Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N°391

_______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 novembre 2002

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur la transposition de la directive concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel,

ET PRÉSENTÉ

par M. Christian PHILIP,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Energie et carburants.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. Pierre Goldberg, François Guillaume, secrétaires ; MM. Alfred Almont, Bernard Bosson, Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, François Grosdidier, Michel Herbillon, Patrick Hoguet, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, M. René-Paul Victoria.

SOMMAIRE

_____

Pages

INTRODUCTION 9

PREMIERE PARTIE : UNE TRANSPOSITION TARDIVE ILLUSTRANT LE BILAN ACCABLANT DE LA FRANCE DANS LE DOMAINE DE LA TRANSPOSITION DES DIRECTIVES 11

I. LA FRANCE, « MAUVAIS ELEVE EUROPEEN » 13

A. D'importants retards de transposition 13

1) Des statistiques accablantes 13

a) La dernière place dans le domaine de la mise en œuvre du cadre juridique du marché intérieur 14

b) Une évolution favorable mais insuffisante 15

2) Un dysfonctionnement imputable essentiellement au pouvoir exécutif 22

3) Des risques de nature politique, juridique et financier 24

a) Les risques politiques 24

b) Les risques juridiques 24

c) Les risques financiers 25

B. Des remèdes insuffisamment appliqués 27

1) Les causes des dysfonctionnements identifiées depuis longtemps 27

2) Des remèdes sans effets significatifs 28

a) La circulaire du 9 novembre 1998 28

b) Les mesures postérieures à la circulaire 29

3) Une application défectueuse 29

C. Un plan d'urgence mis en place par le Gouvernement 32

D. Faire du Parlement un aiguillon 33

1) Des mesures législatives encore sans suites et forcément partielles 34

a) La proposition de loi constitutionnelle tendant à prévoir dans chaque assemblée parlementaire une séance mensuelle réservée à la transposition des directives et à l'autorisation de ratification des conventions internationales 35

b) La proposition de loi complétant l'article 6 bis de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 en vue de permettre un contrôle du Parlement sur la transposition des directives communautaires 36

c) La transposition par voie de propositions de loi 37

2) Privilégier le renforcement du contrôle exercé par le Parlement 37

a) Autoriser les délégations pour l'Union européenne à se saisir pour avis des projets de loi de transposition 38

b) Publier un rapport annuel sur l'état des transpositions 38

c) Demander au Premier ministre d'évoquer cette question dans sa déclaration annuelle devant le Parlement 39

II. LA « DIRECTIVE GAZ » : UN BLOCAGE PREJUDICIABLE POUR LA FRANCE 41

A. Une intense préparation administrative et des tentatives de transposition avortées 41

B. Une défaillance juridique donnant un reflet déformé de la réalité économique 43

1) Le seul Etat membre à ne pas avoir communiqué des mesures de transposition 43

2) Une ouverture effective du marché grâce au dispositif transitoire appliqué par les opérateurs économiques 44

C. Un retard préjudiciable pour la France 46

DEUXIEME PARTIE : UNE TRANSPOSITION CONCILIANT L'OUVERTURE A LA CONCURRENCE ET LES OBLIGATIONS DE SERVICE PUBLIC 49

I. UNE OUVERTURE A LA CONCURRENCE SE HEURTANT A DES DIFFICULTES STRUCTURELLES 51

A. Une ouverture progressive à la concurrence 52

B. Un premier bilan difficile à établir 55

1) Des taux d'ouverture réels souvent inférieurs aux taux déclarés 55

2) Des évolutions contrastées des prix du gaz 58

C. Les obstacles à la mise en place d'un marché unique du gaz 62

1) Les structures spécifiques du marché du gaz 62

2) Les restrictions à la concurrence imputables à des mesures nationales 64

II. UNE PRESERVATION PARTICULIERE DES OBLIGATIONS DE SERVICE PUBLIC 67

A. Une prise en compte croissante des obligations de service public par l'Europe 67

1) La reconnaissance du service public par les textes institutionnels 68

2) Une protection accrue dans la jurisprudence 70

B. Une attention particulière des directives gaz à l'égard du service public 71

C. Un projet de loi mettant au premier plan la notion de service public 75

TROISIEME PARTIE : UNE TRANSPOSITION DEVANT PRENDRE EN COMPTE LES EVOLUTIONS PROCHAINES DU DROIT COMMUNAUTAIRE 79

I. UNE OUVERTURE DU MARCHÉ AUX CLIENTS DOMESTIQUES ENVISAGEABLE, MAIS SOUS CONDITIONS 83

A. Une forte volonté de la Commission et de nos partenaires de libéraliser totalement le marché du gaz naturel 83

B. Une réorientation constructive de la position française 84

1) Du refus de négocier... 84

2) ...à un accord possible, sous conditions 86

II. EVITER UNE CRISPATION SUR LE NIVEAU DE SÉPARATION DES ENTREPRISES INTEGREES 91

A. Une séparation comptable conforme aux dispositions de la directive de 1998 91

B. Une séparation juridique ne devant pas être exclue à moyen terme 92

III. UNE DELICATE REPARTITION DES COMPETENCES DE REGULATION DU MARCHE 97

A. Une autorité française de régulation dotée de moyens et de compétences significatifs 98

B. La répartition des compétences en matière tarifaire 101

C. Vers un régulateur européen ? 105

CONCLUSION 107

TRAVAUX DE LA DELEGATION 109

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION 115

ANNEXE : Auditions du rapporteur 121

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi relatif aux marchés énergétiques et au service public de l'énergie (n° 326) constitue le premier projet de loi de la présente législature visant à transposer en droit interne une directive européenne. A ce titre, il présente un double intérêt pour la Délégation.

Tout d'abord, il traduit la volonté du nouveau Gouvernement de mettre en œuvre plus complètement et plus rapidement les engagements européens de la France. Cette volonté, déjà affirmée par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale du 3 juillet 2002, vient d'être confirmée avec force dans une communication du ministre délégué aux affaires européennes au Conseil des ministres du 6 novembre dernier.

Ensuite, ce texte offre à la Délégation pour l'Union européenne l'occasion de mettre en application, dans le droit fil des propositions présentées à la Convention sur l'avenir de l'Europe par le groupe de travail sur le rôle des parlements nationaux, sa volonté d'être associée à la totalité du processus d'élaboration des normes européennes, depuis leur négociation au sein des différentes institutions communautaires jusqu'à leur intégration en droit interne. « Il est paradoxal, en effet, que le dispositif mis en place par l'article 88-4 de la Constitution, qui permet à la Délégation pour l'Union européenne d'être associée, en amont, au processus d'élaboration des normes européennes, ne fonctionne plus, en aval, lorsque la directive a été adoptée mais pas encore intégrée dans notre droit positif »(1).

Dans le cas d'espèce - la transposition de la directive 98/30/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel - nous pensons que la Délégation peut éclairer utilement l'Assemblée nationale sur la portée de cette transposition, dans la mesure où elle a suivi avec attention les négociations communautaires de cette directive. Ce suivi a donné lieu au dépôt de plusieurs rapports d'information(2) et de nombreuses propositions de résolution(3). En outre, la Délégation a examiné récemment la nouvelle proposition de directive élaborée par la Commission européenne, tendant à modifier la directive du 22 juin 1998, faisant l'objet du présent projet de loi, ceci pour accélérer la libéralisation du secteur du gaz naturel (document E 1742)(4).

L'intervention de la Délégation n'ayant pas pour objet de se substituer à l'examen de la Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, compétente au fond, se limite à l'étude, dans une perspective européenne, des dispositions du projet de loi ayant un lien direct avec la transposition de la « directive gaz ».

Le rapport rappelle, dans un premier temps, les difficultés rencontrées par la France pour transposer les directives dans les délais fixés. Vu la permanence du retard régulièrement pris par notre pays, nous avons volontairement voulu insister sur cette situation qui n'est pas acceptable, et présenter des propositions pour y porter remède. Il constate ensuite que le projet proposé par le Gouvernement et amendé par le Sénat en première lecture permet de concilier l'ouverture à la concurrence et les obligations de service public. Il souligne enfin que cette transposition intervient alors même que le contexte juridique du secteur du gaz naturel - et plus généralement du domaine de l'énergie - est en pleine évolution, au plan national certes, comme au plan européen. La discussion en cours sur l'adoption d'une nouvelle directive a, en particulier, des effets importants et pose clairement la question de l'ouverture du marché européen, non seulement au profit des industriels mais aussi des ménages.

PREMIERE PARTIE :
UNE TRANSPOSITION TARDIVE ILLUSTRANT LE BILAN ACCABLANT DE LA FRANCE DANS
LE DOMAINE DE LA TRANSPOSITION
DES DIRECTIVES

L'article 249 du traité instituant la Communauté européenne donne une énumération des actes juridiques communautaires et de leurs effets.

Alors que le règlement s'adresse directement aux citoyens et est obligatoire dans tous ses éléments, la directive s'adresse aux Etats membres, leur fixant une obligation de résultat qu'ils doivent remplir en prenant, dans un délai maximum fixé par la directive, les mesures législatives et/ou réglementaires nécessaires pour adapter leur droit interne aux dispositions des textes communautaires.

A quelques exceptions près, le traité laisse au législateur européen la liberté de choix entre le règlement et la directive. Compte tenu de sa nature, ce dernier instrument est souvent perçu comme un moyen de légiférer plus en accord avec les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Le point 6 du protocole sur l'application desdits principes, inséré dans le traité d'Amsterdam, prévoit d'ailleurs qu'il convient de donner une certaine préférence à des directives plutôt qu'à des règlements.

Les caractéristiques de la directive devraient conduire les Etats membres à être particulièrement diligents en matière de transposition en droit interne, d'autant que les textes concernés ont été approuvés par les Gouvernements au sein du Conseil des ministres de l'Union européenne et que, comme le rappelle le Livre blanc sur la gouvernance européenne, l'efficacité des règles de droit communautaire « dépend de la volonté et de la capacité des autorités des Etats membres d'en assurer la transposition et l'application efficacement, intégralement et en temps utile ».

Or, les divers bilans dressés par la Commission européenne sur l'application du droit communautaire soulignent les nombreuses défaillances des Etats dans le domaine de la transposition.

Malheureusement, dans ces bilans, la France donne souvent l'image du « mauvais élève européen » et le retard constaté dans la transposition de la directive gaz du 22 juin 1998, qui aurait dû être effectuée en principe le 10 août 2000 au plus tard, en est une bonne illustration.

I. LA FRANCE, « MAUVAIS ELEVE EUROPEEN »

Le bilan négatif de notre pays dans le domaine de la transposition des directives a été dressé à maintes reprises. Les causes de ce dysfonctionnement sont connues et de nombreux remèdes ont déjà été proposés, malheureusement sans effets significatifs. Il convient donc de s'interroger sur les moyens permettant, enfin, une mise en œuvre effective des solutions préconisées.

A. D'importants retards de transposition

1) Des statistiques accablantes

Les plus récents rapports d'information des délégations de l'Assemblée nationale et du Sénat pour l'Union européenne sur la transposition des directives(5) ont dressé le bilan français en s'appuyant sur un document publié chaque semestre, depuis novembre 1997, par la Commission européenne, le « tableau d'affichage du marché intérieur ». Ce document est accablant pour la France, puisqu'il apparaît que, dans la mise en œuvre du cadre juridique du marché intérieur, notre pays est celui qui accuse le plus de retard.

Il est vrai que cette appréciation peut être atténuée si l'on se réfère, d'une part, au rapport annuel de la Commission européenne sur le contrôle de l'application du droit communautaire et, d'autre part, au dernier tableau récapitulatif de l'état des transpositions, communiqué à l'Assemblée nationale par le Secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI). Ces deux documents, qui offrent une vision plus générale que le tableau d'affichage (limité au marché intérieur), enregistrent une évolution favorable. Ceci n'empêche pas que la France demeure dans le « bas du tableau ».

Cette situation n'est guère glorieuse pour le pays de Jean Monnet et de Robert Schuman, qui s'enorgueillit à juste titre d'être l'un des moteurs de la construction européenne.

a) La dernière place dans le domaine de la mise en œuvre du cadre juridique du marché intérieur

Le tableau d'affichage du marché intérieur, publié en mai 2002 par la Commission européenne, dresse un constat désolant pour notre pays. Après avoir occupé successivement ces dernières années la dixième, la onzième, la treizième puis la quatorzième place de ce classement des Etats membres en fonction du déficit de mise en œuvre des directives relatives au marché intérieur, la France se situe désormais à la quinzième et dernière place...

Au printemps 2001, le Conseil européen de Stockholm avait invité tous les Etats membres à réduire leur déficit de transposition à 1,5 %(6) avant le Conseil européen de Barcelone de mars 2002. A cette date, seuls sept Etats membres avaient atteint cet objectif. La situation ne s'est pas améliorée, puisqu'au 1er octobre 2002, ils n'étaient plus que cinq dans cette situation.

Déficit de mise en œuvre des directives marché intérieur
(au 1er octobre 2002)

(en %)

F

GR

P

A

D

IRL

I

L

B

E

UK

NL

DK

FIN

S

3,8

3,3

3,1

2,9

2,7

2,6

2,6

2,3

2,0

1,6

1,4

1,3

0,7

0,6

0,4

Source : Commission européenne.

F : France - GR : Grèce - D : Allemagne - IRL : Irlande - L : Luxembourg -
A : Autriche - P : Portugal - I : Italie - B : Belgique - E : Espagne - UK : Royaume-Uni - NL : Pays-Bas - FIN : Finlande - DK : Danemark - S : Suède.

Avec un déficit de transposition de 3,8 %, la France occupe la dernière place du classement. On peut noter que l'Allemagne est également mal placée (onzième), ce qui conduit la Commission européenne à souligner qu'« à eux deux, ces pays représentent 40 % de l'économie de l'Union européenne, de sorte que tout retard chez eux a des conséquences graves pour le fonctionnement du marché intérieur ».

Le Conseil de Barcelone a décidé de reporter au printemps 2003 l'échéance fixée pour atteindre le taux de 1,5 %, ce qui devrait amener la France à transposer 73 directives dans ce bref délai, si elle souhaite parvenir à ce taux. En tout état de cause, le même Conseil ayant décidé une « tolérance zéro » à l'encontre des directives accusant un retard de transposition de plus de deux ans, la France devrait transposer les 14 directives concernées avant mars 2003.

Dans le cas contraire, il est à craindre que notre pays renforce la première place qu'il occupe au titre du nombre de procédures d'infraction(7) ouvertes par la Commission européenne dans le domaine du marché intérieur.

nombre de procedures d'infraction relatives au marche interieur
(au 31 août 2002)

F

I

D

GR

IRL

E

B

UK

A

NL

P

FIN

DK

L

S

216

190

143

133

132

134

121

107

79

62

51

39

33

33

32

Source : Commission européenne.

b) Une évolution favorable mais insuffisante

Deux documents récents semblent laisser apparaître l'esquisse d'une amélioration.

l Le rapport annuel sur le contrôle de l'application du droit communautaire :

Une vision plus précise de la situation de la France en matière de transposition des directives est fournie par le dix-neuvième rapport annuel sur le contrôle de l'application du droit communautaire, publié par la Commission européenne le 28 juin 2002, qui offre une vision générale de l'état des communications des mesures nationales d'exécution de l'ensemble des directives applicables au 31 décembre 2001.

communication des mesures nationales de transposition

Rang 2001

Rang 2000

Etats membres

Total des directives applicables à la date de référence

Total des directives pour lesquelles les mesures nationales ont été communiquées

Pourcentage de communication au 31/12/2001 (%)

Pourcentage de communication au 31/12/2000 (%)

1

1

Danemark

1479

1468

99,26

98,46

2

2

Espagne

1479

1457

98,51

97,99

3

5

Suède

1482

1459

98,45

97,45

4

4

Finlande

1488

1462

98,25

97,66

5

13

Italie

1484

1449

97,64

95,65

6

8

Pays-Bas

1486

1448

97,44

96,66

7

10

Luxembourg

1480

1441

97,36

96,18

8

11

Irlande

1477

1437

97,29

95,90

9

3

Belgique

1485

1444

97,24

97,86

10

12

Portugal

1486

1444

97,17

95,72

11

6

Allemagne

1487

1440

96,84

96,86

12

14

France

1485

1437

96,77

95,05

13

15

Grèce

1478

1428

96,62

93,95

14

7

Royaume-Uni

1482

1428

96,36

96,85

15

9

Autriche

1480

1420

95,95

96,58

   

UE 15

1483

1444

97,41

96,59

Source : Commission européenne.

On observe, avec une relative satisfaction, que, dans cette perspective générale - non limitée aux directives concernant le marché intérieur - la France abandonne la dernière position et se situe à la douzième place, ce qui - en outre - constitue un progrès par rapport à l'année précédente où elle occupait la quatorzième place(8).

Toutefois, le classement de la France demeure peu flatteur et le rapport annuel précité souligne que notre pays est le plus affecté par les procédures d'infraction engagées par la Commission européenne, tant au niveau des mises en demeure qu'en ce qui concerne les avis motivés (s'agissant des saisines de la Cour de justice, nous sommes devancés, de peu, par l'Italie).

dossiers d'infraction en cours au 31 decembre 2001

MISES EN DEMEURE

AVIS MOTIVES

SAISINES DE LA COUR DE JUSTICE

Source : Commission européenne.

· Le tableau récapitulatif de l'état des transpositions

Afin d'améliorer les procédures de transposition des directives, le ministre délégué chargé des affaires européennes s'est engagé, dans un courrier du 24 janvier 2002 adressé aux Présidents des délégations pour l'Union européenne, à communiquer, chaque trimestre, au Conseil d'Etat et aux Assemblées le tableau récapitulatif de l'état des transpositions élaboré par le SGCI.

Le dernier tableau récapitulatif parvenu à la Délégation de l'Assemblée nationale est daté du 25 septembre 2002. L'analyse de ce document permet également de déceler une légère amélioration de la situation française.

En effet, à la fin septembre 2002, 211 directives n'avaient pas encore fait l'objet d'une transposition complète. Sur ces 211 textes, 102 auraient dû être transposées avant le 1er novembre 2002 et feront l'objet d'une transposition tardive. Ce dernier chiffre traduit un léger progrès, dans la mesure où les textes en retard étaient 116 dans le précédent tableau récapitulatif transmis en juillet 2002 et on peut rappeler qu'en septembre 2000, 136 directives étaient dans ce cas de figure.

Il convient, cependant, de regretter l'ancienneté de plusieurs de ces directives : 10 d'entre elles auraient dû être transposées avant la fin de 1995 (!) et 41 avant le 1er janvier 2001 (voir le tableau de la page suivante).

Le tableau figurant pages 20 et 21 recense les 10 directives dont le retard de transposition est le plus important (au moins sept années).

répartition des directives en retard en fonction
de la date limite theorique de transposition

Année théorique de transposition

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002(*)

Nombre de directives

4

1

2

1

2

-

5

5

8

13

22

39

(*) Il ne s'agit que des directives qui auraient dû être transposées avant le 1er novembre 2002. Au total, 58 directives ont une échéance de transposition fixée en 2002.

Directive

Délai fixé pour la transposition

Etat

Ministère

Commentaires

Textes à adopter

Dernières modifications

Précontentieux

Contentieux

Directive 89/48/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans, dite « directive BAC+3 »

04/01/1991

Transposition partielle

Education nationale

- Le défaut de transposition ne concerne que la profession des psychologues.

- Le décret d'application aux psychologues est prêt. Le Cabinet du ministre en est saisi en vue d'une transmission au Conseil d'Etat.

1 décret du Conseil d'Etat est nécessaire

Ordonnance 2001/199 du 1er mars 2001

- MD a) le 8/09/97

- Réponse le 29/06/98

- AM b) le 24/06/98

- Réponse le 11/01/99

- Condamnation le 10/05/2001

- MD le 08 juillet 2002 (article 228)

Directive 90/167/CEE du Conseil du 26/03/1990 établissant les conditions de préparation, de mise sur le marché et d'utilisation des aliments médicamenteux pour animaux dans la Communauté

30/09/1991

Transposition partielle

Santé

Adoption des 2 textes possible en 2002

- 1 décret en CE « établissement »

- 1 décret en CE « importation »

     

Directive 90/220/CEE du Conseil, du 23 avril 1990, relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés

22/10/1991

Transposition partielle

Ecologie

Directive volontairement non transposée : la nouvelle directive OGM n° 2001/18 a été adoptée le 12 mars 2001. La position est de ne pas transposer tant que le règlement sur la traçabilité n'aura pas été adopté

- 2 arrêtés

arrêté du 30 novembre 2001

 

- 26/07/01 : requête de la Commission

Directive 90/219/CEE du Conseil du 23 avril 1990 relative à l'utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés (OGM)

23/10/1991

Non transposée

Ecologie

 

1 décret du ministère de la défense

   

- 14/11/01 : requête de la Commission

- 21/01/02 : mémoire en défense

- 27/02/2002 : mémoire en réplique de la Commission

- Mémoire en duplique le 25 avril 2002

Directive 90/313/CEE du Conseil du 7 juin 1990 concernant la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement

31/12/1992

Transposition partielle

Ecologie

 

Eventuellement un décret

Ordonnance 2001-321 du 11/04/2001

- AM le 17/06/1999

- réponse en septembre 99

- Recours en manquement

- Mémoire en défense déposé en 09/00

- duplique en 01/01

- demande de désistement envoyée à la Commission le 27/06/01

Directive 92/49/CEE du Conseil du 18 juin 1992 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et modifiant les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE (troisième directive assurance vie)

31/12/1993

Transposition partielle

Finances

Le 13 mars 2002 le gouvernement français s'est engagé à prendre avant l'automne les décrets nécessaires à la transposition

- 3 décrets en CE

- 1 décret en simple

- Décret 2002-720 du 2 mai 2002

- Arrêté du 2 mai 2002

- Décret n° 2001-1107 du 23/11/01

- Décret 2002-331 du 11 mars 2002

- Décret 2002-332 du 11 mars 2002

- Décret 2002-354 du 14 mars 2002

- Décret 2002-700 du 2 mai 2002

- MD 228 du 4/4/2000 - réponse le 29/5/2000

- AM 228 le 18/09/00 - réponse le 16/11/00 pour la question du bonus/malus

- AM du 20/4/2001 - réponse en préparation

- Condamnation de la France le 29/09/99

- Condamnation de la France le 11 mai 2000

et

             

Directive 92/96/CEE du Conseil du 10 novembre 1992 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe sur la vie, et modifiant les directives 79/267/CEE et 90/619/CEE (troisième directive assurance vie)

31/12/1993

Transposition partielle

Finances

       

Directive 93/15/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, relative à l'harmonisation des dispositions concernant la mise sur le marché et le contrôle des explosifs à usage civils

30/06/1994

Transposition partielle

Finances

 

3 arrêtés

- Décret 2002-933 du 13 juin 2002

- 2 arrêtés du 25 mai 1999

- MD 228 23/10/01 -réponse le 21/12/01

- France condamnée le 23/03/2000

Directive 93/99/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993 relative à des mesures additionnelles concernant le contrôle officiel des denrées alimentaires

01/05/1995

Transposition partielle

Agriculture

 

1 décret CE

     

Directive 94/80/CE du Conseil du 19 décembre 1994 fixant les modalités de l'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l'Union résidant dans un Etat membre dont ils n'ont pas de nationalité

31/12/1995

Non transposée

Intérieur

 

Modification de l'imprimé d'inscription sur les listes électorales

 

MD décembre 2001

 

a) Mise en demeure

b) Avis motivé

Source : SGCI.

L'analyse du tableau récapitulatif de l'état des transpositions permet surtout de mettre en avant la responsabilité majeure du pouvoir exécutif dans les retards constatés.

2) Un dysfonctionnement imputable essentiellement au pouvoir exécutif

Il importe de souligner ce point, qui n'est pas toujours suffisamment pris en compte dans les débats concernant le problème de transposition, en particulier quand certains voudraient privilégier des transpositions par voie d'ordonnances.

Il a déjà été mis en avant dans un rapport d'information du Sénat(9) qui signalait que « deux tiers des textes pour lesquels il y a un retard de transposition ont un caractère réglementaire ».

Le dernier tableau récapitulatif transmis à la Délégation montre que le Parlement n'intervient finalement que de façon marginale dans les retards de transposition.

Ainsi, sur les 211 textes restant à transposer, 39 seulement sont expressément signalés comme nécessitant une intervention du législateur, soit 18,5 % des directives concernées(10).

On ne saurait donc invoquer l'encombrement de l'ordre du jour parlementaire pour tenter d'expliquer les retards de transposition.

On peut ajouter que sur les 102 textes qui auraient dû être transposés avant le 1er novembre 2002, pas plus de 25 devaient faire l'objet d'une intervention législative. Pour la majorité de ces directives (15 sur 25), le législateur a même déjà voté la loi de transposition(11! Ces directives ne sont pas considérées comme intégralement transposées, non pas à cause d'une carence législative, mais du fait de la non-intervention d'un ou plusieurs textes réglementaires(12) qui auraient dû suivre le texte de loi.

Si l'on étudie la répartition des directives restant à transposer en fonction du ministère responsable à titre principal, on peut observer que 4 ministères sont en charge, à eux seuls, de 153 des 211 directives concernées, soit 72,5 % du total.

Repartition par ministere des directives
restant a transposer au 30 septembre 2002

Finances

Agriculture

Equipement

Ecologie

Santé

Affaires
sociales

Culture et
communication

Justice

Intérieur

Education
nationale

65

34

31

23

19

13

12

9

3

2

Ce classement ne saurait être interprété comme une mise en accusation de certaines administrations, car :

- d'une part, le ministère de l'équipement, du logement et des transports apparaît parmi les ministères ayant le plus de directives à transposer, et il convient de souligner que seulement 7 des 31 textes relevant de sa responsabilité auraient dû faire l'objet d'une transposition avant le 1er novembre 2002 ;

- d'autre part, la législation communautaire concerne plus certains départements ministériels que d'autres.

Il n'empêche que les ministères dont le champ de compétences est particulièrement régi par le droit communautaire devraient veiller à adapter leur organisation à cet état de fait. On peut s'étonner, par exemple, que la moitié des directives dont les ministères de l'agriculture (19 sur 34) et de l'écologie (12 sur 23) sont en charge relève de la catégorie des transpositions tardives.

Ces dysfonctionnements administratifs sont d'autant plus regrettables qu'ils peuvent avoir de graves conséquences pour l'Etat.

3) Des risques de nature politique, juridique et financier

Les importants retards de transposition constatés en France, qu'ils soient liés à une absence totale de mesures d'ordre interne ou à une transposition incomplète, ne conduisent pas seulement à donner une mauvaise image de la France dans les bilans statistiques.

a) Les risques politiques

Ces inconvénients ont parfaitement été énumérés par le Président Hubert Haenel dans son rapport d'information sur l'amélioration des procédures de transposition des directives communautaires en droit français(13) :

« - la fragilisation de la position de la France dans les négociations communautaires ;

- une atteinte à l'esprit communautaire, car la construction européenne repose sur la confiance mutuelle entre les Etats membres, qui ont pour l'essentiel la responsabilité de l'application du droit communautaire ;

- un mauvais « signal » vis-à-vis des pays candidats, de qui nous exigeons une reprise intégrale de l'acquis communautaire sans satisfaire nous-mêmes à cette exigence ;

- finalement, une atteinte au fonctionnement équilibré de notre démocratie, le recours aux ordonnances conduisant à la transposition de plusieurs dizaines de textes à caractère législatif sans les garanties qu'apporte l'examen parlementaire. »

b) Les risques juridiques

L'Etat français s'expose à des sanctions juridictionnelles, tant dans l'ordre communautaire que dans l'ordre interne.

Dans l'ordre communautaire, la Commission ou tout autre Etat membre peut mettre en œuvre devant la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) la procédure de l'action en manquement prévue par les articles 226 et 227 (ex 169 et 170) du traité instituant la Communauté européenne. Il a été indiqué précédemment que la France était l'Etat membre qui, au 31 décembre 2001, faisait l'objet du plus grand nombre de mises en demeure et d'avis motivés et qu'elle se situait en seconde position en ce qui concerne les saisines de la Cour de justice.

Dans l'ordre interne(14), le Conseil d'Etat a, depuis plusieurs années, indiqué que les autorités nationales ne peuvent, après l'expiration du délai de transposition, ni laisser subsister des dispositions réglementaires qui ne seraient plus compatibles avec les objectifs définis par les directives dont il s'agit, ni édicter des dispositions réglementaires qui seraient contraires à ces objectifs (Conseil d'Etat, Cie Alitalia, 3 février 1989). Dans un arrêt plus récent (Conseil d'Etat, Union nationale des pharmacies, 15 avril 1996), il a également obligé l'Etat à tenir compte de l'existence de directives communautaires dont le délai de transposition n'était pas expiré.

Par ailleurs, même si la Haute juridiction administrative refuse - contrairement à la CJCE -, de reconnaître, sous certaines conditions(15), l'effet direct des directives, le Conseil d'Etat admet l'invocabilité par les particuliers des objectifs des directives non transposées à l'encontre des mesures à caractère général et impersonnel (Conseil d'Etat, Cohn-Bendit, 22 décembre 1978). Il semble même, depuis peu, accepter cette invocabilité à l'encontre d'actes administratifs individuels (Conseil d'Etat, Association de défense du site du Realtor, 30 décembre 1998).

c) Les risques financiers

Les recours en manquement devant la Cour de justice des Communautés européennes peuvent aboutir à des condamnations assorties d'astreintes. De même, au niveau interne, la carence de l'administration n'est pas seulement susceptible d'être sanctionnée sur le terrain de la légalité : elle peut également être génératrice de responsabilité dans le cadre du plein contentieux.

En application de l'article 228 (ex 171) du traité instituant la Communauté européenne, la CJCE peut infliger à un Etat membre, sur proposition de la Commission européenne, le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte, si ce dernier n'a pas pris les mesures nécessaires pour exécuter un précédent arrêt de la Cour. Les sommes en jeu peuvent être très élevées. En décembre 2001, la Commission européenne a ainsi proposé, à l'encontre de la France, une astreinte de 316 500 euros par jour pour défaut de transposition d'une directive concernant le secteur de la pêche. On peut aussi indiquer que les Etats ne peuvent pas systématiquement se dérober au paiement de ces astreintes. La Grèce a effectivement dû verser 5,4 millions d'euros au titre d'une astreinte de 20 000 euros par jour, prononcée dans une affaire concernant le fonctionnement d'une décharge illégale de déchets solides.

Par ailleurs, la Cour de justice des Communautés européennes fait peser sur les Etats membres une obligation de réparation en cas de dommages causés aux particuliers par la non-transposition d'une directive (arrêt Francovich, 19 novembre 1991).

En droit interne, l'absence de transposition d'une directive peut aussi engager la responsabilité de l'Etat pour faute. Dans un jugement du 2 mai 2001, Sté Suez-Lyonnaise des eaux, le tribunal administratif de Rennes a considéré qu'en ne mettant pas en œuvre, dans les délais qui lui étaient impartis, les programmes d'action prévus par la directive du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre les nitrates, l'Etat avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité(16).

B. Des remèdes insuffisamment appliqués

Les divers risques et les dysfonctionnements qui sont à leur origine ont été identifiés depuis longtemps et de nombreuses solutions ont été préconisées. Il faut parvenir désormais à en imposer le respect dans les différents départements ministériels. A cet égard, le Parlement peut sans doute agir efficacement.

1) Les causes des dysfonctionnements identifiées depuis longtemps

Les difficultés rencontrées par la France pour mener à bien la transposition des directives ne sont pas récentes.

A la demande du Gouvernement, la Section du rapport et des études du Conseil d'Etat avait analysé ces problèmes dans un document publié en décembre 1989.

Ces deux dernières années, comme cela a déjà été précisé, trois rapports d'information des délégations de l'Assemblée nationale et du Sénat pour l'Union européenne ont étudié cette question.

En outre, de juin à octobre 2001, un groupe de travail, composé de fonctionnaires relevant de l'exécutif et de fonctionnaires des deux Assemblées parlementaires, a examiné les améliorations susceptibles d'être apportées aux procédures de transposition des normes communautaires en droit français.

De tous ces travaux, il ressort que le problème est essentiellement d'ordre administratif et pourrait être résolu par une plus grande rigueur lors de la procédure de transposition. Dans quelques cas, néanmoins, le blocage révèle un embarras politique du Gouvernement.

Les dysfonctionnements administratifs résultent, par exemple :

- de désaccords entre plusieurs ministères responsables de la transposition ;

- d'un suivi insuffisant des négociations communautaires, conduisant à l'adoption d'une directive incompatible avec le droit français (ainsi la directive 98/44/CE du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques comporte un article 5 sur la brevetabilité d'un élément isolé du corps humain dont les dispositions sont incompatibles avec les lois sur la bioéthique, le code de la propriété industrielle et avec l'article 16-5 du code civil, qui prohibe la commercialisation du corps humain, de ses éléments ou de ses produits).

2) Des remèdes sans effets significatifs

a) La circulaire du 9 novembre 1998

Jusqu'en 1986, chaque ministère était responsable, dans son domaine de compétence, de la transposition des directives. Par une circulaire du 5 mai 1986, le Premier ministre a mis en place une procédure centralisée reposant sur le Secrétariat général du Gouvernement et sur le SGCI.

A la suite des recommandations formulées par la Section du rapport et des études du Conseil d'Etat, une nouvelle circulaire a été publiée en janvier 1990. Complétée par une circulaire de mars 1994, elle a été remplacée par une circulaire du 9 novembre 1998, qui constitue, aujourd'hui, le texte de référence de l'administration en matière de transposition.

Cette circulaire fixe la méthode de travail à suivre par chaque ministère dès le stade de la négociation des directives puis après l'adoption de la directive.

Durant la phase de négociation, les ministères intéressés doivent fournir, dans le délai d'un mois à partir de la communication de la proposition de directive, une étude d'impact juridique, comprenant notamment la liste des textes de droit interne dont l'élaboration ou la modification seront nécessaires, et identifiant les éventuelles difficultés.

Après l'adoption de la directive, chaque ministère concerné doit adresser au SGCI, dans le délai de trois mois, un échéancier d'adoption des textes relevant de ses attributions, accompagné d'un avant projet de rédaction de chacun de ces textes. A l'issue du délai de trois mois, le SGCI est tenu de convoquer une réunion de transposition, visant à identifier les difficultés de nature juridique.

La circulaire prévoit également que le SGCI doit provoquer, trois mois avant l'expiration du délai de transposition, une nouvelle réunion. Si des mesures restent à prendre, si des désaccords persistent, ils doivent être soumis sans délai à l'arbitrage du Premier ministre.

b) Les mesures postérieures à la circulaire

Prenant en compte les conclusions du groupe de travail administratif mis en place en 2001, le ministre délégué chargé des affaires européennes - M. Pierre Moscovici - a adressé une lettre aux présidents des délégations parlementaires pour l'Union européenne, le 24 janvier 2002, afin d'annoncer la mise en application des mesures suivantes :

- au stade de la négociation de la directive, chaque texte transmis aux Assemblées au titre de l'article 88-4 de la Constitution doit systématiquement être complété, dans un délai de trois semaines, par une fiche d'impact simplifiée, élaborée par le ministère chef de file, précisant l'objet de la proposition d'acte et mentionnant les textes de droit interne concernés en première analyse. De plus, une diffusion spécifique des télégrammes diplomatiques, rendant compte des négociations relatives aux textes transmis au titre de l'article 88-4 précité, est désormais assurée aux Présidents de chacune des délégations des Assemblées ;

- au stade de la transposition, le tableau récapitulatif de l'état des transpositions, élaboré au sein du SGCI, est communiqué chaque trimestre au Conseil d'Etat et aux Assemblées. Outre les informations sur l'état des transpositions, ce tableau mentionne également les procédures en manquement éventuellement engagées par la Commission devant la CJCE.

Le ministre rappelle, par ailleurs, les nouvelles dispositions mises en place en juin 2001 : transmission aux assemblées, tous les deux mois, des nouvelles directives communautaires nécessitant une transposition, possibilité offerte aux deux délégations d'adresser des observations au Gouvernement sur les difficultés éventuelles que certaines transpositions pourraient présenter, organisation d'une réunion annuelle de suivi de cette nouvelle procédure pour faire le point sur l'état des travaux de transposition.

3) Une application défectueuse

La mise en œuvre de certaines recommandations des ministres s'effectue de façon satisfaisante : ainsi, s'agissant des mesures annoncées dans la lettre du 24 janvier 2002, les délégations pour l'Union européenne des deux Assemblées reçoivent régulièrement le tableau récapitulatif de l'état des transpositions, ainsi que les télégrammes diplomatiques rendant compte des négociations.

En revanche, l'envoi, dans un délai de trois semaines, d'une fiche d'impact simplifiée concernant chaque texte transmis aux Assemblées au titre de l'article 88-4 de la Constitution n'est pas assuré de façon systématique : entre le 11 avril et le 25 octobre 2002, seulement 5 fiches d'impact simplifiées sont parvenues à la Délégation de l'Assemblée nationale, alors que
- dans le même temps - 17 directives ont été envoyées
.

Par ailleurs, il apparaît que le dispositif mis en place par la circulaire du 9 novembre 1998 reste lettre morte dans de nombreux cas. Ainsi, le délai d'un mois fixé, après la communication d'une proposition de directive, pour fournir au SGCI une étude d'impact, est très mal respecté par certains ministères (en particulier les ministères de l'agriculture, de l'équipement et des affaires sociales qui, en 2002, ne s'y sont soumis que dans un cas sur trois). En outre, alors que le ministre responsable devrait, en principe, transmettre au SGCI un projet de texte assorti d'un calendrier de transposition dans les trois mois suivant l'adoption d'une directive, ce délai est méconnu plus de neuf fois sur dix ! Par ailleurs, quelques commentaires figurant dans le dernier tableau récapitulatif de l'état des transpositions fourni par le SGCI et concernant des directives dont le retard de transposition est très important, ne manquent pas de surprendre :

- la directive 90/167/CEE du 26 mars 1990 établissant les conditions de préparation, de mise sur le marché et d'utilisation des aliments médicamenteux pour animaux dans la Communauté, aurait dû être transposée le 30 septembre 1991, au plus tard. La transposition n'a été réalisée que de façon partielle et deux décrets en Conseil d'Etat doivent encore être publiés. Le tableau récapitulatif nous apprend que l'un de ces décrets « a été transmis au Conseil d'Etat le 14 février 2002, mais comme il ne faisait pas partie du programme de travail prioritaire du Gouvernement, le Conseil d'Etat l'a retourné au ministère ». Effectivement, onze années après la date d'échéance de la transposition, ce texte n'est pas prioritaire... ;

- la directive 90/219/CEE du 23 avril 1990 relative à l'utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés (OGM) a également un retard de transposition de onze ans (l'échéance expirait le 23 octobre 1991). Or, lorsque le 10 septembre 2002, le SGCI organise une réunion de l'ensemble des ministères intéressés (environnement, agriculture, recherche et défense), « ni le ministère de la défense, ni celui de la recherche n'étaient représentés » ;

- la directive 93/15/CEE du 5 avril 1993 relative à l'harmonisation des dispositions concernant la mise sur le marché et le contrôle des explosifs à usage civil est en attente d'une transposition intégrale depuis huit ans (l'échéance était fixée au 30 juin 1994). Pourtant, « la transposition ne pose pas de difficulté de fond, mais la direction de l'action régionale et de la petite et moyenne industrie (DARPMI) a pris beaucoup de retard ». Ce constat est d'autant plus inquiétant que la direction précitée dépend du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, c'est-à-dire celui qui, actuellement, est responsable du plus grand nombre de directives à transposer (65, dont 27 pour lesquelles l'échéance a déjà expiré).

Dans son tableau d'affichage du marché intérieur publié en mai 2002, la Commission européenne(17) observe - à propos des retards enregistrés en France et en Allemagne - qu'« un engagement renouvelé au plus haut niveau politique semble nécessaire pour remettre le train en marche ». Le Gouvernement français vient de manifester son engagement à l'occasion d'une récente communication au Conseil des ministres.

C. Un plan d'urgence mis en place par le Gouvernement

Interrogée, l'été dernier, par le rapporteur sur la question relative au retard pris par la France dans la transposition des directives, Mme Noëlle Lenoir - ministre délégué aux affaires européennes - avait annoncé deux nouvelles mesures, dans une réponse publiée au Journal officiel, questions écrites, le 2 septembre 2002 (p. 2990) :

- en premier lieu, elle souhaitait procéder régulièrement à une communication sur l'avancement des transpositions en séminaire de Gouvernement ;

- en second lieu, chaque cabinet ministériel devait désigner en son sein un responsable de la transposition.

La réflexion s'est prolongée et enrichie et a donné lieu à une communication lors du Conseil des ministres du 6 novembre 2002. A cette occasion, un plan d'action a été annoncé. Il comporte deux axes majeurs.

Le premier axe impose une clarification des responsabilités administratives et se singularise essentiellement par les objectifs quantitatifs fixés à chaque ministre.

Il est demandé aux ministères de transmettre dans les délais au SGCI les documents visés par la circulaire du 9 novembre 1998 (fiches d'impact et échéanciers) et il est précisé que les Assemblées en seront également destinataires, ce qui complète les mesures mises en œuvre depuis janvier 2002.

Il est surtout exigé une réduction par trois, dans les six prochains mois, du nombre total des directives en retard de transposition. Parmi ces directives, celles ayant un retard de deux ans au moins devront toutes être transposées.

Ces objectifs ne seront atteints que si chaque ministère s'organise en conséquence. Le ministre délégué aux affaires européennes a donc rappelé la nécessité de nommer un interlocuteur ministériel(18). Le ministre a également fait part de son intention d'effectuer en Conseil des ministres une communication sur la transposition tous les six mois, avant chaque publication par la Commission européenne de son tableau d'affichage.

Le second axe du plan d'action du Gouvernement consiste à impliquer davantage le Parlement, grâce à l'instauration d'un « rendez-vous régulier », probablement mensuel, sur les questions européennes. Il est d'ailleurs observé que le Gouvernement qui associe le plus étroitement son Parlement aux négociations sur les directives - le Danemark - est aussi le plus exemplaire en cette matière.

Ce « rendez-vous » ne pourra concerner, toutefois, que les transpositions nécessitant une loi. Or, il convient de rappeler que les transpositions par voie législative ne sont pas, et de loin, les plus nombreuses (actuellement, sur 211 directives en attente de transposition, 26 sont identifiées dans le tableau récapitulatif du SGCI comme nécessitant une intervention du Parlement à plus ou moins long terme). Le rapporteur se demande donc s'il ne serait pas plus opportun de prévoir un rendez-vous moins fréquent, pour être plus proche des besoins constatés en matière de transposition législative.

Au total, le dispositif annoncé par le Gouvernement se caractérise à la fois par son volontarisme et par son pragmatisme(19), deux qualités indispensables pour atteindre le résultat poursuivi. Le rapporteur partage pleinement cette approche et considère que le Parlement français peut y être associé en privilégiant ses activités de contrôle, ce qui permettrait d'accompagner l'effort du pouvoir exécutif dans le long terme, grâce à la mise en œuvre d'instruments complémentaires.

D. Faire du Parlement un aiguillon

De ce qui précède, deux constatations essentielles méritent d'abord d'être rappelées :

- d'une part, le législateur n'intervient que de façon peu fréquente dans le domaine de la transposition des directives ; la majeure partie des transpositions est réalisée par voie réglementaire et c'est à ce niveau que les dysfonctionnements constatés en France se situent principalement ;

- d'autre part, ces dysfonctionnements sont clairement identifiés et la plupart des mesures susceptibles d'y remédier ont d'ores et déjà été édictées. La vraie difficulté réside dans leur mise en application effective.

Ce ne sont donc pas des mesures législatives qui apparaissent comme prioritaires. Pour reprendre une formule du Président Haenel, « la saine pratique du régime parlementaire veut alors que le Parlement joue le rôle d'aiguillon et de contrôleur et qu'il incite le Gouvernement à réagir »(20).

Ajoutons que cette réaction, initiée par le nouveau Gouvernement, se devait d'intervenir rapidement, car si au 1er novembre 2002 102 textes n'avaient pas fait l'objet d'une transposition correcte dans les délais, ce nombre pourrait croître fortement dans les prochains mois : entre le 1er novembre 2002 et le 31 décembre 2003, 90 directives verront leur délai normal de transposition prendre fin.

1) Des mesures législatives encore sans suites et forcément partielles

Deux propositions de loi, adoptées par le Sénat le 14 juin 2001, pourraient être inscrites à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Certains ajoutent que les parlementaires ont la faculté, si une transposition ne leur paraît pas engagée de manière suffisamment déterminée, de déposer une proposition de loi de transposition, et que ceci pourrait être un palliatif à l'inaction du Gouvernement.

a) La proposition de loi constitutionnelle tendant à prévoir dans chaque assemblée parlementaire une séance mensuelle réservée à la transposition des directives et à l'autorisation de ratification des conventions internationales(21)

Cette proposition de loi constitutionnelle, déposée par MM. Aymeri de Montesquiou, Hubert Haenel et les membres du Rassemblement démocratique et social européen, est rédigée de la façon suivante :

Article unique

L'article 48 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Une séance par mois est réservée à la transposition des directives communautaires et à l'autorisation de ratification ou d'approbation des conventions internationales. L'ordre du jour de cette séance est fixé par le Gouvernement ou, à défaut, par chaque Assemblée. »

Ce dispositif préserve les prérogatives du Gouvernement en matière de fixation de l'ordre du jour, puisqu'il demeure libre de choisir les projets de loi de transposition à soumettre aux Assemblées. Ce n'est qu'en cas d'inaction de sa part que chaque Assemblée pourrait décider d'inscrire, dans le cadre de la séance mensuelle réservée, des projets de loi de transposition de directives ou des projets de loi autorisant la ratification de conventions internationales (la France accumule également des retards importants en ce domaine).

Ce texte présenterait surtout un intérêt dans les cas où le défaut de transposition résulte d'une difficulté politique : une Assemblée pourrait se saisir d'un projet déposé, mais que le Gouvernement hésite à inscrire à l'ordre du jour en raison de désaccords politiques avec sa majorité parlementaire. Ainsi, par exemple, si ce texte avait été en vigueur, le Sénat aurait probablement souhaité examiner le projet de loi du 17 mai 2000 visant à transposer la « directive gaz », qui n'a jamais été soumis au Parlement.

Cette solution exige une révision constitutionnelle, ce qui rend sa probabilité de mise en œuvre plus incertaine. Il importe d'ailleurs d'observer que le Gouvernement, en annonçant un rendez-vous mensuel pour la transposition des directives (dispositif similaire à la proposition de loi constitutionnelle), s'est gardé de faire référence à cette dernière, préférant s'en tenir à un mécanisme non inscrit dans les textes, souple et non contraignant.

b) La proposition de loi complétant l'article 6 bis de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 en vue de permettre un contrôle du Parlement sur la transposition des directives communautaires(22)

Ce texte, adopté à l'unanimité par le Sénat, est ainsi rédigé :

Article unique

Après le deuxième alinéa du IV de l'article 6 bis de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des Assemblées parlementaires, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Sur tout projet ou proposition d'acte des Communautés européennes ou de l'Union européenne ayant une incidence sur des dispositions de nature législative, le Gouvernement leur communique, dans le délai de deux mois à partir de la transmission de ce projet ou de cette proposition au Conseil de l'Union, une étude d'impact juridique. Cette étude comprend la liste des textes législatifs de droit interne dont l'élaboration ou la modification sera nécessaire en cas d'adoption du texte, un avis sur le principe du texte sous l'angle juridique et celui de la subsidiarité ainsi qu'un tableau comparatif des dispositions communautaires et nationales. Elle est adaptée au vu des évolutions qu'est susceptible de connaître la proposition ou le projet. »

« Dans les trois mois suivant la notification d'une directive, le Gouvernement leur communique un échéancier d'adoption des textes législatifs permettant sa transposition en droit interne. »

Il vise à reprendre dans un texte législatif les principales dispositions de la circulaire du 9 novembre 1998, à savoir la nécessité pour l'administration de procéder à une étude d'impact juridique sur toute proposition de directive ayant une incidence législative, et de tenir un échéancier d'adoption des textes législatifs nécessaires à la transposition.

En imposant la transmission de ces documents aux deux délégations parlementaires pour l'Union européenne, la proposition vise à donner au Gouvernement un bon motif pour exiger de l'administration qu'elle les établisse.

Nous souhaitons que cette proposition de loi soit rapidement inscrite par le Gouvernement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, le cas échéant, dans le cadre du « rendez-vous régulier » annoncé le 6 novembre dernier. Son adoption sera utile même si on doit à nouveau observer que cette disposition ne concerne pas la majorité des directives dont la transposition s'effectue par voie réglementaire.

c) La transposition par voie de propositions de loi

Afin de forcer la main au pouvoir exécutif, les parlementaires pourraient déposer des propositions de loi visant à transposer les directives dont l'échéance de transposition a expiré.

Une telle solution était expressément évoquée dans la rédaction initiale de la proposition de loi constitutionnelle du Sénat précitée. Elle a été écartée du texte adopté, après que le rapporteur
- M. Lucien Lanier - eut souligné « la technicité de certaines directives et la nécessité d'opérer une transposition qui respecte pleinement les prescriptions de la directive »(23).

On peut également faire valoir qu'il pourrait être malaisé de respecter pleinement la répartition entre le domaine de la loi et celui du règlement, prévue par les articles 34 et 37 de la Constitution.

2) Privilégier le renforcement du contrôle exercé par le Parlement

Dans le cadre de l'approche pragmatique retenue par le Gouvernement, qui apparaît incontestablement comme la plus pertinente, deux pistes principales peuvent être évoquées : d'une part, permettre aux délégations parlementaires pour l'Union européenne de se saisir pour avis des projets de loi de transposition ; d'autre part, la publication annuelle d'un rapport parlementaire recensant l'ensemble des directives dont la transposition intégrale n'a pas été réalisée malgré l'expiration du délai prévu et fournissant des explications sur ces retards. Il semble également souhaitable de demander au Premier ministre de faire le point sur ce dossier lors de chacune des déclarations annuelles qu'il s'est engagé à faire devant le Parlement.

a) Autoriser les délégations pour l'Union européenne à se saisir pour avis des projets de loi de transposition

Lors de la précédente législature, le Président Alain Barrau avait déposé une proposition de loi(24) en ce sens, qui est aujourd'hui caduque. Le rapporteur reprend cette proposition à son compte.

Ce dispositif est nécessaire pour que les délégations, compétentes pour examiner les directives avant leur adoption par le Conseil, puissent être associées pleinement à leur transcription dans le droit interne quand elles relèvent du domaine législatif.

b) Publier un rapport annuel sur l'état des transpositions

Un rapport supplémentaire serait-on tenté de penser ! A tort selon nous.

L'expérience prouve que l'administration n'aime guère être montrée du doigt et que de tels rapports peuvent susciter de saines réactions, tant en amont (pour éviter d'être citée) qu'en aval (pour ne pas être la fois suivante encore mentionnée et parce que la citation provoque souvent des commentaires et interventions conduisant à l'action).

Ainsi, la Commission européenne observe que « Le tableau d'affichage du marché intérieur exerce une certaine pression sur les Etats membres en mettant en évidence leur performance relative en matière de mise en œuvre de la législation. Cette approche a donné de bons résultats : le déficit de transposition moyen de l'Union européenne a régulièrement diminué, passant de 6,3 % en 1997 à 1,8 % actuellement »(25).

L'Assemblée nationale sait utiliser cette forme de pression. On peut citer le rapport d'information annuel de la Commission des finances, de l'économie générale et du Plan sur l'application des mesures fiscales. La perspective de la publication de ce document, en juillet de chaque année, incite fortement les différentes administrations concernées à accélérer la parution des textes d'application des dispositions figurant dans les dernières lois de finances. On peut aussi indiquer que, depuis 1998, la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales a systématiquement nommé un rapporteur sur l'application de chacune des lois majeures qu'elle a eu à connaître, afin de veiller à la parution des décrets d'application et à la mise en œuvre concrète de la loi sur le terrain.

Pour obtenir l'effet recherché, le rapport annuel de la Délégation devrait se limiter à l'examen des textes dont la transposition n'est pas satisfaisante (soit tardive, soit incomplète) et le ou les rapporteurs devraient être sans complaisance.

Obliger une administration à se justifier, c'est déjà la forcer à agir dans le sens souhaité.

Le rapporteur suggère donc à la Délégation pour l'Union européenne d'adopter cette proposition d'un rapport annuel sur l'état des transpositions dont le premier porterait sur l'année 2002 et devrait être présenté à la Délégation avant l'été 2003. Ses conclusions donneraient lieu à une audition du ministre en charge des affaires européennes.

c) Demander au Premier ministre d'évoquer cette question dans sa déclaration annuelle devant le Parlement

Le Premier ministre a indiqué dans sa déclaration de politique générale du 3 juillet dernier que son Gouvernement « rendra compte de son action au Parlement, proposera les initiatives nécessaires pour que les objectifs soient tenus et s'engagera chaque année sur la réalisation de ses objectifs ».

Pourquoi ne pas demander à ce que figure dans cette déclaration annuelle un paragraphe sur la transposition des directives, d'autant plus que le Premier ministre a fait part, dans le même discours de juillet 2002, de son intérêt pour la question, en indiquant : « nous procéderons à la transposition rapide d'un certain nombre de directives européennes pour lesquelles nous sommes, à ce jour, les derniers de la classe en Europe ».

On pourrait, peut-être, éviter ainsi de placer la France dans une position aussi inconfortable que celle où elle se trouve aujourd'hui en Europe du fait de la non-transposition de la directive gaz.

II. LA « DIRECTIVE GAZ » : UN BLOCAGE PREJUDICIABLE POUR LA FRANCE

La directive 98/30/CE du 22 juin 1998 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel, dont les principales dispositions sont détaillées dans la seconde partie du présent rapport, aurait dû être transposée avant le 10 août 2000.

Si le projet de loi de transposition est adopté définitivement avant fin 2002, l'intervention du législateur accusera donc un retard de plus de deux ans. Encore faut-il observer que la transposition ne sera intégralement réalisée qu'après la publication des nombreux décrets d'application prévus par le projet de loi.

Cette situation est paradoxale à plusieurs titres. D'abord, une intense phase de préparation administrative a été mise en œuvre durant la période précédant le délai d'échéance ; seul un blocage politique a empêché la France de tenir son engagement en temps voulu. Ensuite, notre pays apparaît une fois encore comme le « dernier de la classe » - il vient d'ailleurs d'être condamné pour manquement par la CJCE - alors que le dispositif transitoire appliqué depuis deux ans par les opérateurs économiques autorise une ouverture effective à la concurrence du marché français supérieure à ce qui est constaté dans plusieurs pays ayant formellement transposé la directive !

A. Une intense préparation administrative et des tentatives de transposition avortées

Alors que les dysfonctionnements administratifs dans le processus de transposition ont été amplement dénoncés dans les développements précédents, la préparation administrative de la transposition de la directive gaz apparaît comme exemplaire.

L'adoption de la directive du 22 juin 1998 a été suivie, en effet, d'une vaste processus de concertation, ayant donné lieu à la rédaction de plusieurs rapport :

- le Livre blanc « Vers la future organisation gazière française », publié par le Gouvernement le 18 juin 1999 ;

- l'avis du Conseil économique et social sur le rapport de M. Charles Fiterman, adopté le 27 octobre 1999 ;

- le rapport au Premier ministre de Mme Nicole Bricq, parlementaire chargée d'une mission de réflexion et de concertation, déposé le 27 octobre 1999 également ;

- les consultations du Conseil de la concurrence et du Conseil supérieur de l'électricité et du gaz.

Au terme de cette phase de concertation, le Gouvernement a déposé, le 17 mai 2000, le projet de loi relatif à la modernisation du service public du gaz naturel et au développement des entreprises gazières (n° 2396).

En donnant l'impression que la transposition de la directive était directement liée au changement de statut de Gaz de France (GDF) - alors que les deux dossiers doivent être disjoints - le Gouvernement de l'époque n'a pu parvenir à un accord politique avec toutes les composantes de sa majorité parlementaire et a préféré s'abstenir d'inscrire le projet de loi à l'ordre du jour du Parlement.

A la fin de la onzième législature, le projet de loi précité est donc devenu caduc.

Une autre tentative de transposition avait été envisagée à l'occasion de l'examen de la loi de finances rectificative pour 2001, qui comportait un article 38 concernant la résiliation des concessions de transport du gaz naturel et le transfert de la propriété des ouvrages correspondants (devenu l'article 81 du texte définitif).

Cette disposition reprenait, en fait, l'essentiel des mesures figurant au chapitre premier du titre IV du projet de loi du 17 mai 2000, tendant à faire évoluer le régime juridique du transport du gaz, basé sur le système de la concession d'Etat, vers un système d'autorisations assorties de cahiers des charges. Cette évolution juridique n'était pas imposée par la directive gaz, mais elle allait également dans le sens d'une harmonisation des régimes juridiques au niveau européen.

Il semblerait que le Gouvernement avait conçu cet article pour contourner un débat jugé impossible et transposer la directive par voie d'amendements lors des navettes législatives.

Toutefois, la persistance de désaccords politiques a contraint l'exécutif à abandonner cette initiative, plaçant ainsi la France dans la situation du seul Etat membre à ne pas avoir juridiquement mis en application la directive gaz.

B. Une défaillance juridique donnant un reflet déformé de la réalité économique

1) Le seul Etat membre à ne pas avoir communiqué des mesures de transposition

De tous les Etats membres de l'Union européenne, la France est le seul à ne pas avoir adopté un acte formel de transposition de la directive gaz.

Deux autres pays, le Luxembourg et le Portugal, n'ont pas respecté l'échéance du 10 août 2000, mais les procédures engagées à leur encontre par la Commission européenne pour non-communication des textes de transposition ont pu être classées dans le courant de l'année 2001.

Si les Pays-Bas et l'Autriche ont attendu jusqu'à août 2000 pour légiférer (l'Italie les ayant précédés de peu en mai 2000), d'autres Etats membres ont décidé de libéraliser très tôt leur marché du gaz naturel : en avril 1999 pour la Belgique et en octobre 1998 pour l'Espagne.

La Grande-Bretagne a agi avec une célérité particulière : la libéralisation totale du marché a été réalisée le 22 mai 1998, soit un mois avant l'adoption de la directive gaz.

La situation de l'Allemagne est spécifique. Une loi sur l'énergie a été adoptée dès le 29 avril 1998, mais ses dispositions ne procèdent qu'à une transposition partielle de la directive. N'ont pas été intégrées dans le droit interne notamment les mesures relatives à la séparation des sociétés intégrées, à la création d'une instance de régulation indépendante ou à la confidentialité des informations commerciales. Un projet de loi visant à achever la mise en œuvre de la directive a bien été déposé, en décembre 2000, mais aucune date n'est fixée pour son adoption définitive. Après avoir adressé un avis motivé à l'Allemagne le 13 juin 2001, la Commission européenne vient de décider, le 16 octobre dernier, de saisir la CJCE. Cette procédure d'infraction intervient néanmoins bien plus tardivement que celle engagée contre la France (saisine de la CJCE le 3 juillet 2001), qui a longtemps donné l'image du seul Etat défaillant et qui devrait d'ailleurs être condamné prochainement par la CJCE.

2) Une ouverture effective du marché grâce au dispositif transitoire appliqué par les opérateurs économiques

Pourtant, plusieurs mesures de la directive étant suffisamment précises pour être d'application directe, le marché français du gaz est, en pratique, partiellement libéralisé depuis août 2000 (échéance fixée pour la transposition).

Depuis cette date, en effet, GDF et les autres opérateurs français de transport ont mis en place un dispositif transitoire, fixant notamment les condition d'éligibilité (les utilisateurs consommant plus de 25 millions de mètres cubes par an et par site de consommation peuvent choisir librement leur fournisseur de gaz naturel), les principes généraux du système de tarification et l'offre d'accès aux terminaux méthaniers.

De plus, comme la directive le préconise, GDF a déjà distingué clairement ses comptabilités relative au transport, à la distribution et au stockage.

On peut noter, enfin, que la Commission de régulation de l'électricité (CRE) a déjà commencé à étendre ses activités au marché du gaz naturel. Deux lettres de mission lui ont confié la charge de rédiger des rapports à l'attention du Gouvernement(26) et, pour mener à bien ce travail, quatre personnes ont été recrutées.

Dans ces conditions, le taux d'ouverture du marché gazier français est sensiblement supérieur à celui enregistré chez plusieurs de nos partenaires ayant procédé à une transposition formelle de la directive gaz.

Cette situation est reconnue par la Commission européenne, qui, dans son deuxième rapport d'étalonnage sur la mise en œuvre du marché intérieur du gaz et de l'électricité, publié le 1er octobre 2002, observe : « Il faut noter certains progrès également sur le marché français, en dépit d'insuffisances dans la mise en œuvre de la directive, même si le seuil d'éligibilité y est bien supérieur à celui de la plupart des Etats membres ».

Ce constat est illustré par le tableau suivant, montrant que le taux de changement de fournisseurs chez les grands consommateurs industriels éligibles est beaucoup plus élevé en France (20 à 30 %) que dans plusieurs pays européens (notamment l'Allemagne et l'Italie).

taux de changement des fournisseurs

       

Grands consommateurs industriels éligibles

Petites entreprises/ménages

 

Nombre de fournisseurs agréés

Fournisseurs indépendants du GRD

Part de marché globale du principal fournisseur

Changement

Changement ou renégociation

Changement

Changement ou renégociation

Autriche

25

2

non dét.

< 2 %

non dét.

non éligibles

Belgique

5

5

95 %

non dét.

non dét.

non éligibles

Danemark

4

0

92 %

2-5 %

non dét.

non éligibles

France

26

4

95 %

20-30 %

non dét.

non éligibles

Allemagne

740

12

non dét.

< 2 %

non dét.

< 2 %

non dét.

Irlande

non dét.

non dét.

non dét.

20-30 %

non dét.

non éligibles

Italie

750

très peu nombreux

10 %

10-20 %

100 %

2-5 %

non dét.

Luxembourg

6

1

85 %

5-10 %

non dét.

non éligibles

Pays-Bas

20

20

non dét.

30-50 %

non dét.

non éligibles

Espagne

30

30

70 %

20-30 %

non dét.

non éligibles

Suède

7

0

100 %

< 2 %

non dét.

non éligibles

Royaume-Uni

93

93

50 %

> 50 %

non dét.

30-50 %

> 50 %

Source : Commission européenne.

Il n'en demeure pas moins que, faute d'avoir effectué rapidement une transposition qui, juridiquement et techniquement, ne soulève manifestement aucune difficulté majeure (comme le prouve la mise en œuvre du dispositif transitoire depuis août 2000), la France se trouve aujourd'hui dans une situation préjudiciable.

C. Un retard préjudiciable pour la France

Non seulement la France devrait être condamnée prochainement par la CJCE du fait de l'absence de transposition dans le délai, mais encore le blocage politique de ce dossier a nui à nos intérêts économiques et a affaibli notre position dans les négociations actuelles d'une nouvelle directive visant à accroître la libéralisation du marché du gaz naturel.

La CJCE devrait condamner la France aux dépens avant la fin de l'année, bien que les autorités françaises aient fait valoir les mesures transitoires appliquées par les opérateurs économiques. Mais, comme le constatait l'avocat général - Mme Christine Stix-Hackl - dans ses conclusions du 11 juillet dernier, renvoyant à un précédent arrêt de la Cour du 17 novembre 1992(27), « de simples pratiques administratives, par nature modifiables au gré de l'administration et dépourvues d'une publicité adéquate, ne sauraient être considérées comme constituant une exécution valable des obligations du traité ».

Ce défaut d'exécution a également eu des conséquences économiques.

Dans un secteur où les décisions industrielles engagent des investissements considérables, il semblerait que certains acteurs du marché gazier aient gelé leurs projets d'investissements dans l'attente de connaître le régime juridique précis qui sera applicable aux infrastructures concernées.

Par ailleurs, cette situation est mise à profit par certains concurrents de GDF pour faire obstacle à son développement. Ainsi, par exemple, le transporteur gazier espagnol Enagas refuse, depuis le printemps 2001, d'autoriser à GDF l'accès à ses canalisations, ce qui impose à l'opérateur français quelques contorsions techniques pour honorer ses contrats.

Ces conséquences du défaut de transposition sont d'autant plus regrettables que, lors de son adoption, la directive du 22 juin 1998 était apparue comme un succès français.

La proposition initiale de la Commission européenne, rendue publique en 1992, était d'inspiration très libérale. Après six années de négociation, le texte adopté reprenait plusieurs conceptions traditionnellement défendues par notre pays. On peut notamment citer :

- la progressivité de l'ouverture du marché ;

- la reconnaissance des entreprises publiques (ou bénéficiant de droits spéciaux ou exclusifs) ;

- le choix des dispositions adéquates pour le stockage du gaz naturel ;

- la reconnaissance de la notion de service public et des obligations y afférentes.

Ce dernier point mérite d'être souligné car la transposition proposée aujourd'hui permet effectivement de concilier l'ouverture à la concurrence et le respect des obligations de service public par les opérateurs.

DEUXIEME PARTIE :
UNE TRANSPOSITION CONCILIANT L'OUVERTURE A LA CONCURRENCE ET LES OBLIGATIONS DE SERVICE PUBLIC

La directive 98/30/CE du 22 juin 1998 constitue l'un des deux volets principaux de la création d'un marché unique de l'énergie ; le second volet étant la directive 96/92/CE du 19 décembre 1996, transposée en droit interne par la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation du service public de l'électricité.

Le secteur de l'énergie est un domaine fondateur de la coopération européenne, la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) et EURATOM ont, en effet, précédé le traité de Rome.

Pourtant, les traités européens ne prévoient pas une politique énergétique commune car il a longtemps été considéré que ce secteur, par sa dimension stratégique, ne pouvait pas relever des règles du marché.

C'est dans le cadre de ses attributions en matière de concurrence que la Commission européenne a voulu et pu se saisir du dossier et s'est progressivement efforcée de définir et de faire adopter une action commune.

La première évocation d'un marché unique de l'énergie remonte à une résolution du Conseil « Energie » du 16 septembre 1986, mais la véritable genèse de la construction européenne dans les secteurs du gaz et de l'électricité peut être trouvée dans les directives dites « transparence » et « transit » adoptées en 1990 et 1991 :

- la directive « transparence » du 29 juin 1990 impose la transmission obligatoire et la publication par Eurostat d'informations sur les prix de l'électricité et du gaz fournis aux gros industriels ;

- les directives « transit » du 29 octobre 1990 et du 31 mai 1991 visent à permettre la libre circulation de l'énergie entre les Etats membres.

Dès 1992, la Commission européenne présente de nouvelles propositions de directives relatives au marché intérieur de l'électricité et du gaz naturel. Les négociations s'avèrent difficiles. Un compromis est trouvé sur le volet électricité en 1996 (directive 96/92/CE du 19 décembre 1996) mais l'accord sur le marché du gaz naturel n'intervient qu'en 1998.

Cette directive du 22 juin 1998 correspond à la volonté de la Commission européenne d'ouvrir ce marché à la concurrence, même si les caractéristiques propres à ce dernier rendent difficile la mise en place d'un marché unique. Cette libéralisation ne se fait pas au détriment des obligations de service public, particulièrement prises en compte à la fois dans la directive et dans le présent projet de loi, même si cela a pu être contesté et même si notre pays en particulier a dû chaque fois insister sur cette condition à la réalisation du marché unique.

III. UNE OUVERTURE A LA CONCURRENCE SE HEURTANT A DES DIFFICULTES STRUCTURELLES

La libéralisation des marchés énergétiques n'est qu'une des composantes du mouvement général de libéralisation du marché intérieur mis en œuvre par la Commission européenne. Ce mouvement touche particulièrement les industries de réseaux (l'eau, l'énergie, les transports, les télécommunications), marquées par l'existence de nombreux droits exclusifs et spéciaux : les Etats européens sont nombreux à avoir confié à des entités monopolistiques ces diverses activités.

La Commission européenne s'est livrée à une critique radicale de ce mode d'organisation : « Il s'agit d'une structure qui a tendance à favoriser les abus de position dominante. Elle restreint ainsi la libre circulation des marchandises. Elle s'accompagne en outre souvent de discriminations fondées sur la nationalité »(28).

Une telle démarche s'inspirait des politiques engagées aux Etats-Unis et au Royaume-Uni depuis la fin des années 1980. Cependant, si les pays anglo-saxons ont mis l'accent sur le démantèlement des opérateurs(29) et sur l'encouragement à l'entrée de nouveaux concurrents, la Commission européenne a davantage fait le choix de lever les obstacles juridiques interdisant l'entrée de nouveaux concurrents.

La Commission estime que le développement de la concurrence renforcera l'efficacité économique. Dans le secteur de l'énergie, et du gaz en particulier, ceci devrait se traduire par une diminution des prix pour les consommateurs, une amélioration de la sécurité de l'approvisionnement grâce au décloisonnement des marchés et des progrès dans la qualité du service, puisque les fournisseurs devraient s'efforcer de se distinguer de leurs concurrents.

Pour atteindre ces objectifs, la directive du 22 juin 1998 a retenu une approche progressive dont les premiers bilans sont assez nuancés, du fait essentiellement des spécificités du secteur gazier.

A. Une ouverture progressive à la concurrence

Pour ouvrir le marché du gaz naturel à la concurrence, la directive commence par distinguer les activités de transport et de distribution, d'une part, de l'activité de fourniture, d'autre part. Cette séparation est fondamentale : les clients dits éligibles pourront en effet désormais changer de fournisseur de gaz, le produit étant transporté par les opérateurs de réseau, qui resteront en général des monopoles.

Dès lors, la directive définit les conditions de l'accès des tiers au réseau (ATR). Cet ATR doit s'effectuer dans des conditions transparentes et non discriminatoires. La définition précise de ces règles est dans une très large mesure de la compétence des Etats. En particulier, la directive leur laisse la possibilité de choisir entre l'accès négocié et l'accès réglementé.

Pour garantir le caractère non discriminatoire de l'ATR, la directive prévoit - comme la directive 96/92/CE dans le domaine de l'électricité - que les opérateurs exerçant à la fois des activités de transport et d'autres activités doivent tenir des comptabilités séparées pour chacune de leurs activités. Cette séparation comptable est complétée par des dispositions relatives à la confidentialité des informations commerciales recueillies par les opérateurs de transport.

La distribution ne concerne plus que le transport du gaz par réseaux locaux. L'ATR doit être également assuré dans des conditions non discriminatoires à ce niveau.

La directive n'impose pas l'accès des tiers aux stockages, mais le principe de non discrimination s'applique aux autorisations de créer de nouvelles installations de stockage et les activités de stockage font l'objet d'une comptabilité séparée.

Sous ces modalités, la directive fixe des exigences minimales d'ouverture qui, en vertu du principe de progressivité, doivent s'accroître en trois étapes :

- depuis le 10 août 2000, sont définis comme éligibles tous les utilisateurs finals dont la consommation annuelle dépasse un seuil calculé par les Etats membres de façon à ce que l'ouverture du marché soit égale à 20 % au moins de la consommation annuelle totale du marché national. Ce seuil ne peut pas être supérieur à 25 millions de mètres cubes par an et par site de consommation(30) ;

- à compter du 10 août 2003, les seuils passent respectivement à 28 % de la consommation nationale et à 15 millions de mètres cubes(31) ;

- à compter du 10 août 2008, les seuils seront respectivement de 33 % et de 5 millions de mètres cubes.

La directive prévoit néanmoins une clause de sauvegarde en vertu de laquelle si le taux d'ouverture qui résulte de la simple application des dispositions précitées est trop élevé, les Etats membres peuvent relever le seuil d'éligibilité applicable sur leur territoire.

L'impact de ces diverses dispositions sur le régime juridique applicable aux activités gazières en France est résumé par le tableau de la page suivante.

Les Régimes juridiques applicables aux activités gazières
en France

Activité

Régime antérieur à la directive

Régime prévu par la directive

Production

Concurrence dans le cadre d'un régime d'autorisation étatique (de facto, un seul gisement à Lacq). GDF ne dispose que du monopole de production de gaz non naturel

[inchangé]

Importation et exportation

Monopole confié à GDF

Libre concurrence

Transport

Pas de monopole national mais un service public, selon le Conseil d'Etat.

Le réseau de transport est détenu pour l'essentiel par GDF (87 %) et par Gaz du Sud-Ouest (10 %)

Distingue transport stricto sensu et la vente (« fourniture »), alors qu'en France le terme transport recouvrait les deux.

1. Transport au sens de la directive (réseaux à haute pression) : l'organisation des entreprises de transports (statut privé ou public, concession ou autorisation, propriété des réseaux) reste de la compétence des Etats.

2. Vente (« fourniture » au sens de la directive) : système libéralisé pour les clients éligibles.

Par ailleurs, la directive rend obligatoire d'accepter des demandes de construction de nouveaux réseaux de transport à haute pression, sauf refus motivé par des critères objectifs et non discriminatoires.

Distribution

Service public : en vertu de la loi du 8 avril 1946, mais pas de véritable monopole national, plutôt des monopoles locaux. Droits exclusifs partagés entre GDF (la plus grand partie) et 17 DNN (distributeurs non nationalisés), qui sont des « concessionnaires municipaux obligés ».

Depuis 1996, les DNN peuvent élargir leurs réseaux aux communes voisines non encore desservies par GDF.

Depuis 1998, toute commune non desservie par GDF peut, sous certaines conditions, faire appel à toute entreprise pour distribuer du gaz, à condition qu'il y ait au moins 30 % de capitaux publics.

Distingue le transport dans les réseaux locaux et la vente (fourniture), alors que le terme « distribution » en France désignait les deux à la fois.

1. Vente (« fourniture » (au sens de la directive) : libéralisée pour les seuls clients éligibles.

2. Réseaux (« distribution » au sens de la directive) : le système de concessions municipales demeure. Mais obligation est faite aux concessionnaires de transporter le gaz de toute entreprise de fourniture (ATR non discriminatoire) à destination des clients éligibles.

L'Etat peut pour tout motif refuser la construction de nouveaux réseaux concurrents (contrairement à ce qui prévaut désormais en matière de transport à haute pression).

Stockage

Service public selon le Conseil d'Etat.

Aucun droit exclusif, aucun monopole, mais un régime d'autorisation étatique. Propriété des entreprises exploitantes.

14 stockages dont 12 appartiennent à GDF.

[inchangé : pas d'accès de tous au stockage]

Le projet de loi de transposition prévoit la refonte des textes dans le code minier. La propriété privée et le système d'autorisation administrative demeurent.

Source : « Aspects économiques et géopolitiques liés au développement prévu du gaz naturel dans un marché ouvert », Ecole nationale d'administration, 2001.

B. Un premier bilan difficile à établir

Les premiers éléments disponibles, après deux années seulement d'application de la directive, ne fournissent qu'une seule certitude : dans plusieurs Etats membres, le degré effectif d'ouverture à la concurrence est sensiblement inférieur à celui fixé officiellement dans le cadre de la transposition.

En outre, s'agissant de l'impact de la libéralisation sur les prix du gaz - le principal objectif poursuivi par la Commission européenne - les effets de la libéralisation sont relativement incertains.

1) Des taux d'ouverture réels souvent inférieurs aux taux déclarés

Si l'on s'en tenait aux affirmations officielles, la France ferait très mauvaise figure en ce qui concerne l'ouverture du marché du gaz naturel : non seulement elle est le seul Etat membre à n'avoir adopté aucun texte juridique de transposition, mais encore, le dispositif transitoire appliqué depuis août 2000 par les opérateurs économiques n'affiche qu'un taux d'ouverture de 20 % au maximum. Nos partenaires ont tous choisi, lors de la transposition de la directive dans leur droit interne, de fixer des seuils sensiblement supérieurs à ce minimum prévu par la directive. L'Allemagne et le Royaume-Uni ont même opté pour une ouverture totale de leur marché.

Dans les faits, on constate cependant de grandes divergences entre les taux d'ouverture déclarés et les taux d'ouverture réels, qui correspondent au pourcentage du volume total des ventes de gaz ayant fait l'objet d'un transport dans le cadre de l'ATR.

Comme le note le Président de la Commission de régulation de l'électricité dans son rapport d'étape de janvier 2002 sur l'ouverture du marché gazier français, « avec un taux d'ouverture d'environ 17 % du marché des éligibles (3,62 % du marché total), au début de 2002, la France ne fait pas mauvaise figure dans l'intercomparaison européenne, qui fait apparaître qu'en dehors du Royaume Uni, de l'Irlande et des Pays-Bas, l'ouverture des marchés est encore très limitée ».

Ce constat s'appuie sur une étude publiée par la Commission européenne et, plus particulièrement, sur le tableau suivant :

Taux d'ouverture declare et taux d'ouverture reel

pour les principaux pays europeens en septembre 2001

(en %)

Pays (a)

Taux d'ouverture déclaré

Taux d'ouverture réel

Part des gros consommateurs industriels et centrales électriques ayant changé de fournisseur

Allemagne

100

2

<5

Autriche

49

<5

<5

Belgique

59

<2

<5

Danemark

30

0

0

Espagne

72

7

5-10

France

20

3

10-20

Irlande

75

>50

>50

Italie

96

16

10-20

Luxembourg

51

0

0

Pays-Bas

45

17

>30

Royaume Uni

100

100

90

Suède

47

0

<5

(a) La Finlande, la Grèce et le Portugal bénéficient de dérogations en tant que marchés émergents, c'est-à-dire marchés dans lesquels la première fourniture commerciale a été effectuée il y a moins de dix ans.

Source : Commission européenne.

On observe que l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie ont des taux d'ouverture très en deçà des seuils annoncés officiellement.

Le cas de l'Allemagne est spécialement intéressant. Alors que son marché du gaz naturel est censé être totalement ouvert, il est - dans la pratique - l'un des plus fermés de l'Union européenne, avec un taux d'ouverture réel de 2 % et moins de 5 % de changements de fournisseur enregistrés parmi les clients éligibles. Ces chiffres sont très inférieurs à ceux observés en France(32), qui est pourtant censée ne pas appliquer officiellement la directive du 22 juin 1998, et qui apparaît comme un opposant systématique à la construction européenne dans ce secteur.

La faible ouverture du marché allemand peut s'expliquer par plusieurs facteurs :

- l'absence d'un régulateur spécialisé, tout d'abord. L'Allemagne est effectivement le seul Etat membre à ne pas avoir institué un régulateur spécifique au marché de l'énergie. L'ouverture du marché allemand est placée sous le contrôle du Bundeskartellamt (BKA), l'équivalent en France du Conseil de la concurrence, qui ne peut intervenir qu'ex post pour réparer les atteintes à la concurrence (et ne peut donc les prévenir) et qui, en outre, consacre très peu de moyens à cette mission ;

- le choix d'un tarif d'accès au réseau négocié et non pas régulé, conduisant à rendre opaques les conditions tarifaires et à pénaliser les consommateurs allemands souhaitant changer de fournisseur ;

- plus généralement, la complexité de la structure gazière allemande qui impose à tout nouvel opérateur de s'adresser à des intervenants au niveau national, régional et local.

Il convient également de signaler que les taux d'ouverture constatés sur les marchés italiens et espagnols - déjà faibles au regard des taux officiels - devraient être minorés.

En effet, suivant l'exemple du Royaume Uni, ces deux pays ont introduit dans leur transposition de la directive des mesures de limitation normative des parts de marché de leurs opérateurs historiques. Dans les deux cas, elles se traduisent par la mise à disposition du marché de volumes de gaz déjà contractés sur le long terme par l'opérateur historique. Toutefois, on constate que l'essentiel de ces volumes de gaz sont transférés aux opérateurs électriques historiques locaux, qui étaient précédemment alimentés par les opérateurs gaziers historiques. Contrairement à ce que l'on avait constaté au Royaume Uni dans les années 1990, ce type d'opération, qui permet d'afficher des taux d'ouverture réels plus élevés, ne peut pas être considéré comme participant véritablement à une ouverture concurrentielle des marchés industriels espagnol(33) et italien. A cet égard, il convient de rappeler que le niveau de l'ouverture du marché gazier français n'est obtenu que grâce aux changements de fournisseurs opérés par les seuls opérateurs industriels, la France n'ayant pas d'opérateurs électriques (en dehors du cas particulier des cogénérateurs) pouvant faire jouer l'éligibilité.

Ces disparités entre l'ouverture théorique des marchés et l'ouverture effective sont inquiétantes. C'est donc à juste titre que Mme Nicole Fontaine, ministre délégué à l'industrie, a envoyé, le 23 octobre dernier, un courrier à Mme Loyola de Palacio, vice-présidente de la Commission européenne, en charge notamment de l'énergie, pour attirer son attention sur ce problème(34), qui fausse les perspectives dans le cadre des négociations actuelles sur une nouvelle directive gaz et qui ne contribue certainement pas à favoriser une réduction des prix du gaz.

2) Des évolutions contrastées des prix du gaz

La baisse du prix du gaz fourni aux consommateurs constitue l'une des motivations essentielles - voire l'objectif premier - de la politique de libéralisation engagée par la Commission européenne. L'ouverture à la concurrence des marchés gaziers est trop récente pour porter un jugement définitif sur l'impact de cette politique en matière tarifaire, mais il semble que « la relation mécanique entre concurrence et baisse des prix reste incertaine »(35).

A la demande de la Commission européenne, le cabinet DRI-WEFA a analysé les effets de la libéralisation au bout de huit mois de mise en œuvre. Il a identifié une tendance à la baisse des prix, tenant à l'entrée sur le marché de nouveaux acteurs aux structures légères bénéficiant de faibles frais généraux, à l'exploitation par les opérateurs des écarts existant entre les coûts de fourniture du gaz, enfin aux réductions de marge consenties par les opérateurs en place pour conserver leur clientèle et faire face à la concurrence. Toutefois, ce cabinet d'expertise estimait qu'à moyen-long terme, il fallait plutôt s'attendre à une hausse des prix.

Dans son deuxième rapport d'étalonnage sur la mise en œuvre du marché intérieur du gaz et de l'électricité, publié le 1er octobre 2002, la Commission européenne observe, en s'appuyant sur les informations recueillies par Eurostat, qu'une « chute importante » du prix du gaz a été enregistrée en 2001.

La Commission ajoute qu'« il apparaît clairement que, dans les pays où le marché n'est pas totalement ouvert, les petits consommateurs paient des prix relativement plus élevés, comme l'exemple de la France et du Danemark le montre de façon flagrante ». Cette analyse, qui se réfère aux prix pratiqués en janvier 2002, semble confortée par la dernière publication du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, sur les prix du gaz et de l'électricité en Europe(36), se rapportant également aux prix en vigueur en janvier 2002.

Ce document souligne que le prix hors taxes(37) du gaz naturel à usage domestique se situe au dessus de la moyenne européenne en France, tandis que les prix hors taxes ou toutes taxes comprises du gaz naturel à usage industriel est en dessous de cette moyenne.

prix hors taxes du gaz naturel a usage domestique

(en €/MWh)

Moyenne européenne : 31,6.

prix hors taxes du gaz naturel a usage industriel

(en €/MWh)

Moyenne européenne : 19,3.

Source : Observatoire de l'énergie d'après Eurostat (janvier 2002).

Cependant, lors de leur audition par le rapporteur, les représentants de GDF ont contesté l'interprétation donnée par la Commission européenne, selon laquelle « les baisses de prix dont les grands consommateurs ont bénéficié semblent avoir été compensées par un gonflement de la facture des petites entreprises et des ménages, notamment en France ».

Pour GDF, cette insinuation ne peut être avancée qu'en raison de la date prise comme référence (janvier 2002) et du double mécanisme mis en œuvre en France pour procéder à l'indexation des prix du gaz sur ceux des produits pétroliers. En effet, les ventes à destination des industriels sont indexées beaucoup plus rapidement (trois mois) que celles à destination des clients domestiques (au moins six mois). Dès lors, les prix de janvier 2002 prennent en compte une indexation à la hausse déjà répercutée sur les industriels mais pas encore appliquée aux ménages.

En tout état de cause, l'exemple de l'électricité, pour lequel nous bénéficions d'un recul plus important, laisse penser que la baisse des prix n'apparaît pas comme le corollaire obligé de la libéralisation. Dans ce secteur, la quasi-totalité des pays ayant ouvert leur marché à la concurrence ont, c'est vrai, bénéficié de baisses notables de leurs prix, mais ce n'est pas un constat universel (ainsi, au Royaume-Uni, les tarifs aux industriels ont fortement baissé entre 1990 et 1996 et augmenté de plus de 20 % entre 1996 et 2001). Par ailleurs, « dans plusieurs pays où les prix de l'électricité ont baissé de façon notable, il est apparu que cette chute était due à des cours décroissants de combustibles fossiles (charbon, produits pétroliers), voire même à des évolutions fiscales ou encore à des interventions de la puissance publique qui, trop soucieuse de prouver que l'ouverture du marché entraîne une baisse des prix, ont autoritairement imposé des réductions de prix »(38).

Le cas de l'électricité incite donc à la circonspection, d'autant que, dans son deuxième rapport d'étalonnage précité, la Commission européenne observe que « dans l'ensemble, les perspectives de développement de la concurrence sur le marché du gaz sont nettement moins bonnes que dans le secteur électrique ».

C. Les obstacles à la mise en place d'un marché unique du gaz

Les principes retenus par la directive du 22 juin 1998 pour procéder à la libéralisation du marché du gaz naturel sont communs à ceux mis en œuvre dans la libéralisation des autres industries de réseaux : abrogation des monopoles légaux et des exclusivités territoriales, accès des tiers au réseau, séparation comptable entre les différentes activités des entreprises intégrées, mise en place d'autorités de régulation.

Pourtant, les caractéristiques du marché du gaz le distinguent très nettement des autres secteurs, de l'électricité en particulier. Ces caractéristiques réduisent la possibilité d'une concurrence effective, si bien que l'on assiste actuellement à la libéralisation des différents marchés nationaux, plutôt qu'à la réalisation d'un marché unique du gaz. Les importantes différences des prix du gaz naturel (voir les graphiques de la page 60, qui montrent que les prix du gaz à usage domestique varient du simple au double) indiquent bien que l'intégration des marchés est loin d'être achevée.

Le « rapport d'étape sur l'ouverture du marché gazier français », remis au Gouvernement en janvier 2002, par la Commission de régulation de l'électricité (CRE), analyse longuement les difficultés structurelles de l'ouverture des marchés gaziers. Il apparaît également que des modalités nationales de mise en œuvre de l'ouverture des réseaux gaziers pénalisent les consommateurs éligibles.

1) Les structures spécifiques du marché du gaz

Plusieurs facteurs font que, structurellement, la concurrence est relativement limitée dans le domaine du gaz.

¬ La concentration de l'offre

L'offre est dominée par un oligopole de producteurs extra-communautaires (le norvégien GFU, le russe Gasprom et l'algérien Sonatrach). Quelques nouveaux producteurs sont apparus récemment (Libye, Nigeria...), mais ils jouent un rôle marginal, d'autant que les producteurs dominants semblent en mesure de développer d'importantes capacités de production. Le surcroît d'offre nécessaire à l'émergence de la concurrence ne semble donc pas disponible.

¬ Le coût des infrastructures de transport

La dépendance à l'égard de l'offre extérieure à l'Union européenne implique de grands projets d'infrastructures. L'impératif économique conduit à dimensionner ces équipements à hauteur des quantités contractuelles, ce qui laisse peu de place pour des fournitures de type « spot » en complément des flux dédiés.

¬ Les contrats de vente à long terme

Ces contrats dits « take or pay », couvrant une période de 20 à 25 années, ont pour but, d'une part, de garantir aux producteurs de gaz que les investissements très lourds auxquels ils procéderont pourront être amortis, et, d'autre part, de sécuriser les approvisionnements des acheteurs. Ces contrats sont contraignants pour les deux parties. Les acheteurs s'obligent non seulement à payer même s'ils ne peuvent enlever le gaz (d'où l'expression « prendre ou payer »), mais également à ne pas commercialiser le gaz en amont de leur propre marché (clause dite de « territorialité » ou de « non reventes »). Dès lors, les grandes canalisations internationales acheminant les flux dédiés vers les différents marchés européens ne peuvent pas servir de vecteurs de concurrence. A titre d'exemple, GDF ne peut pas commercialiser en Allemagne du gaz prélevé dans la canalisation MEGAL reliant la Russie à la France. Les contraintes liées aux contrats « take or pay » ne doivent pas conduire néanmoins à les mettre en question, comme la Commission européenne a cherché à le faire(39), car ils apparaissent indispensables à la sécurité d'approvisionnement.

¬ Les liens des sociétés de transport et de commercialisation avec les groupes pétro-gaziers

A l'exception de GDF en France, de DISTRIGAZ en Belgique, et d'ÖMV en Autriche, les principales sociétés de transport et de commercialisation en Europe sont des filiales des groupes pétro-gaziers, qui ne cherchent pas à concurrencer les opérateurs de négoce du groupe auquel elles appartiennent.

¬ Le développement insuffisant des interconnexions entre réseaux

Même s'il semble que la congestion soit modérée actuellement, les opérations de transport vers la France et, au-delà, vers l'Espagne, donnent des signes de saturation.

2) Les restrictions à la concurrence imputables à des mesures nationales

Il a déjà été indiqué précédemment que les modalités de mise en œuvre de l'ouverture des réseaux choisis par l'Allemagne rendaient difficile le développement de la concurrence dans ce pays.

Il s'agit d'un cas extrême, mais, dans son deuxième rapport d'étalonnage, la Commission européenne signale de nombreuses pratiques nationales susceptibles d'entraver le jeu de la concurrence. Elle dénonce particulièrement :

- des structures tarifaires inadaptées et des disparités importantes et inexpliquées entre les tarifs d'accès au réseau d'un pays ou d'une région à l'autre ;

- le manque de transparence en ce qui concerne la capacité infrastructurelle disponible ;

- les procédures de réservation de capacités ne donnant pas aux tiers la souplesse nécessaire pour modifier leurs sources d'approvisionnement sans s'exposer à des coûts plus élevés ;

- les régimes d'équilibrage inutilement stricts.

Dans son rapport d'étape précité de janvier 2002, la CRE a identifié des obstacles similaires sur le marché français.

Elle critique tout d'abord la structure tarifaire des barèmes provisoires de type « point à point, à la distance », qui entraîne des coûts de transport dissuasifs au-delà d'une certaine distance par rapport aux points d'injection. On constate d'ailleurs que les clients éligibles ayant changé de fournisseur sont pratiquement tous situés dans le nord du pays, à proximité du point d'injection de Taisnières, le seul accessible aux nouveaux entrants. Il importe de noter que les opérateurs français ont accepté de mettre en place, depuis le 1er janvier 2002, de nouveaux barèmes provisoires ayant pour effet de faire baisser substantiellement la charge tarifaire d'ATR dans les zones éloignées des points d'injection du nord du pays. Cependant la CRE considère qu'ils sont encore loin de permettre un accès non discriminatoire au réseau français.

La CRE dénonce, ensuite, le manque de flexibilité de l'offre de transport. En n'autorisant pas les intervenants à souscrire dans le cadre de l'ATR des capacités de transport pour des durées infra-annuelles et à procéder à des échanges de volumes de capacités et de modulation aux principaux nœuds du réseau, les opérateurs historiques rendent, en pratique, impossible la création de marchés secondaires (ou hubs) en France.

Par ailleurs, la lourdeur des modalités contractuelles d'accès aux réseaux est de nature à décourager les initiatives des clients éligibles de moindre importance. On constate, en effet, que la consommation moyenne de ceux qui ont changé de fournisseur est de 1,25 TWh par site, soit plus de quatre fois le seuil actuel d'éligibilité. La CRE craint donc que l'abaissement du seuil d'éligibilité à 0,16 TWh, en août 2003, ne conduise pas à une évolution sensible de l'ouverture du marché si les modalités contractuelles ne sont pas corrigées.

Enfin, les clients éligibles et leurs fournisseurs critiquent également la complexité du mécanisme d'équilibrage des volumes injectés et enlevés, ainsi que le coût élevé des pénalités en cas de déséquilibre. Toutefois, la CRE estime que les conditions offertes par les opérateurs français ne s'écartent pas significativement de ce qui est constaté chez nos partenaires européens.

De nombreux progrès sont donc à réaliser pour ouvrir à la concurrence le marché du gaz naturel. Mais cette évolution ne doit pas être freinée par la crainte non fondée d'une remise en cause des obligations de service public.

IV. UNE PRESERVATION PARTICULIERE DES OBLIGATIONS DE SERVICE PUBLIC

La politique de libéralisation des industries de réseaux engagée par la Commission européenne a, dans un premier temps, suscité de vives inquiétudes en France, pays très attaché à la notion de service public, comme en témoigne, par exemple, le rapport d'information de la Délégation pour l'Union européenne déposé le 6 octobre 1995 par M. Franck Borotra(40).

On craignait que le renforcement de la concurrence conduise les opérateurs, guidés par des intérêts commerciaux, à sacrifier les missions de service public, d'autant que la Commission européenne a pu apparaître assez réservée à l'égard de cette notion.

Cependant, concurrence et service public ne sont pas des termes antinomiques, comme l'illustrent à la fois l'évolution des institutions communautaires à l'égard de la notion de service public et le présent projet de loi de transposition de la directive gaz.

A. Une prise en compte croissante des obligations de service public par l'Europe

La notion de service public, telle qu'elle est de règle en France, n'a pas d'équivalent exact dans l'ensemble des Etats membres et dans le droit communautaire. Il ne s'agit pas, néanmoins, d'une notion seulement française et la pression des Etats membres a conduit la Commission européenne à s'approprier le sujet sous peine de le voir apparaître comme un point de blocage sur tous les textes de libéralisation. Cette prise de conscience a conduit, ces dernières années, à une protection accrue du service public dans les textes institutionnels et dans la jurisprudence communautaire. Cette évolution transparaît spécialement dans les dispositions de la directive du 22 juin 1998 et de la proposition modificative en cours de négociation.

1) La reconnaissance du service public par les textes institutionnels

Résumer les obligations d'adaptation des services publics marchands « à la mise en œuvre brutale d'un droit communautaire tout entier dominé par l'impératif de concurrence n'est pas excessif : c'est faux, tout simplement ». Ainsi s'exprimait le commissaire européen M. Michel Barnier, dans un article récent sur « le bel avenir européen des missions de service public »(41).

Certes, le droit communautaire initial ignore presque totalement la notion de service public. La seule mention qui en est faite se trouve dans l'article 73 (ex-article 77) du traité instituant la Communauté européenne, relatif aux transports(42).

Ce traité préfère se référer aux « services d'intérêt économique général », visés par l'article 86, paragraphe 2 (ex-article 90, paragraphe 2) aux termes duquel : « les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général (...) sont soumises aux règles du (...) traité, notamment aux règles de la concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ».

Ainsi, à l'origine, le service public que l'on peut deviner derrière la formulation de services d'intérêt économique général « est coincé, au propre comme au figuré, entre deux réaffirmations du principe concurrentiel »(43).

Sous la pression des Etats membres, en particulier de la France, la Commission européenne a été amenée à revaloriser le rôle des services d'intérêt économique général. La fourniture de ces derniers « n'est plus simplement considérée comme un élément qui peut justifier une exception aux règles du traité. Elle est devenue obligatoire pour la Communauté et ses Etats membres, chacun dans les limites de ses compétences, et est même perçue comme un des principes et objectifs de base du traité »(44).

Les principales étapes de cette évolution ont déjà été retracées par des rapports de la Délégation pour l'Union européenne(45). Elles seront donc évoquées rapidement.

Une première communication sur les services d'intérêt général en Europe, en date du 26 septembre 1996, amène la Commission à admettre leur légitimité.

Le traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997, introduit un article 16 qui reconnaît la place qu'occupent les services d'intérêt économique général parmi les valeurs communes de l'Union.

Le point 19 des conclusions du Conseil européen qui s'est tenu à Lisbonne les 23 et 24 mars 2000 a invité la Commission à mettre à jour sa communication de 1996. Dès le 20 septembre 2000, la Commission européenne présentait une nouvelle communication, actualisant la précédente, qui ne comporte pas d'avancées juridiques et qui laisse subsister des ambiguïtés(46).

A l'initiative des autorités françaises, le Conseil européen de Nice, des 7 et 8 décembre 2000, a adopté une déclaration s'écartant de la conception trop consumériste de la Commission.

Lors du Conseil européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002, il a été demandé à la Commission de préciser, dans une proposition de directive-cadre, les principes relatifs aux services d'intérêt économique général qui sous-tendent l'article 16 du traité. Saisi par le Président de la Commission, M. Romano Prodi, le Comité économique et social européen a publié, en juillet dernier, un avis exploratoire sur cette question, demandant également une directive-cadre pour consolider les principes relatifs aux services économiques d'intérêt général et doter les Etats membres de la flexibilité nécessaire en la matière.

La Commission semble néanmoins réticente à s'engager dans cette voie. Son président a annoncé, en octobre dernier, qu'elle publierait prochainement un Livre vert permettant d'ouvrir une vaste consultation et « d'examiner diverses questions liées à la politique et à la réglementation propre des services d'intérêt général, d'analyser et expliquer les différences existant entre les législations sectorielles et de déterminer s'il faut un cadre communautaire général ».

Il n'en demeure pas moins que la Commission a abandonné son hostilité dogmatique à l'égard des services publics et que cette approche positive est également partagée par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE).

2) Une protection accrue dans la jurisprudence

La reconnaissance des services publics par la CJCE a précédé l'évolution de la Commission.

Dans l'arrêt « Corbeau » du 19 mai 1993, qui concerne la Régie des postes belges, la Cour a admis que l'article 90 du traité CE « permet aux Etats membres de conférer à des entreprises, qu'ils chargent de la gestion des services d'intérêt économique général, des droits exclusifs qui peuvent faire obstacle à l'application des règles du traité sur la concurrence, dans la mesure où des restrictions à la concurrence, voire une exclusion de toute concurrence, de la part d'autres opérateurs économiques, sont nécessaires pour assurer l'accomplissement de la mission particulière qui a été impartie aux entreprises titulaires des droits exclusifs ».

Dans l'arrêt « Commune d'Almelo » du 27 avril 1994, qui concerne une entreprise néerlandaise de distribution d'électricité, la Cour a confirmé que « des restrictions à la concurrence de la part d'autres opérateurs économiques doivent être admises, dans la mesure où elles s'avèrent nécessaires pour permettre à l'entreprise investie d'une telle mission d'intérêt général d'accomplir celle-ci. A cet égard, il faut tenir compte des conditions économiques dans lesquelles est placée l'entreprise, notamment des coûts qu'elle doit supporter et des réglementations, particulièrement en matière d'environnement, auxquelles elle est soumise ».

La mission d'intérêt général représentant un surcoût, la CJCE a également admis que ce dernier peut être compensé par un financement direct (subvention) ou indirect (avantage fiscal) de la part des autorités publiques.

Dans l'arrêt « FFSA e.a./Commission » du 27 février 1997, le tribunal de première instance des Communautés a d'abord considéré qu'un tel financement constituait une aide d'Etat, visée par l'obligation de notification préalable prévue à l'article 88, paragraphe 3, du traité. Puis, dans l'arrêt « Ferring » du 22 novembre 2001, la CJCE a jugé qu'il ne s'agissait d'une aide d'Etat que dans la mesure où l'avantage excède les surcoûts que l'entreprise supporte pour l'accomplissement des obligations de service public(47).

Même si des progrès doivent encore être enregistrés, il est désormais impossible de soutenir que le droit communautaire ignore le service public. Ceci est particulièrement vérifiable dans le cas de la directive gaz du 22 juin 1998 et dans celui de la proposition modificative en cours de négociation.

B. Une attention particulière des directives gaz à l'égard du service public

Négociée de façon parallèle avec la directive électricité de 1996, la directive du 22 juin 1998 reprend quasiment mot pour mot, dans son article 3, paragraphe 2, les dispositions du premier texte cité en ce qui concerne les obligations de service public : « En tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité, en particulier de son article 86, les Etats membres peuvent imposer aux entreprises de gaz naturel, dans l'intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d'approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix des fournitures et la protection de l'environnement. Ces obligations doivent être clairement définies, transparentes, non discriminatoires et contrôlables ; ces obligations, ainsi que leurs révisions éventuelles, sont publiées et communiquées sans tarder à la Commission par les Etats membres. Comme moyen pour réaliser les obligations de service public en ce qui concerne la sécurité d'approvisionnement, les Etats membres qui le souhaitent peuvent mettre en œuvre une planification à long terme, en tenant compte du fait que des tiers pourraient vouloir accéder au réseau ».

Cette rédaction, qui ne manque pas de faire référence dès l'abord aux règles du traité en matière de concurrence (l'article 86) constitue une avancée significative : il est fait mention explicitement du service public (et pas simplement du « service universel »(48) ou du « service d'intérêt économique général »).

Une telle avancée n'a été rendue possible qu'après d'âpres négociations, comme l'illustrent les réserves rédactionnelles du douzième considérant de l'exposé des motifs de la directive :

« Considérant que, pour certains Etats membres, l'imposition d'obligations de service public peut être nécessaire pour assurer la sécurité d'approvisionnement, la protection du consommateur et la protection de l'environnement que, selon eux, la libre concurrence, à elle seule, ne peut pas nécessairement garantir ».

L'essentiel demeure la reconnaissance du service public.

Deux autres dispositions de la directive viennent, en outre, compléter et préciser les règles de l'article 3, paragraphe 2 :

- l'article 3, paragraphe 3, donne aux Etats membres la possibilité de décider de ne pas accorder d'autorisations de construction ou d'exploitation d'infrastructures de distribution
- autorisations visées à l'article 4 de la directive - « dans la mesure où l'application [des dispositions de l'article 4] entraverait, en droit ou en fait, l'accomplissement des obligations imposées aux entreprises de gaz naturel, dans l'intérêt économique général et dans la mesure où le développement des échanges n'en serait pas affecté dans une mesure qui serait contraire aux intérêts de la Communauté » ;

- l'article 9, paragraphe 2, dispose que : « les Etats membres peuvent obliger les entreprises de distribution et/ou les entreprises de fourniture à approvisionner les clients situés dans une zone donnée ou appartenant à une certaine catégorie ou présentant ces deux caractéristiques à la fois. La tarification de ces approvisionnements peut être réglementée, par exemple pour assurer aux clients concernés l'égalité de traitement ».

Ces diverses mesures relatives aux obligations de service public ont été mises en application par l'ensemble des Etats membres. Dans son deuxième rapport d'étalonnage sur la mise en œuvre du marché intérieur du gaz et de l'électricité, la Commission européenne constate que tous ont légiféré de façon qu'au moins un fournisseur soit soumis à l'obligation de desservir l'ensemble de la clientèle. De nombreux Etats membres ont aussi imposé aux fournisseurs l'obligation de proposer les mêmes conditions de prix à tous les clients se trouvant dans des situations similaires. Enfin, il est manifeste, en ce qui concerne les prix appliqués à certains groupes de consommateurs défavorisés, que les Etats membres considèrent le maintien du service comme une priorité.

Le Conseil européen de Lisbonne des 23 et 24 mars 2000 ayant demandé à la Commission d'accélérer la libéralisation des secteurs du gaz et de l'électricité, une proposition de directive modifiant les directives 96/92/CE et 98/30/CE est actuellement en cours de négociation. S'agissant des objectifs de service public, cette proposition prévoit un renforcement des obligations des Etats membres. Le commissaire européen en charge de l'énergie. Mme Loyola de Palacio, a même pu affirmer que les dispositions actuellement en discussion « sont celles qui, jusqu'à ce jour, prennent le plus en compte la dimension du service public dans un acte législatif communautaire »(49).

Dans la dernière version du texte négocié(50) - version présentée par la Commission le 7 juin 2002 et tenant compte des amendements adoptés par le Parlement européen lors de la première lecture de cette directive, le 13 mars 2002, ainsi que des suggestions du Comité économique et social européen - le dispositif de l'article 3, relatif aux obligations de service public, est effectivement singulièrement renforcé.

Ce renforcement se manifeste en particulier, s'agissant de :

- la protection des consommateurs : « Les Etats membres prennent les mesures appropriées pour protéger les clients finals et assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, et veillent en particulier à garantir une protection adéquate aux clients vulnérables contre l'interruption de la fourniture de gaz. Dans ce contexte, ils peuvent prendre les mesures appropriées pour protéger les clients raccordés au réseau de gaz dans les régions reculées. Les Etats membres peuvent désigner un fournisseur du dernier recours pour les clients connectés au réseau de gaz. Ils garantissent un niveau de protection élevé des consommateurs, notamment en ce qui concerne la transparence des conditions contractuelles, l'information générale et les mécanismes de règlement des litiges. Les Etats membres veillent à ce que le client éligible puisse effectivement changer de fournisseur » (article 3, paragraphe 3).

Les clients vulnérables, les clients isolés géographiquement et, de façon générale, l'ensemble des consommateurs verraient donc leurs garanties s'accroître ;

- la cohésion économique et sociale ;

- la protection de l'environnement ;

- la sécurité de l'approvisionnement.

Ces trois derniers points sont mentionnés dans l'article 3, paragraphe 4, prévoyant que : « les Etats membres prennent les mesures qui s'imposent pour atteindre les objectifs en matière de cohésion économique et sociale, de protection de l'environnement, qui peuvent comprendre des moyens de lutte contre le changement climatique, et de sécurité d'approvisionnement. Ces mesures peuvent inclure des incitations économiques adéquates, en ayant recours, le cas échéant, à tous les instruments nationaux et communautaires existants, pour la maintenance et la construction des infrastructures de réseau nécessaires, et en particulier de la capacité d'interconnexion ».

Cette évolution dans le sens d'une meilleure prise en compte des obligations de service public est également perceptible dans le présent projet de loi de transposition.

C. Un projet de loi mettant au premier plan la notion de service public

Le projet de loi initialement déposé par le Gouvernement
- intitulé projet de loi relatif aux marchés énergétiques - comportait un titre III, composé d'un article unique (l'article 11), concernant le service public du gaz naturel.

Une comparaison rapide avec le projet de loi déposé le 17 mai 2000 par le précédent Gouvernement aurait pu laisser supposer que le nouveau texte n'accordait pas la même importance au service public. Il n'en est rien.

Certes, le texte de 2000 consacrait son titre premier au service public du gaz naturel et ce titre regroupait 5 articles, mais il ne diffère du présent projet de loi que par une volonté d'affichage, manifestement imputable aux circonstances politiques de l'époque.

En fait, nombre de mesures figurant dans le titre premier de ce projet de loi devenu caduc n'étaient qu'un rappel de normes déjà en vigueur, participant du « droit bavard » dénoncé par le Conseil d'Etat dans son rapport public de 1991.

L'article 11 du présent projet de loi, dans sa version initiale, reprend, dans un premier temps, le dispositif de la directive du 22 juin 1998 en ce qui concerne l'étendue des obligations de service public : « elles portent sur la sécurité, y compris la sécurité de l'approvisionnement, la continuité de fourniture de gaz, la qualité et le prix des produits fournis, la protection de l'environnement (...) ». Ces termes sont ceux là même figurant à l'article 3, paragraphe 2, précité de la directive gaz. Une seule nuance peut être signalée : la notion de « continuité » - habituelle en droit français, s'agissant des missions de service public - a été préférée à celle de « régularité » mentionnée par la norme communautaire.

La transposition en droit interne va, toutefois, au delà des obligations de service public visées en 1998, puisque l'article 11 du présent projet de loi - dans sa version initiale - complète l'énumération susmentionnée par « le développement équilibré du territoire et la garantie du maintien temporaire d'une fourniture de gaz naturel aux personnes en situation de précarité ».

Ces deux dernières obligations rejoignent les préoccupations de la proposition modificative de directive que l'on a examinée précédemment. Il convient de rappeler, en effet, que cette dernière prévoit notamment de renforcer la protection des clients vulnérables contre l'interruption de la fourniture de gaz, d'une part, et la cohésion économique et sociale, d'autre part.

L'examen du projet de loi par le Sénat, les 15 et 16 octobre 2002, a conduit à un étoffement des dispositions relatives au service public.

En premier lieu, la Haute Assemblée a souhaité souligner, par un amendement complétant le titre du projet de loi par une référence au service public de l'énergie, que l'ouverture des marchés énergétiques n'est nullement incompatible avec la notion de service public.

En deuxième lieu, l'article 11 est enrichi de plusieurs dispositions visant à étendre les obligations de service public à :

- la sûreté des installations ;

- la sécurité des personnes en amont du compteur ;

- la fourniture de gaz de dernier recours ;

- la transparence des conditions commerciales aux clients finals.

On reconnaît dans les deux dernières mentions de cette liste des obligations visées par la directive en cours de négociation.

Le Sénat a également ajouté deux alinéas prévoyant :

- la signature de conventions entre les bailleurs publics et privés d'immeubles sociaux ou vétustes en difficulté et les opérateurs de distribution, afin d'améliorer la sécurité des installations intérieures de gaz naturel dans les logements concernés et de maîtriser la demande de gaz ;

- la réalisation gratuite d'actions de diagnostic des installations des personnes en situation de précarité et, le cas échéant, la fourniture d'une aide pour la mise en conformité.

Ces dernières dispositions sembleraient confirmer l'affirmation selon laquelle : « le droit communautaire n'ignore pas le service public. A l'inverse même, le droit communautaire enrichit la notion française de service public en ajoutant des missions jusqu'alors inconnues du droit administratif français, telle la qualité du service rendu au public »(51).

Ces deux amendements du Sénat mériteraient pourtant d'être réexaminés en raison :

- d'une part, de l'incertitude juridique introduite par leur rédaction. Que sont précisément les « immeubles sociaux ou vétustes en difficulté » ? L'intervention des fournisseurs sur les installations intérieures des personnes en situation de précarité ne risque-t-elle pas de remettre en cause, à terme, les règles de responsabilité actuellement applicables en cas de dommage imputable à une installation située après le compteur ?

- d'autre part, de la dilution de la notion de service public induite par leur insertion dans un article relatif aux obligations de service public. Le débat français sur le service public a souvent été marqué par la confusion implicite entre statut et mission(52). Il n'est pas souhaitable qu'à une restriction d'ordre organique succède une extension matérielle exagérée. La qualité du service est indispensable, mais elle ne relève pas obligatoirement du service public.

En troisième et dernier lieu, le Sénat a inséré quatre articles nouveaux sous le titre III, visant à :

- rappeler que le service public du gaz est organisé, chacun pour ce qui le concerne, par l'Etat, les communes et leurs établissements publics de coopération ;

- étendre au secteur gazier les compétences des observatoires régionaux du service public de l'électricité, chargés d'examiner les conditions de mise en œuvre du service public ;

- procéder à une extension similaire en faveur de l'Observatoire national du service public de l'électricité ;

- transformer l'Observatoire de la diversification d'EDF et de GDF, en Observatoire des pratiques sur les marchés énergétiques, aux compétences plus étendues.

Le rapporteur se félicite surtout de la volonté manifeste des autorités françaises d'anticiper les évolutions prévisibles du droit communautaire, qui se traduit par l'insertion dans le présent projet de loi de dispositions relatives au service public figurant dans la proposition de directive en cours de négociation.

Une approche similaire doit guider la transposition des autres dispositions principales figurant dans la directive du 22 juin 1998.

TROISIEME PARTIE :
UNE TRANSPOSITION DEVANT PRENDRE EN COMPTE LES EVOLUTIONS PROCHAINES DU DROIT COMMUNAUTAIRE

Les directives n'imposent aux Etats membres qu'une obligation de résultat et les laissent donc libres de choisir les moyens appropriés pour atteindre ce résultat. Dès lors, en présence d'un texte national de transposition, d'ordre législatif ou réglementaire, deux questions principales doivent être formulées :

- premièrement, ce texte comprend-il toutes les mesures que le législateur communautaire a souhaité voir mises en application ?

- deuxièmement, l'autorité nationale s'est-elle contentée d'une stricte transposition en droit interne des solutions ayant fait l'objet d'un accord au niveau communautaire (ce que l'on qualifie d'une transposition a minima), ou bien a-t-elle souhaité aller au-delà (tout en demeurant dans les limites fixées par la directive) ?

Ce cadre interrogatif vaut bien sûr pour le présent projet de loi relatif aux marchés énergétiques et au service public de l'énergie.

S'agissant de la première question - relative aux dispositions qui doivent obligatoirement figurer dans le texte de transposition - il ne fait guère de doute que le projet déposé par le Gouvernement et amendé par le Sénat satisfait à cet impératif.

Ainsi, l'article 2 désigne les clients éligibles et fixe les seuils d'ouverture du marché. L'accès des tiers au réseau est organisé par l'article 3 et le régime des dérogations à ce droit d'accès est prévu par l'article 4. La transparence de la comptabilité des entreprises intégrées est prévue par l'article 6. Obligation est faite aux opérateurs, par l'article 7, d'assurer la transmission d'informations pour garantir la sûreté des systèmes interconnectés et les règles de confidentialité sont préservées. Enfin, l'article 9 satisfait à la nécessité de désigner une autorité indépendante des parties pour régler les litiges.

Le rapporteur s'est inquiété de l'absence, dans le présent projet de loi, d'une disposition répondant aux exigences de l'article 20 de la directive du 22 juin 1998, visant à permettre aux entreprises de gaz naturel d'approvisionner les clients éligibles par une « conduite directe ». Néanmoins, le ministère de l'industrie a précisé que :

« La construction et l'exploitation des canalisations de gaz naturel sont soumises à autorisation en application de l'article 81 de la loi de finances rectificative pour 2001. Les critères d'octroi sont les capacités techniques, économiques et financières du demandeur, la compatibilité du projet avec les principes et les missions de service public, notamment la protection de l'environnement, la sécurité et la sûreté des canalisations de transport de gaz naturel, ainsi que des réseaux ou installations qui leur sont raccordés, tous critères objectifs, transparents et non discriminatoires.

Ces dispositions permettent aujourd'hui à tout opérateur, qu'il soit client éligible ou nouvel entrant sur le marché, remplissant les conditions de l'article 81 précité, de construire et d'exploiter des conduites de gaz. De fait, la transposition de l'article 20 n'est pas nécessaire en droit français.

Cependant, restait une discrimination, de par l'article 8 de la loi du 8 avril 1946 qui obligeait tout transporteur à disposer de 30 % de capitaux publics. Il est proposé, dans l'article 21 du projet de loi de transposition de la directive gaz, d'abroger cette obligation.

De fait, dès la publication de la loi sur les marchés énergétiques, il n'y aura donc plus de différence entre conduite directe et canalisation de transport de gaz ; tout opérateur ayant les capacités requises pourra demander une autorisation de construire et exploiter une canalisation de gaz. »

Il reste donc à s'interroger désormais sur l'approche retenue par le Gouvernement.

Dans le cas d'espèce, cette interrogation conduit surtout à se demander si la transposition proposée prend en compte les évolutions prochaines du droit communautaire régissant le secteur de l'énergie.

Il a déjà été indiqué, dans la deuxième partie, que les dispositions concernant les obligations de service public anticipaient l'adoption de la proposition de directive en cours de négociation, modifiant la directive du 22 juin 1998.

Toutefois, plusieurs autres textes, actuellement examinés par les institutions communautaires, devraient avoir une influence importante sur le marché intérieur du gaz naturel dans une échéance proche. Il convient de citer, en particulier :

- la proposition de décision établissant un ensemble d'orientations relatif aux réseaux transeuropéens dans le secteur de l'énergie(53) ;

- la proposition de la Commission visant à modifier le règlement déterminant les règles générales pour l'octroi d'un concours financier communautaire dans le domaine des réseaux transeuropéens(54) ;

- la proposition de directive concernant des mesures visant à garantir la sécurité de l'approvisionnement en gaz naturel(55).

On n'aura garde d'oublier, par ailleurs, que ces diverses propositions s'insèrent dans le cadre d'une politique énergétique globale, répondant à l'exigence d'un développement durable(56).

C'est au regard de cet ensemble de textes qu'il importe d'examiner le présent projet de loi de transposition, afin d'apprécier s'il anticipe les évolutions à venir. Cette approche - qui n'implique pas obligatoirement la transcription dans le texte législatif des mesures en cours de négociation, mais qui impose de ne pas adopter de dispositions allant à leur encontre - permettrait de garantir aux acteurs de la filière une certaine sécurité juridique pour les prochaines années. En particulier, une telle démarche donnerait à GDF la possibilité de se préparer dans les meilleures conditions à des règles du jeu nouvelles. De plus, elle renforcerait les positions françaises dans les négociations en cours.

Il sera procédé à cette analyse au travers de trois des principales dispositions du projet de loi, concernant le degré d'ouverture du marché du gaz naturel, le niveau de séparation des activités des entreprises intégrées et, enfin, les compétences de l'autorité de régulation.

V. UNE OUVERTURE DU MARCHÉ AUX CLIENTS DOMESTIQUES ENVISAGEABLE, MAIS SOUS CONDITIONS

Face à la forte volonté de la Commission européenne et de nos partenaires de libéraliser la totalité du marché du gaz naturel, à usage industriel et à usage domestique, la France adopte désormais une démarche plus constructive.

A. Une forte volonté de la Commission et de nos partenaires de libéraliser totalement le marché du gaz naturel

La proposition de directive modifiant la directive du 22 juin 1998, rendue publique par la Commission européenne le 13 mars 2001, et qui répond à une demande exprimée par le Conseil européen de Lisbonne des 23 et 24 mars 2000, prévoit qu'à partir du 1er janvier 2004 au plus tard, tous les clients non résidentiels (les entités industrielles et commerciales) seront éligibles (c'est-à-dire libres d'acheter du gaz d'un fournisseur de leur choix dans la Communauté) et qu'à partir du 1er janvier 2005, l'éligibilité sera étendue à tous les clients (y compris donc les clients domestiques).

Ce dispositif représente une accélération notable du calendrier initial, puisque la directive du 22 juin 1998 n'imposait qu'une ouverture de 33 % du marché du gaz à usage industriel à compter de 2008 et n'évoquait aucunement une ouverture du marché du gaz à usage domestique.

Seuls la France et le Luxembourg ont fait part de leur opposition à ce nouveau calendrier. On peut aussi noter que le Parlement européen, lors de l'examen de la proposition modificative en première lecture, le 13 mars 2002, n'a pas amendé l'article relatif au calendrier.

Cet isolement est compréhensible :

- tout d'abord, pour plusieurs Etats membres, le gaz naturel ne représente qu'une part marginale de leur consommation totale d'énergie (1 % en Suède, par exemple), et la question de l'ouverture du marché ne présente donc qu'un intérêt relatif pour eux ;

- ensuite, trois des principaux pays européens consommateurs de gaz naturel (Royaume-Uni, Pays-Bas, Italie) constituent aussi les premiers producteurs européens(57), ce qui les conduit à avoir une approche différente de celle de la France ;

- enfin, il convient de rappeler que plusieurs Etats membres affichent d'ores et déjà des taux d'ouverture de 100 % pour le gaz naturel à usage industriel, tout en mettant en œuvre des pratiques qui restreignent considérablement la concurrence dans les faits. Ces Etats - en premier lieu l'Allemagne - peuvent donc apporter un soutien de façade aux propositions de la Commission.

Une évolution a pu semblé intervenir lors du Conseil européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002, où un accord politique a été réalisé sur une ouverture à la concurrence pour les seules entreprises à partir de 2004. En revanche, aucun engagement précis n'a été pris concernant l'ouverture du marché au profit des ménages et aucune date annoncée pour la libéralisation totale de ce marché. Il a seulement été décidé que de nouvelles mesures pourraient être adoptées lors du Conseil européen du printemps 2003.

Lors du Conseil « énergie » des 3 et 4 octobre 2002, la présidence danoise a néanmoins fait part de son intention de parvenir à un accord lors de la prochaine réunion de ce Conseil, le 25 novembre 2002. A cet égard, il importe de rappeler que la proposition de directive doit être adoptée selon la procédure de codécision prévue par l'article 251 du traité instituant la Communauté européenne. Dans ces conditions, la majorité qualifiée suffit. Plutôt que de se voir imposer un texte que l'on aurait refusé de négocier, le nouveau Gouvernement a préféré orienté la position française dans un sens plus constructif.

B. Une réorientation constructive de la position française

1) Du refus de négocier...

Sous la précédente législature, la France s'est enfermée dans une attitude d'opposition totale aux propositions de la Commission européenne, illustrée par les conclusions de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne concernant la proposition modificative (document E 1742)(58) :

« [La Délégation] demande le report du calendrier d'ouverture à la concurrence des marchés du gaz et de l'électricité prévu par la proposition de modification des directives électricité et gaz en ce qui concerne le secteur professionnel, à partir de 2004, et s'oppose à la fixation d'une date pour l'ouverture à la concurrence du secteur résidentiel. »

Ce positionnement n'était guère opportun, dans la mesure où il nuisait aux intérêts économiques et politiques de la France. Il servait de prétexte aux opérateurs étrangers pour refuser à GDF l'accès à leur réseau et, confortant l'image d'une France systématiquement hostile aux propositions de la Commission, il réduisait notre crédibilité lors des négociations.

Par ailleurs, l'hostilité de principe - voire idéologique - à l'égard de l'ouverture à la concurrence ne tenait pas compte des conditions réelles du marché gazier européen, dont il a été rappelé dans la deuxième partie du présent rapport d'information qu'il était structurellement restreint. La libéralisation a donc peu de risque de se traduire par la perte de très nombreux clients pour GDF : « Pour beaucoup de ménages, les dépenses en gaz ne représentent qu'une très faible fraction de leur budget et ils ont finalement peu d'incitations à changer de fournisseur, avec les complications que cela entraîne, pour obtenir une réduction de leur facture qui sera de toute façon limitée »(59).

On doit également souligner que, jusqu'à présent, l'ouverture du marché s'est révélée profitable à GDF : en 2001, l'opérateur français a convaincu plus de clients éligibles implantés hors de nos frontières qu'il n'en a perdus en France.

Dès lors, il pourrait être tentant de reprendre les propos du président de la Commission de régulation de l'électricité : « Compte tenu de la structure historique de la distribution, j'ai peine à voir ce que l'ouverture totale du marché peut changer en France. On s'est peut-être battu pour pas grand chose... »(60).

Il ne faudrait pas en conclure, cependant, que la France doit désormais accepter sans conditions la libéralisation totale du marché du gaz naturel. A cet égard, l'approche adoptée par le nouveau Gouvernement apparaît parfaitement adaptée.

2) ...à un accord possible, sous conditions

Dans un communiqué de presse du 12 septembre 2002, le ministre délégué à l'industrie - Mme Nicole Fontaine - a précisé la nouvelle position française. Elle a, tout d'abord, rappelé « l'accord des chefs d'Etat et de gouvernement à Barcelone se donnant jusqu'au printemps 2003 pour prendre les décisions relatives à l'ouverture du marché du gaz et de l'électricité aux ménages ». Elle a, ensuite, souligné que « la France participerait, naturellement, dans un esprit constructif mais sans précipitation à l'élaboration d'un compromis acceptable pour tous et prenant notamment en compte les exigences nécessaires à l'exercice d'un service public de qualité ».

Pour être clair, la nouvelle approche du Gouvernement français vise surtout à repousser de quelques années la libéralisation du marché en faveur des ménages (fixée à 2005 par la proposition de directive), sous réserve d'un bilan positif des processus mis en œuvre depuis la fin des années 90, tandis que l'ouverture totale à la concurrence du marché du gaz à usage industriel apparaît acceptable dès 2004.

Un délai supplémentaire semble pleinement justifié, s'agissant de l'ouverture du marché du gaz à usage domestique, pour trois raisons au moins.

¬ En premier lieu, avant de franchir cette étape, il serait de bonne méthode de dresser le bilan des conséquences de l'ouverture du marché du gaz à usage industriel(61). Comme l'a noté Mme Nicole Fontaine, dans son discours d'ouverture du septième sommet des dirigeants de l'industrie du gaz, le 10 octobre dernier, « cette évaluation, pour être pertinente, nécessite un recul que nous n'avons pas encore ». Le présent rapport d'information a insisté, en effet, dans sa deuxième partie, sur les incertitudes subsistant, notamment quant aux gains tarifaires de la réforme pour les clients.

Ces incertitudes ne sont pas levées par le deuxième rapport d'étalonnage sur la mise en œuvre du marché intérieur du gaz et de l'électricité, publié le 1er octobre 2002 par la Commission européenne. Ce document ne saurait être considéré comme dressant un véritable bilan de la réforme répondant à l'exigence présentée par la France.

¬ En deuxième lieu, le jeu de la concurrence sur le marché du gaz naturel étant aujourd'hui entravé du fait de pratiques nationales restrictives, d'une part, et des spécificités structurelles de ce marché, d'autre part, il serait opportun de s'attacher prioritairement à l'élimination de ces obstacles avant de réaliser une ouverture « virtuelle » de ce secteur.

A ce stade, il convient de rappeler que le ministre délégué à l'industrie a écrit à Mme Loyola de Palacio, commissaire européen en charge de l'énergie, le 23 octobre 2002, pour que l'ouverture juridique du marché corresponde à une ouverture effective.

La Commission européenne est d'ailleurs consciente des blocages actuellement constatés ou susceptibles de se développer. En témoigne la proposition de directive précitée concernant des mesures visant à garantir la sécurité de l'approvisionnement en gaz naturel, qui prévoit qu'une part minimale des nouveaux approvisionnements en gaz devra être fondée sur des contrats dits « spots » à court terme ou sur des contrats à long terme dont les prix renvoient aux marchés « spot » de gaz. En témoignent également les deux propositions précitées de la Commission relatives aux réseaux transeuropéens.

S'appuyant sur une étude de l'association européenne des gestionnaires de réseaux de transport de gaz, la Commission constate que « sur 55 points nodaux transfrontaliers, les deux tiers environ (...) ont peu ou pas de capacité disponible [ou], leur disponibilité dépend de l'ampleur de la demande ». Elle identifie cinq projets prioritaires d'intérêt européen ayant un impact très important pour la réalisation du marché intérieur et la sécurité



d'approvisionnement. Parmi ces cinq projets prioritaires, deux concernent la France(62).

¬ En dernier lieu, le report de l'ouverture du marché du gaz à usage domestique à une date postérieure à 2005 serait opportun, pour permettre aux opérateurs économiques de s'y préparer.

Cette ouverture représentera, en effet, un saut quantitatif important. Ainsi, en France, une centaine de clients sont actuellement éligibles ; l'ouverture totale du marché du gaz à usage industriel concernerait déjà 513 000 clients, mais l'ouverture aux ménages concernerait plus de dix millions de clients.

Nombre de clients du gaz
(au 1er janvier 2001)

UE
(hors Luxembourg)

Domestiques

Non domestiques

Allemagne

16 680 000

720 000

Autriche

1 260 700

1 500

Belgique

2 420 300

90 800

Danemark

315 200

7 200

Espagne

4 121 800

81 600

Finlande

33 000

1 600

France

10 158 000

513 000

Grèce

6 400

1 900

Irlande

352 500

13 400

Italie

14 700 000

930 000

Pays-Bas

nd

nd

Portugal

nd

nd

Royaume-Uni

20 670 000

381 000

Suède

52 000

3 000

Source : GDF.

Il est certain qu'une telle progression nécessitera la mise en œuvre chez les opérateurs économiques d'importantes adaptations, à la fois en moyens humains et matériels. Ces évolutions, qui devraient affecter les opérateurs de plusieurs Etats membres comme l'illustre le tableau précédent, ne semblent pas pouvoir être réalisées d'ici 2005.

Nous pouvons donc être favorables à l'idée de fixer rapidement une date pour l'ouverture du marché du gaz naturel aux ménages
- ce qui n'a pas été fait lors du sommet de Barcelone de mars 2002 - mais en repoussant l'échéance à une date postérieure à 2005 (2007 ou 2008 pourrait constituer un compromis acceptable).

Le présent projet de loi de transposition peut donc être perçu comme prenant déjà en compte l'ouverture totale du marché du gaz à usage industriel. La rédaction de l'article 2 - qui ne diffère guère sur ce point de celle de l'article 6 du projet de loi déposé le 17 mai 2000 par le précédent Gouvernement - autorise, en effet, une libéralisation accélérée par rapport aux prescriptions minimales de l'article 18 de la directive du 22 juin 1998 : les seuils d'ouverture proposés par le projet de loi constituent un minimum à atteindre, mais sont susceptibles d'être abaissés par décret. Il ne sera donc pas nécessaire de faire intervenir de nouveau le législateur pour procéder, le cas échéant, à une ouverture totale à la concurrence en faveur des industriels.

En revanche, toute ouverture du marché du gaz à usage domestique imposerait une modification législative ; le Sénat ayant amendé, avec avis favorable du Gouvernement, le présent dispositif, afin de préciser qu'il ne s'applique qu'aux « consommateurs finals non domestiques ».

Cette rédaction, qui traduit la nouvelle orientation de la position française dans les négociations en cours, apparaît acceptable au rapporteur, même si elle laisse transparaître une réserve que certains pourraient interpréter comme mettant en cause le principe même de l'ouverture du marché du gaz aux ménages. Il faut souligner que tel n'est pas le cas mais qu'il est normal qu'une nouvelle loi vienne expressément préciser les conditions de cette ouverture le moment venu.

VI. EVITER UNE CRISPATION SUR LE NIVEAU DE SÉPARATION DES ENTREPRISES INTEGREES

Le blocage idéologique observé au cours de la précédente législature sur l'ouverture de la concurrence aux ménages a profondément nui aux intérêts de la France. Il serait regrettable qu'un blocage culturel sur le niveau de séparation des entreprises intégrée aboutisse de nouveau, dans les négociations en cours, à donner de la France l'image de l'éternel opposant à la construction du marché intérieur de l'énergie.

A. Une séparation comptable conforme aux dispositions de la directive de 1998

Les articles 12 et 13 de la directive du 22 juin 1998 fixent les principes destinés à ce que les entreprises de gaz naturel intégrées(63) tiennent une comptabilité caractérisée par « un niveau élevé de transparence » et destinée à « éviter les discriminations, subventions croisées ou autres distorsions de concurrence ».

Les subventions croisées peuvent être définies en termes de prix et en termes de coût. « En termes de prix, la subvention croisée consiste à pratiquer un prix bas sur un segment du marché et un prix élevé sur un autre segment sans que cela se justifie pour des raisons de coût. En termes de coût, elle consiste à répartir les coûts comptables de manière inégale sur les différents segments du marché, ce qui permet à des opérateurs de fausser la concurrence en transférant certains coûts liés à des activités concurrentielles vers des activités où l'opérateur est en situation de monopole ; cela revient à pratiquer des prix de dumping »(64).

Pour éviter ces risques, la directive impose une séparation comptable des activités de transport, de distribution et de stockage et, le cas échéant, des comptes consolidés pour les activités non liées au gaz.

Le premier alinéa du I de l'article 6 du présent projet de loi transpose fidèlement cette obligation en droit interne.

Il convient de noter qu'en pratique, GDF s'est déjà organisé pour répondre aux exigences de transparence de la directive. Ses activités sont aujourd'hui structurées autour de cinq pôles : exploration-production, négoce, transport, distribution, services. Les comptabilités sont totalement séparées, de même que les réseaux informatiques. En outre, les membres du personnel ont signé des engagements de non-communication des informations protégées.

Il convient de s'interroger désormais sur la position de la France à l'égard des évolutions prévisibles en la matière.

B. Une séparation juridique ne devant pas être exclue à moyen terme

La proposition de directive modificative maintient évidemment l'obligation de séparation comptable des activités des entreprises intégrées. Deux éléments nouveaux méritent d'être signalés dans ce domaine :

- tout d'abord, la Commission européenne propose que les opérateurs tiennent une comptabilité séparée au titre des installations de gaz naturel liquéfié (GNL). Il serait opportun d'intégrer dès à présent cette disposition dans le présent projet de loi de transposition. En effet, GDF a indiqué au rapporteur que cette mesure ne lui poserait pas de difficultés particulières. Surtout, le I de l'article 5 dudit projet de loi prévoit que les ministres chargés de l'économie et de l'énergie doivent arrêter, sur proposition de l'instance de régulation, les tarifs d'utilisation des installations de GNL, qui devront en couvrir les coûts. L'élaboration des tarifs nécessite donc que l'ensemble des produits et des charges de l'opérateur, au titre de ces installations, soit retracé dans un compte séparé ;

- ensuite, la proposition de directive modificative tend à imposer des comptes séparés pour les activités de fourniture aux clients éligibles et ces mêmes activités aux clients non éligibles. Dans les faits, cette obligation ne pèserait que sur les entreprises françaises, puisque les autres Etats membres ont déjà déclaré éligibles l'ensemble des clients industriels (ou s'apprêtent à le faire dans les prochains mois) et ne sont pas opposés à une libéralisation totale du gaz à usage domestique. Or, une telle dissociation comptable se révèlerait très compliquée à mettre en œuvre pour les opérateurs, alors même qu'elle ne serait applicable que pour une brève durée, si une libéralisation totale du marché du gaz naturel intervenait en 2007-2008.

La proposition de directive en cours de négociation ne se contente pas de préciser les conditions régissant la séparation comptable. Elle prévoit de franchir une étape supplémentaire, qui est celle de la séparation juridique des activités.

En application des articles 7 bis et 10 de cette proposition, le gestionnaire du réseau de transport (GRT) et le gestionnaire du réseau de distribution (GRD), au sein de l'entreprise intégrée, doivent - chacun pour ce qui le concerne - être indépendants, au moins sur le plan de la forme juridique, de l'organisation et de la prise de décision, des autres activités non liées au transport ou à la distribution, à moins que le gestionnaire concerné ne soit déjà totalement indépendant de ces autres activités sur le plan de la propriété.

Cette disposition, d'apparence technique, représente pourtant l'une des principales difficultés de la négociation en cours.

La France s'y oppose en invoquant essentiellement des arguments d'ordre économique. On craint que la séparation juridique ne mette un terme aux synergies existant dans la gestion des différentes sources d'énergie et, au sein d'un même réseau, entre les fonctions de fourniture et d'acheminement. Cela pourrait rendre plus complexe l'accès à l'énergie pour les consommateurs domestiques et créer de fortes disparités de prix et de qualité entre ces consommateurs. On se demande également si une telle réforme ne conduirait pas GDF à perdre le contrôle des investissements dans le secteur de la distribution.

En réalité, le fond du problème, dans le domaine du gaz naturel(65), est d'ordre social. La séparation juridique contraint les divisions d'une même entreprise respectivement en charge des activités de négoce et des activités d'infrastructures à être gérées par des organes sociaux différents « proposant nécessairement des objectifs spécifiques à chacun des métiers »(66). En outre, la rédaction des articles 7 bis et 10 de la proposition de directive traduit la préférence de la Commission européenne pour une nouvelle étape dans la séparation des activités des entreprises intégrées, à savoir la séparation de propriété, principe entendu comme interdisant à toute personne active sur un segment du marché de détenir directement ou indirectement des droits de propriété sur une personne gérant un autre segment. La séparation de propriété n'est pas imposée par la proposition de directive, mais la séparation juridique pourrait être perçue néanmoins, par le personnel de GDF, comme un prélude à un éventuel démantèlement de l'entreprise. On se heurte ici à la remise en cause de la culture d'une entreprise, déjà mise à mal par la probable libéralisation totale du marché.

Dès lors, le Gouvernement français considère qu'il n'est pas nécessaire d'imposer une séparation juridique, d'autant qu'un régulateur fort, ayant accès aux informations comptables, est à même de garantir des conditions de concurrence équitables.

Cette position a également été retenue par la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, sous la précédente législature. Dans ses conclusions sur le document E 1742, relatif notamment à la proposition de directive modificative, la Délégation a souhaité « que l'obligation de séparation juridique des entreprises de gestion des réseaux soit exclue de la proposition de modification des directives "gaz" et "électricité" actuellement en débat ».

Le rapporteur estime qu'il ne serait pas pertinent pour les intérêts de la France en Europe de s'enfermer dans cette attitude de rejet absolu de la proposition de la Commission, et ce pour plusieurs raisons :

- en premier lieu, la France s'isolerait à nouveau de ses partenaires ;

Le Conseil « Energie » de Luxembourg des 3 et 4 octobre 2002 a souligné qu'« il est clair que la plupart des délégations préfèrent la solution de la séparation juridique », ce qui est normal dans la mesure où cette solution est déjà mise en œuvre dans la plupart des Etats membres comme le montre le tableau suivant.

Séparation des reseaux

 

Gestionnaire du réseau de transport

Gestionnaire du réseau de distribution

Autriche

Juridique

Juridique

Belgique

Juridique

Juridique

Danemark

Juridique

Juridique

France

Comptable

Comptable

Allemagne

Comptable

Comptable

Irlande

Gestion

Gestion

Italie

Juridique

Juridique

Luxembourg

Comptable

Comptable

Pays-Bas

Gestion

Comptable

Espagne

Propriété

Juridique

Suède

Comptable

Comptable

Royaume-Uni

Propriété

Propriété

Source : Commission européenne.

La position de la France est seulement partagée par deux des trois autres pays n'appliquant qu'une séparation comptable : le Luxembourg et l'Allemagne. Cependant, on peut penser que cette dernière ne s'oppose à la séparation juridique que pour de mauvaises raisons, visant à préserver l'opacité et, par voie de conséquence, l'inaccessibilité de son marché du gaz naturel ;

- en second lieu, il importe de rappeler que la direction de GDF n'est pas opposée à cette évolution : « la séparation juridique est la mesure de la transparence qui permet de venir à bout des soupçons et elle ne présente aucun inconvénient dès lors qu'elle ne s'accompagne pas de l'obligation faite à une entreprise intégrée d'abandonner l'une de ses activités historiques »(67).

Ces propos indiquent la voie à suivre dans les négociations en cours : ne pas rejeter la séparation juridique mais demander une modification rédactionnelle des articles 7 bis et 10, afin qu'il ne soit plus fait référence à la séparation de propriété ou, à tout le moins, que cette dernière ne fasse plus figure d'objectif ultime.

Dans ce cas, les réticences « culturelles » du personnel de GDF pourraient être atténuées. On peut d'ailleurs observer que ce dernier a déjà su faire preuve de ses facultés d'adaptation : en janvier 2002, le « personnel mixte » EDF-GDF du secteur de la vente est sorti de la direction commune sans difficulté majeure, alors que cette réforme semblait impossible quelques années auparavant(68).

VII. UNE DELICATE REPARTITION DES COMPETENCES DE REGULATION DU MARCHE

Le processus de libéralisation mis en œuvre en Europe vise à promouvoir la concurrence, mais une concurrence « régulée ».

Le marché est, en effet, impuissant à atteindre spontanément un optimum, à la fois en termes d'équilibre concurrentiel et en termes de satisfaction de certains objectifs d'intérêt général (sécurité d'approvisionnement, aménagement du territoire, protection des populations vulnérables,...).

Il importe également d'ordonner le passage du monopole vers la concurrence et la coexistence d'un marché concurrentiel avec des pans du secteur qui ne peuvent fonctionner entièrement selon sa logique, mais ne doivent pas la fausser.

De plus, si l'ouverture du marché accroît, dans un premier temps, le nombre d'opérateurs, on constate déjà un processus de concentration. Les groupes pétroliers cherchent à renforcer leur position en aval de la chaîne gazière et, à l'inverse, les sociétés de transport et de distribution souhaitent développer des activités de production. Il sera nécessaire de prévenir les abus de position dominante.

L'ouverture à la concurrence n'est donc pas synonyme de déréglementation « car ce qui caractérise la régulation, comme le terme original l'indique, c'est précisément l'intervention accrue du droit, de la réglementation, dans des domaines où régnait le pouvoir discrétionnaire de l'Etat ; il y a eu déréglementation, au sens où des interdictions ont été supprimées, particulièrement celles qui réservaient le monopole d'une activité à l'Etat ou à ses entreprises ou établissements ; mais il y a eu, plus encore, réglementation, définition de règles du jeu, ouverture de celui-ci à de nouveaux acteurs, l'Etat ne devenant, dans certains cas, qu'un opérateur banal, ou neutre »(69).

La régulation conduit à modifier les modalités d'intervention de l'Etat, mais n'implique pas son désengagement. Les autorités chargées de la mettre en œuvre en France ne sont d'ailleurs pas dotées de la personnalité morale et demeurent des services de l'Etat. C'est le cas de la Commission de régulation de l'électricité (CRE), qui voit ses compétences étendues au secteur du gaz par le présent projet de loi de transposition.

A. Une autorité française de régulation dotée de moyens et de compétences significatifs

L'article 21 de la directive du 22 juin 1998 laisse aux Etats membres une grande marge d'appréciation quant à la définition du statut de l'autorité de régulation et quant aux modalités de la régulation. Il impose seulement la désignation d'une autorité indépendante des parties pour régler les litiges.

La plupart des Etats membres ont dépassé cette exigence minimale et ont institué des autorités de régulation spécialisées dans le domaine de l'énergie (une logique commune a conduit à confier à ces autorités des compétences regroupant les secteurs de l'électricité et du gaz).

Autorites de regulation

 

Régulateur

Royaume-Uni

Un régulateur spécialisé

Suède

Un régulateur spécialisé

Finlande

Un régulateur spécialisé

Danemark

Un régulateur spécialisé

Allemagne

Pas de régulateur spécialisé

Belgique

Deux régulateurs : un (CREG) pour la partie libéralisée du marché, l'autre (CCEG) pour la partie captive

France

Un régulateur spécialisé (CRE)

Espagne

Un régulateur consultatif, la régulation restant de la responsabilité de l'Etat

Luxembourg

Un régulateur commun avec les télécommunications

Grèce

Un régulateur spécialisé

Irlande

Un régulateur spécialisé

Portugal

Un régulateur spécialisé

Italie

Un régulateur spécialisé

Pays-Bas

Un régulateur spécialisé

Autriche

Un régulateur spécialisé depuis le 1er mars 2001

Source : Article précité de Michèle Rousseau, Annales des Mines, février 2002.

Il a déjà été indiqué que l'Allemagne se singularise, en s'écartant du « modèle européen ». Elle est le seul Etat membre à refuser un régulateur spécialisé et à s'en remettre à un contrôle ex post exercé par les autorités nationales de la concurrence.

Il importe de souligner qu'en l'état actuel des négociations de la directive modificative, la position de l'Allemagne se trouve confortée, puisque l'article 22 de ce texte n'impose toujours pas la création d'un régulateur sectoriel, ce qui ne favorisera pas l'ouverture effective du marché allemand (le Bundeskartellamt, théoriquement en charge de la régulation de ce marché, n'hésite pas à déclarer qu'il ne cherche à se doter ni des moyens, ni des compétences techniques nécessaires à cette mission). Il serait souhaitable que le Gouvernement français soutienne une position demandant que des autorités spécialisées soient instaurées dans l'ensemble des Etats membres. Tout au moins conviendrait-il de ne pas se rallier à la demande allemande, visant à amender le texte pour préciser que le régulateur doit « surveiller » - et non pas « assurer » - la non-discrimination, une concurrence effective et le fonctionnement efficace du marché.

Une telle démarche correspondrait aux intérêts économiques de notre pays et serait cohérente avec l'approche suivie dans le présent projet de loi de transposition. En prévoyant d'étendre les compétences de la Commission de régulation de l'électricité (CRE) au secteur gazier(70), l'article 9 dudit projet de loi s'inscrit, en effet, dans le modèle européen évoqué précédemment : une autorité sectorielle est chargée de la régulation. Elle de distingue même par son autonomie et par les moyens dont elle dispose.

Conformément au modèle des autorités administratives indépendantes, la CRE bénéficie d'une forte autonomie (on ne peut parler d'indépendance, au sens strict, car elle demeure rattachée à

l'Etat)(71), qui se traduit notamment par l'irrévocabilité du mandat de ses membres(72).

Quant aux moyens de la CRE, le tableau suivant montre qu'elle ne figure pas parmi les instances de régulation les plus dépourvues.

Competences et ressources des autorités de regulation
en 2002

 

ex ante/ex post

Conditions d'accès au réseau

Règlement des litiges

Effectifs

Budget annuel pour 2002
(en millions d'euros)

Autriche

Ex ante

R (élec.)/R (gaz)

R/R

45

9

Belgique

Ex ante

R/R

R/R

68

15

Danemark

Ex post

R/R

R/R

30

3

Finlande

Ex post

R/R

R/R

13

1

France

Ex ante

M/nd

R/nd

80

9

Allemagne

nd

N/N

C/C

nd

nd

Grèce

Ex ante

M/nd

R/nd

43

4

Irlande

Ex ante

M/nd

R/nd

31

6

Italie

Ex ante

R/R

R/R

86

18

Luxembourg

Ex ante

M et R

R/R

2

nd

Pays-Bas

Ex ante

R/H

C/C

55

6

Portugal

Ex ante

R/nd

R/nd

52

7

Espagne

Ex ante

M/M

R/R

153

19

Suède

Ex post

R/R

R/R

33

3

Royaume Uni

Ex ante

R/R

R/R

330

58

R - autorité de régulation responsable

M - ministère responsable

C - autorité de la concurrence

N - non régulé

H - hybride

nd - aucune autorité de régulation

Source : Commission européenne.

Encore faut-il ajouter que, compte tenu de l'extension de ses compétences, le projet de loi de finances pour 2003 prévoit une augmentation de 15 % du budget de la CRE et 16 emplois budgétaires supplémentaires (dans son dernier rapport d'activité, la CRE avait demandé 45 emplois de plus).

Il est vrai, néanmoins, que contrairement à la plupart des autres régulateurs européens, bénéficiant d'un financement par prélèvements affectés sur l'activité des opérateurs ou celle du réseau, les moyens financiers de la CRE sont inscrits en totalité au budget de l'Etat.

Sur le plan des compétences, l'autorité française de régulation se situe dans une bonne moyenne européenne. On peut observer que le régulateur espagnol, pourtant dotés d'importants moyens matériels, ne dispose d'aucun pouvoir propre de décision.

Les amendements adoptés par le Sénat, autorisant la CRE à recueillir l'avis de toute personne intéressée dans l'exercice de ses missions et lui donnant la faculté d'habiliter des tiers pour l'assister dans son contrôle, renforcent sa capacité d'action et devraient accroître sa légitimité auprès des opérateurs(73).

Les pouvoirs de la CRE allant du pouvoir consultatif au pouvoir de décision, en passant par des pouvoirs de proposition, d'approbation de surveillance et de contrôle, la question essentielle réside dans le partage des compétences avec le Gouvernement, en particulier dans le domaine des tarifs.

B. La répartition des compétences en matière tarifaire

Un marché régulé par une autorité spécifique ne signifie pas
- loin de là - que le Gouvernement (et le Parlement) se trouvent dessaisis de toutes compétences.

Il est évident que le régulateur ne doit pas empiéter sur les missions de l'Etat stratège, ce qui recouvre, en particulier, les compétences relatives à la sécurité d'approvisionnement. En ce domaine, la récente proposition de directive de la Commission européenne concernant des mesures visant à garantir la sécurité de l'approvisionnement en gaz naturel(74) précise dans son exposé des motifs, que : « C'est aux Etats membres qu'il incombe en premier lieu de définir clairement [les] rôles et responsabilités dans le nouveau cadre législatif et réglementaire du marché intérieur. (...) Le rôle de la Communauté sera de suivre la mise en œuvre des nouvelles politiques en matière de sécurité de l'approvisionnement et de veiller à ce qu'elles soient compatibles avec les exigences d'un bon fonctionnement du marché intérieur ».

Par ailleurs, la plupart des Etats membres ont maintenu dans les mains du Gouvernement des pouvoirs importants en ce qui touche l'encadrement technique et tarifaire de l'accès des tiers au réseau.

A cet égard, il peut être intéressant d'observer qu'un certain nombre d'attributions accordées à la CRE dans le projet de loi du 17 mai 2000, aujourd'hui caduc, ne sont pas reprises dans le présent projet de loi de transposition. Ce dernier ne prévoit pas, par exemple, que la CRE puisse s'opposer aux conditions contractuelles spécifiques justifiées par des modalités particulières d'utilisation des ouvrages et installations (article 10 du projet du 17 mai 2000) ; l'article 5 du présent projet de loi ne lui confie désormais qu'un pouvoir de proposition (encore cette rédaction est-elle due à un amendement du Sénat, le texte initial n'évoquait qu'une consultation de la CRE). De même, le texte actuellement soumis à l'examen du Parlement ne prévoit pas que l'autorité de régulation puisse proposé au ministre chargé de l'énergie les mesures conservatoires nécessaires pour assurer la sécurité des réseaux (article 17 du projet de 2000).

Le point principal demeure cependant dans la répartition des compétences tarifaires. Ces dernières sont sensibles. Ainsi, dans le secteur de l'électricité, la crise californienne est imputable, pour une grande part, au fait que les distributeurs d'électricité étaient tenus de vendre aux clients finals à un prix réglementairement plafonné pour quatre ans, qui s'est vite révélé très inférieur aux prix pratiqués sur


le marché spot où ces mêmes distributeurs étaient obligés de se fournir(75).

Deux niveaux doivent être distingués : la fixation des tarifs d'utilisation des réseaux et celle des tarifs de vente aux clients.

Les tarifs d'utilisation des réseaux ne sont décidés par les pouvoirs publics que si l'Etat concerné a opté pour un accès des tiers au réseau (ATR) réglementé, nécessitant une publication des tarifs et une application indifférenciée à tous les utilisateurs. En revanche, si l'Etat a opté pour un ATR négocié - comme la directive du 22 juin 1998 le permet - les tarifs sont discutés au cas par cas par l'opérateur de transport et les fournisseurs, sous le simple contrôle des pouvoirs publics. La France, par le présent projet de loi de transposition (article 5), a décidé d'instituer un ATR réglementé, comme presque tous les Etats membres, à l'exception - encore une fois - de l'Allemagne. La décision française s'inscrit dans l'approche préconisée par la Commission européenne, qui dans la proposition de directive modificative supprime l'ATR négocié, pour renforcer la transparence.

Le présent projet de loi donne au Gouvernement une compétence de principe, aussi bien pour les tarifs d'utilisation des réseaux que pour ceux de vente aux clients.

Les ministres respectivement chargés de l'économie et de l'énergie sont seuls compétents pour fixer les tarifs gaziers. La CRE intervient pour :

- proposer les tarifs d'utilisation des réseaux (le Gouvernement ne pouvant qu'accepter ou rejeter cette proposition sans la modifier) ;

- émettre un avis sur les tarifs de vente de gaz aux clients non éligibles.

S'agissant de la fixation des tarifs d'utilisation des réseaux, la CRE souhaiterait plutôt un mécanisme où les tarifs seraient établis par les opérateurs et approuvés par elle-même.

Pour justifier sa proposition, l'autorité de régulation avance deux arguments :

- dans le secteur de l'électricité, où le dispositif tarifaire est similaire à celui prévu par le présent projet de loi, plus de deux années se sont écoulées entre la proposition des tarifs par la CRE et son approbation par le Gouvernement ;

- les informations nécessaires pour arrêter le tarif dépendent entièrement des données communiquées par les opérateurs. Ce n'est donc qu'en apparence que les pouvoirs publics exercent un pouvoir de tarification, au moins dans la phase initiale de l'ouverture des marchés.

On peut ajouter que le système souhaité par la CRE avait été intégré dans le projet de loi du 17 mai 2000 et que la proposition de directive modificative, dans sa rédaction initiale (mars 2001), visait également à confier aux autorités de régulation la compétence pour fixer directement les tarifs d'accès aux réseaux.

Le Gouvernement français a refusé de se dessaisir de ses compétences dans ce domaine, en arguant :

- de raisons d'ordre constitutionnel : l'article 21 de la Constitution, en vertu duquel le Premier ministre exerce le pouvoir réglementaire, ferait obstacle à ce qu'une délégation de caractère aussi général soit accordée à la CRE ;

- de raisons d'opportunité : il tient à maîtriser l'ensemble des composantes des tarifs de vente du gaz aux clients non-éligibles (les ménages), ces derniers étant bien sûr influencés par le niveau des tarifs d'utilisation des réseaux.

Même si l'argument constitutionnel (contesté par la CRE) ne pourrait être tranché que par le Conseil constitutionnel, ce second raisonnement politique du Gouvernement apparaît recevable au rapporteur, d'autant que la position de la Commission européenne a évolué : la nouvelle version de la proposition de directive modificative accepte que la décision formelle sur les tarifs appartienne au Gouvernement.

Le rapporteur se félicite également de l'amendement adopté par le Sénat visant à indiquer explicitement que les propositions et avis de la CRE dans le domaine tarifaire sont formulés après avoir procédé à toute consultation utile des acteurs du marché de l'énergie. L'essentiel est effectivement que les opérateurs économiques, disposant de la compétence et des informations, puissent jouer pleinement leur rôle.

C. Vers un régulateur européen ?

On ne peut manquer de se demander si la création d'un marché européen du gaz naturel ne devrait pas se traduire, à terme, par la mise en place d'un régulateur unique au niveau communautaire.

Il convient de noter qu'un dialogue informel s'est déjà instauré ces dernières années, sous l'égide de la Commission européenne, entre les acteurs des marchés européens de l'électricité et du gaz. Pour le gaz, ce dialogue a pour enceinte le Forum de Madrid.

Par ailleurs, les instances nationales de régulation ont signé, le 7 mars 2000, un mémorandum créant le Conseil des régulateurs européens de l'énergie, lieu de concertation informelle.

La Commission européenne, qui participe déjà à la régulation du secteur du gaz dans l'exercice de ses compétences de droit commun en matière de concurrence, souhaite créer un organe consultatif comprenant les autorités nationales de régulation et chargé d'assurer une application cohérente des dispositions de la directive.

La création d'un régulateur unique au niveau communautaire apparaît prématurée tant que les degrés de développement des marchés nationaux demeureront aussi disparates qu'actuellement et tant que ces marchés resteront relativement cloisonnés du fait des obstacles structurels à l'ouverture du marché européen du gaz.

En outre, les autorités nationales de régulation, qui pourtant ne constituent qu'un démembrement de l'Etat, ont souvent des difficultés pour imposer leur légitimité. Un régulateur européen rencontrerait sans doute des difficultés plus importantes et aurait le plus grand mal à tenir compte de la multiplicité des situations locales.

CONCLUSION

CONCLUSION

Trois questions, qui ne sont pas directement abordées par le présent projet de loi de transposition de la directive de 1998, méritent d'être brièvement évoquées.

L'abrogation de la directive « transit » du 31 mai 1991 : dans sa volonté de mettre fin au système de l'accès négocié, la Commission européenne souhaiterait que les transits (c'est-à-dire les transports de gaz entre le lieu de production et le pays de consommation) soient désormais considérés comme des accès aux réseaux « normaux » et fassent donc l'objet d'une tarification réglementée. Dès lors, la directive spécifique adoptée en 1991 devrait être abrogée dans le cadre de la proposition de directive modificative. La France s'oppose à cette décision. Compte tenu de la durée des contrats de transit et des importantes quantités de gaz concernées, la négociation au cas par cas permet de faire prendre en charge le coût du transport par le producteur de gaz, solution particulièrement avantageuse pour notre pays qui - du fait de sa position géographique - est très éloigné des gisements.

L'accès des tiers au stockage : la nouvelle proposition de directive devrait ouvrir un droit d'accès aux sites de stockage souterrain du gaz. Sur ce point également, la France se trouve dans une situation particulière : peu d'Etats membres disposent des possibilités géologiques d'en créer et les principaux sites sont associés à des gisements de production (non visés par le droit d'accès). GDF, qui exploite 12 des 15 sites français de stockage souterrain, estime qu'un accès négocié (et non pas réglementé) serait indispensable pour tenir compte des particularités géologiques de chaque site.

Le statut juridique de GDF : cette question n'est pas liée directement à l'ouverture à la concurrence du marché gazier. Mais, comme l'a indiqué le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, pour qu'EDF et GDF « puissent nouer des alliances et développer leur stratégie en Europe et dans le monde(...), leur forme juridique sera modifiée pour permettre une ouverture progressive de leur capital, tout en demeurant dans le secteur public ».

Le droit communautaire est, en principe, indifférent au caractère public ou privé de la propriété d'une entreprise. Il importe néanmoins de signaler que la Commission européenne vient d'ouvrir une enquête contre EDF car cet établissement public industriel et commercial (EPIC) bénéficie, du fait de ce statut, d'une garantie illimitée de l'Etat sur ses emprunts, ce qui lui assure, selon la Commission, des conditions de financement trop favorables par rapport à ses concurrents privés. GDF ayant également le statut d'EPIC, la menace de la Commission européenne paraît le concerner aussi.

Au terme de cette étude, le rapporteur tient à souligner que la France ne pourra maintenir son rôle moteur en Europe que si, d'une part, elle aborde les négociations européennes dans un esprit constructif, évitant tout repli sur ses spécificités nationales, et si, d'autre part, elle procède rapidement à la transposition des directives adoptées.

La nouvelle approche du Gouvernement français dans les négociations en cours dans les secteurs de l'électricité et du gaz, ainsi que la volonté politique manifestée par la communication au Conseil des ministres du 6 novembre dernier sur la transposition des directives donnent à penser que notre pays est sur la bonne voie ; la voie qui permettra de réaffirmer : « la France a agi et les conséquences de son action peuvent être immenses »(76).

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie le jeudi 21 novembre 2002, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

L'exposé du rapporteur a été suivi d'un débat.

M. Michel Herbillon s'est interrogé sur les raisons des retards de transposition qui ont conduit à l'adoption, en 2000, d'une loi d'habilitation autorisant la transposition par ordonnance d'une cinquantaine de directives, ce qui est inacceptable au regard de la démocratie.

Le Président Pierre Lequiller a constaté qu'un fonctionnaire pouvait avoir un pouvoir de blocage et a ajouté que les retards pouvaient également être imputables à des mésententes entre ministères.

M. Nicolas Dupont-Aignan s'est demandé si ces blocages administratifs n'étaient pas liés à une insuffisante prise en compte des problèmes juridiques nationaux au stade de la négociation communautaire. Il a souhaité savoir si les directives en retard étaient les mêmes que celles qui ne sont pas transposées chez nos partenaires européens.

Le Président Pierre Lequiller a jugé qu'il serait d'ailleurs intéressant de mettre en place un système de communication par Internet entre les différentes commissions européennes chargées du suivi des travaux communautaires, afin de dialoguer et d'échanger des informations, en particulier sur les positions adoptées respectivement à l'égard des documents de nature législative. Il a précisé qu'il envisageait de confier à un membre de la Délégation une mission d'étude sur la mise en place d'un tel système.

Après avoir exprimé son accord avec les propos du rapporteur sur les problèmes généraux de transposition de directives, M. Jérôme Lambert a déclaré ne pas partager les analyses et les conclusions de ce dernier en ce qui concerne la transposition de la directive gaz, compte tenu des positions adoptées par la précédente majorité. Il a notamment contesté le considérant indiquant que la réalisation du marché intérieur du gaz devrait se traduire par une diminution des prix pour les consommateurs. Ayant constaté que la transposition avait été réalisée dans les faits et non sur le plan juridique, il a observé que le prix du gaz pour les consommateurs avait augmenté.

M. Jérôme Lambert s'est alors interrogé sur le taux d'ouverture du marché du gaz devant être atteint pour permettre une baisse des prix si une ouverture effective d'environ 25 % de ce marché ne s'était traduite par des avantages pour les consommateurs.

Pour sa part, il ne pouvait pas se satisfaire d'une réponse impliquant la disparition d'un opérateur national au profit de plusieurs entreprises concurrentielles. Il reste qu'il est difficile de fixer le curseur de l'ouverture à un niveau permettant de sauvegarder le service public.

M. Jérôme Lambert a considéré par ailleurs que la multiplication des opérateurs n'allait pas simplifier la vie quotidienne des citoyens, un objectif pourtant poursuivi par l'actuel Gouvernement. Les consommateurs seront en effet obligés d'établir des comparaisons avant de choisir leur fournisseur. Dans ces conditions, il est logique de vouloir préserver un opérateur national, garant de l'intérêt général, plutôt que de faire confiance aux vertus de la guerre commerciale entre entreprises privées qui cherchent à maximiser leurs profits.

M. Jérôme Lambert a noté ensuite qu'une partie de l'argumentation du rapporteur s'appuyait sur le fait que les obligations de service public étaient prévues par la proposition de directive modificative en cours de négociation. Or, ce texte n'est pas encore adopté : il ne peut donc être invoqué pour avancer l'argument selon lequel le service public est reconnu à Bruxelles.

Il a conclu son propos en indiquant qu'il s'abstiendrait lors du vote des conclusions.

M. Nicolas Dupont-Aignan a demandé au rapporteur quel était le sentiment de GDF face aux échéances européennes et a souhaité obtenir des précisions sur les obligations de service public contenues dans la directive. Il s'est déclaré inquiet des effets que pouvait avoir l'ouverture du marché sur la couverture du territoire et les mécanismes de péréquation. Les problèmes actuellement rencontrés par la Poste et par France Télécom soulignent l'importance que revêt la question des conditions de gestion d'un service public dans le secteur concurrentiel. De fait, l'affirmation des obligations de service public constitue la contrepartie nécessaire de l'ouverture de marché à la concurrence. La mission du régulateur devient dès lors capitale dans un tel contexte.

M. Nicolas Dupont-Aignan a estimé que, dans ces conditions, le passage à l'ouverture du marché du gaz pour les particuliers ne devrait se faire que si le bilan de la première phase était satisfaisant.

M. Marc Laffineur a rappelé que services publics et entreprises publiques ne devaient pas être confondus. Un service public peut fonctionner dans un secteur concurrentiel. S'agissant des problèmes de desserte, cela fait longtemps que GDF ne couvre plus l'ensemble du territoire. Le respect de cette obligation devant néanmoins s'imposer, il doit être inscrit dans le cahier des charges de cette entreprise. Par ailleurs, une grande entreprise comme EDF a besoin de l'ouverture pour exister sur le plan international, sinon elle serait pénalisée. La vie en autarcie ne constituant pas une solution, il ne faut pas craindre la concurrence.

M. Jérôme Lambert a considéré que le mode de développement défendu par la majorité était respectable, mais il qu'il ne constituait pas le seul modèle.

M. Nicolas Dupont-Aignan a noté que dans ce débat, la question des conditions d'application de l'ouverture à la concurrence était essentielle. Le véritable enjeu réside dans la régulation du secteur ouvert, comme l'ont montré les défaillances constatées en Californie pour l'électricité ou au Royaume-Uni pour le chemin de fer.

M. Michel Herbillon a estimé qu'il convenait d'adopter une position pragmatique pour résoudre des problèmes concrets. Actuellement, EDF et GDF sont limités dans leur développement, ce qui revient en définitive à pénaliser leurs salariés et l'emploi en général. Dans l'économie d'aujourd'hui, comme le montre l'exemple d'Air France avec SkyTeam, les entreprises doivent constituer des alliances pour se développer.

M. Michel Herbillon a marqué son accord avec les propos de M. Nicolas Dupont-Aignan sur le caractère central des conditions d'application de l'ouverture à la concurrence. C'est, en effet, à ce niveau que se situent les enjeux de régulation et de défense des services publics.

En réponse aux différents intervenants, votre rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- les causes des retards des transpositions sont au moins de deux ordres. Il y a d'abord une raison technique, liée à l'insuffisante organisation des ministères en la matière et au traitement des directives au cas par cas. Mais une raison sociologique peut également être invoquée, puisque des bureaux bloquent des directives, alors même que la France les a adoptées dans le cadre du Conseil de l'Union européenne. A cet égard, il a cité l'exemple de la directive 89/48/CEE du 21 décembre 1988 relative notamment à la reconnaissance des diplômes des psychologues de l'éducation nationale ;

- la plupart des retards de transposition ne peuvent pas être imputés à des problèmes politiques, mais à des difficultés techniques ou aux réactions d'un secteur professionnel non satisfait par le contenu de la norme communautaire ;

- l'ouverture à la concurrence est limitée aux seules industries et n'a donc pu avoir des effets bénéfiques en matière de prix pour les consommateurs ;

- le taux d'ouverture du marché qui sera jugé satisfaisant sera celui qui permettra à Gaz de France de se développer sur le marché international ;

- la directive de 1998 a été adoptée au Conseil par le Gouvernement précédent. Le texte qui doit être transposé par le Parlement a donc été négocié et accepté par les autorités françaises, qui ont d'ailleurs obtenu lors des discussions des références au service public. S'il est légitime de s'interroger sur les conditions pratiques de l'ouverture à la concurrence du marché du gaz, on ne peut en revanche s'opposer à un principe contenu dans le traité et mis en œuvre dans un texte adopté par le Gouvernement français ;

- s'agissant des effets économiques de l'ouverture, il convient d'être modeste dans l'évaluation qui peut être faite en raison de la complexité des mécanismes affectant un marché ;

- Gaz de France est en mesure d'assumer l'évolution prévue par la directive. L'adaptation aux échéances européennes est en outre facilitée par la nature du service fourni par l'opérateur, qui n'est pas comparable au téléphone, par exemple ;

- la proposition de directive modificative en discussion fait référence aux obligations de service public. Le cadre juridique ainsi proposé répond aux craintes exprimées. Il est vrai cependant qu'un cadre juridique ne peut - par définition - fournir toutes les garanties.

La France est attachée à l'élaboration d'un bilan des effets de la première phase de l'ouverture du marché, afin d'adopter les mesures nécessaires si des problèmes étaient constatés.

M. Jérôme Lambert s'abstenant, la Délégation a ensuite adopté les conclusions dont le texte figure ci-après.

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION

La Délégation,

Vu le projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, relatif aux marchés énergétiques et au service public de l'énergie (n° 326),

Vu la directive 98/30/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel,

Vu la proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 96/92/CE et 98/30/CE concernant des règles communes pour les marchés intérieurs de l'électricité et du gaz naturel (COM[2002] 304 final du 7 juin 2002),


Sur les retards importants enregistrés dans la transposition des directives en France
 :

Considérant que les bilans récents dressés par la Commission européenne font apparaître que la France est l'un des Etats membres où la transposition des directives enregistre le plus de retards et que notre pays est le plus affecté par les procédures pour manquement engagées par la Commission européenne ;

Considérant qu'un effort important de transposition devrait être réalisé dans les prochains mois pour parvenir à un déficit de transposition au plus égal à 1,5 % dans le secteur du marché intérieur et pour transposer l'ensemble des directives de ce secteur accusant un retard de plus de deux ans, conformément à l'engagement pris au Conseil européen de Barcelone de mars 2002 ;

Considérant que la France se doit d'adopter une attitude exemplaire dans ce domaine pour ne pas entraver son action politique au niveau communautaire ;

1. Se félicite de la ferme volonté du Gouvernement de procéder à la transposition rapide des directives, annoncée dans la déclaration de politique générale du Premier ministre, le 3 juillet 2002, et dans la communication du ministre délégué aux affaires européennes lors du Conseil des ministres du 6 novembre 2002 ;

2. Approuve le caractère pragmatique du plan d'action du Gouvernement, visant essentiellement à fixer des objectifs quantitatifs à chaque ministère (en particulier, une réduction par trois du nombre de directives en retard de transposition dans les six prochains mois) et à impliquer davantage le Parlement grâce, notamment, à un « rendez-vous » régulier sur les questions européennes ;

3. S'interroge sur la fréquence de ce « rendez-vous », dans la mesure où la très grande majorité des directives en attente de transposition ne nécessitent pas l'intervention du législateur et dans la mesure où l'essentiel des dysfonctionnements est constaté au niveau réglementaire ;

4. Suggère que le Gouvernement mette à profit l'un de ces prochains « rendez-vous » pour inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale la proposition de loi complétant l'article 6 bis de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 en vue de permettre un contrôle du Parlement sur la transposition des directives communautaires, proposition de loi adoptée par le Sénat, en première lecture, le 14 juin 2001 ;

5. Souhaite renforcer l'association du Parlement à l'effort engagé par le Gouvernement en proposant que les délégations parlementaires pour l'Union européenne puissent se saisir pour avis des projets de loi de transposition, d'une part, et en décidant que la Délégation déposera, chaque année à la fin du mois de juin, un rapport sur l'état des transpositions, d'autre part ;

6. Propose que le Premier ministre évoque la situation de la transposition des directives à l'occasion de chacune des déclarations annuelles devant le Parlement, auxquelles il s'est engagé.


Sur la transposition de la directive 98/30/CE du 22 juin 1998, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel
 :

Considérant que la transposition par voie législative de cette directive intervient avec un retard de plus de deux ans, que ce dysfonctionnement a porté préjudice aux intérêts économiques et politiques de la France et qu'une condamnation de notre pays par la Cour de justice des Communautés européennes devrait être annoncée prochainement ;

Considérant que la réalisation du marché intérieur du gaz naturel devrait se traduire par une diminution des prix pour les consommateurs, un renforcement de la sécurité de l'approvisionnement et des progrès dans la qualité des services ;

Considérant que les structures spécifiques du marché du gaz naturel (concentration de l'offre, coût des infrastructures de transport, contrats de vente à long terme, développement insuffisant des interconnexions entre réseaux) aboutissent, dans un premier temps, à une concurrence restreinte, d'autant que certaines pratiques nationales contribuent à entraver le libre jeu du marché ;

Considérant la prise en compte croissante des obligations de service public par les institutions communautaires et leur reconnaissance explicite dans la directive 98/30/CE du 22 juin 1998, ainsi que le renforcement de ces obligations dans la proposition modifiée de directive modifiant les directives 96/92/CE et 98/30/CE, présentée par la Commission européenne le 7 juin 2002 ;

Considérant que les autorités françaises seront d'autant plus en mesure de peser sur les négociations communautaires si elles adoptent une approche constructive et évitent tout repli sur les spécificités nationales ne présentant pas un caractère fondamental ;

1. Se félicite de la priorité donnée par le Gouvernement à la transposition de la directive de 1998 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel ;

2. Considère que les dispositions obligatoires de ladite directive sont effectivement reprises dans le projet de loi de transposition soumis à l'Assemblée nationale, qu'il s'agisse de la désignation des clients éligibles et de la fixation des seuils d'ouverture, de l'organisation de l'accès des tiers au réseau, de la transparence de la comptabilité des entreprises intégrées ou encore de la mise en place d'une autorité indépendante des parties chargée de régler les litiges ;

3. Soutient l'approche retenue par le Gouvernement et par le Sénat, visant à intégrer dans l'article 11 du projet de loi précité des obligations de service public non visées par la directive du 22 juin 1998, mais prévues par la proposition de directive modificative en cours de négociation ;

4. Regrette la divergence importante entre l'ouverture théorique à la concurrence et l'ouverture effective enregistrée sur le marché du gaz naturel de nombreux Etats membres et estime que la Commission européenne devrait s'attacher prioritairement à mettre fin à ces dysfonctionnements ;

5. Souligne que de nombreux obstacles à la concurrence pourraient être levés si la proposition de directive modificative imposait un accès régulé des tiers au réseau (à l'exception du transit) et rendait obligatoire la création d'un régulateur sectoriel ;

6. Estime qu'il n'est pas opportun de s'opposer par principe à une libéralisation totale du marché, qui peut être réalisée dès 2004 pour les clients non domestiques mais qui, s'agissant des ménages, doit pouvoir être envisagée autour de 2007, après avoir dressé un bilan pertinent de la première phase d'ouverture du marché du gaz naturel et laissé aux opérateurs économiques le temps d'adapter leurs moyens ;

7. Propose qu'une comptabilité séparée au titre des installations de gaz naturel liquéfié (GNL), prévue par la proposition de directive modificative, soit imposée dès à présent aux opérateurs économiques, mais s'oppose à la mise en œuvre d'une comptabilité séparée pour les activités de fourniture aux clients éligibles, d'un côté, et aux clients non-éligibles, de l'autre, car cette mesure serait d'application compliquée et ne pourrait valoir que pour une brève durée ;
8. Considère qu'il serait pertinent de ne pas s'opposer, dans le cadre des négociations de la proposition de directive modificative, à l'obligation de séparation juridique des activités des entreprises intégrées du secteur du gaz naturel, même si nous devons poser certaines conditions.

ANNEXE :
Auditions du rapporteur

Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

- M. Stéphane Michel, conseiller technique au cabinet de Mme le ministre délégué à l'industrie ;

- Mme Michèle Rousseau, directrice de la demande et des marchés énergétiques.

Gaz de France

- M. Georges Bouchard, directeur de la stratégie, direction générale ;

- M. Pierre Lepesan, chargé de mission à la délégation aux affaires européennes ;

- Mme Chantal Philippet, chargé de mission, relations avec le Parlement.

Commission de régulation de l'électricité

- M. Jean Syrota, président ;

- M. François Morin, commissaire.

Le rapporteur a également envoyé un questionnaire aux cinq principales fédérations syndicales de Gaz de France. Au 20 novembre 2002, avaient répondu :

- M. Philippe Jollivet, responsable national Gaz de France CFTC ;

- M. Arnaud Bousquet, secrétaire général CFE-CGC, industries électriques et gazières.

1 () Rapport d'information sur la transposition des directives déposé par la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne le 25 octobre 2001 (n° 3356).

2 () On peut citer, en particulier, les rapports d'information de M. Bernard Derosier des 10 juin et 24 novembre 1992 (nos 2781 et 3059), le rapport d'information de M. Franck Borotra, « Les projets européens de déréglementation du marché du gaz et de l'électricité », déposé le 30 mai 1995 (n° 2068), et le rapport d'information de M. Bernard Derosier, « A la veille d'une directive européenne sur le marché intérieur du gaz naturel », déposé le 18 février 1997 (n° 3338).

3 () Parmi ces dernières, on peut évoquer les propositions de résolution de M. Franck Borotra (nos 2069 et 2261), déposées respectivement le 30 mai et le 6 octobre 1995, et celle de M. Bernard Derosier (n° 237) du 25 septembre 1997.

4 () Voir le rapport d'information n° 3682, déposé le 27 mars 2002.

5 () S'agissant de l'Assemblée nationale, il s'agit du rapport d'information de M. Alain Barrau, déposé le 25 octobre 2001 (n° 3356). En ce qui concerne le Sénat, on peut mentionner les deux rapports d'information de M. Hubert Haenel, déposés respectivement le 11 janvier 2001 (n° 182) et le 19 février 2002 (n° 250).

6 () Le déficit de transposition indique le pourcentage de directives marché intérieur qui n'ont pas encore fait l'objet d'une notification de transposition par rapport au nombre total de ces directives devant être transposées. Dès lors, ramener le déficit de transposition à 1,5 % signifie que 98,5 % des directives sont transposées dans le droit national.

7 () Les procédures d'infraction (mise en demeure, avis motivé, saisine de la Cour de justice des Communautés européennes) ne concernent pas seulement l'absence de transposition, mais également les transpositions non conformes.

8 () La loi n° 2001-1 du 3 janvier 2001 portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en œuvres certaines dispositions du droit communautaire a certainement contribué à l'amélioration de la performance française, puisqu'elle a permis de transposer une cinquantaine de directives.

9 () Rapport de M. Hubert Haenel (n° 182), précité.

10 () Ce ratio constitue, c'est vrai, un minimum, dans la mesure où le tableau récapitulatif transmis par le SGCI ne précise pas systématiquement la nature du ou des textes nécessaires pour transposer les directives, surtout lorsque le délai d'échéance est encore éloigné.

11 () Ou, pour 5 de ces textes, il a habilité le Gouvernement à transposer les directives par ordonnances.

12 () Pour une approche plus exacte, on peut préciser que sur les 15 directives ayant déjà connu une intervention législative, 13 nécessitent encore une intervention réglementaire et 2 ont encore besoin du vote d'une loi pour être intégralement transposées.

13 () Rapport d'information du Sénat, n° 250 (2001-2002), précité.

14 () Pour un récent état de la jurisprudence, Paul Cassia, « L'invocabilité des directives communautaires devant le juge administratif : la guerre des juges n'aura pas lieu », Revue Française de droit administratif, janvier-février 2002.

15 () La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes qui a reconnu l'effet direct des directives vise seulement les cas où un Etat n'a pas transposé ou a mal transposé une directive à l'expiration du délai prévu. En outre, il faut que, par leur nature même, les dispositions en question puissent produire cet effet direct, c'est-à-dire qu'il doit s'agir de dispositions précises et non conditionnelles. Enfin, l'effet direct pourra être invoqué à l'égard de l'Etat fautif, mais pas d'un particulier.

16 () Dans un article paru dans la Revue Française de droit administratif de janvier-février 2002, « Les autorités administratives françaises : obligations de faire et de ne pas faire », Mme le professeur Ghislaine Alberton note : « si la transposition relève non plus du domaine réglementaire mais de celui de la loi, l'administration ne saurait en aucune façon être contrainte de déposer un projet de loi allant en ce sens ni voir sa responsabilité engagée. Le refus du Gouvernement de déposer un projet de loi est en effet "insusceptible par sa nature d'être porté devant la juridiction administrative" (CE, 29 novembre 1968, Tallagrand) ».

17 () Il convient d'observer que la Commission européenne cherche également à favoriser la transposition des directives dans les Etats membres. Elle élabore actuellement une proposition concernant une méthode de concertation avec les Etats membres, afin d'améliorer l'application de la législation, d'éliminer les incohérences, mais aussi et surtout de faciliter son adaptation aux changements économiques ou techniques. Entre autres, les Etats membres pourraient être invités à produire des tableaux périodiques de concordance des mesures nationales avec la législation communautaire.

Par ailleurs, on peut noter que la Direction générale de l'environnement a organisé, en 2001, dans les Etats membres, plusieurs séminaires au cours desquels la position de la Commission sur la mise en œuvre correcte de directives environnementales particulièrement complexes a été expliquée aux autorités compétentes, de manière à prévenir, plutôt que corriger, les cas de mauvaise application.

18 () Selon les informations fournies au rapporteur, 90 % des cabinets ministériels auraient d'ores et déjà nommé un responsable des transpositions.

19 () Ce dispositif s'inscrit parfaitement dans le cadre des « bonnes pratiques », définies au sein du comité consultatif « Marché intérieur », évoquées par le dernier tableau d'affichage publié par la Commission européenne. Ce comité a proposé notamment la désignation d'un coordinateur national de haut niveau pour la transposition, l'élaboration de calendriers prévisionnels, la mesure systématique des avancées des ministères et le bilan régulier des résultats aux parlements nationaux.

20 () Rapport d'information du Sénat n° 182 (2002-2001), précité.

21 () Texte adopté Sénat n° 103 (2000-2001).

22 () Texte adopté Sénat n° 104 (2000-2001).

23 () Rapport du Sénat, n° 360 (2000-2001).

24 () Proposition de loi n° 2781.

25 () Ce déficit de transposition s'élevait à 21,4 % en 1992. On peut aussi noter que cette constatation a été faite dans le tableau d'affichage publié en mai 2002 et que le dernier document de ce type fait part d'une légère remontée du déficit à 2,1 %, ce qui correspond à la première interruption de la baisse enregistrée depuis 1992.

26 () Une lettre du 3 août, signée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, ainsi que par le secrétaire d'Etat à l'industrie, confiait à la CRE une mission relative à l'examen de la tarification de l'utilisation des réseaux gaziers. A la suite du rapport d'expertise remis le 30 avril 2001, une seconde lettre de mission, en date du 9 juillet 2001, invitait la CRE à compléter sa réflexion sur la tarification et sur divers points complémentaires. Un second rapport d'étape a donc été remis en janvier 2002.

27 () Commission/Irlande, affaire C-236/91.

28 () 22ème rapport sur la politique de la concurrence.

29 () Aux Etats-Unis, le processus de libéralisation, commencé en 1985, s'est véritablement appliqué à partir de 1996 avec l'instauration de l'accès des tiers au réseau et la séparation obligatoire des activités de négoce, de transport et de stockage. Au Royaume-Uni, la même année, British Gas a été scindée en deux entités : Transco pour les activités de réseau et Centrica pour les activités commerciales.

30 () Comme cela a été indiqué précédemment, le dispositif transitoire, mis en place en France par les opérateurs économiques, respecte ce niveau d'ouverture à la concurrence.

31 () Compte tenu de la transposition tardive de la directive gaz, les seuils fixés par le décret en Conseil d'Etat prévus par le projet de loi de transposition devraient, dans un premier temps, correspondre à ce niveau d'ouverture du marché.

32 () L'écart semble même s'être accru depuis septembre 2001, date de référence de l'étude de la Commission européenne. Ainsi, dans son récent discours d'ouverture du septième sommet des dirigeants de l'industrie du gaz, Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie, estime qu'en septembre 2002, 28 % des clients éligibles en France ont changé de fournisseur (contre 17 % un an auparavant).

33 () « Il est donc particulièrement anormal que l'Espagne interdise son marché aux opérateurs français, au nom d'une application erronée du principe de réciprocité, alors que l'ouverture réelle des marchés n'est guère différente dans les deux pays ». Michèle Rousseau, « L'accélération de l'ouverture des marchés de l'électricité et du gaz en France et en Europe », Annales des Mines, février 2002.

34 () Dans ce courrier, Mme le Ministre délégué indique notamment : « afin d'expliquer au Parlement la nécessité d'une accélération de l'ouverture du marché, il me serait utile de connaître les mesures que vous comptez prendre pour améliorer l'ouverture effective des marchés les plus fermés sans attendre la mise en œuvre du deuxième paquet de libéralisation du gaz (...) ».

35 () Rapport de l'Ecole nationale d'administration, « Aspects économiques et géopolitiques liés au développement prévu du gaz naturel dans un marché ouvert », 2001.

36 () « Energies et matières premières », document publié par l'Observatoire de l'énergie en août 2002.

37 () Le prix toutes taxes comprises est en revanche inférieur à la moyenne (38,9 €/MWh en France pour une moyenne européenne de 43,9 €/MWh) car notre pays ne taxe pas spécifiquement le gaz à usage domestique (seule la TVA est appliquée).

38 () Elodie Sagot, « L'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité », mémoire de l'Institut d'études politiques de Strasbourg.

39 () La Commission considère désormais que ces contrats sont une nécessité et qu'il convient de veiller à ce qu'une part appropriée des approvisionnements en provenance d'Etats non membres de l'Union européenne soit fondée sur ce type de contrats. Elle ajoute que les craintes suscitées par ses positions antérieures n'étaient qu'un « malentendu ». Voir la communication de la Commission du 11 septembre 2002 sur le marché intérieur de l'énergie - COM (2002) 488 final.

40 () « Faut-il défendre le service public ? », rapport d'information n° 2260.

41 () Journal « La Croix », 5 février 2002.

42 () « Sont compatibles avec le présent traité les aides qui répondent aux besoins de la coordination des transports ou qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public ».

43 () Réjanne Hugounenq et Bruno Ventelou, « Les services publics français à l'heure de l'intégration européenne », Revue de l'OFCE n° 80, janvier 2002.

44 () Koen Lenaerts, « Les services d'intérêt économique général et le droit communautaire », Rapport public 2002 du Conseil d'Etat.

45 () Outre le rapport d'information (n° 2260) précité de M. Franck Borotra, on peut citer celui de M. Christian Bataille, « Services d'intérêt général en Europe » (n° 2786), déposé le 6 décembre 2000, ainsi que celui de M. Gérard Fuchs, « Les services d'intérêt général : un pilier de la citoyenneté européenne » (n° 3141), déposé le 14 juin 2001.

46 () Rapport d'information du Sénat de M. Hubert Haenel, « Vers des services publics " à l'européenne », n° 82 (2000-2001).

47 () Cette jurisprudence pourrait néanmoins subir un revirement, puisque dans une affaire récente, l'avocat général a proposé de revenir à la jurisprudence « FFSA », qui qualifie les compensations de service public d'aides d'Etat. Cette incertitude a d'ailleurs conduit la Commission européenne à repousser à plus tard la présentation d'une proposition de règlement sur les aides d'Etat liées aux services d'intérêt économique général, demandée par le Conseil européen de Barcelone.

48 () A cet égard, on peut rappeler que la directive 90/388/CEE du 28 juin 1990 relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunications n'évoquait que les obligations de service universel. La toute récente directive 2002/77/CE du 16 septembre 2002, qui abroge et remplace la précédente, ne mentionne également que le service universel.

49 () Europe énergies, 15 mars 2002.

50 () COM (2002) 304 final.

51 () Paul Cassia, « Service public français et droit communautaire », Les petites affiches, 4 juillet 2002.

52 () Renaud Denoix de Saint-Marc, « Rapport au premier ministre sur le service public », 1996.

53 () COM (2001) 775.

54 () COM (2002) 134.

55 () COM (2002) 488 final.

56 () Cette politique, mettant en avant la maîtrise de la demande énergétique, se traduit non seulement par des engagements internationaux (ratification du protocole de Kyoto sur les émissions de gaz à effet de serre, par exemple), mais aussi par diverses mesures communautaires : le programme pluri-annuel (2003-2006), « énergie intelligente pour l'Europe », la directive sur les économies d'énergie dans le bâtiment ou le « paquet » sur les biocarburants.

57 () L'Italie fournit plus de 7 % de la production européenne.

58 () Voir le rapport d'information n°3682 du 27 mars 2002.

59 () Jean-Marie Chevalier, « Marchés de l'électricité et du gaz naturel : un tournant dans la libéralisation », L'Option de confrontations n° 16, 2002.

60 () « Entretien avec Jean Syrota : autorégulation ? régulation nationale, européenne ? », L'Option de confrontations, précité.

61 () La condition du bilan ne peut être avancée pour s'opposer à l'ouverture totale du marché des industriels en 2004, car la plupart de nos partenaires ont déjà opté, dans les textes, pour ce degré d'ouverture ou s'apprêtent à le faire en 2003.

62 () Il s'agit, d'une part, de la construction d'un nouveau gazoduc à partir de l'Algérie vers l'Espagne et la France et, corrélativement, de l'augmentation des capacités des réseaux en Espagne et en France et, d'autre part, du projet concernant les terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL), afin de diversifier les sources d'approvisionnement et les points d'entrée.

Ces projets pourraient bénéficier d'un concours financier communautaire à hauteur de 20 % de leur coût total.

63 () Aux termes de l'article 2 de ladite directive, une entreprise peut être intégrée :

    - verticalement : il s'agit d'une entreprise de gaz naturel assurant au moins deux des opérations suivantes : production, transport, distribution, fourniture ou stockage de gaz naturel ;

    - horizontalement : l'entreprise assure alors au moins une des opérations précitées, ainsi qu'une activité ne concernant pas le gaz.

64 () Jacques Percebois, « Les missions des régulateurs de services publics dans un environnement dérégulé : objectifs, contraintes et moyens », intervention lors d'un colloque, organisé du 10 au 13 juin 2001, sur « La nécessité de nouvelles régulations internationales face aux mutations énergétiques et environnementales ». www.sceco.univ-montp1.fr/creden/Reseau/trav_colloque.htm.

65 () En matière d'électricité, la séparation juridique aboutirait à la remise en cause du statut de Réseau de transport de l'électricité (RTE), gestionnaire des lignes à haute tension, indépendant de fait d'EDF, mais non juridiquement.

66 () Pierre Gadonneix, président du conseil d'administration de GDF, « Marché intérieur du gaz naturel : réguler mais pas sur-réguler », L'Option de confrontations n° 16, 2002.

67 () Pierre Gadonneix, article précité.

68 () Des évolutions culturelles ont également été enregistrées au sein de la Délégation pour l'Union européenne qui, lors de la précédente législature, soutenait fermement le principe de la séparation comptable, alors que, dans sa résolution n° 2261, déposée le 4 octobre 1995 par M. Franck Borotra, elle rappelait « que la séparation comptable entre les différentes activités de GDF serait inacceptable, car elle mettrait cette entreprise en position de faiblesse face à des producteurs étrangers souvent en situation de monopole ».

69 () Thierry Tuot, La planète des sages dans Notre Etat, dirigé par Roger Fauroux et Bernard Spitz, 2001.

70 () Le projet de loi initial prévoyait, en conséquence, de modifier sa dénomination - elle serait devenue la Commission de régulation de l'électricité et du gaz (CREG) - mais le Sénat a souhaité préserver l'acronyme actuel en la nommant « Commission de régulation de l'énergie ».

71 () Dans l'exposé des motifs de la proposition modifiée de la directive modificative, présentée le 7 juin 2002, il est intéressant de noter que la Commission européenne considère que « l'exigence selon laquelle les autorités de régulation nationales doivent être indépendantes des gouvernements ne peut pas être acceptée ». Elles doivent être indépendantes « des intérêts de l'industrie ».

72 () En revanche, en Suède, le régulateur peut être révoqué à tout moment par le ministre de l'industrie et cette faculté a été mise en œuvre en 1999.

73 () Dans son dernier rapport d'activité, la CRE indique qu'à l'occasion d'un audit des comptes dissociés d'EDF, ce dernier a contesté la légitimité de l'intervention d'un conseil extérieur.

74 () COM (2002) 488 final.

75 () Jean-Marie Chevalier et Scott Foster, « La Californie en panne d'approvisionnement électrique », Le Monde, 13 mars 2001. On peut également rappeler que, dans les années 80, l'Etat français a placé GDF dans une situation financière difficile en lui imposant d'acheter du gaz algérien à un prix supérieur à celui du marché, tout en lui interdisant de répercuter ce surcoût sur les prix de vente et en reniant son engagement d'une prise en charge par le budget de l'Etat.

76 () Robert Schuman, discours du 9 mai 1950 annonçant la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA).

© Assemblée nationale