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N° 781

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 avril 2003

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur l'adhésion de la République de Chypre
à l'Union européenne
,

ET PRÉSENTÉ

par M. Christian PHILIP,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Union européenne.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; M. François Guillaume, M. Jean-Claude Lefort secrétaires ; MM. Alfred Almont, Bernard Bosson, Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Jean-Claude Lefort, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. L'ECHEC DU REGLEMENT D'UN CONFLIT VIEUX DE TRENTE ANS 9

A. Un conflit né au milieu du XXème siècle 9

1) Une cohabitation pacifique qui se dégrade jusqu'au conflit des années cinquante 9

2) La création de la République de Chypre en 1960 ne met pas fin au conflit qui s'aggrave après la crise de 1974 10

B. L'échec du plan Annan 13

1) Le contenu du plan 13

2) Les raisons de l'échec 15

II. UNE ADHESION NECESSAIRE MALGRE LA DIVISION ET PORTEUSE D'UNE DYNAMIQUE EN FAVEUR DE LA REUNIFICATION DE L'ÎLE 19

A. Une adhésion que le maintien de la division de l'île ne peut pas bloquer 19

B. Une adhésion porteuse d'une dynamique en faveur de la réunification de l'île 20

1) La fin du mythe de l'Enosis avec, en perspective, la fin du mythe du Taksim 20

2) Un écart économique entre les deux zones qui ne pourra que s'aggraver 20

3) L'attractivité d'une adhésion à l'Union européenne pour des populations enclavées depuis trente ans 21

4) Une division de la société chypriote turque qui fragilise ses représentants politiques 22

5) La réunification de l'île, élément d'appréciation incontournable pour l'ouverture des négociations d'adhésion de la Turquie 23

III. LES CONDITIONS DE L'ADHESION 25

A. Les conditions juridiques 25

B. Une situation économique remarquable 26

C. Un alignement sur l'acquis communautaire globalement satisfaisant 26

D. Des questions particulières résolues ou en voie de l'être 27

IV. POUR UN RENFORCEMENT DES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET CHYPRE 33

TRAVAUX DE LA DELEGATION 35

ANNEXE 41

Carte de la République de Chypre 43

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L'adhésion de Chypre à l'Union européenne enrichira le processus d'élargissement à plus d'un titre.

D'abord, ce pays représentant l'une des plus anciennes civilisations du continent renforcera l'influence de l'Union européenne jusqu'au Proche et au Moyen-Orient, au sein d'une région méditerranéenne avec laquelle elle entretient des liens très étroits de partenariat.

Ensuite, son adhésion rééquilibrera vers le Sud et les pays partenaires méditerranéens un centre de gravité de l'Union élargie qui, sinon, aurait tendance à se déplacer très fortement vers l'Est.

Enfin, ce pays est relativement prospère par rapport à la moyenne des pays adhérents d'Europe centrale et orientale. N'ayant pas appartenu au bloc soviétique, il n'a pas dû assumer, comme eux, les efforts d'une transition difficile vers la démocratie et l'économie de marché. Il n'a donc pas éprouvé les mêmes difficultés pour respecter les critères d'adhésion et s'adapter aux exigences de l'acquis communautaire.

Contrairement aux pays candidats d'Europe centrale et orientale dont la candidature se heurtait principalement à des difficultés économiques, celle de Chypre soulève essentiellement le problème politique de la division de l'île entre les deux communautés grecque et turque.

Dans l'avis positif qu'elle rendait le 30 juin 1993 à la demande d'adhésion aux Communautés européennes présentée par la République de Chypre le 3 juillet 1990, la Commission européenne reconnaissait d'abord incontestablement un caractère et une identité européenne à Chypre et confirmait sa vocation à appartenir à la Communauté. Cependant, elle soulignait déjà qu'un règlement politique de la question chypriote ne pourrait que renforcer cette vocation et les liens qui unissent Chypre à l'Europe.

Chypre a en effet d'abord conçu sa candidature à l'Union européenne comme le moyen de dépasser les antagonismes entre les deux communautés chypriotes grecques et turques, nés de la partition de l'île après la tentative d'annexion de Chypre à la Grèce par le régime des colonels et l'occupation de la partie nord par la Turquie en 1974, suivie de la création d'une « République turque du Nord de Chypre » non reconnue par la communauté internationale.

Par l'accord conclu le 6 mars 1995 sous présidence française avec la Grèce, Chypre et la Turquie, l'Union européenne s'engageait à ouvrir des négociations d'adhésion avec Chypre au plus tard six mois après la fin de la Conférence intergouvernementale d'Amsterdam et la Grèce promettait de ne plus faire obstruction à l'établissement d'une union douanière avec la Turquie ni à la reprise d'une assistance financière. Cette heureuse évolution conduisait le Conseil européen de Madrid, en décembre 1995, à lier les négociations d'adhésion avec Chypre avec celles prévues avec les pays d'Europe centrale et orientale.

Le Conseil européen de Luxembourg décidait, le 13 décembre 1997, d'ouvrir les négociations d'adhésion avec Chypre en mars 1998 et indiquait que l'adhésion de Chypre devait bénéficier à toutes les communautés et devait concourir à la paix civile et à la réconciliation, dans l'espoir que cette perspective favoriserait un rapprochement des communautés et une réunification de l'île avant l'adhésion. Toutefois, les négociations s'engageaient avec les autorités représentatives du seul Etat chypriote reconnu internationalement, après le refus des autorités de la communauté chypriote turque de s'intégrer à la délégation participant aux négociations avec l'Union.

Le Conseil européen d'Helsinki des 10 et 11 décembre 1999, tout en soulignant qu'un règlement politique faciliterait l'adhésion de Chypre à l'Union européenne, a marqué un tournant en décidant que le règlement de la question chypriote ne saurait constituer une condition préalable à l'adhésion de Chypre.

Le Conseil européen de Copenhague, le 13 décembre 2002, a tenu l'engagement pris à Helsinki et a conclu la négociation avec Chypre en l'absence d'un règlement politique de la division de l'île. Il confirmait néanmoins sa préférence en faveur de l'adhésion d'une île réunifiée, en invitant les Chypriotes grecs et turcs à poursuivre les négociations en vue de parvenir à un règlement global de la division de l'île avant le 28 février 2003, sur la base du plan du secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan.

Malheureusement, après l'échec des dernières discussions sur la réunification de l'île, le 10 mars, l'Union européenne s'apprête à accueillir la République de Chypre sans que les deux communautés aient réussi à surmonter leurs divisions avant l'adhésion malgré tous les efforts de la communauté internationale.

Il est vrai que l'espoir de parvenir à s'entendre était ténu. En effet, le rejet du plan Annan marque l'échec du règlement d'un conflit vieux de trente ans, dont les prémices sont apparues au milieu du XXème siècle.

L'adhésion de la République de Chypre ne pouvait être bloquée par sa division. Pourquoi ne pas espérer qu'elle va créer une dynamique de réconciliation et offrir une perspective de solution plutôt que de consacrer, comme certains l'espèrent, une partition définitive de l'île ?

Par ailleurs, l'adhésion ne peut pas être refusée à un pays qui s'est toujours situé en tête des pays candidats dans le respect des critères d'adhésion et dont les principales difficultés spécifiques soulevées par sa candidature ont été résolues ou sont en voie de l'être.

Enfin, cette adhésion devrait représenter pour la France une chance de développer ses relations et ses échanges avec un pays francophile partageant la même ambition d'un renforcement du partenariat euro-méditerranéen et des échanges avec le Proche et le Moyen -Orient.

I. L'ECHEC DU REGLEMENT D'UN CONFLIT VIEUX DE TRENTE ANS

A. Un conflit né au milieu du XXème siècle

1) Une cohabitation pacifique qui se dégrade jusqu'au conflit des années cinquante

Chypre est une île de 9 251 Km2 où vivent 855 000 habitants, dont 652 000 membres de la communauté grecque orthodoxe dans la zone sud et 203 000 membres de la communauté turque musulmane dans la zone nord.

L'île, qui a été successivement dominée par les Grecs, les Phéniciens, les Ptolémées, les Romains, la famille des Lusignan, puis l'empire ottoman pendant trois siècles de 1571 à 1878, et enfin par les Britanniques jusqu'en 1960, a connu quatre siècles de cohabitation pacifique entre les deux communautés, de la fin du XVIème siècle jusqu'aux années 1950.

Prêtée par les Ottomans à l'empire britannique en 1878 en échange d'un soutien contre la menace russe, annexée par l'Angleterre en novembre 1914 à l'entrée en guerre de l'empire ottoman aux côtés de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie, Chypre est devenue colonie britannique en 1925, après que la Turquie eut reconnu son annexion par l'Angleterre dans le traité de Lausanne de 1923.

Après la création de la République Kemaliste en 1923, plusieurs vagues d'émigration des Chypriotes turcs vers l'Anatolie modifient le rapport démographique entre les deux communautés en faveur des Grecs : composée de 136 000 Grecs et de 46 000 Turcs, la population passe d'un rapport de 75 % et 25 % au rapport actuel de 80 % de Grecs et 18 % de Turcs, le reste étant composé de petites communautés arménienne et maronite. La composition du Conseil législatif, créé par la première constitution de 1882 et composé de dix-huit membres dont six fonctionnaires anglais et douze membres élus dont neuf Grecs et trois Turcs, n'en est pas modifiée pour autant.

Une première crise survient en octobre 1931 avec la révolte grecque, inspirée par l'église orthodoxe de Chypre, en faveur de l'Enosis, c'est-à-dire de l'Union de l'île avec la Grèce.

Dans les années cinquante, une organisation de guérilla grecque l'EOKA, se développe pour mener une lutte anticoloniale contre les Anglais. En riposte à l'Enosis, les Chypriotes turcs réclament le Taksim, c'est-à-dire le partage de l'île entre la Grèce et la Turquie et créent leur propre organisation terroriste, VOLKAN.

D'abord limité à une lutte entre la puissance coloniale britannique et la communauté grecque, le conflit s'internationalise lorsque la Grèce et la Turquie deviennent parties prenantes, dans un contexte de guerre froide et de rivalité américano-soviétique.

Afin de trouver une solution à l'intérieur de la zone d'influence occidentale, des négociations s'engagent sous la supervision des Etats-Unis, entre les trois membres de l'Alliance atlantique impliqués dans cette crise - le Royaume-Uni, la Grèce et la Turquie - ainsi qu'entre les deux communautés.

2) La création de la République de Chypre en 1960 ne met pas fin au conflit qui s'aggrave après la crise de 1974

Les négociations aboutissent aux accords de Zurich et de Londres, en février 1959, et à l'accession à l'indépendance de la République de Chypre, le 16 août 1960. Sa constitution n'est pas fondée sur le principe de la répartition des pouvoirs au prorata des deux communautés. Le président et le vice-président de la République, respectivement un Grec et un Turc élu chacun par sa communauté, disposent d'un droit de veto en matière de politique extérieure et de défense. La communauté turque, représentant 18 % de la population, dispose de trois ministres sur sept membres du gouvernement et de 30 % des sièges au parlement, dans la police et l'administration et de 40 % des effectifs de la garde nationale, comprenant 2000 soldats.

Trois ans après sa naissance, la République de Chypre va connaître une deuxième période de conflit avec la proposition de son président, Monseigneur Makarios, de procéder à une révision de la constitution de 1960 afin de réduire les prérogatives de la minorité turque.

Les combats opposant les deux communautés en 1964 conduisent à l'envoi d'une force d'interposition des Nations unies (UNFICYP). A la fin de 1967, les Etats-Unis parviennent à arrêter une menace de débarquement de la Turquie et à favoriser un accord entre la Grèce et la Turquie pour arrêter l'engrenage de la crise.

De 1968 à 1974, les négociations intercommunautaires reprennent dans le contexte d'une prise du pouvoir par les colonels à Athènes, en avril 1967, et d'une dégradation progressive des relations entre Monseigneur Makarios et le gouvernement grec.

Le coup d'Etat du 15 juillet 1974, fomenté contre Monseigneur Makarios par le régime des colonels et l'extrême droite chypriote, donne à la Turquie un motif pour envoyer son armée occuper la partie nord de l'île.

Cette occupation militaire, qui perdure jusqu'à aujourd'hui - la Turquie mobilisant sur place 35 000 soldats - s'est traduite par l'exode de 180 000 à 200 000 Chypriotes grecs vers le sud et de dizaines de milliers de Chypriotes turcs vers le nord. Elle s'est manifestée par de très nombreuses disparitions et l'expropriation de fait de milliers de Chypriotes dans les deux parties de l'île.

En outre, la Turquie a favorisé une immigration de Turcs d'Anatolie dans le nord de l'île, contribuant à renforcer l'opposition entre les deux communautés. D'autant que ceux-ci, représentant plus de 80 000 habitants et près de la moitié de la population du nord, sont les plus réticents à une réunification de l'île.

De plus, M. Rauf Denktash - qui s'était imposé dès la guerre d'indépendance contre le Royaume-Uni, dans les années 1950, comme chef de la communauté chypriote turque - a proclamé, le 15 novembre 1983, la République turque de Chypre du nord (RTCN), reconnue comme Etat souverain par la seule Turquie. Cette situation a provoqué l'isolement du nord de l'île, la dégradation notable de son économie et une forte dépendance politique et financière vis-à-vis d'Ankara.

M. Denktash, qui refuse la réunification de l'île en un seul Etat, a été réélu pour un quatrième quinquennat consécutif en avril 2000 comme président de ladite République turque de Chypre du Nord.

Les pourparlers diplomatiques menés sous l'égide de l'ONU depuis plus de vingt ans pour parvenir à une solution fondée sur une fédération bizonale ont échoué, notamment à cause de la volonté inflexible des autorités chypriotes turques d'obtenir leur reconnaissance préalable comme entité politique indépendante ayant un statut identique à la partie grecque de l'île.

La vision turque d'une confédération assez lâche regroupant deux Etats souverains s'est opposée à la vision grecque d'une fédération rassemblant deux entités fédérées, avec un gouvernement central responsable de la défense, de la diplomatie et des finances.

Hormis les questions constitutionnelles, les négociations ont porté sur d'autres questions de fond : le retour des réfugiés chypriotes grecs au nord ; le pourcentage du territoire qui serait laissé au contrôle des Chypriotes turcs ; la liberté de circulation et d'établissement et le droit de propriété ; enfin, la démilitarisation de l'île susceptible de concerner non seulement le retrait des forces turques et grecques mais également la souveraineté du Royaume-Uni sur ses bases d'Akrotiri et de Dhekelia, représentant 2,8 % du territoire chypriote.

Le contexte dans lequel se déroule ce conflit et ces négociations a connu trois évolutions majeures.

Tout d'abord, la rupture de 1974 a modifié la position de négociation des deux communautés de sorte que l'intransigeance a changé de camp. Alors qu'entre 1963 et 1974, Monseigneur Makarios négociait avec lenteur, ce sont désormais les Chypriotes turcs qui semblent peu disposés à conclure les négociations.

Ensuite, la République de Chypre créée en 1960 ne s'est pas fondée sur une volonté des deux communautés de construire ensemble une nation mais sur un compromis imposé par les trois Etats tutélaires. Les deux communautés n'ont jamais cessé de se tourner vers la Grèce et la Turquie dont les relations longtemps difficiles ont également pesé sur les négociations. Les autres contentieux qui divisent ces deux pays riverains de la mer Egée n'ont pas encore été réglés (délimitation du plateau continental et des eaux territoriales, partage de l'espace aérien, remilitarisation de certaines îles grecques,...) et ils mènent une lutte d'influence dans cette région de l'Europe. Mais l'amélioration récente des relations entre les deux pays est un élément favorable à l'évolution de la question chypriote.

Enfin, l'appartenance des trois Etats garants à l'Alliance atlantique a permis aux Etats-Unis d'exercer une influence déterminante pour stabiliser le conflit sinon pour le résoudre. On peut penser que la volonté de Chypre et de la Turquie de s'intégrer à l'Union européenne donnera à celle-ci une nouvelle influence pour favoriser une solution négociée, dans la période qui va suivre l'adhésion de Chypre à l'Union européenne.

B. L'échec du plan Annan

A la suite de la reprise des négociations directes sous l'égide de l'ONU en décembre 2001 après quatre ans d'interruption, le secrétaire général de l'ONU a présenté, le 11 novembre 2002, un plan de règlement institutionnel pour Chypre, ayant vocation à être soumis à référendum dans les deux parties de l'île.

1) Le contenu du plan

Le plan propose un seul Etat souverain (« common state »), représentant Chypre au plan international, mais composé de deux entités indépendantes (« component states »), sur le modèle de « la Suisse, son gouvernement fédéral et ses cantons ». Les Etats « constituants » auraient leur propre constitution, exerceraient souverainement tous les pouvoirs que la constitution ne délègue pas à l'Etat commun et s'organiseraient eux-mêmes librement selon leur propre constitution. Il n'y a pas de hiérarchie entre les lois de l'Etat commun et celle des Etats constituants, tout acte en contravention avec la constitution étant considéré comme nul et non avenu. Les Etats constituants coordonneraient leurs politiques ; l'Etat « commun » remplirait les obligations de Chypre dans l'Union européenne. Mais les Etats « constituants » participeraient à l'élaboration des positions chypriotes par le biais de ces accords de coopération.

Un Conseil présidentiel de six membres serait à la tête de l'Etat fédéral. Sa composition serait proportionnelle à la population des deux Etats. La présidence et la vice-présidence seraient assurées par rotation tous les dix mois. Il ne pourrait pas y avoir plus de deux présidents successifs d'une même communauté. Les conseillers (ministres) chargés des affaires étrangères et des affaires européennes ne pourraient pas provenir de la même entité. Pendant une période de transition, le texte prévoit que les leaders des deux communautés seront « coprésidents de Chypre » pour trois ans.

Le parlement serait bicaméral et comprendrait un sénat et une chambre des députés de quarante-huit membres chacun.

La cour suprême serait composée de neuf juges, trois de chaque « canton » et trois non chypriotes. Elle serait chargée de résoudre les conflits entre les deux entités. Une commission de réconciliation sur le modèle sud-africain serait créée. Une loi spéciale de l'Etat commun définirait l'attribution de la citoyenneté chypriote unique. Tous les habitants actuels de Chypre, y compris les colons anatoliens, pourraient obtenir la nationalité du nouvel Etat et le passeport européen qui lui serait lié.

Le plan réduit également à moins de 10 000 les effectifs militaires turcs et grecs qui pourront stationner dans chacun des Etats constituants et il interdit la fourniture d'armes à Chypre.

Un « ajustement territorial » est admis. Il devra être progressif, étalé sur trois ans. La partie turque devrait céder de 7 % à 9 % de son territoire.

Dans la dernière version du texte qui a connu trois moutures, les Chypriotes turcs auraient le contrôle de 28,2 %, soit moins que les 37,2 % détenus actuellement mais plus que les 25 % détenus avant 1974.

Le nouveau plan prévoit aussi le retour de 92 000 réfugiés chypriotes grecs, sur un total de 200 000, et comporte un système de location-partage des propriétés disputées en cas de retour des anciens propriétaires. Des incitations financières pour ceux qui renonceraient à leurs biens et des incitations au départ pour les colons turcs seraient également prévues. Par ailleurs, la dernière version laisserait aux Chypriotes turcs la possibilité de conserver la péninsule de Karpas, au nord-est de l'île, dont les Chypriotes grecs demandaient la restitution.

Jusqu'à présent, 74 Chypriotes grecs ont saisi la Cour européenne des droits de l'homme pour demander réparation. En 1998, dans l'affaire Loizidou, la Cour a condamné la Turquie, et non la République turque de Chypre-nord qui est un Etat non reconnu, à verser une indemnité qui s'élève actuellement à près d'un million de dollars avec les intérêts.

Près de 50 000 chypriotes turcs seraient appelés à quitter leurs terres et leurs domiciles dans le cadre des transferts de territoires prévus par le plan. Beaucoup de ces propriétés appartenaient à des Chypriotes grecs et ont été redistribuées avec des titres de propriété par les autorités chypriotes turques aux réfugiés turcs arrivés du sud de l'île, après les derniers transferts de population en 1975.

Les Chypriotes turcs évacués des 9 % de territoires restitués auraient été relogés grâce aux fonds recueillis par la Conférence internationale des donateurs que la Commission européenne se proposait de convoquer au lendemain de la signature d'un accord politique pour la réunification de l'île.

La réussite du plan dépendait aussi de la capacité de la Grèce et de la Turquie, qui entretiennent chacune un contingent militaire à Chypre, à se mettre d'accord sur des garanties de sécurité sur l'île. Pour favoriser l'accord, le Royaume-Uni avait proposé de rétrocéder à Chypre près de la moitié du territoire de ses deux bases, sans en affecter le caractère opérationnel, à condition que la date-butoir du 28 février soit respectée.

2) Les raisons de l'échec

M. Kofi Annan a demandé aux deux parties de lui indiquer le 10 mars s'ils acceptaient de soumettre à référendum, le 30 mars, son plan de réunification de l'île et, pour tenter de sauver ces pourparlers de la dernière chance, il a même proposé aux deux parties d'étendre une nouvelle fois la période de négociations jusqu'au 28 mars avec un référendum le 6 avril.

En fait, les négociations ont achoppé durant tout leur déroulement sur les modalités de partage du pouvoir mais surtout sur les rétrocessions de territoires incombant à la partie turque et sur le retour partiel des réfugiés grecs chassés en 1974.

Le nouveau président de la République de Chypre, M. Tassos Papadopoulos, élu dès le premier tour des élections le 16 février 2003, avec 51,5 % des voix contre 38,8 % au président sortant, M. Glafcos Cléridès, était prêt à accepter la tenue d'un référendum, à condition d'obtenir des éclaircissements sur la constitution des Etats constituants et de fortes garanties de la Grèce et de la Turquie en matière de sécurité. Il souhaitait également le retour dans la partie turque de l'île d'un nombre plus important de Chypriotes grecs que celui prévu par le plan, ainsi qu'une liberté plus grande de circulation de part et d'autre de la ligne de démarcation, conformément aux normes de l'Union européenne auxquelles le plan Annan déroge partiellement.

M. Rauf Denktash a critiqué la demande de garanties de sécurité présentée par M. Papadopoulos, mais il a surtout jugé inacceptables les restitutions de territoires (9 %) et les déplacements de population (50 000 personnes) auxquels devait procéder la partie chypriote turque. Enfin, il a jugé que le plan Annan établissait le statut d'une minorité dans un Etat grec, mais qu'il ne pouvait convenir aux Chypriotes turcs en leur qualité de cofondateurs de la République de Chypre créée en 1960.

Par ailleurs, l'inflexibilité des positions adoptées par M. Denktash tout au long des négociations a plus reflété l'attitude de fermeté préconisée par une armée turque gardienne d'une vision kemaliste nationale que l'attitude d'ouverture amorcée par le nouveau gouvernement musulman modéré d'Ankara.

Le gouvernement de M. Abdullah Gül, puis de M. Ricep Erdogan, avait donné l'impression de souhaiter réellement la conclusion d'un accord, même s'il n'acceptait pas en bloc le plan Annan, en particulier sa carte territoriale.

Les milieux militaires et nationalistes turcs continuent de considérer la présence militaire turque dans l'île comme stratégique pour contrecarrer d'hypothétiques plans visant à encercler la Turquie. M. Denktash s'est fait l'écho de cette théorie lorsqu'il a déclaré, juste après le Conseil européen de Copenhague, que le but de l'Union européenne était de posséder Chypre et de construire une sorte de forteresse chrétienne autour de la Turquie. Le chef d'Etat-major de l'armée turque, le général Hilmi Özkök, a été encore plus précis lorsqu'il a rappelé, le 8 janvier 2003, combien l'exigence de sécurité était importante pour la Turquie, face à une force assiégeante (les Grecs) pouvant menacer le Sud et le Sud-est du pays. « Une solution à Chypre qui ne garantirait pas les besoins de sécurité de la Turquie signifierait, plus ou moins, le début d'un processus d'enfermement de l'Anatolie ».

Ce sont ces craintes qui ont bloqué pendant des années l'accord sur l'utilisation des moyens de l'OTAN par l'Union européenne dans le cadre de la PESC. L'Union a dû prendre l'engagement de ne pas en faire usage à Chypre pour lever le veto turc sur un accord UE-OTAN qui a été conclu le 15 décembre 2002.

L'échec du plan Annan n'est à l'avantage d'aucune des parties.

Il présente en effet le risque pour les Chypriotes grecs de pérenniser la division de l'île pour des décennies et, peut-être, de perdre tout espoir de retour des réfugiés vers leurs villes et leurs terres au cas où les autorités chypriotes turques mettraient leur menace à exécution de proclamer l'indépendance de la République du Nord de Chypre ou de décider son absorption par la Turquie.

Cet échec présente aussi le risque pour les Chypriotes turcs de les enfermer dans un repli définitif sur eux-mêmes et la Turquie, qui les priverait des avantages de l'appartenance à l'Union européenne et accroîtrait l'écart de niveau de vie avec leurs compatriotes chypriotes grecs.

En tous cas, il est exclu que l'Union européenne réponde à l'invitation de M. Denktash, émise en décembre 2002 pendant les négociations, d'engager une relation séparée avec la composante étatique chypriote-turque, afin que celle-ci entre dans l'Union européenne simultanément avec la Turquie.

La question de la division de l'île devrait dépendre désormais de l'attitude des Chypriotes turcs par rapport aux positions de leur gouvernement, ainsi que des choix que les autorités civiles et militaires turques devront faire pour l'avenir de leur pays et son orientation européenne.

II. UNE ADHESION NECESSAIRE MALGRE LA DIVISION ET PORTEUSE D'UNE DYNAMIQUE EN FAVEUR DE LA REUNIFICATION DE L'ÎLE

A. Une adhésion que le maintien de la division de l'île ne peut pas bloquer

Le Secrétaire général des Nations unies a légitimement essayé de profiter du calendrier d'adhésion de Chypre à l'Union européenne pour fixer une date-butoir aux négociations sur la division de l'île et tenter de débloquer un imbroglio de trente ans.

L'Union européenne a pour sa part suivi sa logique propre pour les conditions d'adhésion de Chypre définies à Helsinki. Elle n'a pas à l'époque établi de lien automatique entre l'adhésion et le règlement de la division de l'île.

La négociation se trouvait placée sous une double hypothèque : la Turquie menaçait de bloquer l'adhésion de Chypre si le règlement de la division de l'île ne se fondait pas d'abord sur la reconnaissance de l'Etat chypriote turc et la réalité de l'existence de deux Etats ; la Grèce menaçait de bloquer l'adhésion de l'ensemble des candidats au cas où l'Union différerait l'adhésion de Chypre jusqu'à la réunification de l'île.

Le Conseil européen d'Helsinki de décembre 1999 a tranché et levé l'hypothèque turque en déclarant que ce règlement politique ne constituait pas une condition préalable à l'adhésion.

Revenir sur cette décision à Copenhague aurait constitué une rupture de l'engagement pris à Helsinki.

En outre, lier l'adhésion au règlement préalable de la division aurait donné un droit de veto aux autorités chypriotes turques et à la Turquie qui s'étaient placées dans l'illégalité internationale en érigeant et en reconnaissant un Etat non conforme aux accords ayant abouti à la création de la République de Chypre.

B. Une adhésion porteuse d'une dynamique en faveur de la réunification de l'île

L'adhésion de Chypre à l'Union européenne pourrait être un facteur d'unité à plus d'un titre.

1) La fin du mythe de l'Enosis avec, en perspective, la fin du mythe du Taksim

L'adhésion aura tout d'abord l'immense mérite de mettre fin au mythe de l'Enosis propre à un certain extrêmisme chypriote grec lequel a poussé une communauté chypriote turque, minoritaire et inquiète, à demander la protection de sa mère-patrie. Les citoyens chypriotes grecs du nouvel Etat membre assumeront leur participation à l'Union à égalité de droits avec la Grèce et n'éprouveront plus le besoin d'un rattachement à la mère-patrie pour conserver des liens affectifs avec elle. La fin du mythe de l'Enosis pourrait entraîner, en corollaire, le dépérissement du mythe du Taksim, c'est-à-dire la partition de l'île entre les deux communautés, dans l'esprit des Chypriotes turcs.

2) Un écart économique entre les deux zones qui ne pourra que s'aggraver

La situation économique de l'île est marquée par un fort contraste entre les deux zones. Alors que le Sud connaît un remarquable développement, caractérisé par un secteur privé dynamique et une grande ouverture aux échanges extérieurs, la zone nord se caractérise, depuis 1974, par la stagnation économique (le PIB par habitant y est quatre fois moins élevé qu'au sud) et par une forte dépendance à l'égard de la Turquie.

En zone sud, après la partition de 1974 qui a amputé une partie de ses infrastructures économiques, l'économie chypriote s'est rétablie et développée en deux phases successives en s'appuyant sur des secteurs d'activités distincts : l'industrie manufacturière (confection) ainsi que la construction et le BTP jusqu'au milieu des années 1980 ; le secteur tertiaire (désormais plus de 70 % du PIB) ensuite.

Chypre, misant sur sa situation géographique, la qualité de sa main d'œuvre et l'existence d'incitations fiscales (impôt de 4,5 % sur les bénéfices), s'est fixé l'objectif de devenir un centre financier, touristique et de transit commercial majeur en Méditerranée orientale et à proximité du Proche et Moyen-Orient.

En revanche, l'économie de la zone nord est aujourd'hui sinistrée, alors qu'elle recelait avant 1974 70 % des ressources économiques et 95 % de la capacité hôtelière de l'île. La République de Chypre attire chaque année 2,7 millions de touristes alors que la zone nord n'accueille que 84 000 touristes, essentiellement turcs. La taille réduite de l'économie de Chypre nord et son isolement diplomatique constituent de lourds handicaps. L'économie souffre de sureffectifs dans la fonction publique, représentant 17 % du PIB et 22 % de la population active, alors que le tertiaire lié au tourisme représente 17 % du PIB. Le secteur agricole reste archaïque et soumis à une pénurie chronique d'eau et la base industrielle est réduite.

Le commerce avec les Etats tiers est entravé depuis l'arrêt de la Cour européenne de justice du 5 juillet 1994, qui précise que les certificats d'origine de la zone nord ne sont plus acceptés dans l'Union européenne, ce qui a renforcé de fait la dépendance économique de la RTCN à l'égard d'Ankara, en obligeant un transit par la Turquie pour tout le commerce de la RTCN avec les Etats tiers.

3) L'attractivité d'une adhésion à l'Union européenne pour des populations enclavées depuis trente ans

La population chypriote turque qui, depuis trente ans, vit dans l'isolement et étouffe à cause des effets de l'embargo pesant sur elle, peut déjà juger de la stimulation dont a bénéficié la zone sud en préparant son entrée dans l'Union européenne dans la période de pré-adhésion.

Elle est parfaitement consciente que l'écart entre les deux zones s'accroîtra encore plus vite après l'adhésion, d'autant que la Turquie est affaiblie depuis la crise financière de 1998 et ne peut apporter qu'une aide limitée à la zone nord d'un peu plus de cent millions de dollars.

Enfin, elle sait qu'une adhésion à l'Union européenne lui ouvrirait les investissements directs étrangers, les fonds de la Banque européenne d'investissement et les crédits communautaires dans une mesure propre à satisfaire ses besoins en infrastructures et à moderniser son économie. De même, les programmes communautaires permettraient à ses jeunes, à ses cadres et à ses PME de se former et de se développer. Les seules dépenses du budget communautaire prévues pour Chypre nord en cas de règlement politique s'élèveraient à 273 millions d'euros en crédit d'engagement pour la période 2004-2006, aux prix de 1999, soit 60 millions en 2004, 89 en 2005 et 124 en 2006.

4) Une division de la société chypriote turque qui fragilise ses représentants politiques

La faiblesse de la position turque n'est pas seulement d'avoir envoyé des troupes militaires en si grand nombre dans le nord de l'île, mais d'y avoir implanté une population originaire d'Anatolie au point de déséquilibrer la démographie du nord de l'île et de miner sa cohésion.

Une nouvelle division est en effet venue se superposer, ces dernières années, à la séparation traditionnelle entre le nord et le sud : elle oppose la société chypriote turque entre partisans et adversaires de la réconciliation et recoupe assez largement la division entre Chypriotes turcs de souche et « colons » d'Anatolie.

Les alliés de loin les plus fidèles du gouvernement de M. Denktash ont été les émigrés turcs, qui craignent que l'adhésion à l'Union européenne ne déstabilise un système foncier et économique qui leur est favorable.

Le mouvement en faveur de la réunification, animé par les syndicats, l'opposition et les étudiants, rassemble des Chypriotes turcs de souche et a réussi à mobiliser trente mille d'entre eux pour manifester en faveur d'une démission de M. Denktash pendant les négociations. Ils ne veulent pas attendre la Turquie pour pouvoir entrer dans l'Union européenne et un certain nombre d'entre eux, en particulier des hommes d'affaires, ont déjà acquis discrètement le passeport chypriote grec, le seul reconnu internationalement, pour se rendre à l'étranger depuis la partie grecque sans avoir à passer par la Turquie. Les autorités chypriotes turques n'ont pu faire adopter un projet de loi pour sanctionner cette pratique, en raison de l'opposition des syndicats et des associations. Par ailleurs, le 4 mars 2003, quatre des cinq partis de la coalition gouvernementale soutenant M. Denktash ont, par surprise, voté pour l'organisation d'un référendum et donc pour le plan Annan.

En adoptant des positions dures qui reflètent plutôt les intérêts des colons d'Anatolie contre les souhaits des Chypriotes turcs de souche, M. Denktash prend le risque de se trouver à terme devant un phénomène de fuite de la population analogue à ce qui s'était produit au moment de la réunification allemande ou, s'il cadenasse cette population, d'accroître son sentiment d'exaspération.

Cette perspective menaçante a d'ailleurs été soulignée par M. Erdogan lorsqu'il a déclaré au début de l'année qu'une manifestation de 30 000 personnes montrait qu'il se passait quelque chose au nord de Chypre et que, si une décision n'émergeait pas avant le 28 février, la situation serait beaucoup plus difficile.

5) La réunification de l'île, élément d'appréciation incontournable pour l'ouverture des négociations d'adhésion de la Turquie

Le Conseil européen de Copenhague a décidé que l'Union européenne ouvrira sans délai des négociations avec la Turquie si, en décembre 2004, le Conseil européen, sur les bases d'un rapport et d'une recommandation de la Commission, décide que ce pays satisfait aux critères politiques de Copenhague.

Le règlement de la division de l'île ne peut être le seul critère d'appréciation, mais il est assurément incontournable. On ne voit pas en effet comment l'Union européenne pourrait engager des négociations d'adhésion avec un pays candidat - la Turquie - qui ne reconnaîtrait pas un Etat membre - Chypre - et occuperait militairement une partie de son territoire, dans une situation d'illégalité internationale née de la proclamation de la République de Chypre-nord, que son rôle de garant reconnu par les accords de 1959 et 1960 ne peut pas justifier.

M. Denktash et certains milieux influents turcs considèrent que le rejet du plan Annan ne risque pas d'entraver l'entrée de la Turquie dans l'Europe, et que son adoption aurait au contraire fait perdre à la Turquie l'une de ses dernières cartes diplomatiques. Ce raisonnement plutôt spécieux s'est accompagné, tout au long des négociations, de la menace qu'en cas d'adhésion à l'Union de « l'administration chypriote grecque », la division de l'île deviendrait permanente et qu'une instabilité permanente s'installerait en Méditerranée orientale.

La stratégie de tension adoptée par M. Denktash semble refléter, non pas une volonté de s'agréger ultérieurement à l'Union européenne en même temps que la Turquie, mais plutôt la conception d'un avenir commun avec une Turquie s'affirmant à côté de l'ensemble européen.

Le choix n'est pas fait en Turquie entre les Européens convaincus, les Européens d'opportunité et les tenants de la puissance régionale turque, mais il n'est de l'intérêt d'aucune des parties d'aviver les tensions dans cette région déjà très exposée aux secousses du Proche et du Moyen-Orient. L'Union européenne doit conduire avec la Turquie et les autres parties prenantes au règlement de la division de l'île un dialogue de nature à rétablir la confiance et à offrir une perspective de réconciliation, dans un cadre nouveau permettant de dépasser les clivages anciens.

III. LES CONDITIONS DE L'ADHESION

A. Les conditions juridiques

En droit, toute l'île de Chypre entrera dans l'Union européenne en tant qu'Etat membre à partir du 1er mai 2004. En effet, d'une part, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté le 18 novembre 1983 la résolution 541 (1983) déclarant la proclamation de la RTCN juridiquement nulle et demandant à tous les Etats de ne pas reconnaître d'autre Etat chypriote que la République de Chypre, ce qu'aucun pays n'a fait sauf la Turquie, d'autre part, la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg a décidé que la RTCN n'est qu'une administration locale subordonnée à la Turquie, pays qui exerce en pratique un contrôle global sur le nord de Chypre (arrêt du 10 mai 2001, paragraphe 77).

L'application de l'acquis dans la partie nord de l'île sera cependant suspendue jusqu'à ce que le Conseil, statuant à l'unanimité sur la base d'une proposition de la Commission, en décide autrement. Le traité d'adhésion contiendra une clause d'habilitation au Conseil de négocier, sur proposition de la Commission européenne, les aménagements et les périodes de transition nécessaires pour l'application de l'acquis dans le nord de l'île, une fois que les obstacles à la réunification seront levés.

En pratique, la partie administrée par la République turque de Chypre nord serait écartée des bénéfices des retombées de l'adhésion. Toutefois, le Conseil européen de Copenhague a décidé que, durant la période de suspension de l'acquis, le Conseil inviterait la Commission, en liaison avec le gouvernement de Chypre, à examiner les moyens permettant d'encourager le développement économique de la partie nord de Chypre pour la rapprocher de l'Union.

B. Une situation économique remarquable

Dans son rapport du 9 octobre 2002, la Commission européenne résume la remarquable situation économique d'ensemble de Chypre en concluant que ce pays est une économie de marché viable et devrait être en mesure de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union.

L'économie chypriote se caractérise en effet par de très bons indicateurs qui l'ont placée en tête des pays candidats depuis le début des négociations :

- son niveau de vie moyen est relativement élevé : avec un PIB par habitant de 18 500 euros par an en 2001, il atteint 80 % de la moyenne de l'Union européenne et est supérieur à celui de tous les autres pays candidats et de plusieurs Etats membres de l'Union européenne, à savoir la Grèce, le Portugal et l'Espagne ;

- sa croissance est soutenue (4,8 % en 2000 et 4 % en 2001) ;

- sa structure est celle d'un pays avancé : le secteur tertiaire représente 76 ,6 % de la production nationale, contre 19,5 % pour l'industrie et la construction et 3,9 % pour l'agriculture ;

- son taux d'inflation est faible (2 %) ;

- le chômage y est très limité avec un taux de 4 % ;

- le déficit public y est relativement maîtrisé (3 % du PIB), tandis que le total de la dette extérieure s'élève à 74,9 % du PIB à la fin de 2000 et que les investissements directs étrangers ont atteint 1,8 % du PIB en 2001.

C. Un alignement sur l'acquis communautaire globalement satisfaisant

Dans son dernier rapport de progrès, la Commission constate que pendant l'année écoulée, Chypre a encore progressé dans le domaine de l'alignement sur le plan législatif et a amélioré sa situation en ce qui concerne sa capacité administrative, en particulier dans les domaines des assurances sociales, des inspections vétérinaires et phytosanitaires, des services pharmaceutiques, de la lutte contre le blanchiment de capitaux, du contrôle des navires, de l'administration fiscale, de la planification, des services environnementaux, de la protection des consommateurs et de la santé et des douanes.

D'une manière générale, Chypre a atteint un bon niveau d'alignement sur l'acquis dans la plupart des domaines et a progressé dans la voie de la mise en place d'une capacité administrative appropriée lui permettant d'appliquer l'acquis dans un nombre considérable de secteurs, bien que des efforts supplémentaires restent à accomplir. Des projets détaillés ont été approuvés afin de combler les lacunes résiduelles.

Chypre respecte en général les engagements pris au cours des négociations. Toutefois, la création du registre des navires de pêche et l'alignement sur la législation concernant les stocks pétroliers et sur la directive électricité ont pris du retard et ces questions doivent être traitées. La Commission vient de lui adresser un avertissement en vue d'une application rapide de la directive électricité, dans le cadre de la procédure de suivi des engagements.

Compte tenu des progrès accomplis dans la mise en oeuvre des engagements pris au cours des négociations, la Commission conclut que Chypre sera en mesure d'assumer les obligations découlant de l'adhésion selon le calendrier prévu.

D. Des questions particulières résolues ou en voie de l'être

L'une des caractéristiques de la stratégie de négociation d'adhésion de Chypre a consisté à ne pas demander de dérogations ou de dispositions transitoires, ou le moins possible, pour clore les chapitres de l'acquis communautaire au plus vite et exercer ainsi la pression la plus forte en vue de conclure les négociations sur la réunification de l'île dans le cadre de l'ONU. Chypre voulait éviter tout prétexte qui aurait pu desservir sa position dans la négociation avec la partie chypriote turque.

Il en résulte que Chypre a accepté et appliqué les conditions posées par l'Union européenne dans des secteurs sensibles et qu'elle a conclu les négociations avec un petit nombre de dispositions transitoires.

Ainsi, un régime transitoire a-t-il été accordé à Chypre pour le renouvellement des autorisations de mise sur le marché de médicaments, jusqu'au 31 décembre 2005. De même, en matière de fiscalité, Chypre s'est vu accorder pour une durée indéterminée le droit d'appliquer aux petites et moyennes entreprises un seuil d'enregistrement et d'exonération de TVA de 15 600 euros. En outre, elle bénéficie, jusqu'au 31 décembre 2007, d'un régime transitoire concernant l'application du taux zéro de TVA sur les livraisons de denrées alimentaires destinées à la consommation humaine et de produits pharmaceutiques, l'application du taux réduit de 5 % sur les services de restauration, le maintien de l'exonération pour les livraisons de terrains à bâtir et, pendant une période d'un an à compter de l'adhésion, d'une exonération des droits d'accises pour les huiles minérales utilisées pour la production de ciment et de taux réduits de droits d'accises pour tous les types de carburant utilisés par les véhicules de transport local de passagers.

Les deux domaines les plus sensibles concernaient, d'une part, la fiscalité, la concurrence et le secteur offshore, d'autre part, la sécurité maritime.

S'agissant de la fiscalité, de la concurrence et du secteur offshore, deux difficultés principales se présentaient :

- l'existence de très faibles taux d'imposition, en particulier sur les sociétés et la valeur ajoutée, pouvait constituer une forme de concurrence déloyale vis-à-vis des pays de l'Union européenne ;

- la persistance d'un centre offshore de blanchiment de capitaux était incompatible avec la politique de l'Union européenne.

Chypre constitue en effet un important centre offshore : la faible fiscalité appliquée aux entreprises étrangères lui a permis d'enregistrer environ 40 000 firmes, dont un tiers en provenance globalement de l'Union européenne. Selon les estimations, les ressources offshore représenteraient autour de 15 % du PIB, même s'il est par définition difficile de déterminer une proportion précise en raison à la fois du secret bancaire et de l'opacité qui a entouré les activités concernées. En tout état de cause, le secteur financier intérieur entre pour environ 20 % dans le PIB et 9 % dans l'emploi. Source de richesse et d'emplois, ce secteur a posé plusieurs difficultés juridiques et politiques au regard de la candidature de Chypre, qui ont depuis été résolues.

Le gouvernement a fait adopter, en juillet 2002, une réforme fiscale globale concernant la fiscalité directe et indirecte. Elle comporte en particulier :

- l'harmonisation des taux de l'impôt sur les sociétés appliqué aux sociétés offshore (qui était de 4,25 %) et aux sociétés nationales (qui se situait entre 20 et 25 % selon les cas) sur un taux unique de 10 % pour les sociétés chypriotes et étrangères, qui se situe dans le minimum de la fourchette autorisée et reste encore en dessous de ceux pratiqués par la plupart des Etats de l'Union ;

- l'augmentation du taux normal de TVA à 15 % (au lieu des 10 % actuels), soit le minimum exigé par la réglementation communautaire ; parallèlement, a été modifiée la liste des secteurs pouvant bénéficier d'un taux réduit de TVA, conformément aux règles communautaires.

Par ailleurs, un régime transitoire a été accordé, en vertu duquel les sociétés offshore internationales qui étaient en activité au 31 décembre 2001 continueront d'être imposées à un taux inférieur au taux normal de l'impôt sur les sociétés jusqu'au 31 décembre 2005.

Le gouvernement a également pris des dispositions pour traiter les questions de blanchiment de capitaux. La loi de 1996 offre des moyens efficaces à cet égard. L'unité chargée de la lutte contre le blanchiment de l'argent (Mokas) existe depuis 1997. Elle coopère avec la police ainsi qu'avec la direction des douanes et accises. La Mokas apporte également tout son soutien à la coopération internationale et, à cette fin, accorde la priorité aux demandes d'entraide judiciaire présentées par les autorités étrangères. Les statistiques montrent qu'il y a eu une forte augmentation du nombre de transactions suspectes signalées par les institutions financières, ce qui tend à prouver que la sensibilisation aux questions de blanchiment de l'argent est plus importante.

Le FMI a établi un rapport d'évaluation positif sur la Mokas.

Chypre a ratifié en 1997 la convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime. Si la convention pénale du Conseil de l'Europe sur la corruption est entrée en vigueur en juillet 2002 à Chypre, la Commission constatait dans son rapport de progrès que la ratification de la convention civile sur la corruption signée en novembre 1999 n'avait pas encore eu lieu.

La Commission notait également que pour achever l'alignement de sa politique en matière de visas sur la liste des obligations de visas imposées par l'Union européenne, Chypre devait y intégrer les ressortissants de la Fédération de Russie et de l'ancienne République de Yougoslavie.

La délivrance des visas sur les bateaux en provenance du Liban et d'Israël aux ressortissants syriens, libanais et israéliens pourrait également faire l'objet d'une meilleure attention.

Enfin, il convient de rappeler que le plan Annan comportait un certains nombre d'incompatibilités avec l'acquis communautaire, notamment sur la dispense de visas accordée aux ressortissants turcs pour entrer à Chypre.

La sécurité maritime constituait le deuxième secteur sensible, notamment pour la France qui, durant sa présidence de l'Union européenne, a bloqué la négociation du chapitre transports pendant six mois afin que les négociations avec Chypre intègrent un certain nombre d'exigences sur la reprise des paquets Erika I et II. Ces conditions ont servi de précédent pour la négociation du chapitre avec les autres candidats.

Chypre a une marine marchande qui, avec environ 1 500 navires enregistrés - correspondant à 25 millions de tonneaux - et une cinquantaine de grosses sociétés de gestion de navires gérant 1 800 bâtiments, occupe 4,2 % du marché international et se situe au 6ème rang dans le monde, derrière Panama, le Libéria, la Grèce, les Bermudes et Malte.

Cette position s'explique en partie par un statut fiscal très favorable, mais résulte aussi des compétences et du savoir-faire que le pays a acquis dans ce domaine.

Dans son dernier rapport, la Commission note que, dans le domaine du transport maritime, l'alignement sur l'acquis est quasiment achevé. Chypre doit cependant continuer de transposer l'acquis en ce qui concerne les horaires de travail des gens de mer et les installations de réception portuaires pour les déchets d'exploitation et les résidus de cargaison. Elle a également accompli des progrès notables en ce qui concerne le renforcement de la capacité administrative du département de la marine marchande et l'amélioration des normes de sécurité, grâce à l'instauration de contrôles plus stricts.

En ce qui concerne le contrôle de l'Etat du pavillon, on constate au cours des quatre dernières années une augmentation notable du nombre d'inspections réalisées par les inspecteurs du département de la marine marchande et par le réseau mondial d'inspecteurs de l'Etat du pavillon, qui ont effectué 593 inspections en 2001, contre 527 en 2000, 369 en 1999 et 166 en 1998.

Selon les statistiques 2001 produites en application du mémorandum d'entente de Paris, le pourcentage de navires battant pavillon chypriote immobilisés à la suite d'un contrôle effectué par l'Etat du port a été de 8,85 %, soit une nouvelle diminution par rapport à 2000 (9,71 %) et 1999 (9,97 %). Ce pourcentage est à comparer avec la moyenne de 3,14 % enregistrée en 2001 pour les navires battant pavillon communautaire.

En septembre 2001, le département de la marine marchande a commencé à délivrer à tous les officiers servant à bord de navires chypriotes des visas de qualification professionnelle, ainsi que des registres d'identification et de service en mer à tous les marins servant à bord de ces mêmes navires. Depuis novembre 2001, le gouvernement de la République de Chypre demande à tous les marins servant à bord de navires chypriotes d'être immatriculés au registre chypriote des navires et d'être en possession des registres d'identification et de service en mer.

Les efforts en matière de personnel doivent cependant être poursuivis pour renforcer le département de la marine marchande et contrôler les normes de sécurité, afin que Chypre puisse retirer le pavillon chypriote de la liste noire du mémorandum d'entente de Paris.

IV. POUR UN RENFORCEMENT DES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET CHYPRE

L'adhésion de Chypre à l'Union européenne, que la France a toujours soutenue, devrait être l'occasion d'un renforcement de nos relations sur tous les plans, politique, économique et culturel.

Les relations politiques bilatérales entre la France et la République de Chypre sont traditionnellement bonnes en raison de notre position sur la question chypriote, en particulier pour notre soutien aux initiatives du Secrétaire général des Nations unies et à la force d'interposition de l'ONU, ainsi que pour l'accord du 6 mars 1995 sur l'engagement de l'Union européenne d'ouvrir des négociations avec Chypre, conclu sous présidence française. Toutefois, une déclaration du 10 novembre 1998 de la France, de l'Allemagne, de l'Italie et des Pays-Bas rappelant que, selon le Conseil européen de Luxembourg, l'adhésion de Chypre devait bénéficier à toutes les communautés et devait concourir à la paix civile et à la réconciliation, pouvait laisser entendre que la fin de la partition de l'île était une condition de l'adhésion. Elle avait été perçue par Nicosie comme susceptible de faire obstacle à l'adhésion de l'île. Le malentendu s'est dissipé depuis le Conseil d'Helsinki et la visite du Président Clérides à Paris en mars 2000, a permis de consolider cette sérénité retrouvée.

Dans le domaine économique, les échanges franco-chypriotes sont déséquilibrés en faveur de la France, qui a vu ses exportations croître de 7,8 % entre les six premiers mois de 2002 (141 millions d'euros sur les six premiers mois de 2002) et la même période de l'année 2001. En regard, les importations en provenance de Chypre sont faibles (5,4 millions d'euros sur les six premiers mois de 2002). L'adhésion de Chypre devrait être l'occasion de donner un coup de fouet à nos échanges et la situation centrale de notre partenaire en Méditerranée orientale comme sa situation touristique privilégiée et son savoir-faire financier devraient intéresser nos investisseurs.

Dans le domaine culturel, la France et Chypre sont liées par un accord culturel de 1969 instituant une commission mixte dont la dernière session s'est tenue en juillet 1994. La langue française jusqu'alors obligatoire en fin de cycle secondaire l'est devenue également dès le collège. Par ailleurs, des échanges entre lycées et universités sont organisés. La coopération scientifique et technique s'étend à l'archéologie, aux sciences agro-alimentaires, à l'industrie hôtelière et à l'informatique. Les deux partenaires devraient redynamiser une coopération paraissant quelque peu assoupie.

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* *

Le rapporteur propose à la Délégation de donner un avis favorable à l'adhésion de la République de Chypre à l'Union européenne.

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie le mercredi 9 avril 2003, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

Le rapporteur a déclaré qu'il présentait ce rapport sans avoir pu accomplir de mission sur place, en raison de la campagne présidentielle en février, puis de l'attente des résultats de la négociation sur le plan Annan en vue de la réunification de l'île, enfin du déclenchement de la guerre en Irak.

Chypre est une île de 9 251 km2 où vivent 855 000 habitants dont 652 000 membres de la communauté grecque orthodoxe dans la zone sud et 203 000 membres de la communauté turque musulmane dans la zone nord.

Ce pays souffre d'une division née d'un conflit vieux de trente ans qui n'a pu encore être résolu. Le coup d'Etat du 15 juillet 1974 fomenté par les colonels grecs contre Monseigneur Makarios, le Président de la République de Chypre, créée en 1960, a eu le mérite de précipiter leur chute, mais il a entraîné une réaction de la Turquie qui a envahi militairement la partie nord de l'île et a provoqué sa division ainsi que la proclamation, le 15 novembre 1983, de la République turque de Chypre du nord, reconnue comme Etat souverain par la seule Turquie.

Malgré diverses négociations, il n'y a eu aucune évolution et le Secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, a essayé d'imposer un plan de réunification en profitant des perspectives d'adhésion à l'Union européenne, avec l'accord de celle-ci. Il avait laissé aux parties jusqu'au 10 mars pour conclure et soumettre ensuite l'accord à référendum, mais les négociations ont échoué parce que le chef historique de la communauté chypriote turque est resté très fermé, que les militaires turcs n'ont pas voulu évoluer même si le gouvernement turc avait donné des signes d'ouverture, et que le plan prévoyait des rétrocessions de terres et un retour limité des Chypriotes grecs qui n'ont pas pu être assumés. En particulier, les Chypriotes turcs ont fait venir des Turcs d'Anatolie qui ne veulent pas laisser les terres. En outre, dans la perspective du rendez-vous de décembre 2004, la Turquie n'a vraisemblablement pas voulu perdre la carte de Chypre pour en faire un des éléments de la future négociation.

En tout état de cause, le maintien de la division de l'île ne pouvait pas bloquer son adhésion depuis que le Conseil européen d'Helsinki de décembre 1999 avait décidé que le règlement politique de la division ne constituait pas une condition préalable de l'adhésion.

On peut d'ailleurs penser que l'adhésion va favoriser une évolution, dans la mesure où le développement économique est déjà beaucoup plus élevé dans la partie grecque et où l'écart va encore se creuser avec la partie turque, comme l'on compris les manifestants chypriotes turcs qui ont réclamé la réunification.

L'Union européenne ne pouvait pas retarder l'entrée de la République de Chypre dans la mesure où sur les plans politique, division mise à part, et économique, elle remplissait toutes les conditions. Le plus riche des dix candidats a un PIB par habitant supérieur à celui de l'Espagne.

Sa candidature soulevait deux problèmes économiques spécifiques.

En premier lieu, la faible imposition des sociétés et son activité de centre de blanchiment des capitaux a longtemps placé Chypre sur la liste noire, mais une véritable évolution est en cours et des engagements ont été pris.

Le gouvernement a fait adopter en juillet 2002 une réforme fiscale globale concernant la fiscalité directe et indirecte. Elle comporte en particulier l'harmonisation des taux de l'impôt sur les sociétés appliqué aux sociétés off-shore (qui était de 4,25 %) et aux sociétés nationales (qui se situait entre 20 et 25 % selon les cas) sur un taux unique de 10 % pour les sociétés chypriotes et étrangères, dans le minimum de la fourchette autorisée et qui reste encore en dessous de ceux pratiqués par la plupart des Etats de l'Union. Par ailleurs, un régime transitoire a été accordé, en vertu duquel les sociétés offshore internationales en activité au 31 décembre 2001 continueront d'être imposées à un taux inférieur au taux normal de l'impôt sur les sociétés jusqu'au 31 décembre 2005.

Le gouvernement a également pris des dispositions pour traiter la question du blanchiment des capitaux. La loi de 1996 offre des moyens efficaces à cet égard. L'unité chargée de la lute contre le blanchiment de l'argent (MOKAS) existe depuis 1997. Elle apporte tout son soutien à la coopération internationale et accorde la priorité aux demandes d'entraides judiciaires présentées par les autorités étrangères. Le FMI a établi un rapport d'évaluation positif sur la MOKAS.

Chypre a ratifié en 1997 la convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime. Si la convention pénale du Conseil de l'Europe sur la corruption est entrée en vigueur en juillet 2002, la ratification de la convention civile sur la corruption signée en novembre 2002 a pris du retard.

Enfin pour achever l'alignement de sa politique en matière de visa sur la liste des obligations de visa imposées par l'Union européenne, la Commission, dans son rapport de l'automne 2002, a demandé à Chypre d'y intégrer les ressortissants de la fédération de Russie et de l'ancienne République de Yougoslavie.

La sécurité maritime constituait le deuxième secteur sensible. Chypre a une marine marchande qui se situe au sixième rang dans le monde et a été accusée d'être un pavillon de complaisance. Là aussi des évolutions importantes sont en cours et la France qui s'était montrée inflexible durant sa présidence de l'Union pour que les négociations intègrent les paquets Erika I et II, estime, comme la Commission, qu'il n'y a plus d'obstacle dirimant à l'adhésion.

Chypre n'a par ailleurs pas demandé beaucoup de dispositions transitoires parce qu'elle n'en éprouvait pas le besoin et qu'elle voulait éviter tout prétexte qui aurait pu desservir sa position dans l'autre négociation sur la réunification.

Les relations avec la France montrent notamment un fort déséquilibre des échanges en faveur de notre pays : sur les six premiers mois de 2002, les exportations de la France s'élèvent à 141 millions d'euros tandis que les importations en provenance de Chypre se situent à 5,4 millions d'euros. Par ailleurs, dans un pays longtemps administré par le Royaume-Uni, la langue française, jusqu'alors obligatoire en fin de cycle secondaire, l'est devenue dès le collège.

En conclusion, le rapporteur a proposé de donner un avis favorable à l'adhésion de la République de Chypre à l'Union européenne.

M. Jacques Myard a souhaité que la ministre française de l'industrie s'inspire de cet exemple de plurilinguisme pour défendre la langue française dans le cadre du règlement sur le brevet communautaire.

M. Jean-Claude Lefort a jugé inacceptable que la Turquie puisse espérer monnayer son activité de puissance militaire occupante et colonisatrice en échange d'une ouverture de négociation pour son adhésion à l'Union européenne. Après l'attitude que l'Union européenne a prise par rapport au respect du droit international dans la crise irakienne, elle serait mal venue d'encourager ce pays à ne pas respecter les résolutions du conseil de sécurité des Nations unies qui ont condamné son occupation militaire, et de lui laisser croire qu'il pourrait contourner un problème de droit international par des astuces. Au-delà, il y a les principes et il faut saluer, à cet égard, l'adhésion de la République de Chypre qui a déjà entraîné dans la zone nord des manifestations positives en faveur de la réunification.

Le rapporteur a déclaré que l'Union européenne défendait une position parfaitement claire sur cette question, comme le montre encore le rejet, par la présidence de l'Union européenne, aujourd'hui, d'une demande du gouvernement turc visant à remplacer dans le traité d'adhésion la dénomination « République de Chypre » par « Chypre » au motif que la Turquie ne reconnaît pas la République de Chypre depuis les événements de 1974.

Le Président Pierre Lequiller a exprimé son accord avec M. Jean-Claude Lefort et souhaité que la Délégation assortisse son avis favorable à l'adhésion de la République de Chypre d'une observation déplorant qu'après la chute du mur de Berlin et la fin de la division en Europe, il subsiste encore une division à Chypre et une occupation militaire inacceptable, et souhaitant que cette division ne perdure pas.

M. Thierry Mariani a indiqué qu'il avait eu l'impression, lors de visites à Chypre, que l'île était devenue une sorte de colonie russe et précisé que la Russie était devenue l'un des rares pays dont les ressortissants n'avaient pas besoin de visas pour y entrer. Il s'est interrogé sur les garanties obtenues par l'Union européenne sur ce point.

M. Jean-Claude Lefort a souligné que Chypre donnerait à l'Union européenne une profondeur et une avancée vers le Proche et Moyen-Orient.

M. Edouard Landrain a demandé si les autorités régissant la flotte de commerce exerceraient leur pouvoir dans la partie de Chypre intégrée à l'Union européenne ou dans la partie hors Union européenne.

Le rapporteur a indiqué que la marine marchande se trouve sous le contrôle des autorités de la République de Chypre, soumise aux textes communautaires.

La Délégation a donné un avis favorable à l'adhésion de la République de Chypre à l'Union européenne.

Elle a également adopté l'observation suivante :

« Après avoir déploré l'échec des négociations sur la réunification de l'île et de ce fait, le maintien inacceptable d'une occupation militaire en violation du droit international, la Délégation forme le souhait que l'adhésion crée une dynamique de réconciliation et permette de dépasser un antagonisme de plus de trente ans entre les communautés chypriotes grecque et turque ».

ANNEXE

Annexe-1Carte de la République de Chypre

(Pour la carte de la République de Chypre voir la version PDF de ce document)

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