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N° 469

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 décembre 2002

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur le mandat d'arrêt européen,

ET PRÉSENTÉ

par M. Pierre LEQUILLER,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Justice.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. Pierre Goldberg, François Guillaume, secrétaires ; MM. Alfred Almont, Bernard Bosson, Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, François Grosdidier, Michel Herbillon, Patrick Hoguet, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, M. René-Paul Victoria.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. UNE REVISION CONSTITUTIONNELLE NECESSAIRE POUR REALISER L'ESPACE JUDICIAIRE EUROPEEN 7

A. Le mandat d'arrêt européen, une avancée importante pour l'espace judiciaire européen 7

1) Une procédure exclusivement judiciaire 8

2) La remise en cause du principe dit de la « double incrimination » 8

3) L'extradition des nationaux 8

B. La compatibilité de la décision-cadre avec les principes constitutionnels du droit de l'extradition 9

1) La conformité de la décision-cadre au principe constitutionnel interdisant d'accorder l'extradition lorsqu'elle est demandée dans un but politique 9

2) La remise en cause du principe constitutionnel interdisant l'extradition pour les infractions politiques 10

II. L'INDISPENSABLE RENFORCEMENT DU CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITE DES ACTES DE DROIT COMMUNAUTAIRE DERIVE 13

A. La première révision relative à un acte de droit communautaire dérivé 13

B. Le contrôle de constitutionnalité des actes de droit communautaire dérivé 14

1) Un contrôle actuellement insuffisant 14

2) Les solutions envisageables 14

a) Une clause générale d'immunité constitutionnelle 15

b) Un contrôle préventif confié au Conseil constitutionnel 15

c) L'amélioration des dispositifs existants au niveau national et européen 16

CONCLUSION 18

TRAVAUX DE LA DELEGATION 19

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi constitutionnelle relatif au mandat d'arrêt européen, adopté en conseil des ministres le 13 novembre dernier, vise à compléter l'article 88-2 de la Constitution par un troisième alinéa ainsi rédigé :

« Sont fixées par la loi les règles relatives au mandat d'arrêt européen conformément aux dispositions des décisions-cadres prises par le Conseil de l'Union européenne sur le fondement du traité mentionné au premier alinéa ».

Il s'agit de la quatrième révision constitutionnelle relative à la construction européenne, après la loi constitutionnelle du 25 juin 1992, qui permit la ratification du traité de Maastricht, la loi constitutionnelle du 25 novembre 1993, relative à la mise en œuvre des Accords de Schengen, et la loi constitutionnelle du 25 janvier 1999, préalable à la ratification du traité d'Amsterdam.

Le Président de la République a exprimé le souhait qu'elle soit adoptée « très rapidement », et estimé que la France se devait « d'être exemplaire » sur cette question, parce que « l'Europe doit être à la fois un espace de liberté et de prospérité, mais aussi un espace de sécurité ». La France fait, en outre, partie, avec la Belgique, l'Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni, des cinq Etats qui ont pris l'engagement lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » informel de Saint-Jacques de Compostelle, en février 2002, de mettre en application le mandat d'arrêt européen entre eux un an avant le délai fixé, soit le 1er janvier 2003.

Cette révision apparaît aujourd'hui nécessaire, pour favoriser la réalisation d'un espace judiciaire européen. Elle présente cependant des caractéristiques inédites, qui posent à nouveau la question du contrôle de constitutionnalité des actes de droit communautaire dérivé.

I. UNE REVISION CONSTITUTIONNELLE NECESSAIRE POUR REALISER L'ESPACE JUDICIAIRE EUROPEEN

L'avancée que constitue le mandat d'arrêt européen pour l'Europe judiciaire justifie la remise en cause des principes traditionnels, y compris constitutionnels, du droit de l'extradition. De l'« affaire Rezala » à l'« affaire Ramda », les insuffisances de la coopération judiciaire européenne en matière d'extradition ont en effet frappé l'opinion publique et exigent une réponse à la hauteur des attentes des citoyens européens.

A. Le mandat d'arrêt européen, une avancée importante pour l'espace judiciaire européen

Cette révision est nécessaire pour pouvoir transposer en droit français la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres(1), et plus généralement pour assurer la sécurité juridique de la construction de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, qui constitue désormais l'un des objectifs majeurs de l'Union européenne.

Sous la précédente législature, en décembre 2001, la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne a consacré à cette initiative un rapport d'information(2), précédé de deux communications par M. Pierre Brana, le 29 novembre et le 13 décembre 2001. A l'issue de ce rapport d'information, la Délégation a adopté des conclusions en faveur du texte, qui constitue une étape importante dans l'édification d'un véritable espace judiciaire européen.

1) Une procédure exclusivement judiciaire

La décision-cadre du 13 juin 2002 substitue au système actuel de l'extradition un mandat d'arrêt européen, supprimant ainsi la phase politique et administrative de l'extradition au profit d'une procédure exclusivement judiciaire.

La décision-cadre prévoit en effet que les Etats membres s'engagent à exécuter tout mandat d'arrêt européen, défini comme « une décision judiciaire émise par un Etat membre en vue de l'arrestation et de la remise par un autre Etat membre d'une personne recherchée pour l'exercice de poursuites pénales ou pour l'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté privatives de liberté » (article 1er), sur la base du principe de reconnaissance mutuelle.

L'affirmation du principe de reconnaissance mutuelle, dont le Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999 a fait la « pierre angulaire » de l'espace judiciaire européen, se fonde en effet sur la confiance mutuelle dans les systèmes judiciaires des autres Etats membres, et exclut que l'exécution des décisions de justice soit soumise à un contrôle autre que de nature juridictionnelle.

2) La remise en cause du principe dit de la « double incrimination »

Dans le champ d'une liste de trente-deux infractions limitativement énumérées et à condition que celles-ci soient punissables d'une peine privative de liberté d'un maximum d'au moins trois ans, le mandat d'arrêt doit donner lieu à remise sans contrôle du principe dit de la double incrimination, selon lequel les faits fondant la poursuite ou la condamnation doivent être constitutifs d'une infraction tant dans l'Etat membre d'exécution que dans l'Etat membre d'émission.

3) L'extradition des nationaux

Les Etats membres devront également consentir à l'extradition de leurs ressortissants. Le texte prévoit cependant qu'il sera possible pour l'Etat d'exécution d'exiger soit, si le mandat délivré en vue du jugement, que la personne retourne dans l'Etat d'exécution pour y purger sa peine, soit, si le mandat d'arrêt est délivré pour l'exécution d'une peine, que cette peine soit purgée directement dans l'Etat d'exécution (la remise n'ayant par conséquent pas lieu).

B. La compatibilité de la décision-cadre avec les principes constitutionnels du droit de l'extradition

Le Conseil d'Etat, saisi pour avis par le Premier ministre, a reconnu la conformité de la décision-cadre à la plupart des exigences constitutionnelles françaises, à l'exception du principe fondamental reconnu par les lois de la République interdisant l'extradition pour les infractions politiques.

1) La conformité de la décision-cadre au principe constitutionnel interdisant d'accorder l'extradition lorsqu'elle est demandée dans un but politique

Le Conseil d'Etat a considéré la décision-cadre compatible avec le principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel « l'Etat doit refuser l'extradition d'un étranger lorsqu'elle est demandée dans un but politique », qu'il a lui-même dégagé dans l'arrêt d'assemblée Moussa Koné, rendu le 3 juillet 1996(3). Ce principe, profondément ancré dans la pratique conventionnelle de la France, est parfois qualifié de « clause française », en dépit de son origine britannique(4).

Le texte comporte en effet un certain nombre de garanties sur ce point, l'article premier, alinéa trois, de la décision-cadre, disposant que la décision-cadre « ne saurait avoir pour effet de modifier les droits fondamentaux et les principes fondamentaux tels qu'ils sont consacrés par l'article 6 du traité sur l'Union

européenne
 »(5), et l'un de ses considérants énonçant que « rien dans la présente décision-cadre ne peut être interprété comme une interdiction de refuser la remise d'une personne qui fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen s'il y a des raisons de croire, sur la base d'éléments objectifs, que ledit mandat a été émis dans le but de poursuivre ou de punir une personne en raison [...] de ses opinions politiques [...] »(6).

L'extradition des nationaux ne soulève pas non plus de difficultés au regard de la Constitution, le Conseil d'Etat ayant refusé de voir dans cette règle un principe fondamental reconnu par les lois de la République(7).

D'une manière plus générale, la décision-cadre comporte de nombreuses garanties. Le mandat d'arrêt, par exemple, ne peut être exécuté si un jugement définitif a déjà été rendu pour la même infraction et contre la même personne, en application du principe non bis in idem, ou si l'infraction est couverte par une amnistie dans l'Etat membre d'exécution, ou encore si la personne concernée ne peut être considérée responsable par l'Etat membre d'exécution en raison de son âge.

2) La remise en cause du principe constitutionnel interdisant l'extradition pour les infractions politiques

· Le Conseil d'Etat a en revanche estimé que la décision-cadre porte atteinte à l'autre principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif au droit de l'extradition, selon lequel l'Etat « doit se réserver le droit de refuser l'extradition pour les infractions qu'il considère comme des infractions à caractère politique ». Les infractions politiques sont en effet incluses dans le champ d'application de la décision-cadre, aucune exception n'ayant été prévue à ce titre et l'article 1er, paragraphe 3, précité, ne permettant pas de l'exclure(8).

Ce principe, dégagé dans un avis rendu par l'assemblée générale du Conseil d'Etat le 9 novembre 19959, est fondé, comme le précédent, sur l'article 5-2° de la loi du 10 mars 1927 relative à l'extradition des étrangers(10).

· La notion d'infraction politique(11) couvre toutes les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation (Titre Ier, Livre IV), ou plus largement toutes les infractions « qui portent atteinte à l'ordre politique, qui sont dirigées contre la constitution du gouvernement ou contre la souveraineté, qui troublent l'ordre établi par les lois fondamentales de l'Etat et la distribution des pouvoirs »(12). Les personnes recherchées pour trahison, espionnage, atteinte aux institutions de la République, à l'intégrité du territoire national ou à la défense nationale(13) peuvent ainsi bénéficier de cette exception. La jurisprudence considère en outre que certaines infractions, tels les délits de presse(14), sont politiques par nature. Les actes terroristes en sont en revanche exclus, à la suite d'un mouvement aussi bien jurisprudentiel(15) que conventionnel(16) de « dépolitisation » de la violence terroriste.

L'application de ce principe entre Etats membres ne constitue pas un cas d'école : par un arrêt rendu le 3 novembre 1999, la chambre criminelle de la Cour de cassation s'est ainsi opposée à ce qu'un ressortissant britannique, ancien officier des services secrets britanniques, soit extradé vers la Grande-Bretagne, les faits poursuivis (la divulgation d'une information ayant un caractère de secret de la défense nationale) constituant un « délit politique par nature »(17).

Le progrès que constitue le mandat d'arrêt européen, fondé sur la confiance mutuelle que s'accordent les pays de l'Union, justifie cependant que cette règle soit écartée entre Etats membres.

II. L'INDISPENSABLE RENFORCEMENT DU CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITE DES ACTES DE DROIT COMMUNAUTAIRE DERIVE

Cette révision constitutionnelle présente un caractère inhabituel, qui conduit à s'interroger à nouveau sur le contrôle de constitutionnalité des actes de droit communautaire dérivé.

A. La première révision relative à un acte de droit communautaire dérivé

Cette révision constitutionnelle présente des caractéristiques tout à fait inédites. Il s'agit en effet de la première modification constitutionnelle suscitée par un acte communautaire dérivé (qui sera ainsi « constitutionnalisé »), et non par un traité.

Elle aurait, en outre, pu être facilement évitée, sans que la portée du mandat d'arrêt européen - en particulier dans le cadre de la lutte du terrorisme(18) - n'en soit diminuée, en incluant en cours de négociation une exception relative aux infractions politiques.

Mais la contradiction apparue, en cours de négociation, entre le texte de la décision-cadre et les principes constitutionnels français, ne semble pas avoir été entrevue. Le Parlement, en tout état de cause, n'en a pas été informé lors des négociations.

B. Le contrôle de constitutionnalité des actes de droit communautaire dérivé

1) Un contrôle actuellement insuffisant

Cette situation soulève, dès lors, à nouveau la question du contrôle de constitutionnalité des actes communautaires dérivés. Ce problème se pose d'ailleurs avec d'autant plus d'acuité que l'activité législative européenne, avec le développement de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, concerne désormais, de plus en plus fréquemment, des domaines touchant directement aux droits fondamentaux constitutionnellement protégés. L'idée selon laquelle un conflit entre la Constitution et un acte communautaire dérivé serait « théorique » ou « abstraite »(19), compte tenu du caractère exclusivement économique de la construction européenne, a vécu.

Cette inconstitutionnalité de la décision-cadre démontre que le contrôle préventif exercé par le Conseil d'Etat dans le cadre de l'article 88-4, qui devrait permettre aux formations consultatives du Conseil de déceler d'éventuelles difficultés d'ordre constitutionnel et d'attirer l'attention du gouvernement sur ces contrariétés(20), reste insuffisant(21).

2) Les solutions envisageables

Face à cette situation, sur laquelle la Délégation s'est déjà penchée, en mars 1996, dans un rapport d'information de M. le Président Pierre Mazeaud(22), plusieurs solutions sont envisageables.

a) Une clause générale d'immunité constitutionnelle

La première de ces solutions, radicale, consisterait à introduire dans la Constitution une clause générale d'« immunité constitutionnelle » des normes communautaires, y compris dérivées. C'est cette option - la seule à être pleinement conforme au principe de primauté absolue affirmé par la Cour de justice(23) - que certains Etats membres, comme les Pays-Bas(24) ou l'Irlande(25) ont choisi.

Mais ce n'est pas sur cette voie que la France s'est engagée, comme deux arrêts rendus par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation l'ont confirmé récemment, en rappelant la suprématie de la norme constitutionnelle sur l'ensemble des engagements internationaux, y compris européens(26).

b) Un contrôle préventif confié au Conseil constitutionnel

Une deuxième solution, tout aussi radicale, consisterait à mettre en place un contrôle de constitutionnalité préventif des projets d'actes communautaires, exercé par le Conseil constitutionnel, interdisant au gouvernement d'approuver un acte communautaire dérivé contraire à la Constitution.

Tel était l'objet de la proposition de loi constitutionnelle déposée par MM. Pierre Mazeaud et Robert Pandraud, le 13 mai 1996(27), après la publication du rapport d'information de la Délégation de l'Assemblée nationale, précité. Depuis 1993, deux autres propositions de révision constitutionnelle ont également été déposées afin d'instaurer un contrôle de compatibilité à la Constitution soit des actes, soit des propositions d'actes communautaires(28). Cette option apparaît cependant peu conforme à la logique communautaire, et pourrait conduire à une condamnation de la France pour manquement à ses obligations.

c) L'amélioration des dispositifs existants au niveau national et européen

Il existe, entre ces deux solutions radicales, une voie plus pragmatique, consistant à améliorer l'efficacité des dispositifs existants. Elle requiert un renforcement de l'expertise juridique exercée au cours des négociations, au niveau de la représentation permanente à Bruxelles comme du S.G.C.I., et un contrôle accru de la part du Conseil d'Etat, qui devrait exercer, dans le cadre de l'article 88-4, un examen plus approfondi de la constitutionnalité des textes qui lui sont transmis (en particulier dans le secteur de l'espace de sécurité, liberté et justice), et auquel devraient être obligatoirement adressées les nouvelles versions des textes négociés, en cas de modifications substantielles.

Il serait également souhaitable de mettre en place, au niveau européen, un mécanisme d'alerte précoce propre à l'espace de sécurité, liberté et justice, du même type que celui envisagé par la Convention européenne pour le respect du contrôle de subsidiarité, en cas d'atteinte aux droits fondamentaux, avec la possibilité pour un parlement national de saisir, ex post, la Cour de justice dans ce cadre. Le domaine « Justice et affaires intérieures » présente en effet une spécificité justifiant une procédure particulière. Il touche, en premier lieu, plus qu'aucun autre, à des droits constitutionnellement protégés, et se situe au cœur de la compétence des parlements nationaux : la protection des libertés publiques(29). C'est, en outre, un secteur dans lequel le droit d'initiative de la Commission est partagé avec les Etats membres, et les initiatives individuelles des Etats membres, qui dépendent de leurs propres préoccupations politiques, ne prennent pas aussi bien en compte que la Commission la diversité des traditions constitutionnelles des Etats membres.

La Délégation de l'Assemblée nationale fait preuve, en tout état de cause, d'une vigilance accrue sur ce point, comme elle l'a montré récemment en maintenant la réserve d'examen parlementaire, lors de sa réunion du 6 novembre dernier, sur une initiative de la présidence danoise relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens du crime. Ce texte soulevait en effet des difficultés d'ordre constitutionnel au regard de la présomption d'innocence et du droit de propriété(30).

CONCLUSION

La construction d'un espace de liberté, de sécurité de justice est devenue une priorité majeure, depuis le traité d'Amsterdam, de la construction européenne. Les attentes des citoyens sur ce point sont particulièrement fortes, et ne devront pas être déçues.

Les progrès enregistrés en la matière ont en effet, jusqu'à présent, été particulièrement lents, et les avancées réalisées souvent décevantes, en dépit d'une activité législative soutenue. Le mandat d'arrêt européen représente la première concrétisation du principe de reconnaissance mutuelle, « faisant passer la coopération judiciaire d'un système d'interopérabilité d'espaces nationaux vers l'idée d'un espace européen »(31) Ce progrès décisif correspond à l'idée que, dans un espace de plus en plus intégré, la procédure classique de l'extradition, « qui présuppose la méfiance à l'égard des autres Etats »(32) n'a plus de véritable raison d'être.

Cette révision souligne cependant la nécessité de renforcer le contrôle préventif de constitutionnalité des actes de droit communautaire dérivé, dans les domaines concernant des droits constitutionnellement protégés. Ce renforcement, au niveau national, exige avant tout l'amélioration des procédures existantes, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution.

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie le mardi 10 décembre 2002, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

Un débat a suivi l'exposé du Président.

M. Jacques Myard a souligné qu'il comprenait la nécessité de renforcer la coopération judiciaire au sein de l'espace communautaire et que cette initiative se situait dans la continuité des traités bilatéraux existants. Toutefois, il importe de noter que la révision constitutionnelle est imposée par une décision-cadre, c'est-à-dire un acte dérivé, catégorie extrêmement nombreuse, ce qui pourrait aboutir à une multiplication des révisions constitutionnelles. Par ailleurs, il est peu probable que les négociateurs français aient pu accepter ce texte sans se rendre compte qu'il soulevait des problèmes de constitutionnalité, alors même qu'il intervient dans le domaine du droit pénal, qui est un domaine très sensible. Sur le fond, ce texte laisse dubitatif et on peut prédire des temps douloureux au niveau politique. La matière met en jeu la souveraineté des Etats et l'exemple de l'espion britannique, dont la France a refusé l'extradition, montre bien que l'on s'expose à des conséquences politiques non négligeables. En outre, le système proposé institue une coopération judiciaire décentralisée, de juge à juge, ce qui pourrait, en l'absence de tout contrôle de la Chancellerie, conduire à certaines surprises.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que la création du mandat d'arrêt européen répondait à un besoin, puisqu'il était apparu impossible d'extrader vers la France une personne soupçonnée d'avoir financé les réseaux terroristes, détenue en Grande-Bretagne. A cet égard, il a souligné qu'il était intervenu personnellement pour que la négociation de ce dispositif aboutisse au plus vite. Il convient également de constater que la Délégation propose un renforcement des contrôles. Ainsi le Conseil d'Etat pourrait intervenir désormais en cours de négociation et pas seulement au début du processus. Il a aussi indiqué qu'il ne pensait pas que le texte proposé, qui a été soigneusement étudié, soit source de difficultés politiques.

M. Jacques Myard a estimé qu'au cours des cinquante dernières années, tous les problèmes liés aux extraditions étaient d'ordre diplomatique et que de telles situations ne manqueraient pas de se représenter. Or, le texte relatif au mandat d'arrêt européen ne comporte aucune disposition permettant à l'autorité politique de s'interposer, pour des raisons d'ordre public, entre les juges.

Le Président Pierre Lequiller a souhaité ramener les choses à leur juste proportion. La suppression du principe dit de la double incrimination ne pose pas de problème de constitutionnalité. Seule l'inclusion des infractions politiques telles que l'espionnage soulève des difficultés d'ordre constitutionnel.

M. Jacques Myard s'est alors interrogé sur ce que recouvre la notion de sabotage. Il a souligné, par ailleurs, l'intérêt de recourir à des décisions-cadres en raison de la souplesse de leurs modalités d'application.

M. Jacques Floch a tenu à préciser que le mandat d'arrêt européen n'avait pas été accepté par des négociateurs anonymes, mais directement par le Garde des Sceaux. Il a estimé que la liste des trente deux infractions figurant dans la décision-cadre recouvrait plus de trois cents crimes et délits. L'on ne peut pas dire qu'il y a des détenus politiques en France, sauf à considérer que notre pays n'est plus une démocratie. Il a indiqué qu'il interrogerait le Garde des Sceaux sur l'avant-projet de loi de transposition. Sur le fond, la décision-cadre représente une avancée majeure pour la constitution d'un espace judiciaire européen. Un Etat membre ne pourra ainsi plus arbitrairement refuser une extradition vers un autre Etat membre, comme c'est actuellement par exemple le cas pour le refus abusif de la Grande-Bretagne d'extrader vers la France une personne soupçonnée d'avoir financé les attentats de 1995 à Paris, sous le prétexte que les garanties de la défense ne seraient pas assurées dans notre pays. Il a évoqué les travaux de la Convention et notamment la perspective de la création d'un Parquet européen et d'un socle de règles communes en matière de droit pénal et pour certains domaines relevant du droit civil, notamment du droit parental.

Le Président Pierre Lequiller a souligné que l'automaticité de l'extradition constituait justement le cœur du dispositif du mandat d'arrêt européen.

1 () Décision-cadre 2002/584/JAI, JOCE L 190/1 du 18 juillet 2002.

2 () Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, Mandat d'arrêt sans frontière ?, rapport d'information n° 3506 de M. Pierre Brana, 20 décembre 2001.

3 () AJDA 1996, p.805.

4 () L'article III (1°) de l'Extradition Act britannique du 9 août 1870 est en effet le premier à avoir consacré ce principe (Cf. B. Genevois, « Le Conseil d'Etat et le droit de l'extradition », EDCE n° 34, p.29). La loi belge sur l'extradition de 1833 est la première, pour sa part, à avoir exclu l'extradition pour des infractions politiques.

5 () L'article 6 TUE dispose que « l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire ».

6 () Considérant n° 12 de la décision-cadre.

7 () Avis du 24 novembre 1994, LPA, 5 janvier 1995, note J.-M. Peyrical.

8 () En effet, même si, outre la France, la Constitution italienne (art.10) et la Constitution espagnole (art. 13) excluent l'extradition pour les infractions politiques, cette considération ne paraît pas suffisante pour estimer que ce principe fait partie des « traditions constitutionnelles des Etats membres » visées par l'article 6 TUE. Ces deux Etats semblent cependant estimer qu'une révision de leur Constitution n'est pas nécessaire pour assurer la transposition de la décision-cadre.

9 () Avis n° 357.344, EDCE 1995, n° 45, p.395.

10 () Aux termes de cet article, « l'extradition ne sera pas accordée lorsque le crime ou le délit a un caractère politique ou lorsqu'il résulte des circonstances que l'extradition est demandée dans un but politique ».

11 () Cf. G. Levasseur, « Le problème de l'infraction politique dans le droit de l'extradition », Clunet, 1990, p.557 s.

12 () CA Grenoble, 13 janvier 1947, JCP, 1947, II, 3664, note Magnol.

13 () Cf. André Huet, Renée Koering-Joulin, Droit pénal international, 2e éd., PUF, 2001, n° 244.

14 () Frédéric Desportes, Francis Le Gunehec, Droit pénal général, Economica, 2001, n° 156.

15 () Le Conseil d'Etat considère en effet que certains crimes, « compte tenu » de leur gravité, ne sauraient être considérés « comme ayant un caractère politiques » en dépit de leur mobile politique (CE, 7 juillet 1978, Croissant, Rec. p.292).

16 () Cf. les articles 1er et 2 de la Convention européenne pour la répression du terrorisme, signée à Strasbourg le 27 janvier 1977, ainsi que, de manière plus générale, la « clause belge » ou « clause d'attentat », inscrite dans de nombreux traités d'extradition bilatéraux.

17 () Crim., 3 novembre 1999, pourvoi n° 99-80329.

18 () Les actes de terrorisme ne sont en effet pas considérés, en droit français, comme des infractions politiques.

19 () Cf. le rapport général, in Cahiers du Conseil constitutionnel n° 4, « Droit communautaire dérivé et droit constitutionnel, second semestre 1997.

20 () Ce contrôle plus approfondi est qualifié de « phase II », de manière à le distinguer de la « phase I » consistant à savoir si un projet ou une proposition d'acte comporte des dispositions législatives (Cf. Yann Aguila, « Le rôle du Conseil d'Etat », in Henri Roussillon (dir.), L'article 88-4 de la Constitution française, PUSST, 1995, p.165).

21 () Le Conseil d'Etat n'a, en pratique, exercé ce rôle d'alerte qu'à une seule reprise, sur la proposition de directive relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à a libre circulation de ces données.

22 () Rapport d'information n° 2630, Droit communautaire et Constitutions nationales, mars 1996.

23 () C.J.C.E., affaire 11/70, Internationale Handelgesellschaft, Rec. 1970, p. 1125 ; 13 décembre 1979, affaire 44/79, Hauer, Rec. 1979, p.3727.

24 () Articles 93 et 94 de la Constitution du Royaume des Pays-Bas.

25 () Article 29.5 de la Constitution de la République d'Irlande.

26 () CE, 30 octobre 1998, Sarran et Levacher, AJDA 1998, p.962 ; Cass., Ass. Plénière, 2 juin 2000, Mlle Fraisse.

27 () Proposition de loi constitutionnelle déposée par MM. Pierre Mazeaud et Robert Pandraud, le 13 mai 1996. Cette proposition tendait à inscrire dans la Constitution un article 88-5, aux termes duquel : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le Président de l'une ou l'autre Assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a constaté qu'un projet ou une proposition d'acte des Communautés européennes comporte une disposition contraire à la Constitution, le Gouvernement ne peut l'approuver qu'après révision de la Constitution ».

28 () Proposition de loi constitutionnelle n° 194, déposée par MM. Pierre Mazeaud et Robert Pandraud, le 18 mai 1993 ; proposition de loi constitutionnelle n° 328 déposée par M. Jacques Oudin, le 2 juin 1993. Un amendement a également été déposé, dans le même sens, par Mme Nicole Catala en juin 1992, lors du débat sur la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht.

29 () « Les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » figurent ainsi au premier alinéa de l'article 34 définissant la compétence législative.

30 () Le texte présenté prévoyait, notamment, la confiscation des biens du conjoint ou des associés d'une personne condamnée, sans exiger qu'eux-mêmes aient fait l'objet d'une condamnation pour recel ou pour complicité.

31 () Emmanuel Barbe. « Le mandat d'arrêt européen : en tirera-t-on toutes les conséquences ? », in Gilles de Kerchove et Anne Weyembergh, L'espace pénal européen : enjeux et perspectives, Editions de l'Université de Bruxelles, 2002, p.113.

32 () Jean-François Kriegk, « Le mandat d'arrêt européen et les projets de lutte contre le terrorisme », LPA, 22 mai 2002, n° 102, p.13.

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