responsabilité dans les entreprises.

La création d'entreprises par des femmes a encore d'importantes marges de progression. C'est un double bénéfice que peut en tirer notre société : en premier lieu, en permettant à des femmes d'accéder directement à des postes de responsabilité économique, mais aussi en créant des emplois nouveaux dont on sait qu'ils proviennent d'abord du développement des petites et moyennes entreprises.

Dans la vie politique aussi, l'exigence de parité fait avancer les femmes : cela a été constaté lors des élections municipales, européennes, sénatoriales, à un degré moindre lors des élections des députés. On devrait voir ce mouvement se poursuivre aux élections départementales et régionales de 2004 en raison des nouvelles règles posées.

Mais dans le choix de l'activité, l'accès à l'emploi, la progression des carrières, une question-clé reste celle du rôle respectif des femmes et des hommes dans la société et notamment dans le partage des responsabilités familiales. 80 % des tâches domestiques reposent sur les femmes. Le temps disponible pour l'activité professionnelle est réduit d'autant.

Pour les hommes en revanche, l'investissement professionnel reste la priorité culturellement incontestée. C'est le contrat social implicite qui imprègne notre modèle économique et social.

La conciliation de l'activité professionnelle avec l'activité familiale devient donc un thème majeur, tant il est vrai qu'il ne faut pas restreindre les femmes au choix entre leur famille et leur carrière, mais leur ouvrir la possibilité d'avoir et leur famille et leur carrière.

Cette adaptation est un défi important pour l'avenir des entreprises.

Cette adaptation est également décisive pour la croissance économique de notre pays et son développement social.

Nous avons besoin d'encourager l'emploi féminin qualifié de haut niveau.

Il n'est plus à démontrer que le développement de l'activité des femmes, au cours des dernières années, est étroitement lié au développement de l'emploi global. Ce sont les pays où le taux d'activité féminine est le plus élevé qui ont le taux de chômage le plus bas. Le travail des femmes ne réduit pas l'activité des hommes, mais augmente le niveau d'activité globale, c'est-à-dire la richesse des pays qui leur accordent cette chance. Dans les pays de l'Europe du Nord où le taux d'activité féminine est plus élevé que chez nous, le taux de chômage est égal ou inférieur à 5 %, le revenu par habitant plus grand.

Vos trois tables rondes sur l'égalité professionnelle, l'égalité salariale, les femmes dans les postes de décision, vont permettre de débattre concrètement des voies et moyens de cette transformation indispensable.

Alors, on pourra envisager le jour où la réalité de la vie professionnelle rejoindra les principes fixés par le législateur, où les femmes n'auront plus à sacrifier l'accomplissement de leur carrière professionnelle et l'exercice des plus hautes fonctions à l'épanouissement de leur vie personnelle ou familiale. Ce jour-là, si Mme de Staël revenait parmi nous, elle ne pourrait plus affirmer, comme jadis, que « pour les femmes, la gloire ne saurait être que le deuil éclatant du bonheur ».

Je vous remercie et vous souhaite de fructueux débats.

Mme Marie-Jo ZIMMERMANN,
présidente de la Délégation aux droits des femmes
de l'Assemblée nationale

Monsieur le Président,

Je suis très sensible à l'intérêt que vous venez de manifester à l'égard de nos préoccupations et je tiens à vous remercier vivement de votre présence et de votre intervention. Voilà la raison pour laquelle je souhaitais que vous ouvriez ce colloque. Dans votre précédent mandat en tant que président du groupe, vous avez encouragé à voter les lois sur la parité et vous n'avez à aucun moment hésité lorsqu'il a fallu faire voter la réforme constitutionnelle. Aujourd'hui président de l'Assemblée nationale, vous êtes en permanence à nos côtés pour nous aider à faire avancer le dossier de l'égalité entre les hommes et les femmes.

Ce colloque « L'égalité professionnelle : un combat permanent », est le fruit d'une étroite collaboration entre les trois Délégations aux droits des femmes de nos trois assemblées et j'en remercie vivement Madame Gisèle Gautier, présidente de la Délégation aux droits des femmes du Sénat, qui présidera la table ronde sur « L'égalité salariale : un défi à relever » et Madame Claudette Brunet-Léchenault, présidente de la Délégation aux droits de femmes du Conseil économique et social qui présidera la table ronde sur « Les femmes dans les lieux de décision ».

La participation de cette dernière assemblée est essentielle. En effet, si les lois sont votées à l'Assemblée nationale et au Sénat, le Conseil économique et social a l'avantage de représenter l'éventail de la population et donc le vrai visage de la France d'aujourd'hui. J'ai également souhaité que des présidents de Conseils économiques et sociaux régionaux prennent part aux tables rondes, car l'égalité professionnelle ne doit pas être simplement abordée au niveau national. Il faut que l'ensemble des collectivités s'en imprègne et soit partie prenante de ce travail.

Cette manifestation a pour premier objectif de réunir autour du monde de l'entreprise et pour une réflexion commune sur l'égalité professionnelle des parlementaires, hommes et femmes des trois Délégations, des chefs d'entreprises, des responsables économiques en région, des représentants des partenaires sociaux, des témoins privilégiés de l'égalité professionnelle, et des associations. Il s'agit donc de la réunion du vivier économique et social français.

Notre deuxième objectif est de délivrer un message à l'adresse des politiques sur les difficultés que rencontre aujourd'hui la mise en _uvre de l'égalité professionnelle, trente ans après la loi sur l'égalité salariale, vingt ans après la « loi Roudy » et plus de deux ans après le vote par le Parlement de la loi du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle. Où en sommes-nous, qu'avons-nous fait ? S'il est nécessaire de dresser un état des lieux, l'ensemble des partenaires sociaux, des politiques, ont également un message à délivrer à l'intention non seulement des femmes, mais aussi de ceux qui prendront des décisions et auront la volonté de faire vivre l'égalité professionnelle.

Notre troisième objectif est de parvenir à dégager au terme de nos discussions un certain nombre d'orientations positives dans les domaines-clés où s'enracinent les inégalités. Ainsi, Madame Gisèle Gautier, présidente de la Délégation aux droits des femmes du Sénat, Madame Claudette Brunet-Léchenault, présidente de la Délégation aux droits des femmes du Conseil économique et social et moi-même avons souhaité que des exemples positifs se dégagent du colloque par le témoignage d'entreprises qui ont pris le sujet de l'égalité professionnelle à c_ur et le mènent à bien aujourd'hui. Ces exemples montreront que les réponses ne se trouvent pas seulement dans les textes législatifs, mais surtout dans la volonté collective de faire réussir l'égalité professionnelle.

Ce colloque constitue en fait l'aboutissement des réflexions et des travaux récents des trois Délégations sur le thème de l'égalité professionnelle.

Ainsi, Madame Gisèle Gautier, pour la Délégation du Sénat, a présenté, dans le cadre du rapport d'activité pour 2002, une étude exhaustive et approfondie sur le thème des inégalités salariales, s'attachant à mettre en évidence les obstacles à la réduction des écarts de salaire ainsi que des recommandations qui pourront être utilisées par l'ensemble des entreprises pour contribuer à l'égalité salariale.

S'agissant du Conseil économique et social, Madame Michèle Cotta - dont je me félicite de la participation à nos débats - est l'auteure d'un rapport sur la place des femmes dans les lieux de décision, non seulement dans la hiérarchie des entreprises, dans la haute fonction publique, mais aussi dans les organisations syndicales et professionnelles. Madame Claudette Brunet-Léchenault et les participants de la table ronde montreront que, certes, il y a encore des difficultés, mais que des avancées existent, ce qui doit encourager l'ensemble des femmes qui rencontrent aujourd'hui des difficultés.

La Délégation de l'Assemblée nationale a choisi comme thème d'étude le suivi de la loi du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, à partir d'un constat relativement sévère de la persistance de fortes inégalités professionnelles.

Les inégalités sont maintenant bien identifiées et analysées. Au-delà des écarts flagrants de rémunération de 25 % en moyenne, avec un écart résiduel de 10 à 11 %, qui constitue le noyau dur de la discrimination, le temps partiel, qui sera un des sujets d'étude de la Délégation l'année prochaine, les très bas salaires, le chômage des jeunes, touchent beaucoup plus les femmes que les hommes. Cette situation est tout à fait paradoxale, dans la mesure où nous assistons, depuis les années soixante, à une explosion de l'emploi féminin, qui représente aujourd'hui près de la moitié de la population active.

Aussi, la loi du 9 mai 2001 s'est-elle avérée nécessaire pour donner une nouvelle impulsion à l'égalité professionnelle. La Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale a suivi très concrètement l'application de ce texte. Pour cela, elle a entendu au printemps dernier les partenaires sociaux, mais également des experts, des politologues, des sociologues. Ces auditions particulièrement riches, dont le compte rendu figure en annexe de notre rapport, ont permis de mettre en lumière les avancées de l'égalité professionnelle dans certaines entreprises.

Une dynamique de la négociation se met progressivement en place, grâce notamment à la mobilisation syndicale, et des exemples positifs nous ont été donnés de négociations réengagées ou d'accords conclus dans les entreprises, dans les domaines les plus divers de l'égalité professionnelle : rattrapage salarial, mixité dans les métiers, aménagement d'horaires, politique volontariste de promotion des femmes... Je souhaitais que l'ensemble des personnes qui ont participé à ces auditions fassent partager leurs expériences, leurs espoirs, mais également leur message, celui de continuer ce mouvement dont s'imprègne l'ensemble de la société. Tous les acteurs doivent en être parties prenantes.

Par ailleurs, de nouvelles réflexions se font jour. La revendication de l'égalité professionnelle n'est plus seulement celle de l'égalité salariale. D'autres urgences apparaissent : agir en amont pour l'orientation des filles, élargir le choix des filières - les femmes ne sont malheureusement très souvent cantonnées que dans six filières professionnelles - et, dans le cours de leur carrière, veiller notamment à la formation professionnelle, à la promotion interne, aux conditions de retour à l'emploi, au respect des contraintes familiales et, s'agissant des femmes diplômées, lutter pour un meilleur accès aux responsabilités. Ces différents sujets, vécus dans les entreprises, sont d'autant plus importants que la place de la femme dans notre société est en cause.

La Délégation a estimé qu'il n'était pas nécessaire de légiférer à nouveau sur l'égalité professionnelle. Les instruments juridiques existent et sont suffisants. Il est néanmoins indispensable de veiller à la mise en _uvre progressive et effective de la loi, qui repose sur la volonté et l'engagement des partenaires sociaux. Pour cela, j'ai volontairement réuni des partenaires, qui ne sont pas forcément d'accord, mais qui souhaitent exprimer leur volonté de réussir l'égalité professionnelle. Ces derniers doivent être activement soutenus par les pouvoirs publics au niveau des régions et des départements, notamment par le réseau des déléguées aux droits des femmes, qui doivent affirmer leur présence sur le terrain en tant qu'actrices de l'égalité professionnelle.

Le suivi de la loi dans les entreprises sera le thème principal de la première table ronde.

Aujourd'hui, les négociations sur l'égalité professionnelle sont entrées dans un processus long, difficile, mais incontournable qui renvoie, au-delà des questions d'emploi et de conditions de travail, à la place des femmes dans la société. C'est toute la société qui doit se mobiliser, les acteurs économiques et sociaux, les associations, mais aussi les hommes et les femmes dans leur sphère individuelle.

Dans ce patient travail pour l'évolution des mentalités, l'Education nationale doit jouer un rôle dans l'orientation, ainsi que d'autres instances, comme l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes. Les médias doivent également contribuer à valoriser l'image de la femme.

Pour les années à venir, trois raisons jouent en faveur de la réussite de l'égalité professionnelle. 

En premier lieu, les besoins de l'entreprise en recrutements plus pointus et diversifiés, l'évolution démographique qui conduira au départ à la retraite des générations d'après-guerre devraient permettre un accroissement de l'activité féminine. Favorisée par une meilleure conciliation entre la vie familiale et professionnelle, l'activité des femmes pourrait alors rejoindre le haut niveau enregistré dans certains pays européens, comme les pays nordiques.

Deuxièmement, faire rentrer les femmes dans le monde du travail constitue une richesse pour le monde des entreprises, car elles apportent à la fois leurs compétences et leur complémentarité. « Ne pas recruter des femmes, c'est se priver de 50 % des talents et de 50 % de nouveaux marchés » écrivait notamment une jeune femme conseillère en mixité d'une grande institution européenne.

Enfin, une large prise de conscience s'est faite dans l'opinion ces dernières années, de la persistance d'une situation injuste des femmes au travail. Un climat plus ouvert à l'égalité professionnelle se dégage avec l'intervention des lois sur la parité en politique, l'engagement de la ministre délégué à la parité et à l'égalité professionnelle, l'ouverture de la négociation collective sur le sujet et la signature récente de l'accord sur l'accès des salariés à la formation professionnelle tout au long de la vie. A cela s'ajoute, lors d'une récente communication au Conseil des ministres de Madame Nicole Ameline, ministre chargée de la parité et de l'égalité professionnelle, l'engagement personnel du Président de la République pour mettre en évidence ce thème dans le débat politique. L'égalité professionnelle constitue aujourd'hui une nécessité pour la réussite de l'entreprise et de l'économie française.

Première table ronde :

« L'égalité professionnelle : une chance pour les femmes
et les entreprises »

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann,

présidente de la Délégation aux droits des femmes
de l'Assemblée nationale

Les trois tables rondes seront alternativement présidées par chacune des présidentes des trois Délégations aux droits des femmes. Je souhaite vivement qu'en plus des présentations des intervenants sur leur vécu dans les entreprises, un véritable débat s'engage qui puisse alimenter le rapport que nous présenterons officiellement à la presse au mois de janvier. Ce doit être une contribution supplémentaire à l'avancée de l'égalité professionnelle, qui permettra de montrer à nos ministres de tutelle, au-delà des actes de ce colloque, une volonté des trois Délégations de faire avancer cet objectif.

Dans cette première table ronde, j'ai souhaité la présence de Madame Catherine Génisson. Elle a remis en 1999 un rapport au Premier Ministre sur l'égalité professionnelle intitulé « Femmes-hommes : quelle égalité professionnelle ? ». Ce rapport est à l'origine d'une proposition de loi, devenue la loi du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, souvent désignée sous l'appellation de « loi Génisson ». Madame Catherine Génisson est la première à pouvoir dégager toute la portée de cette réforme, à en évaluer l'application dans les entreprises et à se prononcer sur le suivi réalisé par la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. Pour ma part, je ne suis pas favorable à une loi supplémentaire sur l'égalité professionnelle. Je préfère qu'en tant que parlementaires, nous voyions comment l'ensemble des partenaires sociaux vivent cette loi sur le terrain pour envisager comment la faire avancer ensemble.

La deuxième intervenante, Madame Margaret Maruani, sociologue, directrice de recherche au CNRS et fondatrice du groupement de recherche « Marché du travail et genres », retracera le contexte actuel d'inégalités persistantes malgré l'explosion du travail féminin. Elle a apporté à la Délégation une vision originale de l'égalité professionnelle, qui apporte beaucoup à la compréhension de la situation.

Monsieur Jean-Pierre Philibert, directeur des relations avec les pouvoirs publics du MEDEF exposera ensuite comment l'égalité professionnelle est actuellement mise en _uvre dans les entreprises, compte tenu de la législation existante, et présentera l'articulation avec la négociation entamée sur ce sujet avec les partenaires sociaux. Il exprimera sa volonté de faire travailler l'ensemble des chefs d'entreprises à cet objectif.

Madame Michèle Monrique, secrétaire confédérale de la CGT-FO, vice-présidente de la Délégation aux droits des femmes du Conseil économique et social et membre du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, évoquera notamment l'engagement syndical sur ce thème, élément indispensable de la réussite de l'égalité professionnelle.

Monsieur Roger Cayzelle, président du Conseil économique et social de la région Lorraine, interviendra ensuite. Originaire de cette région, je l'ai invité parce que l'an dernier, ce Conseil a organisé avec le Conseil régional de Lorraine et la délégation régionale aux droits des femmes un colloque sur l'égalité professionnelle. Le souci du Conseil économique et social consiste à assurer un suivi de ce travail dans une région fortement industrialisée, où la femme a joué un rôle important dans la vie économique.

Monsieur Hervé Pichon, délégué pour les relations avec le Parlement du groupe PSA Peugeot Citröen, exposera les grandes lignes de l'accord récemment conclu par ce groupe avec les partenaires sociaux sur la question de l'égalité professionnelle et le développement de l'emploi féminin dans une industrie automobile qui n'est pas forcément le lieu privilégié de l'activité féminine.

Enfin, Madame Cristina Lunghi, présidente de l'association Arborus, s'attachera à montrer comment la mise en oeuvre de la loi, malgré sa complexité, peut constituer un atout dans le management des entreprises. Elle est la marraine du label égalité professionnelle. Je souhaite lui rendre hommage à ce titre, car ce label constitue un élément majeur dans l'avancée de l'égalité professionnelle.

Je cède maintenant la parole à Madame Catherine Génisson.

Catherine GÉNISSON,

députée

Je vous remercie de m'avoir invitée à participer à ce débat et je précise d'emblée que la loi du 9 mai 2001 n'est pas la « loi Génisson », mais une loi de la République. C'est en tant que telle que nous souhaitons la voir appliquer. Je voudrais également remercier Madame la présidente d'avoir choisi en 2003 le thème de l'égalité professionnelle pour les travaux de la Délégation et pour 2004, celui du temps partiel, des bas salaires et des femmes au chômage, qui me semblent constituer des problèmes prioritaires.

Le président de l'Assemblée nationale a présenté un exposé remarquable sur la situation des femmes dans le monde professionnel. Il a mis en évidence, après vingt ans d'existence, les déboires de la « loi Roudy », pourtant fondatrice sur le sujet de l'égalité professionnelle, alors que nous avons connu la détermination de l'ancienne ministre à faire appliquer la loi, en mettant en place des déléguées régionales aux droits des femmes avec pour mission de travailler en particulier sur le sujet de l'égalité professionnelle.

Je mettrai en exergue quelques points, suite au rapport que j'avais rendu au Premier Ministre :

- l'entrée massive des femmes dans le monde du travail et leur participation à la richesse produite dans notre pays ;

- la place considérable des femmes dans la précarité, y compris pour celles qui travaillent, car 10 % d'entre elles vivent en dessous du seuil de pauvreté ;

- le temps partiel, qui concerne massivement les femmes puisqu'elles occupent 80 % de ces emplois (s'il a pu d'abord apparaître comme une bonne solution, nous avons constaté que cette forme d'activité était le plus souvent subie plutôt que choisie).

Le constat à propos du secteur privé est tout à fait superposable au monde des fonctions publiques. Si les différences salariales paraissent moindres parce qu'à fonction égale, les salaires sont égaux, il existe la même inégalité de revenus, essentiellement due à une différence de primes. Sur le sujet des promotions, des formations et des problèmes d'embauche, la situation est strictement la même.

Lorsque j'ai rendu mon rapport au Premier Ministre, j'ai indiqué qu'il était important de prendre des mesures de discrimination positive, compte tenu du niveau d'inégalités entre hommes et femmes dans ce domaine. J'ai également insisté sur la nécessité d'intégrer dans les politiques publiques le sujet de l'égalité professionnelle. Par ailleurs, ce thème ne concerne pas uniquement le lieu de travail. L'éducation des enfants, les études des filles et des garçons et l'orientation des filles demeurent des axes prioritaires de travail. De même, l'articulation des temps de vie, en particulier entre vie professionnelle et vie familiale, reste une question majeure. Il doit être étudié non seulement en fonction de l'accompagnement de la vie familiale pour les femmes, mais aussi de mesures qui incitent les hommes à participer à la prise en charge de la vie familiale.

La loi sur l'égalité professionnelle a été élaborée après une large concertation avec les partenaires sociaux, les associations féminines et féministes, les centres d'information des droits des femmes et les déléguées régionales aux droits des femmes. J'ai beaucoup travaillé avec les correspondants de terrain et le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle. Cette importante concertation en amont a permis de mettre en place un texte simple, de lecture et d'application faciles, afin de favoriser son appropriation par les personnes concernées. Le sujet de la place des femmes dans les lieux de décision n'a pas été abordé dans ce texte, bien qu'étant fondamental, car nous ne l'avions pas suffisamment travaillé avec les partenaires. Je ne sais pas si ces mesures relèvent de la voie législative ou non, mais la question sera probablement abordée lors du prochain projet de loi concernant la négociation sociale et la formation professionnelle continue.

Les partenaires sociaux ont fait preuve d'une très forte adhésion, malgré certaines réticences. Les organisations patronales, si elles étaient acquises à la défense de l'égalité professionnelle, ne souscrivaient pas forcément à l'idée de traiter ce sujet par un texte législatif. En outre, la législation sur le travail de nuit n'a pas recueilli l'adhésion de l'ensemble des partenaires sociaux. Elle a été abordée en deuxième lecture du texte et a conduit à de nombreuses discussions.

Le texte de loi substitue à l'incitation de négociations qui existait dans le texte de la « loi Roudy » l'obligation d'une négociation sous deux aspects :

- l'obligation d'une négociation spécifique sur le sujet de l'égalité professionnelle et une période de trois ans pour l'application des mesures définies dans ces négociations. Nous avons tout à fait conscience que traiter des problèmes de formation, de promotion, d'embauche ou d'aménagement de poste de travail requiert un temps nécessaire pour que les dispositifs puissent se concrétiser dans l'entreprise ;

- sur l'ensemble des négociations existantes, en particulier concernant les formations et les salaires, l'obligation d'intégrer le sujet de l'égalité professionnelle.

Il s'agit donc d'un dispositif à double entrée qui offre une traçabilité. L'obligation de négociation signifie que l'entreprise qui ne s'y conforme pas peut être sanctionnée par le délit d'entrave allant de l'amende à des peines d'emprisonnement. La contrainte est donc très lourde. Cette année, lorsque je suis intervenue sur le budget du travail à propos de l'égalité professionnelle, j'ai indiqué que ce sujet méritait autant de contrainte que celui des salaires, pour lequel l'obligation de négociation existe.

La mise en _uvre et la réussite de la négociation requérant une bonne connaissance de la situation respective des femmes et des hommes dans l'entreprise impliquait la nécessité d'un rapport sur le sujet. Nous en avons considérablement modifié l'élaboration, constatant que, depuis vingt ans, il avait été assez peu produit car la présentation attendue s'avérait très complexe. Par ailleurs, il ne donnait pas une vision dynamique de la situation des hommes et des femmes dans l'entreprise, mais plutôt une photographie. Nous avons donc souhaité inscrire la mise en place des critères pertinents définis par décret. Ces critères reposent essentiellement sur l'examen de données relatives à l'embauche, au salaire, à la formation et à la promotion. Ils permettent une analyse dynamique de la situation des femmes et des hommes dans l'entreprise et sont communs à l'ensemble des entreprises et des branches. Néanmoins, chaque entreprise ou chaque branche peut définir des critères pertinents en fonction de son fonctionnement propre.

Le dispositif repose donc sur une double entrée pour la négociation avec, en amont, des critères qui lui servent de base et en aval, un article de loi qui définit la possibilité pour l'Etat de soutenir les entreprises innovantes sur le sujet de l'égalité professionnelle. Il se concrétise par des aides destinées aux entreprises qui mettent en place des plans d'égalité ou des contrats de mixité concernant des aménagements de postes ou des questions individuelles des salariés. Il s'agit donc d'un dispositif à la fois simple et contraignant, en adéquation avec l'importance de la problématique de l'égalité professionnelle.

La législation en la matière me paraît suffisante. Il n'y a pas lieu de l'alourdir, mais il faut la rendre efficace. Vous avez indiqué qu'après deux ans de promulgation de la loi, les résultats n'étaient pas encore tangibles, alors que les partenaires sociaux se sont mobilisés sur ce sujet, qui a permis de relancer la négociation sociale dans l'entreprise. Un certain nombre d'organisations syndicales ont d'ailleurs fait paraître des fascicules afin d'expliciter l'utilisation de la loi. Cette situation s'explique par le fait que, le contexte étant particulièrement sévère, le rattrapage est difficilement réalisable en moins de trois ans, délai sur lequel les négociations doivent pouvoir se conduire à partir du moment où elles ont été établies.

Enfin, le sujet de la validation des acquis, qui a été introduit dans une autre loi, celle relative à la modernisation sociale, me paraît très important pour l'égalité professionnelle. Il n'est pas uniquement à l'attention des femmes, mais elles sont majoritairement concernées par ce dispositif. Il illustre la nécessité de l'intégration de l'égalité professionnelle dans l'ensemble des textes que nous sommes amenés à examiner.

Par ailleurs, dans la deuxième « loi Aubry » sur les 35 heures, nous avons essayé d'encadrer largement l'organisation et le recours au temps partiel dans la mesure où, si cette pratique a pu sembler constituer une organisation pertinente du mode de travail pour les femmes, elle s'est révélée le plus souvent subie. Nous avons également supprimé les exonérations de cotisations patronales spécifiques à la mise en place du temps partiel pour ne plus inciter les entreprises à y avoir trop souvent recours.

Je crois que ce texte de loi est simple et facilement applicable. Il bouleverse l'organisation de l'entreprise, où le sujet de l'égalité professionnelle n'a pas encore pleinement trouvé sa place. D'après les témoignages qui m'ont été rapportés, en particulier par les partenaires sociaux qui me font part de leur expérience, la question est néanmoins entrée dans le domaine commun des citoyens. Par provocation, j'aurais tendance à dire que le monde de l'entreprise semble s'être mieux imprégné de ce texte de loi que le monde politique du thème de la parité.

Margaret MARUANI,

sociologue, directrice de recherche au CNRS

Mon intervention portera sur le contexte de l'égalité professionnelle dans l'entreprise, c'est-à-dire sur la place des hommes et des femmes sur le marché du travail. Mon propos s'organisera autour d'une question simple en apparence : sur le marché du travail, où en est l'égalité entre hommes et femmes ?

La réponse est bien difficile à apporter tant les paradoxes, les contrastes et les contradictions sont forts. Depuis quarante ans, nous avons assisté en France, comme dans la plupart des pays européens, à une transformation sans précédent de la place des femmes dans le salariat, mais elle ne s'est pas accompagnée d'un déclin conséquent des inégalités. L'irruption de la crise de l'emploi et l'installation d'un chômage massif, durable, structurel, n'ont pas interrompu la progression de l'activité féminine entamée au début des années soixante. La féminisation du salariat se poursuit inexorablement, mais sans enclencher de véritable rupture avec les processus de production - et pas seulement de reproduction - des inégalités entre les sexes. Il est peu de domaines où une mutation sociale de telle ampleur s'est effectuée sur un fond d'inégalités aussi tenaces. Nous nous trouvons à un tournant de l'histoire de l'emploi féminin, faite de progressions évidentes mais aussi de régressions impertinentes, de mouvements et de vents contraires.

Dans l'inventaire des transformations de l'activité féminine, quatre éléments dominent : la tertiarisation, la salarisation, la continuité des trajectoires professionnelles des femmes et la réussite scolaire et universitaire des filles. En 2003, quatre femmes sur cinq travaillent dans le tertiaire, un peu plus d'un homme sur deux. Elles sont salariées à 92 %, contre 86 % pour les hommes. La grande majorité des femmes n'interrompt pas son activité à la venue d'un enfant. 80 % des femmes âgées entre 25 et 49 ans sont actives aujourd'hui en France. A l'école comme à l'université, dans tous les milieux sociaux, les filles réussissent mieux que les garçons. Tout semble donc en place pour que les traditionnelles inégalités entre emploi masculin et féminin s'effacent. Force est de constater que rien de tel ne se produit.

Une comparaison terme à terme des différents indicateurs de l'inégalité met en évidence une modeste évolution depuis les années soixante. Les écarts de salaires se sont quelque peu réduits. Quelques professions se sont féminisées sans se dévaloriser. Certaines femmes peuvent avoir des carrières moins stagnantes. Mais, par rapport aux progrès réalisés en matière de formation et de qualification, au regard de la continuité des trajectoires professionnelles, l'écart entre le capital humain des femmes et leur situation sur le marché du travail est aujourd'hui plus injuste qu'hier. Les femmes sont globalement plus instruites que les hommes, mais notablement moins payées. Elles sont toujours concentrées dans un petit nombre de professions féminisées, plus nombreuses dans le chômage et le sous-emploi.

Avec le développement du travail à temps partiel, de nombreuses femmes se retrouvent en sous-emploi, c'est-à-dire qu'elles travaillent moins qu'elles ne le voudraient. Au fil des ans, dans l'ensemble des pays européens, le travail à temps partiel s'est imposé comme la figure emblématique de la division sexuelle du marché du travail. En France, il est également devenu le moteur de la pauvreté laborieuse. 80 % des salariés pauvres, c'est-à-dire qui travaillent pour un salaire inférieur au SMIC, sont des femmes. Néanmoins, sur cette question, le silence et l'absence de débat social laissent perplexe. La pauvreté laborieuse serait-elle trop féminisée pour être choquante ?

Nous retrouvons la même prépondérance féminine et le même silence sur le chômage. Les années qui ont vu se développer la féminisation de la population active sont aussi celles qui ont connu l'essor d'un surchômage féminin, solidement incrusté dans le paysage social. Cette situation n'est pas spécifique à la France. Dans l'Europe des Quinze en 2002, le taux de chômage global s'établit à 7,7 % alors qu'il est de 6,9 % pour les hommes et de 8,7 % pour les femmes. En France, selon les données de l'enquête emploi de la même année, le taux de chômage global est de 8,9 %. Décomposé selon le sexe, il s'étage entre 7,9 % pour les hommes et 10,1 % pour les femmes. Ventilé selon la catégorie socioprofessionnelle, il va de 4 % chez les cadres supérieurs à 11 % chez les employées et 16 % chez les ouvrières.

Chez les jeunes qui sont le plus durement frappés par le chômage, les différences sont considérables. Le taux de chômage des moins de 25 ans est de 20 % pour l'ensemble, mais de 18 % pour les jeunes hommes et de 23 % pour les jeunes femmes. Ces chiffres sont particulièrement incompréhensibles lorsque l'on sait que le niveau de diplômes des filles est plus élevé que celui des garçons et que, chez les moins de 25 ans, l'effet famille ne joue absolument pas. Le surchômage féminin est donc inscrit dans les statistiques de l'emploi à la manière d'une constante structurelle, mais il ne fait l'objet d'aucune attention particulière. Il est quasiment absent du débat politique et social sur l'emploi. Cette invisibilité laisse également perplexe. Ne s'agit-il pas d'une forme de tolérance sociale au chômage des femmes ?

Dans le domaine économique, la parité existe quantitativement au moins. Les femmes représentent désormais près de la moitié du monde du travail : elles sont 46 % de la population active en France, 43 % dans l'ensemble de l'Union européenne. Dans le monde du travail, la parité existe, mais elle ne rime pas avec égalité.

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

Je souhaiterais maintenant que Monsieur Jean-Pierre Philibert rassure l'auditoire en exprimant sa volonté de réussir l'égalité professionnelle dans les entreprises.

Jean-Pierre PHILIBERT

directeur des relations avec les pouvoirs publics du MEDEF

J'ai décidé de ne pas lire l'intervention un peu formelle que j'avais préparée pour vous faire part d'un certain nombre de certitudes, mais aussi d'incertitudes et de doutes que le MEDEF peut éprouver, ainsi que de notre forte volonté d'aboutir avec les partenaires sociaux. Je vous donnerai également notre calendrier de route et notre ordre de marche.

En recevant votre invitation, je me suis demandé si, depuis vingt ans, nous ne nous étions pas trompés sur le discours de la méthode. Après trois lois en vingt ans, vous organisez un nouveau colloque sur le principe de l'égalité professionnelle. Cette situation pourrait me conduire à m'interroger et à vous faire part de mes doutes quant au rôle de la loi. Le MEDEF, la CGPME et l'UPA sont souvent considérés comme les tenants du contrat, qui serait paré de toutes les vertus par rapport à la loi à l'origine de toutes les contraintes. Je soulignerai au contraire combien la loi est essentielle pour devancer l'évolution des esprits et marquer les évolutions des m_urs et des mentalités. Mais elle a également la difficulté d'être générale et universelle - c'est d'ailleurs son objet -, alors qu'une grande partie de nos problèmes relèvent de particularités sur le terrain. Les Anglais disent toujours que le diable est dans les détails. C'est en effet au moment de l'application concrète dans les entreprises, dans les branches professionnelles que, parfois, le texte de la loi revêt le caractère d'inadaptation que lui confèrent sa généralité et son universalité.

Toutes les lois ont eu leur utilité, mais aussi leurs limites. La loi du 9 mai 2001 a en effet entraîné une révolution des esprits en engageant les partenaires sociaux à négocier en matière d'égalité professionnelle. Cet objectif n'est pas en soi critiquable. Néanmoins, dans le détail, cette loi a imposé des indicateurs, qui doivent être renseignés pour établir le rapport de situation comparée. Cela nous paraît absurde dans la mesure où, dans les branches professionnelles et dans les entreprises, les méthodes et les indicateurs ne sont pas les mêmes. Ce caractère général nous paraît régressif, car contraint. La loi est toujours un fait majoritaire. S'il existe des textes de consensus, ils sont rares. Très souvent, une loi est adoptée parce qu'une majorité décide de la voter contre une minorité. Toutefois, un accord social ne peut jamais être contraint. Il suppose toujours à un moment donné qu'une majorité de partenaires décide de signer un texte, parce qu'ils y voient des avancées significatives. En ce sens, si la loi doit fixer quelques grands principes sur lesquels nous ne sommes pas hostiles, nous considérons que c'est par la négociation sociale avec les partenaires sociaux que nous pouvons faire avancer les choses.

La situation a-t-elle vraiment connu des évolutions positives ? L'accord national interprofessionnel de 1989 a généré 155 accords d'entreprises ou de branches, notamment dans les branches les plus importantes. Il existe une volonté très forte en faveur du processus de négociation, à un moment où les partenaires sociaux sont particulièrement respectés. Nous venons de le démontrer dans les dernières semaines, en faisant preuve de notre capacité à dépasser les clivages traditionnels pour faire aboutir des projets importants. Je regrette le langage dit du « social » qui reste très clairement marqué par un vocabulaire de combat, dans lequel la référence à la lutte ou à la défense des acquis est omniprésente, alors que nous avons la chance d'avoir des organisations représentatives du patronat et des salariés engagés dans le processus historique de négociation et de refondation. J'ai le sentiment qu'il y a quelques décennies, les organisations patronales ne témoignaient pas forcément de la volonté de reconnaître l'importance du principe de l'égalité professionnelle et de le régler. Aujourd'hui, vous avez cette chance historique et politique de bénéficier d'un engagement des partenaires sociaux dans cette action. Nous en mesurons évidemment les limites. Il faut maintenant passer des grands principes d'équité à leur réalisation pratique.

Nul ne conteste qu'il existe deux catégories de temps partiel, l'un choisi qu'il ne faut pas négliger, car un certain nombre de femmes décident de s'y engager pour des raisons parfaitement honorables, l'autre imposé dans certaines branches professionnelles. Cet exemple montre clairement la difficulté de traiter par la loi d'une façon générale un problème complexe, qui doit relever de la négociation dans les branches professionnelles.

Nous avons réuni avec les partenaires sociaux et lancé ce nouvel épisode de la refondation sociale. Nous avons réuni trois groupes de travail dont l'intitulé montre bien, loin des grands principes, l'ancrage dans la pratique qui nous paraît fondamental pour corriger les dysfonctionnements. Le premier groupe travaille sur les problèmes de l'orientation professionnelle, l'évolution des métiers, la formation professionnelle, la mixité et les pénuries de main d'_uvre. Le deuxième porte sur l'accès aux postes de responsabilité, l'égalité salariale et l'organisation du travail. Le dernier aborde le partenariat avec les pouvoirs publics pour valoriser ces notions de mixité et d'égalité professionnelle entre hommes et femmes. Nous allons nous rencontrer à nouveau début janvier. Le calendrier est donc extrêmement rapproché. Notre volonté d'aboutir est tout aussi grande sur ce sujet que sur la formation professionnelle et les retraites complémentaires, qui concernent les deux derniers accords que nous avons signés avec une large majorité des partenaires sociaux et, pour l'un, l'ensemble des partenaires. La négociation sur l'égalité professionnelle sera difficile, car elle nécessite d'entrer dans le détail. Aujourd'hui, les partenaires sociaux ont à c_ur de dépasser les grands principes généreux d'équité sur lesquels tout le monde s'accorde pour aller vers des mesures concrètes.

Vous disiez tout à l'heure que l'égalité sera acquise le jour où elle constituera une réalité dans les instances de gouvernance. Or, le directoire du MEDEF, qui désigne le collège des directeurs dirigeant l'organisation patronale, est pour la première fois constitué d'une majorité de femmes. Les deux derniers postes pourvus ont été attribués à des femmes, non pas en vertu de leur qualité de femme, mais parce qu'elles étaient les plus compétentes dans la fonction. Je n'ai pas le sentiment que le directoire du MEDEF soit pour autant moins efficace, ni moins déterminé, au contraire. Même sans la loi, nous sommes en marche et nous ne nous arrêterons pas. Je vous ai fait part de la volonté de notre mouvement et de notre détermination. Nous espérons que cet exemple pourra être suivi par beaucoup d'autres au sein des entreprises que nous représentons.

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

Je note votre volonté de négocier et j'en suis très satisfaite, mais je tiens à m'assurer que vous ne souhaitez pas de nouvelle loi.

Monsieur Jean-Pierre PHILIBERT

J'ai été trop longtemps législateur pour ne pas reconnaître la nécessité de la loi, ne serait-ce que parce que l'accord peut poser un certain nombre de règles qui ont besoin d'une validation législative. La loi est garante de la régulation, de la généralisation d'un certain nombre de principes essentiels. Cependant, nous ne voulons pas que la loi entre dans le détail des obligations imposées à chaque branche professionnelle et à chaque entreprise. Néanmoins, si nous avons besoin de la loi et si vous considérez qu'il est de votre devoir de légiférer pour conférer aux accords soit force obligatoire dans certains domaines, soit la généralisation nécessaire, je ne m'y oppose pas. Simplement, nous n'entrons pas en négociation en souhaitant une loi, de la même façon que vous ne devez pas considérer que le processus législatif est susceptible de régler tous les problèmes.

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

Vous négociez donc à partir de la loi existante et n'en souhaitez pas une autre ; j'en suis très satisfaite.

Madame Michèle Monrique va maintenant prendre la parole.

Michèle MONRIQUE

secrétaire confédérale de la CGT-FO

Je souhaiterais d'abord rappeler à Monsieur Jean-Pierre Philibert que, bien que 155 accords aient été conclus, nous aurions dû en réaliser cent fois plus. Par ailleurs, les termes de lutte, de défense des acquis et de combat permanent figurent dans le dictionnaire et sont approuvés par l'Académie française. Je suis également attachée aux verbes revendiquer, négocier et contracter, qui définissent le rôle des partenaires sociaux. Je souhaite en particulier que nous arrivions à négocier et contracter dans le cadre de l'égalité professionnelle.

Je voudrais vous remercier, Madame la présidente, pour ce colloque et souligner l'intelligence des femmes politiques dans notre pays, qui, quel que soit le clivage, savent se rassembler pour faire avancer de manière concrète l'égalité professionnelle. Je soulignerai également que les termes de parité, d'égalité et d'équité n'ont pas la même signification et que nous devons être attentifs aux différences sémantiques.

Le Président de l'Assemblée nationale a souligné le chemin parcouru en termes législatifs. Néanmoins, en matière de résultat, nous avons des soucis à nous faire. Je souhaite que nous n'en restions pas à des formules incantatoires car, malgré la volonté des différents ministres de légiférer et de faire prendre conscience de ces réalités, nous avons encore un travail conséquent à fournir. La réalisation de l'égalité n'est pas à la hauteur de nos espérances, ni des objectifs que nos prédécesseurs se sont fixés. Bien sur, des lois existent dont nous pouvons nous servir. Concernant la loi du 9 mai 2001, je faisais partie de celles qui se sont opposées à l'extension du travail de nuit dans l'industrie. Néanmoins, cette loi présente des outils opérants, en particulier les indicateurs pertinents. Il faut nous en saisir pour faire de cette égalité une réalité. L'égalité professionnelle est un combat primordial pour l'entreprise et ses salariés, pour les femmes, pour les hommes, mais aussi pour l'économie du pays. C'est un défi lancé aux organisations syndicales.

A Force ouvrière, le secteur dont j'ai la charge s'intitule « EGALITE », j'ai toujours pensé qu'il n'était pas nécessaire de « saucissonner » les différentes catégories (hommes, femmes, jeunes, etc.) mais plutôt de les rassembler à travers et au moyen de l'EGALITE. Il s'agit d'un enjeu social fondamental de notre époque, au même titre que le plein emploi, l'augmentation des salaires et la revendication d'une protection élevée pour tous, salariés et retraités. C'est un chantier de longue haleine qui constitue pour nous un dossier incontournable pour l'avenir. Nous considérons l'égalité sociale et professionnelle comme un idéal incontournable. Soyons donc à la hauteur de nos ambitions et faisons en sorte de pouvoir faire avancer la machine pour l'ensemble des salariés.

L'égalité est une chance, à condition que l'égalité de traitement soit réellement appliquée et respectée et que l'accès à la mixité de l'emploi, de la valorisation des qualifications, de rémunération, d'accès à la formation et aux postes de responsabilité soient effectifs. L'égalité professionnelle doit avoir pour corollaire l'égalité salariale. J'insiste sur la mixité qui implique une volonté politique globale et ne doit pas constituer une réponse conjoncturelle à des pénuries de main d'_uvre, comme nous le voyons avec l'exemple du temps partiel si souvent utilisé comme variable d'ajustement. Dans certains secteurs d'activité et bassins d'emploi parfois pauvres, les personnes sont contraintes de se tourner vers ces emplois précaires. Ce sont des « cataplasmes sur des jambes de bois » car les difficultés deviennent alors exponentielles.

Les femmes constituent 80% des salariés pauvres connaissant des difficultés d'existence qui se répercuteront évidemment sur leurs retraites futures. Je me souviens d'un colloque à l'Assemblée nationale auquel participaient certaines femmes ici présentes, au cours duquel une jeune femme s'est levée dans la salle pour dire qu'elle était obligée de travailler car un seul salaire ne suffit pas à nourrir une famille. Il faut donc sortir de ce carcan, dans lequel nous nous sommes installés depuis quelques années. Le salaire des femmes ne peut être considéré comme un salaire d'appoint. L'égalité professionnelle s'entend dans une perspective de progrès des conditions de travail pour l'ensemble des salariés. Faire en sorte qu'une partie très fragilisée de salariés sorte de sa situation de précarité représente un progrès pour l'ensemble des salariés, hommes et femmes. Nous aboutirons ainsi à la conquête de nouveaux droits et d'une égalité sociale permanente. C'est une spirale qui entraîne tout le monde vers le haut au lieu de tirer tout le monde vers le bas, comme cela se produit depuis quelques années.

Promouvoir et mettre en _uvre l'égalité professionnelle implique de repenser le lien au travail dans une optique de réalisation individuelle et collective et de définir un cadre d'épanouissement et non d'asservissement en conjuguant la vie professionnelle et la vie personnelle qui ne comprend pas seulement la vie privée et familiale, mais aussi les activités extra-professionnelles.

Enfin, c'est une chance pour l'ensemble de la société, parce que l'égalité professionnelle répond à l'exigence de démocratie, elle participe à l'évolution des mentalités. C'est vrai que depuis quelques années, il est plus facile de parler d'égalité professionnelle. Il y a une dizaine d'années, nos camarades masculins n'étaient guère sensibilisés, ni prêts à aborder ce problème. Nous l'avons constaté, à l'heure où certaines femmes défendaient des lois très importantes à l'Assemblée nationale.

L'égalité professionnelle contribue également à la croissance économique. L'accès des femmes à l'emploi entraîne réduction du chômage et production de richesses. Elle contribue à la solidarité nationale, car plus on compte de salariés à plein temps avec un vrai salaire, plus ceux-ci participent au financement de la protection sociale dans une meilleure utilisation des potentiels humains.

Je voudrais insister sur la nécessité de construire ensemble l'égalité professionnelle et particulièrement sur la dernière loi du 9 mai 2001. En ce qui concerne les indicateurs pertinents, je ne partage pas l'avis de Monsieur Jean-Pierre Philibert. Même si j'ai exprimé mon désaccord sur certains points, les ministres ont consulté les partenaires pour définir ces critères. Force Ouvrière a été très ferme sur les indicateurs pertinents. Je suppose que le MEDEF a également participé à la définition de ces critères. Un travail de fond a été réalisé pour permettre une appropriation de la loi du 9 mai 2001 et en dégager l'essence. La confédération a réuni l'ensemble des délégués syndicaux pour élaborer un outil d'analyse que nous avons adressé aux responsables politiques, pour que l'intérêt de ces indicateurs pertinents soit bien compris sur le terrain. Cet outil est simple et facilement applicable. C'est pour nous un instrument important, dont l'objectif est d'apporter des données chiffrées et sexuées qui permettent dans un premier temps de croiser l'ensemble des données. L'analyse croisée rend possible la mise en évidence des liens existants entre les différents facteurs générant des situations discriminantes et d'inégalités entre hommes et femmes.

La remise des indicateurs pertinents sous la forme d'un rapport spécifique sur la situation comparée des hommes et des femmes constitue un préalable indispensable pour établir un diagnostic en matière d'égalité professionnelle. Je suis particulièrement attachée à ces indicateurs et à ce rapport de situation comparée, car ils rendent possible le rétablissement de l'égalité de traitement par la négociation. Cette obligation d'afficher permet aussi d'informer les salariés de l'entreprise de ce qui se passe en matière de formation, d'avancement, d'accession aux postes de responsabilité, sur l'ensemble de la vie de l'entreprise. Les salariés peuvent ainsi constater les différences, et où et comment elles se situent. Cela permet de clarifier les choses et de sortir du simple rappel de principe.

Le fait que de plus nombreux acteurs soient aujourd'hui parties prenantes des débats et des négociations sur l'égalité professionnelle, notamment les comités d'entreprise par le biais de la commission spécialisée obligatoire sur l'égalité professionnelle dans les entreprises de plus de 200 salariés, mais aussi des acteurs publics tels que l'inspection du travail, les directions départementales et régionales de l'emploi, les collectivités territoriales, fait apparaître la nécessité de l'importance des moyens matériels et humains pour le suivi du principe d'égalité professionnelle. J'ai une pensée particulière pour les PME-PMI et les TPE dans lesquelles se trouvent des femmes et pour lesquelles le respect de l'égalité est directement dépendant des pouvoirs publics, en l'absence d'institutions représentatives de personnels, voire de représentations syndicales.

Je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner ma volonté et celle de Force Ouvrière de faire vivre l'égalité professionnelle.

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

Soyez assurée que nous partageons la même force, parce que j'ai en particulier la volonté que les entreprises soient respectueuses des indicateurs pertinents. Je crois qu'ils sont faciles à comprendre et à mettre en équation. Aujourd'hui, ils constituent cette base sur laquelle nous devons nous appuyer pour réussir l'égalité professionnelle.

Roger CAYZELLE

président du Conseil économique et social régional de Lorraine

Je vais vous livrer quelques éléments non pas conceptuels mais de témoignage pour vous présenter comment l'égalité professionnelle se traduit concrètement dans notre région et quelle est la perception que peut avoir un Conseil économique et social régional sur ce combat permanent. Je préciserai que nous comptons actuellement 35 femmes au CESR sur 92 membres, alors que nous n'en dénombrions que six il y a deux ans. Cette situation change totalement notre perception et explique en partie que nous travaillons beaucoup sur les questions d'égalité professionnelle.

J'évoquerai d'abord trois éléments pour présenter rapidement le contexte lorrain. Premièrement, nous connaissons le même type d'évolution que dans le reste du pays, à savoir une progression rapide et ininterrompue de la présence des femmes sur le marché du travail et un effritement du taux d'activité des hommes qui n'est pas sans poser problème. En effet, dans les bassins miniers ou sidérurgiques, le fait que les hommes partent à 50 ans en préretraite est également difficile à traiter, mais il ne nous concerne pas aujourd'hui.

Deuxièmement, la poussée quantitative du travail féminin s'effectue dans des conditions de très grandes inégalités. Nous avons réalisé à partir de deux accidents industriels récents une étude qui a été retravaillée sur deux autres bassins d'emplois. Si la Lorraine connaît une bonne reconversion et présente une économie diversifiée, comme d'autres régions, elle doit également faire face à un certain nombre de plans sociaux sur des bassins en difficulté. Ces accidents industriels permettent de mettre en lumière un certain nombre d'inégalités extrêmement importantes et néanmoins parfaitement tolérées. En effet, sur 100 personnes licenciées, 70 femmes sont concernées pour 30 hommes, car contrairement aux idées reçues, les entreprises du textile et de la chaussure concentrent de nombreux emplois féminins. Sur ces 30 hommes, 20 retrouvent du travail, ou au moins une solution provisoire sous la forme d'un contrat à durée déterminée. Sur les 70 femmes, seules 20 retrouvent du travail. Nous l'avons constaté à Bata ainsi que dans le textile où il existe pourtant une cellule de reconversion importante. Restent donc sur le carreau 50 femmes et seulement 10 hommes. Ces mécaniques souvent inconscientes, y compris dans les cellules de reclassement, reposent sur l'idée que pour l'homme, il est impératif de trouver une solution, alors que la femme aura toujours la possibilité du retour à la maison. Ce phénomène est extrêmement inquiétant et mérite toute notre attention, parce qu'il produit progressivement par décantation un phénomène d'exclusion. Il se traduit d'ailleurs très simplement par des reportages télévisuels dans un certain nombre de régions, où une femme vient témoigner à la suite d'un licenciement, déclarant qu'elle ne sait rien faire d'autre et que, par désespoir, elle va retourner à la maison. Il est impératif d'inverser cette mécanique. Nous allons d'ailleurs travailler avec l'INSEE et la région Lorraine sur les phénomènes de précarisation des femmes dans de tels cas.

Troisièmement, l'arrivée de femmes sur le marché du travail constitue un véritable enjeu territorial pour notre région et notre pays. La Lorraine se trouve dans une situation spécifique, car elle va être la seule région de France à perdre des habitants d'ici à une dizaine d'années. Pour compenser cette difficulté, elle peut compter sur des leviers traditionnels tels que ses infrastructures, son image, sa position géographique ou l'élévation des qualifications des hommes et des femmes. Toutefois, l'amélioration du taux d'activité féminine est aujourd'hui devenue pour notre région un enjeu central, qui n'est globalement pas perçu par la classe politique, ce qui est tout à fait étonnant. Cette question n'apparaît pas lors des campagnes électorales, alors que nous nous trouvons dans une situation connue et vouée à s'amplifier davantage, que les organisations patronales appellent des pénuries d'emploi et les syndicalistes des difficultés de recrutement Tous les jours en Lorraine, 10 000 postes de travail ne sont pas pourvus. Si cette situation suscite des interrogations, la solution de l'activité féminine est rarement envisagée. Certaines initiatives sont néanmoins lancées, comme l'opération « Défi », qui travaille sur une meilleure adéquation des emplois, notamment industriels.

Le sujet des inégalités entre hommes et femmes et de l'activité féminine comme enjeu économique et non pas simplement culturel n'étant pas traité par les élus, il n'est pas non plus suffisamment pris en charge par les partenaires sociaux. Des volontés fortes et sincères ont été exprimées par les représentants du MEDEF et de FO. La question est de savoir ce qui se passe sur le terrain et si nous sommes capables d'immerger en profondeur. C'est pourquoi je me méfie de l'exemplarité. Ayant été responsable syndical pendant dix ans, j'ai travaillé pendant des années à citer en modèle la même entreprise qui travaillait sur la mixité et l'égalité professionnelle sans beaucoup de succès, suscitant plutôt un effet de lassitude à la longue. La vraie question n'est pas celle de l'exemplarité, même s'il est important de voir les initiatives mises en place dans des entreprises comme Citroën. Il est nécessaire d'amorcer un mouvement véritable pour avancer.

Le Conseil économique et social régional a créé une cellule de veille qui relance le sujet de l'égalité professionnelle tous les trois mois, en rappelant que le travail féminin entraîne l'activité masculine et infléchit le chômage global. Dans les vallées sidérurgiques, cette idée n'est pas du tout perçue. Comme aucun effort spécifique n'a été réalisé pour intégrer les femmes sur le marché du travail, nous nous trouvons face à un phénomène descendant selon lequel les hommes ne travaillent pas et les femmes non plus. L'inversion de cette mécanique passe par l'emploi féminin, d'autant plus que nous connaissons des difficultés de recrutement. Si cette idée n'est pas portée par les élus, elle ne sera pas entendue sur le terrain, quel que soit le travail des partenaires sociaux. Lors des campagnes électorales municipales, la question de l'emploi féminin a été posée en termes sociaux, par le biais de la construction de crèches, mais pas en termes économiques. Il s'agit pourtant d'un sujet important pour les élections régionales, notamment en termes démographiques dans la mesure où plus les femmes travaillent, plus elles ont des enfants. L'exemple de la Sarre est à ce titre éclairant, car elle fait partie des régions d'Europe où les femmes travaillent le moins. Pour combler le déficit en main d'_uvre, elle fait venir 30 000 travailleurs français au lieu d'inciter les femmes à occuper ces emplois.

Pour progresser dans l'égalité professionnelle, nous devons sortir des bonnes intentions. Tout le monde s'accorde aujourd'hui sur ce thème. La question est de savoir comment en faire un élément de dynamique économique et pas seulement un enjeu moral. Cela est difficile dans les entreprises où, souvent, dirigeants et militants syndicaux sont des hommes. Si les partenaires sociaux ne sont pas poussés par un climat général, cette question est rarement abordée, d'autant plus que les hommes craignent pour leur emploi. Ce problème doit donc être plus largement posé. Le débat est éminemment politique, au sens noble du terme. Il doit être porté par les élus, les partenaires sociaux et les Conseils économiques et sociaux, comme un combat permanent, parce que l'avenir de notre pays et des régions dépend de la réponse qui lui sera apportée.

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

Je remercie Monsieur Roger Cayzelle pour son intervention qui témoigne du dynamisme de la Lorraine.

Monsieur Hervé Pichon va maintenant nous présenter la situation de l'égalité professionnelle au regard du récent accord conclu sur le sujet par le groupe PSA Peugeot Citroën.

Hervé PICHON

délégué pour les relations avec le Parlement
du groupe PSA Peugeot Citröen

Je remercie Mesdames les Présidentes pour l'organisation de ce colloque et pour la sollicitation d'une entreprise qui a consacré une part importante de son dialogue social récent à ce sujet essentiel, dans un contexte de très fort renouveau de la négociation au sein du groupe PSA Peugeot Citroën. L'industrie automobile est un univers industriel mondial extrêmement concurrentiel, en particulier en Europe où environ trente marques sont offertes au consommateur. Dans cet environnement, le groupe PSA a pu connaître la plus spectaculaire croissance de son histoire avec une augmentation de ses ventes de plus de 55 % en quatre ans. Ce contexte favorable nous incite à nous porter sur le marché international et à accompagner cette croissance par une politique de ressources humaines adaptée.

Ces dernières années ont été caractérisées par une politique très active de l'emploi. Le groupe PSA Peugeot Citroën a procédé à 60 000 recrutements en CDI en quatre ans, 70 000 en cinq ans et à 25 000 créations nettes d'emploi ces quatre dernières années. Il a également accru le niveau et la qualité de son dialogue social en concluant avec les partenaires syndicaux une série d'accords qui ont marqué l'amélioration des relations sociales au sein du groupe. Concernant l'emploi féminin et l'égalité professionnelle, nous avons procédé à un état des lieux sous la forme d'un rapport de situation à partir des critères pertinents définis précédemment. Ces critères constituent des indicateurs importants en termes d'évaluation et de suivi du dialogue social, mais aussi des éléments de consensus entre les partenaires sociaux et le groupe.

Le groupe PSA, comme l'ensemble du secteur automobile, est très fortement masculinisé. Sur un total de 84 459 salariés, le périmètre purement industriel du groupe, appelé PCA, Peugeot Citröen Automobiles, compte 72 122 hommes et seulement 12 337 femmes, soit 14,6 %. Depuis quelques années, la féminisation a fait quelques progrès dans le groupe, car elle s'élevait à 13 % il y a deux ans. Je vous propose de balayer les principaux critères qui nous ont permis d'avancer dans ce domaine.

Tout d'abord, l'action au niveau des recrutements s'avère complexe. En effet, si les candidatures reçues proviennent à 73 % d'hommes, les recrutements effectifs concernent 78 % d'hommes, contre 22 % de recrutements féminins pour 27 % de candidatures. Il convient de rapprocher cette donnée de la réalité des formations initiales. L'université compte 56 % de femmes mais, dans les filières scientifiques et technologiques de l'ingénieur, elles ne sont que 22 %, 23 % pour les élèves ingénieurs, 40 % pour les élèves en DUT. Nous nous trouvons donc confrontés à un problème d'adéquation entre la volonté de recruter des femmes et leur accès à la culture industrielle dans la formation initiale.

Concernant la formation initiale, nous avons le souci d'encourager les jeunes, et en particulier les filles, vers les métiers de l'automobile. Nous avons mis en place des partenariats avec le ministère de l'Education nationale et d'autres institutions. Dans la région Lorraine, nous avons mené une série d'actions avec notre usine de Trémery, de manière à créer des journées d'information centrées sur les métiers de l'automobile. Nous avons également le souci de favoriser des formations initiales adaptées, destinées en particulier aux femmes, de manière à créer des flux de recrutement. A Sochaux, nous avons créé un dispositif de contrat emploi-formation avec l'Etat et la région Franche-Comté pour trois ans, avec l'objectif de former des jeunes sans qualification. 785 personnes sont concernées, dont 45 % de femmes.

Sur le plan des rémunérations, nous avons le souci d'intégrer l'équivalence hommes-femmes dans les décisions salariales, notamment dans la répartition des augmentations individuelles et des flux promotionnels.

Les parcours professionnels constituent également un élément essentiel d'action. La vraie mixité professionnelle suppose que les femmes aient les mêmes possibilités d'évolution que les hommes, en particulier pour l'accès aux responsabilités. C'est pourquoi, dans le cadre de cet accord et en relation étroite avec les partenaires sociaux, nous essayons d'identifier des filières particulièrement masculinisées et d'orienter les salariées concernées vers des catégories professionnelles plus évolutives. Par exemple, dans l'univers industriel du groupe PSA, il existe des agents professionnels de fabrication qui travaillent en tant qu'ouvriers sur les lignes d'assemblage des véhicules. Ces postes comptent 20 % de femmes. La catégorie des ouvriers professionnels qui se trouve sur les mêmes lignes avec des responsabilités différentes ne rassemble plus que 3 % de femmes. Avec le concours d'organismes de formation et dans le cadre d'une discussion étroite avec nos partenaires sociaux, nous essayons d'utiliser le levier de la formation pour faire évoluer beaucoup de femmes vers des métiers plus techniques et plus ouverts en termes d'opportunités professionnelles. Il existe des métiers dans lesquels les femmes entrent plus souvent que précédemment et démontrent leur compétence. Le poste de cariste par exemple est essentiel pour la gestion des flux logistiques dans une usine automobile, et requiert une rigueur et une dextérité que les femmes apportent dans ces métiers. Alors qu'elles en étaient absentes auparavant, elles représentent aujourd'hui près de 8 % des effectifs.

La question des congés de maternité dans le parcours professionnel a retenu également notre attention. Il est important qu'elle n'ait aussi peu d'incidence que possible sur l'évolution professionnelle. Pour cela, nous avons mis en place des dispositifs d'entretien au moment du départ, de continuation de flux d'information, de manière à ce que la personne ne soit pas déconnectée de son milieu professionnel pendant son absence, et enfin de formation ou d'entretien, afin de faire le point sur le retour après la fin du congé maternité.

Nous avons également abordé la question des conditions de travail en milieu industriel et plus largement de l'environnement du travail. Il est important de disposer de locaux adaptés aux besoins des femmes en milieu industriel pour avancer concrètement dans le domaine de l'égalité professionnelle. Par ailleurs, nous nous interrogeons sur les services de proximité qui peuvent permettre aux femmes de concilier leur vie personnelle et familiale avec leur vie professionnelle afin de créer des outils adéquats.

Il convient également d'agir sur le temps des salariés. A ce titre, les questions du temps partiel et du congé parental sont essentielles.

Enfin, la formation constitue l'élément clé du dispositif. Dans le domaine de la restructuration d'une activité traditionnellement féminisée, l'usine de Rennes, qui compte 8 600 salariés, a été extrêmement modernisée ces dernières années. Le groupe PSA a renvoyé vers un équipementier l'électronique embarquée, activité qui occupe aujourd'hui un rôle essentiel dans l'automobile. Il faut savoir en effet que l'électronique embarquée d'une Peugeot 607, en termes de capacité de calcul, correspond à celle d'un des premiers Airbus. Pour mener à bien ce changement, il fallait assurer la reconversion d'une population de femmes. Dans le cadre d'un accord de contrat pour l'égalité professionnelle, conclu en application de la loi du 9 mai 2001, un plan de formation nous a permis de faire évoluer 555 personnes vers des métiers d'électricité automobile, de mécanique, de logistique et de cariste. Ainsi, dans l'industrie automobile, aucun métier n'est fermé aux femmes.

Cet accord sur l'égalité professionnelle dans le groupe PSA Peugeot-Citroën a été signé pour trois ans par l'ensemble des partenaires sociaux. Un bilan sera établi le moment venu. Il s'agit d'un enjeu capital, car la mixité professionnelle est un enjeu d'équilibre professionnel, de dynamisme économique et d'efficacité, mais il représente également un enjeu d'équilibre humain essentiel pour l'entreprise.

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

Je vous remercie de ce témoignage que j'attendais tout particulièrement. Il est important de mettre en avant le fait que des entreprises importantes comme PSA font preuve de leur volonté de réussir l'égalité professionnelle. Aujourd'hui, nous devons continuer à encourager les structures qui ont pris en compte cette problématique pour soutenir la dynamique existante et éviter un retour en arrière sur les négociations.

Dans la salle, deux autres responsables d'entreprise souhaitent prendre la parole pour présenter leur expérience. Le prochain témoignage est celui d'une chef d'entreprise dans le bâtiment, spécialisée dans la fabrication et la pose de fenêtres et déléguée des femmes du bâtiment au niveau national et départemental. Les femmes connaissent des difficultés particulières dans ce domaine. Dans la compétence qui est la mienne dans la région Lorraine, je rencontre ce problème avec des filles qui veulent choisir la filière de la fabrication de fenêtres double-vitrage dans un lycée professionnel.

Madame Martine RAMIREZ, déléguée des femmes à la Fédération française du bâtiment

J'ai créé une entreprise à Nice dans le milieu particulièrement masculin et macho qu'est celui du bâtiment sur la Côte d'Azur. Je me suis engagée sur un terrain délicat et mes collègues masculins ne me prédisaient pas plus de six mois d'avenir. Je leur ai prouvé qu'ils s'étaient trompés. Un homme qui crée une entreprise est donné d'office gagnant. Personne ne lui demande s'il est capable ou non. Une femme doit en revanche faire ses preuves, mais c'est tout à fait possible. Moi-même, j'ai fondé cette entreprise en 1988. Il y a deux ans, j'en ai créé une seconde. J'espère que la troisième verra le jour en 2004.

Ma satisfaction est d'avoir réussi dans ma vie professionnelle, avec la difficulté que vous connaissez de concilier vie personnelle avec vie professionnelle, car la fonction de chef d'entreprise requiert un grand investissement. Je tire également une certaine fierté de la reconnaissance de mon personnel qui affirme largement préférer travailler avec une femme plutôt qu'avec un homme. Ma singularité attire également des clients. Ainsi, une personne qui m'avait vue lors d'une intervention sur la télévision régionale a récemment choisi de me confier ses travaux.

Je pense que les mentalités changent et j'en suis ravie. Même dans le bâtiment, les femmes ont leur place et je les encourage à se battre, dans quelque filière professionnelle que ce soit. A la Fédération française du bâtiment dont je suis adhérente, nous donnons la possibilité aux femmes de réussir dans de nombreux métiers. Je vous remercie de m'avoir invité à ce colloque qui me donne encore plus de courage pour avancer dans ma vie professionnelle. Je vous félicite et je souhaite longue vie à toutes les femmes dans l'ensemble de nos métiers.

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

Je souhaiterais donner la parole à deux responsables de l'entreprise IKEA, qui donne l'exemple de l'égalité professionnelle, Monsieur Hervé Pivet et Madame Nathalie Gosselin.

Monsieur Hervé PIVET, directeur des ressources humaines d'IKEA

Je suis admiratif des témoignages qui ont été présentés jusqu'à présent, car j'y sens une volonté forte et des actions, comme celle du groupe PSA, dont de nombreuses entreprises pourraient s'inspirer. L'exemple des pays du Nord a été évoqué précédemment. Au sein d'une entreprise suédoise comme IKEA, certains thèmes ne sont pas débattus car ils sont naturels. Ce contexte révèle une grande différence par rapport à une démarche active législative impulsée par une évolution de la loi et une réelle volonté politique, du fait d'éléments culturels importants.

Nous avons été invités à ce colloque suite à la parution d'un article dans le Nouvel Observateur. Des journalistes sont intervenus dans différentes entreprises pendant six mois pour interviewer des dirigeants de l'entreprise, mais aussi des responsables syndicaux et des salariés. Un des quatre thèmes majeurs de cette enquête portait sur l'égalité hommes-femmes et nous avons obtenu un score honorable dans ce domaine.

Nous disposons d'un plan d'entreprise international pour dix ans qui comporte notamment des thèmes relatifs aux ressources humaines. La diversité constitue l'une des huit priorités. Cette notion ne correspond pas spécifiquement à l'égalité hommes-femmes, mais elle incite à développer la créativité et les échanges d'idées en échappant aux stéréotypes. Le thème de l'égalité hommes-femmes fait donc partie intégrale de cette démarche. La recherche de la diversité dans un sens large constitue également un enjeu important qui consiste à ne pas passer d'une forme de discrimination à une autre. Je comprends qu'il soit nécessaire d'avoir des engagements forts au travers de lois, mais il est également essentiel pour nous de donner la même chance à chacun. Ainsi, les termes d'égalité et d'équité se retrouvent sous la bannière commune de la diversité.

La culture constitue un élément fort dans une entreprise, qui rejaillit sur les comportements qui peuvent y être observés. IKEA n'échappe pas à cette règle. Faire de la diversité un élément de la culture signifie la faire partager. C'est aujourd'hui une ambition qui peut devenir une valeur de l'entreprise si elle est assimilée par tous. C'est notre souhait. Toutefois, si une culture d'entreprise est prégnante sur les comportements, elle est en même temps extrêmement normative. Il existe un paradoxe entre l'intégration d'une dimension d'ouverture telle que la diversité et l'élément normatif qu'est la culture d'entreprise. Nous essayons de concilier ces différentes contraintes en menant des actions concrètes, notamment à travers le recrutement.

Pour la valeur symbolique, nous sommes venus à deux, un homme et une femme. Je cède donc la parole à ma collègue qui s'occupe du recrutement et de la gestion des carrières pour qu'elle vous présente les résultats obtenus.

Madame Nathalie GOSSELIN, responsable recrutement et gestion des carrières d'IKEA

Nous avons développé la mise en situation, en particulier dans le cadre de partenariats avec l'ANPE sur la méthode des habiletés, de façon à avoir une plus grande objectivité et à laisser de côté les préjugés qui peuvent influencer le recrutement par entretien. La deuxième action a été de sensibiliser les managers de l'entreprise à la diversité. Ils représentent 700 personnes sur les 4 500 salariés.

Nous avons longuement abordé la question de la gestion du temps de travail. Dans le domaine de la distribution spécialisée, il existe rarement des temps partiels sur des postes de cadres, ce qui constitue un frein à l'accès à ces postes. Nous avons donc développé les postes à temps partiel choisi à l'intention des femmes cadres.

Dans l'esprit de la culture suédoise, nous essayons également de lutter contre le principe de « présentéisme » selon lequel plus un salarié est dans l'entreprise, plus il est vu, mieux c'est. Nous pensons qu'il n'en est rien. Cette position permet peut-être de favoriser l'égalité hommes-femmes en assurant une souplesse dans la gestion du temps.

Aujourd'hui, nous estimons que nous n'avons pas encore atteint nos objectifs. Je reprendrais à ce titre la phrase de notre fondateur : « L'essentiel reste à faire, merveilleux avenir ».

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

Monsieur Jean-Claude Armbruster, Senior vice-président responsable des ressources humaines du groupe Sanofi-Synthélabo, septième groupe pharmaceutique en Europe, va également intervenir, suite à l'attribution à votre structure de la palme de l'excellence pour la qualité de vie en entreprise.

Monsieur Jean-Claude ARMBRUSTER, vice-président et responsable des ressources humaines du groupe SANOFI-SYNTHELABO

Nous avons participé à l'enquête du Nouvel Observateur et avons eu la surprise d'arriver premiers de la qualité de la vie en entreprise, qui constitue selon nous le moteur du fonctionnement d'une organisation. Néanmoins, nous obtenons le plus mauvais classement sur le sujet de l'égalité professionnelle. L'industrie pharmaceutique est largement machiste. Pourtant, la parité existe, puisque la moitié de nos effectifs est constituée de femmes. Depuis le début de l'année, un même nombre d'hommes et de femmes, respectivement 120 personnes, a été embauché en France. Néanmoins, concernant l'étendue et les niveaux de qualification, historiquement, l'industrie pharmaceutique faisait appel à de nombreuses femmes titulaires d'un CAP de couture pour l'empaquetage et la manutention.

Les choses ont ensuite changé. L'industrie pharmaceutique est devenue une industrie beaucoup plus technique dans laquelle le technicien supérieur est de plus en plus souvent un homme. Nous avons conservé la parité en recrutant davantage de femmes dans le domaine de la recherche-développement et celui des forces commerciales. Ainsi, si la parité est respectée, nous avons un certain nombre de progrès à faire en termes d'égalité et de différences de salaires, même si, en dehors du comité de direction, le plus haut salaire est attribué à une femme.

Dans le problème de l'égalité, la grande difficulté est le changement des mentalités et des représentations qui font dériver nos décisions pour les faire retomber dans des archaïsmes. Nous devons être attentifs aux actions possibles en nous persuadant que rien n'est impossible. Lors de plans sociaux, nous avons toujours essayé de trouver une solution pour qu'il n'y ait pas de licenciement à terme. Nous nous sommes ainsi aperçus qu'il était possible de former en tant qu'employée administrative une personne de 45 ans qui avait occupé un poste de conditionneuse depuis l'âge de 15 ans. Grâce au tutorat d'une secrétaire assistante qui lui a transmis son savoir sur le terrain, elle y est parvenue et aujourd'hui, c'est cette femme qui prépare les courriers que je signe.

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

Vous êtes le reflet de la prise de conscience qui constitue une des priorités que j'ai dégagée pour les années à venir. Je laisse maintenant la parole à Madame Cristina Lunghi pour conclure cette table ronde.

Cristina LUNGHI

présidente de l'association Arborus

Si le message d'égalité professionnelle doit être porté par les politiques, et la manifestation d'aujourd'hui en est la preuve, les entreprises doivent également se l'approprier. La loi du 9 mai 2001, en plus du dispositif qu'elle comporte et qui repose sur le rapport de situation comparée et la négociation, se présente comme un véritable outil de modernisation de l'organisation des entreprises. En cela, elle constitue une chance pour les entreprises.

Je ne rejoins pas le point de vue de Monsieur Jean-Pierre Philibert concernant les indicateurs du rapport de situation comparée. Les entreprises avec lesquelles j'ai travaillé sur ces questions ont recours à des baromètres beaucoup plus complexes. Je ne pense donc pas que ces critères constituent un obstacle. Au contraire, ils permettent aux ressources humaines de s'interroger point par point sur l'état de l'égalité professionnelle dans l'entreprise, puisque les indicateurs reprennent globalement le parcours de l'embauche à la sortie du salarié. En ce qui concerne par exemple la rareté des femmes dans les postes de direction, il est possible de déterminer le ou les plafonds de verre qui existent, leurs explications explicites et implicites et les modalités de remises en cause par des outils de ressources humaines (formation, promotion, etc.). De plus, la loi permet complètement de s'adapter au contexte historique et culturel. Il est ainsi possible d'intégrer l'égalité professionnelle dans la culture de son entreprise, comme le fait IKEA.

Pour conclure, je vous proposerai une typologie. Notre organisation exerce une veille sur les questions de l'égalité professionnelle depuis plusieurs années et accompagne un certain nombre d'entreprises dans ce domaine. Elle a dégagé des pistes de réflexion sur les modalités d'application de la loi et la manière dont les entreprises s'en sont saisies. Nous avons relevé une différence d'appréciation selon différents critères :

- la taille de l'entreprise : une PME et un grand groupe n'aborderont pas la question de la même manière ;

- le secteur d'activité : nous avons pu relever les spécificités des exemples de l'industrie automobile, pharmaceutique ou la grande distribution spécialisée ;

- la nationalité d'une entreprise : une entreprise à capitaux américains se situe déjà depuis plusieurs années dans un processus de diversity qui intègre les problématiques d'égalité professionnelle (pour les entreprises françaises, ce phénomène est plus récent et apparaît dans le cadre de l'internationalisation, qui les conduit à s'interroger sur la diversité culturelle et les qualités hommes-femmes) ;

- le nombre de femmes dans le top management : la présence de femmes parmi les cadres dirigeants permet souvent une prise de conscience plus collective des aspects liés à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et notamment les problématiques de la gestion des carrières à partir de la maternité, de la mobilité géographique ou professionnelle et de l'articulation des temps de vie. Les femmes, spontanément, influencent ainsi les modes de management et l'organisation de structures dans une perspective de mieux vivre son entreprise en apportant souvent d'autres valeurs.

Enfin, les programmes européens, dont notamment le programme EQUAL, permettent aux entreprises qui le souhaitent de s'engager dans des expérimentations dans ce domaine. Par exemple, celui mené par le conseil général du Finistère comporte un volet spécifique d'expérimentation de la mise en place de la loi du 9 mai 2001 auprès de dix entreprises.

La loi s'applique évidemment en fonction de l'intention et de la motivation des entreprises. Parfois, avant même la loi, certaines entreprises, comme IKEA, s'étaient engagées dans des dispositifs de réduction des inégalités. Elles ont pu voir la loi comme une contrainte, ce qui a parfois entraîné des flottements. D'autres comme la SAGEP, y voient l'occasion de renforcer leur politique de lutte contre les discriminations dans la perspective du développement durable et de la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE), déjà initié, d'autres encore comme Gaz de France, saisissent la loi comme une opportunité de s'engager dans la modernisation de leur management. Enfin, certaines entreprises peuvent se montrer réticentes à l'application de la loi. Une des grandes entreprises françaises est aujourd'hui en procès pour délit d'entrave à la négociation collective. La loi connaît ainsi un démarrage de son application et de sa sanction.

Cette loi du 9 mai 2001 va dans le sens de la révolution silencieuse portée par les femmes depuis de nombreuses années. Nous nous dirigeons vers de nouveaux équilibres entre les femmes et les hommes, entre vie professionnelle et vie familiale, entre l'entreprise et son environnement.

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

Je remercie Madame Cristina Lunghi ainsi que tous les intervenants pour vos témoignages. Je crois que l'égalité professionnelle est en marche. C'est aujourd'hui une réalité qu'il convient de mettre en _uvre concrètement.

Deuxième table ronde :

« L'égalité salariale  : un défi à relever »

Présidence de Mme Gisèle Gautier,

présidente de la Délégation aux droits des femmes du Sénat

Pour les élus, cette table ronde constitue un lieu d'écoute et d'échanges. Or, comme nous avons pris du retard, mon propos sera relativement bref. Le choix des trois présidentes de traiter du combat de l'égalité salariale n'est pas innocent, car il correspond à une préoccupation quotidienne. Concernant les inégalités professionnelles, il existe des lueurs d'espoir, des accords, des négociations en cours qui feront apparaître des pistes pour faire évoluer notre société. En revanche, les inégalités salariales n'ont pas évolué, malgré les textes en vigueur. Il convient donc de différencier les inégalités professionnelles et salariales. Nombre de dispositions législatives françaises, européennes et internationales existent, mais ne sont pas respectées. Il n'est donc pas nécessaire d'ajouter de nouveaux textes, mais il importe de faire progresser la justice et l'équité en matière de garantie salariale.

Nous accueillons aujourd'hui des témoins de l'égalité salariale qui constituent un panel représentatif de notre société : Madame Catherine Sofer, professeur de sciences économiques à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, Madame Marie-France Boutroue, conseillère à la CGT et membre du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, Monsieur Jean-François Veysset, vice-président chargé des affaires sociales de la CGPME.

Nous donnerons également la parole à la société civile grâce à la présence de Madame Michelle David, présidente directrice générale de Aramis Communication Marketing et présidente départementale de l'association des femmes chefs d'entreprise ; Monsieur Alain Mustière, président du Conseil économique et social des Pays de la Loire et PDG d'une concession automobile ; Madame Martine Marandel-Joly, présidente de l'association nationale des femmes chefs d'entreprises et présidente des Assedic de Paris ; Anne-Claire Taittinger, présidente du directoire du groupe Taittinger et directrice générale de la Société du Louvre-Groupe du Louvre.

Anne-Claire TAITTINGER

présidente du directoire du Groupe Taittinger, directrice générale de la Société du Louvre-Groupe du Louvre

Je me trouve à la présidence d'un groupe composé de deux sociétés cotées en bourse qui opèrent principalement dans les produits de luxe (Taittinger, Baccarat) et l'hôtellerie, puisque nous sommes le concurrent immédiat d'Accor, en particulier en Europe. Pour les entreprises de main d'_uvre et de services, l'égalité salariale constitue un défi, car c'est une nécessité et une obligation. Ne pas la réaliser condamne à terme l'organisation, dans la mesure où les entreprises de service reposent sur une implication des femmes et des hommes au plus haut niveau. L'égalité salariale représente également une formidable opportunité pour les femmes. Le représentant du MEDEF a rappelé que la problématique de l'égalité professionnelle, et par extension salariale, était aujourd'hui une évidence que personne ne remettait en question. Elle reste néanmoins un combat, en particulier au niveau de la représentation des employeurs, des partenaires sociaux et des salariés.

Je citerai l'exemple de l'entreprise lorraine de Baccarat, que je dirige aujourd'hui et qui connaît des difficultés en matière de conception de l'égalité salariale. Dans le domaine des postes ouvriers, les grilles de qualification n'évaluent traditionnellement pas les qualités extrêmement importantes de précision et d'adaptabilité dont savent faire preuve les salariées féminines. Les nouveaux outils qu'apporte la loi nous permettent de faire reconnaître ces qualités comme des critères objectifs et positivement sanctionnables par une rémunération et des capacités d'évolution. Dans une industrie verrière qui compte autant d'hommes que de femmes aux postes d'ouvriers, il s'agissait d'une révolution, parce qu'avant étaient principalement valorisées des aptitudes comme la force et le geste. Le problème de la reconnaissance de ces critères provient de la représentation très majoritairement masculine des partenaires sociaux qui éprouvent des difficultés à les accepter dans les faits. Cette logique étant récente, elle devrait pouvoir à terme être intégrée par l'ensemble des salariés.

Le sujet de la présence des femmes à des lieux de décision pose également problème. Faire accéder une femme dont le poste est stratégique au comité de direction reste un combat contre les représentations de l'employeur et celles de la personne elle-même. Chez Baccarat, la direction de la communication et du patrimoine constitue une fonction-clé pour une entreprise évoluant dans le domaine du luxe. Pour faire admettre cette directrice à un comité de direction composé de personnels de la production, de la comptabilité, des ressources humaines ou d'ingénieurs, il a fallu montrer les enjeux économiques d'une communication réussie et sanctionner cette prise de conscience par sa présence dans les décisions stratégiques de l'entreprise et la reconnaissance de l'importance de sa fonction en termes financiers. Pour les postes de direction comme les postes ouvriers, les représentations quelque peu archaïques doivent donc toujours être combattues, ce qui confirme l'importance d'outils de mesure qui permettent de mettre en évidence les situations problématiques.

Ce combat concerne également les représentations que les femmes ont d'elles-mêmes. Elles peuvent se battre pour des enjeux collectifs ou pour le travail de leur mari et l'éducation de leurs enfants, mais elles ne se soucient pas assez d'elles-mêmes. Elles acceptent souvent une certaine minoration, faisant passer leur emploi au deuxième plan par rapport à celui du mari qui leur semble prioritaire. Or, leur situation est vitale ; non seulement pour elles, pour leur foyer mais aussi pour l'économie du pays. Cette idée n'est pas encore ancrée dans l'esprit des femmes. Le plafond de verre est également dans la tête des femmes qui n'ont pas assez confiance en elles. Elles ne se valorisent pas et ont besoin d'être encouragées. Ce constat relève du domaine de l'intangible, mais il est essentiel, aux postes de responsabilité qui sont les vôtres, de prendre conscience qu'une évolution des mentalités doit encore advenir.

Madame Gisèle GAUTIER

Je vous remercie d'avoir respecté le temps qui vous était imparti. Je souhaiterais donner la parole à la salle pour obtenir des réactions sur ce témoignage.

Madame Laurence MONNET-VERNIER, directrice des ressources humaines de MANPOWER

En tant que directrice des ressources humaines de Manpower, je m'occupe des négociations sociales pour le travail temporaire. Je m'inscris donc tout à fait dans les problématiques que vous abordez. Je souhaitais souligner le point original mis en exergue par la précédente intervention, à savoir le chemin à parcourir chez les femmes quant à leur confiance en elles, leur capacité à rendre l'entreprise plus forte et à en faire un lieu où il fait bon vivre. En tant que directrice des ressources humaines dans une entreprise qui compte 80 % de femmes, je cherche bien sûr à faire venir des hommes pour le respect de la mixité. Néanmoins, mon problème majeur consiste à ce que les femmes acceptent la promotion et ne la vivent pas comme un sacrifice de leur vie personnelle. Ce combat peut également avancer grâce aux hommes qui aujourd'hui font énormément confiance aux femmes dans les entreprises. Aujourd'hui, le comité de direction de Manpower compte un tiers de femmes et la moitié de nos directeurs se compose de femmes.

Madame Gisèle GAUTIER

Je vous prie de m'excuser de vous interrompre mais le sujet de cette table ronde consiste à savoir si, à travail égal, les femmes perçoivent un salaire égal. Il est possible de faire confiance à une femme en la rémunérant 25 % de moins qu'un homme. Pour quelles raisons cela se produit-il ?

Une intervenante dans la salle

Je suis militante syndicale et membre de la commission égalité professionnelle à BNP-Paribas. Il existe des cas de femmes qui n'osent pas, du fait de leur environnement, des pressions ou de l'éducation qu'elles ont reçue. Mais en moyenne, les femmes sont payées 24 % de moins que les hommes à BNP-Paribas. Qu'elles soient techniciennes ou cadres, dans certains secteurs, elles gagnent entre 200 et 600 euros de moins par mois. Elles osent parfois aller voir la direction qui les contraint souvent de les assigner aux prud'hommes. En effet, dès qu'une femme essaie de défendre ses droits, son avenir est en jeu : elle doit faire face à un harcèlement moral ou des blocages de son parcours professionnel. Je citerai l'exemple d'une cadre supérieure du secteur financier de BNP Paribas qui, de retour de congé de maternité, n'a retrouvé ni les fonctions équivalentes, ni le salaire qu'elle percevait auparavant. Elle a fait face à la direction générale et s'est retrouvée licenciée pour faute professionnelle. Elle vient de gagner son procès pour licenciement abusif avec 300 000 euros de dommages et intérêts. Néanmoins, elle a dû quitter l'entreprise. Dans le modèle de combat à BNP-Paribas, la femme se retrouve donc à l'extérieur.

Madame Gisèle GAUTIER

Je vous remercie pour ce témoignage. J'ajouterai qu'au fur et à mesure que nous avançons dans la hiérarchie au plan économique, l'écart constaté à la base s'accroît de plus en plus, ce qui constitue un paradoxe. Nous allons passer au deuxième témoignage. Je me tourne vers Monsieur Alain Mustière, président du Conseil économique et social régional des Pays de la Loire. Pourquoi, selon votre longue expérience, les salaires de femmes connaissent-ils un frein par rapport à ceux des hommes, quelles que soient leurs qualifications ?

Alain MUSTIÈRE

président du Conseil économique et social régional
des Pays de la Loire

Je vous remercie pour votre invitation à ce colloque, qui m'a permis de me rendre compte que j'étais très éloigné de cette problématique. Cela m'a conduit à analyser ma position dans ce domaine en tant que responsable d'une entreprise de 340 salariés et d'organismes comme le Conseil économique et social régional (CESR) et la Chambre de commerce régionale. Le CESR compte 13 femmes sur 113 personnes. Les organisations syndicales ne se distinguent pas des autres structures car, sur 35 représentants, elles ne disposent que de trois femmes. Il n'y en a aucune parmi les employeurs, les autres se trouvant dans la vie sociale. La Chambre de commerce ne rassemble que deux femmes commerçantes sur 36 membres. Dans mon comité d'entreprise, je ne dénombre aucune femme parmi huit personnes. Je ne dispose d'aucune statistique pour savoir quel est le nombre de femmes qui participe à la création d'entreprises dans ma région mais, de façon générale, les femmes chefs d'entreprise sont largement minoritaires. Dans les pays de Loire, seule une femme est présidente de tribunal de commerce.

Je mesure la différence entre l'avancée théorique sur la question et la réalité sur le terrain. En tant que père de trois filles, j'ai moi-même pris conscience de l'importance de la question de l'égalité du travail et des chances entre hommes et femmes. Néanmoins, s'il existe des lois qui la promeuvent, elles connaissent des difficultés à être mises en pratique. Les accords de branche ont du mal à être repris sur le terrain, surtout dans notre tissu de PME-PMI. Ainsi, nous nous contentons souvent de principes généraux sur lesquels tout le monde s'accorde, mais qui restent théoriques.

Les rapports font état de 25 % d'inégalité salariale entre hommes et femmes. 5 % sont liés à des différences de qualification, 10 % proviennent du temps partiel et 10 % résultent d'une moindre évolution entre femmes et hommes. J'ai été moi-même confronté à cette situation au sein de mon entreprise. Il y a une semaine, nous avons revu et classé l'ensemble des qualifications avec la direction des ressources humaines. Nous nous sommes rendu compte que les femmes étaient moins qualifiées qu'elles n'auraient dû l'être, pour des raisons historiques et non par choix. Elles n'ont pas l'habitude de demander quoi que ce soit et ne sont même pas représentées au comité d'entreprise. Cette prise de conscience nous a conduit à mettre en question le fonctionnement de l'entreprise ainsi que nos propres comportements.

Tous les trois ans, une enquête est menée dans notre région sur les besoins des entreprises en emplois et en qualifications pour les cinq ans à venir. Elle nous permet de mesurer les exigences en termes de formation. Or nous n'avons pas pris en compte les différences entre hommes et femmes. Nous avons encore un long chemin à parcourir. Nos entreprises reflètent l'histoire et les habitudes de comportement de nos sociétés, même si, ailleurs, des transformations s'amorcent. Notre société ne bouge que par à-coups. Le changement de comportement sur la conduite automobile s'est par exemple fait en un an dès lors que l'application stricte de la loi, la peur du gendarme et de la pénalité nous ont rendus plus raisonnables. Ce processus met en évidence le travail individuel et collectif que nous avons encore à accomplir.

Madame Gisèle GAUTIER

Je vous remercie pour votre intervention qui reflète certains aspects de notre société. Je vais synthétiser votre point de vue de manière délibérément provocatrice : les femmes ne sont pas carriéristes ; elles n'osent pas. Est-ce leur faute ? Ne pourrait-on pas les accompagner ?

Madame Martine DEROBERT

Je suis militante à Force ouvrière. Personnellement, je n'adhère pas au discours des femmes victimes d'elles-mêmes. Il est nécessaire de les sensibiliser davantage à leurs conditions d'emploi. Mais il convient d'avoir à l'esprit le contexte social et professionnel dans lequel elles évoluent. Certaines régions ont été évoquées qui, connaissant des problèmes d'emploi, essaient de mettre en adéquation le chômage des femmes et l'offre d'emploi. Une femme qui cherche du travail et a besoin de travailler est moins exigeante par la force des choses. Certaines entreprises préfèrent embaucher des femmes plutôt que de revaloriser des emplois et, comme ces femmes ont besoin de travailler, elles acceptent les emplois aux conditions qui leur sont proposées.

Madame Marie-Jeanne VIDAILLET

Je suis militante syndicale de la CFE-CGC et vice-présidente du Conseil national des femmes françaises. J'ai observé un fort contraste entre la déclaration du président Roger Cayzelle et la dernière intervention, ce qui marque une différence entre les deux régions. Monsieur Alain Mustière a évoqué les problèmes relatifs à l'application des accords de branche. Ces accords ont néanmoins le mérite d'exister. Aujourd'hui, il est question de remettre en cause la hiérarchie des normes sociales pour partir de la négociation à l'intérieur de l'entreprise plutôt que des accords de branche. La situation actuelle au sein des entreprises me donne à penser que cela ne contribuera pas à favoriser le développement de l'égalité professionnelle.

Madame Jacqueline GABANT

Je suis déléguée régionale aux droits des femmes dans le Pas-de-Calais. Je voudrais revenir sur le thème de la formation des femmes. La collaboration entre le monde professionnel et la formation éviterait de concentrer les filles dans des filières tertiaires complètement obsolètes comme l'administration économique et sociale ou les sciences de l'éducation. La collaboration entre les entreprises et les universités pourrait-elle être plus marquée sur ce point ? Il conviendrait également de favoriser l'accès à la formation en alternance à un public féminin ? car ce type de formation concerne 75 % de garçons pour seulement 25 % de filles. Ce type de formation professionnelle devrait également être revalorisé.

Madame Gisèle GAUTIER

Madame Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, a pris certaines mesures pour donner la possibilité aux femmes d'actualiser leurs connaissances au moyen de la formation continue, en particulier à la sortie de congés maternité ou parentaux. Il est vrai que dans des carrières scientifiques, de technologie de pointe, lorsqu'une femme s'absente un an, elle se retrouve en dehors du marché du travail. Il est important de donner toutes leurs chances aux femmes, car elles sont tout à fait capables d'accéder aux nouvelles technologies.

Madame Jacqueline GABANT

Je voudrais ajouter un mot pour ces femmes qui ont élevé leurs enfants pendant des années et se retrouvent sans formation au bout de quinze ou vingt ans. Serait-il possible de valoriser leurs acquis en termes professionnels ?

Madame Gisèle GAUTIER

En tant qu'ancienne vice-présidente du Conseil régional des Pays de la Loire que j'ai quitté pour cumul de mandats, je peux témoigner que ce souci anime l'ensemble des conseils régionaux qui ont pour compétence la formation professionnelle. Il convient également d'articuler l'orientation de la formation au marché du travail. Il existe une inadéquation que je dénonce depuis vingt ans en tant que chef d'entreprise et qui touche davantage les femmes que les hommes, entre la formation dispensée et les besoins du marché de l'emploi. C'est la raison pour laquelle les femmes sont sous-employées, car elles trouvent dans le secteur tertiaire des postes sous-payés.

Il est important d'asseoir nos réflexions sur une base de données sociologiques, c'est pourquoi je donne maintenant la parole à Madame Catherine Sofer, professeur à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne.

Catherine SOFER

professeur de sciences économiques à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne

Je vais dresser un rapide bilan de l'égalité salariale entre hommes et femmes, puis j'évoquerai quelques raisons qui peuvent rendre compte d'une situation caractérisée par une évolution qui ne s'inscrit pas toujours dans le bon sens.

Les inégalités salariales entre hommes et femmes ont tendance à stagner, voire à s'accroître de nouveau, même pour le travail salarié à temps complet, alors qu'elles diminuaient de façon continue depuis les années soixante. A cette époque, les femmes gagnaient environ 36 % de moins que le salaire masculin moyen. Cet écart était descendu à 18 % à la fin des années quatre-vingt-dix. Aujourd'hui, la différence atteint un peu plus de 21 % pour le salaire moyen à temps complet. En tenant compte du travail à temps partiel, nous assistons à un accroissement dramatique de l'écart de salaire moyen entre hommes et femmes qui dépasse les 30 %. Avec l'accroissement du travail à temps partiel, nous nous sommes rapprochés des chiffres des années soixante.

Les inégalités se creusent avec l'âge. Bien que le niveau de qualification soit actuellement plus élevé chez les filles que chez les garçons, l'écart de salaire au démarrage demeure en faveur des garçons, même si cette différence est faible. Elle fait plus que doubler entre les 15-24 ans et les plus de 50 ans.

Les inégalités se creusent également avec le statut social de l'emploi : 8,5 % pour les employés, 14 % pour les catégories intermédiaires, 24 % pour les cadres. Cet écart se retrouve également parmi les plus hauts salaires de la fonction publique. De même, seules 5 % de femmes sont présentes parmi les cadres dirigeants des entreprises de plus de 500 salariés. Ce chiffre a une implication en termes de salaires car, de fait, les très hauts salaires sont quasiment réservés aux hommes.

Je voudrais insister sur le fait que les inégalités salariales ne constituent pas un indicateur parmi d'autres des inégalités professionnelles. Elles en sont le condensé et le révélateur. C'est en particulier le cas pour le développement du temps partiel qui se traduit très fortement en termes de salaire et a pour conséquence le fait que les femmes constituent les gros bataillons de travailleurs pauvres. Ainsi, malgré la hausse du niveau d'éducation des filles et une progression des femmes au sein de la catégorie des travailleurs intermédiaires et cadres, le bilan est mitigé, voire en régression.

Le retour à un écart de salaire croissant se reproduit dans de nombreux pays d'Europe, particulièrement dans les pays nordiques, pourtant souvent cités en exemple. S'ils sont apparus comme des précurseurs dans la réduction des inégalités hommes-femmes, le processus fait marche arrière, en particulier dans le domaine de la rémunération, du fait de la massification du temps partiel féminin.

Les économistes apportent différents facteurs explicatifs pour rendre compte de la persistance des inégalités. Le premier est celui de la discrimination. Elle se définit comme l'inégalité qui demeure lorsqu'ont été éliminés les effets de toutes les différences qui justifient d'un point de vue économique des inégalités entre hommes et femmes, comme par exemple la durée du travail, la formation ou l'expérience professionnelle. Sont également évaluées les différences de motivation et d'intensité au travail, plus difficiles à mesurer. Une fois ces variables écartées, il reste toujours une part inexpliquée, qui représente souvent plus de la moitié de l'écart observé. Sur un marché du travail très sexué où la mixité ne progresse que peu, ces résultats indiquent que l'accès aux emplois les mieux rémunérés, à la formation professionnelle en cours de carrière, à la promotion, ne sont pas les mêmes à formation initiale égale pour les hommes et pour les femmes. A travail de valeur potentielle égale, le salaire n'est pas égal.

Un deuxième élément entre en jeu : il s'agit de la discrimination statistique. Elle se définit par la projection par les employeurs des caractéristiques de groupe sur des individus. C'est souvent une manière masquée de faire de la discrimination pure, car cette démarche s'appuie sur de simples préjugés pour attribuer aux femmes un comportement donné. Un employeur peut ainsi estimer qu'une salariée va quitter le marché du travail à la naissance de son premier ou deuxième enfant, ce qui n'est d'ailleurs plus le cas de la grande majorité des femmes. Dans le cas de l'attribution aux femmes de comportements qui ne sont pas les leurs ou qui s'avèrent décalés par rapport aux habitudes actuelles, nous avons à nouveau affaire à la discrimination du premier type.

Comment lutter contre ce double aspect de la discrimination ? Il convient de promouvoir la mixité des emplois, des trajectoires professionnelles et de prendre des mesures de manière à favoriser la promotion des femmes. Ces sujets ayant déjà été abordés, je ne les développerai pas davantage.

Je voudrais évoquer le poids du travail domestique, qui conforte la différence statistique fondée cette fois sur une différence réelle d'implication dans la famille. Les femmes en moyenne ne sont pas prêtes à sacrifier leur vie familiale à leur vie professionnelle, en particulier les cadres supérieurs qui sont souvent confrontés à cette alternative. Je pense qu'elles ont raison sur ce point et que nombre d'hommes devraient suivre leur exemple, ce qui est d'ailleurs le cas pour beaucoup. Néanmoins, force est de constater dans la dernière enquête « Emploi du temps » qu'en ajoutant le temps de travail domestique au travail professionnel, il existe une grande inégalité. Les hommes effectuent en moyenne 58,5 heures de travail total par semaine, contre 61,3 heures pour les femmes. Si cette source d'inégalité va en diminuant, il serait néanmoins capital de promouvoir l'évolution vers l'égalité des tâches, y compris domestiques. Elle devrait être impulsée de manière beaucoup plus systématique.

Le thème de l'égalité professionnelle est très largement relayé dans la société, contrairement à celui de l'égalité des tâches. L'accroissement du temps partiel est totalement contraire à cette idée d'égalité de prise en charge des travaux domestiques. Il faudrait cesser de conjuguer systématiquement au féminin conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Le succès récent du congé de paternité a montré que l'offre de politiques visant à favoriser l'implication des hommes dans la famille peut largement susciter la demande.

Madame Gisèle GAUTIER

Je vous remercie pour votre exposé pertinent et les pistes que vous avez dégagées. Il est vrai que la répartition des tâches domestiques et familiales n'est peut-être pas dans notre culture. Je voudrais aller plus avant vers des orientations susceptibles d'infléchir la situation que nous connaissons.

Madame Marie-Christine DESBOIS

Je suis vice-présidente de l'association D'égal à égal et chef d'une TPE. Je voulais rebondir sur ce que j'appelle l'a priori d'incompétence au niveau des salaires.

Nous avons organisé la première convention sur la place des femmes dans l'économie en région des Pays de la Loire. En tant que juriste de droit social européen, je sais pertinemment que, depuis plusieurs années, il existe de nombreux textes sur l'égalité salariale. Sur le terrain, nous avons dépensé beaucoup d'énergie et d'argent pour en favoriser l'application mais, en définitive, les résultats sont presque nuls. En 1996, il y avait 1 % de femmes de niveau cinq dans les métiers du bâtiment, en 2002, les chiffres officiels de la fédération du bâtiment s'élèvent à 1,1 %. Je ne suis pas sûre que la situation ait vraiment évolué.

Une société d'intérim qui travaille comme levier sur la mixité des choix professionnels nous a expliqué qu'un homme soudeur débutant se voit directement appliquer le coefficient de la catégorie professionnelle, alors qu'une femme devra d'abord faire la preuve de sa compétence avant d'obtenir le même niveau de rémunération. C'est ce que j'appelle l'a priori d'incompétence. Il faut que nous nous préoccupions d'agir sur le tissu économique de notre pays, à savoir les TPE et les PME qui produisent plus de 80 % de la richesse nationale. Les exemples positifs que nous avons entendus aujourd'hui ne sont malheureusement pas transposables dans le monde artisanal, qui constitue pourtant la plus grande entreprise de France.

En tant que petit acteur économique, nous essayons de reprendre les choses en main dans nos zones de chalandise, en particulier en organisant la première convention sur la place des femmes dans l'économie. Nous avons travaillé directement avec les branches professionnelles et les collectivités territoriales. Cette convention a produit d'excellentes retombées, car elle a débouché sur un projet territorial à partir duquel nous allons inciter les partenaires à nous accompagner dans l'égalité salariale.

Le réseau des déléguées régionales aux droits des femmes devrait être notre meilleur soutien. Or, la seule réaction négative à l'égard de notre initiative est venue de la part de la déléguée de notre région, qui a émis un avis purement négatif à notre projet de financement par le FSE. Serait-il possible que vous agissiez auprès de notre ministre pour que ce réseau, très impliqué dans la lutte contre les violences faites aux femmes, puisse se doubler d'une action positive concernant la place de la femme dans l'économie ?

Madame Anne NÈGRE

Avocate spécialisée dans le droit du travail, je suis également présidente de l'association française des femmes diplômées des universités, l'une des plus anciennes associations féminines de France. En tant que telle, je suis au courant des travaux menés sur le sujet ces dernières années. En France, la réflexion en est à son début sur le temps des villes, c'est-à-dire l'articulation du temps de travail avec les autres moments de la vie. Nous pouvons à la fois être travailleurs, élus, usagers, etc. Ces différents temps se court-circuitent, nous essoufflent et nous empêchent de vivre. Des sociologues et des philosophes ont commencé à aborder ce sujet en Allemagne et en Italie devant le refus des femmes d'aller travailler, parce que les conditions n'étaient pas convenables. Ces réflexions ont trouvé profit dans différentes agglomérations. La ville de Poitiers qui connaissait un problème de congestion de la circulation aux alentours de neuf heures a sollicité tous les acteurs de la ville pour décaler les horaires des universités et de certaines entreprises, de manière à fluidifier la circulation et même à supprimer le passage d'un autobus. Dans toutes les régions d'Europe se mènent des réflexions et des actions qui permettent de changer la donne. Au c_ur de cela se trouvent des femmes. Cette nouvelle dynamique pourrait également nous simplifier la vie.

Madame Gisèle GAUTIER

Je vous remercie. Nous allons donner la parole au monde syndical en la personne de Madame Marie-France Boutroue, conseillère à la CGT et membre du Conseil supérieur à l'égalité professionnelle.

Marie-France BOUTROUE

conseillère à la CGT

Je ne vais pas citer les différentes inégalités qui ont déjà été exposées, en particulier par Madame Catherine Sofer. La CGT a rencontré ces problématiques en travaillant sur les rapports de situations comparées et elle a essayé de mettre en place des négociations. Nous avons mené de nombreuses journées d'étude décentralisées qui nous ont permis d'intervenir ensuite, sur la base des rapports de situations comparées et des critères pertinents, pour procéder à l'examen concret des inégalités sur les domaines du temps de travail, du temps domestique, des transports et de l'égalité salariale. Ce rapport nous offre des données indispensables sans lesquelles nous ne pouvons travailler avec les salariés et les entreprises sur le terrain, car les éléments nationaux ne suffisent pas pour définir les termes de la négociation. Comme nous l'avons indiqué au Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, nous avons pris en compte les différents types d'entreprises que nous avons rencontrées, principalement celles qui ne disposent pas d'organisation syndicale, afin de produire des textes qui permettent aux salariés de travailler à partir de leur propre réalité. L'accord sur le dialogue social dans l'artisanat signé en décembre 2001 participe aussi de la donne et de l'examen au niveau des régions de la mise en place de commissions paritaires de négociation pour travailler en particulier sur les questions d'égalité. Néanmoins, plutôt que de parler des inégalités, je préfère donner des méthodes de travail et présenter notre démarche.

Depuis mai 2001, la seule négociation de branche sur le thème des inégalités professionnelles et salariales concerne le verre et la céramique, alors que sur d'autres problématiques comme le travail de nuit, elles sont beaucoup plus nombreuses. J'ai entendu la volonté d'aboutir exprimée par Monsieur Jean-Pierre Philibert mais concrètement, peu de mesures sont prises. Je m'interroge sur la volonté d'aboutir lors de la commission d'extension des conventions collectives. Je constate que, dans un accord sur le travail de nuit, le thème de l'égalité se trouve traité en filigrane à travers quelques paramètres. Dans le bilan, aucune donnée ne figure concernant la négociation salariale. En effet, il ne s'agit pas seulement d'exprimer une volonté, mais d'agir et de créer une dynamique.

Je constate également que des réticences viennent du fait que la majorité des acteurs se compose d'hommes. La CGT a instauré la parité en son sein. Si, comme l'annonce la précédente intervenante, deux membres féminins à la direction c'est bien, cela ne suffit pas. Il faut également ancrer le principe de l'égalité professionnelle et salariale et faire comprendre aux négociateurs qui ont le pouvoir de décision l'importance de ces questions. Nous essayons d'y contribuer. Le résultat d'un sondage CSA du mois de septembre indique que pour 1 000 salariés interrogés, l'égalité professionnelle constitue la priorité première, ce qui montre que nous sommes en bonne voie.

La négociation doit avoir lieu dans les entreprises et au niveau des branches - les deux dimensions vont de pair. Nous avons besoin de mobiliser les acteurs et d'obtenir des données. Bien que je me prononce en faveur de la négociation et du dialogue, je m'inquiète des directions prises par le Gouvernement qui conduisent à élargir l'objet de la négociation pour décider de la norme au niveau des entreprises. Si la loi sur l'égalité se voit plus ou moins appliquée par les employeurs, comme cela a été le cas pour les 35 heures, nous courons un risque de dichotomie entre l'organisation patronale et la négociation. Alors, une nouvelle loi sera nécessaire. Il y a une grande différence entre négociation de branche et négociation d'entreprise. Les employeurs sont confrontés à des réalités sur le terrain. Ils ont besoin de personnel et de qualifications. Je préfère négocier de manière décentralisée et réglementer au niveau de la branche pour que tout le monde puisse bénéficier de la loi sur l'égalité en tant que norme du code du travail, afin de pouvoir aller de l'avant dans les entreprises et de ne pas niveler par le bas. Nous ne pouvons pas nous en tenir à une stricte application de la loi qui soit renégociée dans les entreprises, comme je l'ai entendu à la commission d'extension. Si ce sont les entreprises qui produisent la norme, le principe d'égalité sera battu en brèche.

Il a été dit que les avancées réalisées depuis vingt ans étaient moindres. Je souhaiterais nuancer ce propos. Entre 2001 et 2003, nous avons été sur le terrain pour mettre en place des instances de veille. Dans les entreprises, nos déléguées et nos collectifs vont de l'avant. La négociation actuelle au sein des entreprises n'aurait pas été possible sans la volonté du terrain. Deux ans après, nous voyons des avancées. Une loi supplémentaire n'est pas nécessaire à mon avis.

Je fais partie, depuis 1997, du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, largement réactivé par Madame Nicole Péry, ancienne secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. C'est pourquoi je suis émue devant certaines interventions, lorsque je regarde le travail que nous avons mené avec elle. Si elle ne s'était pas investie à l'égard du service des Droits des femmes et des déléguées régionales, nous n'aurions pas connu de telles avancées dans l'application de la loi. Le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle a l'intention ferme de la promouvoir et d'en faire une réalité. La situation dont il a été fait état, à propos des négociations sur l'égalité homme/femme, ne peut constituer qu'un cas particulier. Il existe actuellement des outils et des structures qui les mettent en _uvre. Le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle a beaucoup travaillé en ce sens. Des ateliers ont eu lieu sur le sujet. Je souhaiterais qu'une impulsion lui soit donnée pour qu'il puisse jouer un rôle fédérateur et réunir l'ensemble des partenaires afin de traiter les problèmes d'égalité professionnelle et salariale et aller encore plus loin dans nos réalisations.

Madame Gisèle GAUTIER

Je passe maintenant la parole à Madame Michelle David.

Michelle DAVID

présidente directrice générale de

Aramis Communication Marketing

Responsable et fondatrice d'une PME en province dans le domaine des services, je me sens quelque peu atypique au sein de cet auditoire. Je suis confrontée au problème de la mixité dans l'entreprise en sens inverse. Mon activité de centre d'appel et de formation professionnelle continue attire beaucoup plus de femmes que d'hommes. Je partage néanmoins le point de vue des deux représentantes syndicales. Tout comme d'autres chefs d'entreprises, je reconnais le travail de certaines organisations syndicales. Je suis prête à les aider et à discuter avec elles sans animosité et en toute plénitude de nos contraintes et de nos difficultés à gérer des entreprises, notamment petites, en termes de coûts, de dépenses ou de temps de travail. A partir de l'exemple de la loi des 35 heures, qui est rigide et mal adaptée, notamment aux sociétés de services, il ne faudrait pas qu'une loi sur la mixité adopte des contraintes analogues. Il faut qu'elle soit souple et adaptable au niveau de l'entreprise : par exemple, on ne peut pas imposer un recrutement d'hommes ou de femmes sur des postes pour lesquels il y a pénurie de main d'_uvre.

Je suis présidente de l'association départementale des femmes chefs d'entreprise, dont la présidente Madame Martine Marandel-Joly va également intervenir. Nous entretenons de nombreux échanges avec nos cons_urs chefs d'entreprises qui nous permettent de prendre un certain recul sur nos problèmes de recrutement, d'embauche, voire de salaires d'égal à égal. Je me prononce en faveur de la transparence au niveau des salaires, car elle a l'avantage de faciliter le recrutement en contribuant à clarifier une fonction donnée et les tâches qui y sont liées. Les conventions collectives auxquelles je suis rattachée confèrent des coefficients salariaux sur lesquels nous indexons les rémunérations. Il n'y a pas possibilité de tricher si nous les appliquons en toute loyauté et avec beaucoup d'éthique, qualité indispensable au chef d'entreprise. Selon ces coefficients, nous sommes obligés de maintenir un salaire égal à travail égal. Ainsi, nous ne devons pas avoir peur de l'affichage des indicateurs pertinents qui procurent un certain confort dans la gestion des ressources humaines et le recrutement. C'est pour cela que nous sommes assez nombreuses à y être favorables.

Je ne m'étendrai pas sur le problème de mixité que connaît mon entreprise. Nous mettons en place des dispositifs pour attirer davantage d'hommes.

Je voulais également apporter un témoignage sur le problème des contraintes familiales des femmes et de la tension que représente la vie professionnelle par rapport à la vie de famille. Nous sommes évidemment favorables au partage des tâches. Nos conjoints s'y prêtent en général volontiers, si nous prenons le temps de bien communiquer.

Par ailleurs, je voudrais revenir sur la représentation féminine dans les organisations sociales et patronales. En tant qu'adhérente au MEDEF, je constate que les organisations patronales rassemblent très peu de femmes, ce qui entretient un certain conservatisme. Or, ce sont ces organisations qui doivent transmettre le message de l'égalité salariale auprès des employeurs. Avant d'aborder les négociations sociales, nous devons sensibiliser les entreprises françaises sur la notion de mixité indispensable pour la bonne santé de l'économie française. Nous pouvons avancer des arguments forts aux messieurs qui auraient encore des doutes sur la nécessité de la complémentarité hommes-femmes dans une équipe. En tant que consultante, je constate que les équipes qui présentent un équilibre entre hommes et femmes apportent une forte valeur ajoutée, tant dans la qualité du travail fourni qu'en termes de créativité. Tous mes confrères s'accordent à le dire. Nous devons donc favoriser pour des raisons d'efficience et d'excellence le travail en équipe mixte.

Certaines femmes m'ont demandé d'ajouter une préconisation d'aide en termes d'infrastructure et logistique (crèches, garderies). Dans des zones géographiques à forte concentration professionnelle, il conviendrait d'implanter des garderies, voire un restaurant collectif qui permette aux parents de pouvoir rencontrer leur enfant en allant déjeuner. Des expériences existent déjà avec le soutien des collectivités, mais elles sont trop peu nombreuses en France. Il est facile de repérer ces lieux et d'installer un accueil adapté. Je ne pense pas que seule la Silicon Valley soit capable de mener de telles expériences concrètes sur le terrain. Nous avons là un défi à relever.

La carence de main d'_uvre dans les métiers de l'artisanat a également été évoquée. Il me semble pertinent de favoriser la formation et l'orientation des femmes vers ces métiers manuels.

Madame Gisèle GAUTIER

J'ai été maire d'une commune industrielle pendant vingt ans et je puis assurer que les crèches, bien que nécessaires, représentent un coût élevé. Les 650 entreprises de ma commune me faisaient valoir l'intérêt d'inciter au développement des accueils périscolaires élargis le matin et le soir dans les écoles et de mettre en place des crèches inter-entreprises en réalisant des économies d'échelle, afin de résoudre le problème de la garde des enfants. C'est effectivement une piste à creuser.

Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé des mesures relatives à l'accueil du jeune enfant à la suite de la conférence sur la famille. Il améliorera l'attractivité du métier d'assistante maternelle, jusque-là très précaire, et consacrera 200 millions d'euros à un « plan crèches » qui permettra la création de 20 000 places de crèche supplémentaires. Il s'agit d'une avancée justifiée. Il a également été évoqué la mise en place d'un crédit d'impôt familial.

Monsieur Jean-Claude ARMBRUSTER

Les crèches inter-entreprises sont impossibles à mettre en _uvre du fait de la réglementation. De plus, le coût en est prohibitif, entre 600 à 700 francs par enfant. Enfin, le règlement des crèches interdit l'admission des enfants malades.

Madame Gisèle GAUTIER

Je serai un peu moins pessimiste que vous. En Basse-Normandie, une crèche inter-entreprises a récemment été mise en place à titre expérimental. Ce dispositif est valable pour les grosses sociétés à caractère industriel. Pour les PME-PMI, il me paraît plus difficile à mettre en _uvre, compte tenu des aspects qui viennent d'être évoqués.

Madame Marie-Françoise LEFLON

Déléguée nationale à la CFE-CGC, je dirige la section syndicale de mon entreprise. La dernière intervention résume ce vers quoi nous devons nous diriger, à savoir une concertation entre un chef d'entreprise sur le terrain avec les partenaires sociaux, les collectivités locales et les pouvoirs publics. Ce n'est que dans une démarche collective que nous pourrons faire avancer l'égalité salariale.

L'exemple des 35 heures a également été évoqué. Elles ont eu des conséquences que beaucoup de chefs d'entreprise considèrent comme négatives, mais présentent également des avancées que je considère aussi positives pour les femmes. Lorsque la loi est parue, j'ai été consultée par mon président pour savoir si elle devait être appliquée ou pas. Je l'ai engagé à le faire. Il avait ses raisons financières de crédit d'impôt, j'avais les miennes de femme cadre. Il m'a lancé un défi que j'ai relevé au nom des femmes de l'entreprise. Je lui ai proposé que nous prenions les jours de réduction du temps de travail au moment des vacances scolaires, tout en lui assurant que nous réaliserions nos objectifs. Trois ans après, cet objectif n'a pas été démenti et je passe les vacances scolaires avec mes enfants. Le dialogue est fondamental, mais il faut que les chefs d'entreprise le veuillent. C'est ce que vous venez d'exprimer.

Madame Denise PEIKERT

Je suis élue à Force ouvrière et je souhaite intervenir sur la question, souvent évoquée, du manque de main de main d'_uvre dans certains métiers. Je me prononce en faveur de la féminisation des métiers, mais il me semble important de s'interroger sur la raison du manque de main d'_uvre. S'il s'agit de proposer à des femmes les métiers qui ont été désertés à cause de salaires trop bas et de mauvaises conditions de travail, alors nous allons à l'encontre de l'égalité professionnelle.

Monsieur Yann de la BARRE de NANTEUIL

Je suis conseiller au cabinet de Madame Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle. Je rebondirai sur un point évoqué par Madame Catherine Sofer qui me semble retracer l'ensemble de ce qui a été dit, à savoir que la rémunération est un condensé des inégalités. Dans la recherche d'outils permettant de lutter contre l'ensemble de ces inégalités, nous en avons identifié deux principaux sur lesquels nous travaillons : l'orientation à la formation, largement évoquée, et l'articulation des temps de vie.

L'orientation à la formation constituera l'un des thèmes forts du débat sur l'école. C'est également un enjeu de la négociation collective qui a fait l'objet d'un accord inter-professionnel le 20 septembre dernier et comporte un article spécifique sur le sujet. Cela témoigne de la prise de conscience par les partenaires sociaux des problèmes d'égalité professionnelle. Cet accord se traduira dans la loi et dans un projet de loi qui sera discuté au Parlement. L'accès des femmes à la formation professionnelle est donc appréhendé comme un enjeu spécifique.

Concernant l'articulation des temps de vie, vous avez fait référence à la conférence sur la famille. C'est vrai que les crèches inter-entreprises constituent un objectif difficile. L'objectif consiste surtout à élargir les choix des modes de garde pour laisser aux parents la possibilité de l'adapter à leur mode de vie.

Ces trois points me semblent importants et sont à mon avis le condensé de la lutte contre les inégalités, qui se traduisent par des inégalités de rémunération. La mise en place d'outils repose sur la discussion et la concertation. Le président de la République a souhaité le dialogue. Monsieur François Fillon et Madame Nicole Ameline ont voulu relancer la négociation sur l'égalité professionnelle dans une ambiance sereine. La concertation avec l'Etat permet d'échanger sur le contenu. Nous avons également été en Europe du Nord, il y a un mois et demi, pour observer les solutions adoptées et enrichir les discussions. Je ne sais pas si l'enceinte du débat sera la négociation professionnelle ou le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle ; elle sera désignée en fonction de sa capacité à rassembler la plus forte caution pour faire atteindre nos objectifs.

Madame Gisèle GAUTIER

Nous allons maintenant demander à Monsieur Jean-François Veysset d'intervenir.

Jean-François VEYSSET

vice-président chargé des affaires sociales de la CGPME

Face à des interlocuteurs de qualité et à mes collègues présidentes des Délégations aux droits des femmes, je choisis de plaider coupable pour mieux appréhender le sujet de l'égalité salariale. Les défis démographiques tant en population active que de cartographie entreprenariale contraignent les politiques, les représentants de la société civile et les responsables patronaux que je représente et qui emploient plus de 75 % du secteur marchand à agir rapidement. Or, les lois, les réglementations concernant la discrimination ou l'égalité deviennent autant d'obstacles à la reconnaissance de différences appelant compensations. Elles sont en contradiction avec des rémunérations de plus en plus individualisées avec pour seuls seuils des minima catégoriels de classification, où les critères classants doivent prioritairement être respectés, voire rénovés dans certains cas. Il est temps de mieux prendre en compte les compétences, les savoir-faire, les savoir-être, les savoir-transmettre, les capacités d'autonomie et d'encadrement.

Je reviens de Pau où Monsieur André Daguin, président national de l'Union des métiers de l'industrie hôtelière s'est enfin engagé à engranger des évolutions dans ce domaine. Nous appartenons à une profession d'un machisme avéré, particulièrement dans la restauration. Il y a encore peu de temps, voir une femme en cuisine choquait et, dans les grands établissements, elles n'avaient pas accès aux rôles de maître d'hôtel ou de chef de rang. Aujourd'hui, nous n'avons plus le prétexte de la pénibilité des tâches pour les éloigner de notre profession. Vingt ans après, mesdames, vous êtes plus nombreuses que nous dans ce secteur d'activité. Malgré tout, un trop grand nombre d'offres d'emploi restent insatisfaites. Nous le savons, les rémunérations trop faibles en sont la principale cause. A ce stade, je souhaite lancer un appel pour indiquer que nous, chefs d'entreprise, ne pouvons répartir notre valeur ajoutée obtenue en commun avec les salariés qu'à condition que les charges fiscales nous laissent quelque disponibilité et que les charges sociales soient revues. C'est l'occasion de rappeler qu'un quotient emploi au regard des marges des entreprises pourrait peut-être faciliter les choses.

Dans ma propre entreprise, j'ai été victime de quolibets, car j'ai été un précurseur à engager des filles, à créer les premières sections féminines dans les écoles hôtelières et à reconnaître la nécessité de rémunération à l'identique, lorsqu'il y a une réelle complémentarité des intervenantes par rapport aux intervenants. Si mon entreprise est reconnue, c'est peut-être parce que les femmes ont amené beaucoup de progrès, en particulier en matière d'hygiène et de prévention des risques. Mais la difficulté demeure de faire évoluer les mentalités et pour ce faire, d'entraîner les chefs d'entreprises et leurs conjointes ou conjoints à s'approprier la formation tout au long de la vie. L'accord récent signé par l'ensemble des partenaires sociaux suscite l'enthousiasme, mais, s'il concerne autant les ouvriers, les salariés et les cadres, il ne s'adresse qu'aux entreprises sous forme sociétale. Il reste à nous pencher sur les nombreuses entreprises tenues par des non salariés et qui constituent plus de 60 % de notre tissu de PME, TPE et micro-entreprises. Si nous n'arrivons pas à convaincre ces chefs d'entreprise sur les questions d'égalité professionnelle et salariale, notre peine est vaine.

Madame Gisèle GAUTIER

Je vous remercie de cette conclusion qui est à la fois un appel et une lueur d'espoir. L'égalité salariale est effectivement l'affaire de tous et il est nécessaire que le sexe masculin comprenne ce message. Dernièrement, lors d'une interview, un journaliste du Monde me disait que les femmes devaient prendre pleinement leur place dans la société de demain et pour cela, elles doivent négocier un virage à tous les niveaux. Elles disposent de la décennie à venir pour le faire ; après, il sera trop tard.

Madame Elisabeth LAGRANGE

J'appartiens à l'Union féminine civique et sociale. Tout à l'heure, nous avons parlé de l'avancée que constitue l'accord inter-professionnel sur la formation. Néanmoins, il instaure la possibilité de formations sur le temps de travail comme sur le temps personnel. Cela signifie que les femmes, qui sont déjà surchargées par ces différentes tâches, ne pourront pas les suivre, alors que ce sont elles qui en ont le plus besoin. Si une loi doit reprendre le sujet de la formation continue, il faut qu'elle tienne compte de ce phénomène.

Nous parlons ici de l'égalité professionnelle, mais le partage des tâches domestiques est également important. L'UFCS pense qu'il faut changer les mentalités et lancer des sensibilisations sur l'ensemble des inégalités professionnelles, sociales et politiques. Je rejoins Madame Marie-Jo Zimmermann sur ce point.

Monsieur Jean-François VEYSSET

En tant que co-signataire de l'accord, je voudrais préciser que, dans les branches et à l'interprofessionnel, nous allons devoir nous emparer de ce problème, de manière à reconnaître l'impérative nécessité de compenser le fait que les femmes mettent au monde et sont davantage concernées par le congé parental que les hommes. Il faut néanmoins tenir compte des différents temps, construire des priorités et avoir le courage de mettre en face les enveloppes nécessaires.

Madame Gisèle GAUTIER

Pour terminer cette table ronde, je laisse la parole à Madame Martine Marandel-Joly, expert-comptable, présidente de l'association nationale des femmes chefs d'entreprise et présidente des Assedic de Paris. Vous assumez donc de lourdes responsabilités.

Martine MARANDEL-JOLY

présidente de l'association nationale des femmes chefs d'entreprises, présidente des Assedic de Paris

Je dois effectivement m'occuper d'une famille, d'une entreprise de 30 collaborateurs et assurer des mandats patronaux, ce qui requiert une gestion du temps extrêmement fine. Pour la réaliser, je vais aborder l'égalité des revenus, qui revient à l'égalité salariale déduite de la fiscalité. Les pays européens ne sont pas au même niveau en la matière. Pour régler le problème des contraintes familiales, qui concerne les femmes plus particulièrement, il est injuste de pouvoir déduire le salaire de la femme de ménage dans l'entreprise pour le bien-être des salariés et de ne pas permettre aux familles de déduire l'aide domestique, la crèche ou la nourrice selon leur choix. Les mères peuvent s'entraider, mais il me semble difficile de créer des crèches. Ce que pourront faire les grandes entreprises ne sera pas réalisable pour de plus petites structures. La discrimination ne sera pas à l'avantage des salariés, qui travaillent majoritairement dans des entreprises petites ou moyennes. Il s'agit d'un choix politique de société. Ayant élevé six enfants, je peux témoigner de la difficulté de concilier création d'entreprise et vie familiale, d'autant plus que je n'avais pas terminé mes études à ce moment-là. Mon salaire n'était pas suffisant pour payer l'employée de maison, car élever six enfants et diriger une entreprise requièrent la présence d'une personne à temps complet et de deux étudiants qui se relaient le soir pour contrôler les devoirs, mon mari étant souvent absent pour des déplacements à l'étranger. Cette situation n'est pas valorisante pour la femme. La mise en place de telles mesures créerait 150 000 emplois. Elle permettrait à des femmes d'avoir un temps partiel choisi et de valoriser la profession de l'aide à domicile. Ces mesures revêtent toute leur importance pour les femmes qui se retrouvent seules avec des enfants jeunes.

Dans le cadre de ma vie professionnelle, je m'oppose au temps partiel. Dans mon métier, l'inégalité salariale n'est pas très importante. Mes collègues ont fait des études longues, perçoivent en principe des salaires confortables et ont tendance à préférer le temps partiel aux quatre cinquièmes. Cela représente un coût supplémentaire pour l'entreprise, car le temps administratif est incompressible. Quand nous étions à 39 heures, le temps administratif correspondait à 10,25 % du temps de travail. Pour une semaine à 35 heures, il s'élève à 11,42 %. Lorsqu'un collaborateur travaille aux quatre cinquièmes de temps, ces tâches représentent 14,28 % du total. Nous sommes 30 personnes, 60 % de femmes, 40 % d'hommes. Trois personnes sont concernées, soit 10 % des effectifs. En revanche, le congé de maternité ne pose pas de problème parce qu'avec les nouvelles technologies, il est possible d'être toujours en relation avec son équipe et de ne pas perdre le fil de ses dossiers. En effet, les collaborateurs ont souvent besoin d'avoir des contacts avec leur chef de mission, tout en respectant la vie privée de chacun.

Je suis adhérente du MEDEF, mais notre association est liée aux différentes organisations patronales. Lorsque je suis entrée dans cette fonction en 1978, j'ai été recrutée par la métallurgie, secteur pourtant réputé pour son machisme. Or, si les personnes ont été très dures lors de mon examen de passage, elles m'ont toujours accompagné ensuite. Je n'ai jamais demandé à prendre des responsabilités supplémentaires, mais j'y ai toujours été incitée. A ce titre, je rejoins ce que disait Madame Anne-Claire Taittinger sur la difficulté des femmes à assumer des responsabilités de leur propre chef. Notre association a pour but d'inciter les femmes à prendre des responsabilités dans les instances économiques et sociales et participer à la négociation avec les partenaires sociaux. Les mandats patronaux apprennent la négociation dans le cadre du paritarisme. En fait, contrairement à ce que l'on peut penser, dans une petite entreprise, patronat et syndicats sont pratiquement d'accord sur 80 % des points. Nous ne sommes pas en rivalité, mais en négociation. J'ai toujours été élue à l'unanimité, sauf lors de mon dernier mandat, en raison du conflit des intermittents du spectacle. Les femmes peuvent donc apporter leur complémentarité dans les organisations patronales, car elles savent travailler ensemble, avec les hommes et les organisations syndicales.

Madame Gisèle GAUTIER

Je voudrais remercier les intervenants et le public qui témoignent de l'intérêt porté à cette table ronde par une présence importante. Les témoignages étaient extrêmement intéressants, diversifiés, parfois controversés. C'est ainsi qu'à travers le débat, nous faisons avancer les causes. Les différents sujets qui ont été abordés concernent l'actualité. Le thème de la table ronde suivante sur la présence des femmes dans les lieux de décision constitue également un sujet particulièrement sensible.

Troisième table ronde :

« Les femmes dans les lieux de décision »

Présidence de Mme Claudette Brunet-Léchenault,

présidente de la Délégation aux droits des femmes
du Conseil économique et social

Du fait du retard pris dans les débats, je passe directement la parole à Madame Michèle Cotta qui a réalisé un rapport sur la place des femmes dans les lieux de décision pour le Conseil économique et social. Elle est également présidente du Conseil de surveillance d'AB Sat.

Michèle COTTA

membre du Conseil économique et social

C'est au moment où la parité politique a été affirmée et votée que Monsieur Lionel Jospin a demandé au Conseil économique et social de réaliser un rapport sur la place des femmes dans les lieux de décision. Ces lieux de décision font référence au monde des entreprises, mais aussi à tous les endroits de négociation, où se prennent des décisions, qu'il s'agisse des Conseils économiques et sociaux, des syndicats et autres assemblées. Le premier sondage sur lequel nous nous étions appuyés montrait qu'en 2000, 61 % des femmes interrogées et 45 % des hommes estimaient qu'il était nécessaire de prendre des mesures particulières pour promouvoir davantage les femmes sur les lieux de travail. 33 % des femmes et 51 % des hommes considéraient que le temps suffirait à réduire les inégalités. Malgré tout, hommes et femmes se prononçaient globalement en faveur du volontarisme.

Dans ce contexte, au regard des difficultés qu'avaient dû traverser les héroïnes de la parité en politique, j'étais stupéfaite par le manque d'égalité au sommet de la hiérarchie dans le monde du travail et plus largement dans l'ensemble des lieux de pouvoir. Le décalage entre la formidable montée de l'activité des femmes, qui constituent 45,5 % de la population active aujourd'hui, et l'extraordinaire faiblesse de leur participation à la direction des entreprises et administrations ou aux fonctions de représentation professionnelle aux négociations sociales, s'avérait patent.

En 1996, les 200 plus grandes entreprises françaises ne comptaient aucune femme dirigeante. La même année, le guide des états-majors établissait la présence des femmes autour de 6 à 7 % sur 2 071 dirigeants d'entreprise. Environ la moitié des états-majors ne mentionnaient aucune femme. Les entreprises publiques étaient 53 % à n'en accueillir aucune. L'ensemble du secteur public comportait 5 % de femmes dirigeantes, soit moins que la moyenne des entreprises. Nous avons ainsi été de surprise en surprise.

En 2000, le Conseil économique et social a réalisé une enquête spécifique sur les 2 300 entreprises de plus de 500 salariés. Nous avons dénombré 59 femmes en tant que PDG ou assimilés et 52 au niveau de la direction générale. Nous avons fait parvenir un questionnaire à ces 111 femmes - elles étaient interrogées pour la première fois. Toutes ont répondu. Nous nous sommes rendu compte qu'elles n'étaient présentes que dans 24 des 52 secteurs de l'économie. Les femmes dirigeantes sont donc absentes de la moitié de l'économie. Leurs témoignages convergent sur la difficulté de leur travail de légitimation. Elles ont toutes eu à lutter deux fois plus que les hommes pour démontrer leur compétence. Le deuxième point soulevé concernait la difficulté d'organiser vie professionnelle et personnelle et la quasi-faillite d'une politique d'accompagnement social au travail des femmes. Il existe effectivement un accompagnement pour inciter les femmes à rester à la maison, mais pas pour leur permettre de retourner au travail après leur congé maternel.

Le cas de la haute fonction publique a également constitué un sujet d'étonnement. En effet, la nomination relevant du pouvoir, celui-ci aurait pu faire preuve de volonté politique. La situation y est encore plus catastrophique qu'en entreprise. En 1999, les emplois à la discrétion du Gouvernement étaient attribués à 429 hommes et à 42 femmes seulement. S'il existe une amélioration par rapport à 1987, où il n'y avait que 18 femmes, elle demeure infime. Comment ne pas s'étonner que 47 % des femmes soient magistrats, mais que seules deux femmes aient été présidentes de cour d'appel et qu'il n'y ait eu qu'une seule femme procureur général ?

Pourquoi de telles inégalités subsistent-elles ? Il convient de citer l'extraordinaire archaïsme français en matière de manuels scolaires, qui traduisent une inadaptation persistante de l'Education nationale à traiter des sujets qui touchent à l'égalité ou à l'inégalité entre hommes et femmes. De même, les histoires de la littérature, de la peinture, de la musique véhiculent l'image d'une femme non inventive. Il est admis avec réticence qu'elle soit institutrice, magistrate ou députée, mais pas créatrice, comme si ce domaine était réservé aux hommes. Entre également en ligne de compte la répartition traditionnelle des tâches dans la famille. Entre 1920 et aujourd'hui, la part du temps consacré par les hommes aux tâches familiales n'a augmenté que d'un quart d'heure. Il convient en outre de mettre en cause une organisation du travail qui reste extrêmement masculine et impose des réunions en fin de journée. Cela n'est pas étonnant dans un pays où la femme, placée par le code Napoléon sous la tutelle de son mari, n'a acquis qu'en 1965 la pleine capacité et la possibilité d'exercer sans le consentement de son époux la profession de son choix.

J'ajoute un aspect dont me parlait tout à l'heure Madame Simone Veil. Les hommes disposent de réseaux d'amitié, de grandes écoles ou même d'organisations philosophiques que les femmes n'ont pas. Ils bénéficient d'un effet « boule de neige », auquel les femmes n'ont pas spontanément accès. Les hommes ont l'habitude depuis des décennies de se recommander les uns aux autres. Cela n'existe pas pour les femmes à l'heure actuelle. Ceci m'amène à nuancer le pessimisme dont je fais preuve depuis le début de mon intervention, dans la mesure où une transformation des comportements et des mentalités peut être menée.

Mon expérience personnelle montre qu'il est possible de faire jouer cet effet d'entraînement. Une femme à la tête d'une entreprise a tendance à s'entourer de femmes. Lorsque j'étais à la tête de la rédaction de TF1, il m'a fallu six mois pour réaliser la parité complète entre journalistes hommes et femmes et pour que toutes les journalistes femmes puissent devenir correspondantes de guerre. Paradoxalement, beaucoup d'entre elles étant célibataires ou sans enfant, elles se sentaient plus libres que les hommes pour assumer ce travail. A France 2, j'ai connu une expérience similaire. Il a suffi de remplacer naturellement trois hommes qui partaient par des femmes pour que la parité soit à peu près complète dans les instances de direction. Ces expériences montrent qu'il faut faire preuve de volontarisme, comme l'ont fait les hommes politiques, qui ont choisi de faire entrer des femmes ministres dans les Gouvernements.

Nous devons pénétrer les secteurs d'entreprises où les femmes sont absentes et utiliser à cette fin tous les moyens dont nous disposons légalement. Le Comité supérieur de l'égalité professionnelle prévu par la loi du 9 mai 2001 doit se réunir. Il faut également exiger la présence des femmes dans les comités de réflexion de toutes sortes. Par exemple, la commission de réflexion sur les risques naturels ne compte que deux femmes sur vingt hommes. Favoriser le phénomène d'entraînement sera l'occasion de démentir cette croyance stupide, véhiculée par les hommes, que les femmes ne s'entendent pas entre elles. Avez-vous vu des hommes s'entendrent spontanément ? Je suis convaincue que cette démarche prendra du temps, mais qu'elle s'étendra de proche en proche, à condition que nous prenions toutes la décision intime de préparer la montée des femmes qui viennent dernière nous. Il faut de la volonté et de l'obstination. C'est à ce prix que nous atteindrons un équilibre idéal entre les hommes et les femmes, non seulement pour nous, mais aussi pour la société où nous vivons. Nous devons, à ce titre, profiter du crédit dont jouissent actuellement les femmes en politique, impensable il y a trente ans.

Madame Claudette BRUNET-LÉCHENAULT

Avant de passer la parole à Madame Françoise Milewski, rapporteure du Comité de pilotage pour l'égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques, également rédactrice en chef à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), je voudrais évoquer un point concernant la place des femmes dans l'histoire enseignée. La Délégation aux droits des femmes du Conseil économique et social vient de terminer sous la plume de Madame Annette Wieviorka une étude sur ce thème. J'ai bon espoir que le bureau du Conseil économique et social accepte la publication de ce rapport. Je ne manquerai pas de vous le faire parvenir si vous le désirez.

Françoise MILEWSKI

rapporteure du Comité de pilotage pour l'égal accès des femmes
et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques, rédactrice en chef à l'OFCE

J'aborderai trois points relatifs à la situation des femmes dans la haute fonction publique : un constat, une idée fausse et une réflexion sur les moyens de promouvoir l'égalité.

Le constat en premier lieu : les femmes sont très minoritaires dans la haute fonction publique et la situation évolue peu. En 2001, alors qu'elles constituent 49 % des emplois de la fonction publique de l'Etat, elles ne représentent que 12,5 % des emplois à responsabilité. Elles étaient 12 % en 2000. Le dernier rapport du Comité détaille l'analyse de la situation des femmes dans les différents secteurs de la haute fonction publique de l'Etat et je vous invite à vous y reporter. La discrimination est évidente. D'autant que les chiffres ne tiennent pas compte de la différence de prestige et de rémunération des postes occupés par les femmes, qui accentuent encore les inégalités.

Les nominations de femmes sont trop peu nombreuses pour améliorer rapidement cet état de fait, et elles demeurent inférieures aux viviers de promotion. En 2001, il y avait 16 % de femmes parmi les nouvelles nominations aux emplois supérieurs, alors qu'elles représentent 21 % des viviers et 33 % des potentiels. Ainsi, les viviers sont eux-mêmes inégalitaires, et pourtant les nominations ne les reflètent même pas. Cela vaut tant pour les emplois à la discrétion du Gouvernement que pour les autres emplois supérieurs dont la décision est déconcentrée. A ce rythme-là, l'horizon de l'égalité professionnelle est si lointain qu'il n'est pas visible !

Je souhaiterais en second lieu combattre l'idée fausse selon laquelle la fonction publique serait plus égalitaire que le secteur privé. Dans le public, comme dans le privé, égalité de droit et inégalité de fait vont de pair. L'inégal accès des femmes aux fonctions d'encadrement et de responsabilités dans les fonctions publiques tient d'abord à la place faite aux femmes dans la société. L'école et la famille, dès l'enfance, orientent l'avenir des filles et des garçons. L'inégal partage des tâches parentales et domestiques pèse sur la carrière. La division sexuée des rôles sociaux traverse ainsi les sphères privée, publique et professionnelle. Les stéréotypes de sexe fondent des discriminations et influencent les comportements des femmes elles-mêmes, dans les représentations qu'elles ont de leur rôle. La fonction publique ne peut être à l'abri.

Cependant, si certaines inégalités ont une origine plus générale, il apparaît aussi que l'administration est le siège de discriminations spécifiques. Elle produit des inégalités dans les modes d'accès aux emplois d'encadrement - Ecole nationale d'administration, Ecole polytechnique, Instituts régionaux d'administration, etc. - et dans les critères, formalisés ou non, des déroulements de carrière : les critères d'ancienneté, d'avancement, les conditions d'âge pour les concours internes, les obligations de mobilité constituent des handicaps spécifiques pour les femmes. De plus, les nominations se font le plus souvent dans les réseaux d'anciens de grandes écoles, comme l'a évoqué Madame Michèle Cotta, ce qui conduit à reproduire les discriminations.

Le constat et l'analyse des causes des discriminations doivent orienter l'action publique, et ce sera mon troisième point : quels sont les moyens de l'égalité ? L'application concrète de la logique paritaire est nécessaire pour produire une égalité professionnelle effective, se traduisant par un accroissement visible et mesurable du nombre de femmes dans les emplois supérieurs. Cette logique paritaire est une nouvelle manière de nommer les actions positives. La trop lente évolution de la place des femmes dans les responsabilités professionnelles, la précarité des situations et leur réversibilité toujours possible font qu'une démarche volontariste est en effet nécessaire. On a déjà vu comment, dans le domaine politique avec la mise en _uvre de la loi sur la parité, la réversibilité pouvait être rapide. Au plan économique, nul doute qu'en cas de dégradation de la situation de l'emploi, les femmes seront les premières atteintes.

Attendre, voire favoriser l'évolution des mentalités, compter sur les lents effets démographiques, se contenter des lois et décrets existants, mettre en exergue les bonnes pratiques ne suffisent donc pas. A partir du constat de la situation effective faite aux femmes, des objectifs concrets, c'est-à-dire chiffrés, doivent être définis. Il importe ensuite qu'ils soient suivis et évalués au moins annuellement, de sorte que les déclarations d'intentions ne restent pas lettre morte. Il n'y a d'autres preuves en effet des progrès de l'égalité que la mesure du résultat. La mise en place des outils du suivi statistique n'a d'intérêt que s'ils sont un instrument d'évaluation des politiques publiques, pas seulement un outil de constat sans incidence sur les mesures à prendre, l'infléchissement des orientations et les efforts à accentuer.

Nous ne souffrons pas aujourd'hui de pénurie d'intentions, au contraire ; mais en pratique, on peut à la fois tenir de multiples discours sur la nécessaire égalité d'accès aux postes de responsabilité et en même temps, par exemple, lorsque l'on s'interroge sur les perspectives à moyen terme de la haute fonction publique et le renouvellement de ses cadres lors du départ à la retraite des générations du baby boom, ne rien dire, ne pas même évoquer la place des femmes...

Les fonctions publiques devraient être exemplaires de ce point de vue. Les nominations à décision du gouvernement devraient clairement manifester la volonté de promouvoir l'égalité. Dans tous les cas, la proportion des femmes dans les nominations ne saurait être inférieure à celle des viviers, déjà bien inégalitaires. A l'exemple des jurys, des comités de sélection et instances consultatives, la proportion d'un tiers au minimum de l'un ou l'autre sexe, définie dans la loi du 9 mai 2001 largement évoquée dans les précédentes interventions, devrait être la référence.

La modification de l'organisation du travail (horaires de réunions, mobilité, etc.) pour tous, femmes et hommes, est une condition pour que les femmes ne s'autocensurent plus et acceptent de prendre des responsabilités. Si certaines ne veulent pas les assumer, c'est parce que c'est intenable. D'autres les acceptent, mais elles sont souvent isolées dans des structures de direction où elles ne sont pas entendues, et le fonctionnement qui leur est imposé les décourage. Je veux évoquer par exemple la disponibilité horaire à tout propos et hors de propos, l'urgence comme résultat fréquent de la mauvaise organisation, le présentéisme comme modèle.

La modification des conditions de travail doit valoir pour tous, hommes et femmes, pour que l'articulation entre la sphère privée et la sphère publique ne soit plus un conflit permanent et insoutenable pour les femmes seulement. Plusieurs interventions précédentes ont insisté sur le fait que l'obstacle principal serait que les femmes ne se sentent pas capables d'occuper des postes de responsabilité. Mais à trop insister sur cela, on néglige le fait que cette auto-éviction découle de l'intériorisation des contraintes telles qu'elles existent actuellement dans travail et dans la famille. Ce sont ces contraintes qu'il faut lever.

La fonction publique devrait être exemplaire dans sa propre organisation du travail, or elle ne l'est pas, et dans la cohérence des actions menées, or elle ne l'est pas non plus : si une politique d'égal accès doit comporter des mesures spécifiques en faveur de la promotion des femmes, elle doit aussi intégrer la dimension de l'égalité dans toutes les politiques publiques, de manière à assurer la cohérence des actions menées, dans une approche globale. Or on sait par exemple comment l'APE (Allocation parentale d'éducation) pénalise la carrière des femmes par les retraits d'activité qu'elle implique. On sait aussi que le temps partiel, favorisé par les pouvoirs publics, constitue un handicap dans les parcours professionnels. Même lorsqu'il est formellement « choisi », il est en fait contraint par des impératifs d'organisation familiale.

Pour conclure, je dirai que la nécessité d'actions positives d'une part, la nécessité de modifier les conditions de travail et de faire évoluer les mentalités d'autre part, sont indissolublement liées. Les premières, seules, seraient des mesures sans lendemain qui mettraient les femmes dans des situations intenables. Les secondes, seules, reporteraient l'égalité à un horizon si lointain que nos filles, demain, se poseront la même question que celle que nous nous posons aujourd'hui : quels sont les moyens pour l'égalité professionnelle ?

Madame Claudette BRUNET-LÉCHENAULT

Madame Annie Thomas, secrétaire nationale de la CFDT, va vous présenter la politique de cette organisation syndicale en termes de mixité dans ses instances dirigeantes.

Annie THOMAS

secrétaire nationale de la CFDT

Le thème de l'accession des femmes aux postes de responsabilité concerne notre organisation depuis plus de vingt ans. Je reprendrais la référence du responsable d'Ikea sur la culture de son entreprise pour l'appliquer à notre organisation. La CFDT partage avec la CFTC l'histoire commune du syndicalisme chrétien, composé en partie d'organisations entièrement féminines. Ces syndicats sont nés au tournant du XXe siècle, parfois initiés par l'Eglise catholique. Ils se sont rapidement émancipés de cette tutelle et ont été parmi les premiers à défendre les femmes enceintes et la protection de la maternité. La première femme aux prud'hommes en 1919 en faisait partie. Certaines de nos fédérations, en particulier celles de la poste et des télécoms à laquelle j'appartiens, ont pour origine ces syndicats féminins chrétiens. Du fait de cette histoire, la question des femmes a toujours occupé une place importante à la CFTC et à la CFDT.

En 1982, la CFDT était arrivée au bout d'un processus, amorcé par les mouvements féministes et porté par les débats de la société, qui estimait que la place des femmes allait s'imposer dans la société et le syndicalisme. Dans notre organisation, cette période s'est traduite par une baisse importante de la participation des femmes aux responsabilités nationales. La commission exécutive ne comptait plus qu'une seule femme, le minimum imposé par les statuts. Le congrès de 1982 à Metz a été le lieu d'une bataille autour des quotas pour assurer une représentation de 30 % des femmes dans les instances nationales. Le vote a été acquis de très peu. Cela a permis à la CFDT de mettre en place une politique volontaire, afin d'assurer la place des femmes au sein du bureau national, de la commission exécutive et du conseil national confédéral, qui est notre parlement. Nous avons inventé, par exemple, en instituant une double candidature pour les régions et fédérations au bureau national. Un homme et une femme pouvaient se présenter au nom d'une instance, parce qu'au départ, peu de femmes pouvaient prétendre être au bureau national comme secrétaires générales. A ce titre, je partage l'avis de l'intervenante précédente concernant la nécessité d'une démarche volontariste.

Nous tirons un bilan très satisfaisant de cette politique : aujourd'hui, 43 % des 900 000 adhérents de la CFDT sont des femmes et nous en sommes très fiers. La fonction de secrétaire général s'est féminisée. De nombreuses femmes sont secrétaires de fédérations ou d'unions régionales. Au niveau de nos 2 000 syndicats, qui constituent la structure politique de base, les responsabilités sont à 25 % exercées par des femmes. Le bureau national et la commission exécutive comptent 30 % de femmes. Cela montre que les femmes se reconnaissent dans un syndicalisme qui affiche sa couleur femme. Nous avons été confortés dans cette politique par le fait que les femmes ont adhéré et adhèrent en nombre à nos organisations.

Mais, la situation mérite d'aller plus loin car, comme le remarquait Madame Françoise Milewski, ces avancées sont réversibles, y compris dans le syndicalisme, malgré les bonnes volontés affichées. Nous nous sommes installés dans le confort des décisions prises il y a vingt ans, alors que nous étions précurseurs en parité. Or, nous connaissons un problème de représentation féminine au niveau des strates intermédiaires, celles qui permettent aux militantes de se former et de s'aguerrir avant d'accéder aux responsabilités nationales, régionales ou fédérales. C'est également à ce niveau qu'est prise en charge la réalité des femmes dans le salariat. Notre objectif est donc à la fois organisationnel et revendicatif. Plus les femmes accéderont à des postes de responsabilité, plus les problématiques d'égalité professionnelle seront prises en charge.

Ce signal nous a encouragés à réfléchir, en nous inspirant de l'exemple politique, même si les résultats ne sont pas encore totalement satisfaisants. Le concept fondateur de la parité irrigue les autres institutions. Notre réflexion est également menée en lien avec le monde du travail. J'ai été interpellée par le témoignage de Madame Anne-Claire Taittinger à propos de délégués syndicaux masculins - certains faisant sûrement partie de la CFDT -, qui ne saisissent pas forcément les enjeux de l'égalité professionnelle. Il est essentiel que les organisations syndicales soient à même de comprendre les grandes évolutions économiques et de pouvoir agir sur les évolutions des métiers, les besoins de qualification, la formation professionnelle, questions qui permettront à notre économie de faire face aux défis qui l'attendent. Aussi, lors de notre dernier congrès confédéral à Nantes en mai 2003, nous avons pris un certain nombre de mesures en nous fixant l'objectif de parvenir sur deux mandatures à la parité au niveau des responsabilités interprofessionnelles et, pour les fédérations, d'arriver à une mixité proportionnelle au nombre d'adhérents. Cette décision n'a pas provoqué de polémiques, ce qui prouve une certaine évolution des mentalités. Nous déclinerons évidemment cet objectif au niveau des instances nationales, mais le mouvement doit rejaillir sur l'ensemble de l'organisation. La parité au sommet doit reposer sur une mixité opérationnelle au niveau des strates intermédiaires.

Nous accompagnons cette démarche d'une réflexion sur les lieux de négociation parce que la participation des femmes amène un renouveau des thèmes négociés. Nous essayons aussi de favoriser la mixité des institutions représentatives du personnel. En la matière, je lance une adresse au législateur. Nous sommes prêts à réfléchir à une mesure réglementaire qui orienterait les élections professionnelles vers une logique paritaire, selon l'idée d'une mixité proportionnelle en fonction des branches. Cette question doit être bien évidemment soumises aux autres organisations syndicales et patronales.

Madame Claudette BRUNET-LÉCHENAULT

Nous prenons acte de votre proposition. Je passe maintenant la parole à Madame Françoise Leflon qui est déjà intervenue dans le débat précédent. En tant que déléguée nationale de la CFE-CGC, elle va présenter les tentatives de conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle pour les femmes de l'encadrement.

Françoise LEFLON

déléguée nationale de la CFE-CGC

Je vais prendre l'exemple concret d'une famille de cadres en fin de journée. Je ne sais pas à quelle heure je vais arriver, souvent en talons et tailleur, du fait de mon métier. J'allume rapidement une plaque électrique pour faire le dîner en me demandant comment je vais résoudre un problème qui s'est posé une heure avant ou en pensant au résultat de mes élections. Puis je vais voir ma fille arriver avec une fiche cartonnée qui souhaite que je lui fasse réciter sa leçon d'allemand pour le lendemain, sachant que je ne parle pas cette langue. Cet exemple illustre la problématique de la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale, déjà développée par les intervenants précédents. Les études de l'INSEE sur la période 1986-1999 montrent que les messieurs passent dix-huit minutes au lieu de quatorze au jardinage, mais qu'ils vont quand même promener leur chien, alors que les femmes s'occupent non seulement des enfants, mais aussi des parents qui vivent de plus en plus longtemps, ne gagnant sur la période 1986/1999 que quatorze minutes par jour de temps libre.

Les femmes sont connues pour leur pragmatisme, leur don d'organisation, leur capacité à négocier, à percer des conflits, leur créativité, en particulier dans la mise en place de stratégies politiques ou entreprenariales. Comment admettre qu'en 2003 les femmes de décision se heurtent encore à un certain nombre d'idées reçues de la part de certains dirigeants ? Si les amalgames tirés de l'histoire sociale des femmes jouent sans doute, il existe aussi un certain confort managérial qui consiste à accorder aux femmes quelques qualités pour les calquer aux postes de travail en se sentant obligés d'y trouver des raisons génétiques. Simone de Beauvoir appelle ce phénomène la « féminitude » dans Le deuxième sexe.

Certes, les mentalités évoluent et les améliorations statistiques sont évidentes. Le débat d'aujourd'hui prouve que les esprits changent. Néanmoins, les femmes doivent toujours assumer un cumul de mandats. Pourquoi sommes-nous obligées de choisir entre famille et carrière ? Comment parvenir à articuler ces dimensions ? Je n'ai pas encore résolu la question. Cette tension provoque un grand stress et une culpabilité tous azimuts. La venue d'enfants n'est pas bien vue au sein d'un comité de direction, car il est difficile de gérer les tranches horaires imposées par les crèches, le rendez-vous du pédiatre au moment où s'annonce une réunion commerciale. Les nouvelles générations évoluent vers une meilleure répartition des tâches. Néanmoins, elle se fait souvent au détriment des femmes en les privant de leurs loisirs. Le rythme professionnel est de plus en plus saccadé et envahissant. Il est impossible pour une femme d'être absente pour raison de maladie infantile, à moins de se voir sanctionnée dans son parcours professionnel. Une femme doit donc choisir entre une vie personnelle épanouie et un poste de direction. Ce constat conduit un nombre de femmes à privilégier leur mobilité professionnelle au détriment de leur vie familiale.

L'équilibre hommes-femmes au sein d'un foyer classique est de moins en moins avéré. De plus en plus de familles sont monoparentales. Les femmes seules ont de plus en plus de mal à concilier les deux exigences. Les problèmes au sein des entreprises ayant été évoqués, je n'y reviendrai pas.

Le ministère a mis en place une délégation pour analyser l'exemple de l'Europe du Nord. En termes de culture, de mentalités et de bonnes pratiques, des pistes peuvent être dégagées, même si le système n'est pas transposable en soi, car il repose sur une fiscalité différente.

A mon sens, une bonne méthode consiste à créer des groupes de travail autour de la direction des ressources humaines des entreprises, pour connaître les problèmes, les évaluer, définir des formules et des priorités d'organisation. Au-delà des outils, l'ensemble des technologies de l'information et de la communication devrait permettre à toute femme membre d'une direction de gérer ses contraintes et ses disponibilités. L'équilibre famille-travail constitue un phénomène de société qui révèle une responsabilité collective. L'ensemble des temps sociaux quotidiens passe par la reconnaissance effective d'un temps familial, personnel et social, qu'il convient de gérer harmonieusement pour participer au progrès économique et à la qualité de vie. La vigilance des organisations syndicales est impérative.

Madame Claudette BRUNET-LÉCHENAULT

Je dois à présent excuser Madame Christiane Doré, inspecteure générale des télécommunications au Conseil général des technologies de l'information et fondatrice de la revue « 50 millions de consommateurs ». Elle est retenue par une réunion à La Défense où une alerte sécurité l'empêche de nous rejoindre. Avant de passer la parole à Madame Gabrielle Simon, je vais laisser Madame Marie-Claude Tjibaou s'exprimer. C'est une personne que j'admire particulièrement. Lorsque je lui ai demandé d'intervenir à cette table ronde, elle m'a répondu qu'elle ne savait comment contribuer à notre réflexion. Or, dans le Pacifique, elle jouit d'une aura particulière, car elle a pesé à un moment de l'histoire dans un lieu de décision. C'est pour cela que je l'ai invitée aujourd'hui.

Marie-Claude TJIBAOU

membre du Conseil économique et social

Je remercie les présidentes de m'avoir permis de prendre la parole dans cette noble assemblée. Je voudrais remercier l'ensemble des personnes présentes de rester à cette heure tardive. Devant prendre la parole au nom du groupe de l'Outre-mer, j'ai choisi de vous parler de la Nouvelle-Calédonie, qui a connu des moments très douloureux ces dernières années.

Les accords de Matignon et de Nouméa ont été signés pour favoriser la reconstruction du pays en l'installant dans un processus acté par le Gouvernement et les pouvoirs politiques. En Nouvelle-Calédonie, deux blocs sont en présence. Depuis la prise de possession en 1853, accompagnée par le Gouvernement français dans une politique de colonisation, la société européenne a construit sur place une puissance qu'elle a du mal à partager. Elle concentre en effet le pouvoir politique et économique dans la capitale et la province sud, où la population canaque afflue par vagues successives de l'ensemble du territoire. Jusqu'en 1946, nos tribus ont été régies par le système de l'indigénat et cantonnées dans les réserves installées par la colonisation. Nous n'avons pas eu accès à l'école. Tous les témoignages que j'ai entendus aujourd'hui ne renvoient pas encore à une réalité pour nous. La colonisation a installé chez la population canaque un sentiment de frustration marqué par des révoltes successives. Aujourd'hui, grâce à la signature des accords de Nouméa, nous nous trouvons dans un processus de construction du pays avec un gouvernement local. C'est dans ce contexte qu'il faut inscrire la position des femmes.

Nous, les femmes, sommes loin derrière. Nos tribus sont régies par un système de vie traditionnel, où la parole est l'apanage des hommes. Chacun de nous appartient à un clan qui porte sa parole au conseil des sages, réuni à des moments donnés pour définir la position de la tribu sur l'ensemble des questions liées à la vie en société. En 1959, avec l'arrivée de la citoyenneté et l'accès au droit de vote, deux associations protestante et catholique ont élaboré un programme où étaient prises en compte les revendications canaques : retrouver nos terres, accéder à la formation, à l'école et aux droits du citoyen. Il faut savoir que l'Eglise catholique et l'Eglise protestante sont arrivées dès 1840 et 1943 en Nouvelle-Calédonie, et leur emprise s'est tout de suite exercée sur nos croyances, d'autant plus que les écoles privées catholiques avaient davantage une mission d'évangélisation que de formation. Les lieux d'instruction (écoles, internats) étaient concentrés autour de la capitale et inaccessibles pour bon nombre de tribus.

A cette époque, l'éducation des hommes est privilégiée. Les femmes sont cantonnées aux tâches domestiques et doivent accompagner les parents aux travaux des champs. La transmission aux femmes porte sur des savoirs et savoir-faire traditionnels comme la vannerie, la médecine traditionnelle, etc. La femme est considérée comme porteuse de vie. Quand elle se marie, elle porte la vie dans un autre clan. Vous pouvez constater que nous avons un tout autre mode de référence. Les modèles qui nous sont proposés à l'école nous semblent inadaptés, ce qui explique le fort taux d'échec. Nous devons rattraper le temps perdu. Les accords de Matignon ont mis en place une formation « 400 cadres » qui a permis à nos jeunes de bénéficier de bourses pour venir se former en France. Néanmoins, ces formations étaient prioritairement attribuées aux garçons. Aujourd'hui nos jeunes filles peuvent bénéficier des mêmes avantages et réussissent très bien.

Dès 1971, les turbulences liées à la modernité et au développement nous ont conduit à nous organiser en associations, car ce type de structure correspond à notre mode de vie communautaire. Nous ne sommes pas individualistes, l'équilibre de notre société et le consensus constituent nos priorités. Nous sommes mandatés pour prendre la parole et nous nous exprimons au nom du groupe. Notre action est désormais axée sur le développement, l'accès à la formation, la prise en compte de notre condition de femme. La parité pour nous est un élément qui contribue à notre émancipation économique, politique et culturelle.

Madame Claudette BRUNET-LÉCHENAULT

Je voulais que les participantes puissent se rendre compte du décalage existant avec notre volonté de participer au pouvoir, que ce soit dans les entreprises, en politique ou ailleurs et qu'elles apprennent comment tu as pesé à un moment de l'histoire en Nouvelle-Calédonie.

Madame Marie-Claude TJIBAOU

Je ne suis pas une élue, mais sur le plan coutumier, j'appartiens à une famille importante. Mon père était notable et a fait partie de cette première association qui, dès l'arrivée de la citoyenneté, a mis en place un programme pour protéger les droits des populations canaques en difficulté. Il a été mon premier modèle. Dès que j'ai pu travailler, j'ai essayé d'aider les gens dans ma région, où il n'y avait ni eau, ni électricité, ni programme de santé. J'ai été écrivain public. J'ai fait des démarches pour des handicapés ou pour des personnes âgées qui avaient des besoins spécifiques. J'ai également dispensé une éducation de base en matière d'hygiène, expliqué en quoi consistait une alimentation équilibrée pour les enfants et comment la préparer à partir de nos produits locaux. Peu à peu, j'ai ainsi contribué à construire une relation entre les pouvoirs et la population locale.

Ensuite, sont arrivés les événements. En tant que femmes, si nous n'avons pas autant le droit à la parole qu'en métropole, nous sommes à l'écoute et conseillons nos maris engagés politiquement. Mon mari était indépendantiste et catholique, alors que je venais d'une famille protestante de droite. Nous pouvions ainsi créer une synergie et avoir des influences sur nos milieux respectifs. De tout temps, j'ai privilégié la passerelle entre communautés. Mon père m'a appris cette règle ainsi que le respect de l'altérité dans un dialogue qui ne soit pas trahi par des enjeux. De fil en aiguille, j'ai continué ce travail de proximité après la mort de mon mari. Je suis mère de six enfants. Nous avions quatre enfants et nous en avons adopté deux, dont un orphelin. Les femmes sont des mères d'abord actives et des conseillères, silencieuses mais à l'écoute.

J'ai également créé, avec d'autres femmes de toutes ethnies, une association qui porte le problème des violences sexuelles au grand jour, parce que nos sages n'abordaient pas ce sujet tabou. On ne peut pas démissionner devant ces problèmes. Dans une tribu, la coutume engage à protéger son clan et à ne pas tout dire. Nous avons forcé les tabous, de manière à ce que les faits puissent être portés sur la place publique et être jugés, car notre statut particulier rend les démarches plus compliquées et nos femmes subissent encore beaucoup de contraintes liées à cette situation.

Madame Claudette BRUNET-LÉCHENAULT

Madame Gabrielle Simon, notre dernière intervenante, va nous replonger dans des problématiques plus dérisoires comparées aux situations qui viennent d'être évoquées, mais elles impliquent néanmoins un combat.

Gabrielle SIMON

secrétaire générale adjointe de la CFTC

Je vais vous relater mon expérience de secrétaire générale d'un syndicat d'entreprise. J'ai été élue secrétaire générale de la CFTC de la Banque de France en 1996. J'étais la première femme secrétaire générale d'un syndicat à la Banque de France. L'établissement avait déjà connu des secrétaires généraux adjoints femmes, mais jamais de numéro un. Il s'agissait donc d'une petite révolution. A la Banque de France, les femmes réussissent mieux le concours d'adjoint de direction que les hommes, mais aucune femme n'est directeur général ou régional. La place des femmes n'est donc pas totalement acceptée aux plus hauts postes de dirigeant. Après réflexion, j'ai pris conscience d'être devenue dirigeante d'une organisation syndicale en raison d'une opportunité qui s'est ouverte à moi et non d'un choix réfléchi. Lorsque l'égalité professionnelle sera véritablement inscrite dans l'histoire, les femmes accèderont à des postes de direction à partir d'un choix et par la mise en place de stratégies de pouvoir, ce qui n'a pas été mon cas.

L'année 1996 correspond à une période conflictuelle à la Banque de France, qui accueillait un nouveau gouverneur. Lors d'une de mes premières réunions intersyndicales, nous devions prendre une décision sur une mobilisation du personnel pour s'opposer à des fermetures de sites. Un tour de table a été instauré au cours duquel chaque secrétaire général donnait sa position. Je me souviens avoir dit : « je passe mon tour parce que je n'ai pas fini de réfléchir ». Une ou deux minutes se sont écoulées dans le silence. Puis, un secrétaire général a dit qu'il n'avait pas l'habitude de ce mode de fonctionnement. A la fin du tour de table, j'ai eu à nouveau la parole et, comme je n'avais pas fini de réfléchir, j'ai continué à penser à voix haute, ce qui m'a permis de faire des propositions qui ont été adoptées. J'ai donc été acceptée, mais mon entrée a été assez remarquée.

Mon arrivée en tant que femme dans un milieu très masculin, voire macho, a été facteur d'innovations. Ma recherche de sincérité, de réflexion et de débat avant de prendre une décision a permis de sortir d'un certain nombre de stéréotypes. Pour accéder à un poste de responsabilité, les Françaises ont généralement dû surmonter de nombreux obstacles liés à des stéréotypes et des archaïsmes. Une femme est censée être moins disponible qu'un homme, sa sensibilité freinerait sa prise de décision. Elle n'a pas les épaules assez larges pour parler devant un auditoire important. Pour en arriver là, une femme a dû prouver ses compétences en faisant beaucoup plus qu'un homme. Ce travail supplémentaire accroît la ténacité et la compétence. Le savoir-faire des femmes résulte également de leur manque de temps, qui leur impose le pragmatisme et la hiérarchisation des événements en fonction de leur priorité. Le sens du concret et de l'écoute importe pour atteindre des objectifs. Elles ont également développé des compétences de négociation au cours de leur parcours. Elles savent reconnaître des signaux faibles qui les aident à appréhender l'avenir, évaluer des dangers émergeants et prendre des décisions appropriées. Elles ont le sens du partage de l'information et de la délégation, ce qui favorise le développement de l'intelligence collective. La présence d'une femme dans un groupe apporte une évolution certaine. Enfin, les femmes sont habituées à essayer de former un consensus et évitent les conflits stériles pour aller à l'essentiel.

Les femmes constituent la moitié de l'électorat, mais demeurent sous-représentées. Cette situation résulte tant de comportements traditionnels que de la difficulté à concilier vie personnelle et professionnelle. Elle est également liée à la place qui leur est faite et qu'elles acceptent de prendre. Nous nous trouvons à un moment de l'histoire où les femmes présentent un niveau de savoir et de diplômes qui leur permet d'accéder à quasiment tous les postes de responsabilité. Elles se retrouvent confrontées à des hommes qui ne veulent pas leur laisser le pouvoir. Devant cette situation, les femmes ne développent pas assez de stratégies d'accès au pouvoir car inconsciemment, elles se sentent coupables de ne pas pouvoir octroyer suffisamment de temps à leur famille. Il faut sortir de cette culpabilité latente dans laquelle elles ont été éduquées.

La société n'accorde de place aux femmes que dans la mesure où elles ont mis de côté tous les problèmes relatifs à la gestion de la vie familiale. C'est pourquoi il est nécessaire d'accorder à la famille une réelle place sociale. Le combat doit porter sur la reconnaissance du droit des hommes à exercer leur travail parental et à l'acceptation par la société de l'utilisation de ces droits. Une telle stratégie offre la possibilité aux hommes de paterner leurs enfants.

Nul n'aime danser sans partenaire. J'espère que de moins en moins de personnes voudront rester à l'écart de l'ouverture et de la modernité. Je souhaite que, rapidement, l'accès à l'égalité professionnelle ne soit plus un combat et soit entré dans l'histoire.

ALLOCUTION DE CLÔTURE

Mme Claudette BRUNET-LÉCHENAULT,

présidente de la Délégation aux droits des femmes
du Conseil économique et social

Ma collègue et amie, Marie-Jo Zimmermann, vient de me confier la conclusion de ce colloque. Cet après-midi a été très riche, probablement trop. Nous aurions dû prévoir une journée entière pour ces trois tables rondes. A l'avenir, nous nous organiserons autrement.

Mon deuxième constat est que nous avons envie d'aller de l'avant. Nous avons rencontré ce volontarisme chez la plupart des intervenantes. C'est pourquoi, même si parfois nous sommes déçues, ces réunions nous montrent qu'il faut continuer à agir. Les femmes doivent être elles-mêmes militantes. Comme nous le voyons en politique, la légitimité s'acquiert sur le terrain. Les organisations syndicales doivent s'impliquer réellement et donner l'exemple. Enfin, il faudrait aussi que les hommes intelligents se rendent compte qu'ils pourraient participer davantage à la sphère privée et laisser aux femmes la place qui leur revient dans la sphère publique. La société y gagnerait, la vie de la famille et nos enfants aussi. Nous en sommes assez loin. De fait, la parité n'existe véritablement dans aucune des sphères politique, économique ou domestique. C'est probablement dans l'équilibre entre sphère publique et privée que se situe le n_ud de l'affaire. Ce n_ud est difficile à dénouer, car il implique chacun et chacune d'entre nous avec son histoire et sa culture. L'un de mes amis a l'habitude de dire : « l'amour, c'est bien ; les preuves d'amour, c'est mieux » ! C'est à cela que je vous convie, Messieurs.

Je vous remercie toutes et tous. Vous recevrez très prochainement les actes du colloque qui seront envoyés à tous les participants. Nous avons également prévu de remettre officiellement ce texte au ministre en charge des affaires sociales. Je souhaite également que nous puissions rencontrer très prochainement Madame Nicole Ameline sur ce thème.

Contribution écrite d'ADECCO (1)

« L'intégration des femmes issues de quartiers populaires »

Les deux derniers recensements de la population effectués à Tours ont mis récemment en évidence deux constats importants concernant les quartiers prioritaires de la politique de la ville :

- le nombre de chômeurs y a fortement augmenté entre 1990 et 1999, malgré une forte baisse de la population,

- les habitants qui ont quitté ces quartiers, étaient le plus souvent des personnes qualifiées disposant d'un emploi.

Les quartiers prioritaires de Tours concentrent aujourd'hui un nombre élevé de demandeurs d'emploi. Le taux de chômage, particulièrement celui des femmes, y est nettement supérieur à celui de l'unité urbaine de Tours.

Aussi la délégation interministérielle à la ville (DIV), le service des Droits des femmes et de l'égalité (SDFE) et Adecco Travail temporaire ont réfléchi à des actions permettant de lutter contre ces situations d'isolement et de faciliter l'accès à l'emploi des femmes issues des quartiers prioritaires, notamment au travers du travail temporaire.

Les trois partenaires ont décidé de réaliser un programme de recherche-action sur la ville de Tours, ville moyenne ayant des quartiers prioritaires et une forte activité de travail temporaire.

Cette recherche-action se décompose en trois phases :

- réalisation d'un état des lieux sur les conditions d'accès à l'emploi des femmes des quartiers de Tours,

- identification des freins qu'elles peuvent rencontrer,

- réduction de ces freins par la mise en place d'actions concertées entre tous les partenaires.

En ce qui concerne l'état des lieux, d'après le Fichier Mission 2002 des agences de Tours d'Adecco, près de 7 000 intérimaires ont été délégués par Adecco, dont plus de la moitié sur des postes non qualifiés. 10 % des intérimaires étaient issus des quartiers prioritaires.

Les habitants de ces quartiers, étant donné le nombre important de demandeurs d'emploi et leur faible niveau de qualification, sont davantage susceptibles d'être candidats au travail temporaire.

Quant aux femmes issues de ces quartiers, elles sont particulièrement sous-représentées dans le travail temporaire chez Adecco. On enregistre des écarts notables entre hommes et femmes des quartiers, dus aux différences entre les missions proposées par les agences et les entreprises. Ces femmes, dont la durée du travail en intérim est moindre, sont plus souvent déléguées sur des postes non qualifiées, en raison de leur faible niveau d'études.

S'agissant des freins à l'emploi que ces femmes peuvent rencontrer, la représentation qu'elles se font de l'intérim, à partir d'un modèle industriel et d'une image plutôt masculine de la profession, constitue un premier obstacle.

Pour nombre d'entre elles, leur situation personnelle (enfants à charge, faible mobilité), doublée d'un manque d'informations sur les possibilités d'emploi, les empêchent de se positionner sur le marché du travail.

Au moment du recrutement, elles adaptent leur argumentaire en fonction de ce qu'elles connaissent ou pensent connaître du potentiel d'emploi de l'agence. Elles mettent en valeur plus particulièrement l'expérience qui correspond à ce qu'elles croient connaître des missions proposées par l'agence. Ainsi, elles limitent leur recherche d'emploi en se cantonnant à des métiers « très » féminins (employée de restauration, employée de laboratoire, etc.).

Lors de la procédure de recrutement, l'agence recherche la conformité des candidats à la demande du client. Mais celui-ci annonce peu de critères sélectifs ; l'agence ne procède à un ajustement de l'offre et la demande que lorsque le candidat est difficile à trouver, par exemple lorsqu'il y a pénuries de compétences. Les intérimaires qui connaissent les profils professionnels demandés présentent leur candidature et leurs compétences en fonction de ces profils.

Ainsi, l'intérim construit un marché fermé, qui ne favorise pas l'accès à l'emploi des femmes issues des quartiers prioritaires.

C'est pourquoi des perspectives de travail ont été fixées en fonction de trois cibles : Adecco, les entreprises clientes et les autres intermédiaires de l'emploi.

Les actions retenues, sur une période d'une année, sont menées à deux niveaux :

- avec les intermédiaires de l'emploi : mission locale et plan local d'insertion par l'économique (PLIE),

- avec les permanents des agences Adecco et les entreprises utilisatrices.

La démarche doit favoriser l'accès à l'emploi des femmes inscrites à la mission locale et au PLIE, qui souvent méconnaissent les missions et les entreprises de leur bassin d'emploi. Pour informer ces femmes sur les missions d'intérim à pourvoir, des réunions d'information seront organisées tous les deux mois. Les permanents des agences Adecco présenteront les emplois en détaillant les critères de recrutement ainsi que l'environnement de travail. Des entretiens de recrutement menés par Adecco seront alors réalisés à la suite de ces informations.

Notre objectif est de faciliter l'accès à l'emploi des femmes des quartiers via le travail temporaire et d'augmenter leurs temps de travail. Certaines procédures (accueil, entretien de recrutement, organisation du travail en équipe...) seront donc modifiées au sein des agences pour répondre à ces objectifs.

Des entreprises utilisatrices, sensibles aux difficultés de recrutement, réaliseront, avec l'appui d'Adecco, des études de postes approfondies en vue d'ouvrir certains emplois aux femmes.

Les agences Adecco accompagneront les femmes dans leur parcours professionnel, par des bilans de mission, afin d'identifier leur degré d'autonomie dans les emplois et de mieux valoriser leurs compétences et leurs expériences auprès des entreprises du bassin d'emploi.

CONCLUSION

Mme Marie-Jo ZIMMERMANN,

présidente de la Délégation aux droits des femmes
de l'Assemblée nationale

Ce colloque a mis en lumière l'importance de l'égalité professionnelle comme exigence de démocratie, de reconnaissance sociale et de développement économique. Un sentiment d'urgence se dégage, à partir du constat que la situation des femmes au travail ne correspond pas à leur investissement massif dans la population active.

Des discriminations choquantes frappent encore les femmes aujourd'hui, les conduisant à des situations de précarité et d'exclusion que traduisent :

- les inégalités salariales, qui, loin de diminuer, ont tendance à rester stables, voire à s'accroître ;

- le travail à temps partiel, le travail en intérim, les contrats à durée déterminée, majoritairement le fait des femmes qui constituent les gros bataillons de travailleurs pauvres ;

- le chômage qui frappe davantage les femmes que les hommes et particulièrement les jeunes filles, bien qu'elles soient plus diplômées à la sortie du système éducatif. Dans le cadre des plans sociaux, c'est une minorité de femmes qui retrouve du travail, car on estime plus ou moins consciemment que la femme a toujours la possibilité du retour à la maison ;

- le difficile accès des femmes aux responsabilités : hauts postes de la fonction publique, direction des entreprises, mais aussi des syndicats, des organisations professionnelles, des conseils économiques et sociaux régionaux.

L'orientation des filles, dès la formation initiale, vers un nombre limité de filières professionnelles, souvent moins gratifiantes que les filières scientifiques choisies par les garçons, a été incriminée.

Le poids des mentalités a été évoqué. L'accent a été mis sur les représentations, souvent archaïques, que se font encore les employeurs du rôle des femmes dans l'entreprise, particulièrement aux postes de responsabilité et leur appréhension devant une moindre disponibilité supposée liée à la maternité et aux charges familiales.

Mais le plafond de verre est également dans la tête des femmes qui, faute de confiance en elles-mêmes, réclament moins de promotion, d'augmentation de salaires ou de formation dans l'entreprise. L'exercice de responsabilités est souvent envisagé comme un sacrifice culpabilisant de leur vie personnelle.

Face à ces inégalités persistantes, s'appuyant sur les directives et la jurisprudence européenne, le législateur a estimé nécessaire d'intervenir. La loi du 4 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a donné des instruments juridiques suffisants pour faire entrer l'égalité professionnelle dans les entreprises.

Le mouvement de négociation sur l'égalité professionnelle démarre progressivement. Les organisations syndicales se sont fortement mobilisées, au sein même de leurs instances dirigeantes et sur le terrain.

De nombreux témoignages font état d'accords intéressants déjà conclus en entreprise : rattrapage salarial, promotion des femmes en interne, meilleure organisation du travail, révision des grilles de classification, afin de mieux prendre en compte les aptitudes spécifiques des femmes.

Progrès vers une plus grande mixité, des initiatives ont permis aux femmes d'élargir leur choix professionnel. Elles commencent à investir les métiers du bâtiment, traditionnellement masculins, devenant carreleuses, conductrices d'engins, chefs d'équipe et même chefs d'entreprise.

Dans certaines industries de l'automobile, comme PSA Peugeot Citroën, en amont, l'orientation des filles vers les métiers de l'automobile ainsi qu'une politique active de recrutement et de formation, conduisent les femmes à intégrer des postes techniques plus intéressants et évolutifs qui leur étaient fermés jusqu'à présent.

S'agissant du parcours professionnel, certaines entreprises veillent à ce que le congé maternité n'ait pas d'incidence, par l'organisation d'entretiens au départ comme au retour et le maintien de contacts tout au long du congé, afin que la femme ne soit pas déconnectée du milieu professionnel pendant son absence.

Ces exemples, encore très fragmentaires, ouvrent de nouvelles perspectives. Le combat des femmes pour l'égalité professionnelle est aujourd'hui à un tournant. Il doit s'appuyer désormais sur une meilleure prise en compte de l'impact économique de l'égalité professionnelle.

L'amélioration du taux d'activité féminin et de la formation des femmes est un défi capital pour les régions, comme pour le pays, car les femmes vont combler les graves pénuries d'emploi dues aux départs à la retraite des générations d'après-guerre, à des départs de population dans certains bassins d'emploi, à l'évolution des qualifications. Contrairement aux idées reçues, le travail féminin entraîne l'activité masculine et infléchit le chômage global ; de plus l'activité féminine ne nuit pas à la fécondité.

C'est à la société tout entière qu'il appartient maintenant de se mobiliser pour faire avancer l'égalité professionnelle.

Les femmes elles-mêmes doivent se prendre en mains. Investir la représentation du personnel, notamment les comités d'entreprise, faire reconnaître leurs compétences pour accéder à une juste promotion, faire jouer les réseaux qui commencent à exister chez les femmes cadres, miser sur l'effet d'entraînement des femmes qui, à un haut niveau de responsabilité, peuvent peser sur les promotions, voilà quelques-unes des pistes d'action qui demanderont courage et obstination.

C'est aussi aux hommes, au sein de la sphère privée, de s'impliquer davantage dans les tâches familiales, de manière à permettre aux femmes de mieux s'investir dans la sphère publique.

Les acteurs institutionnels ont un rôle non négligeable d'encouragement et d'incitation. A cet égard, une impulsion devrait être donnée par le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes qui réunit l'ensemble des partenaires sociaux, afin d'évaluer, deux ans après la loi du 4 mai 2001, les difficultés, mais aussi les progrès accomplis en matière d'égalité professionnelle.

Désormais, une attitude résolument volontariste est indispensable. Elle se manifeste maintenant au plus haut niveau de l'Etat. Comme l'a exprimé récemment le Président de la République, « la nouvelle frontière de la parité, c'est désormais l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ».

1 () N'ayant pu intervenir lors des débats, Mme Jocelyne Bournat, responsable Ressources intérimaires, Direction régionale Centre ADECCO, a fourni une contribution écrite.

 


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